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1 CHAPITRE 136 _____________ L’APPORT DES METHODES QUALITATIVES EN DEMOGRAPHIE Michel Bozon Institut national d’études démographiques, Paris L’association des méthodes qualitatives et quantitatives dans l’étude des populations n’a pas toujours été considérée comme une rencontre délicate. Dans l’anthropologie sociale et culturelle britannique, comme dans l’ethnologie pratiquée par les Français, il était d’usage jusqu’au milieu du XX e siècle environ, que toute monographie d’une population débute par sa morphologie et donc par une description démographique (Kertzer et Fricke, 1997, p. 3-4). Marcel Mauss, dans son célèbre Manuel d’ethnographie, élaboré dans les années 1930, qui a tracé le cadre de la monographie ethnographique, indiquait ainsi au chapitre 3 (Morphologie sociale): "Une enquête statistique et démographique proprement dite complètera l’étude de la morphologie sociale. Il faudra dresser une statistique par maison, dans le temps…; par famille, par clan, par tribu (lorsque la société comprend plusieurs tribus). On mesurera ainsi la fécondité, la natalité par sexe, la morbidité, la mortalité, en distinguant soigneusement la mortalité par accident ou par mort violente de la mortalité naturelle" (Mauss, 1947, p. 20). Par la suite, l’intérêt des anthropologues pour la démographie a décliné, à mesure que cette dernière se développait et que son appareil statistique se sophistiquait. L’autonomie de la démographie s’est largement fondée, historiquement comme à l’époque contemporaine, sur la disponibili té et la production de données chiffrées nombreuses, qu’il s’agisse de statistiques d’état civil, de données de recensement ou de registres, d’enquêtes démographiques à passage unique ou à passages répétés. Pour traiter ces masses énormes de données, les démographes ont inventé des méthodes statistiques de plus en plus élaborées, destinées en premier lieu à mettre de l'ordre dans les chiffres 1 . Dans le même temps, une partie des démographes ont toujours exprimé un 1 Allan Hill (1997, p.224) évoque l’« effet pervers » pour la démographie d’une telle quantité de chiffres, “ the corrosive effect of too many numbers “. Bozon Michel, 2006. – L’apport des méthodes qualitatives en démographie. in: Graziella Caselli, Jacques Vallin et Guillaume Wunsch (sous la direction de), Démographie et synthèse. Volume VIII. Observation, méthodes auxiliaires, enseignement et recherche, p. 433-457. – Paris, Ined-Puf. 760 p.

L’apport des méthodes qualitatives en démographie...Bozon Michel, 2006. – L’apport des méthodes qualitatives en démographie. in: Graziella Caselli, Jacques Vallin et Guillaume

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CHAPITRE 136

_____________

L’APPORT DES METHODES QUALITATIVES EN

DEMOGRAPHIE

Michel Bozon

Institut national d’études démographiques, Paris

L’association des méthodes qualitatives et quantitatives dans l’étude des

populations n’a pas toujours été considérée comme une rencontre délicate. Dans

l’anthropologie sociale et culturelle britannique, comme dans l’ethnologie pratiquée

par les Français, il était d’usage jusqu’au milieu du XXe siècle environ, que toute

monographie d’une population débute par sa morphologie et donc par une description

démographique (Kertzer et Fricke, 1997, p. 3-4). Marcel Mauss, dans son célèbre

Manuel d’ethnographie, élaboré dans les années 1930, qui a tracé le cadre de la

monographie ethnographique, indiquait ainsi au chapitre 3 (Morphologie sociale):

"Une enquête statistique et démographique proprement dite complètera l’étude de la

morphologie sociale. Il faudra dresser une statistique par maison, dans le temps…; par

famille, par clan, par tribu (lorsque la société comprend plusieurs tribus). On

mesurera ainsi la fécondité, la natalité par sexe, la morbidité, la mortalité, en

distinguant soigneusement la mortalité par accident ou par mort violente de la

mortalité naturelle" (Mauss, 1947, p. 20). Par la suite, l’intérêt des anthropologues

pour la démographie a décliné, à mesure que cette dernière se développait et que son

appareil statistique se sophistiquait.

L’autonomie de la démographie s’est largement fondée, historiquement comme à

l’époque contemporaine, sur la disponibilité et la production de données chiffrées

nombreuses, qu’il s’agisse de statistiques d’état civil, de données de recensement ou de

registres, d’enquêtes démographiques à passage unique ou à passages répétés. Pour

traiter ces masses énormes de données, les démographes ont inventé des méthodes

statistiques de plus en plus élaborées, destinées en premier lieu à mettre de l'ordre dans

les chiffres1. Dans le même temps, une partie des démographes ont toujours exprimé un

1 Allan Hill (1997, p.224) évoque l’« effet pervers » pour la démographie d’une telle quantité de chiffres, “ the

corrosive effect of too many numbers “.

Bozon Michel, 2006. – L’apport des méthodes qualitatives en démographie. in: Graziella Caselli, Jacques Vallin et Guillaume Wunsch (sous la direction de), Démographie et synthèse. Volume VIII. Observation, méthodes auxiliaires, enseignement et recherche, p. 433-457. – Paris, Ined-Puf. 760 p.

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intérêt pour des méthodes appartenant à l’anthropologie ou à la sociologie qualitative

ou manifesté une disposition à dialoguer avec des représentants de ces disciplines

(Roussel et Bourguignon, 1976, 1979 ; Caldwell et al., 1988 ; Gérard et Loriaux,

1988 ; Basu et Aaby, 1998 ; Courgeau, 1999).

Une attitude ouverte à l’égard d’approches non quantitatives n’est pourtant pas le

fait de tous les démographes, de même que l’intérêt d’une coopération avec les

démographes n’est pas perçu par tous les chercheurs en sciences sociales, en particulier

par les plus qualitativistes d’entre eux (pour des exemples voir Kertzer et Fricke,

1997). Pour certains auteurs en effet, il existerait une hétérogénéité radicale,

paradigmatique, entre les recherches fondées sur la quantification (dont la démographie

fait partie) et celles qui utilisent des méthodes qualitatives, opposition que Maryse

Marpsat (1999, p. 13) résume ainsi : "Les méthodes quantitatives se rattacheraient à

une vision strictement positiviste ou empiriste, inspirée des sciences de la nature,

visant à tester des hypothèses par la mise en évidence de corrélations entre des

variables ; les méthodes qualitatives, par l’importance accordée au sens donné à leurs

actions par les acteurs eux-mêmes, correspondraient à d’autres traditions

intellectuelles (sont en général cités la sociologie compréhensive de Weber, la

phénoménologie, à laquelle on peut rattacher l’ethnométhodologie, l’interactionnisme

symbolique)". Dans cette perspective, l’opposition entre une science des faits et une

science des interprétations serait évidemment irréductible.

D’autres chercheurs considèrent qu’il s’agit de méthodes différentes, mais

qu’elles peuvent être combinées et articulées au sein de projets de recherche complexes

et d’équipes multidisciplinaires, en fonction des objets d’analyse. Je me situe sans

équivoque dans ce second courant, considérant que pour aborder les questions dont

traite la démographie et faire évoluer la discipline, il est souhaitable d’associer les deux

types de méthodes et de faire émerger une approche compréhensive. En conséquence,

me semble-t-il, la démographie doit moins être définie par ses sources ou par ses

méthodes d’analyse que par son objet, qui est l’analyse de la reproduction des

populations, envisagée dans une perspective large (voir à ce propos Greenhalgh, 1995,

p. 3-28 ; Townsend, 1997, p. 96-114).

L’apport des méthodes qualitatives sera d’abord ici illustré par la diversité des

types de recherches démographiques dans lesquelles elles interviennent, dont des

exemples sont donnés. Les techniques les plus utilisées dans les recherches seront

ensuite présentées. Les objectifs assignés à ces méthodes et les rôles divers qu’elles

jouent seront ensuite détaillés. Les effets des approches compréhensives sur la

démographie elle-même seront enfin envisagés. Dans certains cas, elles modifient

seulement la présentation des résultats. Dans d’autres cas, elles ont des effets

théoriques, faisant surgir de nouvelles méthodes quantitatives, de nouvelles

interprétations, voire de nouvelles questions.

