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1 UNIVERSITATEA „ŞTEFAN CEL MARE” din SUCEAVA FACULTATEA DE LITERE ŞI ŞTIINŢE ALE COMUNICĂRII DEPARTAMENTUL ID SPECIALIZAREA: Română-Franceză LE SIECLE DES LUMIERES Anul I, Semestrul al II-lea Prof. Univ. Dr. Muguraş CONSTANTINESCU

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UNIVERSITATEA „ ŞTEFAN CEL MARE” din SUCEAVA FACULTATEA DE LITERE ŞI ŞTIIN ŢE ALE COMUNIC ĂRII DEPARTAMENTUL ID SPECIALIZAREA: Român ă-Franceză

LE SIECLE DES LUMIER ES

Anul I, Semestrul al II-lea

Prof. Univ. Dr. Mugura ş CONSTANTINESCU

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TABLE DES MATIÈRES ARGUMENT INTRODUCTION Rayonnement et pénétration de l'esprit français Le climat mental et le public au XVIIIe siècle en France Périodisation DENIS DIDEROT Le neveu de Rameau Jacques le fataliste LACLOS Les liaisons dangereuses MONTESQUIEU Les lettres persanes Comment peut - on être persan JEAN JAQUES ROUSSEAU Emile ou l'éducation La nouvelle Héloïse Les rêveries du promeneur solitaire Discours sur l'origine sociale de l'inégalité Les confessions VOLTAIRE Candide de (fragment, chapitre XVIII) Zadig Dictionnaire philosophique Les lettres philosophiques Encyclopédie Christianisme Philosophie Idées religieuses BIBLIOGRAPHIE

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ARGUMENT

LE SIECLE DES LUMIERES OBJECTIFS DU COURS Stimulé et influence par les multiples démarche de la recherché contemporaine, ce cours se

propose de donner aux étudiants une vision cohérente de l'évolution des formes littéraires au XVITI-e siècle. Nous nous proposons également de réfléchir sur la production et la réception des œuvres littéraires qui ont marqué ce siècle, sur les mutations des mentalités qu'elles ont engendrées, sur leur impact dans l'espace culturel français et européen.

Notre corpus a comme objectif d'intégrer dans sa thématique non seulement les "contemporains capitaux" (Voltaire, Rousseau, Diderot) mais aussi d'autres auteurs groupés dans des chapitres réservés à l'évolution des genres littéraires (roman, théâtre, poésie). Voilà pourquoi ce cours vise à se constituer en un premier contact de l'étudiant à distance avec un ensemble de valeurs esthétiques qui sont abordées dans une perspective synchronique et diachronique et qui met à profit le recours systématique à la poétique, à la narratologie, à la textanlayse, c'est-à-dire, à autant de grilles de lecture fournies par la pensée critique des dernières décennies.

PRINCIPAUX OBJECTIFS ET CONTENU DU COURS : • Présentation générale du Siècle des Lumières ; rayonnement et pénétration de l'esprit

français en Europe ; rationnalisme et sensibilité ; chronologie ; • Montesquieu : Les Lettres Persannes ; L'Esprit des Lois ; • Voltaire : l'œuvre d'un philosophe (Les Lettres Philosophiques ; Le Dictionnaire

philosophique) ; Voltaire - historien (L'Histoire de Charles XII) ; les contes de Voltaire (Zadig, Candide) ;

• L'Encyclopédie : histoire de son apparition ; objectifs, identité d'un auteur multiple, mutations produites par cet ouvrage dans la conscience publique du temps ;

• Jean-Jacques Rousseau : quelques repères bio-bibliographiques ; la première étape de la parole rousseaniste (Discours sur les sciences et les arts ; Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes) ; la deuxième étape de sa création (Le contrat social ; Emile ou de l'éducation ; La Nouvelle Héloïse) ; la dernière étape de la parole rousseaniste (Les Rêveries du promeneur solitaire ; Les Confessions) ;

• Diderot : l'œuvre d'un philosophe (sa contribution à l'Encyclopédie, La Lettre de Rameau, Jacques le Fataliste) ;

• Le théâtre au XVIII-e siècle. Deux novateurs :Marivaux (Le Jeu de l'Amour et du Hasard) et Beaumarchais (Le Barbier de Séville) ;

• Le roman au XVIII-e siècle - sensibilité et libertinage ; l'abbé Prévost (Manon Lescaut) ; Bernardin de Saint-Pierre (Paul et Virginie) ; Charles de Laclos (Les liaisons dangereuses) ;

• La poésie au XVIII-e siècle : André Chénier. ÉVALUATION • Examen écrit ; • Deux fiches de lecture (des ouvrages littéraires de votre choix)

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LE CLIMA T MENTAL ET LE PUBLIC A UXVIIIE SIÈCLE EN FRANCE Pourtant, malgré cette « internationalisation » de l'esprit français, c'est à Paris que se

concentrent les activités littéraires: Selon le mot de Marivaux « Paris c'est le monde », « le reste de la terre n'en est que des faubourgs » (La Méprise). C'est à Paris que Rousseau vient chercher la consécration; Voltaire, exilé aux portes de Genève s'inquiète de ce qui se dit et se fait dans sa ville natale. Montesquieu le Bordelais passe les hivers dans la capitale. A Paris même, la vie littéraire se concentre dans quelques cercles privilégiés. De l'Académie française, la plupart des philosophes font partie, et ils dominent complètement dans la seconde moitié du siècle; c'est là qu'éclate l'affrontement entre la tradition et l'esprit philosophique. A part l'Académie, plusieurs salons offrent des réunions régulières, aux activités plus ou moins méthodiques: avant 1740, la duchesse du Maine (qui est entourée d'une « cour » à Sceaux), Madame de Lambert, grandes dames aux relations choisies; ensuite, Madame de Tencin, à la vie agitée, Madame Necker, Madame Geoffrin surtout, qui reçoit tout ce que l'Europe compte de princes éclairés et de grands esprits; Madame du Deffand, Mademoiselle de Lespinasse, ont leurs habitués, mêlés de philosophes. Ecrivains et aristocrates, hommes d'Etat et savants, Français et étrangers font connaissance dans ces salons, échangent idées et informations, suivent les nouveautés, s'initient aux composantes diverses de la pensée européenne. D'autres maisons moins prestigieuses jouent aussi un rôle dans le lancement des oeuvres et l'échange des idées: celles de riches financiers comme La Popelinière ou Bertin (caricaturé dans Le neveau de Rameau). Au début du siècle, le même rôle était joué par les cafés (Le Procope, Le Café de la Régence). Pour qu'une pièce de théâtre réussisse, pour qu'un livre audacieux soit toléré, pour qu'un jeune écrivain trouve audience et protection, il est utile qu'un ou plusieurs salons s'entremettent; et il est difficile de se passer de cet appui. Rousseau lui-même, si éloigné des complaisances mondaines, va lire dans sa vieillesse une partie de ses Confessions chez Mme d'Egmont, devant un auditoire spécialement prié: c'est le moyen d'atteindre l'opinion.

Ce public du XVIIIe siècle, élargi et curieux, a en commun une assez solide culture, reçue pour la plupart des cas dans les collèges (ce sont les collèges des Jésuites qui, jusqu'en 1764 donnent le ton) où la formation est avant tout littéraire. En plus, tous ces hommes et ces femmes cultivées du XVIIIe siècle ont en commun une vive curiosité pour les voyages. Leur imagination et leur réflexion se sont nourries des Voyages en Perse de Chardin (1711) des Lettres édifiantes des Jésuites envoyés évangéliser la Chine, de mille autres récits dont Prévost rassemble un grand nombre dans son Histoire générale des voyages (1746 -1759). Les écrivains qui plaisent sont souvent des voyageurs, dont l'œuvre reflète les expérience étrangères. En 1728, par exemple, Prévost arrive en Angleterre, Voltaire y est encore, Montesquieu commence un tour en Europe.

On se passionne pour la circumnavigation de Bougainville. Voilà pourquoi les héros de la littérature sont souvent en mouvement: Zadig, Candide, sont des voyageurs perpétuels; Manon Lescaut finit sa vie en Amérique; Saint -Preux, héros de La Nouvelle Héloise fait le tour de monde. Découvrir les livres étrangers, voilà une autre façon de voyager: les oeuvres des romanciers et poètes anglais sont rapidement traduites et très bien accueilles, par exemple Pamela de Richardson (1742). Aux

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INTRODUCTION

RAYONNEMENT ET PÉNÉTRATION DE L ESPRIT FRANÇAIS Le XVIIIe siècle, « le grand siècle, je veux dire le dix-huitième» (Michelet), le siècle « des

philosophes » ou « des lumières » (G. Lanson, E. Faguet, D. Mornet), le siècle « des salons et de l'esprit» (les frères Goncourt), ce siècle « inconfortable et questionneur» (Barthes), siècle « de l'aventure de la conscience occidentale » (G. Gusdorf), ce siècle « féminin, rêveur, libertin, dans son goût pour ce qui tient vraiment de l'esprit, frondant toute autorité, gai, humain, faux par-devers lui-même, profondément sociable » (Nietzsche) -voilà autant de tentatives de définir une époque par des historiens de l'art, des critiques, des écrivains qui ont vu chacun dans ce siècle troublant une plaque tournante annonçant la modernité.

Mais qu'est-ce que c'est que le XVIIIe siècle français? L'Europe tout entière est l'espace où s'épanouit la littérature française. Le règne de Louis XIV a assuré la prééminence de la France, que l'Angleterre, certes, va disputer. Mais, Paris est la capitale, incontestée. « Paris, écrivait Rivarol, fixa les idées flottantes de l'Europe et devint le foyer des étincelles répandues chez tous les peuples... on ne parlait que de l'esprit et des grâces françaises: tout se faisait au nom de la France » (De l'universalité de la langue française, 1784). Toute éducation complète doit comporter un voyage en France et un séjour à Paris. Les classiques français figurent dans les bibliothèques de tous les gens cultivés, en Angleterre comme en Allemagne, en Russie comme en Italie. Des troupes de comédiens français circulent de pays en pays pour jouer le répertoire, Racine et Molière. Des nuées de précepteurs et d'institutrices s'en vont faire des carrières plus ou moins longues à l'étranger. Ce sont des intellectuels français que les souverains étrangers (européens) appellent comme conseillers -dont ils ne se sentent pas tenus, d'ailleurs, de suivre les conseils. A Berlin, Voltaire l'esprit philosophique devient chambellan du roi de Prusse, Frédéric II. A Petersburg, Diderot est consulté par Catherine II sur mille questions.

Ce rayonnement et cette pénétration sont rendus possibles par la diffusion de la langue française. Au traité de Rastadt (1714), le texte que signe l'empereur d'Autriche est rédigé en français: c'est la preuve que le français est devenu langue internationale, la langue des élites, et elle va le rester jusqu'au réveil des nationalismes. A son tour, la littérature française enrôle dans ses rangs non seulement un Genevois comme J.J. Rousseau, mais un Prussien comme Frédéric II, poète et philosophe, un Italien comme Galiani. Une personnalité de premier plan comme Voltaire échange, depuis sa retraite de Ferney, une immense correspondance avec des relations, des lecteurs, des admirateurs connus et inconnus de tous les pays -presque entièrement en français. Il n'est d'ailleurs pas nécessaire de comprendre le français pour faire partie du public des écrivains français: des traductions de toutes les oeuvres plus importantes paraissent très rapidement: parfois en même temps que la première édition en français. C'est le cas des Lettres philosophiques de Voltaire, imprimées d'abord à Londres, en français et en anglais.

Anglais s'ajoutent les Italiens et les Espagnols, déjà bien connus et assez souvent lus dans le texte - surtout Boccace et l'Arioste.

Il faut noter enfin que la culture du public, au fil du siècle, s'enrichit d'éléments scientifiques de plus en plus importants. Seule la géométrie a une vraie place dans les collèges. Mais les Parisiens se pressent, dès les années 1730, aux cours publics du Jardin du Roi; dictionnaires et périodiques diffusent les connaissances nouvelles. Tout grand écrivain a sa compétence dans ce domaine: naturellement, Buffon est un spécialiste des sciences de la nature, mais Voltaire est l'interprète de Newton, Rousseau consacre un temps notable à la botanique, Montesquieu et Diderot à la physiologie... De ces intérêts et de leurs liens avec la création littéraire, avec la pensée littéraire et la pensée philosophique, bien des textes brillants sont la preuve, des Entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle, au Rêve de

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d'Alembert de Diderot. Mais le symbole le plus complet est l'Encyclopédie, où s'opère le rassemblement, à défaut de la synthèse, de tant de connaissances et d'interrogations diverses.

PÉRIODISATION Les conditions de la vie littéraire présentent des constantes au XVIIIe siècle, mais une

évolution est perceptible, que quelques événements ont rendue plus sensible aux contemporains. Avant d'en dessiner les étapes, on peut se demander si le XVIIIe siècle a une unité significative dans le domaine de la littérature. On sait que, sur le plan de l'histoire générale, il n'en présente guère: la monarchie absolue lui préexiste, les transformations économiques se situent vers 1750, aucun changement démographique ou social important ne coïncide avec le début ou la fin du siècle. Il serait sans doute logique de faire partir l'étude du courant critique, si caractéristique du XVIIIe siècle, des années 1685. C'est la révocation de l'Edit de Nantes qui créé hors de France des foyers d'ardente polémique et qui fait du catholicisme la religion unique des Français, favorisant ainsi une réaction d'intolérance dans les milieux intellectuels et mondains. De même, on peut envisager de faire commencer une nouvelle république des lettres seulement vers 1820, quand le Romantisme s'impose en France sous sa forme la plus complète, avec la disparition définitive de Napoléon Bonaparte et la publication des Méditations de Lamartine. L'usage est de distinguer sous le nom de XVIIIe siècle (littéraire) les années 1715 -1793 de la mort de Louis XIV à la mort de Louis XVI.

Les limites politiques coïncident rarement, en fait avec les réalités littéraires; et, dans ce cas, 1793 ne correspond à rien de visible dans le domaine des livres. 1715 est plus défendable: la Régence, qui commence alors, change le climat moral et favorise le développement d'une littérature plus hardie.

A l'intérieur de cette période, quelques dates peuvent marquer les étapes essentielles: vers 1725, la publication des Lettres persanes apporte un ton nouveau, irrespectueux et spirituel, pendant que la Henriade donne au siècle la conscience de dépasser le classicisme, en réussissant là où il avait échoué : dans la poésie épique. Le milieu du siècle est le moment essentiel: alors que sont lancées L'esprit des lois, l'Histoire naturelle et l'Encyclopédie, Rousseau apparaît avec éclat sur la scène littéraire. Tout à la fois, l'esprit philosophique atteint son plein épanouissement et découvre les contradictions qu'il recelait. En 1778, la mort de Voltaire et de Rousseau marque la fin d'une époque. Une littérature de style Louis XVI se développe alors, marquée par le culte des grands philosophes, la hardiesse du ton-et des défis, jusqu'à l'outrance: c'est le temps de Beaumarchais, de Laclos, de Sade et de Rivarol. En 1790, avec la fête de la Fédération, une nouvelle ère semble s'ouvrir, aboutissement et réalisation des idées lancées et diffusées au temps de l'Encyclopédie. Mais c'est le temps des affrontements qui commencent entre écrivains engagés dans la Révolution et émigrés, entre idéologiques et réalistes, ou romantiques; le temps d'une poésie ardente, d'une réflexion morale amère.

DENIS DIDEROT (1713 -1784) Données historiques de la vie. Activité de traduction. Ouvrages. Condamnation et

détention. L'Encyclopédie. Diderot-lephilosophe et le moraliste. Repères bio - bibliographiques Denis Diderot naît à Langres, en 1713, dans une famille de la bourgeoise aisée. Il fait son

éducation chez les Jésuites (1723 -1728). Destiné à la vie ecclésiastique (il devait succéder à un oncle chanoine) il a renonce à la suite d'une crise religieuse qu'il traverse surtout après on arrivée à Paris, où il a fréquenté des milieux athées.

Reçu en 1732 maître ès arts de l'Université de Paris, il commence une vie de bohème, qui dure environ une dizaine d'années.

Il fait ses débuts littéraires en 1742, par une Epître en vers à Baculard d'Arnaud et par une traduction. En 1743 il épouse une lingère malgré la vive opposition de son père. L'année suivante, il publie une autre traduction, Essai sur le mérite et la vertu de Shafesburry. En 1746 ses Pensées philosophiques lui valent un succès assez grand mais aussi la condamnation du Parlement de Paris. C'est à partir de cette même année, 1746, Que Diderot commence à s'occuper de VEncyclopédie, dont

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le librairie Le Breton lui a confié la direction. Pendant une vingtaine d'années, les travaux de VEncyclopédie vont absorber une grande partie de son activité. Il rédige, révise, corrige une foule d'articles, stimule les collaborateurs, et, à travers toutes les mésaventures de cet ouvrage, conduit l'entreprise au succès. Entre temps il publie son premier roman, Les bijoux indiscrets (1748) et la Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient, dont la publication provoque l'arrestation de l'auteur et sa détention au château de Vincennes (1749). Dorénavant, son attitude sera plus prudente, car il veut mener à bonne fin la tâche immense de l'Encyclopédie.

Parallèlement avec l'Encyclopédie, Diderot publie l'Histoire et le secret de la peinture en cire (1757) et, deux ans plus tard, Les Salons, sortes de comptes rendus des expositions données au Louvre, et qui s'étendent sur plus d'une vingtaine d'années, car Diderot s'intéresse à l'esthétique abstraite et le statut de critique d'art ne lui déplaît pas.

Parmi les oeuvres de la maturité, dont nous allons nous occuper dans ce qui suit, on doit citer, pour ce qui est du théâtre, Le fus naturel, (1771), Le père de famille (1761), et une comédie où Diderot figure lui-même, Est-il bon? est-il méchant? (1781).

Dans le domaine du conte philosophique, de la nouvelle et du roman réaliste, Diderot se fraie un chemin bien à lui: parmi les oeuvres les plus achevées, il y a La Religieuse (1760), Le Neveu de Rameau (commencé en 1762) et Jacques le fataliste (1773).

La nature de l'homme, sa place dans le monde, le moyen de fonder une morale sont les questions autour desquelles sont construits ses essais philosophiques, dont les plus importants sont: L'Entretien entre D'Alembert et Diderot et le Rêve de D'Alembert.

Les dernières années de la vie de Diderot (1770 -1780) sont marquées, dans l'ordre événementiel, par son voyage en Russie, invité par Catherine II, l'impératrice, à Saint -Petersbourg; se laissant prendre, tout comme Voltaire, au mirage du despotisme éclairé, Diderot ne tarit pas d'éloges sur la souveraine et, à la demande de la tsarine il dresse même un Plan d'une université pour le gouvernement de Russie Diderot restera jusqu'à sa mort semblable à lui-même, mais, après s'être tant dépensé pendant la jeunesse, sa vieillesse est moins brillante, mais aussi moins instable.

Diderot meurt le 31 juillet 1784 et est enterré à l'église Saint - Roch de Paris. Au sein des Lumières, Diderot occupe une position à la fois centrale et marginale: centrale,

dans la mesure où Diderot est, plus que tout autre, représentatif des valeurs et des idéaux des Lumières, marginale parce qu'il en circonscrit les limites, dans une oeuvre qui est à la fois « exemplaire et singulière ».

L'image que ses contemporains ont retenu, est celle de Diderot philosophe, une image certainement réductrice, qui n'en répond pas moins à une certaine réalité: Diderot a été et s'est voulu un « Philosophe» au sens où l'étend le XVIIIe siècle, c'est-à-dire « un homme qui s'occupe à démasquer des erreurs, décrire des vices et démontrer des vertus », comme il l'écrit lui-même dans un texte non daté.

La philosophie de Diderot se constitue en une vaste enquête sur l'homme; toute son oeuvre, a, d'ailleurs, plus ou moins directement comme sujet la nature de l'homme et le sens de son destin.

Diderot repousse les explications métaphysiques et théologiques. De même, il écarte le recours à l'idée de Dieu, pour les raisons suivantes:

1. l'existence du mal serait incompatible avec l'existence de Dieu; 2. Dieu serait impensable et ses attributs contradictoires. La croyance en

Dieu serait un obstacle au bonheur et un danger pour la morale, car elle risquerait de dénaturer l'homme. Comme substitut de la métaphysique, Diderot propose la morale et pour fonder celle-ci il faut d'abord savoir ce qu'est l'homme et s'il est libre. Le moyen que le philosophe propose pour atteindre ce but et de s'étudier soi-même et d'observer autrui, ce qui constitue d'ailleurs une méthode d'investigation traditionnelle.

Fondant la morale sur le plaisir éprouvé à faire le bien, sur l'horreur ressentie à accomplir le mal, on parvient à la conclusion que tout homme peut parvenir à un équilibre des instincts et des passions, qu'il est doué de cette forme de sensibilité, le sens moral. Pour ce qui est des vices, ceux-ci portent en eux-mêmes leur châtiment: « vous vous livrez à la débuche, vous serez hydropique; vous êtes crapuleux, (ivrogne), vous serez poumonique ».

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Il n'en reste pas moins que cet optimisme facile ne peut satisfaire, vraiment Diderot. Dans les heures de dépression, il trouve au contraire les hommes méchants et la vie mauvaise, alors que l'histoire lui apparaît comme une longue suite d'atrocités. On aboutit à une impasse, car entre optimisme et pessimisme, la raison a du mal à choisir: on se rend compte de l'insuffisance de la méthode proposée, l'analyse morale.

A ce point, Diderot tente la méthode scientifique, qui réussira, peut- être, là, où l'autre méthode a échoué. Une morale positive vient d'être fondée, qui est définie principalement comme une méthode expérimentale, dont les trois moyens principaux sont: l'observation de la nature, la réflexion et l'expérience.

La lettre sur les aveugles est une première étape de sa pensée philosophique, un premier pas, décisif, vers le matérialisme. Nos connaissances, nos idées nous viennent des sens, donc notre morale, notre métaphysique dépendent de nos organes. Diderot arrive à poser la relativité de la morale et à voir dans les infirmités congénitales un argument contre la providence et la finalité.

L'Entretien entre D'Alembert et Diderot et le Rêve de D'Alembert représentent une étape ultérieure, où Diderot s'attaque à la distinction des deux

DIDEROT - conteur réaliste Diderot-précurseur du réalisme et du roman. Le Neveu du Rameau-la satire, l'esthétique

du mélange, le dialogue. Jacques, le Fataliste - le problème de la liberté, la fiction et l'illusion référentielle.

Salué au XIXe siècle comme créateur du roman réaliste, Diderot est, sans aucun doute, un

précurseur: il renonce à la stylisation et à l'idéalisation classiques, pour s'intéresser vivement à la réalité matérielle: au corps et au comportement des personnages, aux détails vrais. Il s'agit d'un réalisme très personnel, à l'intérieur duquel l'auteur ne confond jamais vérité et banalité, un réalisme satirique, plein de verve et de mordant, mis en valeur par une langue extrêmement pittoresque.

Pourtant, même si on accepte l'idée que Diderot crée la technique réaliste, on ne peut pas le considérer un vrai romancier: si vivants que soient ses contes, leur intention philosophique est trop apparente; à part cela, les personnages sont presque tous des fantoches, des marionnettes, comme Jacques et son Maître, dont l'auteur s'amuse à tirer les ficelles, car il aime jouer tous les rôles à la fois.

Le Neveu de Rameau. Cette oeuvre, commencée en 1762, restée en chantier une vingtaine d'années, inédite du vivant de Diderot, doit sa fortune ultérieure à la traduction qu'en donna Goethe en 1805. L'oeuvre est une satire, à la fois au sens ordinaire du terme, et au sens de pot - pourri, qu'avait à l'origine le mot latin de satura. En effet, par ce texte, Diderot s'en prend à ses adversaires et, en même temps il y déverse, selon le rythme désordonné de la conversation, la plupart de ses idées morales, esthétiques, la question du fondement de la morale et de l'éducation, son goût pour la musique italienne, plus passionnée et plus naturelle, selon lui, que la musique de Rameau -tout cela dans une esthétique du mélange pour laquelle son tempérament est, sans doute, responsable.

La forme de l'oeuvre est celle d'un dialogue entre Jean -François Rameau (LUI) et Diderot (MOI) dialogue introduit par la présentation du personnage et coupé de temps en temps par les réflexions de l'auteur. D'ailleurs, ce personnage est quelqu'un qui à vraiment existé, le neveu du grand musicien Rameau. C'est un bohème sans talents qui, après la mort de sa femme et de son enfant, tomba dans la misère. Cette figure pittoresque, mais aussi lamentable, devient, dans le texte diderotien, un type, le parasite cynique, le raté génial, homme à paradoxes dépourvu de tout sens moral.

Quand on sait que Diderot lui - aussi a connu la vie de bohème, que son imagination était tout aussi remarquable que celle de son personnage, on comprend même la ressemblance physique entre Diderot et Rameau le premier a trouvé dans le second un autre moi - même, il s'est laissé fasciner par l'être qu'il aurait pu devenir.

Jacques le fataliste, composé en 1773, est un conte philosophique où Diderot pose, sous une forme apparemment désinvolte, par le truchement du dialogue, le problème de la liberté. C'est dans Tristram Shandy, roman de l'ironiste Sterne (qu'il tenait pour un Rabelais des Anglais) que Diderot puise son inspiration, bien qu'il se moque du roman d'aventures: il affecte d'arrêter l'action au moment

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pathétique, de montrer que les choses auraient tourné autrement dans une histoire inventée à plaisir, d'affirmer qu'il respecte scrupuleusement la vérité. Pourtant, ces interventions de l'auteur rappellent sans cesse que le texte est une fiction, et, par là, l'illusion référentielle a du mal à être mise en place. D'ailleurs, le « récit des amours de Jacques» n'est pas le sujet de l'œuvre, ce n'est qu'un prétexte. On retrouve ici la même esthétique du substances, matière et esprit. A son avis, il n'y a que la matière, qui est douée d'une sensibilité active (par ex. les végétaux et les animaux) ou inerte (le monde minéral). Dans une première phase, on passe de l'être inerte à l'être sensible (l'humus nourrit la plante, qui, à son tour, nourrit l'homme). Dans une seconde phase, on passe de l'être sensible à l'être pensant, par des phénomènes purement mécaniques, par l'association d'idées à la mémoire. Car, dit-il nous sommes « des instruments doués de sensibilité et de mémoire » et l'homme n'est qu'un faisceau de brins et de fils, dont les extrémités agissent sur le centre et lui obéissent tour à tour. On peut reconnaître dans ces idées une ébauche de la science de l'homme, la psychologie.

Comme l'homme n'est pas un être privilégié, son destin se perd dans le déterminisme universel. Une des constantes de la pensée diderotienne est la suivante: l'homme n'est qu'un moment, un accident dans l'immense devenir de l'univers matériel. Mais il lui paraît sublime que cet être purement matériel ait pu accéder aux plus hautes conceptions du génie. A part cela, ce n'est pas de personne humaine qu'il faut parler, mais d'espèce humaine, et ce qui compte avant tout, c'est le bien de l'espèce, fondement de toute morale («Que voulez-vous donc dire avec vos individus? Il n'y en a point, non, il n'y en a point... Il n'y a qu'un seul grand individu, c'est le tout »).

A accepter cette hypothèse, que devient le destin individuel? Diderot pose cette question dans Jacques le fataliste où, du registre lyrique il passe à un tout autre registre, celui de la comédie absurde du destin. Influencé par les leçons de son capitaine, Jacques pense que la liberté est une pure illusion, car tout ce qui nous arrive se trouve marqué « sur le grand rouleau ». Entre la liberté d'indifférence qui est le parti pris du Maître et le fatalisme de Jacques, Diderot n'a jamais trouvé de solution rationnelle, car sur ce point son intelligence et son instinct ne sont pas d'accord. Alors, il reste à ce problème une solution pratique, à savoir l'humanisme, qui accorde à l'homme une certaine autonomie est au sein de la matière. La confiance en l'homme est motivée par le goût de Diderot pour les personnalités et les passions fortes, par sa revendication des droits exceptionnels du génie, par sa croyance en l'autonomie de la personne humaine au sein de la collectivité.

Par le parti pris de renoncer aux certitudes, par les antinomies qu'il pose, sans les résoudre, l'humanisme diderotien s'inscrit dans une démarche indéniable vers la modernité.

Résumé: Suite à une crise religieuse, après l'éducation chez les Jésuites, Diderot commence

une vie de bohème et devient maître ès art. Ses débuts littéraires, par leur diversité, confirment son ouverture et savoir illuministes. Ce sont des écrits sur la morale et la philosophie, des écrits sur l'art, mais aussi de la littérature fictionnelle. Parallèlement il travaille à l'Encyclopédie. Tout aussi ancré dans la réalité historique, il dresse un ample projet éducationnel à magnifier le despotisme éclairé de la tsarine. Diderot conçoit la philosophie comme une vaste enquête sur l'homme, en rejetant pourtant toute explication métaphorique ou théologique. Il fonde, en échange, une morale positive qui utilise comme méthode expérimentale l'analyse morale. Sa démarche part d'un matérialisme sensoriel pour affirmer ensuite l'exclusivité de la matière, douée d'une sensibilité qui connaît plusieurs degrés. Ainsi la personne humaine est anéantie par le déterminisme universel qui assure avant tout la primauté de l'espèce humaine. Entre la liberté d'indifférence et le fatalisme, le destin individuel trouve son accomplissement dans l'humanisme des valeurs exemplaires.

doué d'une organisation forte, d'une chaleur d'imagination singulière, et d'une vigueur de poumons peu commune. Si vous le rencontrez jamais et que son originalité ne vous arrête pas, ou vous mettrez vos doigts dans vos oreilles, ou vous vous enfuirez. Dieux, quels terribles poumons! Rien ne dissemble plus de lui que lui-même. Quelquefois il est maigre et hâve comme un malade au dernier degré de la consomption; on compterait ses dents à travers ses joues, on dirait qu'il a passé plusieurs jours sans manger, ou qu'il sort de la Trappe. Le mois suivant, il est gras et replet comme s'il n'avait pas quitté la table d'un financier, ou qu'il eût été renfermé dans un couvent de Bernardins. Aujourd'hui en linge sale, en culotte déchirée, couvert de lambeaux, presque sans souliers, il va la tête basse, il se

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dérobe, on serait tenté de l'appeler pour lui donner l'aumône. Demain poudré, chaussé, frisé, bien vêtu, il marche la tête haute, il se montre, et vous le prendriez à peu près pour un honnête homme. Il vit au jour la journée; triste ou gai, selon les circonstances. Son premier soin le matin, quand il est levé, est de savoir où il dînera; après dîner, il pense où il ira souper. La nuit amène aussi son inquiétude: ou il regagne, à pied, un petit grenier qu'il habite, à moins que l'hôtesse ennuyée d'attendre son loyer, ne lui en ait redemandé la clef; ou il se rabat dans une taverne du faubourg où il attend le jour entre un morceau de pain et un pot de bière. Quand il n'a pas six sous dans sa poche, ce qui lui arrive quelquefois, il a recours soit à un fiacre de ses amis, soit au cocher d'un grand seigneur qui lui donne un lit sur de la paille, à côté de ses chevaux. Le matin il a encore une partie de son matelas dans ses cheveux.

Si la saison est douce, il arpente toute la nuit le Cours ou les Champs-Elysées. Il reparaît avec le jour à la ville, habillé de la veille pour le lendemain, et du lendemain quelquefois pour le reste de la semaine. Je n'estime pas ces originaux-là; d'autres en font leurs connaissances familières, même leurs amis. Ils m'arrêtent une fois l'an, quand je les rencontre, parce que leur caractère tranche avec celui des autres, et qu'ils rompent cette fastidieuse uniformité que notre éducation, nos conventions de société, nos bienséances d'usage, ont introduite. S'il en paraît un dans une compagnie, c'est un grain de levain qui fermente et qui restitue à chacun une portion de son individualité naturelle. Il secoue, il agite; il fait approuver ou blâmer; il fait sortir la vérité, il fait connaître les gens de bien; il démasque les coquins; c'est alors que l'homme de bon sens écoute et démêle son monde. »

(Lagarde -Michard, p. 209 -210) POUR MIEUX COMPRENDRE 1. Identifiez quelques antinomies et paradoxes de ce personnage sous plusieurs aspects

(physique, psychique, moral, social). 2. Quels sont le ton et la dynamique de ce portrait? L'art du portrait chez Diderot. 3. Quel est le principal effet du rapport uniformité-singularité? 4. Le manque d'estime du narrateur exclut-il l'attraction envers ce type de "composé"? 5. Quel est le sens donné par la narrateur à l'acception de "personnage"? 6. En quoi consiste la plasticité du langage utilisé? 7. Quelle est la valeur d'une telle présence? Quels sont les aspects révélateurs de l'exception? Redéfinissez la relation conformisme - bizarrerie, telle qu'elle est présentée dans ce fragment. mélange, car ce roman « met à nu, en les juxtaposant, les différents discours qui coexistent

dans l'unité fictive de la langue littéraire ou de la langue de tous les jours ». (R. Mauzi). C'est ce qui explique la fréquence, dans Jacques le fataliste des récits doubles, qui sont comme deux versions, fortement contrastées, de la même histoire: au récit des amours de Jacques répond et s'oppose celui des amours du Maître, à l'histoire mélodramatique de la vengeance de Mme de la Pommeraye répond le fabliau de la gaine et du coutelas.

