111
1 UNIVERSITE SORBONNE NOUVELLE-P ARIS III INSTITUT DES HAUTES ETUDES DAMERIQUE LATINE RELATIONS INTERNATIONALES La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande : quel avenir hydrique pour la région binationale ? VIGUER SIMON MEMOIRE DIRIGE PAR CARINE CHAVAROCHETTE : SEPTEMBRE 2013

La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

  • Upload
    others

  • View
    4

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

1

UNIVERSITE SORBONNE NOUVELLE-PARIS III

INSTITUT DES HAUTES ETUDES D’AMERIQUE LATINE

RELATIONS INTERNATIONALES

La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande : quel

avenir hydrique pour la région binationale ?

VIGUER SIMON

MEMOIRE DIRIGE PAR CARINE CHAVAROCHETTE : SEPTEMBRE 2013

Page 2: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

2

REMERCIEMENTS

Je remercie Yves Rengade pour ses encouragements, l’intérêt porté à mon sujet

d’étude et pour sa générosité. Je remercie Carine Chavarochette pour ses conseils

précieux et sa bienveillance. Je remercie Enrique Escorza pour l’entretien passionnant

qu’il m’a accordé. Enfin je remercie mes parents pour leur soutien sans lequel cette

étude n’aurait pas vu le jour.

Page 3: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

3

SOMMAIRE

I. La Pression sur les ressources en Eau : la résultante des facteurs

climatiques, juridiques et économiques

II. Les enjeux géopolitiques dans le bassin du Rio Bravo : du conflit

hydrique à l’ « hydrodiplomatie »

III. Les enjeux environnementaux et de développement : le besoin

d’une nouvelle gouvernance

Page 4: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

4

RESUME

L’étude ci-dessous porte sur le problème que posent les conséquences « hydro-

géopolitiques » du réchauffement climatique et de son lien avec le développement

agricole et industriel en milieu aride ; elle prend aussi en considération le débat

classique entre bien marchand et bien commun et examine l’importance que pourrait

avoir pour la région concernée le choix entre ces deux approches. Nous prenons pour

exemple le bassin du Rio Bravo/Grande à la frontière des Etats-Unis et du Mexique.

Cette étude nous permet d’analyser les trois principaux facteurs de pression sur la

ressource en eau que sont le cadre législatif et juridique, le développement de

l’économie avec l’entrée en vigueur de l’ALENA et les multiples sécheresses

dévastatrices qui s’abattent sur la région du bassin du Rio Bravo. Au cours de ce travail

nous avons vu que la gouvernance hydrique du Rio Bravo/Grande a fait l’objet de

nombreux conflits et met en évidence le déséquilibre entre les Etats-Unis et le

Mexique, bien que la gestion de l’eau dans une telle situation de stress hydrique

suppose une inévitable coopération entre les deux pays voisins. Nous observons que la

solution à ce problème de gouvernance d’eau repose principalement sur la question de

l’aménagement du territoire et qu’à l’heure actuelle l’usage hydrique industriel tend à

remplacer progressivement l’usage hydrique agricole. Une autre solution de plus en

plus envisagée par les décideurs politiques mexicains et étatsuniens est l’achat et le

transfert d’eau du Canada afin de maintenir leur activité économique. Pour conclure

cet exercice, il nous semble que pour assurer la pérennité de la ressource hydrique dans

le bassin du Rio Bravo il faut développer une nouvelle gouvernance. Celle-ci devra

assurer la sécurité de l’eau et mettre fin aux conflits existants dans le bassin du Rio

Grande. L’eau dans cette région a souffert des conséquences du développement et ce

sont aujourd’hui des problèmes de santé publique qui se posent. Il est inévitable de

mettre en place des réformes importantes, notamment assurer la reconnaissance d’un

statut juridique à l’eau, mais aussi développer de nouvelles techniques permettant

d’économiser l’eau, et enfin s’assurer que les institutions en charge de la gouvernance

soient plus transparentes, où la participation publique soit garantie. Il convient avant

tout d’administrer l’eau en tenant compte de sa nature holistique.

Page 5: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

5

RESUMEN

Esta investigación responde a la inquietud que suponen las consecuencias

hidro-geopolíticas del cambio climático y del desarrollo de la agricultura y de la indus-

tria en zonas áridas; dicha investigación toma en consideración el debate clásico entre

bien común y bien mercantil y estudia la importancia que podría tener para la región la

elección de un enfoque u otro. Tomamos como ejemplo el valle del Río Bravo/Grande

en la frontera de Estados-Unidos y México. Esta investigación nos permite analizar los

tres principales factores de presión sobre el recurso hídrico. Estos son el cuadro legis-

lativo y jurídico, el desarrollo de la economía desde la entrada en vigor del TLCAN y

las diversas sequías que desestabilizan el equilibrio de la región. A lo largo de este

trabajo vimos que la gestión hídrica del Rio Bravo/Grande supuso varios conflictos y

evidencia el desequilibrio entre los Estados-Unidos y México. Pese a lo dicho la ges-

tión del recurso implica una necesaria cooperación entre los dos países vecinos. Ob-

servamos que la solución a este problema de gobernación del agua consiste principal-

mente en responder a una cuestión de ordenación del territorio, al respecto se constata

que la dinámica actual consta en la substitución del uso hídrico agrícola por el uso

hídrico industrial. Otra solución cada vez más contemplada por los políticos mexicanos

y estadounidenses es la compra y el transfer de las aguas canadienses para así conti-

nuar su actividad económica. Como conclusión a esta investigación nos parece inevi-

table desarrollar un nuevo tipo de gobernación del agua para poder asegurar la peren-

nidad del recurso hídrico en el valle del Rio Grande. Dicha gobernación deberá garan-

tizar la seguridad del agua y acabar con los conflictos hídricos en la región. En esta

zona árida, el agua sufrió las consecuencias del desarrollo y plantea hoy en día pro-

blemas de salud pública. Es ineludible establecer reformas administrativas significati-

vas. Ya sea atribuyéndole al agua un estatuto jurídico, así como el desarrollo de nuevas

técnicas que permitan reducir el consumo de agua. O también asegurándose de que las

instituciones responsables de la gobernación del agua trabajen con más transparencia y

cumplan con una fuerte participación pública. Ante todo conviene administrar el recur-

so tomando en cuenta su característica holística.

Page 6: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

6

INTRODUCTION

L’eau est l’élément de l’abnégation, du perpétuel « être pour les autres », l’eau

n’a d’autre être que le fait d’être pour les autres… Sa détermination c’est de n’être

encore rien de déterminé et c’est pourquoi on l’a appelé autrefois la mère de tout le

déterminé. (HEGEL, Georg Wilhelm Friedrich, Philosophie de la nature, Paris,

Ladrange, 1863)

C’est justement l’indétermination de cette ressource naturelle qui pose

problème, de nombreux courants de recherche et de nombreuses disciplines se sont

emparés de l’eau, l’économie, les sciences politiques, la sociologie, l’anthropologie, le

droit…, chacun avec ses propres méthodes de définition et d’analyse (Schneier-

Madanes, 2010). L’eau est ainsi l’objet de nombreux débats scientifiques et connait un

large éventail d’approches théoriques parmi lesquelles ressortent très nettement deux

courants opposés, l’un faisant la promotion de la détermination de l’eau comme étant

un bien marchand (Banque Mondiale, Fond Monétaire International, Spiler 1999,

Chong 2008 etc.), l’autre consacrant l’eau comme un bien commun c'est-à-dire un bien

premier qui ne doit pas être confondu avec une marchandise (Petrella 2009, Barkin

2005, Bell 2009, Hugon 2005…), et dans cette optique l’eau doit être apportée

gratuitement à tous et doit sortir de la logique économique. L’indétermination de cette

ressource est parfaitement illustrée dans l’incapacité des Etats à trouver un accord

international consacrant la protection de la ressource et sa durabilité. Certes plusieurs

forums mondiaux de discussion autour de l’eau ont été mis et place, mais ils ont

semble-t-il, souvent été perçus comme un échec, si l’on en croit la création des forums

alternatifs mondiaux de l’eau (Mexico 2006, Istanbul 2009, Marseille 2012) organisés

conjointement par des ONG et la société civile conjointement, afin de promouvoir le

droit d’accès à l’eau comme droit humain fondamental et le droit de l’eau, c'est-à-dire

le droit intrinsèque de l’eau à la vie, à la propreté et à la liberté, l’eau devenant en

somme le sujet. Nous le disions, l’eau est la seule ressource indispensable à la vie qui

ne fait toujours pas l’objet d’un traité international1 consacrant sa conservation, sa

protection, la pénalisation de sa pollution, son obligation de traitement et son

recyclage, en somme sa primordialité. Ce silence est d’autant plus inquiétant, qu’il

1Anne Hauteclocque, « L’eau, droit humain », Les eaux glacées du calcul égoïste, Avril 2012, URL :

http://www.eauxglacees.com/L-eau-droit-humain-par-Anne-de (Consulté le 17 juin 2013)

Page 7: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

7

trahit la résolution du 28 juillet 2010 de l’Assemblée Générale des Nations Unies qui

« reconnaît » le droit à l’eau potable, salubre et propre comme un droit fondamental.

Ce vide juridique renforce l’idée selon laquelle la détermination de l’eau est un sujet

aussi sensible que complexe, à la fois parce qu’elle suscite l’inquiétude de la société et

des gouvernements mais également parce qu’elle est propre à chaque civilisation.

Revenons néanmoins sur la vision de Graciela Schneier-Madanes selon laquelle

« l’eau établit un rapport social fondamental. Dans la mesure où les êtres humains ne

peuvent pas vivre sans eau, celle-ci les oblige à se rassembler, et cela quel que soit

l’environnement (aride, tropical, urbain, rural). L’eau est à la fois facteur de cohésion -

sociale et territoriale - et source de conflits ; sa disponibilité et sa quantité déterminent,

pour une large part, la forme d’une société et son développement. Réciproquement, la

nature de la société détermine la fonction et la valeur données à l’eau, ainsi que les

modes d’accès à cette ressource et les usages qui en sont faits »2. C’est à partir de cette

analyse que notre étude trouve son champ d’application. En effet la région étudiée – la

frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire

le long du rio Grande (aux Etats-Unis), Bravo (au Mexique) – est non seulement une

zone transfrontalière dans laquelle les populations se sont réunies dans des centres

urbains binationaux hétérogènes, mais également une région où les pénuries d’eau sont

fréquentes et où paradoxalement le développement, tant économique que

démographique, connaît une croissance soutenue.

Cette recherche se concentre sur la période 1994-2013, c'est-à-dire depuis

l’entrée en vigueur de l’Accord de Libre Echange Nord Américain (ALENA) jusqu’à

nos jours, elle se focalise notamment sur le conflit diplomatique des années 2000 ;

néanmoins on ne saurait étudier la gouvernance de l’eau transfrontalière entre le

Mexique et les Etats-Unis sans prendre en compte le traité de 1944 qui établit les bases

de la gestion transfrontalière de la ressource hydrique entre ces deux pays.

La région étudiée est une zone où l’utilisation de l’eau exprime une dimension

internationale, dans laquelle la coopération entre les gouvernements du Mexique et des

Etats-Unis est non seulement inévitable mais également l’une des clefs du

développement soutenu dans cet espace (cf. Carte 2). En effet les Etats-Unis et le 2Graciela Schneier-Madanes, « Introduction », in Graciela Schneier-Madanes (dir.), L’eau mondialisée

La gouvernance en question, Paris, La Découverte, 2010, pp.25-44.

Page 8: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

8

Mexique ont signé en 1944 un traité binational disposant de la répartition des eaux du

Rio Colorado, du Rio Bravo/Grande et du traitement des eaux du Rio Tijuana, trois

fleuves transfrontaliers sujets de discordes et de tensions de nature très différentes.

Dans un souci de spécialisation, notre analyse porte sur les eaux du Rio Grande/Bravo.

Ultérieurement les gouvernements de ces deux pays ont signé les accords de La Paz en

1983 afin de promouvoir les actions coordonnées pour le développement durable le

long de la frontière. Enfin à la suite de l’entrée en vigueur de l’Accord de Libre

Echange Nord Américain (ALENA) le 1er

janvier 1994, les Etats-Unis et le Mexique

ont créé dans le cadre de ce traité international la Commission de Coopération

Environnementale Frontalière (COCEF) et la Banque de Développement d’Amérique

du Nord (BANDAN), deux institutions binationales dont les missions sont orientées

vers l’ « accessibilité à la ressource hydrique le long de la frontière »3.

C’est cette dimension internationale, à savoir la gestion binationale de la

ressource en milieu aride ou semi-aride, ainsi que les tensions et conflits que cette

situation suppose, qui nous ont semblé mériter une étude approfondie, d’autant plus

qu’il s’agit d’une région dans laquelle les débats autour de la détermination de l’eau et

de la nature de sa gestion trouvent leur champ d’application. Par ailleurs il est bon de

rappeler qu’avec l’entrée en vigueur de l’ALENA, le développement économique de

cette région a connu un essor inespéré ainsi il s’agit aujourd’hui de la région qui

connaît le plus fort taux de croissance d’Amérique du Nord4. Néanmoins les récentes

pénuries d’eau risquent d’inhiber le développement économique de la région

binationale et menacent tout particulièrement le secteur agricole mexicain à l’avenir de

plus en plus incertain en raison de sa soif exacerbée et de la concurrence américaine à

laquelle il est exposé.

La question qui se pose dans une telle situation est de savoir quels sont les

enjeux politiques, économiques, environnementaux et sociaux du réchauffement

3Vicente Sánchez Munguía, « La demanda de agua en la región fronteriza México-Estados Unidos y los

desafíos institucionales », in Alfonso Andrés Cortes Lara, Scott Whiteford et Manuel Cháves Márquez

(dir.), Seguridad, agua y desarrollo. El futuro de la frontera México-Estados Unidos, Mexcio, El

Colegio de la Frontera Norte, 2005, pp. 197-231. 4Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, « Agua y desarrollo económico en la región binacional del

bajo río Grande/ río Bravo, Estados Unidos/México », in Alfonso Andrés Cortes Lara, Scott Whiteford

et Manuel Cháves Márquez (dir.), Seguridad, agua y desarrollo. El futuro de la frontera México-Estados

Unidos, Mexcio, El Colegio de la Frontera Norte, 2005, pp. 99-124

Page 9: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

9

climatique assorti du développement en milieu aride, dans la gouvernance des eaux

transfrontalières du Rio Bravo ; une telle problématique s’inscrit dans le débat

classique entre définition de l’eau comme bien commun ou comme bien marchand,

deux approches que tout oppose rendant le choix entre l’une ou l’autre de ces

perspectives lourd de conséquences. Dans le bassin du Rio Bravo, l’approche

marchande a été privilégiée jusqu’à aujourd’hui et l’un des principaux objectifs de

cette étude est d’apprécier l’opportunité d’un renversement de paradigme et d’évaluer

l’enjeu de la perception de l’eau comme un bien commun. Cette question est non

seulement au cœur de l’agenda des rencontres Mexique-Etats-Unis, mais fait l’objet de

préoccupations plus larges si l’on en croit le plan d’action contre le réchauffement

climatique présenté par le président Américain Obama en juin 2013.

Pour répondre à la problématique posée, il nous appartient de souligner que la

faible disposition en eau dans cette région fait l’objet de nombreuses pressions. En

effet, les ressources en eau de cette région sont très sollicitées en raison du cadre

législatif et juridique interne et international, à la fois du Mexique et des Etats-Unis,

mais également, du fait des conséquences de l’entrée en vigueur de l’Accord de Libre

Echange Nord Américain, de la croissance exacerbée de cette région et enfin à cause

des récentes sécheresses qui se sont abattues dans la région frontalière entre le

Mexique et les Etats-Unis (Partie I). Nous verrons par la suite que la coopération

binationale est primordiale pour affronter une situation de pénurie récurrente, voire

permanente ; l’accord trouvé dans le traité de 1944 entre les Etats-Unis et le Mexique

a permis de règlementer la gestion des eaux du Rio Bravo mais a également souligné

un déséquilibre des puissances en présence et s’est traduit par de nouveaux différends.

Par ailleurs, la question de la rentabilité hydrique est au cœur des débats politiques et

sociaux actuels et cette controverse met en évidence un problème d’aménagement du

territoire dans cette région aride et semi-aride (Partie II). Enfin, il nous semble

inévitable de considérer les enjeux environnementaux pour assurer la pérennité de la

ressource. En effet, la notion de « sécurité de l’eau »5 énoncée par les auteurs Witter et

Whitford nous parait incontournable dans la mise en place d’une nouvelle gouvernance

de l’eau. Nous discuterons des supposés bienfaits du développement dans une région

5Scott Witter et Scott Whiteford, « Water Security : Issues and Policies Challenges », in Scott G Witter

et Scott Whiteford (dir.), Water Policy : Security Issues, Stamford, Ct., International Review of

Comparative Public Policy, vol 11, JAI Press Inc, 1999.

Page 10: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

10

où la ressource en eau est menacée et dans laquelle un changement de cap de la

gouvernance hydrique nous paraît s’imposer (Partie III).

Nous illustrerons cette étude en nous appuyant d’une part sur un entretien que

nous a accordé Enrique Escorza, diplomate mexicain, spécialiste des questions

frontalières, en charge de la négociation au sein de la Commission Internationale des

Frontières et des Eaux (CILA, sigles espagnoles) avec les Etats-Unis. Et d’autre part

sur les différentes réunions entre les diplomates mexicains et les hauts fonctionnaires

de l’Environmental Protection Agency (EPA) auxquelles nous avons participé lors de

notre stage à l’ambassade du Mexique à Washington DC d’avril à septembre 2013.

Page 11: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

11

I. La pression sur les ressources en Eau : la résultante des facteurs

climatique, juridiques et économiques

Cette partie de l’étude nous permet de présenter le contexte de la menace qui

repose sur la ressource hydrique, indissociable des caractéristiques géographiques de la

région analysée. Les cadres législatifs et juridiques des Etats-Unis et du Mexique, bien

que fondamentalement différents6, sont les vecteurs d’une vision rationnelle et

marchande de l’eau qui contribue à exercer une étreinte indésirable sur la ressource

hydrique (A). De surcroît, l’ALENA qui a largement contribué au développement

économique et démographique du nord du Mexique au détriment de la protection et de

la conservation de la ressource hydrique constitue aujourd’hui une nouvelle menace

qu’implique la notion de marchandise, d’une nature différente certes, mais dont la

finalité reste la même (B). Les problèmes relatifs à l’eau dans cette région aride et

semi-aride sont inséparables des sécheresses répétées qui ont affaibli la région, mais ils

sont dus également à une croissance démesurée et continue dont la soif ne fait

qu’augmenter, au grand dam des ménages de plus en plus inquiets et conscients de la

valeur écologique de l’eau (C).

A. De l’étreinte du cadre législatif et juridique, interne et binational

Une présentation des caractéristiques du Rio Grande/Bravo est de mise avant

l’exposition du cadre juridique qui règle la répartition et la gestion de ses eaux. Selon

l’Organisation des Etats Américains (OEA), le Rio Bravo s’étend sur 3 057 km et est le

cinquième plus grand fleuve d’Amérique du nord ; ce fleuve représente non seulement

une « frontière géopolitique internationale »7 entre le Mexique et les USA, mais son

bassin est également une zone de coopération et de tension relative à l’eau, à sa

répartition, son utilisation, sa protection et à sa conservation (cf. Carte 1). Le bassin du

Rio Bravo fait 467 000 kilomètres carrés qui se divisent en cinq états mexicains

(Chihuahua, Coahuila, Nuevo León, Tamaulipas, Durango) et trois états des Etats-Unis

(Colorado, Nouveau Mexique, Texas). Par ailleurs, le fleuve traverse plusieurs régions

écologiques, il connait des habitats très variés (forêts, marais salant, désert …). La

6Carlos Lascurain Fernández, « El desempeño del régimen ambiental México-Estados Unidos : manejo

de las aguas de los rios Bravo y Colorado », Mexico D.F, Plaza Y Valdes, 2010. 7Darío Salina Palacios, « Géopolitique de l’eau dans le Bassin du Bajo rio Bravo : rivalités de pouvoirs

entre les centres agricoles et urbains dans le nord-est du Mexique », La Chronique des Amériques,

(Montréal), N°06, Novembre 2011, pp. 1-12.

Page 12: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

12

vallée du Rio Bravo est considérée comme une des régions les plus diversifiées en

termes de biodiversité au monde. Néanmoins, le Rio Bravo del Norte n’est fleuve

frontière que depuis le traité de Guadalupe Hidalgo de 1848 qui dispose de la cession

des territoires du Nord aux Etats-Unis et le rattachement du Texas, un temps

indépendant, à ces derniers. En somme, il s’agit d’une frontière naturelle relativement

jeune, s’établissant autour d’un fleuve d’une longueur de 3 057 kilomètres dont 2 018

kilomètres frontaliers8 qui s’étendent de Fort Quitman jusqu'au Golfe du Mexique.

Plus haut, nous signalions l’importance de la coopération binationale dans cette région,

c’est en effet dans ce cadre que les deux pays ont signé en 1944 le traité sur la

distribution des eaux internationales entres le Mexique et les Etats-Unis.

1. Le traité de 1944

A 144 km en aval de Juárez-El Paso, Fort Quitman sert de point de référence

pour les traités, en particulier le traité de 1944 relatif à la distribution des eaux

internationales entre les Etats-Unis et le Mexique ; en amont de ce point le fleuve est

national et en aval de ce point le fleuve est considéré comme un fleuve international,

de ce fait « la gestion de ses eaux et de celle des affluents d’aval (les rios Conchos et

Salado côté Mexicain, le Pecos côté texan) se fait collectivement »9.

Le traité de 1944 prévoit dans son article 4 alinéa A-a), qu’appartient au

Mexique la totalité des eaux présentes dans le Rio Grande/Bravo en provenance des

fleuves San Juan et Alamo. Dans son alinéa A-b) le traité dispose qu’appartient au

Mexique, la moitié des eaux présentes dans le Rio Bravo/Grande en aval du dernier

barrage international principal (barrage Falcon).

D’autre part, le traité de 1944 prévoit à l’article 4 alinéa B-a) qu’appartient aux

Etats-Unis la totalité des eaux présentes dans le lit du Rio Bravo/Grande provenant des

fleuves Pecos, Devils, de la source Goodenough et des ruisseaux Alamito, Terlingua,

San Felipe, Pinto. A l’alinéa B-b), le traité dispose que la moitié des eaux présentes

8Comision Internacional de Limites y Aguas entre Mexico y Estados Unidos, « Cooperación

Transfronteriza en materia de agua y adaptacion al Cambio Climatico en la frontera Mexico-Estados

Unidos », Seminario de Cooperación en Materia de Aguas Transfronterizas, Buenos Aires, 11 junio

2013, pp.2. 9Luc Descroix, « Des conflits de l’eau à la limite du Nord et du Sud. Les eaux et la frontière », in

Frédéric Lasserre et Luc Descroix (dir.), Eaux et territoires. Tension, coopérations et géopolitique de

l’eau, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2011 [2002], pp. 413-423.

Page 13: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

13

dans le lit du Rio Bravo/Grande en aval du dernier barrage international principal

(barrage Falcon) appartiennent aux Etats-Unis.

Jusqu'à présent, il y a une correspondance étroite entre chacune des dispositions

du traité ; en somme, chaque Etat a droit à une certaine proportion des eaux du Rio

Grande/Bravo, et de leurs affluents nationaux respectifs. Notons par ailleurs que

l’ensemble de l’eau du fleuve est attribué à l’un ou l’autre des pays en laissant ainsi la

possibilité aux Etats de vider le fleuve en application du traité. Ainsi en février 2001 le

fleuve n’arrivait plus jusqu’au Golfe du Mexique10

. Nous reviendrons sur cette faute

juridique qui néglige la valeur écologique de l’eau et le rôle de l’écoulement de l’eau

dans le lit du fleuve et qui concourt à l’exercice d’une pression sur la ressource.

Néanmoins, à partir des alinéas A-c) et B-c), la correspondance dans la

répartition des eaux du Rio Grande/Bravo connait de sérieuses limites. En effet,

l’alinéa A-c) prévoit que les deux tiers des eaux présentes dans le Rio Grande/Bravo en

provenance des fleuves Conchos, San Diego, San Rodrigo, Escondido, Salado et

Arroyo de Las Vacas appartiennent au Mexique. Cet alinéa n’accorde donc pas au

Mexique de quantité d’eau minimum, mais bien un pourcentage sur les eaux en

présence. En revanche, l’alinéa B-c relatif à la part des Etats-Unis, dispose

qu’appartient aux USA un tiers des eaux présentes dans le rio Bravo/Grande en

provenance des fleuves Conchos, Sans Diego, San Rodrigo, Escondido, Salado et

Arroyo de Las Vacas. Cet alinéa précise, que ce tiers ne peut être inférieur à

431 721 000 mètres cubes d’eau par an. Ainsi, en l’espèce, « le barrage, La Boquilla,

sur le haut Conchos, doit soutenir un débit d’étiage réservé au bas Rio Grande »11

.

Cette différence notable dans la formulation des alinéas A-c et B-c de l’article 4

du traité de 1944 souligne une inégalité dans la répartition des eaux du Rio Bravo

puisque les Etats Unis sont sûrs d’obtenir au moins 431 721 000 mètres cubes d’eau

par an, même en cas de sécheresse ou de simple diminution des flux dans le fleuve,

alors que le Mexique n’a droit qu’a deux tiers des écoulements et cela même si les

écoulements sont nuls ou très faibles. Cette inégalité dans la répartition des eaux du

fleuve est source de tensions et déstabilise les acteurs en présence en exerçant une

pression particulière sur les eaux mexicaines. En effet, bien que la source du fleuve se

10

OCDE, « Examens environnementaux de l’OCDE : Mexique », Paris, Les Editions de l’OCDE, 2003. 11

Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12.

Page 14: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

14

trouve aux Etats-Unis, « l’engagement mexicain avec les USA découle du fait que le

débit du fleuve, à partir de la ville de Fort Quitman (au sud d’El Paso) jusqu’à la mer

soit fourni par les eaux mexicaines (70%) du total de ce qui arrive au bas rio Bavo »12

.

Ce traité prévoit ainsi que les Etats Unis ont un droit sur les eaux des affluents

mexicains du Rio Bravo/Grande, mais il n’établit pas de réciproque concernant les

eaux du Rio Bravo et il n’y a ainsi pas d’échange entre les affluents mexicains et

étasunien, mais bien la remise par le Mexique d’au moins 431 721 000 mètres cubes

d’eau aux Etats-Unis chaque année. Afin de faciliter la remise de cette quantité d’eau,

le traité établit un cycle de cinq ans dans lequel le Mexique doit s’acquitter de ce que

les médias mexicains ont nommé la « dette de l’eau »13

. En l’espèce bien que le traité

ne consacre pas proprement la notion de dette de l’eau, il en établit le mécanisme, ce

qui n’est pas dénué de sens dans la mesure où l’eau devient un moyen de paiement et

est perçue comme un instrument économique. Cette perception se traduit par une forte

étreinte de la ressource hydrique et menace sa durabilité, l’eau n’étant absolument pas

considérée comme une obligation de résultat.

Notons que l’article 2 du Traité de 1944 dispose qu’il appartient à la

« Comisión Internacional de Limites y Aguas / International Boundary Water

Commission » (CILA/IBWC) d’assurer le respect et l’application de ce dernier. La

CILA a également pour rôle de faire évoluer la règlementation et d’assurer la

résolution de tous les conflits relatifs au Traité de 1944. Il s’agit en l’espèce d’une

organisation internationale composée d’une section mexicaine et d’une section

étasunienne.

Par ailleurs, ce traité ne comprend aucun article relatif à la qualité de l’eau14

, en

conséquence chacun des pays est libre de fournir à l’autre des eaux polluées et non

traitées. C’est un problème qui a été particulièrement intense dans les eaux du fleuve

Tijuana où les « effluents du Sud polluent le Nord »15

et qui risque de se répéter dans le

Rio Bravo. Notamment lorsque l’on observe le développement industriel le long de la

frontière nord du Mexique.

12

Darío Salina Palacios, op. cit, p.11. 13

Efraín Klérigan, « Amite EU que México paga deuda a escondidas », Conexión Total, 8 avril 2013,

URL : http://conexiontotal.mx/2013/04/08/admite-eu-que-mexico-paga-deuda-a-escondidas/ (Consulté

05 juillet 2013). 14

Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 15

Luc Descroix, Des conflits de l’eau… op. cit, p.12.

Page 15: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

15

2. La conception de l’eau aux Etats-Unis

En raison des différences dans le concept de loi, selon l’Etat américain en

question, il est difficile d’avoir une vision globale de la loi de l’eau des états

frontaliers. Les pénuries d’eau dans cette région rendent encore plus difficile cette

analyse. Il apparait que « le Nouveau-Mexique est le seul état qui dispose d’une

règlementation adéquate pour la protection et la gestion de l’allocation d’eau »16

.

Néanmoins, aucun Etat ne dispose d’une régulation conjointe des affaires relatives à

l’eau le long de la frontière.

La « doctrine riveraine » est la règle originale et prédominante de la loi des

eaux aux Etats-Unis. Elle provient de la Loi Commune de Propriété et est applicable

dans la plus part des Etats américains. Cette règle, qui provient du droit coutumier

anglais, permet de disposer de façon illimitée de l’eau ; c’est le concept de propriété

absolue. Une autre caractéristique de cette doctrine, qui a été développée par les Etats

du Texas, de la Californie et de l’Arizona, est que la répartition de l’eau dépend

principalement des décisions de justice, avec une très faible participation législative. Il

existe une autre règle connue comme la Doctrine d’Appropriation, qui a été mise en

place dans l’état du Nouveau-Mexique et qui trouve son origine dans les traditions

espagnole et de droit romain. Cette doctrine a été adoptée avec le développement de

l’ouest des Etats-Unis. La principale différence entre la « Loi Commune » et la « Loi

d’Appropriation » repose dans l’origine et la nature des droits de propriété. Dans la loi

d’Appropriation, la ressource est publique jusqu’à ce qu’elle soit acquise pour son

utilisation et son usufruit. Les droits à l’eau sont conditionnés à leur usage, les droits

inutilisés retournent dans la sphère publique. Néanmoins, au Texas, c’est la loi

Commune qui s’applique.

En 1970, les USA ont adopté le National Environmental Policy Act qui dispose

de la prévention des dommages à l’environnement. Néanmoins, c’est la Clean Water

Act de 1977 qui règlemente la pollution de l’eau dans les fleuves américains. Il s’agit

d’un amendement du Federal Contamination Water Act de 1972. Enfin le Safe

Drinking Water Act a été adopté pour protéger la qualité de l’eau destinée à la

consommation aux Etats-Unis.

16

Carlos Lascurain Fernández, op. cit, p.11.

