26
L'avenir de la Théologie Pour conclure un ouvrage qui se propose de faire le bilan de la théologie chrétienne au XX e siècle, il s'impose assurément de regarder vers l'avant pour se demander quel avenir on peut escompter pour cette théologie au cours des prochaines décennies. Dans ce qui suit, on aura souvent l'impression que nous ne parlons ici que de l'avenir de la théologie catholique. En effet, celui qui fait des prévisions sur la base de ses convictions et de ses vœux concrets ne se risquera pas à parler pour toutes les théologies, J'ai cependant des raisons de penser que les réflexions qu'on va lire comportent maintes relations avec les théologies non-catholiques et que mu-tatis mutandis leur « affaire » entre aussi dans notre considération. Certaines situations du christianisme d'aujourd'hui, qui ont été décrites par Vatican II par exemple (qu'on pense à l'introduction de Gawîium et Spes), vont sûrement perdurer. Or elles contribuent aussi à déterminer la théologie du christianisme. Bon nombre de tâches auxquelles la théologie de toutes les Eglises s'est attachée et consacrée depuis toujours ou auxquelles elle vient de s'attaquer doivent continuer à être menées. A partir de la. et de bien d'autres éléments, il est naturellement possible de dire quelque chose de la théologie future, sur quelques points du moins, d'énoncer des prévisions, des souhaits et des près sentiments- N.d.l.R. Les pages de K. Raliner, traduites par A. Sohier, que nous pré- sentons ici à nos lecteurs, paraîtront par manière de conclusion, dans le second et dernier volume du Bilan, de Sa Théologie au XX' siècle, publié par les Editions Casterman. Le tome 1 a paru en 1.970 ; le tome II sortira de presse prochainement. La direction de la revue tient à exprimer sa gratitude à l'auteur et: aux éditeurs. Les chiffres entre parenthèses qu'on rencontrera dans le texte renvoient à la bibliographie, p. 28.

Karl Rahner - L'avenir de la Théologie. Nouv. Rev. Théol. 1971

Embed Size (px)

Citation preview

  • L'avenir de la Thologie

    Pour conclure un ouvrage qui se propose de faire le bilan de lathologie chrtienne au XXe sicle, il s'impose assurment de regardervers l'avant pour se demander quel avenir on peut escompter pourcette thologie au cours des prochaines dcennies. Dans ce qui suit,on aura souvent l'impression que nous ne parlons ici que de l'avenirde la thologie catholique. En effet, celui qui fait des prvisions surla base de ses convictions et de ses vux concrets ne se risquerapas parler pour toutes les thologies, J'ai cependant des raisons depenser que les rflexions qu'on va lire comportent maintes relationsavec les thologies non-catholiques et que mu-tatis mutandis leur affaire entre aussi dans notre considration.

    Certaines situations du christianisme d'aujourd'hui, qui ont tdcrites par Vatican II par exemple (qu'on pense l'introduction deGawium et Spes), vont srement perdurer. Or elles contribuentaussi dterminer la thologie du christianisme. Bon nombre detches auxquelles la thologie de toutes les Eglises s'est attache etconsacre depuis toujours ou auxquelles elle vient de s'attaquer doiventcontinuer tre menes. A partir de la. et de bien d'autres lments,il est naturellement possible de dire quelque chose de la thologiefuture, sur quelques points du moins, d'noncer des prvisions, dessouhaits et des prs sentiments-

    N.d.l.R. Les pages de K. Raliner, traduites par A. Sohier, que nous pr-sentons ici nos lecteurs, paratront par manire de conclusion, dans le secondet dernier volume du Bilan, de Sa Thologie au XX' sicle, publi par lesEditions Casterman. Le tome 1 a paru en 1.970 ; le tome II sortira de presseprochainement. La direction de la revue tient exprimer sa gratitude l'auteuret: aux diteurs.

    Les chiffres entre parenthses qu'on rencontrera dans le texte renvoient la bibliographie, p. 28.

  • 4 E. RAHXliR, SJ.

    7a avenir inconnu.Mais ce qu'un thologien se doit de dclarer tout d'abord en ce

    qui concerne cet avenir, c'est, me semble-t-il, qu'il demeure finale-ment inconnu non seulement pour des raisons de fait, mais encorepour des raisons de droit. Le christianisme est, au total, en quelquesorte gardien de la < docta ignorantia futuri pour l'histoire del'humanit en gnral (4). Il est la critique la plus radicale de lapossibilit et de la lgitimit d'une planification absolue de l'histoire,parce que celle-ci serait la fin de l'histoire mme. L'Eglise doit doncaussi se dire toujours clairement elle-mme qu'elle vit dans l'histoireet que l'avenir de celle-ci reste cach, quels que soient d'ailleurs lapossibilit et le devoir d'une certaine planification.

    Il faut en dire autant de l'histoire future de sa 'thologie. Jusqu'ici,celle-ci n'a pas fait l'objet de plan vritable ; il est sans doute pos-sible et souhaitable, pour l'avenir, de se proccuper davantage de laplanifier, d'institutionaliser cette planification et donc d'tablir pourla thologie une certaine futurologie thorique et pratique. Maisl'avenir de la thologie dans son ensemble et longue porte restecach l'Eglise. Et ce, par principe mme. Ce qui prcde peutparatre assez vident ; cela n'en prsente pas moins une importancepratique.

    La thologie (avec l'Eglise qui y contribue) pourrait, sur le modede planification adopt dans le domaine d'autres sciences et pourautant que cela puisse s'appliquer elle, se proposer des buts de re-cherche, former des quipes, s'assurer les ressources financires re-quises (en rencontrant, il faut l'esprer, plus de gnrosit et decomprhension que ce n'a t le cas le plus souvent jusqu'ici) ; desrevues internationales de tholog-ie devraient publier non pas simple-ment des articles ns sans plan prtabli, tels qu'ils arrivent ; onpourrait former Rome une Commission Internationale de Thologiese proposant des tches bien dtermines, projeter des ditions degroupes entiers de littrature thologique antrieure, tablies selondes principes modernes certaines sont dj en cours d'excu-tion , utiliser mme en thologie certains des moyens techniquesles plus modernes, jusqu'aux ordinateurs pour des statistiques devocabulaire, pour des analyses de style peut-tre, pour des recherchesd'histoire des concepts : tout cela est trs digne Dloges et, au fond,va de soi. Encore que la question se pose de savoir dans quelle mesurela situation financire de l'Eglise de l'avenir permettra rellementcette faon de se tenir au niveau de a science moderne sous l'angletechnique.

    Mais cela ne doit pas faire illusion sur le fait que l'avenir de lathologie reste inconnu. L'Eglise et la thologie ne tirent pas leur

  • I/AVINIR DU I.A SOLOOIB 5

    essence permanente de l'histoire gnrale de l'humanit. L'histoirede l'Eglise et de la thologie est essentiellement une raction de l'uneet l'autre la situation historique du monde qu'elles doivent serviret dont elles contribuent dterminer la situation dans une certainemesure, sans pouvoir cependant la modifier leur gr.

    Remarquons qu'en parlant ici de < raction , nous ne disons rien, dedfavorable pour l'Eglise et la thologie. En effet, 1 raction * signifiegalement une action rflchie et: responsable en prsence d'une situationdonne, si bien qu'il ne peut y avoir dans le domaine humain aucuneaction qui ne soit en rnme temps raction ; de la sorte, la faon- dontl'Eglise ragit sa situation reste une question ouverte. 2 L'Eglisesait que la situation profane o elle se trouve est voulue, au fond, parle Seigneur de l'histoire qu'elle sert et qu'elle doit reconnatre commeplus grand qu'elle-mme, tout 'en ne se considrant pas elle-mme commeune gouvernante tablie par lui pour dcider totalitairement de tout.Et 3", toute raction signifie aussi une dtermination de la situationmme laquelle l'Eglise ragit.

    Indpendamment de ce que l'Esprit de l'Eglise, qui la dirige sanstre dirig par elle, dispose librement des choses et est matre de sonhistoire en toute libert, l'histoire de l'Eglise et de sa thologie restecache en raison d seul fait dj que l'histoire du monde reste in-connue fondamentalement en dpit de toutes les planifications et futurologies . Mais ceci comporte des consquences pratiques. Nila thologie elle-mme, ni le magistre ecclsiastique ne devraienttrop se proccuper de planifier et de diriger la thologie. Les rsultatsseraient maigres.

