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Hobbes en France au XVIII siècle

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Questions COLLECTION DIRIGÉE PAR

BLANDINE KRIEGEL

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YVES GLAZIOU

Hobbes en France au

XVIII siècle

Presses Universitaires de France

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ISBN 2 13 044961 1 ISSN 0752-0514

Dépôt légal — 1 édition 1993, mars © Presses Universitaires de France, 1993 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

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Je tiens à exprimer tous mes remerciements à Monsieur Olivier Bloch qui a bien voulu accepter de me diriger dans l'élaboration de cet ouvrage, de facili-

ter mes lectures et de m'orienter dans le domaine choisi. Je dois de m'être in- téressé à Hobbes et à son influence au séminaire riche en débats d'idées qu'il a dirigé sur l'histoire du matérialisme. Je souhaite d'autre part remercier Monsieur Jean Deprun dont l'enseigne-

ment, appuyé sur une vaste culture et un profond humanisme, m'a attiré vers le XVIII siècle. Tous deux, ainsi que Madame Paulette Carrive, à qui j'exprime toute ma

gratitude, ont lu et critiqué avec bienveillance, et combien de patience, la ver- sion initiale de mon texte. J'ai tenu compte dans la mesure du possible de leurs

observations ; je me suis efforcé aussi de réparer les oublis que Monsieur Pacchi a eu l' obligeance de me signaler.

Il est toutefois évident que les inexactitudes ou erreurs pouvant subsister dans le présent travail ne peuvent être imputées qu'à son auteur.

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Introduction

ETUDES ANTÉRIEURES SUR LE THÈME DE HOBBES EN FRANCE AU XVIII SIÈCLE

Autant en raison de la complexité de la pensée de son auteur que du désordre de la publication de ses livres, l'œuvre de Hobbes est restée longtemps méconnue en France, alors que son

nom se trouve sous de nombreuses plumes où il est associé à quelques idées fortes, détachées de leur contexte, mises en avant par des admirateurs inconditionnels, ou vilipendées par des adversaires résolus. Les uns et les autres ne se soucient pas de saisir l' ensemble de la pensée de Hobbes et ignorent tout recours aux textes originaux à quelques exceptions près. Telle est la situation qui a cours au XVIII siècle en France, et nous nous ef-

forçons dans la présente étude d'en caractériser les aspects. L' influence de Hobbes sur le siècle des Lumières fut sou-

vent affirmée, sinon établie, sur la base d'analogies et de rap- prochements intuitifs. Dans Socialisme utopique et socialisme scienti- fique Engels postule une filiation directe E. Bloch estime quant à lui qu'une partie des idées hobbiennes popularisées

1. Socialisme utopique et socialisme scientifique, Paris, Ed. Sociales, 1973, p. 30. 2. « Hobbien » ou « Hobbésien » ? Nous avons opté pour la première formule, plus brèv e et bien accordée avec l'expression « hobbisme ».

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et répandues au XVIII siècle par Mandeville, est prolongée dans les théories de A. Smith et se trouve ainsi à l'origine de la pensée économique libérale moderne M. Horkheimer inscrit Hobbes dans la lignée des matérialistes français du XVIII siècle. Cassirer juge que ces derniers furent influencés non pas tant par la doctrine de Hobbes que par la forme de celle-ci C. Schuwer, dans son étude « Sade et les mora- listes », dresse la liste des points communs de Hobbes avec les hommes du XVIII siècle

Plus récemment encore, d'autres auteurs ont suggéré qu'il existait une sorte de continuité entre la doctrine hobbienne et la pensée française du XVIII siècle. C'est ainsi que Julien Freund estime que l'individualisme de Hobbes anticipe celui qui mar- quera de façon spécifique le XVIII siècle Jean-William La- pierre considère que « le monisme matérialiste de Hobbes ouvre la voie à la philosophie la plus radicale du XVIII siècle » Lu- cien Mugnier-Pollet, jouant sur les mots, montre que le livre du Léviathan consacré au « Royaume des Ténèbres » annonce un authentique écrivain des Lumières ; la rationalité hobbienne, fondée sur l'analyse lucide de la condition humaine, dissiperait la confusion résultant des erreurs et des illusions provenant des fausses traditions et des notions historiques incertaines Selon Aram Vartanian, Hobbes aurait concouru, ainsi que Gassendi

1. La philosophie de la Renaissance, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1974, p. 174-175. 2. Le siècle des Lumières, trad. de P. Quillet, Paris, 1970, p. 53. 3. « Par son influence, sinon par la date, Hobbes est un homme du XVIII siècle (...).

A la physique cartésienne de l'étendue, il surajoute une physiologie du mouvement ani- mal, dont il attribue la cause à un conatus, ou effort dérivant de la sollicitation des ob- jets, pour se rapprocher de ce qui est promesse de satisfaction et se détourner de ce qui déplaît. Tous nos modes de pensée dérivent de la sensation par simple association. La science n'est que le reflet de la perception, soumise elle-même à l'enchaînement rigou- reux des phénomènes. Au déterminisme des choses correspond la mécanique de l'esprit. Ces idées, reprises et développées par La Mettrie et d'Holbach, auront leur écho dans les théories de Sade » ( Œuvres complètes, éd. de G. Lely, Paris, Cercle du Livre précieux, 1968, t. XI, p. 31-32).

4. Le thème de la peur chez Hobbes, in Revue européenne des sciences sociales (abrégé dans la suite en RESS), t. XVIII, 1980, n° 49, p. 32.

5. « Corps biologique, corps politique dans la philosophie de Hobbes », revue citée, p. 96.

6. « Hobbes et le royaume des Ténèbres », revue citée, t. XX, 1982, n° 62, p. 11.

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et Spinoza, à la formation du concept d' « âme-fonction » au siècle des Lumières

Ces citations, que l'on pourrait multiplier, reposent sur une intuition, et témoignent peut-être d'un désir excessif d'étendre l' audience du hobbisme ; elles postulent une parenté qui frappe en première analyse, mais dont il convient de se méfier. La mul- tiplicité des éléments contradictoires dont est constituée la philo- sophie de Hobbes doit nous inciter à la plus grande prudence. Certes, Hobbes est un rationaliste et sa pensée procède d'un mé- canisme déterministe ; mais il est aussi un absolutiste fortement imprégné de théologie. Il est permis de se demander dans quelle mesure il fut un précurseur des Lumières, et pour cela, il faut tenter de répondre à cette question : à quel point sa pensée était-elle diffusée, connue et appréciée au XVIII siècle en France ?