C'est encore une des facettes de la modernité de Diderot, qui, par les techniques mises à l'œuvre, vise moins à créer l'illusion romanesque, qu'à ouvrir un espace de jeu. « Polyphonique et dialogique, le récit romanesque est un entrecroisement de discours et d'interprétations qui coexistent et se contestent, en se répondant. Cette coexistence exclut que le texte puisse se clore sur lui -même, en s'épuisant dans une signification univoque. Il autorise toutes les interprétations, même les plus opposées, sans en cautionner aucune: le lecteur est indéfiniment renvoyé de l'une à l'autre, sans jamais pouvoir s'arrêter. » (R. Mauzi).

* ** Diderot lui aussi se refuse à être enfermé dans une seule case de l'histoire littéraire. Génie

polygraphe, il a donné une oeuvre qui interdit le découpage par périodes ou par genres. C'est, pourtant, un oeuvre unitaire dont les deux constantes, le dialogisme et la tension inquiètent le lecteur.

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Résumé: Les contes philosophiques de Diderot annoncent par leur réalisme très personnel l'apparition du roman moderne quoique leur technique réaliste est à ses débuts. Le Neveu de Rameau est une satire basée sur l'esthétique du mélange sous la forme d'un dialogue. Jacques, le Fataliste est l'espace d'un jeu narratif où le sujet proprement-dit n 'est qu 'un prétexte pour débattre le problème de la liberté et le rapport fiction-illusion référentielle. Son oeuvre unitaire, quoique difficile à classifier par périodes ou genres, a comme lien essentiel une relation polyphonique avec le lecteur.

LE NEVEU DE RAME A U Un singulier personnage [Le neveu de Rameau est un bohème, une « espèce » comme on disait alors. DIDEROT le

connaît « de longue main », et il éprouve à son égard des sentiments contradictoires: il ne l'estime pas, nous dit-il, et pourtant il est très attiré par lui: c'est que de tels originaux agissent comme un ferment et obligent à réagir contre le conformisme et la tyrannie des conventions sociales. La présente rencontre a lieu au café de la Régence, place du Palais-Royal, rendez-vous des joueurs d'échecs.]

«Un après-dîner, j'étais là, regardant beaucoup, parlant peu et écoutant le moins que je pouvais, lorsque je fus abordé par un des plus bizarres personnages de ce pays où Dieu n'en a pas laissé manquer. C'est un composé de hauteur et de bassesse, de bon sens et de déraison. Il faut que les notions de l'honnête et du déshonnête soient bien étrangement brouillées dans sa tête, car il montre ce que la nature lui a donné de bonnes qualités sans ostentation, et ce qu'il en a reçu de mauvaises sans pudeur. Au reste, il est

JACQUES LE FA TALISTE Le pardon du marquis des Arcis [La trame très lâche de Jacques le fataliste est constamment coupée par des récits secondaires:

voici le dénouement du plus important de ces épisodes, qui constitue à lui seul un bref roman. Par amour pour le marquis des Arcis, la marquise de La Pommeraye a compromis sa réputation; mais elle s'aperçoit que le marquis se détache d'elle; pour le lui faire avouer, elle feint elle-même de désirer reprendre sa liberté: ils ne s'aiment plus, que cela ne les empêche pas de rester bons amis. En fait, cruellement blessée, elle brûle de se venger et prépare longuement, lucidement sa vengeance avec un machiavélisme qui annonce les Liaisons dangereuses. Elle amène une fille de mauvaise vie, la d'Aisnon, à feindre la vertu et à mener avec sa mère une vie irréprochable; puis elle ménage une rencontre entre cette fille et le marquis, et manœuvre si bien que M. des Arcis tombe dans le piège, s'éprend éperdument de la d'Aisnon qu'il croit honnête, et l'épouse. Aussitôt après le mariage, la marquise lui apprend la vérité. M. des Arcis fait alors une scène violente à sa femme, puis il s'absente pendant quinze jours.]

« A son retour, le marquis s'enferma dans son cabinet, et écrivit deux lettres, l'une à sa femme,

l'autre à sa belle-mère. Celle-ci partit dans la même journée, et se rendit au couvent des Carmélites de la ville prochaine, où elle est morte il y a quelques jours. Sa fille s'habilla, et se traîna dans l'appartement de son mari où il lui avait apparemment enjoint de venir. Dés la porte, elle se jeta à genoux. « Levez-vous », lui dit le marquis...

Au lieu de se lever, elle s'avança vers lui sur ses genoux; elle tremblait de tous ses membres; elle était échevelée; elle avait le corps un peu penché, les bras portés de son côté, la tête relevée, le regard attaché sur ses yeux, et le visage inondé de pleurs. « Il me semble », lui dit-elle, un sanglot séparant chacun de ses mots, « que votre cœur justement irrité s'est radouci, et que peut-être avec le temps j'obtiendrai miséricorde. Monsieur, de grâce, ne vous hâtez pas de me pardonner. Tant de filles honnêtes sont devenues de malhonnêtes femmes, que peut-être serai-je un exemple contraire. Je ne suis pas encore digne que vous vous rapprochiez de moi; attendez, laissez-moi seulement l'espoir du pardon. Tenez-vous loin de moi; vous verrez ma conduite; vous la jugerez: trop heureuse mille fois, trop heureuse si vous daignez quelquefois m'appeler! Marquez-moi le recoin obscur de votre maison où vous permettez que j'habite; j'y resterai sans murmure. Ah ! si je pouvais m'arracher le nom et le titre qu'on m'a fait usurper, et mourir après, à l'instant vous seriez satisfait! Je me suis laissé conduire par

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faiblesse, par séduction, par autorité, par menaces, à une action infâme; mais ne croyez pas, monsieur, que je sois méchante? : je ne le suis pas, puisque je n'ai pas balancé à paraître devant vous quand vous m'avez appelée, et que j'ose à présent lever les yeux sur vous et vous parler. Ah ! si vous pouviez lire au fond de mon cœur, et voir combien mes fautes passées sont loin de moi; combien les mœurs de mes pareilles me sont étrangères! La corruption s'est posée sur moi; mais elle ne s'y est point attachée. Je me connais, et une justice que je me rends, c'est que par mes goûts, par mes sentiments, par mon caractère, j'étais née digne de l'honneur de vous appartenir. Ah ! s'il m'eût été libre de vous voir, il n'y avait qu'un mot à dire, et je crois que j'en aurais eu le courage. Monsieur, disposez de moi comme il vous plaira; faites entrer vos gens: qu'ils me dépouillent, qu'ils me jettent la nuit dans la rue: je souscris à tout/Quel que soit le sort que vous me préparez, je m'y soumets: le fond d'une campagne, l'obscurité d'un cloître peut me dérober pour jamais à vos yeux: parlez, et j'y vais. Votre bonheur n'est point perdu sans ressources, et vous pouvez m'oublier...

-Levez-vous, lui dit doucement le marquis; je vous ai pardonné: au moment même de l'injure j'ai respecté ma femme en vous; il n'est pas sorti de ma bouche une parole qui l'ait humiliée, ou du moins je m'en repens, et je proteste qu'elle n'en entendra plus aucune qui l'humilie, si elle se souvient qu'on ne peut rendre son époux malheureux sans le devenir. Soyez honnête, soyez heureuse, et faites que je le sois.

Levez-vous, je vous en prie, ma femme, levez-vous et embrassez-moi madame la marquise, levez-vous, vous n'êtes pas à votre place; madame des Arcis, levez-vous... »

Pendant qu'il parlait ainsi, elle était restée le visage caché dans ses mains, et la tête appuyée sur les genoux du marquis; mais au mot de ma femme, au mot de madame des Arcis, elle se leva brusquement, et se précipita sur le marquis, elle le tenait embrassé, à moitié suffoquée par la douleur et par la joie; puis elle se séparait de lui, se jetait à terre, et lui baisait les pieds.

«Ah! lui disait le marquis, je vous ai pardonné; je vous l'ai dit; et je vois que vous n'en croyez rien.

- Il faut, lui répondit-elle, que cela soit, et que je ne le croie jamais. » » (Lagarde -Michard, p. 209 -210) POUR MIEUX COMPRENDRE 1. Quel est le rôle de ce récit secondaire dans l'économie du conte? 2. Quelles sont les caractéristiques du plaidoyer de la femme? 3. Par quoi se caractérise son état d'âme? 4. Présentez la connaissance qu'elle a d'elle-même. 5. Quelle proposition finale fait-elle au Marquis? 6. Quel est l'aspect inédit du pardon? 7. Quel est le désir du Marquis concernant le couple retrouvé? 8. Quel aspect antérieur de l'histoire justifie le pardon? 9. Quelle est la prémisse du bonheur futur du couple et pourquoi cette préservation est-elle

nécessaire? SCHÉMA Denis Diderot (1713-1784) Epître (en vers) 1742 Essai sur le mérite et la vertu (traduction de Shafesburry) 1743 Pensées philosophiques 1746 Les bijoux indiscrets (roman) 1748 Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient 1748 L'histoire et le secret de la période en cire (écrits sur l'art) 1757 Les Salons (écrits sur l'art) 1759 Le Religieuse (nouvelle) 1760

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Le Père defamile (théâtre) 1761 Le Neveau de Rameau (conte philosophique) 1762 Le fils naturel (théâtre) 1771 Jacques, le Fataliste (conte philosophique) 1773 Entretien entre d'Alembert et Diderot Le Rêve de D Alembert L Encyclopédie Est-il bon? Est-il méchant! (théâtre) 1781 TEST D'ÉVALUATION 1. Présentez la diversité des préoccupations de Diderot pour mettre en évidence son esprit

illuministe. 2. Présentez le rapport philosophie-morale chez Diderot. 3. Définissez l'humanisme de Diderot. 4. Le Neveu de Rameau- problématique, personnages, structure. 5. Jacques, le Fataliste- présentation.

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LACLOS (1741 -1803) Les liaisons dangereuses - nouveauté, roman épistolaire, problématique, personnages,

types de lectures. Choderlos de Laclos, officier d'artillerie issu d'une famille bourgeoise, peut être considéré

l'auteur d'une seule oeuvre, le roman par lettres Les Liaisons dangereuses, publié en 1782, où il peint la perversité de deux êtres blasés et cyniques, épris du mal pour le mal: le vicomte de Valmont et la Marquise de Merteuil.

La nouveauté des Liaisons, la force d'entraînement et la fascination qu'exerce encore le roman résident dans la conception des principaux personnages, mais aussi dans la perfection du mécanisme narratif. Laclos ne se contente pas, pourtant, de «peindre » ; la machine d'écriture qu'il a si soigneusement montée reproduit textuellement l'idéal libertin de « fonctionnement euphorique » (H. Blanc) et le mouvement perpétuel des plaisirs. L'œuvre de Laclos marque aussi une date, capitale pour le roman épistolaire. Les lettres y deviennent les véritables ressorts de l'intrigue. Leur rédaction, leur acheminement, leur circulation, leur dévoilement au public même, sont non seulement plausibles, mais nécessaires, dans les conditions définies par le récit; « action » et « réalité » tendent à devenir une seule et même réalité: celle de la fiction. La Lettre a tout pouvoir, y compris celui de tuer. Elle est polysémique, en tant qu'elle révèle la vérité, tout en organisant le mensonge; elle demande donc à être redéchiffrée, par un lecteur constitué en receleur de l'ensemble de la Correspondance. Admis de plein -pied dans la confidence du vicomte de Valmont et de la marquise de Merteuil, ce lecteur est invité à partager, leurs noirs desseins, comme leurs fantasmes d'omnipotence.

Le thème manifeste du roman est le jeu de la séduction « en chaîne »; sous cette apparence, le roman s'attaque à un problème beaucoup plus important: celui de la liberté de l'individu. Les deux personnages principaux ne se contentent pas d'une liberté de mœurs qui ne serait que licence. Le vrai libertinage, tel qu'il est professé par Valmont et Merteuil est en réalité l'expression de la volonté de domination d'autrui et la réalisation concrète, palpable de cette volonté.

Valmont se propose comme but le mal et il agit avec beaucoup de sang -froid pour le réaliser. Son « attaque », qu'il construit en véritable stratège du libertinage est organisée comme « un jeu dramatique ». dont les quatre moments principaux sont: le choix; la séduction; la chute; la rupture. Le Château - fort qu'il veut assiéger c'est la dévotion, seule capable à ses yeux de lui fournir une victoire éclatante, qui permettra peut -être au séducteur de se substituer au Dieu de la Présidente de Tourvel, sa victime.

Madame de Merteuil est le véritable meneur de jeu. Elle est supérieure à Valmont dans la mesure où le libertinage constitue la condition même de son existence. La marquise pensera toute sa vie en termes de théâtre: elle est l'auteur, le metteur en scène et l'interprète de cette pièce qu'est sa biographie, tout par un procès d'auto-education mis sous le signe de l'intelligence, de la volonté et de la lucidité, qui finit par créer un être admirable et abominable à la fois, capable d'un contrôle absolu de soi-même.

Roman d'analyse du plus pur type classique, Les Liaisons dangereuses peut être lu aussi comme un « roman de mœurs » (Sainte-Beuve), comme un « document précis d'histoire et de psychologie » (les frères Goncourt), où même comme une « éducation sentimentale ». Quelle que soit la lecture qu'on en fait, le roman de Laclos s'impose au lecteur moderne comme une méditation profonde sur certaines questions de morale et de psychologie, sur le bien et le mal, sur le vice et la vertu, sur le bonheur, sur l'amour, sur le destin et la liberté, sur la condition de l'homme en dernière instance.

Résumé: Les liaisons dangereuses est un roman par lettres défini par un mécanisme narratif

parfait qui traite de l'idéal libertin et ainsi de la liberté de l'individu. L'art subtil de la construction et la complexité des personnages permettent une lecture plurielle.

LES LIAISONS DANGEREUSES LETTRE LI

LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT

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En vérité, Vicomte, vous êtes insupportable. Vous me traitez avec autant de légèreté que si

j'étais votre Maîtresse. Savez-vous que je me fâcherai, et que j'ai dans ce moment une humeur effroyable? Comment! vous devez voir Danceny demain matin; vous savez combien il est important que je vous parle avant cette entrevue; et sans vous inquiéter davantage, vous me laissez vous attendre toute la journée, pour aller courir je ne sais où? Vous êtes cause que je suis arrivée indécemment tard chez Madame de Volanges, et que toutes les vieilles femmes m'ont trouvée merveilleuse. Il m'a fallu leur faire des cajoleries toute la soirée pour les apaiser: car il ne faut pas fâcher les vieilles femmes; ce sont elles qui font la réputation des jeunes.

A présent il est une heure du matin, et au lieu de me coucher, comme j'en meurs d'envie, il faut que je vous écrive une longue Lettre, qui va redoubler mon sommeil par l'ennui qu'elle me causera. Vous êtes bien heureux que je n'aie pas le temps de vous gronder davantage. N'allez pas croire pour cela que je vous pardonne; c'est seulement que je suis pressée. Ecoutez-moi donc, je me dépêche.

Pour peu que vous soyez adroit, vous devez avoir demain la confidence de Danceny. Le moment est favorable pour la confiance: c'est celui du malheur. La petite fille a été à confesse; elle a tout dit, comme un enfant; et depuis, elle est tourmentée à un tel point de la peur du diable, qu'elle veut rompre absolument. Elle m'a raconté tous ses petits scrupules, avec une vivacité qui m'apprenait assez combien sa tête était montée. Elle m'a montré sa Lettre de rupture, qui est une vraie capucinade. Elle a babillé une heure avec moi, sans me dire un mot qui ait le sens commun. Mais elle ne m'en a pas moins embarrassée; car vous jugez que je ne pouvais risquer de m'ouvrir vis-à-vis d'une aussi mauvaise tête.

J'ai vu pourtant au milieu de tout ce bavardage qu'elle n'en aime pas moins son Danceny; j'ai remarqué même une de ces ressources qui ne manquent jamais à l'amour, et dont la petite fille est assez plaisamment la dupe. Tourmentée par le désir de s'occuper de son Amant, et par la crainte de se damner en s'en occupant, elle a imaginéde prier Dieu de le lui faire oublier; et comme elle renouvelle cette prière à chaque instant du jour, elle trouve le moyen d'y penser sans cesse.

Avec quelqu'un de plus usagé que Danceny, ce petit événement serait peut-être plus favorable que contraire, mais le jeune homme est si Céladon, que, si nous ne l'aidons pas, il lui faudra tant de temps pour vaincre les plus légers obstacles qu'il ne nous laissera pas celui d'effectuer notre projet.

Vous avez bien raison; c'est dommage, et je suis aussi fâchée que vous qu'il soit le héros de cette aventure: mais que voulez-vous? ce qui est fait est fait; et c'est votre faute. J'ai demandé à voir sa Réponse ; elle m'a fait pitié. Il lui fait des raisonnements à perte d'haleine, pour lui prouver qu'un sentiment involontaire ne peut pas être un crime: comme s'il ne cessait pas d'être involontaire, du moment qu'on cesse de le combattre! Cette idée est si simple, qu'elle est venue même à la petite fille. Il se plaint de son malheur d'une manière assez touchante: mais sa douleur est si douce et paraît si forte et si sincère, qu'il me semble impossible qu'une femme qui trouve l'occasion de désespérer un homme à ce point, et avec aussi peu de danger, ne soit pas tentée de s'en passer la fantaisie. Il lui explique enfin qu'il n'est pas Moine comme la petite le croyait; et c'est, sans contredit, ce qu'il fait de mieux: car, pour faire tant que de se livrer à l'amour Monastique, assurément MM. Les Chevaliers de Malte ne mériteraient pas la préférence.

Quoi qu'il en soit, au lieu de perdre mon temps en raisonnements qui m'auraient compromise, et peut-être sans persuader, j'ai approuvé le projet de rupture: mais j'ai dit qu'il était plus honnête, en pareil cas, de dire ses raisons que de les écrire; qu'il était d'usage aussi de rendre les n Lettres et les autres bagatelles qu'on pouvait avoir reçues; et paraissant entrer ainsi dans les vues de la petite personne, je "ai décidée à donner un rendez-vous à Danceny. Nous en avons sur-le-champ concerté les moyens, et je me suis chargée de décider la mère à sortir sans sa fille; c'est demain après-midi que sera cet instant décisif. Danceny en est déjà instruit; mais, pour Dieu, si vous en trouvez l'occasion, décidez donc ce beau Berger à être moins langoureux; et apprenez-lui, puisqu'il faut lui tout dire, que la vraie façon de vaincre les scrupules est de ne laisser rien à perdre à ceux qui en ont.

Au reste, pour que cette ridicule scène ne se renouvelât pas, je n'ai pas manqué d'élever quelques doutes dans l'esprit de la petite fille sur la discrétion des Confesseurs; et je vous assure qu'elle paie à présent la peur qu'elle m'a faite, par celle qu'elle a que le sien n'aille tout dire à sa mère. J'espère

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qu'après que j'en aurai causé encore une fois ou deux avec elle, elle n'ira plus raconter ainsi ses sottises au premier venu1

Adieu, Vicomte; emparez-vous de Danceny, et conduisez-le. Il serait honteux que nous ne fissions pas ce que nous voulons de deux enfants. Si nous y trouvons plus de peine que nous ne l'avions cru d'abord, songeons, pour animer notre zèle, vous, qu'il s'agit de la fille de Madame de Volanges, et moi, qu'elle doit devenir la femme de Gercourt. Adieu.

LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Vous me défendez, Madame, de vous parler de mon amour; mais, où trouver le courage

nécessaire pour vous obéir? Uniquement occupé d'un sentiment qui devrait être si doux, et que vous rendez si cruel; languissant dans l'exil où vous m'avez condamné; ne vivant que de privations et de regrets; en proie à des tourments d'autant plus douloureux, qu'ils me rappellent sans cesse votre indifférence; me faudra-t-il encore perdre la seule consolation qui me reste? et puis-je en avoir d'autre, que de vous ouvrir quelquefois une âme que vous remplissez de trouble et d'amertume? Détournerez-vous vos regards, pour ne pas voir les pleurs que vous faites répandre? Refuserez-vous jusqu'à l'hommage des sacrifices que vous exigez? Ne serait-il donc pas plus digne de vous, de votre âme honnête et douce, de plaindre un malheureux, qui ne est que par vous, que de vouloir encore aggraver ses peines, par une défense à la fois injuste et rigoureuse.

Vous feignez de craindre l'amour, et vous ne voulez pas voir que vous seule causez les maux que vous lui reprochez. Ah! sans doute, ce sentiment est pénible, quand l'objet qui l'inspire ne le partage point; mais où trouver le bonheur, si un amour réciproque ne le procure pas? L'amitié tendre, la douce confiance et la seule qui soit sans réserve, les peines adoucies, les plaisirs augmentés, l'espoir enchanteur, les souvenirs délicieux, où les trouver ailleurs que dans l'amour? Vous le calomniez, vous qui, pour jouir de tous les biens qu'il vous offre, n'avez qu'à ne plus vous y refuser; et moi j'oublie les peines que j'éprouve, pour m'occuper à le défendre.

Vous me forcez aussi à me défendre moi-même; car tandis que je consacre ma vie à vous adorer, vous passez la vôtre à me chercher des torts: déjà vous me supposez léger et trompeur; et abusant, contre moi, quelques erreurs, dont moi-même je vous ai fait l'aveu, vous vous plaisez à confondre ce que j'étais alors, avec ce que je suis à présent. Non contente de m'avoir livré au tourment de vivre loin de vous, vous y joignez un persiflage cruel, sur des plaisirs auxquels vous savez assez combien vous m'avez rendu insensible. Vous ne croyez ni à mes promesses, ni à mes serments: eh bien il me reste un garant à vous offrir, qu'au moins vous ne suspecterez pas; c'est vous-même. Je ne vous demande que de vous interroger de bonne foi; si vous ne croyez pas à mon amour, si vous doutez un moment de régner seule sur mon âme, si vous n'êtes pas assurée d'avoir fixé ce cœur, en effet, jusqu'ici trop volage, je consens à porter la peine de cette erreur; j'en gémirai, mais n'en appellerai point: mais si au contraire, nous rendant justice à tous deux, vous êtes forcée de convenir avec vous-même que vous n'avez, que vous n'aurez jamais de rivale, ne m'obligez plus, je vous supplie, à combattre des chimères, et laissez-moi au moins cette consolation de vous voir ne plus douter d'un sentiment qui, en effet, ne finira, ne peut finir qu'avec ma vie. Permettez-moi, Madame, de vous prier de répondre positivement à cet article de ma Lettre.

Si j'abandonne cependant cette époque de ma vie, qui paraît me nuire si cruellement auprès de vous, ce n'est pas qu'au besoin les raisons me manquassent pour la défendre.

Qu'ai-je fait, après tout, que ne pas résister au tourbillon dans lequel j'avais été jeté? Entré dans le monde, jeune et sans expérience; passé, pour ainsi dire, de mains en mains, par une foule de femmes, qui toutes se hâtent de prévenir par leur facilité une réflexion qu'elles sentent devoir leur être défavorable; était-ce donc à moi de donner II l'exemple d'une résistance qu'on ne m'opposait point ou devais-je me punir d'un moment d'erreur, et que souvent on avait provoqué, par une constance à coup sûr inutile, et dans laquelle on n'aurait vu qu'un ridicule Eh! quel autre moyen qu'une prompte rupture peut justifier d'un choix honteux! Le Lecteur a dû deviner depuis longtemps, par les mœurs de Madame de Merteuil, combien peu elle respectait la Religion. On aurait supprimé tout cet alinéa, mais on a cru qu'en montrant les effets, on ne devait pas négliger d'en faire connaître les causes.

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Mais, je puis le dire, cette ivresse des sens, peut-être même ce il délire de la vanité, n'a point passé jusqu'à mon cœur. Né pour l'amour, l'intrigue pouvait le distraire, et ne suffisait pas pour l'occuper; entouré d'objets séduisants, mais méprisables, aucun n'allait jusqu'à mon âme: on m'offrait des plaisirs, je cherchais des vertus; et moi même enfin je me crus inconstant, parce que j'étais délicat et sensible.

C'est en vous voyant que je me suis éclairé: bientôt j'a reconnu que le charme de l'amour tenait aux qualités de l'âme; qu'elles seules pouvaient en causer l'excès, et le justifier. Je sentis, enfin qu'il m'était également impossible et de ne pas vous aimer, et d'en aimer une autre que vous.

Voilà, Madame, quel est ce cœur auquel vous craignez de vous livrer, et sur le sort de qui vous avez à prononcer: mais quel que soit le destin que vous lui réservez, vous ne changerez rien aux sentiments qui l'attachent à vous; ils sont inaltérables comme les vertus qui les on fait naître.

LETTRE LUI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL J'ai vu Danceny, mais je n'en ai obtenu qu'une demi-confidence; il s'est obstiné, surtout, à me

taire le nom de la petite Volanges, dont il ne m'a parlé que comme d'une femme très sage, et même un peu dévote: à cela près, il m'a raconté avec assez de vérité son aventure, et surtout le dernier événement. Je l'ai échauffé autant que j'ai pu, et l'ai beaucoup plaisanté sur sa délicatesse et ses scrupules; mais il parait qu'il y tient, et je ne puis pas répondre de lui; au reste, je pourrais vous en dire davantage après-demain. Je le mène demain à Versailles, et je m'occuperai à le scruter pendant la route. Le rendez-vous qui doit avoir eu lieu aujourd'hui me donne aussi quelque espérance: il se pourrait que tout s'y fût passé à notre satisfaction; et peut-être ne nous reste-t-il à présent qu'à en arracher l'aveu, et à eu recueillir les preuves. Cette besogne vous sera plus facile qu'à moi: car la petite personne est plus confiante, ou, ce qui revient au même, plus bavarde, que son discret Amoureux. Cependant j'y ferai mon possible.

Adieu, ma belle amie, je suis fort pressé; je ne vous verrai ni ce soir, ni demain: si de votre côté vous avez su quelque chose, écrivez - moi un mot pour mon retour. Je reviendrai sûrement coucher à Paris.

De ...ce 3 septembre 17**, au soir. LETTRE LIV LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Oh! oui! c'est bien avec Danceny qu'il y a quelque chose à savoir! S'il vous l'a dit, il s'est

vanté. Je ne connais personne si bête en amour, et je me reproche de plus en plus les bontés que nous avons pour lui. Savez-vous que j'ai pensé être compromise par rapport à lui! et que ce soit en pure perte! Oh! je m'en vengerai, je le promets.

Quand j'arrivai hier pour prendre Madame de Volanges, elle ne voulait plus sortir; elle se sentait incommodée; il me fallut toute mon éloquence pour la décider, et je vis le moment que Danceny serait arrivé avant notre départ; ce qui eût été d'autant plus gauche que Madame de Volanges lui avait dit la veille qu'elle ne serait pas chez elle. Sa fille et moi, nous étions sur les épines. Nous sortîmes enfin; et la petite me serra la main si affectueusement en me disant adieu, que malgré son projet de rupture, dont elle croyait de bonne foi s'occuper encore, j'augurai des merveilles de la soirée.

Je n'étais pas au bout de mes inquiétudes. Il y avait à peine une demi-heure que nous étions chez Madame de *** que Madame de Volanges se trouva mal en effet, mais sérieusement mal; et comme de raison, elle voulait rentrer chez elle: moi, je le voulais d'autant moins que j'avais peur, si nous surprenions les jeunes gens, comme il y avait tout à parier, que mes instances auprès de la mère, pour la faire sortir, ne lui devinssent suspectes. Je pris le parti de l'effrayer sur sa santé, ce qui heureusement n'est pas difficile; et je la tins une heure et demie, sans consentir à la ramener chez elle, dans la crainte que je feignis d'avoir, du mouvement dangereux de la voiture. Nous ne rentrâmes enfin qu'à l'heure convenue. A l'air honteux que je remarquai en arrivant, j'avoue que j'espérai qu'au moins mes peines n'auraient pas été perdues.

Le désir que j'avais d'être instruite me fit rester auprès de Madame de Volanges, qui se coucha aussitôt, et après avoir soupe auprès de son lit, nous la laissâmes de très bonne heure, sous le prétexte

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qu'elle avait besoin de repos; et nous passâmes dans l'appartement de sa fille. Celle- ci a fait de son côté tout ce que j'attendais d'elle; scrupules évanouis, nouveaux serments d'aimer toujours, etc., elle s'est enfin exécutée de bonne grâce: mais le sot Danceny n'a pas passé d'une ligne le point où il était auparavant. Oh! l'on peut se brouiller avec celui-là; les raccommodements ne sont pas dangereux.

La petite assure pourtant qu'il voulait davantage, mais qu'elle a su se défendre. Je parierais bien qu'elle se vante, ou qu'elle l'excuse; je m'en suis même presque assurée. En effet, il m'a pris fantaisie de savoir à quoi m'en tenir sur la défense dont elle était capable; et moi, simple femme, de propos en propos, j'ai monté sa tête au point... Enfin vous pouvez m'en croire, jamais personne ne fut plus susceptible d'une surprise des sens. Elle est vraiment aimable, cette chère petite! Elle méritait un autre Amant; elle aura au moins une bonne amie, car je . m'attache sincèrement à elle. Je lui ai promis de la former et je crois que je lui tiendrai parole. Je me suis souvent aperçue du besoin d'avoir une femme dans ma confidence, et j'aimerais mieux celle-là qu'une autre; mais je ne puis en rien faire, tant qu'elle ne sera pas... ce qu'il faut qu'elle soit; et c'est une raison de plus d'en vouloir à Danceny.

Adieu, Vicomte; ne venez pas chez moi demain, à moins que ce ne soit le matin. J'ai cédé aux instances du Chevalier, pour une soirée de petite Maison.

De ...ce 4 septembre 17**. (Lettre LI -LTV) Livre de Poches, Paris, 1961, p. 129 -137. POUR MIEUX COMPRENDRE 1. Quel est la relation entre la Marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont? 2. En quoi consiste la perversité de ces deux maîtres par rapport à Danceny et à la fille de M.

de Volanges? 3. Esquissez le portrait des deux jeunes. 4. Mettez en évidence la multitude de rôles interprétés par les personnages principaux

différemment par rapport aux personnages secondaires. 5. Quels sont les ressorts affectifs et logiques du discours amoureux du Viconte de Valmont? 6. Quelle est la valeur des procédés stylistiques utilisés? (progression, questions, rhétoriques,

hyperbole) 7. Quelles sont les accusations de la Présidente de Tourvel? 8. Définissez l'opposition libertinage-fidélité telle qu'elle apparaît dans ces lettres. SCHÉMA Laclos 1741-1803 Les liaisons dangereuses 1782 TEST D'ÉVALUATION 1. Résumez le contenu du roman. 2. Caractérisez les personnages principaux . 3. Définissez la notion d'idéal libertin. 4. Présentez les lectures plurielles du roman.

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MONTESQUIEU (1689 -1755) Repères bio-biographiques. Etudes de droit. Carrière littéraire et scientifique. Membre de

l'Académie Française. Ouvrages. REPÈRES RIO - BIBLIOGRAPHIQUES Charles -Louis de Secondât, qui deviendra baron de la Brède et de Montesquieu à la faveur

d'un héritage (c'est son oncle qui lui a transmis le titre de baron) naquit le 18 janvier 1689 au château de la Brède, près de Bordeaux. Après les études de droit, à Bordeaux et à Paris il hérite aussi de la charge de président à mortier (1716) au Parlement de Bordeaux (Sans être vraiment passionné par la procédure, il vend sa charge après 10 ans).

A l'Académie de Bordeaux, où il est admis en 1716, il présente une Dissertation sur la politique des Romains dans la religion et divers mémoires scientifiques. Vers 1720, Montesquieu commence à noter réflexions, lectures, anecdotes, fragments inachevés qui formeront jusqu'à sa mort trois gros cahiers in-quarto, intitulés Mes Pensées (publiés posthumément 1889 -1901) et qui constituent un document très solide sur sa pensée,

En 1721 il publie à Amsterdam, sans nom d'auteur, comme il le fera pour ses autres ouvrages, le roman Lettres persanes; il séjournera jusqu'en 1728 à Paris où il fréquente la cour et la haute société: l'Hôtel de Soubise, le Club de l'Entresol, Mademoiselle de Clermont (pour laquelle il publie Le Temple de Gnide et Voyage à Paphos, Madame de Lambert, dont les « Mardis » réunissent les Modernes, qui discutent du goût, de l'amitié, de l'amour, du bonheur, autant de thèmes qui figureront dans les Pensées de Montesquieu.

