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LA PRÉVENTION DU HARCÈLEMENT PSYCHOLOGIQUE AU TRAVAIL : DE L'INDIVIDU À L'ORGANISATION Tammy Carroll , Roland Foucher , Eric Gosselin Association de Recherches et Publications en Management | « Gestion 2000 » 2012/3 Volume 29 | pages 115 à 130 ISSN 0773-0543 DOI 10.3917/g2000.293.0115 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-gestion-2000-2012-3-page-115.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Association de Recherches et Publications en Management. © Association de Recherches et Publications en Management. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Association de Recherches et Publications en Management | Téléchargé le 15/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167) © Association de Recherches et Publications en Management | Téléchargé le 15/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

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LA PRÉVENTION DU HARCÈLEMENT PSYCHOLOGIQUE AU TRAVAIL : DEL'INDIVIDU À L'ORGANISATION

Tammy Carroll, Roland Foucher, Eric Gosselin

Association de Recherches et Publications en Management | « Gestion 2000 »

2012/3 Volume 29 | pages 115 à 130 ISSN 0773-0543DOI 10.3917/g2000.293.0115

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-gestion-2000-2012-3-page-115.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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L e harcèlement psychologique au travail, le bullying, le harcèlement moral, le mob-bing, la violence psychologique ou la psycho terreur professionnelle ne sont que

quelques exemples de vocables actuellement utilisés par les chercheurs et les praticiens pour identifier un type de harcèlement organisationnel omniprésent, mais sournois. Les comportements négatifs à caractère harcelant à travers lesquels se manifeste ce type de violence peuvent prendre la forme, notamment, d’une supervision excessive, d’un isolement social ou de critiques exagérées. Phénomène ayant fait l’objet de recherches scientifiques au cours des deux dernières décennies, le harcèlement psychologique au travail a été identifié comme la forme de violence organisationnelle la plus commune (Di Martino, Hoel, & Cooper 2003). En Europe, il est estimé que cinq à dix pour cent des salariés sont exposés à certaines formes de harcèlement psychologique (Einarsen, Hoel, Zapf, & Cooper, 2011). En Amérique du Nord, Keashly et Jagatic (2000) ont constaté qu’environ 59% des travailleurs américains composant leur échantillon avaient subi au moins un type de comportement émotionnel abusif. De son côté, Soares (2002) a constaté, dans une étude menée auprès d’enseignants, que 39% de ces derniers avaient été victime de harcèlement psychologique au travail. Une autre étude cana-dienne avaient démontré que plus de 27% de l’échantillon avait été la proie d’un ou de plusieurs comportements négatifs en milieu organisationnel, sur une base quotidienne ou hebdomadaire, pendant les douze mois précédents (Carroll, 2006). Inspirés par des statistiques montrant que le harcèlement au travail est omniprésent dans nombre d’entre-prises et qu’aucun milieu organisationnel n’est exempt de risque en cette matière (Fornes, Cardoso, Castello, & Gili, 2011), divers intervenants font valoir l’urgence de cerner les tenants et aboutissants de ce phénomène afin de mettre en place des interventions aptes à limiter sa prévalence.

Tammy CarroLL, Ph.D.roland FouCher, Ph.D.eric GosseLin, Ph.D. Département de relations industriellesuniversité du Québec en outaouais

Une certaine ambigüité subsiste quant à la prévalence du harcèlement moral

dans les organisations au cours de l’his-toire. Alors que certains soutiennent

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que le harcèlement psychologique au travail est un phénomène très ancien (Ancibure & Galan-Ancibure 2006), d’autres pensent qu’il s’agit d’un pro-blème contemporain. Quelle qu’ait été son importance au cours des ans, ce n’est que depuis les années 1990 qu’il fait l’objet de recherches scientifiques (Einarsen et al., 2011; Leymann, 1996; Vartia-Väänänen, 2003; Zapf, 1999), ayant même été identifié comme l’un des sujets de recherche les plus impor-tants des années 1990 (Hoel, 2002). En 1998, Marie-France Hirigoyen publia un mémoire intitulé Le harcè-lement moral : la violence perverse au quotidien. Cet ouvrage a lancé en France un vaste débat de société qui mena à l’adoption de la Loi de modernisation sociale (2002) offrant un cadre législatif à la prévention et à la répression du harcèlement dans les lieux de travail. Influencé par cette législation, le Québec adopta lui aussi, en juin 2004, une loi pour contrer le harcèlement psychologique au travail; c’était une première en Amérique du Nord (Lippel, 2005). Cette loi définit le harcèlement psychologique comme « une conduite vexatoire se manifes-tant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répé-tés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. » (Article 81.18 de la Loi sur les Normes du travail, Commission des normes du

