THEME 4 Dynamiques et ruptures dans les sociétés des XVIIe et XVIIIe siècles

La Révolution Américaine et l(invention d'un nouveau modèle politique

Introduction La Glorieuse Révolution anglaise de 1688-1689, qui s’était pourtant pensée comme un retour aux libertés médiévales, marque le début d’une profonde mutation de l’univers politique occidental et la création de ce que certains historiens comme l’états-unien Robert Palmer ont qualifié de civilisation atlantique, marquée par la philosophie des Lumières et sa recherche de liberté pour les individus. Cette Atlantic civilisation, au delà des données nationales spécifiques, se caractérise au XVIIIe et au XIXe par un enchaînement de révolutions libérales que l’historien français Jacques Godechot a baptisé les révolutions atlantiques qui se nourrissent chacune de l’exemple des précédentes. Dans ce vaste mouvement révolutionnaire, la révolution américaine semble jouer un rôle central.

Quelles sont les caractéristiques de la Révolution Américaine ?

C’est tout d’abord la première guerre de décolonisation de l’histoire, qui de plus met en place un système politique entièrement nouveau dont l’influence sur l’Europe et le monde est fondamentale.

1. Une colonie en révolution

1.1. Une colonie anglaise

1.1.1. Les 13 colonies

‣ Doc. 1 L'Amérique du Nord en 1763

‣ Activité en anglais America before the United States

1492 marque le début des interactions entre les continents américain et européen. Si les flux migratoires sont au début peu importants, distance et difficultés d’installation obligent, le XVIIe siècle voit une augmentation significative du nombre d’Européens (Français, Espagnols, Néerlandais et Anglais principalement) qui décident pour des raisons économiques, politiques ou religieuses de s’installer sur le nouveau continent.

1620 marque un tournant : les Pilgrims Fathers, puritains qui fuient la persécution anglicane sur le Mayflower, décident de s’installer sur le continent américain afin de créer une nouvelle forme de communauté, chrétienne et démocratique sur la nouvelle terre promise(cf le Mayflower compact). La communauté survit au premier hiver grâce aux Amérindiens (Natives), qui sont remerciés lors d’un repas d’action de grâce à l’automne ce qui constitue la base d’un des grands mythes fondateurs de la nation américaine : Thanksgiving.

Progressivement, la Grande-Bretagne constitue un empire colonial en Amérique du Nord, qui se caractérise par son dynamisme (1,2 million d’habitants en 1750 contre 250 000 en 1700) et sa prospérité (tabac, riz, indigo, viande,

céréales, bois de marine, poisson). Ces territoires acquièrent progressivement le statut de colonie, disposant d’une certaine autonomie par rapport à la métropole  : chaque colonie dispose d’un gouverneur et de chambres de représentant, sur le modèle anglais. Doc. 1 L'Amérique du Nord en 1763

1.1.2. Tensions et révoltes ‣ Activité en anglais From resistance to revolution

La guerre de 7 ans (ou French-andn Idian war pour les Etats-uniens) (1756-1763) rompt les équilibres européen et atlantique. Conflit mondial opposant d’un côté le royaume de France et ses alliés, de l’autre le royaume d’Angleterre, la Prusse et leurs alliés, la guerre s’achève avec la perte de l’empire colonial et d’une grande partie de

l’influence française en Amérique du Nord (à l’exception du Québec) et une victoire anglaise à la Pyrrhus  : la Grande-Bretagne est quasi ruinée.

Face à la crise financière et économique, le Parlement anglais, où ne siège aucun représentant des colonies, vote plusieurs taxes (sucre, timbre) et réglementations concernant les colonies. Le problème est bien sûr financier pour les colonies mais aussi juridique et idéologique : la Magna Carta de 1215 tout comme les textes ultérieurs ayant en effet constamment réaffirmé que le roi ne pouvait lever de nouveaux impôts sans le consentement du peuple (no taxation without representation). Les relations se tendent et de premiers affrontements ont lieu, le 5 mars 1770 à Boston (fusillade), puis le 16 décembre 1773 lors de la Boston tea party. Des patriotes membres des fils de la liberté (Sons of liberty), c’est -à-dire des colons anglais souhaitant rompre avec la métropole, jettent une cargaison de thé de la compagnie anglaise des Indes orientales dans l’eau du port pour protester contre l’impôt sur le thé créé par le parlement et l’obligation de se fournir en produits anglais. La réponse est une répression plus forte encore de la part de la métropole, ce qui durcit les positions des colonies: les assemblées des colonies se rassemblent en un Congrès continental en 1774 à Philadelphie.

