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Gserieys la maison

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La Maison

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Table des matièresLa Maison....................................................................................................1

Première nuit........................................................................................2Deuxième nuit......................................................................................7Troisième nuit....................................................................................16Quatrième nuit...................................................................................25Dernière journée................................................................................34

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Auteur : G.SerieysCatégorie : Romans / Nouvelles

Lorsque j'ai ouvert la porte et que je l'ai vue, j'ai ri au nez de Dieu.Je ne sais pas ce qu'elle a pu penser.A ce moment:là, je devais ressembler à un démon avec mon épais pullnoir, ma barbe, mes cheveux bruns trop longs, hirsutes et ma bouteille devodka à la main, riant à gorge déployée.Pauvre petite chose grelottante au milieu des épais flocons de neige, dansune affreuse doudoune bleu pâle !Elle me fixait de ses yeux gris, ses cheveux trempés collés à sa tête.: Entre, misérable créature !Elle a hésité, s'est mordu la lèvre inférieure et est entrée.J'ai claqué la porte, j'étais ivre.Elle s'est plantée devant la cheminée qui crépitait, et a commencé àdégouliner.Moi, je m'étais rassis dans mon vieux fauteuil, et je continuais à téter mabouteille de vodka en parlant à Dieu : : Qu'est:ce que Tu crois ? Que je vais la prendre pour une interventiondivine ? Et quand bien même ? Il en faudrait plus pour que je Te pardonne.

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Première nuit

Lorsque j'ai ouvert la porte et que je l'ai vue, j'ai ri au nez de Dieu.Je ne sais pas ce qu'elle a pu penser.A ce moment–là, je devais ressembler à un démon avec mon épais pullnoir, ma barbe, mes cheveux bruns trop longs, hirsutes et ma bouteille devodka à la main, riant à gorge déployée.Pauvre petite chose grelottante au milieu des épais flocons de neige, dansune affreuse doudoune bleu pâle !Elle me fixait de ses yeux gris, ses cheveux trempés collés à sa tête.– Entre, misérable créature !Elle a hésité, s'est mordu la lèvre inférieure et est entrée.J'ai claqué la porte, j'étais ivre.Elle s'est plantée devant la cheminée qui crépitait, et a commencé àdégouliner.Moi, je m'étais rassis dans mon vieux fauteuil, et je continuais à téter mabouteille de vodka en parlant à Dieu : – Qu'est–ce que Tu crois ? Que je vais la prendre pour une interventiondivine ? Et quand bien même ? Il en faudrait plus pour que je Te pardonne.Je lui ai tendu la bouteille, elle a fait non de la tête.J'aimais ce nouvel état ou tout était possible. Puisqu'on m'avait enlevé lapersonne que j'aimais le plus au monde, j'avais décidé que je n'avais plusde limite.La mort de Marie avait été comme un attentat dans ma conscience, toutesbarrières explosées!Je me sentais diabolique et du fond de mon ivresse je trouvais celaadmirable. Oui, je réagissais admirablement. De plus, les lieux s'yprêtaient. Cette maison au milieu de nulle part. Le chaos de la tempête deneige.Je me sentais souverain, puissant, au–delà des larmes et du manque deMarie qui avait emmené dans sa mort le meilleur de moi–même, ne

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laissant que l'abject dans lequel j'avais décidé que j'allais me vautrer. Cespensées me faisaient jubiler à tel point que j'avais oublié la présence de lafille. Je la regardais. Elle aussi. Elle avait l'air calme, elle ouvrit la boucheplusieurs fois avant de parler :– Je... - Stop ! je ne veux savoir ni ton nom, ni ton âge ni les raisons pourlesquelles tu te promènes dans les bois en pleine nuit à quinze kilomètresdu village le plus proche...Il n'y a pas le téléphone ici. Déshabille–toi.Elle a baissé les yeux sur la flaque d'eau formée à ses pieds et a ôté sadoudoune qu'elle a soigneusement déposée sur une chaise près du feu. Puiselle a entouré ses épaules de ses bras en me regardant toujours avec cemême air sérieux.Je me suis envoyé trois bonnes lampées de vodka et je lui ai dit :- Non déshabille toi complètement. Ou sinon ramasse ton affreux manteau,et fous–moi le camp.Je ne sais pas si elle a hésité, mais elle s'est déshabillée lentement, elleportait un jean, un pull bleu marine et des sous–vêtements blancs. Àtravers sa peau je voyais ses côtes, elle avait un corps décharné.Tandis que je l'examinais, elle me fixait droit dans les yeux. Aprèsquelques minutes elle s'est laissée tomber sur le sol, s'est rapprochée dufeu, un genou ramené sous le menton, elle m'ignorait.J'avais projeté de la violer. Mais je ne m'en sentais ni l'énergie ni le désir.Je n'avais jamais violé personne. Mais d'après ce que j'en savais, ça ne sepassait pas comme ça.Je bus encore quelques gorgées, ma bouteille était vide. Je me levais et fusémerveillé de marcher droit. Le cellier près de la cuisine recelait unegrande variété d'alcool. Je pris une autre bouteille de vodka. Je restais dansl'encadrement de la porte et l'observais en buvant. Elle me tournait le dos,et en séchant ses cheveux ondulaient et apparaissaient plus clairs que ceque j'avais d'abord cru.Depuis que Dieu m'avait enlevé Marie sept mois plus tôt, je n'avais cesséde Le maudire, et j'avais décidé de me venger. De devenir le dernier dessalauds, d'exceller dans la bassesse. J'avais tout quitté du jour aulendemain, sans prévenir personne. J'avais acheté cette maison isolée, jeme faisais livrer chaque semaine de quoi subsister, et si l'on mettait de côté

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la peine et l'inquiétude que devaient ressentir ma mère et mes prochesdepuis ma disparition, en fait de dernier des salauds, j'étais surtout devenule dernier des alcooliques.J'eus soudain envie de pleurer sur mon sort, j'étais un incapable.Il devait bien se marrer là–haut. Se foutre de ma gueule avec sa banded'anges.Marre–toi ! je vais la violer.Je laissais à nouveau mes yeux errer sur ce corps trop maigre. Toujoursaucun désir. L'alcool m'avait peut–être rendu impuissant.Les hanches douces de Marie, ses seins chauds dans mes mains, Marieétait toute en courbe, cette fille toute en angles.Peut–être que si je l 'engraissais quelques semaines je pourraisensuite...J'éclatais de rire, c'était une idée de type saoul et lâche. J'eussoudain envie de lui dire de ramasser ses affaires et de partir, afin decontinuer à boire jusqu'à crever misérablement.Le feu ne flambait plus, la pièce n'était éclairée que par quelques braises.Elle n'avait pas bougé. Toujours accroché à ma bouteille j'allais m'asseoirprès d'elle, elle ne me jeta pas un regard, fixant obstinément l'absence deflammes.J'étais très proche, je la vis frissonner. Je me dis avec satisfaction quec'était de peur. Dans la pénombre je levais la main lentement, ne sachantoù la toucher. Elle ne bougeait pas. C'est sa main que je saisis. Je tombais àla renverse. Les doigts glacés de Marie, juste avant qu'on ne referme lecercueil... je roulais sur moi–même et, à moitié à quatre pattes, à moitié enme tenant aux murs, je me précipitais aux toilettes pour vomir, le visagemort de Marie à l'esprit.Mon estomac se tordait douloureusement, tandis que par flash je revoyaisdes moments de cette journée horrible, l'église, le cimetière et toujours,toujours, le cercueil qu'on refermait sur le visage de la femme que j'avaisaimée, avec qui je riais, faisais l'amour...Sa main que j'avais vouluembrasser une dernière fois avant qu'on ne referme cette foutue boîte,qu'on ne referme ma foutue vie.Assis contre le mur, je tentais de calmer mes pensées en le détestant Lui,comme je l'avais détesté ce jour–là, et les suivants...j'étais essoufflé commeaprès un footing.

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Puis je me souvins de la présence de la fille nue dans le salon, de ses doigtsf r o i d s q u i m ' a v a i e n t r e p l o n g é s s i l o i n d a n s c e s o u v e n i rcauchemardesque...elle n'avait pas eu un mouvement. Ainsi, elle nefrissonnait pas de peur, elle avait froid tout simplement...le feumourant...les braises.Je me suis mis à pleurer en silence. Si je me suicidais, j'aurais perdu, et Ilaurait gagné.J'étais en train de dessaouler.Lorsque je suis retourné au salon la fille n'avait toujours pas bougé, machère bouteille était posée à côté d'elle. Je repris place près d'elle, je buvaisen la regardant.J'ai mis deux grosses bûches sur les braises. Le feu a repris. Près du coffreà bûche, je laissais un vieux pull que je ne portais que pour couper du bois.Je le lui ai tendu, elle l'a enfilé. Elle me regardait sous ses paupièresbaissées, craintive, mais je sentais qu'elle allait se mettre à parler, j'ai poséun doigt sur ses lèvres puis j'ai dit :

Tais–toi, je ne veux pas t'entendre, mais si tu veux partir, rien ne t'enempêche.

