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La Parade du lendenuit : Autour de Cocteau, Satie, Jeanne

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  La Parade du lendenuit : Autour de Cocteau, Satie, Jeanne, Danielle,

Serge et les autres

Le 17/06/11

Beyrouth, jeudi 16 juin 2011.

Lendenuit d’éclipse. Rouge la veille de s’être cachée derrière la Terre,

la Lune, encore émue, a retrouvé son éclat ; et moi, j’ai perdu mon

sommeil. Je reçois un coup de fil. Danielle me propose de conjurer

l’insomnie en blanchissant ma nuit sur les marches du Temple de

Bacchus.

Danielle enseigne à la Libanaise des Arts (les Beaux).Ses étudiants préparent

leur spectacle de fin d’année. ‘Autour de Parade’. Une fantaisie scénique

inspirée du livret de Jean Cocteau. Je me retrouve au volant : direction

Baalbeck. Je dévore les quelques 8.500 décamètres qui m’en séparent. Sur la

route de Damas, le brouillard. Epais.

Baalbeck. Danielle m’attend près d’un portail vert situé en contrebas du

Temple où seuls les initiés ont droit de passage. Elu, adoubé par mon

insomnie, j’ai droit de cité dans leur nuit de création. Assister à des

répétitions, c’est entrer dans l’intimité du travail, ces instants fragiles et

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sacrés où l’œuvre n’est pas encore aboutie (l’est-elle jamais ?) où le labeur

s’attèle encore à l’ouvrage. Je me faufile parmi les apprentis créateurs. Ils

sont 101, futurs publicistes ou architectes d’intérieur à cet instant, encore

galériens de leurs propres ouvrages. La prêtresse des lieux me guide.

Pourquoi ‘Parade’ ? Pourquoi Cocteau ?Depuis plus de 23 ans (dont sept à

Baalbeck), l’Académie libanaise des beaux-arts offre à ses élèves une

plateforme de création collective. Au fil des ans, Mozart, Ravel, Purcell,

Monteverdi et autres Gershwin ont été des prétextes, des incitations à la

création. Cette année, c’est Cocteau qui mène la Parade. Cocteau, Satie et

les autres me précise-t-elle. Les autres ? Demandais-je au moment même où

un moustique vint couper court à ma curiosité. Ma peine : une piqûre.

Je continue seul ma marche. J’observe. Sur les marches du Temple, les

étudiants s’affairent aux derniers préparatifs. Il y en a qui essuient les

plâtres, d’autres, la pierre. Dans moins de 48 heures ils doivent être fin prêts

pour dévoiler leurs créations devant un parterre de plus de 1.600

spectateurs. Ils sont 101, mais semblent beaucoup plus nombreux. Leurs

émotions les suivent de près dédoublant ainsi leurs corps. Ruche créatrice.

Les mains construisent, corrigent, peignent et recollent, soudent et liment les

recoins de ces objets de l’imaginaire. Des structures improbables se déclinent

devant mes yeux. Spectateur des imaginations débridées, j’observe de près

ces fabricants de rêves. Incrédule devant ce bestiaire d’objets qui semblent

de prime abord tout droit sortis du musée de l’Inutile, je m’installe pour

assister aux premières mises en espace. Ces structures impressionnantes

doivent se mouvoir sur scène. La lumière cherche les objets. Ne sait pas

encore de quelle couleur les vêtir. C’est normal, ils font encore connaissance.

Petit à petit, structures inarticulées, pantins et autres objets se meuvent puis

émeuvent. Les enceintes murmurent leurs premières notes. Serge Y. aux

commandes d’une bande-son éclectique et généreuse. Les musiques de… Un

deuxième moustique me censure. Même peine. Deuxième piqûre. Affligé, je

comprends. L’insecte si communément désagréable est promu gardien des

secrets du Temple. Je lui fais la promesse de ne rien dévoiler de cette

parade.

Je m’installe sur un siège, résigné à mon sort de voyeur. Je ne peux rien

rapporter. Je ne peux témoigner. Et je comprends.

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Mon calepin à portée de bras et le stylo à bout de doigts, je griffonne à

défaut d’écrire. Des formes, des lettres et je vois défiler devant mes yeux

des bribes de rêves. Ma nuit blanchit et les créations des élèves s’immiscent

dans mon imaginaire. Je décide alors de m’éloigner et de m’éclipser à mon

tour. Je m’enfonce dans la pénombre derrière le Temple de Bacchus. Au loin

je devine une silhouette, une ombre légèrement éclairée. Je m’approche et

m’installe à ses côtés. C’est Jean Cocteau en pause-cigarette. Il m’offre une

gauloise et me tend son briquet. Peut-être a-t-il des réponses ? Il n’en est

rien. A son avant-bras, la même peine, la même piqûre. Soudain, un

murmure :’’1915’’.Je ne comprends pas. Jean Cocteau continue. ’’Vers la fin

de l’automne 1915, j’avais tout juste 26 ans. Edgar Varese m’introduit à

Picasso. Je n’avais alors qu’une idée en tête : monter un spectacle avec les

ballets russes de Diaghilev. Son audace, sa modernité ! Il était tout pour moi

! Et cette phrase, qu’il m’avait lancée au détour d’une rencontre : ’’Etonne

moi !’’. Erik, Pablo, Serge, moi-même et l’étonnement d’une foule de

spectateurs un soir de mai 1917. Première de ‘Parade’ au Théâtre du

Châtelet. Certains criaient au scandale, d’autres disaient que nous avions

changé quelque chose dans le cours de l’histoire de l’art…’’

Fin de cigarette. Jean Cocteau disparaît. Plus loin, une deuxième ombre me

scrute. Telle un sphinx, les yeux brillants, la silhouette m’invite à ses côtés.

