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SALON DU LIVRE 2017 - GRATUIT J.Y. DELITTE REDONNE DU SOUFFLE AUX GRANDES BATAILLES NAVALES LA BD AU SALON DU LIVRE DE PARIS 48H BD : LA BD EST EN FÊTE PANINI COMICS : LA VINGTAINE RADIEUSE

J.Y. DELITTE REDONNE DU SOUFFLE AUX GRANDES …

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J.Y. DELITTE REDONNE DU SOUFFLEAUX GRANDES BATAILLES NAVALES

LA BD AU SALONDU LIVRE DE PARIS

48H BD :LA BD EST EN FÊTE

PANINI COMICS :LA VINGTAINE RADIEUSE

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Zoo est édité parArcadia Media45 rue Saint-Denis75001 Paris

Envoyez vos contributions à :[email protected]

Directeur de la publication& rédacteur en chef :Olivier Thierry

Rédacteur en chef adjoint :Olivier Pisella, [email protected]

Conseillers artistiques :Kamil Plejwaltzsky, Howard LeDucRédaction de ce numéro :Olivier Pisella, Julien Foussereau, ThierryLemaire, Jean-Philippe Renoux, MichelDartay, Yaneck Chareyre, Cecil McKinley,Hélène Beney, Boris Jeanne, Boris Henry,Kamil Plejwaltzsky, Vladimir Lecointre, JulieBordenave, Thomas Hajdukowicz, Jean-Laurent Truc, Julie Bee, Philippe Cordier,Gersende BollutPublicité :• [email protected], 06 08 75 34 23• Geneviève Mechali,[email protected] :© Jean-Yves Delitte / GlénatAbonnements et administratif :[email protected]

Collaborateurs : Yannick Bonnant et Audrey Retou

Dépôt légal à parution.Imprimé en Italie par TIBER S.P.A.

Les documents reçus ne pourront être retournés.Tous droits de reproduction réservés.

www.zoolemag.com

Finalement, la dernière édition du FIBD, quidonne une envergure mondiale à la paisiblecité d'Angoulême, semble s'être plutôt bien

passée, évitant les polémiques et couacs de l'andernier. Place désormais à un nouvel événementconsacré au Livre, dont la BD fait évidemment par-tie. Un avant-goût de ce Salon du Livre parisiendans les pages de ce numéro.

L'édition de bandes dessinées en France ne connaîtpas de récession, mais l'implacable ÿ loi des 20/80 Ÿs'y applique également. Beaucoup d'auteurs connais-sent la précarité si 20 % des auteurs ou livresconcentrent 80 % des ventes. Vendre plus d'unedizaine de milliers d'albums n'est vraiment paschose facile quand on travaille à l'écart des grandesfranchises bien établies, sans bénéficier d'un impor-tant support médiatique. D'où la difficulté de créersereinement quand on doit consacrer un an de tra-vail à la publication d'un livre.

Le riche patrimoine de la BD permet de nombreusesintégrales augmentées d'un rédactionnel complé-mentaire bien utile, mais les héros du passé peuventaussi bénéficier de parutions inattendues (Tintinbien sûr) ou de renaissance inespérée (Bécassine).¤ côté de cet engouement pour les valeurs bienétablies, des éditeurs conçoivent des collectionsbasées sur un concept marketing poussé. Gratonse passionnait pour le sport automobile, Charlieret ses dessinateurs pour l'aviation, maintenant c'estDelitte qui partage son amour des navires dans unenouvelle collection chez Glénat.

Et si vous voulez approfondir vos connaissancessur des thèmes pointus ou d'actualité (un livre surl'antispécisme vient de paraître), parfois en vousamusant en compagnie d'auteurs connus, il fautreconnaître que la BD à vocation pédagogique ouculturelle a bien évolué depuis les histoires del'Oncle Paul et celles de l'hebdomadaire Tintin. Dequoi enrichir votre propre bibliothèque du savoir !

� Édito�

� Zoommaire �

Salon du Livre 2017

JEAN-PHILIPPE RENOUX

Retrouvez quelques planches de certainsalbums cités par Zoo à lÊadressewww.zoolemag.com/preview/Le logo ci-contre indique ceux dont lesplanches figurent sur le site.

Prochain numéro de Zoo : 10 avril 2017

Le logo ÿ coup de cflur Zoo Ÿ distingue lesalbums, films ou jeux vidéo que certainsde nos rédacteurs ont beaucoup appréciés.

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06 - LES GRANDES BATAILLES NAVALES

CINÉ & DVD48 - THE LOST CITY OF Z : la cité des rêves contrariés

JEUX VIDÉO50 - NINTENDO SWITCH : le meilleur des deux mondes ?

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ACTU BD18 - LA LAME ET LA CROIX, de Stefano Casini19 - JOLLY JUMPER NE RÉPOND PLUS / SESTRI˚RES20 - HYPNOS : pas vraiment hypnotisé22 - MARS HORIZON : fouler la planète rouge24 - MORT & VIF : mourir pour changer de vie ?26 - HENRIQUET, LÊHOMME REINE : autopsie du dernier des Valois27 - JEU DÉCISIF : comment choisir son sport ?28 - LE MA˝TRES DES HOSTIES NOIRES : Spirou au Congo29 - AUTOMNE ROUGE : Québec 197030 - COMMENT JE NE SUIS PAS DEVENU MOINE31 - FRNCK : lÊautre fils des âges farouches

RUBRIQUES04 - AGENDA NEWS : festival dÊAix, éditions i...32 - COMICS : Dark Knight, une histoire vraie, Panini a 20 ans...40 - ART & BD : une vie avec Alexandra David-Néel42 - MANGAS & ASIE : Ghost in the Shell, March comes in like a lion...47 - SEXE & BD : La Chambre de verre, Blandice

SALON DU LIVRE 201710 - MORROCO JAZZ : Independance Day12 - MARC LIZANO : De père en fils, le retour14 - LASTMAN : de lÊécrit à lÊécran16 - ¤ NOS AMOURS : équilibrisme franco-japonais

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Écoutez la BDsur France Culture

Chaquevendredi matin,rendez-vousavec lesauteurs quifont lÊactualitéde la bandedessinée aumicro deTewfik Hakem.Au programmedu mois demars : Luz,

auteur de BD, pour Puppy aux éditionsGlénat et Chadia Chaibi-Loueslati,illustratrice jeunesse et auteure deromans graphiques pour Famillenombreuse aux éditions Marabout,collection Marabulles.Sur franceculture.fr, écoutez etpodcastez librement les dernièresinterviews de Hugues Micol, DésiréeFrappier, Alain Frappier, ChristopheBlain, Hervé Tanquerelle...

Tonnerre de Bulles !, no13Premièresavoureuselivraison delÊannée pourlÊexcellentprozine Tonnerrede bulles !,autour dedeux entretiensfleuve. Lediscret Alfred– dessinateurdu remarqué

Pourquoi jÊai tué Pierre en 2006, qui lemena au Fauve dÊor en 2014 avec ComePrima – prend le temps dÊévoquer lanaissance de sa vocation, lÊévolutionde son trait et de ses marottes,notamment son amour pour Topor(il adapte Café panique en 2004), maisaussi sa rencontre déterminante avecNuma Sadoul (émérite interviewerde Franquin, Hergé ou Mflbius), quilui livra une nouvelle érotique pourinaugurer sa structure dÊauto-éditionen 1995 ! Également au sommaire :Frederik Peeters, Marniquet, StéphaneDouay, et un hommage inédit de JeanSolé et Nicoby au grand Marcel Gotlib. Collectif, Les Petits Sapristains,56 pages, 6 €

JULIE BEE

GRANDIncontournablemaison dÊéditionjeunesse, lÊÉcoledes Loisirsinnove enlançant unmagazineannuel gratuit àdestination desmédiateurs dulivre. Libraires,bibliothécaires,

animateurs mais aussi parents ytrouveront des sélections de livres(de 0 à 16 ans), comme des idéesdÊanimations pour petits ou desinterviews et rencontres avec desauteurs ou pédopsychiatres. En prime,une enquête et des cadeaux (posters,cartes⁄) qui encouragent les lecteursde GRAND à partager toute lÊannée surles réseaux sociaux leurs réalisations(#jesuisgrand). Un bel outil, disponiblechez les partenaires de lÊéditeur, maisattention, en tirage limité (100 000 ex).GRAND, collectif, École des Loisirs,40 p. couleurs, gratuit

HÉL˚NE BENEY

en bref A g e n d a N e w s

SÊil y a bien un rendez-vous printanier à cocher dans votreagenda, cÊest celui des ÿ Rencontres du 9e art Ÿ. Depuis2004, la ville dÊAix-en-Provence accueille en effet un peu

partout dans ses murs, en avril et mai, des expositions, tables rondeset séances de dédicaces, avec comme ligne directrice la curiositéde présenter des artistes hors des sentiers battus, parfois à la limitede lÊillustration et de lÊart contemporain.

CÊest donc un séjour de surprises et de découvertes qui estpromis au visiteur, avec, pour ne citer que quelques exemples, lenouveau film dÊanimation de Dave Cooper à la Cité du Livre, unefresque de 52 mètres de M.S. BaStian et Isabelle L. sur lÊApocalypseà la Fondation Vasarély, une exposition Pierre la Police au muséedu Palais de lÊarchevêché, une réflexion de Jochen Gerner surlÊfluvre dÊHergé à lÊatelier de Cézanne. Nine Antico, MargueriteAbouet et Mathieu Sapin, Jakob Hinrichs, Manuel, Marco Toxicoet Julien Rosa complètent le casting des 10 expos disséminées dansla ville. En précisant que les affiches 2017 sont réalisées par SimonRoussin, que le week-end BD où les 50 auteurs invités sont présentsa lieu du 7 au 9 avril, et que lÊensemble du Festival est gratuit, onaura fait le tour dÊun événement à découvrir.

� RENCONTRES DU 9e ARTavril-mai (we BD 7, 8, 9 avril), Aix-en-Provence, entrée gratuite

48H BD :

THIERRY LEMAIRE

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On se réjouit. Un nouvel éditeur qui fera aussi de laBD mais pas que, ça se fête. Les éditions i ouvrentle bal avec un premier album signé François Boucq,

Portrait de la France (lire page 30).Objectifs dÊi, présenter un état du monde en images et unétat des lieux des images dans le monde. Jolie formule pouraussi déceler des jeunes talents ou exhumer les trésors quidorment dans les cartons dÊauteurs connus. SÊamuser ne veutpas dire que la qualité ne sera pas au rendez-vous. Les éditionsi, i comme image donc, vont présenter au fil des mois et desparutions une nouvelle dynamique éditoriale à travers desautoportraits graphiques de grands dessinateurs actuels(Boucq, Rossi, Cabanes, etc.), faire découvrir ou redécouvrirdes auteurs, de Jacovitti à Angeli, et amorcer de nouvellestendances.Le but très avoué de i est ÿ de permettre une ouverture vers descontenus nouveaux et des croisements de cultures différentes qui iront au-

delà du seul cadre de la bande dessinée Ÿ. Dont acte. On va suivrede près lÊéquipe de i, jeunes et moins jeunes de cette nouvellemaison. Elie Annestay, âgé de 20 ans, président de i, est lefils de Jean Annestay, ancien collaborateur de Mflbius etcofondateur des éditions Ødena.Les ambitions de i sont à la hauteur du défi qui est à termedÊinventer un type de narration entremêlant les supports etdes techniques plus adaptées à notre époque.

JEAN-LAURENT TRUC

Éditions i comme image

QUATORZIÈME ÉDITION

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CÊest reparti pour une cinquième édi-tion des 48H BD : les 7 et 8 avril 2017,quelques 230 000 albums seront ven-

dus au tarif de 1 euro seulement. 12 éditeurs ontjoué le jeu cette année, pour 12 ouvrages auxstyles variés (voir ci-dessous). De nombreusesanimations seront en outre organisées pendantces deux jours, tels que des ateliers et des ren-contres. Cette année encore, Zoo est partenairede lÊopération.

LA BD EN FÊTE

� 48H BD, les 7 et 8 avril 2017dans les points de vente participants

LA RÉDACTION

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omment vous êtes-vous embarqué danscette aventure encore une fois maritime ?Jean-Yves Delitte : Il faut toujours rendre à

César ce qui lui appartient. CÊest Philippe Haury chezGlénat qui mÊa soumis lÊidée de lancer une nouvellecollection sur les grandes batailles navales. Il trouvaitdommage que le spécialiste maison en la matière neparticipe pas au projet ou ne soit pas à la barre. Laseule crainte que jÊavais, cÊest quÊon se retrouve dansun style Oncle Paul et ne raconter que le déroulementde la bataille. Surtout pas. JÊai proposé de partir surdes faits historiques et tracer chaque fois une grandeépopée romanesque.

Vous vouliez ajouter du liant à une base historique ?Oui, tout à fait. Plutôt que raconter Trafalgar à traversle seul personnage de Nelson, je préfère montrer ungabier qui a vécu la bataille en haut dÊune hune oudans la fosse aux câbles. JÊai voulu rendre les chosesplus humaines.

Choisir les batailles a été difficile ?Quand on a été dÊaccord chez Glénat sur la ligne édi-toriale de la collection, on a fait une sélection. Il y aplus de 600 batailles et un choix sÊimposait, ou alorsGlénat me signait un chèque en blanc jusquÊà la finde mes jours (rires). On a choisi soit la notoriétécomme avec Trafalgar, immanquable car elle aura desrépercussions sur les guerres napoléoniennes ; soitune raison précise comme pour Hampton Roads, quinÊa pas eu de conséquences sur la guerre de Sécession

en 1862, mais où, pour la première fois, les cuirassésfont leur apparition. La bataille de Lépante, autreexemple, cÊest un bouleversement politique au XVIIe

siècle et lÊarrêt de la progression de lÊEmpire Ottomanen Méditerranée.

Vous signez les scénarios et dessinez plusieursalbums.Il y aura une vingtaine dÊalbums au total, avec unepremière sortie de trois titres en mars : Trafalgar, Jutlandet Chesapeake. Sur les dix premiers albums en chantier,je signe neuf scénarios, mais Roger Seiter (HMS chezCasterman) a fait le dixième, Stamford Bridge, en touteliberté. Il y a des moments dans lÊHistoire où lÊhommesÊest moins investi dans la Marine, comme au Moyen-˜ge. Seiter mÊa fait découvrir la bataille de StamfordBridge en 1066 entre les Anglo-saxons et les Vikingsnorvégiens. Comme il connaissait bien le sujet, je lelui ai laissé. Christian Gine sera au dessin. Je réalisepar contre toutes les couvertures des albums ainsi quele cahier didactique qui clôture chaque bataille.

On va découvrir les noms de batailles souventméconnues.CÊest paradoxal, car pendant 2000 ans le principalmoyen de transport et de guerre, cÊest le navire. MaiscÊest effectivement un domaine très méconnu. SousLouis XIV, la plupart des guerres ont été maritimes.On en parle peu dans les manuels scolaires.Commercialement aujourdÊhui, la marine reste en ton-nage le premier moyen de transport mondial. Elle aperdu à partir de 1945 avec lÊessor du porte-avions,qui reste une arme relais, une partie de sa force faceaux missiles et à lÊaviation. Quand on voit la guerredes Malouines en 1982, on comprend la fragilité dela marine face à des armes nouvelles comme les Exocetlargués par les Etendard argentins sur les vaisseauxbritanniques.

Vous traiterez la bataille de Midway en juin 1942 ?Oui, Midway est dans liste. CÊest la première grandebataille aéronavale de lÊHistoire, qui a été un tournantcar les USA ont gagné alors quÊils étaient en positionde faiblesse. Giuseppe Baiguera la dessinera.

Comment avez-vous choisi les albums que vousdessinez ?Je ne voulais pas accaparer tous mes thèmes préféréset laisser ceux qui restaient aux autres dessinateurs.Pour Trafalgar, que je connais pourtant bien, jÊai confié

le crayon à Denis Béchu. Pour Chesapeake, qui se passependant lÊune de mes périodes favorites, je dessine.Pour le Jutland aussi. JÊai un faible pour les vieux grée-ments en bois, moins pour les navires modernes. JÊécrisen ce moment lÊépopée de lÊInvincible Armada.

Dans ces batailles, lÊego des amiraux ou des dirigeantsest énorme et joue souvent un rôle sur leur issue ?Sous Louis XIV cÊest effectivement une question dÊegoentre dirigeants royaux. Ensuite on fait la guerre pourla nation. ¤ la grande époque, celle où on se faitdamer le pion par les Anglais, ce nÊest pas parce quÊonnÊa pas des très bons navires. CÊest parce que dans lefonctionnement de la hiérarchie militaire, on est restétrès longtemps avec des amiraux choisis non pas pourleur valeur mais pour leur nom. Il suffisait de plaireau roi. Nelson, sÊil avait été français, nÊaurait jamaiseu le même destin car il nÊétait pas noble.

La mer et son histoire ont les faveurs dÊun très largepublic.Le navire vieux gréement ou les bolides de la mer dÊau-jourdÊhui, cÊest le génie de lÊinvention. Il y a aussi dansla mémoire collective le pirate ou le corsaire. On jouaitenfant aux pirates... Regardez lÊHermione et sonvoyage, le public quÊelle a attiré. La mer fait rêver.

Comment le commandant directeur de collection amis en musique le travail de lÊéquipage ?

Les Grandes Batailles Navales vont revivre dès mars sous la direction de Jean-YvesDelitte, spécialiste des beaux navires. Glénat se lance avec lui dans une nouvellecollection qui, de Trafalgar à Midway, va nous faire sillonner les océans. Peintre officielde la Marine, Delitte (U-Boot, Black Crow, Le Sang des lâches) signe la plupart desscénarios, dessine plusieurs albums. On retrouvera à ses côtés, dans l’équipage à lamanœuvre, Gine, Adamov, Béchu ou Seiter.

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Jean-Yves DelitteÀ L’ABORDAGE

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Je laisse toujours une grande liberté aux dessinateurs.Le Musée national de la Marine est partenaire de lacollection donc je donne des conseils parfois afin debien rester dans la ligne. Mais je ne peux pas com-mencer à pinailler sur le moindre détail. CÊest de laBD qui doit faire participer à une aventure. Il faut quecela cependant reste cohérent et réaliste. On a unegrosse documentation au niveau de lÊimage au XVIIet XVIIIe. Quand on remonte dans lÊantiquité, on seréfère à des textes de batailles qui vantent le campauquel appartient lÊauteur et alors cÊest ubuesque. Onle voit aussi dans les péplums au cinéma qui exagèrentla taille des galères. Vous savez, cÊest un monde quifait peur aux dessinateurs, la marine. Ils craignent demal la dessiner ; dans lÊaviation il doit exister la mêmeappréhension. Ce sont des domaines très spécifiquesqui effraient.

Vous travaillez de façon traditionnelle et vous êtessur plusieurs projets à la fois. Jamais débordé ?Mes planches sont en noir et blanc en format A2. Jeme suis laissé aller à la mise en couleurs numérique. JemÊimpose une discipline depuis mes débuts à Tintin.Quand vous deviez livrer en temps et heures vos pages,si vous ne le faisiez pas une fois, on ne vous demandaitplus rien. Je signe entre 10 et 12 pages par mois. Et jerelativise. Je me suis fait des plaisirs en dessin parfoisque personne nÊa vu. JÊachève Le Sang des lâches T.4 chezCasterman et Black Crow, dont les scénarios des tomes

7 et 8 sont bouclés. JÊai fini Chesapeake et je commenceune autre grande bataille. Trafalgar ouvre le bal enmars. Une bataille qui nÊest pas vraiment un bon sou-venir pour la France, ce que mÊa fait remarquer leMusée de la Marine. Chesapeake suivra car cÊest enrevanche un vrai succès français pendant la guerredÊIndépendance américaine.Quand je dessine, je ne bâcle jamais mon travail, sansaller trop loin car cela deviendrait un boulot dÊingénieur.Quand jÊai rencontré le commandant du Bélem il mÊadit : ÿ votre album mÊa fait rêver mais votre gréement se casse lagueule Ÿ. Comme quoi il faut savoir rester modeste.