travail, Québec). Selon son libellé, cet article de la Loi vise à protéger le salarié d’une atteinte à sa dignité ou à son intégrité, psychologique ou physique, à éviter une détérioration de son environnement de travail et à créer l’obligation pour l’employeur d’offrir un environnement de travail exempt de harcèlement.

Malgré la multitude de définitions du harcèlement au travail, les spécia-listes de cet objet d’étude semblent s’entendre sur la présence de quatre dimensions constitutives : 1) des actes hostiles, 2) un caractère persistant, par leur fréquence et leur durée, 3) des conséquences néfastes pour la personne cible et 4) un déséquilibre de pouvoir entre le harceleur et le harcelé (Quine, 1999). Une autre caractéris-tique est encore l’objet d’un débat : c’est le fait d’agir avec l’intention de harceler. Les auteurs qui s’opposent à son inclusion invoquent deux argu-ments : certains estiment que l’intention du harceleur doit être explicite (Keashly & Jagatic 2000); d’autres, pesant qu’il est difficile de mesurer les intentions, s’attardent aux effets néfastes chez les victimes pour déterminer la présence de harcèlement (Einarsen, 2000).

Présent dans tous les secteurs d’activité économique, le harcèlement est donc susceptible, d’après Hoel (2002), de toucher toutes les organisations ; aussi, femmes et hommes de tout âge peuvent en être victimes. En plus d’être présent

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partout, ce phénomène a des consé-quences dévastatrices sur les plans individuel, organisationnel et sociétal, comme en témoignent les travaux de plusieurs chercheurs (Leymann, 1996; Zapf, 1999). Sur le plan individuel, les victimes de harcèlement psycholo-gique font état d’un niveau élevé de stress (Einarsen, 2005), d’un faible niveau de bien-être psychologique (Coyne, Seigne, & Randall, 2000), d’une santé mentale altérée (Hoel & Cooper 2000), d’une détresse psycho-logique (Coyne et al., 2000; Soares 2002), d’un épuisement émotif (Law, Dollard, Tuckey, & Dormann, 2011) et de symptômes psychosomatiques (Mikkelsen & Einarsen 2002). Dans des cas extrêmes, même le suicide peut être une conséquence du harcèle-ment psychologique (Vartia-Väänänen, 2003). Sur le plan organisationnel, les principales conséquences sont l’aug-mentation des taux d’absentéisme et de roulement du personnel, la dégra-dation du climat organisationnel; le déclin de l’engagement des salariés et la baisse de la productivité (Deery, Walsh, & Guest, 2011; Hoel & Salin 2003). Sur le plan de la société, men-tionnons l’augmentation des dépenses en santé et la réduction des apports individuels à la productivité.

En raison notamment de ses consé-quences, le harcèlement psycho-logique au travail est devenu une question d’intérêt public et le sujet d’un nombre croissant d’études (Salin,

2003). Celles-ci visent à fournir une meilleure compréhension de ce phé-nomène en apportant un éclairage sur sa nature, sa prévalence, ses origines et ses modes de développement. Cette information peut à son tour contribuer à orienter les actions destinées à le prévenir et à apporter des correctifs s’il se produit. C’est dans cette perspective que se situe le présent texte : proposer une synthèse des facteurs individuels, mais surtout organisationnels, favori-sant l’émergence du harcèlement psy-chologique, en vue d’aider à structurer des interventions préventives.