On ne s’étonnera guère qu’une bonne part des exemples soient empruntés à des

travaux menés sur les pays en développement, qui sont aussi des pays à statistiques

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imparfaites, dans lesquels le recours à des données complémentaires paraît

particulièrement nécessaire (voir à ce propos Pison, 1980 ; Quesnel, 1988). On laissera

en revanche délibérément de côté la démographie historique, même si des travaux se

rattachant à l’histoire orale (Leboutte, 1991) ou à l’anthropologie historique (Flandrin,

1976 ; Segalen, 1985) peuvent être considérés comme des travaux qualitatifs de

démographie historique.

I. Échantillons de "démographie compréhensive"

Dans la recherche démographique, le recours à des méthodes non quantitatives se

présente souvent comme un effort pour élargir les bases de l’explication d’un

phénomène. Cette démarche peut être qualifiée de « démographie compréhensive »

(Bozon, 1992a). Les travaux qui entrent dans cette catégorie n’ignorent nullement les

méthodes quantitatives; on peut dire qu’ils tentent d’introduire un va-et-vient critique,

une tension scientifiquement productive entre la détermination du domaine de validité

d'un phénomène et la compréhension de son sens.

Différence d’âge entre conjoints et « âge social »

Dans une étude sur la différence d’âge dans les couples entre hommes et femmes

(Bozon, 1990a et b), j’ai utilisé les données qui ont été recueillies dans une enquête sur

la formation des couples en France (Bozon et Héran, 1987, p. 969-970). Dans cette

recherche, le questionnaire, qui a été administré à 3000 personnes de moins de 45 ans

vivant en couple, constitue le cœur d’un dispositif plus vaste, qui comprend en premier

lieu une trentaine d’entretiens semi-directifs dont l’analyse systématique a permis de

préparer le questionnaire. Par ailleurs, à la suite de l’enquête principale, une seconde

série de 75 entretiens a été réalisée auprès de personnes sélectionnées parmi les

répondants du questionnaire. Le questionnaire lui-même comprenait environ 40

questions ouvertes sur un total de 250. Le phénomène de la différence d’âge entre

conjoints n’est pas envisagé comme un déterminant universel et relativement invariant

du mariage, qui ne requerrait aucune explication. L’enquête par questionnaire montre

que les femmes jeunes adhèrent bien plus que les hommes de même âge au modèle de

couple dans lequel l'homme est plus âgé. L’analyse des entretiens semi-directifs fait

apparaître que l’idéalisation par les femmes des hommes considérés comme mûrs

s’accompagne d’un net rejet des jeunes gens de leur classe d’âge, considérés comme

immatures et trop jeunes, au sens péjoratif. "Les hommes disponibles sont perçus,

classés et jugés en fonction de leur âge social, qui ne dépend que partiellement de leur

âge réel" (Bozon, 1990b, p. 581). La maturité sociale de l’homme au moment de la

rencontre est rattachée par les femmes à son expérience, à son statut professionnel, à

ses connaissances, à son autonomie résidentielle. Un retour aux données quantitatives

montre que cette idéalisation de qualités et d’atouts sociaux liés à la maturité des

hommes est d’autant plus forte chez les femmes qui ont elles-mêmes peu d’atouts

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scolaires et professionnels et sont donc les plus dépendantes du statut social de

l’homme.

L’intérêt théorique des irrégularités et des anomalies

La démographie peut s’intéresser délibérément aux irrégularités. Étudiant une

population africaine à très haute fécondité (Gambie rurale), Caroline Bledsoe,

Fatoumatta Banja et Allan Hill (1998) partent, par exemple, d’un phénomène paradoxal

et contre-intuitif : les femmes qui ont connu des accidents reproductifs (fausse-couche,

mort-né, décès d’enfant en bas âge) tendent à adopter un peu plus fréquemment que

d’autres une contraception de type occidental. Ce comportement inattendu selon la

conception occidentale des régimes de haute fécondité est situé par les auteurs dans une

représentation locale de la vie reproductive des femmes. Le dispositif d’observation

comprend une enquête initiale, qui permet d’établir un registre des femmes d’âge

fécond de 40 villages ruraux (2 980 femmes au total), suivie de séries d’entretiens

ouverts et d’observations de terrain, et d’une enquête à passages mensuels de 15 mois

auprès d’un sous-échantillon de 270 femmes ayant eu une grossesse dans les 3 ans,

comprenant à la fois des questions quantifiables et des questions ouvertes. L’enquête

anthropologique met en évidence que le déroulement de la vie féconde est perçu

comme une "dépense des ressources du corps" (body resource expenditure). Le

potentiel reproductif d’une femme est limité par sa dotation totale en fœtus (nombre

fixé par Dieu, intangible pour une femme, mais variable de l’une à l’autre) et s’épuise

peu à peu, non pas au fil de l’âge mais au fil des épreuves subies par le corps :

l’irréversible perte des « muscles » liée aux grossesses et aux accouchements (y

compris les fausses couches), ainsi que la perte des forces, plus importante, lors des

traumatismes obstétricaux, mais qui peuvent être partiellement restaurées par un repos

entre les grossesses. La fécondité est ainsi vue comme « un potentiel à réaliser »,

plutôt que comme « une capacité limitée par l'âge »2 (Bledsoe et al., 1998, p. 48).

L’idée d’un temps biologique individuel, qui s’écoulerait de façon continue, n’a pas

cours, ni la représentation de la ménopause comme un âge-limite de la reproduction.

Les individus se réfèrent en revanche à l’âge reproductif, réalité discontinue, illustrée

par les noms différents qu’une femme prend au cours des phases de dépense de son

potentiel3. Dans cette logique, il n’est pas étonnant que les initiatives contraceptives les

plus marquantes aient lieu après des agressions fortes contre le corps qui, malgré leur

rudesse, ne donnent pas droit au repos sexuel de l’abstinence post partum. Dans

certains cas, la contraception est de plus une tactique, qui permet aux femmes de ne pas

dilapider leur dotation reproductive dans l’attente d’un remariage éventuel. L’étude

d’une anomalie de la théorie révèle un continent enfoui de représentations sur le corps

et la fécondité et montre que le recours à une pratique considérée comme moderne (la

contraception occidentale) peut parfaitement s'inscrire dans une rationalité

2 “ a potential to be expended “ rather than “ a time-bound capacity “ (Bledsoe et al., 1998)

3 Ainsi on distingue la jeune femme sans enfant ou avec un seul enfant (janka en wolof), une jeune épouse ou

femme au début de sa vie reproductive (jongoma), une jeune femme mariée ou femme au milieu de sa vie

reproductive (jegg), etc. (Hill, 1997, p. 238).

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traditionnelle.

Une démographie sans nombres

Le travail mené par Nancy Scheper-Hughes sur la mortalité infantile dans une

favela de l’État de Pernambouc, dans le Nordeste brésilien, peut sembler plus éloigné

des perspectives habituelles de la démographie (Scheper-Hughes, 1997). Elle le

qualifie elle-même de « démographie sans nombres » (« Demography without

numbers »). Le point de départ est pourtant classique. L’auteur étudie les déclarations

de décès d’enfants de moins de 5 ans à l’état civil d’une ville moyenne. Un tiers des

décès effectifs ne sont pas déclarés (dans bien des cas, la naissance ne l’était pas non

plus). Parmi les décès enregistrés, les trois quarts n’indiquent pas de causes; les causes

déclarées correspondent à une étiologie très sommaire mais caractéristique, « arrêt

cardiaque et respiratoire », « faim », « déshydratation », « faiblesse », « chute »… La

faible existence officielle de ces événements démographiques pousse l’auteur à tenter

de reconstituer la réalité sociale et culturelle des décès de bébés et d’enfants, à travers

une observation participante dans la favela et une enquête orale auprès des

protagonistes de ces décès (mères et voisines, pères, frères et sœurs, guérisseuses,

prêtres, fossoyeurs, etc.). Dans ce milieu de coupeurs de canne à sucre aux conditions

de vie extrêmement précaires, les mères observent un certain attentisme à l’égard des

tout petits enfants, qui se manifeste par un laisser-faire et une résignation calme face au

destin. L’idée prévaut que certains enfants n’ont, dès le début, pas le goût de vivre ni

de se battre et qu’il n’est pas nécessaire de tout faire pour garder en vie ceux qui sont

destinés à devenir des « anges ». Une sélection implicite s’opère ainsi dans les soins

donnés aux enfants; l’amour maternel ne s’enracine que très progressivement, lorsque

la certitude s’installe que l’enfant n’est pas seulement un visiteur occasionnel sur cette

terre. Cette remarquable observation de terrain permet d’éclairer le processus

d’intériorisation subjective des conditions de vie et de construction sociale des attitudes

maternelles, sur lequel l’histoire et la démographie historique, avec notamment les

travaux de Philippe Ariès sur l’émergence du sentiment de l’enfance à l’âge classique

(Ariès, 1973), avaient déjà ouvert la voie.