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E n C o u v e r t u r e

DR

� TRAFALGARde Jean-Yves Delitte et Denis Béchu,Glénat, 56 p. couleurs, 14,95 €� JUTLANDde Jean-Yves Delitte,Glénat, 56 p. couleurs, 14,95 €� CHESAPEAKEde Jean-Yves Delitte,Glénat, 56 p. couleurs, 14,95 €

PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-LAURENT TRUC

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Il était une fois IdéesNoires de Franquin

Franquin anima pendant plus de 20 ansles aventures du personnage Spirouavant de s'en lasser. Les gaffes deGaston avaient pris le relais, offrantplus de liberté créatrive à son auteuret d'éclats de rire à ses lecteurs.L'arrivée des revues de BD au tonadulte (L'Écho des Savanes, Fluide Glacial,Métal Hurlant), très éloigné de la bien-pensance catholique des éditionsDupuis, suscita l'enthousiasme deFranquin. Les Idées noires apparurentdans le supplément pirate de Spirou(Le Trombone illustré) avant de rejoindreles pages de Fluide Glacial, sur invitationde Gotlib. Fortement hachurées (oncroirait que tous les personnages sonttombés dans l'encrier de Franquin, oudans le conduit dÊune cheminée !), cespages permettaient à l'auteur d'fluvrersur des problématiques sérieusescomme l'écologie, la vente d'armesou la peine de mort.

Cette périodecorrespond àl'apogée de sontalent, Franquinsombra par lasuite dans unelonguedépression quieut pour effetd'épurer sontrait. L'intérêtde ce livre est

qu'il présente la totalité de ces pages,accompagnées de nombreusesinterviews de personnes l'ayant bienconnu (sa fille Isabelle, Jannin, GérardViry-Babel), mais aussi d'hommages enbandes dessinées par la fine fleur dumensuel ÿ d'umour Ÿ (Foerster, Edika,Goossens), mais aussi Luz !Fluide Glacial, 120 p. couleurs, 19,90 €

JEAN-PHILIPPE RENOUX

Rugissement dans la nuit,de Paola De Narváez

Financée surle fil du rasoirgrâce à unecampagne decrowdfundingsur KissKiss-BankBank, lacollectiondÊalbumsjeunesseÿ LesPétoches Ÿa permis

lÊéclosion de trois premiers titres dejeunes illustrateurs bruxellois parmilesquels se distingue le premier livredÊune artiste douée qui a fait ses armesà lÊÉcole Duperré à Paris, puis à LaCambre à Bruxelles. Dans le récitquÊelle illustre, trois enfants sÊenfoncentdans une jungle luxuriante pour tenterde mettre un terme aux agissementsdÊun tigre qui terrorise un village.LÊesprit du Douanier Rousseau soufflesur les peintures étincelantes dÊun livreoù lÊennemi nÊest pas le fauve, mais lapeur irrationnelle.Versant Sud Jeunesse, 40 p. coul., 14,50 €

GERSENDE BOLLUT

zoom

Comme le temps passe ! Noussommes en 1996 à Paris etLouise est devenue une

vieille dame qui perd un brin la tête.Vivant seule avec son chat, Henri, dunom de son premier amour, elle nÊaque peu de lien avec le monde exté-rieur : son voisin Claude, son filsAlain⁄ Et lorsquÊelle reçoit un colisvenant du Maroc, cÊest toute sa jeu-nesse qui refait surface, avec ce quÊellecompte dÊinsouciance et de trauma-tismes⁄

RAFLE

Casablanca la blanche était, en 1954,une ville pleine de vie et de joie pourLouise. Chanteuse de jazz dans un club,la jolie blonde un peu naïve et très ÿ girlnext door Ÿ fait tourner la tête deshommes, mais nÊa dÊyeux que pour sonamoureux : Henri. Ce dernier, brigadierfrançais, est, comme tout son commis-sariat, à la recherche de ÿ terroristes Ÿmarocains demandant lÊindépendancede leur pays face au protectorat français.Mais Louise, tout à la ferveur de sa jeu-nesse, préfère ignorer ce qui se préparepour faire la fête avec ses amies :Camille la rebelle, et Sibyl, jeuneFrançaise mariée à Farid, un avocatmarocain. Mais la tension monte et,chaque jour, les attentats se multiplient. Réclamant un peu de justice pour lesMarocains subissant au quotidien lecolonialisme européen, Sybil et Faridmanifestent et Farid est raflé. Enferméavec une quarantaine de manifestantsdans une pièce minuscule, sans eau ni

sanitaires, Farid est proche de la mort.Sibyl doit le faire sortir de là, coûteque coûte. Louise réussira-t-elle à des-cendre de son nuage pour aider sonamie ? Camille mettra-t-elle son donpour la cambriole à la disposition decette cause ? Comme un puzzle géant,chaque pièce va sÊinstaller doucementà sa place⁄

Mettant en scène la vie quotidiennede jeunes femmes ÿ normales Ÿ àlÊaube de lÊindépendance marocaine,Julie Ricossé nous plonge avec finessedans un tournant historique. Son des-sin, mis en couleurs à lÊaquarelle, offre

toute la lumière nécessaire à ce thrillerdu Maroc des années 50. En bonus,un épilogue documentaire (photos ettextes) retrace lÊHistoire de lÊindépen-dance marocaine.

INDEPENDANCE DAY

HÉL˚NE BENEY

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MOROCCO JAZZ

de Julie Ricossé, VentsdÊOuest, 112 p. coul., 19,50 €

� Rendez-vous au Salon duLivre avec Julie Ricossé pour unÿ drawing show Ÿ sur le stand duMaroc, pays invité cette année,le jeudi 23 mars lors delÊinauguration.

Pays invité cette année au Salon du Livre, le Maroc est aussi le décor principal de ce one-shot deJulie Ricossé. Une histoire entre passé et présent, qui nous plonge dans le quotidien d’un triod’amies, à la veille de l’indépendance marocaine. Entre insouciance et drames qui couvent,l’ouvrage retrace la grande Histoire via la petite.

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Lorsque le caricaturiste alle-mand Erich Ohsen (1903-1944) crée dans les années 30

cette bande dessinée sans texte, il estloin de se douter quÊelle lui survivradans le temps. Des traits ronds, unpère à moustache et son fils aux che-veux rebelles, dans des histoirescourtes (5-6 vignettes) portant déjàbeaucoup de tendresse et un regardbienveillant (et parfois acide) sur lemonde. CÊest ce regard ouvertementopposé au nazisme (il fut un virulentcaricaturiste anti-nazi pour le journalsocial-démocrate Vorwarts) qui lui vau-dra la censure et lÊobligation de chan-

ger de nom pour publier cette série(E.O. Plauen, cÊest donc lui aussi).Écrite et publiée entre 1934 et 1937,cette série poétique allège sans douteun peu la lourdeur de lÊépoque⁄Revenu en odeur de sainteté grâce ausuccès incroyable de Vater und Sohndans les foyers allemands, il finira toutde même, dénoncé à la Gestapo, parêtre emprisonné pour ses propos anti-régime. Il préfèrera sÊy donner la mort.

Reste une fluvre très poétique, origi-nale et dense – 157 épisodes –, peuconnue en France car jamais traduite(un comble pour une BD quasiment

muette !), que les éditions Warum ontcompulsé dans une superbe intégraleà lÊitalienne qui a reçu le FauvePatrimoine à Angoulême en 2016.Finalement très modernes car intem-porelles, les aventures complices dece père rondouillard et de ce fils nousmènent partout où lÊimagination peutaller (sur une île déserte, dans le quo-tidien, à lÊécole buissonnière⁄).

DE PÈRE ENMon Lapin Patate,de Christine Roussey

AujourdÊhui,notre petithéros a 6 ans !Il a hâtedÊouvrir sescadeaux,dÊautant quÊilest sûr queson oncle valui offrir cequÊil souhaitele plus aumonde : un

lapin nain ! Un lapin rikiki quÊil pourratransporter partout avec lui et cajoler àloisir. Mais lorsquÊil ouvre son paquet⁄cÊest juste un lapin. Normal (voireénooorme) et pas rikiki du tout.En colère et vexé, le bonhomme vafinalement être consolé par son nouvelami et comprendre que ce que lÊonveut nÊest pas forcément ce dont on abesoin. Eh oui, ce lapin ÿ très laid et trèsbête Ÿ deviendra son ami pour la viedès quÊil va lâcher lÊidée quÊil se faisaitdu cadeau idéal⁄De la Martinière Jeunesse,30 p. couleurs, 11,90 €

HÉL˚NE BENEY

ABCdaire, monpremier imagier photo,de Nathalie Seroux

Claires etmodernes,classes etalertes, lesphotogra-phies decet imagiersontsimples etefficaces !En petit

format carré cartonné, lÊalbum déclinechaque lettre de lÊalphabet à coup declichés bien pensés. Après le très beauAutour de moi (imagier conçu de lamême manière), lÊartiste photographeNathalie Seroux revient pour nousprésenter lÊalphabet, avec poésie etbeauté, à travers des objets ou lieuxdu quotidien que les tous petitsconnaissent bien. Un bel objet,à offrir et à sÊoffrir.De la Martinière Jeunesse,54 p. couleurs, 11,90 €

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Au fil des émotions,Dis ce que tu ressens,de Nunez Pereira,Valcarcel et collectif

Parce quÊil estimportant debien nommerce que lÊonressent, celivre permet,à travers 42émotions,dÊaider lesplus jeunes àcomprendre

leur ressenti. Préfacé par AlexandreJollien, cet album aux très joliesillustrations revient sur la peur, lebonheur, le soulagement ou la tristesseavec simplicité. Parfois peut-être unpeu trop, ou maladroitement, maisjustement, comme il est recommandédÊaccompagner la lecture, lÊadulte peutexpliquer et rebondir sur ces émotionsparfois complexes à appréhender. Savoirque tout le monde ressent (à peu près)les mêmes choses apporte aussi lasérénité.Gautier Languereau, 96 p. coul., 15 €

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FILS, LE RETOUR

CHOCOTTES À LA PENSION MOREAU

E n parallèle de Père et Fils, Lizano sort aussi, avec Broyartau scénario, le premier tome dÊune trilogie jeunesse

angoissante : lÊhistoire en huis clos dÊune pension dÊenfants passages (mais issus de riches milieux), ou en tous cas pasÿ dressables Ÿ en famille. Ressemblant plus à une prison quÊàune école, cet établissement de redressement est dirigé par lecupide professeur Turoc, vieille chouette plus amoureuse de seslingots que par lÊenvie dÊéduquer ses petits. Entouré par unehorde de gardiens et profs cruels, Turoc accueille avecbienveillance le petit nouveau, Émile. Enfin, surtout lÊargent deson père... Émile nÊest pas méchant mais il est quasiment muet,totalement obsédé par le dessin et prompt à sÊenfuir de chezlui. Comment va-t-il sÊintégrer dans cet enfer ? Inspiré du poèmede Jacques Prévert, La Chasse à lÊenfant (1934), cette aventure

(dont les encadrants sont tous anthropomorphiques) commence fort. On est en totaleempathie avec ces enfants maltraités et on nÊa quÊune hâte : quÊils ruent dans les brancards !

� LA PENSION MOREAU T.1, LES ENFANTS TERRIBLES, de Benoit Broyart et Marc Lizano,Éditions de la Gouttière, 48 p. couleurs, 14 €

On ne pensait pas les revoir de sitôt et puis, avec le printemps, pousse une nouvelle sérieinespérée : la reprise par Lizano et Ulf K. de la série allemande Vater und Sohn (Père et fils). Unretour dans les bacs qui prouve l’intemporalité de ces personnages et de leurs petites histoiressans paroles.

LA PENSION MOREAU

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Lorsque Marc Lizano décide de sÊat-taquer à lÊunivers de Père & Fils, lÊinté-grale nÊest pas sortie (voire même pré-vue) et il pense dÊabord faire unebiographie de son auteur afin de faireconnaître son fluvre aux Français.Puis, en 2014, se concrétise lÊidée dereprendre la série avec Ulf K. Les pre-mières planches naissent, la filiationest solide et présente : lÊinsoumissiondes Père et Fils de papier peut revenirsur le devant de la scène !

Voilà aujourdÊhui aux éditions de LaGouttière le premier titre de cettereprise. Que des inédits nés de lÊima-gination du duo dÊauteurs, à part lapremière planche, la dernière de Pèreet Fils dessinée par Ohlser et qui passeainsi le relais à ses héritiers actuels.Un clin dÊflil dÊautant plus émouvantque lÊensemble de ce premier voletest une vraie réussite, rendant totale-ment lÊambiance, lÊémotion et la ten-dresse de cette mini-famille. On ydécouvre aussi plein de chosesinédites, comme par exemple lÊévo-cation de la maman disparue. Si lÊexercice de la ÿ reprise Ÿ est tou-jours casse-gueule, même si ici leshéros sont assez peu connus du grandpublic français, les deux auteurs relè-

vent parfaitement le défi, sÊapproprianttotalement les personnages. CÊestmême assez bluffant de voir ces deuxhéros tout droit sortis de lÊimaginairedÊun homme des années 30-40 se cou-ler aussi facilement dans un albumactuel (sans les dénaturer en les rajeu-nissant ou les sortir de leur environ-nement). Poétique, tendre, irrévéren-cieux, Les Saisons saisit le lecteur là oùça fait du bien : au cflur et à lÊimagi-nation !

HÉL˚NE BENEY

P˚RE ET FILS, T.1LES SAISONS

de Marc Lizano et Ulf K.,dÊaprès Erich Ohlser,

La Gouttière,64 p. couleurs, 13,70 €

HÉROS D’HIER, SUCCÈS DE DEMAIN ?

A u Salon du Livre, le fil rouge ÿ Imagine Ÿ fait tousles jours le lien entre les différentes scènes.

Débats, rencontres inédites, discussions permettent decroiser les genres et sÊinterroger sur la sociétécontemporaine. Un ÿ pas de côté pour illustrer, créer,penser, rêver Ÿ et donner une autre manière de visiterle Salon⁄Dans le cadre dÊune Scène BD, Marc Lizano participe levendredi 24 mars de 16 à 17h à une table ronde / débatautour du thème ÿ Héros dÊhier, succès de demain ? Ÿ,avec à ses côtés Zidrou (Ricochet, Clifton, Chlorophylle auxéditions du Lombard) et Nicolas Barral (Nestor Burmachez Casterman).

Dédicaces : Marc Lizano sera présent au Salon Livre Paris (24-27 mars 2017), et dédicacerasur le stand des éditions de la Gouttière.

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CÊest lÊhistoire dÊun rêve un peu fou. Au prin-temps 2013, le monde de lÊédition salue laparution du premier tome de Lastman, ambi-

tieuse série signée à six mains par Yves Bigerel, plusconnu sous le pseudonyme de Balak, qui sÊest forgéune solide réputation depuis sa formation aux

Gobelins avec la web-série Les Kassos ; MichaëlSanlaville, illustrateur lyonnais salué pour la réussitede ses premières bandes dessinées, dont Le Fléau vert ;et Bastien Vivès, lÊun des auteurs les plus talentueuxde la nouvelle génération dÊauteurs BD aux côtésdÊun Lewis Trondheim, dÊun Riad Sattouf ou dÊunJoann Sfar, remarqué pour ses albums Le Goût duchlore, Polina ou La Grande Odalisque. Prévu dès lÊoriginepour tenir sur 12 volumes (le neuvième est sorti enoctobre dernier), lÊarc narratif de ce ÿ manga à lafrançaise Ÿ, entre cadrages éclatés, décors dépouilléset onomatopées, également influencé par la pop-culture américaine, développe lÊalliance insolite entreAdrian Velba, un jeune garçon valeureux qui rêvede gagner un tournoi local de lutte, et RichardAldana, un étranger taillé pour la discipline qui luipropose dÊêtre son partenaire et tombe vite sous lecharme de la mère de lÊenfant. Le succès est au ren-dez-vous et, loin de se reposer sur leurs lauriers, lesauteurs poursuivent un rythme de parution soutenusans que la qualité ne faiblisse au fil des volumes(en 2015, le Festival dÊAngoulême a profité de laparution du sixième pour décerner à Lastman le Prixde la série). Afin de tenir la cadence de 20 planchespar semaine, une savante répartition des rôles a étémise en place : Balak se charge du découpage et dela mise en scène, Bastien des grandes lignes de lÊin-trigue et, à tour de rôle avec Michaël, du dessin.

DE LA SUITE DANS LES IDÉES

Mais lÊambition des auteurs ne sÊarrête pas là : à lÊétédernier, le jeu vidéo Lastfight sÊinvite sur PC, avantune sortie sur consoles Xbox One et Playstation 4(voir chronique dans notre numéro spécial JapanExpo 2016). Que prolonge une série dÊanimation,dont la fabrication a été déléguée à trois studios(JeSuisBienContent à Paris, Tchack à Lille et Caribanaà Annecy), diffusée en fin dÊannée sur France 4 dansle cadre de lÊémission Ré Animation dédiée à lÊanimationado-adulte, spécifiquement adaptée au programme.Il sÊen est fallu de peu : en effet, le changement dedirection à la tête de France Télévisions a sonné enfin dÊannée le glas dÊune case horaire initiée en 2012.Un coup dur qui, ajouté à la défection surprise encours de route dÊun partenaire important, a incité leproducteur Everybody on deck à lancer à la hâte unecampagne sur Kickstarter pour boucler les 12 derniersépisodes avant la date-butoir imposée par la diffusiontélévisée. Clôturée à la fin de lÊété, la démarche apermis de récolter près de 185 000 € grâce à la géné-reuse contribution de 3255 mécènes, somme coquettesuffisante pour financer la réalisation de six épisodes.Avec une bonne dose dÊhuile de coude, les six autresvoient donc le jour comme prévu, le scénario étantficelé de longue date. Mais, loin de se borner à uneadaptation littérale de la BD, la série sÊavère en réalité

La 37e édition du Salon du Livre devrait mettre à l’honneur (non confirmé à l’heure où nous imprimons) l’adaptation animée dumanga Lastman. Retour avec le réalisateur Jérémie Périn sur une aventure aux allures de parcours du combattant.

LASTMAN :

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DE L’ÉCRIT À L’ÉCRAN

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un préquel situé 10 ans en amont des événementssur support papier. Dans une capitale gangrénée parla mafia, un boxeur novice voit son existence cham-boulée quand son ami est assassiné par une secte quicherche à mettre la main sur sa fille à lÊabri dans unpensionnat. LÊhomme vole alors au secours de lajeune demoiselle sans se douter du pétrin dans lequelil vient de se fourrer.

UN CAS D’ÉCOLE

En dépit de la production chaotique et dÊune diffusiontélévisée incompréhensible (les 26 épisodes ont étédiffusés confidentiellement en deuxième partie desoirée, à raison de 6 à 7 épisodes dÊaffilée, manièredÊhonorer et de liquider le contrat), la série animéede Lastman est un exemple édifiant dÊadaptation exem-plaire. Les cliffhangers évoquent la BD qui a su sÊimposercomme un modèle de page-turner, la mise en scènenerveuse alterne plans en caméra subjective, splitscreens et ralentis à bon escient, lÊatmosphère de filmnoir et les scènes dÊaction musclées accrochent irré-sistiblement lÊattention, et le doublage très expressif,au service de dialogues crus et décomplexés, concou-rent à la réussite dÊun des coups dÊéclat de lÊanimationfrançaise de la décennie. Par ailleurs, la série, dontlÊanimation Flash assurée par 12 animateurs enmoyenne par épisode respecte fidèlement la chartegraphique de la BD, assume une dimension adulteavec ses plans sexy et violents comme en témoignent,dans les épisodes inauguraux, une danseuse affriolantegiflée par son patron, ou la dépouille ensanglantéede lÊami de Richard Aldana abandonnée dans uneéglise. Une fameuse maxime affirme à juste titrequÊadapter cÊest trahir : le passage à lÊécran de la BD-phénomène lÊillustre à merveille en choisissant demiser sur la complémentarité entre les deux médiums.Mission accomplie.