explication du phénomène

Il existe deux courants principaux de pensée sur les causes les plus pro-bantes du harcèlement psychologique. À l’origine, des chercheurs ont étudié les traits individuels des harceleurs et des harcelés comme éléments déclen-cheurs (Coyne et al., 2000). Plus tard, des études ont ciblé les déficiences du milieu organisationnel comme fac-teurs pouvant être à l’origine de situa-tions de harcèlement (Leymann, 1996; Vartia, 1996). Toutefois, comme le soutient Zapf (1999), le harcèlement ne peut guère s’expliquer par un seul facteur ou groupe de facteurs, parce qu’il représente un phénomène pluriel aux causes multiples. S’inscrivant elle aussi dans cette perspective, Vartia-

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Väänänen (2003) estime que le har-cèlement psychologique s’imbrique dans un processus interactif complexe dans lequel l’environnement de travail, l’organisation, les traits de personna-lité de la victime et de l’agresseur, les caractéristiques générales de l’interac-tion humaine dans l’organisation et les caractéristiques des autres membres de l’unité de travail contribuent à son apparition.

En nous inspirant de ces écrits et des diverses modélisations proposées jusqu’à maintenant dans la littérature, particulièrement celles de Bowling et Beehr (2006) et de Salin (2003), nous proposons à la figure 1 une schéma-tisation illustrant l’interaction entre les composantes du harcèlement. Tel que le proposent Bowling et Beehr (2006), ce modèle explique le déclenchement d’un épisode de harcèlement en remon-tant à l’interaction entre les caractéris-tiques individuelles, de la victime et du harceleur, et les caractéristiques organisationnelles. Ce modèle rejoint aussi les travaux de Salin (2003) qui aident à comprendre la dynamique entre les antécédents organisationnels. Dans le modèle que nous proposons, ceux-ci sont hiérarchisés en trois types de facteurs : favorables, motivateurs et déclencheurs. Les facteurs favo-rables représentent le terreau néces-saire, mais insuffisant en soi, pour donner naissance à une situation de harcèlement au travail. Les facteurs motivateurs sont ceux qui servent de

levier à l’adoption de comportements harcelants chez le travailleur et qui justifient, chez lui, le désir de brimer un collègue représentant un fardeau ou une menace. Enfin, les facteurs déclen-cheurs facilitent le développement du harcèlement psychologique au travail ; ce sont, par exemple, un évènement ou une situation offrant un contexte pour le passage à l’acte.

Tel que l’indique la figure 1, la dyna-mique du harcèlement psychologique au travail se divise en trois compo-santes. Premièrement, un ensemble d’antécédents contribuent à l’émer-gence de ce type de comportements dont la liste est inspirée des travaux de Carroll (2006). Deuxièmement, chacun des épisodes de harcèlement psychologique au travail engendre des conséquences délétères tant pour l’organisation que pour les travailleurs. Troisièmement, ces conséquences rétroagissent à leur tour sur les anté-cédents, favorisant ou limitant ainsi la propension au harcèlement dans l’organisation.

Nous apporterons maintenant des pré-cisions sur les antécédents du har-cèlement en milieu organisationnel, de nature à la fois individuelle et organisationnelle, en nous basant sur la littérature scientifique. Cette infor-mation aidera à mieux comprendre la dynamique des facteurs à l’origine du harcèlement et à jeter les bases d’actions préventives en la matière.

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Les facteurs individuels : la victime

Plusieurs chercheurs ont tenté de déter-miner si les victimes ont des caracté-ristiques de personnalité susceptibles de créer une prédisposition à subir de la violence, en général et dans des situations spécifiques (Coyne, et al., 2000), ou à constituer une source de provocation pour d’éventuels agres-seurs (Einarsen, 2005). Nonobstant les résultats révélés par ces études, le rôle de la personnalité de la victime dans le processus de harcèlement au travail est loin de faire l’unanimité (Einarsen, 2005). Au crédit de ces recherches, mentionnons qu’elles ont réussi à iden-tifier quelques caractéristiques de personnalité différenciant les victimes de harcèlement psychologique au tra-vail. Ainsi, elles aurait une plus faible estime de soi que les non victimes (Einarsen, 2005; Vartia, 1996) et elles diffèrent de ces dernières aux traits de personnalité suivants : elles sont habituellement plus dépendantes, plus extraverties, plus instables émotionnel-lement et plus consciencieuses que les personnes non-victimes d’un groupe contrôle (Coyne et al., 2000); elles expriment des cotes plus élevées à l’échelle de névrotisme (Vartia, 1996); elles se disent plus anxieuses dans des situations sociales (Einarsen, Raknes, & Matthiesen, 1994); elles obtiennent des cotes moins élevées au trait carac-tère agréable (Lind, Glasø, Pallesen,

