22
L'Espace Politique Numéro 11 (2010/2) Fragmentation/Balkanisation ................. .................. ................. .................. .................. ................. ................. ................. ................. ................. ................ ................. .................. .................. .................. .................. .. Fabrice Balanche L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et projet de Grand Moyen Orient ................. .................. ................. .................. .................. ................. ................. ................. ................. ................. ................ ................. .................. .................. .................. .................. .. Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document.  Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................. .................. ................. .................. .................. ................. ................. ................. ................. ................. ................ ................. .................. .................. .................. .................. .. Référence électronique Fabrice Balanche, « L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et projet de Grand Moyen Orient », L'Espace Politique [En ligne], 11 | 2010/2, mis en ligne le 18 novembre 2010. URL : http://espacepolitique.revues.org/index1619.html DOI : en cours d'attribution Éditeur : Département de géographie de l'université de Reims Champagne-Ardenne http://espacepolitique.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://espacepolitique.revues.org/index1619.html Document généré automatiquement le 18 novembre 2010.  Tous droits réservés

L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

Embed Size (px)

Citation preview

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 1/22

L'Espace PolitiqueNuméro 11 (2010/2)Fragmentation/Balkanisation

...............................................................................................................................................................................................................................................................................................

Fabrice Balanche

L’Etat au Proche-Orient arabe entrecommunautarisme, clientélisme,mondialisation et projet de GrandMoyen Orient

...............................................................................................................................................................................................................................................................................................

AvertissementLe contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive del'éditeur.Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sousréserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue,l'auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législationen vigueur en France.

Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition

électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).

...............................................................................................................................................................................................................................................................................................

Référence électroniqueFabrice Balanche, « L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et projetde Grand Moyen Orient », L'Espace Politique [En ligne], 11 | 2010/2, mis en ligne le 18 novembre 2010. URL :http://espacepolitique.revues.org/index1619.htmlDOI : en cours d'attribution

Éditeur : Département de géographie de l'université de Reims Champagne-Ardennehttp://espacepolitique.revues.orghttp://www.revues.org

Document accessible en ligne sur :http://espacepolitique.revues.org/index1619.html

Document généré automatiquement le 18 novembre 2010. Tous droits réservés

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 2/22

L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et proj (...) 2

L'Espace Politique, 11 | 2010/2

Fabrice Balanche

L’Etat au Proche-Orient arabe entrecommunautarisme, clientélisme,

mondialisation et projet de Grand MoyenOrient1 Le processus historique décrit par Georges Corm au Proche-Orient : « de la balkanisation

à la libanisation » est-il toujours d’actualité (Corm, 2007)? Dans le  Proche-Orient éclaté ,l’historien libanais explique la guerre civile dans son pays et plus généralement les difficultésdes Etats du Proche-Orient à devenir de véritables constructions nationales en raisonnotamment de la fragmentation des sociétés locales, pour lesquelles l’idée de nation n’apas le sens occidental que nous lui connaissons (De Planhol, 1993). La libanisation, stadesuprême de la balkanisation, est un néologisme qui décrit la désintégration d’un Etat lors d’uneguerre civile (Rosière 2007), puis sa reconstitution en tant qu’Etat sous l’influence d’acteursextérieurs, en l’occurrence la Syrie et l’Arabie Saoudite. Il est à noter que le Liban n’a pas

éclaté en plusieurs Etats comme cela aurait pu être le cas. Mais 20 ans après la fin de la guerrecivile on ne peut affirmer qu’il s’agisse d’un Etat-nation, ni même d’un Etat territoire puisqueplusieurs parties du Liban échappent à l’autorité de l’Etat même après les retraits syrien (2005)

et israélien (2000)1.2 La balkanisation du Proche-Orient date de la disparition de l’Empire ottoman après la Première

guerre mondiale, période durant laquelle la France et la Grande Bretagne se partagèrent cetterégion et le découpèrent en différents Etats. L’indépendance séparée de la Syrie et du Liban en1945, le partage de la Palestine en deux entités juive et arabe, cette dernière aussitôt annexéepar le Royaume de Transjordanie, n’étaient qu’une conséquence de l’instauration des Mandatsfrançais et britannique. Les tentatives séparatistes furent réprimées et les différents Etats duProche-Orient ont conservé leur intégrité territoriale. La fin de la guerre froide et la chute

de l’URSS n’ont pas entraîné dans la région une nouvelle vague de balkanisation, commedans l’ex-Yougoslavie et dans le Caucase, deux régions qui, elles aussi, furent marquées parl’Empire ottoman. Il semble à première vue que cela ait apaisé le Proche-Orient, puisque laguerre civile libanaise s’est achevée et un processus de paix a été engagé entre Palestinienset Israéliens. Cependant, il s’agit aussi de la première intervention américaine en Irak de1990-1991, prélude à son invasion complète en 2003 et à la mise en place du projet de « GrandMoyen Orient » de Georges Bush.

3 Dans cet article nous nous focaliserons sur le  Bilad es Sham ou « Pays de Damas ». Pourtrouver un équivalent occidental, il faudrait utiliser le terme de « petit Proche Orient » puisquenous excluons l’Egypte, et ajouter l’adjectif « arabe » car Israël ne peut évidemment pasêtre incluse dans cet ensemble, ainsi que les territoires palestiniens séparés eux aussi des

pays arabes voisins. Tout au long de cet article, pour être puriste, il nous faudrait doncutiliser les termes de « Bilad Es Sham » ou de « Petit Proche Orient arabe », mais celan’est guère esthétique. Pour cela nous utiliserons donc abusivement le terme de « ProcheOrient » (Capdepuy, 2008) pour désigner les trois pays (Syrie, Liban et Jordanie) sur lesquelsporte cette étude et nous nous référerons au Moyen Orient dès que nous déborderons de ce

cadre2.4 Cet espace ouvert à l’époque ottomane, interface entre l’Europe et l’Asie, s’est

progressivement fermé au cours du XXème siècle. Malgré la libéralisation des échangesmondiaux, la permanence du conflit israélo-arabe contribue à détourner les courantscommerciaux et les investissements de cette région, mais surtout il a une influence notable

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 3/22

L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et proj (...) 3

L'Espace Politique, 11 | 2010/2

sur la formation de ces Etats. Syrie, Liban et Jordanie sont nés en même temps que l’Etatd’Israël, leur histoire est marquée par le conflit et par conséquent leur construction politiqueet économique. Certes, ces pays ont choisi des voies divergentes en matière économique. Ledirigisme économique de la Syrie baathiste contraste avec le libéralisme libanais et jordanien.Dans le domaine politique le Liban peut être considéré comme une démocratie, tandis que laJordanie et la Syrie conservent des régimes autoritaires. Néanmoins les différences entre lestrois pays ne sont pas si fortes qu’il n’y parait. Nous sommes dans la même aire culturelle,

les pratiques sociales, économiques et politiques tendent de plus en plus à se rapprocher. Ilspartagent un destin commun lié au règlement des conflits israélo-arabe et israélo-palestinien.Ils sont pris dans le bras de fer entre les États-Unis et l’Iran.

5 Les causes de la fragmentation étatique sont nombreuses. La géopolitique possède sa part deresponsabilité, mais elle ne peut aboutir que lorsqu’elle rencontre un terreau local favorable.Dans les années 70-80, le Liban a sombré dans la guerre civile tandis que la Syrie, quipossède les mêmes clivages communautaires, a résisté. Quant à la Jordanie, il semble que sarelative homogénéité communautaire la préserve. Un retour sur la construction de ces troisEtats après la chute de l’empire ottoman s’impose donc avant de mettre en évidence leursspécificités : l’Etat, la société et les rapports qu’ils entretiennent au travers du clientélismepolitique. Ainsi la perte de légitimité des Etats à travers l’échec du mode de développement et

de leur capacité de redistribution est un puissant facteur de fragmentation puisqu’en situationde crise économique les solidarités communautaires se renforcent au détriment d’une uniténationale en construction. En dernier lieu, à l’heure de la mondialisation économique, ilapparaît que l’ouverture des marchés sape les bases productrices des Etats du Proche-Orient,ce qui encourage là aussi les tendances naturelles au repli communautaire. Un prélude auséparatisme politique tel qu’il peut être envisagé dans le cadre de « L’initiative pour le GrandMoyen Orient », lancée par Georges Bush après le 11 septembre 2001.

