17
18 Dossier I Histoires des immigrations : panorama régional I Histoire et mémoire de l’immigration Le Nord - Pas-de-Calais, une région frontalière au cœur de l’Europe Par Judith Rainhorn, Maître de conférences en Histoire contemporaine, Université de Valenciennes La région du Nord - Pas-de-Calais est un observatoire privilégié du phénomène migratoire sur une longue durée, grâce à l’ampleur et à la diversité des vagues de migrants accueillis au cours de ces deux siècles. Les migrants ont contribué à l’édification d’une société régionale plurielle constituée d’espaces nettement différenciés. Épicerie-estaminet tenue par des immigrants polonais. Bassin minier du Pas-de-Calais, autour de Rouvroy, 1929. © Kasimir Zgorecki - adagp

Histoire et mémoire de l’immigration Le Nord - Pas-de ... · mique des entreprises de maçonnerie, de menuiserie-charpenterie, de briqueterie et de terrassement, qui emploient

  • Upload
    lyngoc

  • View
    214

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

18 Dossier I Histoires des immigrations : panorama régional I

Histoire et mémoire de l’immigration

Le Nord - Pas-de-Calais,une région frontalière au

cœur de l’EuropePar Judith Rainhorn,

Maître de conférences en Histoire contemporaine, Université de Valenciennes

La région du Nord - Pas-de-Calais est un observatoire

privilégié du phénomène migratoire sur une longue durée, grâce à l’ampleur

et à la diversité des vagues de migrants accueillis au cours de

ces deux siècles. Les migrants ont contribué à l’édification d’une société

régionale plurielle constituée d’espaces nettement différenciés.

Épicerie-estaminet tenue par des immigrants polonais. Bassin minier du Pas-de-Calais, autour de Rouvroy, 1929.

© Kasimir Zgorecki - adagp

I hommes & migrations n° 1273 19

Une société régionale plurielle

L’histoire de l’immigration dans la région du Nord - Pas-de-Calais n’est désor-mais plus totalement “en friche”(1). Après plusieurs décennies où ont dominé l’his-toire du travail et celle de la mémoire ouvrière dans une région au passé industrielglorieux, l’heure est à la découverte et à la reconnaissance du rôle joué par lesétrangers dans l’activité économique locale depuis deux siècles – donc, de ce fait,dans la constitution d’une société régionale plurielle. Le Nord - Pas-de-Calais estaujourd’hui riche de la diversité des populations qui l’ont traversé, y ont travailléet s’y sont parfois implantées au gré d’une sédentarisation souvent due aux cir-constances.Le phénomène obéit à une triple diversité à l’échelle régionale, en termes de natio-nalité, de schémas migratoires à l’œuvre et d’espaces d’accueil. Les migrants ont eneffet contribué à l’édification d’une société régionale constituée d’espaces nette-ment différenciés. Du bassin minier de Lens à l’ancien pôle roubaisien de l’indus-trie lainière, de la sidérurgie valenciennoise aux chantiers navals du Dunkerquois,des champs de houblon et de betterave du Cambrésis à la métropole de Lille-Roubaix-Tourcoing, les paysages humains du Nord - Pas-de-Calais sont fonda-mentalement issus de la variété des migrations qui ont contribué à les forger. Sicertains aspects de la présence étrangère dans la région ont déjà fait l’objet d’étu-des, d’autres font encore figure de continents presque inexplorés(2).

Un aimant frontalier au cœur

de la révolution industrielle

Espace frontalier d’une part, pôle économique de toute première importance d’au-tre part, situé au cœur de l’Europe de la révolution industrielle du XIXe siècle etde la première partie du XXe siècle, le Nord - Pas-de-Calais a constitué l’un deshorizons privilégiés des migrants européens puis nord-africains qui gagnaient laFrance au cours de cette période. Deux secteurs phares de la révolution indus-trielle constituent en effet les piliers de l’industrie régionale : le textile et l’extrac-tion de la houille.Marge frontalière, le territoire correspondant à l’actuelle région Nord - Pas-de-Calais est traversé depuis des siècles par des mouvements de population à l’é-chelle microrégionale. Cette frontière, née d’un montage diplomatique ducongrès de Vienne (1815), “découpe à l’emporte-pièce des milieux naturels et humains

20 Dossier I Histoires des immigrations : panorama régional I

que rien ne distinguerait au premier abord sans sa présence”(3). Ainsi, l’institution dela frontière ne met pas fin à des migrations locales traditionnelles qui, dansl’espace flamand au nord-ouest comme dans la région urbaine de Lille et dans leHainaut franco-belge, font fi de la nouvelle séparation politique entre la France

et la Belgique. Ces migrations saisonnièreset traditionnelles à l’échelle microrégionale,d’abord à vocation agricole puis, de plus enplus, industrielle, se perpétuent jusqu’auXXe siècle, contribuant à l’homogénéisationde l’espace frontalier, anciennement marquépar une continuité territoriale importante,d’un point de vue à la fois anthropologiqueet linguistique(4). Le différentiel en termes desituation économique et sociale de part et

d’autre de la frontière accélère les migrations traditionnelles. À l’heure où, aumilieu du XIXe siècle, la Flandre plonge dans une misère noire, qui contraste sin-gulièrement avec son fabuleux âge d’or médiéval, les migrations transfrontaliè-res – de même que celles qui se dirigent vers la Wallonie voisine – vont consti-tuer un formidable exutoire pour la population flamande de Belgique.