En 1728, l'élection de Montesquieu à l'Académie Française est le couronnement de cette première étape de la carrière, A peine reçu parmi les « Immortels », il commence un voyage en Europe, qui durera trois ans, car il passera par l'Autriche, la Hongrie, l'Italie, l'Allemagne, la Suisse, la Hollande, l'Angleterre; ce n'est que vers la fin du XIXe siècle que l'on a publié la relation de cet intéressant voyage.

Dès qu'il retourne à la Brède (1731) il consacre son temps (loin des préoccupations mondaines de la capitale), à l'élaboration d'un ouvrage sur la nature des lois et leurs rapports entre elles. En 1734 il donne un ouvrage qui aurait dû être un chapitre de LEsprit des lois, mais dont l'ampleur a requis sa publication indépendamment du reste: Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence.

En octobre 1748 LEsprit des lois est publié à Genève. Dans les derniers temps, Montesquieu s'est beaucoup usé à sa tâche: à force d'avoir beaucoup lu, il a perdu la vue, mais la cécité ne l'a pas empêché de terminer son projet. Le jeune mondain d'autrefois n'est qu'un homme fatigué au moment où il écrit à son ami: «J'avoue que cet ouvrage a pensé me tuer; je vais me reposer, je ne travaillerai plus ». Malgré cette décision, la réception critique faite à son travail le pousse à écrire la Défense de l'Esprit des Lois (1750).

Cet homme complet, très équilibré, qui avec son temps, croyait au bonheur sur la terre, cet homme animé avant tout par l'amour de la raison et de la vérité mourut en 1755.

Résumé: Après des études de droit et une courte carrière politique Montesquieu se consacre

à une carrière scientifique et littéraire, étant élu membre à VAcadémie Française. Il participe à la vie mondaine, il fait plusieurs voyages en Europe, mais sa préoccupation principale reste la rédaction de ses ouvrages.

LES LETTRES PERSANES Les Lettres Persanes. Roman épistolaire. Satire des mœurs et des institutions françaises.

Thème et interrogation. Roman épistolaire, Les Lettres Persanes se trouvent, comme l'a si bien remarqué Jean

Starobinski « à mi - chemin entre l'essai et la fiction, entre l'ironie et la métaphysique, entre la sensualité et l'intelligence ». Montesquieu l'a publié en 1721 à Amsterdam et le livre, l'a rendu célèbre tout à coup dans toute l'Europe. Pourtant, à l'époque, il paraissait extrêmement irrespectueux pour la monarchie

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française, les usages français, toutes sortes de traditions, et aussi bien pour les lois et coutumes persanes; comme l'Orient était très à la mode, ce sont deux Persans RICA et USBEK qui, visitent la France de 1712 à 1720. Ils écrivent à des amis de leur pays, échangent des lettres dans lesquelles ils font part de leurs impressions ou bien reçoivent des nouvelles de Perse, en particulier du sérail d'Usbek à Ispahan.

Grâce la structure « par lettres », ce roman se trouve réduit à plusieurs points de vue (ceux des voyageurs, de leurs amis; des traditionalistes, des femmes et des eunuques), en un mouvement dissymétrique qui donne à l'ensemble une allure rococo conservant cependant la clarté et le dépouillement classiques.

Voici les moments de ce mouvement: voyage à Paris, situation du milieu persan (lettres 1 -23), avec la digression de l'histoire des Troglodytes (11 -14), qui contient en termes de récit mythique un modèle expérimental des problèmes que la connaissance de l'Europe et la réflexion mûriront. Premières impressions, pittoresques chez Rica, hésitantes chez Usbek (24 -46) qui essaie de répondre aux grandes questions qui le préoccupent. L'expérience de la France se poursuit pour les deux voyageurs, en une connaissance plus concrète du pays, la réflexion d'Usbek se fait plus personnelle (47 -68). Rica continue son reportage, Usbek devient, comme il le dit: « plus métaphysicien » (69) et établit sa philosophie sur les principes de la Loi naturelle (69 -88). Usbek passe des observations que lui et Rica font sur les grands ou sur le roi, à des considérations plus générales sur la politique (88 -111). Une question complaisante de Rhédi permet à Usbek de donner son opinion en particulier sur la dépopulation du globe (112 -123). Rica écrit ensuite sur certains aspects de l'actualité et de la culture à l'occasion de sa visite, à une bibliothèque publique (124 -126). Soudain, l'intrigue romanesque du sérail resurgit: des lettres couvrant une époque de trois années retracent le bouleversement du sérail. Cette rupture dans la chronologie de la correspondance, jusque là respectée, conserve au drame du sérail toute sa violence. Le calme des méditations d'Usbek et la tranquillité des commentaires de Rica sont déchirés (147 -161).

Les exégètes n'ont pas été sans remarquer que sous cette narration à une forte couleur orientale (parfois conventionnelle) se cache une mordante satire des mœurs et des institutions françaises du XVIIIe siècle, qui sont critiquées, comme tout le reste de la société, d'une manière parfois outrée. Par le truchement de l'ironie, Montesquieu s'attaque aux abus, aux préjugés, aux manies. Certaines des idées exposées dans Les Lettres Persanes au sujet de la vie sociale, de la Loi Naturelle ne font que préfigurer les théories que cet auteur développera dans L'Esprit des Lois. Par exemple, l'histoire des Troglodytes doit être receptée comme un enseignement politique, comme un mythe moral, malgré le fait qu'elle n'est qu'une utopie.

Dans son ensemble, Les Lettres Persanes développent un thème et une interrogation qui domineront la réflexion des ouvrages qui suivront.

Les Lettres Persanes, le livre qui a assuré à Montesquieu la célébrité, essai à la forme d'un

roman épistolaire, est une satire des moeurs et des institutions françaises, placée dans l'espace culturel fictif persan. Les lettres de Rica et Usbek, les deux Persans, réunissent plusieurs récits et réflexions métaphysiques imprégnés d'ironie et de couleur orientale.

DE L ESPRIT DES LOIS De l'Esprit des Lois. Traité de morale et système de maximes. Structure. Importance. A part les lectures philosophique, historique, politique, économique, juridique, sociologique,

etc., De l'Esprit des Lois, que l'auteur considérait comme «un traité de morale », «fait pour tous les hommes », se laisse aussi interpréter comme un système de maximes présenté sous la forme illusoire d'un traité.

Le but de Montesquieu était de créer une science des lois positives, tout en montrant que dans la confusion des lois, de tous les pays et de toutes les époques, il revient à l'esprit humain de déceler un ordre. C'est là la démarche de toute science: éliminer le hasard, expliquer par un principe commun des faits, des paroles.

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Même si le texte de cet ouvrage a fait souvent « le désespoir des commentateurs », la démarche de l'auteur est bien logique, à l'instar de celle de Descartes: partant des principes, il procède par ordre de complexité croissante, en faisant intervenir l'analyse et ses distinctions; tout cela mène à un ouvrage divisé en 31 livres groupés en 6 parties, subdivisés eux -mêmes en de nouveaux chapitres. L'atomisation des chapitres en de nombreux sous -chapitres ou paragraphes rappelle à la mémoire du lecteur les articles d'une

Livre 1: Introduction générale; définition de la loi («Les lois, dans la signification, la plus étendue sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses »), une distinction entre lois de la nature / lois positives.

I. Livres II -XIII: La Science politique proprement dite Nature: Livre II -nature du gouvernement

Livre III- principe du gouvernement Livres IV -VIII -quelques corollaires: lois relatives à l'éducation, action réciproque des lois sur

le principe du gouvernement Le livre VIII, formant une conclusion partielle, traite de la dégénérescence des divers types de

gouvernement /

Livres IX -XIII: exploitation des résultats acquis: Quelle que soit sa forme, un Etat a toujours: un territoire, trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) des citoyens régis par des lois, des finances.

II. Politique et géographie. Livres XIV -XVIII -un nouvel aspect de la nature des choses; l'Espace: 1. Sociologie matérialiste: théorie des climats (Livres XIV - XVIII) l'idée directrice en est la

suivante: le climat agit sur le tempérament des peuples et, par-là, sur les lois. Application de cette théorie à la question de la servitude.

2. Sociologie humaine -rapports des lois avec l'esprit général d'une nation (livres XIX -XXV). « Plusieurs choses gouvernent les hommes: le climat, la religion, les lois, les maximes du gouvernement,les exemples des choses passées, les moeurs, 1 les manières; d'où il se forme un esprit général qui en résulte ». Alors que « la nature et le climat dominent presque seuls sur les sauvages », chez les peuples civilisés l'esprit général est une résultante beaucoup plus complexe. Suivent des corollaires relatifs au commerce et à la monnaie (XX -XXII), à la démographie (XXIII) aux rapports des lois avec la religion (XXIV - XXV),

III. Politique et histoire du droit Livres XXVI -XXXI -on assiste à l'apparition du facteur temps. Exemple des lois romaines

sur leurs successions (XXVII); origine et évolutions des lois civiles françaises (XXVIII) théorie des lois féodales et de monarchie chez les Francs (XXX -XXXI). A jeter un dernier coup d'oeil sur L'Esprit des Lois, cette fois un regard historique (en diachronie) on pourrait dire avec R, Mauzi que pour cet ouvrage, « l'essentiel n'est ni dans l'art, ni dans les opinions de Montesquieu, si généreuses fussent -elles, l'apport immédiat de L Esprit des Lois a résidé dans un ensemble de concepts et d'analyses d'une telle clarté et d'une telle utilité que chacun les a adoptés au XVIIIe siècle et depuis. Les constructions constitutionnelles des jeunes Etats Unis d'Amérique, des étapes successives de la Révolution, des régimes du XIXe siècle leur doivent beaucoup, l'idéal de séparation des pouvoirs est devenu un dogme des démocraties libérales, Ce qui domine peut -être l'ensemble de la pensée de Montesquieu, c'est la notion de modération et l'analyse des conditions et des conséquences de la modération dans l'Etat ».

C'est aussi la conviction que la machine humaine est faite naturellement pour le bonheur: la politique aide à y accéder, ou à le conserver, selon des voies diverses, et le théoricien de la politique a son rôle en aidant les hommes à connaître leur vraie nature, qui n'est pas toujours conforme aux idées qu'on s'en fait

« Je me croirais le plus heureux des mortels, écrivait Montesquieu dans sa Préface, si je pouvais faire que les hommes pussent se guérir de leurs préjugés; J'appelle ici préjugés non pas ce qui fait qu'on ignore de certaines choses, mais ce qui fait qu'on s'ignore soi -même ».

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En tant que traité de morale et système de maximes, De l'Esprit des Lois représente un ensemble de concepts et d'analyses créant une science des lois positives et préfigurant la pensée politique de l'époque moderne.

aussitôt convaincus. Il va même jusqu'à leur faire croire qu'il les guérit de toutes sortes de maux en les touchant; tant est grande la force et la [ puissance qu'il a sur les esprits.

Ce que je te dis de ce prince ne doit pas t'étonner: il y a un autre magicien, plus fort que lui, qui n'est pas moins maître de son esprit qu'il l'est lui-même de celui des autres. Ce magicien s'appelle le Pape. Tantôt il lui fait croire que trois ne font qu'un, que le pain qu'on mange n'est pas du pain, ou que le vin qu'on boit n'est pas du vin, et mille autres choses de cette espèce.

Et pour tenir toujours en haleine et ne point lui lasser perdre l'habitude de croire, il lui donne de temps en temps, pour l'exercer, de certains articles de croyance. Il y a deux ans qu'il lui envoya un grand écrit, qu'il appela Constitution, et voulut obliger, sous de grandes peines, ce prince et ses sujets de croire tout ce qui y était contenu. Il réussit à l'égard du prince, qui se soumit aussitôt et donna l'exemple à ses sujets. Mais quelques-uns d'entre eux se révoltèrent et dirent qu'ils ne voulaient rien croire de tout ce qui était dans cet écrit. Ce sont les femmes qui ont été les motrices de toute cette révolte, qui divise toute la Cour, tout le royaume et toutes les familles. Cette Constitution leur défend de lire un livre que tous les Chrétiens disent avoir été apporté du Ciel: c'est proprement leur Alcoran. Les femmes, indignées de l'outrage fait à leur sexe, soulèvent tout contre la Constitution: elles on mis les hommes dans leur parti, qui, dans cette occasion, ne veulent point avoir de privilège. On doit pourtant avouer que ce moufti ne raisonne pas mal, et, par le grand Hali, il faut qu'il ait été instruit des principes de notre sainte loi. Car, puisque les femmes sont d'une création inférieure à la nôtre et que nos prophètes nous disent qu'elles n'entreront point dans le Paradis, pourquoi faut-il qu'elles se mêlent de lire un livre qui n'est fait que pour apprendre le chemin du Paradis?.."

De Paris, le 4 de la lune de Rediab 2,1712. POUR MIEUX COMPRENDRE 1. Est-ce que Paris est considéré accueillant pour un étranger? Est-ce que les coutumes de la

civilisation facilitent son adaptation à un style de vie différent? 2. Quelle est la raison du comparatisme permanent entre Paris, capitale du monde à titre

d'exemple et Ispahan avec son monde oriental? 3. Par quels aspects on retrouve la problématique de l'opposition Orient-Occident? 4. Définissez les principaux attributs et conséquences de ce regard persan (nouveauté, inédit,

fraîcheur, acuité, esprit comparatif, choix du détail significatif, esprit frondeur, ironie, goût du bizarre, sens de la moquerie et du comique). Exemplifiez et commentez.

5. Sur quoi portent les comparaisons entre la culture/civilisation française et celle persane? 6. En quoi consiste la satire de la monarchie française et de ses institutions? Quels aspects

sont persiflés à propos du Pape et de la religion? 7. Comment trouvez-vous les explications que Rica donne à ces "curiosités" qu'il rencontre? LES LETTRES PERSANES MOEURS ET COUTUMES FRANÇAISES (FRAGMENT) [La lettre XXIV, qui traduit les premières impressions de RICA à Paris offre une vue

d'ensemble sur les principaux thèmes de l'ouvrage: satire légère des moeurs et habitudes parisiennes, satire plus hardie du système politique et de la religion. La feinte candeur du Persan donne beaucoup de sel à ces remarques critiques, et un comique particulier naît de la désinvolture avec laquelle l'auteur traite des questions sérieuses (ce sera le procédé favori de Voltaire). MONTESQUIEU se montre ici brillant, incisif, mais assez superficiel: avec l'âge il deviendra beaucoup plus grave, plus compréhensif et plus profond.]

Rica à Ibben, à Smyrne.

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"Nous sommes à Paris depuis un mois, et nous avons toujours été dans un mouvement continuel. Il faut bien des affaires avant qu'on soit logé, qu'on ait trouvé les gens à qui on est adressé, et qu'on se soit pourvu des choses nécessaires, qui manquent toutes à la fois.

Paris est aussi grand qu'Ispahan. Les maisons y sont si hautes qu'on jugerait qu'elles ne sont habitées que par des astrologues. Tu juges bien qu'une ville bâtie en l'air, qui a six ou sept maisons les unes sur les autres, est extrêmement peuplée, et que, quand tout le monde est descendu dans la rue, il s'y fait un bel embarras.

Tu ne le croirais pas peut-être: depuis un mois que je suis ici, je n'y ai encore vu marcher personne. Il n'y a point de gens au monde qui tirent mieux parti de leur machine que les Français: ils courent; ils volent. Les voitures lentes d'Asie, le pas réglé de nos chameaux, les feraient tomber en syncope. Pour moi, qui ne suis point à ce train, et qui vais souvent à pied sans changer d'allure, j'enrage quelquefois comme un Chrétien: car encore passe qu'on m'éclabousse depuis les pieds jusqu'à la tête, mais je ne puis pardonner les coups de coude que je reçois régulièrement et périodiquement. Un homme qui vient après moi, et qui me passe, me fait faire un demi-tour, et un autre, qui me croise de l'autre côté, me remet soudain où le premier m'avait pris; et je n'ai pas fait cent pas, que je suis plus brisé que si j'avais fait dix lieues.

Ne crois pas que je puisse, quant à présent, te parler à fond des moeurs et des coutumes européennes: je n'en ai moi-même qu'une légère idée, et je n'ai eu à peine que le temps de m'étonner.

Le roi de France est le plus puissant prince de l'Europe. Il n'a point de mines d'or comme le roi d'Espagne, son voisin; mais il a plus de richesses que lui, parce qu'il les tire de la vanité de ses sujets, plus inépuisable que les mines. On lui a vu entreprendre ou soutenir de grandes guerres, n'ayant d'autres fonds que des titres d'honneur à vendre, et, par un prodige de l'orgueil humain, ses troupes se trouvaient payées, ses places munies, et ses flottes équipées.

D'ailleurs ce roi est un grand magicien: il exerce son empire sur l'esprit même de ses sujets; il les fait penser comme il veut. S'il n'a qu'un million d'écus dans son trésor, et qu'il en ait besoin de deux, il n'a qu'à leur persuader qu'un écu en vaut deux, et ils le croient. S'il a une guerre difficile à soutenir, et qu'il n'ait oint d'argent, il n'a. qu'à leur, mettre dans la tête qu'un morceau de papier est de l'argent, et ils en sont

COMMENT PEUT-ON ÊTRE PERSAN ? Dans cette lettre (XXX) MONTESQUIEU raille gentiment un trait de caractère

traditionnellement attribué aux Parisiens -et qu'ils partagent, sans doute, avec la plupart des hommes: la curiosité naïve et indiscrète pour tout ce qui sort de l'ordinaire. Mais que Rica cesse de porter son costume national, plus personne ne s'intéresse à lui. Quelle déception, s'il eût été vaniteux !]

Rica à Ibben, à Smyrne. "Les habitants de Paris sont d'une curiosité qui va jusqu'à l'extravagance. Lorsque j'arrivai, je

fus regardé comme si j'avais été envoyé du ciel: vieillards, hommes, femmes, enfants, tous voulaient me voir. Si je sortais, tout le monde se mettait aux fenêtres; si j'étais aux Tuileries, je voyais aussitôt un cercle se former autour de moi: les femmes mêmes faisaient un arc-en-ciel, nuancé de mille couleurs, qui m'entourait; si j'étais aux spectacles, je trouvais d'abord cent lorgnettes dressées contre ma figure: enfin jamais homme n'a été tant vu que moi.

Je souriais quelquefois d'entendre des gens qui n'étaient presque jamais sortis de leur chambre, qui disaient entre eux: « Il faut avouer qu'il a l'air bien persan. » Chose admirable! je trouvais de mes portraits partout; je me voyais multiplié dans toutes les boutiques, sur toutes les cheminées: tant on craignait de ne m'avoir pas assez vu. Tant d'honneurs ne laissent pas d'être à charge: je ne me croyais pas un homme si curieux et si rare; et, quoique j'aie très bonne opinion de moi, je ne me serais jamais imaginé que je dusse troubler le repos d'une grande ville où je n'étais point connu. Cela me fit résoudre à quitter l'habit persan et à en endosser un à l'européenne, pour voir s'il resterait encore dans ma physionomie quelque chose d'admirable. Cet essai me fit connaître ce que je valais réellement: libre de tous les ornements étrangers, je me vis apprécié au plus juste. J'eus sujet de me plaindre de mon tailleur, qui m'avait fait perdre en un instant l'attention et l'estime publique: car j'entrai tout à coup dans un néant affreux. Je demeurais quelquefois une heure dans une compagnie sans qu'on m'eût regardé, et

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qu'on m'eût mis en occasion d'ouvrir la bouche. Mais si quelqu'un, par hasard, apprenait à la compagnie que j'étais Persan, j'entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement: «Ah! ah ! Monsieur est Persan? C'est une chose bien extraordinaire! Comment peut-on être Persan? »

(Lagarde -Michard, p. 82 -83) POUR MIEUX COMPRENDRE 1. Définissez la "curiosité" des Français telle qu'elle est décrite par Rica. 2. Commentez la dernière réplique de Rica en mettant en évidence l'exclusivisme et

l'autosuffisance du sens commun. 3. Soulignez les effets stylistiques des deux hypostases de Rica. L'art du portrait. 4. Quels seraient les sentiments qui animent le Persan dans son voyage culturel? SCHÉMA Montesquieu (1689-1755) Dissertation sur la politique des Romains dans la religion 1716 Lettres Persanes 1721 L'esprit des Lois 1734 Défense de l'Esprit des Lois 1750 Mes Pensées 1889-1901 Le Temple de Gnide Voyage à Paphos Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence TEST

D'ÉVALUATION 1. En quoi consiste la pensée critique de Montesquieu telle qu'elle est déguisée dans les

Lettres Persanes? 2. Faîtes le portrait de Rica tel qu'il resuite des Lettres^ 3. Pourquoi Montesquieu a choisi l'artifice du voyageur étranger pour peindre la mentalité

française? 4. Quel est VEsprit des Lois tel que Montesquieu le conçoit dans son ouvrage? 5. Commentez la citation de Montesquieu concernant la "possibilité" d'être "le plus heureux

des mortels." JEAN JACQUES ROUSSEAU (1712-1778) Trois étapes du parcours littéraire. Les Discours. Le Contrat social. Emile (ou de

l'éducation) et La Nouvelle Héloïse. Les rêveries du promeneur solitaire. REPERES RIO -BIBLIOGRAPHIQUES Romancier, homme de théâtre, philosophe, Jean Jacques Rousseau oppose « la solitude

insulaire d'une pensée définitive » à « la réflexion conviviale et dialogique» de Diderot, son « frère ennemi ». Après s'être accordés un temps, les deux grands penseurs et écrivains des Lumières se sont désavoués avec une force inimaginable. Quant à Jean Jacques Rousseau, il offre à la postérité « le visage déjà très moderne d'une littérature de la gravité, où l'être s'investit complètement, se heurte à ses marges et ses lieux d'ombre se rencontre avec sa folie » (R. Mauzi).

Né le 28 juin 1712 à Genève, il est élevé par son père, maître horloger; à 12 ans il est mis en apprentissage chez un greffier, puis chez un graveur. Il n'y reste que jusqu'à 16 ans, âge où commence une longue époque d'errance du jeune Jean Jacques, qui en fait un modus vivendi: vagabondant à travers le pays et vivant d'expédients, il a la chance de faire la rencontre de Madame de Warens, celle qui restera longtemps sa protectrice, qu'il appellera « Maman» (sa vraie mère est morte en couches). Accueilli par sa protectrice bien -aimée au Charmettes, depuis 1732 Jean Jacques a l'occasion de combler les lacune d'une éducation négligée: histoire, géographie, latin, astronomie, physique et chimie font partie de son emploi du temps.

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La vie idyllique dans cette maison de campagne aux portes de Chambéry dure jusqu'en 1742 quand, à la suite de quelques disputes avec sa protectrice, il se décide pour le grand départ: il affrontera Paris.

Ici, pendant une dizaine d'années, Jean Jacques poursuit ardemment la gloire et se mêle, sans succès, à la vie mondaine des salons: il propose des innovations dans la notation musicale, il devient pour peu de temps secrétaire d'ambassadeur à Venise, puis, de retour à Paris, se lie d'amitié à Diderot et collabore à l'Encyclopédie, tout cela dans une lutte acharnée pour la gloire, contre la misère.

C'est à cette époque, également qu'il commence sa longue liaison avec Thérèse Levasseur, femme presque illettrée, qui sera sa compagne jusqu'à sa mort; de cette liaison sont nés cinq enfants que leur père à tous mis à l'Assistance Publique1, faute de moyens pour les élever (c'était une pratique courante à l'époque, mais ce geste constitue un des grands remords de Rousseau et la principale accusation de ses contemporains).

En 1749 il a la « révélation » de son premier ouvrage, Discours sur les sciences et les arts que couronne l'année suivante l'Académie de Dijon, lui apporte enfin la célébrité. Il décide d'entreprendre une « réforme » de sa vie, afin de la mettre d'accord avec son oeuvre et sa doctrine: il revient à la religion protestante en 1754 (il s'était converti au catholicisme très jeune, sous l'influence de Madame, de Warens) et dédie son second Discours (sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes) à sa patrie

Le terme du temps était « Enfants Trouvés ». retrouvée, la république de Genève. A côté de ce retour à sa première religion, Rousseau

prend une autre décision importante: il quitte Paris (1756) et s'installe à l'Ermitage, maison des champs appartenant à Madame d'Epinay, qui l'y invite (au nord de Paris), C'est le début des grandes crises (querelle philosophique avec Voltaire; amour non-partagé pour Sophie d'Houdetot, belle - soeur de Madame d'Epinay; rupture avec les Encyclopédistes et Diderot), mais aussi une période des plus fertiles au point de vue littéraire: il mène de front le travail aux trois ouvrages capitaux: Le Contrat Social (1762), Emile (1762) et la Nouvelle Héloise (1761). A cause de la campagne de persécutions religieuses, il doit quitter la France et pendant huit années sa vie sera errante, car il se voit chassé de ses asiles successifs: à Motiers, territoire du roi de Prusse, la population lapide sa maison; il se réfugie en Angleterre, chez David Hume, mais se brouille vite avec celui-ci; de retour à Paris, en 1770, il voyage quelques mois à travers le pays, en herborisant. La même année, il termine la rédaction des Confessions (1770), dont la lecture publique est interdite par la police. Malade et seul, malgré sa célébrité, obsédé de persécution, il retrouve une sorte de paix en écrivant son dernier ouvrage autobiographique, Les Rêveries du promeneur solitaire (1776 -1778) à Ermenonville, château du marquis de Girardin où il meurt le 3 juillet 1778. Inhumées d'abord dans l'Ile des Peupliers (appartenait à ce domaine) les cendres de Rousseau seront transportées au Panthéon, le 11 octobre 1794, par décret de la Convention Nationale, où son sarcophage se trouve à côté de celui de Voltaire.

* * Le parcours littéraire de Rousseau pourrait être divisé en trois étapes, marquant les trois

échelons de son dialogue avec l'époque. La première, s'ouvre par le premier Discours; réplique à la question casse- tête des Lumières qu'est-ce que le progrès? L'importance de cette première oeuvre réside dans le fait qu'elle révèle à Jean Jacques Rousseau une méthode de travail, que c'est par ce Discours qu'il commence la genèse d'un système qui sera le sien: développement systématique, logique d'une expérience intérieure fulgurante, de nature émotionnelle en l'occurrence, mise en langage d'une voix venant des tréfonds de son enfance.

L'idée maîtresse de ce premier Discours (1749) sur les sciences et les arts qui partage d'ailleurs bien des lieux communs avec d'autres penseurs de l'époque, est la conception que le progrès va de pair avec le bien -être matériel et le poli des moeurs, les connaissances scientifiques et la culture. Mais, à la différence de ses contemporains, Jean-Jacques Rousseau affirme que le progrès a fait perdre à l'homme le meilleur de sa nature morale: la sincérité, la personnalité, le sentiment de la liberté originelle. Au point de vue Philosophique, cette assertion marque la première rupture avec les philosophes groupés autour de l'Encyclopédie: à la foi dans les bienfaits de la civilisation (voir Le Mondain de Voltaire) ce «barbare » oppose l'idée d'un bonheur trouvant sa Source dans la vie simple,

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car la vertu dépend non de la science, mais de la conscience. A l'appui de ces assertions Jean Jacques Rousseau apporte des preuves historiques: les arts et le luxe ont perdu l'Egypte, la Grèce, Rome, Constantinople et la Chine, alors que les peuples ignorants et primitifs ont conservé leur vertu et leur bonheur. Dans la fameuse Prosopopée de Fabricius (consul du Ille siècle, qui est dans Plutarque et Jouvénal, le type de l'antique vertu romaine) il aborde la thèse centrale de cet ouvrage avec une véhémence qui trahit l'enthousiasme d'une âme sincère, qui a soulevé une polémique célèbre, entre Jean -Jacques Rousseau d'une part et Vernet (peintre) Grimm et Stanislass, roi de Pologne, de l'autre. Il est vyai l'auteur a protesté contre les déformations infligées à sa pesée car, disait-il, le retour à la vie primitive était impossible et dangereux; les arts et les sciences, «après avoir fait éclore les vices, sont nécessaires pour les empêcher de se tourner en crimes ».

Le second Discours (sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes) (1754) marque le début de la réforme personnelle que le philosophe se propose, dans le but d'accorder sa vie à ses théories; il le fait en dédiant son deuxième grand texte à la république de Genève, sa patrie retrouvée, en revenant au protestantisme et en rompant avec le monde littéraire et philosophique parisien.

Ce texte dont la clarté visionnaire s'allie à la rigueur logique, se propose comme une réponse à la question lancée en 1753 par la même Académie de Dijon. Quelle est l'origine de l'inégalité des conditions parmi les hommes; si elle est autorisée par la loi naturelle?

Tout en reconstituant par le raisonnement l'évolution de l'homme primitif à l'homme civilisé, le philosophe s'attaque à deux problèmes capitaux:

1) le problème moral (Jean Jacques Rousseau invite non pas à une régression vers la vie sauvage, mais à une vie rustique et patriarcale);

2) le problème social: l'auteur affirme avec force l'égalité fondamentale entre les hommes, s'indigne contre l'injuste répartition des fortunés et conteste le droit de propriété et dénonce le lien entre l'inégalité des richesses et l'inégalité politique.

Pour conclure, ce discours oppose au rêve paradisiaque d'un âge d'or de l'humanité primitive, la diatribe contre la propriété et ses conséquences néfastes sur le plan individuel, dans un discours dont on a remarqué l'éloquence, l'harmonie rythmée.

La deuxième étape de la parole rousseauiste commence par la retraite à l'Ermitage. Au point de vue biographique elle este marquée par la brouille, puis la rupture avec Voltaire (et avec les encyclopédistes), l'amour non-partagé pour Sophie d'Houdetot, les frictions avec Genève. Pour ce qui est de la création, elle annonce l'entrée en scène de l'imaginaire, orchestrée en une utopie à trois volets: une théorie de la législation politique, Le Contrat social (1762) un roman de l'éducation, l'Emile (1762) et un roman par lettres, La Nouvelle Héloise (1761).

Le Contrat social (1762) a pour thème principal celui de la liberté: « l'homme est né libre et partout il est dans les fers ». Si Montesquieu a étudié le problème social et celui du gouvernement en historien, Rousseau, lui, a médité en philosophe et en moraliste sur ce que doit être une société juste, tout en posant des principes absolus et en tirant des conséquence d'une valeur universelle.

Quant aux principes qui se trouvent à la base de ce contrat, l'auteur pose que les citoyens adhèrent à un « pacte social », contrat librement accepté, par lequel ils abandonnent tous leurs droits à la communauté. Une fois accepté, ce contrat reste définitif et il assure l'égalité et la liberté, selon Rousseau. Ces deux desiderata ne sauraient être obtenus qu'en se soumettant à la volonté générale, volonté de la majorité, qui doit s'exprimer dans une loi de portée universelle et doit être dictée par le souci de l'intérêt commun.

Un autre aspect qui focalise l'attention du penseur est celui du gouvernement: selon lui, «le gouvernement démocratique convient aux petits Etats, l'aristocratique aux médiocres (moyens), le monarchique aux grands ». Ses préférences iraient à la démocratie pure, mais elle exige tant de vertu qu'elle ne convient qu'à «un peuple de dieux ».

Le Contrat social, peu connu à l'origine, a eu une influence qui n'est pas à négliger sur les grands bouleversements sociaux et politiques de la fin du XVIIIe siècle -la Révolution française.

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EMILE OU DE L'ÉDUCATION (1762) On pourrait concrétiser la pensée pédagogique de Jean Jacques Rousseau dans une seule

phrase, par laquelle ce roman de l'éducation commence: « Tout est bien sortant des mains de l'Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l'homme », idée qui n'est pas sans connection avec l'ensemble de la philosophie rousseauiste et sa diatribe parfois violente contre la civilisation et ses méfaits. La volonté de protéger l'enfant de l'influence néfaste de la culture mène à une éducation négative, à la campagne, à l'abri de tout contact avec la famille, la société ou des livres, d'autre part revient à lui laisser une autonomie qui lui permettra de former sa propre expérience, avec la nature comme seul précepteur. C'est ainsi qu'en dépit de la civilisation on pourra recréer l'homme naturel, dont la formation morale est aux yeux de Jean Jacques Rousseau, mille fois plus importante que la formation scientifique, car on préfère la vertu, l'honnêteté, les qualités du cœur.

Pour ce qui est de la méthode par laquelle on prépare l'enfant à devenir citoyen, le principe primordial en est: respecter la nature, suivre l'évolution naturelle car chaque âge a ses facultés2. Les cinq livres d'Emile correspondant aux cinq étapes de l'évolution de l'enfant:

Livre 1 -Jusqu'à 5 ans, c'est l'époque où l'enfant doit prendre contact avec le monde par les sens, découvrir la chaleur, le froid; la pesanteur, les distances; cette première étape favorise donc l'épanouissement physique et il faut se garder de faire connaître à l'enfant des sentiments étrangers à sa nature.