& Einarsen, 2009). Les arguments sui-vants limitent cependant la portée de ces résultats. Premièrement, il est diffi-cile de dégager un profil stable (Lind et al., 2009). Deuxièmement, il est possible que certains résultats, particu-lièrement une estime de soi plus faible, soient reliés à un syndrome post-trau-matique. Penchant en faveur de cette hypothèse, Di Martino et al. (2003) se demandent si les traits des victimes sont de réelles causes ou des artéfacts post-harcèlement. Troisièmement, cer-tains auteurs, tel Leymann (1996), s’op-posent fermement à l’idée même que la personnalité d’un individu puisse le prédisposer à devenir une victime de harcèlement en milieu de travail. Quatrièmement, la connaissance des caractéristiques de personnalité des victimes a une portée limitée au plan de l’intervention, permettant au mieux une prévention secondaire par de la formation. Finalement, nombre de hercheurs (Einarsen, 1999; Leymann, 1996; Vartia, 1996) renoncent à une explication simpliste ne tenant compte que des caractéristiques de la victime.

Les facteurs individuels : le harceleur

Einarsen (2005) confirme l’opinion populaire selon laquelle les compor-tements négatifs sont profondément enracinés dans la personnalité du har-celeur ; toutefois, peu d’observations

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scientifiques appuient cette présomp-tion. Dans une synthèse des données empiriques identifiant les harceleurs comme une cause du harcèlement, Zapf et Einarsen (2011) suggèrent que les comportements harcelants prennent racine dans trois motifs de l’agresseur : 1) la protection inadé-quate contre une menace perçue à l’estime de soi; 2) l’expression de lacunes au plan des compétences sociales; 3) le déploiement d’un com-portement micro politique. Le pre-mier motif à l’origine des compor-tements harcelants est la protection de l’estime de soi, le harceleur utili-sant des pratiques d’agression contre autrui comme mécanisme de défense. Quoiqu’elle soit dysfonctionnelle, cette façon d’agir a pour source le besoin qu’a chaque individu de proté-ger ou d’améliorer son estime de soi (Zapf & Einarsen, 2011). Selon Zapf et Einarsen (2011), le second motif de harcèlement prend racine dans des déficiences au plan des compétences sociales du harceleur, particulièrement dans son manque de contrôle émo-tionnel et d’introspection qui invitent à exprimer des comportements dis-créditant une victime et lui faisant violence. À titre de troisième motif, Zapf et Einarsen (2011) invoquent le fait que certains cas de harcèlement psychologique reflètent la dynamique de comportements micro politiques dans les organisations. Ceux-ci sont utilisés par une personne notamment pour protéger ou améliorer sa posi-

tion politique dans l’entreprise (Zapf & Einarsen, 2011). Même si l’influence de certains déterminants a pu être démontrée, Brodsky concluait déjà, en 1976, que même si les harceleurs démontrent effectivement des carac-téristiques communes pouvant techni-quement aider à comprendre l’origine du harcèlement, ce type de comporte-ment ne peut apparaître que dans un environnement culturel le permettant ou le favorisant.

Les facteurs organisationnels

Plusieurs auteurs (Einarsen, 2005; Leymann, 1996; Vartia, 1996) insistent sur l’influence prépondérante des fac-teurs organisationnels dans la genèse et le développement du harcèlement psychologique au travail. Vartia-Väänänen (2003) pense même que le harcèlement est fondamentalement un symptôme d’une organisation dysfonc-tionnelle. L’hypothèse à la base des recherches sur l’influence des carac-téristiques organisationnelles est que de mauvaises conditions de travail créent des circonstances propices à l’émergence de comportements har-celants (Salin & Hoel, 2011). En fait, un environnement organisationnel mal-sain peut, par exemple, augmenter la probabilité de conflits interpersonnels dont peut résulter un épisode de har-cèlement psychologique (Zapf, 1999).

