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1 Ph. ADAIR, J-J. GISLAIN, L'institutionnalisme américain dans l'entre-deux-guerres: une alternative pluraliste à l'économie politique du libéralisme, Economies et Sociétés, série PE: Histoire de la pensée économique, numéro 45 - décembre 2011 Philippe Adair ERUDITE, Université Paris-Est Créteil et Jean-Jacques Gislain CRISES, Université du Québec et PHARE, Université Paris 1. 1 Résumé L’article discute les forces et les faiblesses du programme de recherche scientifique de l’économie institutionnelle initié en 1918. Il présente les caractéristiques spécifiques de chacun des réseaux et des foyers, ainsi que les contributions majeures de l’institutionnalisme américain dans l’entre-deux-guerres, mouvement pluraliste qui recouvre deux principaux courants. L’influence de l’économie institutionnelle s’exerce avant le New Deal, via le mouvement technocratique et le NBER, ainsi que pendant le New Deal au sein du Brain Trust et au regard de la législation sociale. Le déclin de cette influence résulte de facteurs externes (les échecs du New Deal sont imputés à l’économie institutionnelle) et internes (l’absence d’une théorie économique institutionnaliste assure la prépondérance de la synthèse néo- classique). Mots clés : économie institutionnelle, Etats-Unis, histoire de la pensée, New Deal, programme de recherche scientifique. Abstract We discuss the strengths and weaknesses of the scientific research program of institutional economics started in 1918. American institutionalism in the inter-war period was a pluralistic movement comprising two main trends; we present the specific characteristics of its networks and bridgeheads, as well as major contributions. The influence of institutional economics spreads before the New Deal through technocracy and the NBER, as well as during the New Deal in the Brain Trust and with regard to social legislation. Decline of this influence is due to external factors (failures of the New Deal being attributed to institutional economics) and

Institutionalisme Americain Decembre 2011.Doc

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Adair & Gislain

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    Ph. ADAIR, J-J. GISLAIN, L'institutionnalisme amricain dans l'entre-deux-guerres: une

    alternative pluraliste l'conomie politique du libralisme, Economies et Socits, srie PE:

    Histoire de la pense conomique, numro 45 - dcembre 2011

    Philippe Adair

    ERUDITE, Universit Paris-Est Crteil

    et

    Jean-Jacques Gislain

    CRISES, Universit du Qubec et PHARE, Universit Paris 1.1

    Rsum

    Larticle discute les forces et les faiblesses du programme de recherche scientifique de

    lconomie institutionnelle initi en 1918. Il prsente les caractristiques spcifiques de

    chacun des rseaux et des foyers, ainsi que les contributions majeures de linstitutionnalisme

    amricain dans lentre-deux-guerres, mouvement pluraliste qui recouvre deux principaux

    courants. Linfluence de lconomie institutionnelle sexerce avant le New Deal, via le

    mouvement technocratique et le NBER, ainsi que pendant le New Deal au sein du Brain Trust

    et au regard de la lgislation sociale. Le dclin de cette influence rsulte de facteurs externes

    (les checs du New Deal sont imputs lconomie institutionnelle) et internes (labsence

    dune thorie conomique institutionnaliste assure la prpondrance de la synthse no-

    classique).

    Mots cls : conomie institutionnelle, Etats-Unis, histoire de la pense, New Deal,

    programme de recherche scientifique.

    Abstract

    We discuss the strengths and weaknesses of the scientific research program of institutional

    economics started in 1918. American institutionalism in the inter-war period was a pluralistic

    movement comprising two main trends; we present the specific characteristics of its networks

    and bridgeheads, as well as major contributions. The influence of institutional economics

    spreads before the New Deal through technocracy and the NBER, as well as during the New

    Deal in the Brain Trust and with regard to social legislation. Decline of this influence is due

    to external factors (failures of the New Deal being attributed to institutional economics) and

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    internal factors (in the absence of an institutional theory, the neo- classic synthesis becomes

    prominent).

    Keywords: institutional economics, history of economic thought, New Deal, scientific

    research program, USA.

    JEL: B15, B23, B25

    Introduction

    Linstitutionnalisme amricain de lentre-deux-guerres1 a fait lobjet de plusieurs

    rvaluations sous langle de lhistoire de la pense conomique [Rutherford M. (2011)]2 ou

    de la sociologie historique de la science [Yonay Y. P. (1998)] - qui concluent limportance

    sous-estime de lconomie politique institutionnaliste aux tats-Unis pendant lentre-deux-

    guerres. Lacception du terme conomie politique (political economy) qui articule la

    thorie conomique - la conception - et les politiques conomiques - les projets et ralisations

    - se prte trs bien lexamen de linstitutionnalisme.

    Selon Rutherford (2000a) la vision selon laquelle lconomie politique

    institutionnaliste aurait t fonde par Veblen, Commons et Mitchell est une pure

    construction rtrospective des historiens de la pense conomique3. Au cours de lentre-deux-

    guerres, linstitutionnalisme occupe une position dominante dans lconomie politique

    amricaine ; mouvement pluraliste plus quune cole proprement parler, il comprend

    plusieurs composantes rassembles autour de centres universitaires ou/et para-

    gouvernementaux dont certains ont jou un rle significatif dans les conceptions et les

    ralisations des politiques du New Deal. Ce sont ces diverses composantes quil convient

    didentifier pour comprendre leurs impacts sur lconomie politique amricaine, en particulier

    lors du New Deal.

    Aprs la premire guerre mondiale, nombre de publications sinscrivent dans la

    perspective dconomie institutionnelle, le terme institutionnaliste apparaissant plus

    tardivement et ne simposant qu la fin des annes 1930. Les chefs de file en sont W. H.

    Hamilton, J. M. Clark et W. C. Mitchell [Rutherford M. (2000a)] auxquels sajoute J. R.

    Commons partir de 1924. cette poque, linscription explicite et exclusive de ces leaders

    1 Les auteurs remercient les rapporteurs pour leurs remarques pertinentes et demeurent responsables des erreurs

    et omissions qui subsisteraient.

    2 Louvrage synthtise les travaux de Rutherford (2000a, 2000b, 2001, 2003a, 2003b, 2004, 2006, 2008). 3 Notamment des historiographes institutionnalistes, Joseph Dorfman (1949-1959, 1963) en premier lieu.

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    et autres conomistes institutionnels dans la ligne des travaux du pre fondateur de

    linstitutionnalisme, Thorstein B. Veblen (1857-1929), est moins quvidente.

    Certes, Veblen est une rfrence et une source dinspiration reconnue cette poque,

    mais pour les conomistes de cette mouvance institutionnelle, et bien que certains aient t

    les tudiants de Veblen, tel W. C. Mitchell (voir tableau en annexe), il ne sagit pas

    explicitement de dvelopper le cadre thorique veblenien en tant que tel mais bien plutt de

    sinscrire dans certaines problmatiques vebleniennes relatives aux formes institutionnelles

    de lconomie relle et leurs problmes contemporains. Dailleurs, linfluence de Veblen

    nest pas unique, dautres influences importantes sexercent explicitement chez ces

    conomistes institutionnels soit en provenance des tats-Unis, en particulier lvolutionnisme

    et le pragmatisme [Ross D. (1991)], soit dEurope, notamment travers lcole historique

    allemande ou lcole autrichienne [Ross D. (1991) ; Rutherford M. (2000a)].

    De ces multiples influences, il ressort une volont commune chez ces conomistes

    institutionnels de mettre en uvre une conomie politique ayant des fondements

    mthodologiques ralistes et empiriques ainsi que des implications oprationnelles en matire

    de politique conomique et de recommandations de rformes institutionnelles. Cette posture

    mthodologique commune, plus que ladhsion telle ou telle thorie conomique, fait de

    linstitutionnalisme un mouvement regroupant un ensemble assez htrogne au regard

    des thories et des thmatiques respectives de ces conomistes.

    La Section 1 examine la contribution de W. H. Hamilton en 1918 qui constitue le

    moment initiateur de lautorflexion de ces conomistes sur leur propre tiquette commune

    d institutionnalistes et discute les forces et les faiblesses du programme de recherche

    scientifique institutionnaliste. La Section 2 met en vidence ce pluralisme du mouvement

    institutionnaliste amricain dans lentre-deux-guerres dont nous prsentons la revue des

    troupes , au sens de J. A. Schumpeter (1954), et les rseaux , au sens de lhistoriographie

    de la pense conomique amricaine contemporaine [Yonay Y. P. (1998) ; Rutherford M.