Livre IL De 5 ans à 12 ans l'enfant n'est pas encore apte à raisonner: il doit être laissé « jouir de son enfance » et en même temps exercer « son corps, ses organes, ses sens, ses forces ».

Emile doit être libre pour être heureux, mais il s'agit d'une « liberté bien réglée », car son inexpérience demande qu'il soit guidé, sans qu'il s'en aperçoive. On évitera les sermons et les châtiments incompréhensibles pour lui, qui n'auraient aucun effet.

Les livres sont déconseillés à cette étape: n'ayant pas de jugement, les enfants ne retiennent que les mots, pas les idées ; il suffit qu'ils apprennent à lire les langues, la géographie, l'histoire sont inutiles maintenant, car l'enfant a plutôt une intelligence pratique que des notions abstraites.

Le III e Livre réserve à l'âge de 12 ans à 15 ans l'éducation intellectuelle et technique. Comme l'abstraction ne convient ni à cet âge, on fondera l'éducation sur l'observation de la nature: « Point d'autre livre que le monde, point d'autre instruction que les faits ». Emile apprendra ainsi la physique, la cosmographie, la géographie. Le seul livre permis est Robinson Crusoé. Mais on l'intéresse aussi aux arts mécaniques

(par le travail manuel) et on amorce déjà l'idée de, l'interdépendance des hommes, de futilité des échanges, de l'égalité, de la nécessité de travailler -ce qui fait qu'Emile apprend un métier, car dit Rousseau, « de toutes les occupations qui pensent fournir la subsistance à l'homme, celle qui le rapproche le plus de l'état de nature est le travail des mains: De toutes les conditions, la plus indépendante de la fortune et des hommes est celle de l'artisan (idée qui va de pair avec un des thèmes centraux de l'Encyclopédie, la réhabilitation des arts mécaniques).

Quel est le métier que le précepteur souhaite pour son élève? « Tout bien considéré, le métier que j'aimerais le mieux qui fût du goût de mon élève est celui de menuisier. Il est propre, il est utile, il peut s'exercer dans la maison; il tient suffisamment le corps en haleine; il exige dans l'ouvrier de l'adresse et de l'industrie, et dans la forme des: ouvrages que l'utilité détermine l'élégance et le goût ne sont pas exclus »

Livre IV qui s'occupe de l'âge situé entre 15 et 20 ans, compte faire l'éducation morale et religieuse. C'est l'âge des passions. Au lieu de les détruire, mieux vaut favoriser les passions naturelles, celles qui rendent l'homme sociable, par la pitié, l'amitié, la sympathie. L'initiation à la vie sociale se fera non pas par exemple du maître, ce qui risquerait de transmettre sa « blessure » à l'élève, mais par l'histoire, i.e. lecture des vies illustres de Plutarque et par les fables.

Rousseau prêche la religion naturelle dans une digression (La profession de foi du vicaire savoyard) qui exalte la morale de la conscience. 2 1 Rousseau propose un élève imaginaire, Emile, qu'il conduira en précepteur éclairé, de la naissance au mariage L'intelligence d'Emile est moyenne; étant riche et noble, Rousseau le défend des préjugés de sa caste et le prépare à l'état d'homme « Vivre est le métier que je lui veux apprendre ».

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L'espace du Ve Livre est réservé à l'éducation féminine. Les idées de Rousseau à ce sujet nous font sourire aujourd'hui: « Toute l'éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire aimer et honorer d'eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce : voilà les devoirs des femmes dans tous les temps et ce qu'on doit leur apprendre dès enfance ». (Le mariage d'Emile avec Sophie).

Cette oeuvre, dont certains points de vue sont aujourd'hui insoutenables, est aussi d'un modernisme étonnant car elle préfigure les théories contemporaines de l'éducation. L'enfant cesse d'être considéré un adulte qu'il est nécessaire de respecter comme tel. Sa progression psychique traverse des stades (en cela Jean Jacques Rousseau annonce Piaget et Freud) chacun d'entre eux ayant une structure et des lois internes. Enfin, Rousseau opère une rupture décisive avec la tradition, en mettant au centre de la pédagogie l'attention au besoin d'activité et aux intérêts spécifiques de l'enfant.

LA NOUVELLE HELOÏSE A 44 ans, retiré à l'Ermitage de Montmorency, Rousseau se sent vieillir « sans avoir vécu ». Il

se bâtit alors en rêve une société de compensation à celle qu'il avait connue et écrit des lettres d'amour à des créatures imaginaires. Il demande donc à la création littéraire une évasion de la profonde crise qu'il traverse, une revanche sur la vie. Alors, il commence à ébaucher un roman, dont il imagine d'abord les deux figures féminines, ensuite un jeune homme, l'amant de l'une et ami de l'autre: voici donc nés les héros du roman, Julie, Claire et Saint- Preux. Ils s'écrivent, peu à peu, leurs aventures prennent un contour. Le printemps suivant faisant la connaissance de Sophie d'Houdetot, Jean-Jacques Rousseau a l'impression de voir en elle/ la matérialisation de son personnage: la vie prend sa revanche sur la littérature et s'y mêle (pour le profit de l'histoire littéraire).

Le roman qui en sortira, après ces quatre ans de travail, se rattache typologiquement au roman épistolaire et à la fiction de l'authentique. Il paraît en 1761 à Amsterdam et a pour titre: Julie ou la Nouvelle Héloïse, Lettres de deux amants, habitants d'une petite ville aux pieds des Alpes, recueilles et publiées par Jean Jacques Rousseau.

Dans cette oeuvre complexe, l'auteur exploite toutes les ressources de la forme épistolaire: on y entend plusieurs voix, en une polyphonie qui permet la confrontations des idées et des sentiments. La lettre donne divers points de vue des personnages, elle este confession, mais aussi dissertation et réquisitoire où se mêlent les idées de l'auteur sur bien des sujets.

L'intérêt de ce roman ne réside pas dans l'intrigue, qui est simple: les sentiments des personnages, leurs états d'âme importent plus que leurs aventures. Précepteur de Julie d'Etange, Saint -Preux s'est épris de son élève tout comme au Moyen Age Abélard, le philosophe, tomba amoureux d'Héloïse; l'amour est partagé mais les parents s'opposent au mariage, car Saint-Preux est roturier. D'ailleurs, le baron d'Etange destine sa fille à Monsieur de Wolmar, un gentilhomme qui lui a sauvé la vie. Les deux jeunes souffrent de leur séparation, et Julie tombe gravement malade. Une fois remise, elle épouse celui que son père lui avait destiné, alors que son amant s'embarque sur une escadre anglaise pour faire le tour de monde.

De retour après quelques années, Saint -Preux retrouve Julie à Clarens, entourée d'une famille qui la vénère: le sage Monsieur de Wolmar invite Saint - Preux chez eux, tout en étant au courant de leur passion d'autrefois. La vie à Clarens est simple mais nullement facile: on travaille avec joie et on se partage les responsabilités du domaine. Julie, qui semble avoir guéri de son amour, tombe gravement malade, à la suite d'un accident: avant de mourir, elle écrit une lettre à Saint - Preux, pour lui avouer qu'elle n'a jamais cessé de l'aimer passionnément.

A travers la trame de la narration, on peut dégager, entrelacés, deux grands thèmes: passion et vertu, d'une part et amour de la nature de l'autre.

Certes, le premier de ces thèmes n'est pas nouveau, mais l'innovation de Rousseau consiste dans le fait de vouloir concilier la passion et la vertu. Il suggère un lien indissoluble entre les deux: l'une et l'autre sont des formes d'une même sensibilité.

L'amour de la nature est manifeste partout dans ce texte où l'influence de la nature sur l'âme est capitale, car des harmonies, des correspondances mystérieuses unissent le paysage au sentiment; en

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plus, l'amour de la nature se traduit par l'éloge de la vie champêtre d'une vie saine et utile, au milieu de la nature, telle qu'elle est illustrée par le mythe de Clarens.

La Nouvelle Héloise a joui d'un succès retentissant à l'époque; ce roman a eu une influence littéraire considérable, qui s'est exercé jusque tard dans le Romantisme, par le culte de la passion. (Werther de Goethe, René de Chateaubriand, par cette voie ouverte au roman personnel, ou roman -confidence: Madame de Staël, {Delphine, Corinne) Adolphe de B. Constant, Volupté de Sainte -Beuve).

« En guise de conclusion, La Nouvelle Héloise est bien un roman moderne, l'un des premiers à annoncer la conception contemporaine de l'écriture... Ni le recours à la première personne, ni la fiction du texte trouvé ne sont originaux, mais Rousseau transfigure ces lieux communs du roman, en tirant parti des relais de la focalisation, qui réfléchissent les événements dans les sensibilités différents et ne les immobilisent pas sur une signification ». (R. Mauzi).

La troisième étape de la parole rousseauiste, celle de la solitude fantasmatique, est marquée plus que les autres par une précipitation brutale de la vie, du biographique: décret de prise de corps, condamnation de l'Emile et du Contrat, exils manques. Voilà pourquoi elle commence sous le signe de l'autodisculpation, dans des textes qui sont classées avec précision dans les limites de l'autobiographie: les Confessions, Rousseau juge de Jean -Jacques et les Rêveries du promeneur solitaire. Ce désir de justification conduit Rousseau à une exploration du passé et des limites du moi, qui en fait notre contemporain, « sinon le devancier des psychologies des profondeurs ». (R. Mauzi).

Le premier de ces textes, les Confessions comporte deux parties : la première (livres I à VI) s'occupe de la période 1712 - 1711 et elle a été écrite de 1765 à 1777. La seconde partie, rédigée en 1769 - 1770, présente dans les livres VII - XII la vie de Rousseau jusqu'en 1765.

Comme les documents précis lui manquent et sa mémoire le trahit, Rousseau revit le passé à la manière d'un romancier. Son imagination artistique, son goût des « chimères » l'on fait enjoliver le récit de sa jeunesse. Loin de nous dissimuler ses fautes, il nous les révèle avec une impudeur que ses détracteurs lui ont souvent reprochée c'est surtout la seconde partie que l'on accuse de mensonge et d'hypocrisie. Mais les recherches plus récentes ont tout mis sur le compte d'un esprit orgueilleux, malade, obsédé par l'idée d'une persécution qui n'était pas entièrement imaginaire.

Les Confessions valent tout premièrement par le témoigne qu'elles offrent sur la formation de Jean -Jacques, sur sa psychologie, par le fait de donner « le seul portrait d'homme peint exactement d'après nature et dans toute sa vérité ». On voit le jeune Jean -Jacques, son goût du romanesque et de la vertu, son éducation autodidacte, les problèmes posés par les humiliations, l'injustice et la misère, qui expliquent, sur le plan du biographique, la genèse de ses principales oeuvres.

Même si, comme on l'a affirmé tout dernièrement, Rousseau échoue dans sa tentative de restauration objective du passé, (il y a inégalité du contenu de chaque livre par rapport au nombre d'années concernées, certains événements sont présentés d'une manière déformée). Les Confessions ont encore le don de nous charmer, surtout par la première partie, par la fraîcheur d'écriture, par le lyrisme qui, tout en proclamant « les droits supérieurs de la passion », allait « enseigner le Romantisme » et influencer les générations à venir.

LES RÊVERLES DU PROMENEUR SOLITAIRE Après l'interdiction de lire en public les Confessions, Rousseau se résigne enfin à trouver la

paix dans le retraite et l'oubli des hommes. Il rédige à Paris, de 1776 à 1778 les dix Promenades des Rêveries, qu'il publie en 1782; on pourrait les considérer son oeuvre la plus sincère, car elles ont été écrites pour lui -même, pour son plaisir et son amélioration morale.

Ces dix textes, ces analyses minutieuses de son propre moi se constituent en un examen de conscience qui s'élargit parfois jusqu'à la réflexion philosophique concernant la morale et la religion (III), le mensonge (IV), le bonheur (V), la bonté (VI), les bienfaits de la solitude (VIII), l'amour du prochain (IX). Tout en reconnaissant les faiblesses de sa jeunesse (abandon de ses enfants, tendance au mensonge, etc.) il se réfugie dans des souvenirs qui sont autant d'images charmantes du passé: le bonheur goûté à l'iie de Saint Pierre, plaisirs de la bienfaisance (IX), souvenir attendri de sa première rencontre avec Madame de Warens (X). La bonté originelle de l'homme, une des constantes

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de la pensée rousseauiste, se trouve ici liée à une philosophie du bonheur, puisant sa source dans le bien fait à autrui. Une autre source du bonheur, plus profonde encore que la première, est la nature, celle des environs de Paris, ou celle de ses souvenirs. Mais, la soixantaine passée, Rousseau n'évoque plus le décor tourmenté de la montagne; il s'agit maintenant du paysage modéré et « riant », le bord d'un lac avec ses eaux fraîches et- ses bouquets de verdure, qui apporte le refuge de la solitude à cet esprit inquiet. Et, en plus, ce qu'il y a de plus original dans ces textes, c'est la rêverie dans la nature, qui procure à Rousseau ce « ravissement inexprimable », consistant à « se fondre dans le système des êtres » et à . « s'identifier avec la nature entière ».

Avec les Rêveries Rousseau réussit le projet de ne plus écrire pour personne que pour soi: « une ultime forme d'écriture est ainsi introduite, proche de la méditation ou du journal intime, où le moi ne s'offre plus à l'Autre dans le sens d'une découverte ou d'une révélation, mais tente de se porter au plus juste vers lui-même, sans références à l'altérité. La justification n'est plus portée au premier plan, elle este devenue la substance même d'un texte qui se prouve dans sa véracité par la solitude de son énonciation ». (R. Mauzi, oeuvre citée)

Résumé : La quête de la gloire, en fin le couronnement de son oeuvre, suivis de controverses

avec Diderot et le cercle des encyclopédistes, les grandes crises et la persécution religieuse exposent Jean-Jacques Rousseau à une vie d'errance et de solitude anxieuse. Ses derniers ouvrages sont consacrés à une tentative de justification autobiographique.

Le Discours sur les sciences et les arts soutient l'idée que le progrès avec ses corrolaires est la cause de l'altération irrévocable de la nature morale de l'homme.

Dans le Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes, Rousseau propose comme solution une réforme personnelle appliquée à la question morale et sociale.

Le Contrat social se présente comme théorie de législation politique, basée sur un pacte social par lequel le citoyen se soumet à la volonté générale, ce qui lui assure ainsi l'inégalité et la liberté.

Emile, le roman de l'éducation, structuré en cinq livres correspondant aux cinq étapes de l'évolution de l'enfant, synthétise la pensée pédagogique de Rousseau pour la recréation de l'homme naturel.

Par la Nouvelle Héloïse, Rousseau crée un univers d'évasion pour compenser le vécu dans un roman épistolaire, du type « confession », qui traite de la passion, de la vertu et de l'amour de la nature.

Les Confessions sont un texte de justification où l'imagination artistique altère pourtant le témoignage autobiographique.

Les Rêveries, analyse minutieuse de l'archéologie du moi, inclinée vers la reflexion philosophique, découvre le plaisir de l'écriture pour soi-même et le bonheur du moi dissolu dans la nature.

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DISCOURS SUR L'ORIGINE SOCIALE DE L'INÉGALITÉ LA PROPRIÉTÉ SOURCE DE LA SOCIÉTÉ ET DEL 'INÉGALITÉ

[Voici les thèmes essentiels de l'ouvrage: le rêve paradisiaque d'un âge d'or de l'humanité primitive, la diatribe contre la propriété et ses conséquences néfastes, l'idée que la société civile, corruptrice des âmes, est née de la propriété. Le texte offre une image fidèle du Discours: un vigoureux effort de raisonnement reposant sur des conjectures parfois contestables; une imagination ardente appuyée sur des documents sérieux mais aujourd'hui dépassés; une éloquence parfois brutale, parfois harmonieusement rythmée, toujours vibrante et spontanée.]

"Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire: Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables: « Gardez-vous d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne! » Mais il y a grande apparence qu'alors les choses en étaient déjà venues au point de ne pouvoir plus durer comme elles étaient: car cette idée de propriété, dépendant de beaucoup d'idées antérieures qui n'ont pu naître que successivement, ne se forma pas tout d'un coup dans l'esprit humain: il fallut faire bien des progrès, acquérir bien de l'industrie et des lumières, les transmettre et les augmenter d'âge en âge, avant que d'arriver à ce dernier terme de l'état de nature..."

[Peu à peu les hommes primitifs, vivant isolés, ont conquis la supériorité sur les animaux. Puis s'établit la famille qui « introduisit une sorte de propriété» et la liaison entre familles créa des groupes. Déjà différent de la pure nature, cet état antérieur à la propriété et à la société fut néanmoins selon Rousseau le plus heureux de l'histoire du monde.]

"Quoique les hommes fussent devenus moins endurants, et que la pitié naturelle eût déjà souffert quelque altération, cette période du développement des facultés humaines, tenant un juste milieu entre l'indolence de l'état primitif et la pétulante activité de notre amour propre, dut être l'époque la plus heureuse et la plus durable. Plus on y réfléchit, plus on trouve que cet état était le moins sujet aux révolutions, le meilleur à l'homme, et qu'il n'en a dû sortir que par quelque funeste hasard, qui, pour l'utilité commune, eût dû ne jamais arriver. L'exemple des sauvages qu'on a presque tous trouvés à ce point, semble confirmer que le genre humain était fait pour y rester toujours, que cet état est la véritable jeunesse du monde, et que tous les progrès ultérieurs ont été en apparence autant de pas vers la perfection de l'individu, et en effet vers la décrépitude de l'espèce.

Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu'ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs, ou quelques grossiers instruments de musique, en un mot, tant qu'ils ne s'appliquèrent qu'à des ouvrages qu'un seul pouvait faire, et qu'à des arts qui n'avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu'ils pouvaient l'être par leur nature et continuèrent à7jouir entre eux des douceurs d'un commerce indépendant, mais dès l'instant qu'un homme eut besoin du secours d'un autre, dès qu'on s'aperçut qu'il était utile à un seul d'avoir des provisions pour deux, l'égalité disparut, la propriété s'introduisit, le travail devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu'il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l'esclavage et la misère germer et croître avec les moissons.

La métallurgie et l'agriculture furent les deux arts dont l'invention produisit cette grande révolution. Pour le poète, c'est l'or et l'argent; mais pour le philosophe, ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes et perdu le genre humain... Dès qu'il fallut des hommes pour fondre et forger le fer, il fallut d'autres hommes pour nourrir ceux-là... De la culture des terres s'ensuivit nécessairement leur partage, et de la propriété une fois reconnue les premières règles de justice: car, pour rendre à chacun le sien, il faut que chacun puisse avoir quelque chose; de plus, les hommes commençant à porter leurs vues dans l'avenir, et se voyant tous quelques biens à perdre, il n'yen avait aucun qui n'eût à craindre pour soi la représailles des torts qu'il pouvait faire à autrui. Cette origine est d'autant plus naturelle, qu'il est impossible de concevoir l'idée de la propriété naissant d'ailleurs que de la main-d'œuvre; car on ne

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voit pas ce que, pour s'approprier les choses qu'il n'a point faites, l'homme y peut mettre de plus que son travail. C'est le seul travail qui, donnant droit au cultivateur sur le produit de la terre qu'il a labourée, lui en donne par conséquent sur le fonds, au moins jusqu'à il la récolte, et ainsi d'année en année; ce qui, faisant une possession il continue, se transforme aisément en propriété."

[L'inégalité des conditions éveille dans l'âme primitive l'ambition, la jalousie, la tromperie,

l'avarice, etc. Constamment en lutte avec les pauvres, les riches leur proposent habilement d'instituer un contrat, Sous prétexte de protéger les faibles, de contenir les ambitieux, et d'assurer à chacun la possession de ce qui lui appartient. « Telle fut ou dut être l'origine de la société et des lois, qui donnèrent de nouvelles entraves au faible et de nouvelles forces au riche, détruisirent sans retour la liberté naturelle, fixèrent pour jamais la loi de la propriété et de l'inégalité, d'une adroite usurpation firent un droit irrévocable, et, pour le profit de quelques ambitieux, assujettirent désormais tout le genre humain au travail, à la servitude et à la misère ».]

(Lagarde -Michard, p. 273 -275) POUR MIEUX COMPRENDRE 1. Qui est "le vrai fondateur de la société civile" chez Rousseau et sur quoi s'appuie-t-elle? 2. Quel était l'état de la faculté humaine pendant l'époque que Rousseau considère la plus

heureuse de l'histoire du monde? Commentez. 3. Quel est le sens du progrès chez Rousseau? 4. Pourquoi Rousseau veut rendre perpétuelle cette époque du bon sauvage? 5. Définissez le sens de l'évolution de l'humanité telle que Rousseau la présente. 6. Commentez la plasticité de la description concernant la vie de l'homme primitif. 7. Quels "arts" d'après Rousseau ont produit la révolution du monde? Quelle est l'acception

de ce terme? 8. Quel est le point de départ de l'idée de propriété? / 9. Quelles sont les conséquences (négatives) de l'instauration de la société et des lois? 10. Identifiez les mots clés dans la chaîne de syllogismes du discours de Rousseau. Quels sont

le ton et le rythme du raisonnement? 11. Qualifiez ce type d'éloquence et d'imagination du discours de Rousseau. LA NOUVELLE HÉLOÏSE LA PROMENADE SUR LE LAC [M. de Wolmar est absent: il s'est proposé de « guérir » les deux amants et son départ est une

épreuve dont il est persuadé qu'ils sortiront vainqueurs. Voici donc Saint-Preux et Julie seul à seule, livrés au charme périlleux de leurs souvenirs d'amour. La matinée est calme cependant: la présence des bateliers, un coup de vent sur le lac sont venus les distraire Mais après le repas de midi, ils parcourent ensemble les rochers de Meillerie où jadis Saint-Preux errait, solitaire, songeant à sa Julie. Avec les souvenirs, l'émotion les envahit: elle va croître peu à peu jusqu'à un paroxysme. La vérité psychologique, l'harmonie subtile et prenante du décor, des sentiments et de l'expression font de cette page célèbre l'un des plus beaux moments de la Nouvelle Héloïse. (IV, 17; SAINT-PREUX à Milord Edouard).]

"Revenus lentement au port après quelques détours, nous nous séparâmes. Elle voulut rester

seule, et je continuai de me promener sans trop savoir où j'allais. A mon retour, le bateau n'étant pas encore prêt, ni l'eau tranquille, nous soupâmes tristement, les yeux baissés, l'air rêveur, mangeant peu et parlant encore moins. Après le souper, nous fûmes nous asseoir sur la grève en attendant le moment du départ. Insensiblement la lune se leva, l'eau devînt plus calme, et Julie me proposa de partir. Je lui donnai la main pour entrer dans le bateau; et, en m'asseyant à côté d'elle, je ne songeai plus à quitter sa main. Nous gardions un profond silence. Le bruit égal et mesuré des rames m'excitait à rêver. Le chant assez gai des bécassines, me retraçant les plaisirs d'un autre âge, au lieu de m'égayer m'attristait. Peu à peu je sentis augmenter la mélancolie dont j'étais accablé. Un ciel serein, la fraîcheur de l'air, les doux

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rayons de la lune, le frémissement argenté dont l'eau brillait autour de nous, le concours des plus agréables sensations, la présence même de cet objet chéri, rien ne put détourner de mon cœur mille réflexions douloureuses.

Je commençai par me rappeler une promenade semblable faite autrefois avec elle durant le charme de nos premières amours. Tous les sentiments délicieux qui remplissaient alors mon âme s'y retracèrent pour l'affliger; tous les événements de notre jeunesse, nos études, nos entretiens, nos lettres, nos rendez-vous, nos plaisirs,

E tantafede, e si dolce memorie, E si lungo costume! ces foules de petits objets qui m'offraient l'image de mon bonheur passé; tout revenait, pour

augmenter ma misère présente, prendre place en mon souvenir. «C'en est fait, disais-je en moi-même, ces temps, ces temps heureux/ne sont plus; ils ont disparu pour jamais. Hélas! ils ne reviendront plus; et nous vivons, et nous sommes ensemble, et nos coeurs sont toujours unis! » Il me semblait que j'aurais porté plus patiemment sa mort ou son absence, et que j'avais moins souffert tout le temps que j'avais passé loin d'elle. Quand je gémissais dans l'éloignement, l'espoir de la revoir soulageait mon cœur; je me flattais qu'un instant de sa présence effacerait toutes mes peines; j'envisageais au moins dans les possibles un état moins cruel que le mien. Mais se trouver auprès d'elle, mais la voir, la toucher, lui parler, l'aimer, l'adorer, et, presque en la possédant encore, la sentir perdue à jamais pour moi; voilà ce qui me jetait dans des accès de fureur et de rage qui m'agitèrent par degrés jusqu'au désespoir. Bientôt je commençai de rouler dans mon esprit des projets funestes, et dans un transport dont je frémis en y pensant, je fus violemment tenté de la précipiter avec moi dans les flots, et d'y finir dans ses bras ma vie et mes longs tourments. Cette horrible tentation devint à la fin si forte que je fus obligé de quitter brusquement sa main pour passer à la pointe du bateau.

Là, mes vives agitations commencèrent à prendre un autre cours; un sentiment plus doux s'insinua peu à peu dans mon âme, l'attendrissement surmonta le désespoir, je me mis à verser des torrents de larmes; et cet état, comparé à celui dont je sortais, n'était pas sans quelque plaisir; je pleurai fortement, longtemps, et fus soulagé. Quand je me trouvai bien remis, je revins auprès de Julie, je repris sa main. Elle tenait son mouchoir; je le sentis fort mouillé. « Ah ! lui dis-je tout bas, je vois que nos cœurs n'ont jamais cessé de s'entendre! -Il est vrai, dit-elle d'une voix altérée, mais que ce soit la dernière fois qu'ils auront parlé sur ce ton. »

(Lagarde -Michard, p. 287 -289) POUR MIEUX COMPRENDRE 1. A qui appartient la voix narrative et quelles sont les conséquences de ce type de vision? 2. Mettez en relation le passé et le présent des amoureux (vie, sentiments, regrets, espoirs). 3. Mettez en évidence les valeurs de l'alternance passé simple-imparfait dans le récit-la

description. 4. Analyser le parcours émotionnel de cette rencontre (psychologie, gestes,

comportement, degrés, intensité). 5. Commentez le passage de discours direct relevant l'antithèse bonheur-misère. 6. Comparez les positions de Des Grieux et de Saint-Preux face au "transport" amoureux

(fuite- projet funeste). 7. Qualifiez le soulagement (sa nature ambiguë) qui suit à l'élan romantique. 8. Quelle est la problématique de cette épreuve morale (passion - vertu) et à qui appartient en

effet la réponse? 9. Identifiez les éléments et les motifs du décor naturel tout aussi que leur rôle dans le dessin

des émotions et des souvenirs. 10. En quoi consiste la valeur littéraire et artistique d'une telle page pour l'évolution du

roman?

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EMILE OU L'ÉDUCATION LA FONTAINE EST-IL IMMORAL? [ROUSSEAU renouvelle en les adaptant les critiques déjà formulées contre la comédie de

Molière. Cette fois, il est vrai, la condamnation n'est que provisoire dans la pédagogie de JEAN-JACQUES les Fables viendront à leur heure, quand Emile sera en âge de les comprendre (Livre IV). Mais le fabuliste n'avait-il pas répondu par avance dans sa Préface? Sur ce problème qui suscitera encore bien des réflexions, nous découvrons les talents et aussi les faiblesses du polémiste.]

"On fait apprendre les fables de La Fontaine à tous les enfants, et il n'y en a pas un seul qui les

entende. Quand ils les entendraient, ce serait encore pis; car la morale en est tellement mêlée et si disproportionnée à leur âge, qu'elle les porterait plus au vice qu'à la vertu. Ce sont encore là, direz-vous, des paradoxes. Soit; mais voyons si ce sont des vérités.

Je dis qu'un enfant n'entend point les fables qu'on lui fait apprendre, parce que, quelque effort qu'on fasse pour les rendre simples, l'instruction qu'on en veut tirer force d'y faire entrer des idées qu'il ne peut saisir, et que le tour même de la poésie, en les lui rendant plus faciles à retenir, les lui rend plus difficiles à concevoir, en sorte qu'on achète l'agrément aux dépens de la clarté."

[Et Rousseau d'analyser mot à mot le Corbeau et le Renard pour montrer ce que cette fable a d'inintelligible pour un enfant: « Qu'est-ce qu'un corbeau? Qu'est-ce qu'un arbre perché ?.. Quel fromage ?.. Ce langage! Les renards parlent donc? ils parlent donc la même langue que les corbeaux ?.. Sans mentir! on ment donc quelquefois ?.. .Qu'est-ce qu'un phénix?.. Les hôtes de ces bois! Quel discours figuré !... Vit aux dépens de celui qui l'écoute: Jamais enfant de dix ans n'entendit ce vers-là... Jura! Quel est le sot de maître qui ose expliquer à l'enfant ce que c'est qu'un serment? »

On le voit: quelques observations judicieuses et beaucoup d'objections ridicules! Rousseau paraît oublier totalement que le rôle du maître est d'instruire l'enfant et de redresser ses erreurs (cf. XVIIIe siècle, p. 238, II, 2).]

"Je demande si c'est à des enfants de six ans qu'il faut apprendre qu'il y a des hommes qui

flattent et mentent pour leur profit? On pourrait tout au plus leur apprendre qu'il y a des railleurs qui persiflent les petits garçons, et se moquent en secret de leur sotte vanité: mais le fromage gâte tout, on leur apprend moins à ne pas le laisser tomber de leur bec qu'à le faire tomber du bec d'un autre. C'est ici mon second paradoxe, et ce n'est pas le moins important.

Suivez les enfants apprenant leurs fables, et vous verrez que, quand ils sont en état d'en faire l'application, ils en font presque toujours une contraire à l'intention de l'auteur, et qu'au lieu de s'observer sur le défaut dont on les veut guérir ou préserver, ils penchent à aimer le vice avec lequel on tire parti des défauts des autres. Dans la fable précédente, les enfants se moquent du corbeau, mais ils s'affectionnent tous au renard; dans la fable qui suit, vous croyez leur donner la cigale pour exemple; et point du tout, c'est la fourmi qu'ils choisiront. On n'aime point à s'humilier: ils prendront toujours le beau rôle; c'est le choix de l'amour-propre, c'est un choix très naturel. Or, quelle horrible leçon pour l'enfance! Le plus odieux de tous les monstres serait un enfant avare et dur, qui saurait ce qu'on lui demande et ce qu'il refuse. La fourmi fait plus encore, elle lui apprend à railler dans ses refus.

Dans toutes les fables où le lion est un des personnages, comme c'est d'ordinaire le plus brillant, l'enfant ne manque point de se faire lion; et quand il préside à quelque partage, bien instruit par son modèle, il a grand soin de s'emparer de tout. Mais, quand le moucheron terrasse le lion, c'est une autre affaire; alors l'enfant n'est plus lion, il est moucheron. Il apprend à tuer un jour à coups d'aiguillon ceux qu'il n'oserait attaquer de pied ferme.

Dans la fable du loup maigre et du chien gras, au lieu d'une leçon de modération qu'on prétend donner, il en prend une de licence. Je n'oublierai jamais d'avoir vu beaucoup pleurer une petite fille qu'on avait désolée avec cette fable tout en lui prêchant toujours la docilité. On eut peine à savoir la cause de ses pleurs: on la sut enfin. La pauvre enfant s'ennuyait d'être à la chaîne, elle se sentait le cou pelé; elle pleurait de n'être pas loup. Ainsi donc la morale de la première fable citée est pour l'enfant une leçon de la plus basse flatterie; celle de la seconde, une leçon d'inhumanité; celle de la troisième, une leçon d'injustice; celle de la quatrième, une leçon de satire; celle de la cinquième, une leçon

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d'indépendance. Cette dernière leçon, pour être superflue à mon élève, n'en est pas plus convenable aux vôtres. Quand vous leur donnez des préceptes qui se contredisent, quel fruit espérez-vous de vos soins? Mais peut-être, à cela près, toute cette morale qui me sert d'objection contre les fables fournit-elle autant de raisons de les conserver. Il faut une morale en paroles et une en actions dans la société, et ces deux morales ne se ressemblent point. La première est dans le catéchisme, où on la laisse; l'autre est dans les fables de La Fontaine pour les enfants, et dans ses contes pour les mères. Le même auteur suffit à tout. Composons, monsieur de La Fontaine. Je promets, quant à moi, de vous lire, avec choix, de vous aimer, de m'instruire dans vos fables; car j'espère ne pas me tromper sur leur objet; mais, pour mon élève, permettez que je ne lui en laisse pas étudier une seule jusqu'à ce que vous m'ayez prouvé qu'il est bon pour lui d'apprendre des choses dont il ne comprendra pas le quart; que, dans celles qu'il pourra comprendre, il ne prendra jamais le change et qu'au lieu de se corriger sur la dupe, il ne se formera pas sur le fripon."

