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LA QUETE DE L’EAU

LA QUETE DE L’EAU - Département des Alpes-Maritimes · 2020. 6. 16. · LA QUETE DE L’EAU. Les aqueducs romains Vitale, l’eau fut un élément incontournable de la sédentarisation

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  • LA QUETE DE L’EAU

  • Les aqueducs romains

    Vitale, l’eau fut un élémentincontournable de la sédentarisation deshommes qui en avaient besoin pours’alimenter, abreuver leurs troupeaux etfaire prospérer leurs cultures. C’était aussiun moyen de communication à l’intérieurdes terres lorsque des voies navigables lepermettaient et sur mer, des comptoirsconstituant des relais sur les côtes commeles colonies grecques de Nice et d’Antibes.

    Grands bassins fluviaux et rivagesde la Méditerranée ont vu s’épanouir lescivilisations majeures de l’Antiquité. Denombreuses cités romaines de Provence sesont installées au centre de petits bassins àproximité de cours d’eau mais onrencontrait aussi des sites qui évitaient lesfonds de vallées humides présentant lerisque d’inondation. Ainsi Vence, à lafrange de la zone alpestre soumiseseulement sous Auguste, était sur unemplacement défendu vers le nord par levallon du Malvan. Cimiez occupait unplateau délimité à l'est par le Paillon et àl'ouest par une autre dépression. S'ilsétaient à l'abri des crues de dangereuxtorrents au lit fluctuant, ces sites romainsavaient en réalité peu de valeur défensive ;mais cette considération a prévalu dans lechoix d’un lieu de fixation des populationslorsque l’insécurité menaçait leurexistence, qu’il s’agisse de l’habitatpréromain des castellaras ou des villagesmédiévaux perchés et fortifiés pour seprémunir des attaques.

    L’une des transformations capitalesintroduites en Gaule par la civilisationromaine fut l’agglomération d’une partiede la population dans des villes. Souventcelles-ci ne disposaient pas sur place detoute l’eau qu’elles consommaient enabondance avec les fontaines et lesthermes. La quête de l’eau a suscité devéritables prouesses techniques dans lesaménagements des systèmes hydrauliquesen réalisant de remarquables ouvrages parfois sur plusieurs dizaines de kilomètres.L’aqueduc était un élément essentiel de la ville et

    souvent plusieurs la desservaient. Cimiezen comptait deux, celui captant la sourcedu vallon de Lombardi à 5 km au nord, deconstruction peu soignée, et celui venantde Mouraille au nord-ouest avec un coursen pente sinueuse faisant progresser l’eaupar gravité dans un conduit haut de 1,20 met large de 60 cm. Comme Cimiez,Antibes possédait deux aqueducsvraisemblablement de dates différentes.L’aqueduc le plus important était celui desClausonnes qui captait la source desBouillides dans les collines à une dizaine

    de kilomètres de la ville. Il nécessita untravail considérable avec un tracé trèssinueux. Il fut sans doute réalisé au Iersiècle après J.-C., attestant l’importanceprise par le site d’Antibes avec plusieursouvrages d’art dont subsistent les deuxponts aqueducs comportant les amorces dequatre arcades pour l’un et deux bellesarches pour l’autre. Pour assurerl’étanchéité de la canalisation on utilisaitun mortier de tuileau élaboré à partir d’unmélange de chaux grasse, de débris de

    VESTIGES DE L’AQUEDUCROMAIN D’ANTIBES

  • briques et de poterie. Le plus ancien, celuide Fontvieille, fut découvert au XVIIIesiècle et remis en service après restaurationpar d’Aguillon, brigadier au corps royal dugénie. Il amenait l’eau de la colline de Biotsur une longueur de 4,5 km et était enmajeure partie souterrain. La pente trèsfaible avait imposé la recherche d’uncheminement le plus direct en traversant leplateau des Bréguières par une galeried’environ 500 m dotée d’un seul puits devisite à mi parcours. Pour faciliter lesopérations d’entretien et de curage, ceux-ciétaient espacés d’environ 60 m sur le restede l’ouvrage. Au milieu du XVIIIe siècle,Antibes avait durement souffert de laguerre et son économie s’étiolait en raisonde l'ensablement du port et du manqued’eau : « la disette d’eau est la principalecause de l’anéantissement et de ladépopulation de la ditte ville », se plaint lacommunauté. Entre décembre 1781 et mai1782, les travaux de reconnaissance et dedéblaiements menés par l’armée avaientpermis de découvrir 1300 toises « de cetantique monument enfoui depuis 6 jusqueà 12 et 13 pieds dans les terres et unequantité de trente regards de 30 à 31 toisesqui facilitèrent beaucoup les opérations ».Malgré l’importance du coût deréhabilitation, la communauté d’Antibes etl’Etat, qui y entretenait une garnison,étaient particulièrement intéressés à cetteadduction d’eau pour pallier les déficits.Dans son rapport, Fabre, ingénieurhydraulique de la Province, notait que leshabitants « n’ont d’autre eau potable quecelle d’une source enfouie à quatre ou cinqpieds dans la terre et située vers la porteRoyale. Quoique la source qui alimente cepuits soit abondante et salubre, il n’en estpas moins vrai que pour l’usage journalier,les habitants sont obligés de venir puisercette eau de tous les quartiers de la ville etque le plus grand nombre d’entre euxn’ayant pas de domestique à leurs gages,payent les gens qui la leur apportent […].Des lavoirs publics seraient un secondavantage très intéressant pour leshabitants ; ils pourroient y faire laver leur

    linge au lieu de l’envoyer à la rivière deBrague située à une grande heure dechemin de la ville ». Finalement le Conseild’Etat octroya une subvention de 80 000livres pour la réfection de l’ouvrage le 19février 1784. Les techniques derestauration furent proches de cellesd'origine avec un blocage au mortier dechaux, enduit hydraulique incluant du tufvolcanique. Toutefois au mortier de tuileauétait substitué un mortier de pouzzolanequi était le matériau dont on faisait usagedans les ouvrages d’adduction au XVIIIesiècle. L’aqueduc retrouva ainsi safonction première en 1785 après environ15 siècles d’abandon et de recours à despratiques rudimentaires en matière d’usagede l’eau. D’Aguillon pouvait légitimementse féliciter dans sa lettre au ministre decette réussite « après cinq années detravail, de peine » pour « vaincre lesobstacles du local et les bigues des gensmal intentionnés », lorsque le 25 juillet1785 « les eaux de la Fontvieille » furentversées dans le canal et parvinrent sansobstacle en ville.

    Citernes et puits

    La chute de l’Empireromain avait marqué un recul considérabledans le domaine de l’adduction d’eau.L’instabilité politique, les invasionssuccessives et les incursions des bandesarmées s’adonnant au pillage conduisirentles populations à se murer autour d’unchâteau dans l’enceinte du castrum perchépour mieux assurer leur défense.

  • De ce fait on fut souvent privé del’accès à l’eau car rares étaient les cas qui,comme Grasse, associaient un site biendéfendu et placé au voisinage de sourcesabondantes. La ville s’était en effetdéployée au pied de la zone des Plansdominant par de forts escarpements lespetites collines et les plateaux de la Basse-Provence orientale. Une source, celle de laFoux, a donné naissance à une formationtufacée, l’éperon du Puy, sur lequel s’estfixé l’habitat primitif au Moyen Âge. Aupied de cette butte, une plaine, étroite maisbien abritée par les pentes des collines,était abondamment arrosée par lesrésurgences à la base des calcairesjurassiques. Encore fallait-il aménager unréseau de canaux. Dès 1127, un donjonétait mentionné sous le nom de tour de laFoux. Le canal qui partait de cette sourcecontournait la ville par le nord pour aboutirà la porte Ayguière citée en 1189. LesDominicains obtinrent une prise d’eau pouralimenter l’aqueduc qu’ils construisirent en12851.

    Mais beaucoup d’agglomérationsne bénéficiaient pas de conditions aussifavorables. Dans les cas extrêmes on nenégligeait rien, pas même l’eau de pluiedistribuée très irrégulièrement mais parfoisen abondance lors de violents orages en larécupérant par les toitures et les chéneauxjusqu’à des citernes où on l’emmagasinait.Ainsi le relevé de maisons à détruire en

    1 ADAM H 1226

    1538 pour les fortifications de la villehaute à Nice mentionnait des citernes2. AAntibes, selon Arazi, sur la butte entre lacathédrale et le château des Grimaldi onutilisait des citernes antiques3.

    Le village perché de Châteauneufabandonné au XVIIIe siècle estl’illustration des difficultés rencontrées ensite perché ; les rares sources proches étantsouvent intermittentes ou taries en été. Lesruines laissent encore apparaître desciternes le plus souvent de formecylindrique ou rectangulaire pouvantcontenir plusieurs dizaines de milliers delitres et revêtues d’un mortier de chauxétanche. Situées en partie basse del’habitation où on pouvait aisément puiser,elles recevaient l’eau du toit, collectée dansdes gouttières en bois, puis canalisée dansdes tuyaux de terre cuite jusqu’à la citerne.Le château de Guillaumes juché sur unpuissant rocher disposait également d’unsystème de récupération d’eau par lestoitures pour alimenter une citerne évoquéedans un prix-fait de réparation de 1571.Les menuisiers devaient refaire « lecouvert del corps dudit château avec lesgorges et bocques y necesseres pourlescroiements dudit château que tombedans la sisterne … et mettre le couvert touta ung esgout devers ladite sisterno quel’aiguo tombe dedans ».

    Sur les pâturages du Mont Macarondes empilements de pierre ont par ailleurs

    2 ADAM Ni mazzo 6, n° 17 et 21, 16 septembre15383 Arazi, Bibliothèque de l’inspection du Génie n°143, t. I, p. 165

  • été identifiés comme des « puits aériens »,la condensation de la vapeur d’eaucontenue dans l’atmosphère favorisée parla pierre accroissant la végétation. Pourpermettre des mises en culture de terresarides, au Mont Vinaigrier ou encore àSaint-Vallier, tout un système derécupération des eaux pluviales avait étéélaboré avec des galeries souterrainesdrainantes qui recueillaient l’eau etl’acheminaient en direction de citernes4.

    Mais toutes ces méthodesingénieuses avaient leur limite et lesinconvénients des sites perchés,particulièrement le ravitaillement en eaupotable, conduisirent à une descenteprogressive de l’habitat, formant denouveaux quartiers, comme à Nice à partirdu XIIIe siècle au bord du Paillon où ilétait facile d’accéder à la nappe phréatiqueen creusant des puits à défaut de sourceabondante sur place. Aux puits publicsaccessibles dans les rues de la ville basse,s’ajoutaient les puits particuliers des coursde certaines maisons. Dans les jardins de lacampagne niçoise, nombreux étaient lespuits dont l’eau était extraite par des noriasconstituées d’un chapelet de seaux.