    (2000a) (2000b)], afin didentifier les caractristiques spcifiques de chacun de ses foyers. La

    Section 3 est consacre lconomie institutionnelle et au New Deal, distinguant linfluence

    de linstitutionnalisme avant le New Deal, travers le mouvement technocratique et le NBER,

    et son influence pendant le New Deal, notamment au sein du Brain Trust et au regard de la

    lgislation sociale. La Section 4 identifie les causes internes et externes du dclin de

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    linfluence institutionnaliste. La Conclusion esquisse un bilan du programme de recherche

    institutionnaliste.

    1. La caractrisation gnrale de lconomie institutionnelle

    Dans le cadre dun atelier annuel de lAmerican Economic Association (AEA) en 1918

    consacr la nouvelle conomie institutionnelle, W. H. Hamilton (1919) se propose de

    dfinir les cinq lments caractristiques de lapproche institutionnelle en thorie

    conomique.

    1/ Lconomie institutionnelle est un projet unificateur pour la science conomique et

    sinscrit dans une optique interdisciplinaire.

    Cette double exigence consiste ne pas rduire la science conomique une seule option

    thorique en conomie et, plus gnralement, en science sociale. Cette ambition fdrative a

    une force, la tolrance dun pluralisme des cadres analytiques, mais aussi une faiblesse qui

    peut tre fatale lconomie institutionnelle : sa vulnrabilit lgard des coles sectaires et

    en position de force institutionnelle. Cet aspect peut aussi expliquer comment, selon les

    conjonctures internes ou externes la profession conomiste, lconomie institutionnelle est

    soit un lieu fdrateur des connaissances conomiques et des conceptions de politique

    conomique, ce fut le cas dans lentre-deux-guerres aux tats-Unis, soit elle est exclue de la

    science normale [Kuhn T. S. (1970)] en conomie par une dominante thorique et/ou

    idologique. Par ailleurs, les quatre autres lments de lconomie institutionnelle, proposs

    par Hamilton, ne favorisent pas la ralisation de cette ambition fdrative si celle-ci nest pas

    partage.

    2/ Lconomie institutionnelle se veut un cadre thorique pertinent, la fois raliste,

    ce qui requiert la mise en uvre dune mthodologie inductive et empirique comme pr-

    requis la thorisation, et oprationnelle pour les politiques conomiques. Dans cette dernire

    optique, lconomie institutionnelle met laccent sur le ncessaire contrle social et sur la

    rgulation de lconomie par les autorits publiques. cet gard, lconomie institutionnelle

    est donc non librale.

    Cette double exigence de pragmatisme mthodologique et de responsabilit des

    autorits politiques est un aspect important de lconomie institutionnelle. Elle en fait la

    force, celle qui rallie elle les conomistes ralistes , en particulier en situation de

    difficults conomiques rsoudre, soit dues aux problmes conomiques de lpoque, soit

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    dues la ncessaire mise en pratique de politiques conomiques. Elle en fait aussi la

    faiblesse, celle qui carte delle les conomistes thoricistes fascins par le formalisme

    dune conomie naturelle prsume autorgule.

    3/ Lconomie institutionnelle a pour objet dtude premier linstitution, concept

    central de la thorie conomique, et non la valeur telle que dfinie par les thories

    conomiques conventionnelles (A. Marshall, J. B. Clark, F. Taussig).

    Linstitution a lavantage dtre un concept fdrateur, ce qui rejoint le premier

    lment de caractrisation de lconomie institutionnelle, et dtre raliste, ce qui rejoint le

    second. En revanche, ce concept a une faiblesse : il favorise la pluralit des dfinitions et

    conceptions de l institution , entranant ainsi une confusion quant sa pertinence comme

    concept opratoire et unitaire de lanalyse conomique. Tant que cette faiblesse nest pas

    stimule par un dbat mthodologique prliminaire sur ce quil faut entendre exactement par

    institution et sur ses fondements thoriques, et lconomie institutionnelle ignore alors

    encore le clivage entre lapproche la Veblen et lapproche la Commons 4, celle-ci

    peut fdrer sous son tiquette toutes les approches un tant soit peu rtives admettre la

    reprsentation noclassique5 comme seul objet de lanalyse conomique [Homan P. T. (1928)

    (1932)].

    4/ Lconomie institutionnelle adopte une dmarche thorique centre sur ltude des

    processus, ce qui la conduit opter pour la mthode gntique ultrieurement qualifie de

    mthode volutionnaire.

    Cette emphase sur linscription des phnomnes conomiques dans lhistoire et ses

    processus volutionnaires confre lconomie institutionnelle la force dune approche

    congruente avec la dynamique de perptuelle transformation de lactivit conomique qui

    favorise ladhsion de nombreux conomistes amricains dans lentre-deux-guerres. En

    revanche, cette posture mthodologique interdit la mobilisation opratoire dans la thorie

    conomique des instruments formels de lanalyse conomique fonds sur la mcanique

    statique de lquilibre. La disqualification du formalisme physicaliste et de son appareillage

    4 Sagissant de la dfinition de linstitution, habitude mentale selon Veblen et coutume selon Commons, Hamilton (1932, p. 84) crit : Une institution est une faon de penser ou de faire prvalente et permanente qui

    est incorpore dans les habitudes dun groupe ou les coutumes des gens . 5 Veblen (1900) est le premier utiliser le terme noclassique pour dsigner lconomie marshallienne ; lusage s'est impos grce J. R. Hicks (Value and Capital, 1939) qui incorpore L. Walras, G. Stigler (Production and

    Distribution Theories, 1941) et la diffusion universelle du manuel de P. Samuelson (Economics) partir de

    1948.

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    mathmatique entrane alors une double consquence pour lattractivit de lconomie

    institutionnelle parmi les conomistes.

    Dun ct, les conomistes fidles au formalisme physicaliste en conomie thorique

    ne sont pas prts sacrifier la mthode danalyse scientifique de lconomie pure aux

    exigences de lapproche volutionnaire. Mais cette poque de lentre-deux-guerres, les

    conomistes amricains ne subissent pas encore la pression acadmique de la valorisation de

    la formalisation mathmatique. Ds lors et en accord avec les besoins des milieux daffaires

    finanant les universits et des officines gouvernementales rclamant conjointement des

    praticiens, nombre dconomistes amricains sacrifient la thorie pure formalisable la

    pertinence reconnue, dans ces dimensions cognitives et de russite professionnelle, de

    lconomie institutionnelle. Toutefois, certains conomistes institutionnels, tel J. M. Clark, ne

    renoncent pas totalement au cadre analytique noclassique marshallien , terrain dentente

    sur lequel se retrouvent ces conomistes mi-institutionnels analytiques et nombre

    dconomistes mi-noclassiques ralistes . Ceci concourra dailleurs relativiser

    lopposition entre conomistes institutionnels et noclassiques dans lentre-deux-

    guerres amricain [Yonay Y. P. (1998)], brouillant ainsi la ligne de dmarcation entre ces

    deux groupes.

    Dun autre ct, la disqualification du formalisme physicaliste implique pour les

    conomistes institutionnels la ncessit de proposer des instruments mthodologiques

    conformes lapproche volutionnaire. Ds lors, une alternative se prsente.

    Soit tous les types de formalisme emprunts aux sciences physiques sont disqualifis,

    et on nen connat pas dautres cette poque, et dans ce cas la mthode volutionnaire

    retenue sinscrit dans le prolongement des instruments danalyse dj proposs par

    lconomie politique historiciste (lcole historique allemande), ou par lconomie politique

    positive (franaise ou anglaise). Dans cette perspective, o se situeront la plupart des

    conomistes institutionnels de lentre-deux-guerres amricain, certaines mthodes seront

    dveloppes ou systmatises, comme les statistiques descriptives et les monographies, ou

    seront inaugures comme de ltude de cas avec rsolution de problme. Pour les plus

    pistmologues de ces conomistes institutionnels, en particulier W. C. Mitchell et J. R.

    Commons, la mthode abductive, conciliant induction et dduction selon un processus

    dinteraction cumulative, apparat adquate la production de connaissances, la thorie

    conomique, et la rsolution de problmes, les politiques conomiques.

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    La seconde option de lalternative est dlaborer un nouveau formalisme, statistique et

    mathmatique, conforme aux exigences de lapproche volutionnaire. Excepts certains

    travaux de mthode quantitative de W. C. Mitchell puis, sous sa gouverne, du National

    Bureau of Economic Research (NBER) partir de 1919, initiant dj des lments de

    comptabilit nationale utilisables dans la recherche de mcanismes reliant les agrgats

    conomiques, les conomistes institutionnels ont peu produit de formalisations

    susceptibles de rivaliser avec le noclassicisme jusqu la fin des annes 1920. Il faudra

    attendre la fin des annes 1930, notamment avec les travaux du NBER et ceux de G. C.