Le nationalisme arabe pour oublier les divisionssegmentaires

6 Le Proche Orient actuel est le résultat de stratégies internationales (figure 1) : la protectiondu canal de Suez pour les Britanniques, les intérêts économiques, politiques et religieuxfrançais, la revendication des chrétiens libanais et surtout du mouvement sioniste. La Turquiekemaliste et les saoudiens jouèrent également un rôle dans le tracé des frontières de laSyrie et de la Jordanie. Les succès militaires de Mustapha Kemal en Cilicie (1920-1923)amputèrent cette vaste région des territoires sous mandat français en Syrie. L’offensivesaoudienne vers la Méditerranée au début des années 1920 explique le tracé angulaire dela Jordanie actuelle. Les britanniques ont concédé une partie du désert à la famille Saoudmais ont refusé catégoriquement que son royaume n’atteigne la Syrie et coupe ainsi l’axeHaïfa-Bagdad. En Palestine les intérêts sionistes et britanniques sont convergents puisquel’installation d’un foyer national juif fait partie du plan de défense du canal de Suez. Il s’agit derepousser la France le plus au nord possible de cet axe stratégique alors qu’elle était à l’origine

mieux implantée que les britanniques en Palestine. La Grande Bretagne appuie fermement lesrevendications territoriales des sionistes qui souhaitent contrôler l’ensemble du bassin versantdu Jourdain pour assurer une sécurité hydraulique au futur Etat juif. Le Sud Liban et le Golanauraient donc dû appartenir à la Palestine britannique si Clémenceau, Président du Conseil àl’époque, ne s’y était formellement opposé (Cloarec, 2003).

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 4/22

L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et proj (...) 4

L'Espace Politique, 11 | 2010/2

Figure 1 : La formation des Etats du Proche-Orient après la chute de l'Empire Ottoman

7 Une fois l’indépendance acquise, les Etats du Proche-Orient s’efforcent de maintenir lacohésion territoriale issue des découpages coloniaux et de réaliser l’unité nationale. La Franceet la Grande Bretagne avaient divisé pour régner et s’étaient appuyés sur les minorités. Le butdes nouveaux Etats consiste à dissoudre les identités communautaires au profit de l’identiténationale. La tâche est difficile au Liban car l’union des chrétiens et des musulmans, àtravers le Pacte National de 1943, repose sur le maintient du communautarisme institutionnel.Le parlement libanais comporte un nombre fixe de députés par communauté. En 1946, lesdiverses communautés chrétiennes se partagent 60% des sièges alors que les chrétiens sontà peine majoritaires. Avec les accords de Taëf de 1989, qui mettent fin à la guerre civile, lareprésentation parlementaire chrétienne est réduite à 50% mais il faut souligner que le poidsdémographique des Chrétiens n’était plus que de 40% de la population libanaise, et que depuis

il n’a cessé de réduire3. En Syrie, le communautarisme politique fut abolit en 1950, mais ilse maintient en Jordanie : chrétiens, Tchétchène, Tcherkesses et bédouins possèdent toujoursdes sièges réservés au parlement. Au Proche-Orient l’appartenance confessionnelle est priseen compte par la loi pour les mariages et les héritages. L’absence de mariage civil contribuedonc à maintenir la forte endogamie communautaire que les Etats auraient dû normalements’efforcer de réduire dans le cadre d’une véritable politique d’intégration nationale.

8 Le nationalisme arabe est devenu après l’indépendance l’idéologie officielle des nouveaux

Etats car il permet de transcender les clivages religieux. Mais il les entraîne vers deuxnouveaux écueils : le rejet des populations non arabes (turkmène et kurdes principalement)et la programmation de leur propre disparition puisque l’arabisme a pour but l’unificationde la nation arabe au sein d’une république arabe unie. Cette finalité n’est pas pour réjouirla famille Hachémite qui règne sur la Jordanie ainsi que les autres familles régnantes, maisl’engouement que suscite l’arabisme dans la population est tel qu’il est impossible de lecombattre ouvertement. En 1958, la Syrie accepte de s’unir avec l’Egypte de Jamal AbdelNasser au sein de la République Arabe Unie. La même année des troubles éclatent au Libanentre le gouvernement de Camille Chamoun et la gauche libanaise qui exige que le Liban

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 5/22

L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et proj (...) 5

L'Espace Politique, 11 | 2010/2

suive le chemin de la Syrie. Le régime de Camille Chamoun sera sauvé par une interventionaméricaine. En 1961 la Syrie décide de mettre fin à son union avec l’Egypte car elle rapidementressentie plutôt comme une annexion qu’une union entre peuples arabes égaux. Sans doutele président égyptien avait-il en tête la célèbre phrase de Joseph Staline : « Tous les peuplesde l’Union Soviétique sont frères mais le peuple russe est l’aîné. La rupture de la RépubliqueArabe Unie en 1961 fera retomber la pression unitaire dans la région.

9 Les bédouins furent également victimes des constructions nationales puisque leur mode de

vie - transhumance entre des pâturages d’hiver situés en Irak et Arabie Saoudite et les pâturagesd’été syriens et jordaniens - fut dès la période mandataire entravée par les nouvelles frontières.La reconquête des terres par les sédentaires commencée au milieu du XIXème siècle sousl’impulsion des autorités ottomane s’est intensifiée avec les grands projets agricoles de lavallée de l’Euphrate. Bloqués par les frontières étatiques et privés des meilleurs pâturagesd’été par l’agriculture, les bédouins se sédentarisent progressivement. Les quelques 400 000bédouins de Jordanie et 600 000 de Syrie ne sont pour la plupart que des semi-nomades. Lesautorités se sont efforcées de créer les conditions de leur sédentarisation en leur octroyant desterres à cultiver et en leur offrant des aménagements : point d’eau, école, route, etc. Populationmigrante et par conséquent difficile à contrôler, leur sédentarisation est une conséquencenaturelle des constructions étatiques.

Des constructions étatiques basées sur le centralisme

10 Le réseau de transport de la Syrie et de la Jordanie est l’expression de la centralisation politique(figure 2). Au Liban, la puissance relative des pouvoirs locaux rend la situation plus complexemais globalement la concentration des activités économiques dans le grand Beyrouth audétriment des villes périphériques aboutit au même résultat qu’en Syrie. Jusque dans les années1960 la Syrie possédait un réseau routier bicéphale autour d’Alep et de Damas, témoignagede l’équilibre des pouvoirs entre les deux métropoles du pays. La volonté centralisatrice durégime ba’athiste a rompu cet équilibre au profit de Damas. La construction de routes directesentre la vallée de l’Euphrate et Damas a détourné les populations de Jezireh de la ville d’Alep.L’absence d’autoroute entre Alep et Lattaquié oblige le trafic de marchandise à contourner

la montagne alaouite par Homs pour rejoindre les ports de la côte syrienne. Au Liban et enJordanie, les deuxièmes villes du pays, Tripoli et Irbid, se trouvent désormais en situation deculs de sac du fait de la proximité des frontières avec la Syrie. Les voies rapides qui les relientaux capitales contribuent plus à les vider de leurs forces vives qu’à les dynamiser. Tripoli estvictime également de la désaffection des populations chrétiennes de son arrière pays au profitde Beyrouth.

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 6/22

L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et proj (...) 6

L'Espace Politique, 11 | 2010/2

Figure 4 : Le réseau de transport terrestre en 2010

11 La marginalisation des métropoles régionales se traduit également dans le découpageadministratif puisqu’elles n’obtiennent qu’un territoire et un statut mineur, les abaissantau même rang que des bourgs ruraux récemment promus ; sur le plan administratif Irbidest l’équivalente de Tafila, Tripoli de Nabatyeh et Alep d’Idleb. En Syrie et en Jordanie,une puissante volonté centralisatrice aboutit à un resserrement du maillage administratif. Ils’agit de mieux contrôler le territoire à travers le renforcement des institutions publiques.Car le développement d’un appareil bureaucratique local entraîne l’adhésion des populationsqui trouvent des emplois dans la fonction publique et bénéficient des services octroyésaux localités bénéficiaires des nombreuses promotions administratives. La corrélation entreencadrement administratif et répartition ou croissance de la population est faible car les

promotions administratives, avec leur lot d’investissements publics, concernent davantage leslocalités proches du pouvoir (Balanche, 2008).