Il existe des études éparses qui offrent des éléments de ré- ponse au problème ainsi posé. Ainsi, Thielemann a effectué, dans un article assez développé, le rapprochement de Hobbes et

Diderot tandis que Gianluigi Goggi s'attachait au problème précis de « Hobbes dans le rêve de d'Alembert » Simone Goyard-Fabre a publié un opuscule sur Hobbes et Montes- quieu . Quant au rapport de Hobbes à Rousseau, maintes fois étudié, en particulier par Georges Davy il fait l'objet de trois articles dans le volume de la Revue européenne des Sciences sociales intitulé La référence hobbienne du XVII siècle à nos jours.

Dans une publication récente, O. Bloch établit un bilan argumenté sur l'impact du hobbisme sur le matérialisme des

Lumières. Sa réception, conclut-il, s'effectue selon un processus qui, « dans ses pleins comme dans ses creux, apparaît très

1. Sur le concept d'âme, in Le matérialisme du XVIII siècle et la littérature clandestine, Paris, 1982.

2. Diderot and Hobbes, in Diderot studies, Syracuse University Press, 1952, t. II, p. 221-278. 3. Editer Diderot, Oxford, 1988, p. 363-377. 4. Montesquieu adversaire de Hobbes, Archives Montesquieu, n° 8, Paris, 1980. 5. Thomas Hobbes et J.-J. Rousseau, Oxford, 1953.

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révélateur de quelques traits essentiels de la situation philoso- phique de Hobbes, mais surtout de l'histoire du matérialisme à l'âge classique, voire de celle du matérialisme en général »

Enfin, il convient de rappeler que, dans sa thèse publiée en 1950, Thielemann avait tenté d'apporter une réponse globale au problème de la tradition hobbienne en France au XVIII siècle

PROBLÈMES DE MÉTHODOLOGIE

Avant de préciser la méthode que nous entendons suivre au cours de cette étude, nous voudrions limiter celle-ci afin de la restreindre dans des bornes raisonnables. Il ne s'agit pas ici d'un nouveau travail sur Hobbes lui-même ; nous ne proposons pas en particulier une nouvelle interprétation ou une exégèse conceptuelle de la pensée de celui-ci. Nous ne tentons ni de ré- futer, ni d'infirmer les thèses actuelles soutenues au sujet de ce philosophe, et nous ne soumettons pas une contribution pour une meilleure compréhension de sa pensée.

Sans méconnaître la critique moderne et les articles récents consacrés à Hobbes, nous nous efforcerons d'adopter la grille de lecture du De Cive et du Léviathan qui eut cours au XVIII siècle. Notre rapport à Hobbes a certes complètement changé depuis et il n'est guère possible d'effacer, fût-ce mentalement, les innom- brables éléments qui ont constitué sa personnalité et sa pensée telles que nous les avons présentes à l'esprit. Néanmoins, il nous faut éviter les anachronismes et ne pas demander aux auteurs du XVIII siècle plus qu'ils ne pouvaient penser. Le risque n'est pas négligeable de tomber dans la naïveté et de retrouver et res- taurer les poncifs qui circulaient sur les doctrines pernicieuses de cet écrivain ; nous devons cependant l'encourir dans la perspec- tive historique que nous choisissons.

1. Hobbes et le matérialisme des Lumières, in Hobbes oggi, B. Willms et al., Milan, Franco Angelli, 1990, p. 553-576.

2. The tradition of Hobbes in Eighteenth Century France, New York, 1950.

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C est ainsi qu'aujourd'hui nous nous intéressons aux pro- blèmes de légitimité soulevés par Hobbes, à ses théories linguis- tiques, à son constructivisme systématique ; nous voyons en lui plutôt un panthéiste et nous sommes sensibles à la cohérence de sa pensée. Néanmoins, il nous faut accepter que nos ancêtres s appesantissaient presque exclusivement sur sa pensée poli- tique, qu'ils abominaient son athéisme et qu'ils dénonçaient ses incohérences. Notre but ne consiste pas à redresser cette accep- tion du hobbisme conformément à la perception que nous en avons actuellement, mais à la considérer telle quelle.

Nous sommes en particulier conduit à écarter les aspects scientifiques de son œuvre, ainsi que leurs prolongements épis- témologiques, pourtant essentiels. Ses lecteurs du XVIII siècle ignorent en effet ces particularités de sa pensée, même si une influence peut être décelée chez un auteur comme Condillac dont la Logique contient les traces d'un nominalisme qui semble hérité de Hobbes. Nous sommes conscient de mettre entre parenthèses une partie notable de l'apport de Hobbes à histoire des idées, mais, pour ces raisons, nous utilisons avec

prudence les recherches contemporaines sur Hobbes dont nous disposons, en nous efforçant de n'en faire qu'un usage rétrospectif et récurrent, sans perdre de vue le point de vue que nous nous assignons. Nous écartons de notre investigation, malgré l'intérêt qu'ils présentent, tous les textes de Hobbes exhumés depuis la fin du XVIII siècle par les divers érudits qui se sont consacrés à l'étude de ce philosophe. Nous nous bornons aux ouvrages de Hobbes réputés connus à l'époque

que nous envisageons, que nous situons entre 1715 et 1789. Ce choix arbitraire revêt une justification. La première de

ces dates marque en effet la parution d'un livre de Des Bans, Les principes naturels du droit et de la politique qui reprenait argumentaire inspiré de Hobbes d'un auteur antérieur ano-

nyme en faveur de la monarchie absolue. Ce texte, à notre

1. Paris, 1715. 2. Essais de morale et de politique, Lyon, 1687.

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connaissance le dernier avant longtemps d'un auteur français se réclamant du hobbisme, répond en quelque sorte à la lettre plus qu'élogieuse adressée par Gassendi à Sorbière au sujet du De Cive et clôt l'histoire de l'influence et de la régression de la pensée de Hobbes au XVII siècle. La date de 1789, en dehors de sa valeur symbolique, nous autorise à exclure de notre tra- vail les Idéologues qui semblent amorcer un retour à Hobbes qui justifierait à lui seul un sort particulier, et qu'illustre la traduction en français du De Corpore par Destutt de Tracy en 1809.

Nous examinons dans cette étude l'influence de Hobbes au siècle des Lumières chez les écrivains de langue française tout en réservant un sort particulier à l'Historia critica de Brücker compte tenu du rôle important qu'elle a joué dans l'information de Diderot pour ses articles de l' Encyclopédie consacrés à l'histoire de la philosophie.

