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Solidarité internationale LES SAMEDI 4 ET DIMANCHE 5 NOVEMBRE 2017 CAHIER SPÉCIAL I Dans quelle mesure la culture à laquelle nous sommes exposés joue-t-elle un rôle dans notre compréhension des enjeux internationaux? Voilà la question à laquelle les Québécois seront invités à réfléchir, du 8 au 18 novembre prochains, à l’occa- sion des Journées québécoises de la solidarité in- ternationale (JQSI). Littérature, musique et arts vi- suels seront au cœur des discussions ! EMILIE CORRIVEAU Collaboration spéciale «C ette année, on souhaite vraiment re- politiser la question culturelle » , avance d’entrée de jeu Fred Dubé, co-porte-parole des JQSI. Pour l’hu- moriste, il ne fait aucun doute que la culture s’avère un puissant outil d’influence politique qui a le pouvoir de conditionner les perceptions des individus, et ce, dès leur plus jeune âge. « En réfléchissant au thème des JQSI, j’ai réalisé que le premier contact que j’avais eu avec la guerre du Vietnam, c’était Rambo 2, relate-t-il. À cause de ce film-là, pendant des années, pour moi, la guerre du Vietnam, ça s’est résumé à des Asiatiques, tous pareils, qui n’avaient pas d’âme et qui étaient unis contre le monde ! Ça veut dire que, dès ma jeune enfance, j’ai été colonisé par ce film-là ! » Dénoncer la vision unique Des prises de conscience comme celle de Fred Dubé, les organisateurs des JQSI espèrent en susciter plusieurs cette année grâce à leur thématique. « Quand on parle des grands enjeux internationaux, de façon générale, ce qui vient à la tête des gens, c’est d’abord les images des médias : les famines, les guerres, les attentats, etc. Ce qui vient tout de suite après, ce sont les images qu’ils ont vues dans les films et les séries télé ou celles qu’ils se sont construites en lisant des romans, en écoutant des chansons, etc. », indique Marie Brodeur Gélinas, chargée de programmes à l’Association québé- coise des organismes de coopération internationale Art-thérapie Créer pour dialoguer I 2 Les artisanes de la paix : un rempart contre la violence I 5 JOURNÉES QUÉBÉCOISES DE LA SOLIDARITÉ INTERNATIONALE La culture comme outil d’influence politique VOIR PAGE I 2 : CULTURE THOMAS COEX AGENCE FRANCE-PRESSE Un artiste palestinien réalise une murale sur le mur de l’école Beit Hanoun, gérée par les Nations unies, dans le nord de la bande de Gaza.

I Solidarité internationale - Le Devoir

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Page 1: I Solidarité internationale - Le Devoir

Solidarité internationale

LES SAMEDI 4 ET DIMANCHE 5 NOVEMBRE 2017

CAHIER SPÉCIAL I

Dans quelle mesure la culture à laquelle nous

sommes exposés joue-t-elle un rôle dans notre

compréhension des enjeux internationaux? Voilà la

question à laquelle les Québécois seront invités à

réfléchir, du 8 au 18 novembre prochains, à l’occa-

sion des Journées québécoises de la solidarité in-

ternationale (JQSI). Littérature, musique et arts vi-

suels seront au cœur des discussions!

E M I L I E C O R R I V E A U

Collaboration spéciale

« Cette année, on souhaite vraiment re-politiser la question culturelle »,avance d’entrée de jeu Fred Dubé,co-porte-parole des JQSI. Pour l’hu-

moriste, il ne fait aucun doute que la culture s’avère unpuissant outil d’influence politique qui a le pouvoir deconditionner les perceptions des individus, et ce, dèsleur plus jeune âge. « En réfléchissant au thème desJQSI, j’ai réalisé que le premier contact que j’avais euavec la guerre du Vietnam, c’était Rambo 2, relate-t-il. Àcause de ce film-là, pendant des années, pour moi, laguerre du Vietnam, ça s’est résumé à des Asiatiques, touspareils, qui n’avaient pas d’âme et qui étaient uniscontre le monde ! Ça veut dire que, dès ma jeune enfance,j’ai été colonisé par ce film-là ! »

Dénoncer la vision uniqueDes prises de conscience comme celle de Fred

Dubé, les organisateurs des JQSI espèrent en susciterplusieurs cette année grâce à leur thématique.

«Quand on parle des grands enjeux internationaux, defaçon générale, ce qui vient à la tête des gens, c’estd’abord les images des médias : les famines, les guerres,les attentats, etc. Ce qui vient tout de suite après, ce sontles images qu’ils ont vues dans les films et les séries téléou celles qu’ils se sont construites en lisant des romans,en écoutant des chansons, etc. », indique Marie BrodeurGélinas, chargée de programmes à l’Association québé-coise des organismes de coopération internationale

Art-thérapieCréer pourdialoguer I 2

Les artisanesde la paix: unrempart contrela violence I 5

JOURNÉES QUÉBÉCOISES DE LA SOLIDARITÉ INTERNATIONALE

La culturecomme outild’influencepolitique

VOIR PAGE I 2 : CULTURE

THOMAS COEX AGENCE FRANCE-PRESSE

Un artiste palestinien réalise une murale sur le mur del’école Beit Hanoun, gérée par les Nations unies, dans lenord de la bande de Gaza.

Page 2: I Solidarité internationale - Le Devoir

S O L I D A R I T É I N T E R N A T I O N A L EL E D E V O I R , L E S S A M E D I 4 E T D I M A N C H E 5 N O V E M B R E 2 0 1 7I 2

QUE LA PAIX SOIT SUR ELLEParce que soutenir les femmes, c’est soutenir la paix�!ENSEMBLE, demandons au gouvernement canadien de donner aux femmes les ressources dont elles ont besoin pour être au cœur de la paix.

1 888 234 8533 | devp.org

A N D R É L A V O I E

Collaboration spéciale

R oxana Robin aurait pupoursuivre une longue et

fructueuse carrière dans le mi-lieu bancaire, mais pour cettefemme née au Bangladesh,adoptée par une famille fran-çaise et installée au Québecdepuis 22 ans, il a suf fi d’unseul voyage en Inde pour quetout bascule. Après un engage-ment bénévole dans un orphe-linat, au contact de la misèreet de la souffrance de ces en-fants abandonnés, elle a optépour un changement profes-sionnel radical, celui de la coo-pération internationale, avecl’Aide internationale pour l’en-fance (AIPE) en 2000.

