Upload
jorn-boisen
View
128
Download
1
Embed Size (px)
Citation preview
STILISTISKE OG RETORISKE ANALYSER AF DIGTE TIL FRANSK TEKSTANALYSE
Permanent link på http://www.staff.hum.ku.dk/jbois/analyser.htm
Cet ensemble de textes est le complément (plus ou moins naturel) de ma petite anthologie de poèmes destinée au cours de « tekstanalyse ». Ce cours introduit un grand nombre de concepts et termes techniques qu’il n’est pas toujours facile à assimiler et maîtriser pendant les quelques semaines consacrées à la poésie.
Ce cahier donne la possibilité de se familiariser un peu plus avec le vocabulaire critique propre à la lecture et l’analyse du poème, en proposant une introduction et une analyse (exclusivement) technique d’une bonne vingtaine de poèmes. Je n’ai propose ni une lecture et encore moins une interprétation des poèmes choisis. Je me suis contenté d’en caractériser la versification et d’identifier les différentes figures de style qu’on y trouve (et même ce travail est sans doute incomplet). Pour chaque poème le plus difficile reste à faire : pénétrer et comprendre son univers poétique, expliquer la beauté et l’originalité des vers, saisir ce que l’auteur a voulu nous dire et se demander quelle leçon nous pouvons en retenir.
Mon ambition n’est donc pas d’élaborer une profonde réflexion sur ce que doit être la poésie, mais d’aider simplement à la connaissance et à l’approche progressive du poème. J’espère que ce travail atteindra ce modeste but.
Copenhague, août 1999.
Jørn Boisen
1
Table des matières
I. PROCÉDÉS RHÉTORIQUES
1. VERSIFICATION
1.1. La métrique.
1.2. Les rimes.
1.3. Le rythme.
1.4. Les strophes.
2. LES FIGURES DE STYLE
2.1. LES IMAGES POÉTIQUES
2.2. LES FIGURES D’ANALOGIE (OU DE RESSEMBLANCE).
2.2.1. La comparaison.
2.2.2. La métaphore.
2.2.3. L’allégorie
2.3. LES FIGURES DE CONTIGUÏTÉ.
2.3.1. La métonymie.
b) La synecdoque
2.4. LES FIGURES D’INSISTANCE
2.4.1. L’hyperbole.
2.4.2. L’anaphore.
2.4.3. Le pléonasme.
2
2.4.4. L’inversion.
2.4.5. La gradation.
2.4.6. L’apostrophe.
2.4.7. La répétition.
2.4.8. La redondance
2.4.9. La polyptote.
2.4.10. La synesthésie.
2.5. LES FIGURES D’ANIMATION
2.5.1. La personnification.
2.5.2. L’antonomase
2.5.3. La prosopopée.
2.6. LES FIGURES D’OPPOSITION.
2.6.1. L’antithèse.
2.6.2. L’oximore.
2.5.3. Le chiasme.
2.7. LES FIGURES D’ATTÉNUATION.
2.7.1. L’euphémisme.
2.7.2. La litote
2.7.3. L’ellipse
3. LES SONORITÉS
3.1. L’allitération.
3
3.2. L’assonance.
3.3. La paranomase :
3.4. Les consonnes
II. ANALYSE DE POÈMES : VERSIFICATION ET FIGURES DE STYLE
1. LAMARTINE (17901869)
1.1. « A El »
2. ALFRED DE VIGNY (17971863)
2.1. « La maison du berger »
3. ALFRED DE MUSSET (18101857)
3.1. « Sonnet »
3.2. « Souvenir »
4. VICTOR HUGO (18021885)
4.1. « Demain dès l’aube »
4.2. « Ce siècle avait deux ans... »
4.3. « J’ai cueilli cette fleur… »
5. GÉRARD DE NERVAL (18081855)
5. « Vers dorés »
6. CHARLES BAUDELAIRE (18211867)
6.1. « Spleen »
6.2. « L’invitation au voyage »
6.3. « Parfum exotique »
4
6.4. « L’horloge »
7. THÉODORE DE BANVILLE (18231891)
7.1. « L’invincible »
8. CHARLES CROS (18421888)
8.1. « Phantasma »
9. VERLAINE (18441896)
9.1. « Mon rêve familier »
9.2. « Green »
9.3. « Chanson d’automne »
10. ARTHUR RIMBAUD (18541891)
10.1 « Roman »
10.2. « Voyelles »
11. STÉPHANE MALLARMÉ (18421898) 11.1. « APPARITION »
12. SULLY PRUDHOMME (18391907)
12.1. « Les Yeux »
13. EMILE VERHAEREN (18551916)
13.1. « Le vent »
14. GUILLAUME APOLLINAIRE (18801918)
14.1. « Le pont Mirabeau »
14.2. « Nuit Rhénane »
5
14.3. « Si je mourais làbas... »
BIBLIOGRAPHIE
6
I. Procédés rhétoriques
1. Versification
1.1. La métrique.
Le vers contient un nombre de syllabes que l’on appelle le mètre.
LES PLUS COURANTS SONT :
l’alexandrin : 12 syllabes (=aleksandriner, 12fodet versemål)
le décasyllabe : 10 syllabes (10fodet versemål)
l’octosyllabe : 8 syllabes
l’heptasyllabe : 7 syllabes
Le e muet
ne se compte pas en fin de vers. Il se compte à l’intérieur des vers, sauf lorsqu’il précède une voyelle.
La diérèse (=diærese)
fait prononcer comme deux syllabes deux voyelles consécutives pour rapporter le nombre de syllabes voulu dans un vers.
Les masques son silencieux
Et la musique est si lointaine
Qu’elle semble venir des cieux
Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine
Et mon mal est délicieux
« Marie » d’Apollinaire
Dans ce quintil composé de trois octosyllabes + un alexandrin + un octosyllabe, il faut prononcer silencieux et délicieux pour obtenir huit syllabes. La diérèse contribue ici à créer une impression de douceur en ralentissant la diction des vers.
1.2. Les rimes.
Son commun pour la finale de deux vers au moins.
7
1.2.1. Masculines et Féminines.
Le e caduc du vers correspond à une rime Féminine. Toutes les autres sont masculines. Il y a en général alternance de rimes Masculines et de rimes Féminines.
“je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe, F
“ni les voiles au loin descendant vers Harfleur” M
“je marcherai les yeux fixés sur mes pensées” F
« Demain dès l’aube » de Victor Hugo
1.2.2. Richesse de la rime.
Le nombre de sons communs à deux rimes définit la richesse de la rime :
les rimes pauvres : 1 son (ou phonèmes) deux cheveux
les rimes suffisantes : 2 sons : chaudes émeraudes
les rimes riches : 3 sons : ensemble ressemble
1.2.3. Disposition des rimes :
Il existe 3 schémas.
. les rimes plates : aabb
La lune s’attristait. Des séraphins en pleurs a
Rêvant l’archet aux doigts, dans le calme des fleurs a
Vaporeuses, vibraient de mourantes violes b
De blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles b
Mallarmé Apparition
. les rimes croisées : abab
Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux, a
Des yeux sans nombre ont vu l’aurore ; b
Ils dorment au fond des tombeaux, a
Et le soleil se lève encore. b
Sully Prudhomme Les yeux
. les rimes embrassées : abba
8
Homme! Libre penseur. Te croistu seul pensant a
Dans ce monde, où la vie éclate en toute chose ? b
Des forces que tu tiens, ta liberté dispose, b
Mais de tous tes conseils l’univers est absent a
Nerval Vers dorés
1.3. Le rythme.
1.3.1. La césure (cæsur)
désigne une pause forte séparant le vers en deux parties.
La césure divise l’alexandrin en deux hémistiches.
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit.
Hugo
1.3.2. L’enjambement
quand un groupe n’est pas terminé en même temps que le vers ou l’hémistiche et se poursuit sur le vers suivant on dit qu’il y a un enjambement :
quand il jeta la lune à bas
et que, n’en pouvant plus,
Verhaeren
Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme
L’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie I
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin
L’enjambement contredit en quelque sorte l’autorité du mètre et de la rime. Il peut traduire des intentions fort diverses (fluidité, musicalité, mise en relief… par exemple), mais il est toujours la trace d’une syntaxe qui n’accepte pas le corsetage d’une cadense déterminée et fixée.
1.3.3. le rejet (=overførsel)
C’est le résultat de l’enjambement sur le vers suivant.
ex : “et que” de l’exemple de Verhaeren.
9
1.4. Les strophes.
Ce sont des groupes de vers séparés les uns des autres par un espace.
En fonction du vers, les strophes ont un nom :
. distique : 2 vers (=distikon)
. tercet : 3 vers (=terzin)
. quatrain : 4 vers
. quintil : 5 vers (kvintil)
. sizain : 6 vers
. septain : 7 vers
Il y a aussi le refrain, comme dans « Le pont Mirabeau » d’Apollinaire
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Fautil qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Tes mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont dé nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
10
Et comme l'Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Pour récapituler, ce poème est composé de quatre quatrains et un refrain qui consiste en un distique
le sonnet est la forme la plus connue depuis Du Bellay et Ronsard et doit répondre à un schéma imposé :
. 2 quatrains : 4 vers
. 2 tercets : 3 vers.