J'ai posé ma main sur sa cuisse. J'allais le faire. J'ai bu de longues rasadesde vodka la tête en arrière, puis je l'ai poussée du plat de la main , elle abasculé sur le sol. Je lui ai ouvert les jambes. J'ai empoigné ses cuisses, lesyeux fixés sur son sexe...elle ne se débattait pas. Dans un sursaut de colère,je lui ai refermé les jambes violemment, ses genoux ont claqué l'un contrel'autre, et j'ai repris ma bouteille. Je l'ai vidée, et je me suis mis à sangloter,ignorant totalement sa présence, j'avais fermé les yeux et je laissais ledésespoir me happer dans mes sanglots secs.Marie...l'odeur de Marie me manquait plus que tout le reste. Sa main tièdedans mon cou, dans mes cheveux. J'ai rouvert les yeux. La fille s'étaitredressée et me caressait les cheveux. La claque que je lui ai balancée l'aprojetée au sol. Durant quelques secondes le temps s'est arrêté. Elle arelevé la tête lentement avec méfiance, sa bouche saignait, sa joue étaitrouge.Et puis...

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Je me suis mis à vomir partout.La suite est confuse. Je tentais désespérément de ne pas m'étouffer, mecognant en essayant de me relever, je parlais à Marie, à Dieu, à cette fille.Elle me répondait. Mais ma voix comme la sienne semblait venir de trèsloin je ne comprenais pas tout, je lui ai demandé de partir je crois. Ensuitele trou noir.Lorsque je me suis réveillé. J'étais toujours devant la cheminée. Elle avaittout nettoyé, moi y compris. J'avais un coussin sous la tête et unecouverture sur le corps, j'avais très mal au visage. Je m'étais cogné l'arcade,j'étais également torturé par un mal de crâne rythmé. À travers la fenêtrej'ai vu un jour gris, j'en ai conclu que j'avais beaucoup dormi.J'ai entendu du bruit dans la cuisine. J'ai voulu parler mais seul une sortede râle est sorti de ma bouche, c'était dû sans doute a tout l'alcool quej'avais vomi. Malgré tout, elle m'a entendu et est venue. Elle avait remisses vêtements, elle m'a regardé en silence, puis est repartie à la cuisine,pour revenir au bout de quelques minutes avec du thé et deux comprimésd'aspirine, elle s'est agenouillée près de moi et m'a dit :Avale çà.Je mourrais d'envie de l'engueuler et de me taper une bouteille de vodka,mais en même temps, ma gorge ma langue mon tube digestif brûlés et matête semblaient de son côté. Et puis peut–on invectiver quelqu'un qui vousa empêché de mourir étouffé dans votre vomi ? Alors, j'ai obéi. J'ai avaléplusieurs tasses de thé, gardant mes reproches pour plus tard, et je me suisrendormi, pour une fois d'un sommeil doux peuplé de rêves avec maMarie, Marie douce, Marie tiède, Marie sourire. Le réveil n'en fut que plusdouloureux...

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Deuxième nuit

J'ouvris les yeux, mon dos était douloureux : j'avais dormi par terre. Lapendule indiquait 19h00. Le feu était mort. Mon mal de tête aussi. Monarcade semblait avoir désenflé, et mon estomac décoléré.Elle aussi dormait sur le sol, à moins d'un mètre de moi, recroquevillée surelle–même. J'étais sobre et honteux. J'avais projeté de la violer, je l'avaisfrappée, je m'étais écroulé dans mon vomi, blessé et elle m'avait soigné. Jeme suis levé doucement. Mal partout. Encore envie de pleurer, mais dehonte.J'ai vu une bouteille de vodka, posée dans le renfoncement de la fenêtre. Jel'ai porté amoureusement à ma bouche, je tremblais depuis mon réveil, cardepuis la mort de Marie j'avais rarement passé autant d'heures sans boire.L'alcool m'a rendu larmoyant, je regardais la fille enroulée sur elle–mêmesur le sol froid, avec son jean et son pull crades, et j'ai soudain décidéd'aller chercher un matelas à l'étage.J'avais acheté la maison dans l'urgence avec la plupart des meubles del'ancienne proprio, aussi eus–je toutes les peines du monde à descendre lematelas d'un autre temps, matelas de laine, lourd comme un cheval mort.Toutes les deux minutes, je m'arrêtais pour m'envoyer une belle rasade devodka. J'ai finalement réussi à descendre le matelas. Je me demandecomment la fille a fait pour ne pas se réveiller avec le bruit que ça a fait. Jel'ai soulevée et l'ai déposée dessus. J'ai rallumé le feu. Je suis remonté àl'étage, car en la soulevant j'avais constaté qu'elle était glacée.Glacée mais vivante. Pourquoi serait–elle morte ? À cette pensée la folienauséeuse de la veille m'a repris. J'étais à l'étage et je ne savais pluspourquoi. Oui. Si. Elle a froid. J'ai pris un de ces vieux édredons de plume,qu'il y avait dans chacune des trois chambres. Je suis redescendu et l'en airecouverte. Elle ne bougeait toujours pas. Un souffle léger s'échappait deses lèvres. Non, elle n'était pas morte. Le feu flambait. Pas morte. Pasmorte. Juste maigre. Fragile. Faire à manger. Pour ne pas qu'elle meure.

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Pour rester en vie il faut manger , boire, dormir. Faire attention à soi.Marie faisait attention à elle. Mais Lui en avait décidé autrement. Ne paspenser à Lui, et au fait que j'avais éclaté la bouche de cette fille d'uneclaque.Dans la cuisine je préparais de la viande et des pommes de terre, en buvantdu whisky pour varier les plaisirs, la nuit était tombée, la fille était chezmoi depuis près de 24h00, lorsque j'ai réalisé que je me comportais commel'inverse d'un salopard. Je me suis arrêté pour boire un bon coup et dire lefond de ma pensée a Dieu : Bon . Je ne l'ai pas violée. Je lui ai mis une claque. Une grosse claque.Mais seulement parce qu'elle m'a caressé la tête comme Marie le faisait. Çaa été un réflexe. Comme si elle avait commis un sacrilège. J'arrive pas àêtre aussi pourri que Toi. OK. Mais Tu n'as pas gagné. Tu sais pourquoi ?Parce que j'ai compris : Tu n'existes pas. Marie est morte d'un accident devoiture comme ça, connement. Ça n'est pas de Ta faute. Tu n'existes pas.Non.

J'ai bu encore à la bouteille, puis j'ai continué de cuisiner pour cetteinconnue maigrichonne tout en me demandant à qui j'allais bien pouvoirm'en prendre, maintenant que j'avais découvert qu'Il n'était qu'unefumisterie. Je me suis soudain senti vieux et aigri.Je me suis trouvé tout con, là à cuisiner.Je me suis assis à la table. La petite cuisine était plongée dans l'obscurité.Tout en buvant je frissonnais, à cause du manque de lumière, du silence.Sans me lever j'ai atteint l'interrupteur. Une sorte de lampe recouverte dedentelle a déversé une lumière orangée très réconfortante. Ça m'aémerveillé, un truc pareil, désuet et délicat, accroché au plafond. Lorsquej'avais acheté la maison, quelques mois auparavant, j'avais eu affaire audirecteur d'une maison de retraite. Il s'occupait de la vente pour une de sespensionnaires, il avait fait effectuer quelques travaux de rénovation,l'installation électrique, la salle de bain, et une entreprise de nettoyage étaitpassée. Je réalisais que j'avais rarement mis les pieds dans la cuisine,seulement lorsque je la traversais pour atteindre le cellier en cas de besoind'alcool. Elle était jolie cette cuisine avec ses poutres apparentes et soncarrelage couleur caramel. Je me remis à éplucher les pommes de terre,

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bercé par l'éclairage doux. Cette cuisine aurait plu à Marie...Je n'avaismême pas visité la totalité de cette maison, j'avais jeté un coup d'œil auxchambres, ignoré le grenier et la cave, et chaque fois que je m'étaisendormi, assommé par l'alcool, ça avait été sur le vieux fauteuil de la pièceprincipale, voir sur le sol...J'allumais le four que je n'avais jamais utilisé pour vérifier qu'ilfonctionnait, oui , il fonctionnait. La viande que j'avais sortie ducongélateur bondé de nourriture avait l'air d'être du bœuf... je n'avais mêmepas regardé l'emballage. Oignons, huile d'olive et coulis de tomate,l'ensemble avait belle allure je recouvris le tout des rondelles de pomme deterre. Surtout ne pas laisser tout brûler et la maison avec...Je retournaisprès de la fille armé de ma bouteille de whisky, elle dormait toujours. Avechésitation je touchais sa main: elle était tiède. Je m'étendis près d'elle,buvant lentement, laissant mes pensées dériver. Comme d'habitude levisage de Marie s'imposa à moi...Ses tendres yeux marron, son front hautsa bouche pleine et sa peau laiteuse, et surtout la douceur indicible qui sedégageait d'elle. Notre première rencontre, chez des amis communs...Larobe mauve qu'elle portait et surtout ce fabuleux décolleté laissantapparaître une bonne partie de ses seins laiteux...Son corps ensuite, nu,dans mes bras, sa peau à la texture presque irréelle, comme de la crème.Son corps dont je me délectais, que je croyais mien à jamais...et qui àprésent pourrissait dans la boîte...maudite boîte tapissée de satin mauve,personne n'a compris la crise de nerfs que j'ai fait ce jour là : « Pourquoimauve ? Qui a choisi cette putain de couleur ? »Et sa mère sanglotante : « mais c'était sa couleur préférée... »J'ai jamais aimé sa façon de conduire à Marie, surtout lorsqu'elle avait uncoup dans le nez. Et puis son côté bordélique et je–m'en–foutiste... « Oncrèvera bien assez tôt » me disait-elle, lorsqu'en secouant la tête,désapprobateur, je ramassais ses dentelles, ses C.D. et ses tablettes dechocolat à moitié grignotées. Elle avait raison. Marie mon amour, commetu me manques, reviens s'il te plaît, reviens coller ta peau contre la mienne.Je pleurais en silence les yeux fixés sur le feu qui s'en donnait à cœur joie.La fille s'était réveillée et me regardait, l'air étonné, quand nos regards sesont plantés l'un dans l'autre, le sien a glissé et s'est posé derrière moi. J'aipensé qu'elle était pudique de ne pas me regarder chialer, et de ne pas