    Il ne faudrait pas non plus vouloir organiser trop vite et sansrflexion la thologie en entreprises mammouths de mode institution-nel. Il en sortirait sans doute beaucoup d'agitation et peu d'Esprit.Je n'affirme pas ceci sans fondement. C'est ainsi, par exemple, qu'la premire session de la Commission Thologique Internationale Rome, on a dclar, contre mon avis, que la mission de cette Com-mission embrassait l'ensemble de la thologie, ou du moins ses thmesfondamentaux pris dans toute leur ampleur. La thologie ne peuttre faite rellement que par la thologie elle-mme, et elle n'aurajamais un tat-major de planification totalitaire et autoritaire. Lemagistre ecclsiastique lui-mme n'a jamais lev pareille prtentionet l'avenir cela lui sera moins possible encore. Cela ne ferait de mal personne qu' l'avenir, l'Eglise, et en elle la thologie, soit le lieuo l'on puisse attendre et saluer, plus que partout ailleurs, les surprisesd'un esprit librement crateur. La thologie doit, contre les durcis-sements idologiques qu'on pourrait donner sa faon de se com-prendre elle-mme, rester l'avenir la gardienne, de la doca igno-rantia theologiae fuurae^ C'est prcisment parce que, l'oppos destemps anciens, il est possible dsormais de tenter l'exprience de la

  • 6 K, RAHTL:R, S.J,

    planification intgrale, qu'il tait ncessaire d'noncer cette videnceen entamant cette tude.

    En dpit du fait que son avenir reste cach, la thologie croitqu'elle continuera encore garder son identit : il est de son essencemme de porter cette foi et cette esprance. Il n'y a pas lieu de diregrand-chose ce sujet, car il ne nous est pas loisible de prsenterici une thologie de l'essence de la thologie. Il semble cependantimportant de souligner, dans ce contexte-ci, que cette identit de lathologie avec elle-mme, justement, ne la met pas l'abri des sur-prises de son avenir inconnu. En effet, la manire dont elle demeureradans l'avenir identique son propre pass ne rsultera pas simple-ment d'une essence permanente, dpourvue de toute histoire propre-ment dite, mais de la vritable histoire de cette essence mme-

    Ainsi donc, si l'on dit par exemple (5), et avec raison, que cettethologie chrtienne doit demeurer lie la Rvlation de Jsus-Christ ; qu'elle doit partir de l'Ecriture et de l'intelligence de foi del'Eglise ; qu'elle est une thologie ecclsiale lie mais avec uneattitude critique au magistre ecclsiastique ; qu'il ne lui est paspermis de perdre sa relation vivante avec le krygme de l'Eglise ;qu'elle est la fois et indissolublement positive, historique et cepen-dant authentiquement spculative ; qu'elle ne peut pas s'loignertrop de cette thologie qu'on a appele

  • T/AVBMIB DS LA THAOLOQI 7

    une futurologie de la thologie, on n'en arriverait qu'aux programmesde travail des diverses disciplines thologiques : cela leur est djconnu, et il n'v a pas lieu de le dvelopper ici. Ou bien cette analyseaboutirait de nouveau la- question de savoir comment dterminer latendance fondamentale de la thologie future.

    C'est pourquoi nous risquerons tout d'abord la proposition suivante :la thologie future de l'Eglise sera de moins en moins la thologied'une socit particulire lie une culture rgionale, comme elle l'at jusqu'ici. En d'autres termes : la thologie de l'Eglise (ou desEglises) sera la thologie d'une Eglise universelle qui ne pourraplus s'appuyer nulle part, comme si la chose allait de soi, sur uneculture dtermine ; d'une Eglise universelle qui ne sera plus nullepart une ralit qui, du point de vue social et culturel, ira de soi dansla socit de type rgional et que cette socit dfendra comme sonbien propre et sa tradition. Ce sera donc la thologie d'une Egliseuniverselle qui sera aussi partout (encore que dans des mesures trsvariables) une Eglise de diaspora et qui devra s'affirmer par sapropre force au sein d'un monde sculier et neutre (dans le cas leplus favorable).

    Cette condition sociale de l'Eglise, et donc aussi de sa thologie,me parat, certes, pour une bonne part, dj ralit ; elle semble nepouvoir que se dvelopper dans un monde rationnel et technicis ;elle me parat en train de devenir pure vidence pour le proche avenir,

    Dans tous les cas, nous ne pouvons ici discuter avec les chrtienset les thologiens qui estiment qu'il y aura bien encore l'avenir,dans plusieurs grands territoires du monde, des socits qui, dansleur ensemble, comme milieu, porteront Fempreinte chrtienne oucatholique au sens auquel nous tions habitus jusqu'ici.

    Si une telle socit, sculire dans son ensemble, pourrait tre dter-mine simultanment, en un sens tout autre et nouveau, de faon trsradicalement chrtienne mais anonymement, c'est une question toutediffrente qui ne peut tre traite ici-

    Nous avons donc nous occuper ici simplement du problme desavoir ce que signifiera pour la thologie de l'avenir la situationsociale future qu'on vient de prsupposer pour l'Eglise et la thologie.Il est d'ailleurs vident que pareille question pourrait recevoir unerponse beaucoup plus pertinente et vraisemblable de la part d'unspcialiste de la sociologie et de la futurologie (pour autant qu'ilentende aussi quelque chose la thologie), que celle qui est tenteici par un pur thologien.

    Il est vident qu'on ne peut analyser et dcrire ici de plus prs etpour lui-mme ce monde pluraliste, scularis, rationnel, technologiqueen tant que milieu o se situera la thologie future. Soulignons-le seule-

  • 8 K. SAUNER, 5.J.

    ment encore : il ne suffit pas qu'un clerc en parle pour qu'il y vive djrellement. Mais c'est seulement s'il y vit aztssi (ce qui ne veut pas direqu'il s'identifie avec 1m sous tous rapports), qu'il peut crire la thologiedont l'avenir a besoin. Pour assumer de la sorte la situation sociologiqueet spirituelle, il ne suffit pas de connatre les opinions trangres, quirestent aussi loin de l'intress que, pour un Europen moyen, la con-naissance de la mdecine tibtaine qu'il aurait reue par intermdiaire ;mais il faut encore pouvoir participer de faon non-rflexive au senti-ment vital d'un homme de demain qui n'est pas chrtien ; d'un hommequi, par exemple, s'tonne d'entendre sonner les cloches le dimanchematin, de voir dans la rue les habits religieux, qui lui font l'impression decostumes folkloriques ; d'un homme qui Rome, avec ses innombrablesclercs aux habits si divers et ses multiples glises, n'apparat pas commeune < ville sainte , mais qui prouve en la voyant a peu prs ce queressent un Europen visitant Lhassa, ,en touriste, et ainsi de suite. Natu-rellement, pareil chrtien ne veut pas voir confondre le scandale de safoi, qu'il supporte volontiers, avec le scandale que provoque une culturepasse qui n'est plus la sienne non plus. Il ne considrera pas un cardinal(s'il en est encore de cette espce) comme plus important pour sonEglise et sa vie, si celui-ci veut encore se produire dans son uniforme traditionnel (sans tomber pour autant dans un fanatisme de la dsacra-lisation , qui ne serait pas moderne, mais inhumain). Et ainsi de suite :exemples, qu'il ne vaut pas. la peine de discuter ien dtail ; ils doiventseulement faire comprendre dans quelle situation la thologie de demaindevra vivre, elle aussi. Mais sans cette faon vraiment vivante de sentirla situation, les exemples qu'il faudra donner bientt brivement pourla thologie mme resteraient aussi incomprhensibles.

    Soulignons encore une fois expressment que nous ne pouvons guretraiter que de la thologie en gnral. Sans vouloir nier ni la nces-sit, ni l'importance d'autres disciplines thologiques, nous nous int-ressons donc surtout celles qui sont le plus intimement en connexionavec le mandat de proclamation missionnaire de l'Eglise.

    Caractristiques gnrales et formelles

    1. Pluralisme.

    La thologie de l'avenir sera une thologie pluraliste (6), mme si,videmment, elle doit assurer l'unit confessionnelle de l'Eglise. Nousn'affirmons pas par l que ce pluralisme doive tre apprci en soicomme quelque chose de particulirement rjouissant, mme si saine-ment compris et vcu sans anarchie il peut, bien sr, manifester quel-que chose de la richesse de l'Eglise. Ce pluralisme, nous le considronstout simplement comme un fait.

    Est-il vrai que l'Eglise est ou sera une Eglise universelle et ce,non seulement dans le sens d'une universalit gographique, maisaussi (ce qui sera peut-tre bientt beaucoup plus important pour

  • L'AVENIR DB LA THOI.OGII 9

    gu l'Eglise soit rellement fidle son mandat missionnaire) dansle sens d'une relation authentique, sans prjug, avec la pluralitdes modes de vie des hommes dans un mme domaine gographique ?Est-il vrai que les milieux ecclsiastiques ne pourront plus dprcierces diffrents modes de vie aussi vite qu'on le faisait auparavanten faveur d'une couche sociale particulire dont la marque tait sur-tout paysanne et petite-bourgeoise (comme ce fut le cas pendant lescent dernires annes)?

    Bien entendu, il appartient au sociologue et au spcialiste de la futu-rologie, et non, au thologien, de prendre position, sur l'ventualit quepropose cette interrogation. Mais mme si nous supposons que la civili-sation de masse du genre rationnel, technique et cyberntique, qui s'edessine de mieux en mieux, sera fort uniformisante et niveleuse, il est prsumer qu'elle offrira encore pour l'individu beaucoup de chancesde libert qu'il n'a pas eues prcdemment pour la dtermination de sonmode de vie, encore que ces divers styles de vie s'difieront tous surcette civilisation technique.