Les rimes peuvent s’ordonner selon 2 schémas classiques :
abba abba ccd eed
abba abba ccd ede
ou selon la variante introduite par Baudelaire : abba – abba – cdd – cee, par exemple dans « La vie antérieure » :
J’ai longtemps habité sous de vastes portiques A
Que les soleils marins teignaient de mille feux, B
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux, B
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques. A
Les houles, en roulant les images des cieux, A
Mêlaient d’une façon solennelle et mystique B
Les toutpuissants accords de leur riche musique B
11
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux. A
C’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes, C
Au milieu de l’azur, des vagues, des splendeurs D
Et des esclaves nus, tout imprégnés d’odeurs, D
Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes, C
Et dont l’unique soin était d’approfondir E
Le secret douloureux qui me faisait languir. E
Au départ, le mètre imposé était la décasyllabe qui fut détroné par l’Alexandrin. Celuici permet plus de souplesse au niveau des rythmes.
Les deux tercets devaient en général exposer une idée différente des deux quatrains, avec pour le dernier vers une chute inattendue.
le vers libre, après Verlaine, sera un vers débarassé des contraintes de la versification.
2. LES FIGURES DE STYLE
2.1. Les images poétiques
Trés généralement, on peut définir l’image comme le décrochage d’une langue commune vers une parole plus individuelle qui traverse les données du réel pour faire apparaître des correspondances jusquelà cachées, voire inconnues. Créer une image revient à préférer le figuré au littéral, à défaire et à déplacer les lignes de la représentation concrète. Les images servent pour le poète à formuler sa propre interprétation du monde. Savoir repérer et comprendre les images revient à faire un pas dans l’interprétation du poème et à mieux évaluer les conditions de son rapport au monde.
2.2. Les figures d’analogie (ou de ressemblance).
2.2.1. La comparaison.
La comparaison unit 2 termes au moyen d’éléments de comparaison : “comme” “tel que” “semblable à”. C’est une figure par laquelle
12
on rapproche des réalités différentes (et les termes qui les désignent) sur la base d’une qualité ou d’un aspect commun. La finalité de la comparaison est de révéler un lien de ressemblance entre deux éléments. Il s’agit de l’explication, de l’exhibition d’un élément ou d’une notion à travers une autre.
Le plaisir vaporeux fuira vers l’horizon
Ainsi qu’une sylphide au fond de la coulisse
« L’horloge » de Baudelaire
Elle a passé la jeune fille
Vive et preste comme un oiseau
« Odelettes » de Nerval.
Qu’apporte comme nuance, dans ce dernier exemple, le fait de comparer les traits “vif et preste” de la jeune fille à ceux d’un oiseau? Au vol de l’oiseau est communément associée la légèreté. C’est cette nuance spécifique de légèreté et de liberté qui est ajoutée aux traits “vif et preste” de la jeune fille.
2.2.2. La métaphore.
La métaphore peut être définie comme une comparaison qui n’utilise pas d’outil comparatif.
Et tes mains feuille de l’automne
Que jonchent aussi nos aveux
« Marie » d’Apollinaire
Les mains de Marie sont comme les feuilles de l’automne. La métaphore une figure fondée sur l’analogie : un élément remplace un autre parce qu’ils ont des traits communs. Il faut remarquer qu’audelà de l’analogie, la métaphore est le signe d’une intention en apportant une nuance spécifique au mot qu’elle remplace ou caractérise. Ainsi dans l’exemple d’Apollinaire, la métaphore (mains feuille de l’automne) met la femme en rapport avec l’automne, signifiant par là la fin de l’amour. Un autre exemple de Grundtvig
I Østen stiger Solen op
13
Den spreder Guld på sky
La métaphore est ici « Guld » qui remplace « Lys », en apportant une nuance spécifique de richesse et de bonheur.
Si la comparaison est une mise en relation fondée sur la ressemblanche, la métaphore franchit le pas pour aboutir à une mise en fusion de deux éléments. Avec la métaphore les portes de l’imaginaire s’ouvrent vraiment pour créer un nouveau système de référence et de pensée.
Le domaine de la métaphore peut se partager en deux domaine distincts : 1) la métaphore in praesentia, 2) la métaphore in absentia ; commandés par l’organisation de la syntaxe.
La métahore in praesentia.
Dans cette forme, les deux éléments mis ensemble sont tous les deux présents dans la phrase. Les moyens syntaxiques utilisés sont au nombre de trois :
1) le verbe « être ».
Le beau temps est la proie du vent
L’herbe est la proie des bonnes bêtes
« A l’échelle animale » de Paul Éluard
Mettre en relation deux éléments distincts par le verbe « être » revient en quelque sorte à fonder un nouvel état des choses. C’est pourquoi cette fore de métaphore n’est pas rationnelle comme la comparaison puisqu’elle redit et à reconstruit l’ordre du monde.
2) l’apposition.
« Horloge ! dieu sinistre effrayant, impassible »
« Tantôt sonnera l’heure où le divin Hasard
Où l’auguste Vertu, ton épouse encor vierge.
« L’horloge » de Baudelaire
L’apposition unit également deux éléments distincts, mais sans participer au propos essentiel de la phrase. La métaphore en devient plus accessoire. Le verbe « être » proclame une fusion esentielle ; l’apposition ne révèle souvent qu’une union incidente ou de passage.
14
3) Avec la préposition « de ».
Avec la préposition « de », la métaphore s’effectue à travers le schéma syntaxique suivant :
NOM 1 de NOM 2.
« …..une âme morfondue,
Qui te consacre un chant d’arain »
« La prière d’un païen » Baudelaire
« Le sommeil de la mort sur la plage des jours »
« A dos d’oiseau », Maurice Fombeure
Cette forme de métaphore est particulièrement apte à indiquer une matière ou une qualité commune entre deux éléments et également une relation d’appartenance.
La métaphore in absentia
La métaphore in absentia supprime l’un des deux termes réunis. On peut dégager une progression entre
. la comparaison : « cet arbre ressemble à une main tendue »,
. la métaphore in praesentia : « cet arbre est une main tendue »,
. et la métaphore in absentia : « cette main tendue ».
La comparaison est un regard particulier porté sur l’arbre ; la métaphore in praesentia une reformulation explicite de la condition de l’arbre ; et la métaphore in absentia une reformulation implicite. Parce que la reformulation est implicite, elle peut également, selon le contexte, être obscure, difficile à comprendre (si l’on ne voit pas l’arbre en question par exemple). Cette forme de métaphore demande un travail de reconstruction au lecteur pour être comprise.
Métaphores mortes et vivantes
La métaphore est abondamment utilisée même dans le langage de tous les jours. Quand quelqu’un dit : “Ce qu’il peut être renard, ce Pierrelà!”, on sait ce que cela veut dire sans, toutefois, savoir qu’un procédé métaphorique est à la source de l’emploi du terme
15
”renard”. Examinons cette métaphore: “Ce qu’il peut être renard, ce Pierrelà!” “Pierre” est le comparé, le “renard” est le comparant et “ce qu’il est” est l’aspect commun qui sera précisé par ce qui caractérise le comparant, en l’occurrence, “la ruse et la finesse”. Cette métaphore contribue donc à mettre en relief, chez Pierre, son art de la ruse. Il va sans dire que cette expression a été tellement utilisée dans le passé qu’elle a presque perdu sa valeur métaphorique. Dans le dictionnaire Robert, l’aire sémantique de “renard” comprend maintenant le sens suivant: Fig. “Personne fine et rusée, subtile.” “Fig.” indique que ce sens n’est pas entièrement sémantisé, que c’est une métaphore cliché.
On peut donc distinguer deux types de métaphores: les métaphores usées et les métaphores vivantes. Je ne parle pas ici de métaphores mortes, qu’on ne voit plus aujourd’hui; c’est le cas du mot “tête “, du “pied “ de l’arbre, par exemple. Les premières, admises par l’usage, sont entrées dans la langue et en composent le fond de clichés. Nous employons des métaphores sans nous en rendre compte quand nous disons “le pied de la table”, “la racine du mal”, “un torrent d’injures”.
Les métaphores vivantes sont celles qui renouvellent l’expression par une formulation originale; elles sont le fruit de l’imagination créatrice d’un écrivain. La métaphore est une figure de style qui rehausse l’éclat d’un texte. Elle s’adresse à la fois à la raison et à l’imagination du lecteur. C’est le cas dans la poésie de Baudelaire en particulier. Ainsi, dans Correspondances, il décrit ainsi sa vision du monde.