Le cœur d’une industrie textile

en pleine expansion

Au début du XIXe siècle, l’industrie textile dans le Nord - Pas-de-Calais est disper-sée dans plusieurs espaces de la région : Lille-Roubaix, Armentières et la vallée dela Lys ou le Cambrésis sont autant de lieux qui attirent déjà une main-d’œuvre deproximité, souvent rurale et venant de la Belgique voisine. La révolution indus-trielle dans le domaine textile aboutit à une intensification de la production et àune concentration des espaces productifs. Le pôle Lille-Roubaix-Tourcoing,alliant le travail du coton à celui de la laine, prend une importance croissante, tan-dis qu’une forte activité se développe dans les gros bourgs industriels qui s’ali-gnent le long de l’Escaut et de la Sambre, jusqu’aux Ardennes. À la veille de 1914,le Nord de la France file la quasi-totalité du lin, du chanvre, du jute, les troisquarts de la laine et près de la moitié du coton filé en France ; il tisse égalementune large part de ces fibres. L’industrie textile constitue à cette période le premiersecteur d’emploi ouvrier du pays et la seconde moitié du XIXe siècle voit le bassind’emploi de la métropole en construction Lille-Roubaix-Tourcoing devenir l’undes plus importants du Nord de la France : il attire alors à lui des flux croissants

les paysages humains

du Nord - Pas-de-Calais

sont fondamentalement

issus de la variété

des migrations qui ont

contribué à les forger.

I hommes & migrations n° 1273 21

de migrants, qui viennent de plus en plus loin, notamment de la Flandre et de laWallonie non frontalières.

Le bassin minier, terre de migrations

La naissance de l’exploitation industrielle de la houille dans la région remonte aumilieu du XVIIIe siècle. Prenant en écharpe le territoire des deux départements quiconstituent la région Nord - Pas-de-Calais, de Béthune à Valenciennes – et se pour-suivant au-delà, jusque dans le Borinage belge –, le bassin minier devient vers 1880l’autre activité essentielle de l’économie régionale : il va faire la fortune et la gloire duNord - Pas-de-Calais pendant près d’un siècle. Jusqu’au début du XXe siècle, les com-pagnies minières tentent avec difficulté de fixer la main-d’œuvre autour des puits decharbon. Face au nomadisme d’une population rurale qui répond encore très large-ment à la figure de l’ouvrier-paysan quittant la mine de fond dès que le calendrieragricole et les travaux des champs l’exigent, le recrutement d’ouvriers étrangers par-ticipe de la volonté patronale d’assigner la main-d’œuvre au travail de la mine. Laprécocité du recours à la main-d’œuvre étrangère est alors une originalité française,quand la plupart des autres pays d’Europe sont encore des pays d’émigration massive.Ainsi, dès avant la Première Guerre mondiale, des Belges, des Italiens, quelquesPolonais de Westphalie et quelques centaines de Kabyles sont recrutés pour le travailau fond de la mine. Pendant tout le XXe siècle et jusqu’à la fermeture des mines dansles années quatre-vingt, les étrangers vont constituer une part essentielle de la main-d’œuvre dans le bassin charbonnier du Nord - Pas-de-Calais.

Les grands flux migratoires

des xIxe et xxe siècles

L’histoire des vagues migratoires successives dans le Nord - Pas-de-Calais voit sesuperposer trois niveaux – national, régional et local – de temporalité : dans cecadre chronologique, la principale différence entre les vagues successives d’étran-gers installés dans le Nord - Pas-de-Calais porte sur la nationalité des migrants. Ilconvient cependant de relativiser ces différences nationales en les resituant dans lesespaces sociaux et économiques des périodes concernées. Dans cette perspective, lacirculation persistante des discours sur le plus ou moins grand “éloignement” géo-graphique ou culturel des étrangers – et, en particulier, la différenciation établieprogressivement, à la fin du XXe siècle, entre les populations étrangères et celles qui

22 Dossier I Histoires des immigrations : panorama régional I

provenaient de pays anciennement colonisés par la France – invite à réexaminer lefacteur “nationalité”. Dans le cas du Nord - Pas-de-Calais persiste couramment uneopposition entre deux images construites : celle d’une immigration polonaise valo-risée et celle d’une immigration maghrébine repoussoir. Une opposition “cano-nique”, qui doit bien évidemment être réinterrogée.

La préhistoire du processus

migratoire

Les départements du Nord de la France connaissent, au cours de la première moi-tié du XIXe siècle, une croissance économique rapide, qui s’accompagne d’une for-midable poussée démographique et urbaine, dans une région restée jusqu’alorstrès agricole. Dès 1850, 50 % des habitants du Nord vivent en ville. Des bourgscomme Roubaix ou Tourcoing deviennent de véritables cités industrielles ; Lille,enserrée dans des remparts trop étroits, les démolit et absorbe, en 1858, cinq villesvoisines, totalisant alors près de 150 000 habitants.Dans la première moitié du XIXe siècle, l’industrialisation rapide de la région estainsi très largement due à sa position frontalière : la frontière est là pour protégerl’industrie régionale en interdisant l’importation outrancière des produitsmanufacturés, mais elle s’ouvre toute grande pour laisser passer le flot desouvriers belges qui viennent travailler à bon compte dans les usines de la région.En Belgique, certaines régions frontalières allient surpeuplement et crise écono-mique (crise frumentaire et maladie de la pomme de terre au milieu duXIXe siècle), tandis que le Nord de la France manque de bras pour son industrie enpleine expansion. Ce différentiel important entre les situations démographiqueet économique de part et d’autre de la frontière explique une grande part desmigrations transfrontalières.

