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Formation emploi Revue française de sciences sociales 106 | avril-juin 2009 Pêle-mêle La portée formatrice de l’expérience : le cas des employeurs du secteur des services Die Bildungsfunktion der Erfahrung: Arbeitgeber im Diensleistungssektor The formative impact of experience: employers in the services sector El alcance formador de la experiencia : los empleados del sector servicios Franck Bailly, Alexandre Léné et Marie-Hélène Toutin Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/formationemploi/1927 DOI : 10.4000/formationemploi.1927 ISSN : 2107-0946 Éditeur La Documentation française Édition imprimée Date de publication : 1 juin 2009 Pagination : 41-58 ISSN : 0759-6340 Référence électronique Franck Bailly, Alexandre Léné et Marie-Hélène Toutin, « La portée formatrice de l’expérience : le cas des employeurs du secteur des services », Formation emploi [En ligne], 106 | avril-juin 2009, mis en ligne le 01 juin 2011, consulté le 10 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/ formationemploi/1927 ; DOI : https://doi.org/10.4000/formationemploi.1927 © Tous droits réservés

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Formation emploiRevue française de sciences sociales 106 | avril-juin 2009Pêle-mêle

La portée formatrice de l’expérience : le cas desemployeurs du secteur des servicesDie Bildungsfunktion der Erfahrung: Arbeitgeber im DiensleistungssektorThe formative impact of experience: employers in the services sectorEl alcance formador de la experiencia : los empleados del sector servicios

Franck Bailly, Alexandre Léné et Marie-Hélène Toutin

Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/formationemploi/1927DOI : 10.4000/formationemploi.1927ISSN : 2107-0946

ÉditeurLa Documentation française

Édition impriméeDate de publication : 1 juin 2009Pagination : 41-58ISSN : 0759-6340

Référence électroniqueFranck Bailly, Alexandre Léné et Marie-Hélène Toutin, « La portée formatrice de l’expérience : le casdes employeurs du secteur des services », Formation emploi [En ligne], 106 | avril-juin 2009, mis enligne le 01 juin 2011, consulté le 10 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/formationemploi/1927 ; DOI : https://doi.org/10.4000/formationemploi.1927

© Tous droits réservés

2009 - N° 106 FORMATION EMPLOI 41

Emploi

La portée formatrice de l’expérience : entretiens auprès d’employeurs

du secteur des services1

Par Franck Bailly, Alexandre Léné et Marie-Hélène Toutin*

Les périodes de la scolarité passées en entreprises occupent une place importante dans les dispositifs de formation professionnelle. Pourtant, les stages n’ont

une portée formatrice qu’à certaines conditions. Le lien établi entre expérience, temps de présence en entreprise et connaissance est au final tout relatif.

Aujourd’hui, quasiment tous les acteurs sociauxprônent un rapprochement entre le système scolaireet le monde du travail.1La coopération école-entreprise serait une caution d’efficacité de la forma-tion professionnelle. L’Alternance, qui désigne unmode de formation associant des séquences deformation académique et des périodes en entrepriseserait, de ce point de vue, une sorte d’idéal pédago-gique. Un tel rapprochement se justifierait par le faitque les périodes en entreprise, sous forme de stage oud’apprentissage, auraient, par la connaissance dumonde du travail qu’elles procurent, une portéeformatrice. Elles permettraient de rendre opération-nels et de donner un sens à des savoirs scolaires(Malglaive, 1996 ; Merle, 1994) ou d’acquérir desconnaissances par la pratique (Vergnaud, 1991).L’expérience professionnelle et la formation scolaire

1 Sans engager leur responsabilité, nous tenons à remercier noscollègues Y. Bensaâdoune, E. Chatel et C. Guegnard ainsi quetrois rapporteurs anonymes pour leurs remarques et commentairesd’une version précédente de ce texte.

* Franck Bailly est maître de conférences en économieà l’université de Rouen. Il mène ses recherches au sein duCARE (Centre d’analyse et de recherche en économie) enéconomie de l’éducation et en économie du travail. Récem-ment, il a publié : “The role of employers’ beliefs in the eva-luation of educational output”, en 2008, dans The journalof Socio-Economics et « La construction de la qualité deL’éducation. L’exemple des bacs professionnels tertiaires »,avec E. Chatel, dans L'économie des conventions : métho-des et débats, (sous la direction de Eymard-Duvernay F.) àLa Découverte.Alexandre Léné est maître de conférences en économiedes ressources humaines à l’université de Lille 1. Il enseigneà Telecom-lille1 et mène ses recherches au sein du CLERSE(Centre Lillois d’études et de recherches sociologiques etéconomiques). Ses travaux portent sur la formation, l’inser-tion des jeunes, la gestion des compétences. Il a publiérécemment : « Rémunérer les compétences : l’entreprisepeut-elle tenir ses promesses ? », en 2008, dans la RevueFrançaise de Gestion, et « Détournements de main-d’œuvreet externalités de la formation dans un modèle de concur-rence imparfaite », en 2005, dans Économie Appliquée.

…/…

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constitueraient deux moyens, en partie complémen-taires et substituables, d’acquérir des connaissances(Combes, 1996 ; Mallet et Vernières, 1981).

Cette portée formatrice des expériences de travailpourrait expliquer, selon Bonnal, Fleury et Rochard(1999) et Bonnal, Clément et Mendes (2005) lameilleure insertion professionnelle des élèves qui ontsuivi la voie de l’apprentissage. Les auteurs compa-rent la situation des lycéens professionnels à celledes apprentis (pour les mêmes spécialités de forma-tion et de diplômes préparés) sept mois après l’achè-vement de leur formation. Leurs résultats montrentque l’insertion des jeunes formés par apprentissageest effectivement meilleure si on compare leur tauxde chômage à celui des anciens élèves des lycéesprofessionnels ou la nature des emplois auxquels ilsaccèdent, qui sont plus fréquemment des emploissous contrat « ordinaire » (contrat à durée déter-minée). L’influence positive des premières expé-riences professionnelles sur l’insertion ne concerned’ailleurs pas seulement celles acquises en cours descolarité. Par exemple, Balsan, Hanchane et Werquin(1996) montrent que l’expérience professionnelle desjeunes en début de vie active conditionne égalementfortement leur accès à des emplois stables ou, tout aumoins, la nature des emplois trouvés après la phasede primo-transition. Ainsi, l’expérience profession-nelle resterait un élément recherché par les entre-prises (Béduwé, Espinasse et Tahar, 2000)2 malgrél’émergence, en France, à partir des années 80, d’unnouveau modèle de gestion de l’emploi marqué parune accentuation de l’usage du diplôme commeindicateur d’un niveau de compétence générale(Verdier, 2001).

Malgré ces éléments, toute période passée en entre-prise peut-elle être considérée comme formatrice ?Une part importante de la littérature économiquerépond de façon affirmative, comme si naturellementl’expérience était formatrice. D’autres travaux sontplus mesurés. Ils relient l’expérience professionnelleà l’activité de travail et à son caractère éprouvant.L’adoption de ce point de vue retire au temps passéen entreprise son caractère systémiquement produc-teur d’apprentissages et transforme la questioninitiale qui devient : qu’est-ce qui rend l’expérienceformatrice ? À cet égard, l’objectif de notre contribu-tion est double. Il est, d’abord, de donner un éclai-rage factuel aux éléments de réponses apportés parles analyses théoriques. Ensuite, de montrer, sur labase du matériau empirique recueilli, que ce quicompte dans la production de l’expérience a aussi àvoir avec la représentation que l’on se fait de laportée formatrice du travail, représentation qui n’estpas indépendante des tensions employeur-employéqui caractérisent la relation salariale.

La première section de notre article rappelle lamanière dont est traitée la question de l’expérienceprofessionnelle dans la littérature économique. Elleindique également les choix méthodologiques quidécoulent du cadre théorique retenu. Les deuxsections suivantes présentent les éléments qui ressor-tent de l’exploitation du matériau empirique. Defaçon plus précise, la deuxième section indique lesdifférentes dimensions sur lesquelles l’individu estmis à l’épreuve et la nature de l’expérience produite.Dans la troisième section sont analysés les supportsqui comptent dans la production d’expérience. Enfin,dans la quatrième section, nous dépassons les pointsde vue exprimés dans le matériau empirique pour ensouligner les implications quant à la place de l’entre-prise dans le système de formation professionnelle.Cette analyse critique de la portée formatrice del’expérience professionnelle nous amènera finalementà nuancer le consensus en la matière.