La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles:
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Si la métaphore introduit plusieurs rapprochements successifs, elle est dite soutenue, suivie ou filée ; elle se rapproche alors de l’allégorie.
2.2.3. L’allégorie
Expression d’une idée par une image. Une métaphore suivie et élargie souvent aux dimensions du texte. Elle offre une représentation figurée de notions abstraites, sous forme de récits, de tableaux. L’allégorie propose une mise en action d’idées en s’appuyant sur un principe de transposition évident. On illustre un motif normalement abstrait en le transposant à un
16
autre niveau du monde sensible : les deux niveaux sont liés terme à terme, et pourtant chacun possède sa vie propre, la représentation figurée comme le développement abstrait auquel elle renvoie.
Je suis comme le roi d’un pays pluvieux,
Riche, mais impuissant, jeune et pourtant très vieux,
Qui de ses précepteurs méprisant les courbettes,
S’ennuie avec ses chiens comme avec d’autres bêtes.
Rien ne peut l’égayer, ni gibier, ni faucon,
Ni son peuple mourant en face du balcon (…)
« Spleen LXXVII », Baudelaire
La clef de la transposition allégorique est donnée dans le premier vers (« Je suis comme le roi »), et le poème construit une sorte de conte cohérent où ce roi est décrit au sein de sa cour, au fil des jours qui passent. Ce tableau possède sa vie propre, mais le premier vers a déjà révélé que l’ensemble est en fait un autoportrait dont les traits trouvent un écho terme à terme dans le déroulement du conte. Même si la clef de lecture n’est pas explicitement fournie, comme dans cet exemple, le lien entre le sens littéral et le sens figuré de l’allégorie est normalement suffisamment clair et explicite pour être compris.
2.3. Les figures de contiguïté.
La métonymie (metonymi) et la synecdoque (synekdoke).
2.3.1. La métonymie.
La métonymie est une figure de mot remplace un terme par un autre qui lui est proche dans l’espace. La métonymie permet de désigner quelque chose par le nom d’un autre élément du même ensemble, en vertu d’une relation suffisamment nette. Ainsi “J’irai par la forêt, j’irai par la montagne” dans « Demain, dés l’aube » de Victor Hugo représente les kilomètres qui séparent Hugo du tombeau de sa fille. Il y a beaucoup de types de métonymies.
l’instrument pour celui qui l’emploie.
« Il est le second violon de l’orchestre » au lieu de “Il est le second joueur de violon de l’orchestre”.
17
la cause pour l’effet
Il lui a apporté un Agatha Christie pour lire en vacances.
Du contenant pour le contenu.
Il boit un verre avant de se coucher.
Du lieu pour la chose.
La Maison blanche refuse de reconnaître les faits.
Paris est tombé d’accord avec Berlin et Londres
Ici le nom des capitales remplace le nom des gouvernements (français, allemand et anglais) qui siègent dans ces capitales.
b) La synecdoque
La métaphore s’inscrit dans une relation de ressemblance entre deux réalités, alors que la synecdoque et la métonymie se situent dans une relation d’intégration ou de contiguïté. Les deux figures de mots que sont la synecdoque et la métonymie portent souvent à confusion. Pour certains linguistes, comme Jakobson, la synecdoque est une “espèce de métonymie”.
La synecdoque (synekdoke) est une figure de mot qui consiste à prendre
la matière pour l’objet,
Rome est dans les fers (au lieu de “en esclavage”).
le genre pour l’espèce (ou l’espèce pour le genre)
L’arbre (au lieu du chêne) tient bon, le roseau plie.
la partie pour le tout, (pars pro toto)
« …les voiles au loin descendant vers Harfleur »,
Hugo met ici « voiles » au lieu de « bateaux » : une partie représente donc l’ensemble.
18
2.4. Les figures d’insistance
L’hyperbole, l’anaphore, le pléonasme, l’inversion, la gradation, l’apostrophe, la répétition, la redondance et la synesthésie.
2.4.1. L’hyperbole.
L’hyperbole (hyperbol) regroupe toute les exagérations.
J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans
Spleen de Baudelaire
Dans la bande dessinée de Greg, Achille Talon, Lefuneste a une manière qui lui est propre de dire que le nez de son voisin Talon est un objet dangereux, immensément gros et long.
Un nez que les compagnies d’assurances ellesmêmes n’arriveraient pas à couvrir! Un défi à la spéléologie! Un tarin dont la moindre immersion provoque un chambardement dans l’horaire des marées!
2.4.2. L’anaphore.
L’anaphore (anafor) consiste à répéter le même mot ou la même expression en tête des phrases ou des vers.
j’irai par la forêt, j’irai par la montagne
« Demain, dès l’aube » de Victor Hugo
pour elle seule, hélas
pour elle seule, et”
« Mon rêve familier » de Verlaine
“Rome, l’unique objet de mon ressentiment!
Rome, à qui vient ton bras d’immoler mon amant!
Rome qui t’a vu naître, et que ton coeur adore!
Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore!”
Horace de Corneille,
Dans cet exemple, l’anaphore crée un effet d’écho, d’obsession et de persuasion.
19
2.4.3. Le pléonasme.
Le pléonasme (pleonasme)est une figure de construction qui consiste en une surabondance de termes, donnant plus de force à l’expression.
En vain la plus triste vieillesse m’accable de son poids pesant. Joseph Duval
Mortellement tué. Romain Gary
2.4.4. L’inversion.
L’inversion est une figure de style par laquelle l’ordre des constituants de la phrase est renversé. Elle a valeur de figure quand cette inversion n’est pas nécessitée par la syntaxe, mais quand elle est imprévisible.
Tandis que la Princesse causait avec moi, faisaient précisément leur entrée le duc et la duchesse de Guermantes. (Proust)
Cette inversion confère une certaine solennité à l’entrée du duc et de la duchesse.
2.4.5. La gradation.
La gradation (graduering) est une figure de construction qui consiste à disposer les termes d’une énumération dans un ordre croissant ou décroissant.
Va, cours, vole et nous venge! le Cid de Corneille,
La gradation contribue à amplifier un mouvement, un sentiment. Dans le cas présent, elle met l’accent sur l’urgence d’exiger réparation pour les affronts reçus.
2.4.6. L’apostrophe.
L’apostrophe (apostrofe) est une figure de pensée par laquelle un orateur interpelle tout à coup une personne ou même une chose qu’il personnifie.
Allons, mon bras, sauvons du moins l’honneur,
20
Puisque après tout il faut perdre Chimène.
Corneille, Le Cid
L’apostrophe attire l’attention sur la fonction phatique (contact entre le destinateur et le destinataire). Dans cet exemple, l’apostrophe met l’accent sur la volonté ou la capacité de Rodrigue (destinateur offensé) d’exécuter sa vengeance contre Don Diègue (destinataire offenseur).
2.4.7. La répétition.
La répétition est un procédé qui porte sur la reprise d’un même mot ou d’une même expression.
“Elle rencontra Candide en revenant au château, et rougit; Candide rougit aussi; elle lui dit bonjour d’une voix entrecoupée, et Candide lui parla sans savoir ce qu’il disait.” (Voltaire, Candide)
La répétition a ici la fonction d’amplifier un caractère, une attitude, ici le malaise ressenti par les deux personnages.
2.4.8. La redondance
La redondance (=redundans) est un redoublement de termes de sens proche.
Sa voix lointaine et calme et grave
« Mon rêve familier » de Verlaine
2.4.9. La polyptote.
La polyptote (=polyptoton) désigne la répétition d’un mot qui a des fonctions grammaticales différentes.
“l’onde qui fuit par l’onde incessamment suivie”
Ce siècle avait deux ans d’Hugo
Og endelig døde han da døden, den vanskelige død
Niels Lyhne d’I.P Jacobsen
21
2.4.10. La synesthésie.
La synesthésie (synæstesi) consiste en correspondances entre différentes perceptions : vue, odorat, ouïe etc. Elle est très fréquente chez Baudelaire.
guidé par ton odeur vers de charmants climats,
je vois un port rempli de voiles et de mâts
« Parfum exotique » de Baudelaire
2.5. Les figures d’animation
La personnification, l’antonomase, la prosopopée.
2.5.1. La personnification.
La personnification (=personifikation) consiste à attribuer à un être inanimé des traits qui se rapportent aux êtres animés. Elle humanise des objets, des idées.
…………(voir)
dormir ces vaisseaux
dont l’humeur est vagabonde
« L’invitation au voyage » de Baudelaire
On parle aussi de personnification quand on accorde des traits humains, la parole par exemple, à des animaux. Les fables de La Fontaine exploitent à volonté cet art de la personnification.
Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon roi;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse.
Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce,
Estce un péché? Non, non. Vous leur fîtes, Seigneur,
En les croquant, beaucoup d’honneur
2.5.2. L’antonomase
L’antonomase (=antonomasi) est une figure de mot qui consiste à désigner un personnage par un nom commun ou une périphrase qui le caractérise, ou, inversement, à désigner un individu par le personnage dont il rappelle le caractère typique.