Un dispositif qualitatif/quantitatif pour l’étude des personnes sans abri

Les recherches menées à l’INED sur les personnes sans abri par Maryse Marpsat

et Jean-Marie Firdion (2000) constituent un bon exemple d’injection systématique et

raisonnée de méthodes qualitatives dans un dispositif principalement statistique.

L’enquête principale est fondée sur un questionnaire proposé à un échantillon

représentatif d’utilisateurs de centres d’hébergement et de distribution de repas pendant

un mois d’hiver à Paris. La passation du questionnaire a été précédée d’enquêtes de

nuit dans la rue et d’entretiens préliminaires auprès de personnes sans abri, puis suivie

d’une enquête par entretien auprès de responsables de centres d’hébergement, de

personnes sans domicile, ainsi que d’observations plus ethnographiques auprès de

personnes vivant de mendicité. Les entretiens exploratoires ont permis par exemple de

repérer « la récurrence des parcours d’hommes seuls ayant exercé des professions

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itinérantes (chauffeurs routiers, marins, militaires etc.) » (Marpsat, 1999), ce qui a

conduit à inclure dans le questionnaire une question spécifique sur ce point. Par

ailleurs, s‘exprimant de manière ouverte sur le logement, les personnes rencontrées ont

utilisé ce terme avec des contenus très divers, selon leurs expériences et leur situation

sociale4; il est ainsi apparu qu’interroger sans plus de précision sur le dernier logement

risquait simplement d’entériner la définition implicite que chacun en donnait. Par

ailleurs, des entretiens ont été menés postérieurement au questionnaire, afin d’en

affiner et d’en relativiser certains résultats: ainsi alors que beaucoup d’hommes

déclaraient dans le questionnaire avoir perdu leur logement à la suite d’une rupture

familiale, les entretiens biographiques plus approfondis font apparaître cette réponse

comme une interprétation parmi d’autres possibles, inscrite dans un processus

beaucoup plus complexe. Enfin les nombreuses difficultés rencontrées lors de

l’administration des questionnaires dans les centres d’hébergement ont incité les

responsables de la recherche à lancer un travail qualitatif sur les institutions

d’hébergement; ce travail de terrain a mis en évidence un système de hiérarchisation

des établissements, en homologie avec une hiérarchisation des utilisateurs (Soulié,

2000), que l’analyse des résultats du questionnaire a confirmée.

Micro-démographie, monographies et observatoires démographiques locaux

Enfin dans l’utilisation de méthodes qualitatives en démographie, une mention

particulière doit être faite à la micro-démographie, telle que le démographe australien

Jack Caldwell l’a illustrée, à la fois par ses propres travaux en Afrique et en Inde et à

travers ceux de la Commission de démographie anthropologique5 mise en place dans

les années 1980 par l’Union internationale pour l’étude scientifique de la population6

(UIESP) (Caldwell et al., 1988). Ces études micro-démographiques ont pour

caractéristique commune d’être des monographies (community studies) qui, sur une

aire géographique ou un groupe relativement restreint, associent la démarche de

l’enquête démographique voire épidémiologique à diverses techniques d’enquête

ethnographique, souvent dans le cadre de petites équipes pluridisciplinaires: la

pluridisciplinarité se marque à la collaboration de démographes et de représentants

d ‘autres disciplines, plus qu’à une conversion des démographes en “ qualitativistes ”.

Les études micro-démographiques impliquent un séjour généralement prolongé des

démographes sur le terrain, qui donne l’occasion de mettre en place de véritables

observatoires démographiques locaux, autant que de mener de nombreuses

investigations en profondeur. La micro-démographie se distingue de l’anthropologie

par un fort intérêt pour le changement et l’innovation, observés dans un cadre local, qui

est aussi l’échelle de nombreux programmes et projets de population. Le but initial de

cette ouverture disciplinaire était d’enrichir la collecte de données démographiques et

l’interprétation des résultats. Mais peu à peu ces monographies démographiques se sont 4 Pour des hommes isolés vivant en centre d’hébergement, une chambre d’hôtel est déjà considérée comme un

logement, alors qu’une femme avec enfant(s) ne parlera de logement que lorsqu’il y a location sans limite de

durée (Marpsat, 1999). 5 Committee on Anthropological Demography, créé et présidé initialement par Jack Caldwell.

6 International Union for the Scientific Study of Population (IUSSP).

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émancipées de leurs objets initiaux, prenant pour matière des thèmes qui n’étaient

habituellement pris en compte dans l’analyse que comme simples déterminants des

comportements démographiques (notamment de fécondité) : ainsi dans une étude parue

en 1996 dans Population Studies sur la comparaison de deux villages népalais (Niraula

et Morgan, 1996), les auteurs prenaient pour objet le degré d’autonomie personnelle

des femmes, dont ils examinaient les liens au mode de formation du mariage ainsi

qu’aux contacts post-matrimoniaux des femmes avec leur famille d’origine. Les deux

villages (l’un dans les collines près de Katmandou, l’autre près de la frontière indienne)

diffèrent fortement par leur organisation sociale et le degré global d’autonomie

féminine. La double monographie comparative montre que les différences individuelles

entre les caractéristiques biographiques des femmes dans chacun des environnements

sont secondaires pour expliquer les différences d’ensemble entre localités par rapport

aux différences proprement contextuelles entre les deux villages. Ainsi l’autonomie

personnelle féminine, même si elle est mesurable au niveau individuel, est avant tout

l’effet d’une organisation sociale et d’un contrôle collectif, qui doivent être observés

autrement que par une enquête auprès des individus, selon un mode d’appréhension

plus holiste.

L’usage de méthodes qualitatives en démographie s’inscrit généralement dans des

dispositifs complexes et composites. Un examen plus approfondi des principales

techniques utilisées montre que chacune d’entre elles est adaptée à des problèmes

particuliers, correspond à un mode d’approche du terrain et permet des types d’analyse

spécifiques.

II. Techniques d’observation qualitative

Il est possible d’ordonner les diverses techniques d’observation de type qualitatif

utilisées dans des études démographiques, en fonction du degré de dépendance qu’elles

ont à l’égard des enquêtes statistiques auxquelles elles sont associées.

Questions ouvertes et éléments non standardisés dans les questionnaires

démographiques

Une pratique apparemment simple à importer dans un questionnaire

démographique est l’usage de la question ouverte pour laquelle, contrairement aux

questions fermées pré-codées ou aux questions qui enregistrent des quantités (nombre

d’enfants, date de début d’union), le contenu, la forme et la longueur de la réponse ne

sont pas fixées d’avance. Le recours à des questions ouvertes est particulièrement

pertinent pour recueillir les représentations associées à un terme (par exemple, la

notion d’environnement, le mot sexualité, la notion de mauvaise santé ou celle de vrai

logement) ou bien les justifications qui sont donnés spontanément d’un comportement

ou d’une attitude (par exemple, pourquoi refuserait-on d’épouser un conjoint plus jeune

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que soi ?). On peut inclure également des questions semi-ouvertes, dans lesquelles, à la

suite d’une série de modalités de réponses explicites, est ajoutée une modalité

« autres », dont le contenu n’est pas fixé a priori. Dans les procédures

d’enrichissement du questionnaire, on peut enfin mentionner le recueil systématique

d’observations sur le déroulement de l’entretien : réactions de la personne interrogée

face aux questions (gêne, hésitation, surprise…), commentaires additionnels, présence

éventuelle et réactions de tiers qui ont une influence sur les réponses. Il est aisé

d’introduire des éléments non standardisés dans des questionnaires d’enquête, même si

cela requiert une formation plus poussée des enquêteurs. Il est bien plus difficile de les

exploiter de façon adéquate. Les observations ou les commentaires sur l’entretien

peuvent être simplement utilisés pour lever des ambiguïtés ou résoudre des problèmes

de cohérence au moment de la saisie du questionnaire (en revenant éventuellement sur

les pré-codifications des enquêteurs). De même, l’exploitation statistique des questions

ouvertes peut prendre une forme simplifiée, qui ramène le codage à l’exploitation

d’une question fermée ne comptant que quelques modalités. Elle peut inversement

prendre une forme approfondie, avec l’objectif de rendre la richesse d’expression et de

formulation indigènes, soit en élaborant une nomenclature détaillée organisée selon des

principes qui ont un sens pour le thème abordé7, soit à travers une saisie intégrale des

réponses, traitées ensuite par un logiciel d’analyse des textes8. Cette seconde option est

sans doute plus adaptée aux réponses qui prennent une forme énumérative, alors que la

première convient mieux à des réponses de structure complexe, narrative ou

argumentative. Le libellé exact de certaines réponses aux questions ouvertes peut être

conservé à titre illustratif dans le rapport de la recherche.