FAIRE EXPÉRIENCE DU TRAVAIL : ÉLÉMENTS DE PROBLÉMATISATION

La littérature économique relative à l’expérienceprofessionnelle est abondante. Nous ne chercherons

2 Notons que les résultats des travaux étrangers corroborent ceuxdes analyses françaises. Cf. par exemple, Light (2001) ; Molitor etLeigh (2005).

Marie-Hélène Toutin est chargée d’études au centrerégional associé du Céreq de Lille. Elle est membre duCLERSE et travaille sur les questions de formation etd’apprentissage. Elle a publié avec B. Cart :« Correspondance entre formation et emploi : l'exempledes sortants de filière professionnelle de niveau bac »,Des formations pour quels emplois ? (sous la direction deJ.-F. Giret), en 2005.

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ici qu’à en délimiter les contours. Pour nombre detravaux économiques, le temps passé en entrepriseest synonyme, presque mécaniquement, d’expérienceprofessionnelle et d’apprentissages. En conséquence,la question de la production de l’expérience et de saportée formatrice est évacuée… puisque l’expérienceest formatrice. Une telle position tient sans doute, enpartie, au fait que ces travaux n’abordent pas l’expé-rience par le biais du travail. Pour saisir cette ques-tion et en comprendre les enjeux, il faut en effetrecentrer le propos sur l’activité de travail. Plusieursanalyses retiennent cette perspective et insistent surle fait que le travail met à l’épreuve les personnes enles confrontant à des situations qu’ils doiventdépasser.

L’expérience professionnelle comme boîte noire

L’expérience professionnelle occupe, dans les travauxdes économistes, une place singulière. Depuis lesanalyses pionnières de Mincer (1958), de nombreuxtravaux empiriques ont souligné son influence(Lemelin, 1998). Désormais, il s’agit d’une variableclassique pour l’économiste qui analyse le marché dutravail, variable qui pourtant a pour elle-même peususcité de réflexion de la part des économistes. Sonprocessus de production, c’est-à-dire l’analyse deséléments significatifs dans la production de l’expé-rience professionnelle, semble avoir peu retenul’attention. L’expérience est généralement assimilée àdu temps passé dans l’entreprise, à de l’ancienneté,qui naturellement produit des connaissances.

Cette assimilation nous semble caractéristique de lathéorie du capital humain (Becker, 1964 ; Mincer1958), mais aussi d’autres contributions majeures.C’est par exemple le cas de l’analyse d’Arrow (1962)lorsqu’il considère que l’apprentissage est « leproduit de l’expérience » (p. 155) et qu’il choisitcomme indicateur d’expérience les investissementscumulés, au motif que chaque nouvelle machinechange l’environnement de la production et susciteainsi de nouveaux apprentissages. De même, Rosen(1972b) note que l’hypothèse fondamentale est queles individus apprennent de leur expérience detravail, et fait dépendre les connaissances des quan-tités produites. Rosen (1972a) ainsi que Blinder etWeiss (1976) précisent que les firmes diffèrent dans

leurs capacités à produire de l’expérience. Ellesoffrent des opportunités variables de se former etd’accumuler du capital humain, bien que l’origine deces différences ne soit pas approfondie. Les explica-tions d’un tel positionnement à l’égard de l’expé-rience professionnelle sont sans doute multiples.D’une part, l’analyse du processus de production del’expérience, et d’une façon plus générale du capitalhumain, n’est pas toujours l’objet de ces travaux.Plus que ses origines, ils cherchent à comprendreles conséquences de l’expérience professionnelle.D’autre part, lorsque cette analyse est menée, ellereste marquée par une vision mécanique des phéno-mènes qui s’explique par l’influence, encore trèsprésente à l’époque, de la fonction de productionnéoclassique. Enfin, dans ces travaux, l’expérienceest analysée à travers le produit et plus rarement parle biais du travail, lequel, lorsqu’il est évoqué,renvoie là aussi, en partie à cause d’un effetd’époque, à une vision taylorienne.

Le travail comme activité qui éprouvePour une part importante, l’économie du travailmarque une rupture au tournant des années 70(Favereau, 1986). Les économistes entrent dans laboîte noire de l’entreprise. Celle-ci est désormaisreprésentée comme un système d’incitation et decontrats entre les différents protagonistes. On peutalors comprendre que, depuis, l’analyse de laproduction et notamment la production d’expériencesemble moins les préoccuper. Certains travauxcontinuent néanmoins de s’y intéresser, bien qu’ilsaient des objectifs et s’inscrivent dans des courantsde pensées différents. Ils abordent la question del’expérience et de sa portée formatrice en faisantplus explicitement référence que ne le font lesanalyses précédentes à l’activité de travail. Celle-ciest envisagée, d’une façon ou d’une autre, commeune activité à laquelle les personnes sont confron-tées, qui donc les éprouve c’est-à-dire qui est vécuepar eux comme une épreuve et qui peut susciter deleur part engagement, apprentissage et expérience.Si la catégorisation des analyses est une opérationdélicate, plusieurs d’entre-elles semblent toutefoisretenir cette dernière perspective.

C’est par exemple le cas de Stiglitz (1987), qui metl’accent sur la diversité des activités et souligne que

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cela se traduit par des phénomènes de complémenta-rités et d’externalités entre les différents apprentis-sages3. Flueckiger (1976) met en avant le fait quel’individu doit être confronté à une série de stimuliprovenant de son environnement pour enclencher unprocessus d’apprentissage, c’est-à-dire qu’il doit êtreconfronté à des situations nouvelles. Levy-Garboua(1994) a une vision assez proche lorsqu’il assimilel’apprentissage sur le tas à un processus de découvertepar lequel l’individu réalise successivement des expé-riences. De même, Foray (2001, p. 40) note que leprocessus d’apprentissage « est constitué en fait d’unesuite d’expériences non planifiées. Ces expériencessont elles-mêmes provoquées par l’apparition deproblèmes non anticipés au moment de la conception,ou bien de problèmes anticipés mais non résolus ».

Grasser (1996) et Chatel (2007) nous semblent allerencore un peu plus loin dans cette direction. Grassers’appuie sur les travaux de March et Simon (1958) etd’Argyris et Schon (1978). Il montre que lesprocessus d’apprentissage individuels et organisation-nels sont effectivement générés par l’activité detravail elle-même lorsque les individus sontconfrontés à des situations problématiques qui lesamènent à restructurer les règles et les schémas depensée en vigueur dans l’organisation. Dans la lignéede la philosophie pragmatiste de Dewey, Chatel liel’expérience au fait d’agir lorsque l’action ne va pasde soi, c’est-à-dire que les habitudes, les idées ou lesconnaissances des individus ne réussissent pas àconduire cette action à son terme. Pour continuer, ilsdoivent les mettre en question et les faire évoluer.Pour qu’il y ait expérience, il faut donc qu’il y aittrouble et dépassement du trouble. Mais l’expérienceprofessionnelle peut aussi être reliée à l’activité detravail en un autre sens. Par analogie avec l’opposi-tion classique qui structure l’économie de l’éducationentre théorie du capital humain et théorie du signal,Vincens (2001) fait en effet valoir que le caractèreéprouvant du travail peut, parallèlement à la produc-tion d’apprentissages, être un moyen de révéler àl’individu lui-même et à l’employeur ses qualités.

Une certaine proximité existe entre cette manière dontles analyses économiques appréhendent la question de

la production d’expérience professionnelle et sa portéeformatrice et la façon dont elle est traitée dans d’autresdisciplines. Par exemple, pour la psychologie cogni-tive, l’acquisition de connaissances résulte principale-ment d’un apprentissage par l’action en situation derésolution de problèmes. C’est en utilisant desconnaissances déjà acquises et en les confrontant à dessituations nouvelles et variées que ces connaissancess’améliorent et que de nouvelles s’acquièrent(Malglaive, 1996). « Une connaissance doit s’inscriredans les contextes situationnels, interactionnels etréférentiels de l’action pour être utilisée » (Toupin,1991, p. 309). Cette approche propose donc uneconception « active » des apprentissages réalisés ensituation de travail. Les salariés ne sont plus simple-ment considérés comme des « contenants » danslesquels on « déverse » des connaissances ou dessavoirs (Guile et Griffiths, 2001). Ils se saisissent desdifférentes ressources présentes dans l’environnementde travail pour développer leurs compétences.