12 Le développement du réseau routier, les investissements dans l’administration et la créationd’un puissant secteur public industriel en Syrie ne furent possible que grâce à la rentepétrolière indirecte. La Syrie et la Jordanie, en tant que pays de la ligne de front face à Israël,bénéficièrent après 1973 d’une aide conséquente des pays pétroliers du Golfe. Le Liban étaitmoins bien doté et la guerre civile qui débuta en 1975 l’empêcha d’investir cette aide dans lesinfrastructures. Entre 1974 et le contre-choc pétrolier, au milieu des années 1980, la Syrie etla Jordanie eurent une croissance économique exceptionnelle. La fin des aides arabes et les

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 7/22

L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et proj (...) 7

L'Espace Politique, 11 | 2010/2

difficultés que ne tardèrent pas de rencontrer leurs modes de développement des plus artificiels(Rivier, 1980 ; Chatelus, 1980) les plongèrent dans une grave crise économique à la fin desannées 1980. Ils leur fallu libéraliser leur économie et abandonner une politique volontaristetrop dispendieuse. Le Liban fut à contre courant dans les années 1990 car il s’engageadans une politique de reconstruction post-guerre civile, mais rapidement cette politique dereconstruction s’est limitée à Beyrouth et aux principales infrastructures permettant de mettreen valeur le nouveau centre-ville de Rafic Hariri (Corm, 2005). Le but de l’ex-premier ministre

libanais était d’attirer les investissements des pétromonarchies du Golfe et de la diasporalibanaise dans l’immobilier de sa concession (Solidère). Pour cela il fallait ouvrir largementle Liban sur l’économie mondiale alors qu’il aurait plutôt eu besoin de protection pourreconstruire sa base productrice après 15 ans de guerre civile.

13 Au final, nous pouvons dire que la politique de construction nationale a réussi dans le sensoù les différents Etats n’ont pas éclatés. Cependant l’intégration nationale est ambigüe car lestensions demeurent entre communautés au Liban et en Syrie (Balanche, 2006). La Jordaniene connaît pas de problème communautaire, au sens confessionnel ou ethnique, car 97% dela population est arabe sunnite et les minorités sont parfaitement intégrées, même s’il estpréférable d’instaurer des quotas pour que des chrétiens ou des Tcherkesses soient élus auParlement. Cependant le régime hachémite n’a pas réussi à fusionner « Transjordaniens » et

« Palestiniens » dans une seule identité jordanienne. Le mariage du roi avec une jordanienned’origine palestinienne est destiné à renforcer l’unité nationale tout comme le mariage deBachar El Assad, le Président syrien, avec une musulmane sunnite, est un signe d’ouvertureà l’égard de cette communauté. C’est bien le signe de la permanence de fractures dans lesdeux pays. Celles-ci n’ont pas été réduites par trois générations de construction nationale. Ilsemble au contraire que les divisions segmentaires augmentent de nouveau avec la faillitedes idéologies nationalistes arabes et progressistes. Le Liban est un parfait exemple de lapersistance des identités communautaires malgré un développement économique qui auraitdû mécaniquement les affaiblir. Faut-il rappeler que la guerre civile libanaise a éclaté dansun contexte de prospérité économique sans précédent au Liban, qualifié alors de Suisse duMoyen-Orient, alors que dans le schéma durkémien, les solidarités horizontales auraient dû

normalement prendre le pas sur les solidarités verticales. Certes le Liban constitue un casextrême, mais il permet justement de mieux appréhender le processus de fragmentationétatique en cours également en Syrie et en Jordanie.

Le Liban : une société segmentée que l’Etat ne parvient pasà unifier

14 Pour comprendre le Liban actuel il faut revenir à la répartition des communautésconfessionnelles dans l’espace proche oriental durant la période ottomane. Les communautésdominantes (les arabes sunnites) et leurs protégés juifs et chrétiens (grecs orthodoxes etcatholiques) résident dans les villes, lieux de pouvoir et de richesses. Elles dominentles meilleures terres tandis que les communautés hétérodoxes (alaouites, druzes, chiites

duodécimains, maronites, etc.), souvent persécutées, sont rejetées dans les périphéries :montagnes refuges et marges steppiques (fig. 3 et fig. 4). Dans les villes, chaque communautépossède son propre quartier résidentiel, les musulmans se trouvent autour des principauxlieux de pouvoir et de la grande mosquée, les chrétiens et les juifs se regroupent autour deleurs églises, synagogues et écoles confessionnelles. Les musulmans sunnites sont toujoursl’élément dominant, les non musulmans ne représentant pas plus du tiers de la populationcitadine. Beyrouth constituait une exception car le développement de la ville après la créationde son port en eau profonde en 1860 avait attiré les populations chrétiennes de l’arrière pays

et dès le début du XXème siècle la ville est en majorité chrétienne (Courbage, 1970).

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 8/22

L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et proj (...) 8

L'Espace Politique, 11 | 2010/2

Figure 3 : Les communautés à la fin de l'Empire Ottoman (dans les frontières étatiquesactuelles)

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 9/22

L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et proj (...) 9

L'Espace Politique, 11 | 2010/2

Figure 4 : Centres et périphéries à la fin de l'empire ottoman

15 A la veille de la guerre civile libanaise de 1975, la distribution de la population libanaisea changé. Le pays est en majorité urbain et les populations de la montagne : maronites,druzes et chiites sont venus s’installer en ville. Elles sont sujettes au mépris des citadinsd’origine - sunnites, grec orthodoxes et catholiques - qui supportent mal l’arrivée des nouveaux

venus accusés d’inrifiyeh (ruraliser) la ville4. Le clivage urbain/rural est puissant, les rurauxconservent des liens forts avec leur village d’origine et les mariages intercommunautaires sontrares. Les territoires communautaires ne sont donc plus aussi distincts que par le passé etnous avons une impression de mixité en raison de l’urbanisation mais il n’en est rien. Lesoppositions politiques droite - gauche qui pouvaient transcender les clivages communautairesdisparaissent rapidement dans les premiers mois de la guerre civile au profit des clivagescommunautaires.

16 Le 13 avril 1975, des membres du Parti Phalangiste, chrétien d’extrême droite, mitraillent unbus de Palestiniens causant une vingtaine de morts. Cet acte marque le début de la guerre civile

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 10/22

L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et proj (...) 10

L'Espace Politique, 11 | 2010/2

libanaise entre les Palestiniens alliés à la gauche libanaise contre les milices chrétiennes dedroite, en particulier les Phalangistes de Pierre Gemayel. Officiellement il s’agit d’un clivagepolitique et non communautaire mais puisqu’au Liban les chrétiens possèdent l’essentiel dupouvoir ils sont plutôt conservateurs tandis que les musulmans souhaitant un rééquilibrage dupouvoir politique à leur profit, puisqu’ils sont devenus majoritaires dans le pays, sont plutôt àgauche. Cependant la bourgeoisie musulmane, qui ne souhaite pas une victoire des palestinienset des forces de gauche, soutient le régime conservateur, même dominé par les chrétiens. Quant

aux chrétiens laïcs ils soutiennent les « palestino-progressistes ». Il convient de préciser quedans le contexte libanais ceux qui souhaitent l’abolition du communautarisme politique sontclassés à gauche, mais ils ne revendiquent pas forcément la justice sociale. Car au Liban, lespartis politiques sont l’expression des communautés ou des familles de notables. Il est doncdifficile de les classer sur un échiquier politique droite – gauche classique. Des féodaux telsque Kamal Joumblatt, le père du chef actuel du Parti Socialiste Progressiste, Walid Joumblatt,était le leader de la gauche libanaise. Il souhaitait l’abolition du communautarisme parce quecela lui aurait permis d’accéder au pouvoir, chose que l’ancien système lui déniait en tantque druze car les postes clés sont réservés aux maronites (la présidence de la république), auxsunnites (présidence du conseil des ministres) et aux chiites (présidence du parlement). Parailleurs, la communauté druze (5% de la population libanaise) étant très soudée, elle ne risque

que pas de se dissoudre avec la laïcisation du statut personnel, au contraire des trois grandescommunautés libanaises.

17 Vingt ans après la fin de la guerre civile, la situation du Liban n’a guère changé. Lecommunautarisme institutionnel demeure, le mariage civil n’existe toujours pas et il estimpossible pour un Libanais d’accéder au statut de « hors communauté » ou « laïc » commecela avait été prévu par le Mandat français (Meier, 2010). Les milices sont devenues despartis politiques défenseurs d’intérêts communautaires et/ou familiaux. L’Etat est réduit àses fonctions minimales car ni la Syrie, puissance occupante, ni la famille Hariri, qui dirigele gouvernement libanais pays depuis 1992, ne souhaitent la construction d’une véritablepuissance régalienne au Liban. La Syrie a évacué le Liban en 2005 mais elle continue àinfluencer la politique intérieure libanaise grâce à ses relais. Quant à la famille Hariri, outre

le fait d’avoir asservi l’Etat à des fins privées, elle défend les intérêts de la communautésunnite et de la bourgeoisie commerçante libanaise. Elle n’a donc aucune intention de bâtir unEtat moderne qui régulerait le marché et adopterait une véritable politique fiscale. En dehorsde Beyrouth centre, la gestion du territoire libanais est donc abandonnée aux acteurs locaux(notables, féodaux et partis politiques) qui phagocytent les institutions légales ou créent leurspropres institutions. Le communautarisme se trouve renforcé puisque pour la grande majoritéde la population l’accès aux ressources passe par des canaux communautaires.