    Parmi les divers styles de vie offerts chaque individu au sein d'unesocit pluraliste, un certain nombre assurment seront, en tout ou enpartie, antichrtiens, ils relveront des vices des paens. Et face cela, les chrtiens devront dvelopper le courage tout nouveau d'un in-dispensable non-conformisme. Mais il y aura aussi des modes de viequi nous paraissent encore aujourd'hui impossibles , non chrtiens,mais qui admettront pourtant parfaitement: en leur sein une intgrationde la foi chrtienne. Tout comme, autrefois, on estimait que professerle christianisme tait, pour un comdien, la quadrature du cercle. Sanslan missionnaire, nous sommes trop vite enclins considrer certainescouches ou certains groupes sociaux comme plus ou moins impropresau christianisme. Mais souvent, ils ne sont impropres qu' la versiontrs limite du christianisme que nous estimons la seule possible. Toutcela trouve aussi son prolongement dans la thologie.

    Si les choses sont bien telles que nous venons de les suggrer, lathologie de l'Eglise aura les points de dpart, les horizons de pense,les modles de reprsentation les plus varis, les apprciations lesplus diverses de la distinction entre ce qui est vident et ce qui nel'est pas ; ce seront l des prsupposs de la pense thologtque quine pourront, dans le concret et en pratique, tre ramens l'unitd'un systme et qui, pour ce motif prcisment, appelleront unegale pluralit de thologies qu'il ne sera plus possible de dpasseradquatement pour aboutir une thologie.

    Ces thologies seront essentiellement diffrentes les unes des autresdans leurs approches, dans ce qui ne peut jamais se rflchir ad-quatement du point de vue philosophique, scientifique et sociologique,dans leur mode de pense, dans le dosage de leurs intrts, dans leurterminologie. Il est vident que par l la question de la relation de lathologie au magistre ecclsiastique, aux formules de foi communeset la vie culturelle commune' se trouve pose en des termes tout

  • 10 K, RAHNBR, S.J.

    nouveaux beaucoup d'gards : elle deviendra mme de nouveau unproblme expressment pos dans ces thologies.

    De mme, il est vident que ces thologies doivent rester en dia-logue les unes avec les autres ; et ce, non pas simplement en raisonde l'unit de l'Eglise et de sa confession de foi, mais aussi parceque les situations spirituelles profanes qui conditionnent ce pluralismethologique 'se trouvent toujours en interdpendance et en interfrencemutuelles.

    Condition et consquence de ce pluralisme : aucune de ces tholo-gies ne possde plus la possibilit de dvelopper adquatement et ex-plicitement du point de vue de la thologie fondamentale fous lesprsupposs idologiques {wetanschaultch} donns par la situationprofane de la socit pluraliste et de l'individu ; aucun homme, eneffet, n'a plus le temps ni la capacit intellectuelle de s'assimilertoutes ces thologies. Chacune de celles-ci doit et bon droit avoir le courage d'tre non-scientifique en un certain sens et dansune certaine mesure. Mais elle doit aussi rendre la chose manifesteet lgitimer explicitement, d'une manire qui lui est propre (ou, sil'on veut, de faon transcendantale), ce droit qui lui revient, ce quiest parfaitement possible. Ne serait-ce que parce qu'aucun hommene vit et ne peut vivre uniquement de ce qu'il a lgitim devant saconscience dans une rflexion scientifique au sens des sciences ac-tuelles.

    2. Caractre mysiagogique et missionnaire.

    La thologie de l'avenir aura, de faon plus immdiate que celledu pass, un caractre mystagogique et missionnaire. Elle n'abandon-nera plus, autant que dans les sicles prcdents, cette mystagogiemissionnaire la pratique elle-mme et la littrature asctique etmystique.

    A cet gard, la thologie de l'poque patristique et du haut moyenge pourrait peut-tre redevenir un exemple. Assurment:, il faudrait alorstenir compte de la ncessit actuelle d'un langage < plus abstrait, plusformel que celui d'alors. Naturellement, ce que nous; venons de direne donne pas encore du tout une vue vritable sur la question de l'avenirdu livre religieux.

    En effet, si l'Eglise, l'avenir, n'est plus porte par la traditionspontane de la socit profane en tant que partie intgrante decelle-ci, si l'Eglise de masse {V okskirche) se transforme en uneEglise de croyants mus par leur dcision personnelle (nous simpli-fions un peu, bien sr), si la thologie doit servir la proclamationet ne peut absolument pas, dans cette situation nouvelle, s'en remettrepour une bonne part l'usage traditionnel et la pression sociale

  • 1,'AVTNIB Dit XA THOLOGIS 11

    pour raliser ce service, ainsi qu'elle l'a fait jusqu'ici, alors la tho-logie (ou les thologies) doit tre beaucoup plus missionnaire etmystagogique qu'elle n'a d l'tre jusqu' prsent. Je ne crois pasque l o la thologie reste vivante, elle ait encore le loisir, la fan-taisie ou mme le droit d'crire des ouvrages sur la Trinit aussipais que, par exemple, celui d'un Ruiz de Montoya. Dans le combatpermanent o il y va de son existence au sein d'une socit scularise,la thologie devra inluctablement poser et rsoudre d'une faon sanscesse renouvele, qui l'absorbera tout entire, les ultimes questionsd'une dcision personnelle pour Dieu, pour Jsus-Christ et (en unsens fort second, naturellement) pour l'Eglise.

    Ceci ne signifie point, videmment, qu'il ne faille pas aussi seconsacrer intensment, la dogmatique spciale , ainsi que nousaurons encore l'occasion de le dire. Mais cela doit se faire en rf-rence trs explicite aux questions ultimes que l'on confie aujourd'hui la thologie.

    Mystagogique signifie que la fides- quae ne peut s'exprimer aujour-d'hui qu'en union trs explicitement vise avec la fides qua. Certes,ce n'est pas l'intrt de l'homme moderne, tel que le propose etl'tablit n'importe quelle fantaisie, qui sera le critre de ce dont ondoit s'occuper en thologie. Mais si tout ce qui est objectiv concep-tuellement en thologie possde un rapport la communication queDieu fait de lui-mme l'intime de chaque homme, la f i d e s qua peutet doit tre un thme toujours prsent en dogmatique et ce, selonles diverses particularits qui se rencontrent.

    Cela veut dire ceci : ce n'est pas seulement par un pieux intrtdont la mouvance serait au fond extrieure la thologie proprementdite qu'il y a lieu de se demander partout dans la dogmatique :Qu'est-ce que cela signifie pour moi (et pour la socit)? En quoicela m'importe-t-il proprement ? Comment puis-je vraiment croirecela ? Si l'on pose ces questions, et si le thologien ne vit pas ens'identifiant d'une faon dpasse avec un groupe social chrtienfort limit, qui se restreint sans cesse tout en gardant l'allure d'unghetto, la thologie deviendra d'elle-mme tout autre qu'elle n'a tjusqu' prsent. Elle deviendra d'elle-mme plus mystagogique etplus missionnaire, ce qui, dans la situation prsente et future, concidede fait. Il faudrait videmment illustrer par des exemples ce quenous voulons dire ,; mais ce n'est pas possible ici.

    Il suffit cependant de lire dans les manuels le trait de Dieu, oula christologie dogmatique, ou mme une bonne part de la thologiemorale, pour avoir l'impression irrpressible qu'on y explique etprouve quelque chose dont l'auteur n'a jamais dout srieusement.Or cela signifie que l'auteur est port, sans le remarquer lui-mme,par l' idologie encore relativement assure de son groupe social

  • 12 Z. KABJfBR, B.J.

    demeur chrtien. D'o lui viendrait, sinon, la conviction que sesarguments par trop concluants possdent une telle force probante ?Certes, il n'est pas ncessaire qu'un thologien, pour tre valable,ait t saisi par le doute an sens o la thologie morale parle d'undoute coupable contre la foi. Mais comment un thologien crirait-ilde la thologie qui puisse tre efficace du point de vue missionnaireet mystagogique, s'il ne vivait pas de faon permanente en sympathieintime avec les hommes auxquels proprement il s'adresse, c'est--direceux qui sont seulement en route vers la foi et l'on en trouvebeaucoup parmi ceux qui se tiennent, sous l'angle social, pour debons chrtiens et catholiques ? Cependant pareil contact n'existe pasencore quand on rencontre ici ou l des non-chrtiens, la faondont Je connais par exemple un hindou et un bouddhiste Zen, oubien comme vous rencontrez aujourd'hui quelqu'un dans une cr-monie civile, idologiquement neutre, o personne ne parle de chosesreligieuses et o personne n'a la plus mince intention de convertir l'autre.

    3. Dmythologsation.

    La thologie venir doit tre une thologie dmythologisante .J'ai parfaitement conscience de ce que ce mot est grev, qu'il a reude Bultmann un sens qui n'est gure acceptable du point de vuecatholique, mme si, par ailleurs, la thologie' a dmythologis depuis toujours, commencer par le Nouveau Testament lui-mme.Mais comment s'exprimer autrement sans avoir recours une for-mule qui deviendrait le mol oreiller d'une thologie tranquille, secontentant de poursuivre son petit bonhomme de chemin, en liaisonavec cette chrtient traditionnelle qui continue d'exister des degrsdivers dans les diffrents pays.