1.2.La guerre d'indépendance (1775-1783)

1.2.1. La déclaration d'indépendance (1776)

‣ Activité en anglais The United States of America: a new state and a new political system (part 1)

Les opérations militaires contre la métropole débutent en 1775. Le Congrès continental en s’inspirant des lois et des valeurs britanniques, proclame le 4 juillet 1776 une déclaration d’indépendance fondamentale pour le comprendre le modèle américain. Le texte est rédigé par Thomas Jefferson, considéré comme l’un des pères fondateur de la nation américaine (Founding Fathers) et s’inspire des idées politiques du philosophe anglais John Locke. Le 4 juillet est devenu la fête nationale des Etats-Unis (Independence Day).

Le texte explicite les raisons de la rupture avec la métropole et plus fondamentalement les idéaux sur lesquels reposent le nouveau pays.. Tout individu a des droits inaliénables (qu’il ne peut céder et qui sont liés à sa condition d’homme)  : vie, liberté, recherche du bonheur (c'est à dire la possibilité d’accomplir ses potentialités). L’Etat n’a qu’un rôle minimal (garantir ces droits) et un droit voire un devoir de révolte est accordé à chaque citoyen si l'Etat dans le cas où l'Etat ne joue pas ce rôle..

1.2.2. La guerre d'indépendance ‣ Activité en anglais The American War of Independence

C’est le début officiel de la guerre d’indépendance contre la métropole qui est à la fois une guerre coloniale et une guerre civile. Les patriotes (colons favorables à l’indépendance) s’opposent aux loyalistes (environ 20% des colons) et à l’armée anglaise (the red coats). Le général Georges Washington prend la tête des troupes américaines et adopte dans un premier temps une tactique de harcèlement des troupes anglaises.

Doc.2 Le héros de la guerre d'indépendance

Cette guerre prend rapidement une dimension internationale. La France, avec l’Espagne et les Provinces-unies, soutient les Patriotes essentiellement par hostilité aux Anglais. Ce soutien, d’abord financier, devient plus actif avec l’envoi d’un corps expéditionnaire qui joue un rôle essentiel aux côtés des Insurgents américains (terme anglais pour qualifier les patriots), moins entraînés, en particulier lors de la bataille décisive de Yorktown en 1781. Doc.3 L'aide militaire française aux Insurgents

Par le traité de Paris en 1783, le Royaume-Uni est contraint d'accepter l’indépendance des 13 colonies qui doivent à présent se constituer en état souverain doté d’une constitution.

Charles Willson Peale, Le général Washington à la bataille de Princeton, le 13 janvier 1777, huile sur toile, 237x145cm, 1784. Princeton, Princeton University Art Museum.

Georges Washington est représenté dans son uniforme de commandant en chef de l'armée américaine. L'épée à la main, il apparaît comme le défenseur des Etats-Unis, symbolisés ici par leur drapeau.

Doc. 4 L'Amérique du Nord en 1763

2. La création d'un nouveau modèle politique

2.1. Un nouvel Etat

2.1.1. Les enjeux

Les 13 Etats avaient adopté des constitutions différentes dès 1776 mais ces dernières reposaient sur les mêmes principes  : la séparation des pouvoirs, la souveraineté du peuple et son exercice par des représentants élus au suffrage censitaire. Ces 13 états étaient unis en une confédération. Après 1783, la question de la forme du nouvel Etat se pose et deux courants s’opposent  : les fédéralistes, partisans d’un pouvoir central plus fort et les anti-fédéralistes qui veulent conserver des Etats quasi souverains.

D’autres enjeux apparaissent. Le premier est celui de l’identité américaine. Si 60 000 loyalistes sont contraints à l’exil au Canada ou en Angleterre après la guerre, la question de la définition de ce qu’être Américain se pose tout comme celui de la définition de la nation américaine (G. Washington en donne une première définition - cf doc.5 - mais il faut attendre W. Whitman et R.W. Emerson pour parler d’une littérature réellement américaine). Le problème de la place des noirs et des femmes se pose aussi, et ce d’autant plus que l’Angleterre avait mobilisés les esclaves noirs contre la promesse d’un affranchissement (après le conflit, plusieurs milliers de ces derniers sont envoyés en Sierra Léone). Certains Etats, comme la Pennyslvanie en 1780, abolissent l’esclavage , d’autres, surtout les Etats du Sud producteur de coton ou de tabac, le maintienne. La question des Améridiens se pose dans les mêmes termes : les Anglais ayant interdit l’expansion des colonies vers l’ouest pour obtenir leur soutien. Les Améridiens sont donc vus comme des ennemis par les Américains : ils ne sont pas faits citoyens en 1783 et l’expansion vers la conquête de l’Ouest (la conquête de la frontière, qui ne s’achève qu’en 1890) commence dès 1783.