Le clientélisme politique syrien : un mode de gouvernanceclassique au Proche-Orient

18 Le clientélisme peut se définir comme une relation de fidélité entre un patron et un client

qui se base sur une allégeance totale contre une protection. La protection peut être physique,financière ou politique. Cela implique que le client n’ait pas les moyens de son indépendance etque le patron possède les moyens de la défense de ses clients, mais qu’il ait aussi des ambitionspolitiques ou économiques. Un tel système prospère au Proche-Orient car le système politiquene repose par sur un Etat de droit et la majorité de la population ne possède pas les moyenséconomiques de son indépendance politique, même dans le cas du Liban où nombreux sontles citoyens qui vendent leur vote. En Jordanie, le clientélisme politique permet au régime delimiter le poids électoral des islamistes en s’appuyant sur son réseau de notables et de chefstribaux. La majorité de la population jordanienne, entre ses sympathies pour l’opposition -qu’elle soit islamiste, pro palestinienne ou nationaliste arabe - et les exigences matérielles

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 11/22

L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et proj (...) 11

L'Espace Politique, 11 | 2010/2

du quotidien, choisit l’allégeance au pouvoir en place pour bénéficier des divers subsides del’Etat.

19 Le régime de Bachar El Assad en Syrie n’a pas à se soucier des élections. La présidentielleest un plébiscite organisé tous les sept ans et les élections parlementaires, régionales oumunicipales mobilisent moins de 5% du corps électoral car personne n’a d’illusion sur lerésultat final. Mais tout comme au Liban et en Jordanie, le régime utilise les ressorts duclientélisme politique pour se maintenir car la violence pure ou le soutient communautaire

sont insuffisants. Faut-il préciser que derrière sa façade universaliste, pan arabe et socialistele pouvoir politique est confisqué par une assabyya alaouite 5, venu du nord de la montagnecôtière (Montagne Alaouite) et dirigée par la famille Assad. Nous ne reviendrons pas surles conditions de la prise de pouvoir par cette assabyya en 1970 et sa constitution (Chouet1995). Le sujet a été abondamment expliqué par de nombreux auteurs tels que Michel Seurat,Raymond Hinnenbush, Hanna Batatou, Elisabeth Picard ou Alain Chouet.

20 Durant toutes les années durant lesquelles il est demeuré au pouvoir Hafez El Assad a utiliséla politique de développement à des fins clientélistes. Car il n’était pas évident pour cegénéral alaouite et son clan, de conserver un pouvoir acquis après un coup d’Etat contre unprécédent régime ba’athiste. Le principal problème d’Hafez El Assad était de faire oublier sonappartenance à une communauté considérée comme hérétique par les musulmans sunnites,

plus de 80% de la population syrienne, et même par les chiites duodécimains. Dès 1970, leparti Ba’ath, dominé par les militaires alaouites, n’est plus qu’une courroie de transmission durégime. Face au verrouillage de la vie politique, le sentiment communautaire repris vite de lavigueur en, d’autant que les alaouites, tout en n’apparaissant pas au premier plan, occupaienttous les postes clés (Seurat, 1989).

21 La guerre d’octobre 19736 permit à Hafez El Assad de légitimer son régime sur le planpolitique. L’aide massive des pays arabes qui suivit offrit au régime syrien les moyens d’étofferses réseaux clientélistes. La réforme agraire et les nationalisations dans les années 1960 aprivé la bourgeoisie économique de son pouvoir et entraîné l’adhésion des paysans sansterre et des ouvriers au régime baathiste. La politique de développement des années 1970allait conforter cette base et rallier d’autres groupes sociaux. Le mode de développement

autocentré et la lutte contre Israël a réussi à unifier la population syrienne alors que le Libanse déchirait. La révolte des Frères Musulmans entre 1979-1982 fut tout autant combattue parla répression que par les embauches dans le secteur public ou autres faveurs. Mais au milieudes années 1980 la crise économique en Syrie oblige le régime a abandonner sa politiquevolontariste et ses embauches massives dans un secteur public hypertrophié. A partir de1991, le secteur privé redevient le moteur de l’économie syrienne. Après la mort d’HafezEl Assad, son fils et successeur, Bachar El Assad, accentue la libéralisation de l’économiemais non pas pour aboutir au capitalisme à l’anglo-saxonne mais plutôt au « capitalisme descopains » (crony capitalism) répandu dans de nombreux pays du sud tel que l’Egypte (Gobe1994). La assabyya alaouite étoffe ses réseaux clientélistes par l’intégration de la bourgeoisiecommerçante dans un nouveau cercle périphérique. La création en 2005 de deux holdingsdirigés par des proches de Bachar El Assad dont Rami Makhlouf, son cousin germain, estdestinée à sceller l’association entre le régime et la nouvelle bourgeoise syrienne (Donati2009). Une alliance qui transcende les clivages communautaires dans un but d’enrichissementmutuel. L’économie « sociale de marché » telle que définie par le régime syrien a pouravantage de maintenir à la fois les réseaux clientélistes entre une population dépendante dessubsides de l’Etat et de rallier les entrepreneurs privés qui ont besoin de la protection durégime pour pour profiter des mesures de relaxation économique. Bachar El Assad pourra-t-il longtemps maintenir l’équilibre entre les deux types de réseau ? La Syrie est actuellementen phase de croissance économique grâce aux réformes économiques, aux investissementsen provenance du Golfe, et aux remises croissantes des émigrés car les Syriens sont de plus

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 12/22

L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et proj (...) 12

L'Espace Politique, 11 | 2010/2

en plus nombreux à s’expatrier. L’ouverture économique favorise les commerçants mais nonles producteurs toujours soumis à une bureaucratie pesante qui les empêche de s’adapter à lamondialisation. Les revenus du pétrole, principale ressource de l’Etat, diminuent rapidementavec la baisse de la production et l’augmentation de la consommation intérieure, au rythmeactuel la Syrie sera importatrice nette d’hydrocarbures en 2015.

22 La pauvreté gagne du terrain en Syrie remettant en cause le pacte social fondateur du régimedes Assad. Les campagnes sont particulièrement touchées par les mesures de libéralisation

économique et le désengagement de l’Etat. Les populations du Nord-Est, ce front pionnierglorifié par la propagande baathiste, migrent en masse vers les grandes villes syriennesqui développent autour d’elles des ceintures de misère autrefois inconnues. Les alaouites

qui avaient connus une embellie7 de leur statut social grâce à leur allégeance au régime,connaissent également un déclassement social en raison de leur enfermement dans un secteurpublic déliquescent. L’intégration économique de la Syrie dans la sphère des pétromonarchiesdu Golfe profite davantage à la bourgeoisie sunnite ce qui fragilise le régime.

Jordanie : majorité palestinienne et économie assistée

23 La population jordanienne est la plus homogène des trois Etats du Proche Orient arabe sur leplan communautaire : plus de 95% d’arabes sunnites, une communauté chrétienne estimée à3 ou 4% de la population, une trentaine de milliers de Tcherkesses et quelques milliers deDruzes. Il est à noter que les Tcherkesses constituent la garde rapprochée du roi et sont donc lacommunauté la plus fidèle à la monarchie depuis son installation sur le trône en 1920. Aprèsl’indépendance, les souverains hachémites ont caressé le rêve d’une grande Jordanie intégrantles territoires palestiniens. La Cisjordanie était partie intégrante du royaume jusqu’en 1967,date à laquelle elle fut occupée par Israël. Après la guerre des six jours, la Jordanie a maintenul’administration civile dans ce territoire occupé, espérant son retour dans le giron jordanien.Cependant l’Intifada de 1987 a montré que le nationalisme palestinien était le plus fort, et le roiHussein décida d’abandonner toute prétention sur la Cisjordanie et retira son administrationdes territoires occupés en 1988 pour se recentrer sur la Transjordanie d’origine.

24 Cependant, le problème identitaire demeure car la majorité de la population jordanienne

est d’origine palestinienne. Les recensements officiels affirment que la population d’originepalestinienne est inférieure à 50% mais en réalité elle atteint 70%. Certes, l’ensemble decette population ne se sent pas forcément étrangère en Jordanie et ne compte pas reveniren Palestine. Cependant le régime et les « Jordaniens d’origine » (les Transjordaniens) seméfient des Palestiniens et de leur potentiel de déstabilisation politique. En septembre 1970,« septembre noir », les organisations de libération de la Palestine tentèrent de renverserle roi Hussein jugé trop timoré à l’égard d’Israël. L’armée jordanienne et les Palestinienss’affrontèrent violemment durant deux semaines, faisant plusieurs milliers de morts. YasserArafat et ses combattants furent contraints de quitter la Jordanie pour le Liban.