    Means, pour que les conomistes institutionnels sattellent srieusement relever le dfi de la

    formalisation dune conomie volutionnaire. Mais dj, avec laffirmation de lconomtrie

    et la naissance de la macroconomie keynsienne, le vent de lhistoire de la pense

    conomique amricaine a tourn au dtriment de lconomie institutionnelle.

    5/ Lconomie institutionnelle se propose de construire une thorie conomique

    fonde sur une thorie raliste du comportement humain, et ds lors rcuse la thorie

    noclassique fonde sur lhomo conomicus. Les avances contemporaines dans les autres

    domaines des sciences sociales confortent les conomistes institutionnels dans cette voie.

    Ce cinquime point est fondamental pour comprendre le succs de linstitutionnalisme

    chez les conomistes mais aussi ses difficults proposer une alternative opratoire au

    postulat irraliste de lhomo conomicus. Outre lincomprhension de nombreux conomistes

    institutionnels, mais pas de tous - ainsi que de la plupart des noclassiques - quant une

    ventuelle utilit analytique dun idal-type, mme irraliste, lobstacle majeur du projet

    institutionnaliste de construction dune thorie raliste de laction conomique semble avoir

    t non de rechercher une thorie acceptable du comportement humain mais, plutt, den

    avoir trouv plusieurs tout aussi pertinentes : instinctivisme pour les darwiniens

    mthodologiques [McDougall W. (1908)], pragmatisme pour les interactionnistes sociaux et

    symboliques6 [Mead G. H. (1934)], behaviorisme ou psychologie exprimentale pour les

    empiristes radicaux [Watson J. B. (1919)], psychologie sociale pour les holistes

    mthodologiques [Mayo E. (1933)], etc.

    Chaque conomiste institutionnel de cette poque propose une thorie de laction

    diffrente, souvent dailleurs compose de plusieurs thories de rfrence. Le pluralisme de

    6 George Herbert Mead (1863-1931) psychosociologue et philosophe lUniversit de Chicago, li John Dewey depuis 1891, est le fondateur de lapproche interactionniste qui met laccent sur le comportement symbolique dans le processus de communication (Mead, 1934).

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    ces thories, dont la pertinence de nombre dentre elles est redcouverte actuellement, a jou

    paradoxalement lencontre de la promotion de lconomie institutionnelle. Face au

    monolithisme et loprationnalit formelle du postulat rductionniste de lhomo

    conomicus, lconomie institutionnelle na pas t capable de proposer un fondement

    unique une thorie de laction conomique permettant de construire une microconomie

    institutionnelle unitaire. Dans ces conditions, ds que cela a t rendu possible par une

    conjoncture favorable, la prpondrance noclassique dans lconomie acadmique partir de

    la fin des annes 1930, notamment travers la synthse (Hicks, Hansen, Samuelson), a

    rhabilit la figure de lhomo conomicus7.

    Ces cinq lments, constitutifs de lconomie institutionnelle, proposs par Hamilton

    sont repris depuis lors sans modification significative par les tentatives successives de

    caractrisation de lconomie institutionnaliste.

    2. Pluralisme de lconomie institutionnelle : les troupes , les foyers et les rseaux

    Lconomie institutionnelle pendant lentre-deux-guerres amricain se dveloppe

    notamment partir des contributions des quatre chefs de file du mouvement

    institutionnaliste que sont W. C. Mitchell, J. M. Clark, W. H. Hamilton puis J. R. Commons

    mais, aussi, et cela influe sur le succs du mouvement, partir de ples (universits, instituts

    de recherche, organismes para-gouvernementaux, commissions, etc.)- qui sont autant de ttes

    de rseau dinstitutionnalistes dont lUniversit Columbia New York - ainsi que le NBER et

    la New School for Social Research - et lUniversit du Wisconsin Madison sont les deux

    foyers principaux ; lUniversit dAmherst dans le Massachusetts et le Washington Square

    College New York occupent une place secondaire.

    2.1. Hamilton et le foyer dAmherst

    Walton Hale Hamilton (1881-1958) a t un lment moteur de linitiation du

    mouvement institutionnaliste. Aprs des tudes dconomie aux Universits du Texas et du

    Michigan, qui deviendront par la suite des centres de la pense institutionnaliste, Hamilton

    runit de 1917 1923 lUniversit publique dAmherst dans le Massachusetts, un groupe

    dconomistes qui est lun des premiers foyers institutionnalistes parmi lesquels son collgue,

    7 En dpit du problme de lincertitude radicale en matire de comportement conomique, soulign par F. Knight et J. M. Keynes ds 1921, qui fait de chacun de ces deux derniers auteurs, selon ses caractristiques

    propres, une espce particulire dconomiste institutionnel au ct de celle de Schumpeter (1912) dont l entrepreneur est si peu homo conomicus.

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    C. E. Ayres, le futur chef de file du foyer institutionnaliste au Texas, et son tudiant Morris

    A. Copeland (1895-1989), lun des institutionnalistes les plus brillants de sa gnration.

    Hamilton rejoint la Yale Law School en 1928 o il poursuivra ses travaux dinspiration

    institutionnaliste conjuguant conomie et droit [Hamilton W. H. (1938) (1940)].

    2.2. Le foyer de New York : Columbia, la New School for Social Research, le NBER

    2.2.1 Autour de lUniversit Columbia : Clark, Tugwell, Mitchell

    Cest New York autour du ple de lUniversit prive Columbia que se structure le

    nud du rseau institutionnalisme avec larrive de W. C. Mitchell en 1913. Dans le

    dpartement dconomie, J. M. Clark, R. G. Tugwell, F. C. Mills, J. Dorfman qui y

    enseignent, ainsi que Dorfman, R. R. Hale, Mills, et A. F. Burns qui y prparent leur thse,

    feront la notorit du mouvement institutionnaliste [Rutherford M. (2000a)] et au sein duquel

    Clark et Tugwell occupent une place un peu part.

    John Maurice Clark (1884-1963), lun des fils de John Bates Clark, obtient son

    doctorat dconomie Columbia en 1910. Il enseigne lUniversit dAmherst de 1910

    1915 puis lUniversit de Chicago de 1915 1925 et cest pendant cette priode quil

    produit ses deux contributions importantes lconomie thorique : le principe de

    lacclrateur [Clark J. M. (1917)] et le concept de cots gnraux [Clark J. M. (1923)]. En

    1926, il rejoint lUniversit Columbia et y dveloppe ses conceptions du ncessaire contrle

    social sur une conomie capitaliste soumise la logique des affaires (business) et

    linstabilit chronique qui en dcoule [Clark J. M. (1926) (1934) (1936)]. La spcificit de

    lapproche institutionnelle de Clark est dinscrire les problmes conomiques dans une

    optique trs veblenienne8, tout en mobilisant et dveloppant des instruments analytiques de

    type marshallien. cet gard, Clark a reprsent Columbia lune des ttes de pont entre

    lconomie institutionnelle stricto sensu et lconomie conventionnelle sensibilise la

    ncessaire rgulation du capitalisme amricain. La prsidence de Clark lAmerican

    Economic Association en 1935, une date cruciale puisquil sagit de passer une seconde

    phase plus modre du New Deal, est cet gard symptomatique. Cest ce mme type de

    jonction entre projet rgulationniste et cadre analytique compatible avec lconomie

    conventionnelle de type noclassique que ralisera quelques annes plus tard lconomie

    keynsienne de la synthse , qui prend ainsi la place de lconomie institutionnelle la

    Clark .

    8 Il estime avoir t notamment inspir par la lecture de Theory of the Business Enterprise (Veblen, 1904).

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    lautre extrmit de lventail de lconomie institutionnelle, Rexford Guy Tugwell

    (1891-1979) reprsente Columbia la jonction de lconomie institutionnelle avec les

    conceptions planistes dinspiration quasi-socialiste. En 1924, Tugwell assure la promotion de

    la nouvelle conomie institutionnelle en dirigeant la publication dun ouvrage regroupant les

    contributions de 12 jeunes conomistes (essentiellement trentenaires) runis dans un

    atelier au congrs de lAmerican Economic Association en 1922 et reprsentant la tendance

    de la nouvelle conomie politique amricaine. En fait, le cas de F. Knight mis part,

    Copeland, S. H. Slitchter, A. B. Wolfe, P. Douglas, Tugwell, Mills, J. M. Clark, R. L. Hale et

    G. Soule sont tous plus ou moins proches de Mitchell et comptent parmi les principaux

    conomistes de la mouvance institutionnaliste de lentre-deux-guerres amricain. Les

    contributions de cet ouvrage reprsentent une varit dapproches institutionnelles dont il

    serait bien difficile de trouver une unit si ce nest lapproche raliste en thorie

    conomique et oprationnelle en matire de politique conomique [Hamilton (1919)].