22
“Le père de la Révolution tranquille ne reconnaîtrait plus le Québec d’aujourd’hui.”
Le père de la Révolution tranquille est mis pour Jean Lesage. L’antonomase “père de la Révolution tranquille” met en relief l’œuvre accomplie par Jean Lesage, en y ajoutant ici un trait mythique.
2.5.3. La prosopopée.
La prosopopée (=prosopope) est une figure qui consiste à faire parler une personne morte, un animal ou une réalité personnifiée. Les fables de La Fontaine repose sur ce procédé
2.6. Les figures d’opposition.
L’antithèse, l’oximore et le chiasme.
2.6.1. L’antithèse.
L’antithèse (antitese) rapproche deux termes qui s’opposent.
« amour et douleur » d’Hugo
« rafraîchir et moiteur » de Verlaine
Le Robert définit l’antithèse comme “une opposition de deux pensées, de deux expressions que l’on rapproche dans le discours pour en faire mieux ressortir le contraste”.
“D’autres préfèrent le monologue intérieur, moi non, j’aime mieux me battre.” (H. Michaux. Espace du dedans)
2.6.2. L’oximore.
L’oximore (oximoron) est une figure de style par laquelle deux termes opposés à priori contradictoires sont reliés syntaxiquement. C’est une figure qui exprime un paradoxe. Ex: “obscure clarté”, “la cuisine anglaise”, “l’humour allemand”, “le rock français”.
Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire
23
Et dérober au jour une flamme si noire. Racine
Comme pour l’antithèse, l’attention est ici portée sur un des deux éléments en opposition: le trait abject de la passion amoureuse.
2.5.3. Le chiasme.
Le chiasme (kiasme) est une figure qui consiste à regrouper des énoncés symétriques mais de manière inversée : xyyx.
l’amour, la tombe, et la gloire et la vie
tout souffle, tout rayon, fait reluire et vibrer
« Ce siècle avait deux ans » d’Hugo
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais!
« A une passante » de Baudelaire
On voit que c’est une figure qui associe des termes deux à deux en adoptant un schéma croisé. Le chiasme vise à “mettre en relief des similitudes à l’intérieur d’oppositions ou vice versa”. Dans le dernier exemple, le chiasme attire l’attention sur le même phénomène (l’ignorance) qui frappe “je” et “tu” tout en opposant “je” au “tu”.
2.7. Les figures d’atténuation.
L’euphémisme, la litote et l’ellipse.
2.7.1. L’euphémisme.
L’euphémisme (eufemisme) est une figure de style qui atténue des réalités trop dures.
« les voix qui se sont tues » (=les morts)
« Mon rêve familier » de Verlaine
“Prions pour nos chers disparus (au lieu des morts).”
L’euphémisme vise à éviter l’emploi de mots qui peuvent déplaire ou choquer. Il joue au niveau de la connotation affective des mots. L’intention de l’euphémisme est d’adoucir une expression.
24
2.7.2. La litote
La litote (litote) est une figure de style qui consiste à dire moins pour faire entendre plus. La litote consiste à simplifier le sens en exprimant beaucoup avec peu.
“Va, je ne te hais point.” Corneille
2.7.3. L’ellipse
C’est la suppression d’un mot ou d’un groupe de mots qui demeurent sousentendus
“Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille,
et fier aussi mon coeur”
Souvenirs de Musset
L’ellipse, comme le définit Bernard Dupriez dans Gradus, est une figure de construction qui consiste “à supprimer des mots qui seraient nécessaires à la plénitude de la construction, mais que ceux qui sont exprimés font assez entendre pour qu’il ne reste ni obscurité ni incertitude”.
“Vous remercie votre franchise. Pouvez disposer.” Bernanos
L’ellipse de “je”, de “de” et de “vous”, dans cet exemple, marque la domination autoritaire du locuteur.
3. LES SONORITÉS
3.1. L’allitération.
L’allitération (alliteration, bogstavrim) est une figure qui désigne le retour d’une même consonne.
“son nom, je me souviens qu’il est doux et sonore”
« Mon rêve familier » de Verlaine
25
3.2. L’assonance.
L’assonance (assonans) est le retour d’une même voyelle
“et pour sa voix lointaine et calme et grave elle a”
« Mon rêve familier » de Verlaine
3.3. La paranomase :
La paranomase est le jeu des sonorités identiques ou voisines
“problème” et “front blème”
“exila” “elle a”
« Mon rêve familier « de Verlaine
3.4. Les consonnes
. les consonnes occlusives dures : P, T, K, GU, B évoquent la violence.
. les consonnes liquides sonores : M, N, R, L évoquent la fluidité.
. les consonnes fricatives sourdes : F, V, S, CH, J évoquent la douceur.
(n.b. ces règles sont très générales)
26
II. Analyse de poèmes : versification et figures de style
1. LAMARTINE (17901869)
1.1. « A El »
INTRODUCTION
En septembre 1816, Lamartine lors d’une cure thermale à AixlesBains, rencontre Julie Charles, une jeune femme épouse d’un physicien connu, soignée pour une tuberculose, dont elle mourra en décembre 1817.
De cet amour, tragiquement brisé, naîtront “Les méditations poétiques” en 1820. Le succès immédiat de ce recueil d’élégies était dû au fait que les amateurs de poésie lassés des poésies épiques, attendaient une poésie plus lyrique qui reflèterait leurs états d’âme, des thèmes et des sentiments nouveaux. Lamartine alla audelà de leurs espérances puisqu’il leur proposait dans ce recueil tout ce qu’ils recherchaient avec en plus une harmonie et un rythme tout à fait personnel et recherché.
En 1823, il publiera “les nouvelles méditations” qui n’auront pas le même succès, n’ayant plus l’attrait de la nouveauté. Le poème, à El fait partie de “ses nouvelles méditations”. Il est dédié à Julie Charles, qu’il immortalisera dans tous ses poèmes sous le nom d’Elvire.
Ce poème se compose de plusieurs parties qui suivront une progression dramatique : un premier tableau jusqu’au v 12 où le poète évoque avec émotion un amour idyllique en accord avec une nature qui le protège. Puis, du v 13 au v 21, ce seront les manifestations physiques d’une angoisse insaisissable, qui contaminera sa maîtresse. Du v 22 à la fin, ce dernier tableau verra les interrogations, les dialogues qui s’établiront entre les deux amants qui veulent comprendre le pourquoi de cette métamorphose subite. Les tout derniers vers dramatiques laisseront planer l’ombre de la mort qui inéluctablement les attend...
VERSIFICATION
Le mètre employé est l’alexandrin. A l’exception des vers 19, 32, 36, 37 et 38 qui sont des octosyllabes. Le poète tient ainsi à les démarquer et les souligner.
Les vers sont agencés librement dans 2 strophes de longueur inégale : l’une de 25 vers, l’autre de 13 vers.
27
Le poète emploiera selon l’effet qu’il voudra donner, les changements d’idées, d’intonations :
. les rimes embrassées, ABBA (en majorité)
. les rimes croisées, ABAB
. les rimes plates, AABB
Les rimes sont dans l’ensemble suffisantes. Le poète ne recherche pas l’effet du mot, mais ce qu’il suggère, sa mélodie.
Le rythme est varié. Des vers lents pour l’évocation des instants de bonheur passés dans la forêt où les amants se laissent aller à la langueur, à la douceur de la volupté. Des vers plus hâchés, par la suite qui exprimeront l’angoisse incompréhensible, les dialogues entre l’un et l’autre, une ponctuation plus présente, des changements de mètres : on passe de l’alexandrin à l’octosyllabe
Quelques enjambements, v 34 et v 910...
2 rejets : v 23 et v 32
LES FIGURES DE STYLE
Elles sont peu nombreuses car le poète, à l’exception des sonorités, ne les recherche pas. On trouve dans ce poème :
quelques comparaisons
“l’abeille” (v 12)
“le bruit” (v 14).
quelques métaphores
“le baume” (v 25)
“l’aile des années” (v 33)
“le flambeau” (v 34)
“un vol épouvanté” (v 35).
des personnifications
“l’âme qui s’étonne”
28
“mon cœur versera le baume”
“le bonheur s’enfuit”
des redondances
“pensive et recueillie” (v 1)
“tu me vois tressaillir, je pâlis, je frissonne” (v 15)
quelques anaphores
“lorsque” (4 reprises)
le “je” qui répond au “tu”
“souvent” “qui rompt l’atmosphère sereine”
Les sonorités sont douces lorsqu’elles évoquent l’harmonie, l’amour, le frisson entre la nature et leur état d’âme : voyelles douces (A, I, E) consonnes fricatives sourdes (F, S, J).
Lorsque l’angoisse montera : les voyelles évoqueront la plainte (auainonorouoi), de même, le poète emploiera davantage de consonnes dures : P, K, T, GU, B
“Ce n’est qu’un songe que le bonheur qui doit finir.