Nous écartons de notre projet l'étude des traductions fran- çaises d'ouvrages étrangers que nous rencontrerons par ailleurs lors du déroulement de notre enquête. Citons cependant ici, pour mémoire, deux textes importants qui ont contribué à façonner l'image du hobbisme au XVIII siècle, l'un de Clarke, l'autre de Cumberland. De l'existence et des attributs de Dieu de Samuel Clarke, traduit en 1717 par Ricotier, porte ce sous- titre : « Pour servir de réponse à Hobbes, Spinoza et leurs sec- tateurs » L'auteur y réfute longuement cette opinion attri- buée à Hobbes que la matière peut penser, et y dénonce sa confusion entre matière et substance. Le second ouvrage, le Traité philosophique des lois naturelles traduit par Barbeyrac en 1744 et sous-titré « où l'on recherche et l'on établit par la nature des choses, la forme de ces lois, leurs principaux chefs, leur ordre, leur publication et leur obligation ; on y réfute aussi les éléments de la morale de Thomas Hobbes » constitue

1. De Cive, éd. de R. Polin, Paris, Sirey, 1981, p. 73. 2. Amsterdam, 1717. 3. Amsterdam, 1744.

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une monumentale et prolixe réfutation du hobbisme qui s'avé- rerait tissé de contradictions.

Nous tentons de suivre une double démarche. La première peut être qualifiée d'objective et consiste à recenser les occur- rences implicites ou explicites du nom même de Hobbes ou de citations émanant de ses ouvrages chez le plus grand nombre possible d'auteurs, en nous attachant, de préférence, aux plus illustres, mais sans dédaigner, autant que nous en avons les moyens, les minores. La seconde, plus subjective, concerne l'in- fluence souterraine, inavouée peut-être parce que inavouable du philosophe de Malmesbury sur les hommes du XVIII siècle. Nous essayons donc d'interroger ces penseurs et écrivains sur leur relation à Hobbes, sur les jugements qu'ils formulent sur lui, sur le contexte de leurs allusions, éventuellement même sur leurs silences. Nous cherchons aussi des traces de hobbisme même chez ceux que le seul nom de Hobbes faisait frémir d'in- dignation, au risque d'être trop interprétatif et d'imputer au seul philosophe anglais des propos ou des concepts qui apparte- naient également à d'autres. Afin de remplir ce programme, nous nous poserons quatre questions.

La première est relative au moyen par lequel sa pensée s'est diffusée tout au long de ce siècle ainsi qu'au degré qu'avait atteint ce que l'on peut appeler l' « effet Hobbes ». Il s'agit de déterminer si ses œuvres étaient effectivement lues ou seulement connues de seconde main. Nous nous baserons pour cela sur les éditions elles-mêmes dont on pouvait disposer au XVIII siècle, ainsi que sur quelques sondages effectués dans les catalogues de

bibliothèques ayant appartenu à des personnages importants du siècle des Lumières.

Nous examinerons le rôle que jouent dans cette diffusion les vecteurs essentiels de la pensée de Hobbes que sont, outre les traductions précitées des ouvrages de Clarke et Cumberland, les troisièmes objections aux Méditations de Descartes adressées par le philosophe anglais lui-même, l'article « Hobbes » du Diction- naire historique et critique de Bayle, dont nous proposerons une brève analyse, et, enfin, les « Réflexions sur l'ouvrage que

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M. Hobbes a publié en anglais, de la liberté, de la nécessité et du hasard » incluses dans les Essais de Théodicée de Leibniz. Ces cinq ouvrages, largement répandus au XVIII siècle, ont contri- bué à imposer un portrait intellectuel homogène, quoique appauvrissant, de Hobbes.

Une seconde question concerne la façon dont les hommes des Lumières reçoivent les théories hobbiennes. Provoquent-elles le rejet, l'indignation, l'engouement, l'enthousiasme, l'indifférence, l'amusement ? Nous tenterons de dégager la signification de toutes ces attitudes que nous trouvons chez les auteurs que nous envisageons.

Il s'ensuit une troisième question, celle de la transformation du hobbisme sous la double forme d'un repoussoir et d'un pôle attractif. En effet, Hobbes n'est pas étudié pour lui-même comme il l'est de nos jours ; il n'est pas objet de science, mais prétexte ou alibi. L'apparition de son nom sous la plume d'un auteur est l'indice d'une polémique qui s'amorce ou se conclut. Nous aurons donc à considérer l'utilisation de thèmes hobbiens par les partisans et adversaires des Lumières et à nous demander de quelle façon Hobbes sert d'arbitre ou d'enjeu dans ces dé- bats. C'est à ce niveau qu'intervient la rétrospection mentionnée plus haut : nous ne pouvons parler d'une transformation des idées de Hobbes qu'à condition de disposer d'un critère d'éva- luation de sa véritable pensée ; celui-ci nous sera fourni par les textes hobbiens eux-mêmes d'une part, et par le consensus contemporain d'autre part, qui, tant bien que mal, s'instaure autour des principales thèses contenues dans ses ouvrages.

Nous essaierons enfin de déterminer le mode d'action de la pensée hobbienne dans quelques cas précis. Certains auteurs ont en effet conscience de leurs sources ou osent les avouer. Mais d'autres, et c'est le cas de J.-J. Rousseau, produisent une œuvre qui se déclare comme la dénégation des idées hob- biennes, bien qu'elle soit travaillée en profondeur par celles-ci. Cette question est hérissée de difficultés que nous ne nous ca- chons pas. Aussi, ne proposerons-nous que quelques interpréta- tions prudentes. Les thèses de Hobbes, souvent originales, ren-

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voient en effet à tout un contexte historique et philosophique qui voit se développer le sensualisme, l'empirisme et le pan- théisme spinosiste. Faire la part de ce qui revient à Hobbes reste souvent une entreprise difficile.

Afin de répondre à ces diverses questions, nous proposerons une lecture des auteurs du XVIII siècle reconnus comme des phi- losophes, mais sans écarter les autres. Compte tenu du caractère politique attaché au nom de Hobbes, nous porterons notre at- tention sur les penseurs qui se sont confrontés aux problèmes portant sur le droit, l'Etat, la société et la morale, comme Mon- tesquieu et J.-J. Rousseau, les plus connus, mais aussi Mably, Jaucourt, Morelly, Barbeyrac, Richer d'Aube, Burlamaqui, Vattel, Hubner ; ces juristes se réclament d'ailleurs de l'Ecole du droit naturel dont le plus illustre représentant, Puffendorf, fut un admirateur de Hobbes.

