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gallimard RENÉ GUÉNON La Grande Triade tradition

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Dernier ouvrage publié du vivant de René Guénon,

La Grande Triade se caractérise par un recours

prépondérant aux traditions extrême-orientales,

particulièrement celles de la Chine et, avant tout,

du taoïsme, que l’auteur avait connues et dont il avait

traité dès ses premiers écrits. Toutefois, comme à son

accoutumée, il y fait aussi de nombreux parallèles et

rapprochements avec d’autres traditions, tant orientales

qu’occidentales : hindouisme, bouddhisme, judaïsme,

islam, christianisme, franc-maçonnerie, hermétisme,

pythagorisme, Fidèles d’Amour, etc. De la sorte,

La Grande Triade répond clairement au propos constant

de René Guénon : exposer les données de la Tradition

primordiale, notamment en soulignant les convergences

entre toutes les traditions authentiques. Même si,

comme il le regrettait , ce livre n’eut d’abord qu’un faible

écho, y compris dans les milieux qui se réclamaient

de la pensée traditionnelle, l’ouvrage fi t progressivement

et discrètement son chemin, notamment parmi ceux

qu’attirait l’Extrême-Orient.

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gallimard

R EN É GU ÉNON

La Grande Triade

tradition

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DU MÊME AUTEUR

Aux Éditions Gallimard

LE RÈGNE DE LA QUANTITÉ ET LES SIGNES DES TEMPS.

LES PRINCIPES DU CALCUL INFINITÉSIMAL.

LA CRISE DU MONDE MODERNE.

L ’ÉSOTERISME DE DANTE.

LA GRANDE TRIADE.

LE ROI DU MONDE.

FORMES TRADITIONNELLES ET CYCLES COSMIQUES.

APERÇUS SUR L ’ÉSOTERISME ISLAMIQUE ET LE TAOÏSME.

MÉLANGES. Nouvelle édition en 1990.

SYMBOLES DE LA SCIENCE SACRÉE.

Chez d’autres éditeurs

INTRODUCTION GÉNÉRALE À L ’ÉTUDE DES DOCTRINES

HINDOUES.

LE THÉOSOPHISME, HISTOIRE D ’UNE PSEUDO-RELIGION.

L ’ERREUR SPIRITE.

ORIENT ET OCCIDENT.

L ’HOMME ET SON DEVENIR SELON DE VÊDÂNTA.

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SAINT BERNARD.

LE SYMBOLISME DE LA CROIX.

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INITIATION ET RÉALISATION SPIRITUELLE.

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GNONNAGE.

ÉTUDES SUR L ’HINDOUISME.

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RENÉ GUÉNON

La Grande TriadeÉdition définitive établie

sous l’égide de la Fondation René Guénon

G A L L I M A R D

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© Éditions Gallimard, 1957, 2016 pour la présente édition.

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Les enfants et héritiers directs de René Guénon, Abdel Wahed,Khadiga et Leila, ont le plaisir d’annoncer la création de la Fon-dation .

Cette Fondation, dont le siège se tient au Caire en la demeuremême qui fut celle de René Guénon, a pour objet de rassemblersous son égide l’ensemble des ouvrages et documents constituantl’œuvre intellectuelle de René Guénon, afin d’en assurer la diffu-sion— éditoriale et autre— dans les meilleures conditions.

La Fondation assumera désormais les relations avec les différentséditeurs et traducteurs, et veillera aux travaux de mise au pointtechnique des textes (re)publiés.Elle rappelle au demeurant que les écrits de René Guénon sont

soumis aux droits d’auteur durant une période de soixante-dix ansaprès l’année de décès de l’auteur (1951), conformément à la légis-lation en vigueur.Les recueils thématiques posthumes parus sous la signature de

René Guénon, et regroupant articles et/ou comptes rendus, pour-ront faire l’objet de remaniements qui, dans certains cas, appa-raissent comme indispensables. À cet effet, la Fondation se réservele droit de les augmenter, le cas échéant, de textes inédits.

La Fondation déclare expressément n’être liée à aucune religionparticulière, ni à aucun mouvement, école, groupe ou parti, quelsqu’ils soient.

Elle affirme n’avoir pas davantage pour but ni pour missionde s’impliquer, à quelque titre ou degré que ce soit, dans le domainedes prolongements contemporains — d’ordre intellectuel ouautre— de l’œuvre de René Guénon.