    La conception institutionnelle de Tugwell, ou ce quil appelait l conomie

    exprimentale en 1929, repose sur lide, elle aussi trs veblenienne, dune contradiction

    entre la logique industrielle (mature) et celle (archaque) des affaires, entre lefficacit de la

    coordination par lentreprise et les dfaillances de la coordination par le march

    [Tugwell, R. G. (1927) (1933)]. Cette analyse conduira Tugwell dfendre la ncessit dun

    contrle de lconomie de march capitaliste, dune sorte de planisme organis par des

    comits paritaires rgulateurs, rejoignant ainsi certaines tendances planistes du mouvement

    institutionnel [Soule, (1924) (1934); Gruchy A. G. (1939)] et, par del ce dernier certains

    conomistes socialistes rformateurs [Cole G. D. H. (1935)].

    Le vritable entrepreneur acadmique [Yonay Y. P. (1998)] du mouvement

    institutionnaliste est Wesley Clair Mitchell (1874-1948). Outre son intense activit au

    dpartement dconomie de Columbia partir de 1913, il initie la fondation en 1919 de deux

    institutions de recherche et denseignement qui furent des foyers importants de production et

    de diffusion de lconomie institutionnelle : le National Bureau of Economic Research

    (NBER) et la New School for Social Research New York.

    Le NBER est un institut de recherche dont la vocation est de produire des tudes sur

    lanalyse quantitative, selon la mthode initie par Mitchell, des phnomnes conomiques et,

    en particulier, de lvolution des mouvements de lactivit conomique saisis en termes

    dindicateurs et dagrgats nationaux ; il prfigure les futurs instituts nationaux de

  • 11

    comptabilit nationale et dtudes conomiques. Les rsultats des travaux du NBER

    contribuent fortement lgitimer, au sein de la profession dconomiste et au regard de

    lutilit sociale reconnue aux tudes conomiques, la priorit donne la mthode inductive

    et statistique par lconomie institutionnelle et en assurer sa notorit, avant que

    lmergence de lconomtrie ds les annes 1930 tende progressivement affaiblir la

    mthode quantitative [Adair P. (1994)]. Parmi les membres du NBER de la premire

    gnration rassemble autour de Mitchell, figurent en majorit ses anciens tudiants de

    Columbia [Rutherford M. (2000a)], notamment Frederick C. Mills (1892-1964), Simon S.

    Kuznets (1901-1985) et Arthur F. Burns (1904-1987) ainsi que Willard Thorp (1926) qui

    contribuent significativement ltude quantitative des phnomnes conomiques [Mills F.

    C. (1924) (1927) ; Kuznets S. S (1930) (1933) ; Burns A. F. (1934)].

    La New School for Social Research prsente aussi une forte originalit qui contribuera

    la notorit de lconomie institutionnelle. Essentiellement une cole doctorale, elle

    sinscrit explicitement dans une optique pluridisciplinaire qui correspond au programme de

    recherches de lconomie institutionnelle. On y retrouve lorigine notamment parmi les

    enseignants : en conomie, outre Mitchell, Veblen [Gislain J. J. (2000)] qui poursuit la

    publication de ses travaux danalyse de lconomie contemporaine [Veblen T. B. (1919)

    (1923)] et de ses conceptions rformatrices [Veblen T. B. (1921)] ; en histoire, C. A. Beard ;

    en philosophie, J. Dewey, alors chef de file du pragmatisme et dont linfluence fut

    considrable sur les fondements analytiques de lconomie institutionnelle et sa vision

    dmocratique du contrle social de lconomie ; autant donc de rfrences reconnues dans

    le mouvement institutionnaliste et, plus gnralement, dans le monde acadmique amricain

    des sciences de lhomme.

    John Dewey (1859-1952) considre que la connaissance vise laction : la recherche

    scientifique consiste identifier et rsoudre des problmes. Selon la thorie de l'enqute

    [Dewey, (1938)], il sagit de reconstituer la logique de la situation ou le problme grce des

    observations exprimentales (faits construits) qui ont la fois le statut dhypothses qui

    forment la matire du problme et de tests lgard des solutions qui y sont apportes jusqu

    ce que le problme soit circonscrit. Ce continuum permet d'incorporer de nouveaux faits

    permettant de modifier les hypothses, de telle sorte que lenqute nest jamais vritablement

    close. La thorie instrumentale de la valeur de Dewey traite scientifiquement des normes,

    afin de comprendre dans quelle mesure la solution est bien approprie au problme pos, les

  • 12

    moyens bien ajusts aux fins. Il ny a pas de sparation entre les fins et les moyens, les

    valeurs et les faits ; les normes doivent tre fondes empiriquement, elles apparaissent au

    terme du processus de lenqute. Dewey plaide pour la coopration interdisciplinaire entre les

    sciences sociales, sous lgide de la psychologie sociale dont il est l'un des reprsentants

    minents ; il est lun des fondateurs de lAmerican Journal of Economics and Sociology en

    1941.

    2.2.2. Droit et histoire conomiques Columbia : Hale, Berle, Beard

    Dans le domaine du droit conomique, respectivement et selon une optique spcifique,

    Robert Lee Hale (1884-1969) et Adolf Augustus Berle (1895-1971) jouent un rle crucial

    dans la connexion analytique entre droit et conomie institutionnels. Avec Hamilton la Yale

    Law School, ils constitueront les trois ttes de rseau de lconomie institutionnelle en droit.

    Hale, professeur la Columbia Law School partir de 1919, uvrera particulirement

    dans le domaine de lintgration de la problmatique des biens publics en conomie

    institutionnelle [Hale R. L. (1924)]. La Legal Realist School Columbia dont il est le chef de

    file reprsente clairement aux yeux des conomistes institutionnels, et plus gnralement dans

    le monde acadmique amricain, le pendant dans le droit conomique de lapproche

    institutionnaliste [Fried B. (1998)].

    Berle qui entre la Columbia Law School en 1927 jouera aussi un rle important dans

    lintgration de la dimension juridique dans lanalyse conomique institutionnaliste. En 1928,

    il obtient une bourse de la fondation Rockfeller (Social Science Research Council of

    America) pour mener une recherche transdisciplinaire sur les nouvelles formes juridiques et

    conomiques des socits par actions. Il recrute cet effet un ami de jeunesse, Gardiner C.

    Means (1896-1988) qui travaille depuis 1927 dans le dpartement de recherche conomique

    de Columbia. Il en rsulte en 1932 leur ouvrage sur les socits modernes et le droit de

    proprit qui dfend la thse selon laquelle, dans les grandes entreprises amricaines

    contemporaines, le pouvoir conomique effectif et excutif, cest--dire le contrle de la

    production, nest plus aux mains des actionnaires propritaires mais dans celles des

    managers [Berle A. A. & Means G. C. (1932)]. Cette contribution majeure lanalyse de

    la firme capitaliste est sans doute lun des acquis les plus remarqus de lconomie

    institutionnelle de cette poque et participe ainsi au rayonnement de lanalyse volutionnaire

    produisant des rsultats significatifs quant ltude des transformations historiques de

    lentreprise daffaires telles que dfinies par Veblen (1921).

  • 13

    Dans le domaine des tudes historiques conformes lapproche institutionnaliste,

    lUniversit Columbia dispose aussi dune nouvelle cole , la New History [Barnes H. E

    (1925)], dont Charles A. Beard (1874-1948) est le chef de file et o il enseigne de 1904

    1917, puis participe a la cration de la New School for Social Research. Cette nouvelle

    histoire adopte la mthode gntique et interprte la gense et le contenu des institutions

    comme la consquence de luttes, de victoires ou de compromis politiques entre intrts

    conomiques rivaux. Les principales institutions de la socit amricaine, et au premier titre

    la Constitution ds lorigine des tats-Unis, sont les fruits de la victoire politique, et en

    consquence de limposition des rgles du jeu dans la socit, de certains intrts

    conomiques dominants [Beard C. A. (1913) (1915) (1927)]. Cette faon de penser lhistoire

    des institutions comme instruments de pouvoir et de contrle en particulier par les franges les

    plus modernistes du grand capitalisme amricain, est en adquation avec le mouvement

    institutionnel en conomie. La question du contrle social de lconomie par des

    agences rgulatrices , dont Beard dfend une interprtation planiste, est le thme politique

    fdrateur des institutionnalistes rformateurs et celui, plus gnral, la source du compromis

    historique, aprs le choc de la crise conomique dbute en 1929, quant la ncessit dune

    nouvelle donne : repenser les institutions conomiques comme rgules par un contrle

    social dans lintrt gnral de la socit amricaine et non plus dans le sens des intrts des

    seules grandes corporations capitalistes.