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essayer de me demander, pourquoi, de ne pas avoir pitié. Elle a continué deregarder derrière moi comme si quelqu'un de passionnant et beau luiracontait une histoire extraordinaire. J'ai bondi du matelas en pensant àmon bœuf–patate qui risquait de cramer tout seul comme un con dans lefour. Dans la cuisine tout allait bien, ça rissolait et sentait bon, j'ai éteint lefour et je suis revenu près d'elle. Elle s'était assise sur le matelas etregardait le feu d'un air triste. Je lui ai tendu ma bouteille de whisky,comme on tend un bouquet de fleur à une nana trop belle pour soi...elle adit : Non...mais t'aurais pas du rhum et du sirop de canne ?Bien sûr que j'enavais ! J'ai foncé à la cuisine lui chercher ça avec un verre. Elle a fait sonpetit mélange, l'a bu d'un trait et ses joues ont rosi. T'aurais pas des clopes ?J'avais au moins trois cartouches deChesterfield que j'avais oublié de fumer à force de boire. Je lui en ai ramené un paquet. Elle s'était resservi un verre , tandis que jepensais à sa voix, étrangement basse et cassée pour un être si frêle.Elle a fumé, et du coup moi aussi. Elle buvait lentement ses verres de rhumsucrés. Nous nous taisions tous les deux. Elle avait les yeux baissés. Labûche que je venais de mettre dans la cheminée protestait en craquant toutce qu'elle savait. Je n'aimais pas ce silence, car depuis que j'avais décidéque Dieu n'existait pas j'avais plus personne à insulter mentalement et jeme sentais vide, prêt à m'apitoyer. Je l'ai regardée, elle était assise entailleur et son jean était vraiment sale, alors j'ai déclaré sur un tonsolennel : Tu vas prendre un bain. Elle a haussé un sourcil, et c'est là que j'aidécouvert qu'au dessus de ses yeux gris ses sourcils étaient délicieusementarqués, et ça m'a clairement emmerdé de la trouver mignonne cette petitepaire de sourcils , car c 'étai t comme trahir Marie et son visagemagnifique...Elle a donc haussé un sourcil et m'a dit : Je veux bien, mais j'ai rien pour me changer...J'ai pas répondu tout desuite à cause de ses sourcils fourbes, mais bien trente secondes après :– T'as qu'à fouiller dans mes affaires, il y a des vêtements propres... en hautdans la deuxième chambre à droite, ce sera trop large et c'est des fringuesde mecs, mais bon...Elle a dit :OK ! et est montée à l'étage sans se faire prier.

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J'ai été faire couler l'eau pour son bain, pendant ce temps–là mon cerveauétait assailli, obsédé par l'idée que peut–être j'avais gardé quelquesvêtements de Marie.Alors que je savais que cette idée était stupide. Que j'avais jeté toutes sesaffaires , de ses soutiens gorges jusqu'à sa brosse à cheveux en passant parson rimel.Mais une peur plus forte que moi me persuadait qu'il restait quelque chose,peut–être sa robe mauve, ou bien un de ses strings, ou encore qu'ils allaientréapparaître dans la chambre du haut et que la fille les mettrait.Que Marie, fantôme, pour se venger du fait que j'avais trouvé les sourcilsde la fille adorables, allait faire revenir sa garde–robe dans cette maison ouelle n'avait jamais mis les pieds.Je transpirais, j'ai dû m'agripper au lavabo pour ne pas tomber. J'étaisailleurs dans une autre salle de bain, une salle de bain pleine de Marie, deson parfum, où nous avions fait l'amour, sans y prendre garde, par caprice.Sans faire attention et se dire qu'on pouvait se perdre, que l'un de nouspouvait pourrir dans une boîte tapissée de satin mauve, comme ça, sansraison, que ce sont des choses qui arrivent parfois.Ça va déborder.Elle se tenait là, avec ses foutus sourcils qui me narguaient. Sous son brasun de mes survêts Adidas, j'ai soupiré (pas de robe mauve) et j'ai souri, j'aifermé les robinets, j'allais quitter la salle de bain avec l'envie de retrouverma chère bouteille quand elle m'a dit :Toi aussi un bain ne te ferait pas de mal.J'ai refermé la porte. Ma bouteille. Ma bouteille. J'analyserais les sons quiétaient sortis de sa bouche plus tard.Pour l'instant les seules infos que je comprenais étaient : elle a pris monsurvêt et je vais m'envoyer une vodka. Pardon Marie de te mêler à mondésespoir alcoolique.J'ai fini ma bouteille de whisky, avant d'entamer une nouvelle bouteille devodka. Je me sentais bien. La fille avait dit qu'un bain ne me ferait pas demal. Donc je devais puer. Je me suis mis à poil devant la cheminée histoirede voir. Je n'avais pas l'impression de sentir mauvais, mais il est vrai quema dernière vraie toilette remontait à 10 jours.J'entendais la fille chantonner au milieu des clapotis. J'ai empoigné ma

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bouteille et je suis entré dans la salle de bain, je me sentais d'humeurjoyeuse à l'idée des cris qu'elle pousserait en me voyant arriver nu. J'ai faitchoux blanc. Elle a juste dit :Ça t'ennuierait de ramener les clopes ?J'ai été les chercher près de la cheminée, complètement dépité. Mon sexeavait l'air aussi bourré que moi et je l'ai insulté, de toute façon je n'avaisplus l'intention de la violer, juste de lui faire une bonne blague.Je suis entré dans la baignoire, lui tournant le dos, le contact de l'eau tièdeétait agréable, elle a fumé sa clope en continuant de chantonner, ses talonscalés sur mes fesses.Moi bien sûr je buvais...Je me suis mis a pleurer entre deux rasades devodka. Avec une grosse éponge, elle s'est mise à frotter mes épaules, cegeste était totalement dénué de sensualité, et n'était même pas maternel, unpeu comme si elle avait lavé une assiette...ça m'a fait pleurer encore plus,et j'ai fini ma bouteille d'un coup.Mon cerveau était vraiment attaqué parce qu'après ça , j'ai oublié laprésence de la fille, j'ai cru que la baignoire était remplie de mes larmes etj'ai commencé à paniquer.Je l'ai vue au dessus de moi , elle avait passé mon survêt et une fois de pluselle me parlait et je ne comprenais rien.Je suis tombé et j'ai failli me noyer, elle a sorti ma tête en me tirant par lescheveux, comme la veille je me suis mis à vomir. Elle me tenait. Ensuiteelle a vidé la baignoire et m'a douché.J'avais toutes les peines du monde à tenir mes yeux ouverts, j'ai essayé desortir de la baignoire, mais je suis retombé, elle a dit : Je ne suis pas capable de te soulever, alors il va falloir attendre que çapasse, je vais faire du café. Elle a pris toutes les serviettes éponges qu'elle apu trouver et les a mises sur moi.

Elle m'a tapoté la joue. Je m'étais endormi. Elle tenait un grand bol de café,qu'elle m'a aidé à avaler. Il était terriblement sucré. Elle m'a tendu uneclope déjà allumée. Elle a ramené encore du café. En tout j'en ai bu quatrebols.Elle ne disait rien et moi non plus, j'avais vraiment honte de moi et je luiétais reconnaissant de ne pas dire des phrases comme : « c'est pas

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raisonnable de boire comme çà » , non elle restait là, à m'abreuver de café.Elle était assez rigolote à regarder avec mon survêtement gris bien tropgrand, elle avait enroulé les manches et les jambes, et ses cheveux humidesétaient tout emmêlés , sans doute parce qu 'e l le avai t dû sor t i rprécipitamment du bain lorsque je m'étais mis à délirer.Au bout d'une demi–heure, elle m'a demandé si je pensais pouvoir melever, je lui ai dit que oui. Elle a désigné mon autre survêtement, le bleu,qu'elle avait dû remonter chercher et est sortie de la salle de bain.Lorsque je suis revenu près du feu, mon crâne me faisait payer la bouteillede vodka, et j'avais l'impression qu'à la place de mon sang, de l'éthercoulait dans mes veines. Je me suis lourdement assis près du feu, elle étaitdans l'encadrement de la cuisine. La clope au bec, elle a dit :– J'ai envie de manger ce qui est dans le four, et je crois que ça ne te feraitpas de mal non plus.J'ai hoché la tête :- Est–ce que tu pourrais me donner de l'aspirine ?Elle m'a donné les comprimés et un verre d'eau. A remi du bois sur le feu,ça a flambé haut.Elle est revenue avec le plat que j'avais cuisiné plus tôt et du pain, elle les aposés sur la pierre de l'âtre, j'ai trouvé ça astucieux.Elle a ramené des gros bols, plutôt que des assiettes. Très poliment elle m'ademandé : -Je peux ouvrir une des bouteilles de vin qui se trouvent dans ta cuisine ?Elle me fascinait, parce que chaque fois qu'elle ouvrait la bouche jecraignais le pire, et chaque fois le pire n'arrivait pas. Le pire pour moiaurait été qu'elle se mette à me raconter sa vie ou s'intéresse à la mienne...et non elle était là et avait envie de vin, et oui bien sûr elle pouvait ouvrirune bouteille, et toutes les boire même si le cœur lui en disait.Elle est revenue avec sa bouteille de vin ,une bouteille d'eau et deux verres,les a posés devant nous, s'est servie. Elle a retourné le pain : -Je l'ai trouvé dans le congélateur, il dégèlera vite...Assis côtes à côtes surnotre matelas à regarder le feu, j'ai éclaté de rire. Elle m'a refait le coup dusourcil interrogateur, j'ai fait comme si je ne le voyais pas :-On est cocasses avec nos survêts tous les deux !Elle a souri, je me suis servi du vin.