DEUX QUESTIONS À…JÉRÉMIE PÉRIN, RÉALISATEUR DE LASTMAN

Bastien Vivès et Michaël Sanlaville ne sont pas cré-dités au scénario de la série animée : sÊagit-il dÊunchoix délibéré de leur part ou dÊun manque detemps ?Jérémie Périn : Un peu des deux. Laurent Sarfati,

le directeur de lÊécriture, a proposé à Balak, davan-tage impliqué dans le scénario et le storyboard dela BD, de participer à lÊécriture du scénario. Celanous a permis dÊavoir une caution validant la sérieaux yeux des auteurs de la BD. Balak a rapidementpu nous dire si tel ou tel personnage réagirait detelle manière par rapport à lÊunivers de la BD, carau départ on balançait des idées qui nÊétaient pastout à fait dans le ton. Par ailleurs, si au début onétait tributaires de la BD, au bout dÊun moment lasituation sÊest inversée et des éléments du dessinanimé ont été intégrés dans la BD afin dÊentremêlerles deux univers. Cela sÊest fait naturellement, sanscalcul mais dans un souci de cohérence générale.LÊidée est aussi que la BD comme la série puissentêtre lues ou regardées indépendamment. Chacunea néanmoins sa personnalité propre, cÊest ce quesouhaitaient les auteurs quand ils ont accepté lÊidéedÊune adaptation animée : que le réalisateur se réap-proprie lÊunivers sans pour autant en trahir les codes,avec lÊenvie dÊêtre surpris en tant que spectateurset de voir que le monde quÊils avaient créé avaitson existence propre. Les deux sont donc complé-mentaires.

La production chaotique vous désespère-t-ellesur la difficulté de financer une série animée adulteet ambitieuse en France ?Au-delà des problèmes spécifiques liés à notre situa-tion, le souci est moins lÊargent que celui du temps,puisque la case horaire prévue pour Lastman a disparu.Une série jeunesse rencontre moins ce genre desouci puisque les cases horaires pour enfants existe-ront toujours. ¤ partir du moment où on a lÊoppor-tunité de faire une série pour adultes, tous les pro-blèmes que lÊon rencontre dÊordinaire disparaissent,que ce soit dans le contenu, les dialogues ou la miseen scène, puisque dans une série jeunesse on esttoujours obligé dÊexpliquer et de surligner trois foisles choses pour quÊil nÊy ait pas dÊambigüité. Là non,on a le droit au hors-champ, au sous-entendu.LÊoccasion de jouer avec lÊintelligence du spectateur

dans le scénario et dans la miseen scène. En Europe, les des-sins animés pour adultes restentcompliqués à produire, mêmesÊil y en a plus que par le passé.Reste la difficulté à trouver desdiffuseurs. On paye donc unpeu les pots cassés.

� LASTMAN, SAISON 1série animée réalisé par Jérémie Périn,26 épisodes de 13 min. Sortie DVD envisagéepour lÊautomne 2017.

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De retour au Japon après avoir passé un anen France en 2005-2006, J-P Nishi se sentchangé : il aborde les femmes plus facile-

ment. Si cette prise de confiance lui permet dÊavoirquelques aventures, ses relations ne durent jamaisplus dÊun an. JusquÊà ce quÊil fasse la rencontre dÊuneFrançaise, Karyn Poupée, correspondante perma-nente de lÊAFP au Japon. Cette dernière deviendrasa femme. Le manga raconte le quotidien du couple,auquel sÊajoute au fil des pages un fils.

¤ nos amours reprend le format des BD de J-P Nishi :sans véritable continuité linéaire, lÊauteur raconteson quotidien tout en abordant certains décalagesculturels quÊil observe chez sa femme et lors de sesvoyages.

DEVENIR PÈRE

Ce sont donc bien les ÿ petites différences Ÿ chèresà Jules Winnfield dans Pulp Fiction qui vont inter-peller J-P Nishi : rituel complexe de la bise, rapportsdes Français avec les garçons de café, attitude desinconnus vis-à-vis des bébés⁄ Mais à ces anecdotessocio-culturelles sÊajoutent celles liées à la nouvellevie de ÿ non-célibataire Ÿ de lÊauteur. On en apprenddÊabord beaucoup sur les habitudes de son épouse– fan dÊaudiovisuel et de la couleur noire. Mais cÊestsurtout lÊapprentissage de la paternité qui occupelÊessentiel de lÊouvrage, du choix du prénom dubébé à ses habitudes en société, en passant par sonévolution physionomique.

Pour illustrer lÊensemble de ses propos, J-P Nishiuse de son style comique, simple et rond. Si le traitpourra rebuter certains, il sÊadapte parfaitement à

la thématique légère de ce manga. Car avant dÊêtreune BD consacrée à lÊanalyse comparative desmanies des Français et des Japonais, il sÊagit avanttout dÊune fluvre humoristique. ¤ nos amours nÊestpas avare de scènes de franche rigolade, encoreplus savoureuses quand on sait quÊelles se sont cer-tainement réellement produites.

¤ nos amours poursuit et complète la série de mangasautobiographiques de J-P Nishi. On voit son per-sonnage évoluer et mûrir au fil du temps, phéno-mène que lÊon observe rarement aussi franchement

chez un auteur de BD. Unmanga recommandé pour lescouples internationaux, ainsiquÊaux passionnés du Japon qui,à travers le portrait de KarynPoupée, découvriront le par-cours dÊune nippophile installéeau Japon.

ÉQUILIBRISME

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Invité du Salon du Livre, J-P Nishi revient dans nos rayonnages avec un nouvel ouvrage mettant en scène sa vie. Après ses péripétiesfrançaises racontées dans le triptyque À nous deux, Paris, Paris, le Retour et Paris Toujours (édités chez Picquier), il s’attaque àla vie de couple dans À nos amours, publié par Kana.

FRANCO-JAPONAIS

� ¤ NOS AMOURS, T.1de J-P Nishi, Kana, 168 p. n&b, 12 €

THOMAS HAJDUKOWICZ

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LE CHOC DES CULTURES

L e 24 mars de 14h à 15h au Salon du Livre, J-P Nishi etKaryn Poupée (photo ci-dessus) participeront à la

conférence ÿ Choc des cultures Ÿ animée par Flavien Apavou.Autres invités : Lolita Séchan et Alexandre Bonnefoy.

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Stefano Casini est un auteuritalien qui demeure méconnudu grand public en dépit des

nombreux albums quÊil a réalisés et dela qualité de ceux-ci. LÊauteur transal-pin a pourtant été primé pour Hastala victoria !, une fresque retraçant larévolution cubaine à travers les yeuxdÊun marin italo-corse. Même si lessujets à connotations historiques sontceux dans lesquels il semble être leplus à lÊaise, Casini a visité dÊautresgenres comme le fantastique (Digitusdei) et le polar (Masques). Terminonsce préambule en soulignant le carac-tère marqué de son trait et lÊintelli-gence de ses mises en couleurs– aspect de plus en plus saccagé parles adeptes de la retouche numérique.

FOISONNEMENT

Depuis 2016, lÊauteur travaille sur undiptyque dumasien autant pour saforme que par rapport au cadre danslequel se déroule lÊintrigue. La Lame etla Croix se déroule en effet pendant laguerre de Trente Ans, alors quelÊEurope se déchire entre royaumescatholiques et protestants. ¤ lÊinstardes Trois Mousquetaires, on retrouveRichelieu ainsi quÊune intrigante res-semblant quelque peu à Milady de

Winter dans les coulisses de lÊintrigue.La coloration de la série est aussi mâti-née dÊun peu de Comte de Monte-Cristo,puisque lÊun des personnages sÊavèreêtre un usurpateur soucieux de retrou-ver puis de tuer les véritables héritiersdes terres quÊil possède. Les succes-seurs en question se révèlent être unbretteur hors pairs et une fermièreperdue au milieu dÊune vallée.LÊinfluence dÊAlexandre Dumas ne sÊar-rête pas là. La Lame et la Croix combine

non seulement romanesque et réalitéhistorique, mais elle accorde aussi beau-coup dÊimportance à sa galerie de figu-rants composée de portraits fouillés,complexes et même hors normes.Même si, globalement, on retrouvelÊopposition traditionnelle entre bonset mauvais, plusieurs protagonistesnaviguent entre deux eaux. Le person-nage le plus étonnant restant lÊaugureet conseiller du Baron Aren von Kreuzequi nourrit, à son propre insu, des sen-timents troubles pour son maître.

CLARTÉ

Stefano Casini, à travers cette aven-ture en deux parties, renouvelle ungenre qui bat de lÊaile depuis un certaintemps. Beaucoup de récits dÊinspira-tion historique sÊen tiennent encore àmettre en scène un événement ou unpersonnage sans développer la psy-chologie des différents acteurs ouaccorder de soins à lÊorchestration delÊintrigue (quand il y en a une). Endehors du Murena de feu Delaby, lesséries historiques captent difficilementdes lecteurs susceptibles de sÊembar-quer sur du long terme. Outre lesrisques dÊinterruption pour cause demévente ou de décès de lÊauteur(Delaby), il faut composer avec lerisque de voir le récit sÊétioler au fildes albums.Que ce soit avec Hasta la victoria ! ouLa Croix sanglante, Stefano Casini réus-

sit le tour de force qui consiste àcondenser les ingrédients essentielsà une bonne fiction et des événe-ments historiques. Même si les faitsen question ne sont pas précis, lÊen-vironnement et le climat sont parfai-tement rendus. Les enjeux politiqueslarvés dans La Croix sanglante, ceux enlÊoccurrence très compliqués de laGuerre de Trente Ans, ne sont pasdémêlés dans leurs moindres détails,mais peuvent être parfaitement com-pris dans leur ensemble. Là est lÊes-sentiel.

LA LAME ET LA CROIX, T.2LA CROIX SANGLANTE

de Stefano Casini,Mosquito,

80 p. couleurs, 18 €

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AU SERVICE DE L’HISTOIRE Sur fond d’une Europe enlisée dans la Guerre de Trente Ans, Stefano Casini raconte un épisode fictif où romances et aventuresrivalisent avec les véritables enjeux politiques de ce conflit. L’auteur parvient avec adresse à concilier divertissement et pédagogie.

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Tout commence de façon clas-sique, respectueuse des tradi-tions de la série septuagénaire.

Lucky Luke est chargé par un procureurdÊune nouvelle mission concernant lesDalton. Ils ne se sont pas échappés dubagne, mais lÊun dÊentre eux (Jack, undu milieu) a entamé une grève de lafaim, sans sÊexpliquer. De son côté,Lucky Luke a des problèmes avec JollyJumper qui semble être redevenu uncheval tout à fait ordinaire, incapablede dialogue ou de complicité. Une nou-

velle tenue (en fait il inverse les couleursde sa chemise et de son foulard), et enroute ! Cela pourrait être lÊoccasion deretrouvailles avec sa fidèle monture.Le procureur nÊa pas épargné au cow-boy les ricanements à lÊévocation delÊamitié particulière qui unit le cavaliercélibataire à sa monture, ni les expres-sions exotiques qui révèlent son goûtpour le tourisme.Le problème, cÊest que personne nereconnaît Luke, arrivé à pied dans unenouvelle tenue, prisonnier de son image !Et ce goinfre dÊAverell nÊa pas laisséperdre les repas non consommés par sonfrère, il sÊest donc fortement enrobé.Lucky Luke devra escorter les quatrefrères pour les aider à retrouver MaDalton quÊon a enlevée.

LES DALTON DANS UN BOUZARD

Comique de situation, comique desdialogues, jeux avec les codes de la

série, nous avons demandé à lÊauteurcomment il avait composé cet album(plus petit que celui de MatthieuBonhomme, car il contient moins deplanches, ce qui joue sur le façonnageet la tenue) qui pourrait ressembler àune parodie sÊil nÊétait pas édité parlÊéditeur régulier !Guillaume Bouzardprécise : ÿ Je connaisbien Lucky Luke et je mesuis approprié les person-nages en les creusant àma façon. LÊéditeur mÊalaissé les coudées fran-ches. Pour les gags en

fin de planche, cÊest que je fonctionne toujoursainsi pour que la page exprime quelque chose.JÊaime bien les mots à double-sens, jÊessaie defaire sonner les choses et que cela soit drôle.Pour les intrusions dÊexpressions modernes(dawa : mettre le feu), jÊessaie de mieux ancrerLucky Luke dans la réalité sans que cela soittrop anachronique. Lucky Luke est plus habi-tué aux grands espaces quÊaux discussionscultivées de salon. Ÿ

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LUCKY STRIKESi Matthieu Bonhomme avait tiré Lucky Luke vers le réalismesérieux en offrant sa vision personnelle du personnage,Guillaume Bouzard fait exactement le contraire avec unhommage bien déjanté à la série, pour notre plus grand plaisir.

� JOLLY JUMPERNE RÉPOND PLUSde Guillaume Bouzard,Dargaud, 48 p. couleurs, 13,99 €

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Sestrières, une station de skidu Piémont italien. Federica,14 ans, y passe chaque été

des vacances avec ses grands-parents.Elle retrouve ainsi son amie Noemiqui habite là toute lÊannée. Noemi estun peu plus âgée et ne se prive pasdÊuser des charmes dont son corpsélancé est désormais pourvu. Pour elle,lÊépoque des bases secrètes et des com-plicités ludiques est passée, voici venule temps des garçons, de la séductionet du goût du danger. Federica est fas-cinée. Le lendemain dÊune sortie clan-destine et alcoolisée en boîte de nuit,Federica reste sans nouvelles deNoemi...

APPENDICE ABANDONNÉ

Ici, tout tourne autour du téléphoneportable. Chaque adolescent estfusionné au sien et en fait un usagepersonnel et singulier. Laisser de côtéun tel appendice est inconcevable :

cÊest la découverte du téléphone aban-donné de son amie qui enclenche lÊin-quiétude de Federica. Avec lÊaide duperspicace Nicola, elle se lance à larecherche de son amie disparue.LÊaction de Sestrières se présente donccomme une enquête qui se déroulesur une seule journée, ponctuée dequelques flash-backs, aisément iden-tifiables chromati-quement, retraçantles événements de laveille.Lucia Biagi brodeavec finesse les liensqui unissent les êtreset la façon dont ils

peuvent se distendre ou se resserrer. Ily a deux ans, son Point de fuite (chez lemême éditeur) retranscrivait le senti-ment de solitude dÊune jeune femmeface à une grossesse non désirée, la finde lÊinsouciance en quelque sorte. IcicÊest la fin de lÊenfance qui lÊintéresse.Quel meilleur cadre pour cet abandonquÊune station de ski hors-saison, voletsclos et magasins fermés ? Lorsque laneige a fondu, cÊest en effet un toutautre monde qui est révélé.

L’ÉTÉ DE LA FIN

� SESTRI˚RESde Lucia Biagi,çà et là, 204 p. bichromie, 20 €

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Avec Sestrières, son deuxième livre, la Transalpine Lucia Biagis’affirme comme une délicate observatrice des états transitoireset des émotions subtiles.

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Les Branleurs,T.1, Introduction,par Larcenet et Salch

Les Branleurs est une BD réalisée àdeux, mais à tour de rôle, chacunrebondissant sur les planches de lÊautre.Manu Larcenet et Éric Salch jouent danscet album à une partie de ping-pongvacharde, à distance et en dessins. Lepostulat : le premier est une ÿ starinternationale de la BD Ÿ, et il accorde ausecond, ÿ un gros branleur qui nÊa aucunsuccès Ÿ, le privilège dÊapposer son nomà côté du sien en couverture dÊun livre.Quelques gags réussis, des piques biensenties, de lÊautodérision et un peu descatologie jalonnent les pages de cerécit improvisé. Drôle, mais pasfollement, lÊalbum souffre de sondispositif créatif nÊaboutissant querarement à un résultat convaincant.Les Rêveurs, 176 p. couleurs, 15 €

OLIVIER PISELLA

Stern, T.2, La Cité dessauvages, de Frédéricet Julien Maffre

Stern est unfossoyeur duKansas, maisil se distinguede l'imagerieclassique ducroque-mortpar unimmenseappétit pour leslivres. En pannede lecture dans

son patelin local, il décide de se rendreà Kansas City pour y faire desemplettes, mais il s'y fait détrousserdès son arrivée : argent, bottes et mule,on ne lui laisse qu'une grosse bosse enéchange. Il va tenter de récupérer sespossessions au cours d'une longue nuitpleine de dangers et de mauvaisesrencontres. Des dialogues au tonpersonnel, un dessin sans esbroufe maisefficace, un récit palpitant et original.Dargaud, 80 p. couleurs, 14,99 €

MICHEL DARTAY

Motorcity,de Runberg et Berthet

Une jeunediploméede l'écolede police deStockholm sefait affecter aucommissariatde sa villenatale.Problème :certains deses collègues

de travail se souviennent de ses écartsde jeunesse, et ses complices d'antann'apprécient pas son choixprofessionnel. La jeunesse locale estadepte du ÿ raggare Ÿ, mouvementsuèdois qui se nourrit de rock and roll,d'alcool, de vieilles voitures américaineset de bagarres. Un homme a disparu,la tension va monter progressivement,avant l'horreur finale ! Un cadred'enquête original, une petite villeen apparence bien tranquille, desprotagonistes à la double vie.Dargaud, 64 p. couleurs, 14,99 €

JEAN-PHILIPPE RENOUX

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LÊidée était plutôt bonne.Camille Harland, jeune veuvequi vient de perdre son

emploi et dont la fille est tuberculeuse,possède la capacité dÊhypnotiser quibon lui semble. Un talent acquisauprès de son défunt mari, artiste decabaret mort pendant la GrandeGuerre. Pour trouver lÊargent quipaiera les soins de sa fillette, la jeunefemme va détrousser un homme richequi avait répondu à ses avances.Découverte par la police, elle poi-gnarde les deux inspecteurs venus lÊar-rêter, ce qui lui vaut dÊêtre internéepour troubles psychiatriques. Uneaubaine, car Camille nÊest pas follepour un sou. Dans lÊétablissement quilÊaccueille, elle se lie dÊamitié avecAlbertine, vraie démente pour le coup,avec qui elle parvient à sÊéchapper delÊasile. Pour se réfugier auprès dugrand-père de celle-ci, un vieil anar-chiste qui fabrique des bombes pourun petit groupe qui défend les mêmesidées par la violence. Nous sommesen janvier 1919, la révolution sovié-tique vient dÊavoir lieu, mais surtout,la conférence pour la Paix se prépare,et Paris sÊapprête à accueillir desdizaines de chefs dÊÉtat pour solderquatre années de guerre. LÊoccasionpour le groupuscule du grand-pèredÊAlbertine de frapper un grand coup.

CONFUSION

Certes, lÊidée était plutôt bonne. Et lecoup de théâtre qui survient vers lamoitié du récit est assez réussi (mêmesi on peut sÊinterroger sur la cohérenceentre le hasard qui conduit Camille aucentre du complot et le scénario for-cément préétabli du retournement desituation. On pourrait également trou-

ver un peu faciles les circonstances quientraînent le percement à jour de lajeune femme). Mais la multiplicationdes fils narratifs fait perdre de sa sub-stance à lÊintrigue principale, lÊattentatcontre des officiels de la conférencepour la Paix. On ne sait plus trop silÊalbum porte sur les préparatifs dÊunpetit groupe anarchiste (vraiment unemenace en 1919 ?), la vie dÊAlbertine(dont la folie est due à un épisode dra-matique de son existence), le passé deCamille ou le marché conclu par lajeune femme. ¤ trop dérouler dÊin-trigues secondaires et lancer quelquespistes pour plus tard, ce sont les fon-dations du scénario qui ne sont pasassez creusées. Finalement, on en vientà regretter que lÊaptitude de Camille

– qui donne son titre à lÊalbum –, ainsique le riche arrière-plan historique, nesoit pas plus exploités, et que le récitsoit focalisé sur eux. Ce sera peut-êtrele cas lors des prochains épisodes. PourlÊinstant, Hypnos reste malheureusementau stade de lÊaimable divertissement.

HYPNOS

de Galandon et Futaki,Le Lombard,

56 p. couleurs, 13,99 €

Laurent Galandon et Futaki explorent le début de l’entre-deux-guerres avec Hypnos, un polarpolitique qui laisse sur sa faim. Diluée dans un faisceau de fils rouges secondaires, l’intrigueprincipale manque de force. Un premier tome un peu bancal.