Page 16: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

16

Cependant, selon Luc Descroix, les Américains ont toujours eu une attitude

assez arrogante et cynique vis-à-vis du problème de l’eau :

Pratiquant le contraire d’une gestion « patrimoniale » et d’une politique de bon

voisinage ; et ce dès le XIXe siècle, après la « cession » des états de l’Ouest par le

Mexique. Les conflits ont d’abord éclaté au sujet du Rio Grande (la progression du

front pionnier américain se faisait à partir de l’est), dont les eaux étaient détournées

pour irriguer les pâturages, ce qui occasionna les premières protestations mexicaines.17

En somme, ce sont les principes qui ont fait l’Amérique du Nord qui

s’imposent, comme celui du « first in time first in right », qui ont fait que celui qui

s’approprie un bien en premier (de l’eau comme de la terre) en est légalement

propriétaire. En l’espèce, on observe que les Etats Unis on construit en 1914 le Barrage

Elephant Blue dans l’Etat du Nouveau Mexique à seulement 220 km de la frontière

mexicaine, à partir de ce barrage le Rio Bravo/Grande est à l’étiage jusqu’à ce que le

Rio Conchos (fleuve mexicain) vienne l’approvisionner en aval. Le Mexique a

construit simultanément le barrage La Boquilla sur le Rio Conchos en 1915, afin de

retenir ses eaux. Ce principe favorise ainsi non seulement une forte pression sur la

ressource en eau, mais il constitue également un frein à la coopération binationale ou

interétatique frontalière.

Autre principe primordial dans la conception de l’eau aux Etats-Unis, celui du

« use it or lose it » ; c’est un principe propre à une région frontalière. En effet, selon

Luc Descroix, ce principe, « discutable au départ, qui institutionnalise le gâchis et la

surexploitation, menant à des « dust bowls »18

et à l’assèchement des cours d’eau, est-

il un tant soit peu justifiable aujourd’hui ?19

». Ce principe revient comme nous l’avons

énoncé plus tôt à négliger le rôle écologique de l’eau et à banaliser l’épuisement de la

ressource, c’est ainsi, qu’en l’espèce les eaux du Rio Grande n’arrivaient plus jusqu’au

Golfe du Mexique en février 200120

.

La doctrine Harmon (du nom de l’attorney général qui a statué sur le conflit du

Rio Grande en 1895), selon laquelle les nations avaient l’absolue souveraineté sur les

17

Luc Descroix, Des conflits de l’eau..., op. cit, p.12. 18

Dust Bowls : littéralement « bassin de poussière », est le nom donné à une série de tempêtes de

poussière, véritable catastrophe écologique qui a touché la région des Grandes Plaines aux Etats-Unis et

au Canada dans les années 1930. 19

Luc Descroix, Des conflits de l’eau..., op. cit, p.12. 20

OCDE, op. cit, p.13.

Page 17: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

17

eaux traversant leur territoire sans aucune obligation vis-à-vis des voisins d’aval, a été

largement appliqué à la relation Etats-Unis Mexique, cela jusqu’à la signature du Traité

de 1944 qui renforce la collaboration dans la répartition des eaux frontalières malgré la

perception critique selon laquelle il ne représente que « quelques miettes concédées sur

le tard, comme pour tenir compte de l’évolution des mœurs… 21

».

Il va sans dire que ce sont ces principes qui ont permis aux Etats-Unis de

développer le sud-ouest d’un pays dans lequel l’activité économique se concentrait

principalement dans le nord-est, que par ailleurs ces principes sont les instruments

d’une volonté politique de croissance et d’emploi chère aux Etats-Unis. Néanmoins, ce

développement s’est fait non seulement au détriment de la disponibilité de la ressource

naturelle et de la relation de collaboration avec le Mexique. Par ailleurs, le Mexique,

n’a pas eu une attitude très différente à l’égard de son voisin du nord en surexploitant

plus que de raison les eaux des affluents mexicains du Rio Grande. Ces différentes

pressions sur la ressource n’ont eu d’autre résultat que celui de faire de l’eau la

principale victime.

3. La conception de l’eau au Mexique

La Constitution mexicaine de 1917 prévoit à son article 27, que la propriété des

terres et des eaux comprises à l’intérieur de limites de son territoire national appartient

originellement à la nation, laquelle a eu et a le droit de transmettre ses domaines aux

particuliers en constituant la propriété privée. Ainsi, au Mexique, la tâche

d’administration des ressources en eaux au niveau fédéral revient à la Commission

nationale de l’eau (CONAGUA), qui est un organisme décentralisé du Secrétariat de

l’environnement et des ressources naturelles (SEMARNAT) dont la fonction est

normative, technique et consultative.

En matière de législation de l’eau, c’est en 1992 qu’a été rédigée la loi des

Eaux nationales ; elle a été modifiée en 2004 par la « Ley de Aguas Nacionales » qui

annule les lois antérieures et calque la gestion de l’eau au Mexique sur un modèle

proche de celui adopté en France en 1964 puis 1992. En effet, l’article 7-1 de la « Ley

de Aguas Nacionales » de 2004 dispose qu’est déclarée d’intérêt public la gestion

intégrée des ressources en eau.

21

Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12.

Page 18: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

18

Selon la déclaration de Dublin de 1992 la gestion intégrée de la ressource en

eau prévoit quatre principes simples censés former la base des politiques de l’eau de

tous les Etats22

:

1. L’eau douce est une ressource limitée et vulnérable, indispensable à la vie, au

développement et à l’environnement – puisque l’eau c’est la vie, une gestion efficace

des ressources exige une approche holistique, reliant le développement économique et

social à la protection des écosystèmes naturels. Une gestion efficace associe les usages

de l’eau et des sols à travers l’ensemble d’un bassin hydrographique ou d’une nappe

souterraine.

2. Le développement et la gestion de l’eau devraient être fondés sur une approche

participative impliquant usagers, planificateurs et décideurs à tous les niveaux.

L’approche participative exige d’éveiller la conscience relative à l’importance de l’eau

auprès des décisionnaires et du grand public. Cela signifie que les décisions sont prises

au niveau approprié le plus bas, avec la consultation totale du public et l’implication

des usagers dans la planification et la mise en œuvre des projets liés à l’eau.

3. Les femmes sont au cœur des processus d’approvisionnement, de gestion et de

conservation de l’eau. Le rôle primordial des femmes en matière d’approvisionnement

et d’usage de l’eau, et de préservation de l’environnement, est rarement représenté

dans les dispositions institutionnelles pour le développement et la gestion des res-

sources en eau. L’adhésion à ce principe et sa mise en œuvre requièrent des politiques

positives qui se préoccupent des besoins spécifiques des femmes et leur donnent le

pouvoir de participer à tous les niveaux aux programmes sur l’eau, y compris aux

prises de décision et aux mises en œuvre, d’une manière définie par elles.

4. Pour tous ses différents usages, souvent concurrents, l’eau a une valeur éco-

nomique et, à ce titre, devrait être reconnue comme un bien économique. Avec ce

principe, il est vital de reconnaître d’abord le droit fondamental de tous les êtres hu-

mains à l’accès à une eau propre et à l’assainissement à un prix abordable. La non re-

connaissance par le passé de la valeur économique de l’eau a conduit à des gaspillages

et des usages dommageables pour l’environnement de la ressource. Gérer l’eau comme

un bien économique est un bon moyen pour obtenir un usage efficient et équitable, et

pour encourager la conservation et la protection des ressources.

22

David Blanchon et Yvette Veyret, « Développement durable et globalisation : l’exemple de l’eau »,

Historiens et Géographes, (Paris), n°395, 2006, pp. 111-126.

Page 19: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

19

En l’espèce, il convient de rappeler néanmoins que c’est le traité de 1944 qui

s’applique pour les Eaux du Rio Bravo et que, par conséquent, la gestion intégrée de la

ressource n’y est pas applicable bien qu’elle soit de plus en plus envisagée par la

CILA23

. En effet, puisque le Rio Bravo est compris dans le traité de 1944, il a une

dimension internationale et il échappe ainsi au principe de souveraineté territoriale,

c'est-à-dire la « capacité des Etats à disposer des ressources disponibles dans le ressort

de leur juridiction »24

.

Cependant, la gestion intégrée de l’eau est applicable pour les affluents du Rio

Bravo non compris dans le traité de 1944 ainsi que pour les aquifères de cette région

(qui n’ont pas été inclus dans le traité de 1944). Par ailleurs, bien que la gestion

intégrée de la ressource consacre une approche holistique de la ressource, le

renforcement de la participation citoyenne en soulignant tout particulièrement le rôle

des femmes dans le processus d’approvisionnement en eau, il semblerait que le

quatrième principe relatif à la reconnaissance de l’eau comme un bien économique soit

à la source d’inégalités de différente nature25

. La tarification de l’eau dans une

situation de pénurie d’eau ne ferait que renforcer les inégalités entre deux secteurs

indispensables de l’économie : l’agriculture et l’industrie. Puisqu’il n’y à pas d’eau

pour tout le monde, la ressource irait au plus offrant et se poserait alors la question du

choix de l’un des deux secteurs, une agriculture dépassée ou une industrie très

compétitive ? Le problème est que chacun de ces secteurs est pour l’instant

indispensable à la région du nord-est du Mexique. Par ailleurs, la tarification de l’eau

dans cette région aride risque de générer des inégalités au sein des différents secteurs,

et de conduire notamment les petits agriculteurs à vendre leurs droits d’eau aux grands

propriétaires agricoles disposant de plus fortes ressources. C’est aussi un facteur

d’inégalité entre les individus ; les pauvres n’ayant pas les moyens de payer les

infrastructures leur permettant d’être raccordés à un service d’approvisionnement en

23

Comision International de Limites y Aguas, « Tratamiento de aguas residuales de Nuevo Laredo », 20

septembre 2012. URL : http://www.sre.gob.mx/cilanorte/index.php/component/content/article/84. 24

Raúl Brañes, « Aspectos jurídicos del manejo de las aguas superficiales compartidas por México y

Estados Unidos », in Trava Manzanilla (dir.), Manejo ambientalmente adecuado del agua. La frontera

México-Estados Unidos, Tijuana, B.C., El Colegio de la Frontera Norte, 1991. 25

Olivier Petit et Bruno Romagny, « La reconnaissance de l'eau comme patrimoine commun : quels

enjeux pour l'analyse économique ? », Mondes en développement, 2009/1 n° 145, p. 29-54. DOI :

10.3917/med.145.0029.

Page 20: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

20

eau devront acheter le litre d’eau à un tarif défavorable, nettement plus cher que celui

propre aux personnes raccordées à un service d’approvisionnement26

.

Ainsi, certains environnementalistes pensent que mettre un prix sur l’eau douce

serait « le meilleur moyen pour sauver le capital hydrique de la planète. Plus cher elle

coûtera, moins nous gaspillerons la ressource »27

. Il est vrai que la volonté politique

des gouvernements qui se sont succédé étant de développer l’agriculture d’abord,

l’industrie ensuite, au nord-est du Mexique, a mené les autorités mexicaines à

subventionner l’eau d’une façon déraisonnable et indésirable28

, ce qui eu pour

conséquence d’encourager les investisseurs étrangers à s’établir dans cette région, et

les agriculteurs à développer une agriculture d’irrigation. Néanmoins cela a également

accru la pression sur la ressource en eau et la menace sur sa durabilité. Or comme

l’écrit R. Petrella: « ce n’est pas parce qu’un service à un coût que cela doit se traduire

par un prix sur le marché »29

; en effet, un ensemble d’alternatives à la reconnaissance

de l’eau comme un bien économique est à mettre en place qui permettent d’assurer la

pérennité de la ressource sans renforcer les inégalités et les tensions dans cette « région

sensible »30

qu’est la frontière Etats-Unis Mexique.

B. L’entrée en vigueur de l’ALENA : le poids de l’économie

Nous l’avons dit, la région transfrontalière du Rio Bravo/Grande est soumise à

de fortes pressions sur la ressource en eau ; nous notions préalablement que le cadre

juridique et légal à la fois international et interne à chacun des pays frontalier pèse

lourdement sur la ressource, néanmoins il ne s’agit pas là de la seule menace qui pèse

sur cette ressource précieuse. En effet, dans cette sous partie, nous étudierons les

conséquences du développement de l’économie (cf. Graphique 3) et de son corollaire,

la croissance démographique (cf. Tableau 3) dans la zone frontalière du Rio

Bravo/Grande, sur la disponibilité de la ressource. En effet, « depuis une trentaine

d’années on assiste à une croissance économique avec un développement de l’industrie

et une forte urbanisation dans la région transfrontalière, qui s’accompagne d’une forte

26

David Blanchon et Yvette Veyret, op. cit, p.18. 27

Frederick Kaufman, « La soif d’eau de Wall Street », Le Monde diplomatique, Mars 2013, In Carnets

d’eau. URL : http://blog.mondediplo.net/2013-03-08-La-soif-d-eau-de-Wall-Street (consulté le 22 mai

2013). 28

OCDE, op. cit, p.13. 29

Ricardo Petrella, L’eau, Res Publica ou marchandise. Paris, La dispute, 2003, 219p. 30

Darío Salinas Palacios, op. cit, p.11.

Page 21: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

21

pression sur les ressources hydriques de cette région semi-aride »31

. Nous porterons

une attention particulière à l’impact de l’entrée en vigueur de l’ALENA et aux

incitations aux investissements dans la région transfrontalière, tout en soulignant la

soudaine « prise de conscience environnementale »32

entre les Etats-Unis et le

Mexique, matérialisée dans le traité de libre échange nord-américain de 1993. D’autre

part, nous analyserons la notion de marchandise telle qu’elle est définie dans le cadre

de l’ALENA, afin d’expliquer les enjeux qui reposent sur la détermination ou non de

l’eau comme telle.

1. Le développement de l’économie au Nord du Mexique acteur principal de

la restriction hydrique

Au cours du siècle dernier, l’eau du rio Grande a permis le développement de

l’agriculture intensive qui était d’ailleurs « au centre de l’économie régionale jusqu’à

la première moitié du 20ème

siècle »33

(cf. Tableau 2). Cette région transfrontalière qui

se caractérise par un climat aride et semi-aride et par des ressources limités en eau, a

été peuplée et développée économiquement grâce à la maîtrise et à l’usage de l’eau

dans la première moitié du XXème siècle, avec notamment la construction des

barrages internationaux Falcon (1955) et Amistad (1966) prévus dans le traité de 1944

entre le Mexique et les Etats-Unis. La construction de ces nouvelles infrastructures sur

la partie basse du Rio Bravo/Grande a favorisé la création d’un modèle économique

basé sur la mise en œuvre de grands espaces agricoles d’irrigation dans la région

binationale, appelés « distritos de riego »34

. Ces infrastructures permettent également

de fixer une limite à l’agriculture irriguée dans cette région aride ; grâce à elles, au

Mexique, environ 300 000 hectares peuvent être irrigués ; il en résulte que la région du

bas du Rio Bravo bénéficie du « plus grand système compact d’irrigation du

Mexique »35

. En somme, le développement agricole a été promu par la monoculture du

coton au Mexique, qui a enrichi la région entre les années quarante et soixante. Par

contre, dans les années soixante-dix, la crise de cette culture a été accompagnée d’une

31

Manuel Chávez Márquez, Alfonso Andrés Cortez Lara et Scott Whiteford, « El nuevo manejo

binacional de recursos compartidos : Cuando la seguridad es interdependiente », in Manuel Chávez

Márquez, Alfonso Andrés Cortez Lara et Scott Whiteford (dir.), Seguridad, agua y desarrollo. El futuro

de la frontera México-Estados Unidos, Mexico, El Colegio de la Frontera Norte, 2005, pp. 27-61. 32

Idem. 33

Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 34

Darío Salina Palacios, op. cit, p.11. 35

Idem.

Page 22: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

22

série de réformes dans les secteurs économiques et de l’agriculture elle-même (cf.

Graphique 1). Par ailleurs, les Etats-Unis ont développé la monoculture de la canne à

sucre dans cette région, alors qu’il s’agit, comme pour le coton, d’une culture en

théorie tropicale ou subtropicale et qui en conséquence nécessite de grandes quantités

d’eau. Cette volonté politique de part et d’autre de la frontière de développer

l’agriculture irriguée dans le bassin du Rio Bravo s’est exprimée sans considération

pour les aspects géographiques de cette région aride. Cela s’explique notamment du

fait de la perception de l’eau comme une ressource renouvelable au cours du XXème

siècle ; aujourd’hui cette vision est dépassée dans une région de pénuries fréquentes.

Par ailleurs, il s’agit d’une zone de plaines, en théorie favorable à l’agriculture

intensive, à la différence du sud-est du Mexique où les précipitations abondent, mais

où les caractéristiques morphologiques du territoire sont contraires à ce mode

d’agriculture. De plus, aux Etats-Unis comme au Mexique l’approvisionnement en eau

fait l’objet d’une politique de la demande, donc plus importants sont les besoins, plus

les réserves hydriques sont sollicitées pour répondre à ces requêtes.

Ce développement de l’agriculture réalisé au cours de la première moitié du

XXe siècle a favorisé la « création de colonies autour de ces districts d’irrigation »36

.

En effet, depuis les années 1950, la région frontalière du Rio Bravo a connu « une

croissance démographique exponentielle, une tendance qui semble-t-il va se maintenir

dans les prochaines décennies »37

. Notons que la région binationale du Bajo Rio Bravo

(le bas du bassin du Rio Bravo) est passée en 6 décennies de 500 000 à 2,5 millions

d’habitants38

. Il s’agit en l’espèce de la zone qui concentre la plus grande partie de la

population et des activités économiques du bassin, sur les 400 derniers kilomètres du

Rio Grande.

En somme, le bassin binational du Rio Bravo/Grande est une des régions « de

plus forte croissance en Amérique du Nord »39

. Malgré les sécheresses récurrentes, le

Rio Grande a assuré le développement de l’agriculture intensive, ainsi que la rapide

croissance démographique dans la partie basse du bassin. Cependant, le taux de

36

Ibid. 37

Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 38

James Peach et James Williams, « Population and Economic Dynamics on the US-Mexican Border :

Past, Present and Future » in Paul Ganster (dir.), The US-Mexican Border Environment : A Road Map to

a Sustainable 2020, San Diego, SCERP, San Diego State University Press, 2000, pp. 37-73. 39

Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8.

Page 23: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

23

migration va continuer d’augmenter dans cette région en raison de la croissance

économique des villes frontalières, ce qui aura pour résultat d’augmenter la pression

sur les ressources en eaux de la région. D’autre part, « il convient de rappeler que les

infrastructures hydriques ne connaissent pas une croissance proportionnelle au

développement démographique »40

. Ainsi la capacité à gérer l’approvisionnement en

eau et les méthodes d’exploitation de la ressource sont une menace supplémentaire

pour celle-ci.

Par ailleurs, le traité de 1944 signé entre les Etats-Unis et le Mexique dispose

de l’attribution des ressources en eaux du Rio Grande dans une perspective agricole, or

ce cadre juridique n’avait pas prévu l’évolution industrielle de la région, ce qui a

« contribué à des demandes en eau imprévues et chaque fois plus importantes »41

sur la

ressource en eau du Rio Bravo. En effet, les gouvernements à cette époque étaient dans

l’incapacité d’envisager le développement à partir des années 1970 de l’industrie des

maquiladoras qui, au même titre que l’agriculture, a favorisé une « croissance urbaine

rapide et une poussée démographique depuis lors »42

. Notons que la position de la

région, en tant que lieu frontalier, a encouragé l’Etat mexicain à mener des politiques

pour l’établissement de l’industrie des maquiladoras et par la suite à assurer la

reconversion des travailleurs agricoles à des emplois dans l’industrie maquiladora (cf.

Graphique 2). Ces facteurs humains, cumulés aux irrégularités climatiques dans la

région, ont provoqué depuis les années quatre-vingt-dix une pénurie de la ressource

qui a affecté la région binationale du Rio Bravo.

Cette région aride constitue ainsi pour le Mexique une zone de développement

rapide du fait des « investissements importants réalisés par le secteur privé des pays du

Nord (essentiellement les Etats-Unis), attiré par la disponibilité d’une main-d’œuvre

bon marché (7 à 20 fois moins chère que la main-d’œuvre déclarée aux Etats-Unis,

suivant les secteurs d’activité) et la proximité géographique »43

. Nous l’avons compris,

l’eau est donc pour le Mexique l’enjeu primordial de cette région binationale.

Dans ce territoire binational, au début du XXIe siècle, un changement dans la

dynamique économique s’est ainsi opéré, les secteurs industriel, manufacturier et des

40

Manuel Chávez Márquez, Alfonso Andrés Cortez Lara et Scott Whiteford, op. cit, p.21. 41

Darío Salina Palacios, op. cit, p.11. 42

Idem. 43

Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12.

Page 24: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

24

services, soutenus par le commerce international, ont dominé l’économie et cette

tendance a été largement renforcée par l’entrée en vigueur de l’ALENA en 1994. De

fait, l’agriculture a ainsi « perdu de son omniprésence mais son rôle est toujours

socialement et économiquement important »44

.

Pour le Mexique la région binationale du Rio Bravo/Grande a donc « un rôle

économiquement fondamental, c’est l’un des principaux objectifs des flux

d’investissements étrangers directs, il connait une forte activité commerciale et c’est

un centre d’une relative prospérité économique »45

. Ceci constitue une raison suffisante

pour établir une nouvelle gouvernance de la ressource, étant donné la pression de

l’agriculture de l’industrie maquiladora et de la croissance démographique qui en

découle. D’autre part, « pour les USA cette région représente un défi majeur puisque

c’est l’un des principaux accès commerciaux territoriaux avec le Mexique »46

. Ainsi

donc ce territoire est une région dynamique, d’une importance stratégique, sociale et

économique majeure pour les deux nations. En conséquence, il est vital que les

gouvernements tant nationaux que municipaux et locaux de chaque coté de la frontière

portent leur attention sur les limites que connaîtrait la croissance en cas de pénuries

d’eau ou de mauvaise qualité de celle-ci.

2. La marchandisation de l’eau en Amérique du Nord en question

La pression qu’exerce l’économie sur l’eau se manifeste sous plusieurs formes,

la première, dans une vision empirique, concerne la pression des divers secteurs de

l’économie, nous l’avons traitée ci-dessus. Maintenant il nous appartient de replacer

les différentes menaces sur la ressource hydrique dans le contexte théorique qui oppose

la mise en patrimoine de l’eau à sa marchandisation.

En effet, deux nouvelles approches sont proposées. La première est l’approche

économique, où l’eau est envisagée au titre de bien économique soumis aux règles de

l’offre et la demande, susceptible d’appropriation, de gestion privée et objet de

commerce. « Cette théorie soutient que, contrairement à la lumière du soleil ou à l’air,

les fleuves, les lacs, les estuaires et les eaux côtières sont susceptible d’appropriation et

que, pour cette raison, l’eau ne devrait pas être uniquement une ressource naturelle,

44

Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 45

Idem. 46

Idem.

Page 25: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

25

mais également une ressource économique. »47

. Or, au lieu de considérer l’eau comme

ayant une nature holistique (à la fois facteur de production, bien de consommation

final, élément concourant à l’identité d’une communauté d’usagers, mais aussi support

de vie des écosystèmes), « les économistes ont entrepris de mobiliser les catégories de

l’économie néoclassique et de requalifier certaines des caractéristiques non

marchandes de l’eau dans les termes d’une économie basée sur le référentiel

marchand »48

. Ces courants de l’économie néoclassique ont notamment omis le

caractère sanitaire de l’eau ainsi que sa nature publique due à son indispensable

utilisation par chaque membre de la société. Cette entreprise a contribué, à l’échelle

internationale, à la reconnaissance de l’eau comme « bien économique » (principe 4 de

la déclaration de Dublin, 1992). Cette approche est préconisée par différents

organismes mondiaux à vocation économique, comme la Banque mondiale, le FMI,

l’OMC, l’OCDE et le Conseil mondial de l’eau. Ces organismes prônent la

reformulation du statut juridique de l’eau au titre de bien économique et tentent par

différents moyens de persuader les décideurs politiques que c’est la formule qui doit

être privilégiée à l’échelle nationale et internationale. Par ailleurs « la reconnaissance

de l’eau comme bien économique fait aujourd’hui partie des acquis des forums

mondiaux de l’eau successifs »49

. En privilégiant l’approche économique depuis les

années 1990, la Banque Mondiale démontre son influence dans le domaine de l’eau.

Néanmoins, certains auteurs estiment inopportun de poser la question de la

marchandisation de l’eau puisqu’il est « indéniable que le fait de subventionner

fortement les prix de l’eau d’irrigation conduit à des gaspillages »50

. Selon Luc

Descroix, la question qu’il faut se poser est de savoir si le fait de faire payer l’eau peut

en assurer un meilleur usage et en optimiser la gestion et la consommation.

La seconde est l’approche patrimoniale, où l’eau est envisagée à titre de bien

commun mondial ou à titre de composante du patrimoine commun de l’humanité.

Cette approche est principalement soutenue par des ONG (ATTAC) et des organismes

47

Yenny Vega Cardenas, « La construction sociale du statut juridique de l’eau en Amérique du Nord »,

Lex Electronica, vol.12 n°2, Automne 2007. 48

Iratxe Calvo-Mendieta, Olivier Petit, Franck Dominique Vivien, « Entre bien marchand et patrimoine

commun, l’eau au cœur des débats de l’économie de l’environnement », in Graciela Schneier-Madanes

(dir.), L’eau mondialisée La gouvernance en question, Paris, La Découverte, 2010, pp. 61-74. 49

Idem. 50

Luc Descroix, « Les conflits de l’eau au Nord-Mexique. Usage, appartenance et préservation des

ressource en marge du désert de Chihuahua », in Frédéric Lasserre et Luc Descroix (dir.), Eaux et

territoires. Tension, coopérations et géopolitique de l’eau, Québec, Presses de l’Université du Québéc,

2011 [2002], pp. 425-448.

Page 26: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

26

comme l’UNESCO. Selon cette vision, l’eau est considérée comme un « bien premier,

qui ne doit pas être confondu avec une marchandise et doit sortir de la logique

économique »51

. Ainsi, « dès les années 1970, le droit international de l’environnement

investit les ressources naturelles d’une autre dimension, en leur conférant un caractère

patrimonial, parfois présenté comme le contrepoint de la dimension marchande52

C’est d’ailleurs sous cet angle que les mouvements altermondialistes, en se référant à

la notion de patrimoine, soulignent les dangers d’une vision purement marchande de

l’eau. Par ailleurs, même les institutions qui soutiennent une approche économique de

l’eau « affirment la nécessité de mettre en place une concertation ou une participation

des usagers notamment à l’échelle locale, pour gérer les ressources en eau, en

reconnaissant explicitement leur dimension patrimoniale »53

. Néanmoins, il semble

difficile de concilier ces deux approches. En effet, soit on accepte d’accorder à l’eau un

caractère public, patrimonial et dans ce cas chaque membre de la société en est le

propriétaire et doit en assurer une gestion partagée, transparente et démocratique ; soit

on confère à l’eau une nature économique et dans ce cas la gestion de la ressource

revient au entreprises privées qui font des profits sur l’exploitation et la vente de droit

d’eau. Ce qui malheureusement conduit à une déresponsabilisation des populations

vis-à-vis de la gouvernance de l’eau.

Dans le cas de l’espèce, il apparait que la notion de marchandise dans

l’ALENA est plutôt vague. En effet, le Mexique, le Canada et les Etats-Unis sont

intégrés économiquement par l’ALENA, qui a pour effet, nous l’avons vu, de créer un

espace commercial entre ces trois pays afin d’éliminer les obstacles au commerce des

produits et des services entre les territoires des pays membres. Or, dans le cadre de la

déclaration conjointe de 1993, les gouvernements des pays signataires ont affirmé que

l’ALENA ne créait aucun droit aux ressources en eau « à moins d’être vendue dans le

commerce et de devenir ainsi une marchandise ou un produit.» Par conséquent, selon

les termes de l’ALENA, pour que l’eau soit considérée comme une marchandise, il

suffirait de la vendre dans le commerce ; de cette façon, l’eau entrerait pleinement dans

le champ d’application du traité. De plus, dans l’éventualité où l’eau serait assimilée à

51

Philippe Hugon, « L’eau est-elle un bien privé ou public ? », Sciences de la Société, n°64, fév 2005, p.

19-34. 52

Iratxe Calvo-Mendieta, Olivier Petit, Franck Dominique Vivien, op. cit, p.25. 53

Idem.

Page 27: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

27

une marchandise dans l’ordre juridique d’au moins un de ces trois pays, l’eau

risquerait alors, là aussi, d’entrer pleinement dans le cadre d’application du traité.

En l’espèce, la question de l’eau devient toutefois un sujet sensible entre le

Canada, le Mexique et les Etats-Unis, puisque ces pays comportent des situations

hydrographiques distinctes et où les mentalités de consommation et le rythme de vie

sont fort différents. Le flou qui demeure sur la définition de l’eau au sein de l’ALENA

a déjà provoqué de nombreux conflits nationaux et internationaux, notamment en ce

qui concerne les prétentions californienne et texane sur la ressource hydrique du

Canada. En effet, « même s’il y a un certain engouement pour la marchandisation de

l’eau et l’attribution d’un prix à cette ressource, dans le discours politique mexicain et

étatsunien, cette approche moderne peut inciter des conflits au sein et entre les deux

nations, le long de la ligne de division : urbain contre rural, populations indigènes

contre le reste de la population, et environnementaliste contre les avocats du

développement économique »54

.

De la même manière, les discours dominants sur la question de l’eau douce

diffèrent selon qu’on se trouve au sud ou au nord du continent nord-américain, ce qui

rend difficile la gestion des eaux transfrontalières et accentue considérablement la

pression sur la ressource hydrique des fleuves transfrontaliers. Le Rio Bravo étant

indirectement exposé à la marchandisation de ses flux sous couvert du traité de 1944,

son cas illustre les dérives de l’approche économique de la ressource en eau. Certes,

jusqu'à aujourd’hui il est impossible d’acheter directement l’eau du Rio Bravo (même

si des droits d’eau sont d’ores et déjà en vente), rappelons néanmoins :

Qu’actuellement, personne ne s’adonne à une quelconque activité sur le

marché à terme de l’eau, mais ce dernier ne mettra pas longtemps pour affirmer son

existence. Lorsque l’Etat du Texas a enregistré 10 milliards de dollars de pertes

économiques du fait de la récente sécheresse, des universitaires se sont mis à

échafauder des théories pour indexer l’eau du Rio Grande dans un marché à terme55

.

Ainsi dans le bassin du Rio Bravo/Grande, il est possible d’acheter des droits

d’eau, ce qui permet au plus offrant de s’approprier la ressource. Dans cette région, les

54

R. Perry, « Lessons from the Spaces of Unbound Water » in J. Blatter and Hellen Ingram (dir.),

Reflections on Water New Approaches to transboundary Conflicts and Cooperation, Cambridge,

Massachussetts, MIT press, 2001. 55

Frédérick Kaufman, op. cit, p.20.