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J'ai mangé avec plaisir, et elle avec voracité. Nous avons bu tout le vin,puis fumé, hypnotisés par le feu.J'ai regardé discrètement sa bouche à plusieurs reprises pour voir si maclaque de la veille ne l'avait pas trop amochée. Je n'ai pas vu de marque.Vers deux heures du matin, elle s'est levée en me disant qu'elle allait sefaire du thé, je lui ai demandé d'avoir la gentillesse de me ramener unebouteille de vodka. Elle me l'a apportée, a bu son thé en silence.Je réfléchissais à la meilleure façon de lui demander pardon pour la baffede la veille, sans pour autant être obligé de lui expliquer que seule Marietouchait mes cheveux, et qu'elle était morte.Je buvais dans l'espoir de trouver la bonne phrase, pas juste :« désolé de t'avoir claqué hier ».Je me suis tourné vers elle, et comme d'habitude dans ce genre de situationcritique, elle a été parfaite : elle s'était endormie dans un coin du matelas,roulée en boule comme un chat.J'ai cessé de me torturer avec ces histoires d'excuses, je l'ai prise dans mesbras et je l'ai installée presque au milieu du matelas pour qu'elle soit àl'aise, ça ne l'a pas réveillée, je l'ai couverte de l'édredon, j'ai regardé sonvisage paisible, et doucement du bout de l'index, j'ai suivi la courbe de sonsourcil droit.Je voyais ce geste comme une demande de pardon codée, un truc entre cetarrogant sourcil et moi.Je lui ai tourné le dos et me suis moi aussi étendu face au feu. J'ai continuéà boire.Marie était là, dans ma tête. Depuis sa mort, je passais mon temps à revivrementalement notre vie commune. Ces quelques années, six précisément oùje l'avais aimée comme je n'avais jamais aimé personne. Marie m'aimait. Etje l'aimais. Mais tout le monde aimait Marie. Elle baignait dans l'amourdes autres, parfois ça me rendait fou.Elle avait été adorée par ses parents et avait une multitude d'amis qui lachérissaient. J'aurais voulu avoir l'exclusivité, que les autres l'apprécient, larespectent, mais être le seul à l'aimer.J'étais jaloux de ce que les autres l'aiment à ce point. Je me sentais minableau lieu d'être fier qu'elle m'aime moi plus que les autres, moi plutôt qu'unautre, j'avais le sentiment de toujours devoir justifier cet avantage.

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Son père était comme moi je crois, il était fou de bonheur d'être son père etsemblait perpétuellement surpris d'avoir donné naissance à un être aussiangélique.Le jour de l'enterrement j'étais furieux de tous ces gens qui la pleuraient,j'aurais voulu virer tout le monde, être le seul à être malheureux.On se disputait souvent pourtant. C'est sans doute pour ça qu'elle m'aimait,parce que je la descendais un peu de son piédestal.Marie était brillante. Pas particulièrement géniale dans un domaine ou unautre. Non. Elle brillait. Où qu'elle soit on ne voyait qu'elle. Elle n'était paspour autant hautaine, et je ne crois pas l'avoir jamais vue être cruelle enacte ou en parole envers quiconque.C'est peut–être une autre façon d'être cruelle ce genre de perfection. Elleétait lumineuse de l'amour que tout le monde lui portait. Elle était monétoile. Le feu s'était éteint, et je pleurais.Mon étoile s'était éteinte, et avec elle la lumière dans mes yeux puisqu'ilsn'étaient plus posés sur elle. Marie.J'avais fini la bouteille de vodka et je sanglotais, j'ai senti que la fillebougeait à côté de moi. Elle a fait glisser sa main sur le matelas lentementjusqu'à mon visage, elle avait fait ce geste sciemment, sa main comme unserpent, pour que je la voie venir et puisse la repousser. Je redoublais delarmes à l'idée du réconfort qu'elle allait essayer de m'apporter, avec desmots inutiles, ou pire des gestes que je refuserais. Sa main fraîche nebougeait pas elle était juste posée sur ma joue. Puis sa voix basse commeune caresse rythmée :« Chuuut... Ça va passer. Rien ne dure. La souffrance n'échappe pas à cetterègle. Un jour ça s'arrêtera d'une manière ou d'une autre. »Sa main sepromenait dans mes cheveux et sur mon front, tandis qu'elle répétait cesphrases lugubres qui ne promettaient que la paix. Elle les a dites etredites comme une litanie jusqu'à ce que je cesse de pleurer, et que marespiration soit régulière. Ces phrases froides et dures me purifiaient, alorsque si elle m'avait parlé de lendemains qui chantent au concentré deguimauve, j'aurais sans aucun doute été fou de rage, et lui aurait balancéune autre baffe. Je cherchais quelque chose à dire, mais elle s'étaitretournée et avait l'air de dormir. Je me suis endormi, vidé.

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Je me suis laissé éveiller par le silence. Je n'ai pas ouvert les yeux, pasbougé un orteil. J'écoutais. En essayant de savoir quelle heure il pouvaitêtre. Je suis resté figé, en pensant à la fille sans nom qui était chez moidepuis deux jours. Elle n'était pas partie puisque le feu brûlait et qued'imperceptibles bruissements m'atteignaient. Ça ne pouvait pas durer. Elleallait certainement partir. Curieusement j'avais envie qu'elle reste et qu'oncontinue à ne rien se dire. Je n'étais pas saoul, alors j'avais conscience del'énormité de la situation. Les gens normaux ne font pas entrer des jeunesfemmes inconnues chez eux. Les jeunes femmes normales ne restent pasauprès d'un ivrogne qui après avoir essayé de les violer leur met une claqueet leur vomit dessus. J'en ai conclu qu'elle aussi, elle devait avoir malquelque part. Elle n'était pas mineure. Le premier soir à cause de sadégaine et de son corps frêle je l'avais prise pour une jeune fugueuse. Maispour avoir étudié son visage, je savais que c'était une femme et pas unegamine.J'ai ouvert un œil, le soir tombait. Je me suis levé. Au premier regard sur lapièce j'ai vu qu'elle avait fait un ménage de malade. Aussitôt une sonnetted'alarme à l'arrière de ma tête m'a dit : « attention c'est une paumée, si ellefait le ménage c'est qu'elle veut s'installer, il manquerait plus qu'elle tefasse un gâteau , et ait vidé toutes tes bouteilles. »J'ai été à la cuisine : Bingo ! ça sentait le coup du gâteau aux pommes et àla cannelle à plein nez. J'ai foncé au cellier pour constater avecsoulagement que ma réserve d'alcools n'avait pas bougé. J'ai attaqué illicoune bouteille de vodka, en me demandant où elle pouvait bien être. Çasentait vraiment bon dans la cuisine. J'étais bien emmerdé.Je me disais que j'allais aller méditer sur tout ça devant le feu à grandrenfort de vodka, quand je l'ai vue. Elle était face au matelas tout ce temps,elle avait approché le fauteuil de la fenêtre, et elle s'était nichée là, dans lapénombre, elle buvait tranquillement du rhum, en regardant par la fenêtre.

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Comme le dernier des idiots, j'ai dit : Bonjour... Ça m'a donné envie de me mettre des coups de pieds de direun truc aussi nul, alors comme pour prouver que j'étais définitivement undébile profond j'ai ajouté : Heu... plutôt bonsoir... T'as fait à manger on dirait ? Elle a hoché latête : Oui... je m'ennuyais... et il y a tellement de nourriture ici... – T'étais pas obligée de faire le ménage... – Je sais mais c'était difficile de marcher dans cette pièce avec le sol quicolle aux pieds, et puis ça m'a occupée...ça n'a pas d'importance. – Merci. – ... – Et merci pour hier aussi...Elle a levé la main dans un geste qui pouvait vouloir dire : « ne meremercie pas » ou bien « tais–toi pauv'naze. » Je me suis assis sur l'autre fauteuil, et j'ai allumé la petite lampe qui setrouvait à côté.Son visage avait un air soucieux et indifférent à la fois.Je me suis senti stupide, parce qu'elle ne disait rien . Elle avait largemententamé la bouteille de rhum que je lui avais donné la veille. Je m'attendaistoujours à ce qu'elle se mette à dire des choses énervantes et comme elle nele faisait pas c'est moi qui l'ai fait tout en me maudissant de le faire. Je m'appelle Damien, et toi ? Elle a eu l'air vaguement ennuyé, puis ellea lâché : Marie... J'ai bondi du fauteuil. J'ai tendu mon poing vers le ciel et j'aigueulé : Vieux salopard ! Je me suis rassis, et j'ai bu, bu, bu... elle n'avait euaucune réaction si ce n'est le coup du sourcil. Je suis parti dans la cuisine.J'ai fini ma bouteille. Il existait. Et Il ne me laisserait pas en paix de sitôt.C'était de l'acharnement.J'ai enfilé mes baskets, et mon manteau et je suis sorti. J'étais furieux. J'aitraversé la petite route qui longeait le côté de la maison, et je me suisenfoncé dans les bois. Il neigeait toujours, et le vent me giflait. Ça mefaisait du bien d'avancer vaillamment au milieu de ce déchaînement deflocons, j'avais l'impression de lui rentrer dedans a Lui.