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Depuis quelques années, les éditeurs debande dessinée imaginent des collectionsqui proposent une thématique homogène,

dans le but de toucher de nouveaux publics. ÿ Ilsont fait lÊHistoire Ÿ chez Glénat, en partenariatavec les éditions Fayard, ÿ Sociorama Ÿ chezCasterman, en partenariat avec Society, ou ÿ LaPetite Bédéthèque des savoirs Ÿ au Lombard, sontdes exemples parmi dÊautres. Les éditions Delcourtlancent avec Mars Horizon le premier volume de lacollection ÿ Octopus Ÿ, spécifiquement tournéevers la science. ¤ sa tête, Boulet, un auteur bienconnu des lecteurs et passionné par le domainescientifique. Pour démarrer en douceur la collection– on imagine que de prochains sujets seront plusardus –, Mars Horizon propose un récit entre docu-mentaire et science-fiction. LÊhistoire se déroule eneffet en 2080, sur la surface de Mars, lors de lÊarrivéesur la planète rouge de la première mission humaine.LÊintrigue repose donc sur lÊinstallation de cetteéquipe de six ÿ marsonautes Ÿ qui, on sÊen doute,réserve des difficultés hors du commun. ¤ 150 mil-lions de kilomètres de la Terre, dans un environne-ment particulièrement hostile pour lÊHomme, lemoindre faux pas coûte extrêmement cher. Au scé-nario de ce cette projection dans un avenir assezlointain, on trouve Florence Porcel, vulgarisatricescientifique très suivie qui a roulé sa bosse surFrance 5, France Inter et aujourdÊhui Internet. Maissurtout, qui a participé au projet ÿ Mars One Ÿ, envue dÊenvoyer des humains sur la planète rouge. Etqui a raté dÊun cheveu (elle a quand même passétrois tours de sélection et sÊest retrouvée dans les660 derniers candidats sur 200 000) la sélectionpour la mission spatiale. Faut-il alors sÊétonner queJeanne Clervois, le personnage principal de MarsHorizon, lui ressemble physiquement ?

2080, L’AN 1 DE LA VIE HUMAINE SUR MARS

Très concernée par lÊexploration martienne, FlorencePorcel imagine jusquÊen 2080 tout un calendrierpour le projet MEME (Moon-Earth-Mars-Europa),quÊelle attribue à lÊONU en 2030. Un programme

dÊampleur mondiale, dont lÊobjectif est de luttercontre le réchauffement climatique en trouvant lestechnologies nécessaires pour vivre sur Mars. AveclÊidée que si lÊêtre humain peut survivre à la planèterouge, il pourra résister aux bouleversements duclimat sur Terre. Le 8 octobre 2080, après des décen-nies de largage de matériel sur Mars, cÊest au tourde la mission humaine de poser le pied sur le solrouge caillouteux. CÊest lÊinstallation de cette équipede trois femmes et trois hommes que lÊon suit auplus près des personnages, comme en lisant un jour-nal de bord. Les nombreuses et intéressantes don-nées scientifiques sont intégrées au récit de manièredouce, rarement sous la forme dÊun didactisme trop

appuyé. Le fil rouge de lÊintrigue est lÊadaptationdÊêtres humains à ce nouvel environnement, plutôtquÊune description des technologies employées(dÊailleurs, et cÊest peut-être le bémol de Mars Horizon,les ÿ marsonautes Ÿ utilisent peu ou prou lesmachines et techniques actuelles, bien quÊils soienten 2080). Les relations entre les membres de lÊéqui-page, appelés à rester ensemble pendant 550 jours,sont en effet cruciales pour la bonne marche de lamission. En cela, le dessin dÊErwann Surcoufconvient parfaitement au récit. Sa simplicité focalisela lecture sur les personnages, au lieu de mettre lÊac-cent de façon flamboyante sur les décors et les pay-sages. Pour autant, le suspense nÊest pas absent et

ajoute une pointe de ten-sion bienvenue.LÊexploration de Mars estprésentée ici avec unenthousiasme rafraîchis-sant. Mais ne faut-il pas unpeu de pensées positivespour faire avancer leschoses ?

Fouler la planète rouge

THIERRY LEMAIRE

Mars Horizon est une fiction documentaire de Florence Porcel et Erwann Surcouf qui décrit l’installation de la première missionhumaine sur la planète rouge en 2080. Un album à la fois pédagogique, drôle et euphorique. Un plaisant ambassadeur pour uneexploration de Mars.

� MARS HORIZONde Florence Porcel et Erwann Surcouf,Delcourt, coll. Octopus, 110 p. coul., 16,50 €

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Philippe Moline rentre chezlui et découvre une lettre desa bien-aimée lui apprenant

quÊelle le quitte. Ne supportant pascela, il demande à un collègue de tra-vail dÊappeler la dénommée Patriciaet de lui annoncer sa mort. Après unweek-end passé au lit, il ne se rendpas à lÊusine et a la surprise de croiserson patron qui a manifestement faitcomme lui. Par un concours de cir-constances, il se retrouve en voitureaux côtés de Trashy, un batteur quiva en montagne rejoindre son nou-veau groupe et dont les pratiques (rou-ler en lâchant le volant ou en buvantdu pastis pur⁄) accentuent toujoursdavantage son stress.

AVENTURE EN ROUE LIBRE

Mort & vif sÊimpose dès ses premièrespages comme un album totalementsingulier. Le scénario, riche et dense,enchaîne les situations les plus follestout en étant pleinement ancré dansune réalité bien dÊaujourdÊhui, faisantréférence à la crise comme à cespatrons qui ferment leurs usines dujour au lendemain et partent avec lÊar-

gent issu de la vente des machines. Sitout est possible en termes de péripé-ties, tout lÊest également au niveauvisuel. Ainsi, cet album ne cesse pasde surprendre par ses partis pris gra-phiques. Chaque planche semble éla-borée à partir dÊun gaufrier de 15 caseset, dans nombre dÊentre elles, à lamanière des cadavres exquis dessinés,des éléments effectuent le lien avec lacase précédente et la suivante, celledu dessus comme celle dÊen dessous.Cela établit une continuité et fait dechaque page un ensemble quadrillépar les cases. Autre grande originalité :le personnage principal prend la formedÊune silhouette noire aux yeux rouges.Il nÊa donc ni visage, ni particularitésvestimentaires. Cependant, son phy-sique est perméable aux éléments exté-rieurs : un son inattendu le déconstruit,une voiture qui manque de lÊécraser lefait vibrer⁄ Son apparence nÊempêchedonc guère de ressentir ses émotions,bien au contraire. Au fil des pages,David Prudhomme livre un festival detrouvailles narratives et graphiques,jouant tout particulièrement sur leshachures qui contrastent grandementavec les aplats noirs.

Exigeant et ludique, Mort & vif impliquele lecteur comme rarement et lui faitvivre une aventure à la lisière de laréalité et du rêve, de lÊabattement etde la joie. LÊun des chefs-dÊfluvre delÊannée 2017.

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SnÕrgard,de Vincent Wagner

¤ la grandedéceptionde son père,ambitieuxseigneur localdans la Norvègedu XIIIe siècle,le jeune Pelle nepartage pas soninclination à laviolence et la

conquête. Son tempérament seraitplutôt fait de curiosité et dÊaltruisme.Derrière la quête héroïque (deuxjumeaux maudits à sauver), se profileainsi lÊhistoire de la lutte dÊun individupour sÊémanciper de sonenvironnement social et despressions familiales. ¤ défaut dÊunetrame très originale, la mise en scènealterne efficacement ampleur despaysages et plans plus intimes, actionet introspection. Le trait de VincentWagner a gagné ici une souplesseet une vie qui lui faisaient défautauparavant pour livrer un récitémouvant qui, bien quÊorientéjeunesse, ne délaisse pas le tragique.Éd. du Long Bec, 184 p. coul., 24 €

VLADIMIR LECOINTRE

Undertaker, T.3,L'Ogre de Sutter Camp,de Dorison et Meyer

Après un premierdiptyque quipermettait demettre le lecteurdans l'ambiancemortifère desaventures d'uncroque-mortdésabusé, revoilàJonas sur son

corbillard, avec sa fine équipeconstituée d'un vautour, d'unevigoureuse Chinoise et d'une jeuneet inexpérimentée Anglaise.Cette fois, il s'agit de retrouver unchirurgien militaire spécialisé dansles expérimentations à vif et lesamputations. Il a pris en otage lefils de son ancien officier, lui-mêmemanchot. Côté violence et détailssadiques, le lecteur va être servi, danscet album toujours magnifiquementdessiné par l'excellent Ralph Meyer. Dargaud, 64 p. couleurs, 13,99 €

JEAN-PHILIPPE RENOUX

Tintin au pays des Soviets,de Hergé

Voilà enfin lareprise encouleurs de lapremière aventuredu jeune reporterau Petit Vingtième.On a longtempsconsidéré cetalbum commeun péché de

jeunesse maladroit et violemmentanticommuniste. ¤ l'époque, Hergéest un jeune desinateur qui découvrele média BD alors balbutiant enBelgique (deux de ses principalesinfluences, Rabier et Saint-Ogan,sont français). Mais la maladresseburlesque des débuts laisse viteentrevoir les promesses à venir.Hergé baignait à l'époque dans unmilieu conservateur et catholique,mais les travers de la Guépéouétaient malheureusement basés surla réalité. L'occasion d'uneredécouverte !Casterman, 140 p. couleurs, 14,95 €

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MORT & VIF

de Jef Hautotet David Prudhomme,

Futuropolis,80 p. couleurs, 19 €

BORIS HENRY

Jef Hautot et David Prudhomme signent une chronique sociale décalée et mordante où tout paraîtpossible, scénaristiquement et visuellement. Il en résulte une bande dessinée réjouissante.

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CHANGER DE VIE ?MOURIR POUR

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Un sujet en or. Trois frères,successivement roi de Fran-ce et tous décédés préma-

turément de mort violente. Le tout àlÊépoque éminemment sanguinaire ettrouble des guerres de religion entrecatholiques et protestants. Commentrésister à lÊappel du récit historique ?Après avoir fait lÊimpasse sur Fran-çois II, lÊaîné, Richard Guérineauadapte en 2013 Charly 9, le roman deJean Teulé qui décrit le règne deCharles IX, lÊordonnateur du massacrede la Saint-Barthélemy. Ne restait plusquÊà aborder le règne dÊHenri III,avant-dernier de la fratrie (mais der-nier roi de la tricentenaire maison deValois), bien connu pour ses mignons,ses (supposées) tendances homo-sexuelles et sa passion des bilboquets.Avec Henriquet, lÊhomme reine, RichardGuérineau livre – seul aux commandescette fois – un album en droite lignedu très réussi Charly 9. Grande érudi-tion, clarté de lÊexposition, pointesdÊhumour, petite musique des dia-logues, les belles lignes de force duvolume précédent sont conservées.LÊintrigue des deux albums nÊest pasnon plus très éloignée. LorsqueHenri III monte sur le trône, le conflitavec les protestants nÊest toujours pasréglé, les intrigues de cour continuentde polluer lÊatmosphère, Catherine deMédicis – la mère des trois rois – faitencore la pluie et le beau temps.

RIGOUREUX ET LUDIQUE

On aurait pu craindre que la précisiondes faits et la masse dÊinformationssoient un frein à la lecture. Il nÊen estrien. Ceux qui ne voudront pas retenirle nom de tous les personnages et les

liens précis qui les unissent pourrontsÊen passer, sans pour autant perdre lefil des enjeux et de lÊintrigue. Lesautres se régaleront dÊun coursdÊHistoire aussi ludique. DÊautant plusludique que Richard Guérineau prendune fois de plus – cÊétait déjà le casdans Charly 9 – un malin plaisir à mul-tiplier les styles graphiques (quelquespages rappellent même le trait de DikBrowne, le dessinateur des strips deHägar Dünor). Ce qui nÊempêche pasHenriquet, lÊhomme reine dÊêtre parfaite-ment documenté. Pour autant, Ri-chard Guérineau donne sa vision deszones dÊombre qui subsistent sur lapersonnalité dÊHenri III, et notammentsa sexualité, lÊun des points épineuxde son règne. Pourtant reconnu trèstôt comme un homme à femmes, saproximité avec ses favoris (appelés

ÿ mignons Ÿ dès le XVe siècle) prêtele flanc aux railleries de ses détrac-teurs. Guérineau en tire un récit par-fois trivial et sexuel, souvent violentet exalté, tantôt cruel et calculateur,en un mot comme en cent, représen-tatif de lÊépoque. Un must de la bandedessinée historique.

Autopsie du

HENRIQUETLÊHOMME-REINE

de Richard Guérineau,Delcourt, coll. Mirages,192 p. couleurs, 22,95 €

THIERRY LEMAIRE

Après Charly 9, Richard Guérineau s’attaque à la biographie de son frère Henri III. AvecHenriquet, l’homme reine, c’est une nouvelle page de l’Histoire de France que le dessinateurfeuillette brillamment.

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Face au Mur,de Laurent Astieret Jean-Claude Pautot

Jean-Claude Pautot est peintre etsculpteur. Mais quand Laurent Astierle rencontre en prison, sa vie en chiffrescÊest plutôt 60 ans, dont 25 de prisonet 15 en cavale. Cette vie de braqueur,symbole vivant du grand banditismedÊune autre époque, le dessinateur deComment faire fortune en juin 40 nous laretrace dans un nouveau pavé de 160pages.Laurent Astier nÊest pas un débutant, il ades albums au compteur, souvent dansune veine polar quÊil pousse encoredavantage dans ce récit coup de poing.

CÊest une fiction,passionnante,basée sur desfaits réels. Laréalité est unebase, un matériaupermettant desublimer un récitdont Pautot est,cette fois-ci, legardien. Sur une

trame pensée à deux, il est une sortede conseiller technique qui permet,dÊun flil attentif aux détails, deconserver à lÊintrigue non pas unréalisme ennuyeux, mais une crédibilitésolide. Astier maîtrise son tempo, jouantdes allers-retours dans le temps sansperdre le lecteur. Des inventionsnarratives (le flic qui sÊaccroche à saproie, façon Pacino / De Niro dansHeat) donnent du liant à une histoireaux différentes ambiances, toutestraitées à lÊaide de teintes spécifiques,sobres. Un bon travail de mise encouleurs, posées sur un laviscomplétant un noir et blancredoutablement efficace. PourlÊanecdote (et pour initiés), des clinsdÊflil à Frank Miller confirment quenous sommes bien chez un spécialistedes sombres athmosphères.Pas une pure fiction. Pas un reportage.Face au mur prend le meilleur des deux.Casterman, 160 p. couleurs, 19,95 €

PHILIPPE CORDIER

Shi, T.1, de Zidrou et HomsFatigué des gags àrépétition, Zidroua récemment livréde nombreuseshistoires trèssérieuses et plutôtdramatiques,abordant desthèmes graves desociété. Il démarre

ici une série ambitieuse conciliantaction, mystère et violence,magnifiquement mise en images parl'Espagnol Homs. L'action alterne entrenotre époque contemporaine et lapremière exposition universelle deLondres en 1851, où sont exhibés leshabitants de pays lointains. Aux deuxépoques, une mystérieuse organisationsecrète tente de rétablir les droitsbafoués des femmes et des enfants, cequi contraste violemment avec l'avidité,le cynisme et la brutalité des classesdominantes. Passionnant et magnifique !Dargaud, 64 p. couleurs, 13,99 €

MICHEL DARTAY

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Durant les vacances scolairesdÊété, Rémy se place derrièrele grillage dÊun court de ten-

nis et aborde la belle qui y joue.LÊéchange est bref, mais suffisant pourmarquer lÊadolescent et le conduire àsÊinscrire à la rentrée scolaire dans lemême club de tennis que Clémentine.Là, il se retrouve dans le groupe desdébutants avec les plus petits, lÊobjetde son attention suivant un autre cours,mais cela ne lÊempêche pas de rencon-trer lÊadolescente. Au fil des momentspassés au club, Rémy et Clémentinesympathisent, mais cela nÊest pas dugoût du père de la jeune fille.

AMOURS CONTRARIÉES

Théo Calméjane suit ici deux pistespas franchement originales, mais quÊiltraite de manière tout à fait convain-cante. La première est la naissance

dÊune relation, de ses balbutiements àses rapprochements plus intenses. Laseconde est la pression parfois exercéepar les parents afin que leurs enfantssoient toujours plus performants etquÊils correspondent à leurs désirs. Cesdeux pistes entrent en conflit et génè-rent une tension qui ne cesse de croître,ce dÊautant plus que lÊhistoire finit parfaire écho à un authentique fait divers.Utilisant le plus souvent six à huit casespar page, Théo Calméjane établit unrythme tranquille et fluide qui convientparfaitement à son propos et auxambiances quÊil élabore. Par son tonet sa ligne claire lumineuse, cette bandedessinée se range du côté de celles deMax de Radiguès consacrées à lÊexis-tence dÊadolescents. CÊest dire si cetouvrage est pertinent !

Une chronique intimiste dynamique et quelque peu mélancoliquesur une histoire d’amour perturbée par l’omniprésence d’un pèreet de ses ambitions pour sa fille.

COMMENT

JEU DÉCISIF

de Théo Calméjane,Glénat, 112 p. coul., 19,50 €

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Tim Ginger,de Julian Hanshaw

Étonnant objet que ce Tim Ginger, quimêle des sujets disparates dans unedouce mélancolie : les vols test delÊarmée américaine, les règles ducricket, le monde de lÊédition⁄ maisaussi les thèses complotistes, ou encoreles cendres dÊun amour défunt.

Quand TimGinger, exilédans unecaravane aumilieu dudésertmexicain,retombe lorsdÊun salon dulivre sur Anna,une vieilleconnaissance,cÊest tout un

pan de sa vie qui ressurgit. LÊévocationpar bribes de son passé use avechabileté de procédés rendus tangiblespar lÊillustration : ellipses, quand lespersonnages peuvent changer dÊâgedÊune case à lÊautre ; mises en abyme,avec lÊinsertion de planches dessinéespar Anna, sur les témoignages decouples ayant choisi de ne pas procréer.La narration sÊassimile aufonctionnement de la mémoire,convoquant des instantanés, puis rusantpour détourner son attention dÊunedangereuse langueur nostalgique. Lasobriété des cases, couplée à desurannés aplats pastel, rend hommageaux bilans qui président à lÊorée de lavieillesse – ou de la sagesse.Presque Lune, 160 p. couleurs, 21 €

JULIE BEE

Star Fuckers, T.1, dÊAlcante,Gihef et Dylan Teague

Derrièrecettecouvertureaccrocheuse,un thrillergentimentaffriolant sedéroulantdans lemonde parfoisdéviant desstars holly-woodiennes.

Maria est une immigrée clandestinemexicaine payant ses traites grâce àson job de strip-teaseuse. ¤ ses heuresperdues, elle rêve de rencontrerlÊacteur beau gosse à succès HughGates, dont elle regarde tous les films.La rencontre aura bien lieu, mais pasexactement comme elle le souhaitait.Ce premier tome met en place unehistoire dÊascension sociale, celle delÊhéroïne qui va se découvrir unnouveau métier : paparazzi-vengeresse.Un divertissement bien mené.Kennes, 48 p. couleurs, 14,95 €

OLIVIER PISELLA

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Rebaptisée ÿ Le Spirou de⁄ Ÿdepuis Panique en Atlantique deParme et Trondheim, la col-

lection de one-shots (ou presque !),parallèle à la série officielle entre lesmains de Yoann et Vehlmann depuis2009, sÊenrichit dÊun nouvel album àquelques mois dÊintervalle du formi-dable récit signé Frank Pé. Auxmanettes, le duo Schwartz et Yann,ce dernier signant là son quatrièmevolume pour la collection. Suite et finde lÊaventure entamée au printemps2014 dans La Femme léopard, lÊalbumnous entraîne dans le Congo belge,Spirou et Fantasio étant accompagnésde deux locaux, la pulpeuse Aniota etle jeune et facétieux Youma, pour rap-porter le fétiche à la tribu des femmes-léopards. En route, le quatuor croiseraune faune sauvage peu amène, unprêtre missionnaire au caractère bientrempé, qui entreprend dÊévangéliserle pays entre deux diffusions de filmshumoristiques mettant en scène lesLaurel et Hardy africains, des savantsproches du régime nazi, et surtout unegraine de dictateur qui ambitionnedÊatomiser Bruxelles.