Rentrer dans l’expérience professionnelle par le biaisde l’activité de travail, comme le font ces différentstravaux, revient à faire perdre à l’expérience soncaractère naturellement formateur. Celle-ci n’est plusle simple effet mécanique du temps passé à fairequelque chose mais un processus qui mobilise lapersonne dans une activité qui l’éprouve. Cette évolu-tion de la représentation de l’expérience profession-nelle, relativement à ce qu’elle était dans les premierstravaux cités précédemment, n’est sans doute pasindépendante de l’évolution du travail lui-même. Cedernier se limite de moins en moins à la réalisationd’un produit ou d’un service à travers des tâchesconnues et rationalisées. Il devient une activité quilaisse des marges de liberté, qui mobilise les initia-tives, la créativité dans un contexte marqué parl’incertitude (Stankiewicz, 2002). Mais cette évolu-tion pose aussi la question des éléments qui vontcompter dans la production d’expérience. Avant d’yrépondre, nous préciserons les choix méthodologiquesqui découlent de ce changement de perspective.

Mise à l’épreuve, évaluation et choix méthodologiques

Centrer l’analyse sur le caractère éprouvant dutravail revient à reconnaître que ce dernier déstabiliseles personnes ou les remet, en partie, en cause, c’est-

3 Par exemple, les apprentissages réalisés à un moment donné dansun domaine particulier favorisent les apprentissages ultérieurs,dans le même domaine ou même dans d’autres domaines.

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à-dire qu’il questionne l’évaluation qui est faite deleur qualité, de leur environnement et de soninfluence. En suivant l’économie des conventions, etd’une façon plus générale ce que Orléan (2002)nomme le « tournant cognitif » en économie, nousne considérerons pas que ce travail d’évaluationrelève d’un simple processus d’objectivation d’uneréalité cachée. L’évaluation est aussi l’expressiond’un jugement de valeur exprimé par l’évaluateur enfonction de la représentation qu’il se fait de ce quicompte. Il existe ainsi une diversité de façonsd’évaluer et de qualifier le travailleur, de définir cequ’est un « bon travailleur ». Le jugement s’inscritdonc dans un registre plus large où d’autres évalua-tions sont possibles, avec ce que cela peu comporterde conflictualité. Plusieurs travaux ont déjà montréle caractère fructueux de cette approche pourl’analyse du travail, notamment des pratiques derecrutement des entreprises (Dubernet, 1996 ;Eymard-Duvernay et Marchal, 1997 ; Salognon,2006). Nous la retiendrons pour traiter de la questionde l’expérience professionnelle. La mise à l’épreuvedu travail des jeunes constitue en effet un momentdécisif au cours duquel sont émis des jugements devaleur sur ces débutants.

D’un point de vue méthodologique, cette perspectiveinvite à la réalisation d’entretiens qui apparaîtcomme un outil privilégié pour saisir et analyser lesjugements et ce qui les fonde (Blinder, 1990 ;Bewley, 2002). Ces entretiens doivent alors êtrecompris comme l’expression d’une évaluation parti-culière qui peut ne pas correspondre à celle d’autrescatégories d’acteurs (ou du chercheur). Nous avonsfait le choix de réaliser des entretiens auprèsd’employeurs du secteur des services (cf. encadré 1).Leur point de vue nous semblait particulièrementpertinent dans la mesure où ils occupent les positionshiérarchiques les plus élevées dans l’entreprise. Lesdécisions de gestion qu’ils seront amenés à prendresur la base de leur évaluation auront donc une forceparticulière. De plus, le fait que les entretiens concer-nent les premiers contacts des jeunes débutants avecle monde du travail a incité les employeurs interrogésà expliciter leurs jugements et à les rendre plusintelligibles.

Les éléments qui ressortent de l’exploitation desentretiens sont présentés dans les deux sections qui

suivent. S’ils fournissent un contenu empirique àcertains arguments pointés par des travaux théo-riques, ils soulignent également combien l’évaluationréalisée par les employeurs de la portée formatricedes périodes passées en entreprise est influencée parla représentation qu’ils se font de l’activité de travail.C’est en effet sur la base de leurs croyances et deleurs représentations que les agents prennent leursdécisions et agissent, comme l’avait notammentsouligné en partie Spence (1973). Nous avons donccherché à dégager les différents points de vue et àcomprendre leur construction. Nous verrons ainsique ces représentations ne sont pas indépendantes dela dimension conflictuelle qui caractérise la relationde travail et des questions de partage de la valeur quis’y jouent.

LE CARACTÈRE ÉPROUVANT DU TRAVAIL ET SES DIMENSIONS

La période passée en entreprise et la mise au travailrevêtent, pour le lycéen ou l’apprenti, un caractèreéprouvant. Ils l’évoquent fréquemment et lesemployeurs le reconnaissent (Bailly, Chatel, Léné,2008). À l’analyse des entretiens, cette dimensionéprouvante et la nature de l’expérience qu’elleproduit apparaissent étroitement liées aux qualitésqui doivent, selon les employeurs, être mobiliséesdans l’activité de travail. Mais elles sont aussi dépen-dantes de leur croyance ou de la représentation qu’ilsse font du caractère « apprenable » ou non de cesqualités. Des entretiens, trois types de qualitésressortent. Le premier type concerne la dimensiontechnique du travail. Le deuxième porte sur sadimension sociale, c’est-à-dire sur la capacité à inté-grer un collectif de travail et à en saisir les normes etvaleurs. Ces deux premiers types de qualités sontconsidérés par l’ensemble des employeurs commepouvant s’apprendre. Le dernier ensemble de qualitésporte sur la dimension relationnelle et comportemen-tale de la personne au travail. Au contraire des précé-dentes, ces qualités sont perçues par certainsemployeurs comme ne pouvant pas ou peus’apprendre. L’épreuve du travail ne ferait ainsi querévéler des qualités considérées par les employeurscomme inscrites dans les personnes.

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La dimension technique et socialisatrice du travail et l’apprentissage des qualités

L’épreuve concerne d’abord la maîtrise technique dutravail. Cette première dimension est assez immé-diate. Elle se retrouve dans les trois secteurs étudiés.Il s’agit pour le jeune de maîtriser le plan et lesopérations comptables, les règles juridiques, les logi-ciels spécialisés, de connaître la mise en rayon desproduits, la tenue des cadenciers, le fonctionnementdes réserves, de savoir s’adresser au client, d’enre-

gistrer les réservations, les encaissements, le traite-ment des objections et remboursements ou bienencore de connaître la disposition des couverts, lesassociations de mets et de vins.