La révolution industrielle régionale

et le “grand exode” belge

Avec le milieu du siècle et le développement formidable de l’industrie dans leNord et le Pas-de-Calais, les migrations belges connaissent une croissance expo-nentielle. Le centre textile de Lille-Roubaix-Tourcoing recrute dans la régionfrontalière immédiate, autour de Courtrai, Mouscron et Tournai puis, dans unsecond temps, dans un espace flamand qui va de Poperinge à Bruges et Gand, les

I hommes & migrations n° 1273 23

chemins de l’émigration belge empruntant désormais l’“autoroute de Gand àRoubaix”(5). Les mines de charbon du Nord et du Pas-de-Calais comme la métal-lurgie de la vallée de la Sambre voient arriver de Belgique mineurs du Borinage etpaysans du Hainaut, une main-d’œuvre qui se caractérise par son instabilité géo-graphique et ses faibles exigences.L’arrivée des immigrants belges est en effet applaudie par le patronat : cette main-d’œuvre sérieuse, travailleuse, acceptant de difficiles conditions de travail et demaigres salaires comble les souhaits des chefs d’entreprise, filateurs ou compa-gnies minières. La chambre de commerce de Tourcoing s’oppose ainsi en 1881 àtoute mesure tendant à limiter le travail des étrangers, l’instauration de quotasd’emploi des étrangers pouvant nuire considérablement à la rentabilité écono-mique des entreprises de maçonnerie, de menuiserie-charpenterie, de briqueterieet de terrassement, qui emploient alors dans la ville 80 à 100 % de travailleurs bel-ges. Dans la commune voisine de Roubaix, où 80 % des ouvriers sont employésdans l’industrie textile, l’afflux d’immigrants belges est considérable : au recense-ment de 1886, la moitié de la population de la ville est de nationalité belge, alorsmême que la quasi-totalité des migrants journaliers échappe au dénombrement de

Salon de coiffure, bassin minier du Pas de Calais, autour de Rouvroy, 1933 © Kasimir Zgorecki - adagp

24 Dossier I Histoires des immigrations : panorama régional I

la population, qui ne prend en compte que les ménages sédentarisés.Dans les mines et la métallurgie, les Belges occupent les travaux les plus pénibles,les plus dangereux ou les moins gratifiants. Leur arrivée en masse accroît large-ment un phénomène d’urbanisation à partir des cités ou des fosses, qui produisentdes coulées urbaines où alternent les carreaux de mines, les chevalements et lesterrils, les corons et autres logements ouvriers. La population de certains bourgsminiers connaît ainsi une expansion sans précédent : Bruay-en-Artois (actuelleBruay-la-Buissière) voit sa population passer de 1 000 habitants en 1855 à prèsde 15 000 en 1881 – augmentation très largement due à l’immigration étrangèreen provenance de Belgique.L’immigration belge dans l’industrie textile et minière est essentiellement indivi-duelle et spontanée. Vers 1890 toutefois, les compagnies minières en manque debras commencent à recruter des travailleurs en Belgique par l’intermédiaire de“pisteurs”, de même qu’au lendemain de la Première Guerre mondiale, on irachercher des agriculteurs flamands pour reprendre les fermes du Nord - Pas-de-Calais dont les exploitants sont morts à la guerre ou ont quitté la région.Dans le secteur agricole, précisément, les migrations temporaires liées à l’activitéd’arrachage des betteraves, à la récolte du houblon, du lin ou des céréales attirentdes milliers de Belges qui viennent “faire la saison” estivale dans les champs duNord - Pas-de-Calais. Malgré la mécanisation, les besoins en main-d’œuvre sontimportants. Au cours du XIXe siècle se structure peu à peu cette émigration agricoletemporaire, qui est le fait de groupes d’hommes originaires des mêmes villages,constituant une équipe travaillant sous l’autorité d’un responsable, le ploegbaas,qui négocie avec l’exploitant français le prix du travail collectif et les conditionsd’emploi (logement, nourriture…). De retour au pays, ces migrants temporairessont souvent qualifiés de “Franchimands” (“Français”).Dès cette époque apparaissent les premières manifestations de rejet. Émile Zolales décrit déjà dans Germinal, récit amplement inspiré par la grande grève dansles mines d’Anzin, en 1884 : alors que la compagnie engage des mineurs belgesdu Borinage pour briser la grève, ceux-ci sont accueillis par les ouvriers françaisaux cris de “À mort les étrangers, à mort les Borains ! Nous voulons être les maîtreschez nous !” Le contexte de dépression économique et de contraction du marchéde l’emploi dans le dernier quart du siècle fait craindre au responsable du syn-dicat des mineurs du Pas-de-Calais, Émile Basly, en 1892, l’“invasion” desmineurs étrangers(6).Ainsi, à la veille de la Première Guerre mondiale, le Nord - Pas-de-Calais estl’une des régions françaises où la proportion d’étrangers est la plus importante. LesBelges y constituent la quasi-totalité des étrangers, avec une proportion de 97 à

I hommes & migrations n° 1273 25

99 % d’entre eux(7). On note déjà la présence de quelques centaines d’Italiens – 900au recensement de 1911 – ou d’Algériens – sur 1 500 Kabyles présents dans lebassin minier, 900 ont été embauchés à Courrières après la catastrophe de 1906pour les travaux les plus pénibles et les plus dangereux.