NOIR DEHORS, BLANC DEDANS

LÊaventure ne manque ni dÊallant, nidÊexotisme, et se permet même de glis-ser quelques savoureuses piques poli-tiques, à lÊimage dÊun Fantasio repous-sant des buffles en imitant lerugissement dÊun lion, lequel estrepoussé par un discours vociférantdÊHitler⁄ qui attire une horde dehyènes. Émaillée dÊexpressions pitto-resques et de termes dÊargot explicitésen-dessous des cases (un peu trop fré-quemment à notre goût), elle multipliepar ailleurs les clins dÊflil explicites auTintin au Congo dÊHergé, toujours vic-time dÊune polémique aussi vaine que

tenace, et nous régale, principalementgrâce à lÊirrésistible compagnon deroute Spip, de jeux de mots bien sentis.Les fins connaisseurs de bande dessinéesouriront aussi des références adresséesà la maison Dupuis via le personnagedu commandant Troisfontaines, clindÊflil au fondateur de la régie publici-taire de Dupuis, ou au couple Pissano-Hiverny évoqué par Fantasio, hom-mage aux auteurs Christelle et BertrandPissavy-Yvernault, signataire de mono-graphies indispensables sur les bellesheures de lÊéditeur. Le scénario révèlelui quelques jolies surprises, notamment

un twist poignant qui laisse parler lafibre boy-scout du groom, tandis queFantasio roucoule avec Aniota. Le toutavec un graphisme élégant proche dutrait de Chaland. La messe est dite.

LE MA˝TRE DESHOSTIES NOIRES

de Yann et Schwartz,Dupuis,

64 p. couleurs, 14,50 €

GERSENDE BOLLUT

Trois ans après La Femme léopard, direction le Congo pour connaître l’issue du récit troussé parSchwartz et Yann dans Le Maître des hosties noires. Exotisme garanti.

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Au début des années 1970, lasociété française et sonhomologue québécoise ont

un certain nombre de points communs.Après les événements de 1968, présentsdes deux côtés de lÊAtlantique, les ten-sions sociales ne sont pas vraimentretombées. Des groupuscules violentsfont parler dÊeux de manière sanglante.En ce qui concerne les mflurs, unefrange de la population, notammentles jeunes femmes, adopte un compor-tement, des vêtements, des pratiquesplacés sous le signe de la liberté. Et quichoquent le reste du pays. Toutefois,en y regardant de plus près, on sÊaper-çoit que la province du Québec pos-sède certaines spécificités, dues à sonappartenance au Canada et à sa proxi-mité avec les États-Unis. La première

dÊentre elles est la question de lÊindé-pendance. Une question qui partagelÊopinion. Bastion francophone dansune fédération où lÊanglais est roi,vaincu dÊune guerre qui sÊest dérouléeau XVIIIe siècle, résistant à la volontédÊOttawa dÊétouffer sa culture, leQuébec est dans un entre-deux. DÊuncôté, une partie de sa population pré-fère que la province reste bien au chauddans la fédération du Canada plutôtque de tenter lÊaventure très aléatoirede la séparation. De lÊautre, un certainnombre de mouvements font leur petitbonhomme de chemin dans les cflursde lÊopinion publique. En 1968, leMouvement Souveraineté-Associationet le Ralliement national fusionnentpour donner naissance au Parti québé-cois, favorable à lÊindépendance. Unparti débordé sur sa gauche par le Frontde Libération du Québec, un groupus-cule prônant lÊaction violente pour sor-tir le Québec du Canada. De 1963 à1972, enlèvements, incendies, explo-sions de bombe et vols à main arméeseront la marque de fabrique du FLQ,sapant ainsi régulièrement les effortspacifiques du PQ.

POLITIQUE À TOUS LES ÉTAGES

CÊest dans ce contexte un peu délétère,à Québec, en 1970, que prend placeAutomne rouge. Un récit qui décrit le quo-

tidien du jeune Laurent Lessard, 13 ans,élevé par sa mère Aline, qui ne luidonne que très peu dÊinformations surson père, mort juste avant sa naissance.Manquant de confiance en lui, le col-légien est la cible de son camarade JasonPicard, une brute épaisse. Ce cadrefamilial et scolaire permet à André-Philippe Côté et Richard Vallerand dedérouler le fil politique de cette période.Aline Lessard travaille pour lÊhôtelChamplain. Syndicaliste, elle pousseles employés à faire grève pour revalo-riser leurs salaires. Mais il se dit quelÊhôtel va être vendu. La tante deLaurent est serveuse dans un bar, hippie,plus ou moins accro à la drogue suivantles moments, et qui multiplie les liaisonsavec des hommes qui ne lui veulent pastoujours du bien. Même les cours defrançais de Laurent sont lÊoccasion deparler politique. Comme travail derédaction, le professeur demande ainsiaux élèves, bien en peine dÊen citer unréel, dÊinventer un héros québécois.Une réflexion qui fait dire plus tard àLaurent quÊil ÿ ne peut pas y avoir un super-héros au Québec. Les vrais héros existent dansles pays puissants comme les États-Unis. Ÿ Enfiligrane de la vie du jeune garçon poin-tent les agissements du FLQ, commeles enlèvements de James Richard Crosspuis de Pierre Laporte qui entraînentla promulgation des Lois sur les mesuresde guerre. Et même les Indiens, les

grands oubliés de toutes les revendica-tions de cette époque, ont droit de cité.Raconté ainsi, Automne rouge pourraitpasser pour un récit nÊintéressant queles Québécois nostalgiques ou passion-nés par leur Histoire. Il nÊen est rien.LÊalbum va bien au-delà en multipliantles clins dÊflil aux problématiques socio-économiques actuelles et en clamantque les vrais héros sont ceux quifluvrent pour le bien commun. Uneréconfortante morale à méditer en cestemps troublés.

AUTOMNE ROUGE

dÊAndré-Philippe Côtéet Richard Vallerand,

La Pastèque, 104 p. coul., 22 €

THIERRY LEMAIRE

Sur fond de tensions sociales à la fin de l’année 1970, André-Philippe Côté et Richard Vallerand livrent une chronique douce-amère de la vie de Laurent, un jeune Québécois. L’Automne rouge, période de crise pour le Québec, aura la couleur du sang verséet des révélations stupéfiantes pour le collégien.

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Portrait de la France,de François Boucq

François Boucq ouvre le bal chez lesÉditions i, nouvel éditeur qui fait sesgammes. Avec son Portrait de la France,direction les profondes tranchéespolitiques de notre hexagone. Ce quin'est pas rien car on touche le fonden dessins et en apnée pour uneÿ bistrosophie Ÿ que Carmet auraitaimée, roi des brèves de comptoir.Les huit chapitres sont animés par lesémillant Jérôme Moucherot. La Franceva mal, la médecine sÊinterroge. Dela Lepénite aiguë aux inflammationsdouloureuses des dessous de la Mairiede Paris, des fièvres du procès duCarlton à l'augmentation du goût de lavie, on passe aux rigolos sans frontières,aux investisseurs dÊoutre-espace, à descorps qui nÊen font quÊà leurs têtes, àdes présidentielles à encéphalogrammebidouillé. Le tout dans la joie, la bonnehumeur et l'humour vitriolé.

Il faut la regarderde près, cetteFrance, ences périodesincertaines,de scudsdestructeurs etprogrammés. Durire, il en faut. Lestemps sont durs.

Galopades électorales, messiesdéclarés, passations de privilèges, leridicule ne tue plus. Boucq a sévi dansun bel opus ravageur en noir et blancet aquarelle. Portrait de la France secouele cocotier du Landernau politiquedÊun extrême à l'autre, abruti par sesprétentions hautaines. Boucq a mêmetrouvé le nombril du monde, un ballonrond. Plus que signer du dessin depresse, il dissèque un grand corpsmalade. Près de deux tiers des députésne pensent qu'à se représenter en maiprochain aux législatives. De quoise poser quelques questionsfondamentales et une raison de plusde se délecter de ce Portrait de laFrance, grandeur nature peinture.Éditions i, coll.Traits, 120 p. coul., 18 €

JEAN-LAURENT TRUC

Idéal Standard,d'Aude Picault

Infirmière de 32ans, Claire a lalourde tâche deveiller sur desprématurés encouveuse. Elleaimerait bienfonder un foyer,mais autant il estfacile de faire debrèves rencontres

(jusqu'à trois mois tout de même), autantil s'avère ardu de trouver l'âme sflur, àsavoir la bonne personne qui accepteraun engagement officiel à long terme quipermettrait d'enfin devenir maman.L'horloge biologique tourne, il y aurgence. Aude Picault livre un récit pleinde sensibilité avec quelques momentsd'humour. On apprécie son habiletéà retranscrire les physionomies, lesattitudes et à ne jamais sombrer dansde faciles clichés.Dargaud, 152 p. couleurs, 17,95 €

MICHEL DARTAY

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AU BOUT DE LA NUIT

Jouir à tout prix, sans contraintesni morale Ÿ, tel est le leitmo-tiv de la société de consom-

mation. Le marché a insidieusementfait sa propre loi en profitant de lÊépui-sement du monde chrétien et de ladésintégration de lÊÉtat. Pour lesbesoins de sa cause, lÊogre du néo-libé-ralisme a attisé le sentiment de vide.Consommer est même devenu un acteidentitaire. Face à cette perte de jalons,de plus en plus dÊindividus se retrouventdésemparés. Les événements récentset le départ de centaines de jeunes genspour lÊIrak et la Syrie en sont une tristeillustration.Le personnage central de Comment jene suis pas devenu moine fait partie deceux qui ont rejeté le cynisme géné-ralisé pour se tourner vers une spiri-tualité imperméable à la modernité,vertueuse, ascétique, et surtout non-violente. Le choix de Jean-Sébastienest sincère ; il lÊest à tel point, que lejeune homme pousse son engagementjusquÊà apprendre le tibétain. Il veutdevenir moine, suivre les enseigne-ments dÊun maître au Népal et sÊim-merger de plain-pied dans cette civi-lisation.

CLAIRS-OBSCURS

Avant même son envol vers lÊAsie,Jean-Sébastien ressent une gêne face

à la langue de bois du rinpoché1 oules indélicatesses dÊun moine par rap-port au physique de lÊune de ses élèves.Mais, cÊest une fois rendu au Népalque le jeune homme comprend au furet à mesure que ceux qui pratiquentou enseignent le bouddhisme sont enproie aux mêmes démons quÊenOccident. Entre jalousies, corruption,mépris, indifférence pour les miséreuxet persécution de certaines minoritésau sein même du bouddhisme tibétain,Jean-Sébastien va de désillusion endésillusion, tout en passant à côté desa jeunesse.Les cartes se brouillent un peu plus,une fois rendu au Tibet. En marge desaffres de lÊoccupation chinoise, Jean-Sébastien fait le constat dÊun mondeempli de paradoxes. DÊun côté, il y ales clandestins et tous ceux qui résis-tent, selon leur possibilité, à lÊannexionculturelle, et de lÊautre, une populationattachée à des principes parfois sec-taires. Le jeune homme comprendquÊici comme ailleurs, la mesquinerieet la vénalité sont de mise. Le monde se découvre tel quÊil est,tout en clair-obscur. Alors que lui etson groupe sont en panne sur le bas-côté dÊune route, la seule automobilequi daigne sÊarrêter pour leur venir enaide est celle dÊun Chinois. Un mondesÊécroule alors⁄

Le récit de Jean-Sébastien Bérubé esttout en demi-teintes. Il débute avec

une vision très idéalisée et se terminedans une désillusion qui sÊavère, enréalité, très salutaire. Le jeune hommeaveuglé devient lucide, se débarrassede sa passion et acquiert une réelleliberté dÊesprit.

Comment je ne suis pas devenu moine a lemérite de lÊauthenticité, qualité rareen ce qui concerne les récits autobio-graphiques.

COMMENT JE NE SUISPAS DEVENU MOINE

de Jean-Sébastien Bérubé,Futuropolis,

240 p. n&b, 29 €

Comment je ne suis pas devenu moine est un carnet de voyage initiatique. Il y est question duTibet, du bouddhisme et d’un désenchantement salvateur. Un récit courageux, riche et finalementplus optimiste qu’il n’y paraît…

TOUT N’EST QU’ILLUSION

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1 Épithète honorifique, généralementréservé à un lama incarné.

KAMIL PLEJWALTZSKY

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Manifestement doué pourdépasser les bornes et fairecraquer son entourage,

Franck enchaîne les familles dÊaccueil.Un nouveau couple sÊapprête à leprendre sous son aile, mais lÊadoles-cent fugue de la maison dÊenfants danslaquelle il vit. Avant de partir, il faitses adieux au jardinier, lÊhomme quilÊa découvert, nouveau-né, dans laforêt voisine. Franck se rend danscette dernière, chute dans un lac etse retrouve⁄ en pleine Préhistoire.

DES PÉRIPÉTIES CONVENUES

Entremêler tradition franco-belge et élé-ments bien dÊaujourdÊhui (quelquesinfluences issues du manga, pratiques etvocabulaire dans lÊair du temps) au seindÊune série tout public est souvent inté-ressant, mais périlleux.Si le pitch met lÊeau à la bouche, le résul-tat déçoit dÊabord. Les ambiances sontposées de manière efficace et convain-cante, mais bien des personnages, actionset dialogues, sont trop appuyés. Quantaux ingrédients tenant de lÊaventure oudu comique de situation, ils sont souventconvenus. Si le comique verbal reposesur une bonne idée – la suppression detoutes les voyelles dans les dialogues deshommes préhistoriques –, elle rend sou-vent les échanges difficiles à saisir.Lorsque Franck est installé dans lÊuni-vers préhistorique, le rythme se calmeet lÊhistoire devient plus touchante,

lÊadolescent laissant poindre quelques-unes de ses failles. La surabondancede péripéties avait certainement pourbut de nous conduire là : dans la soli-tude dÊun jeune perdu au sein dÊununivers qui nÊest pas le sien – mais quile fut peut-être comme le suggère undétail. LÊhistoire gagne donc à seposer.Quant au dessin de Brice Cossu, par-ticulièrement luxuriant, il épouseavec justesse les différentes facettesdu récit.

Olivier Bocquet et Brice Cossu plongent un adolescent en pleinePréhistoire. Si l’idée est plaisante, le résultat n’est pas toujoursà la hauteur.

L’AUTRE FILS DES

FRNCK, T.1LE DÉBUT DU COMMENCEMENT

dÊOlivier Bocquetet Brice Cossu,

Dupuis, 56 p. coul., 9,90 €

BORIS HENRY

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ÂGES FAROUCHES

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Depuis lÊavènement de lÊâgeadulte des comics, au seinde la cavalerie des innom-

brables publications super-héroïquesqui inondent les rayons, il arrive par-fois quÊun auteur-star sÊécarte dumainstream pour donner à lire autrechose, tissant des liens avec la réalitéqui nous entoure afin dÊopérer unemise en perspective salvatrice. Maisparmi ceux-ci, le Dark Knight : une his-toire vraie de Paul Dini reste assezunique, car il fait office de catharsisquant à un événement traumatiquedirectement vécu par lÊauteur. En1993, alors quÊil était en plein essorgrâce à lÊécriture des scénarios desdessins animés Batman: The AnimatedSeries, il se fit agresser en pleine ruepar deux loubards qui lui ont défoncé– entre autres – le crâne. Alors quÊilvivait jusque-là dans une certaineinsouciance dorée, Dini voit sa viebasculer et doit alors réapprendre à

vivre et à créer, mais les choses neseront plus jamais pareilles...

LA VIE ET LES COMICS

Revenant sur son enfance pour expli-quer quelle place déterminante a eula fiction dans la construction de sapersonnalité, Dini dresse son parcoursjusquÊà lÊagression puis explique com-ment ce rapport à lÊimaginaire lÊaaccompagné dans lÊépreuve et sûre-ment sauvé du naufrage qui aurait pusÊensuivre. Dans les comics, Batmanaurait surgi et empêché les agresseursde le tabasser, mais voilà : dans cecomic nous sommes dans la réalité.Et pourtant, ce monde imaginaire quia pétri lÊauteur a joué un rôle primor-dial dans la reconstruction de celui-ci, entretenant des dialogues fantas-més avec les personnages de lÊuniversde Batman afin de sÊen sortir... Le récitde Dini ne verse pas dans le pathos

larmoyant ; on y voit plutôt un auteurqui se remet radicalement en question,un homme qui se raconte sans conces-sions, sincèrement, aidé en cela parun Eduardo Risso plus polymorphequÊà lÊhabitude, tour à tour sombre etdélicat. Nul doute que la trilogiehumaniste que Dini signa pour AlexRoss à la fin des années 1990 (et quevous pourrez lire fin avril chez lemême éditeur) est lÊun des fruits decette rude expérience du réel, unbesoin de lumière...

Jessica Jones: The Pulse,de Bendis et divers

Après Alias, la suite des aventures deJessica Jones actuellement sur Netflix,Bendis a créé ce personnage en 2001,souhaitant ancrer ses origines et sacarrière de super-héroïne dans lepassé. Les pouvoirs de Jessica sontmal maîtrisés et elle a rangé les gants,même si elle continue à entretenirde bonnes relations avec plusieursde ses anciens super-collègues. Aprèsl'arrêt de son agence de détectiveprivé, elle accepte une propositionde Jonah Jameson : comme tous lesquotidiens de la presse écrite, le DailyBugle souffre de l'érosion des ventes,mais aussi de son ton hostile enversles super-héros. Jonah compte biensur le carnet d'adresses de Jessica et

un ton amicalpour relancerles ventes.Intègre, Jessicarefuse d'êtremanipulée.Les photosdu nouveau-né qu'elle a eude son amant(et futur mari)Luke Cage neparaîtront pas

dans le tabloïd de Jameson. Desdialogues intelligents et amusants,très humains et contemporains, c'estla marque de fabrique de Bendis, bienobligé de composer avec les grosevents de Marvel. Côté dessin, un peuplus de variété que dans Alias, ce quipermet de comparer ! L'excellentGaydos ne fournit qu'un arc, maisceux de Brent Anderson et deMichaël Lark se regardent égalementavec le plaisir d'une noirceurassumée.Panini Comics, 336 p. couleurs, 18 €

JEAN-PHILIPPE RENOUX

Le Jardin des souvenirs,de Waid et Azaceta

Où sont lesvictimesanonymesassassinées àNew York ?Sur lÊîle deHart, dansun cimetière ;enterrées sousdes plaquesnumérotées...Avec lÊaidedÊun réseau

dÊagents, John Doe (aux USA, nomdonné à ceux qui nÊen ont pas) vatenter de redonner un nom et unehistoire à ces morts sans identité.De ce combat dÊun anonyme voulantrestituer la dignité des morts oubliéspar la société, Waid a fait un polarsombre et âcre, rendant hommageaux plus beaux archétypes du genre,porté par les dessins noirs et brutsdÊAzaceta qui plongent frontalementle lecteur dans le drame...Delcourt, 128 p. couleurs, 14,95 €

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BATMAN N’EXISTE PAS ?En 1993, le scénariste Paul Dini s’est gravement fait agresser. Dans Dark Knight : une histoirevraie, il raconte l’expérience de ce traumatisme avec une étonnante justesse, remettant à plat lespasserelles entre réalité et fiction qui pétrissent l’existence d’un auteur.

DARK KNIGHTUNE HISTOIRE VRAIE

de Paul Diniet Eduardo Risso,Urban Comics,

128 p. couleurs, 14 €

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LE WAKANDA DE RETOUR EN AFRIQUE

QuÊest-ce que cÊest, finalement,lÊADN de Black Panther ? Unsouverain doté de super-

pouvoirs et dÊun costume high-tech, àla tête de la nation africaine la plusavancée du monde. CÊest donc de cepostulat quÊest parti le romancier Ta-Nehisi Coates recruté pour lÊoccasion.LÊauteur de Colère Noire, ouvrage mar-quant par son analyse du racisme actuelde la société américaine, offre un regarddifférent sur le personnage et son uni-vers. Il replace le Wakanda en Afrique,un continent avec ses enjeux propreset contemporains. On sent que le duodÊantagonistes est là pour nous rappelerla régression islamiste que connaissentcertaines régions africaines. Le combatqui est celui de TÊChalla est un combatpolitique, idéologique. Quant à la placedu peuple, quant à lÊexercice du pouvoiret à sa contestation.