    Saint-Cézaire, perché sur un balconau dessus de la Siagne, souffrait beaucoupdu manque d’eau. Les puits étaientinsuffisants, surtout lors de périodes desécheresse, pour satisfaire les besoins de lapopulation, contrainte de descendre dans lavallée de la Siagne pour y chercher del’eau. Puisage et portage, qui se faisaientde préférence sur la tête avec des pots enterre cuite, étaient des activités pénibles,ingrates, mais qui donnaient l’occasion derencontres et d’échanges.

    Cannes, sur son promontoire, avaitaussi recours aux puits. Ainsi en 1550 leconseil de la communauté décida de leverune taxe pour en financer un : « seroitachepté une place sive luegue de quelquejardin et y fairoient fere ung puys pour 4 Les Perses déjà avaient conçu des galeriessouterraines, les kanats, recueillant les eauxd’infiltration des montagnes qui étaient conduitessur des kilomètres et existent toujours

    auquel fournir seroit levé et exigé ung solpour chacune mayson du dit Cannes et deson forest » 5. Le même jour fut signé pardevant notaire le contrat de construction dupuits avec « Jehan Saurin, HonoratDalmas, Antoine du Bourg, Peyron Gras etAntoine Sollier travailleurs dudictCannes ». L’accord prévoyait un délai de15 jours pour « cavar ledict puys etd’icelluy en jecter et escourter la terre ». Ildevait mesurer « vingt pans6 de franc à laronde » et avoir une profondeur « jusques àce que l’on treuve l’eau et les veynesnécessaires et a souffisance » et « si encavant ladicte besongne se trouvoit rochevifve et forte fallust la rompre à la quillelesdicts consuls ou bien la ville sera tenuele fère rompre et cavar à ses despens. Itemque si en fesant ladicte besongne survinssepluye tellement que fist tomber etavallancar la terre l’entour dudict puys, queladicte ville leur faira obster et curer telleterre ainsi par pluye et ruines tombée ».

    Au XVIIIe siècle on continuait decréer des puits. En 1775, le maire et lesconsuls de Saint-Paul « pressés par toutel’habitation de se procurer un avantage quia été négligé jusques aujourd’huy quiconsiste a avoir de l’eau, en manquantannuellement, non seulement en cette ville,mais encore plus à La Colle son bourg etsurtout en hété, il a été unanimementdélibéré de construire deux puits en cetteville et deux à La Colle ». Le devis de celuidu quartier de la Place à la Colle prévoyaitune profondeur de 55 pans, un diamètre de20 pans au fond et 6 au niveau de lamargelle. Les pierres sèches des parois,d’au moins un pan et demi d’épaisseur,devaient être posées de champ et enclavéesl’une à l’autre. Le puits dépassait le sol de8 pans avec une margelle en rondcomportant quatre pièces en pierre de taillebouchardées et bien jointes. Le fond dupuits comportait un creux dit peirol de 8pans de diamètre et de profondeur. A côtédu puits était placée une auge en pierre de

    5 ADAM 3 E 18/1, 7 août 1550, f° 486 pan : 1/8 de la canne qui valait environ 2 m

  • taille de 4 pans par 3. Le massif au fond dupuits était pavé de 780 briques nissardes et les parois étaientenduites avec de la pouzzolane importéeégalement de Nice et de la chaux afin d’en

    assurer l’étanchéité. Ces puits restaientinsuffisants et lorsque les circonstances lepermettaient, on établissait des prises d’eauet des conduites sur les résurgences ou lescours d’eau.

    Puits à Saint Cé

    L’AQUEDUC ROMAIN DES

    saire

  • Les béalières médiévales

    Les canaux creusés au Moyen Âgefurent des réalisations généralementmodestes, loin des systèmes sophistiquésdes Romains.

    En montagne, où les sourcesabondaient, des canaux d’irrigation étaientutilisés pour l’arrosage des terres. Au débutdu XIVe siècle à Saint-Martin-Vésubie, lessyndics devaient s’assurer au moins deuxfois par an de leur bon entretien7.L’arrosage des parcelles desservies donnaitlieu à un système de partage de l’eau parl’établissement d’un tour de rôle. ARoquebillière en 1476, le règlementinterdisait de s’emparer de l’heure et dujour d’autrui. Même s’ils étaientrelativement nombreux, ces canaux étaienten majorité courts et n’irriguaient que depetites surfaces. Dans les endroits où l’eause raréfiait en été, on était constamment àla recherche de nouvelles émergences enrequérant les services de sourciers. L’abbéCauvin cite un « aquario » qui, à lademande de Jean Honoré Camous, fit desfouilles dans sa propriété et y trouva unepetite source. Un autre habitant de Contesavait fait appel avec succès à Belia de Nice« le meilleur devineur d’eau » à qui l’ondevait le doublement du débit de lafontaine de Mouraille dans la campagne deNice8.

    A côté de la multiplicité desinitiatives privées qui permettaient desatisfaire des besoins domestiques limités,la réalisation de canaux d’alimentation defontaines publiques nécessitaient descapitaux importants que les communautésn’étaient le plus souvent pas à mêmed’engager face à la multiplicité desimpositions et des dépenses, pour les voiesde communication notamment. En 1482, lacommunauté de Contes passa uneconvention avec Antoine Gandolfi pour laconduite des eaux jusqu’au village mais les

    7 ADAM E3 AA1 à 48 Cauvin, Mémoires de la commune de Contes,1885

    travaux n’aboutirent apparemment qu’en1541 et la belle fontaine de la placepublique à côté de l’église a été érigée en1587.

    A partir du XVIe siècle desouvrages collectifs plus ambitieux furententrepris. Long de 3 km, le canal deBerthemont a nécessité des travauximportants de creusement en falaise et lerecours à des conduites en bois sous lescontreforts du rocher de l’Aigle9. C’estencore au XVIe siècle qu’EmmanuelPhilibert ordonna de desservir le palaisducal de Nice et son jardin en y conduisantles eaux de la source de Riquier, initiativesans lendemain en raison du faibledénivelé, qui laissa durablement les Niçoistributaires des puits ou contraints d’allerchercher l’eau aux nombreuses petitessources de la périphérie, notamment cellede Lympia où certains remplissaient destonneaux pour en faire commerce en ville.En 1521, les consuls de Cannes firentappel à un fontainier pour capter la sourcedite « La Foux de Canoys » et la conduireà la périphérie de la ville au lieu dit « LePont Siat ». Le contrat imposait un captagele plus haut possible afin d’assurerl’écoulement, comportant à l’origine unbassin pour recueillir l’eau de 4 palmes10de côté et de 6 de haut avec une portefermant à clé. Il devait faire une caladedepuis la source et y placer dessus lesconduits de l’épaisseur d’au moins deuxdoigts et les couvrir ensuite de maçonneriejusqu’au Pont Siat en ménageant tout aulong, de 50 cannes en 50 cannes, unregard de 2 palmes de côté et 3 deprofondeur couvert d’une lause avec unemarque ou « pillon » destinée à le repérer.La conduite devait toujours être enterréed’au moins 3 palmes. Au Pont Siat il devaitédifier une belle colonne soutenant unevasque couverte d’où sortaient 3 tuyaux enplomb parfaitement jointoyés. L’eauretombait dans un bassin, « barqueruimsive receptaculum », suffisamment profond 9 ADAM E2/22 FF 30, procès au sujet del’obstruction de la béalière, 21 mai 156310 palme, équivalent du pan soit environ 0,25 m

  • de 12 palmes de large, en pierre de taille,sur lequel des barres de fer scellées dans lapierre permettaient de poser les récipients

    (broquis) quand on voulait recueillir del’eau.

    Fontaine de Contes 1587

  • Conflits de partages

    La maîtrise de l’eau pourses multiples usages était un enjeu majeur,objet de conflits permanents entrecommunautés et entre particuliers. Aunombre des avantages que conféraient lesdroits seigneuriaux la tutelle sur les biensétait assortie de la possibilité d’établir unbéal sur n’importe quelle terre pour sespropres besoins, ce qu’imposèrent en 1280à la communauté de Toudon les frèresGuigue et Raimond de Saint-Paul. Ilsavaient à perpétuité et sans aucunerestriction la faculté de conduire l’eau àleurs moulins, foulon et prés à traversn’importe quel bien des hommes de cecastrum sous peine de privation desditsbiens11. Les communautés elles-mêmes ens’affranchissant progressivement de latutelle seigneuriale étaient amenées àréglementer strictement l’usage des eauxdans l’intérêt collectif. Ainsi les statutscommunaux de Carros veillaient à la bonnetenue des canaux. Toute personne lesdétériorant devait assumer le coût deréparation et surtout chacun devait pouvoirbénéficier de l’eau pour irriguer sonjardin : « que toutto persouno que vouldrafaire ort en l’hortarie puesguo prendre eresebre aigage de vezin en vezin per aigarson dict ort »12.

    Souvent la mésentente imposaitune sentence arbitrale. C’est ainsi qu’àCannes en 1502, trois frères aboutirent àun délicat compromis sur le partage d’unenouvelle résurgence. En effet « la fontvielha ha mancat ben afort de tot et en lapossession dels dis frayres circa doze palsho environ pres de la dicha font vielha essalhida una font novella ; vista, gustada etpalpada laygua de luna font et de lautra,cognoscem las ayguas de las dischasfontaynas vielha et novella estre tota unacausa et provenir dun mesme conduch, etper so, attendut que la font vielha a mancatet que aguet pres es salhida ladicha font

    11 ADAM Ni m 54. Toudon 1, 16 janvier 128012 ADAM E 97/121 II2, 24 juin 1527

    novella, presumon laygua de la fontnovella estre aquella que solia venir en lafont vielha ». Aussi est-il décidé que« dayssi en advant perpetuallament lasheres de Monet Raymon et las lursprenguan et ayan tota ladicha aygua que esen la font novella dedin lur possession lodiluns, lo dimecres, lo divendrescommensant de lung solhel levant fin àlautre et lo dissata de miey jort en susambe tota la nuech enseguent fin al solhellevat. Et que en aquestos jors ny en lasnuechs enseguens fin al solhel levat lodichsen Peyre Raymon ny los siens non deyandonar degun turbi als dis heretiers ny alslurs. Et que lodich sen Peyre et los siensayan et prenguan ladich aygua de la fontnovella nonobstant que sia en la possessiondel dis heretiers lo dimars, lo dijous ambetotas dos las nuechs enseguens de lungsolhel levat fin à lautre, et lo dissata desolhel levat fin à miey jort. Et que enaquestos jors losdichs heres ny los lurs nonayan a donar degun turbi aldich sen Peyreny als siens et tocant al dimenge, una partlaya ung dimenge et lautra part l’autre delung solhel levat fin à lautre »13.