    2.2.3. Le Washington Square College : une approche narrative

    Dans la priphrie de lUniversit Columbia, les membres du groupe dconomistes

    institutionnels du Washington Square College New York, compos de Willard. E. Atkins,

    Louis S. Reed, Anton A. Friedrich et la sur de Clarence Ayres, Edith [Rutherford M.

    (2000a)], constituent aussi un des lments importants du rseau de lconomie

    institutionnelle dans dentre-deux-guerres. Le projet plus pdagogique que thorique de ce

    groupe, dont le chef de file est Atkins [Atkins W. E. (1923) (1924) (1931)], propose, selon

    une mthode dexposition ultrieurement qualifie de narrative , une description dtaille

    et raliste de lactivit conomique amricaine avec ses institutions et ses problmes

    conomiques. Louvrage publi sous la direction dAtkins [Atkins W. E. (1931)], cet gard

    un modle du genre, prsente un panorama des problmes de lconomie amricaine, de leurs

    causes et des solutions institutionnelles y apporter. Ce genre douvrage aura, et a toujours,

    un grand succs chez les enseignants et les tudiants en conomie de collge et de premier

  • 14

    cycle universitaire. Face lirralisme des manuels noclassiques, cette vision raliste

    favorise la diffusion des ides de lconomie institutionnelle au sein dun public plus large

    que les seuls conomistes universitaires.

    Ainsi, un premier rseau dconomie institutionnelle se structure autour de

    lUniversit Columbia, avec en particulier ses dpartements dconomie, de droit et

    dhistoire, avec autour delle New York, le NBER, la New School for Social Reseach, le

    Groupe du Washington Square College, et avec ses connexions dont initialement le Groupe

    dAmherst puis certaines personnalits dans dautres universits dont, en particulier,

    Hamilton Yale, Copeland [Copeland M. A. (1924)], Albert Benedict Wolfe qui prsidera

    lAEA en 1943 [Wolfe A. B. (1924)], Lionel Danforth Edie (1893-1962) [Edie L. D. (1922)

    (1927)], Arthur Robert Burns (1895-1981) [Burns A. R. (1936)] et Clarence E. Ayres [Ayres

    C. E. (1938) (1944)] ancien du Groupe dAmherst et chef de file du foyer institutionnaliste au

    Texas partir de son arrive lUniversit dAustin en 1930.

    2.3 Autour de lUniversit du Wisconsin

    2.3.1. Commons et linflexion institutionnaliste

    Paralllement jusquen 1924, puis articul au premier rseau central de New York

    partir de cette date, un second rseau central de lconomie institutionnelle se structure autour

    de lUniversit publique du Wisconsin Madison et son chef de file John Rogers Commons

    (1862-1945).

    Aucune rfrence Commons comme institutionnaliste ne figure avant la publication

    en 1924 de son livre Legal Foundations of Capitalism. Commons na alors que peu de

    relations avec Veblen et Mitchell, il nest pas intgr dans le rseau des conomistes

    institutionnels, structur autour de Mitchell, J. M. Clark et Hamilton. Commons est

    essentiellement jusquen 1924, et bien quil partage de nombreuses influences fondatrices de

    sa rflexion avec les membres du rseau institutionnaliste, un conomiste connu pour ses

    contributions lhistoire du travail [Commons J. R. (1910-1911) (1918-1935)] et ltude

    des problmes du travail [Commons J. R. (1905) (1907) (1913) (1916) (1919) (1921)].

    partir de 1924, lentre de Commons dans le cercle rfrentiel des conomistes

    institutionnels, qui souvent cite son livre de 1924 comme un exemple danalyse

    institutionnelle, aura trois consquences.

    En premier lieu, ainsi intgr dans la mouvance institutionnaliste, Commons va y

    renforcer une double dimension. Dun ct, il renforce larticulation analytique entre droit et

  • 15

    conomie, puis entre droit, conomie et thique, poursuivant aussi les contributions des

    conomistes juristes institutionnalistes des Universits Columbia (Hale et Berle) et Yale

    (Hamilton). Ainsi, le programme de recherches initi par Richard T. Ely (1843-1929) dans les

    annes 1890, alors quil est le mentor de nombreux futurs institutionnalistes dont Commons

    en premier lieu, est dsormais mis en uvre. Dun autre ct, Commons renforce la

    dimension de ltude des problmes du travail , centrale dans de nombreuses

    problmatiques institutionnalistes, inflchissant la ligne sminale et veblenienne de Robert

    Franklin Hoxie [Hoxie R. F. (1915) (1917)] dans un sens plus rformiste et plus oprationnel

    en termes danalyse et de recommandation de politique publique, ce qui lui vaut de participer

    ds 1920 la direction du NBER.

    En second lieu, cette appartenance au mouvement des conomistes institutionnels

    partir de 1924 conduira Commons [Commons J. R. (1934b)] se questionner sur ce qui fait

    de lui un membre de ce mouvement, en particulier, en ce qui concerne son adhsion, dune

    part, aux fondements de linstitutionnalisme en conomie et tels que proposs par Veblen et

    les initiateurs du mouvement, dautre part, aux rfrences philosophiques de

    linstitutionnalisme et au premier titre le pragmatisme de C. S. Peirce et J. Dewey. Ce

    questionnement peut expliquer lintense travail de (re)fondation de l conomie

    institutionnelle laquelle il se livre aprs stre retir de la vie acadmique en 1933

    [Commons J. R. (1934a) (1950)]. Cette dernire phase dactivit de sa vie intellectuelle aura

    deux rsultats importants pour le mouvement institutionnaliste.

    Le travail entrepris par Commons conduira inflchir le cadre danalyse

    institutionnaliste selon une orientation sensiblement diffrente que celle de son initiateur

    principal, Veblen, en particulier sur la thorie de laction et sur le caractre rformable ou non

    du capitalisme. Ds lors, une dualit forte apparatra qui fait de linstitutionnalisme une

    approche bicphale : celle issue la tradition de Veblen et celle issue de la tradition de

    Commons. Bien que fondamentalement cette dualit de linstitutionnalisme ne soit pas

    irrductible [Gislain J. J. (1999)], elle introduit une confusion quant la lisibilit et la

    visibilit du mouvement de lconomie institutionnelle comme approche unitaire alternative

    lconomie conventionnelle.

    Par ailleurs, cette refondation conceptuelle et thorique de linstitutionnalisme par

    Commons intervient au moment o ce dernier nest plus en position acadmique pour former

    des disciples, dont dailleurs vis--vis desquels et des autres conomistes il se dit trs tt

  • 16

    incompris dans sa dmarche thorique [Commons J. R. (1934b)]. Elle intervient aussi

    tardivement dans lhistoire du mouvement de lconomie institutionnelle de lentre-deux-

    guerres amricain ; au moment, le milieu des annes 1930, o les conomistes institutionnels

    ont dj produit lessentiel de leurs uvres thoriques et sont souvent mobiliss dans le

    travail pratique de recommandation de politique conomique, et juste avant, la fin des annes

    1930, o le keynsianisme simposera comme lapproche la plus pertinente chez nombre

    dconomistes amricains, y compris ex-institutionnalistes.

    En dernier lieu, lactivit mme de Commons jusquau dbut des annes 1930 ne favorise

    pas la diffusion de ses conceptions thoriques. En tant que professeur lUniversit du

    Wisconsin depuis 1904, Commons a essentiellement consacr son enseignement la

    formation de praticiens en relations industrielles aptes saisir en termes ralistes les

    problmes du travail et y proposer des solutions selon la mthode de ltude de cas et

    selon lobjectif dune conciliation raisonnable des intrts en lutte. Cette mthode, Commons

    la lui-mme systmatiquement applique dans les nombreux organismes (commissions,

    comits dexperts, agences para-gouvernementales, etc.), par exemple en matire de relations

    de travail, de droit des consommateurs et surtout de stabilit montaire [Adair P. (2012)].