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Enfin, M. Abdel Wahed Yehya Guénon, Président de la Fon-dation, demande instamment à celles et ceux qui seraient en posses-sion de documents originaux de la main de René Guénon, notam-ment des correspondances, d’avoir l’obligeance de se mettre enrelation avec lui à l’adresse suivante : Villa Fatma, 4 rue MohamedIbrahim, 12311 , Égypte, ou par mail : [email protected].

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Beaucoup comprendront sans doute, par le seul titre decette étude, qu’elle se rapporte surtout au symbolismede la tradition extrême-orientale, car on sait assez généra-lement le rôle que joue dans celle-ci le ternaire formé parles termes «Ciel, Terre, Homme » (Tien-ti-jen) ; que l’ons’est habitué à désigner plus particulièrement par le nomde «Triade », même si l’on n’en comprend pas toujoursexactement le sens et la portée, que nous nous attacheronsprécisément à expliquer ici, en signalant d’ailleurs aussi lescorrespondances qui se trouvent à cet égard dans d’autresformes traditionnelles ; nous y avons déjà consacré un cha-pitre dans une autre étude1, mais le sujet mérite d’êtretraité avec plus de développements. On sait égalementqu’il existe en Chine une « société secrète », ou ce qu’on estconvenu d’appeler ainsi, à laquelle on a donné en Occidentle même nom de « Triade » ; comme nous n’avons pasl’intention d’en traiter spécialement, il sera bon de diretout de suite quelques mots à ce sujet afin de n’avoir pas ày revenir dans le cours de notre exposé2.

1. Le symbolisme de la Croix, ch. .2. On trouvera des détails sur l’organisation dont il s’agit, son rituel et ses

symboles (notamment les symboles numériques dont elle fait usage), dansl’ouvrage du lieutenant-colonel B. Favre sur Les Sociétés secrètes en Chine ; cetouvrage est écrit d’un point de vue profane, mais l’auteur a du moins entrevucertaines choses qui échappent ordinairement aux sinologues, et, s’il est loind’avoir résolu toutes les questions soulevées à ce propos, il a cependant leméritede les avoir posées assez nettement.— Voir aussi d’autre part Matgioi, La Voierationnelle, ch. .

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Le véritable nom de cette organisation est Tien-ti-houei,que l’on peut traduire par « Société du Ciel et de la Terre », àla condition de faire toutes les réserves nécessaires surl’emploi du mot « société », pour les raisons que nous avonsexpliquées ailleurs1, car ce dont il s’agit, bien qu’étant d’unordre relativement extérieur, est pourtant loin de présentertous les caractères spéciaux que ce mot évoque inévitable-ment dans le monde occidental moderne. On remarqueraque les deux premiers termes de la Triade traditionnellefigurent seuls dans ce titre ; s’il en est ainsi, c’est que, en réa-lité, l’organisation elle-même (houei), par ses membres pristant collectivement qu’individuellement, tient ici la placedu troisième, comme le feront mieux comprendre quelques-unes des considérations que nous aurons à développer2. Ondit souvent que cette même organisation est connue encoresous un assez grand nombre d’autres appellations diverses,parmi lesquelles il en est où l’idée du ternaire est expressé-ment mentionnée3 ; mais, à vrai dire, il y a là une inexacti-tude : ces appellations ne s’appliquent proprement qu’à desbranches particulières ou à des « émanations » temporaires decette organisation, qui apparaissent à tel ou tel momentde l’histoire et disparaissent lorsqu’elles ont fini de jouer lerôle auquel elles étaient plus spécialement destinées4.Nous avons déjà indiqué ailleurs quelle est la vraie nature

de toutes les organisations de ce genre5 : elles doivent tou-

1. Aperçus sur l’initiation, ch. .2. Il faut noter que jen signifie à la fois « homme » et « humanité » ; et en outre,

au point de vue des applications à l’ordre social, c’est la « solidarité » de la race,dont la réalisation pratique est un des buts contingents que se propose l’orga-nisation en question.

3. Notamment les «Trois Fleuves » (San-ho) et les «Trois Points » (San-tien) ;l’usage de ce dernier vocable est évidemment un des motifs par lesquels certainsont été amenés à rechercher des rapports entre la «Triade » et les organisationsinitiatiques occidentales telles que laMaçonnerie et le Compagnonnage.