Page 28: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

28

plus pauvres doivent souvent acheter l’eau à des revendeurs et la paient généralement

plus cher que les foyers plus aisés raccordés au réseau principal. Or seuls les plus

riches ont les moyens de payer les coûts de construction et d’entretien du réseau. « On

voit alors toute la difficulté du financement de l’accès à l’eau dans les pays du Sud si

l’on s’en tient au principe de « l’eau paye l’eau »56

. » Dans un tel espace, les Etats ne

peuvent plus éviter d’accorder à l’eau un statut juridique précis et disposant d’une

approche patrimoniale.

Les deux approches théoriques sur la nature marchande ou patrimoniale de

l’eau non seulement opposent deux courants économiques différents, mais sont aussi le

théâtre de la lutte entre les ONG et les mouvements altermondialistes d’une part, et les

institutions internationales telles que la Banque Mondiale, l’OMC et le FMI d’autre

part. En effet, les partisans de l’approche patrimoniale s’opposent à la demande des

grands organismes commerciaux de faire de l’eau un bien économique et avancent que

le libre marché augmenterait le risque d’épuisement des ressources à l’échelle de la

planète, et nuirait particulièrement à l’économie et à l’écologie des pays les plus

fragiles. Ils soutiennent que « le fait de comprendre l’eau sous la stricte perspective

économique peut créer des inégalités d’accès à la ressource, particulièrement dans le

cas des plus démunis57

. » En l’espèce, dans un contexte de rareté, les lois de l’offre et

de la demande auront tendance à favoriser les mieux nantis, ce qui mènera au

phénomène de l’appropriation de l’eau par une minorité en excluant une grande partie

de la population des agriculteurs et des petits industriels du Rio Bravo/Grande. A ce

propos, Jean-Marc Fournier nous rappelle que :

Dans les villes d’Amérique latine, l’accès à l’eau potable, en quantité et en

qualité, varie selon la position sociale. L’eau se révèle être un bon révélateur des

inégalités sociales, de la ségrégation urbaine et illustre parfaitement les problèmes de

développement généraux. Pour les habitants socialement les plus défavorisés, l’eau est

un souci quotidien pour survivre58

.

Les partisans de cette approche considèrent que l’eau dépasse toute

souveraineté territoriale et qu’elle devrait être gérée par un organisme supranational

56

David Blanchon et Yvette Veyret, op. cit, p.18. 57

Yenny Vega Cardenas, op. cit, p.25. 58

Jean-Marc Fournier, « Inégalités et conflits de l’eau dans les villes d’Amérique latine », in Graciela

Schneier-Madanes (dir.), L’eau mondialisée. La gouvernance en question, Paris, La Découverte, 2010,

pp. 419-437.

Page 29: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

29

indépendant en fonction du principe de solidarité proné par l’ONU. Ils plaident

également en faveur de la reconnaissance d’un droit fondamental à l’eau, essentiel et

irrévocable, consacré récemment par l’Assemblée générale des Nations Unies le 28

juillet 2010.

En réponse aux échecs des différents Forums Mondiaux de l’Eau (FME), le

Forum Alternatif Mondial de l’Eau (FAME) a été créé, le dernier en date celui de

Marseille (du 12 au 17 mars 2012) a rassemblé plus de 5000 participants venus

partager leurs expériences de lutte contre la marchandisation de l’eau et en faveur de la

reconnaissance de l’accès à l’eau comme droit humain fondamental ; il s’agissait d’un

forum de réflexion, de partage et de discussion dont l’objet est, entre autres, de

proposer des alternatives à la marchandisation de l’eau. Les ONG sont lasses de voir

qu’ « aucune vision, aucune solution crédible et pérenne n’a émergé du forum mondial

de l’eau, alors que la crise de l’eau continue à faire des ravages59

. » A cette occasion,

l’ONG Via Campesina déclare que « l’eau est un bien commun au bénéfice de tous les

êtres vivants. Il doit être soumis à une gestion publique, démocratique, locale et

soutenable. »60

Elle affirme que « la privatisation et la marchandisation de l’eau et de

tout autre bien commun sont un crime contre la terre et l’humanité ».61

Bien que nous ne partagions pas pleinement ces accusations, il nous a semblé

important de les relever afin d’exposer le sentiment d’un ensemble de citoyens, de

militants, d’associations et d’ONG vis-à-vis de la menace que représente la

marchandisation de l’eau. En effet, « les mouvements altermondialistes, les militants

opposés au modèle de privatisation ou encore les associations prônant une nouvelle

culture de l’eau ont interprété les ruptures de contrats comme étant des victoires dans

le cadre de leur lutte plus générale contre le néolibéralisme »62

. Il apparait que la mise

en réseau international de ces associations leur a incontestablement donné plus de

force et une plus grande visibilité. Les acteurs qui dénoncent que l’eau n’est pas une

marchandise rappellent que « la dimension sociale de l’accès à l’eau n’a pas été

59

Marc Laimé, « Du Forum alternatif mondial de l’eau à Rio +20 ». Le Monde diplomatique. En ligne.

Avril 2012. In Carnet d’eau. URL : http://blog.mondedipo.net/2012-04-11-Du-Forum-alternatif-

mondial-de-l-eau-a-Rio-20?archives=toutes. (Consulté le 28 mai 2013). 60

Sophie Chapelle et Nolwenn Weiler, « La privatisation de l’eau, un crime contre la terre et

l’humanité », Bastamag, Mars 2012, URL : http://www.bastamag.net/article2223.html (Consulté le 12

juin 2013). 61

Idem. 62

Jean-Marc Fournier, op. cit, p.28.

Page 30: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

30

suffisamment mise en avant, discutée ou explicitée »63

. Par ailleurs, ils ont permis de

penser l’eau à une échelle internationale et souhaitent qu’elle soit considérée comme

un patrimoine.

L’auteur Riccardo Petrella qui fait figure de leader de l’approche patrimoniale

de l’eau affirme que :

Nous avons laissé les intérêts sectoriels des uns et des autres transformer l’eau

en une ressource appropriable, ouverte à la conquête patrimoniale des plus forts. En

tant que bien patrimonial mondial de l’humanité, l’eau aurait dû être protégée par la

Loi de l’État. Elle ne l’a pas fait. […] C’est une grande faute que d’avoir enlevé à l’eau

son statut de bien public et de la soumettre, comme tout bien ou service privé

marchand, aux principes de la libéralisation, de la déréglementation et de la

privatisation.64

Par ailleurs, il semblerait que le secteur agricole soit directement menacé par la

marchandisation de l’eau. En effet, l’auteur Frédérick Kaufman estime que la

marchandisation ferait peser une menace sur les prix des produits alimentaires, c’est

pourquoi « les manœuvres en vue d’un marché global de marchandisation de l’eau

doivent être arrêtées ». Il nous prévient du danger que représente la « catastrophe »

qui permettra de parier sur les aliments humains. Par ailleurs, il prévoit que « la

prochaine grande matière première dans le monde ne sera ni l’or, ni le blé, ni le pétrole.

Ce sera l’eau. L’eau exploitable et utilisable65

. » Il envisage un marché de l’eau à terme

qui assurerait la livraison ou la réception de volumes d’eau pour une date prochaine

déterminée. « Si l’eau devenait un produit boursier, elle rejoindrait le brut Brent, le

carburant d’aviation et l’huile de soja et pourrait être négociée n’importe où, n’importe

quand et par n’importe qui66

. » Il conclut son pamphlet en assurant que « les dérivés

financiers globaux ont prouvé qu’on ne peut leur faire confiance. On leur fera d’autant

moins confiance qu’il s’agit de notre ressource la plus précieuse. Lancer un marché à

terme de l’eau créerait seulement encore plus de folie financière, folie qui semble

résister à toute tentative de réglementation67

. »

63

Ricardo Petrella, Le manifeste de l’eau, pour un contrat mondial, Bruxelles, Labor, 1998. 64

Riccardo Petrella, Le Bien commun, éloge de la solidarité, Bruxelles, Labor, Quartier Libre, 1996. 65

Frédérick Kaufman, op. cit, p.20. 66

Idem. 67

Idem.

Page 31: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

31

En l’occurrence, la marchandisation de l’eau représenterait une menace de plus

pour la gestion des eaux du Rio Bravo puisqu’il s’agit, rappelons-le, d’une région

historiquement orientée vers une agriculture d’irrigation. Côté mexicain il s’agit de la

plus vaste zone d’agriculture irriguée du pays, de plus il s’agit d’une région

connaissant une croissance industrielle soutenue et en conséquence une croissance

démographique très importante. Autant d’arguments justifiant la nécessaire approche

patrimoniale de la ressource hydrique dans cette région fréquemment affaiblie par de

violentes sécheresses.

C. La pénurie d’eau au carrefour des sécheresses et de la croissance de

la région transfrontalière

Nous avons montré plus haut que le bassin du Rio Bravo/Grande est soumis a

de fortes pressions et que les facteurs juridiques et économiques constituent une

menace conséquente sur les ressources hydriques de la région transfrontalière du Rio.

Il convient maintenant d’analyser le fardeau que représente le facteur climatique à la

fois sur la disponibilité de la ressource en eau et sur le développement économique et

démographique qui en dépend. Nous verrons que le réchauffement climatique qui s’est

accompagné de violentes sécheresses dans les années 1990 et 2000 est à la fois la

conséquence d’une mauvaise gestion de la ressource et la cause de celle-ci ; il s’agit en

quelque sorte du nouveau cycle de l’eau dans le bassin du Rio Grande, l’eau n’étant

plus une ressource de nature renouvelable alors que les sécheresses se produisent avec

une fréquence accrue. Par ailleurs, nous porterons notre attention sur la notion de

« sécheresse exceptionnelle » prévue par le traité de 1944 et les effets qui sont donnés

à cette exception au régime applicable. D’autre part, il nous a paru fondamental

d’étudier la notion de rentabilité hydrique présentée comme l’une des solutions à la

crise hydrique dans le bassin du Rio Grande, cette notion étant à la base du conflit

entre les différents acteurs (agriculture, industrie, ménages). Enfin, l’absence de prise

en compte du facteur écologique dans la répartition des eaux du Rio Grande/Bravo

nous semble être l’un des facteurs principaux de la crise de l’eau dans la région

d’étude. Cette négligence grave, conséquence de la lutte binationale pour

l’appropriation de la ressource, est non seulement un facteur de pression déterminant

sur la ressource hydrique mais également révèle de sérieuses carences dans la

coopération Mexique-Etats-Unis. Puisqu’il apparait que les décideurs politiques

Page 32: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

32

continuent de chercher de nouveaux moyens d’intervention sur l’offre, nous traiterons

de démontrer dans quelle mesure une politique de réduction de la demande est

extrêmement justifiée dans une situation de pénurie.

1. Les violentes sécheresses des années 1990 et 2000

L’utilisation croissante d’eau en agriculture, les modifications des cultures,

l’accroissement de la consommation d’eau potable, les gaspillages et l’aggravation de

la pollution, conjugués à une forte sécheresse depuis 1993, se traduisent par une

pénurie d’eau dans le bassin du Rio Bravo. Les aquifères sont surexploités, les

réservoirs sont à un faible niveau et les besoins de l’agriculture et des ménages sont

difficiles à satisfaire.

En février 2001, « le fleuve n’atteignait même plus le golfe du Mexique »68

. Ce

constat qui résulte d’une étude de l’OCDE consacrée au Mexique demande une

attention toute particulière. En l’espèce, avec des ressources montant à 4 000

m3/hab/an, « le Mexique est assez peu pourvu en eau »69

. En raison de l’utilisation de

l’eau pour le développement du Colorado, du Nouveau Mexique et de l’Ouest du

Texas, le Rio Grande est à sec au sud d’El Paso pendant une grande partie de l’année.

Deux affluents du Rio Grande, le Conchos coté mexicain et le Pecos coté américain

sont les principales sources d’eau qui alimentent le Rio Grande et lui permettent de

récupérer son débit jusqu’au golfe du Mexique. Rappelons que les deux tiers nord du

pays sont constitués de milieux arides ou semi-arides et qu’en raison de ce climat les

pluies sont très irrégulières et la plus grande partie des précipitations est absorbée dans

le bassin du Rio Grande.

« Les sécheresses récurrentes sont caractéristiques de la région »70

et sont une

sérieuse menace pour la sécurité de l’eau dans la région d’étude, puisque la ressource

hydrique est déjà surexploitée, laissant présager un avenir de tension et d’insécurité

hydrique or « Les problèmes posés par la ressource eau y sont anciens, et les situations

conflictuelles ou tendues sont nombreuses »71

. De plus, malgré la récurrence des

sécheresses dans cette région et la vulnérabilité de celle-ci à ces dernières, « ni le

Texas, ni le Mexique ne comptent sur des mécanismes formels permettant de gérer les 68

OCDE, op. cit, p.13. 69

Luc Descroix, Les conflits de l’eau au Nord-Mexique…, op. cit, p.25. 70

Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 71

Luc Descroix, Les conflits de l’eau au Nord-Mexique..., op. cit, p.25.

Page 33: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

33

sécheresses dans un contexte binational »72

. Selon les auteurs Aguilar Barajas et

Mitchell, cette absence de gestion des sécheresses ainsi que la faible disposition en eau

pendant la sécheresse, ne font qu’exacerber les tensions et les conflits entre les usagers

se disputant la ressource et accentuer le risque sui pèse sur la sécurité en eau de la

région. A titre d’exemple, les deux barrages internationaux Falcon et Amistad

construits sur le Rio Grande n’ont plus été remplis depuis 1992, période à partir de

laquelle la région a connu « les sécheresses les plus longues et sévères jamais

enregistrées »73

pendant lesquelles la quantité d’eau présente dans ces barrages

représentait 30% de leur capacité totale de stockage. Autre fait à signaler, le flux d’eau

à la hauteur de Brownsville-Matamoros, soit à 20 km du golfe, représente à l’heure

actuelle moins de 20% du débit enregistré immédiatement après le barrage Falcón

selon le rapport de juillet 2013 de la CILA/IBWC.

La vulnérabilité de cette région au changement climatique qui survient depuis

les années 1990 peut être aggravée par des facteurs comme les changements d’usage

des sols, ces derniers étant en effet victimes de l’expansion urbaine et du

développement de l’industrie, « aujourd’hui il semblerait que certains déserts gagnent

du terrain à cause d’une mauvaise utilisation des sols »74

. Sont aussi en cause la

croissance démographique et économique, les conditions socioéconomiques et le

niveau d’éducation et de savoir. C’est sur ce dernier facteur qu’Enrique Escorza a le

plus insisté lors de notre entretien75

, il regrette que le gouvernement mexicain n’œuvre

pas ou pas assez pour faire prendre conscience aux jeunes générations des enjeux de

l’eau. Notre entretien s’est rapidement orienté vers la question agricole puisque les

plus affectés par la sécheresse sont principalement les producteurs agricoles du

Mexique et du Texas. Ces derniers refusent d’ailleurs la vision selon laquelle la

sécheresse est la seule explication à l’actuelle crise de l’eau dans la partie basse du Rio

Grande ; ils signalent notamment, « des déficiences dans la gestion et allèguent que le

développement de la partie haute du Rio Bravo a affecté les livraisons d’eau en

provenance du Rio Conchos »76

.

72

Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 73

Idem. 74

Luc Descroix, Les conflits de l’eau au Nord-Mexique..., op. cit, p.25. 75

Entretien du 1er

juillet 2013 avec Enrique Escorza à Washington DC. 76

Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8.

Page 34: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

34

Nous l’avons dit, entre 1992 et 2002, la région du bassin du Rio Bravo a reçu

des précipitations inférieures à la moyenne. Cela a entraîné, entre 1995 et 1999, des

coupures d’eau proches de 50% pour les agriculteurs mexicains du Bas du Rio Bravo

et américains de la Vallée du Texas. De plus, « pour la période 2000-2001, les coupures

ont été totales pour l’agriculture d’irrigation dans toute la région binationale »77

. Cette

pénurie résulte certes, en partie de la sécheresse prolongée, mais elle est aussi la

conséquence de la mauvaise gestion de l’eau dans cette région.

Cette sécheresse a en fait conduit à un conflit d’envergure entre le Mexique et

les Etats-Unis. En effet, en 2002 le gouvernement fédéral Mexicain a décidé d’ajourner

les livraisons d’eau pour les barrages internationaux en raison de la sécheresse ; cette

mesure a provoqué de vives protestations côté américain, « l’existence du traité de

1944 a servi de base juridique pour les agriculteurs texans, lesquels ont réclamé leur

partie hydrique des affluents mexicains »78

.

En raison de leur nature, les problèmes le long de la frontière entre le Mexique

et les USA sont binationaux, ainsi « les pénuries actuelles en eau des deux cotés de la

frontière sont aujourd’hui l’un des sujets primordiaux de la diplomatie du XXIe siècle

entre le Mexique et les Etats-Unis.79

» Rappelons que le traité de 1944 engage le

Mexique à fournir aux Etats-Unis un tiers des eaux qui s’écoulent du rio Conchos

(dans l’Etat de Chihuahua) jusqu’au Rio Bravo. Cet engagement est basé sur une

période de cinq ans et la quantité fournie ne peut être inférieure à 432 millions de m3

par an.

Néanmoins, le traité de 1944 dispose dans son article 4-B-d) que toute dette

peut être reportée sur la période de cinq ans suivante en cas de « sécheresse

extraordinaire ». Ainsi en accord avec le traité, le Mexique pourra reporter son

obligation de fourniture de l’eau en cas de sécheresse extraordinaire. La position du

Mexique a donc été de soulever la notion de sécheresse extraordinaire pour reporter le

paiement de la dette du cycle 26 sur le cycle 27. Le problème repose alors sur « le

terme de « sécheresse extraordinaire » qui ne connaît pas d’interprétation propre à

77

Darío Salinas Palacios, op. cit, p.11. 78

Idem. 79

Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8.

Page 35: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

35

l’échelle binationale80

. » En effet, ce terme n’a jamais été défini de manière adéquate

dans le traité de 1944. Cette situation, nouvelle sur le plan juridique, exerce une

pression supplémentaire sur la ressource hydrique puisque le silence prolongé des

décideurs politiques a conduit à une lutte acharnée pour l’appropriation de la ressource.

Le principal regret de M. Escorza, diplomate mexicain en charge des questions

frontalières entre le Mexique et les Etats-Unis, étant de constater que, dans cette

région, lorsqu’il y a de l’eau disponible, chacun s’empresse de l’utiliser de crainte

qu’elle ne disparaisse. A l’heure actuelle, non seulement la notion de « sécheresse

extraordinaire » n’est pas définie, mais la plupart des gens ne connaissent pas le sujet

et « il n’y a aucune institution spécifique pour traiter de la question du changement

climatique et de ses lourdes conséquences sur la disponibilité de l’eau dans la région

frontalière.81

» En somme, selon les auteurs Mumme et Pineda, il y a dans la région

binationale du Rio Bravo, un besoin imminent d’une meilleure administration des

ressources hydriques de la frontière sans porter préjudice à l’environnement et cela

doit passer par de meilleures solutions institutionnelles amenant à une meilleure

administration de la ressource.

2. L’eau à la base de l’économie : l’apologie d’une politique de l’offre.

Le bassin du Rio Grande/Bravo est une région exposée à la sécheresse,

caractérisée par une faible offre en eau, une forte croissance urbaine et démographique,

l’irrigation intensive (cf. Tableau 2), la croissance du secteur industriel déjà important

et en conséquent une forte dégradation environnementale. Celle-ci se traduit par

l’angoisse des populations locales ; selon les auteurs Aguilar Barajas et Mitchell, la

sécurité en eau est une préoccupation chronique. En effet, l’ouverture de cette région

comme zone propice au développement du commerce s’est faite à partir de

« l’impulsion que les investissements publics et privés ont donnés aux infrastructures

profitant de l’eau et incorporant de grandes superficies de terre cultivées par

irrigation82

. » Les investissements en infrastructures avec l’objectif explicite de profiter

productivement des ressources naturelles de la région, surtout de l’eau, expliquent le

80

Stephen Mumme et Nicolás Pineda, « Administracion del agua en la frontera México Estados-Unidos :

Retos de mandato para las institutiones binacionales », in Alfonso Andrés Cortes Lara, Scott Whiteford

et Manuel Cháves Márquez (dir.), Seguridad, agua y desarrollo. El futuro de la frontera México-Estados

Unidos, Mexcio, El Colegio de la Frontera Norte, 2005, pp. 151-182. 81

Idem. 82

Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8.

Page 36: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

36

développement agricole qui est à l’origine de la création de micro régions dans la zone

frontalière (ex Valle de Juarez-El Paso ou Bajo Rio Bravo-Rio Grande) dans lesquelles,

au fil du temps, s’est concentrée la majeure partie de la population et des activités

économiques. Ce nouveau modèle économique a attiré une population importante

venant du centre et du sud du pays qui s’est établie dans les centres urbains, lesquels

connurent dans les années 1980 une croissance démesurée qui n’a pas cessé depuis.

C’est ainsi que « la zone métropolitaine de Monterrey […] est passée de 1 250 000

habitants au début des années 1970 à environ 4 millions d’habitant en 201083

. » Pour

les auteurs Aguilar Barajas et Mitchell, le défi pour l’avenir est inquiétant dans la

mesure où, selon leurs estimations la population entre 1953 et 2030 dans la micro

région du bas du Rio Grande/Bravo aura augmentée de 600%, et que cette population

« va a son tour augmenter la demande en eau municipale à plus du double des niveaux

actuels, cela contribuera à faire pression sur la ressource et sur la capacité de la région

à capter, distribuer, traiter et répartir l’eau84

. »

Ainsi, cet accroissement démographique (cf. Tableau 3) entamé depuis les

années soixante et soixante-dix s’ajoutant à l’augmentation des superficies agricoles

d’irrigation (cf. Tableau 2) dans le bassin du fleuve Conchos durant les années quatre-

vingt-dix, a provoqué une augmentation de la consommation d’eau tant en milieu

urbain qu’agricole dans les zones du bassin du rio Bravo. En fait, c’est à partir des

années 1980 que l’on enregistre une hausse de plus de 40% des surfaces agricoles

d’irrigation ; cette tendance n’ayant évidement pas été prévue dans le traité de 1944 a

conduit à des pénuries de la ressource. Aujourd’hui les eaux du Rio Bravo/Grande sont

utilisées entre 80% et 90% pour l’usage agricole85

, ce qui représente environ 800 000

hectares irrigués dans le bassin versant du bas du Rio Grande, un peu plus de la moitié

étant située au Mexique86

. Cependant l’utilisation de l’eau dans le milieu agricole

s’avérant très peu rentable, il convient de rechercher des solutions alternatives qui

modifient les formes d’irrigation du secteur agricole et permettent de diversifier les

cultures.

83

Darío Salinas Palacios, op. cit, p.11. 84

Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 85

Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8. 86

Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12.

Page 37: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

37

Bien qu’apparaissent de nouvelles activités économiques dans la région, cela

n’a pas réduit la superficie agricole d’irrigation. Ainsi « le principal problème pour le

nord du Mexique est le risque de pénurie »87

, ce qui compromet l’avenir de la région

avec l’émergence de tensions nouvelles autour de la gestion de l’eau dans un espace

économiquement et démographiquement dynamique à l’heure actuelle, où l’on s’attend

à ce que la demande croisse sensiblement dans les prochaines années. Dans

l’immédiat, cette pénurie d’eau fait obstacle au développement économique de la

région binationale, en particulier du côté mexicain, puisque de nombreuses entreprises

internationales évitent cette région en raison précisément des inquiétudes relatives à la

sécurité de l’eau88

.

Selon l’auteur Salinas Palacios, les conflits qui ont affecté l’agriculture

d’irrigation dans la région du Rio Bravo peuvent certes être partiellement expliqués par

les conditions climatiques, la surexploitation du bassin en amont et la croissance

urbaine et industrielle, mais ils sont avant tout une conséquence directe de la

décadence du modèle économique d’agriculture d’irrigation dans des milieux semi-

arides. L’utilisation inefficace des ressources en eau et le manque de compétitivité de

l’agriculture mexicaine face aux Etats-Unis dans le marché soulèvent la nécessité

d’une réflexion pour une gestion durable du bassin du Rio Bravo dans un nouveau

contexte socioéconomique d’un territoire partagé entre deux pays où la ressource

hydrique est constamment exposée à une distribution et à une demande des populations

de part et d’autre de la frontière, radicalement différente89

.

Salinas Palacios nous appelle donc à réfléchir sur les enjeux présents et futurs

pour trouver de nouveau la stabilité hydrique dans ce territoire. Or selon Luc Descroix,

« longtemps, les responsables mexicains de l’agriculture et de la gestion de l’eau ont

fermé les yeux sur le problème de la surexploitation de la ressource, qui n’était pas

politiquement abordable »90

. En l’espèce, nous traversons une période de transition

dans laquelle il faut laisser derrière nous l’époque où l’eau était une ressource

renouvelable en grande disponibilité et se diriger vers une conception dans laquelle la

87

Luc Descroix, Les conflits de l’eau au Nord-Mexique…, op. cit, p.25. 88

Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 89

Manuel Chavez Marquez, « Dinámicas de interdependencia y seguridad : Población, desarrollo y agua

en la política pública de la frontera Estados Unidos-México », in Alfonso Andrés Cortez Lara, Scott

Whiteford et Manuel Chávez Márquez (dir.), Seguridad, agua y desarrollo. El futuro de la frontera

México-Estados Unidos, Mexico, El Colegio de la Frontera Norte, 2005, pp. 63-98. 90

Luc Descroix, Les conflits de l’eau au Nord-Mexique…, op. cit, p.25.

Page 38: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

38

rareté de l’élément détermine l’intervention des divers acteurs responsables de la

gestion et de l’utilisation de cette ressource91

.

En somme, il faut penser l’eau d’une façon différente. On se demande

aujourd’hui comment les sociétés et les gouvernements doivent affronter la future

augmentation de la demande ainsi que les contraintes imposées par les sécheresses. En

l’espèce, face à la pression de la demande d’eau, les autorités du secteur et les

responsables des organes intervenants n’ont pas cherché d’autre alternative que celle

d’agir sur l’offre en se demandant de quelle façon acheminer plus d’eau, sans tenir

compte des conséquences que cela aurait sur la pénurie de la ressource. De plus, il

apparait que les organes intervenants ont uniquement veillé à satisfaire la demande

« sans responsabiliser la communauté et sans l’informer du signifié de l’importation de

l’eau d’autres bassins et de l’extraction intensive des ressources hydrauliques

souterraines, ayant pour conséquence la détérioration des bassins et l’abattement des

réserves des aquifères souterrains »92

. Ainsi, la priorité donnée à une politique de

l’offre fondée sur l’augmentation de l’extraction et l’importation de l’eau, consacre la

demande comme étant une donnée autonome du problème93

, sans remettre en question

les pratiques de consommation d’eau dans la région et la contradiction de ces dernières

avec le contexte de pénurie d’eau. Selon l’auteur Sanchez Munguia, la satisfaction de

la demande n’est cependant pas uniquement une question de stockage, de transfert et

de distribution de l’eau, mais plutôt une question d’utilisation rationnelle et adéquate

de l’offre.

3. L’absence de prise en compte du facteur écologique dans la répartition de

l’eau du Rio Grande

Le traité de 1944 dispose dans son article 4 de la répartition de l’ensemble des

eaux présentes dans le Rio Bravo, qu’elles proviennent d’affluents mexicains ou

américains, laissant ainsi à la discrétion des gouvernements locaux la gestion et

l’utilisation de la ressource. Néanmoins la question de la qualité de l’eau n’y est pas

abordée, pas plus que la question d’un seuil minimal d’eau permettant d’assurer la

conservation de l’écosystème lui-même94

. L’attitude des deux pays face au silence du

91

Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8. 92

Idem. 93

Idem. 94

Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8.

Page 39: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

39

traité a été d’utiliser la totalité des eaux disponibles en négligeant ainsi la dimension

environnementale et le facteur écologique de l’écoulement de l’eau le long du fleuve.

Les auteurs Aguilar Barajas et Mitchell insistent sur le fait que si les mécanismes de

répartition ne sont pas modifiés de façon à prendre en compte les besoins écologiques

fondamentaux, il n’y aura plus assez d’eau dans le fleuve pour assurer la conservation

de l’écosystème95

. Il est d’autant plus inquiétant de voir que « les actuels protocoles

établis par les traités administrés par la CILA ne présentent pas de critères écologiques

ou environnementaux dans les questions de gestion de l’eau96

. » Cette négligence a par

ailleurs compliqué pour les acteurs sociaux et environnementalistes la revendication de

conservation et de maintien d’un débit minimum de l’eau des fleuves transnationaux et

de leurs affluents.

Le gouvernement a délibérément favorisé la croissance de la dynamique

commerciale, des services et de l’industrie, sans autre préoccupation que la capacité

financière et le développement d’infrastructures97

. Jamais auparavant le concept de

développement durable n’était présent dans la conception des politiques de cette

région. Par conséquent ni les Etats-Unis, ni le Mexique n’ont accordé une grande

attention à la dimension écologique de la qualité de l’eau or « la qualité de l’eau dans

le Rio Bravo est devenue un sujet d’inquiétude face à la croissance démographique,

l’économie régionale et la production de déchets qui en découle98

. »

Le traité n’incluant pas de mesure de protection ou de conservation d’un certain

volume d’eau dans une finalité environnementale, la quantité d’eau dans le lit du

fleuve est extrêmement faible ; à 20 km du golfe elle représente moins de 20% du débit

enregistré immédiatement après le barrage Falcon. Entre février 2001 et août 2001, le

volume d’eau dans le Rio Bravo a diminué à tel point que le fleuve n’arrivait plus

jusqu’au golfe du Mexique et est à sec au Sud d’El Paso pendant une grande partie de

l’année en raison du détournement des eaux américaines en amont pour assurer le

développement du Colorado, du Nouveau Mexique et de l’Ouest du Texas. En fait, les

Etats-Unis ont construit le barrage d’Elephant Butte afin d’éviter la perte d’eau au

bénéfice du Mexique, quel qu’en soit les conséquences environnementales. Inutile de

95

Ibid. 96

Stephen Mumme et Nicolás Pineda, op. cit, p.35. 97

Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8. 98

Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8.