Nous interrogerons aussi les écrivains étiquetés matérialistes tels Diderot, rédacteur de l'article « Hobbisme » de l' Encyclopé- die, La Mettrie, Helvétius, Naigeon, d'Holbach. Nous tenterons une incursion dans le domaine de la littérature clandestine où nous suivrons la leçon de Wade et Spink qui ont leur opinion sur la place de Hobbes dans les manuscrits anonymes qui diffu- sèrent des idées hardies et antireligieuses dans la première moitié du XVIII siècle surtout. Outre L'Ame matérielle et le Traité des trois imposteurs, nous envisagerons aussi les cas de Meslier et de Sade.

Nous attacherons un soin particulier aux auteurs religieux qui utilisent la mauvaise réputation du hobbisme dans leurs polémi- ques contre le déisme ou l'encyclopédisme ; tels sont Ilharart de La Chambre, Polignac, Gerdil, l'abbé Guyon. Nous verrons aussi que parmi les innombrables réfutations, défenses ou illustrations de telle ou telle thèse, il est de bon ton d'invoquer Hobbes à des fins de disculpation comme Montesquieu dans sa Défense de l'Esprit des lois, ou d'accusation comme Holland dans ses Réflexions sur le Système de la nature. Il en est de même de Chaumeix qui attaque l' Encyclopédie, d'Helvétius dans ses Préjugés légitimes et réfu- tation de l'Encyclopédie et du P. Castel, dont L'homme moral opposé à l' homme physique s'en prend aux idées de J.-J. Rousseau. Au cours

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des échanges, injures et calomnies tiennent le plus souvent lieu d'arguments et le nom de Hobbes vient fréquemment à point nommé pour asséner le reproche d'impiété et d'amoralisme.

L'examen d'œuvres d'érudition, dictionnaires ou histoires des idées, nous indiquera, éventuellement par la négative (et c'est le cas du Dictionnaire philosophique de Chicaneau de Neu- ville), la place tenue par l'auteur du Léviathan dans les préoccu- pations, sinon dans l'estime des érudits du XVIII siècle. Nous se- rons ainsi conduit à feuilleter les dictionnaires de Moreri et Chaudon, l' Histoire des philosophes modernes de Savérien, l' Histoire de l'Angleterre de l'abbé Millot, l' Histoire philosophique et politique des deux Indes attribuée à Raynal.

Nous avons limité nos recherches aux livres imprimés et à quelques journaux et périodiques comme celui de Le Clerc, le Journal des savants, le Journal de Trévoux, Le Conservateur, les Nou- velles ecclésiastiques, L'Année littéraire. D'autre part, nous n'avons pas écarté ces documents précieux que sont les mémoires et correspondances. Il faut cependant noter que la Correspondance littéraire de Grimm, une des plus complètes sur le XVIII siècle, ne mentionne en aucun endroit le nom de Hobbes ; en attribuant à cette dernière une valeur significative, nous sommes donc a priori sceptique devant l'opportunité d'une investigation exhaustive des archives du siècle des Lumières au sujet du hobbisme. La possibilité de découvertes surprenantes n'étant pas, en tout état de cause, à exclure, nous devons convenir d'avoir restreint notre recherche aux ouvrages les plus courants, ce qui ne nous autori- sera à formuler nos conclusions qu'avec prudence.

Nous estimons cependant qu'au terme de notre étude, nous pourrons poser, sinon répondre à cette question : Hobbes sert-il de repoussoir à la fraction bien pensante et orthodoxe des pen- seurs, voire aux écrivains éclairés qui se démarquent de lui pour se blanchir de l'accusation d'athéisme, ou bien est-il le porte- drapeau d'une génération matérialiste sur le plan métaphy- sique, progressiste sur le plan social et libérale sur le plan écono- mique ? A moins que les choses ne soient moins simples et qu'il ne faille en rabattre de cette opposition.

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PLAN SUIVI

Notre étude s'inspire de ces idées directrices et comporte une partie consacrée à l'examen de la diffusion des ouvrages et de la pensée de Hobbes au XVIII siècle. Nous effectuerons ensuite une analyse auteur par auteur, en adoptant un classement relative- ment arbitraire, mais pratique, basé sur le jugement global porté sur Hobbes. Nous étudierons les adversaires puis les parti- sans et réserverons tout un chapitre au cas particulier de Rous- seau dont le rapport à Hobbes est complexe et significatif. En conclusion, nous essaierons de répondre aux questions qui moti- vent notre recherche.

Nous avons préféré une exposition par auteur à une présen- tation thématique. Une première raison de notre choix est d ordre pragmatique : notre plan reproduit l'ordre effectif dans lequel nous effectuons notre enquête ; d'autre part, il permet de ne pas séparer ce qui, chez Hobbes, est indissociable : son an- thropologie, sa politique et sa morale. Nous adopterons, par conséquent, une présentation analytique et non synthétique. A l' arbitraire d'une distinction entre les catégories sous lesquelles on range d'ordinaire les thèmes hobbiens, nous substituons celui du classement des auteurs du XVIII siècle selon un critère externe à l'ensemble de leur pensée, mais qui peut s'avérer dans bien des cas significatif ou révélateur, celui de leur attitude devant Hobbes

1. Nous avons pris le parti de moderniser l'orthographe et la ponctuation des cita- tions que nous présentons.

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La diffusion de l'œuvre de Hobbes en France

au XVIII siècle

HOBBES DANS QUELQUES BIBLIOTHÈQUES DU XVIII SIÈCLE

Dans la « Discussion II » suivant un article de M. Benitez, « La tentation du gouffre », J. S. Spink affirme que Hobbes était très mal connu au XVIII siècle. A. Thomson lui objecte qu'il est cependant disponible en traduction et qu'on le trouve dans les catalogues des bibliothèques de l'époque ; elle ajoute qu'il est un peu rapide de dire qu' « il n'y a pas de trace de Hobbes en 1748 » et affirme que La Mettrie le cite et l'a lu ; il est d'ailleurs difficile de se prononcer à ce sujet, car si La Mettrie mentionne en effet la formule « Homo homini lupus » dans L'Anti-Sénèque, il prétend ne Pas l'avoir consulté dans son Discours sur le bonheur. Il est clair qu' une question se pose, celle de la place de Hobbes dans les bi- bliothèques françaises du XVIII siècle. Nous tentons dans ce para- graphe d'y apporter quelques éléments de réponse.

Deux textes semblent confirmer le propos de J. S. Spink. Ainsi, Richer d'Aube avoue ses difficultés à obtenir « l'histoire de Hobbes » ; n'ayant « pu trouver le livre original », il fut obligé d'avoir recours au dictionnaire de Bayle D'autre part,

1. In Le matérialisme du XVIII siècle et la littérature clandestine, p. 126. 2. In Œuvres philosophiques, Hildesheim (reprints de l'éd. de 1774), t. II, p. 206. 3. Essais sur les principes du droit et de la morale, Paris, 1763, p. XXXI.