La reconstruction et l’afflux

des Polonais

Les besoins de reconstruction de la région, dévastée par la guerre, suscitent à par-tir de 1919 une immigration massive dans le Nord - Pas-de-Calais, dont la com-posante polonaise est à la fois la grande nouveauté et le trait marquant.Avant 1914, le Nord - Pas-de-Calais avait vu s’établir quelques milliers d’agricul-teurs polonais ainsi que quelques groupes de mineurs d’origine polonaise en prove-nance de Westphalie (Allemagne), employés par la compagnie d’Aniche dès 1909(8).Le grand afflux des Polonais – majoritairement originaires de la région rurale deSilésie – s’amorce au lendemain de la Première Guerre mondiale, à la demande duComité central des houillères de France (CCHF), qui fait pression sur le gouverne-ment français pour la signature d’un accord avec le gouvernement polonais en1919(9). Du fait des besoins constants en main-d’œuvre mais aussi de l’arrivée desfamilles qui accompagnent ou rejoignent les hommes, cette vague migratoire prend,entre 1919 et 1930, une ampleur insoupçonnée. Les Polonais sont 13 000 dans leNord - Pas-de-Calais en 1921, 90 000 en 1926, soit une population multipliée parsept en cinq ans. Ces migrants polonais se concentrent pour l’essentiel dans le bassinminier du Pas-de-Calais et, dans une moindre mesure, dans celui du Valenciennoiset du Douaisis (Nord) : 90 % d’entre eux se trouvent dans l’arrondissement deBéthune. Les communes de Lens, Liévin, Dourges connaissent un afflux inédit dePolonais. La population d’un bourg comme Ostricourt (Nord) est, en 1931, compo-sée de 70 % d’étrangers, presque tous polonais.L’immigration polonaise n’est cependant pas totalement homogène : Lens accueillenotamment dans les années trente une notable immigration juive polonaise(10). Àl’inverse de l’immigration polonaise catholique de masse, organisée et encadrée parles dirigeants de l’industrie minière, il s’agit d’une immigration sans contrat de tra-vail et dont les acteurs, fuyant l’antisémitisme et la misère, suivent des chemins trèssinueux avant d’arriver à Lens. Face aux difficultés éprouvées pour partir auxÉtats-Unis ou pour s’installer durablement à Paris, certains se tournent vers uneville offrant de nouvelles opportunités en raison de la forte présence de mineurscatholiques polonais, qui constituent un marché potentiel. La quasi-totalité des

26 Dossier I Histoires des immigrations : panorama régional I

migrants juifs, une fois arrivée à Lens, se lance comme entrepreneurs ambulants etforains spécialisés dans le textile, jouant sur les connaissances acquises dans le paysde départ pour conquérir la clientèle des femmes polonaises catholiques des corons.Les membres de cette immigration juive polonaise, immigrés récents, demeurentétrangers aux commerçants “établis” du centre-ville et, même s’ils sont liés auxPolonais des cités, ne s’y intègrent pas vraiment. Cette double exclusion permet decomprendre pourquoi cette communauté a subi de plein fouet la politique antisé-mite menée en zone occupée pendant la Seconde Guerre mondiale, en particulierla rafle du 11 septembre 1942 qui frappa l’immense majorité de la communauté.La quasi-totalité des Polonais immigrés dans la région du Nord - Pas-de-Calaissont cependant des catholiques originaires de la Silésie rurale et travaillent dansl’industrie minière dont ils constituent une part essentielle de la main-d’œuvre.La volonté des compagnies minières de préserver ces nouveaux arrivants de la

contamination syndicale ou socialiste– conjuguée à la volonté des migrants polo-nais inscrits majoritairement dans la per-spective d’un retour prochain au pays –explique la reconstitution, au cœur des citésminières, d’un milieu polonais fermé (la“Petite Pologne” de Oignies, celle de Bruayou de Marles), adossé à des valeurs à la foisnationales et religieuses (“Dieu et la Patrie”).Les immigrés polonais s’organisent doncpour le départ en vase clos, avec la bénédic-

tion de l’institution minière, autour de leurs aumôniers, nommés par la missioncatholique polonaise, de leurs associations (théâtre, folklore, gymnastique, chants)ou de leurs commerces. Leur insertion dans le milieu ouvrier local est d’abord dif-ficile, malgré les démarches des syndicats français – CGT et CGTU. L’entre-deux-guerres voit également l’arrivée dans la région des Italiens, qui n’étaientque quelques centaines avant la Grande Guerre – ce qui n’empêchait pas les manifes-tations xénophobes : “Les moustaches en croc de l’Italien font tache noire parmi les physio-nomies de nos mineurs”, pouvait-on ainsi lire dans Le Réveil du Nord, en mars 1914. Cesont, là encore, les immenses besoins de main-d’œuvre liés à la reconstruction quivont mener les Italiens dans le Nord - Pas-de-Calais : 4 000 en 1921, 15 000 en 1924,surtout concentrés dans les mines, la métallurgie et le bâtiment. Ils sont essentielle-ment installés dans l’agglomération lilloise, dans le bassin minier ainsi que dans lavallée industrielle de la Sambre, d’Aulnoye à la frontière belge(11).Crise éco-nomique et déclin

Ainsi, à la veille de la

Première Guerre

mondiale, le Nord - Pas-

de-Calais est l’une des

régions françaises où la

proportion d’étrangers

est la plus importante.