Page 40: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

40

rappeler la gravité de cet événement, étant donné « la fonction que remplit le fleuve

pour diluer la teneur en polluants que l’on y déverse, ainsi que son rôle permettant de

freiner l’entrée d’eau salée à son embouchure, ou encore sa fonction écologique tout au

long de son lit99

. »

Le fleuve a une importance cruciale pour les deux pays, non seulement du point

de vue de la croissance économique et sociale mais aussi environnementale. Force est

de constater que les dirigeants mexicains n’entendent pas ralentir le développement de

cette région dynamique sur le plan économique pour assurer la conservation

écologique du bassin du Rio Bravo, les diplomates Mexicains préférant critiquer la

gestion inadaptée de la ressource par les Etats-Unis plutôt que de remettre en question

leur propre administration et conception de l’eau. Néanmoins il nous semble que pour

le bien de tous, il faut dépasser cette situation, si possible conjointement,

unilatéralement sinon. Finalement, la gestion de l’eau doit prendre en compte

l’écosystème en tant qu’usager primordial. Ignorer ces besoins environnementaux

pourrait menacer l’existence même du fleuve, sans lequel cette région binationale n’a

pas d’avenir100

. Les liens entre la sécurité de l’eau, la sécurité écologique et le

développement économique sont évidents en effet ; Jean Burton nous rappelle que :

Pour veiller à la durabilité de l’eau, nous devons la percevoir dans une optique

holistique, en équilibrant des demandes concurrentes - sur les plans domestique,

agricole, industriel (y compris l’énergie) et environnemental. La gestion durable des

ressources en eau réclame un processus décisionnel systémique et intégré qui tient

compte de l’interdépendance de ces quatre domaines. En premier lieu, les décisions sur

l’utilisation des terres ont une incidence sur l’eau, et celles relatives à l’eau ont

également des répercussions sur l’environnement et l’utilisation des terres. En

deuxième lieu, les décisions concernant notre avenir économique et social, qui ont

actuellement un caractère sectoriel et fragmenté, influent sur l’hydrologie et les

écosystèmes dans lesquels nous vivons. En troisième lieu, les décisions prises aux

niveaux international, national et local sont interdépendantes101

.

99

Ibid. 100

Ibid. 101

Jean Burton, « La gestion intégrée des ressources en eau par bassin. Au-delà de la rhétorique », in

Frédéric Lasserre et Luc Descroix (dir.), Eaux et territoire. Tension, coopérations et géopolitique de

l’eau, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2011 [2002], pp. 191-208.

Page 41: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

41

Aujourd’hui le problème pour les décideurs politiques est de trouver un moyen

d’assurer des flux continus ou périodiques suffisants pour assurer la conservation de

l’habitat de la zone frontalière. A cet effet, « plusieurs écologistes ont commencé à

considérer la possibilité d’ajouter un accord environnemental, consacrant la fonction

écologique des eaux dans le traité de 1944102

. » Selon les auteurs Mumme et Pineda, en

ce qui concerne la conservation écologique, il appartient à la CILA de rédiger et

adopter un accord qui mette en avant la valeur écologique de l’eau, afin d’inclure cette

notion dans le traité de 1944. Par ailleurs, ceci est en phase avec le rapport de l’OCDE

de 2003 selon lequel « il est peut être temps pour la CONAGUA de tenir compte plus

explicitement de l’écologie dans sa mission, ses fonctions et ses objectifs (comme le

font d’ores et déjà les organismes chargés du génie hydraulique de plusieurs autres

pays membres de l’OCDE) et d’accorder une plus grande place à la dimension

écologique de la qualité de l’eau103

. » Cette avancée unilatérale ne peut être que

bénéfique pour la zone frontalière, par ailleurs ce pourrait être le levier pour assurer

une gestion binationale écologiquement responsable de la ressource hydrique. Notons

néanmoins que, bien que la Loi Nationale des Eaux de 2004 au Mexique adopte une

approche holistique de la ressource en eau, la ressource hydrique partagée le long de la

frontière avec les Etats-Unis fait l’objet d’une toute autre approche.

102

Stephen Mumme et Nicolás Pineda, op. cit, p.35. 103

OCDE, op. cit, p.13.

Page 42: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

42

II. Les enjeux géopolitiques dans le bassin du Rio Bravo : du con-

flit hydrique à l’ « hydrodiplomatie »

Cette deuxième partie de l’étude nous permet de mettre en avant l’enjeu politique

de cette région stratégique à la fois à l’échelle binationale et nationale. Le début des

années 2000 a vu naître un conflit pour le partage des eaux entre les Etats-Unis et le

Mexique qui dure encore aujourd’hui. Ce dernier s’est également transformé en un

contentieux propre au Mexique opposant les Etats de Tamaulipas et de Nuevo León.

Ce différend souligne notamment la compétition pour l’eau qui existe entre les

différents secteurs d’activité et la consommation des ménages de ces deux Etats. Nous

verrons dans une première partie que le Traité de 1944 est à la fois un instrument de

diplomatie favorisant la coopération binationale, mais aussi le responsable principal de

la querelle Mexique-Etats-Unis. Par ailleurs, nous traiterons dans une seconde partie de

la question de la rentabilité hydrique qui se pose inéluctablement dans une région où

les pénuries d’eau sont récurrentes, ainsi nous verrons en quoi l’existence même de

l’agriculture dans une telle région est remise en cause. Enfin, nous verrons dans quelle

mesure la pénurie d’eau dans le bassin du Rio Grande/Bravo a une répercussion sur

l’ensemble du continent Nord-américain.

A. Le traité de 1944, instrument de diplomatie, facteur de discorde

Nous avons vu préalablement en quoi le traité de 1944 peut être un facteur de

pression sur la ressource en eau parce qu’il instaure une iniquité dans la répartition des

eaux du Rio Bravo/Grande (les États-Unis ont droit à un seuil minimum tandis que le

Mexique doit se contenter d’un pourcentage sur les eaux en question). Nous avions dit

que cette iniquité s’est traduit jour après jour par une attitude de « use it or lose it »104

qui a conduit les deux pays à s’approprier toute l’eau possible de peur de la perdre au

bénéfice du voisin. Par ailleurs, ce traité instaure, bien que sans la citer, la notion de

dette en eau. Cette perception de l’eau comme moyen de paiement montre combien

cette ressource est primordiale dans cette région en particulier, mais révèle également

une certaine irresponsabilité politique (1). D’autre part, la gestion de l’eau

transfrontalière qui s’opère en application du traité de 1944 traduit l’expression d’une

relation dominant-dominé (2). Enfin, nous traiterons de l’obligation pour les deux Etats

de trouver un terrain d’entente et nous verrons comment a fonctionné la coopération

104

Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12.

Page 43: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

43

interétatique à partir de l’émergence du différend Etats-Unis-Mexique relatif à la dette

hydrique de ce dernier vis-à-vis du premier (3).

1. L’avènement de la notion de dette en eau

Selon les auteurs Chavez Marquez, Andres Cortez et Whiteford, « la région de

la frontière Etats-Unis-Mexique, n’est pas une zone de guerre mais ce n’est pas non

plus une zone de paix ». En effet, la frontière est une zone qui se caractérise par une

dégradation environnementale, l’inégalité politique et économique et le conflit des

normes et priorités105

; le choix étant en effet difficile entre l’activité industrielle très

productive et favorable à l’emploi, mais fortement polluante et l’activité agricole

moins productive et grosse consommatrice d’eau tout en étant moins bénéfique pour

l’emploi. C’est dans ce contexte que trouve sa source la demande des Etats-Unis

concernant le paiement d’environ deux milliards de mètres cubes d’eau, en se fondant

sur l’article IV-B-c du Traité de 1944. Rappelons que ce dernier engage le Mexique à

fournir aux Etats-Unis un tiers des eaux qui s’écoulent du Rio Conchos jusqu’au Rio

Bravo. Cet engagement couvre période de cinq ans et la quantité fournie ne peut être

inférieure au seuil minimal de 432 millions de m3 par an. En l’espèce, en application

de l’article IV-B-c du traité de 1944, les agriculteurs du sud du Texas ont exigé que le

Mexique libère une partie du volume qui, selon eux, revient Etats-Unis en vertu de ce

traité. Cette « dette » est due au fait que « le Mexique n’a pas laissé s’écouler autant

d’eau que le prévoyait l’accord, en partie du fait de la forte sécheresse qui a sévi sur

une longue période »106

.

Néanmoins, selon les termes du traité, toute dette peut être reportée sur la

période de cinq ans suivante en cas de sècheresses extraordinaires, mais aucun des

deux pays ne peut rester en dette indéfiniment, or la dette accumulée sur la période

1992-1997 (1 263 Mm3) a été acquittée en 2001. Le gouvernement mexicain a réglé la

dette de la période 1997-2002 (1 719 Mm3) sur la période 2002-2007. Selon le traité,

le Mexique est tenu de rembourser sa dette dans le bassin même du Rio Bravo et ne

peut pas le faire en renonçant à ses droits sur l’eau du Rio Colorado ; nous soulignons

cette obligation qui résulte de l’article IV-B-c du traité puisque, lors des négociations

concernant le remboursement de la dette en eau du Mexique, certains diplomates

105

Manuel Chavez Marquez, Alfonso Andres Cortez Lara et Scott Whiteford, op. cit, p.21. 106

OCDE, op. cit, p.13.

Page 44: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

44

américains menaçaient de déroger à cette condition d’attribution locale de la

ressource.107

En somme, il y a un désaccord entre les deux pays quant aux obligations

exactes découlant de l’accord (s’agissant de savoir quel volume fournir et quand).

L’acte 307 suivant le traité de 1944 permet d’établir un programme de

paiements correspondant à la dette mexicaine en matière d’eau. En effet, en application

de l’acte 307 de 2001 pour assurer l’exécution partielle de l’obligation résultant de

l’article 4-B-c du Traité de 1944, « les membres de la CILA/IBWC ont pris note de

l’expression par les Etats-Unis au Mexique d’une sollicitude d’octroi d’eau d’un

volume de 740 Mm3 pour le 31 juin 2001, pour réduire la dette actuelle du Mexique

concernant le Rio Bravo ». Il faut souligner que, de fin septembre 2000 jusqu’au 3

mars 2001, le Mexique a livré aux Etats-Unis un volume de 287 Mm3. Ainsi, il

appartient au Mexique d’exécuter un transfert de 453 Mm3 pour le 31 juin 2001.

Toujours en application de cet acte, les Etats-Unis peuvent donc s’attendre

raisonnablement à un volume compris entre 610 et 733 Mm3 au 31 juin en raison des

variations climatiques.

Par ailleurs, les membres de la CILA/IBWC ont admis qu’il convenait de

mettre en place un plan de contingence au cas où le Mexique ne remplisse pas son

obligation d’octroi de 740 Mm3 au 31 juin. Ce plan de contingence pourra en premier

lieu inclure les affluents du Rio Bravo non pris en compte dans le traité de 1944

jusqu'au mois de septembre. En second lieu, les eaux des barrages de Luis L. León, de

la Fragua, du Centenario et de San Miguel, seront prises en considération pour

compléter la dette en eau du Mexique vis-à-vis des USA.

Aussi, les actes 308 et 309 signées en 2002 et 2003 entre la CILA mexicaine et

l’IBWC américaine ont permis au Mexique de « payer » sa dette avec des eaux du

fleuve San Juan, un cours d’eau non engagé dans le Traité de 1944. Cette initiative a

provoqué un nouveau différend puisque les associations civiles des usagers de l’eau

avec l’appui du gouvernement de Tamaulipas ont assigné le gouvernement fédéral en

alléguant le non respect du traité original de 1944108

, cependant, la Cour Suprême de

justice de la Nation a annulé la plainte déposée par le gouvernement « priiste » (PRI)

de Tamaulipas contre le gouvernement national « paniste » (PAN) et la CONAGUA

107

Entretien avec Enrique Escorza, diplomate mexicain en charge des négociations sur le remboursement

de la dette en eau du Mexique avec les Etats-Unis. 108

Darío Salinas Palacios, op. cit, p.11.

Page 45: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

45

pour la livraison aux Etats-Unis d’eau stockée dans les barrages internationaux aux

Etats-Unis au motif de la non-ingérence dans les affaires de politique externe de la

nation d’un état fédéré et de la compétence fédérale sur l’eau prévue par l’article 4 de

la LAN mexicaine de 1992.

Certes, ce long processus de négociation entre les deux pays a résolu

temporairement le conflit diplomatique, mais à laissé sans eau les agriculteurs

mexicains des districts d’irrigations 25 et 26, ce qui a changé la nature de la

problématique des eaux du Rio Bravo. En effet, cet enjeu géopolitique externe est

devenu un enjeu de géopolitique interne.

Il apparaît que cette obligation de paiement en eau se traduit par l’apparition

récurrente d’un litige entre le Mexique et les Etats-Unis. Cette vision de l’eau comme

un moyen de paiement souligne certes l’indiscutable nature de l’eau comme facteur de

développement, néanmoins c’est le rapport « me debes, me pagas »109

qui devrait faire

l’objet d’une sérieuse remise en question. La perception de l’eau comme étant un

moyen de paiement révèle une irresponsabilité politique grave, puisqu’il ressort que les

dirigeants n’ont pas considéré la possibilité d’être confrontés à une sécheresse ou à une

pénurie prolongée de la ressource lors de la rédaction du traité de 1944, alors même

qu’il s’agissait d’une zone aride. Que faire alors si le Mexique ne peut pas payer, faut-

il lui prendre de force l’eau qu’il attribue à ses agriculteurs ? Faut-il l’obliger à

exécuter ses obligations en vertu du traitée de 1944 pour satisfaire la soif et assurer

l’avenir hydrologique d’un Etat qui « sur-pompe ses aquifères depuis 50 ans »110

? Par

ailleurs, une telle vision de la ressource est très réductrice, alors même que la tendance

mondiale est à une prise en considération holistique de cette ressource.

2. L’expression d’une relation dominant-dominé

Nous commençons cette sous-partie par un exemple avancé par l’auteur Luc

Descroix afin d’illustrer l’inégalité dans la relation Mexique-Etats-Unis. Durant l’hiver

2000-2001 la Californie a connu des pénuries générales d’électricité, secteur par

ailleurs privatisé aux USA. Depuis novembre 2000, le voisin mexicain, dont la

109

Entretien avec Enrique Escorza, diplomate mexicain en charge des négociations sur le remboursement

de la dette en eau du Mexique avec les Etats-Unis. Traduction : “paye ton du”. 110

Luc Descroix, « Gestion de l’eau ou aménagement de l’espace ? La fonction hydrologique d’un

territoire », in Frédéric Lasserre et Luc Descroix (dir.), Eaux et territoires. Tension, coopérations et

géopolitique de l’eau, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2011 [2002], pp. 158-189.

Page 46: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

46

production et la distribution d’électricité est étatique sauve chaque jour la Californie du

chaos en fournissant des milliards de kWh manquants. En mai 2001, les autorités de

gestion du Rio Grande se sont rendu compte que les périmètres irrigués mexicains

étaient en train de dépasser leur quota d’eau fixés par le traité de 1944. La partie

américaine (IBWC) a alors annoncé que les eaux restantes devaient être réservées aux

périmètres américains en vertu des accords internationaux. Donc, du 1er

janvier au 30

juin 2001, le Mexique a préservé chaque jour au minimum 10 à 20% du PNB

Californien, soit en cumulé une valeur ajoutée de 50 à 100 milliards de dollars, mais

les paysans du Tamaulipas ont dû faire leur deuil de la production de sorgho et ont dû

être indemnisés par l’Etat mexicain. Cela s’est traduit par une perte limitée à 500

millions de pesos.111

Il est certain que le Mexique ne dispose pas des mêmes moyens que les Etats-

Unis à l’heure de négocier. Le traité de 1944 concerne les eaux des fleuves Colorado et

Grande, c’est-a-dire deux fleuves prenant leur source dans les Rocheuses côté

américain. Les Etats-Unis ont ainsi accordé au Mexique quelques écoulements afin

d’obtenir un droit sur les affluents mexicains qui viennent alimenter ces fleuves en

aval. Néanmoins, il n’est pas rare que le Colorado n’atteigne plus la mer112

en raison

des nombreux barrages qui permettent aux Etats-Unis de détourner la ressource.

D’autre part, nous l’avons déjà dit, le barrage d’Elephant Butte construit à 220 km

environ de la frontière le long du Rio Bravo permet aux Etats-Unis de s’approprier

l’ensemble de l’eau présente dans le lit du fleuve avant qu’il n’atteigne la frontière. Il

est facile d’imaginer les options qui s’offraient alors au Mexique : signer et obtenir

« quelques miettes »113

au nord-ouest (les Etats-Unis s’engagent à fournir au Mexique

1 850 millions de m3 d’eau par an provenant du fleuve Colorado au Mexique)114

et en

offrir en échange au nord-est ou alors ne pas signer le traité et ne rien obtenir du tout.

Rappelons que c’est la doctrine Harmon qui s’imposait alors, selon laquelle les nations

avaient l’absolue souveraineté sur les eaux traversant leur territoire sans aucune

obligation vis-à-vis des voisins d’aval.

111

Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12. 112

Idem. 113

Idem. 114

Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8.

Page 47: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

47

Le premier conflit concernant les eaux du Rio Grande entre le Mexique et les

Etats-Unis de 2001 a lui aussi été un excellent exemple de déséquilibre dans les

rapports qu’entretiennent ces deux pays quant aux méthodes de pression déployées. En

l’espèce, les gouvernements des Etats-Unis et de l’état du Texas, frontalier du

Mexique, ont réclamé au Mexique, le paiement d’une dette de 2 000 millions de m3

d’eau. Le Mexique a initialement répondu qu’il ne pouvait pas payer, notamment à

cause des sécheresses dont il est victime. Dans cette querelle, le Texas a menacé de

recourir à une action légale contre le Mexique en vertu de l’article II§2 en raison des

pertes économiques dues à l’absence de fourniture des eaux comprises dans le traité.

Le gouvernement de Vicente Fox a ainsi fait la promesse de remplir ses obligations

internationales le 16 février 2001 à Washington (promesse retranscrite dans le rapport

307). Des députés de l’opposition mexicains ont annoncé par la suite qu’ils étaient

disposés à comparaître devant la Court Internationale de Justice (CIJ) de La Haye pour

défendre les consommateurs du pays ; rappelons que pour que la CIJ ait compétence, il

faut que les Etats se soumettent à sa juridiction, ce qui n’est absolument pas le cas en

l’espèce.

Par la suite, un second épisode de tensions autour de la dette en eau du

Mexique en 2002 a mis en évidence l’incapacité des dirigeants mexicains à peser dans

les négociations concernant l’échelonnement des paiements en eau du Mexique. Ainsi,

cette même année, le gouverneur du Texas, Rick Perry, et le président des Etats-Unis,

George Bush, ont fait pression sur le gouvernement fédéral de Vicente Fox pour lui

faire respecter le TILA et délivrer les eaux stockées dans les barrages situés dans le

bassin du Rio Conchos, indispensables pour approvisionner le sud du Texas.

Finalement, sous la pression exercée par les Etats-Unis entre 2002 et 2005, le Mexique

a commencé à rembourser la dette qu’il avait contractée. Ce remboursement a été

accordé par la signature des actes 308 et 309, étudiés préalablement, qui modifiaient le

traité de 1944.

Plus récemment, selon le rapport d’avril 2013 de la CILA, le Mexique va

libérer de nouveau, de l’eau de ses barrages vers le Rio Bravo pour que les agriculteurs

du côté américain puissent en faire usage. La commission binationale en charge de

l’application du traité de 1944 a envoyé un courrier aux membres texans du Congrès

américain les informant que le gouvernement mexicain avait accepté fin mars 2013 les

Page 48: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

48

pétitions des agriculteurs texans, soucieux de leur ravitaillement en eau mexicaine. Le

Mexique a accepté de céder cette eau suite aux pressions des dernières semaines des

législateurs américains et des agriculteurs du sud du Texas. Actuellement, le Mexique a

jusqu'à octobre 2015 pour s’acquitter de sa dette en eau à l’égard des USA.

Un autre facteur de déséquilibre dans la relation Mexique-Etats-Unis s’explique

par la crise interne que le Mexique a dû affronter au cours des années 1980, alors qu’il

s’est trouvé dans l’impossibilité de payer sa dette externe. Ainsi, « ce pays s’est vu

dans l’obligation de demander une aide financière aux institutions financières

internationales, comme la Banque Mondiale, le FMI et la Banque interaméricaine de

développement »115

. En effet, le Mexique, qui ne disposait pas de ressources

économiques suffisantes pour investir en développement et infrastructures pour la

gestion de l’eau, s’est alors vu dans la nécessité de contracter des prêts auprès de la

Banque mondiale. À partir de ce moment, l’influence de cette institution dans les

politiques du pays a été très marquée, puisque pour assurer la viabilité des projets de

financement, le gouvernement qui décide de contracter un prêt se voit imposer un

lourd programme de réforme des politiques publiques et, notamment, de sa législation,

selon les exigences de la Banque. C’est dans ce contexte que le pays a dû étudier des

stratégies de modernisation des infrastructures pour l’agriculture et les villes,

permettant de conserver l’eau et d’assurer le paiement des dettes qui s’accumulent

pendant cette période.

De plus, la longue tradition d’activisme aux Etats-Unis, a permis aux groupes

de pression étatsuniens d’intervenir d’une manière plus influente dans les processus de

prise de décision publique, que leurs homologues mexicains116

. Selon les auteurs

Ingram et Levesque, dans la région transfrontalière, les acteurs rapportent que les

groupes nord-américains tels que Border Ecology Project, Texas Center for Policy

Studies in Arizona Toxics Information, entre autres, ont eu une plus forte influence sur

les décisions politiques de la COCEF que les organisations mexicaines. Alors que

certaines organisations binationales innovatrices se sont mises en place pour le soutien

de la région et des écosystèmes spécifiques (Sky Island Alliance, Rio Grande

115

Yenny Vega Cardenas, op. cit, p.25. 116

Helen Ingram et Suzanne Levesque, « Las instituciones del Tratado de Libre Comercio de América

del Norte y más allá », in Alfonso Andres Cortez Lara, Scott Whiteford et Manuel Chávez Márquez,

Seguridad, agua y desarrollo. El futuro de la frontera México-Estados Unidos, México, El Colegio de la

Frontera Norte, 2005, pp. 127-149.

Page 49: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

49

Alliance), elles rencontrent de nombreuses difficultés dues à une asymétrie de

ressources, à l’accumulation de structures administratives de part et d’autre de la

frontière et à la peur des petites structures mexicaines d’être dominées par les

puissantes organisations d’Amérique du Nord qui bénéficient d’un soutien financier

très supérieur à celui qui est accordé à leurs homologues mexicaines. Ce déséquilibre

fait obstacle à la formation d’alliances transfrontalières effectives.

Il est vrai aussi que comme le souligne Luc Descroix, dans une logique de

frontière Nord-Sud :

Le Mexique a trop intérêt à céder sur ce terrain pour essayer de collecter le

plus gros volume d’investissements américains : son agriculture a déjà été sacrifiée sur

l’autel du néolibéralisme, et les haricots et le maïs consommés par les Mexicains

viennent de plus en plus souvent des champs du « grand frère du nord ». Le Mexique

table sur l’industrie et le tertiaire « délocalisés » pour fournir des emplois bien plus que

sur une agriculture trop dépendante des faibles ressources en eau. Du reste, des points

de vue économique et écologique, c’est un assez bon calcul à terme, puisque la

consommation d’eau nécessaire à la création d’emplois et de richesse est bien moindre

dans l’industrie que dans l’agriculture117

.

En somme, le Mexique aurait tout intérêt a sacrifier l’eau de son agriculture

pour rembourser sa dette vis a vis des Etats-Unis, bien que, semble-t-il, le TILA de

1944 ne représente plus la réalité des écoulements dans le Rio Bravo et qu’avec

l’évolution du réchauffement climatique et la récurrence des sècheresses dans la région

binationale il est légitime de se demander quelle va être la position du Mexique

lorsqu’il devra rembourser sa dette en eau avec de l’eau destinée à l’utilisation des

ménages. Néanmoins, dans une situation telle de pénuries, la collaboration s’impose et

il faut souligner les efforts réalisés de part et d’autre pour trouver un terrain d’entente.

3. De l’inévitable coopération interétatique

La gestion des ressources hydriques de la frontière Etats-Unis Mexique peut-

être tout autant une source de conflit qu’un instrument de coopération118

. Pour assurer

la sécurité de la région transfrontalière, la coopération n’est pas seulement de mise, elle

est indispensable. En effet, bien que l’utilisation des ressources dans la zone frontalière

117

Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12. 118

Manuel Chavez Marquez, op. cit, p.37.

Page 50: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

50

relève du domaine local et domestique, l’acheminement des ressources hydriques dans

cette zone relève du domaine de la coopération internationale. Ainsi, « l’administration

de l’eau de long de la frontière entre les USA et le Mexique fait intervenir plusieurs

acteurs, notamment des institutions internationales, mais aussi fédérales, régionales,

nationales et municipales »119

. En l’espèce, les problèmes locaux des eaux dans les

villes de la région frontalière relèvent effectivement des relations internationales ; c’est

pourquoi le traité de 1944 a formalisé les mécanismes pour la construction, la gestion

et la répartition des volumes stockés dans les barrages Falcon et Amistad en les

confiant à la CILA/IBWC. L’article II du traité de 1944 dispose que c’est cette même

commission qui est responsable du respect de l’application du TILA. De plus, elle doit

assurer la gestion et la distribution de l’eau du Rio Grande ; elle a de ce fait pour

mission de mettre en place et de développer les moyens d’accès à l’eau dans la région

transfrontalière120

.

Avec le temps, il s’est établi entre les représentants des deux pays au sein de la

CILA des modes de communication fluide leur permettant de traiter les problèmes et

les conflits qui surgissent concernant la répartition de l’eau et les questions de qualité.

Néanmoins, la CILA ne fonctionne pas en réalité comme une institution unique mais

avec « deux représentations technico-diplomatiques qui travaillent conjointement »121

.

La CILA/IBWC a été mise en place pour « faciliter l’action conjointe tout en

protégeant la souveraineté nationale des deux pays »122

. Cela explique donc que la

coopération binationale soit renforcée entre deux territoires de plus en plus

interdépendants économiquement concernant l’usage de l’eau. C’est pourquoi, en

2002, les deux gouvernements sont convenus d’investir ensemble dans la conservation

de l’eau, dans des actions d’amélioration de la durabilité et de l’efficience dans la

région, et dans un système destiné à fournir des informations fiables sur la ressource123

.

Selon l’auteur Stephen Mumme, la CILA est le meilleur exemple de coopération

fonctionnelle dans le maniement des ressources transfrontalières de pays disparates,

dont les commissionnaires ont fait preuve d’efficacité technique et de

professionnalisme et d’habilité diplomatique. Cette coopération est ainsi indispensable

119

Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 120

Helen Ingram et Suzanne Levesque, op. cit, p.48. 121

Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8. 122

Helen Ingram et Suzanne Levesque, op. cit, p.48. 123

OCDE, op. cit, p.13.

Page 51: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

51

puisque dans la zone d’étude, «l’agenda de l’eau est directement compris dans

l’agenda du développement de la région binationale »124

.

Avant la signature de l’ALENA, la coopération entre le Mexique et les Etats

Unis concernant la gestion de l’eau a vu intervenir les ministères de l’environnement

de chacun des deux pays, ainsi l’accord de La Paz de 1982 a permis à l’agence de

protection de l’environnement américain (EPA) et à son homologue mexicain, le

SEMARNAT, créé en 1994, d’élaborer un large éventail de sujets pour promouvoir le

développement durable. Cet accord était un appel à la coopération pour trouver des

solutions à des problèmes commun. En l’espèce, l’EPA et le SEMARNAT ont

développé le programme Frontière XXI en utilisant des stratégies de participation

publique, de construction d’infrastructures et de décentralisation ainsi que de

coopération entre agences125

. Néanmoins, c’est avec l’ALENA que la coopération dans

le domaine de l’eau a commencé à porter ses fruits.

Le processus d’interaction, de croissance économique et démographique entre

deux sociétés souligne l’internationalisation croissante du bassin du Rio Bravo. Ce

processus s’est officialisé en 1994 avec la signature de l’ALENA. En effet, au début de

la décennie de 1990, les gouvernements mexicain et étasunien ont adopté de nouveaux

accords institutionnels qui prennent en compte l’environnement partagé, ainsi que le

besoin d’inclure des acteurs infranationaux et non gouvernementaux dans le processus

de prise de position environnementale, transfrontalière si nécessaire. A cet effet, pour

mener à bien les réformes nécessaires, les gouvernements nationaux ont du céder un

certain degré de souveraineté aux institutions ainsi créées pour qu’elles adoptent une

perspective régionale.

C’est ainsi que la COCEF et la BANDAN ont été crées dans le cadre de

l’ALENA. La COCEF est une commission binationale qui a été établie le 1er

janvier

1994 en application d’un accord collatéral de l’ALENA. Selon les termes de cet

accord, il s’agit d’une « réponse aux pressions publiques pour accroître la transparence

et la participation publique dans le processus de prise de décisions relatives à

l’environnement »126

. On a donné autorité à la COCEF sur le développement et la

construction d’infrastructures pour accéder à l’eau potable, ainsi que sur le traitement

124

Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 125

Helen Ingram et Suzanne Levesque, op. cit, p.48. 126

Idem.

Page 52: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

52

des eaux usés et des déchets solides. Le Mexique et les USA ont également créé le

BANDAN pour renforcer la COCEF, afin de fournir les fonds nécessaires aux projets

d’infrastructures environnementales.

En somme, la coopération binationale entre les Etats-Unis et le Mexique a

nettement avancé depuis la signature de l’ALENA127

; en effet, selon Javier Cabrera

Bravo, administrateur général de la COCEF :

Ce schéma de coopération bilatérale est unique au monde, puisqu’il crée une

organisation qui identifie les besoins de manière directe et décentralisée, soutient les

communautés pour que leurs propositions puissent remplir un ensemble de critères et

de conditions techniques et financières, avec une vision des planifications à long terme

et avec l’approbation sociale. En même temps, chaque gouvernement adresse des

ressources financières pour la région frontalière qui passent par le BANDAN, dans un

processus par lequel plusieurs acteurs des gouvernements national, fédéral et

municipal de chaque pays se coordonnent, tout en assurant la participation de la

société frontalière.128

Néanmoins, il est nécessaire de renforcer cette coopération. Il convient

d’harmoniser les institutions binationales et en même temps de développer des

stratégies de long terme en considérant la région de manière globale129

. En l’espèce,

malgré cette « formidable trame institutionnelle binationale mise en place pour traiter

les problèmes liés à l’eau et à l’environnement le long de la frontière »130

, cela ne

constitue que le cadre institutionnel et organisationnel permettant de développer la

recherche de solutions à la demande croissante d’eau de qualité dans la région. C’est le

cadre dans lequel les problèmes sont traités et les conflits potentiels réglés. Il semble

que l’on puisse avancer bien plus encore, en effet l’augmentation de la demande en eau

de la région frontalière Mexique-USA a mis en évidence l’absence de planification et

de perspective à long terme qui a prévalu dans le développement et l’organisation de

cette région, l’eau n’ayant pas été considérée comme étant un élément central des

127

Manuel Chavez Marquez, Alfonso Andres Cortez Lara et Scott Whiteford, op. cit, p.21. 128

Javier Cabrera Bravo, « Los retos de la frontera México-estados Unidos y el trabajo de la Comision

de Cooperacion Ecologica Fronteriza », in Alfonso Andres Cortez Lara, Scott Whiteford et Manuel

Chávez Márquez, Seguridad, agua y desarrollo. El futuro de la frontera México-Estados Unidos,

México, El Colegio de la Frontera Norte, 2005, pp. 183-196. 129

Idem. 130

Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8.