    Par dmythologisation , on ne vise ici rien d'autre que la ten-tative de veiller ce que les noncs de foi proclams jadis se fassententendre de faon croyable et recevable pour les hommes d'aujour-d'hui. Mais cette tentative-l, il faut l'assumer dans toute sa radi-cait. A cette fin la thologie doit tout d'abord raliser un travailpralable. Il faut dire en toute franchise que les noncs de foitraditionnels sont inadquats, pour une bonne part, tout le moinspour ce qui est avant tout ncessaire : la proclamation de la foi. Ouen tout cas ils le deviennent de plus en plus. Bien entendu, ils restent prcisment pour la thologie un point de dpart et unenorme. Mais si la thologie veut tre au service de la proclamation,les formulations traditionnelles de la foi ne peuvent tre le point d'abou-tissement de la rflexion thoogique de la manire dont elles l'taientjusqu'ici. Et il ne faut plus que ces noncs qui servaient de point

  • L'AVttNIR DB U THOLOQIl 13

    de dpart et de point d'aboutissement la thologie constituent eux seuls, moyennant une ou deux explications, le contenu de laproclamation.

    Les formulations traditionnelles de la -foi, les dclarations ant-rieures du magistre ecclsiastique qui ont force de dfinitions, con-tinueront d'tre l'avenir non seulement le point de dpart et lanorme de la thologie et de la proclamation, mais aussi leur pointd'aboutissement, d'autant plus qu'ils ne peuvent tre totalement sup-prims dans le culte. Mais ce sera sous la forme suivante ; on for-mulera un nouvel nonc thologique et on ajoutera : voil ce qu'onvoulait dire autrefois lorsqu'on disait ceci ou cela, voil ce qu'onveut dire dans telle ou telle formule du culte. Pareille dmytho-logisation est possible au sein d'une orthodoxie sans ambigut.C'est l une conviction qui doit soutenir la thologie catholique. Latche est peut-tre difficile, elle est peine entame, mais elle estpossible.

    En d'autres mots : la proclamation et le culte ont vcu plus oumoins des noncs de la foi traditionnels, tels qu'ils s'taient formsau cours des quinze premiers sicles du christianisme dans une situa-tion relativement homogne du point de vue intellectuel. Et sur cesformules, la gense desquelles elle contribuait du reste, la thologiecomposait une certaine musique d'accompagnement valeur expli-cative. Chez le chrtien normal (ainsi que le montre chaque cat-chisme), cette thologie ne prsentait gure d'importance pour lacomprhension et l'acceptation de la foi. Mais la thologie a mainte-nant pour premire tche c'est l une chose neuve de formulerde manire nouvelle le contenu de la foi (ce qui se fera dans unpluralisme de thologies au sein de l'unit de l'Eglise et de sa, con-fession de foi).

    La thologie, nous l'avons dit a dmythologis depuis toujours.Mais c'est aujourd'hui seulement que la dmythoogisation est devenueune tche qui doit tre consciemment poursuivie et qui ne peut treaccomplie que de faon pluraliste. Pour Thomas d'Aquin, par exem-ple, la seule question tait de savoir si Dieu existe, et non qui II estet ce qu'il est au Juste. Les choses ne sont plus aussi simples aujour-d'hui. Si l'on veut dvelopper actuellement une thorie chrtiennerelative Dieu, il faut d'abord amener progressivement l'interlocuteur comprendre d'une manire effective et vcue ce qu'on veut direpar le mot Dieu . Assurment, une dmarche de ce type se retrou-vait dj dans ce qu'on appelait nagure les preuves de Dieu et lathorie relative l'essence de Dieu. Ce n'est pourtant pas la mmechose. Car une trs grande part de ce qu'on disait sans gure y insisterau sujet de l'essence de Dieu et de sa relation avec le monde dansla thiologie savante et que, le plus souvent, on ne prsentait pas du

  • 14 K. RAHN^R, S,J.

    tout au chrtien moyen (ainsi, que Dieu est responsable, d'unefaon trs spciale, du mal dans le monde), doit tre pris en con-sidration aujourd'hui ds le premier abord dans cette doctrine mysta-gogique de Dieu. Ou alors, nouveau, nous prsupposons ou in-sinuons une reprsentation de Dieu qui apparat inacceptable l'hom-me d'aujourd'hui, parce qu'elle fait de Dieu un moment particulierdu monde lui-mme.

    Une thologie sainement dmythologi sant devrait se rendrecompte que des propositions comme : il y a trois Personnes en Dieu Dieu a envoy son Fils dans le monde nous sommes sauvspar le sang de Jsus-Christ, sont purement et simplement incompr-hensibles pour un homme d'aujourd'hui, si elles restent, sur e modeancien de la thologie et de la proclamation, le point de dpart et lepoint d'aboutissement de l'nonc chrtien. Elles font la mme im-pression que la pure mythologie dans une religion du temps pass.Naturellement, il faudrait encore expliquer et faire comprendre cetteaffirmation nombre de chrtiens et de thologiens d'aujourd'hui.Ce n'est pas loisible ici. On ne peut qu'indiquer, par une simpleallusion ces exemples, quelles exigences svres la thologie venir est radicalement soumise.

    Il est d'ailleurs inutile, dans un tel contexte, d'en appeler unique-ment au caractre mystrieux de ces noncs fondamentaux. Toutd'abord, le mystre n'est pas l pour servir d'alibi commode laparesse de pense d'une thologie qui continue d'utiliser uniquementle langage traditionnel. Et d'autre part, ce qu'il faudrait prcismentmontrer, c'est comment ces mystres ont un rapport interne avecle mystre fondamental que l'homme vit rellement au trfonds deson tre, qu'il peut dcouvrir et vrifier en un certain sens-

    La dmythologi sation laquelle nous pensons n'a, dans les r-sultats qu'elle vise, pour ainsi dire rien voir avec ce que Bultmannlaisse subsister dans son interprtation existentiale du christianisme(encore que cela soit peut-tre beaucoup plus que ne le pensaientdes critiques trop presss). Ce qui est dcisif dans cette exigence,pour le dire encore une fois, c'est la conviction qu'en dpit de l'identitde la foi chrtienne hier et aujourd'hui, ^expression de la f o i dansla proclamation elle-mme apparatra l'avenir essentiellement autreque prcdemment dans sa conceptualit, ses connexions et ses perspec-tives. C'est pour cela que la thologie doit travailler, en se reportantsans cesse, bien entendu, l'Ecriture et aux noncs contraignantsdu magistre de l'Eglise du pass. Cette rfrence est d'abord la tchede la thologie et probablement de faon trs secondaire seulementl'affaire de la proclamation elle-mme : dans la mesure o l'exigentles formulations du culte, qui voluent selon leur propre tempo.Cette proclamation confessera la foi du christianisme d'une manire

  • l/AVBNIlt DB U TS&OMSt 15

    globale, sans s'exprimer constamment (comme la prdication et lescatchismes l'ont fait jusqu'ici) sur le mode des anciennes formulesde confession de foi. Il est impossible de renoncer, par exemple, ce qu'on voulait proprement dire par les deux natures et l'unionhypostatique en christologie, par la transsubstantiation, etc. Le tho-logien ne pourra jamais se dispenser d'tudier ces termes du pointde vue de leur histoire et de leur contenu. Mais est-il sr que, danscinquante ans, la prdication devra utiliser ces termes ? D'aucunsne se lassent pas de rpter qu'il s'agit l d'expressions qui se sontcertes forges au cours de l'histoire, mais qu'on ne peut plus dpasserou remplacer mantenan, parce qu'elles rpondent un sens communphilosophique. Ils n'ont pas pour autant dmontr qu'il .en est bienainsi.

    4. Thologie transcendantae.

    La thologie de l'avenir sera beaucoup plus explicitement que parle pass une thologie transcendantae (11). Cela ne veut pas direqu'une thologie transcendantae s'tablit comme le tout de la tho-logie. Ni non plus que, privatisant la foi chrtienne par la philosophieindividualiste d'un sujet monadique, elle nglige le fait que lafoi chrtienne a une porte sociale qui est tout aussi originelle queson souci du salut de l'individu. En ce sens du moins, la thologietranscendantae est une thologie politique . La thologie transcen-dantae a des limites. Mais ces limites, c'est elle-mme qui se lesassigne. Elle comprend en effet qu'un homme ne peut pas vivreseulement d'une mtaphysique de l'essence, ni mme d'une philosophiede son historicit ; qu'il ne peut vivre qu'en endurant son histoireet qu'en la faisant de faon responsable. Or l'histoire n'est jamaisrflchie adquatement par la raison thorique, ni dans son mouve-ment prospectif ni dans son regard rtrospectif. Cependant, il doity avoir l'avenir une thologie transcendantae dveloppe avec plusde rflexion et de mthode.