«L’éducation, c’est notre mis-sion, notre cheval de bataille »,affirme la fondatrice et direc-trice générale de l’AIPE, tem-pora i r ement ins ta l l ée enFrance avec l’espoir d’y ouvrirune succursale de son organi-sation «et ainsi profiter du sou-tien de l’Union européennepour être présents dans d’autrespays, comme ceux de l’Afriquefrancophone ». Qu’elle soit àParis, dans leurs bureaux àLongueuil ou sur le terrain àMumbai, en Inde, et en Thaï-lande, elle et son équipe sontanimées de deux convictionsprofondes : l’impor tance del’éducation pour briser leschaînes de l’exploitation soustoutes ses formes, celles quiétouffent les enfants et leur fa-mille, et la sensibilisation desQuébécois à ces réalités pouraugmenter la pression sur lespol i t ic iens, les gouver ne-ments, les multinationales, etc.

La tâche est colossale, maisRoxana Robin connaît depuislongtemps les vertus de la pa-tience, surtout dans le contexte,fragile et imprévisible, de la coo-pération internationale. «Il nefaut jamais faire l’erreur d’arri-ver dans un pays avec nos solu-tions toutes faites, et les imposer.»Elle avoue d’ailleurs qu’elleignorait tout des bienfaits del’art-thérapie avant que leur par-tenaire local, la Foundation forChild Development (FCD), ba-sée en Thaïlande, lui en démon-tre toutes les vertus.

La parole grâce aux arts« La FCD est une des pre-

mières organisations en Thaï-lande à utiliser l’ar t-thérapiepour venir en aide aux immi-grants illégaux, qu’ils soient en-fants ou adultes , soul igneRoxana Robin. Depuis, beau-coup d’organismes viennent ob-server leur travail, surtout ceuximpliqués dans les camps de ré-fugiés. » La culture, selon elle,

«c’est l’occasion de partager desplaisirs, des sensations et desémotions, et surtout d’accueillircelle de l’autre, peu importe sonâge ou sa religion».

Or, l’entreprise peut parfoisressembler à une véritabletour de Babel. «En Thaïlande,nous travaillons auprès de Bir-mans, de Cambodgiens et deLaotiens : ils ont des traditionset des dialectes complètementdifférents. L’art devient alors leseul moyen de les rassembler,que ça soit autour de dessins oud’une pièce de théâtre, plus spé-cifiquement la pantomime,pour éviter l’utilisation de dia-logues. » Ces expériences artis-tiques leur permettent de dé-velopper « de la confiance, del’estime, de la créativité, tout enexprimant leurs traumatismes,leurs peurs, leurs angoisses ».

La FCD et l’AIPE collabo-rent étroitement dans la villeet le district de Samut Prakan,une agglomération d’environ400 000 habitants située ausud-est de Bangkok. Elles lefont dans une atmosphère dif-f ic i le et volat i le , constateRoxana Robin. « Comme par-tout ailleurs, il y a énormémentde racisme en Thaïlande, etune g rande in to l é rance àl’égard des immigrants », dé-plore-t-elle. Ils vivent souventdans des conditions déplora-bles, «et une insécurité totale»,craignant constamment les ra-fles policières dans les usineset les bidonvilles. Car revenirdans leur pays d’origine, c’estrevenir dans une autre vie demisère, ou alors en prison.

Les forces vives du milieuPour que fleurissent les

bienfaits de l’art-thérapie dansdes milieux aussi complexes,un travail d’éducation doit s’ef-

fectuer auprès des forces del’ordre… et du milieu universi-taire. «Depuis quelques années,les rafles ont diminué grâce àun programme qui permet auxjeunes policiers stagiaires decollaborer avec les intervenantsde la FCD, de comprendre leurmission, et de découvrir la réa-lité des immigrants. Nous avonsdéveloppé le même type de par-tenariat avec trois universitésdu district, précise Mme Robin.

Les étudiants sont invités à ve-nir faire du bénévolat, car cha-cun reste trop souvent au seinde sa classe sociale. Ils n’étaientque quelques-uns au début,mais ils sont de plus en plusnombreux, le mot s’est passé.J’ai d’ailleurs travaillé avec unjeune traducteur thaïlandaisqui ne rêvait que d’aller vivre àParis ; m’accompagner pendantdeux ans dans les bidonvilles aété pour lui un choc salutaire.»

ART-THÉRAPIE

Créer pour dialoguer

Enfants d’une communauté cambodgienne

PHOTOS AIDE INTERNATIONALE POUR L’ENFANCE

La culture, « c’est l’occasion de partager des plaisirs, des sensations et des émotions, et surtout d’accueillircelle de l’autre, peu importe son âge ou sa religion », selon la fondatrice et directrice générale de l’Aideinternationale pour l’enfance, Roxana Robin.

(AQOCI) et coordonnatricedes JQSI.

« Malheureusement, c’estd’Hollywood que provient lamajorité de ces images parceque c’est là qu’est le pouvoiréconomique, poursuit-elle. Çalaisse dans l’ombre toutes lesautres réalités, que ce soient lesinégalités mondiales, les chan-gements climatiques, les injus-tices relatives au droit desfemmes, etc. Pendant les JQSI,on va dénoncer ça ; par dif fé-rentes activités, on va essayerde faire prendre conscience auxgens de l’influence qu’ont lesœuvres de la culture indus-trielle sur notre compréhensiondes enjeux internationaux. »

Mettre l’art engagé en lumière

Mais les activités tenuesdans le cadre des JQSI ne se li-miteront pas à la dénonciation.

Elles viseront aussi à mettreen lumière des initiatives cul-turelles engagées et des œu-vres qui abordent les grandsenjeux internationaux de ma-nière éclairante. « Ce qu’on vamettre en avant, c’est que laculture et l’art engagé permet-tent la mobilisation citoyenne,l’éducation populaire, la lutte,la résistance et la réalisation deprojets, explique Mme BrodeurGélinas. On va aller dans le po-sitif pour inspirer les gens ! »

Manal Drissi, co-por te-pa-role des JQSI, s’en réjouit : « Jetrouve que l’ar t est une façonvraiment sous-estimée de sensi-biliser les gens aux enjeux inter-nationaux. Pourtant, c’est unvéhicule tellement appropriépour le faire ! Sans que ce soitune finalité, l’art permet d’éveil-ler les gens à des réalités qui neles auraient peut-être jamaistouchés autrement.»

Près d’une centaine d’activi-tés seront tenues dans le ca-dre des JQSI. Elles se déroule-ront dans l’ensemble des ré-gions de la province.

SUITE DE LA PAGE I 1

CULTURE

Œuvres influentes à partagerVu la thématique culturelle de l’édition 2017 des JQSI, ses orga-nisateurs ont pensé proposer sur le Web un corpus d’œuvresinspirantes à découvrir. Ce dernier est à la fois alimenté par descollaborateurs de l’événement et par des citoyens interpelléspar l’initiative. Il répertorie une multitude de productions artis-tiques dans des domaines aussi variés que la littérature, la mu-sique, le cinéma, les arts de la rue et la peinture. Dans la foulée,Le Devoir a demandé à Fred Dubé, à Manal Drissi et à MarieBrodeur Gélinas de partager leurs coups de cœur.