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Nous présenterons, ci-après, les prin-cipales caractéristiques organisation-nelles pouvant avoir une incidence sur la propension au harcèlement psycho-logique. Au nombre de neuf, celles-ci sont la culture organisationnelle, le climat de travail, le leadership, les caractéristiques de l’emploi, les conflits de rôles et l’ambigüité de rôles, le sou-tien social, le contrat psychologique et les changements organisationnels.

La culture organisationnelle – Di Martino et al. (2003) affirment que la culture organisationnelle joue un rôle décisif comme antécédent du harcèlement puisqu’elle régule, par le processus de socialisation, les normes auxquelles doit adhérer le personnel. Ajoutons que les normes peuvent même avoir un effet domino perpétuant le harcèlement psychologique lorsque ce dernier est toléré, vu comme normal ou excusé (Hoel & Beale, 2006). À titre d’exemple de normes, mentionnons que les milieux de travail compétitifs permettant une certaine incivilité dans les interactions sociales sont des envi-ronnements propices à l’émergence de cas de harcèlement psychologique (Einarsen, 2005), principalement pour les trois raisons suivantes. La première est la concurrence pour les tâches et l’avancement. En 1999, Rayner, Sheehan, et Barker ont proposé que le harcèlement psychologique est plus fréquent dans les organisations carac-térisées par une culture de compé-tition parce que l’un des motifs du

harcèlement est la concurrence pour les tâches et l’avancement. La deu-xième raison est le renforcement, dans ces organisations, des comportements agressifs. Celles-ci encouragent impli-citement le harcèlement psychologique au travail en fermant les yeux devant ce dernier ou en l’excusant, dans le but de rester cohérentes avec la priorité qu’elles accordent à la productivité sur les aspects relationnels (Ferris, Zinko, Brouer, Buckley, & Harvey, 2007). Sperry (2009) mentionne lui aussi que la valorisation de la productivité et de la compétition au détriment du bien-être des salariés ou de la sécurité d’emploi peuvent contribuer à déclen-cher des situations de harcèlement psy-chologique. La troisième raison est le style de supervision qui est encouragé. Brosky (1976) fait remarquer que le harcèlement au travail est plus fréquent dans les organisations où les employés et les gestionnaires sentent qu’ils ont la permission, implicite ou explicite, des cadres supérieurs d’exprimer des comportements à caractère agressif et harcelant (Brodsky, 1976).

Le climat organisationnel – Zapf (1999) est d’avis que le harcèlement psy-chologique au travail est directement tributaire d’un environnement de travail négatif. Il fonde cette opinion sur les résultats d’une étude comparant un groupe de victimes de harcèlement à un groupe témoin de non-victimes ; les victimes exprimaient systématique-ment une évaluation plus négative de

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leur environnement de travail que les membres du groupe témoin à tous les énoncés mesurant la qualité de l’envi-ronnement organisationnel. Di Martino et al. (2003) renforcent la portée de ces observations en mentionnant que l’obtention de perceptions du cli-mat organisationnel avant la collecte d’information sur l’expérience de har-cèlement psychologique renforce la relation entre un environnement de travail néfaste et des comportements inappropriés.

D’autres études concluent elles aussi que le bullying est associé à un envi-ronnement de travail stressant et néga-tif (Leymann, 1996). Par exemple, une recherche réalisée auprès d’un échan-tillon finlandais par Vartia (1996) a révélé que le climat de communication et le climat social sont associés au harcèlement psychologique au travail. D’autres recherches ont démontré que certains facteurs de l’environnement psychologique, particulièrement l’anti-cipation de changements futurs, une atmosphère de compétition, le climat social et le climat de communication contribuent moyennement à l’occur-rence du harcèlement psychologique. Les deux explications suivantes sont proposées pour rendre compte des effets exercés par le climat organisa-tionnel. De leur côté, Di Martino et al. (2003) soutiennent que la relation trouvée peut s’expliquer par le fait que ce type d’environnement de travail engendre du stress qui, à son tour,

augmente le risque de conflit et de har-cèlement. Quant à Einarsen (1999), il estime qu’un milieu de travail négatif et stressant est susceptible de provoquer des conflits au travail pouvant résulter en situation de harcèlement psycholo-gique horizontal.