    A Grasse, en 1568, le conseil de lacommunauté décida de « mettre bon ordreet police à l’eau des fontaines de la Fous etde Rieu Blanquet dudit Grasse et de sonterroir aux fins que tous les prés, jardins etautres propriétés du terroir dudict Grasseen soient dûment arrosés ». Il fallaitsatisfaire une centaine de propriétaires enpartageant équitablement au prorata dessurfaces. « Per mettre ordre en l’aigo perevita quelque escandou », les expertsdéputés décidaient pour les biens situésvers Tracastel que les prés « prendran laigoa myego nuyct et la tendran fin cinq hourosque trouban que ven de huict en huict joursmyego horo per segaresso » et que lesjardins « poran prendre l’aigo a cinq horoset la tendran fin a nou horos que son quatrehoros tous los jors ». Les prés de lasPolhos devaient avoir l’eau de RieuBlanquet « a miego nuyct et la tendran fin

    13 ADAM 3E 74/4 f° 45, 23 juillet 1502

  • a mieyc jourt. Et hosy prendran toutel’aigo de la fous a nou horos an partir desgardins et la tendran fins a myec jourt sivea douze horas. Et a partir de los susditsprats quant seran sonados douze horos, lamolyns de capitol et les autres que son desouto pouran prendre ladicho aigo tant deRieu Blanquet que de la Fos et la tendrandepueys myec jourt fins a myego nuict »14.Un aigadier chargé de la police des eauxfut désigné pour veiller au respect desrègles, enfreintes surtout durant lespériodes de pénurie en été lorsque lavégétation réclamait le plus d’eau. Troiscent ans plus tard le notaire délivra unextrait de ce règlement, preuve de lapermanence des usages et des concurrencesexacerbées pour disposer au mieux d’unbien d’autant plus précieux que la nature ledistribuait parcimonieusement. En 1646 lesconsuls de Mouans étaient en conflit avecle sieur Durand de Sartoux au sujet de lafontaine de Frayolon. Il entendait en userprivativement pour arroser ses prés,chènevières et jardins et en interdire lebénéfice aux habitants si ce n’est pourabreuver leur bétail à la fontaine15. Entrecommunautés, la bataille de l’eau pouvaitêtre farouche et mobiliser les tribunauxpendant des décennies à l’image du conflitpermanent qui, du Moyen Âge à laRévolution, a opposé Vence et Saint-Paul16. Pourtant en 1434, des lettrespatentes du sénéchal Pierre de Bellavalavaient rendu un arbitrage qui paraissaitrégler le différend sur l’usage des sourcesdes territoires de Malvans et de Tourrettes.Considérant leur abondance et l’indigencedont souffrait Saint-Paul, la communautéétait autorisée à faire usage des eaux duMalvans et des sources de Fossat et deRainaude. Le nouvel aqueduc réalisé parSaint-Paul et qui a déclenché la fureur des

    14 ADAM 3 E79//310 f° 53, 7 février 156815 ADAM 25J1316 En 1933 encore le maire de Saint-Paul adressaune plainte au sous-préfet de Grasse au sujet d’undifférend avec Vence sur la quantité d’eau àprélever sur le canal d’arrosage du Malvan (E6/260,16 octobre 1933)

    Vençois fut maintenu moyennantdédommagement et création d’unedérivation avec une martellière de 3 pansau carré en pierre de taille alimentant, enjuillet et en août seulement, un réservoirpour rouir les chanvres et les lins desVençois. Un tiers des eaux y était déversépar une ouverture, le reste alimentant le« méat » construit par les habitants deSaint-Paul pour leur fontaine. Troisabreuvoirs devaient en outre être construitsaux frais de Saint-Paul sur le territoire deMalvans et deux sur celui de Vence de 10pans par 3 en veillant à ce que l’eau nepuisse se perdre au sortir des abreuvoirs et

    retourne au méat17. Pourtant deuxcents ans plus tard les heurts perduraient.En 1680, un autre arbitrage18 fut mis aupoint après la condamnation des habitantsde Malvans qui avaient détruit en 1665 unenouvelle béalière réalisée par les gens deSaint-Paul et avaient dû la rétablir. Dansbeaucoup de villages, l’eau se faisait rareen été. A Valbonne en 1687, il n’y avaitqu’une petite fontaine qui tarissaitfréquemment lorsque la sécheressesévissait. On envisagea de collecter l’eau 17 ADAM E4/66 FF9, lettres patentes du 19 mars143418 ADAM E6/173 4D1

    ABREUVOIR A SAINT-VALLIERS

  • de diverses sources « escartées du village »pour en créer une autre. Mais la situationn’avait pas évolué un siècle plus tard et leproblème demeurait : « la fontainepublique est dans un si mauvais état depuisla source jusqu’à l’endroit où elle couleque dans le courant de l’été dernierl’habitation manquoit d’eau et le peu quicouloit étoit mauvaise hors d’usage »19.

    Les débits étaient aussi tributairesde la qualité des conduites souvent sujettesà des déperditions importantes et quinécessitaient une surveillance et unentretien régulier. A Saint-Paul desfermiers de la conduite des eaux en étaientchargés. Non seulement il fallait curer lesparties à ciel ouvert mais certainestraversées de vallons exigeaient desouvrages qui n’étaient pas construits avecsuffisamment de solidité par manque decapitaux. Ainsi, sur son parcours, le béalqui rejoignait Saint-Paul devait traverser leMalvan sur un pont dont la moitié était àterre lorsque la commission l’inspecta en1727, mais, par chance, la gouorgo deplanches qui s’appuyait sur le reste dupont, soutenue par des pilotins en bois depin, permettait à l’eau de s’écouler. De labéalière, des tuyaux conduisaient l’eau à lafontaine du marché à partir d’une« grateuse laquelle nous l’aurions trouvéetoute ouverte remplie de terre et graviersans aucun cledat ni ayant point de porte nibassin, y avons veu au devant quatre oucinq tuyaux de bois de pin quils étoint aterre sans être jointes ». De plus dans lesparties visibles car non recouvertes deterre, les tuyaux « étoint fort mauvais etvieux »20. Entre 2 et 3 cannes au dessus etau dessous de la grande fontaine à la placeneuve, les tuyaux fuyaient.

    Les progrès amorcés au XVIIIesiècle

    Au XVIIIe siècle on ne ménageapourtant pas les efforts pour améliorer la 19 ADAM E21/62 DD13, 13 février 178520 ADAM E4/62 DD51

    qualité des conduites et les moyens desurveillance en se montrant très rigoureuxdans les contrats à l’occasion deréparations. Ainsi le devis de réfection dela conduite de Carros en 1785 sur 253toises21 entre la « serve ou magazin d’eau »et le village fixait précisément lesexigences en matière de travaux : le fondde la tranchée recevait un massif « debonne maçonnerie en plusieurs couches,les moilons noyés au bon mortier ». Sur cemassif devaient être placés les « borneauxde poterie bien emboités et bien cimentésavec précaution ». Le bassin de la fontained’une longueur de 12 pieds séparé en 2parties, l’une de 7,5 et l’autre de 4,5 étaitconstruit « en pierre de taille froide de lameilleure qualité » sur un gros massif demaçonnerie. Au dessus du bassin, unréservoir recevait les eaux à distribuer parun tuyau en plomb « bien arretté, etconditionné suivant les règles de l’art ».Des regards de contrôle permettaient des’assurer ultérieurement du bon état de laconduite afin d’éviter les fuites : « il serapratiqué et construit avec soin des vues dedix en dix toises en pierre de taille ayantdeux pieds de vuide en quarré à l’effet devisiter laditte conduite »22.

    Le XVIIIe siècle a également étéune époque de progrès des connaissancesdans la technique et la chimie. Antoine-Joseph Loriot qui mit au point avecQuentin de La Tour la fixation du pastel,présentée à l’Académie en 1753, fut aussil’inventeur d’un mortier imperméable àl’eau qui acquerrait avec le temps unedureté égale à celle de la pierre. Sadécouverte publiée en 1774 chezl’imprimeur David à Aix fut mise en œuvredès 1775 à Biot dans le devis de réparationde la fontaine publique dont la conceptiondéficiente réduisait le volume d’eaudesservi : « Pour remédier à cetinconvénient il faut faire vuider toute l’eaude la source au devant de la fontainepublique pour pouvoir y travailler avec 21 la toise de 6 pieds équivaut à la canne, soitenviron 2 m22 ADAM 9J2

  • solidité, ensuite soustraire toute la muraillesupérieure en bonne maçonnerie danslaquelle on employera un tiers de pozelaneet enduire à hauteur de trois pans lesmurailles de chaque côté de la voûte avecde pozelane. On se servira dans cette partiede la méthode du sieur Loriot académiciendu roi pour faire du bon mortier »23. Destechniques comme celle du siphon, connuedes Romains, sont à nouveau mises enœuvre. En effet, les canaux qui suivaienten pente douce le terrain afin de permettreà l’eau de couler par gravité rencontraientparfois des obstacles, une dépression parexemple. Pour limiter l’importance del’ouvrage de franchissement on recourrait àla technique du siphon renversé suivant leprincipe des vases communicants. Au bordd’une rupture de pente, le conduitdébouchait sur un réservoir qui servait dedistributeur de débit. Après avoir traverséle vallon la conduite remontait la penteopposée jusqu’à un autre réservoir avant decontinuer son trajet. Un exemple nous estfourni par des vestiges, à Breil, à PointeCostera, de la conduite qui alimentait levillage d’Olivetta. On renoua égalementavec des ponts aqueducs d’une certaineenvergure comme celui dessiné parl’architecte Michaud en 1769 pour lanouvelle béalière de Malaussène construitepar l’entrepreneur Onorato Fortin entre1770 et 177524. Ce bel ouvrage qui s’élèveà 40 m au dessus du vallon associé à uncanal de 7 km de longueur a été uneréalisation majeure pour cette communemais beaucoup d’agglomérations restèrentlongtemps dépourvues de tellescommodités, comme La Tour-sur-Tinée oùon n’étudia qu’en 1880 la possibilité deconduire l’eau jusqu’à une fontaine aucentre du village. « Les travaux sont d’uneextrême urgence, écrivait le maire ; lapopulation de La Tour qui compte 700habitants agglomérés est privée d’eau,élément le plus indispensable. Lesménagères sont obligées de se transporter à15 minutes de distance de leur maison pour 23 ADAM E24 DD1524 ADAM E 118/7 DD12, plan aquarellé

    se pourvoir l’eau nécessaire à tous lesbesoins domestiques »25. Pourtant malgréune souscription publique les financescommunales ne pouvaient faire face à ladépense et il fallut dix ans de persévéranceet d’interventions auprès de l’Etat et dudépartement pour parvenir à réaliser lestravaux et inaugurer la fontaine en 1890

    25 ADAM 2O 1167, 15 juin 1880

  • Projet d’aqueduc à Malaussène par l’architecte Michaud, 1769

    Projet de fontaine à Coaraze

  • Des besoins croissants

    Dans les premièresdécennies du XIXe siècle l’augmentationde la population provoqua la recherche denouvelles sources. Nice n’avait toujourspas de fontaine et les habitants secontentaient de l’eau « plus ou moinsmauvaise des puits », indiquait Fodéré en1803. Le maire Joseph Dabray soucieuxd’un meilleur approvisionnement chargeaune commission d’étudier la création defontaines publiques alimentées par dessources en 1807 mais, faute d’argent, leprojet resta sans suite. Ce n’est qu’en 1822et 1823 que furent construits les premiersouvrages destinés à conduire l’eau de lafontaine Saint-Sébastien jusqu’en ville surla rive gauche du Paillon et, en 1824, lefaubourg Saint-Jean-Baptiste sur l’autrerive disposa à son tour d’une fontainealimentée par la source de l’Eau-Fraîche.Pourtant en ville le nombre de fontainesrestait limité et la faiblesse des moyensfinanciers ne permettait pas de concrétiserune politique ambitieuse. Nombreusesétaient les situations identiques. Cagnes« dont la disposition est des plusmalheureuses sous le rapport de l’eaucomme premier besoin de la vie » étaittoujours dépourvue d’eau dans l’enceinte du village en 1844, ce qui conduisit leconseil municipal à faire creuser un puitsdoté d’une pompe26 et l’adduction à eaun’est parvenue à deux fontaines qu’en1895.