    2.3.2. Le groupe de lcole du Wisconsin

    Le mouvement de lconomie institutionnelle promu par lcole du Wisconsin

    commence loccasion dune circonstance politique particulire : llection au poste de

    Gouverneur de ltat du Wisconsin du rpublicain Robert La Follette en 1900. Pendant la

    priode 1900-1906, ce Gouverneur, qui deviendra Snateur par la suite (jusquen 1919),

    dveloppe une politique progressiste en matire de relations industrielles et de politique

    sociale, faisant de ltat du Wisconsin une sorte de laboratoire dexprimentation que le New

    Deal gnralise et prolonge lchelle de lensemble des tats-Unis. Pour dfinir et raliser

    son projet La Follette fait appel Commons, qui devient ainsi le concepteur, en thorie et en

    pratique, de cette nouvelle conomie politique progressiste.

    Outre les nombreuses contributions la cration et la participation de nouvelles

    instances de rgulation sociale, associant des partenaires sociaux et la dfinition ngocie

    des programmes de mise en uvre, lvnement peut-tre le plus important dans lhistoire du

    mouvement de lconomie institutionnelle dans lentre-deux-guerres amricain fut la cration,

    linitiative de Richard T. Ely et de Commons de lAmerican Association for Labor

    Legislation (1906-1942). Elle regroupera nombre dconomistes institutionnalistes concerns

  • 17

    par la rsolution des problmes du travail et plus largement par la politique conomique et

    sociale. Avec cette association, et avec la production de nombreux conomistes et praticiens

    de ces domaines dans le dpartement dconomie de lUniversit du Wisconsin, lconomie

    politique institutionnaliste issue de lcole du Wisconsin occupera une bonne part du terrain

    acadmique, en conomie du travail et plus gnralement en politique sociale, permettant

    ainsi lalimentation continue de spcialistes dans les administrations et les commissions

    dvolues ces domaines. Lconomie du travail, en particulier celui des relations

    industrielles, porte encore aujourdhui aux tats-Unis la trace profonde de linfluence de

    linstitutionnalisme dans lentre-deux-guerres.

    Rassembls autour de Commons, les membres de lcole du Wisconsin, John B.

    Andrews, Elizabeth Brandeis, Selig Perlman, David J. Saposs, Helen L. Sumner, Philip Taft,

    Edwin Emil Witte, auront une production collective considrable en matire dhistoire du

    travail et du mouvement ouvrier amricain [Commons J. R. et al. (1910-1911) (1918-1935)]

    et sur les problmes du travail contemporains. Les contributions majeures manent en

    particulier de Perlman [Perlman S. (1923) (1928) (1976)], Witte [Witte E. E. (1932)] et

    Sumner Huber Slitcher [Slitcher S. H. (1924) (1928) (1934)], professeur Harvard mais

    tudiant lUniversit du Wisconsin qui tait rest proche des conceptions de cette universit.

    Edwin E. Witte (1887-1960), tudiant puis assistant de Commons sera professeur Madison

    de 1933 1957 et prside lAEA en 1956.

    3. Lconomie institutionnelle et le New Deal

    Ainsi, avec les deux rseaux articuls ds 1924 et respectivement centrs sur les

    Universits Columbia et du Wisconsin qui font partie des quatre premires universits en

    termes de doctorats [Rutherford M. (2001)], le mouvement institutionnaliste a pu exercer une

    certaine domination9 sur lconomie politique de lentre-deux-guerres amricain.

    3.1. Linfluence institutionnaliste avant le New Deal

    Linfluence de Veblen [Veblen T. B. (1921)] est perceptible au sein du mouvement

    technocratique . Celui-ci est initi pendant lhiver 1918-1919.par Howard Scott sous le nom

    de Technical Alliance, et compos principalement de savants et dingnieurs : il compte

    Veblen et son disciple Stuart Chase (1888-1985) parmi ses membres [Aikin W. E. (1977)].

    Ce premier mouvement disparat en 1923. En 1932, Scott constitue le Committee on

    9 Selon la formule de Homan (1928), il tait toutefois devenu presque orthodoxe dtre htrodoxe .

  • 18

    Technocracy qui publie la Technocracy Review et qui disparat en 1933. Chase fait galement

    partie de ce second mouvement technocratique qui prne le contrle de la production par les

    ingnieurs ; il est crdit davoir inspir lexpression New Deal [Chase S. (1932) (1933)

    (1934)].

    Le NBER exerce une influence notoire travers ses rapports et ses tudes, notamment

    les travaux sur la comparaison et lanalyse des cycles (Mitchell, 1927). Le NBER est

    explicitement mentionn dans le trs officiel ouvrage dirig par Herbert Hoover en 1929

    [Hoover H. (1929)].

    3.2. Linfluence institutionnaliste durant le New Deal : Brain Trust et Welfare State

    Le Brain Trust va tre, non sans confusion, un laboratoire dexprimentation (Barber,

    1990, 1996). Berle est lun des tout premiers membres10 du Brain Trust de Roosevelt au

    moment du New Deal et il aura une carrire politique et diplomatique caractristique de

    limplication de nombreux membres du mouvement institutionnaliste dans la politique active.

    De 1934 1937, Tugwell appartient au Brain Trust et il occupe la fonction de sous-secrtaire

    lagriculture pendant le New Deal o il joue un rle important dans la dfinition de la

    politique agricole mais aussi, de faon plus gnrale, dans la promotion des ides planistes.

    Le programme du New Deal nonc par Roosevelt en 1932 est lgifr au cours des

    trois premiers mois de sa prsidence en 1933. Il se traduit par la cration de nombre

    dagences gouvernementales visant rduire le chmage (Civil Works Administration, et

    Civilian Conservation Corps), relancer la production industrielle (National Recovery

    Administration), rguler les institutions financires (Federal Deposit Insurance Corp.,

    Securities and Exchange Commission), soutenir la production agricole (Agricultural

    Adjustment Administration) et canaliser les ressources en eau afin de fournir de lnergie

    (Tennessee Valley Authority). La priode 193536, dite du second New Deal, conduit

    linstauration dun cadre paritaire (National Labor Relations Board) et surtout du systme de

    scurit sociale (Social Security Act) [Couch J. F. & Shughart W. F. (1998)]. La premire

    priode du New Deal est plutt dinspiration veblenienne : dfaut de planification

    technocratique, les agences sont cres pour rguler le capitalisme amricain. La seconde

    priode construit des bases, dinspiration commonsienne, de ltat-providence amricain

    10 Raymond Charles Moley (18861975), professeur de droit Columbia, soutient alors la candidature de Franklin Roosevelt et recrute parmi ses collgues professeurs Columbia pour constituer le Brain Trust qui va

    conseiller Roosevelt pendant sa campagne lectorale de 1932.

  • 19

    (Welfare State). Outre Berle et Tugwell, dautres institutionnalistes joueront alors un rle

    direct dans ladministration du New Deal.

    Isador Lubin (1896-1978), tudiant de Veblen, soutient sa thse la Brookings

    Graduate School11

    en 1926. Spcialiste des statistiques du travail et des salaires, il est nomm

    en 1933 et demeure jusquen 1946 responsable du Bureau of Labor Statistics qui calcule les

    salaires horaires et la dure hebdomadaire du travail dans lindustrie manufacturire,

    conduisant la rvision de lindice du cot de la vie [Weinberg (1984)]. Lubin participe

    galement la rdaction du National Industrial Recovery Act (NIRA). Membre du Presidents

    Economic Security Committee en 1934, il aide en 1935 la cration du rgime dassurance-

    chmage compris dans le Social Security Act [Lubin I. (1977)], puis ladoption par le

    Congrs en 1938 du Fair Labor Standards Act. Au cours de la 2me

    guerre mondiale, il

    devient un conseiller spcial de Roosevelt et reprsente les tats-Unis dans le cadre de la

    Commission des Rparations.

    Mordecai Ezekiel (1899-1974) soutient sa thse la Brookings Graduate School en

    1926. Spcialiste des questions agraires, il formalise le premier modle du processus

    dajustement des prix en quilibre partiel qui gnralise lanalyse du cycle du porc [Ezekiel

    M. (1938)]. Conseiller conomique du Secrtaire lAgriculture de 1933 1944, il prend

    activement part la rdaction de lAgricultural Adjustment Act et llaboration de

    lAgriculture Adjustment Administration. Il est partisan, aux cts de Tugwell, de lextension

    de la planification la production industrielle [Ezekiel M. (1939)].

    Alors conseiller du ministre de lAgriculture, G. C. Means publie un rapport pour le

    Snat consacr la rigidit des prix industriels, les prix administrs, qui sinscrit dans la

    construction dune microconomie institutionnelle [Means G. C. (1935) (1992)]. Il labore

    ensuite une macroconomie institutionnelle [Means G. C. (1939) (1992)] qui tournera court,

    quant son influence sur les conomistes et les dcideurs de politiques conomiques, avec

    larrive fulgurante de la macroconomie keynsienne dans le monde des conomistes

    amricains de la fin des annes 1930.