Le choix de Fred Dubé: le rap de Keny Arkana.D’origine argentine, Keny Arkana est une rappeuse françaisequi a grandi à Marseille dans les années 1980 et 1990. À l’âgede 12 ans, marquée par une enfance tumultueuse, elle écritses premiers textes de rap. Au début des années 2000, ellecommence à se faire un nom sur la scène hip-hop marseil-laise et, en 2005, elle enregistre son premier album complet— Entre ciment et belle étoile — lequel séduit maints adeptesdu genre. Depuis, elle a fait paraître de nombreux titres trèsappréciés. Aujourd’hui, elle est considérée par plusieurscomme une icône du rap engagé français. «Elle impose sa pa-role avec des textes extrêmement engagés sur la révolution etl’anticapitalisme. Elle réanime l’utopie révolutionnaire par saplume qui est aussi solide qu’une brique», soutient Fred Dubé.

Le choix de Manal Drissi : le roman Americanah, de Chima-manda Ngozi Adichie.Americanah raconte le périple en sol américain d’Ifemelu,une jeune Nigériane ayant laissé derrière elle son pays et songrand amour, Obinze, pour faire ses études à Philadelphie.Au fil de ce roman d’amour, l’auteure trace habilement le por-trait d’une société marquée par le racisme et la discrimina-tion. «L’auteure va très loin dans sa description des relationsraciales et des relations entre les sexes. C’est pratiquement uneétude, ce livre-là, mais en même temps, sa plume est magni-fique», confie Manal Drissi.

Le choix de Marie Brodeur Gélinas: le film También la Lluvia,de d’Icíar Bollaín.L’œuvre relate l’histoire de Sébastian, un jeune réalisateur, etde son producteur, Costa, tous deux venus en Bolivie pour fil-mer un long métrage. Leur tournage est interrompu par larévolte contre le pouvoir en place de l’un de leurs principauxfigurants. Sébastian et Costa se trouvent donc malgré euxemportés par la lutte des Boliviens de Cochabamba. « Il y abeaucoup de clés dans cette œuvre-là. Il y a toute la question dela colonisation. On y traite également de privatisation de l’eauet de la question autochtone, note Mme Gélinas. Il s’agit d’unfilm très riche ! »

Page 3: I Solidarité internationale - Le Devoir

S O L I D A R I T É I N T E R N A T I O N A L EL E D E V O I R , L E S S A M E D I 4 E T D I M A N C H E 5 N O V E M B R E 2 0 1 7 I 3

Ce cahier spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, grâce au soutien des annonceurs qui y figurent. Ces derniers n’ont cependant pas de droit de regard sur les textes. Pour toute informationsur le contenu, vous pouvez contacter Aude Marie Marcoux, directrice des publications spéciales, à [email protected]. Pour vos projets de cahier ou toute autre information au sujet de la publicité,

contacter [email protected].

ITHQ 3535, rue Saint-Denis

Montréal (Québec) 2e étage

La Relève gourmande

Prix d'entrée : 85 $ Venez en duo : 150 $

Places limitées ! RSVP [email protected]

Inscription en ligne http://bit.ly/Cocktail-15-11

15 novembre 2017 18 h @ 20 hSous la présidence de Marie Grégoire, venez rencontrer, réseauter et partager avec les ambassadrices du CECI autour d'un cocktail gastronomique préparé par les étudiant-e-s de l'ITHQ, à l'occasion des Journées québécoises de la solidarité internationale. Lancez-vous dans l'aventure en devenant vous même actrice du changement aux côtés de nos 40 ambassadrices. Vous aussi, vous pouvez faire une différence pour les femmes étuveuses de riz du Burkina Faso !

Rejoignez-les pour un avant-goût de cette expérience !

Le statut de membre sympathisant du CECI est inclus dans le prix d'entrée (valeur de 25 $). À l'issue de la soirée, vous pourrez adhérer gratuitement au Club des ambassadrices du CECI.

TOUS LES PROFITS SERONT VERSÉS AU PROJET DES ÉTUVEUSES DE RIZ DU

BURKINA FASO, ET PLUS PARTICULIÈREMENT AU DÉVELOPPEMENT DE GARDERIES.

VOUS AUSSI, DEVENEZ AMBASSADRICE DU CECI

LES AMBASSADRICES REÇOIVENT LA RELÈVE !

Pour la santé des mères et des enfants en République démocratique du Congo.

Oxfam.qc.ca/expo

Ce projet est financé par Affaires mondiales Canada.photo : éric st-pierre/oxfam-québec

Partager nos cultures pour rendre le monde plus beau

P R O P O S R E C U E I L L I S P A R H É L È N E R O U L O T - G A N Z M A N N

La culture façonne notre per-ception du monde de deuxgrandes façons, selon l’AQOCI.D’un côté, elle contribue à légi-timer et à renforcer les rap-ports de force politiques. Del’autre, elle est un outil d’ac-tion citoyenne de nature à re-mettre en question ces rap-ports de force et à proposer denouvelles avenues. Partagez-vous ce point de vue?

Il y a ef fectivement des ré-gimes politiques où l’on n’ac-cepte pas que les artistes s’ex-priment. Il y a toute la questionde la diversité culturelle égale-ment. Beaucoup d’endroitsdans le monde sont envahispar la production culturelleaméricaine. C’est quelquechose que l’on peut dif ficile-ment étouf fer. La culture de-vient alors un outil politiquepour les ar tistes locaux, quivont exprimer leur frustrationpar rapport à telle ou telle si-tuation. En tant que membred’organismes internationauxtels que l’Organisation interna-tionale de la francophonie(OIF) et l’UNESCO par exem-ple, le rôle du Québec est desoutenir la diversité culturelle.Nous avons d’ailleurs été àl’origine, avec le gouverne-

ment fédéral, de la Conventionsur la protection et la promo-tion de la diversité des expres-sions culturelles, adoptée en2006 à l’UNESCO.

Le volet culturel fait donc par-tie de vos actions de solidaritéinternationale…

Nous veillons toujours à cequ’il ne soit pas oublié. Biensûr, le volet de l’aide aux plusdémunis prend une grandeplace, mais nous faisons aussien sorte de financer des initia-tives culturelles. Nous sommessouvent à l’honneur à l’étran-ger, à Cuba et au Mexique no-tamment, dans les festivals, lessalons du livre, etc. Ça aussic’est important. L’échange, lepartage avec d’autres cultures.Et de voir que, dans une cer-taine mesure, on se rejoint.