Selon les employeurs des trois secteurs, ces connais-sances ne peuvent s’acquérir que sur le terrain. Ellesconstituent les bases du métier qui, par leurs compo-santes spécifiques, viennent compléter les savoirsscolaires : « à l’école c’est de la base, c’est vraimentla base et une fois qu’ils sont en entreprise c’est làqu’ils apprennent plus de choses en fait, c’est sur le

Encadré 1

Méthodologie

Les résultats exploités ici proviennent d’une réponse à l'Appel à Projet de recherche Action Concertéed’Initiative « Éducation et formation : contextes et effet ». Ce travail vise à évaluer dans quelle mesure lespériodes de stage (pour les formations scolaires) ou d’apprentissage (pour les formations en alternance)permettent de faire expérience. Sont étudiées les formations des baccalauréats et BTS (brevet de techni-cien supérieur) tertiaires des spécialités « commerce », « hôtellerie-restauration » et « comptabilité ». Lechoix de spécialités tertiaires se comprend, en premier lieu, par l’importance des activités de servicesdans l’emploi total et le gisement d’emplois qu’elles représentent (Gadrey, 2003), en second lieu, par lefaible intérêt qui leur a été accordé, au contraire des formations industrielles plus fréquemment étudiées.Nous avons utilisé des entretiens réalisés auprès de salariés et d’employeurs de la région Parisienne, dela Haute-Normandie et du Nord-pas-de-Calais. Nous présentons ici les résultats de l’exploitation des25 entretiens réalisés auprès des employeurs. Les entreprises contactées ont été tirées de façon aléatoiredans les fichiers Siret de l’Insee. Ces entretiens semi-directifs se sont déroulés sur le lieu de travail de lapersonne interrogée sur les années 2005-2006-2007. D’une durée d’une heure en moyenne, ils ontporté sur trois thèmes principaux : (i) l’emploi exercé par le jeune accueilli en stage ou en apprentissageet les qualités qu’il requiert : (ii) le sens donné par les employeurs à l’expérience et les avantages qu’elleprocure selon eux ; (iii) les raisons pour lesquelles les employeurs accueillent les jeunes des formationsenquêtées et les avantages et inconvénients qu’ils trouvent à la formule du stage ou de l’apprentissage.De façon complémentaire, nous avons également utilisé certains des 21 entretiens réalisés pour uneprécédente recherche (Bailly, 2004).Les personnes interrogées occupent des positions hiérarchiques (expert-comptable, chef de rayon, res-ponsable des ressources humaines, ou directeur d’hôtels-restaurants) qui leur confèrent un rôle de premierplan dans le choix et l’accompagnement des stagiaires ou des apprentis et, le cas échéant, de leur recru-tement. Ces personnes sont majoritairement des hommes. Dans la grande distribution, les interviewés ontun niveau bac, complété parfois par un cursus dans une école de commerce spécialisée dans la distri-bution ou un BTS. Une seule personne interrogée possède un CAP (certificat d’aptitude professionnelle).Dans l’hôtellerie-restauration, la diversité des parcours est plus importante : certains interviewés ont unCAP, alors que d’autres possèdent un BTS spécialisé dans ce secteur, une maîtrise d’anglais ou undiplôme d’ingénieur. Enfin, dans le secteur de l’expertise comptable, les interlocuteurs avaient tous suivides études supérieures (de niveau au moins égal au BTS et diplômes spécialisés) ; l’un d’entre eux avaitle niveau bac et avait complété sa longue expérience professionnelle par de la formation continue.

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terrain qu’ils apprennent plus de choses parce qu’àl’école on voit bien le programme c’est vraimentglobalisé (…) » (Mme CB, directrice, hôtellerie-restauration). Ce rôle de complément se justifie pardes raisons techniques. Par exemple, il s’explique parla différence entre les logiciels utilisés à l’école etceux qui le sont dans les entreprises ou par l’évolu-tion rapide de la réglementation qui ne permet pasune mise à jour en temps réel des programmesscolaires. Il se justifie également par l’irréalisme del’enseignement lui-même qui, par nature, est endehors de la « vraie » vie au travail. « Le stagiaire nefait pas la relation entre l’enregistrement des travauxà l’école et la matérialité des pièces » ; « Un avoir,un relevé de banque, ça se prend dans quel sens ?C’est la réalité d’un bac pro, c’est la réalité d’unBTS, c’est la réalité d’un DECF (diplôme d’étudescomptables et financières), c’est la réalité de toutétudiant qui n’a pas vu de véritable documentd’entreprise » (Mme CX, expert-comptable). De cepoint de vue, certains employeurs, notamment dansl’hôtellerie-restauration, regrettent que les ensei-gnants des lycées n’aient pas exercé ou n’exercentplus le métier qu’ils enseignent.

Mais les connaissances dont sont porteuses lespériodes en entreprises ne se limitent pas à la seuledimension technique du travail. Les entretienssoulignent en effet l’importance de la dimensionsocialisatrice. Celle-ci s’exprime, dans les troissecteurs, par l’apprentissage du respect de la hiérar-chie et des règles de fonctionnement de la vie collec-tive et des horaires, notamment lorsqu’ils sontatypiques comme dans la grande distribution etl’hôtellerie-restauration : « Et puis, plus de rigueur,plus de règles en commun ; c’est ça qui leur paraîtpeut-être plus dur par rapport à l’école. Je ne dis pasqu’il n’y a pas de règles à l’école mais nous vis-à-visdu client on est obligé d’imposer plein de choses, latenue vestimentaire, l’hygiène, la propreté, bien sûrles horaires vis-à-vis des collègues quand ils sont enretard, je ne peux pas me le permettre puisqu’onouvre le magasin à des heures précises et puis si on lepermet à une personne c’est la foire d’empoigne… »(M. PJ, directeur, grande distribution) Le fait d’êtreplacé en situation de travail permet donc au jeune demieux comprendre le monde de l’entreprise, sa façonde fonctionner et d’intérioriser sa culture (ses objec-

tifs, ses valeurs, son langage…) et cette intégrationest le point d’aboutissement d’un processus qui seconstruit et s’apprend dans l’entreprise.

La dimension relationnelle et subjective du travail et la révélation des qualités

Dans la grande distribution et l’hôtellerie-restauration,comme dans d’autres activités de services, la figuredu client occupe une place centrale (Ughetto et alii,2002). Les exigences des employeurs relatives à desqualités subjectives (personnalité, comportement) ensont une expression. Agulhon (2003) pointe ainsiqu’aucune des petites annonces des professionnels del’hôtellerie-restauration n’est exempte d’injonctionsconcernant les capacités relationnelles, l’enthou-siasme ou la convivialité. Ces éléments se retrouventégalement dans nos entretiens : « Les autres qualités,ce sont plus des qualités comportementales, desqualités qu’on a naturellement, c’est évidemment : lapolitesse, la ponctualité, être serviable. Dans notremétier, une qualité essentielle c’est d’être, d’aller au-devant de ce que peut désirer la personne. Donc c’estquand on voit un fumeur en face de nous, lui tendreun cendrier, c’est quand on voit une corbeille videsur une table, remettre du pain avant qu’ondemande, sentir dans le regard d’un client le mécon-tentement ou l’attente, quelqu’un qui est en attentede quelque chose café, ou même l’addition, tout çac’est du ressenti. Il faut avoir une attitude de service,c’est tout. » (M. AF, directeur, restauration)

Contrairement aux qualités techniques et de socia-lisation précédemment évoquées, les qualités rela-tionnelles sont perçues par les employeurs de cessecteurs comme étant peu susceptibles de s’apprendre.Il y a certes une composante technique (liée notam-ment aux techniques de communication), mais cesqualités relationnelles dépendent avant tout, seloneux, de caractéristiques que les personnes possèdenten elles. En ce sens, elles relèvent d’une logique denaturalisation ou d’incorporation, qui les place endehors de toute forme d’apprentissage, comme l’ontégalement pointé d’autres travaux (Bellier, 1998 ;Gadrey, Jany-Catrice, Pernod-Lemattre, 2003). Cesqualités sont analysées par les employeurs en termesde « sensibilité », de « tempérament », de « on est

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fait pour ça » ou de « fibre ». « Aussi c’est évidentil faut une fibre. Je pense qu’on a ça en soi. Il y ades gens qui sont très charismatiques et lecommerce c’est ça ils sont à l’écoute, des fois cen’est pas évident et puis voilà c’est naturel. (…)Ensuite évidemment il y a l’apparence, y’a l’élocu-tion, il y a… la propreté mais bon tout ça ce sontensuite des qualités naturelles. Quelqu’un qui n’apas tout ça à la base de toute façon ne fera pas cemétier… » (Mme P.P, directrice adjointe, hôtellerie-restauration).