25 Pour contrer l’influence palestinienne, le roi s’appuie sur les tribus bédouines qui composentl’essentiel des forces de sécurité du régime avec sa garde tcherkesse. Il poursuit ainsi le

processus engagé par les britanniques avec la création de la « desert patrol force » à l’époquedu Mandat. Le déclin économique des bédouins s’est accentué après l’indépendance du payset ils n’ont d’autre choix que de devenir la garde prétorienne du régime. Mais cette intégrationà l’Etat jordanien ne signifie pas que les bédouins soient privilégiés par le régime, en fait leszones tribales font les frais d’une relative négligence gouvernementale. En fait ce sont leszones urbaines qui ont profité le plus des investissements de l’Etat. Une élite de commerçantset de bureaucrates issue des dynasties de notables jordaniens domine le pays et assure lepalais de son soutien. Les entrepreneurs palestiniens sont peu à peu intégrés par associationéconomique et par mariage. Le roi Abdallah a lui-même donné l’exemple en épousant uneJordanienne d’origine palestinienne.

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 13/22

L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et proj (...) 13

L'Espace Politique, 11 | 2010/2

26 L’aménagement du territoire est la traduction spatiale de ce système politique. Jusqu’au débutdes années 1970, l’Etat s’est contenté de construire des routes pour contrôler le territoire. LaJordanie a ensuite bénéficié des retombées de l’augmentation des prix du pétrole. Au sommetde Bagdad de 1978, les pays arabes producteurs de pétrole se mirent d’accord pour verser àla Jordanie 1 250 millions de $ chaque année. Par ailleurs, avec 40% de sa population activetravaillant dans les Etats du Golfe, la Jordanie recevait dans les années 1970 l’équivalent de20% de son PIB. Cette manne financière permit à l’appareil d’Etat de gonfler démesurément,

en particulier à travers de multiples promotions administratives qui entraînèrent le passagedu rural à l’urbain pour de nombreuses agglomérations et surtout le déclin de l’agriculture auprofit du tertiaire. Un seul aménagement d’envergure fut réalisé avec l’irrigation de la vallée duJourdain grâce à un financement américain. En 1983, la Jordanie subit de plein fouet le contre-choc pétrolier et l’Etat providence s’effondra. Les réductions budgétaires drastiques causèrentdes révoltes dans les périphéries, notamment dans les zones tribales pourtant réputées fidèlesà la monarchie, comme à Ma’an en 1989. L’expulsion de centaines de milliers de travailleurspalestiniens et jordaniens du Koweït et d’Arabie Saoudite, à la suite de la première guerre duGolfe, accentua la dépression économique de la Jordanie.

27 La signature du traité de paix avec Israël en 1994 et la normalisation des rapports de laJordanie avec l’Arabie Saoudite lui permirent de retrouver une assistance économique de

la part de l’Occident. La stabilité politique du pays et son libéralisme économique attirentdes Investissements Directs Etrangers venus d’Europe, d’Amérique du Nord et des payspétroliers du Golfe. Les remises des émigrés (toujours plus de 20% du PIB) soutiennent laconsommation et le secteur immobilier. Bien entendu les investissements se concentrent dansle Grand Amman et dans ses annexes touristiques ou industrielles : Aqaba et la Mer Morte,au détriment des périphéries. Une grande partie de la population se paupérise et verse dansl’islamisme radical. Le rôle de protection des frontières orientales d’Israël qui est assigné aupays heurte également le fort sentiment pro palestinien. La monarchie hachémite se trouvedonc dans une situation très inconfortable, prise en étau entre l’alliance américano-israélienneet les aspirations pro-palestiniennes et islamiques de sa population.

28 La Jordanie était le plus improbable des trois Etats du Proche-Orient : une monarchie étrangèreà la tête d’un Etat tampon destiné à préserver l’axe britannique Méditerranée – Mésopotamie etsurtout la Palestine de la poussée saoudienne. Ce pays sans ressource majeure s’est retrouvé enpremière ligne du conflit israélo-arabe, submergé par plusieurs vagues de réfugiés palestiniensqui menacèrent longtemps sa stabilité politique. Et pourtant, la Jordanie apparaît aujourd’huicomme le pays le plus sûr du Proche-Orient, attirant les capitaux et les investissements. Surle plan géopolitique, le royaume hachémite est un élément clé du dispositif américain dans larégion : sécurité de la frontière israélienne et base arrière de l’Irak. Le pays reçoit des aideséconomique et militaire conséquentes, ce qui n’est pas le cas du Liban et de la Syrie.

La mondialisation venue du Golfe fragilise les Etats duProche-Orient

29 Tandis que le Proche-Orient se débattait dans les affres du conflit israélo-arabe, les pays duGolfe ont bâti une économie puissante grâce à la rente pétrolière. Ils n’ont pas développéseulement une économie de services mais également une base industrielle exportatrice. Leport de Djebel Ali à Dubaï est devenu le principal hub portuaire de la péninsule arabique avecun fret de plus de 100 millions de tonnes par an. Les marchandises sont redistribuées dansl’ensemble des pays du Golfe mais également vers le Proche-Orient. Beyrouth et Lattaquién’ont qu’un trafic annuel de 6 millions de tonnes, seul Aqaba dépasse les 10 millions de tonnesgrâce au transit pour l’Irak. Cet exemple illustre parfaitement la marginalisation économiquedu Proche-Orient arabe dans la région et au niveau mondial. Le PIB des six pays du Conseil

de Coopération du Golfe8 est en moyenne de 20 000 dollars hab./an, le Qatar possède le

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 14/22

L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et proj (...) 14

L'Espace Politique, 11 | 2010/2

deuxième PIB/hab. au monde derrière le Lichtenstein avec 50 000 dollars (2009). En 2007,les six pays du CCG avaient un excédent commercial de plus de 150 milliards de $ par an, soitl’équivalent de la Chine mais pour une population 40 fois moindre. Certes cet excédent estfluctuant car lié aux exportations d’hydrocarbures plus qu’à de la production manufacturière,mais il contribue à une immense prospérité comparé aux autres régions du monde arabe. Lesexcédents commerciaux offrent aux pays du Golfe des capacités d’investissements à l’étrangertrès recherchées.

30 Jusqu’au début des années 1990, les pays du Proche Orient n’étaient guère attractifs pour lescapitaux du Golfe arabe. La guerre au Liban, le dirigisme économique en Syrie et la faiblessedes opportunités en Jordanie couplée à un certain dirigisme limitaient les opportunitésd’investissements. Le retour de la paix au Liban, l’ouverture économique syrienne et lesespoirs d’un règlement de paix régional après les accords d’Oslo en 1994 ont modifiéprogressivement la perception des investisseurs potentiels. A partir de 1997, les flux d’IDE(Investissements Directs Etrangers) en direction de la Jordanie et du Liban ont commencéa augmenter rapidement, puis en 1999 pour la Syrie. La croissance fut particulièrementspectaculaire au Liban puisque le montant des IDE est passé de quelques dizaines de millionsd’euros dans les premières années de la reconstruction à 1,8 milliards d’euros en 1997 pourse maintenir à ce niveau jusqu’en 2007. La croissance fut plus progressive en Jordanie : 360

millions d’euros en 1997, 1,2 milliards en 2005, pour culminer à 2,5 milliards en 2006. Quantà la Syrie, le flux d’IDE fut irrégulier : remis en cause durant les premières années du règnede Bachar El Assad, il a fini par décoller entre 2004 et 2008 passant de 200 millions à 1,2milliards. Il est a noter que les IDE continuent de progresser en Syrie en 2008 alors qu’ilsdiminuent dans tous les pays de la région. Cette envolée des IDE est due principalement auxpays arabes du Golfe qui investissent leurs excédents commerciaux. La réduction des IDEà partir de 2007 correspond à la chute des cours du pétrole et aux difficultés financières deces pays. Durant la période 2003 – 2008, les IDE en provenance des pays arabes du Golfeont représenté les deus tiers du flux à destination du Machrek (Egypte comprise) et l’UnionEuropéenne moins de 30%. L’essentiel des investissements des pays arabes du Golfe vontau secteur de la construction, du transport et du tourisme. Les projets européens sont mieux

répartis avec une priorité vers les infrastructures énergétiques.31 Les remises des émigrés dans le Golfe sont également en plein essor depuis le début des années2000. Elles contribuent largement à la croissance économique actuelle du Proche-Orient Ilest difficile d’appréhender exactement le montant des remises migratoires car de nombreuxtransferts échappent aux banques grâce au système de la hawala (transfert informel), sanscompter les biens en nature (voiture, audio-visuel ….). En Jordanie et au Liban les remisesreprésentent plus de 20% du PIB, moins de 5% en Syrie (images économiques du monde2006) car les Syriens sont moins nombreux dans le Golfe, soit respectivement en 2006 : 2,8milliards, 5,2 milliards et 0,8 milliards d’euros. Cette différence s’explique par le faible niveaude qualification de la plupart des Syriens qui travaillent dans les pays arabes du Golfe comparéà la moyenne des Libanais et des Jordaniens. Cela correspond aussi aux besoins en maind’œuvre qualifiée des pays du Golfe qui préfèrent embaucher des pakistanais ou des indiens

pour les travaux manuels plutôt que des ressortissants arabes. Entre 2002 et 2006, le volumede transfert des émigrés a doublé au Liban tandis qu’il n’augmentait que de 30% en Jordanie.Quant à la Syrie, il a été officiellement multiplié par 6 (de 135 millions d’euros à 823 millionsd’euros). En réalité, il s’agit plus d’une reconnaissance officielle des transferts informels quidésormais transitent davantage par le système bancaire privé mis en place entre les deux dates.