    Les lacs de montagne constituaientd’importantes réserves auxquelles oncommença à s’intéresser. Lors de sonpériple en 1803, Fodéré souligna l’intérêtque présentait le lac du Mont Pallus, Beuilne disposant que d’une source « conduite àgrands frais au village par un canal d’unelieue d’étendue dont l’eau manqueordinairement pendant deux mois de l’étéet pendant trois ou quatre en hiver à causedes glaces ce qui fait que les habitants sontobligés de remplir deux puits et lorsqu’ils

    26 ADAM E Cagnes 5 O 11, 12 mai 1844

    sont vides d’aller chercher de l’eau dutorrent des Champs qui est très éloigné.Ces considérations ont fait sentir lanécessité d’ouvrir le lac pour se procurerun canal d’irrigation servant en mêmetemps aux premiers besoins du village. Desingénieurs en ont démontré la possibilitéen établissant des écluses ». Fauted’argent, le projet a été abandonné « et levillage se dépeuple tous les jours … voilàpourtant quelles seraient les plus bellesconquêtes », regrettait Fodéré. L’affaire futreprise en 1823 et le creusement de lagalerie débuta en juillet 1825 avec 4hommes qui se relayaient à 3, jour et nuit,à raison de 8 heures chacun, le quatrièmeretirant les déblais27. De même Fodéré,note que Marie et Rimplas « absolumentdépourvus d’eau et les deux tiers duterritoire de Valdeblore, soupirent après uncanal d’irrigation tiré du grand lac deMillefonts qui vivifierait toute la contrée ».

    Mais il fallut attendre 1820 pourque soit adjugé le forage du grand lac. Lechantier s’enlisa car l’entrepreneur, qui nedisposait pas de repères de visée ni deboussole pour guider le forage, dévia letunnel de 2 m par rapport au puits destiné àla vanne de contrôle de l’écoulement28.S’ensuivirent litige et reprise par un nouvelentrepreneur. Le tunnel finalement terminéen 1825, les eaux s’écoulèrent vers le lacLong distant de 180 m environ par uncanal creusé en terre. Le secteur étantsensible aux mouvements tectoniques,d’importantes fissures conduisirent le lac àse vider par un écoulement naturel. Après1940 le tunnel s’est dès lors trouvé inutile.Pour remédier à cette perte d’eau on adécidé en 1946 de construire un barragesur le Petit lac, en contrebas, pour remonterson niveau et assurer une réserve d’eaud’irrigation. Même si les initiatives semultipliaient, le plus souvent la réalisationdes conduites n’offrait pas toutes lesgaranties de solidité et de durabilité et leurdégradation rapide conduisait à une 27 ADAM E 57/5 O 128 ADAM E79/116

  • déperdition d’eau d’autant pluspréjudiciable que les débits étaient trèsfaibles en été. Lorsque la commune deBeuil envisagea la construction d’uneadduction de Pierrefeu à la place publiquedu village en 1808, on décida de la faire entuyaux de pin vert représentant 120 arbresavec 200 journées de charpentier pour lespréparer en 360 tuyaux de 2 m, leshabitants assurant une prestation en naturepour le transport avec leurs bêtes desomme. Le raccordement des tronçonsavec des petits tuyaux de fer ne pouvaitgarantir à la longue une bonne étanchéité.Le plus souvent les tuyaux de poterieétaient détériorés sous l’action des charroisqui endommageaient les voies rarementpavées. En 1854, la fontaine de LaBarillerie à Nice ne donnait plus d’eau carles conduites avaient été brisées par lescharrettes lourdement chargées qui avaientdéfoncé le sol. La fontaine du quai dujardin des Plantes s’était également tarie etl’on constatait que les racines d’acacias quile bordaient avaient complètement envahila canalisation. Aussi le conseil municipalvota en 1854 des crédits pourl’établissement de conduites en fonte, ceque Vence avait déjà fait en 1821,lorsqu’elle avait décidé la reconstructiondes deux fontaines de la place vieille et dela place du Peyra et des canaux de conduiteen optant pour la fonte de Normandie29.C’est à partir de 1830 que les tuyaux enfonte, dont le prix avait fortement diminué,

    ont commencé à se généraliser et àsupplanter le plomb pour la conduite deseaux en ville.

    L’eau de Menton à Nice

    Nous avons à Menton, sur les flancs de lacolline qui domine cette ville, une source considérable,dont l’eau est conduite par un aqueduc à trois fontainespubliques ; mais cette eau est peu fraîche, et elle contienten grande quantité du sulfate et du carbonate calcaires,qu’elle dépose en stalactites dans les canaux qu’elleparcourt. En plaine, au contraire, à l’ouest de la ville, estune source qu’on appelle eau de la fontaine vieille, donton fait moins usage, et qui est, sans comparaison,beaucoup plus vive et plus pure. On trouve ensuite

    29 E 6/261, 5 O15

    beaucoup de petites sources en allant de Menton àRoquebrune, et en passant dans un très joli quartier, toutplanté en citronniers. Ces eaux sont toutes calcaires.

    En se dirigeant de Menton à Monaco, ontraverse plusieurs petits torrens, ordinairement à sec enété, et quelques ruisseaux séléniteux, qui coulent dans dessillons profonds, et où les habitans des villages deCastellar et de Sainte-Agnès, perchés sur des montsélevés, viennent péniblement puiser. On trouve ensuite levillage de Roquebrune, aussi perché sur la hauteur,également sans eau, mais qui a à ses pieds, au bord de lamer, une source d’eau vive, d’où sort un ruisseauabondant, qui déjà probablement avait coulé sous la rochesur laquelle repose le village.

    On continue à marcher, et on trouve le ruisseau

    de Grassou, le torrent de Bertagne, le ruisseau de laNoix, et les eaux de Fontevive, qui servent à l’irrigationde cette belle mais trop petite campagne, plantéed’oliviers, de citronniers et d’orangers, située le long dela mer, et qui font mouvoir les moulins de Monaco et dela Turbie. On gravit le rocher de Monaco, et l’on arriveun peu fatigué devant le palais d’un petit princesouverain : là, on ne se désaltère que de l’eau de citerne.On descend, pour remonter le mont appelé Tête de chien,et aller à la Turbie. On trouve au bas de ce mont unesource abondante, dite le Magain, dont on ne tire aucunparti ; et l’on est surpris que l’ancienne ville d’Hercule setrouve sans eau au milieu de l’eau, depuis les bellesdécouvertes de Pascal et de Toricelli.

    Le chemin conduit sur la montagne aux villagesde La Turbie et d’Eze, qui ont une fontaine malentretenue. Du pied du rocher taillé à pic, sortent, au bordde la mer, plusieurs eaux vives, visitées seulement par lespêcheurs. On descend à Villefranche, et l’on voit à regretque cette ville, si intéressante par sa rade et ses

    FONTAINE A PEILLON

  • établissements de marine, n’a qu’une fontaine d’eauéchauffée et séléniteuse, qui manque souvent en été, etqui lui est amenée, par un aqueduc, d’une montagnecalcaire qui se trouve à deux milles environ de distance.En échange, les établissements de marine, un peu tropéloignés de la ville, ont, pour leur usage, une sourceabondante, fraîche, salubre et qui ne tarit pas. De plus,l’on voit, tout autour du rivage, grand nombre de sourcesd’eau douce qui sourdissent immédiatement de la mer.Quant aux habitans, dépourvus de toute autre ressourcepour l’arrosement de leurs jardins, ils ont soin derecevoir, dans des citernes peu profondes ou dans desréservoirs, l’eau des pluies, qui ne sont pas fréquentes.Cette eau croupit et occasionne tous les ans des fièvresd’accès, dans un pays naturellement très-sec et très-salubre.

    En se dirigeant vers l’ouest, sur la ville de Nice,les eaux deviennent plus abondantes. On a d’abord, à ladescente du col de Villefranche, la belle eau dite deRiquier, fournie par une fontaine intarissable, qui sourditau pied du Montgros, et qui, après avoir parcouru unespace d’environ cinq cents pas, arrosé toutes lescampagnes voisines, et fait aller un grand nombre demoulins à huile et à farine, va se jeter à la mer ; viennentensuite, au fond du port de Nice, malheureusement tropéloigné de la ville, plusieurs sources au bord de la mer,d’une eau excellente, dont deux reçues dans des bassinsen marbre blanc et en pierres de taille, pour la commoditédes marins. En passant sous le rocher du château, on envoit encore sortir deux sources assez copieuses ; et, enfin,au nord-ouest de cette ville, à une lieue de distance, dansla belle colline de Rimier, on admire, sous une voûte deconstruction romaine, une fontaine mémorable, nomméele Temple, dont l’eau vive et abondante coule dans un

    vallon délicieux, où sont les restes d’une maison deTempliers, d’un martinet, d’une papeterie, et d’autresfabriques ruinées. De là cette eau bienfaisante varépandre la vie dans tous les quartiers voisins, fairemouvoir un grand nombre de moulins à huile et à farine ;et autrement utile que celle de la fontaine chantée parPétrarque, qui rend stérile au lieu de fertiliser, elle ne serend à la mer qu’après avoir comblé les espérances ducultivateur, et rafraîchi l’ame desséchée du voyageurmélancolique qui est allé visiter la fontaine du Temple. Jenommerai aussi une autre fontaine, quoique moinsconsidérable, appelée de Morail, située du même côté etdans la colline de Cimier : elle est divisée intérieurementen trois canaux, avec une inscription, en marbre, qu’on nepeut lire, à l’endroit même où se fait le partage. L’un destrois canaux portait évidemment de l’eau à l’ancienneville de Cimœlea , dans l’enceinte de laquelle le couventqui la remplace n’a qu’une citerne pour fournir à l’usagede ses habitans.