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J'étais quand même moins saoul que d'habitude, ce qui fait que j'avais dumal à Lui parler, à l'insulter, et même pour dire la vérité à lui en vouloir.Je me suis adossé à un arbre, en proie à un sentiment nouveau. J'en voulaisà Marie d'être morte. De ne pas avoir pris plus soin de notre vie. D'avoirété imprudente sur la route par amour de la vitesse, sans penser un instantqu'elle pouvait se tuer, et me larguer, là, comme ça. En mourant, ellem'avait tout volé. Avait fait de moi un fantôme. J'étais un pauvre typeridicule, à insulter Dieu. Je ne savais même pas si je croyais en Lui. Et si Ilexistait, j'étais bien présomptueux de croire que mes petits discoursinsultants et revanchards l'intéressaient ou même le touchaient. Il n'avaitréellement surgi dans ma vie qu'à la disparition de Marie. Cette idée : quej'avais en quelque sorte remplacé Marie par Dieu, rebondissant surl'humiliante évidence que je l'avais considérée, elle comme mon idole, mesaisit . Je repoussais cette pensée. Je refusais d'emprunter des dédalesintérieurs inconnus qui me rendraient dingue à coup sûr.Je n'avais même jamais discuté de l'existence de Dieu ou du bien–fondéd'une religion avec Marie.Qu'est–ce qu'elle aurait pensé de moi Marie, là ?J'essayais d'imaginer que ce que je vivais n'était qu'un film, que je n'étaisque le personnage d'un film que j'aurais été voir avec Marie. Elle auraitpensé quoi ?Elle aurait sans doute dit que le personnage principal était torturé, maisqu'à son avis vivre un deuil de façon aussi destructrice trahissait d'autresproblèmes bien plus profonds que la disparition de sa nana. Elle aurait sansdoute méprisé gentiment le cliché du pauvre type alcoolo fou d'amour. Ellem'aurait méprisé. Je pleurais, encore. Et j'avais froid. Rentrer, boire.Merde, la fille. La fille qui s'appelait Marie.Je préférais qu'elle reste sans nom. C'était trop « pas du jeu » ce prénom.J'aurais voulu qu'elle n'ait jamais frappé à ma porte.Je devais absolument rentrer et me saouler, sous peine de devenir fou. Oude mourir de froid. Je suis reparti vers la maison lentement, mon corpsétait trop engourdi.Quand je suis rentré, blanc comme un bonhomme de neige, elle a eu unmouvement de recul. Immédiatement j'ai vu qu'elle commençait à meprendre pour un fou. J'étais resté presque une heure à méditer sous la

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neige, après avoir hurlé : « Vieux salopard ! » lorsqu'elle m'avait dit sonprénom. À sa place j'aurais flippé. Ça m'a flanqué un fou rire irrépressible.Elle me regardait, interloquée, et moi dans ma tête je revoyais ma sortie, lepoing levé tel le capitaine Haddock et mon retour dans une rafale de neigeet je riais comme un dément. J'ai continué à rire, parce que je me trouvaismagnifique dans la folie. Ça m'a fait du bien. Pour une fois elle avait l'airgênée par la situation. J'en ai été très content, j'ai dit : Bon, je vais me changer, je crève de faim. C'est seulement une fois sec,que je me suis rendu compte qu'elle avait fini la bouteille de rhum etqu'elle était bourrée. J'ai trouvé ça super parce que je ne me sentais pasd'humeur à faire la conversation, et puis elle avait préparé à manger...On a mangé silencieusement c'était super bon, une sorte de ragoût. J'avaisouvert une bouteille de vin, et avant ça je m'étais envoyé trois ou quatrewhiskys, j'avais sorti des clopes, elle fumait en silence, les yeux vitreux, jetrouvais le spectacle de cette fille bourrée très distrayant, c'était plutôt petitde ma part, étant donné le flegme dont elle avait fait preuve, les fois où jem'étais rendu minable devant elle, mais disons simplement que ça luidonnait un côté humain très réconfortant. De toute façon au rythme auquelje buvais, j'allais pas tarder à être bien plus saoul qu'elle. J'en avais besoin.Les réflexions que je m'étais faites plus tôt dans la forêt m'avaient tropperturbé, j'essayais de boire à un rythme précis de façon à me contrôler unminimum, tout en gardant une humeur à peu près stable. Malgré ça lefantôme d'une Marie au regard méprisant revenait par instant hanter mespensées.Je profitais du fait que la fille n'avait plus les yeux en face des trous pourl'observer.Surtout ses sourcils. Ces petits sourcils si bien dessinés. Comme s'ilsavaient été faits au pinceau. Son nez était mince et droit. Depuis sonarrivée, elle avait toujours les cheveux entortillés sur le haut de la tête avecune sorte d'élastique marron. Je trouvais cette coiffure assez lamentable.Mais ce soir j'avais l'ivresse indulgente, la crise de rire m'avait fait un bienfou, et je décidais aussi sec qu'avec cette coiffure et ces sourcils elleressemblait à un doudou, ces petites poupées de chiffon comme on en offreaux bébés.

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À la fin du repas, elle avait posé son visage dans sa main, accoudée à latable, de l'autre elle tapotait sa cigarette sur le cendrier, elle me regardait etje sentais qu'elle allait parler, me poser une question. Ça m'a terrorisé. Jene voulais rien savoir de plus sur elle. Et je ne voulais rien lui dire de moi.Alors pour la contrer, j'ai dit : Ça t'embêterait de faire du café ? Celui que tu as fait la dernière foisétait super bon. Elle a semblé hésiter, puis elle a hoché la tête et s'est levée.Tandis qu'elle s'activait, je me mettais des claques mentalement. C'était pasmalin d'avoir dit ça, parce que la dernière fois j'étais pas en mesure dejuger du goût de son café vu mon état, et elle risquait de penser quej'essayais de l'amadouer ou pire de la draguer, et je voulais à tout prixqu'elle n'imagine rien de tel. À ce moment–là, elle a dit : Au fait ! j'avais aussi fait un gâteau ce matin. Elle a sorti son gâteau. Jel'ai mangé avec le café en faisant la gueule, histoire de remettre les chosesdans leur vraie dimension. Après j'ai mis les assiettes dans l'évier, et je luiai dit que je montais dormir à l'étage, que la sortie sous la neige m'avaitcrevé, que bonne nuit, que fait comme chez toi pour les clopes et la sallede bain... des trucs nuls. Elle a juste dit : OK.J'ai pris la bouteille de whisky et je suis monté.Ça m'a complètement déprimé. Depuis mon arrivée je n'avais jamais dormià l'étage, je suis quand même allé dans la chambre où il y avait toutes mesaffaires, la plupart encore dans les cartons, que j'éventrais au fur à mesure,lorsque je cherchais quelque chose. C'était un beau foutoir. Seuls lescartons contenant ma stéréo et mes CD étaient intacts.J'avais pas envie de les écouter. La plupart je les avais achetés avec Marie.On les avait écoutés et aimés ensemble. Avant de quitter Paris, j'avaisdonné ma télé, mes DVD et mes bouquins à des amis. J'avais dans l'idée dem'enfermer dans cette petite maison et d'écrire un roman magnifique sansdessaouler. Je n'avais pour l'instant réalisé que la deuxième partie de monprojet. Il était temps. J'ai sorti un gros bloc et un stylo, je me suis mis à platventre sur le lit et j'ai commencé à boire.Je n'avais aucune idée de ce que j'allais écrire. Le coup de l'écrivainéthylique avait dû me paraître très romantique, parce qu'avant ça jamais jen'avais pensé à écrire. Mon truc c'était l'immobilier. J'étais même très doué.Je gagnais beaucoup d'argent. Mon associé et ami disait que j'avais le