INSÉRER UNE RÉFLEXIONDANS L’UNIVERS MARVEL

Par ailleurs, ce scénario exigeant joueà merveille avec la continuité du per-sonnage. Il tient compte de toutes lesépreuves vécues dans le passé récent.

Le mariage avec Ororo Storm, la par-ticipation aux Illuminatis, la créationdes Dora Milaje, la sflur de TÊChalla⁄Tout lecteur du Marvel Universe régu-lier aura lÊimpression dÊêtre doublementrespecté. Parce quÊon lui propose unehistoire intelligente, et parfaitementancrée dans la continuité Marvel. Unexemple du genre !

UN DESSIN EMPLI DE MODERNITÉ

Dernier élément plus que satisfaisantde ce premier tome : le dessin de lÊartisteBrian Stelfreeze. Celui-ci a travaillé sondessin de sorte à lui donner beaucoupde densité, en jouant énormément surles aplats noirs, tout en osant des pages

plus éthérées selonles besoins du scé-nario. Osé et respec-tueux, décidémentles deux meilleursqualificatifs pour cetalbum.

Quand Marvel prépare un film sur l’un de ses personnages, lepersonnage doit suivre. Mais quand on a affronté invasions etfins du monde comme Black Panther, comment revenir auxsources ? En confiant les clés de la série à un romancier en vueet engagé.

LA POLITIQUE APRÈSLES CATACLYSMES

� LA PANTH˚RE NOIRE, T.1de Ta-Nehisi Coateset Brian Stelfreeze,Panini Comics, 104 p. coul., 13 €

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LA RÉVOLUTION MARVEL FRANCE

Lorsque Semic perd les droits de MarvelComics en France, ce sont presque 30 annéesdÊhistoire qui se terminent avec le magazine

culte Strange. Alors, quand Marvel France fait sonapparition en kiosque en février 1997 (janvier pourla première présentation à Angoulême), cÊest un sacrépari qui est fait par Marvel Comics.ÿ CÊest pendant lÊété 1996 que Marvel a décidé de passer parune de ses filiales, Panini, pour éditer ses comics en Europe,suivant le fonctionnement italien qui avait fait ses preuves. Pourma part, je suis arrivé en novembre 1996 pour lancer la machine.Quatre mois, ce nÊétait vraiment pas beaucoup pour tout créer. ŸCe qui va frapper les lecteurs, cÊest le choix éditorialradicalement différent qui est proposé. Désormais,chaque héros est publié dans un seul magazine. ÿ CÊestun des premiers apports de Panini, ces regroupements thématiques.On sÊest basé sur lÊexpérience italienne, une bonne pratique quÊilnous a paru pertinent dÊimporter. Cela nous a permis aussi desynchroniser plus efficacement les sorties françaises avec les sorties

US. On avait le crossover Onslaught en ligne de mire, onvoulait que tout soit bien en place à ce moment-là. ŸLÊautre grande évolution viendra deux ans plus tard,en mai 1999, avec lÊarrivée de la première collectionen librairie, les ÿ 100 % Marvel Ÿ. Le super-héros nese déclinait plus seulement au format kiosque, il venaittoucher un lectorat franco-belge jusque-là hermétique.Une volonté assumée de sÊouvrir à un nouveau lectoratqui a parfaitement fait ses preuves avec le temps.

DÉBOIRES ET TRAVERS ÉDITORIAUX

Mais bien entendu, lÊéditeur nÊa pas connu que dessuccès au cours des 20 dernières années. Premièredifficulté, essayer de sortir du seul catalogue Marvel,avec lÊindépendance de 2003. La licence DC Comicsétait demeurée hors-jeu après lÊéchec de Semic, Paninichoisit de prendre la relève, avant de perdre la licenceen 2012. ÿ Je ne sais pas sÊil nous a manqué quelque chose. On a essayéde donner plus de cohérence au catalogue, très difficile à publier.

Mais comme la France est le premier marché pour les comicsaprès les USA, DC a dû vouloir plus encore. ŸAutre sujet de controverses, lecteurs et libraires ontpendant longtemps vertement critiqué Panini poursa politique éditoriale en librairie. Ne réimprimantpas ses albums, lÊéditeur obligeait les nouveaux lecteursà se tourner vers le marché de lÊoccasion qui voyaitles prix monter en flèche. ÿ On a fait de très gros progrès, je crois. On a développé unplanning de réimpression conséquent, près de 120 par ans. Ladistribution a évolué aussi. Cela nous a aidé de passer chezHachette qui offre un meilleur suivi des ruptures. Comme on aembauché une personne responsable du suivi des titres en librairie,ça ne pouvait que sÊaméliorer. Ÿ

L’EXPLOSION PANINI COMICS

Cinq ans après la reprise du catalogue, sort aucinéma le premier Spider-Man de Sam Raimi. PourSébastien Dallain, cÊest un tournant.ÿ ¤ partir de ce film, le regard du grand public a évolué. ¤ la

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Décembre 1996. Nous étions quelques milliers à découvrir un bandeau déroulant à la Star Wars en fin de notre Strange mensuel.Semic annonçait la fin de son exploitation du catalogue Marvel. Angoisse, qu’allions nous lire à l’avenir ? Pas d’Internet pours’informer à l’époque. Février 1997, quatre magazines chromés sortaient dans les kiosques. À leur fronton, un logo : Marvel France.Retour sur 20 ans d’édition de comics, en compagnie de Sébastien Dallain, rédacteur en chef de Panini Comics France.

PANINI COMICS FRANCE :la vingtaine radieuse

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fois sur le médium et sur ses lecteurs. Celadevenait „cool‰ de lire des comics. Disney asu approfondir cette dynamique positive, dontnous tenons compte dans lÊélaboration de notreproposition éditoriale. ŸIl y a désormais un public qui peutêtre converti au moment de la sortiedÊun nouveau long-métrage, pourvuquÊil dispose de livres permettant dÊap-préhender facilement les personnages– malgré leurs 70 ans dÊexistence. DÊoùla création (déjà vu chez la concur-rence) des anthologies ÿ Je suis⁄ Ÿou ÿ Nous sommes⁄ Ÿ.Cette concurrence évoquée est aujour-dÊhui acharnée. Tous les éditeurs defranco-belge veulent proposer ducomic-book, alors que Panini avaitcommencé assez isolé.ÿ CÊest assurément une chance, cette concur-rence, parce quÊelle nous oblige à innover régu-lièrement, à toujours penser de nouvelles offres,de nouvelles collections. Mais en même temps,vu les sommes faramineuses engagées aujour-dÊhui pour lÊacquisition de licences, cela créeune situation éditoriale très instable qui nepermet pas de penser le long-terme serei-nement. ŸLe rachat par Disney de Lucasfilm, etdonc lÊarrivée de lÊunivers Star Warschez Marvel, a offert une nouvelleexposition à lÊéditeur européen qui nÊapas craint de surfer sur la vague StarWars VII avec une politique offensivede publication du nouveau matériel.

20 ANS, ÇA SE FÊTE

Panini Comics a donc voulu marquerle coup pour ses 20 ans. Toute lÊannée,des couvertures inédites, et donc ÿ col-lector Ÿ, seront offertes aux lecteurs. ÿ 20 ans, 20 couvertures, ça nous a paru unbon gimmick. Pour le kiosque, on a fait appelà de grands noms US, parmi tous ceux quenous avons reçus pour le Festival dÊAngoulême,comme Gabriele DelÊOtto ou Alan Davis.Pour la librairie, on a voulu illustrer cettenotion de passerelle entre les lectorats en faisantappel à des artistes du franco-belge. BastienVivès, Mathieu Lauffray ou Didier Tarquin,entre autres⁄ ŸDes couvertures qui ont été exposéesà Angoulême, aux côtés dÊartistes fran-çais publiés dans les comics Marvel.La ÿ French touch Ÿ que Sébastien

Dallain espère bien pouvoir faire tour-ner pendant lÊannée afin quÊelle soitproposée au plus grand nombre.

ET DANS 20 ANS ?

ÿ CÊest une question difficile. Le marché deslicences étant ce quÊil est, on ne peut rien prédireà lÊavance. On espère quÊen continuant dÊin-nover, on sera toujours là pour fêter les 25ans, les 30 ans⁄ Il faut savoir rester modeste,rien nÊest acquis. ŸGrand maître des comics en kiosque,diffusant une très grande partie ducatalogue Marvel qui nÊen finit pasdÊattirer le grand public au cinéma,on peut tout de même considérer queles auspices sont bons pour lÊéditeureuropéen. Mais un éditeur de BDfranco-belge serait-il prêt à mettre surla table la somme quÊon imagine plusquÊimportante nécessaire à sÊoffrir lecatalogue Marvel ? Les appétits sontsolides, les politiques dÊacquisitionagressives. Panini restera de toutefaçon, comme Lug avant elle, uneentreprise mythique du comic-booken France. CÊest peut-être déjà unebelle réussite.

20 ANS PANINI COMICS :DÉJ¤ PARUS � MISS MARVEL : MÉTAMORPHOSEde G. Willow Wilson et AdrianAlphona, Panini Comics,120 p. couleurs, 16 €Couverture de Pénélope Bagieu� SPIDER-MAN : UN JOUR DE PLUSde J.M. Straczynski et Joe Quesada,Panini Comics, 120 p. coul., 16 €Couverture de Bastien Vivès� DEADPOOL : IL FAUT SOIGNER

LE SOLDAT WILSONde Duane Swierczynskiet Jason Pearson,Panini Comics, 96 p. couleurs, 16 €Couverture de Boulet� X-MEN : SURDOUÉSde Joss Whedon et John Cassaday,Panini Comics, 156 p. coul., 16 €Couverture de Lewis Trondheim

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EN 2002, LE SPIDER-MAN DESAM RAIMI A CONTRIBUÉ ¤ LÊESSOR

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Entre avril et juin 1984, 15 numéros de larevue Scream! parurent, proposant un éven-tail de séries à suivre et de récits courts

dédiés au thème de lÊhorreur. Si la forme fait penserà ses illustres prédécesseurs américains (dÊEC àWarren), le fond cherche néanmoins à sÊen démar-quer par un ton, des angles de vue et des traitementstypiquement britanniques, bénéficiant entre autresde lÊhéritage de la Hammer et de 2000 A.D.Disparaissant prématurément et brusquement aubout de ces 15 numéros, Scream! fusionne avec larevue Eagle entre septembre 84 et février 85, puisest totalement absorbée par cette dernière le moissuivant. Quelques séries de Scream! continuèrent à

être publiées tout au long de cette mutation du titre,dont le fameux Monster dont il est question ici, jus-quÊen mars 1985. Cet album propose lÊintégralitédes épisodes de cette fluvre qui revisite le thèmedu monstre de manière prégnante et touchante.

VIOLENCE ET INNOCENCE

Au moment de la première parution de Monster, en1984, Alan Moore est en train de décoller : de CaptainBritain, Marvelman et V pour Vendetta, il va passer àSwamp Thing. Il doit donc faire des choix, et ne signeraquÊun seul scénario de Monster, celui du premier épi-sode qui installe le contexte de la série sans riendévoiler. Dans ces quatre premières planches, Mooreinstaure un ton à la fois intimiste et inquiétant, trèsréaliste et direct dans la narration. Dans le jardin dela maison familiale, un enfant de 12 ans est en traindÊenterrer son père, tué le jour même par quelquechose qui se trouve dans le grenier, une pièce dontlÊaccès a toujours été interdit au jeune Kenny Corman(hommage à Roger ?). Dès lÊépisode no2, donc,lÊéquipe artistique change mais respecte lÊesprit ins-tauré par Moore, avec JohnWagner et Alan Grant au scé-nario (sous le pseudonymecommun de ÿ Rick Clark Ÿ)et lÊEspagnol Jesús Redondoqui succède à lÊItalien Heinzl.Ils nous dévoilent vite qui atué le père... et cÊest là que lemonstre paraît ! Je ne vousdirai bien sûr rien de plus pour

ne pas trop spoiler, mais le grand thème de cette sériesÊimpose dès ces planches : la nature de la relationentre un monstre et un enfant, soi-disant violence etsoi-disant innocence, joli thème de lÊhorreur traitéici avec une grande humanité.

FRAAAPPEER MÉÉÉCHAANNT !

Comme le dit Ian Rimmer (lÊun des cocréateurs deScream!) dans sa préface, on ne peut que penser aufilm Frankenstein de James Whale, où une enfant ren-contre le monstre sans en avoir peur... Dans Monster,tout lÊenjeu est de savoir comment va évoluer cetterelation où les préjugés nÊont pas lieu dÊêtre entreun garçon devant grandir trop vite et un monstrevictime de sa propre nature. Frankenstein, oui, maisaussi la légende du Monstre de Glamis, où lÊon dis-simula dans une pièce interdite ce que lÊon consi-dérait comme étant monstrueux. Ce duo improbablepeut-il même espérer pouvoir vivre en plein joursans que la société ne fasse preuve de violenceenvers lui ? Vous le saurez en lisant lÊalbum ! Lestyle de Redondo, empruntant au réalisme fantas-tique tout autant quÊau polar, épouse parfaitementle propos de ce road movie à la fois humaniste et hor-rifique, notamment grâce à des noirs puissants ainsique des matières et des contrastes de tout premierordre.

CECIL MCKINLEY

� MONSTERdÊAlan Moore, John Wagner, Alan Grant, Heinzlet Jesús Redondo, Delirium, 200 p. n&b, 26 €

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Delirium continue d’exhumer des trésors de la bande dessinée britannique inédits en France (notamment publiés entre les années60 et 80), et ce Monster en est un remarquable exemple. Monstrueusement chouette !

LE MONSTRE ET L’ENFANT

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Il arrive hélas, de temps en temps,que pour de basses raisons com-merciales, les éditeurs invitent

des personnalités médiatiques àpublier des récits de bande dessinée.Scénariser un récit demande des apti-tudes précises et un travail importantdÊécriture ; cela ne se limite pas à avoiren tête une (bonne) histoire. La chosequi frappe en découvrant Indeh, est devoir le nom de la star hollywoodienne

Ethan Hawke figurer au fronton de lacouverture. Après avoir levé les yeuxau ciel, lu lÊintroduction signée parDouglas Miles et entamé le récit, onne peut que constater la très grandequalité de lÊalbum.Ethan Hawke fait donc exception àla règle. Tant mieux.

SURVIVANCES

Il suffit en effet de quelques pagespour se rendre compte que lÊacteurlivre un scénario maîtrisé, et pourcause : son intérêt pour lÊHistoire etla culture Apache remonte à sonenfance quand, pour la première fois,il rencontra lÊun dÊeux. Depuis cetteépoque, Ethan Hawke a approfondises connaissances et a même considéréla possibilité, pendant un temps, deréaliser un film autour du destin com-mun de Cochise et Geronimo. Maisla complexité du projet et le portraitdes principaux protagonistes interdi-rent toutes possibilités dÊaboutisse-ment. LÊacteur réalise par la suite queles limites que connaît lÊindustrie ciné-matographique nÊont pas nécessaire-ment cours dans le neuvième art. Fortde ce constat, Ethan Hawke est alléconsulter Greg Ruth pour étudierlÊadaptation du récit. Le dessinateur,

particulièrement habile dans le trai-tement du lavis et son rendu très lumi-neux, délivre une interprétation somp-tueuse. La dramaturgie et lÊintensitédes portraits sont impressionnantes.Il en résulte un album magnifique,sans concession, mais paradoxalementsubtil et délicat. Même si les faits rela-tés sont empreints dÊémotion et quequelques passages sont aussi un peuromancés – faute de témoignagesdiversifiés, Indeh reste fidèle au déroulédes événements.

AU-DELÀ

Le neuvième art participe grandement,et de plus en plus, à la prise en consi-dération du drame amérindien. Indehest le troisième récit sur le sujet enmoins dÊun an (après Etuwan deThierry Murat et Scalp dÊHuguesMicol). Mais si lÊon pousse un peuplus les recherches, on découvre quede très nombreuses fictions ou bio-graphies1 existent en bande dessinée,et ce depuis longtemps2. Cet engouement, qui perdure contrevents et marées et dont les raisonssont difficiles à résumer et à expliquer,contribuera sans doute à faire accepterlÊidée que lÊextermination des tribusamérindiennes est un véritable géno-

cide – et cela, en dépit de la guerredes mots qui continue dÊavoir courssur le sujet3.

INDEHUNE HISTOIRE DES GUERRES APACHES

dÊEthan Hawke et Greg Ruth,Hachette Comics,158 p. n&b, 16,95 €

INDEH, LE PEUPLE DES MORTSÀ travers les portraits de Cochise et Geronimo, l’acteur Ethan Hawke relate la résistance épique des Apaches, à la fin du XIXe

siècle, face aux persécutions mexicaines et américaines.

1 Citons lÊexcellent Louis Riel, lÊinsurgé deChester Brown (Casterman, Coll. Écri-tures, Paris 2004)2 Derib inaugure le premier récit de cetype avec Red Road (Le Lombard, Coll.Histoires et Légendes, Bruxelles 1983)3Frédéric Dorel, La Thèse du "génocide indien" :guerre de position entre science et mémoire, Amnis(2006)

KAMIL PLEJWALTZSKY

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Hermann à la loupeDepuis 50 ans,chaque annéequi passe voitla publicationdÊau moins deuxnouveaux albumsdÊHermann,auteur prolifiqueet singulier, quicommença sacarrière dansla bande dessinée

en 1965. Même si lÊhomme, réputébourru, nÊa jamais été avare enentretiens, il était temps de remettretoute son fluvre en perspective.CÊest la tâche à laquelle PhilippeTomblaine sÊest attelé avec un entrainbienveillant. Chapitrée par série, pourfinir sur les one-shots, son étudesÊavère précise et accessible, émailléede citations de lÊartiste et dÊéclairagesinédits apportés par Yves H.(scénariste depuis lÊan 2000 et filsdepuis 1967). Tomblaine se montreparticulièrement inspiré sur Bois-Mauryet très en verve dans le commentairede couverture, un exercicesémiologique quÊil affectionne..Hermann, lÊencre noire du sanglierdes Ardennes, de Philippe Tomblaine,PLG, 288 pages, 20 €

VLADIMIR LECOINTRE

OutsidersAprès troisexpositions à laHalle St Pierre,Anne et Julieninvestissent lagalerie ArtsFactory pourprésenter lesartistes ÿ outsider Ÿ(ces créateursmarginaux

– souvent autodidactes et plein detalent – qui ont construit leur carrièreen dehors des circuits artistiqueshabituels) qui ont retenu leurattention. Cette fois, la différenceest notable avec les expositionsprécédentes, les 200 fluvres des 35artistes originaires de 13 pays sonten vente. LÊoccasion de sÊoffrir duStéphane Blanquet, du Vaughn Bodé,un Dave Cooper ou un GilbertShelton par exemple. Ou pour lemoins de découvrir et examinercette veine artistique si expressive.Hey! Gallery Show #1, du 17 marsau 22 avril, Galerie Arts Factory,27 rue de Charonne 75011 Paris

THIERRY LEMAIRE

Bananas no9Nouveau cru pourla revue annuelleBananas ettoujours plusde 100 pages deréflexion sur labande dessinée.Au programme,notamment, de ceneuvième numéro :un entretien de

plus de 20 pages avec FrançoisAyroles, un retour sur le dessinateurRaymond Cazanave (1893-1961), unmini-dossier Willy Vandersteen, uneétude dÊAlabaster dÊOsamu Tezuka, lestranscriptions de deux tables rondesdu SoBD 2015 (ÿ Traduire la bandedessinée Ÿ et ÿ Fabriquer la bandedessinée Ÿ), la critique des Équinoxesde Cyril Pedrosa. De lÊéclectisme, delÊérudition et de lÊanalyse, le triptyquegagnant de Bananas.Bananas no9, collectif, 104 pages, 12 €¤ commander sur bananas-comix.fr

THL

A r t & B dzoom

Àla fin du premier tome dÊUnevie avec Alexandra David-Néel(2016), nous laissions lÊexplo-

ratrice en route vers Lhassa. Ce tome2 nous offre un long flash-back, narrantses relations familiales, sa rencontredéterminante avec Elisée Reclus et lasociété de théosophie, et la naissancede sa vocation, dans les années 20 auMusée Guimet. En regard, des sé-quences ancrées dans les années 60 sÊat-tachent aux derniers temps de sa vie,toujours accompagnée de sa fidèleÿ tortue Ÿ – le surnom donné à Marie-Madeleine, sa vigoureuse dame decompagnie. CÊest en rencontrant cettedernière en 2014, que lÊauteur et des-sinateur Fred Campoy, passionné debouddhisme, trouve lÊangle pour sÊat-taquer au sommet David-Néel. ¤ lÊex-haustivité dÊune biographie factuelle,il préfère le prisme de celle qui la fré-quenta dans lÊintimité, en entrant à sonservice dès 1959. ÿ On dirait quÊil lÊaconnue, il possède le personnage ! Ÿ, sÊenthou-siasme aujourdÊhui Marie-Madeleine.La BD ne fait lÊimpasse ni sur la fulgu-rance de lÊexploratrice, brillante cher-cheuse qui contribua à diffuser active-ment la philosophie orientaliste, ni surson caractère despotique, aiguisé parune fin de vie quasi grabataire. Sur lesmajestueux décors de Mathieu Blan-chot, le scénario alterne secoussesépiques et anecdotes intimes, saugre-nues ou émouvantes. Le binôme

Campoy / Blanchot, formé sur une pré-cédente série (Karma Sala, Dargaud),assume de prendre quelques libertéspour se situer moins dans lÊillustrationhistorique que dans lÊévocation. Decelles qui font dire à Marie-Madeleine,à propos de son appendice nasal cari-caturé : ÿ jÊadore la virgule de mon nez ! Ilpleure ou rit⁄ Il exprime toutes les sensations Ÿ.