32 Le Proche Orient se trouve en situation de dépendance à l’égard des réseaux économiqueset politiques du Golfe, car les bonnes relations économiques sont liées au climat politique.Les dirigeants du Golfe orientent les investissements des sociétés mixtes mais aussi privés :aucune société saoudienne n’investira en Syrie si les rapports entre la monarchie saoudienne

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 15/22

L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et proj (...) 15

L'Espace Politique, 11 | 2010/2

et le Président Bachar El Assad sont mauvais. L’attribution des contrats de travail dans lespays du Golfe sont aussi fonction des plus ou moins bonnes relations avec les pays du ProcheOrient. Après la première guerre du Golfe, en 1991, les Palestiniens furent chassés du Golfeen raison du soutient apporté par Yasser Arafat à Saddam Hussein, et ils furent remplacéspar des Syriens et des Egyptiens puisque leurs pays s’étaient rangés dans la coalition anti-Saddam. Mais au sein des officines de recrutement et des ambassades du Golfe la priorité estdonnée aux musulmans sunnites. Les chiites libanais sont ainsi ostracisés en Arabie Saoudite

et ceux qui parviennent à y travailler cachent leur appartenance religieuse. Le système dela kafala

9entretient une proximité entre l’employé et l’employeur dont l’appartenance à unemême communauté confessionnelle est un facteur essentiel. L’accès aux ressources du Golfene profite dont pas à toute la population mais surtout aux arabes sunnites et parmi eux ceuxqui sont proches par leur style de vie du wahabisme qui règne dans les pétro monarchies de lapéninsule arabique, Dubaï étant une exception en matière de mœurs faut-il le rappeler, quant àBahreïn, pays à majorité chiite mais dirigé par la minorité sunnite, il n’a plus d’hydrocarbureset vit quasiment sous perfusion saoudienne.

33 Certes le Golfe n’est pas la seule porte d’accès à la mondialisation, les chiites et les chrétiensqui ont plus de difficultés à se connecter avec les économies du Golfe se dirigent vers l’Europeou l’Amérique du Nord. Les réseaux du Golfe sont cependant plus rémunérateurs et surtout

plus rapidement à moindre compétence, l’enrichissement différentiel que cela produit accélèreles processus de différenciation sociale et donc spatiales, ce qui déstabilise les sociétés et lespouvoirs en place habitués à l’inertie. L’initiative américaine pour le Grand Moyen Orient,destinée officiellement à promouvoir la démocratie et la libéralisation économique, provoqueune seconde onde de choc au Proche-Orient à partir de l’Irak. En effet, l’Irak constitue unlaboratoire de la nouvelle forme de gouvernance que les États-Unis souhaitent pour la région.

L’initiative pour le Grand Moyen-Orient de Georges Bush

34 Avec l’occupation américaine de l’Irak et sa division en trois régions sur des critèrescommunautaires le processus de balkanisation paraît reprendre dans la région. Certes l’Irak demeure un Etat unifié, mais que deviendra-t-il après l’évacuation des troupes américaines ?

Le fédéralisme va-t-il perdurer ? Les Kurdes ne vont-ils pas tenter de proclamer leur Etat ?L’arabisme sera-t-il suffisant pour empêcher les arabes sunnites et chiites de divorcer parconsentement mutuel, par demande acceptée ou pour faute ? La situation dans laquelle setrouve l’Irak contribue, pour l’instant, à renforcer les sentiments d’unité nationale dans larégion, par crainte d’une libanisation des Etats voisins et son cortège de violence. Mais à termel’éventuelle division de l’Irak en deux ou trois Etats pourrait entraîner une nouvelle vague defragmentation étatique au Moyen-Orient car les ferments de division internes existent toujoursau Liban, mais aussi en Syrie, au Yémen et en Iran.

35 Le projet américain de « Grand Moyen Orient » s’appuie sur le constat de la faillite del’Etat nation dans cette région puisque les clivages communautaires empêchent l’émergenced’une véritable nation dans un Etat unitaire. Le raisonnement des « faucons » américains est

simplistes : dans les cas où une minorité contrôle le pouvoir (alaouites en Syrie et arabessunnites dans l’Irak de Saddam Hussein), le régime bloque toute ouverture démocratique carla minorité perdrait le pouvoir dès les premières élections libres. Dans le cas où la majorité(ethnique ou religieuse) domine l’Etat (Turquie, Arabie Saoudite, Iran, etc.) les minorités sontopprimées et souvent invitées à quitter le pays. L’exode continu des chrétiens du Proche-Orient est significatif : en temps de crise ils sont les premières victimes de la violence aveugleet en temps de paix ils sont dans une position d’infériorité pesante. Démocratiser le Proche-Orient exige, selon les « faucons » américains, un redécoupage territorial sur des critèrescommunautaires ou tout du moins le passage d’Etats centralisés à des Etats fédéraux danslesquels les différentes communautés seraient en sécurité (fig. 5 et fig. 6).

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 16/22

L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et proj (...) 16

L'Espace Politique, 11 | 2010/2

Figure 5 : « Before »

© Ralph Peters, dessin de Chris Broz.

Figure 6 : « After »

36

© Ralph Peters, dessin de Chris Broz.

37 Certes, la promotion de la démocratie et la protection des minorités, plus exactement decertaines minorités, sont des prétextes pour renforcer l’hégémonie américaine sur la région. UnIrak fédéral divisé en trois entités (kurde, arabe sunnite et arabe chiite) est plus facile à dominerqu’un Irak centralisé, une Syrie qui subirait le même sort (partition de la région alaouite et dunord-est kurde) serait moins rigide face à Israël, quant à l’Iran, où les Perses ne représentent

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 17/22

L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et proj (...) 17

L'Espace Politique, 11 | 2010/2

que 50% de la population, il pourrait être nettement affaiblit par l’autonomie de l’Azerbaïdjan,

du Baloutchistan, du Kurdistan et de l’ « Araboustan » 10. Le Projet de Grand Moyen-Orientconcerne également les pays alliés des États-Unis, notamment la Turquie qui serait amputéedes territoires kurdes et la monarchie Saoudienne privée du Hassa chiite où se concentrent lesréserves en hydrocarbure du pays ainsi que des lieux saints puisque le Hedjaz deviendrait un« Islamic sacred state »11. S’agit-il d’une volonté réelle de faire aboutir le principe du droit despeuples à disposer d’eux-mêmes, cher à feu le Président Wilson ? Ou bien d’une simple épée

de Damoclès prête à frapper des alliés de plus en plus autonomes ? Notamment une ArabieSaoudite qui inspire la plus grande méfiance depuis le 11 septembre 2001 ? Le processus de« démocratisation » et par conséquent de fragmentation est à géographie variable : l’Irak estredécoupé dans le but officiel de donner à chaque communauté un territoire de référence danslequel elle se sentira en sécurité, mais dans le même temps le gouvernement de Sanaa est libred’écraser la contestation zaydite (d’obédience chiite).

38 Faut-il rappeler que le Moyen-Orient produit un tiers de la consommation mondialed’hydrocarbures et concentre les deux tiers des réserves mondiales. Cette donnée géopolitiqueest fondamentale pour comprendre la sollicitude des États-Unis à l’égard de cette régiondu monde. Le deuxième axe de la politique américaine est la protection de l’Etat d’Israël,car ce dernier est l’allié le plus sûr des États-Unis dans la région, même s’il a tendance à

s’autonomiser souvent de son protecteur. Or, pour briser son encerclement, une des solutionsconsiste pour l’Etat Hébreu à affaiblir l’unité arabe et musulmane en s’appuyant notammentsur leurs divisions segmentaires. Pour les dirigeants sionistes « Israël ne sera en sécurité quelorsqu’elle sera entouré par des tribus arabes ». Le Liban, « talon d’Achille du monde arabe »,selon l’expression d’Ariel Sharon, est la victime directe de la politique israélienne puisqu’ila failli se scinder en plusieurs Etats communautaires au début des années 1980 et que lesattaques régulières qu’il subit ont pour objectif d’empêcher la reconstruction de son économieet donc de son unité nationale (Patrie, 2007). La fragmentation étatique des Etats arabes duProche-Orient est par conséquent encouragée par Israël car cela fait partie de son dispositif sécuritaire. Tout comme de celui des États-Unis et de la Russie qui ont contribué au cours desdeux derniers siècles à la création de petits Etats dans leur périphérie (Rosière 2007).