I hommes & migrations n° 1273 27

de la présence étrangère

Lors du recensement de 1931, dont le dénombrement est celui qui enregistre laproportion d’étrangers la plus importante jusqu’alors présente en France, le dépar-tement du Nord compte près de 11 % d’étrangers, celui du Pas-de-Calais 14 %,dans des proportions largement supérieures à la moyenne nationale : 6,6 %. LeNord est alors le troisième département français pour ce qui est du nombre d’é-trangers résidents (222 000), le Pas-de-Calais le quatrième (173 000), juste der-rière la Seine et les Bouches-du-Rhône. Les Belges, présents depuis le milieu duXIXe siècle, et les Polonais, arrivés plus récemment, constituent alors 85 à 90 % desétrangers installés dans le Nord - Pas-de-Calais. Très loin derrière, les Italiensreprésentent quelque 5 % des étrangers des deux départements en 1931, alorsqu’ils représentent à la même époque – et ce, depuis 1901 – le premier groupeétranger à l’échelle nationale. Les migrants maghrébins, espagnols, portugais,tchécoslovaques ou issus d’autres nationalités – notamment certaines d’Europeorientale – constituent le reste de la population étrangère, qui tient indéniable-ment à cette époque une place essentielle dans l’activité économique de la régionNord - Pas-de-Calais.La crise économique mondiale, qui atteint l’industrie minière française à partirde 1931, affecte directement les Polonais du Nord - Pas-de-Calais. Plusieursdizaines de milliers d’entre eux sont l’objet de mesures de rapatriement forcéentre 1934 et 1935, pour des raisons économiques – mais aussi parfois poli-tiques(12). Ces rapatriements forcés participent par conséquent de l’intense mobi-lité des Polonais, car il faut garder à l’esprit l’importance des flux (arrivées etdéparts) et des allers-retours effectués par les migrants. La mobilisation syndicaleet politique, qui culmine en mai et juin 1936 au moment du Front populaire,opère cependant un premier rapprochement entre mineurs français et polonais,ces derniers adhérant massivement aux sections polonaises de la CGT réunifiée.Cela n’empêche pas les manifestations de rejet dont font état de nombreuxtémoignages, dans un contexte de crise économique et de contraction du marchédu travail qui voit refluer les ouvriers français vers des emplois qu’ils avaientjadis abandonnés.Cette opposition entre fraternisation et rejet est ensuite exacerbée pendant l’occu-pation nazie, particulièrement violente et répressive dans la région. Si des rappro-chements s’opèrent alors sur le partage des difficultés de la vie quotidienne (ravi-taillement, engagement dans la “grande grève patriotique” de mai et juin 1941) etsur un front idéologique commun contre l’occupant, la période accentue en revan-che les divisions, y compris au sein des étrangers : tandis que quelques milliers de

28 Dossier I Histoires des immigrations : panorama régional I

Polonais adhèrent à la Volksdeutsche, créée par les autorités allemandes en 1942pour encadrer les Polonais, une autre partie d’entre eux s’engage dans laRésistance en ordre dispersé. De même, des Italiens installés dans la région repar-tent se battre sous les drapeaux de l’armée mussolinienne, tandis que d’autres,principalement communistes, s’engagent dès 1941 dans la Résistance.

Restructuration industrielle et essor des migrations méditerranéennes

Au lendemain de la guerre, le Nord - Pas-de-Calais fait partie des régions dont lamodernisation et la restructuration industrielle sont prioritaires. Il abrite eneffet quantité de secteurs considérés comme fondamentaux dans la politique éco-nomique française de l’après-guerre et qui font l’objet de nationalisations massi-ves : les mines, la sidérurgie, les industries mécanique, chimique, textile et lesinfrastructures portuaires doivent participer à la relance de la machine écono-mique nationale. Le recours à la main-d’œuvre étrangère se fait alors largementdans cette perspective, suscitant transformation et redéfinition des vagues migra-toires successives.L’ancienne vague polonaise, désormais stabilisée, connaît d’intenses bouleverse-ments. La mobilisation et les conflits liés à la nationalisation des compagniesminières, en décembre 1944, couplés à la prise du pouvoir par les communistesen Pologne, conduisent, en 1945 et jusqu’à 1949, à l’éclatement de la communautépolonaise entre une branche communiste – appuyée sur un ensemble d’associa-tions soutenues par le PCF : RNP, Conseil national des Polonais en France – et unebranche catholique – organisée autour des aumôniers et du Congrès des Polonaisen France, qui a été fondé en 1949. Entre 50 000 et 80 000 mineurs acceptent deretourner en Pologne pour participer à la reconstruction de leur pays, le plus dure-ment touché par les destructions massives dues au conflit(13). Mais la majorité desPolonais – et surtout leurs enfants, nés et élevés en France – abandonnent pro-gressivement l’idée du retour dans un pays qui leur est devenu étranger. Ils ten-tent de définir une nouvelle place à la communauté polonaise en France, enœuvrant pour son intégration et son ascension sociale – dans les mines ou non –,en même temps que pour le maintien d’une spécificité culturelle liée à la langue,aux traditions et à la religion(14).Les nouvelles migrations, dans cette période de croissance économique et de res-tructuration de l’appareil productif, viennent désormais essentiellement dumonde méditerranéen, et d’abord de son versant nord. En effet, une seconde

I hommes & migrations n° 1273 29

vague d’Italiens – provenant essentiellement du sud de la péninsule (Campanie,Calabre, Sicile) – s’installe dans la région entre 1945 et 1962. L’immigration ita-lienne vers le bassin minier s’effectue désormais dans le cadre d’un accord négo-cié en 1946 entre la France et l’Italie : l’Italie fournit des travailleurs à la France,la France du charbon à l’Italie ; l’accord est bientôt critiqué par les associationsd’émigrés qui dénoncent une “vente” de main-d’œuvre pour quelques sacs decharbon. Plus tardivement arrivent, à la charnière des décennies soixante etsoixante-dix, Espagnols et, surtout, Portugais – c’est une vague distincte des pre-mières vagues d’immigration ibérique, qui avait vu, par exemple, au début duXXe siècle, l’émergence, à Roubaix, d’une population espagnole suffisammentnombreuse pour susciter la construction d’arènes en bois, faisant de cette ville lacapitale la plus septentrionale de la tauromachie(15)… À la fin du XXe siècle, lesPortugais sont environ 15 000 dans le Nord, essentiellement implantés àRoubaix, Tourcoing et Lille.