4. Cette distinction essentielle ne devra jamais être perdue de vue par ceux quivoudront consulter le livre du lieutenant-colonel B. Favre que nous avons cité, etoù elle est malheureusement négligée, si bien que l’auteur semble considérertoutes ces appellations comme équivalentes purement et simplement ; en fait, laplupart des détails qu’il donne au sujet de la «Triade » ne concernent réellementqu’une de ses émanations, laHong-houei ; en particulier, c’est seulement celle-ci,et non point laTien-ti-houei elle-même, qui peut n’avoir été fondée que vers la findu e ou le début du e siècle, c’est‑à-dire à une date somme toute fortrécente.5. Voir Aperçus sur l’initiation, ch. et .

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jours être considérées, en définitive, comme procédant dela hiérarchie taoïste, qui les a suscitées et qui les dirige invi-siblement, pour les besoins d’une action plus ou moinsextérieure dans laquelle elle ne saurait intervenir elle-mêmedirectement, en vertu du principe du « non-agir » (wou-wei), suivant lequel son rôle est essentiellement celui du«moteur immobile », c’est‑à-dire du centre qui régit le mou-vement de toutes choses sans y participer. Cela, la plupartdes sinologues l’ignorent naturellement, car leurs études,étant donné le point de vue spécial auquel ils les entre-prennent, ne peuvent guère leur apprendre que, enExtrême-Orient, tout ce qui est d’ordre ésotérique ou initia-tique, à quelque degré que ce soit, relève nécessairementdu Taoïsme ; mais ce qui est assez curieux malgré tout,c’est que ceux mêmes qui ont discerné dans les « sociétéssecrètes » une certaine influence taoïste n’ont pas su allerplus loin et n’en ont tiré aucune conséquence importante.Ceux-là, constatant en même temps la présence d’autreséléments, et notamment d’éléments bouddhiques, se sontempressés de prononcer à ce propos le mot de « syncré-tisme », sans se douter que ce qu’il désigne est quelquechose de tout à fait contraire, d’une part, à l’esprit éminem-ment « synthétique » de la race chinoise, et aussi, d’autrepart, à l’esprit initiatique dont procède évidemment ce dontil s’agit, même si ce ne sont là, sous ce rapport, que desformes assez éloignées du centre1. Certes, nous ne voulonspas dire que tous les membres de ces organisations relative-ment extérieures doivent avoir conscience de l’unité fonda-mentale de toutes les traditions ; mais cette conscience, ceuxqui sont derrière ces mêmes organisations et qui les inspirentla possèdent forcément en leur qualité d’« hommes véri-tables » (tchenn-jen), et c’est ce qui leur permet d’y introduire,lorsque les circonstances le rendent opportun ou avanta-geux, des éléments formels appartenant en propre à diffé-rentes traditions2.

1. Cf. Aperçus sur l’initiation, ch. .2. Y compris même parfois celles qui sont le plus complètement étrangères à

l’Extrême-Orient, comme le Christianisme, ainsi qu’on peut le voir par le cas del’association de la «Grande Paix », ou Tai-ping, qui fut une des émanationsrécentes de la Pe-lien-houei que nous allons mentionner tout à l’heure.

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Nous devons insister quelque peu, à cet égard, sur l’utili-sation des éléments de provenance bouddhique, non pastant parce que ce sont sans doute les plus nombreux, ce quis’explique facilement par le fait de la grande extension duBouddhisme en Chine et dans tout l’Extrême-Orient, queparce qu’il y a à cette utilisation une raison d’ordre plusprofond qui la rend particulièrement intéressante, et sanslaquelle, à vrai dire, cette extension même du Bouddhismene se serait peut-être pas produite. On pourrait trouversans peine de multiples exemples de cette utilisation, mais,à côté de ceux qui ne présentent par eux-mêmes qu’uneimportance en quelque sorte secondaire, et qui valent pré-cisément surtout par leur grand nombre, pour attirer etretenir l’attention de l’observateur du dehors, et pour ladétourner par là même de ce qui a un caractère plus essen-tiel1, il en est au moins un, extrêmement net, qui porte surquelque chose de plus que de simples détails : c’est l’emploidu symbole du «Lotus blanc » dans le titre même de l’autreorganisation extrême-orientale qui se situe au même niveauque la Tien-ti-houei2. En effet, Pe-lien-che ou Pe-lien-tsong,nom d’une école bouddhique, et Pe-lien-kiao ou Pe-lien-houei, nom de l’organisation dont il s’agit, désignent deuxchoses entièrement différentes ; mais il y a, dans l’adoptionde ce nom par cette organisation émanée du Taoïsme, unesorte d’équivoque voulue, aussi bien que dans certains ritesd’apparence bouddhique, ou encore dans les « légendes »où des moines bouddhistes jouent presque constammentun rôle plus ou moins important. On voit assez clairement,par un exemple comme celui-là, comment le Bouddhismepeut servir de « couverture » au Taoïsme, et comment il apu, par là, éviter à celui-ci l’inconvénient de s’extérioriserplus qu’il n’eût convenu à une doctrine qui, par définitionmême, doit être toujours réservée à une élite restreinte.C’est pourquoi le Taoïsme a pu favoriser la diffusion du