Une procédure flexible : la campagne d’entretiens

Une procédure de recherche, parfois associée, mais de façon plus indirecte, à

l’enquête démographique quantitative, est la campagne d’entretiens semi-directifs,

menée en amont, parallèlement ou en aval du terrain de l’enquête par questionnaire.

Une campagne d’entretiens se définit par une population visée et par un

questionnement, qui s’exprime principalement par un guide d’entretien. La population

visée peut être divisée en sous-populations, dont on attend qu’elles apportent des

informations spécifiques. La détermination de ces sous-populations est fonction des

hypothèses et des dimensions structurantes déjà repérées du phénomène. Ainsi dans

une enquête par entretien sur la recomposition familiale en France, il convient, d’une

part, d’interroger des personnes de milieu populaire et des personnes d’autres milieux

et, d’autre part, de chercher à inclure tous les acteurs de la pièce : les enfants, mais

aussi les parents gardiens, les beaux-parents, les parents non gardiens. Plutôt que des

échantillons représentatifs, les échantillons de campagnes d’entretien sont donc

souvent des plans d’expérience. Construit également en fonction d’hypothèses de

7 Voir, par exemple, sur les principes de codage des circonstances de la rencontre du conjoint : Bozon et Héran,

1987, p. 970-984. 8 Voir, par exemple, sur l’analyse de la question sur les représentations de l’environnement : Guérin-Pace, 1997 ;

Collomb et Guérin-Pace, 1998.

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départ, le guide d’entretien semi-directif présente des points communs avec un

questionnaire fermé mais « s’en distingue fonctionnellement dans la mesure où il

structure l’interrogation mais ne dirige pas le discours » (Blanchet et Gotman, 1992,

p. 64). Des consignes de départ standard sont fixées (ex. : « Parlez-moi de votre vie

conjugale depuis votre mariage »), ainsi que des consignes intermédiaires, qui

indiquent le ou les thèmes. Par ailleurs, le guide d’entretien inclut un guide thématique,

que l’interviewer doit connaître sans avoir besoin de le formuler et qui correspond à

l’ensemble des points à aborder, soit librement par la personne interrogée, soit après

relance par l’enquêteur. La construction problématique n’implique pas de

standardisation dans le déroulement de l’entretien.

Ce qui distingue le plus nettement un entretien d’un questionnaire est ainsi une

grande flexibilité d’utilisation. Lorsqu’une campagne d’entretiens est utilisée à titre

exploratoire afin de construire un questionnaire ultérieur (voir plus loin), le guide

d’entretien peut se modifier entre le début et la fin de la campagne. Quand une série

d’entretiens est effectuée en aval de la passation du questionnaire, éventuellement sur

un sous-groupe de l’échantillon de l’enquête, le guide d’entretien peut également

s’adapter en tenant compte, pour chaque individu interrogé, des éléments déjà connus

du questionnaire quantitatif. L’avantage d’une campagne d’entretiens, par rapport à la

collecte par questionnaire, est d’introduire un véritable va-et-vient réflexif au sein

même de la collecte de données empiriques. Même le nombre d’entretiens nécessaires

n’est pas fixé a priori, dans la mesure où il obéit avant tout au principe de saturation

(Blanchet, Gotman, op. cit. ): l’enquête qualitative ne s’achève en principe qu’au

moment, inconnu à l’avance, où les entretiens supplémentaires ne font plus apparaître

de données ou de processus nouveaux9. Pour pouvoir être analysés, les entretiens

semi-directifs doivent être enregistrés puis transcrits. Sous sa forme la plus simple,

l’exploitation peut se limiter à une analyse thématique, qui regroupe les éléments

recueillis en fonction des rubriques ou thèmes du guide et qui fait apparaître l’éventail

des situations et des termes employés par les acteurs. Ce type d’analyse convient

généralement bien à la préparation d’un questionnaire. Des analyses plus élaborées

peuvent faire apparaître les structures d’un système de représentations, par exemple à

travers « l’analyse de relations par opposition » (Blanchet et Gotman, 1992), des

enchaînements typiques d’événements, des correspondances entre des événements

vécus et des perceptions, par exemple la souffrance des femmes qui n’arrivent pas à

avoir de garçon en Corée (Das Gupta, 1998).

Observer les interactions entre les acteurs

L’observation participante, très utilisée en anthropologie, l’est peu en

démographie. C’est pourtant par ce type de méthode, plutôt que par des déclarations

explicites lors d’enquêtes par questionnaires ou d’entretiens semi-directifs, que l’on

peut mettre en évidence des inégalités bien réelles et concrètes de traitement entre des

9 En revanche, dans une enquête quantitative, l’effectif de personnes à interroger est calculé a priori pour

permettre une bonne précision des estimations statistiques, soit sur la population d’ensemble, soit sur des sous-

populations.

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enfants (quantité de nourriture, soins de santé) comme on en observe en Afrique entre

enfants du mariage présent et ceux d’un mariage précédent (Bledsoe, 1995) ou dans un

certain nombre de pays d’Asie entre garçons et filles (Das Gupta, 1998) ou dans

l’exemple brésilien cité plus haut entre les enfants dont on considère qu’ils ont

l’énergie de vivre et les autres (Scheper-Hughes, 1997). De même, l’observation

directe est incomparable pour évaluer le fonctionnement de programmes de

planification familiale ou d’autres programmes de santé (programmes de lutte contre la

diarrhée, programmes de vaccination, programmes de prévention ou de traitement du

sida) ou d’institutions comme des dispensaires, des postes de santé ou des centres

d’hébergement de personnes sans domicile. Dans ces situations, l’observation directe

permet de prendre pour objet les interactions entre acteurs, notamment celles qui se

produisent entre individus très éloignés du point de vue culturel ou social, ayant par

exemple des représentations du corps et de la maladie radicalement différentes (par

exemple un médecin d'ONG, originaire de pays développé, et une indienne de Bolivie).

L’observateur doit objectiver l’ensemble des éléments de la situation, et donc prendre

en compte, au moment d’analyser ce qu’il a observé et/ou entendu, les effets du lieu,

mais aussi ceux de sa présence et de son statut relatif à l’égard des personnes

observées. L’observation peut notamment contribuer à une meilleure perception des

stratégies et des intérêts de celles ou ceux qui ne sont souvent considérés que comme

usagers ou cibles de programmes ou d’actions. Ainsi l’enquête qualitative sur les

centres d’hébergement de personnes sans abri (Soulié, 2000) fait apparaître à la fois

que les centres sélectionnent certains profils de personnes et que les personnes sans

abri elles-mêmes, en fonction de leur situation, de leurs expériences et de leurs

aspirations, s’orientent dans le système en choisissant ou en évitant certains lieux

d’hébergement.