    Cette thologie transcendantae n'est pas la simple importation d'unephilosophie transcendantae en, thologie. Historiquement, il est pos-sible que la thologie transcendantae ait tir son point de dpartd'une telle philosophie ; cela n'a rien de scandaleux. Mais l'approchequi est propre une thologie transcendantae est authentiquementthologique. En effet, la thologie s'enquiert du salut de l'hommeen tant que celui-ci consiste en la communication de Dieu par lui-mme, et proprement de rien d'autre. Cet homme est sujet au sensstrict du mot ; il n'est pas un objet parmi les objets. Le salut ne' secomprend ds lors que comme salut du sujet (et ceci vaut pour tous les'moments de ce salt). Mais comprendre ainsi cette ralit du salut,

  • 16 K. RAHNKR, S,J.

    c'est la comprendre de faon transcendantaleJ c'est--dire en relationavec le sujet transcendantal, lequel est transcendantal par nature ;et c'est prcisment dans cette constitution qu'elle est radicalise parce que nous appelons la grce.

    Tout cela n'a rien voir avec un faux anthropocentrisme tho-logique. C'est ce qui apparat immdiatement pour celui qui conoitl'homme en philosophie et en thologie comme le sujet d'uneorientation radicale vers le mystre absolu qui se communique lui-mme comme tel a. l'homme dans la grce, le mystre sans lequell'homme ne se trouve pas lui-mme, et qui s'appelle Dieu .

    On pourrait appeler thologie transcendantale cette sorte de tho-logie systmatique qui a) se sert de l'instrument d'une philosophietranscendantale et aussi b) traite plus explicitement qu'autrefois, etpas seulement de faon tout fait gnrale (ainsi que le fait la tho-logie fondamentale traditionnelle), des conditions a priori prsentesdans le sujet croyant pour la connaissance des vrits de foi fonda-mentales partir de problmatiques authentiquement thologiques.

    Cette approche ne peut tre videmment utilise l o la nature mmede l'objet, par avance et en principe, rend impossible qu'on y ait recourspour une connaissance thologique ; se trouvent ici viss les points pourlesquels l'homme doit se rendre compte qu'il a affaire, hic et Mtn-c, pourson salut lui-mme, avec ce qu'il y a d'inluctable dans une facticithistorique libre, et qu'il faut accepter cette dernire dans la foi commele salut en dpit de sa relativit .

    Il n'est pas possible de montrer ici par des exemples emprunts des dogmes fondamentaux particuliers du christianisme ce que cettethologie transcendantale peut et doit raliser. Pour cela, nous devonsrenvoyer d'autres travaux (11).

    Pour conclure, soulignons seulement que l'exigence d'une thologietranscendantale n'a pas pour indispensable fondement une formehistorique particulire de philosophie transcendantale. De la sorte,une thologie transcendantale ne doit pas tre une thologie parti-culire au sein du pluralisme des thologies, mats elle pourrait treune mthode et une tche qui se retrouveraient en toute thologie.

    Quelques particularits concrtes

    Aprs ces quatre caractristiques gnrales et formelles des tho-logies futures, indiquons encore, en un choix quelque peu arbitraire,quelques particularits plus concrtes de l'avenir de la thologie chr-tienne.

  • L'AVENIR DQ LA THOLOGIE 17

    1. Thologie biblique et historique.

    La thologie biblique et la thologie historique (histoire des dogmes)me semblent se trouver aujourd'hui dans une certaine crise. Natu-rellement, cela est vrai de la thologie historique un degr pluspouss que de la thologie biblique (exgse comprise, bien entendu).

    De la thologie historique il faut dire qu'elle subsistera toujourset conservera une mission importante. Ceci ne vaut pas seulementpour les points o subsiste bon droit une curiosit dsintressepour l'histoire comme telle, pour les points donc o l'on veut simple-ment savoir comment les choses ont t jadis, Ceci vaut aussi pourla thologie comme telle. En effet, la thologie doit toujours se rfreraux noncs proprement obligatoires du magistre des temps passs,qui restent une norme de la thologie aujourd'hui encore- Pour cesimple motif dj, la thologie doit tre une thologie historique. Deplus, on ne peut, en dfinitive, saisir de manire satisfaisante laporte et les limites de ces noncs du magistre qu'en les replaantdans tout leur contexte historique ; il faut donc que la thologiehistorique se rapporte l'ensemble de la pense thologique et qu'elles'occupe de l'histoire des dogmes et de la thologie travers tous lessicles. Jusqu'ici si je ne me trompe, on s'est consacr pour unebonne part cette thologie historique dans l'attente secrte ou ex-presse de pouvoir dcouvrir chez les Pres de l'Eglise ou chez lesthologiens du moyen ge, condition d'y regarder d'assez prs,des choses qui font partie de la foi de l'Eglise comme telle, et quise trouvent au-del de ce qui est dj garanti par le magistre, Jepense qu'il faudrait renoncer expressment cette pieuse superstitionqui repose sur une fausse conception de la Tradition. Et ceci vautmme pour les Pres les plus anciens. Evidemment, on peut dcouvrirchez eux de la thologie, et de la thologie qui peut nous apprendreencore beaucoup aujourd'hui mme. Mas il s'agit justement de tho-logie, et non, par soi seul, de thses dogmatiquement obligatoiresqui dpasseraient dj ce qui est dj connu et obligatoire de par !eagistre ecclsiastique. .

    Les temps couls ont certes, vu natre non seulement une histoirede la thologie, mais aussi une histoire des dogmes. Mais depuis lestout premiers Pres de l'Eglise, celle-ci n'est pas une histoire dedogmes thologiques particuliers, dont chacun aurait t transmiscomme dj complet en lui-mme, si bien qu'on pourrait encoredcouvrir de nouvelles propositions de cette sorte dans les volumesde Migne. Au contraire, cette histoire des dogmes est la partie del'histoire de la thologie qui commence ds le Nouveau Testamentpour devenir dcision irrvocable, dogme, dans la conscience croyantede l'Eglise. Il n'y'a^pas lieu de'trater ici la question de savoir pour-

  • 18 X. RAHNIR, S.J.

    quoi et comment il peut y avoir au sein de l'histoire de la thologieet partir d'elle une vritable histoire des dogmes. Ce qui importe, notre sens, c'est que l'histoire de la thologie ne peut se pratiquercomme une sorte de ratissage la recherche de mtaux prcieux(dogmes) encore cachs dans la mine de l'histoire de la thologie.Il faut au contraire la faire o) comme une faon de connatre le senset les limites des dogmes donns, car ceux-ci, probablement, nepeuvent plus augmenter en nombre par un travail de pure histoiredes dogmes ou de la thologie qui, partir de l'implicite, explici-terait de nouvelles donnes (6) (on ne conteste pas, par l, pourl'avenir, l'exercice du pouvoir magistriel de dfinition dans l'Eglise ;mais ce pouvoir s'exercera d'une autre faon) ; b} comme une d-duction du droit et des limites des grandes tapes historiques quel'histoire des dogmes a parcourues, selon l'expression de BernhardWelte (12).

    Ainsi la thologie qui travaille sur l'histoire ne sera pas tant aujour-d'hui une thologie amplificatrice (c'est--dire fournissant imm-diatement des matriaux neufs, soit comme nouveaux noncs dog-matiques contraignants, soit du moins comme points de dpart immdiatsen vue de tels noncs), qu'une thologie rductrice qui, sansimposer l'autorit formelle du magistre un surmenage qui ne sejustifie ni objectivement ni pdagogiquement (on ne conteste pascette autorit, mais elle s'appuie elle-mme sur des raisons qui laprcdent objectivement et existentiellern.ent et qu'il faut rendre ma-nifestes de faon sans cesse renouvele), ramne les multiples dcla-rations particulires de la foi ecclsale au noyau originel (encoreque transmis dans l'histoire) de la foi chrtienne.

    Pour illustrer la vanit de la recherche directe de matriaux neufs,rappelons par exemple que, lorsqu'on tait sur le point de dfinir ledogme de l'Assomption de la Sainte Vierge, on craignait d'avouer ouver-tement et clairement non seulement qu'il tait impossible de prouverhistoriquement que l'Assomption avait toujours t crue explicitementcomme une vrit de foi, mais encore que toute preuve ventuelle en cesens serait indubitablement fausse. On cherchait donc situer le plusloin possible dans le pass les tmoignages explicites d'une pieuse croyance ce sujet (par exemple Otto Faller) ; ou bien, par un ensemble detmoignages aussi exhaustif que possible, on tentait d'veiller l'impres-sion qu'il y avait bien une tradition dogmatique de tmoignages explicites,encore qu'on ne puisse pas la faire remonter tout fait jusqu'aux tempsapostoliques par manque de documents encore conservs .