1. L’idée du prétendu « syncrétisme » des « sociétés secrètes » chinoises est uncas particulier du résultat obtenu par cemoyen, lorsque l’observateur du dehorsse trouve être un Occidental moderne.

2. Nous disons « l’autre » parce qu’il n’y en a effectivement que deux, toutesles associations connues extérieurement n’étant en réalité que des branches oudes émanations de l’une ou de l’autre.

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Bouddhisme en Chine, sans qu’il y ait lieu d’invoquer desaffinités originelles qui n’existent que dans l’imagination dequelques orientalistes ; et, d’ailleurs, il l’a pu d’autantmieux que, depuis que les deux parties ésotérique et exoté-rique de la tradition extrême-orientale avaient été consti-tuées en deux branches de doctrine aussi profondémentdistinctes que le sont le Taoïsme et le Confucianisme, ilétait facile de trouver place, entre l’une et l’autre, pourquelque chose qui relève d’un ordre en quelque sorte inter-médiaire. Il y a lieu d’ajouter que, de ce fait, le Bouddhismechinois a été lui-même influencé dans une assez largemesure par le Taoïsme, ainsi que le montre l’adoption decertaines méthodes d’inspiration manifestement taoïste parquelques-unes de ses écoles, notamment celle de Tchan1,et aussi l’assimilation de certains symboles de provenancenon moins essentiellement taoïste, comme celui de Kouan-yin par exemple ; et il est à peine besoin de faire remarquerqu’il devenait ainsi beaucoup plus apte encore à jouer lerôle que nous venons d’indiquer.Il est aussi d’autres éléments dont les partisans les plus

décidés de la théorie des « emprunts » ne pourraient guèresonger à expliquer la présence par le « syncrétisme », maisqui, faute de connaissances initiatiques chez ceux qui ontvoulu étudier les « sociétés secrètes » chinoises, sontdemeurés pour eux comme une énigme insoluble : nousvoulons parler de ceux par lesquels s’établissent des simi-litudes parfois frappantes entre ces organisations et cellesdu même ordre qui appartiennent à d’autres formes tra-ditionnelles. Certains ont été jusqu’à envisager à ce sujet,en particulier, l’hypothèse d’une origine commune de la« Triade » et de la Maçonnerie, sans pouvoir d’ailleursl’appuyer par des raisons bien solides, ce qui n’a assuré-ment rien d’étonnant ; ce n’est pourtant pas que cetteidée soit à rejeter absolument, mais à la condition del’entendre en un tout autre sens qu’ils ne l’ont fait,c’est‑à-dire de la rapporter, non pas à une origine

1. Transcription chinoise du mot sanscrit Dhyâna, « contemplation » ; cetteécole est plus ordinairement connue sous la désignation deZen, qui est la formejaponaise du même mot.