Immigration algérienne

et guerre d’Algérie

Le versant sud de la Méditerranée est également concerné par l’émigration vers leNord - Pas-de-Calais. Les travailleurs algériens retrouvent eux aussi, dès 1945, lechemin de la France ; ils sont affectés aux secteurs prioritaires des mines et de l’in-dustrie lourde, participant ainsi à la remise en route de l’économie régionale etnationale. Offrant une main-d’œuvre jeune, robuste, directement introduite dansle processus de production à un coût très bas – avec l’absence de formation pro-fessionnelle, de droits sociaux, de logement –, mobile et variable en fonction desbesoins de l’économie, les Algériens sont recrutés en priorité sur les autres étran-gers puisqu’ils bénéficient théoriquement d’un certain nombre de droits attachésà la citoyenneté française. En 1948, on recense 9 500 Algériens dans les départe-ments du Nord et du Pas-de-Calais, 16 200 l’année suivante, 18 300 en 1954,23 400 en 1962. Localement, le nombre de travailleurs algériens employés varietrès fortement, notamment en raison des départs, à partir de novembre 1954, dejeunes Algériens rappelés au pays pour rejoindre les organisations politiques etmilitaires messalistes ou frontistes. Dans la crise interne qui déchire l’organisa-tion nationaliste algérienne à partir de 1953, le Nord et le bassin minier, où celle-ci est largement implantée, reste fidèle au Mouvement national algérien (MNA) deMessali Hadj. Cette orientation politique n’empêche pas de nombreux conflitssanglants entre messalistes et partisans du Front de libération nationale (FLN), par

30 Dossier I Histoires des immigrations : panorama régional I

exemple à Roubaix ou à Jeumont, dans le Val-de-Sambre sidérurgique(16).À l’échelle locale, Roubaix connaît une immigration algérienne particulièrementimportante : dès 1954, les Algériens y sont déjà aussi nombreux que les Polonais,alors second groupe étranger de la commune derrière les Belges. La restructura-tion de l’industrie textile se traduit dans les années cinquante et soixante par leremplacement des ouvriers français quittant ce secteur d’activité par des ouvriers

étrangers, de plus en plus nombreux à veniry chercher du travail. En 1970, la main-d’œuvre immigrée représente 18 % des effec-tifs ouvriers du textile, proportion bien endeçà de celle qui prévalait dans l’entre-deux-guerres, qui atteignait environ 35 %.Peu à peu, l’immigration algérienne se séden-tarise. Elle se diversifie également : si laKabylie demeure le plus grand réservoir demain-d’œuvre, la région d’Oran, leConstantinois et les territoires du Saharafournissent désormais de gros contingents demigrants. Elle se diversifie aussi en termes

démographiques : à l’image du migrant type, jeune actif célibataire vivant en hôtelmeublé, se superposent progressivement les profils de migrants vivant en famille– avec l’arrivée d’un nombre important de femmes et d’enfants – et d’hommesjeunes plus instruits et qualifiés, notamment lorsque les premiers centres d’ap-prentissage technique font leur apparition en Algérie.

Les Marocains, longtemps sans droits

La troisième vague de migrants originaires des pourtours de la Méditerranée estmarocaine. Son véritable essor date du début des années soixante : un accord surl’immigration est signé en 1963 entre les deux pays. Jeunes ruraux célibataires,provenant du sud du Maroc et, dans une moindre mesure, du nord-est du pays etdu littoral atlantique, les Marocains sont recrutés sur la base de contrats decourte durée – généralement 18 mois – pour travailler dans les mines : cette orga-nisation permet à l’entreprise de se doter d’une main-d’œuvre flottante pour faireface aux à-coups de la production, le déclin programmé des mines – mené avec leplan Jeanneney en 1959 et le plan Bettencourt en 1968 – étant en effet entre-

Si la Kabylie demeure

le plus grand réservoir

de main-d’œuvre, la

région d’Oran, le

Constantinois

et les territoires

du Sahara fournissent

désormais de gros

contingents de

migrants.

I hommes & migrations n° 1273 31

coupé de courtes périodes de relance. Appelés dans le Nord - Pas-de-Calais “pourfermer les mines”, 70 000 Marocains s’installeront plus ou moins durablementdans la région – une faible proportion demeurant en France à l’expiration de soncontrat, celui-ci interdisant le plus souvent de changer d’activité(17).Les Marocains sont d’ailleurs alors considérés comme des travailleurs de secondezone et ce n’est qu’en 1980, après une longue grève, qu’ils obtiennent le statut demineur, assorti de ses avantages en matière sociale : logement, sécurité sociale…En revanche, les travailleurs qui ne viennent pas travailler dans les mines maisdans la sidérurgie ou dans les industries portuaires du littoral dunkerquois cons-tituent les gros bataillons de la population d’origine marocaine encore présenteaujourd’hui dans la région ; c’est le deuxième groupe d’origine étrangère après lesAlgériens au recensement de 1999.En 1975, la région figure seulement au neuvième rang des régions françaisespour la proportion d’étrangers présents en proportion de 5,2 % de la population.Pour tous les groupes issus de ces migrations, les années cinquante, soixante etsoixante-dix sont celles d’une lente prolétarisation de familles essentiellementpaysannes, avec son cortège de transformations sociales et familiales.