    Les choses se prsentent de faon analogue, bien que diffrente,pour la partie de la thologie historique que nous appelons exgseet thologie biblique. Ce qu'on doit en dire est analogue, car nonseulement l'Ancien Testament, mais aussi le Nouveau ont une longuehistoire et l'on peut dcouvrir diffrentes thologies dans le Nouveau

  • I/AVKNXR DB U TEOWGIR 19

    Testament lui-mnie. Si l'on entend par dogme une proposition par-ticulire dtermine., formule telle quelle par le magistre et protgepar un anathme, on ne pourra probablement plus dcouvrir dansle Nouveau Testament de nouveaux dogmes, quoi qu'il en soit dufait qu'un dveloppement des dogmes , au sens prcis o il pour-rait encore se produire dans l'avenir, repartira toujours du NouveauTestament et y ramnera.

    Sans nier l'unit de l'< Ecriture compose de l'Ancien et du NouveauTestament, nous nous contentons ici d'une remarque sur le NouveauTestament parce qu'il est impossible d'en dire davantage et parce que,mme au sein de cette unit de l'Ecriture, on doit bien distinguer l'AncienTestament du Nouveau quant l'importance qu'il prsente pour la tho-logie chrtienne-

    Ced dit, nous visons toujours ici des propositions particulires nou-velles qui se trouveraient plus ou inoins telles quelles dans l'Ecrituremme et qui seraient ensuite dfinies par l'Eglise (aprs un travail ex-gtique prliminaire suffisant), parce que rvles. Peut-tre lesrflexions prsentes enfoncent-elles des portes ouvertes, mais j'ai pour-tant bien l'impression que la vieille thologie catholique conservatricecontinue encore travailler sur la base de ce prsuppos. Si on laissetomber ce prsuppos tacite, le travail de la thologie biblique ne devientpas moins important. Mais l'exgte et le thologien biblique se deman-dent alors s'il peuvent rpondre de leur propre thologie devant l'Ecri-ture, si l'Ecriture lewr dit quelque chose de nouveau pour leur thologie,ou si elle dit quelque chose de faon neuve, mais ce, au sein d'unpluralisme de thologies qu'ils dcouvrent, aujourd'hui seulement, djprsent depuis toujours dans l'Ecriture, sans qu'ils puissent l'intgrer defaon positivement adquate en un seul systme de la thologie.

    Mats la- situation est diffrente dans l'exgse et dans la tholog-iebiblique, parce que ^ensemble du Nouveau Testament restera lanorme critique permanente de la thologie et qu'on ne peut simple-ment en carter comme illgitimes (comme dans l'histoire de la tho-logie ultrieure) des morceaux, des thologies et des tendances d'vo-lution.

    Ceci ne rsout naturellement pas la question du canon dans lecanon , de la hirarchie des vrits dans le Nouveau Testamentlui-mme, des diffrences de niveaux dans le Nouveau Testament.Du ct catholique aussi, cette question peut tre pose ; mieux, ellesaute aux yeux. On devrait s'y attaquer avec beaucoup moins derticence qu'on ne le fait habituellement dans la thologie catholique.D'ailleurs, sous la dsignation d' analogia fidei , on s'est toujoursrendu compte de l'existence de cette question circonscrite sonaspect formel.

    En outre, il reste encore dire ici ce qui suit au spcialiste catho-lique de la Bible de l'avenir. Il a certes le droit et le devoir de seconsacrer sa tche en usant de toutes les mthodes de la science

  • 20 X. RAilNEH. SJ.

    historique, et donc, par exemple, des mthodes de la Formgeschich-te , de la Redaktionsgeschichte , etc. Il peut aussi percevoir defaon beaucoup plus critique que par le pass ce qu'il peut retirerde la Bible lorsqu'il la lit en tant que pur historien et spcialiste dela thologie fondamentale, et lorsqu'il la ft en dogmaticien dans lecontexte de l'intelligence de foi de l'Eglise prise comme un tout (9).Car selon l'intelligence de foi catholique prcisment, il y a lieu dedistinguer ces deux choses ; les deux mthodes ne conduisent passimplement un rsultat identique en tendue, en certitude et enmode de certitude, et l'exgte a le droit de mettre ces diffrencesen relief. Mais l'exgte n'est pas non plus, comme tel, un simplehistorien des religions : H est thologien, il porte une responsabilitpour l'ensemble de la thologie, il a aussi une tche remplir enthologie fondamentale, et celle-ci ne peut lui tre enleve par aucunspcialiste de la thologie fondamentale qui ne serait pas (il ne peutpas l'tre, le plus souvent) un spcialiste de l'exgse. Il faudraitexaminer de faon plus attentive que prcdemment o s'arrteexactement la tche de l'exgte en thologie fondamentale, dter-miner ce que la thologie fondamentale et la dogmatique doiventrellement exiger de l'exgte et ce qu'elles ne doivent pas exiger de lui.

    2. Thologie cumnique.

    Il faut peut-tre dire aussi quelque chose de la thologie cu-mnique de l'avenir. Tant qu'il y aura des chrtiens (et, parmi eux,naturellement aussi des ministres) qui seront en conscience persuadsqu'ils ne pourraient adhrer telle ou telle communaut de foi chr-tienne sans trahir la vrit de l'vangile et mettre ainsi leur saluten pril, il y aura des thologies confessionnelles ordonnes chacune une communaut ecclsiale dtermine. Qu'en est-il de la gigantes-que foule des chrtiens d'aujourd'hui qui n'ont en aucune faon cesentiment confessionnel au sens thologique, mais n'appartiennent une confession dtermine que pour des raisons historiques et so-ciales ? C'est une autre question que nous ne pouvons traiter ici.

    Aussi longtemps qu'il y aura ces diffrentes thologies confession-nelles (au sens thologique), il devra y avoir aussi dans chaquecommunaut ecclsiale une thologie cumnique . Et cela toutsimplement parce que les chrtiens des diverses confessions ont ledevoir chrtien de se proccuper les uns des autres et doivent tendre l'unit de l'Eglise. Comment cette thologie cumnique se pr-sente-t-elle concrtement, c'est une autre question. On peut dire qu'ildevrait y avoir dans toutes les grandes institutions d'enseignementthologique des chaires spciales de thologie cumnique pourvuesdes conditions voulues (et avec une formation profonde sur les pointscaractristiques).

  • L'AVENIR DB LA THOl.OGIli 21

    Mais on doit avoir une exigence plus importante encore peut-tre :que toutes les disciplines thologiques, chacune sa faon, soientdveloppes sous l'angle cumnique. Aujourd'hui dj, la choseva assez de soi pour l'exgse. Mais pour beaucoup d'autres discipli-nes, c'est encore plus ou moins un souhait d'avenir. La ncessit decette sorte d'cumnisme immanent chaque discipline s'impose djdu fait qu'une thologie de l'avenir doit tre mystagogique et 'mis-sionnaire et que le destinataire auquel la thologie doit penser nesera donc plus seulement, ni mme au premier chef, celui qui partagema toi confessionnelle.

    Mme si on n'admettait pas cette opinion sur le plan thorique, ilfaudrait se dire qu'aujourd'hui (ne ft-ce qu'en raison de la situationpolitique et spirituelle gnrale qui fait de chacun le voisin spirituel detout autre), il y a en chaque catholique, du point de vue psychologique,un protestant et un incroyant athe potentiels-. Par cette seule consid-ration dj, l'exigence que nous venons de formuler est dans tous lescas valable en pratique.

    Mats ceci ne touche encore en rien le vritable problme de lathologie cumnique de l'avenir.

    La thologie catholique de l'avenir devra compter avec un plu-ralisme trs considrable en son propre sein. L'unit de foi qu'ils'agit de prserver ne pourra pas du tout s'exprimer et se constatersi facilement (car cela n'est pas possible sans 'quelque secours dela thologie). La tendance actuelle est claire : pour une bonne part,les clivages entre les opinions thologiques ne recoupent pas lesfrontires des confessions tablies (car les problmes actuels de lathologie ne sont plus, ou du moins plus immdiatement, les anciensthmes de la Rforme qui ont suscit les confessions). Et commentnier que, dans beaucoup de questions dont la rponse sparait jusqu'iciles Eglises, un consensus a t atteint ou est en vue ou tout lemoins, que ces questions ne sont plus rsolues au sein d'une Eglisedtermine, par une doctrine unanime et obligatoire pour la con-fession !

    S'il en est ainsi, il pourrait bien se faire que dans l'avenir lesthologies des confessions ne soient plus rellement confessionnelles,mais que beaucoup d'entre elles, dans les diverses confessions, s'car-tent rsolument de ceux qui nient la vritable substance du chris-tianisme, mais en arrivent se comprendre lgitimement les unesles autres comme une unit dans le pluralisme.

    Il pourrait alors se faire que les diffrentes institutions ecclsialesqui se savent spares, avec leurs ministres, se voient prives duprsuppos thologique de leur sparation : elles ne resteraient plusspares les unes des autres, au fond, que par le poids de l'histoireet des conditions sociologiques.

  • 22 K. BAENS, S.J.