Conclusion : Maronistan, Kurdistan, Etat des Alaouites,Emirats jordaniens ?

39 La fragmentation étatique a donc plusieurs origines au Proche Orient, elle est variable enfonction des Etats, mais le processus est commun : segmentation de la société sur desclivages confessionnels, ethniques ou « nationaux » (Palestiniens et « locaux » en Jordanie),perte de légitimité des Etats à travers l’échec du mode de développement et de sa capacitéredistributrice, ce qui en situation de crise économique renforce les solidarités communautairesau détriment d’une unité nationale en construction. La politique américaine au Moyen Orientet la mondialisation économique encouragent les tendances naturelles à la fragmentation queles Etats « nations » ont tenté de combattre tout en les utilisant, car c’est là le paradoxe, pour

dominer le territoire.40 Faut-il envisager un redécoupage des Etats ? En ce qui concerne le Liban, il est souvent énoncé

à son propos qu’il est « trop grand pour être avalé et trop petit pour être divisé ». Cependantle Liban est déjà officieusement découpé sur des bases politico-communautaires. A l’échelledu pays le Sud-Liban s’apparente à un « Chiitistan », le centre du Mont Liban au nord deBeyrouth au « Maronistan » et le Chouf, après l’expulsion de la population chrétienne en 1982est devenu un « Druzistan ». A l’échelle de Beyrouth les quartiers possèdent également leuridentité communautaire : Borj Hamoud est géré par les Arméniens, Achrafyeh, à Beyrouth,est un territoire chrétien et Beyrouth-Ouest est le fief des sunnites « haririens ». Mais il ne fautpas être trop simpliste, à l’image de certaines cartes diffusées par la CIA (figure 7), car les

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 18/22

L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et proj (...) 18

L'Espace Politique, 11 | 2010/2

communautés sont entremêlées dans de nombreuses régions telles que le Akkar et la Bekaa.Cela ne signifient pas forcément qu’elles se côtoient mais que la fragmentation territorialese déclinent le plus souvent à l’échelle des villages, des quartiers, et des rues. L’éclatementdu Liban sur des bases communautaires conduirait à des déplacements massifs de populationvisant à homogénéiser les territoires d’une intensité comparable à celle de la Bosnie.

Figure 7 : cartes diffusées par la CIA

41 Des territoires pourraient-ils faire sécession ? On pense bien sûr au Kurdistan syrien qui s’estsoulevé en 2004 et rêve d’une autonomie comparable à celle de son voisin irakien. L’absencede développement économique dans cette région de Syrie entraîne une forte émigration desa population kurde vers Damas. Le régime baathiste s’accommode très bien de ce courrantmigratoire qui vide la Jezireh de ses forces vives et de son potentiel indépendantiste. Le sous-développement volontaire dans lequel sont laissées les régions turkmènes Nord-Ouest syrien(Balanche, 2009) constitue un moyen de réduire le poids de cette minorité, dans des régions

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 19/22

L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et proj (...) 19

L'Espace Politique, 11 | 2010/2

frontalières qui pourraient être éventuellement être revendiquées par la Turquie. Une foisinstallés en zone urbaine, les kurdes et les turkmènes s’arabisent plus rapidement que s’ilsrestent dans leurs territoires d’origine.

42 En cas de perte du pouvoir par les alaouites en Syrie, on peut s’interroger sur le devenir dela région côtière syrienne, le fief de la communauté alaouite ? Le soutient de la communautéalaouite est un pilier essentiel du régime de Bachar El Assad. Depuis quarante ans les alaouitessont venus massivement depuis la région côtière à Damas pour occuper les postes dans l’armée,

la police et l’administration. La communauté alaouite est extrêmement dépendante de l’Etat,tout comme l’était la communauté sunnite irakienne sous Saddam Hussein. L’éventuellemarginalisation politique des alaouites et les représailles qui pourraient avoir lieu à leurencontre les conduiraient à chercher refuge dans leur fief et à faire sécession. Lors de la révoltedes Frères Musulmans entre 1979-1982, de nombreuses familles alaouites installées depuisdes générations à Alep et Idleb vinrent se réfugier à Lattaquié pour échapper aux attentats quiles visaient. L’étude des migrations intérieures en Syrie indique un mouvement de retour versla côte des familles alaouites installées à Damas, qui ne peut s’expliquer que par une craintepour le futur. C’est dans ce contexte de défiance à l’égard des sunnites qu’il faut interpréterl’alliance entre les chrétiens libanais de Michel Aoun, les partis chiites (Hezbollah et Amal) etle régime alaouite de Bachar El Assad. En Syrie aussi, les chrétiens soutiennent le régime de

Bachar El Assad car il les protège contre la masse sunnite. Les minorités soutiennent les Etatsunitaires tant qu’ils sont protecteurs, mais lorsqu’ils deviennent oppresseurs, les minoritésdisposant d’un certain poids démographique n’ont d’autre choix que le réduit communautaireou l’émigration.

43 La Jordanie ne craint pas de mouvement séparatiste en raison de son unité confessionnelleet ethnique. Les minorités chrétiennes, druzes et Tcherkesses sont trop peu nombreuses etdispersées pour revendiquer un territoire sur une base communautaire. Le clivage est plusterritorial entre Amman qui concentre l’essentiel des richesses de la Jordanie et le reste duterritoire national. Les populations des périphéries se sentent abandonnées et réclament desservices publics et des emplois, mais la débauche de promotions administratives compense malla macrocéphalie d’Amman. Mais la crainte de la monarchie hachémite, tout comme celle desrégimes syrien et égyptien est que toute forme de décentralisation ne profite aux islamistes quiinvestiraient les nouvelles collectivités locales (Pagès, 2008) constituant ainsi une fédérationd’émirats. L’intégrité du territoire jordanien ne paraît donc pas en danger. En revanche unefragmentation institutionnelle de l’Etat est à craindre avec la montée des islamistes, révélatricedu divorce entre les aspirations de la population et l’alignement pro-américain de la monarchiehachémite (Lavergne, 2004).

 Bibliographie

BALANCHE, F., 2009, « Clientélisme, communautarisme et fragmentation territoriale en Syrie »,  AContrario, mars.

BALANCHE, F., 2008, « Les municipalités dans la Syrie Baathiste », Revue Tiers Monde , n°193, janvier-mars, p. 169-188.

BALANCHE, F. 2006, La région alaouite et le pouvoir syrien, Paris, Karthala

BATATU, H., 1999 - Syria Peasantry, the Descendants of Its Lesser Rural Notables, and Their Politics,Princeton, Princeton University Press.

CAPDEPUY, V., 2008, « Proche ou Moyen-Orient ? Géohistoire de la notion de Middle East », L'Espace

géographique n°3, Tome 37, p. 225-238.

CHATELUS, M. 1980, « La croissance économique : mutation des structures et dynamisme dudéséquilibre » in Raymond André (dir.), La Syrie d’aujourd’hui, Paris, Editions du CNRS, p. 225-272.

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 20/22

L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et proj (...) 20

L'Espace Politique, 11 | 2010/2

CHOUET, A., 1995 - L’espace tribal alaouite à l’épreuve du pouvoir, Maghreb - Machrek , n°147, p.83 - 119.

CLOAREC, V. ; LAURENS, H., 2003, Le Moyen-Orient au XX ème siècle, Paris, Armand Colin, Coll.« U »

CORM, G., 2007, Le Proche-Orient éclaté  (1956-2007), Paris, Gallimard

CORM, G., 2005, Le Liban contemporain, Paris, La Découverte

COURBAGE, Y. ; TODD, E., 2007, Le rendez-vous des civilisations, Paris, Le Seuil

PLANHOL, X. (de), 1993, Les nations du prophète, Paris, Fayard

DONATI, C., 2009, L’exception syrienne : entre modernisation et résistance , Paris, La Découverte

GOBE, E., 1997, « Les hommes d’affaires et l’Etat dans le capitalisme de l’Infitah (1974-1994) », Maghreb-Machrek , avril-juin, n°156, p.49-59

HINNEBUSH, R., 1989, Peasant and Bureaucracy in Ba’thist Syria , London, Westview Press

HINNEBUSH, R., 1990 “ Authoritarian power and state formation in Ba’thist Syria: army, party, and 

 peasant ”, New York, Westview Press.