Sur nos valeurs?Par exemple. Le Québec dé-

fend notamment les valeursd’ inclusion, d ’égal i té deschances, d’équité femmes-hommes, de démocratie. Celaparaît dans les œuvres de nosartistes, car ils sont souventsensibles à ces choses-là. Lepape Benoît XVI a dit que l’hu-manité ne pourrait vivre sansbeauté et il a rappelé que les ar-tistes étaient les gardiens de labeauté du monde. Je crois quec’est vrai. Grâce à la reconnais-

sance et au partage de nos cul-tures, le monde est plus beau.

Qu’est-ce que le Québec a àpar tager d’un point de vueculturel ?

On a parlé des valeurs. Maisje crois que ce qui nous dis-tingue le plus, c’est le fait fran-cophone. Nous sommes levaisseau amiral de la franco-phonie en Amérique du Nord.Nous avons un rôle diploma-tique à jouer dans le contextefrancophone. Notre langue,c’est notre culture, notre iden-tité. C’est aussi un outil poli-tique puissant. Et les artistesquébécois, qui sont nombreuxà s’exprimer en français, sontnos meilleurs ambassadeurs.Ils présentent la couleur de no-tre nation, notre façon de direles choses, de les mettre en lu-mière. Grâce à eux, nous pou-vons faire passer des mes-sages. Dans chacun de nos bu-reaux à l’étranger, même lesplus petits, nous avons aumoins une personne chargéede faire la promotion de la cul-ture québécoise.

Quelle est la couleur de la na-tion québécoise?

On la retrouve dans notref a ç o n d e n o u s e x p r i m e r.Nous sommes des Nord-Amé-ricains francophones. Notrevie est nord-américaine, ce

n’est pas la même réalité quecelle des Français ou d’autrespeuples avec qui nous avonsle français en commun. C’estpour cela que l’échange et lepar tage sont intéressants.Quant à nos artistes, il suf fitd’écouter le public à l’étran-ger pour se rendre comptequ’ils sont très accessibles.Cette accessibil i té, ça fait

aussi partie de notre couleur,de notre identité.

Comment favorisez-vous le par-tage culturel?

Nous avons par exemple desstudios dans six grandes villesdu monde — Londres, Paris,Berlin, Rome, New York et To-kyo — dans lesquels les ar-tistes d’ici peuvent partir en ré-

sidence. Cela leur permet de seressourcer, mais aussi d’échan-ger avec des ar tistes locaux,tant sur le plan créatif que surleur réalité et leur quotidien.Au Québec, nous soutenonségalement des projets culturelsqui rejoignent les PremièresNations. Je pense notamment àWapikoni mobile, qui est untrès beau véhicule de partage.Il s’agit de studios de cinémaambulants qui se baladent à tra-vers tout le Canada pour rejoin-dre les jeunes autochtones etdévelopper leurs aptitudes ar-tistiques et sociales. Par ail-leurs, lorsque l’on parle de par-tage, il ne faut pas oublier lapuissance que représentent au-jourd’hui les réseaux sociaux.

Pour promouvoir les artistesd’ici?

La culture d’ici, oui. Il y aquelques jours, j’étais à Carne-gie Hall à New York. J’assistaisà une représentation de l’Or-ches t r e symphon ique deMontréal. La salle était combleet l’orchestre a eu droit à uneovation. J’ai pris des photos,que j’ai immédiatement parta-gées. C’est une grande fierté.D’autant qu’il y avait au pro-gramme une création d’unjeune compositeur québécois.Ce genre d’événements cultu-rels, ça place le Québec.

En attend-on également des re-tombées économiques?

Il y a des retombées écono-miques, c’est certain. Mais il nefaut pas le calculer comme ça. Ils’agit avant tout de promouvoirnotre culture, notre identité etnos valeurs à travers toute laplanète. En espérant ainsi ren-dre le monde plus beau.

L’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI) consacre

ses 21es Journées québécoises de la solidarité internationale au rôle de la culture comme

outil d’influence politique. Un outil qui permet de libérer les peuples, mais aussi de les as-

servir, dans un contexte minoritaire notamment. La ministre des Relations internationales

et de la Francophonie, Christine St-Pierre, a précédemment tenu les rênes du ministère de

la Culture. Elle confirme qu’il s’agit bel et bien d’un outil d’influence politique, mais dans le

sens noble du terme. Entrevue.

HEIDI HOLLINGER

La ministre des Relations internationales et de la Francophonie, ChristineSt-Pierre, assure que le volet culturel est présent dans les actions desolidarité internationale québécoise.

Page 4: I Solidarité internationale - Le Devoir

S O L I D A R I T É I N T E R N A T I O N A L EL E D E V O I R , L E S S A M E D I 4 E T D I M A N C H E 5 N O V E M B R E 2 0 1 7I 4

A L I C E M A R I E T T E

Collaboration spéciale

G uernica de Pablo Picasso,1984 de George Or well,

Rebelle de Kim Nguyen… Detout temps, les œuvres cultu-relles évoquent les enjeux desociété et les luttes, cherchentà faire changer les choses oupoussent à s’indigner. «Je penseque la culture peut être unmoyen fort de faire avancer, àplusieurs niveaux, des enjeux etdes intérêts politiques, estimeMichèle Rioux, professeure desciences politiques à l’UQAMet directrice du Centre d’étudessur l’intégration et la mondiali-sation (CEIM). La culture peutéveiller les consciences, maisaussi être utilisée pour les endor-mir, nuance-t-elle. Je crois quec’est une arme à double tran-chant, à laquelle il faut tout demême faire attention.»

Miroir de la sociétéE n ef fet, l’ar t peut utiliser

la politique autant que la poli-t ique peut util iser l ’ar t…« Cela peut jouer dans les deuxsens, on l ’a vu par exempledans l’Allemagne nazie avecles artistes qui faisaient en faitde la propagande » , note laprofesseure.

De fait, la culture joue un rôlemajeur dans la perception dessujets sociaux par le public.«C’est un miroir incroyable de lasociété», estime Mme Rioux. Elleprend l’exemple du célèbrechanteur américain Eminem,qui a récemment enregistré etdiffusé une vidéo d’un rap en-gagé, dans lequel il dénonce lesagissements du président amé-ricain, Donald Trump. « Il y aun révélateur de toute cette vio-

lence, de ces enjeux de démocra-tie aux États-Unis qui interpel-lent les artistes américains, etdonc la culture est le reflet decette situation, et on va d’ailleursvoir l’ar t changer à cause decela», développe-t-elle. Par ail-leurs, pour elle, les œuvresd’art peuvent refléter la sociétédans le sens de dénonciation,mais aussi de légitimation.