    Quel que soit pourtant le nombre de ces sourcesqui entourent Nice, cette ville, contente de son ciel et desbienfaits de la nature, n’a pas voulu recourir à l’art pourorner ses places de fontaines, rafraîchir l’air et nettoyerses rues par des nappes d’eau ; elle n’a que des puits,dont l’eau est partout très-séléniteuse.

    Fodéré, Voyage aux Alpes-Maritimes, 1821(enquête réalisée en 1803)

  • Les premiers grands projets Jusqu’en 1860 néanmoins, lesopérations gardèrent un caractère limitéfaute de capitaux. Dans un rapport remisau préfet du Var en 1844, Bosc, géomètreen chef du cadastre, constatait quel’irrigation restait très en deçà despossibilités offertes par les cours d’eau etque le gaspillage sévissait par excès dedéversement. Il émettait notamment l’idéed’un canal de 9 kms traversant le vallon deBaume obscure par un pont aqueduc pourirriguer 7 à 800 hectares dans la plaine deSaint-Cézaire et un canal qui pourraitdesservir Cannes depuis Auribeau. Untroisième canal à Mandelieu irriguerait 400hectares jusqu’aux étangs de La Napouleen les assainissant. Il préconisait parailleurs le transport des eaux du Loup surle territoire d’Antibes avec un canallongeant la plaine de Villeneuve passantpar Biot, Antibes et Vallauris sur 23 kms.Pour les collines niçoises, Fodérépréconisait en 1803 de recourir aux eaux de la Vésubie tout en doutant de la volontéde l’administration de concrétiser un projetaussi ambitieux et coûteux. Car leproblème majeur était l’importance desfinancements à mettre en œuvre pour desprojets d’une très grande envergure quin’étaient pas à la portée des communes auxrevenus modestes. Ces investissementsn’en devenaient pas moins indispensablespour faire face à l’accroissement importantde la population du littoral, notamment deNice où le syndic Galli déplorait en 1851le manque de fonds pour la recherche et lecaptage des eaux : « quelle que soitl’urgence, l’état de nos finances ne nouslaisse point espérer que la générationactuelle puisse les voir effectués. L’étatmoral de la ville est meilleur que son étatmatériel ». Malgré les efforts de lamunicipalité et un programme de grandstravaux où la question de l’eau figurait enbonne place, ses opposants ironisèrent sursa gestion lorsque le comte de Cessoleinaugura avec solennité au mois de juillet1852 en présence de l’évêque la source

    qu’il avait amenée du quartier Saint-Sylvestre à sa propriété de Saint-Barthélémy30. La municipalité étaitd’ailleurs confrontée à la malheureuseaffaire des eaux de Saint-Maurice quitraînait depuis 1846 enlisée dans lesprocédures en raison d’intérêts agricoles etavec le constat, en 1853, que les débitsseraient insuffisants. La distribution d’eauà Nice comme dans d’autres stationsd’hiver n’était pas à la hauteur des besoinsd’agglomérations devenues importantesqui recevaient une nombreuse colonie degens aisés et d’étrangers habitués à demeilleurs conditions de confort etd’hygiène. Certains entrepreneurs et des

    sociétés financières ne s’y trompèrent pas,voyant l’occasion d’investissementsprofitables. Déjà en 1845 une compagniefrançaise avait sollicité du gouvernementsarde, l’autorisation de « dévier un coursd’eau de la rivière de la Vésubie pour laconduire sur les collines de Nice et dans laville même à des conditions convenables àdébattre ultérieurement ». L’affaire n’eutaucune suite, mais en 1855 la municipalitédécida de concéder à une entreprise privéela desserte en eau comme elle venait de lefaire avec satisfaction pour le gaz eninaugurant l’usine et l’éclairage public aumois d’avril 1854. Le 27 avril 1857 la villetraita avec la Société générale des eaux deNice qui opéra des recherches et découvritune source abondante dans le vallon de 30 Avenir de Nice du 29 juillet 1852

    CONSTRUCTION DE LA CHAMBRED’ARRIVEE DES SOURCES DE SAINTE

  • Saint-Sylvestre au printemps 1859, maisl’implantation du réseau fut très longue àmettre en œuvre. Les travaux d’envergureapportèrent enfin un progrès longtempsespéré : en 1862 la distribution dans lesmaisons comportait 297 prises d’eau et 822robinets pour une ville qui comptaitenviron 10 000 ménages. Mais l’été 1861fut marqué par une forte sécheresse et déjàle manque d’eau s’était fait sentir. Il étaitimpossible de parvenir à une dessertegénéralisée de la population avec le débitdes sources de Saint-Barthélémy quicorrespondait au dixième du besoin estimé,soit 100 litres par habitant. Aussi en 1863l’ingénieur en chef des Ponts et chausséesélabora un projet de prise d’eau sur lePaillon au Pont de Peille et préconisa detraiter avec la Compagnie générale desEaux créée en 1853, aux mêmes conditionsqu’à Lyon, déconseillant à la ville des’engager dans des emprunts onéreuxmême si la conséquence était la concessiond’un monopole de 99 ans pour la vente del’eau dont le prix était plus élevé pour lesménages.

    L’eau à domicile

    En 1863, la Compagnie généraledes Eaux entama la pose des 15 km deréseau de Peillon à Nice avec un aqueducen ciment depuis la source de Sainte-Thècle et des tuyaux de desserte urbaine enfonte. La distribution subissait unevéritable révolution, passant de la lignehéritée de l’Antiquité qui desservaitquelques lieux avec une fontaine publique,à un réseau diffus assurant l’accès à l’eauen tous points, en hiérarchisant lesconduites. Désormais il fallut multiplier leslongueurs, les embranchements et disposerde conduites résistantes pour transporter degros volumes d’eau, la demande ayantconsidérablement augmenté depuis la findu XVIIIe siècle ; ainsi à Paris on est passéde 7 litres à 100 litres pour les besoinsjournaliers des habitants. En 1868 lechantier s’achevait.

    Si cette opération concédée à unesociété privée n’a pas soulevé dedifficultés majeures à Nice, la situation futtoute différente à Antibes qui ne disposaitque d’une source d’eau potable alimentant9 fontaines. Le conseil municipal décidalui aussi par délibération du 25 octobre1865 de concéder l’eau à la Compagniegénérale des Eaux de France. Cettedécision souleva immédiatement de trèsvives protestations, les détracteursdénonçant un traité grandementdéfavorable aux habitants et se montrantindignés que l’ingénieur en chef soit venu« pour faire l’apologie du projet d’unecompagnie industrielle dont il s’est déclaréle mandataire ». L’aqueduc actuel étaitcertes en mauvais état et la rouehydraulique qui mettait en jeu les pompesavait une force insuffisante pour éleverl’eau à une hauteur convenable, mais lesopposants s’insurgeaient contre unesolution qui faisait la part belle aux profitsd’une société privée. « Nous persistons àcroire et nous soutenons que la compagniecompte sur plusieurs milliers de mètrescubes d’eau disponible pour lesquels ellen’attendait pas la demande de 30 ou 40 000concessions particulières à 20 francs maisqu’elle vendrait immédiatement en traitantavec l’administration des villes voisinesqui manquent d’eau potable… Méfiez-vous d’un acquéreur intéressé qui s’est faitla plus belle part dans le traité qu’il vouspropose. Ouvrez les yeux et vous verrezcomme nous, comme toute la populationque la compagnie doit nécessairements’enrichir en devenant propriétaire de noseaux ». L’eau était un sujet très sensiblepar l’enjeu qu’elle représentait et ce quiexaspérait le plus l’opposition était le faitde « livrer notre pays pendant 100 ans à lamerci d’une compagnie industrielle ».Cannes allait connaître la mêmeaccélération considérable du processusd’alimentation en eau. Reprenant l’étudede Bosc qui préconisait déjà en 1843 laréalisation d’un canal dérivé de la Siagne,l’ingénieur Gaduel, placé à la tête duservice hydraulique qui a été créé dans le

  • département du Var en 1849, rédigea en1851 un avant-projet qui visait nonseulement à fertiliser les terres sur dessuperficies importantes mais aussi àalimenter Cannes, « une ville en voie deprospérité dont la population a doublédepuis la création de son port en 1839,manquant absolument de l’eau nécessaire àson industrie ». La situation de Cannesétait en effet précaire en matière d’eau.Elle ne possédait qu’une seule fontaine« qui débite à peine un litre d’eau parseconde qu’on est même obligéquelquefois en été d’alimenter avec l’aided’un puisage à bras et quelques puitspublics appartenant à la commune ». Lesnégociants en farine et une partie deshabitants étaient obligés d’aller moudreleurs grains aux moulins du Loup à 18 km :« des moulins mus par des chevauxdétritent à Cannes les olives de quelquesparticuliers mais la fabrication de l’huiledestinée au commerce ne pouvant se faireéconomiquement par ce moyen on estforcé de porter les olives à Grasse ». Lesterres « légères et fécondes », bienexposées, « ne peuvent pourtant fauted’eau convenir qu’à la culture des céréales,de la vigne, du rosier, de l’olivier, encorela récolte de ces dernières manque-t-ellesouvent par l’absence de pluies estivales.Sur les coteaux, l’oranger et le citronniercroissent au milieu des pins où on lescultive pour recueillir les fleurs destinées àla parfumerie qui est l’industrie spéciale deces contrées mais on perd chaque année larécolte des fleurs d’automne qui, à causede la sécheresse, ne peuvent pass’épanouir. Quelques propriétaires de laplaine creusent des puits de 4 à 5 m deprofondeur qui, à l’aide de norias,fournissent de l’eau à des réservoirsdestinés à irriguer quelques parcelles deterre, alors le terrain change complètementde face et se transforme en champs decassiers, de jasmin, de violettes, detubéreuses ».31 Faute de moyensfinanciers, le projet de canal même

    31 ADAM 7 S 425

    remanié fut suspendu. Mais à la suite duvoyage à Nice de l’Empereur en 1860 unesubvention du tiers de la dépense futpromise à la ville par Rouher, ministre destravaux publics, en octobre 1861. Lesétudes reprirent et en attendantl’aboutissement de ce chantier ambitieux,la ville dut prendre des mesures d’urgencespour assurer l’approvisionnement deshabitants, à la suite d’une sécheresseexceptionnelle qui avait fait tarir presquecomplètement les puits. Le 29 mai 1864,Cannes était en liesse pour fêter l’arrivéede l’eau : « c’est que notre ville

    condamnée à endurer, chaque année, lesardeurs de la soif, allait enfin voir son rêvese réaliser et une eau abondante luiapporter la richesse et la vie ». L’eaucaptée à la Foux, parcourant 3 km,jaillissait sur la colline du Suquet, à 30 mau dessus du port, l’eau étant élevée aumoyen d’une locomobile de la force de 4chevaux dans un bassin de 200 000 litres