LES THEMES
La nature et le poète
La nature est le miroir de l’âme du poète, sa consolatrice. Elle protège, abrite les amours. C’est un thème que reprendront tous les romantiques et que développera Baudelaire en multipliant les correspondances.
Le temps
Dans les premiers temps, Lamartine évoque le temps sans angoisse. Il l’oublie ; pour lui il est suspendu. Vers la fin du poème, le temps sera dramatisé, deviendra l’ennemi, celui contre lequel on ne peut rien faire, qui tue, détruit. De cette certitude, l’angoisse, l’épouvante naîtront et transformeront ce tableau idyllique en un cauchemar.
L’amour
L’amour est ici le thème principal de ce poème. Un amour totalement fusionnel, sans ombre. Le vocabulaire simple, sans recherche n’est là que pour exprimer les sentiments profonds du poète. Pour les traduire, Lamartine préfèrera aux mots, la
29
recherche d’une mélodie et d’une harmonie, la recherche d’une correspondance entre les sons et son état d’âme. Les premiers vers, les dialogues, les interrogations entre les deux amants en sont l’expression. Ecrite en souvenir de Julie, le poète dans cette élégie exprimera avec encore plus de vérité, l’angoisse puis la révolte de perdre cet amour.
2. ALFRED DE VIGNY (17971863)
2.1. « La maison du berger »
INTRODUCTION
Publié en 1844 dans la revue des 2 mondes, ce poème philosophique qui vient après toute une série extrêmement pessimiste, fera partie du recueil posthume des “Destinées” (1864).
C’est l’un des poèmes les plus célèbres d’Alfred de Vigny et l’un des plus importants pour l’évolution de sa pensée. “La maison du berger” se présente sous la forme d’une lettre adressée à Eva, qui personnifie la femme idéale. Trois parties constitueront ce long poème : dans la première partie, le poète convainc Eva, lasse comme le poète, des servitudes de la ville, de le suivre dans la nature propice aux amours et à la poésie. Pour cela, il lui propose la maison roulante du berger.
La deuxième partie est consacrée au refus du progrès, au rôle de la poésie, qui doit mener l’homme vers une élévation intellectuelle et le bonheur.
Dans la troisième partie : l’homme abandonné de Dieu, peu soutenu par une Nature indifférente, se retourne vers la femme, plus sensible aux souffrances humaines. L’extrait choisi, fait partie de cette dernière partie et représente un véritable hymne à la femme dans l’esprit du XIXe siècle.
VERSIFICATION
Le mètre employé est l’alexandrin.
Les vers sont agencés sous forme de strophes de 7 vers chacune.
Pour chaque strophe, Vigny emploiera des rimes sur le schéma suivant :ababaab
De même, il fera alterner les rimes masculines et féminines
en corrélation avec le schéma des rimes cidessus : FMFMFFM
30
On trouvera également une alternance de rimes riches, suffisantes ou pauvres.
L’usage de l’Alexandrin permet au poète de donner à cette méditation un rythme varié. Une césure dans l’ensemble qui se fait à l’hémistiche, mais le poète donne une vie en multipliant des coupes annexes, en utilisant surtout dans les 2 premières strophes, une ponctuation variée : (? ! . :)
Quelques enjambements : v.56
v.1314
v.1718
v.2728
Un seul rejet : v.20
LES FIGURES DE STYLE
Pour rendre cette méditation plus vivante, Vigny emploiera de nombreuses répétitions :
“soupir” “soupire”
“saistu”
“tourmenté”
“pensée”
des comparaisons :
“gazelles” “églises”
des allégories :
“la Pensée”
des apostrophes :
“Eva ô femme,”
des personnifications :
“Dieu”, “cœur”, “pensée”, “orgue”, “pleurs”...
des figures antithétiques pour opposer l’homme à la femme :
31
“son juge”, “sa vie”, “esclave”, “loi”
pour exprimer ses contradictions, ses faiblesses :
“ta pensée a des bonds... mais ne saurait marcher...”
des redondances :
“vibre et résonne”
Contrairement à Lamartine, Vigny dans ses poèmes, traduit plutôt une expérience intérieure, il ne s’épanche pas, et s’exprime de façon assez symbolique.
Les sonorités, l’harmonie ne sont pas vraiment recherchées. Elles ne seront là que pour servir sa pensée. Ici, des sonorités plus douces alternent avec des sonorités plus dures selon les besoins du poète :
“tes yeux sont si puissants, ton aspect est si fort”... (doux)
“Ton regard redoutable à l’égard de la mort” (dur)
LES THEMES
Méditation sur la femme :
Le poète s’adresse à Eva directement, lui rappelle son but, son pouvoir sur une terre gérée par l’égoïsme et la suffisance de l’homme, rendus par le poète par la répétition de “tourmenté”.
Elle est présente pour adoucir la peine de l’homme, le combler par sa beauté, par son amour et son admiration. Son intuition, sa gaité, sa poésie enchantent le monde de l’homme; sa pensée est volatile, et ne peut accéder aux idées les plus hautes comme la philosophie, la métaphysique.
En revanche, sans compromission, elle laissera son cœur et sa générosité parler pour venir au secours de l’opprimé, qui se révoltera alors, contre l’injustice.
La femme, pour Vigny, peut sauver le monde grâce à l’amour, et c’est en cela que réside sa raison d’être.
C’est une vision de la femme à la fois extrêmement émouvante et aussi extrêmement misogyne.
L’homme
Il s’est perdu en voulant devenir l’égal de Dieu, en recherchant dans la connaissance, le moyen pour y parvenir. Il se laisse charmer par la beauté et l’amour de la femme, laquelle en contre
32
partie restera sous son joug et sa domination ; domination physique et intellectuelle. Le cœur, les sentiments généreux, la révolte contre l’injustice seront le domaine de la femme.
3. Alfred de Musset (18101857)
3.1. « Sonnet »
INTRODUCTION
Sonnet qui appartient au recueil des “poésies nouvelles” que Musset composa entre 1833 et 1852 après sa rencontre avec Georges Sand. Beaucoup furent écrits après sa rupture et seront empreints d’une certaine nostalgie.
Dans ce sonnet s’opposeront les idées radicales et idéalistes de deux jeunes amants sur l’amour, et le regard du poète qui a connu les déboires, les hasards, les souffrances de la vie, et qui ne peut juger ces préceptes qu’avec une certaine tendresse mêlée de cynisme et de désabusement.
VERSIFICATION
Sonnet au schéma très classique.
Le mètre employé est l’Alexandrin.
Les vers sont agencés selon un schéma imposé pour le sonnet et se composent de :
2 quatrains : strophes de 4 vers
2 tercets : strophes de 3 vers
Les rimes répondent au schéma suivant :
abba
aabb
cdd
cdc
Les rimes Masculines et Féminines s’agencent selon le même schéma que précédemment :
abba MFFM
aabb FFMM
cdd FMM
cdc FMF
33
Toutes les rimes sont suffisantes.
Un rythme classique qui respecte la césure à l’hémistiche, à l’exception du 1er vers du 2ème tercet où le poète a voulu casser celuici, créer un effet de surprise totale. Les deux autres vers du tercet ont également un rythme plus rapide et sortent de la sagesse et de la monotonie des autres.
Aucun enjambement, ni rejet.
LES FIGURES DE STYLE
Elles sont rares dans ce poème.
IMAGES
Quelques métaphores.
“un jour”, “un songe” : connaissance de l’autre
“la tête en fleurs” : la jeunesse
“vieil enfant” : s’oppose à la sagesse des vers précédents.
la personnification
Le désir nous trompe
le remord nous ronge
REPETITION
l’anaphore
se s’ sa son
sans
c’est vous : formule qui insiste pour marquer plus brutalement l’opposition au vers suivant : “Et c’est moi”
“C’est ainsi”
Le premier quatrain est formé de 4 vers, composés avec une symétrie parfaite :
“se voir le plus possible et s’aimer seulement”
le polyptote : répétition d’un mot dans des fonctions grammaticales différentes
“et dans cette clarté respirer librement
ainsi respirait Laure”...
34
OPPOSITION
antithèse
“vieil enfant”
Le dernier vers où les 2 parties s’opposent totalement.
APOSTROPHE
“c’est vous” : le poète s’adresse aux deux amants qui lui donnent une leçon d’amour, établissent une charte rigide, censée mais ne correspondant pas à la réalité.
LES SONORITES
les allitérations
Le “s” : sonorité qui donne à la tonalité du poème une grande douceur. On le trouve essentiellement dans les deux premières strophes où l’amour est évoqué sous forme de commandement, de charte.
“se voir le plus possible et s’aimer seulement”
“sans ruse et sans détours, sans honte ni mensonge”.