Puisque les œuvres d’ar tsont subjectives, comment lepublic peut-il s’y retrouver ?C’est notamment le rôle deschercheurs, universitaires ouencore des médias, selonMme Rioux, de permettre le dé-bat. « Nous devons faire atten-tion, nous avons une responsa-bilité, c’est-à-dire de toujoursavoir cet esprit critique, de re-mettre en cause, de remettre enquestion les idées reçues, demultiplier les messages », dé-fend-elle. Mme Rioux pensequ’il y a un travail à faire pourque la compréhension des œu-vres soit la plus adéquate, laplus informée, d’autant plusdans un univers de fake news.« C’est un défi, le décodage desmessages et leur finalité », com-mente-t-elle. Finalement, le pu-blic doit être en mesure decréer une sorte d’autodéfenseintellectuelle face à l’art, afinde pouvoir bien comprendreune œuvre, tout en sachantprendre du recul.

Culture et défisLa culture peut créer des

conflits, éloigner ou encore rap-procher. «Tout dépend du mes-sage, de qui le porte et de com-ment il est utilisé », avance laprofesseure de sciences poli-tiques. En outre, les œuvrescontribuent en grande partie àla compréhension du monde etde ses dif férents enjeux. Sielles peuvent être apolitiques,elles sont toutefois rarementcomplètement neutres, les ar-tistes étant des membres de lasociété civile, ils sont aussi sen-sibles à l’actualité. Mme Riouxinsiste donc sur la nécessité dela pluralité dans l’art. «Il faut àtout prix éviter la parole unique,promouvoir la diversité des voix,la tolérance. C’est impor tantparce que la culture, si elle nes’inscrit pas dans cette diversité,dans une idée de communica-tion de diversité, peut devenir uncarcan et être très hermétique»,renchérit la professeure.

Il reste la question du finance-ment des artistes. «Il y a de plusen plus d’art, mais on dirait quepersonne ne veut payer pourl’art, c’est un problème», estimeMme Rioux. Elle ajoute que c’estla raison pour laquelle la Coali-tion pour la culture et les mé-dias — qui regroupe une qua-rantaine d’organisations — s’estmise en place. «La Coalition estactuellement impliquée et enga-gée dans une discussion cultu-relle au sens large, pour s’assurerqu’il va y avoir un milieu sou-tenu par des politiques adaptéesà l’écosystème qui change, avec lenumérique notamment », ex-plique-t-elle. De son côté, la Co-alition La culture, le cœur duQuébec (CCCQ), revendiquenotamment un plan d’actionpour les ressources humainesen culture dans la province.

Comprendre les relations entre art et politique

J E A N - F R A N Ç O I S V E N N E

Collaboration spéciale

«L e traité d’Ottawa a étéun réel succès, car il a

réduit considérablement le nom-bre de victimes des mines anti-personnel et a favorisé l’aban-don de cette arme par la plu-part des États, en plus de servird’inspiration pour des mouve-ments contre les bombes à frag-mentation ou les armes nu-cléaires », soutient Erin Hunt,coordonnatrice de programmeà Mines Action Canada.

Signé en décembre 1997, letraité d’Ottawa vise à interdirela production, la vente, lestockage et l’utilisation demines antipersonnel d’ici 2025.Vingt ans plus tard, seulement34 pays sur les 197 reconnuspar les Nations unies ne l’ontpas encore rejoint, dont lesÉtats-Unis, la Russie et laChine. En 2014, les États-Unisrenonçaient publiquement à laproduction et à l’utilisation demines antipersonnel et évo-quaient la possibilité de signerle traité un jour.

Selon Erin Hunt, seules laSyrie, la Birmanie et la Coréedu Nord utilisent encore cesarmes. Toutefois, des acteursnon étatiques, comme l’organi-

sation État islamique ou desmilices armées, utilisent desengins explosifs improviséss’apparentant à des mines.Cela a causé une résurgencedu nombre de victimes l’andernier. Avant le traité d’Ot-tawa, les mines tuaient ou mu-tilaient près de 20 000 per-sonnes par année, soit environune toutes les vingt minutes.Ce chif fre avait chuté à 3353en 2013, avant de remonter à6461 l’an dernier. Près destrois quar ts des victimes setrouvent en Afghanistan, en Li-bye, au Yémen, en Syrie et enUkraine.

«Depuis vingt ans, 2000km2

de territoires ont été déminés,soit plus de quatre fois et demiela super ficie de l’île de Mont-réal », ajoute Jérôme Bobin, di-recteur général de HandicapInternational Canada, l’un dessix organismes à l’origine del’initiative ayant abouti autraité d’Ottawa.

Le Canada moins actifLongtemps à l’avant-plan

dans cette initiative, le Canadaa réduit son rôle diplomatiqueet son financement sous Ste-phen Harper, et l’arrivée deJustin Tr udeau n’a pas re-dressé la situation. En 2016, le

En vingt ans, le traité d’Ottawa a eu un impact considérable

dans la lutte contre les mines antipersonnel, des armes insi-

dieuses responsables de milliers de morts et de mutilations

chaque année. Mais du travail reste à faire pour s’en débar-

rasser complètement et affronter de nouvelles menaces.

TRAITÉ D’OTTAWA

Vingt ans de lutte contre les minesantipersonnel

GEORGES OURFALIAN AGENCE FRANCE-PRESSE

Des soldats de l’armée syrienne transportent des mines dans la zone dela colline Bazo, dans la banlieue d’Alep.

Canada a versé 17,55 millionsde dollars à des projets concer-nant les mines. Cela le plaçaitau neuvième rang des dona-teurs mondiaux, mais le lais-sait loin des 62,38 millions dedollars de financement de2007. « Nous souhaitons que leCanada donne l’équivalent d’undollar par citoyen canadien,alors que ses dépenses actuellesreprésentent plutôt 46 ¢ par ci-toyen», précise Erin Hunt.

Ces projets concernent prin-cipalement l’aide aux victimes,le déminage de territoires, ladestruction des mines, la sen-sibilisation aux risques et lamobilisation contre ces armes.

En 2016, les projets du Ca-nada ont été réalisés en Afgha-nistan, en Colombie, en Irak, auSri Lanka et en Ukraine. Cer-taines règles jugées trop rigidesou inadéquates par Mines Ac-tion Canada font que des payscomme l’Angola, le Cambodge,le Vietnam ou la République dé-mocratique du Congo sont pri-vés de l’aide canadienne, mal-gré des besoins criants.

Bombardementsdestructeurs

Si la lutte contre les minesantipersonnel a beaucoup

VOIR PAGE I 6 : MINES

Merci à nos partenaires d’être « au goût du monde » !