L’entretien de groupe, une méthode critiquable

Certains démographes utilisent, notamment dans la phase exploratoire d’une

recherche, des entretiens de groupe (ou groupes focaux). Il n’est pas certain que le

recours à ce type d’entretiens, organisés par le chercheur, puisse être considéré comme

une technique de recherche rigoureuse. En effet, il est difficile d’enregistrer de façon

systématique les propos tenus et la nature très complexe des interactions entre

participants, le chercheur étant à la fois animateur du groupe, participant et

observateur. Les éléments provenant de ces réunions sont d’ailleurs toujours cités de

façon assez vague. On peut considérer qu’il s’agit d’une technique de prise de contact

ou de mobilisation, d’une technique d’action voire d’une technique pédagogique, plutôt

que d’un outil de recherche proprement dit. Cette méthode, qui exerce une certaine

fascination sur les démographes, a assurément l’avantage de fournir des résultats

rapides pour un investissement faible (Knodel, 1998), mais les données produites

peuvent rarement être considérées comme scientifiques, dans la mesure où elles sont

difficilement transportables et utilisables en-dehors du contexte qui les a produites. La

méthode est trompeuse, parce qu’elle donne lieu à des résultats, mais que ces derniers

sont une simple réaction à la situation créée : les représentations locales se présentent

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toujours comme relativement homogènes en raison des effets de porte-parole, les

silences et les non-réponses ne sont pas considérés, et les représentations exprimées ne

sont pas rapprochées des pratiques des individus. L’artefact est proche de celui que

l’on produit, en science politique, lorsqu’on suppose l’existence d’une “ opinion

publique ” constituée sur tous les thèmes, alors que celle-ci, dans la majorité des cas,

n’est qu’une réaction en situation, largement induite par la pratique du sondage

d’opinion lui-même (Bourdieu, 1980; Meynaud et Duclos, 1996). Dans la mesure où

l’on ne recueille pas d’éléments biographiques individuels, il est impossible par

exemple de mettre en évidence l’usage tactique ou stratégique de certaines

représentations, traditionnelles ou innovantes, dans des discours de justification

destinés à l’observateur, et encore moins l’existence de contradictions circonstancielles

entre discours officiel et pratiques, qui présentent un grand intérêt pour l’analyse. Un

argument qui est parfois utilisé pour recommander l’usage des groupes focaux est la

difficulté, voire l’impossibilité de réaliser des entretiens individuels. Il est vrai que

dans de nombreux cas, une approche assez longue est nécessaire pour trouver des

circonstances et un lieu propices à un entretien face à face. Ce n’est pas pour autant

qu’un groupe focal pourrait remplacer ce que des entretiens, ou une bonne observation

participante, apportent.

La monographie en démographie

Une bonne part des travaux qui peuvent être classés comme de la démographie

compréhensive prennent la forme de monographies. En soi, la monographie n’est ni

une technique ni une méthode. C’est un type d’approche et de produit scientifique,

dans lequel l’objectif est de mettre en évidence les processus sociaux à l’œuvre dans un

milieu ou un groupe humain. Elle se situe à l’opposé d’une enquête démographique

nationale, qui vise à de mettre en variables les comportements et les attitudes d’un

vaste échantillon de population et à établir des corrélations entre ces variables.

Contrairement aux monographies des anthropologues, celles des démographes incluent

généralement des enquêtes quantitatives, qui constituent des données de cadrage, voire

une base censitaire, pour la suite des investigations. Elles peuvent être complétées par

des enquêtes à passages répétés. Le choix du groupe à étudier ne se fait généralement

pas au hasard. Ainsi le fait qu’un programme de santé couvre une zone ou qu’une ONG

s’installe peut inciter à choisir la communauté visée. Le fait qu’un travail

anthropologique a déjà été mené sur une zone donnée à une époque antérieure peut

engager des démographes à revisiter les lieux. La principale caractéristique

méthodologique d’une monographie, qui suppose généralement un séjour prolongé des

chercheurs sur le terrain, est la possibilité qu’elle offre de faire varier les points de vue

sur un objet, en combinant différentes sources et différentes approches : « ce n’est pas

l’accumulation de données qui est déterminante, mais le jeu critique que l’on arrive à

instaurer entre des sources diverses » (Bozon, 1984, p. 15). Maryse Marpsat cite la

métaphore de la triangulation utilisée par des auteurs américains (Jick, 1983, cité par

Marpsat, 1999) pour désigner ces combinaisons de méthodes qui éclairent un objet, à la

manière de la mise au point qui s’opère à travers une visée multiple. La combinaison

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de méthodes n’est pas inconnue dans une démographie strictement quantitative : par

exemple la comparaison entre des données issues d‘un registre de population et des

données issues d’une enquête biographique rétrospective (Poulain et al., 1991). Mais

dans une monographie, l’articulation des méthodes est le principe fondamental d’une

procédure longue, fonctionnant par aller-retour et par adaptation permanente des

hypothèses. Une enquête quantitative est prolongée par un travail par entretiens, qui

suggère une nouvelle enquête. Une enquête statistique sur les usagers d’un programme

de santé ou de population peut être associée à une observation ethnographique in situ,

qui fait apparaître de nouveaux éléments. Utiliser une multiplicité de perspectives

permet de décrire des processus et des interactions complexes, qui ne réduisent pas les

comportements à une mécanique de variables.

Le recours aux méthodes qualitatives est souvent considéré par les démographes

comme une simple étape préliminaire ou comme une garantie auxiliaire de qualité dans

la collecte des données, qui ne modifie pas le fond des choses. Parfois, mais plus

rarement, l’accent mis sur le renouvellement des méthodes et sur le dialogue avec

l’anthropologie ou la sociologie qualitative contribue à faire évoluer la discipline

démographique vers d’autres objets, d’autres concepts, d’autres méthodes.

III. Méthodes qualitatives et qualité de la collecte démographique

La préoccupation permanente des démographes d’améliorer la qualité et la

fiabilité de leurs données et de traquer les biais et les effets de déclaration les rend

sensibles à la réflexivité et à l’interactivité dans les opérations de collecte. L’utilisation

d’approches qualitatives dans les phases initiales de planification d’une enquête est

ainsi devenue une façon courante d’enrichir le stock initial d’hypothèses et de suggérer

puis de tester des modes d’interrogation acceptables. L’idée de contrôles qualitatifs a

posteriori de la collecte est également de plus en plus admise.

Les toutes premières hypothèses d’une recherche s’appuient nécessairement sur la

littérature déjà publiée ou sur des prémisses théoriques plus générales. Il est nécessaire

de leur faire passer une première épreuve empirique pour leur donner plus de

consistance. Le perfectionnement des hypothèses de la recherche déjà citée sur la

formation des couples (Bozon et Héran, 1987) est largement le résultat d’une

campagne d’entretiens préliminaire : le choix du conjoint a ainsi été redéfini comme

l’aboutissement d’un jugement reposant sur des systèmes très structurés de

classification et d’évaluation des partenaires potentiels. Ces systèmes de classification

transparaissent dans les termes utilisés par les individus pour qualifier leurs partenaires

(ex : sérieux, intelligent, simple, non-conformiste, mûr etc.), qui deviennent ainsi des

indices significatifs. Plus généralement, le vocabulaire qui apparaît spontanément au

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cours des entretiens semi-directifs contient des formulations ou des termes indigènes

qui pourront être repris dans les libellés de questions et les modalités de réponses.

L’enquête qualitative préalable ne contribue pas seulement à l’explicitation des

hypothèses. Elle suggère des procédures de mise en pratique de l’enquête quantitative.

Ainsi sur de nombreux thèmes démographiques (comportements de fécondité,

nuptialité et famille), il était de tradition de n’interroger que les femmes. Des enquêtes

qualitatives ont montré qu’interroger aussi des hommes, voire des hommes conjoints

des femmes interrogées, permettait d’aborder de manière plus réaliste l’étude de la

négociation et de l’interaction entre conjoints10

. Un dispositif d’enquête qui prend en

compte deux conjoints, au moins sur une partie de l’échantillon, a été adopté en

définitive dans des enquêtes à plus grande échelle : notamment, dans les Enquêtes

démographiques et de santé à partir des années 1990.