D’autres fricatives qui évoquent les mêmes sensations sont également très présentes :
F, V, Z, CH, J
“mensonge”, ronge, songe, jour, plonge
“vous”, “vivre”
“chaque pas touche”, “chantait”
“fleurs”, “enfant”
Les consonnes dures sont présentes pour évoquer la trahison, ou les doutes du poète sur la réalité de ces affirmations ; elles préparent le cynisme du dernier vers.
“qu’un désir nous trompe”
“vivre à deux et donner son coeur à tout moment”
“respecter sa pensée aussi loin qu’on y plonge”
“dans cette clarté respirer librement”
“qui me disiez qu’il”
“vieil enfant du doute et du blasphème.
35
Les consonnes liquides : L, R évoquent l’amour
se voir le plus possible et s’aimer seulement
dans cette clarté respirer librement
Ainsi respirait Laure
Les assonances, an, on, ou, or : tonalité dont la répétition, l’écho évoquent toute l’ambiguité entre l’idéalisme et la réalité. Ainsi, le son “an” : qui est souvent associé à la plainte, à la douleur ; mais ici il est pris au premier degré et s’associe à l’idéalisme des amants
seulement, sans, moment, amant, autrement
“mensonge”, “ronge”, “songe”, “réponds”, etc...
Des voyelles plus légères : A, E, I
“respecter sa pensée aussi loin qu’on y plonge”
“vous, dont chaque pas touche à la grâce suprême”
LES FIGURES DE STYLE
Elles sont rares dans ce poème.
IMAGES
quelques métaphores.
“un jour”, “un songe” : connaissance de l’autre
“la tête en fleurs” : la jeunesse
“vieil enfant” : s’oppose à la sagesse des vers précédents.
la personnification.
Le désir nous trompe
le remord nous ronge
REPETITION
l’anaphore
se s’ sa son
sans
c’est vous : formule qui insiste pour marquer plus brutalement l’opposition au vers suivant : “Et c’est moi”
36
“C’est ainsi”
Le premier quatrain est formé de 4 vers, composés avec une symétrie parfaite :
“se voir le plus possible et s’aimer seulement”
le polyptote : répétition d’un mot dans des fonctions grammaticales différentes
“et dans cette clarté respirer librement
ainsi respirait Laure”...
OPPOSITION
antithèse
“vieil enfant”
Le dernier vers où les 2 parties s’opposent totalement.
APOSTROPHE
“c’est vous” : le poète s’adresse aux deux amants qui lui donnent une leçon d’amour, établissent une charte rigide, censée mais ne correspondant pas à la réalité.
LES SONORITES
les allitérations
Le “s” : sonorité qui donne à la tonalité du poème une grande douceur. On le trouve essentiellement dans les deux premières strophes où l’amour est évoqué sous forme de commandement, de charte.
“se voir le plus possible et s’aimer seulement”
“sans ruse et sans détours, sans honte ni mensonge”.
D’autres fricatives qui évoquent les mêmes sensations sont également très présentes :
F, V, Z, CH, J
“mensonge”, ronge, songe, jour, plonge
“vous”, “vivre”
“chaque pas touche”, “chantait”
“fleurs”, “enfant”
37
Les consonnes dures sont présentes pour évoquer l a trahison, ou les doutes du poète sur la réalité de ces affirmations ; elles préparent le cynisme du dernier vers.
“qu’un désir nous trompe”
“vivre à deux et donner son coeur à tout moment”
“respecter sa pensée aussi loin qu’on y plonge”
“dans cette clarté respirer librement”
“qui me disiez qu’il”
“vieil enfant du doute et du blasphème.
Les consonnes liquides : L, R évoquent l’amour
se voir le plus possible et s’aimer seulement
dans cette clarté respirer librement
Ainsi respirait Laure
les assonances, an, on, ou, or : tonalité dont la répétition, l’écho évoquent toute l’ambiguité entre l’idéalisme et la réalité.
Ainsi, le son “an” : qui est souvent associé à la plainte, à la douleur ; mais ici il estpris au premier degré et s’associe à l’idéalisme des amants
seulement, sans, moment, amant, autrement
“mensonge”, “ronge”, “songe”, “réponds”, etc...
Des voyelles plus légères : A, E, I
“respecter sa pensée aussi loin qu’on y plonge”
“vous, dont chaque pas touche à la grâce suprême”
LES THEMES
Sentiments : les chartes d’un amour idéal que l’expérience de la vie n’a pas encore abimé, présentées sous une forme qui n’admet pas le doute (emploi de l’infinitif), s’opposeront à la vision du poète.
Pour lui, qui très jeune a connu une existence agitée, la débauche, la trahison, des épisodes extrêmement douloureux lors de sa liaison tumultueuse avec Georges Sand, tous ces préceptes bien pensants, ne concernent pas la réalité de la vie et ne sont qu’illusions. La chute finale du dernier vers l’explicite avec cynisme et désabusement.
38
3.2. « Souvenir »
INTRODUCTION
En septembre 1840, Musset, en compagnie de son frère, traverse la forêt de Fontainebleau, où des années plus tôt, il avait vécu avec Georges Sand des moments idylliques. La vue des lieux qu’ils parcoururent réveille en lui le souvenir douloureux, à présent apaisé par le temps, de cette femme qu’il ne cesse d’aimer.
Plus tard, dans les couloirs d’un théâtre, il croise Georges Sand. De retour chez lui, profondément ému, il écrit dans la nuit, “souvenir”.
Musset compose ce poème avec la forme et le rythme des méditations de Lamartine (“Le lac”) sans que l’on retrouve le ton larmoyant des amours perdus de celuici. Chez Musset, au contraire, l’amour, le souvenir embelli, restent toujours liés à un sentiment de bonheur.
VERSIFICATION
Poème lyrique qui exprime de façon très simple les sentiments du poète. Un poème qui évoque la paix retrouvée chez Musset. Il se compose de 6 strophes de 4 vers.
Le mètre employé est l’Alexandrin pour les 3 premiers vers de chaque strophe. Le 4ème vers est toujours composé de 6 pieds.
Les rimes sont embrassées : abab
Alternance de rimes masculines et de rimes féminines, les rimes féminines correspondant toujours à une rime a, les masculines une rime b.
Les rimes sont suffisantes ou pauvres ; Musset refuse pour ce poème tout effet de recherche.
Un rythme très mélodieux, très apaisant est donné à cette poésie : la césure est dans l’ensemble à l’hémistiche, mais elle peut varier : v. 9 : voyez ! ou être atténuée : v. 5.
Un rythme harmonieux est donné également par le mètre différent employé à chaque dernier vers des strophes, qui est ainsi mis en valeur.
39
Des coupes nombreuses, variées, une ponctuation, des conjonctions de coordination contribuent à sa richesse.
On trouve dans chaque strophe, un enjambement. Pour les strophes 2, 3, 4, 5 et 6 cet enjambement se fait sur les v. 3 et 4, accentuant encore l’effet que Musset veut donner à ces vers.
Il n’existe aucun rejet.
LES FIGURES DE STYLE
L’apostrophe : “voyez”, “ô” : Musset s’adresse au lecteur, au temps, et donne un ton un peu solennel.
LES IMAGES
la métaphore
“belle reine des nuits” : la Lune
“ nos fleurs fanées” : les amours perdus
l’allégorie
Le temps
la personnification rend ses images plus vivantes.
“La forêt est fière”
“La lune a un regard qui tremble”
“Le temps emporte les pleurs, les regrets”
EXAGERATION
la redondance
“nos pleurs, nos cris, nos regrets”
REPETITION
l’anaphore
“Fière” “Fier” “point” (v. 1 8)
“Aussi calme, aussi pur”
Par ces répétitions, Musset veut insister sur les correspondances entre la nature et son être.
OPPOSITION
l’antithèse
40
“O puissance du temps ! O légères années.”
“regret et bonheur”
tu tes ton t’ te qui s’opposent à ma, je, m’
“plaintes, tombeaux, cimetières” et “tout respire”
“sombre horizon” et “t’épanouis”
“vieux” et “enfant”
CONSTRUCTION
l’ellipse
“Et fier aussi mon cœur”
Cette ellipse montre toute la pudeur du poète qui se refuse aux épanchements larmoyants.
LES SONORITES
La recherche des sonorités est également discrète ; elles se répondent comme “l’écho des bois”.
l’allitération
r : la consonne “r” revient dans tout le poème extrêmement fréquemment
“Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille”
“ton regard tremble encor, belle reine des nuits”
“vous emportez, nos pleurs, nos cris, nos regrets”, etc...
l : consonne liquide :
“que celuilà se livre à des plaintes amères”
“qui s’agenouille”
de nombreuses consonnes fricatives sourdes : F, S, V, Z, CH, J sont employées et adoucissent le poème
“fière est cette forêt”
“tout respire en ces lieux”
“et sur nos fleurs fanées”
“vieux”, “vallée”, “redeviens”
“je ne viens point jeter,” etc...