    Que se passera-t-i ensuite ? Les directions des Eglises se procu-reront-elles des thologiens (il en est, et il en sera de cette espce)qui useront de bonne foi de l'acuit de -leur sens thologique pourdvelopper encore, malgr tout, les divergences doctrinales qui peu-vent fonder une sparation des Eglises (pour ce faire, on identifie-rait son opinion thologique avec la doctrine obligatoire de son Egliseet on dclarerait que celui qui s'en carte n'est que tolr et nepossde pas le vritable esprit de son Eglise) ? Ou bien les directionsdes Eglises auront-elles le courage hroque de tirer les consquencesinstitutionnelles de cette situation thologique ventuelle et de fairesurgir une Eglise, qui garantirait et admettrait galement en elle-mme un grand pluralisme de vie ecclsiale ?

    Mais revenons-en au prsuppos de telles ventualits. Il n'estplus gure srieusement possible aujourd'hui, par exemple, de voirdans la doctrine de la justification un motif de sparation des Eglises, tout le moins pas dans le sens qu'il y aurait dans Chacune desEglises spares une thologie de la justification unique et acceptede tous : il suffit de se reporter ce sujet l'ouvrage de H. Kngsur la doctrine barthienne de la justification, et la prface que luia donne Barth lui-mme.

    Dans une conception catholique aujourd'hui parfaitement possiblede l'institution des sacrements par le Christ et de leur distinction quifait droit l'histoire, dans une thologie catholique de la Parole quiest aujourd'hui possible, dans une prise en considration srieusedu canon 3 de la septime session du Concile de Trente (D 846) (ilfaudrait d'ailleurs tudier srieusement aussi l'histoire de la thologiesacramentaire catholique au moyen ge : elle justifierait une tho-logie des sacrements beaucoup plus souple que celle que connat lathologie po'st-tridentine), les diffrences dans la doctrine des sacre-ments ne devraient pas non plus paratre insurmontables.

    Il en est de mme aujourd'hui pour la thologie du ministre,encore que le chemin a- parcourir paraisse un peu plus long dansce cas.

    Ce que nous en disons ne vise naturellement que les doctrinescontroverses qui sont devenues officiellement confessionnelles l'po-que mme de la Rforme.

    Il y a, ct de cela, dans la thologie protestante, des opinionsqui n'y sont pas contestes par l'autorit ecclsiastique et qui ne sontcependant pas acceptables pour une thologie catholique. Mais c'estla. encore, en soi et dans ses consquences cumniques, une toutautre question.

    Il y aurait lieu tout d'abord de rpondre la premire question,dont la position thologique est tout autre, de savoir dans quellesituation les confessions de fait se trouveraient du point de vue

  • 1,'AntNIE DS IA tsI.OGIB 23

    thologique, si les doctrines qui ont t historiquement responsablesde la sparation n'apparaissaient plus clairement comme sparant lesEglises ? (En ce qui concerne la seconde question, celle de h portecumnique d'autres divergences doctrinales qui n'ont pas de carac-tre officiel mais qui existent simplement de fait, il n'y a sans doutegure plus en dire que ceci : ce serait dans tous les cas une illusionde penser que l'ensemble des fidles, avec leurs thologiens, suivraitpurement et simplement leurs pasteurs dans l'unit, si ceux-ci s'unis-saient l'avenir du point de vue thologique et institutionnel, pourle seul motif que ces pasteurs revendiquent et exercent partout unecertaine autorit doctrinale).

    A tout ceci, on pourrait videmment rpliquer que le pouvoir duPape, compris au sens du Concile du Vatican 1 et aussi de Vatican II,est aujourd'hui encore une doctrine sparant les Eglises et ce, ausens ihoogzque, qui exclut tout espoir d'unit thologique des Eglisesdans un avenir prvisible, qu'on considre cette doctrine en elle-mme ou dans ses prsupposs (par exemple le concept de vriten gnral, la structure de l'Eglise dans son ensemble; ce qui concernela procdure ecclsiale pour dcouvrir la vrit, le rapport entre uneproposition de foi particulire et l'ensemble unique de la foi chr-tienne). Mats n'y a-t-il pas encore dans cette question des malenten-dus, aussi bien en ce qui concerne le contenu de cette doctrine quesa traduction dans la pratique, et ne pourraient-ils tre dissips parun cumniste catholique, non seulement pour les non-catholiques,mais aussi pour lui-mme et pour ses propres frres dans la foi ?

    Dans tous les cas, il me semble que les principaux obstacles auprogrs du mouvement cumnique ne se trouvent pas du ct dela thologie, mais qu'ils rsident dans le poids de la tradition, desinstitutions (voire du pur folklore). C'est pourquoi la thologie cu-mnique devrait aussi se consacrer la tche d'laborer l'usagedes directions des Eglises, pour elles-mmes et pour leur consciencethologique, des modles en vue d'un rapprochement des confessionsdans le domaine institutionnel aussi. Il s'agirait galement de tirerau clair la faon dont la hirarchie doit traiter les chrtiens qui neparviennent pas, de fait, dans leur situation concrte, attribuer auxdiffrences doctrinales existantes (qui sont peut-tre en soi encoretrs srieuses, y compris la doctrine de l'autorit du Pape) une signi-fication telle qu'elles soient, pour leur propre conscience, constitutivesde la confession au point de vue thologique, et non seulementsociologique.

    Etant donn que nous n'avons plus de territoires rservs dif-frentes confessions et spars les uns des autres, cette questionprsente une grande urgence. On peut avoir l'impression que cheznous, catholiques, tout le moins, elle n'est pas encore pose srieu-

  • 24 K. RAENER, S.J.

    sment parce que les hommes baptiss dans le catholicisme sont toutsimplement prsums chrtiens catholiques, mme en un sens tho-logique, jusqu' la preuve individuelle du contraire, alors qu'en dpitde l'enseignement de la religion catholique qu'ils ont reu ils nesont pour la plupart catholiques que du point de vue de la sociologiereligieuse et que, trs souvent, ils ne retirent plus ou moins deleur Eglise que le bien commun du christianisme en gnral.

    Tout ceci ne suffit certes pas dcrire adquatement l'essence etla mission de la thologie oecumnique de l'avenir. Mais si l'on veuten savoir davantage, oo pourra se reporter la bibliographie quila concerne (10 et 1), en signalant aussi la livraison de la revueConciium- qui, chaque anne depuis 1965, traite de l'oecumnisme.

    3. Thologie politique,

    Tentons encore de dire ici quelques mots de la thologie politi-que (2 et 3), sous la rserve que le concept d'une thologie poli-tique n'est pas encore fix de faon absolument claire et que jene suis pas tout fait sr de comprendre moi-mme ce qu'on veutdire par l.

    Il est certain que la thologie politique n'a rien voir avec uneactivit politique de l'Eglise ou du clerg ; elle reconnat bien plutt,pour des raisons thologiques, la lgitimit d'un monde sculier commetel. Elle ne contredit donc pas le retrait de la politique quel'Eglise a ralis dans les dernires dcennies et qui a t favorispar Vatican II. Elle ne vise pas non plus une manipulation indi-recte de la politique en en appelant au droit naturel que l'Eglisedoit prserver (c'est l aujourd'hui une tentation que n'ont pas encoreentirement surmonte les soi-disant sciences sociales chrtiennes ,tablies en maints endroits dans les facults de thologie en tantque discipline thologique), parce qu'il n'est pas possible de dduireun modle socio-politique unique, mme compte tenu d'une situationhistorique et sociale donne, partir d'un droit naturel entendu defaon critique et compris dans sa propre historicit.

    Si l'on entend par thologie politique la simple valorisationexplicite de la porte sociale de tous les noncs thologiques, alorsil est vident qu'il doit y avoir une thologie politique ; elle seramoins un secteur de la thologie qu'un point de vue formel prsentdans toute thmatique thologique, Bien compris (et sans qu'on selivre ici un faux anthropocentrisme thologique), tous les noncsthologiques disent en effet quelque chose de l'homme. Or la socialitde Fhomme n'est pas une ralit particulire, mais elle dsigne l'hom-me comme totalit sous un certain aspect ; en retour, la socit n'estjamais la pure somme des individus. En ce sens a tout le moins, il

  • L'AVENIR Dit IA THOJ-OGIB 25

    est aujourd'hui urgent d'avoir une thologie politique . Il y a eneffet dans la thologie traditionnelle une sorte de privatisation et derduction du christianisme au seul salut intrieur de l'homme indi-viduel. La thologie de l'esprance a t pense de faon purementindividualiste et la tche terrestre de l'homme devenu crateur a' ttrop peu considre comme mdiatrice de son esprance eschatologiqueet de son amour du prochain.

    D'autre part, on peut concevoir la thologie politique commela mission de la thologie de mettre en question de faon permanentele systme social rgnant, qui est toujours tent de s'idoltrer et dese donner pour un absolu en exerant une oppression injuste.

    On n'est certes pas forc de considrer la thologie politiquecomme une discipline seulement partielle (en quelque sorte subor-donne ou incorpore la thologie morale ou aux sciences socialeschrtiennes, qui se considrent d'ailleurs elles-mmes comme des dis-ciplines particulires). Mais il serait tout de mme erron de com-prendre la thologie politique tout simplement comme la thologiede l'avenir qui devrait prendre la relve de toutes les thologiesantrieures en raison de la situation sociale nouvelle. En effet, l'hom-me ne se rduit pas adquatement et de faon socialement saisissable ce qu'il est dans la socit, par la socit et pour la socit.