L’épreuve de la mise au travail est alors explicite-ment vue comme un moyen de révéler ces qualités« Et là l’intérêt (de la période en entreprise), c’estque pendant ces deux ans, ils voient ce que c’est, ilssavent si ça leur plait. Il faut, on est fait pour ça ouon n’est pas fait pour ça (…) Il y a, on sent déjà lesgens, les stagiaires qui ont cette sensibilité. (…) lestage permet au jeune de mesurer son intérêt pour lemétier et de voir s’il a ou non la fibre commerciale »(Mme MP, responsable des ressources humaines,grande distribution). Dans la comptabilité, la situa-tion est différente. D’une part, les qualités relation-nelles sont moins présentes, au moins au niveau despostes qu’occupent les lycéens et apprentis desformations que nous avons étudiées. D’autre part,ces qualités sont considérées comme pouvants’apprendre : « on a besoin d’un certain senscommercial, ça c’est vrai que c’est pas inné, et çal’est d’autant moins sur les gens qui se dirigent versla comptabilité, nous sommes de très mauvaisvendeurs. Donc quelqu’un qui est bon vendeur encompatibilité c’est excessivement rare, tout simple-ment parce qu’il faudrait purement et simplementune formation de commercial, que l’on n’a pas àla base dans toutes les formations comptables. »(M. LN, expert-comptable)

SURMONTER L’ÉPREUVE DU TRAVAIL GRÂCE AUX SUPPORTS DE L’EXPÉRIENCE

Les éléments précédents relativisent l’idée d’uneexpérience nécessairement formatrice. Ils corro-borent, de ce point de vue, la distinction opérée par

Vincens (2001) entre l’expérience-acquisition etl’expérience-révélation. L’expérience peut en effetêtre vue par les employeurs comme la révélation dequalités qu’ils considèrent être déjà là. Mais au-delà,la littérature souligne aussi toute la complexité duprocessus, non systématique, qui va du travail auxapprentissages. La production d’expérience est eneffet influencée à la fois par les caractéristiques de lapersonne et le contexte productif (Grasser et Rose,2000). Outre la volonté de la personne et son engage-ment, l’aptitude à se former sur un poste de travailn’est en effet pas indépendante de la formation dutravailleur. En raison d’effets de complémentarité, onpeut penser que l’expérience est d’autant plus aisée àacquérir que la formation initiale a été élevée et queles capacités d’apprentissage de la personne sontimportantes.

À cela s’ajoute le fait que le contenu et le moded’acquisition de l’expérience professionnelle varientselon les situations de travail. Toutes les configura-tions productives ne sont pas équivalentes du pointde vue des apprentissages qu’elles suscitent. Lepotentiel didactique des situations de travail varied’une entreprise à l’autre (Ashton, 2004). Koike(2002) a ainsi comparé le processus de formation descompétences dans différents types d’organisation. Ilmontre que l’organisation du travail peut favoriser lamise en rapport des différents savoirs lorsque lesactivités sont intégrées. La répartition et le chevau-chement des responsabilités entre les membres del’équipe facilitent la détection, la correction et l’utili-sation pédagogique des erreurs. La productiond’expérience peut ainsi être intensifiée par le travailen équipe où la coopération est la règle. Par opposi-tion, un environnement de travail fractionné et cloi-sonné limite la circulation de l’information et réduitles interactions et les rétroactions. Il est donc de laresponsabilité des organisations qui accueillent desdébutants de penser à la façon dont l’environ-nement de travail peut faciliter les apprentissages(Guile et Griffiths, 2001). La pratique doit être struc-turée et accompagnée. Le « guidage de l’activité » ou« l’exposition accompagnée à la variété » appa-raissent comme des éléments particulièrementimportants (Savoyant, 1996). Cela est vrai pourl’acquisition des compétences « techniques » maiségalement pour la transmission des normes et des

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valeurs de l’organisation qui peut être formalisée ouinstitutionnalisée (Baker et Feldman, 1990)4.

Nous retrouvons une partie des éléments pointés parces analyses dans les entretiens réalisés auprès desemployeurs. Ces derniers mettent en avant le faitqu’il faut organiser l’activité de travail et que lepassage de l’épreuve est influencé par la formationinitiale reçue. Les employeurs insistent égalementsur l’implication du lycéen ou de l’apprenti. Mais leregard que portent les employeurs sur ces différentssupports de la production d’expérience laisse trans-paraître les tensions qui traversent la relation detravail. En particulier, l’accent mis sur l’implicationdu jeune débutant tend à faire perdre de vue auxemployeurs leur propre responsabilité.

Organiser les activités pour surmonter l’épreuve

Les employeurs interrogés reconnaissent et revendi-quent leur responsabilité dans la transmission desconnaissances techniques et des valeurs du monde del’entreprise. La mise en forme des tâches et des acti-vités pour le jeune accueilli s’inscrit dans cette pers-pective. Cette « didactisation » de la situation detravail est très présente dans l’hôtellerie-restauration.On guide, on accompagne, on encadre le lycéen oul’apprenti pour l’amener progressivement au travailtel qu’il devrait être fait : « Faire les simulations etles jeux de rôles… je suis la cliente… là aussi ils sontau fait, c’est-à-dire qu’on leur apprend le posted’accueil de l’hôtel : se présenter à tout le monde,accueillir des clients, faire les encaissements »(Mme PP, directrice adjointe, hôtellerie-restauration) ;« j’en ai consacré des samedis après-midi d’hiver àles former et tout ça. (…) puis après c’est en nous,c’est en étant là avec nous » (Mme CB, directricehôtellerie-restauration). Dans la grande distribution,la situation est assez similaire.

Mais pour les employeurs de ces deux secteurs, lanécessité de « didactiser » le travail s’arrête là où

commence leur croyance dans le caractère natureldes qualités. Puisqu’une partie du travail est consi-déré par eux comme prenant appui sur une fibre déjàlà, il n’est pas organisé dans une logique d’apprentis-sage. « Je veux dire ça ne peut pas s’apprendre quoi,faut l’avoir au fond de soi » (M. RT, directeur,grande distribution). La réalisation correcte du travailvient alors en quelque sorte naturellement… enmême temps qu’elle révèle ces qualités : « Et puis lafibre ou on aime faire un beau rayon, un beau facinget mettre des étiquettes comme il faut, là déjà on sentqu’il y a quelque chose qui va aller vers le client. »(Mme RP, responsable formation, grande distribu-tion) Pour les experts-comptables, la croyance enl’apprentissage des qualités modèle l’ensemble de laprofession (Bailly, 2008). Mais de façon paradoxale,la nécessité d’une organisation didactique de l’acti-vité de travail est peu explicite dans leurs entretiens.Outre la structuration et l’organisation du travail etde l’activité comptable qui, de façon évidente, faci-litent les apprentissages, cela tient au fait que toutesituation de travail est vécue par les experts-comptables comme une situation d’apprentissage,source possible d’évolution des qualités despersonnes : « Ce n’est pas parce qu’il (le bachelieren stage) avait des faiblesses qu’elles étaient défini-tives. Vous savez moi j’ai coutume de dire que l’expé-rience c’est la somme des erreurs qu’on a pu faire. »(M. C, expert-comptable)

Au-delà de l’organisation didactique de l’activité detravail, d’autres conditions doivent être rempliespour que l’activité soit formatrice ou révélatrice. Lesemployeurs des trois secteurs soulignent l’impor-tance de la variété des situations rencontrées. Ainsi,dans la grande distribution : « si on n’a pas vécu aumoins un Noël et un Paques et je dirais, une saisonaussi d’été (…), on n’a pas une formation complèteje dirais, de la saisonnalité, qui est quand mêmehyper importante » (M., LG, directeur, grande distri-bution) Dans l’hôtellerie-restauration, cette variétés’exprime à travers la saisonnalité, comme dans lagrande distribution, mais aussi par la diversité desétablissements fréquentés et leur qualité. Dans lacomptabilité, les périodes en entreprises sont égale-ment jugées trop courtes par les employeurs. Elles nepermettent pas de suivre les dossiers dans le temps etde comprendre la logique comptable qui les organise.

4 Il faut noter que la capacité inhérente de l'organisation à motiverles individus affecte également l'efficacité de l'apprentissage. Danscertaines organisations, plus que dans d'autres, les individus sontencouragés à apprendre : quand les connaissances sont visiblementutiles dans l'activité de travail et que les individus ont des opportuni-tés de se rendre compte de la valeur, en termes économiques, de cequ’ils apprennent.