    CEREMONIE POUR L’ARRIVEE DE L’EAUA CANNES 1864

  • desservant 12 bornes-fontaines et 20bouches d’arrosage. Monseigneur Jeancart,évêque de Cérame de passage à Cannes,procéda à la bénédiction solennelle del’eau après les vêpres. Mais la questionn’était que partiellement résolue car « si onveut que cette ville ne s’arrête pas dans sondéveloppement, il faut rendre son séjourpossible et agréable en tout temps auxétrangers qui le recherchent »32. Les richeshivernants qui bâtissaient des villasdisséminées voulaient une eau abondantepour leur assurer le confort et leurpermettre « de s’entourer en toute saisonde fraîcheur, de verdure et de fleurs ».L’ingénieur Caméré, auteur de l’avantprojet de dérivation de la Siagne faisaitvaloir une opération rentable, « lesconditions de réussite paraissant assezévidentes dès à présent pour qu’unecompagnie sérieuse se soit déjà fait agréerpar le conseil municipal de Cannes », avecdes bénéfices « plus ou moinsconsidérables à espérer ». Lors Brougham,ex-chancelier d’Angleterre qui avait donnéson statut de station de tourisme à Canneset Prosper Mérimée intervinrentefficacement pour le succès du projetmalgré des oppositions farouches,notamment de Grasse qui convoitait aussices eaux. Le décret impérial du 25 avril1866 donnait la concession du canal pour50 ans à une compagnie privée, la GeneralIrrigation and water supply company ofFrance limited. Le décret incluait un canaldérivé du Loup pour satisfaire Grasse. Lecanal de la Siagne construit à ciel ouvertavec des tunnels fut achevé à la fin de1868. Il comportait une branche principalede 4 358 m et 4 branches secondaires,ayant ensemble un développement de 18327 m, et desservait les communes deSaint-Cézaire, Peymeinade, Grasse,Auribeau, Mouans-Sartoux, Mougins.Cannes et Vallauris offrant la possibilitéd’irriguer une superficie de 1500 hectares.Les titres cédés en 1869 au Crédit Foncierd’Angleterre passèrent en 1880 à la société

    32 ADAM 7 M 425

    Lyonnaise des Eaux et de l’Eclairage. Lesdépenses d’établissement se sont élevées àl’énorme somme de 4 500 000 francs.

  • Fontaine à Isola

  • L’évolution de l’irrigation

    L’intervention de cessociétés financières et plus encore le poidsdes communes du littoral dont lapopulation en forte croissance accentuait lademande en eau préoccupait les petitescommunes et les propriétaires fonciers quise voyaient privés de sources ou quis’inquiétaient de l’importance desponctions dans les cours d’eau. Ainsi leprojet d’amenée d’eau des sources deSainte-Thècle à Nice en 1864 mobilisa laforte opposition des propriétaires de lacommune de La Trinité qui disaient avoiracquis chèrement des terres ditesarrosables plus fortement imposées et quel’eau était par ailleurs utilisée pour lesbesoins domestiques. « La déviation desmêmes eaux serait une cause nonseulement de souffrance et de perturbationmais même de dépeuplement, disons lemot, de vie ou de mort. Ce qui esttellement vrai qu’en été l’eau nedescendant à La Trinité que deux jours parsemaine, les habitants sont obligés de faireprovision pour l’usage domestique desautres jours que l’eau est retenue à Drappour l’arrosage et ceux qui n’ont pas cetteprécaution, surtout les boulangers, sontobligés d’aller en prendre à Drap ou àCantaron ». La crainte de la pénurie et laconcurrence exacerbée en été par lemanque d’eau continuaient d’être unepréoccupation majeure au milieu du XIXesiècle. Le partage de l’eau était source deconflits permanents et les abus étaientnotoires dans la vallée du Paillon. Le 29août 1861 le commissaire de policeBousquet fut dépêché par le commissairecentral de Nice à La Trinité. Vers 7 heureset demie, il s’aperçut que le volume del’eau diminuait sensiblement. Elle avait étédétournée à Cantaron pour l’arrosage depropriétés riveraines et l’aubergiste del’Ariane lui indiqua que deux jours plustôt, à la nuit tombante, il avait entendu lespropos de deux fermiers qui avaient prévuavec d’autres voisins de détourner les eaux

    du Paillon dans la nuit. Enfin, unpropriétaire de l’Abadie avait coupé lecanal qui alimentait l’Ariane au moyen decailloux, pour le déverser dans sa prairie.« Mes justes représentations, dit lecommissaire, ont eu peu de crédit chez cethomme qui voulait accaparer à son profittoute l’eau du canal au détriment despropriétaires, ses voisins et j’ai été obligéde faire détruire son ouvrage »33. Dans lalégislation sarde tous les cours d’eaupublics étaient considérés commedomaniaux même s’ils n’étaient pasnavigables. L’usage des eaux était concédé

    moyennant redevance aux propriétairesriverains mais comme il n’y avait pas derèglement régulier entre les divers usagerset que des « discussions continuelless’élevaient entre eux », l’administrationdes domaines avait rétrocédé à la ville deNice toutes les eaux du Paillon par contratdu 24 janvier 1859 du Pont de Peille à lamer moyennant la redevance de 1 000 33 ADAM 7 M 544, 29 août 1861

    AQUEDUC D’UBLAN ASAINT ETIENNE DE TINEE

  • francs par an. La législation françaiselaissant le libre usage sous réserve derespecter la réglementation visant à lapréservation des intérêts de tous les ayants-droits, par décision du 11 février 1861toutes les redevances ont été supprimées.Pour pallier le vide laissé par l’annulationdu contrat avec la ville de Nice, unenouvelle organisation des arrosages sousforme d’association syndicale devaitpermettre de mieux gérer la distribution etd’investir dans les améliorations utiles. Enattendant, les conflits d’intérêts perduraient

    et l’ingénieur des Ponts et chausséesdéplorait qu’il se fasse « une déperditiond’eau considérable à cause des abus quecommettent les propriétaires supérieurs audétriment des inférieurs ». C’est sous leSecond Empire que s’amorça ledéveloppement de l’irrigation avec laconstitution de syndicats pour contribuer àl’entretien et à la gestion des intérêtscommuns. Roux, dans la statistique publiéeen 1862, encourageait vivement l’usage del’eau pour améliorer les rendements,voyant dans le manque de soin donné àl’irrigation des terrains le peu de progrèsde l’agriculture dans les Alpes-Maritimescar les initiatives privées restaient limitées(6 107 hectares pour tout le département)et les arrosages, généralement excessifs, nerépondaient pas à une gestion rationnelle.L’essentiel du terroir était voué à la culturesèche, blé, olivier, et vignes bien adaptésau climat méditerranéen caractérisé par lalongue sécheresse de l’été. L’irrigationtouchait essentiellement les jardins et lesprairies. Le système de canaux reposait surla gravité avec un canal principal et descanaux perpendiculaires de desserte despropriétés. Au départ du torrent, un barragesommaire avec amoncellement de pierresou fascines dérivait l’eau dans le canal quicheminait à ciel ouvert, creusé dans la terreou la roche, accroché à flanc de montagne,courant parfois dans des gouttières de boisfaites de troncs évidés. Chaque parcelleselon sa superficie avait droit à un certainvolume d’eau déterminé par le temps

    d’ouverture des vannes de la rigole : c’étaitle tour d’eau rigoureusement défini quirevenait à intervalles réguliers selon lasaison et le débit du canal. L’aiguadierétait chargé de veiller à son application.L’importance accordée à l’irrigationagricole dans la deuxième moitié du XIXesiècle était liée à l’évolution notable del’agriculture de subsistance fortementconcurrencée par une nouvelle formed’agriculture spéculative, l’horticulture,qui exigeait une eau abondante. A partir de1869, les bénéficiaires du canal de laSiagne disposèrent d’eaux emmagasinéesdans des réservoirs pour les distribuer àleur convenance selon les besoins dechaque culture. L’eau était ainsi utiliséerationnellement sans gaspillage. Les eauxétaient vendues 10 francs par an pour undébit d’1 m3 en 24 heures en 1880. Pourl’ingénieur des Ponts-et-chaussées ce prixpouvait paraître exorbitant au premierabord mais il l’estimait admissible euégard aux cultures exceptionnellementproductives de la contrée et audéveloppement que le commerce de laparfumerie donne à cette culture »34.L’extension de l’irrigation et lamultiplication d’initiatives de syndicatsd’arrosants touchait aussi la montagne.Ainsi à Saint-Martin-Vésubie en 1878, 88familles se groupèrent en association pourouvrir un grand canal traversant le quartierde Pomairas ou encore à Venanson unprojet de canal de 6,4 km, le canal neuf,était à l’étude en 1867 pour arroser cinqfois plus de terres. La même année uneassociation des arrosants fut créée àRoquebillière pour le canal du Caire dontles travaux ne furent adjugés qu’en 1883en raison des difficultés à rassembler lescrédits. Les sommes en jeu étaientcolossales pour les finances locales,incapables de supporter de telsinvestissements. Seule la puissance del’Etat permit d’engager cettemodernisation. Malgré ces exemples,

    34 ADAM 7S 154, 6 janvier 1880

  • l’irrigation n’amorçait qu’un lentdémarrage et tardait à se généraliser.Les grands ouvrages d’adduction

    En 1880 le canal de la Siagne étaitle seul grand canal du département enexploitation et 360 hectares étaientirrigués alors que 1500 hectares auraientpu en bénéficier. Le canal de la Vésubieétait en chantier. « Là, s’arrêtent lestravaux exécutés ou en cours pourl’irrigation dans les Alpes-Maritimes, il estmanifeste qu’ils sont absolumentinsignifiants et insuffisants, et que desérieux efforts doivent être tentés par legouvernement pour étudier un pland’ensemble auquel les compagniesfinancières puissent s’intéresser », précisaitla revue Provence horticole en 1881.C’était justement l’objectif du traité passéavec la Compagnie générale des eaux en1869 et de la loi du 26 décembre 1878déclarant d’utilité publique le canal de laVésubie, l’irrigation des terres justifiant lasubvention importante de l’Etat. Fodéré audébut du siècle l’avait envisagé tout endoutant de la volonté des dirigeants deconcrétiser un projet aussi ambitieux etcoûteux. En 1845, une compagniefrançaise en avait repris l’idée maisl’affaire n’avait pas eu de suite. PourFrançois Malausséna, maire de Nice, « lesdifficultés qu’aurait rencontréesl’exécution de ce canal légendaire étaienttelles qu’aucun esprit sérieux et pratiquen’avait cru à sa possibilité ». En 1863, dansun souci de développement de l’agricultureon décida de réaliser un vaste réseaud’irrigation et, après avoir rejeté l’optiond’un canal dérivé du Var qui n’auraitconcerné que les zones inférieures, on optapour la Vésubie malgré une « entrepriseaventureuse et problématique ». D’embléele traité de concession à la Compagniegénérale des Eaux prit en compte nonseulement l’objectif agricole mais aussi desbesoins de la ville de Nice rapidementconfrontée à l’insuffisance des sources deSainte-Thècle. L’eau de la Vésubiepermettrait de satisfaire le nettoyage des