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on trouve le texte suivant dans les Mémoires d'un homme de qualité de l'abbé Prévost : «J'eus la curiosité d'observer les livres, étant persuadé que la meilleure manière d'étudier le caractère et les inclinations d'un homme d'esprit est de faire attention à ce qui l'occupe dans le secret du cabinet. Je vis dans celui-ci un mé- lange de théologie, d'histoire, de littérature et surtout de philo- sophie naturelle. Les ouvrages extraordinaires tels ceux de Spi- noza, Hobbes, Vanini, Cardan, Toland, Paracelse étaient dans une classe à part. »' Ce fragment accrédite l'idée d'un Hobbes relégué dans le secret de quelques rares bibliothèques. Il convient de plus de signaler que le Léviathan est mis à l'index le 12 mars 1703 et que dans Le Conservateur, ce livre est jugé « très rare »

Pourtant, dans ses Conseils pour former une bibliothèque peu nom- breuse mais choisie, La Martinière n'hésite pas à nommer le philo- sophe anglais, non sans émettre quelques réserves et mettre en garde son lecteur. Il cite trois ouvrages de Hobbes, le Léviathan, le Traité du citoyen et le Corps politique, mais ajoute que cet auteur « s'était fait une religion à lui, dans laquelle il n'entrait pas beaucoup d'articles de foi »

L'examen de quelques catalogues doit nous permettre de nous faire une idée sur la diffusion de l'œuvre hobbienne au siècle des Lumières. Nous procéderons à cette fin, ouvrage par ouvrage, en commençant par le De Cive et ses traductions fran- çaises, en poursuivant par les Opera philosophica et en terminant par les autres livres dont la fréquence d'apparition est beaucoup plus rare.

Quelques mots sont nécessaires au sujet des Opera philosophica. Il s'agit de deux volumes in quarto, publiés chez Blaeu à Amster- dam en 1668, contenant les principales œuvres philosophiques écrites en latin par Hobbes. Huit titres y figurent ; il s'agit du De

1. Mémoires d'un homme de qualité, Paris, 1810, t. III, p. 11. 2. Catalogue des ouvrages mis à l'index, Paris, 1825. 3. Le Conservateur, Paris, juillet 1760, p. 34. 4. Berlin, 1756, p. 205-206.

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Corpore, du De Homine, du De Cive, du Léviathan, de trois ouvrages de mathématiques et d'un texte consacré à la nature de l'air. Un des opuscules mathématiques contient notamment la trop célèbre démonstration hobbienne de la quadrature du cercle.

Le De Cive se trouvait dans la bibliothèque de La Brède sous forme de deux traductions, dont une de Sorbière provenant de la bibliothèque des Oratoriens de Paris acquisitions effectuées, ainsi que toutes celles de Montesquieu, dans la première moitié du siècle. Le marquis de Sade possédait aussi, d'après J. De- prun, une traduction de Sorbière dès 1768 Quant au baron d'Holbach, il en détenait un exemplaire en latin, et un en fran- çais. Nous rencontrons aussi ces volumes dans la bibliothèque du prince de Soubise ( n 2920 et 2921), dans celle de l'abbé d'Orléans ( n 1543 et 1544), de Gouttard (nos 172 et 173) et du comte de Hoym ( n 1011 et 1012). Le catalogue de la Bibliotheca senicurtiana mentionne un exemplaire en latin (n° 2010), ainsi que celui du fonds de librairie des frères J.-J. et M.-J. de Bure (n° 550), celui de Gaignat (n° 622), celui de Voltaire (n° 1430) et celui du marquis de Courtaniaux (n° 274). Par contre, le conseiller au Châtelet Lemarié (n° 225), Falconnet (n° 2764 à 2766), Imbert de Cangé (p. 153), Bellanger (n° 1541), Denis Nolin (n° 2267), le fermier général Delahaye (n° 802) et Charles Bulteau (n° 2082) ne possèdent que la traduction de Sorbière.

Les Opera philosophica sont cités chez d'Holbach (n° 407), l'abbé d'Orléans (n° 1505), le médecin J.-B. Burette (n° 1369), Gouttard (n° 40), Lemarié (n° 195), le conseiller honoraire Gluc de Saint-Port (n° 1819), Roze (n° 311), De Boze (p. 47), Falcon- net (n° 2565), Girardot (n° 225), le comte de Hoym (n° 886), Gaignat (n° 554), ainsi que dans le catalogue de la Bibliotheca Fayana (n° 991).

Le De Corpore politico n'apparaît qu'à six reprises dans les ca- talogues de Charles Bulteau (n° 2082), Lemarié (n° 226), Fal- connet (n° 2765), Denis Nolin (n° 2266), d'Holbach (n° 526) et

1. D'après R. Dérathé, éd. de L'Esprit des lois, Paris, 1973, p. 419-420, t. I. 2. In Le matérialisme du XVIII siècle et la littérature clandestine, p. 126.

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Gaignat (n° 623). La fréquence d'apparition du Léviathan dans sa version latine est encore moindre ; il ne figure que chez Charles Bulteau (n° 2082), le prince de Soubise (n° 2922) et Denis Nolin (n° 875), c'est-à-dire chez trois personnalités ne pos- sédant pas les Opera philosophica qui contiennent déjà le Léviathan. Seul Charles Bulteau détient un exemplaire du De Homine (n° 2271), tandis que le De Corpore n'apparaît que chez le prince de Soubise (n° 2665). Signalons enfin qu'un volume des Moral and political works contenant en particulier l'Human nature figure dans la bibliothèque de d'Holbach (n° 1792) et dans celle de Le- marié (n° 196), seuls détenteurs d'ouvrages de Hobbes en langue anglaise.

Par ailleurs, Hobbes n'est pas cité dans les catalogues du duc de La Vallière, du président Hénault, du marquis de Cambis- Villeron, de L'Héritier de Brutelle, du comte de Pontchartrain, du capitaine J.-B. Guyon, du botaniste Buch'oz, de Mel de Saint-Céran et du duc d'Aumont ; il ne figure pas non plus dans le catalogue du château de Rambouillet, ni dans celui d'un cer- tain M..., édité à Paris en 1792, ni dans celui d'un « homme de goût », rédigé par Chaudon, le frère de l'auteur du dictionnaire.