Page 53: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

53

politiques mises en place131

. Il est dommage de constater que l’EPA agisse encore

unilatéralement en apportant des fonds propres (Fonds pour l’Infrastructure

Environnementale Frontalière), ce qui est contraire à l’esprit de l’ALENA132

.

Cependant, il faut reconnaître que la coopération binationale transfrontalière nous a

montré dans les années récentes que plusieurs problèmes associés à la gestion de l’eau

trouvent une solution dans la collaboration, l’échange et la reconnaissance du

problème à échelle internationale. Par ailleurs, la collaboration entre la CILA/IBWC et

la COCEF a permis de rattraper le retard concernant les infrastructures de service

d’eau potable, de drainage et de traitement des eaux usées de chaque coté de la

frontière133

.

Un autre type de coopération à plus petite échelle est également envisageable, à

savoir une collaboration entre les villes jumelles frontalières. En effet, si l’on tient

compte du fait que le modèle de gestion utilisé dans les villes jumelles américaines est

plus efficace, il est possible et recommandable d’assurer une coopération et un échange

d’expériences qui aideraient les organismes mexicains à améliorer leur capacité de

gestion de la ressource hydrique134

.

B. La problématique de la rentabilité hydrique, l’aménagement du ter-

ritoire en question

Nous avons vu que la ressource en eau connait de sérieuses limites dans la

région d’étude; en outre, il s’agit d’un territoire qui s’est historiquement

principalement développé grâce à l’essor d’une agriculture d’irrigation basée sur

l’exploitation du Rio Grande. Cette agriculture bien qu’inadaptée à une région aride est

indispensable à l’équilibre de la région (1). Cependant, avec la récurrence des pénuries

d’eau et des sècheresses depuis les années 2000, l’agriculture d’irrigation du coté

mexicain est plus que jamais menacée de disparaître, puisque cette même eau est

également convoitée par les nouveaux secteurs d’activité qui se sont implantés

progressivement depuis les années 1970 et en particulier à partir de l’entrée en vigueur

de l’ALENA. Par ailleurs, cette dynamique économique a attiré de nombreux

mexicains qui sont venus chercher du travail dans le secteur industriel des

131

Ibid. 132

Helen Ingram et Suzanne Levesque, op. cit, p.48. 133

Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8. 134

Idem.

Page 54: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

54

maquiladoras et se sont regroupés dans les centres urbains du nord du Mexique ; de ce

fait ceux-ci sont désormais des acteurs primordiaux dont la prise en compte dans la

répartition de l’eau du Rio Bravo est indispensable (2). Face à cette situation critique

de pénuries d’eau, l’attitude des dirigeants politiques de la région transfrontalière a été,

nous l’avons vu, d’intervenir sur l’offre. Cela s’est manifesté par l’ambition du

Mexique et des Etats-Unis d’acheter l’eau du Canada afin de l’acheminer dans les

régions les plus affectées par les sècheresses de la dernière décennie (3).

1. La question de la dépendance agricole

Dans le bassin du Rio Grande, la plupart des eaux sont utilisées pour

l’agriculture, soit environ 80%135

. Cette disproportion dans l’attribution de l’eau selon

les différents secteurs s’explique parce qu’il s’agit pour le Mexique d’une région qui

constitue « la principale zone d’expansion potentielle de son agriculture : 54% des

terrains peu pentus du pays s’y trouvent, mais ils ne disposent que de 7% des eaux de

surface pour être mis en valeur »136

. Or, selon Luc Descroix, l’agriculture sèche y est la

plupart du temps impossible : en plaine, la pluviométrie est partout inférieure à 500

mm, le plus souvent à 300 mm, avec neuf mois de saison sèche. Ce territoire se définit

par une nette homogénéité climatologique qui se caractérise par un milieu semi-aride

qui fait de cette région l’une des plus vulnérables de chaque pays, puisqu’elle dépend

de sources d’eau ayant une origine éloignée de son lieu d’exploitation (les Rocheuses).

Dans les années 1940 et 1950, les dirigeants politiques mexicains ont vu dans

ce territoire l’occasion de développer une agriculture intensive au moyen de

l’irrigation. La situation se prêtait alors très bien à ce développement, « le Rio Bravo

est le moyen d’acheminer l’eau aux usagers des deux pays situés en aval du

bassin »137

; en fait aucune dépense démesurée n’était à prévoir, par ailleurs il

s’agissait d’une région pauvre et désertique. Force est de constater que c’est à travers

l’agriculture d’irrigation que cette région a connu un premier essor économique. Cette

activité source d’emploi s’est rapidement imposée comme étant le moteur économique

du Nord mexicain (cf. Graphique 2).

135

Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 136

Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12. 137

Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8.

Page 55: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

55

Néanmoins, selon Darío Salinas Palacios, le modèle agricole d’irrigation mis en

œuvre n’a pas beaucoup changé depuis sa création. Les districts d’irrigation du bassin

du Rio Bravo disposent d’un système d’infrastructures d’irrigation « obsolètes et

coûteuses à maintenir »138

. De plus, le secteur agricole a perdu de son influence

politique dû à son faible rendement économique face aux secteurs industriel et de

services depuis la crise financière au début des années 1980 et lors des réformes

libérales du Mexique. La question de la rentabilité de l’eau consommée se pose alors ;

en effet, « la relation entre la quantité d’eau consommée et la productivité économique

que chaque district génère dans la région du bas Rio Bravo est déterminante pour

comprendre l’actuel rôle social et économique de l’agriculture du nord de

Tamaulipas139

. » On assiste progressivement à une perte de poids économique et social

de l’agriculture dans la région ; rappelons que les petits agriculteurs vendent leurs

droits d’eau aux grands propriétaires terriens et viennent grossir le nombre de

travailleurs du secteur de la maquila. L’auteur Salinas Palacios nous parle de la

décadence du modèle de l’agriculture d’irrigation dans cette région ; par ailleurs, il

laisse entendre qu’il appartient au secteur assurant la plus grande rentabilité entre eau

utilisée et richesse produite d’obtenir l’accès aux eaux du Rio Bravo. D’autre part, le

diplomate Enrique Escorza s’avoue séduit par l’idée d’abandonner complètement

l’agriculture d’irrigation dans la région transfrontalière du Rio Bravo, si et seulement

si, les agriculteurs mexicains se voient offrir des débouchés honnêtes sur le marché du

travail140

.

Néanmoins, bien qu’une large partie de la population de la partie basse du Rio

Grande vive dans des zones urbaines, l’agriculture, qui utilise la plus grande partie de

l’eau qui est attribuée à la région, est économiquement et socialement importante141

.

Ainsi, selon les auteurs Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, la sécurité de l’eau

dans la zone urbaine est liée à la sécurité de l’eau agricole. Cependant, soulignons que

cette dernière risque de ne pas être garantie sans une grande transformation du modèle

agricole des districts d’irrigation, principaux consommateurs d’eau dans le bassin et

dans la région transfrontalière du Rio Bravo.

138

Dario Salinas Palacios, op. cit, p.11. 139

Dario Salinas Palacios, op. cit, p.11. 140

Entretien avec Enrique Escorza du lundi 1er

juillet 2013. 141

Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8.

Page 56: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

56

La situation climatologique de la région a été prise en compte dans une

initiative mexicaine visant à mettre en avant les cultures peu consommatrices d’eau et

adaptables à un milieu désertique qui rapporteraient des rendements équivalents à ceux

de l’agriculture irriguée. Il s’agit du périmètre expérimental de La Ventana, dans l’Etat

de Coahuila ; ce site de recherches agronomiques sur les « plantes utiles » du désert est

cependant « actuellement moribond du fait du manque de moyens et de l’absence de

volonté politique d’aider des paysans de moins en moins nombreux »142

dans cet

espace. Ce site avait été ouvert dans les années 1970, et ses recherches avaient pour but

d’améliorer le sort des petits paysans (généralement en autosubsistance) du désert de

Chihuahua. On y a sélectionné une série de plantes pouvant permettre aux paysans

d’entrer dans le marché avec des productions adaptées au climat : les seules qui aient

finalement été retenues, mais pas étendues, sont la lechuguilla (aloé vera, utilisé pour

les cosmétiques), la candelolla, (sabila, idem) et le nopal (figuier de Barbarie, utilisé

pour l’alimentation en complément du maïs). Dans ce périmètre, on a utilisé des

kilomètres carrés de désert comme impluvium, afin de rassembler au pied des plantes

des quantités d’eau bien supérieures à celles précipitées sur place, et aussi pour remplir

quelques citernes. Cette eau n’étant pas utilisée en aval auparavant, et l’espace

monopolisé pour capter l’eau étant inutilisable pour l’agriculture, son utilisation ne

créait aucun conflit. Bien qu’il ait périclité depuis, cela paraît un bon exemple de

l’utilisation optimale de l’espace à des fins hydrologiques143

. Ce genre d'initiative

permettrait à l’agriculture de la région du bassin du Rio Bravo de se renouveler tout en

maintenant une activité indispensable pour l’équilibre de la région.

En accord avec Leandro Del Moral, il semble évident que « la gestion de l’eau

est indissociable de celle du territoire, et les problèmes de gestion de l’eau sont avant

tout des problèmes d’aménagement du territoire144

. » Ce postulat justifie toutes les

questions qui se posent dans le bassin du Rio Bravo sur la priorité que l’on doit donner

ou non à certains secteurs dans la répartition de l’eau ; par ailleurs, on peut se

demander si l’eau doit absolument répondre à une logique économique de rentabilité. Il

semble indiscutable en revanche que dans une région où les ressources sont limitées,

priorité soit donnée à l’approvisionnement en eau des ménages.

142

Luc Descroix, Gestion de l’eau…, op. cit, p.45. 143

Idem. 144

Leandro del Moral, « Planification hydrologique et politique territoriale en Espagne », Herodote,

n°102, 2001 pp. 87-112.

Page 57: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

57

2. Tensions sociales : la primauté des villes dans la répartition de l’eau

Rappelons que ce territoire binational a souffert d’une accélération de la

croissance urbaine en termes de population, influencée par les dynamiques

économiques s’appuyant sur une irrigation intensive entre les années 1940 et 1960 et

sur l’augmentation significative de la production industrielle à partir des années 1970,

ce dernier processus s’étant intensifié et officialisé avec la signature de l’ALENA en

1994145

. Ces modes de développement économique ont reposé sur l’exploitation

intensive des eaux du Rio Grande ; cependant, au vu des niveaux d’utilisation actuels,

le fleuve ne pourra pas répondre aux différentes demandes (agriculture, ménages,

industrie, écosystème)146

. Il ressort de l’étude que la concurrence entre les usages

agricoles, domestiques, industriels et écologiques s’est intensifiée largement et requiert

une meilleure compréhension de la relation entre l’eau et le développement durable.

Les auteurs Aguilar Barajas et Mitchell remarquent à juste titre que le fait d’ « assurer

l’accès à l’eau est un enjeu de survie socioéconomique et environnementale147

. » Cette

analyse s’applique particulièrement à la région du Rio Bravo où l’on observe qu’ :

En raison de la croissance démographique et économique, à la disponibilité

limitée de la ressource et à la complexité administrative dans laquelle entre en jeu la

répartition de cette ressource, un ensemble de conflits potentiels apparaissent alors au

sein du bassin entre agriculteurs et industriels, entre développement économique et

protection environnementales, entre les zones rurales et les zones urbaines, entre les

usagés en amont et les usagés en aval et entre le Mexique et les Etats-Unis148

.

En somme, il est à prévoir que si l’on n’améliore pas la gestion de l’eau, la

croissance démographique et économique développera ces conflits d’avantage. Il nous

appartient donc, pour répondre à la problématique de notre étude, de réfléchir sur les

enjeux présents et futurs qu’implique le rétablissement de la stabilité hydrique dans ce

territoire.

Nous tenons néanmoins à contraster les inquiétudes qui ont ici été exposées

avec la vision des auteurs Blanchon et Veyret. Selon ces auteurs, « le thème récurrent

145

Dario Salinas Palacios, op. cit, p.11. 146

Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 147

Idem. 148

Idem.

Page 58: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

58

d’une pénurie future et massive des ressources en eau semble souvent exagéré149

. » Ils

expliquent en effet que les ressources sont souvent présentées de façon simpliste en m3

par habitant, en négligeant deux facteurs importants. D’une part, disent-ils « il faut

prendre en compte la capacité d’adaptation à des ressources limitées des différents

pays150

. » Mais, dans le cas présent, force est de constater que, bien que les autorités

soient conscientes de cette situation, les populations semblent ne pas avoir compris que

l’offre et la demande en eau vont entrer en collision dans le bassin du Rio Grande151

.

D’autre part, selon ces mêmes auteurs, « il faut également considérer le type

d’utilisation152

. » En effet, la consommation domestique étant généralement très faible

par rapport aux besoins agricoles, ils en concluent donc que « la pénurie n’est pas liée

à la faiblesse de la ressource, mais à la répartition de l’eau153

. » Sous bien des aspects

cette analyse est juste concernant le bassin du Rio Bravo ; en effet, nous disions plus

haut que bien que les pays concernés soient confrontés à des sècheresses extrêmement

dévastatrices, la mauvaise gestion de la ressource est malgré tout le principal

responsable de la pénurie.

La question de l’usage de la ressource se pose en fait à divers niveaux dans le

bassin du Rio Grande. En effet, le principal conflit d’usage concerne la surexploitation

de cette ressource :

Faut-il consacrer de l’eau non renouvelable à l’agriculture dans un pays du

Sud où la croissance démographique est encore assez forte et la dépendance

alimentaire en augmentation ? Cela tant qu’il y aura de l’eau dans ces nappes à gros

volumes fossile mais à faible recharge ; ou bien faut-il d’ores et déjà sacrifier la

production pour pérenniser la ressource et assurer aux générations futures un

approvisionnement faible mais durable ? Pour le moment, c’est une logique

« minière » qui prévaut : tant qu’il y a de l’eau, on la prend. On élude donc un conflit

entre utilisation « minière » et gestion raisonnée et patrimoniale se souciant de la

pérennité de la ressource154

.

De nombreuses interrogations se posent donc à ce niveau de l’étude puisqu’un

choix doit être fait concernant l’usage de la ressource qui ne pourra pas durablement

149

David Blanchon et Yvette Veyret, op. cit, p.18. 150

Idem. 151

Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 152

David Blanchon et Yvette Veyret, op. cit, p.18. 153

Idem. 154

Luc Descroix, Les conflits de l’eau au Nord-Mexique…, op. cit, p.25.

Page 59: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

59

satisfaire toutes les demandes auxquelles elle est exposée. Faut-il remplacer

l’agriculture par l’industrie et donc condamner un secteur de l’économie de la

région ou bien en modifier la nature tout en la conservant ? Quelle va être la place du

facteur environnemental dans l’optique d’une nouvelle répartition de la ressource ?

Jean Marc Fournier nous rappelle que « plus qu’un problème de quantité, c’est

aujourd’hui surtout un problème de partage équitable de la ressource entre tous les

habitants de la société qui se pose ». Ainsi, l’usage urbain en principe prioritaire sur

tous les autres secteurs est-il lui aussi menacé dans le bassin du Rio Bravo ?

C’est avant tout une meilleure gestion des ressources hydriques du bassin du

Rio Grande qui garantira sa pérennité. Si l’on observe les expériences passées, il est

possible que l’utilisation de l’eau pour l’agriculture soit réduite155

. Les mécanismes de

marché et les arrangements mutuels entre les villes et districts d’irrigation peuvent

conduire à un usage plus efficient de l’eau, de telle sorte que sa nouvelle répartition

urbaine se fasse dans la coopération et non le conflit. La réduction des quantités d’eau

affectées à l’usage agricole confirme la décadence de l’agriculture par rapport à

l’industrie dans cet espace. Bien que ces dernières années la météo ait été favorable

dans la région avec les récents ouragans dans le golfe du Mexique, les préoccupations

et les méfiances des agriculteurs sont encore présentes, car ils ne sont pas assurés de

leur approvisionnement en eau à l’avenir. Ils se sentent par ailleurs en position de

faiblesse face à la priorité donnée aux besoins urbains et industriels dans la politique

du gouvernement fédéral et de la CONAGUA156

. En plus, en vertu de l’article 13 bis

de la LAN de 1992, il faut tenir compte que l’usage domestique et urbain prime sur

l’usage agricole. La faiblesse de l’agriculture d’irrigation au nord du Mexique s’est

accentuée avec l’entrée en vigueur de l’accord de libre échange nord américain. En

effet, l’ALENA constitue autant une menace extérieure qu’intérieure pour les

agriculteurs mexicains puisque l’agriculture doit non seulement affronter la

concurrence du marché nord américain mais aussi concourir avec les secteurs

industriels et de services, dont l’importance grandit dans la région.

Comme dans bien d’autres cas de par le monde, le seul gisement d’eau

renouvelable réside à présent dans une optimisation des eaux d’irrigation par

l’introduction de techniques connues mais onéreuses, et surtout le rachat des droits

155

Ismael Aguilar Barajas, Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 156

Dario Salinas Palacios, op. cit, p.11.

Page 60: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

60

d’eaux agricoles par les utilisateurs urbains157

; en optimisant l’usage, ceux-ci

produisent une bien plus grande valeur ajoutée par mètre cube d’eau consommé. En

effet, « au niveau national, les villes et les zones industrielles sont les plus à même de

valoriser l’eau et de produire plus de valeur ajoutée par mètre cube d’eau utilisée »158

.

Les grandes métropoles mondiales trouvent là un argument important pour justifier le

détournement d’eau vers les consommateurs industriels et urbains au détriment des

agriculteurs. On assiste ainsi à une fragilisation croissante des périmètres irrigués.

Ainsi, la relation entre la quantité d’eau utilisée et les rendements économiques

apportés peut être le facteur qui permettra de décider quel secteur d’activité et quelles

cultures d’irrigation peut continuer à accéder aux eaux du Rio Bravo. Les auteurs

Blanchon et Veyret exposent ainsi la notion de rentabilité de l’eau de plus en plus

recherchée dans les périmètres irrigués : « la « Révolution Bleue » demande d’une part

de "maximiser" le rendement à l’hectare pour les périmètres irrigués (« more crops per

drop ») et, d’autre part, de mieux valoriser l’eau utilisée en passant à des cultures à

plus haute valeur ajoutée (« more cash per drop »)159

. » Il s’agit par exemple de

produire des denrées destinées à l’exportation à la place de céréales ou de cultures

vivrières ; certaines d’entre elles ont été citées plus haut mais leur développement

exige tant un important effort financier qu’une formation appropriée. Cependant, outre

les tensions sociales croissantes entre, d’une part, ceux des agriculteurs qui ont les

moyens nécessaires de se lancer dans les nouvelles cultures et les autres et, d’autre

part, entre les agriculteurs et les industriels, « se pose alors la question de la

souveraineté alimentaire et de la sécurité alimentaire pour ces Etats qui deviennent de

plus en plus dépendants des marchés mondiaux pour écouler leurs produits160

. » Le

développement des cultures d’exportation implique qu’elles soient assez rentables

pour financer les importations de remplacement, cette évolution ne manquerait pas

d’assujettir le Mexique aux fluctuations des cours mondiaux, réduisant alors son

indépendance économique.

Néanmoins, avant de procéder à un changement dans l’affectation de la

ressource, de nombreuses mesures sont à mettre en place afin de mettre un terme aux

157

Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12. 158

David Blanchon et Yvette Veyret, op. cit, p.18. 159

Idem. 160

Idem.

Page 61: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

61

importantes pertes d’eau dans l’agriculture. En effet, « l’achat de droit d’eau et

d’excédent d’eau, d’un secteur d’activité à usage urbain ne devrait être une alternative

de premier choix qu’uniquement dans la mesure où l’on aurait déjà exploré toutes

options permettant une parfaite efficience dans l’administration de l’eau urbaine161

. »

D’autre part, l’absence d’étude détaillée sur le bassin du Rio Bravo ne permet

pas de savoir quelles sont les principales réformes à adopter ; en effet, selon Vicente

Sanchez Munguia, nous ne savons pas quel est le niveau minimal qu’il faut assurer

pour maintenir la même superficie cultivable sans affecter le rendement. En outre, nous

ne savons pas quelle quantité d’eau on peut transférer sans affecter ou mettre en péril

l’activité agricole. Par ailleurs, il parait plus évident et plus probable de renouveler et

d’assurer un meilleur entretien des réseaux de distributions d’eau pour réduire les

pertes, plutôt que d’investir dans de nouveaux projets d’acheminement de la ressource,

lorsque l’on sait que les pertes dues au réseau de distribution sont proches de 30%. Il y

a un silence total concernant la quantité d’eau potable substituable par de l’eau traitée.

Il n’y a aucune étude sur les caractéristiques de la demande en eau de chaque ville, qui

servirait comme base pour orienter les politiques d’usage efficient et d’économie

d’eau162

.

Bien que l’amélioration des techniques d’irrigation apparaisse souhaitable,

étant donné l’urgence de la situation de pénurie d’eau dans cette région en pleine

croissance, il convient de mettre en œuvre des réformes structurelles concernant

l’utilisation de l’eau. Par exemple, les villes de El Paso et de Ciudad Juárez pompent

leurs eaux dans une nappe qui sera épuisée dans une trentaine d’années au rythme

actuel d’utilisation163

. Selon Luc Descroix, leur croissance étant très forte, le volume

d’eau dont dispose l’agriculture pourrait bien servir prochainement à l’alimentation des

villes, comme c’est de plus en plus le cas dans toutes les grandes villes à forte

croissance du sud-ouest des Etats-Unis (Phoenix, Tucson, las Vegas, Los Angeles, San

Diego), qui rachètent depuis plusieurs décennies les droits d’eau aux agriculteurs. En

effet, « le phénomène industriel et des services, commencé il y a quelques décennies, a

161

Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8. 162

Idem. 163

Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12.

Page 62: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

62

transformé les centres urbains en acteurs les plus influents dans la géopolitique de

l’eau du nord-est du Mexique »164

.

On observe déjà des changements dans l’utilisation de l’eau dans le bassin du

Rio Bravo. En effet, en 1994 et au début de la sécheresse qui a affecté une grande

partie du bassin du Rio Bravo, la CONAGUA a inauguré le barrage El Cuchillo sur le

fleuve San Juan (affluent du Rio Bravo) pour approvisionner en eau, au moyen d’une

canalisation, la zone métropolitaine de Monterrey ; ainsi la ville en question « a été le

premier acteur urbain qui a provoqué une vraie concurrence pour l’eau depuis la

seconde moitié du XXe siècle165

. » Cette décision a donné lieu à une série de conflits

entre, d’un côté, les agriculteurs des districts d’irrigation 25 et 26 et, de l’autre, les

acteurs industriels et le service des Eaux de Monterrey qui sont soutenus par le

gouvernement de Nuevo Leon. Ce dernier a une influence politique très importante sur

le plan national, puisque Monterrey est la deuxième agglomération du Mexique et

représente un très important pôle industriel et de services. Rappelons que la

construction du barrage El Cuchillo a laissé sans eau les agriculteurs du district

d’irrigation 26 de l’état de Tamaulipas. En somme, « l’importance de l’agriculture

comme acteur dans ce territoire est de plus en plus faible depuis les années 1980 tandis

que le secteur urbain prend sa place comme un acteur capable d’influencer les prises

de décision du gouvernement fédéral »166

.

Néanmoins, ce changement d’affectation de l’eau de l’agriculture vers

l’utilisation publique urbaine et domestique fait également l’objet de critiques et de

remises en question. En effet « en 2000, lors d’un colloque international sur les

ressources en eau tenu dans l’état de Durango, un responsable politique a soulevé un

tollé en disant que puisque la ressource était insuffisante vis-à-vis de la population, la

solution était de limiter la population ou d’en déporter une partie167

. » Il y a

heureusement, des solutions moins radicales, mais elles devront s’appuyer sur les faits

suivants, selon Luc Descroix :

La croissance urbaine est inéluctable et c’est elle qui aura priorité pour

l’utilisation de l’eau ; comme partout dans le monde et logiquement, l’eau potable a

164

Dario Salinas Palacios, op. cit, p.11. 165

Idem. 166

Idem. 167

Luc Descroix, Les conflits de l’eau au Nord-Mexique…, op. cit, p.25.

Page 63: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

63

priorité sur toutes les autres ; enfin, on s’achemine vers une utilisation optimale de

l’eau en termes de valeur ajoutée produite par chaque mètre cube d’eau : les

utilisations industrielles et tertiaires vont supplanter peu à peu l’utilisation agricole.

Une économie substantielle d’eau peut être réalisée grâce aux améliorations techniques

évoquées.168

Enfin, il appartient aux populations urbaines et rurales du bassin du Rio Bravo

d’intervenir et de renforcer leur participation dans les processus de décision concernant

la gestion de l’eau et sa réattribution.

Au terme de cette sous-partie, on peut cependant s’interroger sur les risques

que supposent l’abandon de l’agriculture ou son remplacement partiel par d’autres

activités. Par ailleurs, l’industrie se déplace de plus en plus vers l’intérieur du pays en

raison des coûts d’installation à proximité de la frontière ; dans une telle dynamique,

est-ce qu’il n’est pas risqué de parier uniquement sur un secteur de l’économie, certes

très actif, mais extrêmement dépendant des investisseurs étasuniens de plus en plus

inquiets de la situation critique concernant la disponibilité en eau ?

3. Une ressource menacée à l’échelle régionale : l’eau canadienne convoitée

Nous traiterons dans cette partie de la conséquence des pénuries d'eau dans le

bassin du Rio Bravo en ce qu’elle contribue à la pression qui s'exerce sur les eaux du

Canada. En effet, « confrontés à de graves risques de pénurie, découlant d’une surex-

ploitation des ressources disponibles sur leur territoire, les USA tentent de convaincre

le Canada et le Mexique de créer un partenariat stratégique pour instaurer une com-

mercialisation massive de la ressource, à l’échelle du continent nord-américain »169

.

Les Etats-Unis et le Mexique ont conjointement formulé leur désir d'acheter l'eau ca-

nadienne, ce qui a soulevé les protestations d'un ensemble d'ONG, d'hommes et de

femmes politiques et de membres de la société civiles, soucieux de voir leur richesse la

plus précieuse exploitée pour assurer le développement industriel du Nord du Mexique

ou le maintien de l'agriculture d'irrigation dans les Etats du sud et du sud-ouest des

Etats-Unis.

168

Ibid. 169

Marc Laimé, « Les Etats-Unis ont soif de l’eau du Canada », Le Monde diplomatique, Avril 2007, In

Carnets d’eau. URL : http://blog.mondediplo.net/2007-04-18-Les-Etats-unis-ont-soif-de-l-eau-du-

Canada (consulté le 29 mai 2013).

Page 64: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

64

Cette nouvelle solution, basée sur une politique de l'offre (s'en étonnera-t-on

encore dans cette région?), implique néanmoins que le principe de la marchandisation

de l’eau soit accepté. L'ALENA reste assez vague à ce sujet, « les partisans des expor-

tations d’eau, encouragés par de récents sondages qui laissent entrevoir que l’opinion

canadienne serait aujourd’hui plus favorable aux exportations d’eau à condition que le

gouvernement canadien conserve son contrôle sur la ressource, faisaient valoir que

l’eau était exclue des dispositions de l’ALENA, et donc demeurerait sous contrôle ca-

nadien170

. » Néanmoins ces derniers n'ont que partiellement raison ; « aucune clause

concernant l’accès à l’eau ne fait partie du traité de l’ALENA, autorisant ou interdisant

son exportation171

. » Par ailleurs, conformément aux dispositions de la déclaration con-

jointe des gouvernements du Canada, du Mexique et des Etats-Unis du 2 décembre

1993, l'ALENA ne crée aucun droit aux ressources en eau naturelles de l'une ou l'autre

partie. Cependant, selon Frédéric Lasserre, « l’eau n’est pas expressément exclue du

traité non plus, contrairement à ce qu’affirmait le gouvernement canadien au moment

de la signature du traité172

. » Il convient de souligner que la valeur juridique de cette

déclaration conjointe n'est qu'interprétative et qu’elle ne crée par de droits ou d'obliga-

tions.

Ainsi, il convient de se pencher sur les dispositions de l'OMC et de l'ALENA

concernant la notion de produit. A cet effet, l'article 201 de l'ALENA prévoit que la

notion de « produits d'une Partie » s'entend des produits nationaux au sens de l'Accord

général sur les tarifs douaniers et le commerce ou des produits dont les Parties pour-

ront convenir, et s'entend notamment des produits originaires de cette Partie. En fait,

l'article 201 renvoie à la définition de produit de l'OMC et s'abstient de redéfinir cette

notion. Comme le souligne Frédéric Lasserre, « le texte instituant le GATT ne définis-

sait pas précisément non plus ce qu’est un produit ; cette absence de définition laisse

entendre que le terme doit être considéré dans son acception ordinaire : un produit est

un bien sur lequel une opération a été effectuée, aussi minime soit-elle, emballage,

extraction, récolte, transformation, transport […] et destiné à la vente173

. » En applica-

170

Frédéric Lasserre, « L’Amérique a soif. Les Etats-Unis obligeront-ils Ottawa à céder l’eau du

Canada ? », in Frédéric Lasserre et Luc Descroix (dir.), Eaux et territoire. Tension, coopérations et

géopolitique de l’eau, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2011 [2002], pp. 374-411. 171

Idem. 172

Idem. 173

Idem.

Page 65: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

65

tion de cette définition, l'eau à l'état naturel ne doit donc pas être incluse dans les dis-

positions de l'ALENA. Néanmoins, selon Lasserre, c’est là où réside une certaine in-

certitude :

« C’est sur le statut de l’eau à partir du moment où elle est exportée, c’est-à-

dire où elle devient un bien commercial et que ce statut lui est reconnu par les deux

parties, puisqu’elle est vendue à un prix convenu. Un gouvernement pourrait-il encore

l’exclure des dispositions de l’ALENA qui interdisent la restriction aux exportations

dès lors que l’on a affaire à un bien devenu commercial ? Rien n’est moins sûr174

. »

En interprétation de l'ALENA, ce n’est que lorsque l'eau est conditionnée pour

être vendue (embouteillée, stockée, traitée), qu’elle devient un produit commercial

soumis aux dispositions de l'ALENA. Cette interprétation est renforcée par la Déclara-

tion conjointe de 1993 qui prévoit qu'à moins d’être vendue dans le commerce et de

devenir ainsi une marchandise ou un produit, l’eau sous toutes ses formes échappe

entièrement aux dispositions de tout accord commercial. C’est sur cette base que les

trois pays ont accordé la possibilité de commercialiser cette ressource.

Le 13 avril 2007, dans un communiqué de presse, le Conseil des Canadiens

rendait public un document préparé par le Center for Strategic & International Studies,

think-tank implanté à Washington, le Conference Board du Canada et le Centro de

Investigación y Docencia Económicas du Mexique prévoyant la tenue d’une série de

rencontres à huis clos entre des hauts fonctionnaires des trois pays de l’Amérique du

Nord à la fin avril 2007, à Calgary dans le cadre du North American Future 2025

Project, pour discuter de « la question très controversée »175

des transferts d'eau.