Un questionnaire démographique est fondamentalement la mise en variables (et

en indicateurs) de comportements humains, qui paraît aller de soi lorsque les

comportements en question sont déjà partiellement ou fortement objectivés, mis en

forme dans la réalité et reconnus par la statistique publique (Héran, 1984). Ainsi il

n’est pas difficile de formuler des questions sur des diplômes ou sur un niveau de

scolarité, ni sur un nombre d’enfants vivants, ni sur un statut matrimonial légal, ni sur

un logement qui donne un statut de propriétaire ou de locataire avec bail, ni enfin sur

un emploi avec contrat de travail. La mise en variables est beaucoup plus difficile et

doit impérativement s’appuyer sur une approche qualitative préalable lorsque ce sont

des réalités peu formalisées, stigmatisées ou cachées qui sont visées ou quand le thème

a rarement été traité dans la littérature : ainsi dans le questionnaire de Maryse Marpsat

et Jean-Marie Firdion (2000) sur les sans abri, après des questions classiques

concernant l’emploi actuel et le dernier emploi, apparaissaient diverses relances

concernant « les travaux effectués sans bulletin de salaire », « le travail que l’on

effectue pour quelqu’un de façon irrégulière », « le fait de vendre des journaux de sans

abri dans la rue », « le fait de vendre des objets que l’on a récupérés ou fabriqués ». Sur

des thèmes comme le travail informel, les divers types de logement précaire, mais aussi

sur la violence sexuelle (abordée de façon approfondie dans l’Enquête démographique

et de santé de Colombie, 1995) ou sur les comportements sexuels en général, il n’est

pas possible de proposer ex nihilo les catégories de réponse adéquates : un balayage

initial très ouvert est toujours nécessaire.

D’une manière générale, une reconnaissance préalable des processus sociaux

locaux, même indirecte (par l’examen de travaux déjà publiés de sociologues ou

d’anthropologues, en anglais armchair anthropology), , y compris dans leurs aspects

rituels et symboliques, permet d’éviter un ethnocentrisme ou un juridisme excessif

dans la formulations de questionnaires. Ainsi Étienne van de Walle et Dominique

Meekers, dans leur article Marriage Drinks and Kola Nuts (1994), montrent qu’il n’est

10

Pour un exemple de monographie fondée sur une double collecte auprès de la femme et du mari, voir :

Hertrich, 1997.

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pas possible aux démographes, dans beaucoup de pays en développement, de mesurer

simplement la date du mariage (même entendu au sens large) sans prendre en compte

la diversité des composantes traditionnelles de l’entrée en union. Après une revue de la

littérature anthropologique à ce sujet, ils analysent les fonctions du rituel du don de

boisson et de noix de kola, très polysémique, qui avait fait l’objet d’une question dans

l’Enquête ivoirienne de fécondité (1980-1981). Dans les pays développés, l’informalité

croissante des seuils de la jeunesse sollicite fortement l’imagination de ceux qui

veulent tout de même dater l’entrée en union ou l’indépendance résidentielle des jeunes

(Villeneuve-Gokalp, 1998).

La décision d’intégrer des questions ouvertes dans un questionnaire, loin d’être

une impuissance à fermer les questions, c’est-à-dire à fixer a priori les catégories de

réponse, doit être considérée comme une volonté délibérée de recueillir un certain

nombre de formulations spontanées (c’est-à-dire qui s’expriment à travers les

catégories sociales qu’utilisent les individus et non pas seulement à travers celles des

analystes). Ainsi dans une enquête biographique de l’INED sur le passage à l’âge

adulte, réalisée auprès d’individus de 25 à 34 ans (Bozon et Villeneuve-Gokalp, 1995),

les nombreuses questions rétrospectives sur les parcours familiaux, conjugaux,

professionnels et résidentiels des personnes interrogées étaient suivis d’une question

ouverte : « Dites-moi s’il y a un événement de votre jeunesse qui a eu des

conséquences importantes pour vous (que nous en ayons parlé ou non). Lequel et à

quel âge ? ». Les réponses font apparaître qu’il existe toujours un certain nombre

d’événements considérés subjectivement comme marquants qui ne trouvent pas leur

place dans la grille de lecture biographique des chercheurs : par exemple des décès de

proches, des problèmes de santé ou même des événements historiques. La question

ouverte se prête par ailleurs bien à un rapprochement avec d’autres questions, fermées,

du questionnaire, par exemple sur les phases dépressives vécues par l’individu

(Archambault, 1998).

À l’utilisation exploratoire des approches qualitatives, désormais courante,

s’ajoute, mais plus rarement, la pratique de l’enquête qualitative complémentaire, qui

s’effectue après la collecte des questionnaires. Les fonctions de ces opérations

complémentaires sont diverses. Certaines opérations sont essentiellement de

vérification et explorent des contradictions dans les réponses, voire des refus de

réponses. Contrairement à une enquête de contrôle classique, qui vise essentiellement à

mesurer la cohérence entre le questionnaire initial et le questionnaire de contrôle, une

opération de contrôle qualitative ne considère pas les réponses problématiques comme

erronées mais comme significatives d’une perception de l’enquête par les personnes

interrogées ou d’un style de déroulement de l’enquête. Ainsi, aux États-Unis, une

enquête qualitative post-censitaire a fait apparaître un taux élevé de réponses inexactes,

qui s’accompagnent chez les personnes interrogées d’une indifférence à l’égard de la

tâche de remplissage du formulaire, liée à un sentiment d’éloignement à l’égard de

l’État et de désaffiliation sociale (Rehner-Iversen et al., 1999).

Il est possible également de mener des campagnes d’entretiens complémentaires

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afin d’élucider le sens de certaines réponses (aide à l’exploitation des questionnaires) et

de faire surgir des hypothèses explicatives sur les résultats (aide à la construction

d’hypothèses interprétatives). Dans l’enquête de l’INED sur la formation des couples,

les entretiens postérieurs ont eu cette double fonction. De nombreux enquêtés avaient

répondu qu'au cours du processus de rapprochement avec leur futur conjoint, ils

avaient connu une étape de cohabitation partielle (définie dans le questionnaire comme

« une période pendant laquelle vous ne viviez pas encore en permanence sous le même

toit, mais passiez déjà ensemble dans la semaine quelques journées et quelques nuits,

chez l’un ou chez l’autre »). Les entretiens ont montré que cette réponse amalgamait

des réalités tellement diverses qu’elle ne devait pas être interprétée comme une phase

distincte et véritable (Bozon, 1992b).

Enfin à la suite de l’opération quantitative, il arrive que des anthropologues ou

des sociologues entament une enquête qualitative relativement indépendante, centrée

soit sur une sous-population ou un groupe d’individus partageant une même

caractéristique, soit sur une localité, soit sur un problème que le questionnaire a fait

apparaître. Dès les années 1970 par exemple, dans ses travaux sur la famille, Louis

Roussel a introduit des enquêtes qualitatives indépendantes, à la suite d’enquêtes par

questionnaire plus classiques (Roussel et Bourguignon, 1976, 1979). La recherche que

nous avons citée plus haut sur les accidents reproductifs et la contraception en Gambie

(Bledsoe et al., 1998) prend comme point de départ un résultat du questionnaire qui ne

s’ajuste pas à l’interprétation standard des données, ce qui conduit en définitive à

entreprendre une recherche anthropologique parallèle, débouchant sur un autre cadre

d’hypothèses, très largement différent.

La place des hypothèses dans une recherche quantitative est souvent présentée de

façon assez peu réaliste comme un ensemble de questions ou plutôt de réponses

provisoires que le dispositif ad hoc de l’enquête chiffrée permettrait ensuite de

confirmer ou d’infirmer. Les anthropologues et les praticiens des enquêtes qualitatives,

quant à eux, ont plutôt le sentiment d’être en permanence en train de ré-élaborer et

d’affiner leurs hypothèses, sans cesse mises au feu de nouvelles observations. En

réalité, même dans les démarches statistiques, l’élaboration des hypothèses qui, à un

moment donné, deviennent des hypothèses interprétatives (ou interprétations), est un

processus très graduel : « La construction progressive des hypothèses, telle qu'on la

trouve dans la plupart des enquêtes qualitatives, correspond à celle qui se déroule au

cours des phases successives de l’enquête puis de l’analyse statistique, à la différence

qu’il n’y a pas de retour possible au terrain lorsqu’on est dans l’étape d’analyse, si ce

n’est par une nouvelle investigation, approche qualitative ou réitération d’enquêtes

statistiques » (Marpsat, 1999, p. 14). L’intégration d’une démarche qualitative dans un

dispositif essentiellement statistique permet de nourrir empiriquement la réflexion

permanente sur l’enquête en train de se faire, puis de s’analyser; la production continue

des hypothèses peut s’appuyer sur des retours au terrain, plutôt que sur la seule

imagination ou les présupposés des démographes.

Une plus grande flexibilité et interactivité dans la collecte de données

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démographiques contribue à rendre la discipline démographique « plus dense »

(« thicker » ) (Fricke, 1997). Les interrogations que font surgir les approches non

statistiques peuvent renouveler certains des concepts fondamentaux de la discipline et

la guider vers de nouveaux objets. Parfois, c’est en systématisant des approches

initialement qualitatives que la démographie invente de nouvelles méthodes.