LAVERGNE, M., 2004, « La Jordanie à l'heure du doute », Les Cahiers de l'Orient , n°75, 3ème trimestre,p. 7-20

MEIER, D., 2010, Le Liban, Paris, Éditions du Cavalier Bleu

PAGÈS-EL KAROUI, D., 2008, Villes du delta du Nil. Tantâ, Mahalla, Mansûra : cités de la densité ,Paris, CEDEJ- IISMM-Karthala

PATRIE, B. ; ESPANOL, E., 2007, Qui veut détruire le Liban, Paris, Actes Sud

RIVIER, F., 1980, Croissance industrielle dans une économie assistée : Le cas jordanien, Lyon, Pressede l’Université de Lyon

ROSIÈRE, S., 2007, Géographie Politique et Géopolitique, Paris, Ellipse

SEURAT, M., 1989, L’Etat de Barbarie, Paris, Le Seuil.

 Notes

1 Israël et la Syrie occupent toujours de petites parties du territoire libanais. Les fermes de Chebaaau sud-est du Liban pour Israël et les fermes de Deir El Achayr, à l’est de la Bekaa, pour la Syrie.L’appartenance de ces deux territoires au Liban n’est pas officiellement reconnue par la Syrie.

2 Il existe une certaine confusion entre les notions de Proche-Orient et de Moyen-Orient liées auxreprésentations des acteurs géopolitiques sur cette région du monde. Pour les français, adeptes de lanotion de Proche-Orient (l’Orient proche de la France), le Moyen-Orient recouvre une autre dimensionque pour les Américains : le Near East n’existe pratiquement pas au profit de Middle East qui englobenotre Proche-Orient. Nous avons donc en France comme aux Etats Unis tendance à utiliser le termede Moyen-Orient pour l’ensemble géographique compris entre la Méditerranée orientale et le Pakistanen passant par l’ensemble de la péninsule arabique. Le terme de Proche-Orient définit une entitégéographique plus réduite liée au conflit israélo-arabe, qui n’est pratiquement utilisé que par l’Europecontinentale.

3 En 2005, les chrétiens seraient 34% (maronites 19,9%, grecs orthodoxes 5%, grecs catholiques 4,2%,

arméniens 3,6% et autres chrétiens 1,3%) et les musulmans 66% (chiites 31,5%, sunnites 29%, druzes5,5%). Courbage Y. et Todd E., Le rendez-vous des civilisations, Paris, Le Seuil, 2007, 170 p.

4 En arabe le terme de ville se traduit par madina ou hadara, qui signifie également civilisation. Le motrif se traduit par « campagne » ou « rural » mais aussi par « sauvagerie ». Ville et campagne sont deuxmondes séparés depuis des siècles dans le monde arabo-musulman. Les sociétés citadines méprisent lesruraux qu’elles ont exploité pendant des siècles grâce à la rente terrienne et au monopole du pouvoirpolitique.

5 Une assabyya est un groupe de solidarité, fondé sur un lien organique, d’après Olivier Roy, dont lebut est la prise du pouvoir. Ce concept a été développé par Ibn Kaldoun et repris par Michel Seurat.

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 21/22

L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et proj (...) 21

L'Espace Politique, 11 | 2010/2

6 La guerre de 1973 est considérée comme victorieuse par les Syriens puisqu’ils reprirent une partiedu Golan

7 Les Alaouites ne sont pas immensément enrichis durant ces dernières décennies. Certes les membresde la assabyya au pouvoir sont devenus millionnaires mais le petit peuple alaouite demeure plus pauvreque la moyenne syrienne. Hafez El Assad ne souhaitait pas que la communauté alaouite ne s’enrichissetrop car « il faut que les chiens aient faim pour garder le troupeau ».

8 Les six pays du Golfe (Arabie Saoudite, Koweït, Qatar, Bahreïn, Emirats Arabes Unis et Oman)comptent 36 millions d’habitants dont 12 millions d’étrangers.

9 La Kafala (la garantie) exprime le contrat qui lie l’employeur et l’employé dans les pays du Golfe.Pour exercer un métier ou fonder une entreprise dans les pays du Golfe, les étrangers ont besoin d’un« garant » local (le kafil), qui peut être l’employeur ou un associé.

10 Le Sud-Ouest de l’Iran, sur les bords du Golfe persique, est peuplé par des arabes. L’Araboustan n’aaucune existence politique mais dans de nombreux manuels scolaires dans le monde arabe il apparaitcomme un Etat indépendant.

11 L’Arabie Saoudite serait ainsi privée de ses deux atouts essentiels : le pétrole et la légitimité religieusequi permettent l’expansion du wahabisme.

 Pour citer cet article

Référence électroniqueFabrice Balanche, « L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme,mondialisation et projet de Grand Moyen Orient »,  L'Espace Politique [En ligne], 11 | 2010/2, mis enligne le 18 novembre 2010. URL : http://espacepolitique.revues.org/index1619.html

Fabrice Balanche

Maître de conférencesGroupe d’Etudes et de Recherches sur la Méditerranée et le Moyen-OrientUniversité Lyon [email protected]

 Droits d'auteur

Tous droits réservés

 Résumé / Abstract

 

Dans l’ouvrage de référence que constitue le Proche-Orient éclaté, l’historien libanais GeorgesCorm, nous explique que cette région du monde se trouve dans un processus historiquede fragmentation étatique. Le Liban est l’archétype de ce phénomène. L’Etat libanais adisparu durant la guerre civile (1975-1990) au profit de milices pour réapparaître souscontrôle étranger au début des années 1990. Mais la fragmentation territoriale sur des bases

communautaires et claniques demeure une réalité forte que la « reconstruction du Liban »n’a pas réussi à faire disparaître. La Syrie apparaît davantage comme un Etat centralisé etsolide, exempte de problèmes communautaires. Cette vision est trompeuse car les clivagescommunautaires existent. Ils sont simplement cachés par le régime baathiste, qui masque soncaractère alaouite par la négation du communautarisme alors qu’il est le socle politique dontBachar El Assad a hérité. Mais aujourd’hui, la communauté alaouite ne bénéficie plus des

mêmes privilèges que par le passé. L’intégration économique de la Syrie dans la sphère despétromonarchies du Golfe profite davantage à la bourgeoisie sunnite envers laquelle le régimede Bachar El Assad multiplie les ouvertures. Quant à la Jordanie son homogénéité ethniquesemble la préserver du processus de fragmentation sur des bases communautaires, mais non

8/3/2019 L Etat Au Proche Orient Arabe Entre Communautarisme Clientelisme Mondialisation Et Projet de Grand Moyen Orient

http://slidepdf.com/reader/full/l-etat-au-proche-orient-arabe-entre-communautarisme-clientelisme-mondialisation 22/22

L’Etat au Proche-Orient arabe entre communautarisme, clientélisme, mondialisation et proj (...) 22

de la montée d’une opposition islamiste qui investi les collectivités locales. Dans les trois payssur lesquels portent plus précisément cette étude, l’action des Etats est de plus en plus réduitepar la permanence des modes d’organisation communautaire au sens large qui s’exprimentofficiellement au Liban, officieusement en Syrie et en Jordanie, ainsi que par la mondialisationéconomique. A terme cette déliquescence interne de l’Etat et le projet de Grand Moyen Orientaméricain peuvent conduire à des partitions territoriales. Mots clés :  clientélisme, communautarisme, Jordanie, Liban, Syrie, Proche-Orient, mondialisation

 

In The Middle East broke, the Lebanese historian Georges Corm, explains that this region is ina historical process of State fragmentation. Lebanon is the best example of this phenomenon.The Lebanese state has disappeared during the civil war (1975-1990) for the benefit of militiasto reappear under foreign control in the early 1990’s. But the territorial fragmentation oncommunity bases and clan is a powerful reality that the "reconstruction” of Lebanon hasfailed to remove. Syria appears like a strong central state, exempt for community problems.This view is misleading because the community cleavages exist. They are just hidden by theBaathist regime, which masks his Alawite character by official communitarianism negation.But Alawite support is necessary for Bashar El Assad regime. Today, the Alawite community

no longer enjoys the same privileges as in the past. The economic integration of Syria inthe sphere of the Arab Gulf is more beneficial to the Sunni bourgeoisie to which BasharEl Assad regime multiply openings. In Jordan, ethnic homogeneity seems to protect the

country from community-based fragmentation but not the rise of an Islamist opposition thatlocal governments invested. In the three countries which relate specifically to this study, thestate action is increasingly reduced by the permanent modes of community organization whoformally expressed in Lebanon, Syria and informally in Jordan and by economic globalization.Eventually this internal withering of the State and the American project of Greater MiddleEast may lead to territorial partition. Keywords :  Middle East, Syria, Lebanon, Jordan, communitarianism, clientelism, globalization.