L'objectif de ce projet trilatéral vise à « préciser les contours d’une intégration

économique renforcée du Canada, des Etats-Unis et du Mexique »176

. A cet effet, le

document en question met notamment en relief les différences au niveau de la

disponibilité des ressources en eau au sein des trois pays et l’état de stress hydrique

qu’atteindront les États-Unis et le Mexique au cours des prochaines années. En effet le

Canada, les États-Unis et le Mexique comportent des situations hydrologiques fort

différentes, notamment en ce qui concerne la consommation per capita et la

disponibilité de la ressource. Ainsi Yenny Vega Cardenas précise que :

174

Ibid. 175

Yenny Vega Cardenas, op. cit, p.25. 176

Marc Laimé, Les Etats-Unis ont soif…, op. cit, p.63.

Page 66: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

66

« Le Canada possède dix fois plus d’eau par habitant que les États-Unis et 25

fois plus que le Mexique. En effet, la disponibilité d’eau par habitant sur une base

annuelle est d’environ 100 000 m3 au Canada, 10 000 m3 aux États-Unis et 4 000 m3

au Mexique. Les prélèvements sont de 23,5 km3/an au Canada, de 272,8 km3/an aux

États-Unis et de 76,1 km3/an au Mexique. La consommation, pour sa part, est de 6,1

km3/an au Canada, de 124,3 km3/an aux États-Unis et de 53,4 km3/an au

Mexique177

. »

En fait, ce document semble remettre en question le maintien du moratoire sur

l’exportation de l’eau par le Canada, face à une perspective de pénurie hydrique dans

le monde. Les transferts massifs d’eau étant à l’ordre du jour de cette série de

rencontres, tout semble indiquer une réouverture du dossier de l’exportation de l’eau à

grande échelle en Amérique du Nord.

A cet effet, Marc Laimé s'interroge sur l'acceptation par le Canada des principes

de transferts d’eau massifs à destination des Etats-Unis et du Mexique ; il précise que,

« la question suscite une forte opposition au Canada178

. » En effet, le Conseil des

Canadiens exige que le gouvernement du Canada mette un terme à toute nouvelle

participation à de tels pourparlers sur l’intégration de l’Amérique du Nord jusqu’à ce

qu’un débat parlementaire et une vraie consultation publique aient eu lieu sur la

question. D'autre part, l'ONG Eau-Secours ! (Coalition québécoise pour une gestion

responsable de l'eau) a interpellé le 16 avril 2007 le Premier ministre canadien,

M. Stephen Harper, ainsi que le Premier ministre du Québec, M. Jean Charest, leur

enjoignant de suspendre toute participation canadienne à ces discussions. Selon Maud

Barlowe, membre du Conseil des Canadiens, ce mémorandum « démontre que le

gouvernement américain et ses think-tanks… considèrent l’eau canadienne comme une

ressource nord-américaine et non canadienne179

. » Par ailleurs, elle reproche à ce

document d'être le témoin d'un processus où « la transparence et l’obligation de rendre

compte brillent par leur absence180

»

D'autre part, les groupes environnementaux, sociaux et syndicaux de tout le

Canada se mobilisent fortement pour « faire échec au pacte nord-américain sur les

177

Yenny Vega Cardenas, op. cit, p.25. 178

Marc Laimé, Les Etats-Unis ont soif…, op. cit, p.63. 179

Idem. 180

Idem.

Page 67: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

67

ressources en eau et sur les richesses naturelles du Canada, que préparent derrière des

portes closes une poignée d’oligarques du secteur privé et des gouvernements du

Canada, des États-Unis et du Mexique dans le cadre du North American Future 2025

Project181

. » Le porte-parole du Bloc Québécois en matière de Commerce international

et député de Sherbrooke, Serge Cardin, déposait le mardi 1er mai 2007 une motion

auprès du Comité permanent du Commerce international afin que le gouvernement

canadien entreprenne au plus tôt des pourparlers avec ses vis-à-vis américain et

mexicain dans le but d’exclure l’eau des biens régis par l’ALENA. De son coté,

Gordon Hodgon, membre du Conference Board of Canada, estime que le Canada ne

dispose pas de tant d'eau que cela à exporter ; il souligne que « l’Ouest canadien

commence à connaître des problèmes de pénurie, et par ailleurs des quantités d’eau

considérables sont aujourd’hui utilisées pour extraire des schistes bitumineux des

champs de pétrole182

. » Armend Peschard-Sverdrup, membre du think-tank américain

se veut toutefois rassurant en affirmant dans The Ottawa Citizen le 13 avril 2007 que

« personne ne contraindra le Canada à vendre son eau. Ce projet est un exercice

analytique, il ne pas contraindra les gouvernements à quoi que ce soit183

. »

Néanmoins, il est indéniable que les Etats-Unis, le Canada et le Mexique

semblent bien s'engager dans la voie d'accords bilatéraux sur les transferts d'eau. Ce

qui, selon Enrique Escorza est regrettable puisque concernant le bassin du Rio Bravo

« les effort techniques nécessaires (dont on trouvera une description détaillée dans

l’avant dernière sous-partie de cette étude) n'ont pas encore été adoptés »184

, et cela ne

fait que souligner une nouvelle fois l'absence de remise en question de la politique de

l'offre qui domine les négociations sur le projet pour le futur 2025 de l'Amérique du

Nord.

Au delà de la question sur le bien fondé des transferts d'eau, Frédéric Lasserre

pose également la question de la souveraineté du Canada sur les transferts d'eau s'ils

venaient à être amorcés, c'est à dire le Canada serait-il à même « de contrôler le rythme

des détournements, ainsi que la mise en chantier d’autres projets185

? » Cette question

est d'autant plus importante qu'elle se pose dans un contexte où le rapport du groupe de 181

Ibid. 182

Ibid. 183

Ibid. 184

Enrique Escorza, propos recueillis lors de l'entretien du 1er juillet 2013. 185

Frédéric Lasserre, op. cit, p.64.

Page 68: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

68

travail des Nations-Unies sur le changement climatique prédit que les pressions sur le

Canada seront intenses et que les Etats-Unis entreront en conflit avec le Canada parce

que « la sécheresse menace de réduire de près de 40% les capacités d’un aquifère texan

stratégique qui fournit de l’eau à deux millions de personnes, et va tarir l’aquifère

d’Ogallala, la plus grande réserve d’eau souterraine des Etats-Unis, qui assure lui

l’alimentation de huit Etats américains186

. »

Cet épisode explique que les groupes de la société civile et les ONG aient pour

préoccupation croissante d'assurer la protection d'un environnement partagé et la

durabilité des ressources naturelles en présence. En conséquence, les hommes

politiques se verront obligés à l'avenir de tenir compte des enjeux écologiques dans

leurs prises de décisions afin d'assurer un développement durable en Amérique du

Nord et devront satisfaire aux exigences d'une société qui demande plus de

transparence et de participation dans les décisions concernant sa ressource la plus

précieuse.

186

Marc Laimé, Les Etats-Unis ont soif…, op. cit, p.63.

Page 69: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

69

III. Les enjeux environnementaux et de développement : le besoin

d’une nouvelle gouvernance

Cette dernière partie de l'étude a pour objet d'analyser quels sont les objectifs à

atteindre pour les décideurs politiques concernant la suite à donner au développement

du bassin du Rio Bravo. La problématique initialement posée suppose que nous

examinions d’abord les modifications à apporter à la gouvernance hydrique dans cette

région et par ailleurs que nous analysions les obstacles institutionnels qui se sont

dressés jusqu'à aujourd'hui dans la gestion de la ressource transfrontalière (A). Nous

ferons ensuite l'état des lieux de la situation hydrique dans le bassin du Rio Bravo dans

une perspective environnementale afin d’évaluer les enjeux écologiques dans le

développement de la région d'étude et nous verrons en quoi le fait de négliger la

dimension environnementale peut avoir des conséquences dramatiques sur la santé des

populations concernées (B). Enfin, nous conclurons ce travail par un ensemble de

recommandations avancées conjointement par des spécialistes, des diplomates et par

des techniciens susceptibles de garantir le progrès institutionnel et technique qui

permettrait à priori d'accorder une seconde chance au développement de la région du

bassin du Rio Grande, tout en assurant la pérennité de la ressource hydrique dans cet

espace (C).

A. La finalité de la gouvernance hydrique : la sécurité de l’eau

Nous verrons dans cette sous-partie de l'étude en quoi les enjeux futurs du

développement économique, social et environnemental de la région du bassin du Rio

Grande passent par la protection de la ressource hydrique, en somme par la sécurité de

l'eau (1). Nous verrons que les outils de protection de l'environnement mis en place par

le Traité de 1944 et plus récemment par l'ALENA sont inefficaces et que cette

inefficacité est renforcée par une vision simpliste des décideurs politiques opposant

une fois de plus développement durable et développement économique. Nous ne

pourrons que constater que la coopération hydrique entre le Mexique et les Etats-Unis

est largement affaiblie par une méfiance réciproque et par des conflits politiques

propres à chaque pays (2).

Page 70: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

70

1. Le développement économique subordonné à la sécurité de l’eau effective

Il est entendu que l'eau est indispensable au développement ; nous avons vu en

quoi elle est vitale pour l'économie de la région du bassin du Rio Grande et pour l'ave-

nir de cette région en l'espèce. Il en découle que cette ressource doit être protégée et

qu'il faut en assurer la sécurité.

Les auteurs Witter et Whiteford estiment que la sécurité de l'eau est garantie

par trois facteurs : « un approvisionnement suffisant, un accès facilité financièrement

et une durabilité ou capacité de rénovation de l'approvisionnement hydrique sur le long

terme187

. » Ces trois facteurs sont également requis pour assurer la sécurité, la santé, le

bien-être et la capacité productive d’une population.

Il apparaît que « les problèmes des ressources hydriques le long de la frontière,

où actuellement l’approvisionnement et la qualité sont mis en question sont dus

notamment au fait que le renouvellement des ressources est insuffisant pour assurer un

approvisionnement stable »188

. Le premier critère n'est donc pas rempli dans le cas du

bassin du Rio Bravo ; par ailleurs, selon Manuel Chavez Marquez, « le coût de l’eau

provoque non seulement des abus mais aussi des pratiques discriminatoires dans son

affectation »189

; en effet, l'OCDE confirme dans son rapport de 2003 que les

subventions pour l'eau d'irrigation ont « aggravé la situation de pénurie »190

, ainsi la

seconde exigence qui devrait être satisfaite pour assurer la sécurité de l'eau dans cet

espace ne l’est pas. Enfin, il va de soi que le troisième critère concernant la capacité de

rénovation de l'approvisionnement hydrique n'est pas non plus respecté puisque les

ressources en eau dans la région d'étude sont pratiquement épuisées.

Chavez Marquez estime que la question de la sécurité de l’eau est un sujet qui a

déjà provoqué énormément de remous à l’échelle locale, mais, lorsqu’il s’agit d’une

ressource partagée entre deux nations, ce concept devient un thème primordial dans

l’agenda binational de ces Etats. Renforcer la sécurité de l’eau tout en poursuivant le

développement économique de la région n’est possible qu’avec la mise en place

effective d’une programmation et d’une administration des eaux partagées du Rio

187

Scott Witter et Scott Whiteford, op. cit, p.9. 188

Manuel Chavez Marquez, op. cit, p.37. 189

Idem. 190

OCDE, op. cit, p.13.

Page 71: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

71

Grande. Néanmoins, selon les auteurs Aguilar Barajas et Mitchell, « le différent

contexte social, légal, institutionnel et économique de chaque coté de la frontière rend

difficile cette programmation et cette administration effective»191

. Les efforts de

gestion et de coopération binationale sont néanmoins fondamentaux pour l’avenir de la

région. En effet, le Conseil Mondial de l'eau annonçait en 2000 que, pour assurer la

sécurité d'une région il était indispensable de :

Partager les ressources en eau : promouvoir la coopération pacifique et

développer des synergies entre les différentes utilisations de l’eau à tous les niveaux,

chaque fois que possible, et dans le cas des ressources en eau frontalières et

transfrontalières, entre les Etats concernés, par une gestion durable des bassins

versants et d’autres méthodes appropriées192

.

Ce qui est en jeu, selon Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell c'est

précisément la sécurité à long terme, l’intégrité écologique et le développement

écologique de la région. En conséquence, il n'y a pas d'autre choix que d'adopter des

réformes nécessaires pour que soient respectés les critères propres à la sécurité de l'eau

et soit assuré un développement qui s'inscrive dans le long terme. Il est indiscutable

que l'eau est le principal facteur de développement, en particulier dans la région

d'étude, néanmoins la réciproque ne se vérifie pas. En effet, loin s’en faut pour que le

développement du basin du Rio Grande soit le principal facteur de sécurité hydrique ;

c'est pourtant ce que l'on devrait attendre de cette dynamique économique, afin qu'elle

puisse s'inscrire dans la durée, puisque la pérennité de l'eau est indispensable au

développement durable. A ce propos, le ministre de l'environnement mexicain, M.

Guerra Abud a fait preuve d'une maladresse inquiétante en opposant le développement

durable au développement économique. Même s’il n'est certes pas le premier à dire

que « la sustentabilidad se acaba cuando la gente no tiene que comer193

», cela reste

une vision bien réductrice du développement durable qui d’ailleurs ne se vérifie

absolument pas dans le bassin du Rio Bravo où la situation hydrique est devenue

191

Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 192

Conseil mondial de l’eau, Final REPORT, Second World Water Forum and Ministerial Conference,

La Haye, p.29, 2000. 193

Veronica Calderon et Luis Prados, “Entrevista al Secretario de Medio Ambiente en Mexico”, in El

Pais, 4 aout 2013, URL :

http://internacional.elpais.com/internacional/2013/08/04/actualidad/1375638156_087491.html

(Consulté le 04/08/13). Traduction : Le développement durable s'achève lorsque les gens n'ont plus

de quoi manger.

Page 72: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

72

critique en raison même du manque de sustentabilidad dans les politiques de

développement et où les pénuries d'eau vont amener des pénuries alimentaires, puisque

l'agriculture de la région risque d’être sacrifiée sur l'autel du développement anti-

sustentable.

Il demeure que les critères de la sécurité hydrique demandent une étroite

coopération entre les Etats-Unis et le Mexique qui, au delà d'un facteur de sécurité

hydrique, peut également être porteur de paix et apaiser les conflits récurrents dans le

bassin du Rio Grande.

2. L’inefficacité des outils de protection de l’environnement de l’ALENA et

du TILA

Nous avons dit que plusieurs institutions facilitant la coopération environne-

mentale et, plus particulièrement, la collaboration dans la gestion de l'eau ont été créés

(CILA/IBWC, COCEF, BANDAN, etc.) ; néanmoins, ces institutions font l'objet de

nombreuses critiques (Aguilar Barajas, Mitchell, Chavez Marquez, Ingram, Levesques,

Mumme, Stephen, Sanchez Munguia, Spalding, White). Nous verrons dans cette partie

en quoi les dysfonctionnements de ces institutions constituent une menace pour l'ave-

nir de la région binationale du Rio Grande. Par ailleurs, c'est dans ce domaine que les

réformes politiques doivent se concentrer afin d'avoir une incidence positive dans la

gouvernance des eaux du Rio Bravo.

Le rapport de l’OCDE de 2013 - Making Water Reform Happen in Mexico -

souligne que « bien que le Mexique ait un cadre règlementaire bien développé pour la

gestion des ressources en eau, avec un certain nombre d’instruments et d’institutions

appropriés, la mise en œuvre de cette politique est encore inégale ; vingt ans après leur

création, les commissions de bassin ne sont pas encore pleinement opérationnelles »194

ou n’ont pas encore été crées (Nuevo León, Tamaulipas).

Le Mexique ayant une structure fédérale et chaque état frontalier ayant - au

moins en théorie - sa propre commission de bassin, la coopération entre ces instances

est insatisfaisante. Par ailleurs, notre stage à l’ambassade du Mexique à Washington

nous a permis de constater les difficultés rencontrées par le Texas Water Development

194 OCDE, Making Water Reform Happen in Mexico, Paris, Les Editions de l’OCDE, 2013.

Page 73: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

73

Board face à la multiplicité des interlocuteurs du coté mexicain qui soutiennent des

intérêts divergents (Junta Central de Agua y Saneamiento de Chihuahua, Comisión

Estatal de Agua y Saneamiento de Coahuila, SEMARNAT, CONAGUA, etc.).

La CILA est particulièrement critiquée. Rappelons qu'elle a été créée en 1944 à

travers le TILA ; il s'agit d'un organe diplomatique qui fonctionne administrativement

sous l’autorité des chanceliers des gouvernements de chaque pays. Néanmoins, « le

caractère opérationnel de la CILA se refuse à la participation publique directe ou à un

accès transparent à ses analyses, délibérations et accords195

. » Les auteurs Mumme et

Pineda affirment que ni la CILA en tant que telle ni ses sections individuelles ne sont

dans l’obligation de recourir à la participation publique comme un critère habituel de

fonctionnement, ni d’ailleurs de soumettre leurs archives et les accords passés à un

scrutin public. Par ailleurs, dans la section américaine, la plupart des documents, à

moins que les deux gouvernements n’en acceptent la publication, ont un caractère de

secret officiel et le public, de façon générale, n’y a pas accès. Ainsi, la commission

dispose du monopole technique de l’information sur l’eau transfrontalière et contrôle

toute l’interaction diplomatique qu’implique la recherche de solutions binationales aux

différends relatifs au traité, aussi est-elle plus que jamais inaccessible pour de nom-

breux acteurs. En fin de compte, la CILA est perçue « comme une institution à pen-

chant bureaucratique, peu transparente dans ses processus de prise de décision, sans

indépendance et sans orientation vers la participation sociale196

. »

Cependant la section étasunienne de la CILA a récemment revu son fonction-

nement pour assurer une participation publique plus effective. En effet, Stephen

Mumme et Nicolàs Pineda soulignent que « lors de la décennie passée, on a porté une

attention particulière aux questions de procédure, entre autre aux questions de transpa-

rence des organismes internationaux197

. »

L'auteur Vicente Sanchez Munguia remarque que la CILA/IBWC a été conçue

pour assurer l’approvisionnement des quantités assignées par le traité à chaque utilisa-

teur et consommateur le long de la frontière Mexique-Etats-Unis. Dans ses projections

initiales, la commission ne percevait pas le risque de pénurie puisque l’offre et la de-

195

Stephen Mumme et Nicolàs Pineda, op. cit, p.35. 196

Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8. 197

Stephen Mumme et Nicolàs Pineda, op. cit, p.35.

Page 74: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

74

mande étaient alors coïncidentes ; dans la situation actuelle, cette institution n'est plus

adaptée et doit faire l'objet d'une mutation importante. En l'espèce, « l’autorité de la

CILA est limitée et ses attributions sont de plus en plus inadaptées vis-à-vis de

l’émergence de nouvelles problématiques des dernières décennies concernant l’accès à

l’eau futur198

. »

D'autre part, la gestion bi-nationale des eaux souterraines des bassins transfron-

taliers est gravement négligée. En effet, « aujourd’hui les traités et protocoles en la

matière ne règlent pas spécifiquement la question des eaux souterraines, il s’agit d’un

des thèmes oubliés du traité de 1944199

. »

La modification substantielle de l’usage donné à l’eau en raison de la pression

démographique et de ses conséquences environnementales a donné lieu à de nombreux

différends et conflits entre le Mexique et les Etats-Unis, mais également entre les diffé-

rents secteurs de l'économie, nous l'avons vu. Un tel contexte montre que « l’échelle et

la complexité des problèmes de l’eau dans le bassin du Rio Grande vont au-delà de

l’autorité limité de la CILA/IBWC et exigent des réponses politiques appropriées200

. »

Plus récemment, des institutions telles que la Commission Nord Américaine

pour la Coopération Environnementale (CCE), la Banque de Développement

d’Amérique du Nord (BANDAN) et la commission de coopération écologique fronta-

lière (COCEF) ont été créées sous les auspices de l'ALENA pour soutenir les poli-

tiques environnementales des Etats, mais l’ensemble des règles qui les composent sont

en réalité un obstacle pour ces derniers, selon Manuel Chavez Marquez.

Les auteurs Mumme et Moore signalent les problèmes que peuvent susciter des

innovations institutionnelles comme celles-ci. Selon ces auteurs, « la COCEF doit

préalablement délimiter ses politiques, en ajustant continuellement ses priorités institu-

tionnelles, tenant compte de la diversité de son public et en répondant aux attentes que

la COCEF s’est elle-même fixée201

. »

198

Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8. 199

Stephen Mumme et Nicolàs Pineda, op. cit, p.35. 200

Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 201

Stephen Mumme et Elaine Moore, « innovative prospects in US-Mexico Border Water

Management : The IBWC and BECC in Theoretical Perspective », conférence Associated

Borderland Scholars, Albuquerque, avril 1997.

Page 75: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

75

En fait, malgré l’impact positif que la COCEF et la BANDAN ont apporté en

termes de développement d’infrastructures environnementales, « chacune de ces insti-

tutions est durement critiquée pour avoir échoué dans l’accomplissement de leurs ob-

jectifs ou attentes202

. »

En effet, la capacité de crédit de la BANDAN est largement sous-exploitée.

D'autre part, la BANDAN a vu son mode d’action largement critiqué. Selon les au-

teurs Mumme et Pineda, la BANDAN ne fait pas état d'une transparence suffisante ;

notons qu' « en tant que structure financière, la BANDAN connait une très faible parti-

cipation publique en dehors du contexte de publication de ses rapports annuels et autre

type de rapports d’importance mineure203

. » La BANDAN se refuse à faire connaître

ses opérations, et les auteurs John et Spalding lui reprochent également « l’absence

d’accueil et d’écoute des sociétés transfrontalières et l’absence de transparence dans la

prise de décision du comité de directeurs204

. » En effet, le public n’a pas accès aux réu-

nions et délibérations de son comité de directeurs.

Les auteurs Mumme et Pineda estiment que la COCEF et la BANDAN, comme

institutions, « doivent assumer un rôle de soutien dans la région205

. » Or, actuellement

la COCEF ne dispose pas d’un plan stratégique adéquat à long terme et a privilégié des

projets de court terme.

La COCEF présente tout comme la BANDAN des carences dans la

participation publique ; en effet, l'auteur S.Grave souligne que :

Alors que les groupes environnementaux nationaux ont rapidement perdu tout

intérêt dans la COCEF, un ensemble d’ONG et d’activistes individuels ont fait en sorte

d’influer sur le développement de l’institution. Leurs efforts de lobby ont eu un impact

important, néanmoins, ces avocats ont également perdu des batailles clefs, soulignant

202

Helen Ingram et Suzanne Levesque, op. cit, p.48. 203

Stephen Mumme et Nicolàs Pineda, op. cit, p.35. 204

Audley John et Mark J.Spalding, « Promising Potential for the U.S- Mexico Border and the future :

An Assessment of the BECC/NADBank Institutions », Washington, DC, National Wildlife Federation,

novembre 1997. 205

Stephen Mumme et Nicolàs Pineda, op. cit, p.35.

Page 76: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

76

ainsi les limites de l’influence citoyenne dans l’élaboration des politiques de la

COCEF206

.

Ainsi, en raison de la croissante participation des ONG dans l’élaboration des

politiques de la COCEF, presque toute la participation publique s’exerce au niveau

local, les promoteurs de projets (en général les municipalités) étant sommés de mettre

en place des programmes de participation et de démontrer qu’il y a un soutien public

pour les projets présentés.

M. Doughman démontre que le long de la région frontalière entre les Etats-Unis

et le Mexique, plusieurs associations (la Via Campesina, Biocrece, Rio Grande

Alliance) perçoivent l’eau comme étant « partie intégrale de l’identité culturelle et

écologique des communautés et comme une ressource au soutien de la formation de la

vie dans la région207

. » Malgré cela, même si la COCEF reconnait l’importance de

l’eau pour la structure communautaire, son discours fait état d’une position

technologique concernant la gestion de l’eau et traduit une perception rationnelle,

utilitaire et administrative de la ressource. Cette vision est difficilement compatible

avec celle des populations de la région d’étude ; ces dernières ont peur de ne pas être

entendues dans les nouvelles missions de la COCEF.

Enfin, Helen Ingram et Suzanne Levesque nous font remarquer qu'il y a

toujours un manque de données concernant la qualité et la disponibilité en eau208

, ce

qui empêche tant une coordination binationale des politiques hydriques ainsi qu’une

participation publique dans les processus de prise de décisions locales et

transfrontalières.

Néanmoins, en 1983, les gouvernements du Mexique et des Etats-Unis ont

signé les accords de La Paz comme cadre pour la coopération binationale en matière

environnementale frontalière. Sous les auspices de ces accords, entre 1992 et 1994, fut

mis en place le programme intégral environnemental frontalier (PIAF) remplacé en

1996 par le programme frontière XXI, ces deux programmes ayant pour objectif de

206

S. Graves, « Structuring Public Participation in Binational Institution Citizen Activism and BECC

Policymaking », in Borderlines, Albuquerque, 1999. 207

P. Doughman, « Discursos y agua en la región de la frontera Estados Unidos-Mexico », in J. Blatter

et Hellen Ingram (dir.), reflection on Water New Approaches to transboundary Conflicts and

Cooperation, Cambridge, Massachussetts, MIT press, 2001. 208

Helen Ingram et Suzanne Levesque, op. cit, p.48.

Page 77: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

77

promouvoir des actions coordonnées pour le développement durable. La nature

d'ouverture de ces nouvelles institutions et leur lien avec la société ont amené un bol

d’air frais pour la CILA.

Désormais, les politiques de court terme des institutions binationales s'orientent

vers « plus de soutien des instances locales dans le développement d’infrastructures

pour les systèmes d’eau avec pour objectif de satisfaire la demande, mais aussi

l’élargissement du réseau d’égouts et les systèmes de traitement des eaux dans les

zones urbaines frontalières209

. » Selon Sanchez Munguia, il est nécessaire de

développer des infrastructures d’acheminement et de distribution d'eau qui rendraient

possible l'utilisation optimale de la ressource.

La société dans son ensemble souhaite participer plus activement aux processus

de planification et de prise de décision concernant les projets incluant des aspects

environnementaux. Or, « la participation sociale est un facteur clef pour faire que les

programmes et les plans mis en place ne soient pas uniquement le produit d’une

consultation publique mais également les instruments qui guident l’action des

autorités en la matière210

. » Il ressort de cette étude que des institutions telles que la

CILA peuvent évoluer et s’améliorer, notamment en adoptant une nouvelle vision de la

frontière et de ses problématiques.

Selon Sanchez Munguia, « une plus grande pression sociale doit s’exercer à fin

de rendre possible l’exécution des accords bilatéraux qui sont le point de départ pour

l’établissement de toute politique hydraulique dans la zone frontalière. » Par ailleurs,

toujours selon cet auteur, il est nécessaire de développer des études micro-régionales

sur la répartition de l'eau.

En tant qu'observateur privilégié de la coopération environnementale entre le

Mexique et les Etats-Unis depuis l’ambassade du Mexique à Washington, nous ne

pouvons que constater que celle-ci a été particulièrement décevante cette année. En

effet, en raison notamment du licenciement du ministre canadien de l'environnement

Peter Kent la veille du sommet annuel de la Commission de Coopération

Environnementale des 11 et 12 juillet 2013, le sommet a failli être annulé, provoquant

209

Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8. 210

Idem.

Page 78: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

78

ainsi le mécontentement du Mexique, pays organisateur. D'autre part, les Etats-Unis

ont annoncé la prise de fonction de Gina Mc Carty à la tête de l'Environmental

Protection Agency (EPA) quelques jours après le sommet, ainsi Bob Perciasepe,

l'ancien directeur, s'est déplacé à Los Cabos (siège du sommet) en sachant qu'il allait

être remercié et n’a donc pas été en mesure d’engager des négociations avec son

homologue Mexicain Guerra Abud, par ailleurs très vexé.

De plus, la communication sur la question de l'eau entre l'EPA et la CONAGUA

est au point mort parce que la CONAGUA n'a plus de représentation à Washington ;

cette commission dépendant du SEMARNAT tend à devenir un ministère indépendant

au Mexique, ce qui créée des tensions au sein du SEMARNAT entre les PRO-

CONAGUA et les autres. Ainsi les diplomates représentant le SEMARNAT à

Washington ne s'occupent plus des affaires propres à la CONAGUA. Cette situation

n'étant pas acceptable pour l'EPA, celle-ci intervient unilatéralement sur le Rio

Bravo211

.

En somme, la conclusion des auteurs Aguilar Barajas et Mitchell selon laquelle

« il est triste de constater qu’à l’heure actuelle la meilleure politique pour la gestion

binationale de l’eau soit la présence de cyclones et d’ouragans212

. » est plus que jamais

d'actualité dans une situation où une coopération binationale renforcée est urgente et

indispensable.

B. Le bassin du Rio Bravo : le désastre hydrique résultat du dévelop-

pement

Dans cette partie nous dresserons le bilan écologique actuel de la région

binationale du Rio Grande et aborderons tout d’abord les conséquences

environnementales du développement de l'agriculture d'irrigation dans un milieu aride

(1). Par la suite, nous porterons notre attention sur le risque que représente le

développement à l'excès de l'industrie maquiladora dans cette région afin de mieux

appréhender le choix politique qui commande la nouvelle répartition de l'eau par

secteur économique (2). Enfin, nous verrons que le bassin du Rio Bravo est aujourd'hui

un écosystème en voix de disparition, ce qui constitue une sérieuse menace sanitaire

pour la région binationale (3).

211

Entretien avec Laura Gomez du 08/08/2013 membre de l'EPA (Congressional Liaison à L'EPA). 212

Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8.

Page 79: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

79

1. Le développement de l’agriculture irriguée en région aride

Nous avons vu préalablement que le secteur primaire représentait environ 80%

de la répartition de l'eau du Rio Bravo, malgré une réduction de l'agriculture d'irriga-

tion dans la dernière décennie ; la principale utilisation de l'eau est donc toujours agri-

cole, en l'espèce selon Luc Descroix, « l'intégralité du volume est déjà affectée ; de ce

fait, on assiste à une salinisation des eaux et à un accroissement de leur teneur en pes-

ticides213

. »

Le graphique 1 représente la moyenne des surfaces irriguées des villes

mexicaines et américaines frontalières. A première vue, on peut observer la différence

d'hectares irrigués entre le Mexique et les USA. Les villes mexicaines dans le bassin

du Rio Bravo ont été à même d'irriguer plus d'hectares dans les 4 décennies analysées.

De leur coté, les USA ont irrigué environ 40% de moins que le Mexique sur la même

période. Ces données peuvent paraître contradictoires avec les présupposés habituels,

selon lesquels on s'attend à ce que plus d'hectares soient irrigués aux Etats-Unis.

Néanmoins, selon l'auteur Carlos Lascurain Fernandez, cette situation s'explique par

des questions économiques. En effet, selon cet auteur, le coté mexicain de la frontière

étant l'une des zones du pays les plus fragiles économiquement, le secteur agricole y

est l'un des principaux facteurs de bien-être économique.