41
les consonnes occlusives sourdes : P, T, (tr_s répété) K, B, D, GU durcissent les vers, les mots, pour traduire certaines idées, certains souvenirs douloureux
“dans l’écho de ces bois, témoins de mon bonheur”
“vous emportez nos pleurs, nos cris et nos regrets”
“tu”, “ton”, “tous”, “te”, “t’“
les assonances. Des voyelles nasales : oin, ain, on, an
“point”, “témoins”, “plaintes”, “morte”, “ombrages”, “tremble”, “encore”
“sous tes rayons, tous les parfums du jour”
“ancien”, “chagrins”, “maintenant”, “regardant”, “enfant”, etc.
Toutes ces sonorités évoquent une certaine mélancolie, une douleur ancienne.
Des voyelles plus douces, plus légères comme A, I, E
“ainsi de cette terre, humide encor de pluie”
“aussi calme, aussi pur, de mon âme attendrie”
“cette vallée amie”, etc...
Voyelle forte : O qui inspire l’équilibre, la puissance, l’énergie
“écho”, “forêt”, “beauté”, “O”, “nos”
LES THEMES
Le temps est évoqué dans ce poème d’une façon positive. Il pourrait être l’ennemi de l’homme, celui qui amène l’homme vers la vieillesse, le tombeau, celui qui empêche le “carpe diem” et met un terme aux amours. Non, le temps ici adoucit les douleurs les plus grandes, et ne laisse que les plus beaux souvenirs délestés de toute rancœur et de tout regret : “mon âme attendrie”.
La nature est indissociable de la poésie romantique. Dans ce poème, elle apparaît à plusieurs reprises et se mêle étroitement aux états d’âme du poète. Cela se fait sans lyrisme excessif, sans larmoiement, comme dans l’ensemble de la poésie de Musset où le lyrisme s’associe à une certaine pudeur.
Les bois, la forêt sont liés aux souvenirs de son bonheur passé, mais sont “tranquilles” comme l’est “son cœur” à présent.
Les regrets symbolisés par “les fleurs des cimetières” sont refusés.
42
En revanche, la lune dans ce paysage “s’épanouit”, une fois les nuages dissipés. De même, le poète reprend goût à la vie, et oublie les épisodes douloureux ou sordides pour ne garder qu’un souvenir épuré, idéalisé. Musset évoque également la douceur de cette vallée amie, qui lui rappelle l’enfance, l’éloigne de la vieillesse. Nous avons dans ce poème, la description d’une nature parfaitement apaisée, équilibrée, en harmonie, avec le poète.
4. Victor Hugo (18021885)
4.1. « Demain dès l’aube »
INTRODUCTION
Poème composé en 1847 qui fait partie du recueil des “contemplations”. Quatre ans se sont écoulés depuis la noyade de sa fille Léopoldine, à Villequier, et la douleur du poète est toujours aussi profonde.
Dans ce poème, néanmoins, on sent que cette absence n’est plus ressentie de la même manière : le souvenir de sa fille se matérialise presque : il sent sa présence, lui parle, parcourt les monts et les vallées, seul avec elle il reste étranger aux hommes et au spectacle de la nature qui l’enchante normalement pour lui porter un bouquet de fleurs du printemps empli de symboles. Chaque jour qui passe et le rapproche de la mort, diminue le temps qui le sépare d’elle...
VERSIFICATION
Le mètre employé est l’Alexandrin. C’est un mètre qu’Hugo privilégie dans sa poésie, car elle lui permet une plus grande souplesse, au niveau des rythmes.
Le poème est composé de 3 strophes de 4 vers à la progression logique.
Les rimes sont croisées ABAB.
Pour les 3 strophes, Hugo fait alterner les rimes masculines et les rimes féminines : FMFM qui évoquent l’étroite correspondance entre celuici et Léopoldine.
Les rimes sont suffisantes. La douleur du poète s’exprime simplement : attends longtemps.
Le rythme imposé par Hugo à ce poème est très souple, varié, et s’adapte parfaitement à l’effet qu’il veut donner.
43
La ponctuation est très présente, donne des vers hachés, une impression de mouvement, d’un long voyage pour arriver jusqu’à elle.
Demain, dès l’aube... je partirai, voistu...
En général, en dehors des coupes adjacentes, la césure est à l’hémistiche.
Ces vers rapides alternent avec un rythme plus lent, des vers longs qui s’étirent et évoquent la fin du voyage, la mort.
Un seul enjambement au v 11.
Des rejets : “je partirai” (v 2)
“seul” (v 7)
Ils évoquent la détermination du poète.
LES FIGURES DE STYLE
LES IMAGES
la comparaison
“Le jour sera comme la nuit”
cette image donne une impression de désespoir, de douleur profonde. C’est une journée qui ressemblerait à l’éternité, où le temps serait aboli pour ressembler à la mort.
la métaphore
“L’or du soir qui tombe” : image du soleil couchant qui sera mise en rapport un peu plus loin avec sa tombe.
la prosopopée
“je sais que tu m’attends”
Hugo discute tendrement avec sa fille dont on sent la présence et qui l’attend.
la métonymie
“la forêt, la montagne”
44
elles évoquent les kilomètres qui le séparent d’elle.
la synecdoque
“les voiles” : les bateaux
EXAGERATION
la redondance
“seul... inconnu, le dos courbé, seul”
“l’aube, l’heure où blanchit la campagne”
Figures qui donnent l’impression de la profonde solitude, de l’abattement du poète.
REPETITION
l’anaphore
“j’irai... j’irai”
“sans... sans” : insiste sur la concentration du poète, renforcée par le fait que ces propositions entraînent deux propositions symétriques.
“ni... ni” : cette répétition reprend la même idée que précédemment. Le poète refuse de se laisser distraire, par des éléments extérieurs qui, en d’autres occasions, éveillent chez lui les sensations les plus douces.
OPPOSITION
l’antithèse
“les yeux fixés” qui s’oppose à “je marcherai”
qui évoque l’intériorisation, la concentration du poète.
l’oxymore
“le jour sera pour moi comme la nuit”
LES SONORITES
Poème d’une extrême simplicité, où les figures de style sont estompées au profit des sonorités qui contribuent à créer une ambiance de tristesse mêlée d’une certaine sérénité. Le poète sait que bientôt la mort le rapprochera d’elle.
45
les allitérations
Les occlusives sourdes qui évoquent la tristesse, l’abattement, P, T, K, B, D, GU :
“demain dès l’aube”
“je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps”
“je mettrai sur ta tombe”, etc...
se mélangent à :
des consonnes liquides sonores : L, R qui rappellent la mort.
R de tous les futurs. Le poète part pour rejoindre symboliquement sa fille. C’est aussi l’appel de la mort.
“j’irai par la forêt”, “j’irai par la montagne”
“sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit”
“courbé”, “croisées”, “triste”, “jour”
L : “dès l’aube à l’heure où blanchit la campagne”...
“loin de toi”
“ni les voiles au loin descendant vers Harfleur”
mais elles se mélangent aussi à :
des consonnes fricatives sourdes : F, V, S, Z, CH, J qui adoucissent la tonalité du poème, qui établissent un rapport entre la nature, l’aube, le printemps et... une intimité apaisée avec sa fille.
j : je, j’
s : “sans, “seul”, “triste”, “soir”, “descendant”, “pensées”
ch : “blanchit”, “je marcherai”
v : “les voiles”, “voistu”, “j’arriverai”, “vert”
f : “fleur”, Harfleur”, “forêt”, “fixés”
les assonnances.
AN : sonorité qui évoque la douleur, la plainte
“campagne”, “m’attends”, “longtemps”, “pensées”, “sans”, “entendre”, “descendant”
46
Mais on trouve aussi des sonorités plus légères, plus douces :
le e : “aube”, “montagne”, “voiles”, “tombe” etc...
le i : “blanchit”, “partirai”, “j irai”, “fixés”, “triste”
le é : “fixés”, “pensées”, “courbé”, “croisées”.
des sonorités plus sonores qui montre chez le poète une certaine détermination et où malgré sa souffrance on sent une démarche moins contemplative, plus active.
oi : “voistu”, “voir”, “croisées”, “moi”, “soir”, “voiles”...
è : “dès”, “bruyère”, le “ai” de tous les futurs.
la paranomase joue sur des sonorités voisines
sans, seul
houx vert, bruyère
Honfleur, fleur.
4.2. « Ce siècle avait deux ans... »
INTRODUCTION
Ecrite en 1830, cette pièce ouvre le recueil des “feuilles d’automne” (1831). Ce sont des vers intimes, “des vers comme tout le monde en fait ou en rêve, des vers de famille... des vers de l’intérieur de l’âme”. Le poème débute par l’évocation de sa toute petite enfance, l’amour maternel dont il fut entouré, ses amours, ses deuils.