    égouts et l’arrosage des voies publiques.La guerre et les difficultés financières quisuivirent la chute de l’Empire gelèrent leprojet. Les études reprises en 1872 butaientsur le coût, plus de 4 millions, maisfinalement l’Etat apporta une subventionde 2,4 millions de francs. La compagniedisposait de 4 ans pour le chantier quicomportait un canal principal de 28 kmentre la prise d’eau de Saint-Jean-la-Rivière et l’église de Gairaut et troiscanaux secondaires représentant 35 kmaboutissant à Sainte-Hélène, Saint-Pierre-de-Féric et Cimiez auxquels s’ajoutaient 15km de conduite en fonte pourl’alimentation des fontaines et bouchesd’eau de la ville de Nice. La distribution dela ville commença au début de 1885. Maisrapidement cette desserte tant attenduesuscita déceptions et litiges. Sa vocationétait avant tout agricole pour irriguer lescultures sur les collines niçoises et deuxmanières de fournir l’eau avaient étéprévues : l’eau périodique ou d’arrosagedonnée à des jours et heures fixes, et l’eaude luxe ou continue mesurée par robinet dejauge ou au compteur. Le revenu agricolesur les collines niçoises étant de 140 francsà l’hectare, la valorisation à hauteur de 560francs comme sur les terres arrosées dansla plaine du Var était rentable avec l’eaupériodique qui ne coûtait que 80 francsmais la compagnie ne pouvait se voirobligée à réaliser les canaux tertiaires dedesserte que si l’abonnement représentait20 % du coût d’établissement ce qui était

  • Plan du canal de la Vésubie

  • dissuasif. De plus l’eau périodique étaitpeu adaptée aux cultures maraîchère etflorale. La compagnie qui avait englouti 15millions dans les deux opérations deSainte-Thècle et de la Vésubie avaitintérêt, dans un souci de rentabilité, àdistribuer des eaux continues au pointqu’en 1890 l’usage apicole restaitmarginal, le maire Alziary de Malaussènedéplorant que « trois concessions d’eaupériodique seulement fonctionnentactuellement ». Renonçant à persister dansla voie contentieuse qu’elle avait engagée,la ville négocia une nouvelle convention en1891. Elle offrait notamment untarifdégressif plus avantageux pour lescultivateurs.

    La Compagnie générale des eauxfut la première grande société capitalistefrançaise à se préoccuper de faire del’exploitation de la distribution de l’eaudans les villes une affaire rentable à l’instardes entreprise américaines et anglaisescomme New Rider à Londres. L’essor dela Compagnie s’expliquait par des contratsde longue durée qui lui garantissaient, dansde grandes villes, de solides revenus.Misant sur une économie dévoreuse d’eauet sur des cités prospères en plein essordans les régions touristiques comme Nice,puis Villefranche, Menton, où le canal futprolongé en 1891, Monaco, desservi en1896, et Antibes, la compagnie prospéra àla Belle Epoque en contribuantpuissamment à la conquête de l’eau.

    La Société lyonnaise des eaux etde l’éclairage détenait pour sa part laconcession de la dérivation des eaux de laSiagne mais n’avait pas réalisé celle duLoup non seulement en raison de la forteopposition des riverains de la basse valléedu Loup qui craignaient d’être lésés maisaussi parce que la compagnie n’était tenueà l’exécuter que lorsque elle aurait atteintle maximum à prélever dans la Siagne, ceque le Conseil d’Etat à confirmé en 1874,au détriment de la ville de Grasse privée dece apport espéré dès 1866. Grasse étaitalimentée par la source de la Fouxdisposant d’un débit à l’étiage de 60 l/s qui

    ne pouvait plus suffire, car cette sourcedesservait de nombreuses fabriques deparfumerie, des moulins et des tanneries,puis irriguait des jardins affectés surtout àla culture des plantes florales. Nonseulement la commune ne disposait plusd’aucune concession pour les besoinsindustriels mais elle n’avait jamais pudélivrer des concessions pour des robinetsde ménages. De plus, l’usage des eaux étaitrestreint à une seule partie de la ville où setrouvaient les usines, lesquelles, d’après unancien règlement de 1568, ne pouvaientdisposer des eaux que 15 heures par jour,pendant 7 mois ½ de l’année, le reste desheures étant consacré aux irrigations. Nepouvant plus différer le règlement d’unbesoin essentiel au développement de laville, la municipalité a alors décidé en1873 d’acquérir la source du Foulon prèsdes rives du Loup sur la commune deGréolières. En étant propriétaire de lasource, la commune était en droit de ladétourner et de la conduire sur sonterritoire sans qu’elle eut à demander laconcession à l’Etat comme pour ladérivation d’un cours d’eau public etsurtout sans que les riverains en aval ducours d’eau eussent la faculté de s’yopposer car les réclamations s’étaientmanifestées de façon virulente dès 1866lors de la concession des eaux du Loup.L’exécution du canal du Foulon devait enoutre profiter aux communes traversées,les territoires de Gourdon, du Bar, duRouret, de Châteauneuf et d’Opio pouvantêtre arrosées et les villagesconvenablement alimentés, notammentChâteauneuf et les hameaux deMagagnosc, totalement dépourvus d’eau.Mais l’affaire s’enlisa avec les études et en1879 rien n’était réglé d’autant que lasubstitution d’un aqueduc maçonné etcouvert à une rigole à ciel ouvert, plusonéreux, conduisait à une limitation duconcours financier de l’Etat. Dès lors, denouvelles négociations furent engagéesavec la Société lyonnaise des eaux et del’éclairage. En 1883, celle-ci consentit,moyennant des avantages et une

  • subvention de l’Etat, à exécuter un canalunique dans lequel seraient confondues leseaux du Loup et du Foulon. La ville deCannes qui devait devenir propriétaire ducanal de la Siagne après 50 ansd’exploitation par la compagnie futconsultée et donna son accord sur unerépartition des eaux amenées par lenouveau canal à raison d’un tiers pourGrasse et deux tiers pour Cannes avec unegarantie de 300 litres minimum pourGrasse en période d’étiage. Le 28 mars1884 une convention fut passée entre leministre de l’Agriculture et la société pourle canal du Loup, mais le projet de loi subitun nouveau retard à la Chambre desdéputés malgré les démarches de Renaultet de Chiris. Lassé de ces attentesperpétuelles, le conseil municipal deGrasse reprit son propre projet. Il avaitdéjà été soumis à l’enquête d’utilitépublique en 1879, et pouvait entrer dans lavoie d’exécution malgré les protestationsde Cannes qui y voyait, au seul profit deGrasse, un détournement du Foulon « undes affluents les plus considérables duLoup »35 dont les eaux avaient étéconcédées à perpétuité à la ville de Cannesen 1866. Le service des Ponts et chausséesfut chargé de la direction des travaux ducanal du Foulon, déclaré d’utilité publiquepar la loi du 4 avril 1885. Les 3 lotscorrespondant au chantier du canalprincipal furent adjugés en 1887 et deuxans plus tard il était mis en eau tandis quese poursuivait la réalisation des canauxsecondaires de desserte en ville. Le canaldu Loup n’était pourtant pas abandonné.En effet, la conception des canaux avaitévolué et désormais leur couvertures’imposait. On l’envisageait pour le canalde la Siagne, mais selon l’ingénieurMichel, l’opération aurait été onéreuse,sans être irréprochable. Il préconisa doncd’investir immédiatement dans l’exécutiond’un aqueduc couvert qui économiseraitsur l’entretien et sécuriserait lesapprovisionnements en eau de Cannes36. 35 ADAM 7M 41736 ADAM 82 J 17, 29 décembre 1890

    Les préceptes d’hygiène moderneconduisaient non seulement à recourir àune conduite en pression plus coûteusemais également, selon le projet de traitéprésenté par la société et approuvé par lamunicipalité de Cannes le 29 novembre1897, à acquérir les principales sources duLoup et à les capter avec des galeries.L’annonce de cet accord a évidemmentsoulevé à nouveau de virulentesoppositions dans toute la vallée. Lacommission d’enquête enregistra en 1900les oppositions de 10 communes et denombreux particuliers. A Villeneuve-Loubet les habitants « protestent avec la

    dernière énergie contre cette confiscationd’une rivière qui est indispensable à leursbesoins agricoles, industriels etdomestiques … Le jour où les projets de laville de Cannes viendraient à être exécutésla population de Villeneuve serait réduite àémigrer en masse. Il n’est pas admissibleque les pouvoirs publics prêtent les mains àune mesure revêtant un caractère aussiformel de spoliation et de ruine ». Toutaussi déchaîné contre le projet, leconseiller général du Bar H. Seytredénonça une opération qu’il jugeaitpurement spéculative de la part d’une

    INAUGURATION DUCHATEAU D’EAU DE FOULON

  • compagnie industrielle prête à financerl’opération pour Cannes en vendant lesurplus à d’autres communes commeMouans et Mougins : « avoir l’eau pourrien ou à d’excellentes conditionsfinancières, voilà le but de la ville deCannes ». 37 Il conclut en demandant lerejet d’un projet qui « constituerait unevéritable spoliation contre les pauvrespopulations de la vallée du Loup aubénéfice d’une ville riche et d’une sociétéindustrielle qui veut s’enrichir de nosdépouilles ». On mesure par ces proposl’enjeu fondamental que représentait l’eauet la crainte à terme de l’insuffisance desdébits en raison de ponctions croissantes.Toutes les protestations et les recours, envain, devant le tribunal administratif puisle Conseil d’Etat, n’y firent rien. Le traitédéfinitif fut approuvé par décret le 14octobre 1902. En remontant de 11 km enamont avec un périmètre de protection dessources, le coût du projet avait doublé. Lessources de Gréolières et de Bramafanfurent captées entre 1905 et 1907 avec desgaleries et des bassins de réception.L’amenée d’eau fut réalisée au moyend’une conduite en pression en tôle d’acierrevêtue de ciment armé d’un diamètre de60 à 85 cm. Les tuyaux au nombre de 10000 avaient été fabriqués dans de grandschantiers installés à La Bocca d’où ilsavaient été acheminés sur site par tous lesmoyens de transport, chemin de fer,camions, tracteurs, charrettes, élévateurssur plans inclinés. Les eaux étaient reçuesà Nartassier près de Cannes dans un bassind’où elles étaient introduites dans lesconduites secondaires et le réseau dedistribution de la ville. L’ouvragereprésentait un total de 52 km deconduites, 40 souterrains d’une longueurtotale de 4 870 m. Malgré les difficultés duchantier et notamment les pluiesexceptionnelles de l’automne 1910, leseaux des sources du Loup sont arrivées àCannes à la fin de l’année 1911.