Néanmoins, cette agriculture d'irrigation en milieu aride témoigne du peu

d’intérêt que les décideurs politiques portent aux caractéristiques géographiques de la

région. En raison de cette négligence, on enregistre des pertes d'environ 30% de l'eau

destinée à l'irrigation entre transport et évaporation principalement.

Par ailleurs, en termes de qualité de l’eau, la situation n’est pas meilleure,

puisque le Rio Bravo et nombre de ses affluents sont pollués, notamment à cause de

l’absence de service municipal de traitement des eaux usées domestiques ou

industrielles (cf. Tableau 1). En effet, « il y a un excessif charriage des eaux avec une

forte concentration de pesticides et de produits chimiques à cause de l’agriculture, la

salinité de l’eau s’est largement étendue et des métaux lourds et des produits chimiques

213

Luc Descroix, Des conflits de l’eau…, op. cit, p.12.

Page 80: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

80

toxiques ont été déchargés dans les eaux transfrontalières »214

. Cette dynamique a

contribué à porter préjudice à l'écosystème de la région.

Ces problèmes de qualité entraînent, nous l'avons vu, des conflits entre les

communautés frontalières. La tension est palpable, étant donné que « dans 20 ans la

majorité des réservoirs seront épuisés. Cela est dû au fait que les eaux souterraines sont

extrêmement polluées et que les aquifères s’épuisent rapidement215

. » On note en outre

que les besoins de la ressource ne sont d’ores et déjà pas remplis.

2. L’industrie maquiladora : plus faible consommateur, plus faible pollueur ?

Cette partie de l'étude nous permet d'évaluer les conséquences écologiques d'un

changement d'attribution de l'eau de l'agriculture d'irrigation à l'industrie maquiladora

dans la région de bassin du Rio Grande. Cela nous permettra de voir si le fait d'affecter

la ressource hydrique à un usage plus productif ne présente pas également une menace

pour celle-ci.

Les politiques d’investissement au nord du Mexique avec l’entrée en vigueur

de l’ALENA ont produit une croissance déséquilibrée, une dégradation de

l’environnement et une injustice sociale majeure. C’est le cas notamment avec la mul-

tiplication des maquiladoras, qui n’ont, selon Manuel Chavez Marquez, « aucune

conscience environnementale et qui se sont converties en l’une des principales sources

d’emploi dans la région216

. »

Selon Graciela Gonzales, membre de l’Assemblée nationale des affectés envi-

ronnementaux, le Mexique est devenu « un des pays connaissant les plus hauts niveaux

de dévastation environnementale de la planète. En cause ? La dérégulation produite par

les Accords de Libre-Échange Nord-Américains »217

. En effet, les entreprises « maqui-

ladoras » mexicaines sont devenues la principale source de pollution au Mexique selon

Carmen Lira Saade. De fait, « elles sont responsables de la presque totalité des 8 000

214

Mark Spalding, « Addressing Border Environmental Problems Now and in the Future : Border XXI

and Related Efforts », in P. Ganster (dir.), The US-Mexican Border Environment : A road map to a

Sustainable 2020, San Diego, California, SCERP, San Diego University Press, Monograph Series,

n°1, 2000. 215

Manuel Chavez Marquez, op. cit, p.37. 216

Idem. 217

Sophie Chapelle, « Le Mexique, symbole de l’hypocrisie écologique », Bastamag, Décembre 2010.

URL : http://www.bastamag.net/article1335.html (Consulté le 11 juin 2013).

Page 81: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

81

tonnes de déchets toxiques qui ont été déversés dans divers endroits de la zone fronta-

lière dans la dernière décennie218

. »

Les chercheurs Laura Carlcen Wise et Hilda Salazar notent que 85% de la pol-

lution environnementale, due aux produits chimiques toxiques déversés dans les sys-

tèmes d'égouts et les voies fluviales dans les villes frontalières de El Paso Ciudad Jua-

rez, sont dus aux entreprises maquiladoras. En outre, « la partie la plus polluée du

fleuve est celle qui comprend le territoire entre Ciudad Juarez-El Paso jusqu'à Ojinaga-

Presidio219

. » Il s'agit par ailleurs de la région où l'on compte le plus de maquiladoras.

Les problèmes de qualité de l’eau dans la région deviennent de plus en plus

graves, le faible débit du fleuve l’empêchant de diluer les polluants qui y sont déversés.

Ainsi, la quantité d’eau de qualité à la disposition des agriculteurs, des villes et des

écosystèmes est fortement réduite. Comme réponse à ces menaces, le Mexique et les

Etats-Unis ont développé et mis en commun leurs efforts pour augmenter la capacité

de traitement des eaux résiduelles dans la partie mexicaine du bas Rio Bravo.

Néanmoins, selon les auteurs Aguilar Barajas et Mitchell, « malgré ces efforts la

qualité de l’eau continue de constituer une grande inquiétude pour la région, étant

donné le développement de l’industrie et de l’urbanisme qui supposent une meilleure

qualité que celle exigée par le secteur agricole220

. » En effet, selon Luc Descroix, l'un

des problèmes majeurs concernant la qualité des eaux repose sur les effluents urbains,

non encore traités, des villes frontalières mexicaines.

Notons que la pollution industrielle, « en particulier celle de l'industrie

maquiladora s'est traduit par une augmentation de la demande biologique en

oxygène221

. Cette demande à crue de manière spectaculaire en 20 ans passant entre

218

Carmen Lira Saade, « Maquiladoras, la principal fuente de contaminacion en Mexico : expertas », La

Jornada, Décembre 2003. URL :

http://www.jornada.unam.mx/2003/12/17/023n1eco.php?origen=economia.php&fly=1 (Consulté le

15 août 2013). 219

Carlos Lascurain Fernandez, op. cit, p.11. 220

Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 221

Demande Biologique en Oxygène (DBO) : Quantité d’oxygène nécessaire pour oxyder la matière

organique par voie biologique (processus d’oxydation des matières organiques biodégradables par des

bactéries).

Page 82: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

82

1975 à 1996 de 2mg/L à 4mg/L »222

. Ce chiffre est cependant toujours acceptable selon

l'organisation mondiale de la santé.

L'industrie maquiladora représente un grand danger pour l'avenir écologique de

la région binationale et en particulier pour les eaux du Rio Grande, chargées de diluer

les polluants alors même que le flux du fleuve est à l'étiage sur de grandes parties de

son cours. Certes, l'agriculture est nettement moins rentable par litre d'eau consommé,

néanmoins elle est sensiblement moins polluante également par litre d'eau consommé,

mais nous manquons d'études scientifiques sur la région permettant d'évaluer avec

précision les conséquences écologiques du remplacement de l'agriculture par

l'industrie. De plus, les dirigeants politiques ne comptent pas mettre en péril un secteur

indispensable à l'économie de la région en faisant appliquer la législation

environnementale mexicaine en vigueur, déjà bien laxiste.

3. Un écosystème en voie d’extinction : l’enjeu sanitaire

Afin de répondre à la problématique de départ, il nous semble que l'enjeu sani-

taire doit devenir une préoccupation prioritaire dans les décisions concernant l'avenir

de la ressource hydrique du bassin du Rio Bravo, sachant que la pollution des eaux de

surface à déjà causé des pertes irréparables pour l'environnement le long de la région

binationale.

Selon les auteurs Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell :

Moins de 5% de la flore de Tamaulipas et de son écosystème original demeu-

rent aujourd’hui le long de ce corridor binational. Presque 90% des vertébrés de la ré-

gion sont d’ores et déjà qualifiés par des ONG comme étant des espèces en voie de

disparition. Les changements dramatiques dans le régime de flux du Rio Grande ont eu

un impact sévère sur les espèces vivantes riveraines223

.

Le parc binational Big Bend/Rio Bravo, en théorie protégé par la CCE, est tra-

versé par un Rio Grande à l'étiage, ce qui met en lumière toute l'ironie de la politique

de protection des espaces naturels partagés. Il est difficile d'imaginer un parc naturel

protégé ne disposant pas de la quantité d'eau nécessaire à sa conservation, or c'est bel

222

Carlos Lascurain Fernandez, op. cit, p.11. 223

Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8.

Page 83: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

83

est bien cet espace qui fait la fierté des diplomates en charge de la coopération envi-

ronnementale des Etats-Unis et du Mexique.

Il faut souligner que cette absence de conscience écologique n'a pas unique-

ment des conséquences sur la faune et la flore ; l'être humain est membre de l'environ-

nement de la région binationale et, au même titre que l'environnement dans lequel il

vit, il est menacé par le fort taux de pollution des eaux du Rio Bravo.

Selon les auteurs Chavez Marquez, Cortez Lara et Whiteford, la région fronta-

lière est une zone où les conditions de vie sont de plus en plus difficiles. En effet, « des

12 millions d’habitants de chaque côté de la frontière, 9,6% ne disposent pas d’un ser-

vice d’eau potable, 23% ne disposent pas d’un service de traitement des eaux usées et

22% ne disposent pas d’un service de traitement des déchets solides municipal224

. »

(cf. Tableau 1).

En outre, selon le rapport de l'OCDE de 2003, les conditions socio-

économiques du côté américain de la frontière présentent plusieurs particularités par

rapport à la moyenne des Etats du sud-est des Etats-Unis : la croissance démogra-

phique y est plus forte, le taux de chômage plus élevé, l’incidence de la pauvreté plus

importante, et le revenu des ménages plus faible. Certaines communautés ne disposent

pas d’infrastructures adéquates (service de distribution d’eau et d’évacuation peu satis-

faisants) et présentent beaucoup d’autres symptômes caractéristiques des zones éco-

nomiquement défavorisées (notamment une santé publique précaire…). Du côté mexi-

cain, la situation est pire encore. De fait, le revenu moyen des ménages ne représente

qu’environ un quart de celui enregistré de l’autre côté de la frontière.

Selon Carlos Lascurain Fernandez, l'eau du fleuve présente des niveaux de pol-

lution qui violent les normes mexicaines et américaines. Ces derniers soulignent que la

mauvaise qualité de l'eau dans le Rio Bravo a des conséquences négatives sur l'envi-

ronnement et contribue à l'enregistrement d'indices anormalement hauts de maladies

véhiculées par l'eau qui sont surreprésentées dans cette région.

Ainsi, la santé et la conservation de l'eau sont maintenant au centre des discus-

sions. Un très grand nombre de cancers, de maladies respiratoires et de la peau, sont

apparus dans la zone métropolitaine de Monterrey lors des deux dernières décennies

224

Javier Cabrera Bravo, op. cit, p.52.

Page 84: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

84

(CONAGUA 2005). Yenny Vega Cardenas souligne que « la mauvaise qualité de

l’eau est à l’origine de 20% de la mortalité infantile et de problèmes de santé publique

liés au taux très élevé de fluor dans l’eau »225

. La pollution des ressources hydriques

découlerait d’un manque de contrôle au niveau des rejets et d’un taux d’assainissement

des eaux usées nettement insuffisant. (CONAGUA 2005). Le rapport de l'OCDE de

2003 note également que, dans la région d'étude, « du côté américain, on dénombre

trois fois plus de cas d’hépatite pour 100 000 habitants que dans le reste des Etats-

Unis, et deux fois plus de cas de fièvre typhoïde »226

. En outre, « du côté mexicain, les

cas de fièvre typhoïde sont près de 100 fois plus fréquents que dans le reste du pays et

ceux d’amibiase 600 fois plus fréquents227

. »

Il ressort de notre étude que nombre de problèmes sanitaires et de questions

concernant la gestion des déchets n’ont pas été suffisamment pris en compte afin de

garantir l'avenir de la région du bassin du Rio Grande. Il est incontestable que cet ave-

nir passe par une protection effective de la ressource hydrique.

C. De l’inévitable changement de cap de la gouvernance hydrique

Dans cette dernière sous-partie de l'étude, l'accent sera mis sur les solutions qui

s'offrent aux décideurs politiques de la région binationale du Rio Bravo. Nous avons vu

au début de cet exercice qu'un ensemble de problèmes relatifs à la gestion de l'eau

proviennent de son indéfinition, ainsi il nous semble que l'attribution d’un statut

juridique à l'eau est inévitable (1). Par ailleurs, nous analyserons les différentes

propositions qui s'offrent pour renforcer les institutions en place et les rendre plus

efficientes, ainsi que les réponses techniques qui sont envisageables dans le bassin du

Rio Bravo/Grande afin d’assurer un avenir durable à la ressource hydrique de la région

et par là-même à son développement (2). Enfin, nous examinerons le modèle de

gestion intégrée des ressources dans le bassin du Rio Bravo et nous évaluerons les

éventuels bienfaits de cette méthode, compte tenu des difficultés liées à son application

intégrale dans un milieu aride (3) et nous tenterons alors de répondre à la délicate

question de la gouvernance des eaux transfrontalières Etats-Unis/Mexique.

225

Yenny Vega Cardenas, op. cit, p.25. 226

OCDE, op. cit, p.13. 227

Idem.

Page 85: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

85

1. De l’accord d’un statut juridique à l’eau

Selon Yenny Vega Cardenas, au sein de l’espace économique nord-américain,

l’eau est une question qui fait l’objet de multiples débats, que ce soit en matière de

commerce, de distribution, de gestion, d’appropriation ou de conservation. Or, chacun

de ces débats est étroitement lié à un débat beaucoup plus fondamental, à savoir celui

qui concerne le statut juridique de l’eau. En l'espèce, nous avons vu que l'eau n'a pas de

statut juridique propre dans le cadre de l'ALENA.

Néanmoins, l'auteur E. Hermon souligne que le droit international tend aujour-

d'hui à réinvestir l'héritage juridique du droit romain selon lequel les cours d'eau peu-

vent être considérés comme un patrimoine naturel. Ainsi, on cherche à « rapprocher

l'eau d'une chose commune ou d'un patrimoine de l'humanité228

. » En somme, c'est

cette reconnaissance qui nous parait indispensable pour assurer la durabilité de la res-

source hydrique du Rio Grande, une vision selon laquelle l'eau n'appartient plus à

l'agriculture, à l'industrie ou aux ménages, mais à un ensemble d'activités, à l'environ-

nement dans sa globalité et à chaque citoyen. Cette méthode permettrait de responsabi-

liser chacun dans l'usage qu'il fait de l'eau, désormais considérée comme bien commun.

Sylvie Paquerot souligne cependant l’ampleur du problème qu’implique une

telle reconnaissance lorsqu'elle affirme :

Accorder à certaines ressources un statut de patrimoine commun de l’humanité

supposerait de tenir compte, par-delà les statuts diversifiés des ressources à travers les

époques et les systèmes juridiques, du caractère universel, dans le temps et dans

l’espace, de ces ressources. La notion nous semble donc bien correspondre à cette idée

d’une régulation universelle devant s’imposer dans l’intérêt public229

.

Le problème d'une telle reconnaissance repose dans les débats théoriques sur

marchandisation de l'eau et reconnaissance de la ressource comme patrimoine com-

mun, selon Olivier Petit, il s'agit d'une « quête Utopique »230

. Néanmoins, avant d'ac-

corder à la ressource hydrique le statut de patrimoine commun de manière universelle,

il nous parait intéressant d'appliquer ce principe à une plus petite échelle.

228

Oliver Petit, « Introduction » La "mise en patrimoine" de l'eau : quelques liens utiles, Mondes en

développement, 2009/1 n° 145, p. 7-16. DOI : 10.3917/med.145.0007. 229

Sylvie Paquerot, « Eau douce. La nécessaire refondation du droit international » , Sainte-Foy, Presses

de l’Université du Québec, 2005. 230

Oliver Petit, op. cit, p.85.

Page 86: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

86

La vision marchande de l'eau dans le bassin du Rio Bravo a jusqu’ici été privi-

légiée avec les résultats que nous connaissons ; une nouvelle approche s'impose, mais

l'objet de cette n'étude n'est pas de tirer des conclusions globales sur les modes de ges-

tion de l'eau ou de caractérisation de la ressource de manière universelle, mais bien

plutôt d'attirer l'attention du lecteur sur les différentes possibilités de gouvernance qui

s'offrent dans la région étudiée. Nous sommes de l'avis de Yenny Vega Cardenas selon

lequel le statut juridique de l'eau doit faire l'objet d'une construction sociale231

et ce

tant au niveau national qu'au niveau international auquel nous ajouterons le niveau

local.

Le droit étant l'instrument permettant de définir les politiques à venir, il nous

semble indispensable d'accorder à l'eau, dans le bassin du Rio Bravo, un droit à la vie

et par là-même de faire appliquer la résolution du 28 juillet 2010 de l'Assemblée Géné-

rale des Nations-Unies reconnaissant le droit à une eau potable salubre et propre

comme un droit humain fondamental. Cette méthode permettrait d'assurer la protection

d'une eau de qualité et en quantité suffisante. En effet, selon Marc Laimé, « le droit à

l'eau n'est rien sans le droit de l'eau en tant que tel »232

.

Ainsi, selon ce même auteur, il convient donc d’imaginer de nouveaux outils

juridiques destinés, non seulement à promouvoir le « droit à l’eau » de celles et ceux

qui en sont démunis, mais aussi à mettre en œuvre les dispositifs et procédures qui

permettraient tout autant de pénaliser les usages irrationnels de l’eau.

2. Le progrès technique et institutionnel au secours de la ressource hy-

drique : moteur de développement

Cette partie rassemble un ensemble de suggestions à la fois techniques et insti-

tutionnelles qu’ils nous a semblé bon de mettre en avant afin de trouver une solution à

la gouvernance de l'eau dans le bassin du Rio Bravo, malgré les difficultés propres à la

région. Nous savons maintenant que « les ressources hydriques disponibles le long de

la frontière, en tenant compte de facteurs tels que la croissance démographique et le

développement économique, vont connaître des limites sérieuses dans les 15 pro-

chaines années »233

. Chaque pays doit mettre l’accent sur les questions

231

Yenny Vega Cardenas, op. cit, p.25. 232

Marc Laimé, Du Forum alternatif…, op. cit, p.29. 233

Manuel Chavez Marquez, op. cit, p.37.

Page 87: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

87

d’approvisionnement, la pollution, l’accessibilité financière de la ressource, le déve-

loppement et la croissance équilibrée. Ainsi, selon Manuel Chavez Marquez, l’avenir

de cette région est lié à la création de politiques claires de coopération et durabilité.

Il nous a semblé qu'il fallait porter une particulière attention au renforcement

des institutions en charge de l'administration de l'eau du bassin du Rio Grande. En ef-

fet, cette région, selon Darío Salinas Palacios, « doit plutôt se pencher sur la gestion et

la distribution de l’eau d’une façon plus efficace, adaptant les nécessités et possibilités

du bassin au futur contexte socioéconomique de la région234

». Il est évident que l'ave-

nir de cet espace dépend d'une coopération institutionnelle plus étroite et d'un usage

plus efficace de l'eau ; selon ce même auteur, telle est la condition nécessaire pour évi-

ter de futurs conflits qui déstabiliseraient la région.

Il appartient aux Etats-Unis et au Mexique de mettre en place un programme

permettant d'aborder la gestion des sécheresses à long terme ; il s'agit là de la princi-

pale carence dans la coopération hydrique entre ces deux pays d'après Enrique Escor-

za235

. En outre, selon Ismael Aguilar et Mathis Mitchell, « sans un tel programme, les

efforts pour garantir la sécurité de l’eau dans la région seront sévèrement limités et

pourraient conduire à des divisions traumatisantes236

. »

Les auteurs Ingram et Levesque soulignent qu’il conviendrait de « réaliser tous

les cinq ans une évaluation complète concernant la situation environnementale dans la

région transfrontalière237

. » Cette évaluation permettrait de fournir des indicateurs

clairs de l’amélioration ou de la dégradation de la situation environnementale.

Nous sommes convaincus que les liens entre le Mexique et les Etats-Unis doi-

vent être renforcés par une coopération multiforme. En effet, le gouvernement des

Etats-Unis doit apporter assistance et formation à ses homologues mexicains et leur

transmettre son savoir faire en matière d’infrastructures. Cet apprentissage doit être

réciproque ; ainsi, selon les auteurs précités, l’expérience mexicaine a également beau-

coup à offrir aux Etats-Unis. En effet, selon Sophie Chapelle et Nolwenn Weiler, « les

connaissances locales et traditionnelles de gestion de l’eau, qui protègent et considè-

234

Dario Salinas Palacios, op. cit, p.11. 235

Entretien avec le diplomate mexicain Enrique Escorza, du 1er

juillet 2013 à Washington DC. 236

Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8. 237

Helen Ingram et Suzanne Levesque, op. cit, p.48.

Page 88: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

88

rent l’écosystème dans sa globalité, existent depuis des millénaires. Elles ont fait

preuve au fil du temps de leur efficacité. Les politiques publiques et les lois sur l’eau

doivent reconnaître et respecter ces connaissances238

. » Il convient cependant de souli-

gner que nombre de savoir-faire anciens s’étant perdus, les agriculteurs d’aujourd’hui

ne sont pas toujours en mesure de les utiliser.

D'après l'auteur Carlos Lascurain Fernandez, le fait qu'il n'existe pas de règles

ni de normes bien définies pour imputer la responsabilité juridique d'un pays ou de

l'autre pour la pollution des eaux internationales partagées entre le Mexique et les

Etats-Unis a été un véritable obstacle afin de trouver des solutions satisfaisantes. A la

suite de « l’échec du forum mondial de l’eau de Rio +20 de nombreuses voix se sont

prononcées en faveur de la création d’une agence mondiale de l’environnement sous

l’égide de l’ONU, c'est-à-dire une nouvelle organisation onusienne spécifiquement

dédiée à l’eau239

». Néanmoins, il nous semble qu'une telle organisation serait trop

éloignée des réalités de la région du bassin du Rio Bravo et qu'il serait plus approprié

de mettre en place un centre d'arbitrage dépendant de la CILA/IBWC pour régler les

questions de responsabilité concernant la pollution et les différends de nature « hydro-

économique ».

Nous critiquions préalablement l’insuffisance de débats publics de qualité et la

carence d’informations objectives partagées qui ne permettent pas de concevoir des

modes de gestion de l’eau socialement plus justes et adaptés aux spécificités locales.

En effet, les institutions responsables de la gouvernance de l'eau le long du Rio Bravo

se distinguent par leur manque de transparence et leur faible participation démocra-

tique.

Ainsi, les auteurs Ingram et Levesque estiment qu'il est urgent que les commu-

nautés frontalières, composées d’agriculteurs et nouveaux arrivants attirés par

l’industrie maquiladora, aient la capacité d’administrer leurs programmes environne-

mentaux. Selon eux, « la participation des communautés frontalières dans les décisions

qui concernent le futur environnemental de la frontière est importante et doit être ren-

forcée240

».

238

Sophie Chapelle et Nolwenn Weiler, La privatisation de l’eau…, op. cit, p.29. 239

Marc Laimé, Du Forum alternatif…, op. cit, p.29. 240

Helen Ingram et Suzanne Levesque, op. cit, p.48.

Page 89: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

89

Selon Mumme et Pineda, la COCEF doit maintenir et renforcer la participation

publique dans ses procédures, ses réunions et ses discussions. D'autre part, ces auteurs

estiment que :

Afin d’assurer une meilleure participation publique dans le développement et

la direction de projets assignés à la COCEF, le comité de directeurs, de cette dernière

doit développer et adopter des procédures qui mettent en avant la participation pu-

blique dans les processus de design des programmes et des projets d’avenir ainsi que

dans l’administration des projet en cours241

.

Concernant la participation citoyenne dans la prise de décision de la BANDAN,

le comité de directeurs devrait établir un forum de discussion public dans le but

d’assurer l’information du comité concernant les pratiques financières et les priorités

politiques.

Toujours afin d'assurer une meilleure représentation publique, il faudrait inciter

la CILA à continuer de développer et de perfectionner ses procédures de participation

citoyenne au niveau de chaque section nationale. Par ailleurs, selon Mumme et Pineda,

cette institution devrait « mettre en place un accord permettant de faciliter la participa-

tion publique dans les procédures de la commission242

. » L'adoption par la CILA du

critère de développement durable de la COCEF a facilité le développement de la trans-

parence dans son organisation ainsi que la participation publique dans son processus de

prise de décision. De plus, la COCEF a intégré la transparence dans plusieurs de ses

actions ; ainsi, « l’institution doit effectuer au moins quatre réunions publiques par an

et doit accorder au public l’opportunité de commenter et de discuter des politiques et

des projets proposés. Néanmoins les règles pour la participation dans la COCEF, telles

qu’elles sont écrites, sont restrictives243

. »

Nous en revenons en fait à la vision de Vicente Sanchez Munguia selon la-

quelle « Pour assurer une plus grande participation publique dans la gestion de l’eau, il

est nécessaire que les institutions responsables de la gestion de l’eau soient plus agiles,

241

Stephen Mumme et Nicolas Pineda, op. cit, p.35. 242

Idem. 243

Helen Ingram et Suzanne Levesque, op. cit, p.48.

Page 90: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

90

ouvertes, compétentes et efficaces pour répondre à la demande dans des conditions

d’offre limitée d’eau244

. »

Afin d'assurer la durabilité du développement dans la région, il nous semble

inévitable dans le bassin du Rio Grande de passer d'une gestion de l'offre à une gestion

de la demande en eau. Il s'agit en l'occurrence de mettre en œuvre l'un des Principes de

Dublin qui invite à privilégier non seulement les économies d’eau mais aussi les utili-

sations les plus efficaces économiquement. En effet, selon Vicente Sanchez Munguia,

le principal défi est lié aux caractéristiques propres des institutions binationales de

gouvernance de l'eau et à leur réponse traditionnelle à la demande en eau, qui ne peut

plus être satisfaite par le simple fait d’acheminer plus d’eau, mais au contraire par une

politique de gestion intelligente de la ressource définie comme un bien rare. Les au-

teurs Blanchon et Veyret estiment qu' « avant la mise en œuvre de tout nouveau projet

hydraulique, les régions bénéficiaires doivent d’abord prouver qu’il n’y a pas d’eau

gaspillée ou utilisée pour des activités économiques peu rentables sur leur

toire245

. »

« Sur la base des conditions antérieures, les instruments institutionnels ont une

importance primordiale pour définir l’orientation des politiques et les modèles de ges-

tion requis, ainsi que l’adaptation nécessaire de la demande aux caractéristiques de

l’offre disponible en eau246

. » Ainsi le défi institutionnel repose sur le développement

des capacités de gestion tout en veillant à ce que la population soit formée à faire un

usage rationnel et efficace de la ressource qui lui est fournie.

Nous avons évoqué dans cette partie de l'étude la nécessité de parvenir à mettre

en place un usage rationnel de la ressource ; il nous appartient maintenant de proposer

certaines solutions techniques adaptées à la région étudiée et permettant d'atteindre cet

objectif, sachant que les techniques déjà existantes ne dispensent pas les décideurs po-

litiques d'investir dans le développement de nouvelles technologies permettant aux

agriculteurs et aux industriels de faire un meilleur usage de l'eau.

Selon Luc Descroix, il faut adopter des « fourrages moins consommateurs

d'eau, ainsi qu'en général des cultures moins hydrovoraces (céréales ou arbres frui-

244

Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8. 245

David Blanchon et Yvette Veyret, op. cit, p.18. 246

Vicente Sanchez Munguia, op. cit, p.8.

Page 91: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

91

tiers) »247

; cet auteur conseille d'implanter plus de fourrages d'hiver moins consomma-

teurs d'eau et qui, par ailleurs, limitent la salinisation des sols puisque l'évaporation

serait réduite.

En outre, Luc Descroix souligne l'importance de l'optimisation de l'irrigation, et

estime qu'il faut améliorer le rendement eau répandue / eau absorbée par la plante.

De plus, cet auteur est convaincu qu'il faut renforcer la « technification » de

l'irrigation lorsqu'il dit que :

Dans certains cas et certaines cultures, on pourrait remplacer la submersion par

l’aspersion, ou mieux, par l’irrigation au goutte-à-goutte et la « fertirrigation » ; cela

n’évite toutefois pas l’obligation de « suralimenter » les sols pour permettre leur lessi-

vage-drainage et limiter leur salinisation248

.

Manuel Chavez Marquez insiste sur le développement de plantes génétique-

ment modifiées pour les rendre plus résistantes aux sécheresses.

Il est primordial, selon cet auteur, que le Mexique prenne en considération le

thème de la sécurité de l’eau dans le contexte de la sécurité alimentaire et reconnaisse

le rôle primordial joué par la région étudiée dans la production et l’exportation

d’aliments.

Il apparaît qu'un éventail de solutions s'offre aux décideurs politiques de la ré-

gion binationale du Rio Grande ; néanmoins, comme le soulignent les auteurs Aguilar

Barajas et Mitchell, la mise en place de telles mesures « demande du temps, des res-

sources et surtout une volonté politique commune dans chaque pays249

. »

3. De l’insuffisance d’un incontournable modèle universel de gestion intégrée

dans le bassin du Rio Bravo

Cette dernière sous-partie de l'étude a pour objet d'analyser le bien fondé ou

non de la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) dans la région du bassin du

Rio Bravo. Nous verrons par ailleurs quels sont les aspects de la GIRE qui sont

extrêmement souhaitables dans une telle région, mais, dans le même temps, nous

247

Luc Descroix, Les conflits de l’eau au Nord-Mexique…, op. cit, p.25. 248

Idem. 249

Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchell, op. cit, p.8.

Page 92: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

92

attirerons l'attention du lecteur sur l'absurdité d'un modèle global de gestion des

ressources en eau.

La notion de GIRE introduite en 2000 par le conseil mondial de l'eau, le

Partenariat mondial de l'eau et les Nations Unies, met l’accent sur la nécessité

d’aborder la gestion de l’eau sous plusieurs angles à la fois, autant en termes

techniques (eau de surface et souterraines) que sous ses diverses facettes politiques,

économiques et sociales250

. En effet, selon Jean Burton, « l'eau n’est pas qu’une

substance physique essentielle à la vie humaine, mais c’est aussi l’environnement qui

supporte tous les autres êtres vivants251

. » Ainsi, selon cet auteur, la GIRE implique la

prise en compte, par des décideurs informés, de l’ensemble des usages et ressources du

bassin, dans une approche écosystémique. Ce mode de gestion vise à « assurer la

pérennité des collectivités humaines qui dépendent du bassin par le développement de

relations harmonieuses entre les usagers eux-mêmes, et, entre l’homme et le

fleuve252

. »

Cependant ce référentiel, qui s'appuie sur une approche holistique de la

ressource ainsi que sur une approche participative qui donnerait aux femmes un rôle

plus important dans les processus d'approvisionnement, insiste fortement sur la

reconnaissance de l'eau comme un bien économique. Ainsi, « la GIRE met en avant la

nécessité d’une régulation marchande de l’eau, soulignant l’ambivalence de cette

ressource à la fois patrimoine commun et bien marchand253

. »

Or, nous avons vu que la marchandisation de l'eau dans le bassin du Rio

Grande, met en péril le secteur primaire de l'économie régionale, accordant ainsi un

avantage certain aux industries maquiladoras très polluantes. Par ailleurs, on peut se

demander si la population aura les moyens à terme de rivaliser avec l'industrie pour

l'achat des droits d'eau du Rio Bravo. Bien qu'en règle générale l'avantage soit donné à

la consommation des ménages, le risque existe et inquiète. D'autre part, dans une

région où les pénuries d'eau sont régulières et les sécheresses récurrentes, la mise en

place d'un marché de l'eau par l'intermédiaire de droits d'eau ne fait qu'augmenter les

inégalités et provoque de nouvelles tensions, or cet espace connait déjà de nombreux

250

Jean Burton, op. cit, p.40. 251

Idem. 252

Idem. 253

Olivier Petit et Bruno Romagny, op. cit, p.19.