Rassemblons ces résultats : Hobbes apparaît au moins une fois dans vingt-cinq des trente-huit catalogues auxquels nous nous référons, ce qui représente un pourcentage de 75 %, à comparer aux quelque 80 % signalés par P. Vernière à propos d'une enquête analogue menée au sujet de Spinoza. Toutefois, nos chiffres sont moins significatifs, car nous avons consulté des catalogues de personnalités possédant des bibliothèques notoire- ment pourvues. Ce sondage fait ressortir la prépondérance du De Cive qui est mentionné dix-huit fois sur vingt-cinq ; de plus, les sept catalogues restants contiennent les Opera philosophica qui incluent une version latine de cet ouvrage. La traduction élé- gante de Sorbière explique en partie l'importance de cette diffu- sion ; il y en eut trois impressions consécutives à Amsterdam en 1651, et une à Paris à la même époque.

Les Opera philosophica, cités dans treize catalogues, accusent un taux de présence de 50 % ; les autres ouvrages, malgré l'exis-

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tence d'une traduction française du De Corpore politico, ne possè- dent qu'une faible fréquence d'apparition, et nous avons déjà noté l'absence presque complète d'œuvres en langue anglaise.

Que peut-on en conclure ? Hobbes, assurément, n'est pas un auteur introuvable en France au XVIII siècle. La majorité des bibliothèques de quelque importance détiennent le De Cive dans sa version française ou les Opera philosophica ; le témoignage de Richer d'Aube ne doit donc pas nous abuser. Tout au plus per- met-il de confirmer que les intellectuels du XVIII siècle puisaient dans Bayle leur connaissance de Hobbes. Notre enquête laisse cependant beaucoup de questions sans réponse et ne permet pas d'établir l'origine des acquisitions de ces ouvrages, ni bien sûr d'affirmer que pour être présents sur les rayons des bibliothè- ques, ils étaient effectivement lus.

HOBBES DANS LES TRAVAUX D'ÉRUDITION

A la suite de Bayle et Moreri, plusieurs auteurs publient des dictionnaires dont l'érudition dérive de celle du Dictionnaire his- torique et critique c'est le cas de Chaudon. D'autres compilent de monumentales histoires de la philosophie, comme Boureau-Des- landes, Brücker et Savérien dont nous analyserons les pages consacrées à Hobbes. Enfin, parmi les nombreuses études sur l'histoire anglaise, nous évoquerons en quelques mots celle de l'abbé Millot.

1 / Bayle et le « Dictionnaire historique et critique »

L'article « Hobbes » du Dictionnaire de Bayle occupe quatre pages du tome I de l'édition de 1697 publiée à Rotterdam Il est composé, à la manière habituelle de Bayle, d'un résumé assez

1. Dictionnaire historique et critique, Rotterdam, 1720, t. II, p. 1478-1481.

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court et objectif de la vie de Hobbes mentionnant ses principales œuvres (De Cive, De Corpore et Léviathan), ainsi que d'une quin- zaine de notes où se trouve la substance même de l'apport de l'auteur, sous forme d'éclaircissements, de jugements, de cita- tions, de digressions, de rappels, de renvois à d'autres articles... Ces notes sont elles-mêmes agrémentées de références précises qui constituent un appareil érudit impressionnant.

Bayle indique ainsi l'existence du Léviathan dans les Opera phi- losophica publiées à Amsterdam chez Blaeu, mais, à notre grande surprise, il n'effectue aucun renvoi à l'œuvre de Hobbes propre- ment dite et se contente d'accumuler pour étayer ses propos, des extraits empruntés à la Vitae Hobbianae de Blackburne, imprimée en 1681. Est-ce à dire que Bayle lui-même n'avait pas lu Hobbes ? Voilà qui serait surprenant de la part d'un érudit aussi curieux que lui ; mais le texte de son article laisse planer le doute.

En fait, Bayle ne cherche pas à donner une vue d'ensemble de la pensée de Hobbes qu'il n'approuve d'ailleurs pas. Il se contente de tracer sa biographie et, à travers elle, au cours d'incidentes sou- vent brèves, de signaler tel trait hardi, original ou paradoxal de cet auteur, dont il laisse au lecteur le soin de tirer la leçon.

Présenté comme « l'un des plus grands esprits » du XVII siècle, Hobbes est loué pour la lucidité et la sagacité dont il fait preuve dans le De Cive : « Il fit avouer aux plus clair- voyants qu'on n'avait jamais si bien pénétré les fondements de la politique. » Nous rencontrons dans ce passage un procédé cher à Bayle consistant à invoquer un témoignage plutôt qu'à se mettre en avant lorsqu'il s'agit d'aborder des auteurs contestés. Les opinions les plus diverses s'expriment ainsi dans son Diction- naire où elles revêtent de ce fait une certaine neutralité.

Bayle utilise alors l'exemple hobbien pour montrer que l'ex- cellence des principes, surtout dans le domaine du politique, ne préjuge pas de l'opportunité de leur mise en œuvre pratique. La cohérence souvent reconnue du système de Hobbes se heurte à

1. Ibid., p. 1479, col. 1.

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« l'horrible cohue de passions qui règne parmi les hommes » D'ailleurs, un auteur qui inverserait le hobbisme aboutirait aussi à un système inapplicable et tout autant critiquable : « Quant aux inconvénients qui pourraient naître des supposi- tions de Hobbes mises en pratique, je le dis encore un coup, ce n'est pas l'endroit par où il les faut combattre ; car le système opposé n'a-t-il pas dans la pratique plusieurs grands inconvé- nients ? Quoiqu'on fasse ce qu'on voudra, qu'on bâtisse des sys- tèmes meilleurs que La République de Platon, que l' Utopie de More, que La République du soleil de Campanella, etc., toutes ces belles idées se trouveraient courtes et défectueuses, dès qu'on les voudrait réduire en pratique. Les passions des hommes, qui naissent les unes des autres dans une variété prodigieuse, ruine- raient bientôt les espérances qu'on aurait conçues de ces beaux systèmes. » Bayle qualifie tout simplement Hobbes d'utopiste en matière de politique. La spéculation sur la meilleure forme de gouvernement se heurtera toujours à l'existence des passions humaines qui dépassent ce que les hommes les plus raisonnables peuvent concevoir. Bayle renvoie dos à dos les penseurs politi- ques accusés de théoriser au mépris des réalités. Cet appel au bon sens sera entendu du XVIII siècle dont les principaux au- teurs dénonceront après Bayle les outrances de Hobbes et adop- teront une position essentiellement pragmatique.