Une crise sévère et pérenne : “intégration” et nouvelles migrations internationales

La crise économique qui succède au choc pétrolier affecte particulièrement durementet durablement la région du Nord - Pas-de-Calais, dont l’économie est presque entiè-rement fondée sur les branches industrielles traditionnelles les plus mises à mal parla crise : extraction minière, métallurgie, sidérurgie, textile… Avec les fermetures d’u-sines qui se multiplient, certains bassins industriels perdent plusieurs dizaines demilliers d’emplois en quelques années – la fermeture du dernier puits de mine àOignies intervient en 1990. La violence de ce choc économique met en péril le sys-tème humain sur lequel l’industrie régionale était partiellement fondée. Un chômageendémique et ravageur sur les plans économique et social touche la populationouvrière de la région. À l’heure de l’“immigration zéro”, devenue le dogme officiel dela France, les années soixante-dix voient se réduire considérablement les flux migra-toires, qui se transforment : le regroupement familial produit alors un rééquilibragedémographique de la population étrangère de la région, qui se féminise et se rajeunit.Au cours de ce dernier quart de siècle, les groupes les plus anciennement implan-tés – Belges, Polonais, Italiens – connaissent une dispersion géographique et pro-

32 Dossier I Histoires des immigrations : panorama régional I

fessionnelle. Les représentants de la seconde voire de la troisième générationdeviennent transparents, une partie d’entre eux accédant à une position socio-éco-nomique souvent plus enviable que celle des primo-arrivants. Chez les enfants etpetits-enfants de migrants, on observe la naissance d’une revendication spécifiquede reconnaissance de l’héritage du pays d’origine ; chez les enfants de Polonais,celle-ci prend le nom de “polonité”(18) et s’exprime à travers la pratique religieuseet les activités associatives, sportives et culturelles.À partir du tournant des années soixante-dix à quatre-vingt, d’importantesmodifications interviennent dans le champ de la nationalité. Dans les politiquespubliques, le concept d’“intégration” devient un objectif appliqué aux dernièresvagues migratoires, majoritairement originaires de l’ancien empire colonialfrançais. Parallèlement, l’apparition du mouvement antiraciste à partir de la“marche des Beurs”, en 1983, donne à une partie des enfants d’immigrants unepossibilité d’expression dans le débat public. Dans un contexte de crise pro-fonde et de déclin économique et symbolique du groupe ouvrier, la montée duracisme et de la xénophobie au sein de la population affecte particulièrement lesderniers venus, notamment ceux qui viennent du Maghreb. Les scores électo-raux du Front national dans le Nord - Pas-de-Calais, plus particulièrement dansles communes frappées de plein fouet par la désindustrialisation et le chômage,en sont l’illustration(19).Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, la région est redevenue partielle-ment attractive. Le tissu productif a montré sa capacité à créer des emplois et denouvelles activités – mais pas en nombre suffisant pour diminuer un taux de chô-mage encore supérieur à la moyenne nationale : 12,5 % pour l’ensemble de larégion, en 2003 ; et beaucoup plus, 34 %, pour les Marocains du Nord - Pas-de-Calais ; ce chiffre montre que les étrangers sont victimes du chômage davantageque les Français. La sidérurgie et la métallurgie dans le Dunkerquois, le textile àRoubaix-Tourcoing, l’automobile dans le Douaisis et le Valenciennois – avecl’implantation de Toyota en 2000 –, l’industrie du verre à Saint-Omer ou encorel’agroalimentaire, dispersé dans la région : certaines de ces branches font preuved’un réel dynamisme économique.Pourtant, l’ensemble du tissu industriel de la région Nord - Pas-de-Calais conti-nue de connaître d’importantes difficultés sociales, particulièrement criantes chezla seconde génération des populations immigrées. Les activités industriellescèdent progressivement le terrain au secteur tertiaire. L’arrivée du TGV, del’Eurostar et, plus récemment, l’émergence de la première plate-forme multimo-dale Delta 3 – en 2003 – redonnent sa vocation marchande à la région, qui enprofite également pour améliorer son image : ainsi, Lille a être choisie comme

I hommes & migrations n° 1273 33

capitale européenne de la Culture en 2004. Cependant, ces nouvelles donnesn’empêchent ni la croissance des inégalités sociales à l’échelle régionale, ni la per-sistance de graves difficultés socio-économiques pour les populations – souventd’origine étrangère – dans les espaces urbains et périurbains en souffrance.De plus, 25 ans de crise économique majeure ont provoqué une nette diminutionde la part des étrangers dans la population du Nord - Pas-de-Calais : dans la région,131 000 étrangers et 172 000 immigrés (y compris les naturalisés) sont décomp-tés en 1999. La métropole lilloise reste l’aimant essentiel ; c’est la seule agglomé-ration de la région où la population étrangère continue d’augmenter, quoique fai-blement ; le noyau Lille-Roubaix-Tourcoing accueille presque la moitié desimmigrés de la région Nord - Pas-de-Calais en 1999, avec des différences de loca-lisation : les Algériens sont surtout à Roubaix, il y a plus de Marocains à Lille.Mais le Valenciennois, Lens et Dunkerque constituent toujours également despôles importants de présence étrangère. Les nouveaux migrants viennent aujour-d’hui d’horizons plus divers qu’au cours des périodes précédentes (Europe orien-tale, Afrique, Asie, notamment), même si, globalement, les tendances demeurentles mêmes, avec la prédominance des deux pôles traditionnels d’émigration : leMaghreb, d’une part – avec 40 % des immigrés de la région –, et d’autre partl’Europe occidentale et la Pologne – dont la population diminue sous l’effet duvieillissement.