Contribuez à l’autonomisation économique des femmes en Haïti

Souper-bénéfice 30 novembre 2017 Théâtre paradoxe

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PEDRO RUIZ LE DEVOIR

L’actrice Rachel Mwanza et KimNguyen du film Rebelle

Page 5: I Solidarité internationale - Le Devoir

S O L I D A R I T É I N T E R N A T I O N A L EL E D E V O I R , L E S S A M E D I 4 E T D I M A N C H E 5 N O V E M B R E 2 0 1 7 I 5

jqsi.qc.ca

Dix jours pour réfléchir au rôle de la culture dans notre compréhension des enjeux internationaux !

Gala de clôture organisé par l'AQOCI et ATSA, Quand l'art passe à l'action. le 17 novembre 19h30 à la Place Émilie-Gamelin, Montréal Avec Samian, La Bronze et autres artistesÉvénement gratuit

#jqsi2017

9 au 18 novembre 2017

Le Gouvernement du Québec est fier d’appuyer les organismes québécois de

coopération internationale, partenaires de son

engagement en faveur d’un monde plus juste

et durable

mrif.gouv.qc.ca/politique-internationale

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LA SOLIDARITÉAu cœur de la nouvelle POLITIQUE INTERNATIONALE DU QUÉBEC

DÉVELOPPEMENT ET PAIX

Les artisanes de paix: un rempart contre la violence

Au milieu d’une foire, sur une place publique, dans la maison

d’un paysan: le théâtre n’a pas besoin de scène pour pren-

dre vie au Bangladesh. Devenu un véritable outil de sensibili-

sation, d’éducation et de mobilisation, le sixième art est uti-

lisé par des milliers de groupes de paysans sans terre qui

veulent changer les choses et faire entendre leur voix.

INTER PARES

Changer le monde à coups de pièces de théâtre

C A T H E R I N E G I R O U A R D

Collaboration spéciale

Le fleuve Menghna, dans lesud du Bangladesh, est une

source de nourriture et de re-venu importante pour des mil-liers de familles pauvres qui vi-vent près de ses rives. Mais en2014, prétendant détenir unbail sur une portion du fleuve,un groupe d’hommes d’affairesveulent y ériger des remblaispour y installer une aquacul-ture de crevettes et une pêcheintensive. Des groupes de pay-sans sans terre membres dugroupe Nijera Kori se mobili-sent et se battent à coups depièces de théâtre, de chansons,de banderoles, de marches etde pétitions. Ils gagnent finale-ment leur bataille, et une loi sti-pule alors que «le fleuve appar-tient au peuple» et que « l’occu-per ou construire des remblaisconstitue un délit».

« C’est une belle victoire despauvres contre les puissants, del’action collective contre la cu-pidité, gagnée grâce à des acti-vités culturelles », fait valoirMariétou Diallo, codirectricedes communications à InterPares, un organisme à but nonlucratif canadien qui participeau financement des activitésde Nijera Kori depuis 1980.

«Nijera Kori est une associa-tion de personnes démunies etmarginalisées qui appuie desgroupes de femmes et d’hommespar tout au Bangladesh et lesincite à se mobiliser, à connaî-tre leurs droits, à agir collecti-vement et à obliger l’État à ren-dre des comptes » , expliqueMme Diallo. Leurs principauxchevaux de bataille concernentl’obtention de terres pour les fa-milles, l’accès aux programmessociaux, le renforcement desdroits sociaux et des femmesainsi que la lutte contre les im-pacts négatifs de l’aquaculturede crevettes.

Leur arme principale : la cul-ture. Dans la capitale de Dhakaautant que dans les régions ru-rales, des groupes se formentet créent des pièces de théâtreet des chansons qu’ils présen-tent dans les foires, marchéspublics et de porte en porte.Plusieurs festivals sont aussi

organisés chaque année. Lesacteurs jouent des scènes pourdénoncer les violences conju-gales, par exemple, dans cettesociété patriarcale où l’égalitédes sexes et le respect desdroits des femmes sont loind’être des choses acquises.

De façon spontanée, sansscène, ni rideau, ni décor, lespaysans sans terre de NijeraKori arrivent à changer lescomportements et éduquer lapopulation « d’une façon dif fé-rente d’une campagne pamph-létaire ou publicitaire, une per-sonne à la fois », illustre la co-directrice des communica-tions d’Inter Pares.

Et leur action est exponen-tielle : Nijera Kori compte desgroupes dans plus de 1160 vil-lages, regroupant plus de 10 000groupes et plus de 100 000membres. « Le Bangladesh aune culture très riche et en estfier, souligne Mme Diallo. Celle-ciest utilisée depuis des millénairespour parler à la population etaborder différents enjeux.»

Le faire soi-même« Chez Inter Pares — qui si-

gnifie “entre égaux” —, on veutque les gens sachent s’autonomi-ser, explique Mariétou Diallo.On croit beaucoup plus à la soli-darité qu’à la charité. » Cettephilosophie est la même pourNijera Kori, qui signifie d’ail-leurs « nous le faisons nous-mêmes.» Aujourd’hui, le groupede paysans sans terre affirmefièrement avoir acquis une ré-putation au niveau national entant qu’organisation capable derapprocher les problèmes lo-caux et les politiques nationalesen faisant entendre les voix lo-cales et marginalisées.

M A R I E - H É L È N E A L A R I E

Collaboration spéciale

«L a solution aux conflitsmondiaux, c’est le déve-

loppement » , af firme ElanaWright, agente de plaidoyerpour Développement et Paix.L’organisme, présent dansplus de 40 pays, considère lesfemmes comme la clé pour ac-céder à la paix. « Quand lesfemmes sont appuyées, quandelles sont autonomes, quandleurs droits sont respectés, ellesdeviennent de véritables cataly-seurs de la paix», ajoute-t-elle.

Chez Développement etPaix, on met en avant deschif fres qui étonnent. Parexemple, on dit que, lors denégociations de processus depaix, les femmes ne sont àpeu près pas présentes. Tou-tefois, lorsqu’elles y par tici-pent d’une manière ou d’uneautre, « les accords de paixsont 35 % plus susceptibles dedurer au moins 15 ans ! » dé-clare Elana Wright. Quand onsonge processus de paix, onpense à de longues négocia-tions internationales. Maisbien souvent, ça commencedans un village ou dans unquartier : « Cer taines femmesont suivi des formations sur labonne entente entre voisins ! »

D’autres statistiques sontaussi révélatrices : à l’instantoù la présence des femmesaugmente de 5 % dans un Par-lement, un État est cinq fois

moins enclin à recourir à laviolence lors d’une crise inter-nationale. Quand leur pré-sence atteint 35 % des parle-mentaires, le risque de reprised’un conflit est proche de zéro.Pourquoi ? Tout simplementparce que les enjeux qui tien-nent à cœur aux femmes sontporteurs de paix.