Le leadership – Malgré l’abondante littérature sur l’influence du leadership, l’information scientifique traitant de ses effets spécifiques sur le harcè-lement psychologique au travail est restreinte. Pour expliquer ce phéno-mène, Ashforth (1994) fait remarquer que l’aspect négatif, voire destruc-teur du leadership, a retenu très peu l’attention et que l’accent est géné-ralement mis sur ses ramifications positives. Néanmoins, Salin et Hoel (2011) affirment que les comporte-ments des dirigeants peuvent stimuler l’expression d’actes d’agression et de harcèlement. À l’appui de cette opi-nion, l’incidence de deux styles de leadership sur le harcèlement psycho-logique a été examinée : celle du style autoritaire et celle du style laissez-faire. Selon Desrumaux-Zagrodnicki, Lemoine, et Mahon (2004), un style de management directif, centré sur la production et non sur la gestion des relations humaines, est susceptible d’engendrer un harcèlement de type vertical. Se basant sur les résultats de leur recherche, O’Moore, Seigne, Mcguire, et Smith (1998) concluent qu’il y a un nombre significativement plus élevé de victimes de harcèle-

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ment dans les unités administratives où un style de gestion autoritaire est pratiqué. Dans le même sens, Vartia (1996) trouve que le recours à un style autocratique dans la gestion des divergences d’opinions promeut le harcèlement. D’autre part, Einarsen (2005) propose que le style de gestion dit laissez-faire peut contribuer à des situations favorisant le harcèlement entre pairs et collègues. Di Martino et al. (2003) ajoutent que l’ignorance managériale et le refus d’intervenir dans une situation de harcèlement peuvent indirectement contribuer à son développement en transmettant le mes-sage que ce type de comportement est acceptable. Des résultats empiriques récents vont dans le sens de ces obser-vations. Hauge, Skogstad, et Einarsen (2007) présentent des constatations montrant l’influence du leadership de type laissez-faire sur l’accroissement de diverses facettes du harcèlement au travail. Ce style de leadership stimu-lerait les conflits de rôles, l’ambiguïté des rôles et les conflits entre salariés. Mentionnons qu’un leadership de type laisser-faire peut être causé par de l’incompétence. À ce chapitre, Ravisy (2000) souligne la présence, qu’il juge élevée, de cadres n’ayant pas appris à diriger convenablement une entreprise ou une équipe.

Les caractéristiques de l’emploi – Selon Di Martino et al. (2003), les situa-tions de travail caractérisées par des tâches monotones et un manque de

contrôle sur l’environnement organisa-tionnel peuvent être liées au harcèle-ment psychologique. Dans le même sens, Thylefors (1987) affirme même que le harcèlement peut parfois être le résultat de l’ennui. Néanmoins, les résultats de recherche de Zapf, Knorz, et Kulla (1996) contredisent ce point de vue en montrant que l’intimidation n’est pas liée au manque de contrôle sur le travail et à une monotonie des tâches; les victimes ayant plutôt rapporté avoir peu de contrôle sur la gestion de leur temps de travail. Cette information amena ces chercheurs à envisager la possibilité que la pression du temps a un effet indirect sur le harcèlement en raison du peu d’occasions de régler les conflits. Plus globalement, peu d’études ont jusqu’à maintenant analysé l’asso-ciation entre les exigences du travail et la présence de harcèlement psycho-logique dans l’organisation. Toutefois, Hoel et Cooper (2000) ont constaté que le harcèlement au travail peut être lié à une charge de travail élevée et à des relations de travail insatisfaisantes.