    37 ADAM E 90/88, 3 décembre 1900

    Ainsi en moins d’un demi-siècle,les villes du littoral des Alpes-Maritimes sesont dotées des grandes infrastructuresd’alimentation en eau avec une largecapacité pour faire face à l’explosiondémographique. Pourtant beaucoup decommunes rurales tardaient à offrir à leurshabitants un accès aussi aisé à l’eau. Casextrême, Cabris utilisait l’eau de la sourcede Pourcieux qui s’est avérée impropre à laconsommation. Aussi la commune étaitréduite en 1911 à recourir à un moyen defortune pour assurer la boisson deshabitants. Une subvention départementalea permis d’organiser un service quotidienpar charrettes de transport d’eau du canaldu Foulon à 7 km de Cabris pendant lapériode de sécheresse estivale. Le docteurBelletrud, conseiller général et maire deCabris, a mis toute son énergie à laréalisation d’un canal dérivé de la Siagnedepuis les sources de la Pare. Après unedécennie d’efforts, le canal « Belletrud »fut inauguré à Cabris le 19 juillet 1931avec, au menu du banquet, des truitesmeunières de la « Pare ». A Saorge, parexemple, en 1931, une source alimentait 11fontaines et une autre desservait unabreuvoir et un bassin lavoir mais iln’existait aucune concession particulièreet, entre mai et septembre, la pénurie d’eaune permettait pas d’alimenterconvenablement la population qui étaitalors rationnée. En 1935 encore, une villecomme Saint-Laurent-du-Var qui comptaitplus de 3 000 habitants n’était alimentéequ’en eau d’irrigation drainée dans lesalluvions de la vallée du Var à Colomars,une eau boueuse en période d’oragepourtant utilisée pour les besoinsménagers. L’irrigation a mobilisé leconseil général notamment lors de lasession d’octobre 1924 car la dépopulationdes campagnes s’accélérait malgré tous lesefforts pour enrayer l’exode rural. Onestimait en effet que l’extension descanaux d’irrigation était seule en mesured’y apporter un remède : « l’eau dans notrepays est la base de la fertilité quelle quesoit la nature du sol », affirmait le

  • rapporteur qui précisait : « la dépopulationne s’exerce que là où l’eau d’irrigation faitdéfaut. Sur le littoral, dans la plaine deGrasse, sur les plateaux de Saint-Laurent etde Cagnes, dans les fonds de nos vallées,c’est-à-dire là où les canaux d’irrigationanciens ou récents distribuent de l’eau enquantité suffisante, la population augmenteau lieu de décroître et la valeur de laproduction atteint un chiffre de plus enplus élevé. On peut ajouter que, sans lescanaux d’irrigation qui ont permis lacréation de vastes jardins maraîchers auxportes des grands centres du Littoral,l’alimentation en fruits et légumes seraitaujourd’hui des plus difficiles et nes’effectuerait, en tous cas, qu’à desconditions onéreuses. L’intervention desPouvoirs publics est utile pour retenir lecultivateur à la terre, là où l’eaud’irrigation existe et il est désirable, parsuite, qu’une seule goutte d’eau ne serende à la mer sans avoir été utilisée. C’estune question qui prime, et de beaucoup,toutes celles que l’on a fait valoir à ce jour,même celles qui concernent les voies decommunication. Il faut d’autant plus sepréoccuper de l’irrigation de ces terrainsque les cultures du littoral sont vouées àdisparaître peu à peu par suite del’extension des constructions. Le momentn’est pas éloigné où ces cultures serontchassées sans pouvoir s’installer ailleurs, sil’on ne procède pas à la création denouveaux canaux d’irrigation ». Lepremier objectif était un inventaire desdisponibilités hydrauliques car, selonBelletrud, « on a fait jusqu’ici unepolitique de prodigalité et on ne s’est pasprémuni contre les gaspillages, c’est-à-direque nous n’avons eu aucun pland’ensemble ». Citant l’exemple des Etats-Unis d’Amérique, où les premiers colons« avaient cru que les ressources de leursterres étaient infinies d’où une période degaspillage insensée et de déboisementintensif » et où il a fallu une réactionclairvoyante sous Roosevelt38 pour

    38 ADAM E 32/10 5 O 1

    inverser le processus (réglementation dudéboisement, création de parcnationaux…), pour réparer les dommagesdes époques de prodigalité, il exhorta à unepolitique de clairvoyance et de solidarité.L’ingénieur Chauve fut mandaté pourmener l’étude avec le génie rural maisconclut qu’à l’est du Var il était difficiled’envisager un seul vaste projet d’un coûtévalué à 40 millions de francs. De plusl’adduction d’eau des villes et la politiquede développement de l’hydroélectricité ont« absorbé la plus grande partie des eauxdont la région pouvait disposer »39. Sur larive droite du Var, seul l’Estéron offraitencore de notables potentialités. Leprogramme adopté par le conseil généralen 1926 prévoyait notamment un canal del’Estéron pour 26 millions, le canal du

    Bouyon et le canal Bermond dans le bassindu Loup qui n’avaient pas abouti lorsqu’unnouveau plan fut élaboré par l’ assembléedépartementale en 1935. L’irrigation quis’est fortement développée a favorisé laproductivité agricole et a permis une baisserelative des coûts. Ce progrès n’acependant que partiellement profité aurevenu agricole et la pression urbainefavorisant la spéculation foncière aprogressivement réduit les surfacesagricoles même lorsqu’elles bénéficiaientde conditions propices.

    39 ADAM 7 M 413, 5 mai 1926

    PRISE D’EAU DU CANAL DE LA VESUBIEA SAINT-JEAN-LA RIVIERE

  • POMPE CENTRIFUGEDE FORAGE SULZER

    Les recours aux nappes phréatiques

    Dès lors c’est l’approvisionnementdes agglomérations qui a prévalu avec unedemande qui ne cessait de croître et quicréait à nouveau une situation difficilepour plusieurs d’entre elles, au début desannées trente. Grasse a dû revoir lescaptages de la source de la Foux etaméliorer le rendement du canal du Foulonen remédiant aux pertes. A Cannes où lasaison d’été a pris de l’importance et où lapopulation atteignait 60 000 habitants, enpériode d’étiage des sources de Gérolièreset de Bramafan, il fallut en 1931 recouriren urgence à un débit d’appoint parpompage dans le canal de l’usinehydroélectrique du Pont du Loup40.

    En 1929 une nouvelle orientationfut donnée à la recherche des ressources eneau à Nice en faisant appel à la nappephréatique du Var. Le recours au pompagen’était pas une idée neuve mais elle allaitprendre une tout autre dimension. Delongue date, norias, éoliennes et pompesextrayaient l’eau des nombreux puitsdisséminés dans les campagnes et, aumilieu du XIXe siècle, les puits artésiensconnurent un grand succès dans lescampagnes niçoises où l’entrepreneurDalbera s’équipa pour les forages et obtintdes résultats encourageants. Ainsi en juillet1855, lors d’un sondage au quartierLongchamp, un ancien puits qui donnaitpeu d’eau en été et que la noria épuisaitchaque jour en une heure s’est remplirapidement après avoir traversé la couched’argile des alluvions du bassin de Nice.Fort de ce succès, Dalbera multiplia lesinterventions dans de nombreusespropriétés rurales mais il ne s’agissait qued’initiatives privées de caractère ponctuel.En 1929, les sondages effectués sous ladirection du professeur Léon Bertrandmontrèrent l’existence de trois nappesaquifères à 8, 26 et 51 m de profondeur enrive gauche du Var près du pont de la voie 40 ADAM 7 S 41

    ferrée, la plus profonde étant minéraliséemais les deux autres étant susceptiblesd’être utilisées par pompage pour laconsommation. Lors de l’établissement duprojet de captage des sources de Sainte-Thècle en 1863 on avait déjà envisagé,dans le cas d’insuccès, de « recourir à lanappe souterraine du Var et d’élever l’eaufiltrée dans le gravier à une hauteursuffisante pour la distribuer dans tous lesquartiers ». La force motrice nécessaire àla mise en jeu des pompes aurait étéobtenue au moyen d’un canal dérivé duVar, jugé indispensable pour l’irrigation de

    la plaine de Nice. Cette option n’a pas eude suite immédiate mais, en 1931,l’expansion croissante de la ville etl’arrivée massive de nouveaux habitantscréait une situation préoccupante pourl’approvisionnement en eau de Nice. LaCompagnie générale des eaux procéda à denouveaux sondages et à des études pourdéterminer les conditions de pompage del’eau dans les couches souterraines du Var.

  • Les résultats furent favorables nonseulement pour la pureté de l’eau maisaussi pour l’abondance du débit. Aussi lamunicipalité décida-t-elle la constructiond’une usine de pompage en bordure duVar. A la fin de l’année 1934 s’achevaientles travaux des trois groupes élévatoires etdes puits filtrants tandis que démarrait unimposant chantier de pose de lacanalisation d’alimentation du réservoir de6 000 m3 établi sur la colline du château.Ainsi à partir de 1936, Nice disposaitd’une sécurité en eau grâce à ce nouveaumode d’approvisionnement. Le captage sefaisait par un système de puits installés enbordure du fleuve. Le débit pompéatteignait 90 000 m3 et pouvait être triplé.Dans le même temps, la Compagnielyonnaise des eaux exécuta un forage dansla plaine de la Siagne au moulin deLabadie qui révéla une nappe artésiennetoutefois chargée en chlorure de sodiumprovenant du lessivage des anciens dépôtsqui ont comblé l’estuaire. Par contre, lecaptage exécuté pour l’alimentation deMandelieu, aux Termes, a fourni une eaupropre à la consommation. Par ailleurs, lasociété de sondages, injections et foragesfut missionnée pour opérer des sondagesen rive droite du Var à Saint-Laurentpendant l’hiver 1936 avec des résultatssensiblement équivalents à la rive gauche.L’étude qui avait été confiée à l’ingénieurMerlin en 1936 en vue d’élaborer unprogramme général d’alimentationpréconisa deux grandes orientations. Lepompage et le stockage visaitessentiellement le Var mais aussi le Loup,où un puits de forage à Villeneuve-Loubetavait décelé des eaux d’excellente qualité.Le système du pompage présentait unavantage important sur les sources quisubissaient en été une baisse sévère dedébit. L’autre orientation était unaménagement hydraulique des vallées de laSiagne et du Loup avec des barragesréservoirs de régulation pour stocker l’eauet pallier également le phénomène sévèred’étiage des cours d’eau. Après ladeuxième guerre mondiale,

    l’approvisionnement de la région niçoiseétait correctement assuré mais « devant ledéveloppement prodigieux de la ville, ilimporte de prendre toute mesure qui assurele plus lointain avenir en eau potable »,écrivait l’ingénieur La Pouche le 9 juin1945 dans une étude préliminaire àl’utilisation éventuelle de la source desFontaniers à Gilette car il émettait desdoutes sur la quantité d’eau qui pourraitêtre pompée dans la nappe alluviale duVar, sur la qualité du filtrage en cas de fortdébit et sur l’éventualité d