ALEXANDRA DAVID-NÉEL IN SITU

JusquÊen mai, le Musée Guimetaccueille une exposition inédite demasques, peintures et ouvrages issusdÊun legs de lÊexploratrice, dont unmanuscrit datant du XIIIe siècle. Uneautre partie – lettres, objets personnels,photographies de ses séjours au Sikkimet au Tibet – provient des collectionsde la Maison Alexandra David-Néel deDigne-les-Bains. Car à lÊissue de sonvoyage de 14 ans en Asie démarré en1911, cÊest à Digne quÊAlexandra-David-Néel trouva le calme pour pour-suivre ses recherches. Aux cimes verti-gineuses de lÊHimalaya, répondaientalors celles, plus modestes, des Alpesde Haute-Provence. La maison quÊelley acquit en 1928, et quÊelle agença selonlÊarchitecture tibétaine, accueille désor-mais le public : la magistrale SamtenDzong, (ÿ forteresse de la méditation Ÿ ouÿ résidence de la réflexion Ÿ selon les tra-ductions), et sa vertigineuse vue sur lemont enneigés des Trois Evêchés, fontentrer le visiteur de plain-pied danslÊantre rocambolesque et chamarrée delÊexploratrice, qui cultivait un artconsommé de la mise en scène (ne fut-

elle pas cantatrice dans une premièrevie ?). Quant à Marie-Madeleine, ellecontinue de couler des jours paisiblessur la propriété, et sera lÊhéroïne du 3e

tome à paraître chez Bamboo, lors delÊultime voyage dÊAlexandra⁄ dansson urne funéraire, dont le contenufut dispersé dans le Gange en 1973.

UNE VIE AVEC ALEXANDRADAVID-NÉEL, T.2

de Fred Campoyet Mathieu Blanchot,

Grand Angle / MNAAG,104 p. couleurs, 16,90 €

JULIE BORDENAVE

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DANS LES ALPES AVEC ALEXPour les 150 ans de la naissance d’Alexandra David-Néel, le Musée Guimet accueille uneexposition autour de l’exploratrice, et Bamboo sort le 2e tome d’une BD qui lui est consacrée.

ALEXANDRA ET YONGDEN,AU TIBET SEPTENTRIONAL,

VERS 1920-1923

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� EXPOSITIONÿ Alexandra David-Néel, uneaventurière au musée Ÿ, du 22février au 22 mai 2017, Muséenational des arts asiatiquesGuimet, 6 Place d'Iéna, Paris XVIe

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M a n g a s & A s i e

UNE VIE D’ÉCHECS

Rei est un adolescent solitaire. Après uneannée de break, il retourne au lycée maisnÊy a pas dÊamis. Il est lÊunique occupant

dÊun appartement bordant le fleuve Sumida, àTokyo. Les rares fois où il se sociabilise un tant soitpeu, cÊest lorsquÊil dîne avec les sflurs Kawamoto.De fait, Rei pourrait être un adolescent recluscomme il en existe beaucoup au Japon, à ceci prèsquÊil est également un joueur professionnel de shôgi,les échecs japonais.

La vie de Rei alterne entre cours moroses, entraî-nement au shôgi en vue de ses futures rencontres, etsommeil. Car malgré ce quotidien routinier, Rei estsouvent épuisé. Au fil de la lecture, on va enapprendre davantage sur son passé – évidemment

troublé – et sa relation avec la famille Kawamoto,tout en lÊobservant mûrir, tant dans sa carrière quedans sa construction en tant que jeune adulte.

LE RETOUR DE LA MANGAKA PRODIGUE

Les lecteurs francophones auront attendu plus dehuit ans avant de pouvoir lire le nouveau (et en faitdeuxième) titre de Chica Umino, après le succèsde son shôjo (manga pour adolescentes) Honey &Clover (chez Kana également). ¤ plus dÊun titre,March comes in like a lion surprendra plus dÊun lecteursÊattendant à une redite de romance parsemée detriangles amoureux complexes. DÊabord parce quela mangaka sort de sa zone de confort, comme ellele décrit dans les quelques pages conclusives dechaque volume. Ensuite parce que le titre nesÊadresse plus au même public – il sÊagit dÊun seinen,

manga destiné à un lectorat de jeunes adultes. Enfinparce que le ton est plus grave. Rei cache des cica-trices psychologiques qui se dévoilent au fil de lÊhis-toire.

Cependant, on retrouve également des constantes.Umino a toujours ce trait rond et nerveux, très effi-cace. Son travail de recherche est toujours minu-tieux, afin de bien restituer les thèmes abordés (elleest assistée dÊun expert du shôgi pour décrire desparties vraisemblables). De même, grâce au déve-loppement de la psychologie de ses personnages,elle donne corps à une narration puissante. Enfin,elle possède toujours ce talent pour saisir le cocasse,le dramatique ou le merveilleux du quotidien.

La lecture des deux premiers volumes de la série– qui en compte aujourdÊhui 12 au Japon et est tou-jours en cours de publication – est sans appel : ilsÊagit dÊun petit chef-dÊfluvre. Les amateurs de BDjaponaises ne sÊy sont pas trompés, puisque Marchcomes in like a lion a remporté plusieurs prix dans sonpays, dont les prestigieux Grand Prix du Manga etPrix Culturel Osamu Tezuka. En outre, le mangaest actuellement adapté en série animée (visionnableen France sur la plateforme Wakanim) et va avoirtrès prochainement droit à un portage au cinémacette année.

Ce manga est à mettre entre les mains de toutlecteur à la recherche dÊune approche sensible dupassage à lÊâge adulte. Les longues séquences intros-pectives de Rei nous permettent, de chapitre enchapitre, de cerner son histoire. On attend de voircomment le récit va tourner. Positivement on espère,tant on sÊattache facilement aux personnages. Car,après tout, si ÿ March comes like a lion1 Ÿ, il ne faut pasoublier la deuxième moitié du proverbe anglo-phone : ÿ it goes out like a lamb2 Ÿ. On peut donc ima-giner un futur plus paisible pour Rei et ceux quilÊentourent.

Manga d’apprentisageComment raconter le quotidien ? Après tout, la fiction n’existe-t-elle pas pour nous sortir de cette banalité ? Pourtant, nombred’auteurs de manga se sont essayés au genre « tranche de vie », avec plus ou moins de succès. Sur ce sujet, comment s’en sortle dernier titre de Chica Umino, March comes in like a lion, édité par Kana depuis le 17 février ?

� MARCH COMES INLIKE A LION, VOL. 1 ET 2de Chica Umino, Kana, 192 p. n&b, 7,45 €

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THOMAS HAJDUKOWICZ

1 Le mois de mars déboule tel un lion2 ... mais sÊen va tel un agneau

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M a n g a s & A s i e

CYBERPUNK

Motoko Kusanagi est le premier élémentqui frappe dans cette série, et on peutfaire confiance à Scarlett Johansson pour

lui rendre toute sa dimension physique (elle jouela Veuve Noire dans lÊunivers Marvel, et Lucy pourLuc Besson). Le major est un soldat dÊélite apparte-nant à une unité chargée de traquer les pirates infor-matiques les plus dangereux, avec du gros calibre,dans une ville de Tokyo surconnectée. Elle-même

est un cyborg : plusieurs parties de son corps naturelont été remplacées par des éléments électroniques,bioniques, dans des proportions variables – on sedemande dÊailleurs bien ce qui reste organique chezson coéquipier Batou, tant il semble avoir été rafis-tolé. Et cÊest là quÊintervient lÊidée fondamentalequi guide la série : si nous sommes un ghost (uneâme ?) abrité par une shell (une coque ?), a-t-onvraiment besoin de cette shell, ce corps qui peutêtre meurtri mais aussi remplacé ?

MECHAPHYSIQUE

Ghost in the Shell commençait donc comme un mangacyberpunk de baston, avec pas mal de mechas et defusillades, pour évoluer en interrogation métaphy-sique sur les rapports entre le corps et lÊâme àlÊépoque non seulement de la robotisation (aveclÊimmortalité en ligne de mire), mais aussi du toutconnecté et de la mise en réseau du monde. LÊâmea le plus souvent été pensée individuellement, maisle réseau peut fusionner tout cela, et cÊest ce quemettait remarquablement en images Mamoru Oshiidans Ghost in the Shell 2: Innocence, avec un festival decouleurs baroques et la musique polyphonique deKenji Kawai. Pendant ce temps, Masamune Shirowdéveloppait ses propres séries manga, et ce sontcelles-là que Glénat, éditeur historique, vous pro-pose sous lÊappellation ÿ Perfect Edition Ÿ.

ENVOÛTANT

Sens de lecture japonais, jaquettes souples avec pré-face et postface de lÊauteur (qui est un grand bavard,souvenez-vous des innombrables commentairesdans les marges dÊAppleseed !), onomatopées japo-naises conservées mais traduites (car leur dessinapporte du sens à la case) sont donc prévus pour lasérie originale Ghost in the Shell et pour ses suitesGhost in the Shell 2: Man-Machine Interface et Ghost inthe Shel 1.5: Human Error Processor. Après les rééditionsdÊAkira et de Gunnm, et juste avant la sortie du filmlive, le timing est excellent pour se replonger dans

un classique des classiquesdont la puissance est aussiforte sur papier quÊà lÊécran,et qui nous oblige à penserles rapports entre lÊhommeet la machine dÊune manièrebeaucoup plus fine que Termi-nator ou Edge of Tomorrow : lapossibilité dÊune hybridité.

Le retour duGhost in the Shell fut l’un des premiers mangas publiés en France, avec Akira, Dragon Ball et Appleseed, et ainsi on trouve encoreces grands formats du début des années 1990, édités dans le sens de lecture occidental, au catalogue de toutes les médiathèquesde France. Mais Ghost in the Shell n’est pas qu’un manga de Masamune Shirow, c’est aussi un animé marquant de Mamoru Oshiiet maintenant une adaptation live avec Scarlett Johansson dans le rôle du cyborg badass, le major Kusanagi.

� GHOST IN THE SHELLPERFECT EDITION, T.1de Masamune Shirow,Glénat, 358 p. n&b + couleurs, 14,95 €

BORIS JEANNE

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GHOST IN THE SHELL,EN SALLES LE 29 MARS

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La Cantine de minuit, T.1,de Yaro Abe

Dans son boui-boui ouvert deminuit à 7h00du matin, lepatron sertune clientèlehétéroclite.La règle estsimple : sÊil ales ingrédients,il vouspréparerace que vous

voulez. Chaque chapitre est lÊoccasionde parler dÊun plat et des aventuresdÊun client. Ces histoires sontintemporelles : un chapitre peutsÊétaler sur quelques instants commesur plusieurs mois. CÊest dÊabord lavaleur divertissante, voire morale, delÊhistoriette qui prime, sans souci decontinuité globale. Ce sentiment estrenforcé par le trait simple employépar Yaro Abe. On se laisse alorshapper par cette douce atmosphèreintemporelle.Le Lézard noir, 300 p. n&b, 18 €

THOMAS HAJDUKOWICZ

Sa Majesté le Chat,de Akihiro Kimura

Plus quÊunclassiqueÿ manga dechat Ÿ, ce one-shot se présentequasimentcomme un précisdÊéducationféline. Habitudesalimentaires,visites chez levétérinaire, jeux

et soins⁄ JusquÊau dernier au revoir(prévoyez vos mouchoirs). Ayantrecueilli, avec sa compagne, pasmoins de cinq chats pendant 18 ans,le mangaka a aiguisé son sens delÊobservation pour illustrer les ticset tocs de ses animaux, dans un tonprimesautier. Le couple se présentecomme serviteur de ses félins, carcomme chacun sait : ce ne sont pasnous qui domestiquons les chats, cesont bien eux qui nous apprivoisent. Doki-Doki, 192 p. couleurs, 9,90 €

JULIE BEE

Tokyo Kaido, T.1,de Minetaro Mochizuki

Fortes dusuccès deChiisakobe,série en quatrevolumes priméeà Angoulêmecette année,les éditionsdu Lézardnoir peuventespérer la mêmeréussite avec

Tokyo Kaido, créée quelques annéesauparavant par Minetaro Mochizuki.Paru récemment, le premier destrois tomes présente un quatuor depersonnages, tous atteints de troublesneurologiques graves et atypiques, prisen charge par un hôpital psychiatriqueexpérimental. Abordant en filigrane lesquestions de lÊidentité, de lÊisolementet de la normalité, Tokyo Kaido distilleune étrange atmosphère pleine degrâce sur un ryhtme lent.Le Lézard noir, 216 p. n&b + coul., 15 €

OLIVIER PISELLA

M a n g a s & A s i ezoom

Des ÿ perversions Ÿ étrangeset marginales, il en existe detoutes sortes. Certaines sont

bien connues, inutile de les citer (men-tionnons tout de même la scatophilie,sans doute la plus graphique), maismoins courantes sont celles qui consis-tent à sÊexciter par le contact dumohair ou le fait de renifler des bas-kets imprégnées de sueur. La liste estbien sûr très longue, la psychologiehumaine semblant sans limites danssa propension à trouver de nouveauxterrains dÊexpression sexuelle.Haruto Higashiyama, jeune profes-seur, est pour sa part sujet à lÊÿ autas-sassinophilie Ÿ. Son désir sexuel résidedans le fantasme dÊêtre tué par autrui,et plus précisément dans son cas parune strangulation qui serait lÊfluvredÊune lycéenne. Sa position dans cet établissementnÊest pas le fruit du hasard. Doctoranten psychologie, il a décidé il y aquelques années de changer de cappour devenir enseignant et se donnerla chance de réaliser son fantasme.Rapidement dans le récit, cÊest sonélève Maho Sasaki, 16 ans, qui devientsa cible unique. Et pour que cetteinnocente jeune femme – qui en pincepour lui – finisse par refermer sesmains sur son cou, Haruto a un plan.

POYO

Cette série, qui sÊachèvera en deuxtomes, ne se cantonne pas à un jeu

dangereux entre le prof et la lycéenne.On y croise aussi Satsuki, une ex delÊenseignant quÊil a connue lors de sesétudes, jolie femme récemmentemployée par le lycée comme psycho-logue scolaire ; Aoi, la meilleure amiede Maho, atteinte du syndromedÊAsperger, dotée dÊune intelligence etdÊune sensibilité hors normes bien quese faisant passer pour débile, et finissantcurieusement toutes ses phrases parÿ poyo Ÿ (qui ne veut rien dire en japo-nais) ; et enfin Yukio, un lycéen skaterdécoloré, amoureux de Maho depuisdes années et qui a concédé des sacri-fices pour être dans la même classe. Lapersonnalité de chacun de ces person-nages est révélée par bribes et flash-backs, le récit changeant régulièrementde point de vue.

STRANGLER IN THE NIGHT

On ne sait pas identifier un ÿ méchant Ÿdans ce récit, même si les funestes des-seins, sÊils se réalisent, se matérialise-raient par un meurtre. Peut-on qualifierle prof de prédateur alors que son désirest dÊêtre assassiné ? LÊauteur parvient àfaire du meurtrier potentiel une victime.Par ailleurs, Haruto concède dès lespremières pages ne pas avoir envie de mou-rir. Il nÊaspire quÊà réaliser son fantasme,

se débattre et être mis à mort par unefemme, capable physiquement de luiôter le choix de la fuite.Basé sur une paraphilie existante, Je vou-drais être tué par une lycéenne est un mangaintéressant à plus dÊun titre, exempt jus-quÊici de regard moralisateur et com-plexe dans les ressorts psychologiquesmis en fluvre.

JE VOUDRAIS ¯TRE TUÉPAR UNE LYCÉENNE, T.1

dÊUsamaru Furuya,Delcourt-Tonkam,240 p. n&b, 7,99 €

OLIVIER PISELLA

La possibilitéD’UN FANTASMEUsamaru Furuya s’est fait connaître en France grâce notamment à Palepoli, Le Cercle du suicide,Litchi Hikari Club ou encore Je ne suis pas un homme. Les éditions Delcourt-Tonkam publientcette année les deux tomes de Je voudrais être tué par une lycéenne, diptyque troublant auscénario ingénieux.

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Il nÊy a pas si longtemps, les magazines deBD érotiques se contentaient de compilerdes extraits dÊalbums et rien dÊautre. De leur

rangement dans les librairies – hors de portée età proximité des revues pornographiques – jusquÊàleur maquette mal dégrossie, tout leur conféraitun aspect licencieux. Seul lÊexcellent magazineitalien Glamour International parvint, pendantquelque temps, à proposer un contenu et unemise en forme soignés.Depuis une dizaine dÊannées un certain nombrede revues sÊaventurent, le temps dÊun hors-série,sur les terres de lÊérotisme. La plupart de ces mar-ronniers pêchent par manque de fond, excès dÊin-tellectualisme ou par vulgarité. Blandice est, quantà lui, un projet éditorial nouveau qui assume par-faitement son sujet, tout enproposant des articles variés,érudits, sans pour autant êtrepompeux. Le premier numérode ce magazine est pour lemoins prometteur.La petite équipe éditoriale àlÊorigine de cette initiative estparrainée par les éditions

Tabou ; elle nÊest pas pour autant la vitrine delÊéditeur. Preuve en est : les extraits de bandes des-sinées, les artistes mis en avant ou interviewés,proviennent de tous les horizons. Dans ce numéro, Ingrid Liman et Terry Dodsonfont part de leur proximité avec lÊArt nouveau. Letravail de Béatrice Tillier, dÊOlivier Brazao et deJean-Marie Minguez sont eux aussi évoqués afinde démontrer à quel point lÊempreinte de Muchaou de Klimt a marqué la BD érotique.