IV. Approche qualitatives et renouvellement de la démographie

Lorsque les démographes rendent compte des changements survenus dans leur

discipline, par exemple à l'occasion des numéros-anniversaires des grandes revues

(Demography en 1993, Population en 1995, Population Studies en 1996), ils indiquent

les évolutions des méthodes, ainsi que les évolutions des objets (les questions ou les

débats); plus rarement, les innovations théoriques, même si des auteurs comme Ron

Lesthaeghe insistent beaucoup sur cette dimension (Lesthaeghe, 1992, 1998 ;

Lesthaeghe et al., 1994). Il est particulièrement rare que le recours à des méthodes

qualitatives et le dialogue avec des disciplines qui les utilisent soient mentionnés

comme des facteurs d'évolution de la discipline. Pourtant, même si leur apport n'est pas

volontiers reconnu11

, il existe bien des raisons de penser que l'existence persistante

d'autres modes de description des phénomènes sociaux explique une part des

développements de la discipline démographique.

Mise en variables ou description de processus

Traditionnellement, démographie et sociologie quantitatives travaillent sur des

phénomènes qui peuvent être décomposés en variables quantifiables. Après la mise en

variables, qui est une schématisation12

, et la collecte des données, les analystes

cherchent par diverses procédures statistiques à rapporter les variables à expliquer à

des variables explicatives. L'objectif, correspondant à un principe de parcimonie, est

d'utiliser un minimum de variables explicatives (également appelées déterminants)

pour décrire le phénomène à expliquer. Inversement, les approches qualitatives visent

des processus, c'est-à-dire des relations qui s'établissent entre des attitudes, des

conduites sociales et des structures objectives; le processus et les descriptions qui en

sont données peuvent être relativement complexes dans la mesure où l'exigence de la

mise en variables préalable des comportements ne pèse pas sur l'analyste. Ce dernier

fait néanmoins lui aussi une hypothèse de parcimonie, dans la mesure où il suppose que

les processus à décrire, même s’ils sont complexes, sont peu nombreux. Ainsi, dans ce

type d'approche, l'opposition entre variable dépendante et variable indépendante ou

11

Cette difficulté chez les démographes à reconnaître l’apport d’approches qualitatives à leur discipline est peut-

être liée au désir obsessionnel d’une bonne part d’entre eux d’être rattachés aux “ sciences dures ”. 12

La schématisation est nécessaire et légitime en fonction des hypothèses de recherche : il y a, selon l’expression

de Gaston Bachelard, cité par Hubert Gérard (Gérard, 1988), un “ droit de négliger ce qui est négligeable ”

(Bachelard, 1938).

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bien entre phénomène à expliquer et déterminant s'efface, ce qui permet de déplacer

beaucoup plus facilement le regard vers des questions que la théorie ne considère pas

initialement comme centrales ou qui apparaissent difficiles à mettre en variables.

Prenons l'exemple de la nuptialité dans les pays africains (Bledsoe et Pison,

1994). Elle a longtemps été considérée par les démographes, d'une part, comme un

simple déterminant de la fécondité, donc ne méritant pas un intérêt particulier, et,

d'autre part, comme un phénomène trop difficile à décrire. Quand on interrogeait sur la

date du mariage dans les Enquêtes nationales de fécondité des années 1980, on ne

savait pas trop ce que l'on mesurait. C'est en se rapprochant de l'anthropologie et de ses

méthodes qu'un certain nombre de démographes ont appris à observer et à décrire les

mariages comme des processus de formation des unions, ayant une durée et suivant des

étapes qui ne sont pas toutes identiques mais qui sont signifiantes, et à donner à

l'observation de ces processus une fonction d'analyseur de l'organisation sociale,

notamment des rapports entre générations (quelle est l'influence des aînés dans les

lignages? par exemple) et des rapports de genre (Locoh, 1995).

La contextualisation culturelle des comportements individuels

Une autre caractéristique des approches qui s'inspirent de l'anthropologie ou d'une

sociologie compréhensive est l'importance qu'elles accordent à l'analyse des structures

sociales et culturelles dans lesquelles se meuvent les individus. Elles s'opposent ainsi à

certains des modèles d'analyse traditionnellement utilisés en démographie, par exemple

dans l'analyse des déterminants de la fécondité, qui font se mouvoir l'acteur social dans

un cadre strictement individuel, éventuellement complété par des traits culturels

généraux, qui sont censés le caractériser en raison de son appartenance à des agrégats

ethniques, nationaux ou géographiques. L'action de la culture ou de l'organisation

sociale sur les comportements démographiques est ainsi longtemps restée la terra

incognita des études de population. Pour pouvoir envisager l'effet de l'organisation

sociale et culturelle autrement que comme le simple résidu non expliqué par les

variables individuelles, certains démographes, de nouveau influencés par

l'anthropologie, ont cherché à intégrer l'analyse des comportements individuels et celle

de l'organisation sociale (Kertzer, 1995).

Prenons l'exemple de la longue abstinence sexuelle post partum observée dans les

pays africains. La prévalence de ce comportement a longtemps été considérée comme

un déterminant de la fécondité (voir plus haut), une donnée spécifique de chaque

groupe culturel ne suscitant pas d'intérêt particulier. Le changement de perspective qui

a conduit à prendre l'abstinence comme un objet requérant explication a mené à deux

types de développements, tous les deux influencés par les approches anthropologiques.

L'analyse macro-démographique (macro-level analysis) de Lesthaeghe et al. (1994)

met en relation des caractéristiques de l'organisation sociale et économique de divers

groupes ethniques, systématisées à partir de données anthropologiques préalables et des

taux de prévalence de l'abstinence post partum dans chaque groupe. Deux

caractéristiques de l'organisation sociale paraissent particulièrement liées à de faibles

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taux d'abstinence : l'organisation lignagère matrilinéaire (vs. patrilinéaire), une valeur

productive faible des femmes dans l'économie (ce qui est notamment le cas des

sociétés pastorales). La recherche de Caroline Bledsoe et Alan Hill sur la Gambie

(Bledsoe et al., 1998 ; Hill, 1997) permet plutôt, quant à elle, de rendre compte des

variations internes à une société. Les auteurs relient tout d'abord la pratique de

l'abstinence à une représentation locale de la vie reproductive (voir plus haut), qui

constitue le cadre mental dans lequel les choix s'opèrent. Mais ce n'est pas parce que la

règle d'abstinence est traditionnelle qu'elle ne peut pas être largement manipulée. Il

s'agit tout d'abord d'une règle tendancielle, qui s'exprime plutôt comme une réduction

négociée de la fréquence que comme une suppression des rapports sexuels (Hill, 1997,

p. 233). En second lieu, on observe que les intervalles intergénésiques moyens

augmentent régulièrement avec la parité : les jeunes femmes ont plutôt tendance à

raccourcir la période d'abstinence et les femmes qui ont déjà plusieurs enfants à

l'allonger. En somme, indépendamment des facteurs de changement que la

démographie situe souvent dans les progrès de l'instruction, il existe des types

d'organisation sociale et économique qui favorisent ou découragent la tradition de

l'abstinence post partum qui, en outre, apparaît comme étant pour les femmes une

pratique plus stratégique et plus négociée qu'on ne l'estime généralement.

Démographie compréhensive et émergence de l’analyse du genre

Un autre exemple d'évolution de la démographie vers des objets et des

perspectives qui lui étaient initialement étrangères est la montée de l'intérêt des

démographes pour l'analyse du genre ou des rapports de genre (Greenhalgh, 1995 ;

Federici et al., 1993 ; Riley, 1997a et b). Ce nouveau développement est largement dû

aux travaux et aux méthodes de disciplines moins quantitativistes. La démographie n'a

évidemment jamais ignoré le sexe des individus qui composent les populations et elle a

su très vite calculer des espérances de vie ou des taux de mortalité infantile par sexe,

ainsi qu’établir l'existence d'inégalités de statut entre hommes et femmes, dans les

niveaux d'instruction, dans les âges au mariage, dans les taux d'activité (Véron, 1997).