(hagarde -Michard, p. 299 -301) POUR MIEUX COMPRENDRE 1. Quels sont les reproches que Rousseau fait au fabuliste? 2. Quelles seraient les difficultés de compréhenssion des fables pour un enfant dans

l'interprétation de Rousseau? 3. Qu'est-ce que c'est pour Rousseau l'éducation telle qu'elle résulte de ce commentaire

polémique. 4. Quel est le rôle de la littérature dans l'éducation de l'enfant? 5. Analyser la structure du discours polémique et ses valences. 6. Quelle serait 1' "imoralité" du fabuliste? LES CONFESSIONS LE RUBAN VOLÉ [Voici, à la fin du LIVRE II, une des confidences qui justifient vraiment le titre de l'ouvrage.

ROUSSEAU ne se contente pas de nous raconter sa vie, il se confesse... et il s'absout; ou du moins, selon le mot d'André Maurois, « il bat sa coulpe vigoureusement, en sachant que le lecteur l'absoudra », Quel document sur le caractère de JEAN- JACQUES hanté par le remords et voulant se persuader de sa bonté naturelle! Quel témoignage aussi pour « servir de première pièce de comparaison pour l'étude des hommes! »]

"II est bien difficile que la dissolution d'un ménage n'entraîne un peu de confusion dans la

maison, et qu'il ne s'égare bien des choses; cependant, la seule Mlle Pontai perdit un petit ruban couleur de rose et argent, déjà vieux. Beaucoup d'autres meilleures choses étaient à ma portée; ce ruban seul me tenta, je le volai, et comme je ne le cachai guère, on me le trouva bientôt. On voulut savoir où je l'avais pris. Je me trouble, je balbutie, et enfin je dis, en rougissant, que c'est Marion qui me l'a donné. Marion était une jeune Mauriennoise dont Mme de Vercellis avait fait sa cuisinière. Non seulement Marion était jolie, mais elle avait une fraîcheur de coloris qu'on ne trouve que dans les montagnes, et surtout un air de modestie et de douceur qui faisait qu'on ne pouvait la voir sans l'aimer; d'ailleurs bonne fille, sage et d'une fidélité à toute épreuve. C'est ce qui surprit quand je la nommai. L'on n'avait guère moins de confiance en moi qu'en elle, et l'on jugea qu'il importait de vérifier lequel était le fripon des deux. On la fit venir; l'assemblée était nombreuse, le comte de la Roque y était. Elle arrive, on lui montre le ruban, je la charge effrontément; elle reste interdite; se tait, me jette un regard qui aurait désarmé les démons, et auquel mon barbare coeur résiste. Elle nie enfin avec assurance, mais sans emportement m'apostrophe, m'exhorte à rentrer en moi-même, à ne pas déshonorer une fille innocente qui ne m'a jamais fait de mal; et moi, avec une impudence infernale, je confirme ma déclaration, et lui soutiens en face qu'elle m'a donné le ruban. La pauvre fille se mit à pleurer, et ne me dit que ces mots: « Ah ! Rousseau, je vous croyais un bon caractère. Vous me rendez bien malheureuse; mais je ne voudrais pas être à votre place ». Voilà tout. Elle continua de se défendre avec autant de simplicité que de fermeté, mais sans se permettre jamais contre moi la moindre invective. Cette modération, comparée à mon ton

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décidé, lui fit tort. Il ne semblait pas naturel de supposer d'un côté une audace aussi diabolique, et de l'autre une aussi angélique douceur. On ne parut pas se décider absolument, mais les préjugés étaient pour moi. Dans le tracas où l'on était, on ne se donna pas le temps d'approfondir la chose; et le comte de la Roque, en nous renvoyant tous deux, se contenta de dire que la conscience du coupable vengerait assez l'innocent. Sa prédiction n'a pas été vaine; elle ne cesse pas un seul jour de s'accomplir.

J'ignore ce que devint cette victime de ma calomnie; mais il n'y a pas d'apparence qu'elle ait après cela trouvé facilement à se bien placer... Ce souvenir cruel me trouble quelquefois, et me bouleverse au point de voir dans mes insomnies cette pauvre fille venir me reprocher mon crime, comme s'il n'était commis que d'hier. Tant que j'ai vécu tranquille, il m'a moins tourmenté; mais au milieu d'une vie orageuse, il m'ôte la plus douce consolation des innocents persécutés: il me fait bien sentir ce que je crois avoir dit dans quelque ouvrage, que le remords s'endort durant un destin prospère, et s'aigrit dans l'adversité. Cependant, je n'ai jamais pu prendre sur moi de décharger mon coeur de cet aveu dans le sein d'un ami. La plus étroite intimité ne me l'a jamais fait faire à personne, pas même à Mme de Warens. Tout ce que j'ai pu faire a été d'avouer que j'avais à me reprocher une action atroce, mais jamais je n'ai dit en quoi elle consistait. Ce poids est donc resté jusqu'à ce jour sans allégement sur ma conscience, et je puis dire que le désir de m'en délivrer en quelque sorte a beaucoup contribué à la résolution que j'ai prise d'écrire mes confessions. J'ai procédé rondement dans celle que je viens de faire, et l'on ne trouvera sûrement pas que j'aie ici pallié la noirceur de mon forfait. Mais je ne remplirais pas le but de ce livre, si je n'exposais en même temps mes dispositions intérieures, et que je craignisse de m'excuser en ce qui est conforme à la vérité. Jamais la méchanceté ne fut plus loin de moi que dans ce cruel moment, et lorsque je chargeai cette malheureuse fille, il est bizarre, mais il est vrai que mon amitié pour elle en fut la cause. Elle était présente à ma pensée, je m'excusai sur le premier objet qui s'offrit. Je l'accusai d'avoir fait ce que je voulais faire, et de m'avoir donné le ruban, parce que mon intention était de le lui donner. Quand je la vis paraître ensuite, mon coeur fut déchiré, mais la présence de tant de monde fut plus forte que mon repentir. Je craignais peu la punition, je ne craignais que la honte; mais je la craignais plus que la mort, plus que le crime, plus que tout au monde. J'aurais voulu m'enfoncer, m'étouffer dans le centre de la terre; l'invincible honte l'emporta sur tout, la honte seule fît mon impudence; et plus je devenais criminel, plus l'effroi d'en convenir me rendait intrépide. Je ne voyais que l'horreur d'être reconnu, déclaré publiquement, moi présent, voleur, menteur, calomniateur. Un trouble universel m'ôtait tout autre sentiment. Si l'on m'eût laissé revenir à moi-même, j'aurais infailliblement tout déclaré. Si M. de la Roque m'eût pris à part, qu'il m'eût dit: « Ne perdez pas cette pauvre fille; si vous êtes coupable, avouez-le moi », je me serais jeté à ses pieds dans l'instant, j'en suis parfaitement sûr. Mais on ne fît que m'intimider quand il fallait me donner du courage."

[ROUSSEAU invoque encore l'excuse de sa jeunesse; le remords qui l'a guéri du mensonge et « de tout acte tendant au crime» ; l'expiation que constituent les malheurs de sa vieillesse; enfin, « quarante ans de droiture et d'honneur dans des occasions difficiles ».

(hagarde -Michard, p. 322 -324) POUR MIEUX COMPRENDRE 1. Qu'est-ce qui déclenche chez Rousseau le désir d'écrire ses confessions? Quels sont dans

ce cas l'effet et la valeur de l'écriture? 2. En quelle mesure ce mécanisme justificatif est valable pour l'ouvrage entier? 3. Décelez les ressorts psychologiques de ce processus de disculpation. 4. Quelle est la technique du portrait de Marion (récit, description, discours direct,

commentaire de l'auteur; traits physiques et moraux, gestes, réactions ) ? 5. Pourquoi la déclaration de l'enfant Rousseau est plus crédible devant l'assistance?

Question de (déjà) bien construire son discours? 6. Identifiez le passage où l'auteur affirme la présence d'un certain sentiment de persécution.

Commentez ce contexte (présent sous la forme d'un aphorisme) du poids de la coulpe dans certains circonstances de sa vie.

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7. Quels sont les deux aspects qui accomplissent le but avoué du livre? Comment qualifiez-vous cet exposé de l'archéologie intérieure et de cette insistance de confirmer la vérité?

8. Pourquoi l'enfant a-t-il trouvé son échappatoire dans la personne de Marion? Quelle explication ultérieure livre l'auteur?

9. Qu'est-ce que l'enfant craint le plus? Quelle est l'importance de ce sentiment dans l'éducation de l'enfant chez Rousseau? Y a-t-il un rapport intime avec la conscience?

10. Sur quoi mise l'auteur pour gagner son auditoire? Poids rationnel ou affectif du discours? 11. Quelles seraient les formes de l'exacerbation (hyperbole, emphase) de la coulpe?

Commentez. 12. A quel ordre (souvenir, affectivité, apologèse, justification, absolution) se soumet

l'écriture? 13. Question de style. Commentez l'expression: "j'ai procédé rondement" en tenant compte du

réinvestissement du réel avec le sens de la vision postérieure. 14. Saisissez et analysez la différence spécifique des Confessions par rapport aux Rêveries:

nécessité de la justification, de la confirmation, de l'absolution, restauration de l'image biographique, écriture pour l'autre.

LES REVERIES DU PROMENEUR SOLITAIRE LA RÊVERIE AU BORD DU LAC (FRAGMENT) [Dés sa jeunesse aventureuse, puis à l'Ermitage l'imagination et les rêves constituaient pour

JEAN-JACQUES l'ultime refuge « le grand remède aux misères de ce monde» : mais quelle amertume quand il retombait bans la médiocre réalité! Au terme de cette longue expérience, il découvre enfin à l'île de Saint-Pierre le secret de « la suprême félicité ». Ce serait une erreur de ne voir dans cette « rêverie » qu'un anéantissement: au fond de cette inertie la sensibilité subsiste assez vive pour goûter le bonheur sous la forme élémentaire du présent vécu à l'état pur. Si, dans ces moments privilégiés JEAN-JACQUES épouse de tout son être la vie universelle c'est comme dirait Montaigne, « non pas pour s'y perdre, mais pour s'y trouver»: dans cette communion subconsciente se renoue l'alliance profonde de l'homme avec la nature: l'euphorie qui en résulte est celle d'une unité retrouvée. Cette psychologie si nouvelle en son siècle fait de Rousseau le précurseur du romantisme et à certains égards de la littérature moderne (Ve PROMENADE).]

"Quand le lac agité ne me permettait pas la navigation, je passais mon après-midi à parcourir l'île, en herborisant à droite et à gauche, m'asseyant tantôt dans les réduits les plus riants et les plus solitaires pour y rêver à mon aise, tantôt sur les terrasses et les tertres, pour parcourir des yeux le superbe et ravissant coup d'oeil du lac et de ses rivages, couronnés d'un côté par des montagnes prochaines, et de l'autre élargis en riches et fertiles plaines, dans lesquelles la vue s'étendait jusqu'aux montagnes bleuâtres, plus éloignées, qui la bornaient.

Quand le soir approchait, je descendais des cimes de l'île, et j'allais volontiers m'asseoir au bord du lac, sur la grève, dans quelque asile caché; là, le bruit des vagues et l'agitation de l'eau, fixant mes sens et chassant de mon âme toute autre agitation, la plongeaient dans une rêverie délicieuse, où la nuit me surprenait souvent sans que je m'en fusse aperçu. Le flux et reflux de cette eau, son bruit continu, mais renflé par intervalles, frappant sans relâche mon oreille et mes yeux, suppléaient aux mouvements internes que la rêverie éteignait en moi, et suffisaient pour me faire sentir avec plaisir mon existence, sans prendre la peine de penser. De temps à autre naissait quelque faible et courte réflexion sur l'instabilité des choses de ce monde dont la surface des eaux m'offrait l'image; mais bientôt ces impressions légères s'effaçaient dans l'uniformité du mouvement continu qui me berçait et qui, sans aucun concours actif de mon âme, ne laissait pas de m'attacher au point qu'appelé par l'heure et par le signal convenu, je ne pouvais m'arracher de là sans efforts.

Après le souper, quand la soirée était belle, nous allions encore tous ensemble faire quelque tour de promenade sur la terrasse pour y respirer l'air du lac et la fraîcheur. On se reposait dans le pavillon, on riait, on causait, on chantait quelque vieille chanson qui valait bien le tortillage moderne, et enfin l'on s'allait coucher content de sa journée et n'en désirant qu'une semblable pour le lendemain.

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Telle est, laissant à part les visites imprévues et importunes, la manière dont j'ai passé mon temps dans cette île durant le séjour que j'y ai fait. Qu'on me dise à présent ce qu'il y a là d'assez attrayant pour exciter dans mon cœur des regrets si vifs, si tendres et si durables qu'au bout de quinze ans il m'est impossible de songer à cette habitation chérie sans m'y sentir à chaque fois transporter encore par les élans du désir. J'ai remarqué dans les vicissitudes d'une longue vie que les époques des plus douces puissances et des plaisirs les plus vifs ne sont pourtant pas celles dont le souvenir m'attire et me touche le plus. Ces courts moments de délire et de passion, quelque vifs qu'ils puissent être, ne sont cependant, et par leur vivacité même, que des points bien clairsemés dans la ligne de la vie. Ils sont trop rares et trop rapides pour constituer un état, et le bonheur que mon cœur regrette n'est point composé d'instants fugitifs mais un état simple et permanent, qui, n'a rien de vif en lui-même, mais dont la durée accroît le charme au point d'y trouver enfin la suprême félicité.

Tout est dans un flux continuel sur la terre: rien n'y garde une forme constante et arrêtée, et nos affections qui s'attachent aux choses extérieurs passent et changent nécessairement comme elles. Toujours en avant ou en arrière de nous, elles rappellent le passé qui n'est plus ou préviennent l'avenir qui souvent ne doit peut être: il n'y a rien là de solide à quoi le coeur se puisse attacher. Aussi n'a-t-on guère ici-bas que du plaisir qui passe; pour le bonheur qui dure je doute qu'il soit connu. A peine est-il dans nos plus vives jouissances un instant où le coeur puisse véritablement nous dire: Je voudrais que cet instant durât toujours; et comment peut-on appeler bonheur un état fugitif qui nous laisse encore le coeur inquiet et vide, qui nous fait regretter quelque chose avant, ou désirer encore quelque chose après?

Mais s'il est un état où l'âme trouve une assiette assez solide pour s'y reposer tout entière et rassembler là tout son être, sans avoir besoin de rappeler le passé ni d'enjamber sur l'avenir; où le temps ne soit rien pour elle, où le présent dure toujours sans néanmoins marquer sa durée et sans aucune trace de succession, sans aucun autre sentiment de privation ni de jouissance, de plaisir ni de peine, de désir ni de crainte que celui seul de notre existence, et que ce sentiment seul puisse la remplir tout entière; tant que cet état dure celui qui s'y trouve peut s'appeler heureux, non d'un bonheur imparfait, pauvre et relatif, tel que celui qu'on trouve dans les plaisirs de la vie, mais d'un bonheur suffisant, parfait et plein, quine laisse dans l'âme aucun vide qu'eUe sente le besoin de emplir. Tel est l'état où je me suis trouvé souvent à l'île de Saint-Pierre dans mes rêveries solitaires, soit couché dans mon bateau que je laissais dériver au gré de l'eau, soit assis sur les rives du lac agité, soit ailleurs au bord d'une belle rivière ou d'un ruisseau murmurant sur le gravier.

De quoi jouit-on dans une pareille situation? De rien d'extérieur à soi, de rien sinon de soi-même et de sa propre existence; tant que cet état dure, on se suffit à soi-même, comme Dieu. Le sentiment de l'existence dépouillé de toute autre affection est par lui-même un 1 sentiment précieux de contentement et de paix, qui suffirait seul pour rendre cette existence chère et douce à qui saurait écarter de soi toutes les impressions sensuelles et terrestres qui viennent sans cesse nous en distraire, et en troubler ici-bas la douceur. Mais la plupart des hommes, agités de passions continuelles, connaissent peu cet état, et, ne l'ayant goûté qu'imparfaitement durant peu d'instants, n'en conservent qu'une idée obscure et confuse, qui ne leur en fait pas sentir le charme. Il ne serait pas même bon, dans la présente constitution des choses, qu'avides de ces douces extases, ils s'y dégoûtassent de la vie active dont leurs besoins toujours renaissants leur prescrivent le devoir. Mais un infortuné qu'on a retranché de la société humaine, et qui ne peut plus rien faire ici-bas d'utile et de bon pour autrui ni pour soi, peut trouver, cet état, à toutes les félicités humaines des dédommagements la fortune et les hommes ne lui sauraient ôter. [...]

Que ne puis-je aller finir mes jours dans cette île chérie sans en ressortir jamais, ni jamais y revoir aucun habitant du continent qui me rappelât le souvenir des calamités de toute espèce qu'ils se plaisent à rassembler sur moi depuis tant d'années? Ils seraient bientôt oubliés pour jamais: sans doute ils ne m'oublieraient pas de même. Mais que n'importerait, pourvu qu'ils n'eussent aucun accès pour y venir troubler mon repos? Délivré de toutes les passions terrestres qu'engendre le tumulte de la vie sociale, mon âme s'élancerait fréquemment au-dessus de cette atmosphère et commercerait d'avance avec les intelligences dont elle espère augmenter le nombre dans peu de temps. Les hommes se garderont, je le sais, de me rendre un si doux asile où ils n'ont pas voulu me laisser. Mais ils pas du

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moins de m'y transporter chaque jour sur les ailes de l'imagination, et d'y goûter durant quelques heures le même plaisir que si je l'habitais encore. [...]"

(Lagarde -Michard p. 340 -341) POUR MIEUX COMPRENDRE 1. Définissez le type d'espace et de temps de ce refuge sur l'île de Saint-Pierre. 2. Quelle est la manière de passer le temps dans l'ordre de l'actif? 3. Quels sont les états qui accomplissent l'ordre du contemplatif? 4. Analyser le but avoué de cette démarche: immobiliser le cognitif et le sensoriel pour saisir

l'existence à l'état pur. 5. Quels sont les attributs distinctifs du bonheur et de la félicité tels que l'auteur les présente? 6. Quel est le sentiment du vécu chez l'homme social et chez le solitaire? 7. Pour quel type d'individu est propice une telle expérience dans la vision de l'auteur? 8. Commentez l'apogée de cet état d'apesanteur: "on se suffit à soi-même, comme Dieu". 9. Quel est le moyen d'accéder à ce type de félicité suprême après avoir quitté cet univers qui

facilite son instauration? 10. Par quoi la nature joue le rôle essentiel dans la réconciliation de l'écrivain avec lui-même? 11. Quelle est la différence de tonalité des Rêveries par rapport aux Confessions? 12. Quel est l'effet thérapeutique de l'écriture pour soi-même dans ce type d'ouvrage? 13. Quels sont les éléments qui rapprochent ce type d'écriture à une méditation poétique, en

quoi consiste son lyrisme? 14. Quelle est la nouveauté d'une telle écriture et par quoi préfigure-t-elle le Romantisme? 15. Justifiez le choix du titre. Quels sont le poids et les valences du terme "rêverie"? SCHÉMA J. J. Rousseau 1712-1778 Discours sur les sciences et les arts 1750 Discours sur l'origine de l'inégalité 1755 La Nouvelle Héloïse 1761 Emile 1762 Le Contrat social 1762 Les Confessions 1770 Les Rêveries d'un promeneur solitaire 1776-1778 POUR MIEUX COMPRENDRE 1. Présentez les trois étapes de parcours littéraire de Rousseau. 2. Quelle est la thématique des deux Discour si 3. Quel est le plus important plaidoyer de Rousseau concernant la perte morale et quelle est

la solution proposée? 4. Quels sont les principes de base du Contrat social? 5. Présentez la méthode de Rousseau pour la recréation de l'homme naturel telle qu'elle

apparaît à travers le roman Emile. 6. La Nouvelle Héloïse - sujet, thèmes, structure, personnages, nouveauté, choix du titre. 7. Les Confessions ~ l'autobiographie entre justification et imagination artistique. 8. Analyser les aspects qui préfigurent chez Rousseau le romantisme et la modernité: culte

de la passion, culte de la nature, passéisme, évasion, lyrisme, goût de l'imagination, analyse du moi, utopie mystique et sociale.

9. Les Rêveries- le plaisir et la découverte de l'écriture pour soi-même. 10. Comment interprétez-vous l'appel de Rousseau à une vie rustique et patriarcale et

l'apologie du bon sauvage? 11. Comment jugez-vous la théorie de l'éducation proposée par Rousseau? 12. Définissez l'humanisme de Rousseau.

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VOLTAIRE (1694 -1778) Repères bio-bilbiographiques. Etudes. Controverses et exil. Ouvrages et confirmation. REPERES RIO -BIBLIOGRAPHIQUES De son vrai nom, François - Marie Arouet (né le 21 novembre 1694 à Paris), Voltaire est une

des figures les plus représentatives du XVIIIe siècle français. Philosophe, écrivain, historien, il a laissé une oeuvre immense: écrits philosophiques, ouvrages historiques, poésies (vers lyriques, épopées, poèmes satiriques et philosophiques), dialogues, satiriques et pamphlets (connus sous le nom de « facéties »), ouvrages de critique littéraire, ainsi qu'une énorme correspondance.

Après avoir fait ses études au collège Jésuite Louis -Le -Grand, il commence des études de droit, qu'il abandonne après deux ans seulement. Son père l'envoie à l'étranger, mais le futur écrivain revient à Paris après peu de temps et en 1714 on l'y retrouve comme clerc de procureur.

Dans l'atmosphère de libertinage qui caractérise la Régence, le jeune Arouet se manifeste par deux « insolences» à l'adresse du Régent, qui lui valent l'exil et puis la prison. Sa première tragédie, Oedipe est jouée avec un grand succès en 1718 et, quant ce texte sera publié, il sera signé: Voltaire. En 1726, à la suite d'un conflit, Voltaire est enfermé et puis obligé de quitter la France. Il se rend en Angleterre, où il fréquente les milieux les plus divers (politique; littéraire, commerce) il se familiarise avec le progrès des sciences (plus tard, il traduira Newton). De retour en France, Voltaire publie clandestinement à Rouen L 'histoire de Charles XII. C'est dans la même ville, et dans les mêmes conditions que Voltaire publiera en 1734 Les Lettres philosophiques, fruit de son séjour en Angleterre, après quoi il se retire à Cirey, pour échapper aux ennuis provoquées par cette satire, condamnée par le Parlement de Paris. Son séjour à Cirey sera une période de création littéraire et philosophique intense: Le Traite de métaphysique ou les Eléments de la philosophie de Newton, le poème Le Mondain, le commencement de son Essai sur les mœurs et l'esprit des nations. Rentré à Paris en 1744, il gagne les faveurs de la cour: il est nommé historiographe du roi et gentilhomme ordinaire de la chambre du roi. Après, il est élu à l'Académie française. Comme il tombe vite en disgrâce, il se rend à Berlin, sur l'invitation de Frédéric II, roi de Prusse, mais là encore les relations se détériorent rapidement. Pendant son séjour à Berlin, Voltaire publie: Le Siècle de Louis XIX, Poème sur la loi naturelle, Micromégas. N'osant rentrer en France, Voltaire passe deux ans en Alsace, avant de s'installer aux Délices, en Suisse, près de la frontière française, puis définitivement à Ferney (1760), où il restera jusqu'à sa mort. Pendant cette période il publie quelques unes de ses oeuvres les plus importantes: Candide, Essai sur les moeurs et l'esprit des nations, Dictionnaire philosophique. A cette même époque il s'engage dans la bataille philosophique. Tout en combattant ses ennemis personnels (Maupertuis surtout) il combat les ennemies du parti des philosophes et des encyclopédistes, qu'il accable de pamphlets et des satires.

S'il attaque Rousseau, c'est pour ses idées (surtout au sujet de la Providence et de la civilisation) et non pas en ennemi personnel, mais aussi en ennemi des philosophes, l'accusant d'avoir rompu avec d'Alembert au moment même ou l'on supprimait l'Encyclopédie. Le « patriarche de Ferney » entreprend aussi une campagne acharnée pour la défense des victimes du fanatisme et de l'injustice. En 1778, Voltaire, malade et épuisé, entreprend son dernier voyage à Paris. On lui fait un accueil enthousiaste. Il assiste à une séance d'honneur à l'Académie et à la représentation de sa dernière tragédie, Irène, à la Comédie Française, où il voit son buste couronné. Il meurt le 30 mai 1778 à Paris et ses cendres reposent au Panthéon.

L'OEUVRE D'UN PHILOSOPHE L'œuvre d'un philosophe. Particularités. Ouvrages en vers et en prose. Le Poème. Les

Lettres. Le Dictionnaire. L'idée de Dieu. Les idées de Voltaire n'ont pas changé pendant plus d'une cinquantaine d'années: il a touche à

tout, à la métaphysique, à la religion et à la morale, au problème épineux de la tolérance aux réalités politiques de son temps de même qu'à divers aspects de la civilisation - tout cela, en vrai esprit multiforme des Lumières. Tout en étant un polémiste, Voltaire a affirmé sa pensée plutôt dans la controverse que dans des ouvrages didactiques -de là ce caractère fragmentaire et satirique, qui lui donne un air de superficialité.

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Lorsqu'il a voulu présenter sa pensée de façon systématique, Voltaire a généralement préféré le faire en vers. C'est l'objet du Poème de la Loi naturelle, où il expose les fondements de son déisme. En vers encore il soulève des questions philosophiques essentielles, comme celles que pose au rationalisme naturaliste le tremblement de terre de Lisbonne qui en 1755 fait des milliers de morts. (Poème sur le désastre de Lisbonne). Le plus souvent, il utilise la prose pour présenter de façon fragmentaire, suggestive, inachevée des aperçus ou des données. Même un livre qui s'intitule Traité est fait des pièces et des morceaux (Traité sur la tolérance).

En 1734 il publie Les Lettres Philosophiques ou Les Lettres Anglaises à la suite d'un voyage en Angleterre, où il découvre avec enchantement un peuple respectueux de l'intelligence, travailleur et libre. Voltaire vante dans cet ouvrage les libertés parlementaires, les bienfaits du commerce et de l'industrie, il y étudie les sectes religieuses et s'émerveille devant la création artistique et littéraire et scientifique (Swift, Pope, Locke, Newton). Et lorsqu'il diffuse la pensée de Newton, c'est sous la forme d'Eléments de la philosophie de Newton (1738). Une des formes préférées de Voltaire après 1750, sous l'influence de l'Encyclopédie dont tout le monde parle, est la forme du dictionnaire; mais un dictionnaire plein de lacunes, où il n'est pas question de définir tous les mots de la langue, ni de compiler des connaissances sur toutes les choses, le Dictionnaire philosophique est dit « portatif », par opposition à l'intransportable Encyclopédie, destinée à s'empoussiérer dans les bibliothèques. On gagne aussi en efficacité: seules les questions brûlantes sont abordées, même si les titres des articles ont l'air bien neutre « blé » Voltaire augmente et remanie inlassablement son Dictionnaire philosophique, avant de l'enrichir des Questions sur l'Encyclopédie. Il faut donc saisir les aspects les plus audacieux de la philosophie de Voltaire dans des pages écrites à propos de polémiques diverses, derrière une ironie qu'on doit interpréter, de même qu'il faut, pour comprendre la position littéraire de l'écrivain, analyser les Commentaires sur Corneille écrits sur toutes les pièces de dramaturgie, prises vers par vers, ou les jugements amusants portés dans Le Temple de Goût.

Les Lettres Philosophiques constituent, en même temps, une satire, une critique parfois directe, parfois déguisée de la société française, et les cibles que Voltaire visait dans ce texte étaient l'intolérance, le despotisme, les privilèges et les préjugés.

Voilà pourquoi la publication de cet ouvrage hardi lui a attiré des ennemis: la condamnation des Lettres Philosophiques par le Parlement comme « propre à inspirer le libertinage le plus dangereux pour la religion et la société civile ». Au cœur de la philosophie de Voltaire on trouve une réflexion sur la religion. Selon lui, Dieu est si grand que l'homme ne peut rien faire pour se rapprocher de lui; toutes les religions artificielles rapetissent Dieu et le caricaturent; les pratiques qu'ils enseignent détournent les fidèles de la vraie morale, qui se confond avec la bienfaisance, et qui est dictée à chaque homme par la nature. Mais la voix de la nature est étouffée par le fanatisme, par les préjugés. Le rôle du philosophe est de dissiper ces préjugés, car, somme toute, Voltaire est confiant dans les ressources de la nature humaine. Il en montre volontiers les limites et souligne la faiblesse de notre espèce dans l'univers, mais en même temps il se plaît à redire sa capacité de résistance et d'adaptation.

Pourtant, Voltaire croit à l'existence de Dieu, mais à celui de Newton, et des déistes: créateur de l'univers, lointain et impassible, parfaitement pur et parfaitement sage, « horloger » qui, après avoir créé cette « machine admirable qu'est l'univers », la laisse se conduire d'après ses propres lois naturelles. Cette idée de Dieu, à laquelle Voltaire aboutit par une démarche du type cartésien, correspond non seulement à sa vision du monde, mais aussi aux intérêts de sa classe, car la bourgeoisie ne pouvait pas se passer de tout principes religieux.

Quoiqu'il fût un adversaire acharné de la métaphysique abstraite et purement spéculative, Voltaire n'a pas manqué de se pencher sur certains de ses problèmes (Traité de métaphysique) et surtout celui du mal et du bien.

Porté à l'optimisme par son tempérament épicurien, il cherchera une solution au problème du mal dans la métaphysique de Leibnitz. Il croit la vie bonne et chante « les délices du paradis moderne» (Le Mondain),mais son optimisme ne sera jamais celui des théoriciens du «meilleur des mondes possibles », qu'il va stigmatiser de sa plume acérée (Candide).

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VOLTAIRE -HISTORIEN Comme historien, Voltaire a créé une méthode historique critique et rationaliste; il a inauguré

une conception historique qui, sans être matérialiste, s'oppose à la conception théologique de l'histoire (Essai sur les mœurs et l'esprit des nations). L'histoire de Charles XI, roi de Suède (1682 -1718) illustre pleinement de la méthode de Voltaire: documentation, examen critique, narration critique. Voltaire peut être aussi considéré le père de l'histoire de la civilisation ou plutôt des civilisations: il étudie non seulement les mœurs, les institutions, les arts et l'esprit d'une seule nation, à une seule époque (Le siècle de Louis XIV) mais aussi ceux de diverses peuples, à travers les temps. Sérieux, très scrupuleux, sur sa documentation, il donne aux historiens une leçon de rigueur scientifique, ce qui ne l'empêche pas d'être un merveilleux artiste.

LES CONTES DE VOLTAIRE De tous les grands écrivains du XVIIIe siècle, Voltaire est celui dont l'œuvre a le plus souffert

du temps, affirmait R. Mauzi. Pourquoi? Les seuls textes que lise encore un large public sont les contes, qui constituent une partie très marginale de son oeuvre, écrite à côté des grandes entreprises qui seules comptaient aux yeux de Voltaire. Il a souvent hésité de les publier, les gardant à l'état d'ébauche ou de manuscrits pendant des années, et ils utilisant finalement comme bouche -trou dans des recueils d'oeuvres diverses; ce sont, selon sa formule, des « royatons », des petits restes. Peut -être leur intérêt vient -il en partie de là : Voltaire s'y est moins contraint qu'ailleurs, il y a livré ses humeurs et ses pulsions dans une sorte d'improvisation libre et libératrice. Le genre lui -même dans lequel on a coutume, depuis le XVIIIe siècle, d'englober ces textes, n'est pas défini en réalité. La brièveté était le dénominateur commun de contes en vers, à la façon de La Fontaine, des contes de fée en vers, des contes de Marmontel (disciple de Voltaire), illustrant un précepte ou une anecdote. Le conte voltairien a des rapports avec toutes ces formes de conte sans s'enfermer dans aucune formule. Une quinzaine de textes sont écrits en prose, une quinzaine d'autres, en vers; quelques uns ont presque la dimension d'un roman. Leur composition s'étend presque sur toute la carrière de Voltaire, mais la période la plus féconde va de Zadig (1744) à La Princesse de Babylone (1768).

La création des contes correspond généralement à des moments de difficulté, de trouble pour Voltaire: elle lui apporte réconfort et compensation dans une réalité hostile, bien plus qu'elle ne constitue, un moyen de diffuser agréablement des certitudes philosophiques.

Dans tous les contes, l'homme se heurte à l'absurde. Dans un monde dominé par le hasard, si non par le chaos, la seule solution est de renoncer à s'interroger. Il suffit, pour être heureux -selon Voltaire - d'accepter « le monde comme il va» et de s'occuper à «cultiver son jardin ».