Bayle méconnaît le système hobbien qui en fait s'appuie sur les passions humaines, et qui vise à les canaliser en les faisant jouer contre elles-mêmes. Mais il désapprouve une pensée qui s'affirme péremptoirement, au mépris des nuances qu'il affec- tionne lui-même ; il se méfie d'un auteur qui ne se complaît que dans les jugements excessifs. Il s'abrite derrière Descartes dont il cite la lettre écrite à « un jésuite de ses amis » après une lecture de De Cive, et il apporte avec lui cette restriction : « la plupart des hommes ne sont que médiocrement méchants » Le scepti-

1. Ibid., p. 1479, col. 2. 2. Ibid., p. 1479, col. 2. 3. Ibid., p. 1479, col. 2.

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cisme de Bayle va donc jusqu'à douter que les hommes aient suf- fisamment de force de caractère pour être vraiment méchants. Il prétend qu'il n'est pas nécessaire d'avoir recours à la doctrine de la guerre de tous contre tous pour rendre compte de l'iniquité générale que chacun peut constater çà et là.

Concernant le Léviathan, il se borne à un développement très réduit. La note E qu'il y consacre s'ouvre par une formule teintée d'ironie : « Il désigne le corps politique sous le nom de cette bête. » Puis il recopie le résumé de cet ouvrage existant déjà chez Black- burne : « Sans la paix, il n'y a point de sûreté dans l'Etat, et (...) la paix ne peut subsister sans le commandement ni le commande- ment sans les armes ; (...) les armes ne valent rien si elles ne sont mises entre les mains d'une personne. »' Il n'apporte aucune autre précision sur cette œuvre sauf pour signaler que les théologiens de l'Eglise anglicane crièrent à l'impiété à sa lecture.

Le problème brûlant des opinions religieuses de Hobbes est laissé en suspens dans la note L. Bayle se réfugie derrière son biographe pour rappeler son attachement aux rites anglicans et sa croyance en un Dieu « origine de toutes choses ». Il esquive la question de l'athéisme de Hobbes, mais profite de l'occasion pour dénoncer les calomniateurs qui n'ont que cette injure à la bouche : « Il est indubitable qu'il n'y a point d'accusation qui soit tombée dans un aussi grand abus que l'accusation d'athéisme. Une infinité de petits esprits ou de gens malins l'at- tentent à ceux qui bornent leurs affirmations aux grandes et aux sublimes vérités d'une solide métaphysique, et aux doctrines gé- nérales de l'Ecriture. »

Quand bien même Hobbes eût été athée, et Bayle préfère ne pas en disputer, il mena une vie vertueuse : « Il aimait sa patrie, il était fidèle à son roi, bon ami, charitable, officieux. » Hobbes est donc un bon candidat à la liste des athées vertueux dont Bayle se fait le défenseur par ailleurs.

Une assez longue note, numérotée N, est enfin consacrée à

1. Ibid., p. 1480, col. 1. 2. Ibid., p. 1481, col. 1.

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un thème qui nous paraît singulièrement anecdotique, mais que le XVIII siècle exploitera à satiété : la peur éprouvée par Hobbes devant les fantômes et autres démons. Pourtant, Bayle note le matérialisme du philosophe anglais qui « croyait qu'il n'y avait point de substances différentes de la matière » Mais paradoxa- lement, cela permet d'expliquer sa couardise légendaire. En effet, celui qui croit en Dieu n'a pas lieu de craindre les esprits, revenants et visions. Mais le matérialiste en donne une explica- tion mécaniste basée sur la possibilité qu' « une certaine combi- naison d'atomes », s'agitant dans le cerveau, engendre ces phé- nomènes en tant que purs fantasmes ; il fonde ainsi l'existence objective de ces apparitions dont il appréhende ensuite la mani- festation. Deux remarques s'imposent ; la première est que Bayle ignore le De Corpore qui nie l'existence des atomes et explique d'une autre façon les phénomènes liés à l'imagination ; la se- conde est qu'il traite dans cette note Hobbes de « mécréant », ce qui efface les précédentes précautions dont il s'entourait pour caractériser sa position religieuse.

Cet article ambigu contient les thèses qui seront réactivées durant le XVIII siècle jusqu'à la traduction de l'Human nature : outrance des principes politiques de Hobbes, athéisme vertueux mais patent, crainte des fantômes. L'article « Hobbisme » de Diderot, écrit un demi-siècle plus tard, répétera ces lieux com- muns, malgré des développements importants consacrés aux œuvres elles-mêmes. La plupart des écrivains français qui cite- ront, jugeront ou loueront Hobbes seront redevables de leur in- formation au Dictionnaire de Bayle.

2 / Brücker et Formey

Né à Augsbourg en 1696, mort en 1770, l'historien protes- tant allemand Jacob Brücker publie entre 1742 et 1744 son ou- vrage monumental, écrit en latin et occupant cinq volumes in

1 . Ibid., p. 1481, col. 1.

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quarto, l'Historia critica philosophiae. Souvent lourd et fastidieux, il est considéré de nos jours comme objectif et honnête. J. Proust n'hésite pas à écrire que son œuvre maîtresse est « la première histoire de la philosophie qui soit digne de ce nom » Brücker en effet pratique un « doute méthodique... très fécond » justifie ses affirmations en multipliant les citations, recourt aux origi- naux et adopte des positions nuancées sur les sujets épineux qu'il aborde. Malheureusement, il juxtapose les doctrines dont il ne cherche pas à synthétiser la succession dans un exposé rationnel et nécessaire, ce qui fait que son œuvre reste davantage critique qu'historique. Il est vrai qu'au début du XVIII siècle, comme le souligne P. Hazard la science de l'histoire en est encore à ses premiers balbutiements.

La somme de Brücker suscite un certain intérêt lors de sa pa- rution. Le Journal de Trévoux exprime, en juillet 1754, sa satisfac- tion au sujet du chapitre consacré précisément à Hobbes dont la doctr ine est j ugée co r r ec t emen t r é f u t é e Cela n ' e m p ê c h e pas Brücker d ' ê t r e mis à l ' I ndex l ' année suivante. Condi l lac le cite

comme source de ses travaux d'ordre pédagogique et Diderot le pille littéralement pour ses articles de l' Encyclopédie consacrés à l'histoire de la philosophie.

Le chapitre de l'Historia critica, intitulé « De Thoma Hobbe- sio » est le sixième de la série « De studio philosophiae eclecticae post renatas literas » ; le philosophe anglais succède dans ce classement à Bruno, Cardan, Bacon et Campanella, et son étude s'étend sur plus de cinquante pages. Bien qu'il s'agisse d'un texte se situant hors du cadre de notre investigation, nous en proposons une analyse que justifient son importance et son in- f luence au XVIII siècle.