Un carrefour

dans l’Europe forteresse

En tant que région frontalière, le Nord - Pas-de-Calais est une plaque tournantepour de nombreux flux migratoires. La figure contemporaine de l’immigrant– désormais profondément marquée par la question des sans-papiers et par la dis-tinction entre immigrants légaux et migrants “clandestins” – prend un relief par-ticulier dans une région qui a vu l’installation par la Croix-Rouge du camp d’ac-cueil des étrangers en situation irrégulière de Sangatte, dans le Pas-de-Calais, de1999 à 2002, et dont la ville de Coquelles héberge aujourd’hui l’un des centres derétention administrative les plus actifs et un tribunal extraterritorial. Lesquelques dizaines d’étrangers en situation irrégulière qui errent quotidiennementautour des autoroutes et des voies ferrées de l’agglomération calaisienne dans l’at-tente d’un hypothétique passage vers une Angleterre rêvée forment incontestable-ment l’une des figures contemporaines du visage multiforme de l’étranger dans larégion frontalière qu’est le Nord - Pas-de-Calais. ■

34 Dossier I Histoires des immigrations : panorama régional I

1. Selon l’expression de Gérard Noiriel, incluse également dans le titre de la communication : “L’immigration en France, unehistoire en friche”, Annales ESC, 1986, n° 4, p. 751-769.2. Outre les notes bibliographiques présentes dans cet article, consulter également l’importante bibliographie présentée dansle rapport final de l’étude de l’Acsé : Histoire et mémoire des immigrations dans le Nord - Pas-de-Calais, XIX e-XX e siècles, JudithRainhorn (dir. scientifique), mai 2007.3. Firmin Lentacker, La Frontière franco-belge. Étude géographique des effets d’une frontière internationale sur la vie de relations,université de Lille-3, 1973.4. Michel Hastings, Halluin la Rouge, 1919-1939 : aspects d’un communisme identitaire, Presses universitaires de Lille, 1991.5. Chantal Petillon, La Population de Roubaix. Industrialisation, démographie et société, 1750-1880, Presses universitaires duSeptentrion, Lille, 2006.6. Voir le compte rendu du débat à la chambre des députés dans : Mineurs immigrés. Histoire et témoignages, XIXe-XX e siècles, Actes du colloque tenu à Lens les 17 et 18 mai 2000, organisé par l’Institut d’histoire sociale minière, Montreuil,VO éditions, 2000.7. L’historiographie sur l’immigration belge dans le Nord de la France est extrêmement pauvre en comparaison avec le poids de ce groupe dans la population étrangère régionale jusqu’au milieu du XXe siècle. Un programme de rechercheinterrégional transfrontalier concernant cet aspect est cependant en cours sur la période 2006-2010, fruit d’une collaboration scientifique entre la Katholieke Universiteit Leuven et les universités de Valenciennes et de Lille.3. On peut en consulter le site (en construction) : http://www.petitesbelgiques.be/index.htm.8. Dans les cités minières du Nord – Lallaing, Gesnain, Wallers – et du Pas-de-Calais – Barlin –, ils sont moins de 2 000 en 1912.9. Janine Ponty, Polonais méconnus. Histoire des travailleurs immigrés en France pendant l’entre-deux-guerres, Paris, Presses de la Sorbonne, 1988 ; Ponty, Janine, Les Polonais du Nord ou la mémoire des corons, Paris, éditions Autrement, 1995. Sur l’importance du sport dans les sociabilités lensoises et le rôle des Polonais en ce domaine, Marion Fontaine, Les “Gueules noires” et leur club. Sport, sociabilités et politique à “Lens les Mines” (1934-1956), Thèse pour le doctorat d’histoire, Paris,EHESS, décembre 2006.10. L’enquête collective – “Faire crédit aux classes populaires. Habiller les mineurs à la croisée des immigrations au XXe siècle” – menée par plusieurs membres de l’équipe scientifique qui a participé à notre étude est très largement consacréeà l’étude de l’immigration juive polonaise à Lens et à ses rapports avec les mineurs polonais de confession catholique dans le bassin minier (ouvrage à paraître en 2008). Martina Avanza, Gilles Laferté, “Dépasser la‘construction des identités’ ? Identification, image sociale, appartenance”, Genèses, n° 61, 2005, p. 154-167 ; Nicolas Mariot et Claire Zalc, “Identifier, s’identifier : recensement, auto-déclarations et persécution des Juifs lensois (1940-1945)”, Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 54, n° 3, juillet-septembre 2007, p. 91-117 ; Martina Avanza, GillesLaferté, Nicolas Mariot, Claire Zalc, “Habiller les mineurs : une entreprise entre deux ‘communautés’ à Lens dans l’après-guerre”, in Les Marges de la mine, Presses de l’université de Valenciennes (à paraître en 2008).11. Judith Rainhorn (dir.), Petites Italies dans l’Europe du Nord-Ouest. Appartenances territoriales et identités collectives à l’ère de la migration italienne de masse, Valenciennes, Presses universitaires de Valenciennes, 2005.12. Malgré une mobilisation syndicale en leur faveur, 77 Polonais de Leforest (Nord) sont ainsi expulsés en août 1934 pourfaits de grève.13. Janine Ponty, “Les rapatriements d’ouvriers polonais (1945-1948)”, in L’Impact de la Seconde Guerre mondiale sur les relations franco-polonaises, Paris, Inalco, 2000, p. 125-137.14. “Les ouvriers polonais en France après la Seconde Guerre mondiale”, Revue du Nord, hors-série, n° 7, 1992.15. Sur les Portugais dans le Nord pendant la période de l’entre-deux-guerres, on consultera les travaux en cours de Miguel Da Mota (thèse de doctorat en voie d’achèvement sous la direction de Gérard Noiriel, EHESS).16. Travaux de Jean-René Genty sur les Algériens dans le Nord, en particulier pendant la guerre d’Algérie.17. Marie Cegarra, La Mémoire confisquée. Les mineurs marocains dans le Nord de la France, Presses universitaires du Septentrion, Lille, 1999.18. Marion Fontaine, “La ‘polonité’ face à la sécularisation dans le monde minier lensois”, in Politiques de la laïcité au XX e siècle, Patrick Weil (dir.), PUF, Paris, 2007, p. 327-351.19. Le 21 avril 2002, le score du candidat à l’élection présidentielle Jean-Marie Le Pen frôle les 30 % à Wingles, Harnes ouSallaumines, en plein bassin minier.

Notes