    C'est pourquoi je n'arrive pas voir pourquoi une thologie trans-cendantale et une thologie politique devraient s'exclure mutuellementou se substituer l'une a, l'autre. Ne ft-ce que parce que la propo-sition : l'homme est un tre social et doit ds lors donner la tho-logie une dimension politique est elle-mme une proposition trans-cendantale qu'il faut fonder transcendantalement, sous peine de neplus tre valable demain peut-tre, voire de pouvoir tre rejete dsaujourd'hui. Naturellement, une poque o, ct de la philosophie,des sciences de l'esprit traditionnelles et des sciences naturelles mo-dernes, les sciences, sociales se prsentent comme des sciences gale-ment valables et capables de connatre de faon autonome en vue depermettre a. l'homme de se comprendre et de se modifier lui-mme,la thologie devra s'informer beaucoup plus que par le pass de cettemodification substantielle de sa situation, tandis que les sciencessociales auront jouer dans la thologie un rle qu'on n'accordaitJusqu'ici tout au plus qu' la philosophie et, dans les derniers temps, la science historique. La mise au point de la relation prcise tablirentre la politologie (au sens le plus large du mot) et la thologiesera donc galement une tche essentielle de la thologie politique .

    Laissons de ct la question de savoir si beaucoup de ce que l'ontraitait jusqu'ici sous l'tiquette de sociologie religieuse et pastoralene trouverait pas sa place, matriellement, au sein d'une thologiepolitique . Dans le cas o les sciences sociales voudraient, en s'ido-

  • 26 K. tussnsa.f 6.J,

    logisant elles-mmes, s'tablir comme des sciences fondamentalesabsolues et appeles tout rgir, expressment ou de fait, une tho-logie politique devrait prcisment dmolir cette fausse prtention.

    RlMARQUTS FXKALES

    Pour terminer, faisons encore trs brivement l'une ou l'autreremarque plus particulire. De ce que nous avons dit sur la thologiemystagogique, missionnaire et transcendantale, il rsulte sans douteque l'union de la thologie fondamentale et de la dogmatique devraittre beaucoup plus troite que ce n'a. t le cas dans la pratique dela thologie jusqu' nos Jours. C'est pourquoi il serait parfaitementconcevable de prsenter la thologie fondamentale explicite la finde la dogmatique comme une rflexion critique renouvele sur laresponsabilit de notre foi et de notre esprance. En tout cas, lo, dans la dogmatique, on tente de comprendre transcendantalementl'expression de base de la foi, on fait un peu de thologie fondamen-tale, et celle-ci peut sortir par l du vide formel qui lui est habituel(spcialement dans le De Deo Rvlante et le De Chrsto LegafoDvumo}.

    En ce qui concerne la mthodologie et la didactique, et surtout laquestion de l'essence du cours fondamental thologique soulev Vatican II, je dois renvoyer des rflexions exposes ailleurs1.Il en est de mme pour la thologie des fondements et formelle (ne pas confondre avec la thologie fondamentale)2.

    Dans cet aperu, il manque certainement beaucoup de ce qu'ontait en droit d'attendre : il manque bien des rponses aux questionsposes aux thologies chrtiennes dans la premire partie de cet ouvrage.Peut-tre aurait-il fallu un paragraphe consacr explicitement lathologie en tant qu'hermneutique du langage chrtien, paragraphequi indiquerait la ncessit et les limites de cette thologie. La ques-tion qui concerne la libert de la thologie, la question de l'organi-sation technique de la thologie de demain, les questions (principa-lement intra-catholiques) touchant les rapports entre la thologie etla formation sacerdotale, une thologie laque, etc., font certainementdfaut. La question des relations entre la thologie et les sciencesnaturelles n'est proprement pas traite. Mais qui donc oserait etpourrait mettre des prophties sur tous les points ?

    1. Voir K. RAHNEE, ZUT Reforw des Tleoogiesiid'iwns. Coll. Quaestionesdisputatae, 41. Fribourg, Herder, 1969 (cfr N.R.Th., 1969, p. 776).

    2. Voir K. RAHKER, Formate und fimdaweniale Thcologie, dans Lexikon -furTheo. wd Krche, I9603, 205-206.

  • I/AVKNIR DS X|A HOWOS 27

    La thologie a-t-elle encore un avenir ? Ce ne sont pas les seuls paens qui se posent la question pour y rpondre : non. Des chr-tiens et des thologiens, devenus incertains, la soulvent aussi. S'ildoit y avoir encore de la thologie dans l'avenir, ce ne sera certaine-ment pas une thologie qui s'installe tout simplement et priori ct ou au-dessus du monde, comine une sorte de monde part ;c'est--dire ct ou au-dessus du monde sculier tel qu'il est etreste notre destin. Elle ne pourra se prvaloir de la rvlation divinepour se considrer comme un domaine de vie tabli part- En effet,cette rvlation, o Dieu se communique lui-mme par grce, s'esteffectue au sein mme de ce monde ; ds lors, elle n'est pas ctet au-dessus du monde, si l'on entend bien les termes de rvlation et de monde. En outre, l'homme d'aujourd'hui, mme lorsqu'ilest dispos a. remettre en question sa propre perspective intellectuellede monde sculier, qu'il absolutise et charg-e d'idologie, a l'impres-sion que la rvlation doit se produire dans son monde actuel ; dfaut de quoi elle serait absolument incomprhensible. Et mmecompte tenu du scandale de la Croix on l'invoque volontierslorsqu'on expose une thologie coupablement dmode il faudradire que la question anxieuse des thologiens sur l'avenir de lathologie ne peut recevoir de rponse affirmative qu'a. une seulecondition : l'aptitude de la thologie parler de Dieu dans un langagesculier. De Dieu, bien sr, et pas du monde vu travers un empi-risme primitif s'imaginant qu'il ne s'y trouve rien d'autre que ceque l'homme le plus stupide et ]e plus superficiel n'oserait contester,rien d'autre que ce qu'on dmontre par la lumire lectrique,les drogues ou la bombe atomique. De Dieu donc qui se trouve ausein du monde et qui l'Evangile rend tmoignage en tant que tel,comme salut de ce monde prcisment.

    En aucun domaine, il n'y a des prvisions d'avenir qui pourraientpargner l'homme le risque d'esprer contre toute esprance. Lachose est vraie en ce qui concerne la thologie, elle aussi. Nous,thologiens, nous ne luttons pas pour son avenir en nous efforantanxieusement de calculer ses chances. Nous crons cet avenir enfaisant tout simplement de la thologie ft-ce contre toute vrai-semblance. Nous en faisons, parce que nous aimons les hommes pourqui cette thologie doit tre une lumire et parce que nous voulonsservir Dieu qui nous a engags sur la voie o l'on fait de la thologieafin que, peut-tre, nous y trouvions Dieu-

    K. RAH;K, S.J.

  • 28 K, RAINSR, 5.J.

    BIBLIOGRAPHIE

    1. J. B. METZ, Reform un G'egenre'formation keute. Zwei Thesen- sur kwme-nischen Situation der Kirchen, Mayence-Mumch, 1969.

    2. J. B. METZ, J. MOLTMAMN", W. OELMLUE, Aspekte ener neuen poiiischenThologien, Mayence, 1970.

    3. H. PEUCKERT (d.), Diskussion sur poliischen Thologien, Mayence-Munich,1969.

    4. K. RAHNSR, Die Prage nach der Zukmift. Zur theologischen Basis derchristlichen Geselischaftskritik, dans H. PEUCKRT (ci-dessus) pp. 247-266.Publi galement dans Schriften sur Thologie IX, Einsiedein, 1970.

    5. ID., Thologie und Theologiegeschichte s, dans Sacramenfum Muwli IV,Fribourg-en-Br., 1969, pp. 860-884.

    6. ID., Der Pluralismus der Thologie und die Einheit der Kirche, dansConcUvm 5, 1969. Publi aussi dans Schnfen sur Thologie IX, lac. cit.

    7. ID., Bemerkungen zum Begriff der Infallibilitt in der katholischen Ekkie-siologie.?, dans Stmmen der Zeit 185, 1970.

    8. ID., Die Zukunft des religisen Bches, dans Schriften sur Thologie VI,Einsiedein, 1966, pp. 511-515.

    9. ID., s Zeit Jsus., dans Schlier-Festschrif, Fribourg-en-Br., 1970.10- ID., Zur Thologie des kumenischen Glesprches , dans Festgabe fur

    Bischof Vok. Publi sous la direction d'O. Semmeiroth, Mayence, 1968,pp. 163-199.

    11. Sacramentwn Mundi IV, Fribourg-en-Br., 1969, pp. 986-993 (Bibliographie).12. B. WEl./TE, Ein Vorschag sur Mthode der Thologie heute : auf der Spwr

    des Evsigen., Fribourg-en-Br., 1965, pp. 410-426 (citation : p. 420).