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commerce dans la peau.Je me suis soudain demandé si Marie m'aurait aimé en artiste alcoolo... Non, c'était le genre de questions que je ne devais pas me poser, parce queje me voyais bien devenir obsessionnel, du genre : en agriculteur ? Ellem'aurait aimé ? Et en star du rock ? En ébéniste ? En flic ?Je savais très bien que j'entretenais ces pensées loufoques pour noyer lepoisson et ne pas retomber dans les interrogations qui m'avaient assaillisous la neige...Est–ce que j'avais perdu toute force et toute estime de moi en perdantMarie ?Oui sans aucun doute, oui.Ça remettait trop de choses en question de l'admettre.Je pouvais me contenter de l'admettre, en refusant de réfléchir... non.Avant Marie ma vie m'avait semblé ennuyeuse, sans Marie ma vie étaitdevenue pathétique.C'était terrifiant, parce que je n'avais que trente–six ans.Qui étais–je à l'heure actuelle ? Est–ce que j'étais vraiment moi ? C'étaitmoi l'ivrogne désespéré, à fleur de peau, qui avait émergé de ce drame ?Ou bien est–ce que la perte de Marie m'avait déformé ?Tout en buvant, j'écrivis : je suis une excroissance dans ce monde lisse...J'étais très content de moi.Et Dieu dans tout ça ?Pendant trente–six ans, je n'avais pas eu une pensée pour lui. Pourtant,j'avais instinctivement tourné ma colère contre lui, lorsque la souffranceavait été trop pénible.Avant j'étais un battant. Je m'étais comme on dit « sorti de mon milieu ».J'étais né de parents ouvriers. Père employé mécano, mère au foyer. Unfrère aîné, chômeur à l'heure actuelle. Une sœur plus jeune de trois ans,maman épanouie, de deux enfants, mariée à un pompier. Ils vivaient tous àMontrouge, là où nous avions grandi. À ma mère restée veuve j'avais offertun petit pavillon, pas trop loin de chez ma sœur. Je les aimais tous, maisj'avais quitté leur monde. Ils n'étaient pas très à l'aise lors de leurs raresvisites à Paris. Ma mère refusait de passer une nuit dans mon appartement.Comme si elle avait peur de salir. Ça me faisait de la peine, mais pour elle,pas pour moi. Mon frère, alcoolique, était souvent carrément agressif à

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mon égard. Comme si le fait d'avoir « réussi » était une honte, ou unetrahison.Je bus une longue rasade de whisky à sa santé. Il aurait été fier de son petitfrère, enfin imbibé.Est–ce que ma mère était croyante ?Il me semblait bien avoir vu un crucifix au-dessus de son lit. Mon père nel'avait jamais été en tout cas. Il était communiste. Il était décédé d'uncancer des poumons sept ans plus tôt.Est–ce qu'ils aimaient Marie ?Sincèrement je pense qu'ils la considéraient un peu comme uneextra–terrestre. Marie avait été élevée dans le fric. Avant Marie je n'avaisjamais eu de petite amie qui compte. J'étais bien trop occupé à construirema vie professionnelle, sociale. Donc avant elle j'étais construit. Lors denotre rencontre, je n'avais pas été un « ver de terre face à une étoile. »Nous fréquentions les mêmes restaurants, les mêmes bars à la mode,avions des amis communs.

Je me suis remis à pleurer. J'avais beau tourner et retourner tout çà dans matête, je ne me comprenais plus. Ou peut–être que je ne m'étais jamaiscompris. Je ne voulais pas devenir fou, je préférais me suicider. Est–ce quec'était çà que la fille avait voulu dire l'autre nuit quand elle me répétait : Un jour ça s'arrêtera d'une manière ou d'une autre, alors prendspatience. »Ma bouteille était vide. J'avais encore envie de boire, je sentaissourdre en moi une rancœur malvenue à l'égard de Marie. Et ça me faisaithonte.Je suis redescendu à pas de loup. La fille dormait. J'ai pris une nouvellebouteille, il était trois heures du matin. Je n'avais pas envie de remonter aumilieu de mes cartons. Je me suis installé dans le fauteuil près de lafenêtre. Là où j'avais trouvé la fille ce matin à mon réveil. Elle dormaitprofondément. L'alcool l'avait assommée. Les braises dans la cheminéediffusaient une lumière douce, et sa respiration régulière me réconfortait.Je buvais en silence.J'ai entamé un dialogue imaginaire avec Marie. Parce que maintenantqu'elle n'était plus là, je me rendais compte qu'il y avait des chosesessentielles dont nous n'avions jamais parlé.

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Marie que pensais–tu, de ma famille ? Vraiment ? Marie est-ce que tuavais l'intention de passer ta vie avec moi ? Marie est-ce que tu me disaistout ? Marie si j'avais été mécanicien comme mon père, et que tu m'aiesamené ta voiture à réparer, est–ce que tu serais tombée amoureuse de moi ?Marie, est–ce que tu croyais en Dieu ?Elle ne répondait pas bien sûr.Et de son vivant je n'avais jamais pensé à lui poser ces questions. Est–ceque toutes ces questions étaient en moi avant ? Refoulées ?

La fille s'est dressée d'un coup sur le matelas. On aurait dit qu'elle avait faitun cauchemar. Elle s'est agitée un moment sous l'édredon. Je ne bougeaispas, elle ne m'avait pas vu. Elle a tendu la main vers les cigarettes et lecendrier qu'elle avait laissés là, tout près d'elle. Elle a fumé un moment.Seules sa tête et sa main sortaient de sous l'édredon. Elle aspirait la fuméeprofondément, comme pour se détendre, se calmer.Je ne faisais pas un geste, pour ne pas la surprendre. J'étais gêné. Elle aécrasé sa cigarette. S'est recouchée. Puis elle a commencé à se tourner etretourner dans tous les sens. C'était un supplice pour moi de resterimmobile. Le temps passait. Un quart d'heure au moins...j'aurais dûsignaler ma présence. Si elle se levait et me découvrait, je ferais semblantde dormir dans le fauteuil, j'étais chez moi après tout. Elle s'est assise denouveau, et a enlevé le haut de jogging que je lui avais prêté la veille.Apparemment elle avait déjà enlevé le bas. Elle était nue. J'étais carrémentdans la position du voyeur. Il est vrai que le premier soir je l'avais toutbonnement fait se mettre à poil sous la menace. Elle s'est glissée sousl'édredon. Dès qu'elle dormirait, je filerai à l'étage. J'allais devoir régler leproblème de cette fille dès demain. Elle n'avait rien à faire ici. Au besoin jelui donnerai de l'argent, et la prierai de partir gentiment.Elle s'agitait. Et soupirait. Et gémissait. Merde. Elle était en train de setoucher. Je me suis senti rougir dans le noir. Trop tard pour lui dire : « hum hum je suis ici ! »D'un coup de genou, elle a rejeté l'édredon. Lesbraises mourant dans l'âtre soulignaient ses formes d'une lumière orangée.Elle se caressait lentement, elle remuait la tête, ses paupières étaientbaissées. J'étais à la fois honteux d'être témoin de ce moment secret etfasciné par le spectacle. Ça n'était pas obscène. C'était doux et joli. Pas une

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seconde il ne m'est venu à l'esprit d'intervenir ou de tenter de participerbien que ce soit très excitant. Quand son corps a commencé à trembler, samain gauche s'est immobilisée sur son sein, ses cuisses se sont referméessur sa main droite, elle a roulé sur le côté, recroquevillée sur elle–même.Ses épaules se soulevaient et j'avais l'impression d'entendre son cœurbattre, son sang pulser. Après quelques secondes elle a détendu ses jambes,et a tiré l'édredon sur elle. Elle a allumé une cigarette qu'elle a fumérapidement, l'écrasant à la moitié. Puis elle s'est endormie comme unemasse. J'étais stupéfait sur mon fauteuil, j'ai laissé passer une dizaine deminutes avant de quitter la pièce, comme un voleur.J'ai fini ma bouteille et je me suis effondré, dans un sommeil épuisant,parce que mon cerveau per turbé me renvoyai t à toutes sor tesd'interrogations, des tas de cauchemars ont défilé comme des clips, maMarie et l'autre celle d'en bas se mélangeaient dans leurs gestes, leursattitudes.

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Je me suis réveillé furieux. Furieux contre ma Marie, furieux contre lafille, furieux contre Dieu.J'étais en train de perdre la tête, cette fille n'existait pas, c'était un fantômeou un démon, envoyé par l'autre vieux saligaud là-haut, pour me punir. Mepunir de quoi au juste ?Il me narguait et me torturait, j'avais pas réussi à la violer, mais elle s'étaitmasturbée devant moi... arrivé à ces dernières pensées j'ai vraiment flippé,une bribe de mes cauchemars m'est revenue : la fille tenait la tête de Mariesur ses genoux, et Marie se masturbait, j'ai eu envie de vomir.L'horrible sensation que je devenais fou, que je ne contrôlais plus mespensées m'a envahi. Pourquoi cette fille ne dit rien ? Parce que je veuxqu'elle se taise. Donc elle n'existe pas, je l'ai imaginée. C'est unehallucination. Ou bien c'est un démon envoyé par Dieu pour me harceler.Je me suis vu en train de l'asperger d'eau bénite. J'avais même pas d'eaubénite. J'ai explosé d'un rire qui a fini en sanglot, et j'ai pleuré une bonnedemi–heure.Un jour gris entrait par la fenêtre de la chambre, j'avais envie de crever,j'étais terrorisé, l'impression d'être déjà mort et que cette maison étaitl'enfer. Tout avait l'air irréel, j'avais envie d'être à Paris avec mes amis etde serrer ma mère dans mes bras, j'avais envie d'être vivant j'étais persuadéd'être mort. Je me suis demandé si d'autres avant moi avaient vu la foliearriver sur eux, comme un taureau furieux qui charge, si d'autres avaientsouffert d'être lucides, et de savoir que d'une seconde à l'autre tout vabasculer...Je me suis redressé comme pour fuir et j'ai descendu les escaliers encourant. Elle était là sagement assise, j'avais envie de l'attraper par lescheveux et de cogner sa tête contre le mur pour voir si elle était réelle.Au lieu de ça j'ai dit sur un ton très agressif : « Tu crois en Dieu ?