Autre cigarette. Jeanne Moreau. Elle a peur. Trac. Angoisse. Elle s’apprête à

monter sur scène. Je trouve les mots qui rassurent. Juillet 1956. Soir

d’inauguration du tout premier Festival international de Baalbeck. Au

programme : ’La machine infernale’ de Jean Cocteau. Jeanne Moreau, piquée

sur sa joue droite, me glisse quelques mots et me parle d’un billet qu’elle a

reçu à la réception de l’Hôtel Palmyra quelques heures plus tôt. Elle déchire

l’enveloppe. Dedans une feuille blanche sur lesquels étaient inscrits les mots

:’’Etonne-moi !’’. Signé Jean Cocteau.

Au loin le tumulte des marches du Temple en cet été 56. Jeanne a disparu

pour rejoindre la scène. Applaudissements.

Je retrouve ma nuit et décide de rebrousser chemin. En sortant du Temple

pour rejoindre ma voiture, j’entends le muezzin chanter ‘Je t’ai dans la peau

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!’. Ou bien était-ce Piaf ? Je ne sais plus.

Dans ma poche droite, les clés de ma Fiat blanche ; dans la gauche, une

mûre (Blackberry en anglais). Me vient alors une idée. Je décide d’envoyer

101 messages :’’Etonnez-nous !’’. Sur mes doigts, le clavier de mon

téléphone a laissé des traces rouge rubis. Au-dessus, la Lune. Son sourire.

N  

asri N. Sayegh

 Cocteau, Satie et les autres Recommander Par JosselinBrémaud | 21/06/2011

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Unevue du spectacle. BALLET Les étudiants de l’ALBA ont proposé samedi un ballet inspiré de l’œuvre littéraire de Jean Cocteau à l’occasion de leur spectacle de fin d’année, présenté, comme chaque fois, à Baalbeck. Un avant-goût du festival. Mai 1917, l’époque est à la modernité. Jean Cocteau, fasciné par le Sacre du printemps de Stravinski, souhaite lui aussi s’inscrire dans l’avant-garde artistique de son temps. À son ami le compositeur de ballet russe Diaghilev, qui lui lance la fameuse expression «étonne-moi!», Cocteau apportera la plus surprenante des réponses. Synthèse de l’esprit moderne, l’idée de Parade marquera la naissance d’une nouvelle forme de ballet. La collaboration de Cocteau avec Picasso, Satie, le danseur Massine et Diaghilev accouchera d’une création totalement à contre-courant, tant dans le thème convoqué, la vie quotidienne, que dans la forme, inspirée des techniques picturales du collage et du cubisme. Dans ses notes pour le programme de Parade, Apollinaire applaudit l’œuvre d’un nouveau genre: le terme «surréalisme» est né. Juin 2011, près d’un siècle a passé. La modernité est restée. Les étudiants de deuxième année de l’École des arts décoratifs (Université de Balamand) décident de rendre hommage au talent visionnaire de Cocteau dans le plus symbolique des lieux, le temple de Bacchus de Baalbek, pour leur spectacle de fin d’année. En juillet 1956, l’écrivain assistait en effet à la représentation de sa pièce La Machine infernale à l’occasion de la première édition du festival de la ville. Autre époque, autres idées. Ce n’est pas Parade qui sera joué cette fois-ci, mais Autour de Parade, une série de douze petits ballets inspirés de l’univers littéraire de l’artiste français. Une grande partie de son œuvre, de l’Énigme à Orphée, s’apprête ainsi à être remaniée et transfigurée par les quatre-vingt-dix-huit jeunes artistes, encadrés par cinq professeurs.

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Bruits de machines et illusions d’optique Une heure avant que le tambour ne retentisse, la cour est déjà pleine. Des enfants s’amusent dans la traînée des ombres, rendues difformes et effrayantes par la stature des colonnes endormies. Théâtre à ciel ouvert, le temple de Bacchus semble s’enivrer à mesure qu’approche l’entrée des artistes. Modèle de clair-obscur à l’arrivée, la scène sombre peu à peu dans la pénombre. C’est justement quand le soleil décline que le public se lève. L’éclairage, de couleur vive, convoque l’imaginaire pictural de Picasso. L’héritage du cubisme est omniprésent dans les costumes et les décors façonnés par les étudiants. Ils ont rivalisé d’imagination pour produire des atmosphères toujours plus déconcertantes et originales. Le compositeur musical Satie n’est pas en reste, tant le spectacle est un prétexte à une exploration minutieuse de son champ d’influence. Une influence qui n’a cessé de croître tout au long du XXIe siècle. Des bruits de machines à écrire, des ombres tordues, des planches ondulantes. Des chapeaux tournoyants. Couinements, grincements, illusions d’optique... Puis statues de papier, poulies à hélices et Édith Piaf déchirant la nuit: «Je t’ai dans la peau». Pendant près d’une heure, les étudiants proposent une succession de scénettes muettes, dans lesquelles la danse se mêle à l’imaginaire surréaliste des décors amovibles. Le final, inattendu, vient rompre avec l’ambiance contemplative du spectacle. Les quatre-vingt-dix-huit étudiants descendent sur scène accompagnés de leurs machines et de leurs ustensiles, déclenchant une tempête ininterrompue de couleurs et de sonorités métalliques. En 1917, lors de la première représentation, la pièce avait créé le scandale dans la salle. Ce qui avait amené Cocteau à déclarer: «Ce que le public te reproche, cultive-le, c’est toi.» Malheureusement pour les étudiants, le public était tout acquis à leur cause samedi... Il est donc à espérer, en suivant les préceptes de Cocteau, qu’ils auront bientôt affaire aux bienfaits de la critique. Une autre fois!

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