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Enfin, les employeurs insistent, particulièrement dansla grande distribution et l’hôtellerie-restauration, sur lefait que les situations vécues en stages doivent serapprocher le plus possible des situations auxquellesles jeunes seront confrontés dans leur activité profes-sionnelle, une fois recrutés. C’est à ce titre que lesemployeurs de l’hôtellerie-restauration portent unregard critique sur la législation qui encadre lesconditions de travail des apprentis ou stagiaires :« Non parce que pendant les stages, ils travaillent dulundi au samedi. Le dimanche ils n’ont pas le droitde travailler, les stages vous ne travaillez pas, voustravaillez sur les jours ouvrables, donc ça ne peutpas leur permettre de se rendre compte. Tout ce quiest jours fériés, ils ne travaillent pas. Quand ilsviennent en stage juillet et août, le quatorze juillet etle quinze août ils ne travaillent pas. » (Mme CB,directrice, hôtellerie-restauration)

L’influence de la formation initiale

Pour certains employeurs, la formation initialepermet de faciliter le dépassement de l’épreuve quereprésente le travail. Son influence se retrouve àplusieurs niveaux. D’abord, la formation initialepermet de mieux organiser le travail et signale unecapacité d’adaptation. Cela confère également unecapacité à prendre de la distance et permet une visionplus large des problèmes. Par exemple, dans l’hôtel-lerie, les titulaires d’un diplôme de niveau BTS pour-ront être privilégiés : « Les BTS ont, globalement, onva dire, une meilleure ouverture d’esprit, globale-ment, après les personnalités restent. Mais deux outrois années d’études, ne serait-ce qu’au niveau desdifférentes matières, au niveau de la réflexion, çajoue. (…) Quelqu’un qui fait des études, il vas’adapter n’importe où. » (M. PS, directeur, hôtel-lerie) Ce sont également des personnes qui sontsupposées être capables de conduire de façon auto-nome leurs apprentissages, en allant rechercher elles-mêmes les informations ou les ressources néces-saires. Cela apparaît a contrario lorsque ce manqued’autonomie est dénoncé par les employeurs : « Jepense que dès le départ il y a un manque de cultureau sens large du terme, c’est-à-dire de capacité àchercher dans les bouquins, à essayer de trouverl’information quelque part, à se poser des questions,(…) c’est-à-dire de l’incapacité à un instant donné

d’utiliser les moyens dont on dispose tant enressources externes qu’en ressources internes à lalimite pour solutionner un problème, d’une façongénérale. » (M. BC, expert-comptable) Enfin, uneformation plus longue confère une base, un socle deconnaissances qui leur permet d’apprendre plus vitepar la suite.

Toutefois, ce type de position ne se retrouve pas chezl’ensemble des employeurs. Le plus souvent, il s’agitde responsables qui, eux-mêmes, ont fait des étudessupérieures (type BTS par exemple) et qui rationali-sent leur propre parcours a posteriori. Il s’agit égale-ment d’entreprises mettant en œuvre une politique derecrutement et de gestion des carrières spécifique.Ainsi, dans les chaînes hôtelières, les postes àresponsabilité (gérant d’hôtel) sont attribués exclusi-vement à des jeunes ayant suivi ce type de formation.On peut sans doute voir là les effets de la haussegénérale du niveau de diplôme sur le discours desemployeurs, notamment des plus jeunes générations.Malgré l’importance de la formation initiale,l’implication et la motivation individuelle restent,selon les employeurs, deux des critères essentielspour dépasser les épreuves. Cette caractéristique esttrès présente dans le commerce ou l’hôtellerie-restauration, mais également dans la comptabilité.

L’implication au travailEn plus des éléments précédents, les employeursinsistent en effet fortement sur la nécessité, pour lejeune, de s’impliquer afin de surmonter l’épreuvedans ses différentes dimensions. Pour l’employeur,cette implication s’entend comme un dépassementqui consiste à aller au-delà de ce qui est demandéexplicitement. Ainsi, par exemple, il ne s’agit passeulement pour le jeune de vouloir apprendre, il doitvouloir en apprendre plus : « il était bouffeur deformation, il restait l’après-midi sans arrêt pour voirdes choses, il était passionné de décoration de… ilétait très bon en salle, je lui ai donné tout ce que jepouvais lui donner à ce jeune là et il a fait des chosesqu’il aurait pas dû faire dans le terme de son contratd’apprentissage (…) (M. AF, directeur, restauration).Cela doit même amener le jeune à une certaine abné-gation qui consiste à faire corps avec l’entreprise :« Qu’ils se fondent complètement dans l’entreprisec’est-à-dire qu’ils n’aient pas d’exigences, ni

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d’horaires, ni de forces enfin je veux dire qu’ilssoient capables d’accepter tout ce qu’on leurdemande de faire, qu’ils disent pas “Oh bah ça nonça je ne veux pas faire” c’est surtout ça. » (M. LB,directeur, hôtellerie)

L’accent mis par les employeurs sur la nécessaireautonomie du jeune est une autre facette de cetteexigence d’implication. Les entreprises attendent eneffet de plus en plus de leur personnel non seulementqu’il réalise des activités déterminées selon desmoyens définis, mais qu’il mette en œuvre sa capacitéd’adaptation aux changements et qu’il mobilise sonpotentiel d’initiative (Stankiewicz, 2002), ce qui setraduit par des exigences accrues en termes d’auto-nomie ou de responsabilité. C’est notamment le casdes salariés débutants qui sont très souvent renvoyés àeux-mêmes. Il leur est explicitement demandé d’êtreacteur de leur formation, d’exprimer leurs besoins,voire de construire leur parcours. Lorsque le jeune nejoue pas ce rôle, il est considéré comme n’étant passuffisamment motivé. Au contraire, lorsqu’il posetrop de questions, sollicite trop son tuteur oun’apprend pas assez vite, il lui est reproché de ne pasêtre assez mature, assez autonome, comme cette jeunefille considérée comme pas assez adulte ou tropétudiante : « Moi honnêtement j’ai énormément demal à lui faire comprendre qu’elle est adulte, qu’elleest employée chez X. et qu’elle me doit des comptes etqu’elle doit être là. Je trouve qu’ils restent tropgamins quoi (…) Bah… ça n’arrive pas motivé déjà,ça n’arrive pas très motivé et c’est très dépendant.Là, on finit la première année et honnêtement avecelle je n’ai pas encore pu aborder du tout ce qui estgestion. On n’y est pas, on n’a pas du tout attaqué ça,on en est encore à la marchandise. Et je vois là …elleest revenue ce matin, elle est encore en train de medemander des choses qu’on a déjà abordées. Pasadulte, pas adulte. Bon c’est peut-être la personne quiest comme ça. » (M. XL, responsable textile, grandedistribution) Cette « sur-implication » devient en elle-même une qualité attendue au même titre que cellesrelatives à la maîtrise technique du travail, à sadimension socialisatrice ou relationnelle et commecette dernière, elle est souvent considérée commenaturelle par les employeurs. Cette « vertu » seraitune caractéristique propre de la personne, un élémentde sa personnalité.

Dans ce contexte, le rôle de signal que jouent, aumoment du recrutement, les premières expériencesprofessionnelles ne s’inscrit pas (ou pas seulement)dans une logique de transférabilité d’un savoir-faireou de connaissances acquises ailleurs. Il permet ausside déceler chez les jeunes la capacité à s’impliquer, àaccepter des conditions de travail difficiles oupénibles. « Quand on reçoit les curriculum vitae, onregarde ce qu’ils ont déjà effectué comme stage.C’est la pénibilité du stage, si vous voulez, qui nouspermet de voir si le jeune c’est quelqu’un qui en veut,ou qui en veut pas. Je dirais même quelqu’un qui n’apas fait un stage dans la distribution mais qui vaavoir choisi une entreprise où on sait que le travail,là-bas, ce n’est pas quelque chose de facile, ça peutêtre un travail à la chaîne, vous voyez ce genre dechoses, celui qui va avoir fait cette démarche en inté-grant le monde du travail, nous convient parfaite-ment. (…) Le fait d’avoir travaillé en usine eh bienc’est du travail posté, ça veut dire que la personneelle est prête à travailler à n’importe quelle heure,voyez-vous ? C’est ça en fait et pour nous c’est le faitd’accepter certaines contraintes, si vous voulez, quinous permet nous de nous dire celui-là c’estquelqu’un qui en veut, c’est quelqu’un qui a comprisque dans le travail il faut se donner. » (Mme. L,responsable des ressources humaines, grande distri-bution) L’expérience est donc une mise à l’épreuved’où seuls les jeunes les plus vaillants et qui fontpreuve d’une réelle abnégation émergeront.