Page 93: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

93

conflits, qu'ils soient de nature internationale, régionale ou locale. La rationalité

économique prônée par la Banque Mondiale dans le domaine de l'eau au Mexique et

dans le bassin du Rio Grande ne signifie pas pour autant que la gestion de l’eau y

devient plus rationnelle ; bien au contraire, elle produit des effets pervers qui

conduisent à des situations critiques où chacun essaye de s'approprier de l'eau, non pas

par besoin, mais parce qu'elle prend soudainement une importante valeur économique.

Les auteurs Calvo-Mendieta, Petit et Vivien conviennent qu’il est absurde de

considérer de l'eau comme un bien économique lorsqu'ils affirment que :

Cette manière de conceptualiser l’économie de l’eau évacue sa dimension de

patrimoine commun et conduit à nier la spécificité de l’eau, pensée à la fois comme

objet d’un échange possible et comme actif visant à être conservé pour les besoins de

production et de reproduction des communautés humaines254

.

Néanmoins, bien qu’il nous paraisse dommageable d’attribuer à l’eau une

valeur économique, on ne saurait oublier l’existence de son coût. A cet effet, des

solutions existent pour adapter la gouvernance de l'eau à ce coût. En effet, les auteurs

Kneese et Bower recommandent de traiter les problèmes de pollution de l’eau par la

mise en place de taxes ou de subventions. Ces taxes permettraient de sanctionner les

usages polluants ou déraisonnés de l'eau dans un milieu de stress hydrique, tandis que

les subventions viendraient récompenser les entreprises et les ménages faisant un

usage adapté à une situation de pénurie, mettant en place des méthodes permettant de

faire des économies d'eau ou traitant leurs eaux usées dans le cas des maquiladoras,

afin de ne pas polluer les eaux du Rio Grande.

En fait, les trois premiers critères de la GIRE apparaissent pertinents pour la

région ; il faut en effet tenir compte dans une région des multiples aspects du problème

de l'eau en incluant ses dimensions, sociales, environnementales, économiques et

politiques. D'autre part, nous l'avons vu préalablement, les processus de participation

publique doivent être renforcés en mettant l'accent particulièrement sur l'action des

femmes dans le processus d'approvisionnement. Selon les auteurs Chavez-Marquez,

Andrés Cortez Lara et Whiteford « seule une gestion attentive responsable et

transparente de chaque coté de la frontière permettra d’assurer la sécurité de l’eau

254

Iratxe Calvo-Mendieta, Olivier Petit, Franck Dominique Vivien, op. cit, p.25.

Page 94: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

94

pour les habitant de cette région255

. » Une telle gestion suppose néanmoins que l’on

abandonne des modèles de gestion déconnectés de la réalité de cet espace et que l’on

fonde plutôt des centres de recherche régionaux chargés d'élaborer de nouveaux

modèles de gestion adaptés ou d'ajuster les principes de la GIRE à la région binationale

du Rio Grande. Les financements requis pourraient être apportés par la BANDAN dont

les capacités d’investissement sont sous-employées à l’heure actuelle. Cela implique

entre autres que l’on rompe avec « la vocation universaliste de l'économie

néoclassique256

. » et que l’on développe un modèle de gestion démocratique et

transparent propre à la spécificité de cette zone aride binationale.

255

Manuel Chavez-Marquez, Alfonso Andrés Cortez Lara, Scott Whiteford, op. cit, p.21. 256

Iratxe Calvo-Mendieta, Olivier Petit, Franck Dominique Vivien, op. cit, p.25.

Page 95: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

95

CONCLUSION

Au début de cette étude, nous nous interrogions sur les enjeux politiques

économiques, environnementaux et sociaux du réchauffement climatique assorti du

développement en milieu aride, dans la gouvernance des eaux transfrontalières du Rio

Bravo. Notre réponse, indissociable du débat classique de la gouvernance de l’eau

entre bien commun et bien marchand, s'est articulée en trois parties.

Nous avons d’abord analysé les différentes pressions qui s'exercent sur la

ressource en eau du Rio Bravo, à ce titre nous avons constaté que l'état du droit, à la

fois international et national, n’est pas à la mesure de cette ressource indispensable à la

vie et au développement de la région binationale.

Notre travail a également permis de constater que, bien que l'entrée en vigueur

de l'ALENA ait eu pour conséquence d'accélérer le processus de développement

économique de la région binationale, ce développement s'est accompagné d'une

surexploitation de la ressource condamnant sa survie dans le Rio Grande. L'ALENA

par ailleurs, n'exclut pas que la notion de marchandise soit appliquée à l’eau ; cette

ambigüité représente une menace sérieuse sur la disponibilité de la ressource et

provoque une grande opposition des ONG et d'auteurs tels que Petrella. D’autre part,

les sécheresses renouvelées de ces deux dernières décennies ont été à la fois un facteur

de tension pour les différents secteurs de l'économie régionale et également la

conséquence d'une gestion de l'eau basée principalement sur l'offre. Dans ce mode de

gestion, le facteur écologique a été négligé, malgré le risque que représente sa

détérioration pour la régénération de la ressource.

Notre réponse a ensuite porté sur les efforts entrepris de chaque côté de la

frontière pour assurer la répartition de l'eau du fleuve. Cette initiative diplomatique

s'est néanmoins traduite par une augmentation des conflits à travers la création de

dettes d'eau, disposition qui illustre la relation de domination des Etats-Unis sur leur

voisin du sud. L'effort de coopération entrepris est malgré tout indispensable pour

l'avenir de la région ; ainsi la CILA/IBWC s’est efforcée de faciliter au Mexique le

paiement de sa dette hydrique à l'égard des Etats-Unis. Par ailleurs, de nouveaux

instruments de coopération se mettent en place à fin d'éviter à l'avenir de compromettre

Page 96: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

96

les relations diplomatiques des deux pays pour des questions hydrauliques, c’est dans

ce but qu’ont été créées la COCEF et la BANDAN.

Nous avons ensuite étudié les mesures prises du côté mexicain afin de

poursuivre le développement industriel de la région du Rio Bravo ; ainsi, cela nous a

amené à analyser la question de la rentabilité hydrique afin d'apprécier l'opportunité

d’un remplacement progressif de l'agriculture par l'industrie maquiladora dans cet

espace, sachant qu’une telle évolution pose un délicat problème d'aménagement du

territoire en raison de l'importance de l'agriculture pour l'indépendance alimentaire du

Mexique et du développement historique de cette région. D'autre part, cette partie de

l'étude nous a permis de voir que les deux pays partageaient l’ambition d'accéder à

l'eau canadienne afin de répondre à la question de la gouvernance de l'eau en agissant

une nouvelle fois sur l'offre et non sur une modification de la demande.

Enfin, dans la dernière partie de notre étude, nous avons présenté un éventail de

solutions susceptibles d’assurer la survie de la ressource dans le bassin du Rio Grande

et par là-même le maintien d'une activité économique soutenue dans cet espace

convoité. A cet égard, la gouvernance hydrique ne doit avoir d’autre finalité que

d'assurer la sécurité de l'eau ; c'est cette dernière qui définit le rythme du

développement économique si cher aux décideurs politiques. La sécurité hydrique reste

cependant pour l'instant encore menacée par l'inefficacité des outils de protection de

l'environnement mis en place par l'ALENA et le TILA qu'il convient de réformer au

plus vite. En outre, nous avons dressé un état des lieux inquiétant de la situation

environnementale du bassin du Rio Grande en attirant l'attention du lecteur sur le

risque écologique et sanitaire que suppose le recul du secteur primaire face au secteur

secondaire dans cette zone aride. Il nous semble que l'attribution d'un statut juridique à

l'eau permettrait de régler les problèmes d'indéfinition de la ressource et par ailleurs

d'assurer l'introduction d'un droit à l'eau afin de garantir un certain seuil de qualité et

de quantité de la ressource. D'autre part, il semble indispensable d’entreprendre des

mesures de modernisation des techniques d'irrigation, ainsi que des recherches sur les

cultures moins « hydrovoraces » ; il faudrait aussi introduire de nouvelles cultures plus

adaptées à la région et l'industrie devrait se voir imposer des règles strictes et claires

concernant les seuils de polluants autorisés à être déversés dans le fleuve, par ailleurs

des méthodes de traitement initial de l'eau dans l'industrie pourraient être envisagées.

Page 97: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

97

Ces conseils techniques doivent bien évidemment s'accompagner d'un renforcement

des institutions de gestion de l'eau opérant dans le bassin du Rio Grande, à la fois pour

assurer plus de transparence dans les prises de décisions ainsi qu'une participation

publique renforcée qui accorderait une place prédominante aux femmes jusqu'à lors

trop souvent exclues des processus d'approvisionnement, ces dernières étant pourtant

les premières confrontées aux pénuries d'eau affectant les ménages. D'autre part, ces

institutions ne peuvent plus faire l'économie de rapports et d'études précis, publiés

périodiquement sur l'état environnemental du bassin, les réserves en eau, l'impact de

l'industrie sur le bassin du Rio Bravo, les taux de pollution enregistrés et l'évolution

sociale et économique de la région... En somme, il faut combler le silence qui entoure

la gouvernance de la ressource dans cette région. Rappelons en terminant que, si les

modèles de gestion de l'eau élaborés dans des bureaux à Washington, Paris ou New

York ne sont pas adaptés en l’état à des régions aussi particulières que le bassin du Rio

Grande, ils doivent néanmoins servir de guides et permettre aux décideurs politiques

locaux de modifier leur mode de gouvernance afin d'assurer la durabilité de la

ressource hydrique.

Nous n'avons certes pas la prétention de répondre à l'intégralité du problème

hydrique de la région d'étude ; nous manquons entre autres d'éléments techniques

permettant d'avoir une connaissance exacte des dynamiques environnementale, sociale,

économiques et politiques. L'absence de transparence dans le travail des institutions en

charge de la gouvernance dans cette région a considérablement gêné notre étude, en

effet, ni la CILA ni l’IBWC ni la COCEF ne publie d’étude régulière sur l’état

environnemental du bassin. Il serait par exemple intéressant de compléter ce travail par

l'analyse statistique de l'impact environnemental de l'industrie maquiladora.

En fin de compte, on peut se demander si le silence des institutions mexicaines

et américaines concernant la gouvernance du Rio Bravo ne traduit pas une volonté

politique de travailler dans le secret afin de ne pas soulever d'inquiétudes ou de

protestations dans un espace où à priori le secteur de la maquila, bien que principal

pollueur, représente l'avenir économique de cette région. D'autre part, si la région

n’était plus en mesure de maintenir un tel rythme de croissance faute de disponibilité

en eau, l'industrie maquiladora pourrait-elle être abandonnée ? Enfin, le Mexique et les

Etats-Unis ont-ils les moyens et les ressources nécessaires pour adapter leur mode de

Page 98: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

98

vie et de développement dans le bassin du Rio Bravo sans perturber l'environnement

qui les entoure ?

Page 99: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

99

BIBLIOGRAPHIE

La gouvernance de l’eau :

BELAIDI Nadia, « L’eau, un enjeu de justice environnementale, in Graciela Schneier-

Madanes (dir.), L’eau mondialisée. La gouvernance en question, Paris, La Découverte,

2010, pp. 354-365.

BLANCHON David et VEYRET Yvette, « Développement durable et globalisation :

l’exemple de l’eau », Historiens et Géographes, (Paris), n°395, 2006, pp. 111-126.

BURTON Jean, « La gestion intégrée des ressources en eau par bassin. Au-delà de la

rhétorique », in Frédéric Lasserre et Luc Descroix (dir.), Eaux et territoire. Tension,

coopérations et géopolitique de l’eau, Québec, Presses de l’Université du Québec,

2011 [2002], pp. 191-208.

CALVO-MENDIETA Iratxe, PETIT Olivier, VIVIEN Franck Dominique, « Entre

bien marchand et patrimoine commun, l’eau au cœur des débats de l’économie de

l’environnement », in Graciela Schneier-Madanes (dir.), L’eau mondialisée La gou-

vernance en question, Paris, La Découverte, 2010, pp. 61-74.

DESCROIX Luc, « Gestion de l’eau ou aménagement de l’espace ? La fonction hydro-

logique d’un territoire », in Frédéric Lasserre et Luc Descroix (dir.), Eaux et terri-

toires. Tension, coopérations et géopolitique de l’eau, Québec, Presses de l’Université

du Québec, 2011 [2002], pp. 158-189.

FOURNIER Jean-Marc, « Inégalités et conflits de l’eau dans les villes d’Amérique

latine », in Graciela Schneier-Madanes (dir.), L’eau mondialisée. La gouvernance en

question, Paris, La Découverte, 2010, pp. 419-437.

HAUTECLOCQUE Anne, « L’eau, droit humain », Les eaux glacées du calcul

égoïste, Avril 2012, URL : http://www.eauxglacees.com/L-eau-droit-humain-par-

Anne-de (Consulté le 17 juin 2013)

HUGON Philippe, « L’eau est-elle un bien privé ou public ? », Sciences de la Société,

n°64, fév 2005, p. 19-34.

PETIT Olivier, « Introduction » La "mise en patrimoine" de l'eau : quelques liens

utiles, Mondes en développement, 2009/1 n° 145, p. 7-16. DOI :

10.3917/med.145.0007

PETIT Olivier et ROMAGNY Bruno, « La reconnaissance de l'eau comme patrimoine

commun : quels enjeux pour l'analyse économique ? », Mondes en développement,

2009/1 n° 145, p. 29-54. DOI : 10.3917/med.145.0029

PETRELLA Riccardo, Le Bien commun, éloge de la solidarité, Bruxelles, Labor,

Quartier Libre, 1996.

Page 100: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

100

PETRELLA Riccardo, Le manifeste de l’eau, pour un contrat mondial, Bruxelles,

Labor, 1998.

PETRELLA Ricardo, L’eau, Res Publica ou marchandise. Paris, La dispute, 2003,

219p.

SCHNEIER-MADANES Graciela, « Introduction », in Graciela Schneier-Madanes

(dir.), L’eau mondialisée La gouvernance en question, Paris, La Découverte, 2010,

pp.25-44.

VEGA CARDENAS Yenny, « La construction sociale du statut juridique de l’eau en

Amérique du Nord », Lex Electronica, vol.12 n°2, Automne 2007.

WITTER Scott et WHITEFORD Scott, « Water Security : Issues and Policies Chal-

lenges », in Scott G Witter et Scott Whiteford (dir.), Water Policy : Security Issues,

Stamford, Ct., International Review of Comparative Public Policy, vol 11, JAI Press

Inc, 1999.

La coopération hydrique Etats-Unis/Mexique :

AGUILAR BARAJAS Ismael, MITCHELL Mathis, « Agua y desarrollo económico en

la región binacional del bajo río Grande/ río Bravo, Estados Unidos/México », in Al-

fonso Andrés Cortes Lara, Scott Whiteford et Manuel Cháves Márquez (dir.), Seguri-

dad, agua y desarrollo. El futuro de la frontera México-Estados Unidos, Mexico, El

Colegio de la Frontera Norte, 2005, pp. 99-124.

CABRERA BRAVO Javier, « Los retos de la frontera México-estados Unidos y el

trabajo de la Comision de Cooperacion Ecologica Fronteriza », in Alfonso Andres

Cortez Lara, Scott Whiteford et Manuel Chávez Márquez, Seguridad, agua y desarrol-

lo. El futuro de la frontera México-Estados Unidos, México, El Colegio de la Frontera

Norte, 2005, pp. 183-196.

CHAVEZ MARQUEZ Manuel, « Dinámicas de interdependencia y seguridad : Pobla-

ción, desarrollo y agua en la política pública de la frontera Estados Unidos-México »,

in Alfonso Andrés Cortez Lara, Scott Whiteford et Manuel Chávez Márquez (dir.),

Seguridad, agua y desarrollo. El futuro de la frontera México-Estados Unidos, Mexi-

co, El Colegio de la Frontera Norte, 2005, pp. 63-98.

CHAVEZ MARQUEZ Manuel, ANDRES CORTEZ LARA Alfonso, WHITEFORD

Scott, « El nuevo manejo binacional de recursos compartidos : Cuando la seguridad es

interdependiente », in Manuel Chávez Márquez, Alfonso Andrés Cortez Lara et Scott

Whiteford (dir.), Seguridad, agua y desarrollo. El futuro de la frontera México-

Estados Unidos, Mexico, El Colegio de la Frontera Norte, 2005, pp. 27-61.

INGRAM Helen et LEVESQUE Suzanne, « Las instituciones del Tratado de Libre

Comercio de América del Norte y más allá », in Alfonso Andres Cortez Lara, Scott

Whiteford et Manuel Chávez Márquez, Seguridad, agua y desarrollo. El futuro de la

Page 101: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

101

frontera México-Estados Unidos, México, El Colegio de la Frontera Norte, 2005, pp.

127-149.

MUMME Stephen et PINEDA Nicolás, « Administracion del agua en la frontera

México Estados-Unidos : Retos de mandato para las institutiones binacionales », in

Alfonso Andrés Cortes Lara, Scott Whiteford et Manuel Cháves Márquez (dir.), Segu-

ridad, agua y desarrollo. El futuro de la frontera México-Estados Unidos, Mexcio, El

Colegio de la Frontera Norte, 2005, pp. 151-182.

SANCHEZ MUNGUIA Vicente, « La demanda de agua en la región fronteriza Méxi-

co-Estados Unidos y los desafíos institucionales », in Alfonso Andrés Cortes Lara,

Scott Whiteford et Manuel Cháves Márquez (dir.), Seguridad, agua y desarrollo. El

futuro de la frontera México-Estados Unidos, Mexcio, El Colegio de la Frontera

Norte, 2005, pp. 197-231.

Les conflits autour du Rio Bravo/Grande :

BRAÑES, Raúl, « Aspectos jurídicos del manejo de las aguas superficiales

compartidas por México y Estados Unidos », in Trava Manzanilla (dir.), Manejo

ambientalmente adecuado del agua. La frontera México-Estados Unidos, Tijuana,

B.C., El Colegio de la Frontera Norte, 1991.

CEVALLOS Diego, « Mexico-EEUU : El agua enciende la discordia », Tierramérica,

Mai 2002, URL : http://www.tierramerica.net/2002/0526/noticias2.shtml (Consulté le

18 juin 2013)

DESCROIX Luc, « Des conflits de l’eau à la limite du Nord et du Sud. Les eaux et la

frontière », in Frédéric Lasserre et Luc Descroix (dir.), Eaux et territoires. Tension,

coopérations et géopolitique de l’eau, Québec, Presses de l’Université du Québec,

2011 [2002], pp. 413-423.

DESCROIX Luc, « Les conflits de l’eau au Nord-Mexique. Usage, appartenance et

préservation des ressource en marge du désert de Chihuahua », in Frédéric Lasserre et

Luc Descroix (dir.), Eaux et territoires. Tension, coopérations et géopolitique de l’eau,

Québec, Presses de l’Université du Québéc, 2011 [2002], pp. 425-448.

LASCURAIN FERNANDEZ Carlos, « El desempeño del régimen ambiental México-

Estados Unidos : manejo de las aguas de los rios Bravo y Colorado », Mexico D.F,

Plaza Y Valdes, 2010.

LASSERRE Frédéric, « L’Amérique a soif. Les Etats-Unis obligeront-ils Ottawa à

céder l’eau du Canada ? », in Frédéric Lasserre et Luc Descroix (dir.), Eaux et terri-

toire. Tension, coopérations et géopolitique de l’eau, Québec, Presses de l’Université

du Québec, 2011 [2002], pp. 374-411.

SALINAS PALACIOS Darío, « Géopolitique de l’eau dans le Bassin du Bajo rio Bra-

vo : rivalités de pouvoirs entre les centres agricoles et urbains dans le nord-est du

Page 102: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

102

Mexique », La Chronique des Amériques, (Montréal), N°06, Novembre 2011, pp. 1-

12.

Les Contestations :

ATTAC France, « La nature est un bien commun, pas une marchandise. Non à leur

économie verte ! », Lignes d’attac, Avril 2012. URL :

http://www.france.attac.org/sites/default/files/4prio20.pdf (Consulté le 10/06/2013)

CHAPELLE Sophie, « Le Mexique, symbole de l’hypocrisie écologique », Bastamag,

Décembre 2010. URL : http://www.bastamag.net/article1335.html (Consulté le 11 juin

2013)

CHAPELLE Sophie et WEILER Nolwenn, « L’eau, source de vie, pas de profit ! »,

Bastamag, Février 2012, URL : http://www.bastamag.net/article2167.html (Consulté le

12 juin 2013)

CHAPELLE Sophie et WEILER Nolwenn, « La privatisation de l’eau, un crime contre

la terre et l’humanité », Bastamag, Mars 2012, URL :

http://www.bastamag.net/article2223.html (Consulté le 12 juin 2013)

KAUFMAN Frederick, « La soif d’eau de Wall Street », Le Monde diplomatique,

Mars 2013, In Carnets d’eau. URL : http://blog.mondediplo.net/2013-03-08-La-soif-d-

eau-de-Wall-Street (Consulté le 22 mai 2013)

LAIME Marc, « Les Etats-Unis ont soif de l’eau du Canada », Le Monde diploma-

tique, Avril 2007, In Carnets d’eau. URL : http://blog.mondediplo.net/2007-04-18-

Les-Etats-unis-ont-soif-de-l-eau-du-Canada (consulté le 29 mai 2013).

LAIME Marc. 2012. « Du Forum alternatif mondial de l’eau à Rio +20 ». Le Monde

diplomatique. En ligne. Avril. In Carnet d’eau.<http://blog.mondedipo.net/2012-04-

11-Du-Forum-alternatif-mondial-de-l-eau-a-Rio-20?archives=toutes>. Consulté le 28

mai 2013.

Autres ouvrages :

CALDERON Veronica et PRADOS Luis, “Entrevista al Secretario de Medio Am-

biente en Mexico”, in El Pais, 4 aout 2013, URL :

http://internacional.elpais.com/internacional/2013/08/04/actualidad/1375638156_0874

91.html (Consulte le 04/08/13)

KELLY Mary, « En la frontera hace falta cooperación, no muros », in Ana Córdova y

Carlos A. de la Parra (dir.), Una barrera a nuestro ambiente compartido. El muro

fronterizo entre México y Estados Unidos, México, El Colegio de la Frontera Norte,

2007, pp. 43-48.

Page 103: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

103

KLERIGAN Efraín, « Admite EU que México paga deuda a escondidas », Conexión

Total, 8 avril 2013, URL : http://conexiontotal.mx/2013/04/08/admite-eu-que-mexico-

paga-deuda-a-escondidas/ (Consulté 05 juillet 2013)

OCDE, Examens environnementaux de l’OCDE : Mexique, Paris, Les Editions de

l’OCDE, 2003.

OCDE, Making Water Reform Happen in Mexico, Paris, Les Editions de l’OCDE,

2013.

PEREVOCHTCHIKOVA Maria, « La problemática del agua : revisión de la situación

actual desde una perspectiva ambiental », in, Manuel Ordorica y Jean-François

Prud’homme (dir), Los grandes problemas de México, México D.F, El Colegio de

México, 2010, pp.61-101.

Page 104: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

104

TABLE DES MATIERES

SOMMAIRE ................................................................................................................................... 3

RESUME ........................................................................................................................................ 4

INTRODUCTION ............................................................................................................................ 6

I. La pression sur les ressources en Eau : la résultante des facteurs climatique,

juridiques et économiques ........................................................................................................ 11

A. De l’étreinte du cadre législatif et juridique, interne et binational ................................ 11

1. Le traité de 1944 ....................................................................................................... 12

2. La conception de l’eau aux Etats-Unis ...................................................................... 15

3. La conception de l’eau au Mexique .......................................................................... 17

B. L’entrée en vigueur de l’ALENA : le poids de l’économie .......................................... 20

1. Le développement de l’économie au Nord du Mexique acteur principal de la

restriction hydrique ........................................................................................................... 21

2. La marchandisation de l’eau en Amérique du Nord en question .............................. 24

C. La pénurie d’eau au carrefour des sécheresses et de la croissance de la région

transfrontalière ...................................................................................................................... 31

1. Les violentes sécheresses des années 1990 et 2000 .................................................. 32

2. L’eau à la base de l’économie : l’apologie d’une politique de l’offre. ..................... 35

3. L’absence de prise en compte du facteur écologique dans la répartition de l’eau du

Rio Grande ........................................................................................................................ 38

II. Les enjeux géopolitiques dans le bassin du Rio Bravo : du conflit hydrique à

l’ « hydrodiplomatie » ............................................................................................................... 42

A. Le traité de 1944, instrument de diplomatie, facteur de discorde ................................. 42

1. L’avènement de la notion de dette en eau ................................................................. 43

2. L’expression d’une relation dominant-dominé ......................................................... 45

3. De l’inévitable coopération interétatique .................................................................. 49

B. La problématique de la rentabilité hydrique, l’aménagement du territoire en question 53

1. La question de la dépendance agricole ...................................................................... 54

2. Tensions sociales : la primauté des villes dans la répartition de l’eau ...................... 57

3. Une ressource menacée à l’échelle régionale : l’eau canadienne convoitée ............. 63

III. Les enjeux environnementaux et de développement : le besoin d’une nouvelle

gouvernance ............................................................................................................................... 69

Page 105: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

105

A. La finalité de la gouvernance hydrique : la sécurité de l’eau ........................................ 69

1. Le développement économique subordonné à la sécurité de l’eau effective ............ 70

2. L’inefficacité des outils de protection de l’environnement de l’ALENA et du TILA

72

B. Le bassin du Rio Bravo : le désastre hydrique résultat du développement ................... 78

1. Le développement de l’agriculture irriguée en région aride ..................................... 79

2. L’industrie maquiladora : plus faible consommateur, plus faible pollueur ? ............ 80

3. Un écosystème en voie d’extinction : l’enjeu sanitaire ............................................. 82

C. De l’inévitable changement de cap de la gouvernance hydrique .................................. 84

1. De l’accord d’un statut juridique à l’eau ................................................................... 85

2. Le progrès technique et institutionnel au secours de la ressource hydrique : moteur

de développement ............................................................................................................. 86

3. De l’insuffisance d’un incontournable modèle universel de gestion intégrée dans le

bassin du Rio Bravo .......................................................................................................... 91

CONCLUSION .............................................................................................................................. 95

BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................................... 99

ANNEXES .................................................................................................................................. 106

TABLE DES ANNEXES

CARTE 1 .................................................................................................................................... 106

CARTE 2 .................................................................................................................................... 107

GRAPHIQUE 1 ........................................................................................................................... 108

GRAPHIQUE 2 ........................................................................................................................... 108

GRAPHIQUE 3 ........................................................................................................................... 109

TABLEAU 1 ................................................................................................................................ 110

TABLEAU 2 ............................................................................................................................... 110

TABLEAU 3 ............................................................................................................................... 111

Page 106: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

106

ANNEXES

CARTE 1

La frontière naturelle Etats-Unis / Mexique : source de tensions et de coopération

Page 107: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

107

CARTE 2

Bassin du Rio Grande, Rio Bravo : l’indispensable coopération binationale

Lit du Rio Bravo/Grande

Affluents du Rio Bravo/Grande

Barrages binationaux

• Principales villes du Bassin du Rio Bravo/Grande

Source : Ismael Aguilar Barajas et Mathis Mitchel.

Page 108: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

108

GRAPHIQUE 1

Zones irriguées dans les villes mexicaines et américaines (Rio Bravo)

Source : Carlos Lascurain Fernandez.

GRAPHIQUE 2

Population active travaillant dans le secteur primaire dans le bassin du Rio Bravo

Source : Carlos Lascurain Fernandez.

Page 109: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

109

GRAPHIQUE 3

Implantation des maquiladoras de 1980 à 2001 dans le bassin du Rio Bravo

Source : Elaboration propre avec les données de Vicente Sanchez Munguia.

1980 1985 1990 1995 2001

Chihuahua 128 198 311 322 452

Coahuila 34 51 133 184 285

Tamaulipas 76 77 225 281 394

0

50

100

150

200

250

300

350

400

450

500

maq

uila

s

année

Chihuahua

Coahuila

Tamaulipas

Page 110: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

110

TABLEAU 1

Les besoins en infrastructures frontalières

Service Public Pourcentage de population

frontalière sans accès au

service aux Etats-Unis

Pourcentage de population

frontalière sans accès au

service au Mexique

Approvisionnement en eau

potable

2% 18%

Traitement des eaux

résiduelles

14% 33%

Gestion des déchets

solides municipaux

4% 42%

Source : Elaboration propre avec les données de Javier Cabrera Bravo.

TABLEAU 2

Evolution de l’agriculture d’irrigation dans les états frontaliers du bassin du Rio

Bravo (Hectares)

Etat / Année 1940 1960 1980

Chiuahua 336 558 299

Coahuila 597 741 593

Nuevo León 244 287 84

Tamaulipas 131 785 963

Texas 895 5656 5573

Source : Elaboration propre avec les données de Stephen Mumme et Nicolas Pineda.

Page 111: La géopolitique de l’eau dans le bassin du Rio Grande ... · frontière Mexique-Etats-Unis de Fort Quitman jusqu’au Golfe du Mexique, c'est-à-dire le long du rio Grande (aux

111

TABLEAU 3

Evolution démographique dans les villes frontalières du bassin du Rio Grande

Villes /

Année

1990 2000 2010 2020 % d’augmentation

Ciudad

Juarez

(Mex)

798 500 1 239 922 1 738 020 2 395 024 199%

Ciudad

Acuña

(Mex)

56 335 111 347 182 340 294 604 422%

Piedras

Negras

(Mex)

98 184 135 850 179 006 231 580 136%

Nuevo

Laredo

(Mex)

219 465 334 955 464 575 633 770 189%

Matamoros

(Mex)

303 295 427 735 567 015 736 891 142%

El Paso

(USA)

591 610 764 480 926 121 1 103 065 86%

Val Verde

(USA)

38 721 45 359 51 013 56 949 47%

Maverick

(USA)

36 378 48 897 56 431 64 706 77%

Webb

(USA)

133 239 187 445 219 021 253 445 90%

Hidalgo

(USA)

383 545 520 296 598 196 683 960 78%

Source : Elaboration propre avec les données de Stephen Mumme et Nicolas Pineda.