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historique plus ou moins lointaine, mais seulement àl’identité des principes qui président à toute initiation,qu’elle soit d’Orient ou d’Occident ; pour en avoir la véri-table explication, il faudrait remonter bien au-delà del’histoire, nous voulons dire jusqu’à la Tradition primor-diale elle-même1. Pour ce qui est de certaines similitudesqui semblent porter sur des points plus spéciaux, nousdirons seulement que des choses telles que l’usage dusymbolisme des nombres, par exemple, ou encore celuidu symbolisme « constructif », ne sont nullement particu-lières à telle ou telle forme initiatique, mais qu’elles sontau contraire de celles qui se retrouvent partout avec desimples différences d’adaptation, parce qu’elles se réfè-rent à des sciences ou à des arts qui existent également, etavec le même caractère « sacré », dans toutes les tradi-tions ; elles appartiennent donc réellement au domainede l’initiation en général, et par conséquent, pour ce quiest de l’Extrême-Orient, elles appartiennent en propre audomaine du Taoïsme ; si les éléments adventices, boud-dhiques ou autres, sont plutôt un «masque », ceux-là, toutau contraire, font vraiment partie de l’essentiel.Quand nous parlons ici du Taoïsme, et quand nous

disons que telles ou telles choses relèvent de celui-ci, ce quiest le cas de la plupart des considérations que nous auronsà exposer dans cette étude, il nous faut encore préciser quececi doit s’entendre par rapport à l’état actuel de la tradi-tion extrême-orientale, car des esprits trop portés à toutenvisager « historiquement » pourraient être tentés d’enconclure qu’il s’agit de conceptions qui ne se rencontrentpas antérieurement à la formation de ce qu’on appelle pro-prement le Taoïsme, alors que, bien loin de là, elles setrouvent constamment dans tout ce qu’on connaît de la

1. Il est vrai que l’initiation comme telle n’est devenue nécessaire qu’à partird’une certaine période du cycle de l’humanité terrestre, et par suite de ladégénérescence spirituelle de la généralité de celle-ci ; mais tout ce qu’ellecomporte constituait antérieurement la partie supérieure de la Tradition pri-mordiale, de même que, analogiquement et par rapport à un cycle beaucoupplus restreint dans le temps et dans l’espace, tout ce qui est impliqué dans leTaoïsme constituait tout d’abord la partie supérieure de la tradition une quiexistait en Extrême-Orient avant la séparation de ses deux aspects ésotérique etexotérique.

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tradition chinoise depuis l’époque la plus reculée à laquelleil soit possible de remonter, c’est‑à-dire en somme depuisl’époque de Fo-hi. C’est que, en réalité, le Taoïsme n’a rien« innové » dans le domaine ésotérique et initiatique, nonplus d’ailleurs que le Confucianisme dans le domaine exo-térique et social ; l’un et l’autre sont seulement, chacundans son ordre, des « réadaptations » nécessitées par desconditions du fait desquelles la tradition, dans sa formepremière, n’était plus intégralement comprise1. Dès lors,une partie de la tradition antérieure rentrait dans leTaoïsme et une autre dans le Confucianisme, et cet état dechoses est celui qui a subsisté jusqu’à nos jours ; rapportertelles conceptions au Taoïsme et telles autres au Confucia-nisme, ce n’est aucunement les attribuer à quelque chosede plus ou moins comparable à ce que les Occidentauxappelleraient des « systèmes », et ce n’est, au fond, pas autrechose que de dire qu’elles appartiennent respectivement àla partie ésotérique et à la partie exotérique de la traditionextrême-orientale.

Nous ne reparlerons pas spécialement de la Tien-ti-houei,sauf quand il y aura lieu de préciser quelques points particu-liers, car ce n’est pas là ce que nous nous proposons ; maisce que nous dirons au cours de notre étude, en outre de saportée beaucoup plus générale, montrera implicitement surquels principes repose cette organisation, en vertu de sontitre même, et permettra de comprendre par là comment,malgré son extériorité, elle a un caractère réellement initia-tique, qui assure à ses membres une participation au moinsvirtuelle à la tradition taoïste. En effet, le rôle qui est assignéà l’homme comme troisième terme de la Triade est propre-ment, à un certain niveau, celui de l’« homme véritable »(tchenn-jen), et, à un autre, celui de l’« homme transcen-dant » (cheun-jen), indiquant ainsi les buts respectifs des« petits mystères » et des « grands mystères », c’est‑à-dire lesbuts mêmes de toute initiation. Sans doute, cette organisa-tion, par elle-même, n’est pas de celles qui permettent d’y

1. On sait que la constitution de ces deux branches distinctes de la traditionextrême-orientale date du e siècle avant l’ère chrétienne, époque à laquellevécurent Lao-tseu et Confucius.