Quelle est donc la condition du bonheur quelle est la garantie de sa possession, ce sont les questions auxquelles Zadig ou la Destinée (1748) essayera de répondre. Le bonheur est fragile, parce que fondé sur l'illusion. Toute irruption du réel entraîne le malheur, telle « lorsque » par lequel, dans le conte s'interrompt la série d'imparfaits désignant tous un bonheur qui promettait d'être parfait: « Ils touchaient au moment fortuné qui allait les unir, lorsque [...] ils virent venir à eux des hommes armés de sabres et de flèches ». Le jeune Zadig apprend qu'il ne faut se fier ni aux femmes (épisodes de Sémire et d'Azora) ni à la Science (épisode de la chienne et du cheval). La retraite elle non plus ne résiste à l'envie (Arimaze veut perdre Zadig uniquement parce qu'on l'appelle l'Heureux). L'épisode des tablettes brisées enlève au héros la dernière illusion: il ne peut disposer du bien le plus précieux, c'est-à-dire sa liberté qu'à la faveur d'un hasard incompréhensible par la raison humaine. L'épisode de l'ermite veut persuader que toute destinée a un sens (de même que les gestes illogiques de l'ermite en avaient un) que la nécessité universelle échappe à l'absurdité, et que l'ensemble de la création se trouve de la sorte justifié.

Finalement, Zadig n'est heureux qu'en se battant pour Astarté (qui, une fois retrouvée, rétablit l'ordre dans la vie incohérente de Zadig, ainsi que dans la narration, dont le déroulement linéaire avait été perturbé par la méditation « dangereuse » du héros), en l'épousant, en régnant, donc uniquement au niveau du « faire ».

Dans sa tentative d'articuler de façon harmonieuse le moi et le monde, il doit s'avouer vaincu. La conclusion de Zadig est plutôt pessimiste: tout se passe dans le monde «comme si» la sagesse devait

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mener au bonheur, «comme si » la liberté humaine parvenait à composer un ordre nécessaire. Mais on sent bien qu'en réalité il ne l'est pas ainsi.

Résumé: La vie de Voltaire se déroule sous le signe capricieux de la grâce ou de la disgrâce

du Pouvoir. L'ouvre dure sous le signe de la diversité et du grandieux. La pensée philosophique de Voltaire est celle du polémiste, du détracteur de préjugés qui

apprécie les nouveautés en matière de politique et de science et satirise le social et le moral dénaturés. Confiant dans les ressources de la nature humaine, il croit à un Dieu "horloger ", abstrait du monde parfait qu 'il a créé.

Créateur d'une méthode historique critique et rationaliste, Voltaire est considéré le père de l'histoire des civilisations. Bien que les contes constituent la partie marginale de son oeuvre, bien qu'ils refusent le choix d'une seule formule de texte, par leur improvisation libre et libératrice ils résistent à toute lecture moderne qui décèle un monde compensatif apposé à l'absurde et à l'illusoire.

CANDIDE (FRAGMENT, CHAPITREXVIII) Le vieillard reçut les deux étrangers sur un sofa matelassé de plumes de colibri, et leur fit

présenter des liqueurs dans des vases de diamants; après quoi il satisfit à leur curiosité en ces termes: « Je suis âgé de cent soixante et deux ans, et j'ai appris de feu mon père, écuyer du roi, les

étonnantes révolutions du Pérou dont il avait été témoin. Le royaume où nous sommes est l'ancienne patrie des Incas, qui en sortirent très imprudemment pour aller subjuguer une partie du monde, et qui furent enfin détruits par les Espagnols. »

« Les princes de leur famille qui restèrent dans leur pays natal furent plus sages; ils ordonnèrent, du consentement de la nation, qu'aucun habitant ne sortirait jamais de notre petit royaume; et c'est ce qui nous a conservé notre innocence et notre félicité. Les Espagnols ont eu une connaissance confuse de ce pays, ils l'ont appelé El Dorado, et un Anglais, nommé le chevalier Raleigh, en même a approché il y a environ cent années; mais, comme sous sommes entourés de rochers inabordables et de précipices, nous avons toujours été jusqu'à présent à l'abri de la rapacité des nations de l'Europe, qui ont une fureur inconcevable pour les cailloux et pour le fange de notre terre, et qui, pour en avoir, nous tueraient tous jusqu'au dernier. »

La conversation fut longue; elle roula sur la forme du gouvernement, sur les moeurs, sur les femmes, sur les spectacles publics, sur les arts. Enfin Candide, qui avait toujours du goût pour la métaphysique, fit demander par Cacambo si dans le pays il y avait une religion.

Le vieillard rougit un peu. « Comment donc, dit-il, en pouvez-vous douter? Est-ce que vous nous prenez pour des ingrats?» Cacambo demanda humblement quelle était la religion d'Eldorado. Le vieillard rougit encore. «Est-ce qu'il peut y avoir deux religions? dit-il; nous avons, je crois, la religion de tout le monde: nous adorons Dieu du soir jusqu'au matin. -N'adorez-vous qu'un seul Dieu? dit Cacambo qui servait toujours d'interprète aux doutes de Candide. -Apparemment, dit le vieillard, qu'il n'y en a ni deux, ni trois, ni quatre. Je vous avoue que les gens de votre monde font des questions bien singulières. » Candide ne se lassait pas de faire interroger ce bon vieillard; il voulut savoir comment on priait Dieu dans l'Eldorado. « Nous ne le prions point, dit le bon et respectable sage; nous n'avons rien à lui demander; il nous a donné tout ce qu'il nous faut; nous le remercions sans cesse. » Candide eut la curiosité de voir des prêtres; il fit demander où ils étaient. Le bon vieillard sourit. «Mes amis, dit-il, nous sommes tout prêtres; le roi et : tous les chefs de famille chantent des cantiques d'actions de grâces solennellement tous les matins; et cinq ou six mille musiciens les accompagnent. -Quoi! vous n'avez point de moines qui enseignent, qui disputent, qui gouvernent, qui cabalent, et qui font brûler les gens qui ne sont point de leur avis? - Il faudrait que nous fussions fous, dit le vieillard; nous sommes tous ici du même avis, et nous n'entendons pas ce que vous voulez dire avec vos moines. » Candide à tous ces discours demeurait en extase, et disait lui-même: « Ceci est bien différent de la Westphalie et du château de monsieur le baron: si notre ami Pangloss avait vu Eldorado, il n'aurait plus dit que le château de Thunder - ten - tronckh était ce qu'il y avait de mieux sur la terre; il est certain qu'il faut voyager. »

Après cette longue conversation, le bon vieillard fit atteler un carrosse à six moutons, et donna douze de ses domestiques aux deux voyageurs pour les conduire à la cour: « Excuse-moi, leur dit-il si

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mon âge me prive de l'honneur de vous accompagner. Le roi vous recevra d'une manière dont vous ne serez pas mécontents, et vous pardonnerez sans doute aux usages du pays s'il y en a quelques-uns qui vous déplaisent. »

Candide et Cacambo montent en carrosse; les six moutons volaient, et en moins de quatre heures on arriva au palais du roi, situé à un bout de la capitale. Le portail était de deux cent vingt pieds de haut et de cent de large; il est impossible d'exprimer quelle en était la matière. On voit assez quelle supériorité prodigieuse elle devait avoir sur ces cailloux et sur ce sable que nous nommons or et pierreries.

Vingt belles filles de la garde reçurent Candide et Cacambo à la descente du carrosse, les conduisirent aux bains, les vêtirent de robes d'un tissu de duvet de colibri; après quoi les grands officiers et les grandes officières de la couronne les menèrent à l'appartement de Sa Majesté, au milieu de deux files chacune de mille musiciens, selon l'usage ordinaire. Quand ils approchèrent de la salle du trône, Cacambo demanda à un grand officier comment il fallait s'y prendre pour saluer Sa Majesté; si on se jetait à genoux sur la derrière; si on léchait la poussière de la salle; en un mot, quelle était la cérémonie. « L'usage, dit le grand officier, est d'embrasser le roi et de le baiser des deux côtés. » Candide et Cacambo sautèrent au cou de Sa Majesté, qui les reçut avec toute la grâce imaginable, et qui les pria poliment à souper. En attendant, on leur fit voir la ville, les édifices publics élevés jusqu'aux nues, les marchés ornés de mille colonnes, les fontaines d'eau pure, les fontaines d'eau rose, celles de liqueurs de canne de sucre, qui coulaient continuellement dans de grandes places, pavées d'une espèce de pierreries qui répandaient une odeur semblable à celle du girofle et de la cannelle. Candide demanda à voir la cour de justice, le parlement; on lui dit qu'il n'yen avait point, et qu'on ne plaidait jamais. Il s'informa s'il y avait des prisons, et on lui dit que non. Ce qui le surprit davantage, et qui lui fit le plus de plaisir, ce fut le palais des sciences, dans lequel il vit une galerie de deux mille pas, toute pleine d'instruments de mathématique et de physique.

Après avoir parcouru, toute l'après-dîner, à peu près la millième partie de la ville on les ramena chez le roi. Candide se mit à table entre Sa/Majesté, son valet

Cacambo et plusieurs dames. Jamais on ne fit meilleure chère, et jamais on n'eut plus d'esprit à souper qu'en eut Sa Majesté. Cacambo expliquait les bons mots du roi à Candide, et, quoique traduits, ils paraissaient toujours des bons mots. De tout ce qui étonnait Candide, ce n'était pas ce qui l'étonna le moins.

Ils passèrent un mois dans cet hospice. Candide ne cessait de dire à Cacambo : « Il est vrai, mon ami, encore une fois, que le château où je suis né ne vaut pas le pays où nous sommes; mais enfin Mlle Cunégonde n'y est pas, et vous avez sans doute quelque maîtresse en ! Europe. Si nous restons ici, nous n'y serons que comme les autres; au lieu que si nous retournons dans notre monde seulement avec douze moutons chargés de cailloux d'Eldorado, nous serons plus riches que tous les rois ensemble, nous n'aurons plus d'inquisiteurs à craindre, et nous pourrons aisément reprendre Mlle Cunégonde. »

Ce discours plut à Cacambo: on aime tant à courir, à se faire valoir chez les siens, à faire parade de ce qu'on a vu dans ses voyages, que les deux heureux résolurent de ne plus l'être et de demander leur congé à Sa Majesté.

« Vous faites une sottise, leur dit le roi; je sais bien que mon pays est peu de chose; mais, quand on est passablement quelque part, il faut y rester; je n'ai pas assurément le droit de retenir des étrangers; c'est une tyrannie qui n'est ni dans nos mœurs, ni dans nos lois: tous les hommes sont libres; partez quand vous voudrez, mais la sortie est bien difficile. Il est impossible de remonter la rivière rapide sur laquelle vous êtes arrivés par miracle, et qui court sous des voûtes de rochers. Les montagnes qui entourent tout mon royaume ont dix mille pieds de hauteur, et sont droites comme des murailles; elles occupent chacune en largeur un espace de plus de dix lieues; on ne peut en descendre que par de précipices. Cependant, puisque vous voulez absolument partir, je vais donner ordre aux intendants des machines d'en faire une qui puisse vous transporter commodément. Quand on vous aura conduits au revers des montagnes, personne ne pourra vous accompagner; car mes sujets ont fait vœu de ne jamais sortir de leur enceinte, et ils sont trop sages pour rompre leur vœu. Demandez-moi d'ailleurs tout ce qu'il vous plaira. -Nous ne demandons à Votre Majesté, dit Cacambo, que quelques moutons chargés de vivres, de cailloux, et de la boue du pays. » Le roi rit. «Je ne conçois pas, dit-il, quel goût vos gens

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d'Europe ont pour notre boue jaune; mais emportez- en tant que vous voudrez, et grand bien vous fasse. »

Il donna l'ordre sur-le-champ à ses ingénieurs de faire une machine pour guinder ces deux hommes extraordinaires hors du royaume. Trois mille bons physiciens y travaillèrent; elle fut prête au bout de quinze jours, et ne coûta pas plus de vingt millions de livres sterling, monnaie du pays. On mit sur la machine Candide et Cacambo ; il y avait deux grands moutons rouges sellés et bridés pour leur servir de monture quand ils auraient franchi les montagnes, vingt moutons de bât chargés de vivres, trente qui portaient des présents de ce que le pays a de plus curieux, et cinquante chargés d'or, de pierreries et de diamants. Le roi embrassa tendrement les deux vagabonds.

(Voltaire - Romans, p. 191 -196). POUR MIEUX COMPRENDRE 1. Quels aspects trouve Candide les plus étonnants dans le royaume de sa Majesté

(architecture, cour du roi, coutumes, géographie de l'espace)? 2. Présentez la religion de ce peuple par rapport à la religion occidentale. 3. Qualifiez l'imagination de Voltaire dans ce conte. 4. En quoi consiste l'utopie de ce pays imaginaire? 5. Quel est le sens du voyage pour Candide? 6. Caractérisez le comportement de Candide par rapport à la magnificence royale. 7. Par quels aspects le conte de Voltaire crée un univers de compensation? 8. Présentez les éléments définitoires de ce roi et son règne. Observez l'antiphrase avec la

royauté occidentale. 9. Précisez la particularité de ce type de conte par rapport aux contes de fées. 10. A la différence des autres écrits de Voltaire, pourquoi le conte garde intacte sa fraîcheur et

résiste à une interprétation multiple? 11. Commentez le choix du mon propre pour le personnage principal. ZADIG LE SOUPER [C'est peut-être dans cet apologue (CHAP. XII) que Voltaire a présenté sous la forme la plus

séduisante l'idée du déisme: satire des querelles religieuses à propos des détails matériels qu'il juge sans importance; idée que les religions sont d'accord sur l'essentiel. « Nous sentons que nous sommes sous le main d'un être invisible; c'est tout, et nous ne pouvons faire un pas au-delà. Il y a une témérité insensée à vouloir deviner ce que c'est que cet être, s'il est étendu ou non, s'il existe dans un lieu ou non, comment il existe, comment il opère » (Dict. Philosophique, Dieu).]

"Sétoc, qui ne pouvait se séparer de cet homme en qui habitait la sagesse, le mena à la grande

foire de Bassora, où devaient se rendre les plus grands négociants de la terre habitable. Ce fut pour Zadig une consolation sensible de voir tant d'hommes de diverses contrées réunis dans la même place. Il lui paraissait que l'univers était une grande famille qui se rassemblait à Bassora. Il se trouva à table, dès le second jour, avec un Egyptien, un Indien Gangaride, un habitant du Cathay, un Grec, un Celte, et plusieurs autres étrangers qui, dans leurs fréquents voyages vers le golfe Arabique, avaient appris assez d'arabe pour se faire entendre. L'Egyptien paraissait fort en colère. « Quel abominable pays que Bassora disait-il; on m'y refuse mille onces d'or sur le meilleur effet du monde. -Comment donc! dit Sétoc ; sur quel effet vous a-t-on refusé cette somme? -Sur le corps de ma tante, répondit l'Egyptien; c'était la plus brave femme d'Egypte. Elle m'accompagnait toujours; elle est morte en chemin; j'en ai fait une des plus belles momies que nous ayons; et je trouverais dans mon pays tout ce que je voudrais en la mettant en gage. Il est bien étrange qu'on ne veuille pas seulement me donner ici mille onces d'or sur un effet si solide. » Tout en se courrouçant, il était près de manger d'une excellente poule bouillie, quand l'Indien, le prenant par la main, s'écria avec douleur: « Ah! qu'allez-vous faire? -Manger de cette poule, dit l'homme à la momie. -Gardez-vous en bien, dit le Gangaride ; il se pourrait faire que l'âme de la défunte fût passée dans le corps de cette poule, et vous ne voudriez pas vous exposer à manger votre tante? Faire cuire des poules, c'est outrager manifestement la nature. -Que voulez-vous dire avec votre

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nature et vos poules? reprit le colérique Egyptien ; nous adorons un bœuf et nous en mangeons bien. -Vous adorez un bœuf! est-il possible? dit celui qui a fait la mer et les poissons. -D'accord, dit le Chaldéen. -L'Indien, ajouta-t-il, et le Cathayen, reconnaissent comme vous un premier principe. Je n'ai pas trop bien compris les choses admirables que le Grec a dites, mais je suis sûr qu'il admet aussi un Etre supérieur, de qui la forme et la matière dépendent. » Le Grec, qu'on admirait, dit que Zadig avait très bien pris sa pensée. « Vous êtes donc tous du même avis, répliqua Zadig, et il n'y a pas là de quoi se quereller. » Tout le monde l'embrassa. Sétoc, après avoir vendu fort cher ses denrées, reconduisit son ami Zadig dans sa tribu. Zadig apprit en arrivant qu'on lui avait fait son procès en son absence, et qu'il allait être brûlé à petit feu."

(Lagarde - Michard, p. 133 -135) POUR MIEUX COMPRENDRE 1. Présentez les éléments spécifiques de la religion pour chaque représentant: l'Eyptien,

l'Indien, l'habitant de Cathay, le Grec, le Celte. 2. Quel est l'élément commun de toutes ces religions? Définissez ensuite le déisme de Zadig. 3. Quelle est la place du pittoresque, de la satire, de la caricature, de l'humour dans l'art du

portrait de ces personnages? 4. Par quoi se caractérise la sagesse de Zadig? 5. Quel est l'attitude de chaque locuteur par rapport à son discours et puis aux discours des

autres? 6. Qu'est-ce qui prouve le "procès" intenté à Zadig par cette assemblée hétéroclite? 7. En quoi consiste la valeur d'exemplification et de popularisation de ce type de conte? 8. Quels traits du conte assurent l'intérêt et le plaisir pour le lecteur d'aujourd'hui? DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE BLÉ [Paru en 1770 dans les Questions sur l'Encyclopédie, l'article Blé résume sous une forme

piquante l'esprit du Dictionnaire Philosophique: lutte contre les erreurs et les superstitions, action prudente mais persévérante de la philosophie en faveur du progrès. La philosophie a pour fonction « d'exterminer la barbarie » : «Vous me répliquez qu'on n'en viendra pas à bout. Non, chez le peuple et chez les imbéciles; mais chez tous les honnêtes gens, votre affaire est faite » (Dictionnaire Philosophique, Philosophie, section /). On verra que, même du côté du peuple, VOLTAIRE n'abandonnait pas totalement la partie.]

"On dit proverbialement: «Manger son blé en herbe; être pris comme dans un blé; crier

famine sur un tas de blé. » Mais de tous les proverbes que cette production de la nature et de nos soins a fournis, il n'en est point qui mérite plus d'attention des législateurs que celui-ci: « Ne nous remets pas au gland quand nous avons du blé. » l'homme du Gange. -Il n'y a rien de si possible, repartit l'autre; il y a cent trente-cinq mille ans que nous en usons ainsi, et personne parmi nous n'y trouve à redire. -Ah ! cent trente-cinq mille ans! dit l'Indien, ce compte est un peu exagéré; il n'y en a que quatre-vingt mille que l'Inde est peuplée, et assurément nous sommes vos anciens; et Brama nous avait défendu de manger des bœufs avant que vous vous fussiez avisés de les mettre sur les autels et à la broche. -Voilà un plaisant animal que votre Brama, pour le comparer à Apis dit l'Egyptien ; qu'a donc fait votre Brama de si beau? » Le bramine répondit: « C'est lui qui a appris aux hommes à lire et à écrire, et à qui toute la terre doit le jeu des échecs. -Vous vous trompez, dit un Chaldéen qui était auprès de lui; c'est le poisson Oannès à qui on doit de si grands bienfaits, et il est juste de ne rendre qu'à lui ses hommages. Tout le monde vous dira que c'était un être divin, qu'il avait la queue dorée, avec une belle tète d'homme, et qu'il sortait de l'eau pour venir prêcher à terre trois heures par jour. Il eut plusieurs enfants qui furent tous rois, comme chacun sait. J'ai son portrait chez moi que je révère comme je le dois. On peut manger du bœuf tant qu'on veut; mais c'est assurément une très grande impiété de faire cuire du poisson; d'ailleurs vous êtes tous deux d'une origine trop peu noble et trop récente pour me rien disputer. La nation égyptienne ne compte que cent trente-cinq mille ans, et les Indiens ne se vantent que de quatre-

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vingt mille, tandis que nous avons des almanachs de quatre mille siècles. Croyez-moi, renoncez à vos folies, et je vous donnerai à chacun un beau portrait d'Oannès. »

L'homme de Cambalu, prenant la parole, dit: « Je respecte fort les Egyptiens, les Chaldéens, les Grecs, les Celtes, Brama, le bœuf Apis, le beau poisson Oannès ; mais peut-être que le Li ou le Tien, comme on voudra l'appeler, vaut bien les bœufs et les poissons. Je ne dirai rien de mon pays; il est aussi grand que la terre d'Egypte, la Chaldée, et les Indes ensemble. Je ne dispute pas d'antiquité, parce qu'il suffit d'être heureux, et que c'est fort peu de chose d'être ancien; mais, s'il fallait parler d'almanachs, je dirais que toute l'Asie prend les nôtres, et que nous en avions de fort bons avant qu'on sût l'arithmétique en Chaldée.

Vous êtes de grands ignorants tous tant que vous êtes! s'écria le Grec: est-ce que vous ne savez pas que le Chaos est le père de tout, et que la forme et la matière ont mis le monde dans l'état où il est? » Ce Grec parla longtemps; mais il fut enfin interrompu par le Celte qui, ayant beaucoup bu pendant qu'on disputait, se crut alors plus savant que tous les autres, et dit en jurant qu'il n'y avait que Teutath et le gui de chêne qui valussent la peine qu'on en parlât; que, pour lui, il avait toujours du gui dans sa poche; que les Scythes, ses ancêtres, étaient les seuls gens de bien qui eussent jamais été au monde; qu'ils avaient, à la vérité, quelquefois mangé des hommes, mais que cela n'empêchait pas qu'on ne dût avoir beaucoup de respect pour sa nation; et qu'enfin, si quelqu'un parlait mal de Teutath, il lui apprendrait à vivre. La querelle s'échauffa pour lors, et Sétoc vit le moment où la table allait être ensanglantée. Zadig, qui avait gardé le silence pendant toute la dispute, se leva enfin: il s'adressa d'abord au Celte, comme au plus furieux; il lui dit qu'il avait raison, et lui demanda du gui; il loua le Grec sur son éloquence, et adoucit tous les esprits échauffés. Il ne dit que très peu de chose à l'homme du Cathay, parce qu'il avait été le plus raisonnable de tous. Ensuite il leur dit: « Mes amis, vous alliez vous quereller pour rien, car vous êtes tous du même avis. » A ce mot, ils se récrièrent tous. « N'est-il pas vrai, dit-il au Celte, que vous n'adorez pas ce gui, mais celui qui a fait le gui et le chêne? -Assurément, répondit le Celte. -Et vous, monsieur l'Egyptien vous révérez apparemment dans un certain bœuf celui qui vous a donné les bœufs? -Oui, dit l'Egyptien. -Le poisson Oannès, continua-t-il, doit céder à

Cela signifie une infinité de bonnes choses, comme par exemple: Ne nous gouverne pas dans le XVIIIe siècle comme on gouvernait du temps d'Albouin, de Gondebald, de Clodevick, nommé en latin Clodovoeus. Ne parle plus des lois de Dagobert, quand nous avons les oeuvres du chancelier d'Aguesseau, les discours de MM. les gens du roi, Montclar, Servan, Castillon, La Chalotais, Dupaty, etc.

Ne nous cite plus les miracles de saint Amable, dont les gants et le chapeau furent portés en l'air pendant tout le voyage qu'il fit à pied du fond de l'Auvergne à Rome. Laisse pourrir tous les livres remplis de pareilles inepties, songe dans quel siècle nous vivons.

Si jamais on assassine à coups de pistolet un maréchal d'Ancre, ne fais point brûler sa femme en qualité de sorcière, sous prétexte que son médecin italien lui a ordonné de prendre du bouillon fait avec un coq blanc, tué au clair de lune, pour la guérison de ses vapeurs.

Distingue toujours les honnêtes gens qui pensent, de la populace qui n'est point faite pour penser. Si l'usage t'oblige à faire une cérémonie ridicule en faveur de cette canaille, et si en chemin tu rencontres quelques gens d'esprit, avertis-les par un signe de tête, par un coup' d'œil, que tu penses comme eux, mais qu'il ne faut pas rire.

Affaiblis peu à peu toutes les superstitions anciennes, et n'en introduis aucune nouvelle. Les lois doivent être pour tout le monde, mais laisse chacun suivre ou rejeter a son gré ce qui

ne peut être fondé que sur un usage indifférent. Si la servante de Bayle meurt entre tes bras, ne lui parle point comme à Bayle, ni à Bayle

comme à sa servante. Si les imbéciles veulent encore du gland, laisse-les en manger; mais trouve bon qu'on leur

présente du pain. En un mot, ce proverbe est excellent en mille occasions." (Lagarde -Michard, p. 175 -176)

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POUR MIEUX COMPRENDRE 1. Chaque paragraphe est construit par extrapolation à partir de la même structure de base,

laquelle? 2. Trouvez vous-même une paraphrase pour ce leitmotive. 3. Définissez l'idée de progrès telle qu'elle apparaît dans cet article de dictionnaire. Comment

est-elle présentée? 4. Quelle devrait être, en effet, la dénomination de cet article de dictionnaire? Pourquoi

Voltaire a-t-il choisi cette substitution? 5. Quel est l'esprit de ces définitions dans un tel dictionnaire? 6. Quel est le mode verbal favori du discours? Précisez sa valeur. 7. En prouvant le goût du paradoxe, du calambour et en contrariant sans cesse le sens

commun, Voltaire mise sur un certain effet chez le lecteur, lequel? 8. Comment trouvez-vous cette "mise en scène" pour l'approfondissement de la notion

définie? 9. Est-ce que le manque de rigueur exclusivement scientifique nuit à cette approche

philosophique? LES LETTRES PHILOSOPHIQUES SUR LE PARLEMENT [La LETTRE VIII Sur le Parlement donne une idée assez juste des Lettres Anglaises. On y

retrouve l'écho des lettres sur les questions religieuses; on découvre là passion de VOLTAIRE pour .la liberté politique et son admiration pour le régime anglais, qu'il idéalise; on pourra enfin saisir sur un exemple précis la critique parfois directe, mais le plus souvent implicite, des moeurs et des institutions françaises. Dans ses Dialogues (A, B, C : 6e Entretien, 1768), VOLTAIRE prêtera à un député anglais une vibrante apologie de la démocratie; néanmoins ses références vont d'ordinaire à la monarchie parlementaire qui garantit la liberté, la justice et la propriété. On sait que l'équilibre du régime anglais séduira aussi Montesquieu.]

[« Les membres du Parlement d'Angleterre aiment à se comparer aux anciens Romains, autant qu'ils peuvent ». C'est à la faveur d'une comparaison entre les deux peuples que, dans ce chapitre où il n'est guère question du Parlement, Voltaire va exposer ses propres idées.]

"Les deux nations me paraissent entièrement différentes, soit en bien, soit en mal. On n'a jamais connu chez les Romains la folie horrible des guerres de religion; cette abomination était réservée à des dévots prêcheurs d'humilité et de patience. Marius et Sylla, Pompée et César, Antoine et Auguste ne se battaient point pour décider si le flamen devait porter sa chemise par-dessus sa robe, ou sa robe par-dessus sa chemise, et si les poulets sacrés devaient manger et boire, ou bien manger seulement, pour qu'on prît les augures. Les Anglais se sont fait pendre autrefois réciproquement à leurs assises, et se sont détruits en bataille rangée pour des questions de pareille espèce ; la secte des épiscopaux et le presbytérianisme ont tourné pour un temps ces têtes mélancoliques. Je m'imagine que pareille sottise ne leur arrivera plus; ils me paraissent devenir sages à leurs dépens, et je ne leur vois nulle envie de s'égorger dorénavant pour des syllogismes. Toutefois, qui peut répondre des hommes?

Voici une différence plus essentielle entre Rome et l'Angleterre, qui met tout l'avantage du côté de la dernière: c'est que le fruit des guerres civiles de Rome a été l'esclavage, et celui des troubles d'Angleterre, la liberté. La nation anglaise est la seule de la terre qui soit parvenue à régler le pouvoir des rois en leur résistant, et qui d'efforts en efforts ait enfin établi ce gouvernement sage où le prince, tout-puissant pour faire du bien, a les mains liées pour faire le mal; où les seigneurs sont grands sans insolence et sans vassaux, et ou le peuple partage le gouvernement sans confusion.

La chambre des pairs et celle des communes sont les arbitres de la nation, le roi est le surarbitre. Cette balance manquait aux Romains: les grands et le peuple étaient toujours en division à Rome, sans qu'il y eût un pouvoir mitoyen qui pût les accorder. Le sénat de Rome, qui avait l'injuste et punissable orgueil de ne vouloir rien partager avec les plébéiens, ne connaissait d'autre secret, pour les éloigner du gouvernement, que de les occuper toujours dans les guerres étrangères. Ils regardaient le peuple comme une bête féroce qu'il fallait lâcher sur leurs voisins de peur qu'elle ne dévorât ses maîtres; ainsi, le plus grand défaut du gouvernement des Romains en fit des conquérants; c'est parce

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qu'ils étaient malheureux chez eux qu'ils devinrent les maîtres du monde, jusqu'à ce qu'enfin leurs divisions les rendirent esclaves.

Le gouvernement d'Angleterre n'est point fait pour un si grand éclat, ni pour une fin si funeste; son but n'est point la brillante folie de faire des conquêtes, mais d'empêcher que ses voisins n'en fassent; ce peuple n'est pas seulement jaloux de sa liberté, il l'est encore de celle des autres. Les Anglais étaient acharnés contre Louis XIV, uniquement parce qu'ils lui croyaient de l'ambition. Ils lui ont fait la guerre de gaieté de cœur, assurément sans aucun intérêt.

Il en a coûté sans doute pour établir la liberté en Angleterre; c'est dans des mers de sang qu'on a noyé l'idole du pouvoir despotique; mais les Anglais ne croient point avoir acheté trop cher leurs lois. Les autres nations n'ont pas eu moins de troubles, n'ont pas versé moins de sang qu'eux; mais ce sang qu'elles ont répandu pour la cause de leur liberté n'a fait que cimenter leur servitude... Les Français pensent que le gouvernement de cette île est plus orageux que la mer qui l'environne, et cela est vrai; mais c'est quand le roi commence la tempête, c'est quand il veut se rendre le maître du vaisseau dont il n'est que le premier pilote.

Les guerres civiles de France ont été plus longues, plus cruelles plus fécondes en crimes que celles d'Angleterre; mais de toutes ces guerres civiles aucune n'a eu une liberté sage pour objet.

Dans les temps détestables de Charles IX et de Henri III il s'agissait seulement de savoir si on serait l'esclave des Guises. Pour la dernière guerre de Paris, elle ne mérite que des sifflets; le cardinal de Retz, avec beaucoup d'esprit et de courage mal employés, rebelle sans aucun sujet, factieux sans dessein, chef de parti sans armée, cabalait pour cabaler, et semblait faire la guerre civile pour son plaisir. Le parlement ne savait ce qu'il voulait, ni ce qu'il ne voulait pas; il levait des troupes par arrêt, il les cassait; il menaçait, il demandait pardon; il mettait à prix la tête du cardinal Mazarin, et ensuite venait le complimenter en cérémonie: nos guerres civiles sous Charles VI avaient été cruelles, celles de la Ligue furent abominables, celle de la Fronde fut ridicule."

[On reproche aux Anglais le Supplice de Charles 1er « jugé, condamné et décapité » : VOLTAIRE lui oppose les meurtres d'excellents rois, comme Henri IV assassinés par des fanatiques.]

(Lagarde -Michard, p. 119-121) POUR MIEUX COMPRENDRE 1. Quels sont les aspects pris en compte dans la comparaison entre les Romains et les

Anglais? 2. Vers quoi porte l'appréciation de Voltaire chez les Anglais? 3. Quels sont les critiques faites aux Romains? 4. Qu'est-ce qu'il reproche aux Français? 5. Quels sont le ton et l'attitude adoptés par Voltaire dans ce discours? 6. Mettez en évidence l'art du portrait chez le cardinal de Retz. 7. En quoi consiste l'apologie de la démocratie? 8. Y a-t-il une certaine idéalisation dans la présentation des Anglais? L'ENCYCLOPEDIE Résumé: La publication de l'Encyclopédie, matérialisation de l'espace mental des Lumières,

connaît plusieurs avatars, mais grâce au dévouement de ses artisans, en principal de Diderot, elle atteint ses buts. Oeuvre d'un auteur pluriel, mais d'un esprit commun, cette immense entreprise informe le public sur les mutations du temps et révolutionne la façon commune de penser.