Le conflit et l’ambiguïté de rôle – Le conflit de rôles fait référence à la perception de contradictions, par les travailleurs, dans les attentes, les exi-gences et les valeurs de leur emploi (Di Martino et al., 2003). Cette forme de conflit a été liée au harcèlement psychologique au travail (Di Martino, et al., 2003). Une étude portant sur des travailleurs syndiqués (Einarsen et al., 1994) révèle que les victimes ont

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déclaré un conflit de rôles plus élevé comparativement aux non-victimes; de plus, les observateurs de cas de harcè-lement psychologique ont fait état eux aussi des niveaux plus élevés de conflit de rôles. D’autre part, l’ambiguïté de rôle semble être elle aussi associée à des niveaux plus élevés de harcèlement (Di Martino et al., 2003). Einarsen (2005) note qu’une ambiguïté accrue ou des demandes et des attentes contradictoires quant aux rôles, tâches et responsabilités peuvent également créer un degré élevé de frustration et de conflits au sein d’un groupe de travail, en particulier concernant les droits, les obligations et les privilèges. Dans le même ordre d’idées, Vartia (1996) soutient que le harcèlement semble prépondérant là où les travail-leurs perçoivent leur situation de travail et les objectifs du travail comme étant imprévisibles et incertains.

Le soutien social – œuvrer dans un milieu où la nature des tâches exige beaucoup de travail d’équipe est une source potentielle de conflit (Zapf, Knorz, & Kulla 1996; Einarsen 2000). Des situations sociales déficientes, auxquelles s’ajoute un manque de soutien social, peuvent engendrer une concurrence, des sous-groupes ou des conflits créant un terreau fertile aux épisodes de harcèlement psycholo-gique (Hauge, Skogstad, & Einarsen 2007; Rayner & Hoel 1997; Zapf, Knorz, & Kulla 1996). D’ailleurs, Zapf et al. (1996) ont constaté que les

travailleurs s’étant eux-mêmes identi-fiés comme victimes de harcèlement psychologique ont aussi mentionné recevoir de leur superviseur et de leurs collègues un soutien social inférieur à celui dont ont fait état les personnes qui ne se sont pas déclarées victimes. Bien que le harcèlement et le soutien organisationnel puissent coexister, il est peu probable qu’ils proviennent de la même source. De plus, certaines cibles peuvent être en mesure d’acqué-rir les ressources sociales nécessaires pour se protéger des effets négatifs du harcèlement psychologique (Djurkovic, Mccormack, & Casimir 2005).

Le contrat psychologique – Depolo, Guglielmi, et Toderi (2004) ont exa-miné le rôle du contrat psychologique dans le développement d’épisodes de harcèlement psychologique au travail. Ils ont trouvé que la perception d’un risque futur de harcèlement psycho-logique au travail est influencée de façon significative par le type de contrat psychologique en vigueur, soit relationnel ou transactionnel, et par l’anticipation du respect ou de la viola-tion de ce dernier.

Les changements organisationnels – Des changements organisationnels rapides ou étendus peuvent favoriser l’émergence du harcèlement psycho-logique. En raison de leurs effets sur la confusion et l’ambiguïté des rôles et des responsabilités ; ces changements sont susceptibles de créer des occa-

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sions favorables aux abus de pouvoir (Einarsen, 1999). De plus, les change-ments organisationnels sont souvent provoqués par des crises donnant lieu à une restructuration et une réduction de l’effectif qui accroissent la vulnéra-bilité des travailleurs, laquelle peut à son tour créer des conditions organisa-tionnelles propices au développement du harcèlement au sein des sala-riés (Foster, Mackie, & Barnett 2004). Ajoutons qu’une étude explorant les effets de changements spécifiques a montré que, dans le cas du change-ment technologique et dans celui du changement de propriétaire, le risque d’être victime de harcèlement était nettement plus élevé dans les orga-nisations où ces changements ont eu lieu (Health & Safety Authority, 2001). Enfin, il convient de mentionner la posi-tion émise par Vartia (1996) à l’effet que la seule anticipation de change-ments organisationnels peut engendrer des comportements harcelants.