«En Colombie, où les femmesse sont mobilisées, on voit que,dans l’élaboration d’un règle-ment de conflit, elles pensent àla reconstruction des écoles etdes hôpitaux. C’est la mêmechose en Syrie, où la populationa aussi besoin de ces servicespour que leurs villes redevien-nent sécuritaires », lance ElanaWright, qui précise que le Ca-nada appuie largement lesfemmes syriennes.

En privilégiant la paix et enmisant sur les femmes pour lefaire, les partenaires de Déve-loppement et Paix sur le terraineffectuent un travail politique.«L’implication des femmes en po-litique n’est possible qu’à partirdu moment où elles sont auto-nomes économiquement et so-cialement », rappelle ElanaWright. On peut penser que,dans cer taines régions dumonde, le chemin qui mène àl’autonomie est semé d’obsta-cles : «En Colombie, on appuiedes groupes de femmes de mi-lieux ruraux qui sont des agri-cultrices, et certaines ont réussià se faire élire au sein de leurgouvernement local », illustre

Mme Wright. Pour ces femmes,la paix représente plus que lasécur i té ou l ’ absence deconflit : «Elles veulent pouvoirdécider de ce qu’elles feront deleur terre et de leur vie… Etc’est exactement ce qu’elles sonten train de réaliser !»

Afghanistan: sensibiliserles hommes pour parleraux femmes

« Les Afghans ont l’habitudede dire que la paix commenceavec soi-même, dans sa fa-mille, dans sa communauté,dans sa province et dans sonpays. Pour eux, la violence do-mestique, c’est une entrave àla paix », explique MichelineLévesque, chargée de projetpour l’Asie, qui ajoute que,« c’est un baromètre ; dans unpays où les femmes sont violen-tées, on ne doit pas s’étonnerqu’il y ait des conflits eth-niques internes ». Pourtant, se-lon les Nations unies, 87 %des femmes afghanes sontvictimes de violences phy-sique, sexuelle ou psycholo-gique et 62 % d’entre ellessont victimes de plus d’uneforme de ces violences. « Unefemme qui souf fre de violencene peut plus participer à la so-ciété. Pour nous, il est impor-tant d’agir à la base », affirmeMicheline Lévesque.

En 2009, Hamid Karzai,alors président de l’Afghanis-tan, fait adopter par décret laloi EVAW contre la violencefaite aux femmes. Pour la pre-mière fois dans l’histoire dupays, 22 actes y sont criminali-sés, dont l’agression sexuelle,la prostitution forcée, la brû-lure par le feu ou les produits

chimiques ou la vente d’unefemme… Même s’il a valeurde loi, ce décret n’est toujourspas adopté par le Parlement af-ghan, qui le prétend anti-isla-mique. Encore aujourd’hui, laloi est méconnue même parles juges et les avocats.

Si, en Afghanistan, la religionest une arme pour aliéner lesfemmes, le partenaire de Déve-loppement et Paix sur le ter-rain, la Noor Educational & Ca-pacity Development Organiza-tion (NECDO), elle, utilise lareligion pour faire la promotiondu droit des femmes. L’organi-sation a choisi de mener ba-taille en s’alliant à des imams li-béraux. Ces derniers parlentde la loi EVAW dans leur ser-mon du vendredi. Mais commeles femmes ne peuvent assisteraux prêches de ces chefs reli-gieux, l’organisation a fait appelà de jeunes garçons pour rap-por ter leurs propos. « C’estcomme ça que NECDO a com-mencé à travailler et à produiredu matériel d’information et àorganiser de la formation», ra-conte la chargée de projet.Dans le cadre de ce projet, desformations de deux jours sontoffertes à des imams, à des lea-ders communautaires et à desmilitantes. «Lors de mes forma-tions, j’ai souvent vu arriver deshommes qui argumentaientcontre le droit des femmes.Lorsqu’ils avouent, à la fin de lajournée, que la violence contreles femmes doit être éliminée, ils’agit à mon avis d’un change-ment majeur», explique JamilaSafi, formatrice en chef. En2016, NECDO a donné 52 for-mations qui ont rejoint 1223personnes, dont 594 femmes.

Pour souligner son 50e anniversaire, Développement et Paix

lance une campagne portée par les femmes, celles qui

jouent un rôle crucial dans la prévention des conflits et qui

contribuent à la construction d’une paix durable.

INTER PARES

Une des troupes de paysans sansterre du groupe Nijera Kori

WAKIL KOHSAR AGENCE FRANCE-PRESSE

Des Afghanes, accompagnées de leurs enfants, se promènent sur la route de la colline de Kaboul.

Page 6: I Solidarité internationale - Le Devoir

S O L I D A R I T É I N T E R N A T I O N A L EL E D E V O I R , L E S S A M E D I 4 E T D I M A N C H E 5 N O V E M B R E 2 0 1 7I 6

20 ans après le Traité d’Ottawa,

le travail

www.handicap-international.ca

78% des victimes de mines antipersonnel sont des civils

avancé, Handicap Internationals’inquiète d’un autre phéno-mène : l’utilisation fréquented’armes explosives contre lespopulations civiles. L’utilisationde bombardements aériens, demissiles et d’artilleries ou d’en-gins explosifs improvisés enzone peuplée cause des dom-mages considérables. En plusdes morts et des blessés, elledétruit les habitations et les in-frastructures, poussant sur lechemin de l’exil des centainesde milliers de citoyens.

Handicap International pu-bliait récemment un rapportintitulé Partout les bombarde-ments nous ont suivis, lequel il-lustre tristement le problème.« Les gens fuient les bombarde-ments vers une localité voisine,mais elle est à son tour bombar-dée et ainsi de suite, ils ne peu-vent donc jamais se poser et

doivent à terme quitter le payset devenir des réfugiés », ré-sume Jérôme Bobin.

Handicap International mi-lite pour l’adoption d’une dé-claration politique qui invite-rait les États à prendre posi-tion contre les bombarde-ments et l’usage d’armes ex-plosives en zone peuplée et àmodifier leurs comportementslorsqu’ils sont engagés dansun conflit. « Une telle déclara-tion n’a pas le même statutqu’un traité, mais un traitéexige une logistique beaucoupplus lourde, précise le direc-teur. Or, devant l’urgence de lasituation dans plusieurs ré-gions, il faut agir vite. »

Depuis un peu plus d’un an,cette initiative progresse, sou-tenue très activement par l’Au-triche et un groupe de pays,surtout européens. « Notre ob-jectif est de faire passer ce mes-sage à la tribune des Nationsunies dès l’an prochain et quedes engagements concrets soientpris », conclut Jérôme Bobin.