Plus que tout autre ouvrage de ce genre paru dans la première, moitié du XVIIIe siècle,

l'ENCYCLOPEDIE représente une matérialisation de l'espace mental des Lumières. Son titre entier: LEncyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts & Métiers, par une société de gens de lettres. Mis en ordre et publié par M. Diderot de VAcadémie Royale des Sciences et Belles -Lettres de Prusse; et quant à la partie mathématique, par M. dAlembert de VAcadémie Royale des Sciences de Paris et celle de Prusse et de la Société Royale de Londres, vaut un programme, des plus ambitieux qui soient et il va de pair avec cet engouement du siècle pour la philosophie, les sciences, les

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métiers}d'ailleurs, VEncyclopédie a été une entreprise de longue haleine (17 volumes, in folio de texte et 11 volumes de planches, publiés de 1751 à 1772) et l'histoire de sa publication, qui a eu ses hauts et ses bas est très signifiante de l'impact que cette oeuvre collective a eu sur la conscience de ses contemporains.

C'est un libraire, Le Breton, qui a eu l'idée de donner à la France un dictionnaire moderne, dans un premier temps sous la forme d'une traduction: Cyclopedia or Universal Dictionary of arts and sciences (1728) de l'anglais Chambers. Ce dictionnaire devait avoir des planches et des articles sur les arts mécaniques: c'est à Diderot que Le Breton a confié l'entreprise (1746).

Diderot élargit le projet: au lieu d'être une simple traduction, VEncyclopédie fera le point des connaissances contemporaines, dissipera les préjugés et accordera une place importante aux arts mécaniques. Pour la partie scientifique il s'assure la collaboration de d'Alembert et, en même temps, recrute une équipe de spécialistes des plus compétents. Lui-même s'occupe des travaux les plus divers: il écrit des articles, visite des ateliers pour établir la partie technique, classe les manuscrits, les soumet au censeurs, corrige les épreuves. En 1750 il lance le Prospectus exposant l'objet de l'entreprise et attire deux mille souscripteurs. Le premier juillet 1751 paraît le Premier Volume, précédé du Discours Préliminaire de d'Alembert.

La publication de VEncyclopédie a été deux fois interdite: une première fois en 1752 au moment où le deuxième volume venait de paraître (à cause d'idées exposées par l'abbé de Prades collaborateur de l'Encyclopédie, et considérées comme une déviation par rapport à la religion, car il y aurait prôné la religion naturelle) et une seconde fois en 1759 (l'attentat commis par Robert Damiens sur la personne du roi Louis XV attire une surveillance plus serrée de la librairie).

Pourtant, grâce à la protection de Malesherbes ministre en ce temps là, on voit paraître les tomes de III à VII, de 1753 à 1757, un volume par année. Les encyclopédistes sont de plus en plus nombreux; chez Madame Geoffrin et surtout chez d'Holbach.

En même temps, la campagne contre l'Encyclopédie bat son plein: elle est présente par des pamphlets surtout (Petites lettres sur de grands philosophes - Palissot; Préjugés légitimes contre VEncyclopédie - Chaumeix; les Cacouacs -Moreau) comme l'œuvre d'un parti organisé et hostile au gouvernement.

En 1758, écœuré par ces polémiques, d'Alembert abandonne le projet, entraînant avec lui Duclos et Marmontel. Heureusement pour Diderot, il reste des « fidèles » prêts à tous les dévouements, comme le chevalier de Jaucourt, qui le suivront jusqu'au bout.

Après 1759 (second arrêt) les travaux sont poursuivis presque clandestinement: à côté des volumes de planches, qui devaient être le remboursement des souscripteurs, Diderot fait imprimer les dix volumes de texte qui restent; sa tâche sera facilitée par l'expulsion des Jésuites, principaux adversaires.

Malgré toutes ces mésaventures, la grande oeuvre sera terminée: à la fin de 1765 les Tomes VIII à XVII sont imprimés et distribués clandestinement aux souscripteurs au début de 1766. Les volumes de planches, eux, ont été publiés sans encombre de 1762 à 1772.

Comme on peut le voir, la lutte pour L'Encyclopédie a été longue et nullement facile. Le mérite d'avoir été son principal artisan et son animateur revient à Diderot, qui a donné plus de mille articles touchant à la philosophe et à la politique, à l'économie et aux arts appliqués.

D'Alembert est l'auteur du Discours préliminaire, mais il a rédigé aussi le fameux article sur Genève, et a contrôlé toute la partie scientifique.

Celui qui a remplacé d'Alembert jusqu'à la fin de l'entreprise, le chevalier de Jaucourt, a touché à tous les sujets: physique, littérature, histoire, droit, politique. D'autres spécialistes, plus obscurs, ont contribué à la rédaction de cet ouvrage: Marmontel (littérature), Le Blond (fortification et tactique), Le Roy (astronomie), Blondel (architecture), abbé Yvon (métaphysique et morale).

Malgré son extrême diversité, l'Encyclopédie a une forte unité, provenant de l'esprit commun qui a fondé l'entreprise. Il s'agissait d'abattre les préjugés et de faire triompher la raison. D'ailleurs, l'objectif principal était de mettre à la portée d'un large public, par cet effort de vulgarisation, toutes les branches de la connaissance. L'esprit qui a animé les auteurs est à la fois réaliste & pratique: ils observent la nature humaine comme une donnée, avec désir d'en tirer le meilleur parti. A l'idée

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religieuse de l'humanité déchue, ils opposent la volonté II optimiste d'assurer le bonheur humain par le progrès de la civilisation. Par cette foi, L'Encyclopédie est l'ouvrage le plus représentatif du XVIIIe siècle.

A la différence des dictionnaires, qui l'ont précédée, L'Encyclopédie est l'œuvre d'un auteur sociétaire, pluriel (voir le titre). La raison, on la trouve dans l'article L'Encyclopédie de Diderot: « développer le système universel de la nature et de l'art... ne peut être l'ouvrage d'une seul homme », vu « le court espace de sa vie » et du fait que «l'individu n'a qu'une certaine énergie dans ses facultés tant animales qu'intellectuelles ». Cet auteur sociétaire est aussi, par les académies dont les deux directeurs se réclament l'incarnation dans l'espace mental français -de la fiction de l'étranger (G. Gusdorf).

Cette voix plurielle, étrange et étrangère, proclame partout son opportunité: le milieu du siècle, affirme d'Alembert, est le théâtre « d'une révolution dans l'esprit humaine» comparable à celles qui ont succédé à la prise de Constantinople, aux mouvements réformistes et à la philosophie de Descartes.

Les encyclopédistes se proposent de contribuer à cette révolution « de changer la façon commune de penser », en analysant et en ordonnant en système de l'intellect les habitudes de l'homme de 1750. Concrètement, il s'agit pour eux de réduire toute scène ou tout art à ses éléments (« les principes généraux qu'en sont la base et ses détails les plus essentiels qui en font le corps et la substance »). Autrement dit il s'agit pour eux de rendre transparents les signes des langues naturelles (« aigle », «bas », « collège », «forges », « Genève ») en remplaçant les signifiants par une structure sémantico - logique fortement ordonnée. Les articles sont souvent polémiques et essaient de jeter le discrédit sur les opinions que les rédacteurs considèrent comme erronées, et cela soit directement, soit (le plus souvent) indirectement, par des allusions ou des renvois à des articles exprimant l'opinion contraire1. Souvent, sous une même entrée, plusieurs textes de plusieurs auteurs (Toussaint, d'Alembert, Diderot) expriment des opinions divergentes, le lecteur étant invité à trancher lui -même. Les articles portant sur les arts et les métiers (réalisés par des enquêtes sur place, et, le plus souvent, en collaboration avec un artisan) sont accompagnés généralement de planches successives.

Le grand mérite de l'Encyclopédie est d'avoir fait « prendre conscience à l'opinion publique des mutations du temps» (R. Mauzi). Elle est apparue, aux yeux des défenseurs de l'orthodoxie sociale et religieuse, comme la pièce maîtresse d'une conspiration contre l'ordre traditionnel, (voir aussi: J.P. Sartre. Qu'est-ce ce que la littérature - p. 249- sur: Le philosophe des Lumières).

CHRISTIANISME [Dans l'article Athéisme, type même du développement de nature à satisfaire les censeurs

ecclésiastique, l'abbé Yvon avait justifié la répression de l'athéisme et même de l'impiété. L'article Christianisme de Diderot, encore orthodoxe en apparence, se révélera plus hardi. Le christianisme s'y voit honoré des qualités qu'il devrait avoir et que lui contestent, en fait, les philosophes: contre les autres religions l'auteur élève des critiques dont il n'absout le christianisme que par une tardive clause de style. Partout affleure le scepticisme des Encyclopédistes dont on trouvera confirmation dans les notes: on saisira ainsi sur le vif l'esprit et la méthode insinuante de l'Encyclopédie.]

"Le christianisme, je le sais, a eu ses guerres de religion, et les flammes ont été souvent

funestes aux sociétés: cela prouve qu'il n'y a rien de si bon dont la malignité humaine ne puisse abuser. Le fanatisme est une peste qui reproduit de temps en temps des germes capables d'infecter la terre; mais c'est le vice des particuliers et non du christianisme, qui par sa nature est également éloigné des fureurs outrées du fanatisme et des craintes imbéciles de la superstition. La religion rend le païen superstitieux et le mahométan fanatique: leurs cultes les conduisent là naturellement (voyez Paganisme, voyez Mahométisme), mais lorsque le chrétien s'abandonne à l'un ou l'autre de ces deux excès, dès lors il agit contre ce que lui prescrit sa religion. En ne croyant rien que ce qui lui est proposé par l'autorité la plus respectable qui soit sur la terre, je veux dire l'Eglise catholique, il n'a point à craindre que la superstition vienne remplir son esprit de préjugés et d'erreurs. Elle est le partage des esprits faibles et imbéciles, et non de cette société d'hommes qui, perpétuée depuis Jésus -Christ jusqu'à nous, a transmis dans tous les âges la révélation dont elle est la fidèle dépositaire. En se conformant aux maximes d'une religion toute

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sainte et tout ennemie de la cruauté, d'une religion qui s'est accrue par le sang de ses martyrs, d'une religion enfin qui n'affecte sur les esprits et sur les coeurs d'autre triomphe que celui de la vérité qu'elle est bien éloignée de faire recevoir

Exemple : « carême », « corruption », etc. par des supplices, il ne sera ni fanatique ni enthousiaste il ne portera point dans sa patrie le fer

et la flamme, et il ne prendra point le couteau sur l'autel pour faire des victimes de ceux qui refuseront de penser comme lui.

Vous me direz peut-être que le meilleur remède contre le fanatisme et la superstition serait de s'en tenir à une religion, qui, prescrivant au cœur une morale pure, ne commanderait point à l'esprit une créance aveugle des dogmes qu'il ne comprend pas; les voiles mystérieux qui les enveloppent ne sont propres, dites-vous, qu'à faire des fanatiques et des enthousiastes. Mais raisonner aux hommes, c'est la seul frein qui les puisse arrêter. La plupart des hommes que la seule raison guiderait, feraient des efforts impuissants pour se convaincre des dogmes dont la créance est absolument essentielle à la conservation des Etats... La voie des raisonnements n'est pas faite pour le peuple. Qu'ont gagné les philosophes avec leurs discours pompeux, avec leur style sublime, avec leurs raisonnements si artificiellement arrangés? Tant qu'ils n'ont montré que l'homme dans leurs discours sans y faire intervenir la divinité, ils ont toujours trouvé l'esprit du peuple fermé à tous les enseignements. Ce n'est pas ainsi qu'en agissaient les législateurs, les fondateurs d'Etats, les instituteurs de religion: pour entraîner les esprits et les plier à leur desseins politiques, ils mettaient entre eux et le peuple le dieu qui leur avait parlé; ils avaient eu des visions nocturnes ou des avertissements divins; le ton impérieux des oracles se faisait sentir dans le discours vif et impétueux qu'ils prononçaient dans la chaleur de l'enthousiasme. C'est en revêtant cet extérieur imposant, c'est en tombant dans ces convulsions surprenantes, regardées par le peuple comme l'effet d'un pouvoir surnaturel, c'est en lui présentant l'appas d'un songe ridicule que l'imposteur de la Mecque osa tenter la foi des crédules humains, et qu'il éblouit les esprits qu'il avait su charmer, en excitant leur admiration et captivant leur confiance. Les esprits fascinés par le charme vainqueur de son éloquence ne virent plus dans ce hardi et sublime imposteur qu'un prophète qui agissait, parlait, punissait et pardonnait en Dieu. A Dieu ne plaise que je confonde les révélations dont se glorifie à si juste titre le christianisme avec celles que vantent avec ostentation les autres religions; je veux seulement insinuer par là qu'on ne réussit à échauffer les esprits qu'en faisant parler le dieu dont on se dit l'envoyé, soit qu'il ait véritablement parlé, comme dans le christianisme et le judaïsme, soit que l'imposture le fasse parler, comme dans le paganisme et le mahométisme. Or il ne parle point par la voix du philosophe déiste: une religion ne peut donc être utile qu'à titre de religion révélée. Voyez Déisme et Révélation. "

POUR MIEUX COMPRENDRE 1. Commentez cette première définition indirecte du Christianisme: "il n'y a rien de si bon

dont la malignité humaine ne puisse abuser." 2. Précisez les rapports raison-fanatisme-superstition, religion-Etat. 3. Décelez les traits du portrait fait par Diderot au chrétien. 4. Pourquoi le discours des philosophes n'a pas de succès chez le peuple? 5. Quel est l'élément fort de la persuasion dans le discours religieux? 6. Quelle est la voix du philosophe déiste? 7. Soulignez la technique de cet exposé (ton, syllogismes, attitude, rhétorique, figures de

style). 8. Les aspects choisis et la manière de les présenter témoignent duquel point de vue? PHILOSOPHE [Ce portrait du philosophe par Diderot est, en réponse à la satire contemporaine, une

excellente définition de l'esprit qui anime les Encyclopédistes: le philosophe est un savant plein de raison, un honnête homme plein d'humanité pour qui la société est « une divinité sur la terre ». La partie la plus originale de cette apologie est celle qui concerne la vertu: pour Diderot il y a naturellement au

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fond de l'homme éclairé un élan spontané vers le bien qui peut se développer sous l'action du milieu social. Cette interprétation optimiste de la nature humaine explique la foi de Diderot dans le progrès de la civilisation.]

"La raison est à l'égard du philosophe ce que la grâce est à l'égard du chrétien. La grâce détermine le chrétien à agir; la raison détermine le philosophe.

Le philosophe forme ses principes sur une infinité d'observations particulières. Le peuple adopte le principe sans penser aux observations qui l'ont produit: il croit que la maxime existe, pour ainsi dire, par elle - même; mais le philosophe prend la maxime dès sa source; il en examine l'origine; il e connaît la propre valeur, et n'en fait que l'usage qui lui convient.

De cette connaissance que les principes ne naissent des observations particulières, le philosophe en conçoit de l'estime pour la science des faits; il aime s'instruire des détails et de tout ce qui ne se devine point; ainsi, il regarde comme une maxime très opposée au progrès des lumières de l'esprit que de se borner à la seule méditation et de croire que l'homme ne tire la vérité que de son propre fonds... La vérité n'est pas pour le philosophe une maîtresse qui corrompe son imagination, et qu'il croie trouver partout; il se contente de la pouvoir démêler où il peut l'apercevoir. Il ne la confond point avec la vraisemblance; il prend pour vrai ce qui est vrai, pour faux ce qui est faux, pour douteux ce qui est douteux, et pour vraisemblable ce qui est vraisemblable. Il fait plus, et c'est ici une grande perfection du philosophe, c'est que lorsqu'il n'a point de motif pour juger, il sait demeurer indéterminé...

L'esprit philosophique est donc un esprit d'observation et de justesse, qui rapporte tout à ses véritables principes; mais ce n'est pas l'esprit seul que le philosophe cultive, il porte plus loin son attention et ses soins. L'homme n'est point un monstre qui ne doive vivre que dans les abîmes de la mer ou au fond d'une forêt; les seules nécessités de la vie lui rendent le commerce des autres nécessaire; et dans quelque état où il puisse se trouver, ses besoins et le bien - être l'engagent à vivre en société. Ainsi, la raison exige de lui qu'il étudie, et qu'il travaille à acquérir les qualité sociables.

Notre philosophe ne se croit pas en exil dans ce monde, il ne croit point être en pays ennemi; il veut jouir en sage économe des biens que la nature lui offre; il veut trouver du plaisir avec les autres; et pour en trouver il en faut faire: ainsi il cherche à convenir à ceux avec qui le c hasard ou son choix le font vivre; et il trouve en même temps ce qui lui convient: c'est un honnête homme qui veut plaire et se rendre utile. La plupart des grands, à qui les dissipations ne laissent pas assez de temps pour méditer, sont féroces envers ceux qu'ils ne croient pas leur égaux. Les philosophes ordinaires qui méditent trop, ou plutôt qui méditent mal, le sont envers tout le monde; ils fuient les hommes, et les hommes les évitent: mais notre philosophe qui sait se partager entre la retraite et le commerce des hommes est plein d'humanité. C'est le Chrêmes de Térence qui sent qu'il est un homme, et que la seule humanité intéresse à la mauvaise ou à la bonne fortune de son voisin. Homo su m, humani nil a me alienum puto.

Il serait inutile de remarquer ici combien le philosophe est jaloux de tout ce qui s'appelle honneur et probité. La société civile est, pour ainsi dire, une divinité pour lui sur la terre; il l'encense, il l'honore par la probité, par une attention exacte à ses devoirs, et par un désir sincère de n'en être pas un membre inutile ou embarrassant. Les sentiments de probité entrent autant dans la constitution mécanique du philosophe que les lumières de l'esprit. Plus vous trouverez de raison dans un homme, plus vous trouverez en lui de probité. Au contraire, où règne le fanatisme et la superstition, régnent les passions et l'emportement. Le tempérament du philosophe, c'est d'agir par esprit d'ordre ou par raison; comme il aime extrêmement la société, il lui importe bien plus qu'au reste des hommes de disposer tous ses ressorts à ne produire que des effets conformes à l'idée d'honnête homme... Cet amour de la société si essentiel au philosophe fait voir combien est véritable la remarque de l'empereur Antonin: « Que les peuples seront heureux quand les rois seront philosophes, ou quand les philosophes seront rois! »... Le vrai philosophe est donc un honnête homme qui agit en tout par raison, et qui joint à un esprit de réflexion et de justesse, les mœurs et les qualités sociables. Entez un souverain sur un philosophe d'une telle trempe, et vous aurez un parfait souverain.

POUR MIEUX COMPRENDRE 1. Quels sont les principes fondamentaux (le côté intellectuel) du philosophe chez Diderot? 2. Présentez les traits défmitoires du côté social et moral du philosophe chez Diderot.

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3. Soulignez le rapport philosophie-vérité. Quel est le paradoxe de la perfection du philosophe?

4. Repérez les associations entre la religion et la philosophie. Commentez-les. 5. Identifiez les éléments d'apologie de ce discours. 6. Quelles sont les principales nécessités de l'homme, en général, chez Diderot? 7. Quelle est la contribution du philosophe au progrès de l'humanité? Précisez le spécifique

du philosophe des Lumières? 8. En quelle mesure l'exigence de la raison justifie chez Diderot une interprétation optimiste

de la nature humaine? IDÉES RELIGIEUSES [L'Encyclopédie était accusée « d'élever les fondements de l'irréligion et de l'incrédulité »

(arrêt de 1752). Cependant, pour déjouer la censure, on se gardait de prendre position trop ouvertement. Les abbés Mallet et Yvon respectent l'orthodoxie tout en revendiquant la liberté de penser. Mais Diderot et ses amis glissaient bien des hardiesses dans des articles où ils proclamaient leur soumission à l'Eglise. A l'autorité de la foi et de la révélation, ils opposent les droits de la raison (Raison): ils rejettent les faits insuffisamment prouvés (Imposture), doutent des miracles (Oracle), étudient les textes sacrés «en littérateurs, en philosophes même, et en historiens de l'esprit humain»

(langue hébraïque). Ils sont plus virulents contre la dévotion extérieure, les ordres religieux, les ambitions des papes (Papes). Au catholicisme, ils reprochent d'être intolérant et fanatique. (Christianisme, Hérétiques, Réfugiés). Plus indulgents envers les protestants (Genève), ils n'en jugent pas moins sévèrement Luther et Calvin.

En réalité, les Encyclopédistes sont déistes et certains penchent vers l'athéisme. Ils professent la philosophie naturaliste: Diderot croit comme Rousseau à la bonté nature/le de l'homme (Homme) et justifie les passions comme étant les mouvements légitimes de l'âme (Passion). Selon les Encyclopédistes, la moralité consiste à prendre conscience des données de notre nature pour fonder le bonheur individuel et social sur les besoins humains et sur la raison: il n'est plus question de préparer la vie future par la mortification et la pénitence.

(hagarde -MichardXVIIIe siècle p. 238 -242) TEST D'ÉVALUATION 1. A qui appartient le projet initial et qui l'enrichit? 2. Quels sont les arrêts de la publications? Qui sont les responsables? 3. Qui sont les principaux artisans? 4. Quel est l'esprit de l'Encyclopédie? 5. Mentionnez les principales controverses liées à l'Encyclopédie. 6. Présentez la structure de l'Encyclopédie. 7. Soulignez l'importance historique.

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BIBLIOGRAPHIE

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LE SIECLE DES LUMIERES Valeurs et idéologie des Lumières Contexte historique Les limites littéraires du XVIIIe siècle - Le Siècle des Lumières – peuvent être situées entre

le début du siècle (1701), mais plutôt la fin du règne de Louis XIV (1715) et la Révolution française (1789) ou la prise de pouvoir de Bonaparte (1799). On peut distinguer :

- la Régence 1715-1723, marquée par une vague libération des mœurs - le règne de Louis XV 1723-1774 - le règne de Louis XVI 1774-1792 (le roi est exécuté en 1793). C’est la fin d’une époque – l’Ancien Régime. La monarchie perd son rôle progressif et elle est remplacée par la consolidation et

l’épanouissement de la bourgeoisie. Les positions sont bien délimitées entre la monarchie, les féodaux laïcs (la noblesse), les féodaux ecclésiastiques (le clergé) et le Tiers-État qui regroupe autour de la bourgeoisie les forces vives de la nation (artisans, paysans).

La lutte de classe met en cause les anciennes structures sociales (l’Ancien Régime) et elle est définie par une dialectique des oppositions : noblesse/bourgeoisie, exploiteurs/exploités, patrons/salariés, possédants/non possédants, maître/esclave, riche/pauvre, titre/mérites.

La bourgeoisie est une classe progressiste qui se situe à l’avant-garde des problèmes politiques et idéologiques de l’époque. La bourgeoisie triomphe de la Révolution de 1789 et elle remplace l’exploitation féodale par sa propre exploitation.

L’esprit bourgeois est un esprit d’opposition, anticlérical, antimonarchique, matérialiste, athée ; il institue un régime constitutionnel et exalte les vertus républicaines des citoyens.

Les Lumières ouvrent la voie à l’esprit moderne par la multiplicité des projets des philosophes et par les idées politiques et sociales. Les mots clefs sont abus, critique, idées nouvelles, passion de la vérité, foi dans la raison.

Définition L’esprit des Lumières correspond à une croyance en un monde rationnel, ordonné,

compréhensible ; il exige de l’homme l’établissement d’une connaissance rationnelle et organisée. La philosophie des Lumières désigne le mouvement intellectuel développé autour des idées

pré démocratiques du XVIII siècle. Elle établit une éthique, une esthétique et un savoir fondé sur la « raison éclairée » de l’homme.

Le terme « lumières » suggère le passage de la nuit au jour, de l’obscurantisme à la connaissance rationnelle. La métaphore « l’esprit des lumières » désigne une philosophie, une vision du monde, un système de concepts qui propose des concepts et des idéaux comme : la raison, la tolérance, le progrès, la liberté, le bonheur ; cette vision manifeste un refus contre les préjugés, les superstitions, l’arbitraire, le fanatisme et l’obscurantisme.

Les principales figures de cette élite courageuse d’intellectuels sont les philosophes et les encyclopédistes. Ils se remarquent par une haute considération pour le genre humain et par la foi dans la marche vers le progrès. Ce type de progrès se propose de transformer les siècles d’irrationalité, de superstition et de tyrannie ; il s’attache aux valeurs de la bourgeoisie montante : mérite, travail, libre entreprise.

L’ensemble du mouvement correspond de point de vue historique à la révolution française et américaine, à la montée du capitalisme ; de point de vue artistique, il correspond à la période du néo-classicisme.

Valeurs des Lumières La période des Lumières affirme et soutient avec acharnement idéologique des valeurs

propres : le rationalisme philosophique/critique, l’exaltation des sciences, la critique de l’ordre et de la hiérarchie religieuse, la critique de la noblesse et de la monarchie absolue.

L’homme des Lumières défend comme valeurs essentielles : la tolérance, la liberté, la raison,

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l’humanité, la séparation des pouvoirs, l’égalité (par opposition à l’obscurantisme). Raison – religion - morale L’image des lumières doit encore beaucoup à l’imaginaire religieux où la vérité révélée est

lumière ; la vérité scientifique du XVIII siècle est désormais une vérité avant tout humaine, elle est le résultat d’un travail et d’un combat collectif.

Le XVIII siècle construit une morale de la nature et du bonheur. C’est une morale qui refuse le dogme du péché originel, la misère de l’homme déchu et propose une morale fondée sur la vertu de l’utilité sociale, une morale indépendante de la croyance et de la pratique religieuse, une morale de la civilisation qui par son activité et son raffinement aspire à un bonheur légitime et à un modèle de comportement laïc.

La découverte de la relativité des mœurs, l’amélioration globale des conditions de vie au cours du siècle font apparaître la philosophie sensualiste de Locke et de Condillac. La doctrine sensualiste considère l’expérience des sens comme la source de la connaissance, elle permet une nouvelle valorisation du plaisir.

La plupart des penseurs des Lumières ne renoncent pas complètement à la religion ; ils adoptent une forme de déisme, ils acceptent l’existence de Dieu et d’un au-delà, mais ils rejettent la théologie chrétienne.

L’anticléricalisme se manifeste dans la mesure où l’Eglise apparaît comme une forme de résistance au progrès, comme un pouvoir politique qui entrave le libre exercice de la raison et la volonté de lutter pour les droits de l’homme.

L’évolution de la morale remplace l’idée de salut par celle de bonheur terrestre, de l’homme heureux maintenant e non après la mort. Ce bonheur immédiat n’est plus en opposition avec la vie du corps, il est associé avec les notions de libertinage, de volupté, de sensualité.

La philosophie religieuse connaît deux aspects : d’une part elle se concentre sur la pitié, la toute-puissance et le mystère de la nature ultime de Dieu ; de l’autre, le déisme, la croyance en un monde intelligible ordonné par la divinité, compréhensible pour l’homme par la raison.

L’image de Dieu est celle du « Grand Horloger » qui ordonne parfaitement tout ; ce modèle est repris par la science dans des machines de plus en plus précises et sophistiquées.

La loi Le processus intellectuel global impose le concept d’individualité. Le sujet pensant touche sa

plénitude et peut tout décider par son raisonnement propre ; il n’est plus assujetti au fondements de la tradition ni ou joug des us et coutumes.

L’économie et la philosophie politique des Lumières sont fondées sur l’idée de lois naturelles et de droits naturels.

La loi est conçue comme une relation réciproque entre les hommes où la liberté individuelle est considérée comme réalité imprescriptible. Si les lois gouvernent aussi bien les Cieux que les affaires humaines, la loi est celle qui donne au Prince son pouvoir et non pas à l’inverse.

Les Lumières introduisent dans la philosophie politique les concepts de Liberté, Propriété et Rationalité ; l’idée et le désir d’être un individu libre, dont la liberté est garantie par l’Etat et assurée par la stabilité des lois.

Le Philosophe des Lumières. L’idéologie du XVIII ème siècle Typologie Il y a une diversité de philosophes pendant Lumières : déistes et athées, idéalistes et

matérialistes, partisans de l’absolutisme éclairé ou défenseurs du Parlement, défenseurs des principes de la souveraineté des peuples.

Mais il existe un trait essentiel commun pour tous. Le philosophe des Lumières met en théorie et en pratique sa manière de pensée et il s’exprime à travers plusieurs formes de manifestations : il fait une recherche intellectuelle, il adopte un comportement social, il exerce une activité d’écriture.

« L'univers m'embarrasse, et je ne puis songer

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Que cette horloge existe et n'ait point d'horloger.» (le déisme chez Voltaire) Le philosophe – un homme de raison Le nom de philosophe (au sens donné par les Lumières) apparaît à la fin du règne de Louis

XIV et désigne les esprits libres qui contestent le régime et les formes de pensée arbitraires qui le soutiennent.

Le philosophe est un homme de raison, la raison est pour lui la valeur suprême. La raison des Lumières est différente de la raison classique sur laquelle est fondée l’esthétique classique.

Il voue un véritable culte à la raison en tant que faculté d’examen et de logique. Ainsi la raison permet à l’esprit humain d’établir des rapports entre les choses, de saisir la liaison des principes et des conséquences, des causes et des effets et de comprendre l’univers.

« Le philosophe est une machine humaine comme un autre homme ; mais c’est une machine qui par sa constitution mécanique réfléchit sur ses mouvements. Les autres hommes sont déterminés à agir sans sentir ni connaître les causes qui les font mouvoir, sans même juger qu’il y en ait. Le philosophe au contraire démêle les causes autant qu’il est en lui, et souvent même les prévient et se livre à elles avec connaissance : c’est une horloge qui se monte pour ainsi dire quelquefois elle-même. »

Le philosophe, traité anonyme, 1743 Diderot la considère « le vrai juge compétent », la faculté critique qui permet de distinguer le

vrai du faux, le bien du mal. La raison des Lumières remplace la révélation divine et la foi. Voltaire propose une définition

de la foi par rapport à la raison : « la foi consiste à croire ce que la raison ne croit pas ». Au XVIII siècle, « raison » est considérée antonyme de « religion », « superstition » et « préjugé ».

A partir de cette opposition les adversaires des philosophes sont appelés dévots. Le philosophe fait l’apologie de la raison, il célèbre les acquis et le pouvoir de la raison par

laquelle l’homme affirme son autonomie et ses compétences ; il refuse toute tutelle et toute autorité absolue et indiscutable.

Il faut faire une précision. Voltaire et Locke attirent l’attention que la valorisation et l’exaltation de la raison doivent être soumises à des limites et des normes ; la raison humaine doit se limiter aux données de l’expérience, à la connaissance des faits physiques, l’exercice de la raison doit se circonscrire aux objets qui lui sont propres. Elle n’a pas d’accès aux questions de métaphysique sur la nature de l’âme et les attributs de Dieu créateur qui sont inaccessible à la connaissance.

Même s’ils sont conscients des limites de la raison, ils la considèrent responsable des progrès de la civilisation par l’intermédiaire des sciences et des arts et manifestent tous un enthousiasme général. Même Rousseau, qui accuse la raison d’être à la fois cause de progrès et de corruption des moeurs.

« C’est un grand et beau spectacle de voir l’homme sorti en quelque manière du néant par ses propres efforts dissiper, les lumières de sa raison, les ténèbres dans lesquelles la nature l’avait enveloppé ; s’élever au-dessus de soi-même ; s’élancer par l’esprit jusque dans les régions célestes ; parcourir à pas de géant ainsi que le Soleil la vaste étendue de l’Univers ; et, ce qui est plus grand et plus difficile, rentrer en soi pour y étudier l’homme et connaître sa nature, ses devoirs et sa fin. »

Jean-Jacques Rousseau – Discours sur les sciences et les arts, 1750 La philosophe cesse d’être considérée comme la servante de la théologie, elle devient un

moyen de connaître et de transformer le réel. Elle passe de la contemplation passive à l’action militante. Le philosophe – savant – un homme d’expérience L’esprit scientifique se manifeste par la foi inébranlable dans le pouvoir de la raison humaine.

Grâce à cet usage judicieux de la raison, les gens de science croient dans un progrès perpétuel dans le domaine de la connaissance, des réalisations techniques et des valeurs morales.

Le XVIII siècle se distingue par l’essor de la pensée scientifique. La philosophie emprunte à la science ses modèles, ses objets et ses méthodes. Le philosophe a comme modèle les sciences. Ainsi, les philosophes et les savants se confondent par leurs méthodes de travail.

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Le livre scientifique connaît un succès énorme au XVIII siècle : il est un instrument de la connaissance et du progrès par la méthode de l’observation des faits et la méthode de la vérification par la mesure et l’expérience. La raison s’exerce sur une matière, fournie par l’observation et l’expérience.

Donc, la démarche du savant est la suivante : partir des faits, des phénomènes observés pour en déduire des principes.

Le savant s’applique avec rigueur à la méthode des faits contrôlés, à la recherche des causes premières. Il considère que la connaissance, loin d’être innée, procède uniquement de l’expérience et de l’observation, guidées par la raison.

La recherche de la vérité se poursuit par l’observation de la nature plutôt que par l’étude des sources autorisées telles que Aristote ou la Bible.

Le savoir tend à devenir une autorité morale ; la structure du savoir est considérée une synthèse de la connaissance, éclairée par la raison humaine. Le savoir se veut un moyen de libération de l’homme.