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Elle a dit : – oui Ma rage est retombée et a laissé de nouveau place à l'envie de vomir. - Alors tu dois être sacrément heureuse toi !

Elle a haussé les épaules d'un air amer et elle a dit :

- Je suis vivante...

Je l'ai attrapée par les cheveux. Je lui ai mis une claque. J'allais ladérouiller oui, elle était vivante cette salope et elle s'appelait Marie, et ellecroyait en Dieu. Puis j'ai hurlé, et je suis tombé, parce qu'elle venait de mebalancer un coup de pied entre les jambes. Recroquevillé sur le sol, plus devoix, juste horriblement mal.Elle, elle gueulait en me balançant des coups de pieds à l'aveuglette, monnez s'est mis à pisser le sang, mais elle continuait en m'insultant : – Tu mefrappes pas connard ! Pauvre type, alcoolique de merde. TU NE MEFRAPPES PAS.Elle est tombée sur le sol en proie à une crise d'hystérie, elle pleurait enm'insultant, en grommelant des phrases sans sens. Et moi recroquevillé surmon bas-ventre j'étais paralysé.On est res tés comme ça longtemps, ses pleurs se sont calmésprogressivement, à présent elle reniflait dans le silence pesant, il faisaitnuit, le feu était mort. Elle s'est levée en recommençant à pleurer, elleparcourait la pièce cherchant son jean, elle s'est changée, a jetérageusement mon survêtement dans un coin de la pièce, elle cherchait sonsac, elle était perdue. J'avais retrouvé mon souffle et malgré la douleur j'airéussi à lui dire : Pars pas...Elle s'est plantée devant moi furieuse, pour une fois ses cheveux étaientdéfaits, on aurait dit une lionne...- Quoi ? Tu veux que je reste ici ? Minable... des sanglots secsl'interrompaient... je suis venue ici, parce que... parce que c'est la maisonde ma tante, j'ai nulle part où aller... à cause d'un sale con dans ton genre,où est ma tante ? Est–ce qu'elle est morte ?Elle a sangloté de plus belle, j'ai réussi à me mettre à genoux, tout sebousculait dans ma tête, sa tante. La pensionnaire de la maison de retraite.

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À qui j'avais acheté la maison. Pas un démon. Ni un fantôme. Une femmebattue en errance. Que j'avais frappée. Je me suis mis moi aussi à pleurer etj'ai dit :

– et tu crois en Dieu ?

Elle a hurlé : – LA FERME !J'ai dit : – ta tante est pas morte, j'ai acheté sa maison, elle est en maison deretraite.Elle a arrêté de pleurer, le regard vide. Elle serrait son sac sous un bras etsa doudoune sous l'autre.J'ai dit : – Pars pas, je tape pas les femmes, je suis pas un salaud, mafemme vient de mourir, elle s'appelait Marie. Pars pas je te toucherai plus.J'ai jamais voulu te violer. Pars pas comme ça. Je t'en supplie.Elle a laissé tomber son sac et sa doudoune, est partie comme un automatedans la cuisine toujours secouée de sanglots. Lorsqu'elle est revenue, elle ajeté deux bouteilles sur le matelas, m'a balancé un torchon :– Pour ton nez, elle a ditElle m'a tiré par le bras jusqu'au matelas, j'essayais de l'aider de monmieux, mais mon bas-ventre était encore traumatisé. J'ai épongé mon nezqui avait tout l'air d'être cassé, mon corps entier vibrait de douleur, ellem'avait peut–être pété quelques côtes à coups de pied. Curieusement jeressentais cette douleur physique comme une jouissance et je me répétais :« Marie est morte, Marie est morte ».Sur le matelas il y avait une bouteille de vodka et une bouteille de rhum,elle est revenue avec des verres et son sirop de canne toujours en pleurant àmoitié. Elle a déposé un énorme couteau de cuisine sur l'âtre. Ses yeuxflamboyaient. Elle s'est assise posément avec son sac sur les genoux abrandi le couteau et m'a dit : – si tu me touches je te plante, compris ?J'ai dit : – D'accord.Elle s'est servi un grand verre de rhum au sirop de canne, et l'a vidé, ellepleurait doucement comme un tout petit enfant. Je me suis approché sur lematelas, elle m'a ignoré, j'ai attrapé la bouteille de vodka, mais j'ai eu dumal à boire à cause de mon nez rempli de sang qui en plus faisait desbulles.

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J'ai tâté mon visage, mon œil droit était à moitié fermé, ma bouche étaitenflée, mais j'avais toutes mes dents.J'ai dit : – Putain...tu m'as cassé la gueule...Elle s'est mise à rire au milieu de ses larmes. Puis a encore pleuré.J'ai fait un geste pour m'approcher d'elle mais elle a reculé, alors j'ai dit : Pardon... – On ne dit pas pardon ! Son ton était sec. – Pardon ? – Pardon ça sonne comme un code ou une exigence, ou même commeune politesse, on dit : Je te prie de bien vouloir me pardonner. Quand onveux vraiment faire comprendre à une personne qu'on regrette c'est çaqu'on dit. – Je te prie de bien vouloir me pardonner... Marie.Je me suis remis à pleurer à cause de ce prénom. Mais faire l'effort de leprononcer c'était pour moi la meilleure façon de lui montrer à quel pointj'étais désolé. Elle a hoché la tête, puis m'a dit sèchement:-Je vais dormir à l'étage. Je partirais demain. Elle a pris la bouteille, lecouteau et son sac.J'aurais voulu lui dire de ne pas avoir peur, mais j'ai préféré fermer magueule.Mon visage me faisait souffrir, mais je n'avais pas envie de boire, j'auraisvoulu pouvoir réfléchir calmement, j'aurais voulu lui parler, mais je mesentais trop coupable. J'étais réveillé depuis deux heures, je n'avais pasenvie de dormir, la nuit allait être longue.Malgré tout, j'ai continué à boire de la vodka, quelque chose me gênaitdans son changement d'attitude, l'impression d'une fausse note. Au départquand j'avais projeté de la violer et lui avait mis une claque elle n'avait euaucune réaction. Subitement elle s'était mise en rage et m'avait frappé.Je ne remettais pas en cause la légitimité de sa riposte. Bien au contraire,elle avait bien fait de me frapper, premièrement parce que je m'étaisconduit d'une façon inadmissible, mais aussi parce que les coups reçusm'avaient causé un choc qui m'avait sorti de la folie douce dans laquelle jeme laissais glisser.Et puis à présent j'étais sûr qu'elle n'était pas une hallucination et mes

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hématomes me le rappelleraient longtemps.À son arrivée elle n'avait pas l'air d'une femme battue, plutôt d'un chataffamé. J'avais bien vu son corps elle n'avait pas de marques de coups, j'enétais presque sûr.J'ai eu envie de fumer, je me suis levé pour chercher des clopes au cellier.Je me suis demandé si elle n'aurait pas elle aussi envie d'en griller une,mais je savais bien qu'au fond je cherchais un prétexte pour lui parler.J'avais l'impression de me réveiller d'un cauchemar. Tout à l'heure jem'étais jeté sur elle pour la frapper, tout à l'heure j'étais fou. Plus jamais.Plus jamais je ne veux perdre les pédales de cette façon. Mes divagationsd'alcooliques, ma rage, mon envie de faire du mal avaient été une réactiond'enfant qui refuse la réalité et veut se venger.Mais tout à l'heure à mon réveil c'était autre chose, quelque chose deterrifiant, l'impression que j'allais être englouti par mon propre délire. Si untel phénomène se reproduisait, je préférais me suicider. Je me suisdemandé si mon cerveau était malade, ou bien si ma consommationd'alcool de ces dernières semaines pouvait expliquer cet état.Chaque fois que je repensais à mon réveil, je me sentais envahi par unepeur épaisse et gluante. J'ai tenté de me rappeler si dans ma famille il y avait eu des fous. Pas à maconnaissance. J'ai décidé de faire du café, j'avais peur de m'endormir. Enmême temps j'étais trop imbibé pour arrêter de boire instantanément,d'autant que rien ne me prouvait que l'alcool soit responsable de ma crisede démence.J'avais envie de courir à l'étage voir la fille et lui demander : – Tu crois quec'est l'alcool, dis ? Tu crois ?Elle était la seule personne à qui je pouvais parler, en même temps elledevait me détester.J'ai allumé la lumière de la cuisine, j'ai regretté de ne pas avoir de poste deradio ou de télé pour me tenir compagnie et m'empêcher de perdre ànouveau la tête. Le silence m'agressait. Dans le cellier j'ai ouvert le groscongélateur et sorti cinq pizzas. J'allais faire à manger et manger. J'aidescendu deux bols de café très fort. Puis une vodka additionnée de coca.J'avais des dizaines de bouteilles de soda et de jus de fruits auxquelles je nem'étais jamais intéressé. Au fil des semaines, le fils d'un épicier du bled le