2.1.2. La constitution de 1787

‣ Activité en anglais The United States of America: a new state and a new political system (part 2) ‣ Doc.5 La constitution de 1787 et l'organisation des pouvoirs ‣ Doc.6 Discours du Président Georges Washington sur l'avenir des Etats-Unis

La constitution américaine de 1787 fonde un régime original, une république fondée sur une démocratie représentative qui garantit la souveraineté nationale. Les trois pouvoirs sont séparés et des élections régulières sont organisées. L’exécutif est confié à un président élu pour 4 ans (Georges Washington est élu en 1789) . la Chambre des Représentants et le Sénat (les deux assemblées qui forment le Congrès) détiennent le pouvoir législatif. Le pouvoir judiciaire revient à la Cour Suprême qui garantit la constitutionnalité des lois votées par le Congrès. Doc. 5 La constitution de 1787 et l'organisation des pouvoirs

La constitution est donc un compromis entre la volonté de maintenir l’identité et l’autonomie de chacun des Etats réunis et la mise en place d’un gouvernement central efficace (l'Etat fédéral). Cette constitution est complétée par le Bill of Rights de 1789 (les dix premiers amendements à la constitution) qui garantit les libertés et droits inaliénables du peuple contre un gouvernement qui deviendrait trop centralisé.

Ces dix amendements garantissent la liberté d’expression, de religion, de réunion, la liberté de la presse, le droit de propriété et le droit de porter les armes (pour défendre efficacement les autres droits acquis contre une possible dictature). Ni les esclaves noirs, ni les femmes, ni les Amérindiens ne sont intégrés dans cette démocratie américaine : la tension entre les idéaux et la réalité est l’un des moteurs de l’histoire américaine (cf la guerre civile ou de Sécession de 1861-1865, le Civil rights movement, etc.).

Le premier président des Etats-Unis est Georges Washington. Riche planteur de l’état de Virginie, il a été général en chef des troupes américaines lors de la guerre d’indépendance et il devient l’un des pères de la nation (Founding Fathers) non seulement en assumant la fonction exécutive, mais aussi en incarnant la nation américaine et en lui donnant une identité, comme dans ce discours (doc. 5).

Doc. 6 Discours du Président Georges Washington sur l'avenir des Etats-Unis

2.2. L'influence de ce nouveau modèle

2.2.1. Dans les colonies et en Europe

Dans les autres colonies européennes d’Amérique, la victoire des Insurgents montre qu’une émancipation est possible. Dans la partie française de l’île de Saint Domingue, les colons blancs revendiquent plus de libertés ; les populations noires de l’île se révoltent et créent la République d’Haïti en 1804. Entre 1810 et 1830, les pays d’Amérique latine

accèdent à leur tour à l’indépendance, mais ils échouent à créer un état fédéral sur le modèle américain, malgré les efforts de Simon Bolivar.

La révolution américaine suscite aussi l’enthousiasme en Irlande qui rêve de se s’émanciper de la tutelle anglaise. En Angleterre, des intellectuels comme Thomas Paine soutiennent le mouvement des libertés en Amérique, au nom des principes anglais eux-mêmes. Mais plus profondément, la révolution américaine alimente la contestation des pouvoirs absolutistes en montrant qu’un système démocratique et libéral peut être organisé à l’échelle de l’Etat.

2.2.2. En France Les élites françaises, travaillées par les idées des Lumières, suivent le conflit par l’intermédiaire des salons et de la presse et voient dans la révolution américaine l’application des principes nouveaux défendus par Montesquieu ou Diderot. Benjamin Franklin (l’un des pères fondateurs) , ambassadeur américain venu négocier l’intervention française, est reçu dans tous les salons et par la cour à Versailles  : il est un brillant représentant des idéaux américains. La Marquis de La Fayette, qui a combattu auprès des Insurgés, contribue aussi à la popularité des idéaux américains.

Le coût de l’intervention française dans la guerre d’indépendance américaine est estimé à 1 700 livres tournois, somme considérable qui vient alourdir une dette déjà importante et aggraver un déficit budgétaire chronique (3 300 livres tournois en 1783). Les ministres des finances successifs ne parviennent pas à réformer le système fiscale et face à l’impasse budgétaire, en 1788 Louis XVI convoque les Etats généraux.

Conclusion La révolution américaine est donc un élément essentiel dans le processus politique qui transforme la civilisation occidentale moderne dans la mesure où elle constitue la première application des idéaux libéraux des Lumières : libertés face à la métropole, libertés individuelles, libertés face à l’Etat. Sa structure politique, une république fédérale, est elle aussi une nouveauté et constitue un modèle pour les élites des pays européens. La révolution atlantique continue à se déployer au XVIIIe et au XVIIIe siècle en Europe.