L’éducation joue un rôle très important ; elle se propose de rendre les hommes meilleurs et même d’améliorer la nature humaine.

Quelques exemples : -Nous avons l’exemple de Buffon, auteur d’une Histoire naturelle : « on doit commencer par

voir beaucoup et revoir souvent ». -L’exemple de Voltaire, auteur des Lettres philosophiques : exilé en Angleterre, il fait une

véritable exploration du terrain, il rapporte d’abord une expérience, ensuite il fait sa théorie des idées innées et il fait l’éloge de John Locke (1632-1704) et de l’empirisme (« toutes nos idées nous viennent des sens »).

« Tant de raisonneurs ayant fait le roman de l’âme, un sage est venu, qui en a fait modestement l’histoire. Locke a développé à l’homme la raison humaine, comme un excellent anatomiste explique les ressorts du corps humain. Il s’aide partout du flambeau de la physique. » Voltaire, Lettres philosophiques, 1734

-L’exemple de Diderot, le philosophe qui s’est intéressé le plus au sciences exactes ; il a suivi des cours des chirurgie, il a traduit de l’anglais un dictionnaire de médecine.

Les savants occupent une place éminente ; ils remplacent les héros, les militaires; ainsi se développe le culte laïc des grands hommes.

Galilée, Descartes, Newton sont salués comme les initiateurs de la vaste quête de la vérité. Le philosophe - savant fait une histoire des « sottises » humaines, des croyances erronées, des

superstitions, des préjugés qu’il critique sans cesse comme survivance d’un passé qui a oppressé l’esprit.

Il révèle une connaissance nouvelle dans un avenir qui est le résultat du travail et de l’intelligence. Voltaire impose la notion de progrès historique (Voltaire, Lettres philosophiques, 1734) ayant comme support le développement du commerce qui permet le développement de la liberté politique.

Le philosophe – homme sociable - un honnête homme Le philosophe a une fonction sociale, il exerce sa raison dans tous les domaines pour guider

les consciences, prôner une échelle de valeurs et militer dans les problèmes de l’actualité. Le Philosophe est un intellectuel engagé qui intervient dans la société, un « honnête homme qui agit en tout par raison » (Encyclopédie), « qui s’occupe à démasquer des erreurs » (Diderot), « celui dont le profession est de cultiver sa raison pour ajouter à celle des autres », un défenseur des droits de l’humanité, opposé au despotisme.

Le philosophe est un être passionné par la vie sociale ; il ose ne pas penser comme les autres ; son esprit critique est un esprit rationaliste qui s’attaque aux traditions dépassées, aux superstitions, au conformisme. Il dénonce les injustices, s’engage, prend le risque de voir ses œuvres censurées, d’être lui-même exilé. Il lutte pour le progrès. Sa vocation est d’éclairer le monde par la lumière de la raison. Homme d’action, il est à la fois penseur et écrivain. La littérature est son arme.

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Le philosophe s’appui sur l’expérience de la vie. A l’exception de Rousseau (auquel les confrères lui reprochent la solitude), le philosophe des Lumières n’est pas un ermite, il accepte les sensations et les émotions, il ne fuit pas le monde et ses agréments. Il est l’héritier de l’honnête homme du Grand Siècle.

Il considère que la sociabilité est inscrite dans la nature humaine. Il pense que l’homme est porté au plaisir plus qu’à la douleur, qu’il doit satisfaire cette inclination et entretenir des liens avec ses semblables.

« Ce serait en vain que nous nous glorifierons de posséder cette raison si nous ne la faisons servir à nous rendre heureux, et à nous procurer cette tranquillité d’âme et ce repos intérieur qui constitue la félicité pure et sans trouble que nous promet la véritable philosophie ; elle n’est pas capable d’augmenter nos plaisirs, mais seulement de régler nos désirs et nos craintes et de détruire les vaines terreurs dont notre imagination se remplit : son objet est de nous ramener à vivre selon la nature et de nous délivrer de l’empire de l’opinion. »

Lettre de Thrasibule à Leucippe, Fréret (1688-1749) – Voltaire, Evangile de la raison Les philosophes, Voltaire en tête, soutiennent cette nécessité du commerce des autres et pour

la cultiver ils défendent tous les arts, les beaux-arts ou arts appliqués. Ils considèrent que les arts sont producteurs de bien-être parce qu’ « ils adoucissent les esprits en les éclairants ».

L’allié du philosophe st le bourgeois, souvent un entrepreneur dont il valorise les activités commerciales et industrielles.

Le philosophe et le marchand ont un trait essentiel commun : ils sont utiles à la société. Le philosophe – homme politique – un homme d’action Le philosophe est le premier « intellectuel engagé » de la littérature française. Il ne se contente

pas d’écrire, mais il participe aussi à la vie sociale et politique du pays. Il est un vrai militant. Pour lui, agir est une vraie raison de vivre.

« L’homme est né pour l’action, comme le feu tend en haut et la pierre en bas. N’être point occuper et n’exister pas est la même chose pour l’homme. (…) Nous avons tant d’obligation à l’auteur de la nature, qu’il a attaché l’ennui à l’inaction, afin de nous forcer par là à être utiles au prochain et à nous-mêmes. » Voltaire, Lettres philosophiques, 1734

L’action passe d’abord par la vulgarisation et la diffusion des savoirs : « Nous sommes ce petit nombre de têtes qui, placées sur le cou du grand animal, traînent après elles la multitude aveugle de ses queues. »

Les philosophes savent que leur influence ne peut être efficace que si elle s’exerce sur le pouvoir. Chacun à sa manière intervient dans le champ politique : malgré leurs différences et divergences, ils constituent un véritable « parti politique » qui met en péril le pouvoir et les partis religieux (les jésuites et les jansénistes).

Leur combat attire la censure, la persécution, la prison, l’exil (Voltaire, Diderot, Rousseau). Dans une certaine mesure, la persécution leur sert de publicité et contribue à répandre leurs

idées. Certains gouvernants sont séduits par l’image du souverain éclairé : Voltaire entretient avec Frédéric II de Prusse une grosse correspondance (environ 850 lettre), Diderot devient le conseille de Catherine II de Russie ; ni l’un ni l’autre n’ont réussi à convertir ces despotes.

Les Lumières ne sont pas le fruit d’un travail méditatif, mais le fruit d’une présence active au monde ; offre une promesse certaine pour l’avenir et le progrès humains.

Le philosophe, homme politique et écrivain (un modèle nouveau de comportement) intervient dans la vie politique et sociale de la cité. Il est au service du progrès humain, son devoir impératif est de servir la société, de devenir le guide et le conseiller des peuples et des princes.

Tandis que les philosophes des Lumières sont considérés des écrivains qui mettent leur plume au service d’un contre-pouvoir, les orateurs de la Révolution sont considérés des hommes politiques, des hommes d’Etat dont le discours présente une véritable valeur littéraire. Les orateurs de la Révolutions (vers la fin de l’époque des Lumières) sont : Danton (1759-1794), Robespierre (1758-1794) et Mirabeau (1749-1791).

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Le philosophe – écrivain, homme de lettres Les écrivains du XVIII siècle sont des hommes engagés par leurs écrits, mais aussi par leurs

actions, dans la vie sociale et politique de leur pays. Ils sont les prédécesseurs des intellectuels du XVIII siècle. Les écrivains sont des « intellectuels engagés ».

Pendant ce siècle, le philosophe choisit de faire œuvre littéraire pour mieux entraîner ses lecteurs, pour influencer plus efficacement « l’opinion publique ». L’écrivain philosophe fait connaître au public la nature et l’importance des découvertes scientifiques.

La littérature des Lumières est une littérature très engagée dans des débats d’idées. C’est une littérature « engagée », mise au service des idées avancées, une littérature militante, sociale et idéologique, une littérature polémique.

Les auteurs sont des militants contre le pouvoir absolu, contre l’Eglise et les fanatismes, contre les guerres et les abus. Ils se réclament tous de la « philosophie » et se nomment « philosophes » pour montrer que l’écriture est la diffusion d’une pensée, une arme et non seulement un art, un simple agrément.

La littérature des Lumières prépare la Révolution et soutient les réformes politiques et économiques de la bourgeoisie. C’est l’écriture d’une société en mouvement qui porte les réformes de la bourgeoisie, une bourgeoisie d’affaires, active et consciente de son rôle dans le progrès de la nation et méfiante à l’égard des métaphysiciens ou de l’aristocratie inactive.

La littérature donne une représentation véridique et agissante, elle constitue un moyen de la fronde. Cette attitude connaît les formes littéraires les plus diverses : poésie lyrique, poésie épique, poème philosophique, poème satirique, pamphlet, dialogue, articles, pièces de théâtre, correspondance, traité d’histoire ou de morale.

La variété de genres littéraires abordés sert comme moyen de propagande pour une vaste satire sociale, politique et religieuse. Par l’ironie, le pamphlet, la satire, l’écrivain incite le lecteur à interpréter et à réagir, à dépasser les interdits ; il a le souci d’instruire et de plaire. L’enjeu social et politique des œuvres qui sont adressées au lecteur font agrandir son rôle, le lecteur devient un acteur très important dans la littérature.

Pour détourner la censure, les écrivains se déplacent beaucoup vers des pays plus libéraux (Angleterre, Suisse, Allemagne, Pays-Bas, Italie) ; Voltaire et Montesquieu sont les premiers des voyageurs. La littérature devient cosmopolite, elle s’intéresse à l’étranger pour valoriser la comparaison et l’échange.

Les genres des Lumières La philosophie s’inscrit dans toutes les formes de littérature : Le pamphlet – est un écrit satirique d’actualité, polémique, bref et violent ; il est bien

représenté par Voltaire. L’article de dictionnaire – est un exposé rapide et convaincant ayant des vertus didactiques. - l’article « Philosophe » rédigé par Dumarsais dans L’Encyclopédie - le Dictionnaire philosophique de Voltaire Le conte philosophique – est un récit qui fait passer à travers des situations extraordinaires les

préoccupations des philosophes. - Zadig de Voltaire (la physique de Newton) - Candide de Voltaire (le débat sur la question du mal) - les contes de Jacques le Fataliste de Diderot (abolition de l’illusion réaliste, parodie du

genre picaresque) Les romans - Manon Lescaut de l’Abbé Prévost (dénonciation d’une société fondée sur l’argent, le vice

du jeu et la débauche) - Les Lettres Persanes de Montesquieu (la critique de la société) - La Religieuse de Diderot (dénonciation des vices entraînés par la réclusion monacale

antinaturelle) Le théâtre – est le lieu capital « où la nation se ressemble » ; le drame bourgeois

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- Le Fils naturel, Le Père de famille de Diderot (les malheurs domestiques de la classe moyenne)

La poésie – devient le lieu d’une méditation, elle se fait encyclopédiste - Le Mondain de Voltaire (plaidoirie épicurienne pour les raffinements de la civilisation) - Poème sur le désastre de Lisbonne de Voltaire (dénonciation du problème du mal par

rapport à Dieu) - Poésies d’André Chénier (le lyrisme à travers l’engagement politique) Les ouvrages théoriques : Les traités : De l’esprit des lois de Montesquieu ; Traité sur la tolérance de Voltaire Les discours : Discours sur l’origine de l’inégalité de Rousseau ; Discours sur la poésie

dramatique de Diderot. Citations "La simple raison n'élève pas l'homme au-dessus de la bête ; elle n'est dans son principe

qu'une faculté ou une aptitude par laquelle l'homme peut acquérir les connaissances qui lui sont nécessaires, et par laquelle il peut, avec ces connaissances, se procurer les biens physiques et les biens moraux essentiels à la nature de son être. La raison est à l'âme ce que les yeux sont au corps : sans les yeux, l'homme ne peut jouir de la lumière, et sans la lumière il ne peut rien voir."

Quesnay, La Physiocratie, 1768. « Qu’est-ce que les Lumières ? La sortie de l’homme de sa minorité dont il est lui-même

responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement (pouvoir de penser) sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable (faute) puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui. Sapere aude ! (Ose penser) Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des Lumières.

La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les a affranchi depuis longtemps d’une (de toute) direction étrangère, reste cependant volontiers, leur vie durant, mineurs, et qu’il soit facile à d’autres de se poser en tuteur des premiers. Il est si aisé d’être mineur ! Si j’ai un livre qui me tient lieu d’entendement, un directeur qui me tient lieu de conscience, un médecin qui décide pour moi de mon régime, etc., je n’ai vraiment pas besoin de me donner de peine moi-même. Je n’ai pas besoin de penser pourvu que je puisse payer ; d’autres se chargeront bien de ce travail ennuyeux. Il est donc difficile pour chaque individu séparément de sortir de la minorité qui est presque devenue pour lui, nature. Il s’y est si bien complu, et il est pour le moment réellement incapable de se servir de son propre entendement, parce qu’on ne l’a jamais laissé en faire l’essai. Institutions (préceptes) et formules, ces instruments mécaniques de l’usage de la parole ou plutôt d’un mauvais usage des dons naturels, (d’un mauvais usage raisonnable) voilà les grelots que l’on a attachés au pied d’une minorité qui persiste. Quiconque même les rejetterait, ne pourrait faire qu’un saut mal assuré par-dessus les fossés les plus étroits, parce qu’il n’est pas habitué à remuer ses jambes en liberté. Aussi sont-ils peu nombreux, ceux qui sont arrivés par leur propre travail de leur esprit à s’arracher à la minorité et à pouvoir marcher d’un pas assuré.

Mais qu’un public s’éclaire lui-même, rentre davantage dans le domaine du possible, c’est même pour peu qu’on lui en laisse la liberté, à peu près inévitable. Car on rencontrera toujours quelques hommes qui pensent de leur propre chef, parmi les tuteurs patentés (attitrés) de la masse et qui, après avoir eux-mêmes secoué le joug de la (leur) minorité, répandront l’esprit d’une estimation raisonnable de sa valeur propre et de la vocation de chaque homme à penser par soi-même. Notons en particulier que le public qui avait été mis auparavant par eux sous ce joug, les force ensuite lui-même à se placer dessous, une fois qu’il a été incité à l’insurrection par quelques-uns de ses tuteurs incapables eux-mêmes de toute lumière : tant il est préjudiciable d’inculquer des préjugés parce qu’en fin de compte ils se vengent eux-mêmes de ceux qui en furent les auteurs ou de leurs devanciers. Aussi un public ne peut-il parvenir que lentement aux lumières. Une révolution peut bien entraîner une chute du despotisme personnel et de l’oppression intéressée ou ambitieuse, (cupide et autoritaire) mais jamais

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une vraie réforme de la méthode de penser ; tout au contraire, de nouveaux préjugés surgiront qui serviront, aussi bien que les anciens de lisière à la grande masse privée de pensée.

Or, pour ces lumières, il n’est rien requis d’autre que la liberté ; et à vrai dire la liberté la plus inoffensive de tout ce qui peut porter ce nom, à savoir celle de faire un usage public de sa raison dans tous les domaines. Mais j’entends présentement crier de tous côtés : « Ne raisonnez pas »! L’officier dit : Ne raisonnez pas, exécutez ! Le financier : (le percepteur) « Ne raisonnez pas, payez! » Le prêtre : « Ne raisonnez pas, croyez : » (Il n’y a qu’un seul maître au monde qui dise « Raisonnez autant que vous voudrez et sur tout ce que vous voudrez, mais obéissez ! ») Il y a partout limitation de la liberté. Mais quelle limitation est contraire aux lumières ? Laquelle ne l’est pas, et, au contraire lui est avantageuse ? - Je réponds : l’usage public de notre propre raison doit toujours être libre, et lui seul peut amener les lumières parmi les hommes ; mais son usage privé peut être très sévèrement limité, sans pour cela empêcher sensiblement le progrès des lumières. J’entends par usage public de notre propre raison celui que l’on en fait comme savant devant l’ensemble du public qui lit. J’appelle usage privé celui qu’on a le droit de faire de sa raison dans un poste civil ou une fonction déterminée qui vous sont confiés. »

Emmanuel Kant (1724-1804), Qu’est-ce que les Lumières ? (1784) « Je me représente la vaste enceinte des sciences, comme un grand terrain parsemé de places

obscures et de places éclairées. Nos travaux doivent avoir pour but, ou d'étendre les limites des places éclairées, ou de multiplier sur le terrain les centres de lumières. L'un appartient au génie qui crée; L'autre à la sagacité qui perfectionne.

Nous avons trois moyens principaux: L'observation de la nature, la réflexion et l'expérience. L'observation recueille les faits, la réflexion les combine, L'expérience vérifie le résultat de la combinaison. Il faut que l'observation de la nature soit assidue, que la réflexion soit profonde, et que l'expérience soit exacte. On voit rarement ces moyens réunis. Aussi les génies créateurs ne sont-ils pas communs.

Nous avons distingué deux sortes de philosophies, l'expérimentale et la rationnelle. L'une a les yeux bandés, marche toujours en tâtonnant, saisit tout ce qui lui tombe sous les mains et rencontre à la fin des choses précieuses. L'autre recueille ces matières précieuses, et tâche de s'en former un flambeau: mais ce flambeau prétendu lui a jusqu'à présent moins servi que le tâtonnement à sa rivale; et cela devait être. L'expérience multiplie ses mouvements à l'infini; elle est sans cesse en action; elle met à chercher des phénomènes tout le temps que la raison emploie à chercher des analogies. La philosophie expérimentale ne sait ni ce qui lui viendra, ni ce qui ne lui viendra pas de son travail; mais elle travaille sans relâche. Au contraire, la philosophie rationnelle pèse les possibilités, prononce et s'arrête tout court. Elle dit hardiment: on ne peut décomposer la lumière; la philosophie expérimentale l'écoute, et se tait devant elle pendant des siècles entiers; puis tout à coup elle montre le prisme, et dit: la lumière se décompose. »

Le neveu de Rameau, Diderot (1762) Questionnaire 1. Précisez le contexte social et les limites historiques du siècle des Lumières. 2. Expliquez le sens de la métaphore « esprit des lumières » ; quel est le premier sens du

mot « lumières » ? 3. Mettez en évidence les principales valeurs idéologiques de cette époque à partir du

rapport spécifique établi entre la raison, la morale et la religion. 4. Soulignez les caractéristiques du philosophe en tant qu’homme de la raison. 5. Sur quoi repose la connaissance nouvelle et la méthode de travail du savant des

Lumières ? 6. Quels sont les attributs de l’homme social et quelle est son importance à l’édification

du progrès et du bonheur collectif ? 7. En quoi consiste la contribution de l’homme politique vu l’ensemble de ses idées qui

préparent en effet la Révolution française ? 8. Définissez le profil de l’écrivain, le type de littérature qu’il pratique et le profil du

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lecteur qu’il envisage. 9. Commentez la citation : « Sapere aude ! (Ose penser) Aie le courage de te servir de ton

propre entendement. Voilà la devise des Lumières. » 10. Présentez les différences entre les deux types de philosophie et les trois principes de la

science tel qu’ils sont conçus par Diderot. TRAVAIL D’ANALYSE ET D’INTERPRETATION SUR LE TEXTE LITTERAIRE QUESTIONNAIRE ou POUR MIEUX COMPRENDRE CHARLES - LOUIS DE SECONDAT MONTESQUIEU (1689 – 1755) 1. LES LETTRES PERSANES (1721) Mœurs et coutumes françaises (la lettre XXIV) 1. Combien est-il accueillant Paris pour un étranger ? Est-ce que les coutumes de la

civilisation française facilitent son adaptation à un style de vie différent ? 2. Quelle est la raison de la comparaison permanente entre Paris, capitale du monde à titre

d’exemple et Ispahan avec son monde oriental ? 3. Par quels aspects on retrouve la problématique de l’opposition Orient/Occident ? 4. Définissez les principaux attributs et conséquences de ce regard persan (nouveauté,

inédit, fraîcheur, acuité, esprit comparatif, choix du détail significatif, esprit frondeur, ironie, goût du bizarre, sens de la moquerie et du comique, exotisme). Exemplifiez et commentez !

5. Sur quoi portent les comparaisons entre la culture/civilisation française et la culture/civilisation persane ?

6. En quoi consiste la satire de la monarchie française et de ses institutions ? Quels aspects sont persiflés à propos du Pape et de la religion ?

7. Comment trouvez-vous les explications données par Rica pour toutes « ces curiosités » qu’il rencontre ?

Comment peut-on être Persan ? (la lettre XXX) 1. Définissez la « curiosité » des Français telle qu’elle est décrite par Rica. 2. Commentez la dernière réplique de Rica en mettant en évidence l’exclusivisme et

l’autosuffisance du sens commun. 3. Soulignez les effets stylistiques des hypostases de Rica. L’art du portrait. 4. Quels seraient les sentiments qui animent le Persan dans son voyage culturel ? 2. L’ENCYCLOPEDIE (1751-1771) Christianisme 1. Commentez cette première définition indirecte du Christianisme : « il n’y a rien de si

bon dont la malignité humaine ne puisse abuser ». 2. Précisez les rapports : raison – fanatisme – superstition, religion – État. 3. Décelez les traits du portrait fait par Diderot au chrétien. 4. Pourquoi le discours du philosophe n’a pas de succès chez le peuple. 5. Quel est l’élément fort de la persuasion dans le discours religieux ? 6. Quelle est la voix du philosophe déiste ? 7. Soulignez la technique de cet exposé : tonalité, attitude, rhétorique, figures de style,

syllogismes. 8. Les aspects choisis et la manière de les présenter témoignent de quel point de vue ? Philosophe 1. Quels sont les principes fondamentaux (le coté intellectuel) du philosophe chez

Diderot ? 2. Présentez les traits définitoires du coté social et moral du philosophe chez Diderot !

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3. Soulignez la rapport philosophie – vérité. Quel est le paradoxe de la perfection du philosophe ?

4. Repérez les associations entre la religion et la philosophie. Commentez-les ! 5. Identifiez las élément d’apologie de ce discours ! 6. Quelles sont les principales nécessitées de l’homme, en général, chez Diderot ? 7. Quelle est la contribution du philosophe au progrès de l’humanité ? Précisez le

spécifique du philosophe des Lumières ! 8. En quelle mesure l’exigence de la raison justifie chez Diderot une interprétation

optimiste de la nature humaine ? 3. DENIS DIDEROT (1713 – 1784) Jacques le Fataliste et son maître (1796) Le Pardon du Marquis des Arcis (fragment) 1. Quel est le rôle de ce récit secondaire dans l’économie du conte ? 2. Quelles sont les caractéristiques du plaidoyer de la femme ? 3. Par quoi se caractérise son état d’âme ? 4. Présentez la connaissance qu’elle a d’elle-même. 5. Quelle est sa proposition finale faite au Marquis ? 6. Quel est l’aspect inédit du pardon ? 7. Quel est le désir du Marquis concernant le couple retrouvé ? 8. Quel aspect antérieur de l’histoire justifie le pardon ? 9. Quelle est la prémisse du bonheur futur du couple et pourquoi cette préservation est-

elle nécessaire ? Le Neveu de Rameau (1744) Un Singulier personnage (fragment) 1. Identifiez quelques antinomies et paradoxes de ce personnage sous plusieurs aspects :

physique, psychique, moral, social ! 2. Quels sont le ton et la dynamique de ce portrait ? L’art du Diderot chez Diderot. 3. Quel est le principal effet du rapport uniformité – singularité ? 4. Le manque d’estime du narrateur exclut-il l’attraction envers ce type de « composé » ? 5. Quel sens donne le narrateur à l’acception de « personnage » ? 6. En quoi consiste la plasticité du langage utilisé ? 7. Quelle est la valeur d’une telle présence ? Quels sont les aspects révélateurs de

l’exception ? 8. Redéfinissez la relation conformisme – bizarrerie, telle qu’elle est présentée dans ce

fragment. 4. FRANCOIS - MARIE AROUET VOLTAIRE ( 1694 – 1778) CANDIDE ( 1759) (fragment, chapitre XVIII) 1. Quels sont les aspects les plus étonnants trouvés par Candide dans le royaume de sa

Majesté : architecture, cour du roi, géographie, de l’espace, coutumes. 2. Présentez la religion de ce peuple par rapport à la religion occidentale ! 3. Qualifiez l’imagination de Voltaire dans ce conte ! 4. En quoi consiste l’utopie de ce pays imaginaire ? 5. Quel est le sens du voyage pour Candide ? 6. Caractérisez le comportement de Candide par rapport à la magnificence royale ! 7. Par quels aspects le conte de Voltaire crée un univers de compensation ? 8. Présentez les éléments définitoires de ce roi et de son règne ! Observez l’antiphrase

avec la royauté occidentale. 9. Précisez la particularité de ce type de conte par rapport aux contes de fées !

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10. A la différence des autres écrits de Voltaire, pourquoi le conte garde intacte sa fraîcheur et résiste à des interprétations multiples ?

ZADIG (1748) (fragment, le chapitre XII, Le Souper) 1. Présentez les éléments spécifiques de la religion pour chaque représentant : l’Égyptien,

l’Indien, l’habitant de Cathay, le Grec, le Celte. 2. Quel est l’élément commun de toutes ces religions ? Définissez ensuite le déisme de

Zadig. 3. Quelle est la place du pittoresque, de la satire, de la caricature, de l’humour dans l’art

du portrait de ces personnages ? 4. Par quoi se caractérise la sagesse de Zadig ? 5. Quelle est l’attitude de chaque locuteur par rapport à son discours et puis, par rapport

au discours des autres ? 6. Qu’est-ce que prouve le « procès » intenté à Zadig par cette assemblée hétéroclite ? 7. En quoi consiste la valeur d’exemplification et de popularisation de ce type de conte ?

Quels traits du conte assurent l’intérêt et le plaisir pour le lecteur d’aujourd’hui ? 5. JEAN - JACQUES ROUSSEAU (1712 – 1778) La Nouvelle Héloïse (1761) La Promenade sur le lac (fragment) 1. À qui appartient la voix narrative et quelles sont les conséquences de ce type de

vision ? 2. Mettez en relation le passé et le présent des amoureux : vie, sentiments, regrets, espoirs. 3. Mettez en évidence les valeurs de l’alternance passé simple/imparfait dans le récit / la

description. 4. Analysez le parcours émotionnel de cette rencontre : psychologie, gestes,

comportement, degrés, intensité. 5. Commentez le passage au discours direct relevant l’antithèse bonheur/misère. 6. Comparez les positions de Des Grieux et de Saint-Preux face au « transport »

amoureux : fuite/ projet funeste. 7. Qualifiez le soulagement (sa nature ambiguë) qui suit à l’élan romantique. 8. Quelle est la problématique de cette épreuve morale (passion – vertu) et à qui

appartient en effet la réponse? 9. Identifiez les éléments et les motifs du décor naturel tout aussi que leur rôle dans le

dessein des émotions et des souvenirs ? 10. En quoi consiste la valeur littéraire et artistique d’une telle page pour l’évolution du

roman ? Les Confessions (1782-1789) Le Ruban volé (fragment) 1. Qu’est-ce qui déclanche chez Rousseau le désir d’écrire ses confessions ? Quels sont

dans son cas l’effet et la valeur de l’écriture ? 2. En quelle mesure ce mécanisme justificatif est valable pour l’ouvrage entier ? 3. Décelez les ressorts psychologiques de ce processus de disculpation ! 4. Quelle est la technique du portrait de Marion : récit, description, discours direct,

commentaire de l’auteur ; traits physiques et moraux, gestes, réactions. 5. Pourquoi la déclaration de l’enfant Rousseau est plus crédible devant l’assistance ?

Question de (déjà) bien construire son discours ? 6. Identifiez le passage où l’auteur affirme la présence d’un certain sentiment de

persécutions. Commentez ce contexte (présent sous la forme d’un aphorisme) du poids de la coulpe dans certaines circonstances de sa vie.

7. Quels sont les deux aspects qui accomplissent le but avoué du livre ? Comment

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qualifies-vous cet exposé de l’archéologie intérieure et de cette insistance de confirmer la vérité ? 8. Pourquoi l’enfant a trouvé son échappatoire dans la personne de Marion ? Quelle

explication ultérieure nous livre l’auteur ? 9. Qu’est-ce qu’il craint le plus l’enfant ? Quelle est l’importance de ce sentiment dans

l’éducation de l’enfant chez Rousseau ? Y a-t-il un rapport intime avec la conscience ? 10. Sur quoi mise l’auteur pour gagner son auditoire, Poids rationnel ou affectif su

discours ? 11. Quelles seraient les formes d’exacerbation (hyperbole, emphase) de la coulpe ?

Commentez ! 12. A quel ordre (souvenir, affectivité, apologie, justification, absolution) se soumet

l’écriture ? 13. Question de style. Commentez l’expression : « j’ai procédé rondement » en tenant

compte du réinvestissement du réel avec le sens de la vie ultérieure ! 14. Saisissez et analysez la différence spécifique des Confessions par rapport aux

Rêveries : nécessité de la justification, de la confirmation, de l’absolution, restauration de l’image biographique, écriture pour l’autre.

Les Rêveries du promeneur solitaire (1782) La Rêverie au bord du lac (fragment) 1. Définissez le type d’espace et de temps de ce refuge sur l’île de Saint-Pierre. 2. Quelle est la manière de passer le temps dans l’ordre de l’actif ? 3. Quels sont les états qui accomplissent l’ordre du contemplatif ? 4. Analysez le but avoué de cette démarche : immobiliser le cognitif et le sensoriel pour

saisir l’existence à l’état pur. 5. Quels sont les attributs distinctifs du bonheur et de la félicité tels que l’auteur les

présente ? 6. Quel est le sentiment du vécu chez l’homme social et chez le solitaire, 7. Pour quel type d’individu est propice une telle expérience dans la vision de l’auteur ? 8. Commentez l’apogée de cet état d’apesanteur : « on se suffit à soi-même, comme

Dieu ». 9. Quel est le moyen d’accéder à ce type de félicité suprême après avoir quitté cet univers

qui facilite son instauration ? 10. Par quel aspect la nature joue le rôle essentiel dans la réconciliation de l’écrivain avec

lui-même ? 11. Quelle est la différence de tonalité des Rêveries par rapport aux Confessions ? 12. Quel est l’effet thérapeutique de l’écriture pour soi-même dans ce type d’ouvrage ? 13. Quels sont les éléments qui rapprochent ce type d’écriture à une méditation poétique,

en quoi consiste son lyrisme ? 14. Quelle est la nouveauté d’une telle écriture et par quoi préfigure-t-elle le Romantisme ? 15. Justifiez le choix du titre ! Quels sont le poids et les valences du terme « rêverie » ? 6. BERNARDIN DE SAINT- PIERRE (1734 - 1814) Paul et Virginie (1788) La Nuit tropicale (fragment) 1. Quels sont les éléments (végétaux, animaux, etc.) de la description ? 2. Par le biais de quels sens la nature est-elle présente ? Qualifiez cette nature ! 3. En quoi consiste l’exotisme du paysage ? Définissez l’exotisme chez Bernardin. 4. Faites quelques remarques sur les procédés stylistiques ! 5. Quel et le rapport personnage – nature et quel est son rôle dans l’économie du roman,

surtout à cette heure de la séparation des amants ? 6. Quelle est la voix/perspective narrative du fragment ? 7. Dans quel genre s’inscrit le roman ? En quoi consistent sa valeur et sa nouveauté ?

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8. Quels sont les thèmes qui anticipent la sensibilité romantique ? ANTOINE-FRANCOIS PREVOST L’ ABBE PREVOST (1697 – 1763) Manon Lescaut (1731) (fragment) 1. Quel est l’effet principal de la coïncidence narrateur/personnage principal ? 2. identifiez les passages où le narrateur/personnage anticipe l’évolution de l’histoire.

Quel est leur rôle ? Commentez-les ! 3. Quels sont les temps verbaux du récit quelle est leur valeur dans l’économie du

roman ? 4. Quelle est la perspective temporelle du récit et quels sont le ton et la vision qui en

découlent ? 5. Comparez les trois hypostases du personnage : l’innocence du jeune appliqué,

l’emportement de l’amoureux et le malheur de l’adulte. 6. Quelles sont les circonstances temporelles et spatiales de cette rencontre ? 7. Saisissez les étapes de ce coup de foudre fatal et analysez-les : curiosité, transport,

désir, hardiesse, emportement, satisfaction, souffrance, désarroi. 8. Faites le portrait de le jeune Manon Lescaut : données physiques, psychologiques,

sociales. Quelles sont les figures de style utilisées ? 9. Comment jugez-vous cette perspective omnisciente que le narrateur possède sur lui-

même en tant que personnage principal ? Soulignez la complexité de cette image simultanée ! 10. Commentez la décision de fuite prise par le couple amoureux ! 11. Définissez le rapport entre l’identité de Des Grieux en train de changer et ce qu’il

appelle « l’ascendant de ma destinée ». 12. Observez l’emploi du discours direct, mais aussi la précision de la description, du détail

et la finesse de l’analyse psychologique. Commentez (rôle et valeurs).