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plus proche m'avait livré la même liste de denrées que je n'avais jamaismodifiée. À chaque fois qu'il venait j'étais saoul, il avait fini par inspecterle cellier et cessé d'amener les choses auxquelles je ne touchais pas. C'étaittout à son honneur.J'ai mis deux pizzas au four puis j'ai allumé les lumières du salon, j'ai mistrois bûches à flamber, ça crépitait gentiment.Une autre vodka coca.Je sortais du four ma cinquième pizza, elles étaient toutes là alignées sur latable, bien appétissantes comme dans les pubs. Je me suis resservi unevodka coca, je me suis assis face à mes pizzas, j'ai allumé une clope.Comment pouvait–elle ignorer que sa tante était en maison de retraite? Ellecachait quelque chose, était sans doute manipulatrice. Peut–êtremythomane. Mais moi j'étais comme un con face à mes pizzas et j'avaisenvie de tout sauf d'être seul. Elle allait partir demain.Il fallait que je prenne une décision pour moi, peut–être me fairehospitaliser, voir un psy, faire un scanner pour voir si mon cerveau étaitatteint. Je m'agitais pour calmer mon angoisse, pris la peine de mettre desglaçons dans ma vodka coca, et de me faire des ramequins de cacahuètesde chips et de cornichons, en même temps j'avais envie de hurler de rire enpensant aux semaines où je m'enfilais la vodka à la bouteille. Prêt à toutpour étouffer la peur, même à aligner pizzas et ramequins d'amuse–gueule,prêt à tout pour ne pas la deviner tapie prête à déclencher une autre crise.Comme je n'avais pas très faim, j'ai décidé d'aller prendre un bain. Etd'essayer de me détendre. Une fois à l'étage, à la recherche de vêtements propres, j'ai vu la porte del'escalier menant au grenier ouverte. J'ai inspecté les trois pièces : la fillen'y était pas. Je n'étais jamais allé au grenier, lorsque j'y suis entré sa propreté m'asurpris, je m'attendais à trouver tout un bric–à–brac. Elle était assise sur lesol et elle pleurait. Je lui ai tendu les mains pour qu'elle se relève : restes pas là, tu vasattraper la crève. Elle s'est laissé faire, et comme elle me suivait docilement j'en ai profitépour placer mes pizzas: J'ai préparé à manger, viens. Égoïstement j'étais content de son désarroi, je n'allais pas passer la

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soirée tout seul, je me disais ça tout en culpabilisant. On s'est mis à table. Je lui ai ramené du rhum. Elle m'ignorait, pleurant parintermittence. Au bout d'une bonne demi–heure, elle s'est calmée. J'ai dit : – Ecoute je suis... Elle a levé la main avec un soupir exaspéré. Elle buvait vite. – Ma tante est en maison de retraite? C'était pas une vraie question, plutôt un constat. – Pourquoi t'as rien dit depuis que t'es arrivée? – Je venais de me taper 500 bornes en stop. On est en plein hiver, je terappelle. J'arrive ici et je tombe sur un cinglé qui m'ordonne de me taire.C'était ça ou crever de froid sous la neige. T'aurais fait quoi toi? Son ton était cassant et ironique, elle me regardait avec mépris. C'étaitsurprenant après tous ces jours de passivité. Elle s'est remise à pleurer. J'ai dit: – Pardonne–moi... – Mais je m'en fous de toi, t'existes pas. T'es juste un emmerdement deplus. – Écoute si t'as besoin d'argent... – C'est d'un toit que j'ai besoin. J'en ai tellement rêvé de cette maison.J'étais sûre que c'était la solution. – Tu sais, il existe des tas de structures pour les femmes battues... – Je ne suis plus une femme battue. Je ne comprenais plus rien. – Mais tu m'as dit... – Tais–toi... Elle s'est levée le verre à la main, elle marchait lentement dans la maisontout en pleurant doucement. Elle m'a dit :– Tu sais quoi ? Dans la vie, faut pas rêver. Ça sert qu'à faire mal.Je répondais rien, je la regardais marcher et se resservir. Moi aussi jebuvais, tout doucement. Je l'écoutais, mais surtout je pensais à Paris, j'avaisenvie de me tirer. Je pensais à ma mère. Je voulais rentrer chez moi. Jevoulais me faire dorloter. D'un coup elle est tombée, trop bourrée pourmarcher droit. Je l'ai assise sur le fauteuil. Je lui ai caressé la joue et je lui

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ai dit doucement: – Raconte–moi ton rêve. – Et après tu me racontes ton cauchemar ? – Non. Elle a ri. – Ressers–moi encore... Je l'ai resservie, j'ai remis du bois dans la cheminée, et je me suis assis àses pieds sur le sol, comme un enfant qui attend une histoire. Elle avait,plaqué sur la figure, un sourire amer que j'aurais voulu pouvoir effaceravec un mouchoir. – Vous êtes vraiment des enfoirés les mecs. J'ai souvent peine à croire quevous sortez de nos chattes. J'ai préféré me taire, j'avais rien à dire. Et comme je ne disais rien, elle acontinué. – Y a trois ans, après que mon mari m'ait mis une énième raclée, je mesuis adressée aux « structures » dont tu parlais tout à l'heure. J'ai étéépaulée, pour mon divorce, rien à dire. Hébergée en foyer, pas de travail,pas d'amis, pas de famille à part ma vieille tante. J'ai vu passer des tas denanas, certaines en étaient à leur troisième mec violent. Certainesarrivaient en sang et repartaient auprès de leur tortionnaire au bout dequelques semaines.Elle s'est allumé une cigarette. Elle m'a tendu son verre pour que je laresserve sans un mot le regard vide, comme si elle revoyait certaines de cesfemmes défiler dans sa tête. Je l'ai resservie, sans un mot.– Moi je regardais, et je me disais : ah non, on ne m'y reprendra plusjamais. Trop de dégoût... Ça coûte trop cher l'amour. Je veux un cœur sec...

Elle est restée quelques minutes silencieuse, perdue dans ses pensées. Jeme disais que j'avais pensé la même chose pour des raisons différentes. – Au bout de quelques mois, le foyer m'a demandé de partager machambre avec une nouvelle arrivante. On était déjà plein, mais c'était uncas d'urgence. J'ai dit oui bien sûr. Un lit de camp a été installé près dumien. Et j'ai vu arriver une femme qui sortait de l'hôpital. Aurélie. Desfractures, des contusions. Sourde d'une oreille à force de prendre desclaques. Et il s'est passé la seule chose à laquelle je ne m'attendais pas. Je

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suis tombée amoureuse d'elle. Et elle de moi. Pour Aurélie c'était pas unepremière ce foyer. Son ex–mari la traquait et la poursuivait depuis desannées et chaque fois qu'il le pouvait il l'envoyait à l'hôpital. Une fugitive...Ça fait deux ans qu'on galère. SDF. Dans les foyers on est rarementensemble. Dans les squats on est des proies, avec toujours la peur de cetex–mari qui la poursuit. Alors, j'ai pensé qu'il fallait qu'on quittel'Île-de-France. J'ai pensé à ma tante et à sa maison. Je me suis dit qu'iciavec nos petits RMI on s'en sortirait. On s'occuperait des vieux jours de matante et on serait heureuses. Ensemble. Qu'on pourrait se poser et s'aimerloin de tout le reste. Aurélie est dans un foyer, elle a eu une place pour unmois. J'ai décidé de venir voir ma tante pour lui demander de noushéberger toutes les deux. Voilà pourquoi je suis ici.

Elle s'est remise à pleurer doucement. Je continuais de me taire. Je mesuis servi une vodka et j'ai fumé une cigarette. Je me sentais coupableparce que j'allais bien. J'allais mieux. Il se passait un truc en moi comme sij'atterrissais enfin. Depuis la mort de Marie, jamais je ne m'étais senti aussi« normal ». J'ai savouré la sensation longtemps, dans le silence. La filles'était endormie sur le fauteuil. Je l'ai déposée sur le matelas. Après ça j'aiété prendre une douche, et me raser. Je ne voulais pas faire peur à ma mèrelorsque demain j'arriverais à l'improviste. C'était une très mauvaise idée,sans la barbe mon visage était pire avec toutes les contusions qu'ellem'avait infligées. Après je suis monté à l'étage emballer quelquesvêtements, rassembler des papiers. J'ai attendu que le jour se lève enpleurant. Mais c'était des larmes qui glissaient sur un sourire, parce que jerepensais à tout le bonheur que j'avais vécu avec Marie. Je lui étaisreconnaissant de tout ce qu'elle m'avait donné durant sa vie. J'ai pas dormi.J'ai attendu qu'il soit 9h00 pour réveiller la fille.

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Le lendemain je lui ai demandé si elle avait son permis. Un peu surprise,elle m'a dit que oui. J'ai profité du long trajet jusqu'à la ville pour luiexpliquer que je lui laissais la maison. Que je lui laissais aussi la vieilleLADA que j'avais achetée en m'installant ici . Elle serrait les dents, mais jevoyais les larmes dévaler ses joues. Près de la gare, il y avait un point fax.Je l'ai mise sur l'assurance, je voulais qu'elle comprenne que c'était solide.Bien sûr quand j'ai voulu lui donner de l'argent elle a refusé. Mais je ne l'aipas laissé refuser. Je lui ai dit que je n'avais pas l'intention de vendre lamaison ou de la louer. Je lui ai laissé les coordonnées de ma mère en casde problème. Elle a dit : « c'est trop! ».J'ai haussé les épaules. En faisant irruption dans ma vie, elle m'avait sansdoute sauvé de moi–même.

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