Ces exigences de « sur-implication » exprimées parles employeurs ont une contrepartie. Ces dernierstendent en effet à faire porter sur le seul jeune laresponsabilité de l’issue de l’épreuve. Si le lycéen oul’apprenti surmonte l’épreuve, c’est qu’il a su fairepreuve de vaillance et si échec il y a, la responsabilitélui en incombe également. Mais dans tous les cas, lesmanquements des employeurs sont rarement évoquésdans les entretiens. Lorsqu’ils le sont, ils font réfé-rence aux comportements… d’autres employeurs :« sinon il y a certains patrons qui abusent toujours.On voit bien des stagiaires qui sont malheureux. Moij’en ai récupéré un une année, un été, qui était fran-chement exploité pendant deux semaines. Il étaitcarrément exploité. On nous l’a renvoyé ici poursauver la face. » (Mme CB, directrice, hôtellerie-restauration)

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LES ENJEUX DE LA PRODUCTION D’EXPÉRIENCE POUR LA FORMATION DES JEUNES

Nous avons ainsi tenté de caractériser, à partir del’exploitation d’entretiens réalisés auprès d’em-ployeurs, ce qui compte, selon ces derniers, dans laproduction de l’expérience professionnelle. On anotamment souligné la place des croyances ou desreprésentations des employeurs à l’égard du caractèreapprenable ou non des qualités et l’accent qu’ilsmettent sur l’implication des jeunes. Au-delà desconséquences théoriques – mieux définir le conceptd’expérience et sa « fonction de production » – ceséléments, parce qu’ils ont des influences sur les prati-ques de gestion effectives des entreprises, montrentcombien le déplacement de la formation vers l’entre-prise peut être problématique pour la formationprofessionnelle (Agulhon, 2002). Trois pointspermettront de l’illustrer. Le premier questionne lacapacité de l’entreprise à être un lieu de formationrelativement aux tensions qui la traversent. Le secondconcerne la reconnaissance professionnelle desqualités qui en découle. Enfin, le troisième porte sur laplace de l’entreprise dans le système de formation.

Les contradictions de l’entreprise comme lieu de formation

Les employeurs du commerce et de l’hôtellerie-restauration considèrent qu’une partie des qualités autravail ne s’apprend pas. Elles seraient incorporéesen quelque sorte dans les personnes. On l’a signalé.Or si ces qualités sont considérées comme pouvants’apprendre, l’employeur est plus enclin à endosserle rôle de formateur que si, de manière explicite ounon, il privilégie l’idée de naturalisation de cesqualités. L’entreprise se trouve alors interrogéecomme lieu de formation : n’est-il pas paradoxal,d’un côté, de mettre en avant le rôle de l’entreprisecomme élément essentiel de la production desqualités au travail, ce que font les employeurs, et del’autre, de le nier lorsque la naturalisation decertaines de ces qualités est affirmée ? Ce paradoxeapparaît d’autant plus marqué que certaines desqualités jugées comme naturelles par les employeurss’apprennent. C’est le cas presque caricatural de la

propreté, de la politesse ou de l’élocution, pourreprendre des exemples cités dans les entretiens. Onpourrait aussi faire valoir qu’il existe des formationsportant sur le comportement de vente, le manage-ment, la communication, etc.

Cette contradiction apparaît également dans latendance des employeurs à faire porter le résultat del’activité de travail sur le seul jeune en formation : ildoit être capable de se sortir par lui-même desépreuves auxquelles il est confronté. De ce point devue, le jeune en formation n’échappe pas au phéno-mène de dévolution qui amène l’individu à se sentir,toujours et partout, responsable de ce qui lui arrive etde ce qu’il fait (Martuccelli, 2002). Au-delà de nosentretiens, la figure de « l’apprenti autonome »,décrite par Dubrion (2006) dans son étude portant surles dispositifs d’évaluation des apprentis dansl’enseignement supérieur, en serait une autre illustra-tion. Les critères d’appréciation utilisés pour rendrecompte de la qualité du travail réalisé par l’apprentiportent sur sa personnalité. Ils mettent en avant descomportements qui ne concernent pas tant ce que faitle jeune en termes de tâches à exécuter que ce qu’ilest, à travers des notions comme l’implication, lesens des responsabilités, l’équilibre personnel ou larésistance physique et psychologique.

L’accent mis par ces employeurs sur la naturalisationdes qualités, sur la personnalité de l’individu et saresponsabilité, peut en partie être relié à ce quidéfinit, dans le commerce et l’hôtellerie-restauration,la professionnalité, c’est-à-dire la capacité à établirun « bon » rapport au client dans un face-à-face sansintermédiaire, où deux subjectivités se rencontrentpour aboutir à un service personnalisé (Hanicotte,2008). Mais une telle position – et c’est un autreaspect des contradictions des employeurs – revient àminorer la technicité du travail au profit de qualitésrelationnelles ou comportementales et ainsi le rôle del’entreprise comme ressource du processus d’appren-tissage du jeune et de construction de sa qualité(Lichtenberger, 2007) : l’organisation est simplementconsidérée comme une donnée à laquelle le jeunedoit s’adapter. Plusieurs travaux (Combes, 2002 ;Grando et Sulzer, 2003) ont toutefois soulignéqu’avant de nouer une relation de service (et durantune telle relation), le salarié doit faire preuve de tech-nicité. Si la prise en compte de la relation au client

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est utile, elle ne peut intervenir qu’en second rang.Le salarié doit d’abord maîtriser un certain nombrede ressources (des outils, des matériaux, desprocédés) qui relèvent de savoirs et de savoir-fairetechniques, de la connaissance de l’entreprise, de sonmode de fonctionnement, de sa hiérarchie qui, aufinal, impliquent véritablement l’organisation. Deplus, ces registres de technicité varient d’une activitéà l’autre et entretiennent des relations différentes auxdiverses modalités d’apprentissage (Grando etSulzer, 2003). Dans le commerce et l’hôtellerie,même si les registres que les auteurs nomment« technicité industrielle » ou « procédurale » sontprésents (maîtrise de logiciels, de procédures deréservation, de technique de présentation, de réassort,d’approche du client…), les employeurs restent trèsmarqués, dans leur approche de la professionnalité,par des registres de technicité qualifiée de« domestique » par Grando et Sulzer, qui relèvent dela personnalité de l’individu. Cette technicité est enquelque sorte « immédiate ». Cela amène lesemployeurs à minorer leur rôle dans le dévelop-pement de la professionnalité des débutants etcontribue à évacuer hors de l’entreprise les questionsrelatives à la formation de ces qualités. Par opposi-tion, la comptabilité est largement structurée par unetechnicité procédurale et disciplinaire (un corpus deconnaissance et de règles à connaître). Elle requièredes apprentissages longs et coûteux, élémentlargement reconnu par les employeurs.

La reconnaissance professionnelle et le rôle formateur de l’entreprise

Au-delà de la relation au client, les éléments pointésprécédemment, notamment l’accent mis sur l’impli-cation, peuvent aussi s’expliquer par les processusde socialisation et les modèles de réussite sociale envigueur dans les secteurs du commerce et del’hôtellerie-restauration. Ces activités sont en effetmarquées par la figure idéalisée de l’entrepreneur,c’est-à-dire de l’individu, capable de prendre desrisques, responsable de lui-même, ayant le goût del’effort et qui « s’est construit tout seul », commel’illustrent les exemples donnés par les employeursde la grande distribution : « Mon dernier magasin,c’était à Rouville et j’avais mon directeur qui avaitcommencé comme employé à la boucherie » (Mr B,

responsable de rayon, grande distribution), ouencore : « Quand il a commencé, il poussait lescaddies, maintenant il est directeur d’un des plusgros magasins de France. » (Mme RP, responsableformation, grande distribution) De même, dansl’hôtellerie-restauration, l’indépendance juridiquereste un modèle important de réussite profes-sionnelle : créer, diriger et être le propriétaire de sonaffaire est une représentation du professionnel quicontinue de faire référence dans ce secteur d’activité(Hanicotte, 2008)5.