Conclusion

Les études portant sur l’incidence des facteurs organisationnels dans la genèse du harcèlement psychologique au tra-vail sont moins nombreuses que celles dont le but est de déterminer le rôle des facteurs individuels dans l’émergence de ce phénomène. Néanmoins, force est de constater que la prévention du harcèlement ne peut être efficace sans

tenir compte des antécédents organisa-tionnels de ce comportement (Flaherty & Moss, 2007).

Tel que l’a fait ressortir ce texte, il existe des vues différentes sur les causes du harcèlement psychologique au travail et il faudra entreprendre d’autres recherches pour démontrer les effets réels de certains facteurs perçus comme des déterminants pos-sibles. Toutefois, certaines conclu-sions fermes peuvent dès maintenant être émises sur les causes du har-cèlement psychologique au travail. Premièrement, les modèles explicatifs estimés les plus complets intègrent à la fois les facteurs organisationnels et les facteurs individuels (Zapf, 1999). Deuxièmement, la prise en compte des antécédents organisationnels du harcèlement peut servir d’assise à l’éta-blissement de stratégies de prévention pouvant réduire substantiellement la prévalence du harcèlement psycho-logique. Troisièmement, les facteurs organisationnels dont l’influence a été rapportée dans ce texte peuvent servir de base à l’établissement d’une grille d’analyse organisationnelle visant à mesurer la prédisposition d’un milieu de travail au harcèlement.

Il peut être attendu que l’instauration de mesures préventives est la respon-sabilité première des directions d’en-treprise. Celle-ci devrait commencer par l’analyse des risques provenant d’antécédents tels que la culture et le

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climat de l’organisation, le style de lea-dership pratiqué, et les changements organisationnels effectués. Ce dia-gnostic, composante essentielle d’une prévention primaire1, devrait mener au choix d’interventions sur des facteurs à risque.

Dans l’esprit de notre modèle intégra-teur, le déploiement de ces actions relève d’abord de la direction. Parmi les actions possibles, mentionnons d’abord l’établissement de politiques et de règles organisationnelles ciblant les facteurs organisationnels prédis-posant au harcèlement, qui peuvent agir comme facteurs démotivants. La modification des valeurs organisation-nelles pour promouvoir la coopéra-tion et la collaboration, plutôt que la concurrence et la compétition, est une autre voie prometteuse d’intervention. Mentionnons enfin d’autres interven-tions de prévention primaire, comme une meilleure gestion des change-ments et la clarification des rôles.

Il peut également s’avérer pertinent d’entreprendre des actions de préven-tion secondaire. Par exemple, il peut être envisagé d’accroître la sensibilisa-

tion des gestionnaires au phénomène du harcèlement psychologique au tra-vail en traitant, dans le cadre d’un programme de formation, des antécé-dents organisationnels de ce dernier et de ses conséquences. Ce programme devrait aussi viser à habiliter les ges-tionnaires à dépister les cas de harcè-lement et à intervenir en cette matière. Une action de formation auprès des salariés devrait aussi être envisagée. Cette formation viserait notamment à rendre ces derniers plus en mesure de dépister les signes avant-coureurs du harcèlement et à reconnaître le phénomène dès les premiers incidents, entre autres pour les habiliter à aller chercher l’aide requise pour éviter que la situation ne s’aggrave. Enfin, pour faciliter le règlement des cas problématiques, des cours en gestion de conflits peuvent être offerts aux gestionnaires et aux salariés.

La réussite de ce programme d’in-tervention dépend toutefois des trois conditions suivantes. La première est la reconnaissance de l’importance du phénomène et de l’intérêt qu’ont les parties concernées, entre autres la direction, d’agir sur ce dernier. La deuxième est la concertation entre les parties concernées lorsque celle-ci est requise. La troisième est le recours à une démarche structurée et intégrée d’intervention fondée sur une compréhension du phénomène, particulièrement de ses causes d’ordre organisationnel.

1 Par prévention primaire, nous faisons réfé-rence aux actions destinées à éliminer le pro-blème à sa source. La prévention secondaire renvoie aux actions destinées à habiliter les acteurs concernés à mieux faire face à une situation potentiellement ou réellement problé-matique. Enfin, la prévention tertiaire, qui n’est pas considérée dans ce texte, est celle qui est déployée après les faits, pour aider à rétablir un équilibre.

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