    Linfluence de lcole du Wisconsin est aussi trs prgnante sur la conception et la

    ralisation du New Deal. Dj Commons avait t un acteur important de lre du Progrs

    11 La Brookings Institution rassemble en 1927 lInstitute of Economics (cr en 1922) et la Graduate School (cre en 1924) et a pour mission de promouvoir la recherche dans les domaines de lconomie, de ladministration publique et des sciences politiques et sociales. Elle est alors prside par Harold Moulton, professeur lUniversit de Chicago.

  • 20

    aux tats-Unis dans les annes 1900-1920, alors quil tait conseiller de La Follette,

    gouverneur puis snateur rpublicain progressiste du Wisconsin, entre 1900 et 1919.

    lpoque du New Deal, Commons est en retrait mais ses conceptions, portes par ses anciens

    lves, auront une influence significative sur larchitecture de ltat-providence amricain

    [Da Costa I. (2011)], en particulier, les deux grandes lois fondatrices en 1935. LActe

    national des relations de travail (National Labor Relations Act, plus connu sous le nom de

    Wagner Act) traduit la conception commonsienne de lquilibrage des forces transactionnelles

    entre employeur et syndicat. LActe de scurit sociale (Social Security Act), conu et

    administr par deux lves de Commons, Edwin Emil Witte et Arthur Altmeyer, ralise une

    partie du programme commonsien en matire de scurit sociale (chmage, retraite, famille,

    etc.).

    4. De lapoge au dclin de linstitutionnalisme

    Le New Deal marque lapoge de linstitutionnalisme, mais va galement favoriser

    son dclin progressif. Linstitutionnalisme simpose dans les instances de gouvernance

    comme conomie politique oprationnelle, ce qui a pour effet daspirer ses membres vers les

    agences gouvernementales, consacrant ainsi leur reconnaissance et les extriorise lgard du

    monde acadmique, ralentissant ainsi significativement la poursuite de leur rflexion

    thorique. Par ailleurs, linstitutionnalisme sera en proie au discrdit scientifique , car il lui

    sera imput la responsabilit des checs du New Deal : les lgislations dclares

    inconstitutionnelles par la Cour Suprme, les programmes de retour au plein emploi qui ne

    parviennent pas rduire sensiblement le chmage, etc.). Le climat de raction au New

    Deal partir de 1935, en particulier la renaissance de la pense librale, est dfavorable

    linstitutionnalisme, considr alors comme une idologie interventionniste qui a failli. Dans

    laprs-guerre, ce rejet idologique de linstitutionnalisme se confirmera et lre Truman

    poursuit partir de 1945 la dconstruction partielle du New Deal entame ds 1935. Les

    agences de rgulation seront mises en sommeil, la couverture sociale ne progressera plus

    significativement et le systme des relations industrielles laissera aux acteurs dcentraliss le

    soin de ngocier, la priori favorable aux syndicats ouvriers confr par le Wagner Act stant

    mouss. En somme, lexprience historique dune forme spcifiquement amricaine de

    social-dmocratie aura t de courte dure. Linstitutionnalisme ne retrouvera plus sa vigueur

  • 21

    de lentre-deux-guerres, dautant plus qu ces causes externes de son dclin, des causes

    internes la dynamique de la science conomique viendront laffaiblir.

    Commons [Commons J. R. (1934a)] publie son ouvrage majeur alors quil vient de

    quitter le monde acadmique ; Mitchell abandonne son projet dlaboration dune thorie de

    lvolution montaire et la tradition inspire par Veblen met laccent sur lanthropologie.

    Sous lgide de Clarence Edwin Ayres (1891-1972), lcole institutionnaliste du

    Texas lUniversit publique dAustin se propose de gnraliser la thorie du changement

    structurel, qui repose sur la dichotomie de Veblen entre logique pcuniaire et logique

    productive , en fondant celle-ci sur lopposition crmonie technologie . Ayres plaide

    pour une approche normative visant dfinir quel est le bon arrangement institutionnel ,

    relatif la logique de la crmonie , qui savre compatible avec le progrs conomique

    induit par la technologie , de telle sorte quil assure le bien-tre social. Il sagit daboutir

    la formulation dune thorie instrumentale de la valeur de facture no-veblenienne qui

    sinspire fortement du pragmatisme de Dewey ; la valeur (les valeurs) - relative aux

    dimensions matrielle, symbolique et morale - ne se rduisant pas la seule valuation

    crmonielle que fournit le systme des prix [Ayres C. E. (1944)]. Ce faisant, il laisse en

    suspens la rflexion microconomique relative la logique pcuniaire et la

    psychologie conomique , deux des enjeux essentiels du programme de recherche

    scientifique de Veblen12

    [Gambs J. S. (1946)].

    Le dclin de linstitutionnalisme rsulte de la conjonction de facteurs externes, et de

    facteurs internes, en particulier, labsence dun trait gnral condensant la thorie

    institutionnaliste, labandon dune thorie de la formation des prix, le manque de consensus

    sur les fondements mthodologiques, notamment concernant la thorie de laction, ainsi que

    laccent mis sur lidologie et lconomie applique au dtriment de la thorie.

    Parmi ces nombreux facteurs, dont la liste pourrait tre allonge [Hodgson G. (2004)],

    trois lments concourent aussi affaiblir linstitutionnalisme de la fin des annes 1930 la

    fin des annes 1940. La concurrence quexercent les Universits de Harvard et de Chicago

    lgard de celles de Columbia et de Madison recouvre la fois la domination de la

    macroconomie keynsienne, puis de la synthse noclassique qui va constituer la science

    12 Il revient lanalyse du revenu relatif de James S. Duesenberry (1918-2009) de mettre en relief l effet d'imitation rsultant de la consommation ostentatoire [Duesenberry J. S. (1949)], et cest Harvey Leibenstein (1922-1994) qui identifie le double effet dimitation et de distinction [Leibenstein H. (1950)]. Les deux auteurs, professeurs Harvard, ne participent cependant pas de la mouvance institutionnaliste.

  • 22

    normale , et lessor du positivisme ; linflexion de lconomie quantitative vers le

    dveloppement de lconomtrie ; lapparition de nouveaux programmes de recherche

    scientifique au sein de la discipline, issus de lmigration des conomistes autrichiens : J. Von

    Neumann en 1930, J. A. Schumpeter en 1932, O. Morgenstern en 1938, L. Von Mises en

    1940.

    4.1. La macroconomie keynsienne la conqute de lAmrique

    la fin des annes 1940 et au dbut des annes 1950, avec le retour des vtrans

    et de lexpansion conomique, le besoin dune nouvelle gnration denseignants en

    conomie saccompagne de la diffusion du manuel issu de la synthse noclassique

    [Samuelson P. A. (1947)] et de lmergence dun nouveau style de recherche qui met laccent

    la fois sur la formalisation des modles et lusage routinier de lconomtrie dans lanalyse

    empirique [Margo R. A (2011)]. Lconomie noclassique se prte mieux un enseignement

    formel et se renforce travers la publication dans des revues acadmiques qui en retour

    favorise laccs de llite acadmique des positions de responsabilit, tandis que

    lUniversit du Wisconsin valorise les carrires orientes vers la politique conomique plutt

    quacadmiques et fait ainsi obstacle sa propre reproduction13 [Biddle J. (1998)].

    La prgnance de lapproche keynsienne, bien reprsente lUniversit dHarvard

    rsulte de linfluence exerce par Alvin Hansen (1887-1975), et Lauchlin Currie (1902-1993).

    Currie rdige le Banking Act de 1935 qui rorganise la Rserve Fdrale et renforce ses

    pouvoirs ; il devient le conseiller conomique de Roosevelt en 193914

    . Hansen incarne et

    propage le keynsianisme aux USA, avec son lve Paul Samuelson (1916-2009), il figure

    parmi les trois fondateurs de la synthse noclassique avec Hicks et Samuelson. Sil a

    rdig sa thse en 1918 sur les cycles sous la direction de Ely et de Commons, Hansen ne

    sest jamais associ lconomie institutionnelle.

    Certains institutionnalistes de la nouvelle gnration, tels Ezekiel et Lubin ainsi que

    Galbraith15

    mais aussi Slichter, adoptent le programme de dficit public dfendu par Currie et

    13 Lenjeu nest pas ce qui est advenu des tudiants de Commons (qui dirige un nombre ingal de thses), mais ce quil advient la gnration suivante des tudiants des disciples de Commons Madison, universit dont le classement acadmique avait significativement chut tandis que les dpartements dconomie savraient moins ouverts linstitutionnalisme (Rutherford, 2006). 14 Linfluence keynsienne est donc plus tardive. Frances Perkins (1947), ministre du travail de Roosevelt de 1933 1945, raconte lentrevue en juin 1934 entre Roosevelt et J. M. Keynes, ce dernier tentant dexpliquer l effet multiplicateur , en prenant des exemples chiffrs, au premier manifestement surpris et perdu par ces explications.