� BLANDICE NO1collectif, bimestriel, 100 p. couleurs, 6,50 €

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REGARD CAMÉRAF

lavia a fait ce choix parce quÊà son âge,retrouver un emploi est de plus en pluscompliqué ; cÊest du moins la raison la

plus importante ou la plus évidente. Elle croit aussisentir son corps décliner et se flétrir : quelquesrides au coin des yeux, quelques cheveux argentéslui rappellent que lÊhorloge tourne. Les abonnésqui lÊobservent derrière leur écran lui procurent

non seulement de lÊargent, mais aussi la sensationdÊêtre encore désirable.Ce mode de vie semble lui convenir. Malheureu-sement, il exclut toute possibilité dÊintimité à deux,car aucun de ses amants ne tolère longtemps cepartage ou de participer, eux aussi, à cette mise enscène. Tout semble changer quand elle fait laconnaissance de Marco⁄La Chambre de verre est une bande dessinée érotiqueambitieuse, bien que trop courte pour pouvoir allerjusquÊau bout de son propos. LÊauteur y effleure

néanmoins des problématiquesintéressantes. Sa représentationde lÊintime est tout aussi réaliste,tout aussi crue, que ne le rendraitune caméra numérique. Et cÊestvrai quÊen lÊoccurrence, le lecteurendosse le rôle de voyeur.

� LA CHAMBRE DE VERREdÊAxel, Dynamite, 62 p. couleurs, 17,90 €

KAMIL PLEJWALTZSKY

En dehors de quelques hors-séries, les revues consacrées à la bande dessinéeérotique ne sont pas légion. Avec un contenu varié – aussi ludique quepédagogue – et une maquette élégante, Blandice propose une approche différente.

LES DESSOUS CHICSDU NEUVIÈME ART

Flavia a la quarantaine. Elle exhibe son intimité quotidiennement sur Internet, àl’aide d’un dispositif de caméras placé dans chaque recoin de son appartement.

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Panique tous courts

Cowboy, Cheval et Indien reviennentpour une poignée de courts-métragestotalement délirants. Vincent Patar etStéphane Aubier sont toujours auxmanettes de Panique au village, cettepetite saga dÊanimation en volumesréalisée avec des jouets vintage ayantmarqué lÊenfance des quadras. Maissurtout, le duo distille encore ettoujours la juste dose dÊhumoursurréaliste et absurde sur un rythmetrépidant, où un tracteur peut seretrouver à faire le tour du globe pourune simple marche arrière, quand il nesÊagit pas de se rétrécir pour voler laformule mathématique dans le cerveaude Cochon⁄ Panique tous courts estle retour au bordel joyeux etcommunicatif de lÊanimation enfantine.Actuellement en salles

JULIEN FOUSSEREAU

Les PÊtits ExplorateursLe StudioFolimage livreune compilationde courts-métrages auxtechniquesdÊanimationdiverses etvariées. Si Cléà Molette et Joa tendance àoccuper unebonne partie de

lÊespace par sa durée et son ambitionformelle, la musicalité salsa de ChemindÊeau pour un poisson et lÊunité de lieucouplée à un excellent sens ducomique de répétition de La Cageretiennent vraiment lÊattention.Ce pot-pourri offre de quoi divertirles très jeunes spectateurs, tout endévoilant une large gamme de talentsprometteurs formés au sein du studiodrômois. Sortie le 5 avril

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La Tour au-delà des nuages

La sortierécente de YourName a permis àMakoto ShinkaidÊeffectuer unebelle percée enOccident. Cetteattentionnouvelle pour undes prétendantsau titre de futur

roi de lÊanimation japonaise nÊa paséchappé à Kazé, qui édite La Tour au-delà des nuages. Sorti en 2004, ce filmne disposait pas encore dÊun budgetconfortable, mais on retrouve déjà làla passion de Shinkai pour un récitcomplexe entrecroisant lestemporalités, au sein duquel lesentiment amoureux se voit menacépar une destruction du monde telque ses héros lÊenvisagent. Enfin, il y adéjà en développement ce sens de lacomposition picturale avec des jeuxde lumière sidérants, reflets de lamélancolie habitant ses protagonistes.Shinkai a explosé, il est temps de(re)découvrir son fluvre. Un Blu-ray Kazé

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C i n é & D V Dzoom

James Gray nÊavait que 24 anslorsquÊil réalisa Little Odessa.Mais la maturité affolante de

ce polar aux accents dostoïevskiensattira suffisamment lÊattention pour quÊilempoche le Lion dÊArgent à Venise en1994. Il abordait déjà des thématiquespuissantes – la force aliénante de lafamille, le poids du passé et uneréflexion sur les classes sociales – quiseraient reconduites dans ses films sui-vants. Ses plus fervents admirateurslÊont surnommé le plus russe descinéastes américains. Et, à bien y réflé-chir, James Gray a beau avoir tâté dupolar crépusculaire, du film à costumesou du mélodrame sentimental, TheYards, La nuit nous appartient, Two Loverset The Immigrant ont tous pour dénomi-nateur commun un sens du tragiqueincommensurable prenant le pas surles genres cinématographiques quÊil avisités. The Lost City of Z représente pourlui un passage à la vitesse supérieureen termes de lourdeur de production,de délocalisation géographique et sur-tout dÊhistoire, tant il semble sÊécarterde sa zone de confort.

DON QUICHOTTE DANS LE RIO VERDE

Le colonel Percy Fawcett a vraimentexisté. Brillant officier de lÊartillerieroyale de Sa Majesté, il est convoquépar la Société Géographique de Lon-dres en 1905 afin dÊétablir une carto-graphie des frontières entre le Brésil etla Bolivie qui se disputent le contrôlede la production de caoutchouc. Ilmène à bien cette première expéditionjusquÊà la source de lÊAmazone, nonsans connaître quelques périls. Là, ildécouvre des poteries et des artefactsdÊune civilisation avancée disparuedepuis. Naît alors son obsession pourcette cité quÊil appellera ÿ Z Ÿ, quÊilnÊaura de cesse de chercher au cours deplusieurs voyages infructueux ou inter-rompus par la folie destructrice deshommes. Avant dÊêtre porté disparu en1925.

QUAND L’ÂGE D’OR RENCONTRELA FINESSE PSYCHOLOGIQUE

En troquant la jungle urbaine new-yorkaise pour celle, végétale, de

lÊAmazonie, James Gray semble à pre-mière vue avoir tourné le dos à sonpassé cinématographique. Or, il nÊenest rien. Il serait aisé de tenter un rap-prochement avec Aguirre et Fitzcarraldo.Néanmoins, The Lost City of Z a nette-ment moins à voir avec la démencesombre des films de Werner HerzogquÊavec le sens de la curiosité intel-lectuelle et le sens du sacrifice desplus beaux films de David Lean, neserait-ce que pour sa profonde huma-nité. James Gray digère à la perfectionlÊessence de ce qui faisait la grandeurdes films dÊaventures de lÊâge dÊor hol-lywoodien, tout en y ajoutant uneprofondeur psychologique remar-quable sur plusieurs niveaux de lec-ture. Car la quête inlassable deFawcett pour ÿ Z Ÿ est lÊhistoire dÊunprogressiste déterminé à démontrer àla société victorienne agonisante quelÊaristocratie nÊest pas lÊalpha et lÊomégadÊune civilisation. Mais, tel un mou-vement de balancier, cette recherchedissimule mal un désir de reconnais-sance par les mêmes personnes quÊilméprise, au risque de délaisser unefamille quÊil ne voit que par intermit-tence. En cela, les scènes conjugalessur le plancher des vaches impression-nent par leur justesse et donnent lÊoc-casion à Charlie Hunnam et Sienna

Miller de libérer enfin leur talent, tantla sincérité domine sans jamais tomberdans le jugement facile⁄ Aucontraire, lÊodyssée de Fawcett sÊarti-cule comme une double hélice, cellede lÊexaltation du savoir et de lÊanni-hilation dÊun homme pour une exis-tence quÊil ne fait que traverser. Chef-dÊfluvre.

En s’aventurant dans la jungle amazonienne pour y réaliser The Lost City of Z, James Gray estsorti de sa zone de confort new-yorkaise. Pourtant, cette fresque d’une complexité psychologiqueremarquable ne dépareille pas dans le corpus du cinéaste obsédé par le tragique.

LA CITÉ DES

THE LOST CITY OF Z

de James Gray,avec Charlie Hunnam, Sienna

Miller, Robert Pattinson...2h20, sortie le 15 mars

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J e u x V i d é o

Along the EdgeNova-box

La jeune Daphné plaque tout pourhabiter dans le manoir de sa grand-mère décédée, dans un village rongépar les superstitions⁄ Along the Edgeest une BD interactive jusquÊau boutdes ongles, livrée avec ses illustrationsfixes au rendu dÊaquarelle et sesdialogues à lire tels des phylactères.

Mais lÊaustéritéaffichée se révèleêtre une force,car le manquede moyens, encomparaison decadors dans le

domaine comme Telltale Games,autorise Nova-box à démultiplier lechamp des possibles. Ainsi, selon leschoix opérés par le joueur, Along theEdge mute progressivement pourdevenir tantôt un drame réaliste,tantôt un récit fantastique desorcellerie ou un polar rural.Disponible sur PC, Mac et iPad

JULIEN FOUSSEREAU

Yakuza 0Sega

Si les moins de20 ans resterontà quai, lesnostalgiques desjeux typiquementjaponais serontaux anges face àYakuza 0 : histoirerocambolesque,

combats over the top qui feront oublierune réalisation datée, et activitésannexes complètement inutiles, doncforcément indispensables, constituéesde mini-jeux et dÊhôtesses de barsinterlopes tokyoïtes. Il serait parconséquent dommage de passer à côtéde Yakuza 0 : un jeu dÊentreprenariatet de relations publiques dans lesecteur ultra compétitif dessouteneurs, où les différends se règlentautomatiquement à coups de saton etde laser-balayette. Merci Yakuza 0.Exclusivement sur PlayStation 4

JF

Resident Evil 7: BiohazardCapcom

Et soudain, ResidentEvil prit un risque etse renouvela pourle meilleur. Finis lesassauts massifs dezombies et bonjourle retour au huis-clos. Et cela faisaitlongtemps que lÊonnÊavait pas ressenti

autant de sueurs froides devant unResident Evil. Car en associant leséléments de gameplay des meilleursépisodes de la saga, à savoir énigmes,sursauts et gestion des ressources,avec la vue à la première personne,Biohazard fait peur. Très peur même, silÊon tente lÊexpérience avec un casqueVR. Peu importe que le raccrochageavec la mythologie Resident Evil soiteffectué au forceps, Biohazard renfermedes visions dÊhorreur que lÊon oublieradifficilement.Disponible sur PC, PS4 et Xbox One

JF

zoom

Dissipons tout malentendu :la Wii U nÊest pas une mau-vaise machine. Loin de là.

Par certains côtés, elle partage biendes choses avec la Dreamcast de Segaet ce, pour le meilleur comme pourle pire : en avance sur son temps, inno-vante en termes de gameplay quoiquedesservie par une ressemblance tropforte avec la Wii et une désertionrapide des éditeurs tiers. Ainsi, la WiiU est rapidement devenue uneconsole Nintendo, avec des jeuxNintendo et destinée aux aficionadosinvétérés de Nintendo (dÊoù le ratiode bons jeux équilibrés par rapport àla concurrence). Ce qui est problé-matique alors que le filon de la consoleportable, un marché dans lequel leconstructeur avait été jusque-là ultra-dominateur, tend à sérieusementsÊépuiser avec lÊexplosion du snack-gaming sur mobiles et tablettes. Unpeu plus de quatre années dÊexistenceet à peine 15 millions dÊunités ven-dues, il était temps dÊarrêter les frais.

SUR LE CANAP’ OU EN MOBILITÉ…

Difficile cette fois-ci de reprocher àNintendo un manque de clarté, tant surla communication que sur le concept.Tout est dans le nom : Switch. Soit uneconsole hybride se présentant sous laforme dÊune tablette dotée dÊun écrande 6,2 pouces que lÊon charge sur undock préalablement connecté au télé-viseur. Il suffit de quelques secondespour passer du gaming sédentaire aunomade. Sont livrés avec la bête deux

ÿ Joy-con Ÿ : le premier intègre lescontrôles directionnels, le second lesboutons dÊactions, chacun disposant degâchettes. Les deux Joy-con constituenten fait un pad à clipser de chaque côtéde la tablette pour passer en mode por-table. Mais lÊoriginalité repose sur lamodularité des Joy-con selon les jeuxrencontrés, car ces périphériques intè-grent des capteurs infrarouges avancéspour une précision accrue dans la gyro-scopie et surtout des vibreurs HDimpressionnants dans la simulation dÊef-fets tels quÊun écoulement de liquideou un roulement de billes. La sensationest tout bonnement bluffante et faitlargement ses preuves dans le jeu inté-gré 1, 2, Switch dans lequel traire unevache ou ouvrir un coffre-fort se révèleétonnante.

… MON CŒUR BALANCE

Sur le papier, le concept est simple etaccrocheur, un avantage non négli-geable par rapport à la Wii U. Malgrécela, la prudence reste de mise car, gra-phiquement parlant, la Switch peineracertainement à jouer des coudes avecles Xbox One et PlayStation 4 : eneffet, si le résultat visuel est plusquÊagréable sur lÊécran de la tablette,tant sur le plan de la rémanence quede la fluidité, les limites apparaissentplus clairement une fois upscalé sur ungrand téléviseur. De même, si les Joy-con plaisent pour leur ergonomie etleur caractère innovant parfaitementexploités dans un jeu de baston robo-tique comme Arms, on peut craindre

quÊils ne soient guère adaptés pour deslongues sessions plus classiques de jeuxchronophages comme Xenoblade 2 oule futur Zelda: Breath of the Wild. Certes,Nintendo commercialisera un pad prodigne des concurrents, spécifiquementconçu pour ceux ne jurant que par cetoutil, dÊautant que la Switch sera com-mercialisée aux alentours de 350 €. Etcomme pour la Wii U, il faudra espérertrès fort que les éditeurs tiers soientsuffisamment enthousiastes pour déve-lopper sur cette nouvelle console, carles premières images du prochain SuperMario Odyssey ont beau être allé-chantes, ce ne sera pas pour tout desuite et les jeux au lancement ne sontpas légion. Pourtant, lÊenvie dÊy croirereste forte, parce que Nintendo est unconstructeur indispensable dans cetteindustrie, et son savoir-faire plus quejamais précieux.

Nintendo a incontestablement perdu du terrain ces dernières années entre les consoles portablesen perte de vitesse et l’échec commercial de la Wii U. Avec la Switch, le constructeur japonaisentend fusionner les univers mobile et salon. Faut-il y croire ?

� NINTENDO SWITCHConsole vendue avec une manetteJoy-Con droite et une manetteJoy-Con gauche, un support Joy-Con, une station d'accueilNintendo Switch, un câble HDMIet un adaptateur secteur. 350 €

NINTENDO SWITCH :LE MEILLEUR DES DEUX MONDES ?

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En pages suivantes, les bonus de Zoo Salon du Livre 2017

Il s’agit d’articles n’ayant pu trouver de place dans la version papier.

Certaines pages peuvent cependant être incomplètes, car maquettées uniquement pour cette version numérique.

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A c t u B d

Dans la famille ÿ bande dessi-née post-apocalyptique Ÿ, ily a eu Simon du Fleuve, de

Claude Auclair (dans les années 70),qui laissait entrevoir une mince lueurdÊespoir, Jeremiah, de Hermann (à partirdu tournant des années 80), un peuplus sombre et pesant. Avec La Terre desfils, de Gipi, voici donc une nouvellevision de ce que pourrait être le futurde lÊhumanité, pour peu que ÿ ça se

passe très mal Ÿ. Le dessinateur italien,réputé pour ses chroniques contempo-raines, sÊessaie à un récit dÊanticipationdont le cadre est un grand lac aux rivescouvertes de hauts roseaux. Quelqueshabitants survivent tant bien que maldans cet environnement aqueux à lafois paisible et très hostile. Paisible carle silence est roi autour des maigrescabanes posées sur le sol spongieux.Hostile car bien vite, le lecteur sÊaper-

çoit quÊune catastrophe a eu lieu,empoisonnant la nature et lesHommes. Peu de détails sur ce boule-versement, mais est-ce bien important ?Le résultat vaut toutes les explications.En à peine une vingtaine dÊannées, lÊhu-manité a régressé comme jamais.Preuve en est ce petit noyau familial,constitué dÊun père et de ses deuxenfants adolescents, qui se trouve aucflur de lÊintrigue.

AU-DELÀ DU LAC

En combien de temps une civilisationpeut-elle sÊécrouler ? Si lÊon en croitGipi, la chute est très rapide. Dans lecas du trio de personnages principaux,les deux ados, nés probablement quandla situation a commencé à dangereuse-ment dégénérer, ne savent pas lire etsÊexpriment parfois maladroitement.Leur vie sur ce lac exprime le désarroide leur époque : ils tuent un chien pourle manger ou échanger sa peau contrede la nourriture, et en viennent mêmeà penser se nourrir de cadavres humains.Sous la coupe dÊun père très autoritaire,ils ont une idée en tête, explorer au-delà du lac le reste dÊun territoire quele paternel a décrété interdit. Les cir-constances vont faire que les deux frèresparviendront à désobéir aux injonctionsde leur géniteur. Ils découvriront alorsdes terres quÊils nÊavaient jamais foulées,

des communautés dont ils ignoraientlÊexistence. Mais dans ces temps futurs,la violence ne sÊarrête pas une fois lesroseaux du lac dépassés. Partout ailleurs,elle aurait même plutôt tendance àdevenir un vrai mode de vie. Les fran-gins vont lÊapprendre bien assez tôt, ettenter de survivre, une fois de plus. Unhorizon limité sans motif dÊespoir ? CÊestce que le lecteur découvrira dans la der-nière page, qui conclut de manièreémouvante une glaçante balade au paysde la désolation.

LA TERRE DES FILS

de Gipi,Futuropolis, 288 p. n&b, 23 €

THIERRY LEMAIRE

Avec La Terre des Fils, Gipi plonge le lecteur dans un futur bien peu rassurant. Rattrapée par ses propres excès, l’humanité aplongé dans le chaos. Reste-t-il un semblant d’espoir dans cet océan de dévastation ?

PLUS DURE SERA LA CHUTE©

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MAIN D’ŒUVRE CORVÉABLE

Udama est une Malienne. Ellevit en France avec ses deuxenfants et une cousine.

Toutes deux ont été délaissées par leursépoux, peu désireux de supporter leurrêve brisé européen. Elle, va êtreembauchée comme nounou par uncouple de cadres parisiens qui vienttout juste dÊaccueillir un bébé. Envahiepar le mal-être de ses employeurs, elleva finir par sÊoublier un temps.

COMPÉTITIVITÉ ET MATERNITÉ

Udama nÊest pas quÊune question dÊex-ploitation de la misère. Trois person-nages principaux nous sont présentés,et ce sont leurs relations qui font lesel de cette histoire. Claire, la mèredu bébé, est manifestement en pleinedépression post-partum, incapable dÊen-dosser son nouveau statut. Investiedans son travail, elle ne veut pas selaisser distancer dans la compétitionqui lÊoppose à ses collègues. Le fameuxplafond de verre qui vient bloquer lescarrières des femmes, vous savezbien ? LÊidée (pas forcément infondée)que faire un enfant, cÊest nuire à sacarrière.Udama et le mari de Claire, Hervé,payent les frais de cette incapacité sioccidentale à prendre le temps devivre lÊinstant présent, ainsi que lemachisme de notre société.Cette histoire reposant sur les inter-actions humaines, lÊauteur, Zelba, met

grandement lÊaccent sur les person-nages. Il nÊest pas rare dÊobserver lÊef-facement du décor au profit de la miseen avant dÊune confrontation, dÊunéchange important. Manifestement,Zelba a longuement pensé sa mise enscène pour maximiser lÊempathiequÊelle peut créer avec Hervé, Claireet Udama.Empathie créée aussi en refusant devictimiser son héroïne principale.Udama est un album sans caricature,mais qui vient largement nous donnermauvaise conscience.

Les migrants sont-ils si indésirables que cela ou bien leursituation instable en font-ils de bons petits employés ? Udamaest un album piquant qui pose les questions qui agacent.

SERVITUDE MODERNE

UDAMACHEZ CES GENS-L¤

de Zelba,La Boîte à Bulles,

112 p. couleurs, 20 €

YANECK CHAREYRE

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