Mais le discours des employeurs n’est sans doute pasnon plus indépendant de la reconnaissance profes-sionnelle entendue en un autre sens et qui concerneles questions salariales. D’une part, considérer,comme le font certains employeurs, qu’il existe desqualités qui ne s’apprennent pas et que l’expérience aune fonction de révélation de ces dernières, ne lesamène-t-il pas à une moindre reconnaissance de cetteexpérience et de ces qualités, précisément parcequ’elles sont considérées comme naturelles (Combes,2002) ? L’insistance des employeurs, telle qu’elleressort des entretiens, à considérer que l’expérienceacquise en apprentissage ou en stage ne peut suffire àrendre les futurs salariés directement opérationnels etqu’elle doit être complétée par une expérience profes-sionnelle ultérieure pose le même type de question.D’autre part, en considérant que certaines caractéris-tiques sont naturelles, les employeurs se désengagentde leur transmission (ou non transmission) et du coûtque cela représente, en en reportant la responsabilité(et le coût) sur d’autres, l’école, la famille notam-ment, comme ils le reconnaissent parfois : « La moti-vation honnêtement, non, je ne pense pas. On l’a ouon l’a pas, après je pense que c’est… une questiond’éducation, et d’état d’esprit, malheureusement… aujour d’aujourd’hui on a beaucoup de jeunes qui sontdes enfants rois… » (M. AA, directeur, hôtellerie-restauration)

Dans le même temps, les employeurs revendiquentleur rôle de formateur et y semblent très attachés,d’où les contradictions relevées précédemment dansla grande distribution et l’hôtellerie-restauration.

5 Aujourd’hui encore, les hôtels indépendants représentent 85 %du parc hôtelier, et plus d’un tiers des établissements (restaurationet hôtellerie confondues) n’a pas de salarié.

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Comment comprendre cet attachement ? La questionest délicate. Il faut en effet tenir compte des straté-gies multiples d’utilisation du dispositif de l’appren-tissage par les employeurs (Lhotel et Monaco, 1993 ;Léné, 2000). Quelques réponses peuvent être esquis-sées. L’attachement des entreprises à leur rôle deformateur peut d’abord tenir aux avantages finan-ciers liés à l’accueil des jeunes en formation. Il peutensuite être lié à leur conviction qu’une partie desqualités, des connaissances nécessaires au travail nes’apprend véritablement qu’en situation de travail.On l’a déjà signalé. La peur de manquer de personnelsur certains métiers particuliers, parfois très pénibles,est aussi mise en avant dans les entretiens. Enfin, lapériode de la scolarité passée en entreprise peut êtrevue par les employeurs davantage comme un moyend’observer et de repérer, parmi les jeunes, ceux quifont la preuve de qualités attendues, que d’accueillirdes débutants pour les former (Vincens, 2001).

Le rôle instable de l’entreprise dans le système de formation

Ces différents constats questionnent l’organisationdes modes de formation en alternance. D’abord, lapériode de la scolarité passée en entreprise peut aussiavoir un rôle de tri ou de repérage des jeunes les plusconformes aux attentes des employeurs, c’est-à-direde sélection, comme on l’a indiqué. Or l’apprentis-sage est déjà un mode de formation sélectif : trouverune entreprise, condition nécessaire pour se formerdans cette filière, est difficile (Moreau, 2002). Denombreux candidats sont contraints d’abandonnerfaute d’avoir pu trouver une entreprise d’accueil. Letri opéré par l’apprentissage semble donc se pour-suivre au-delà de l’entrée en entreprise. Nos résultatstendent à montrer qu’il est à l’œuvre pendant tout leparcours du jeune et structure l’attitude générale del’entreprise vis-à-vis du jeune.

Ensuite, le rôle de l’entreprise dans le processus deformation n’est pas encore stabilisé du point de vueinstitutionnel (Léné, 2002). En France, malgré lesprogrès de l’alternance, n’émerge pas un systèmed’intégration réglementée à l’allemande où la législa-tion précise dans les moindres détails les conditionsd’emploi des apprentis et leur formation (la présenced’un Meister – maître d’apprentissage – dans lafirme est par exemple obligatoire ; celui-ci doit avoir

reçu une formation de formateur). Cette questionnous semble particulièrement vive dans les métiersde services où la composante relationnelle de lacompétence ainsi que l’implication subjective desjeunes sont particulièrement mises en avant. S’il estlargement reconnu que l’aspect technique du savoir-faire s’acquiert en partie par la pratique et que sonacquisition nécessite un accompagnement et uneorganisation de l’activité spécifique pour le jeunedébutant, les choses sont beaucoup moins évidentespour les composantes relationnelles ou comporte-mentales de l’activité de travail. La question de laformation en alternance dans les activités en émer-gence, ou qui ne sont pas encore stabilisées du pointde vue de la professionnalité des métiers qui y sontexercés, apparaît ainsi selon nous comme un enjeumajeur. C’est par exemple le cas de l’hôtellerie.Catherine Agulhon (2003) rappelle ainsi qu’il s’agitd’un secteur dont les caractéristiques profession-nelles le distinguent nettement de secteurs organiséscomme la grande industrie, les banques ou les assu-rances. Il n’a signé sa convention collective nationalequ’en avril 1997, ce qui ne garantit pas son applica-tion. Ce secteur ne se caractérise ni par son respect dela législation du travail, ni par sa capacité àconstruire ses propres normes.

* **

L’objectif de cet article était de s’interroger sur lecaractère formateur des périodes de la scolaritépassée en entreprises, qui occupent une place impor-tante dans les filières de formation professionnelle.L’analyse a été menée d’un point de vue empirique àpartir d’entretiens réalisés auprès d’employeurs dusecteur des services, en France. De l’exploitation deces entretiens, il apparaît que la période en entreprisen’est pas mécaniquement formatrice. Les employeursde la grande distribution et de l’hôtellerie-restaura-tion insistent en effet sur l’implication et la responsa-bilisation des jeunes débutants. Ils considèrentégalement qu’une partie des qualités nécessaires autravail ne s’apprend pas, comme par exemple le sensdu commerce, le contact avec le client, les qualitésrelationnelles… La période de la scolarité passée enentreprise apparaît alors comme un moyen de sélec-tionner les candidats conformes aux attentes des

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employeurs. Même lorsqu’une finalité formatrice estrecherchée, la production de connaissances, deformation, ne va pas de soi. Elle nécessite des condi-tions auxquelles une attention particulière noussemble devoir être accordée.Ces différents éléments relativisent le lien mécaniquesouvent établi entre expérience, temps de présence enentreprise et connaissance. Plus largement, ils amènent

à reconsidérer la capacité des employeurs à assumerleur rôle dans la formation des jeunes. Ils soulignentque ce rôle est influencé par la représentation qu’ils sefont de la portée formatrice du travail : si l’entreprisepeut être effectivement un lieu de formation, encorefaut-il que les employeurs acceptent l’idée que lesdébutants sont en position d’apprentissage et quel’organisation contribue à cet apprentissage.

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La portée formatrice de l’expérience : entretiens auprès d’employeurs du secteur des services

Franck Bailly, Alexandre Léné et Marie-Hélène Toutin

Les périodes de la scolarité passées en entreprises occupent une place importante dans les dispositifs deformation professionnelle en France. Presque naturellement, une portée formatrice leur est attribuée. Cetarticle interroge ce lien mécanique entre temps en entreprise, expérience et connaissances. L’exploitationd’entretiens réalisés auprès d’employeurs du secteur des services montre que, selon ces derniers, lapériode en entreprise peut constituer un moment formateur mais également révéler des qualités déjà pos-sédées par le salarié. Après avoir interrogé les représentations des employeurs, les auteurs tentent decaractériser les éléments significatifs dans la production d’expérience. Sur cette base, ils questionnent defaçon critique le rôle des périodes passées en entreprise des filières de formation fondées sur l’alternance.

Mots clés

Formation en alternance, apprentissage, expérience professionnelle, organisation qualifiante, secteurtertiaire

Journal of Economic Literature: M 53

Résumé

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