    15 John Kenneth Galbraith (1908-2006), tudiant Harvard en 1934 o il retourne enseigner en 1949, est

    recrut dans lquipe de Tugwell en 1938, alors qu cette poque, il nest pas institutionnaliste . Il souligne

  • 23

    Hansen et plus largement lapproche macroconomique keynsienne. Cependant, la plupart

    des conomistes institutionnels de la prcdente gnration demeurent sceptiques.

    4.2. Lconomie quantitative et lessor de lconomtrie

    Paralllement lextension et la multiplication des travaux du NBER, le

    dveloppement de lconomie quantitative procde de lessor conjoint de lconomtrie et de

    la modlisation. La Socit dconomtrie, cre en 1930 dbute en 1933 la publication de la

    revue Econometrica., tandis que la Cowles Commission (rattache lUniversit de Chicago

    de 1939 1955) est fonde en 1932. Dautre part, les techniques de mesure et les tests

    d'hypothses se diffusent (en particulier linfrence statistique de Neyman-Pearson) et

    lapproche stochastique participe de la construction de modles de fluctuations, notamment

    avec Frish qui le premier distingue limpulsion de la propagation et construit un modle

    linaire agrg fond sur loccurrence de facteurs exognes [Adair P. (1994)].

    En 1937, ladministration Roosevelt est inquite de voir lconomie amricaine

    replonger dans la rcession. Le NBER se voit confier par le secrtaire au Trsor, H.

    Morgenthau, le mandat didentifier rapidement une srie d'indicateurs avancs permettant de

    prvoir les reprises conomiques ; il en rsulte un rapport [Burns A. F. & Mitchell W. C.

    (1938)] dont les faits styliss font lobjet dune tude [Burns A. F. & Mitchell W. C. (1946)]

    qui va dclencher la critique de Tjalling C. Koopmans (1910-1985).

    Dans laprs-guerre, la concurrence entre lapproche analytique de la Cowles

    Commission et lapproche descriptive du NBER aboutit la controverse mthodologique qui

    oppose respectivement Koopmans et Rutledge Vining (1908-1999). La critique quadresse

    Koopmans [Koopmans T. C. (1947) (1949)] la contribution de Burns et Mitchell, qualifie

    de mesure sans thorie , porte sur trois points : lempirisme est mthodologiquement

    indfendable car lobservation des faits requiert des prsupposs thoriques, labsence de

    fondements microconomiques ne permet pas de fonder un modle macroscopique (de

    fluctuations), le caractre fruste et lacunaire des mesures qui ignorent les facteurs alatoires et

    se limitent lanalyse de la variance ; ds lors, faute dtre tests par infrence, les

    indicateurs ne peuvent fournir de prdictions pertinentes pour guider la politique conomique.

    Vining rfute ces critiques : il dfend linduction en distinguant la phase exploratoire de

    les imperfections du march et propose lesquisse dun programme de rglementation pour lindustrie (Dennison and Galbraith, 1938). Ayant particip aux discussions du cirque de Cambridge lors de son sjour en Grande-

    Bretagne, il popularise les travaux de Keynes aux tats-Unis.

  • 24

    lobservation qui conduit la formulation des hypothses, en amont , de leur test, en

    aval ; il plaide en faveur du holisme mthodologique selon lequel le comportement des

    groupes dagents ne se rduit celui des individus qui les composent car il incorpore leffet

    de routine quengendre lexistence de rgles institutionnelles qui peuvent varier ; il considre

    enfin que lobjet n'est pas de fournir des prdictions mais des prvisions. De plus, Vining

    (1949, 1951) souligne que lamlioration de la prcision des mesures ne doit pas

    ncessairement induire une confiance accrue lgard de la prdiction du modle. La

    controverse ne permettra pas de rduire sensiblement la porte de dsaccords irrductibles au

    plan mthodologique [Vining R. (1949) (1951)]. Koopmans, ultrieurement, ne disqualifie

    plus la pertinence des indicateurs du NBER. Par ailleurs, malgr lamlioration des

    estimations et des tests, le caractre prdictif des modles nest pas fortement renforc ; ds

    lors, le programme de recherche de lconomtrie analytique tend pitiner [Epstein R.

    J. (1987)].

    4.3. Ldification de la science normale

    Ldification de la science normale [Kuhn T. S. (1970)] repose sur deux piliers

    dont lautonomie, sinon lindpendance, assure la dlimitation des champs d'investigation

    jusqu'aux annes 1970.

    Le premier pilier repose sur la macro-conomtrie rsultant de la fusion de lapproche

    quantitative et de la rvolution keynsienne [Klein L. R. (1947)] qui conduit

    llaboration de modles macro-conomtriques visant raisonner la politique conomique,

    et dont lefficacit est alors accrdite par lamortissement des fluctuations de lactivit et la

    vigueur de la croissance dans laprs-guerre.

    Le second pilier, celui de la micro-conomie, dveloppe avec succs son programme

    de recherche dans deux directions : lquilibre gnral et la thorie des jeux. Il sagit

    daxiomatiser un modle complet reprsentant la coordination de lactivit de tous les agents

    et den dduire les conditions assurant le bien-tre. La thorie des jeux, quant elle, permet

    lextension du calcul conomique aux situations de conflit comme de coopration, prenant en

    compte lincertitude.

    Par ailleurs, la mthodologie de Milton Friedman, fonde sur la sparation de

    l'conomie normative davec lconomie positive et qui fait de cette dernire le cur

    de la discipline, tend progressivement tre adopte par lorthodoxie noclassique. Selon

    Friedman, les thories ne procdent pas dhypothses ralistes mais constituent des

  • 25

    instruments danalyse (des comme si ) dont la pertinence doit tre juge sur leur

    capacit de prdiction. Ce faisant, la discipline, ddouane de lexigence du ralisme,

    conserve nanmoins son caractre empirique [Friedman M. (1953)].

    partir des annes 1940, les conditions ne sont plus favorables linstitutionnalisme.

    Au niveau gnral de la socit aux tats-Unis, lidologie librale redevient dominante. Ds

    lors, pour les pouvoirs publics, il ne sagit plus de rguler institutionnellement le

    capitalisme, mais de le stabiliser , notamment par lintervention budgtaire et montaire ;

    le keynsianisme est adquat cette nouvelle mission de ltat. Outre linfluence globale

    dans la socit du renouveau du libralisme, les milieux acadmiques expriment une forte

    demande de reconnaissance scientifique et, en consquence, sorientent vers le formalisme

    canonique, celui des sciences de la nature. Le physicalisme de la synthse noclassique, avec

    ses mcanismes micro et macro-conomiques, confre alors la lgitimit la science

    conomique , dsormais dnomme conomique (economics) selon lusage

    conventionnel pour qualifier une discipline scientifique.

    Conclusion

    Au regard du dveloppement de la science normale , lhtrodoxie

    institutionnaliste est donc marginalise partir de la fin des annes 1930 : son programme de

    recherche demeure en friches ou a t en partie absorb par la science normale . Ainsi,

    parmi les 5 points du programme nonc en 1918 [Hamilton W. H. (1919)] seul le point 5

    relatif au contrle social a t vritablement abord et encore ne la-t-il t principalement

    que sur le plan de la seule rgulation conjoncturelle. La ncessit dune approche dynamique

    (point 4) a t reconnue, mais celle-ci sest limite lanalyse des fluctuations sans offrir de

    thorie du changement structurel. Lunification de la discipline conomique (point 1), ne sest

    pas ralise conformment linterdisciplinarit des sciences sociales prne par les

    institutionnalistes. Bien au contraire, tandis que la division des sciences sociales sest

    accentue, le postulat de rationalit devient le vecteur dhomognisation de lensemble des

    domaines dinvestigation de lconomique . Quant lanalyse des institutions (point 2) et

    llaboration dhypothses plus ralistes (point 3), force est de reconnatre quelles nont

    pas t entreprises. Il faudra attendre les annes 1970-1980 pour voir un renouveau de

    l institutionnalisme avec la renaissance de l ancien dans ses deux principales

  • 26

    traditions, veblenienne et commonsienne, et la naissance dune varit de nouveaux

    institutionnalismes mais cest dj une autre histoire !

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