SUITE DE LA PAGE I 4

MINES

SUCO

Accroître la sécurité alimentaire en chantant

C A T H E R I N E G I R O U A R D

Collaboration spéciale

«B enzoliv bon nan bouch,benzoliv bon/kòw epil

bon pou pòch/Gous, fèy, rasinala bon li. » Une dizaine defemmes chantent sur un air en-traînant les vertus du benzo-live, une plante aussi appeléemoringa. Elles tapent desmains, esquissent quelquespas de danse. « À travers lachanson Benzo Benzo, nous al-lons faire passer tous les mes-sages qui pourraient aider lesfemmes à mieux consommer lebenzolive », explique l’anima-trice Marie-Claudie au débutde la courte vidéo du groupeen performance.

Cette chanson est l’une desmultiples déclinaisons d’activi-tés émanant du Guide alimen-taire haïtien. Orchestré parSUCO, un organisme canadiende coopération et de solidaritéinternationales qui accom-pagne des communautés à tra-vers une expertise en agricul-ture durable, le guide est écriten créole et s’articule autour deréférents socioculturels haï-tiens comme la danse, le chant,les contes, les concours, l’es-prit de carnaval et le konbit,une tradition haïtienne d’en-traide et de corvée. Son objec-tif : aider les familles à s’ap-proprier de nouvelles notionsnutritionnelles.

«Le projet du guide est d’abordné d’une crise alimentaire engen-drée par le passage de deux tem-pêtes tropicales, raconte MichelSanfaçon , chargé de pr o -gramme pour Haïti pour SUCO.Les populations de la région nousont demandé d’élaborer avec ellesun projet pour réhabiliter la pro-duction d’aliments nutritifs enquantité et en qualité suffisantes.On a fait ce guide pour que lesgens produisent leurs aliments,mais les mangent, aussi, au lieud’aller tous les vendre et acheterdes aliments qui proviennentd’ailleurs.»

D i v i s é e n t r o i s g r a n d sgroupes alimentaires — ali-ments pour protéger (fruits etlégumes), bâtir (viande) etdonner de la force (céréales,légumes racines et gras) —, leguide abondamment illustréest un outil de référence, deformation et de sensibilisationsur la nutrition, mais aussi surl’hygiène de base et l’agricul-ture de proximité. Le tout s’ar-ticule autour de références so-cioculturelles bien ancréesdans cette partie de l’île d’His-paniola. Collé à la réalité de lapopulation, le guide démystifieaussi cer tains mythes, parexemple celui selon lequel of-frir le premier lait maternelaux fourmis por te chance àl’enfant.

SUCO estime que 3000 fa-milles haïtiennes ont été sensi-

bilisées par ce guide jusqu’àprésent. « Ça fonctionne telle-ment bien qu’on voit des femmesintégrer complètement les nou-velles notions », se réjouit Mi-chel Sanfaçon. Il partage alorsune vidéo dans laquelle uneHaïtienne, tablier aux hancheset louche à la main, explique de

façon convaincue les bienfaitset vertus des aliments qui com-posent le plat que son groupe apréparé. «Le résultat aurait ététrès dif férent si on leur avaitsimplement dit de venir écouterun atelier de deux heures surl’alimentation, ça ne les auraitpas intéressées», croit le chargé

de programme pour Haïti.Aujourd’hui, ce guide s’inscrit

dans l’objectif de lutte contre lamalnutrition et le renforcementde la sécurité alimentaire duPlan national de nutrition du mi-nistère de la Santé publique etde la Population.

Un exemple pour d’autres pays

Suscitant l’intérêt de plu-sieurs autres pays et orga-nismes, SUCO a ainsi été invitéà présenter son travail à l’Orga-nisation des Nations unies pourl’alimentation et l’agriculture(FAO) au Togo l’an dernier.

«C’est l’ensemble du processusparticipatif qu’on a présenté da-vantage que le guide en soi, quiest un outil, une finalité parmitant d’autres possibilités, ex-plique Sophie Bourdon, repré-sentante pour SUCO au Séné-gal qui a participé à la présen-tation du guide à la FAO. Leguide est tellement ancré dans

la culture locale qu’il n’est pasexportable en tant que tel. Cesont le principe et la méthodolo-gie qui ont mené à sa créationqui peuvent être reproduits. »

Mme Bourdon travaille d’ail-leurs à un projet similaire au Sé-négal, où elle est établie depuisun an et demi. Mais comme cefut le cas en Haïti, «les solutionspour le Sénégal doivent émergerdu Sénégal», précise-t-elle.

Suivant sa philosophie, SUCOn’impose pas de projets, maisaccompagne les populations àles réaliser. «On essaie de créerdu bien en mettant en relationautour d’une même table desgens qui n’auraient pas fait letravail conjointement de façonspontanée», continue Mme Bour-don. Ce qui aboutit, ajoute-t-elle,à des projets uniques et ef fi-caces comme le Guide alimen-taire haïtien.

Et qui sait, peut-être aussi àquelques chansons et pas dedanse.

Chanter, danser, participer à un concours de recettes, pré-

parer et partager un repas de fête: le Guide alimentaire haï-

tien utilise et intègre la culture locale pour améliorer les ha-

bitudes et lutter contre l’insécurité alimentaire.

FORUM2017

15–17 NOVEMBRE 2017

HÔTEL OMNI, MONTRÉAL

IDÉES ESSENTIELLES

MIEUX COMPRENDRE

LES GRANDS ENJEUX D’AUJOURD’HUI

· RÉINVENTION DE MONTRÉAL

· IMAGINAIRE FUTURISTE AUTOCHTONE

· JEUNES ET CONFLITS AU XXIE SIÈCLE

· JOURNALISME, DONNÉES ET DÉMOCRATIE

· MONTÉE DE L’EXTRÉMISME AU CANADA

fondationtrudeau.ca/forum2017

LOUIS LEBEL

Langlois avocats

DOROTHY ALEXANDRE

Conseil des

Montréalaises

PAULINE D’AMBOISE

Mouvement Desjardins

MAXIME FISET

Centre de prévention

de la radicalisation

menant à la violence

MÉLANIE MILLETTE

Université du Québec

à Montréal

SAMIAN

Artiste anishnabe

SKAWENNATI

Artiste kanien’kehá:ka

Idées essentielles est le 14e forum annuel de la Fondation Pierre Elliott Trudeau autour des idées et de la

recherche sur certains des enjeux les plus pressants de notre époque. Les plénières et ateliers multiplient

les échanges entre les personnes intervenant dans les sphères citoyenne, décisionnelle et universitaire.

Le forum présentera des intellectuels.les soutenus.es par la Fondation ainsi que d’autres praticiens.nes.

SUCO

Présentation du Guide alimentaire haïtien