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parvenir effectivement ; mais elle peut du moins y préparer,si lointainement que ce soit, ceux qui sont « qualifiés », et elleconstitue ainsi un des « parvis » qui peuvent, pour ceux-là,donner accès à la hiérarchie taoïste, dont les degrés ne sontautres que ceux de la réalisation initiatique elle-même.

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Chapitre premier

Avant d’aborder l’étude de la Triade extrême-orientale,il convient de se mettre soigneusement en garde contre lesconfusions et les fausses assimilations qui ont généralementcours en Occident, et qui proviennent surtout de ce qu’onveut trouver dans tout ternaire traditionnel, quel qu’il soit,un équivalent plus ou moins exact de la Trinité chrétienne.Cette erreur n’est pas seulement le fait de théologiens, quiseraient encore excusables de vouloir tout ramener ainsi àleur point de vue spécial ; ce qui est le plus singulier, c’estqu’elle est commise même par des gens qui sont étrangersou hostiles à toute religion, y compris le Christianisme,mais qui, du fait du milieu où ils vivent, connaissent malgrétout celui-ci davantage que les autres formes traditionnelles(ce qui d’ailleurs ne veut pas dire qu’ils le comprennentbeaucoup mieux au fond), et qui, par suite, en font plus oumoins inconsciemment une sorte de terme de comparaisonauquel ils cherchent à rapporter tout le reste. Parmi tous lesexemples qu’on pourrait donner de ces assimilations abu-sives, un de ceux qui se rencontrent le plus fréquemmentest celui qui concerne la Trimûrti hindoue, à laquelle ondonne même couramment le nom de «Trinité », qu’il est aucontraire indispensable, pour éviter toute méprise, deréserver exclusivement à la conception chrétienne qu’il atoujours été destiné à désigner proprement. En réalité,dans les deux cas, il s’agit bien évidemment d’un ensemblede trois aspects divins, mais là se borne toute la ressem-blance ; ces aspects n’étant nullement les mêmes de part et

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d’autre, et leur distinction ne répondant en aucune façonau même point de vue, il est tout à fait impossible de fairecorrespondre respectivement les trois termes de l’un de cesdeux ternaires à ceux de l’autre1.La première condition, en effet, pour qu’on puisse son-

ger à assimiler plus ou moins complètement deux ternairesappartenant à des formes traditionnelles différentes, c’estla possibilité d’établir valablement entre eux une corres-pondance terme à terme ; autrement dit, il faut que leurstermes soient réellement entre eux dans un rapport équi-valent ou similaire. Cette condition n’est d’ailleurs pas suf-fisante pour qu’il soit permis d’identifier purement etsimplement ces deux ternaires, car il peut se faire qu’il y aitcorrespondance entre des ternaires, qui, tout en étant ainside même type, pourrait-on dire, se situent cependant à desniveaux différents, soit dans l’ordre principiel, soit dansl’ordre de la manifestation, soit même respectivement dansl’un et dans l’autre. Bien entendu, il peut également en êtreainsi pour des ternaires envisagés par une même tradition ;mais, dans ce cas, il est plus facile de se méfier d’une identi-fication erronée, car il va de soi que ces ternaires ne doiventpas faire double emploi entre eux, tandis que, quand ils’agit de traditions différentes, on est plutôt tenté, dès queles apparences s’y prêtent, d’établir des équivalences quipeuvent n’être pas justifiées au fond. Quoi qu’il en soit,l’erreur n’est jamais aussi grave que lorsqu’elle consiste àidentifier des ternaires qui n’ont de commun que le seul faitd’être précisément des ternaires, c’est‑à-dire des ensemblesde trois termes, et où ces trois termes sont entre eux dansdes rapports tout à fait différents ; il faut donc, pour savoirce qu’il en est, déterminer tout d’abord à quel type de ter-naire on a affaire dans chaque cas, avant même de recher-cher à quel ordre de réalité il se rapporte ; si deux ternairessont du même type, il y aura correspondance entre eux, et,si en outre ils se situent dans le même ordre ou plus préci-

1. Parmi les différents ternaires qu’envisage la tradition hindoue, celui qu’onpourrait peut-être rapprocher le plus valablement de la Trinité chrétienne àcertains égards, bien que le point de vue soit naturellement encore très différent,est celui de Sat-Chit-Ânanda (voir L’homme et son devenir selon le Vêdânta,ch. ).