Après une biographie détaillée de Hobbes, Brücker s'at-

1. Diderot et l'Encyclopédie, Paris, 1982, p. 244. 2. Ibid., p. 251. 3. La crise de la conscience européenne, Paris, 1978, p. 28-29. 4. Le Journal de Trévoux, t. 54, p. 451. 5. Cours d'études, in Œuvres philosophiques, éd. de G. Leroy, Paris, PUF, 1948, t. II,

p. 3.

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tache à préciser son caractère dont il oppose les aspects positifs aux graves défauts. Il s'interroge ensuite sur l'athéisme du phi- losophe anglais et constitue un véritable dossier où plaident successivement la défense et la partie civile. Il cite alors les ad- versaires de Hobbes, puis ses sectateurs, ce qui l'amène à se demander si Hobbes peut être rangé parmi les Epicuriens. L'exposé s'achève par une vaste synthèse du hobbisme en plus de deux cents articles résumant les principaux ouvrages de l'auteur. Le dépouillement de ce passage souligne à la fois les originalités et les outrances de Hobbes tout en affaiblissant sa pensée.

Dans un premier paragraphe, Brücker évoque les multiples dons de Hobbes : « Cui viro natura larga manu ea dona distri- buit »' ; puis il mentionne les sources qu'il compte utiliser : Hobbes lui-même nous a laissé l'histoire de sa vie ainsi qu'Au- brey et un certain « R. B. » correctement identifié comme Ri- chard Blackburne par Bayle. Brücker annonce aussi qu'il s'ins- pirera de l'Historia antiquitatum academiae Oxoniensis de Anthony Wood. Cet ouvrage très favorable à Hobbes fut malheureuse- ment défiguré par la censure : « Quae tamen narratio a censoris manu magnam mutationem passa est. » Aux conclusions de ces textes, Brücker ajoutera le résultat de ses propres observations sur les livres eux-mêmes : « Addemus autem ex observationum litteriarum penu, quod lucem vitae famigeratissimi philosophi accendere aptum est. »

La vie de Hobbes, telle que la développe Brücker, est large- ment rapportée à sa production philosophique, et l'accent est mis sur les contacts intellectuels du philosophe anglais avec les auteurs antiques ou contemporains. Il traduit Thucydide mais se méfie précocement d'Aristote et du verbiage de l'Ecole : « Ipsa quoque philosophia Peripatetica mature ei suspecta visa est, tum quod logicis et metaphysiciis argutiis bella magis feri

1. Historia critica philosophiae, t. V, Lipsiae, 1742-1744, p. 145. 2. Ibid., p. 145. 3. Ibid., p. 146.

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inania veritatem erui cerneret. »' Recommandé à Bacon, il se fait connaître de Herbert de Cherbury. Mais, de même que Bayle, Brücker estime que Hobbes avait plus médité que lu : « Meditationi plus tribueret, quam lectioni » ; il entreprend de le montrer dans une longue note où il énumère les erreurs com- mises par Hobbes au sujet de la philosophie antique, particuliè- rement dans le dernier livre de son Léviathan. La découverte d'Euclide à l'âge de quarante ans est relatée, ainsi que le voyage de Hobbes à Paris où il gagne l'amitié de Gassendi, Mersenne et Sorbière.

C'est alors que les déchirements internes de l'Angleterre conduisent Hobbes à proclamer sa doctrine politique dans le De Cive puis le Léviathan dont Brücker cite le résumé déjà présent chez Blackburne, et qui se retrouvera tout au long du XVIII siècle chez les commentateurs français du philosophe de Malmesbury : « Sine pace impossibile esse incolumitatem, sine imperio pacem, sine armis imperium, sine opibus in unam manum collatis nihil valere arma, neque metu armorum quic- quam ad pacem proficere posse illos, quos ad pugnandum concitat malum morte magis formidandum. » Les prises de po- sition de Hobbes sur la méchanceté des hommes et sa fable de l'état de nature (« fabulam eam status naturalis ») s'expliquent par son horreur de la sédition augmentée de son aversion de l'aristotélisme.

Réfugié de nouveau en France, Hobbes refréquente les mi- lieux cultivés de la capitale et se heurte à Descartes ; Brücker ré- sume leur controverse en ces termes : « Quod Cartesius statumi- naverat : Ego cogito, ergo sum, concludebat rem cogitantem esse corporeum quid. » Il ne désigne pas le vainqueur de l'es- carmouche et laisse ce soin à son lecteur : « Quod annon victo- riam Hobbesio adscribat, adversario contemtu magis, quam

1. Ibid., p. 146. 2. Ibid., p. 148. 3. Ibid., p. 150-151. 4. Ibid., p. 152. 5. Ibid., p. 153.

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rationibus pugnante, certe an causam suam non prodiderit Cartesius, Lectori expendendum relinquimus. »

L'exposé de la querelle entre Hobbes et Bramhall sur la né- cessité, la liberté, le destin et le hasard dérive des Essais de Théo- dicée de Leibniz comme Brücker l'indique expressément Il ré- sume ainsi la position de Hobbes : « Doctrinam de Deo deque divinis pendere ex determinatione imperantis, Deumque non magis causam esse bonarum actionum, quae a creaturis edun- tur, quam malarum. » L'accent est mis sur la puissance irrésis- tible, absolue et suprême prêtée à Dieu et sur le fatalisme qui en découle. Cela n'étonne pas de la part de Hobbes ajoute Brücker, car il existait alors une lutte entre les partisans des thèses d'Ar- minius et les Calvinistes. La doctrine de la nécessité, favorable à l'Eglise d'Angleterre, n'était pas moins détestable (exosa) que le décret de Calvin qui tient l'humanité sous la loi de la prédesti- nation. Spinoza, surenchérit Brücker, entonna la même chan- son : « Eandem tibiam inflavit Ben. Spinoza. »

La narration se poursuit par la mention de la publication du De natura humana, du Corpore politico puis du Léviathan. Ce dernier ouvrage trouve des admirateurs, mais déplaît aux théologiens ; son auteur est soupçonné de faire le jeu des partisans de Crom- well : « Cromwelli partibus clam favere videretur. » Malgré ses dénégations, Hobbes perd la faveur royale ; il se réfugie dans l' étude et expose sa physique dans le De Corpore et son anthropo- logie dans le De Homine. Ainsi se trouve constituée cette trilogie qui assigne à Hobbes le rang de philosophe éclectique : « Et novatoris in philosophia, atque philosophi eclectici nomine omnino esse des ignandum. »

Des dernières années du philosophe anglais, Brücker retient l' édition en Hollande des œuvres latines, les recherches en ma-

1. Ibid., p. 153. 2. Ibid., p. 154. 3. Ibid., p. 155. 4. Ibid., p. 156. 5. Ibid., p. 157. 6. Ibid., p. 159.

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