Le rôle central que joue traditionnellement l'analyse de la fécondité dans la

démographie a même fait converger particulièrement l'intérêt sur un certain nombre

d'indicateurs concernant spécifiquement les femmes : il est devenu classique de

rapporter leur niveau d'instruction à leur âge au mariage, à leur nombre d'enfants, à la

fréquence d'utilisation de la contraception, voire au niveau de la mortalité infantile

(voir le chapitre 93 du volume VI). Dans les versions classiques de la théorie de la

transition démographique qui est, au fond, une application aux études de population

d'une théorie sociologique de la modernisation, la montée de l'instruction des femmes

est considérée comme un des phénomènes qui agit le plus directement sur la baisse de

la fécondité et de la mortalité infantile. Cette focalisation sur l'éducation des femmes

risque de faire oublier que ni la montée de l'instruction ni la baisse de la fécondité ne

provoquent nécessairement un accroissement de l'égalité entre sexes. Dans toutes les

sociétés, il existe une construction sociale et culturelle des rapports de genre (gender

system), qui détermine les rôles des hommes et des femmes, les ressources dont ils

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disposent et le pouvoir respectif dont ils jouissent: bien que ce résultat ne soit pas

atteint de la même façon dans chaque société, le pouvoir des hommes l'emporte

toujours sur celui des femmes, dans la sphère publique comme dans la sphère privée.

Une démographie sensible aux rapports de genre s'intéresse aux facteurs

persistants qui produisent la discrimination à l'égard des filles et des femmes, aux

éléments qui favorisent l'autonomie de décision des femmes, ainsi que sur les modes de

négociation et de contrainte entre hommes et femmes. Les méthodes qualitatives sont

précieuses pour mettre en évidence et pour relier ces éléments. Ils ont d'abord été

examinés à des niveaux macro-sociaux, où l'on peut mettre en relation des données

anthropologiques, des systèmes de genre et des processus démographiques. Ainsi la

diminution de la fécondité dans plusieurs grands pays asiatiques (Inde, Chine, Corée)

va de pair avec l'augmentation de la proportion de filles manquantes, essentiellement

par avortement prénatal sélectif. Les sociétés concernées sont des sociétés patrilinéaires

dans lesquelles les fils, contrairement aux filles, vivent avec leurs parents après le

mariage et contribuent à leur entretien. La modernisation technologique permet dans ce

cas une expression renforcée de la préférence traditionnelle pour les fils. Si la

démographie est particulièrement bien armée pour donner un diagnostic quantitatif du

phénomène, elle doit s'associer à des approches plus anthropologiques pour décrire

l'ensemble du processus et ses conséquences dramatiques sur la condition des femmes,

en contextualisant les comportements au-delà du niveau individuel. Une autre

application possible d'une approche de genre en démographie concerne la description

des conséquences de l'épidémie de sida pour les femmes en Afrique. Des études

essentiellement qualitatives ont montré d'une part que les femmes étaient rarement en

mesure de refuser des rapports sexuels non protégés à des conjoints qu'elles savaient

séropositifs et d'autre part que leur fécondité ne baissait pas, bien au contraire,

lorsqu'elles étaient séropositives (Desgrées du Loû, 1998). Il serait souhaitable que des

études démographiques ou épidémiologiques intégrant une approche anthropologique

aident à situer la logique d'ensemble de ces comportements dans leur culture, sans

omettre la dimension du genre et de la contrainte vécue, voire de la violence.

Si la démographie est l'analyse de la reproduction des populations, on ne peut

guère s'étonner a priori qu'un de ses objets d'intérêt majeur soit l'analyse quantitative

de la fécondité. Les contacts avec des disciplines comme l'anthropologie et la

sociologie, ainsi qu'avec des approches plus qualitatives ont pourtant amené à critiquer

la notion démographique de reproduction comme étant à la fois trop biologique et trop

individualiste : il s'agit d'une reproduction des individus, dans laquelle les enfants sont

toujours attribués à une femme précise (Townsend, 1997). Dans l'optique plus large qui

est celle d'autres disciplines, la reproduction doit être entendue comme une

« reproduction sociale des structures de relations et de positions sociales »13

(Kertzer

et Fricke, 1997, p. 21). Dans cette perspective, la démographie a aussi pour objet les

processus de parentalité sociale, comme l'adoption, la recomposition familiale, le

confiage d'enfants, voire les relations de parrainage, ainsi que les mécanismes qui

13

« the social reproduction of structures of relationship and social positions » (Kertzer et Fricke, 1997, p.21)

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interviennent dans la reproduction des rapports de genre. Dès qu'elle entre en contact

avec d'autres approches, la démographie peut voir s'élargir son objet et ses possibilités

d'interprétation de façon considérable.

La systématisation quantitative d’approches qualitatives

Une partie des méthodes quantitatives utilisées par les démographes peut enfin

être considérée comme une systématisation d'approches qualitatives pré-existantes.

Ainsi la reconstitution de familles en démographie historique s'appuie sur la technique

de la généalogie. L'analyse biographique prolonge les histoires de vie des sociologues,

pratiquées également par les anthropologues. La préoccupation d'intégrer dans une

même analyse les niveaux micro, méso et macro, qu’exprime le développement de

l’analyse multi-niveau, est une question classique en anthropologie. Les méthodes

d'échantillonnage utilisées dans les enquêtes statistiques auprès des personnes sans abri

imitent les procédés utilisés par des anthropologues de terrain (enquêtes de nuit,

enquêtes auprès des services aux sans-abri). L'usage de l'analyse textuelle en

démographie est une systématisation des analyses de contenu. L'invention de nouvelles

méthodes par standardisation de méthodes empiriques de terrain est particulièrement

fréquente dans les pays aux statistiques imparfaites. Si les méthodes quantitatives

produisent une schématisation et une homogénéisation des données, qui correspondent

à la mise en variables, elles reposent souvent sur une logique d'interrogation et

d'analyse de la réalité qui est initialement beaucoup plus complexe. En ce sens, il n'y a

pas de barrière entre méthodes qualitatives et quantitatives et le dialogue avec des

disciplines qui n'utilisent pas de méthodes quantitatives reste essentiel au

développement de la démographie.

Un tel dialogue n’implique pas la conversion à une autre discipline, mais la prise

en compte permanente par les démographes des résultats, des questions et des outils

que suggèrent les approches qualitatives. Pour autant, il ne paraît pas souhaitable

d’imaginer une démographie purement qualitative, qui existerait comme sous-

discipline à côté de la démographie mainstream. Par exemple, même si une démarche

qualitative fait apparaître dans des cultures variées que l’âge des individus est

généralement perçu selon les catégories discontinues et à géométrie variable d’un “ âge

social ”, il reste nécessaire de relier ces catégories indigènes à un âge mesurable

continu. C’est la tension entre sens et mesure qui produit la compréhension, plutôt

qu’une simple focalisation sur le sens.

Conclusion

Même si la démographie dispose d'une incomparable boîte à outils statistiques, ce

serait pour elle une perspective à courte vue, susceptible de bloquer son évolution en

tant que discipline, que de s'interdire le recours à des approches différentes. Une

analyse large et sans restriction de la dynamique de la reproduction des populations

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produit une démographie compréhensive, à la fois réflexive et interprétative. Une

tradition de critique des sources et de rigueur dans la collecte des données aide peut-

être les démographes à accepter l'apport de méthodes qualitatives dans les phases

préliminaires de la construction des recherches; l'exigence de réflexivité devrait les

conduire plus systématiquement à renforcer les collectes quantitatives par des

dispositifs qualitatifs.

Se pensant comme une discipline de faits, la démographie est généralement rétive

à l'idée d'interprétation. Or la demande d'interprétation se ramène largement à une

exigence de contextualisation des comportements, à laquelle des approches qualitatives

sont capables d'apporter leur concours. Cet élargissement de perspective peut

s'effectuer dans trois directions: la mise en relation des comportements observés avec

le sens que leur confèrent les acteurs, l'analyse des interactions interindividuelles qui

produisent les comportements, l'inscription des phénomènes observés dans un

fonctionnement social qui doit être décrit au-delà de ce qu'en perçoivent les sujets

interrogés. Cette triple contextualisation est nécessaire pour faire apparaître, par

exemple, les contraintes qui pèsent sur les comportements démographiques des femmes

et leurs marges d'initiative, dans un état donné des rapports de genre. Une démographie

interprétative est ainsi susceptible de s'approprier de nouvelles questions et d'inventer

d'autres méthodes pour les traiter.

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