Dans l’extrait choisi, à la trame extrêmement logique où foisonnent les images, les sonorités, les figures de style, on pourra distinguer plusieurs parties :
v 1v 8 : l’évocation de son œuvre publiée dans les 10 années précédant ce poème.
v 9v 16 : la maîtrise de son art, la profusion de ses sources d’inspiration.
v.16 à la fin : Hugo se pense l’interprète de Dieu, son “écho sonore”. Il fait partie en tant qu’artiste de cette élite qui doit sauver le monde imparfait. Il est le médiateur qui permet de réconcilier la nature, l’homme et Dieu.
VERSIFICATION
Le mètre employé est l’Alexandrin.
47
Les vers sont agencés librement. Pas de strophes qui correspondent à un genre donné.
Hugo emploiera les rimes plates : AABB.
Les rimes masculines et féminines s’alternent de façon parfaitement régulière : FFMM.
Les rimes sont dans l’ensemble suffisantes.
Le poète emploie un rythme lent dans la première partie de cet extrait dans lequel il évoque sa vie.
Un rythme beaucoup plus rapide à partir du v 9 : ponctuation, conjonctions de coordination, pour donner une impression de profusion dans ses sources d’inspiration.
Quelques enjambements : v 3, v 6, v 10, v 17
Quelques longs rejets jusqu’à l’hémistiche : v 7, v 11 qui insistent sur des idées que le poète juge importantes.
La césure est toujours à l’hémistiche.
LES FIGURES DE STYLE
LES IMAGES
la comparaison
“comme eux”
“comme un écho sonore”
Deux comparaisons qui évoquent, l’une la façon de voir son art, l’autre, sa conception du poète dans le monde.
la métaphore
“mon sein” : mon esprit
ma tête, “fournaise” : profusion des idées
“ouvrant ses ailes”
“l’onde” : le temps
“âme de cristal” : pureté du poète
48
“mon âme aux 1 000 voix” : universalité du poète.
la personnification: elle permet de donner une vie, une vision plus concrète, plus humaine.
“les pensées s’envolent”
“l’amour et la douleur” se cachent
“ma tête jette le vers d’airain”
“la strophe ouvre ses ailes”
la métonymie
“le peuple” : figure qui agrandit le cercle de ceux qu’il veut toucher
“la scène” : les spectateurs
“souffle” “rayon” : l’inspiration
“la tombe” : représente la mort
L’EXAGERATION
l’hyperbole
“mon âme aux mille voix”
“ouvrant ses ailes dans les cieux”
“par le monde”
la redondance
“ironique et railleur”
“bouillonne et fume”
LA REPETITION
l’anaphore
que... que
“qui bouillonne et qui fume”
“si” : répétition en corrélation avec une explication qui viendra plus tard sur les sources d’inspiration du poète.
“amour”
“tout souffle, tout rayon”
“mon âme de cristal, mon âme aux 1000 voix”
évoque la supériorité, l’orgueil démesuré du poète.
49
Cette idée est renforcée par les très nombreuses répétitions :
d’adjectifs possessifs de la première personne : “mon”, “ma”, “mes”
des pronoms personnels : “je”, “me”
la polyptote : répétition d’un mot dans des fonctions grammaticales différentes :
“l’onde qui fuit, par l’onde incessamment suivie”. Figure qui évoque une très belle image du temps qui s’écoule inlassablement.
L’OPPOSITION
l’antithèse
“amour et douleur”
“chansons et lambeaux”
“vers d’airain”
L’antithèse est une figure très employée chez Hugo qui a une vue très manichéenne du monde.
CONSTRUCTION
le chiasme : associe 2 à 2 des termes selon un schéma croisé.
“l’amour, la tombe, et la gloire et la vie”
“tout souffle, tout rayon, faire reluire et vibrer”
LES SONORITES
Comme “l’écho sonore” qu’ Hugo pense être, les sonorités se répètent, se répondent au sein même du poème.
les assonances
è : dans les premiers vers
“mes pensées”, “dispesées”, “cacher”, “ébranle”
Cela donne une impression de fugitif, d’éphémère.
e : prédomine et unifie le poème
“si j’entrechoque aux yeux d’une foule choisie”
“d’autres hommes comme eux”
50
“mon âme aux mille voix, que le Dieu que j’adore”, etc...
ou : amour, douleur, foule, tous, souffle, d’où, fournaise, bouillonne, moule, ouvrant, amour
i ui : dans les derniers vers
“qui fuit”, “suivie”, “propice”, “reluire”, “mille”, “mit”
les allitérations complètent cette impression d’écho.
beaucoup d’occlusives sourdes : P, T, K, B, D, GU donnent une impression de force, de sérénité, de certitude tranquille.
“parfois”, “pensées”, “par”, “lambeaux”, “dispersées”
“me plait de cacher l’amour et la douleur”
“entrechoque”, bouillonne
“que le Dieu que j’adore”, “comme un écho”, etc...
beaucoup de fricatives sourdes : F, S, V, Z, CH, J donnent cette même impression. Le poète n’a pas besoin de s’imposer, il est sûr de lui, aussi peutil employer des consonnes sourdes, plus douces.
“si parfois de mon sein s’envolent mes pensées”
“si ma tête fournaise où mon esprit s’allume”...
“incessamment suivie”
les liquides R, L évoquent une certaine force :
“de cacher l’amour et la douleur”
“dans le coin d’un roman ironique et railleur”
“de mon souffle et parlant au peuple avec une voix”
la paranomase : amplifie l’écho
fois voix
la vie suivie
adore sonore...
51
4.3. « J’ai cueilli cette fleur… »
INTRODUCTION
S’opposant à la politique de LouisNapoléon, Victor Hugo s’exile volontairement sur l’île anglonormande de Jersey en 1852. A Serk, une petite île voisine, il composera en août 1855, ce poème destiné à Juliette Drouet et qui fera partie de la section des contemplations dédiée à ses amours. Dans cette pièce qui débute comme tous les poèmes d’amour, mêlant la nature, la femme aimée, la sérénité, nous allons progressivement assister à une évolution dramatique, à une montée d’angoisse chez le poète ; elle s’accentuera au fur et à mesure que l’obscurité du soir tombera et l’amènera à une méditation sur l’amour, la condition humaine, son paroxysme dans les derniers vers le plongera dans un état de tristesse et de mélancolie extrêmes.
VERSIFICATION
le mètre employé est l’alexandrin.
les vers sont agencés librement dans une longue strophe. Cette forme contribue à donner au poème malgré les coupes, une certaine pesanteur correspondant à l’état d’esprit du poète, à la portée du message qu’il veut faire passer.
Victor Hugo emploie, pour suivre les règles classiques des strophes libres, les rimes plates AABB.
le poète alterne rimes féminines et masculines : FFMM.
les rimes sont dans l’ensemble suffisantes. Le poète jusqu’au vers 12 fait alterner les rimes riches et les rimes suffisantes ; cette partie correspond à l’évocation du paysage.
le rythme est extrêmement varié grâceà une ponctuation très présente, des coupes, une césure qui n’est pas systématiquement à l’hémistiche.
Cela donne des vers très lents comme :
“Dans l’âpre escarpement…
que l’aigle connaît seul et seul peut approcher”
où l’on a l’impression de voir voler cet oiseau.
52
Ou d’autres très rythmés :
“Moi, j’ai dit :”Pauvre fleur, du haut de cette cime…”
quelques enjambements favorisent ce jeu rythmique :
v 67
v 1516
v 1819
v 2425
v 2728
un seul rejet au v 25 :
“Qu’une vague lueur”
Rejet qui insiste sur cette notion d’obscurité totale, une obscurité qui atteindra son âme.
LES FIGURES DE STYLE
LES IMAGES
la métaphore, figure très employée par le poète.
v 7 “un grand arc de Triomphe” : image assez solennelle.
v 9 “un porche de nuées” : un rideau sombre, obscur. L’arrivée de la pénombre.
v 18 “l’abîme” : l’océan
v 27 “le gouffre noir” : représente la tristesse, le désespoir, la solitude.
la métaphore filée :
v 20 “le cœur” : représente l’amour universel, métaphysique. Cette métaphore se poursuivra, s’éclairera au cours des vers suivants.
la personnificationqui rend les images plus vivantes, rend le poème plus visuel, plus humain.
“quelques toits” : qui craignent de luire et de se laisser voir.
“ma bienaimée””toi” : il parle à son amour absent.
53
“Moi, j’ai dit :”Pauvre fleur…” : s’adresse à la fleur, tente de la raisonner, de lui expliquer sa philosophie de l’amour.
“Le ciel, qui te créa”
“des voiles s’enfuyaient”.
la métonymie/synecdoque
“Des voiles” : des bâteaux. “l’algue” : la nature. “le nuage” : le ciel.
“des toits” : représentent la vie à l’intérieur de celleci.
“ce sein” : image de la femme, ici de l’amour.
“ma pensée” : mon âme, mon être.
EXAGERATION
l’hyperbole
“ce sein en qui palpite un monde”
“un cœur, abîme plus profond”
la redondance
“de luire et de se laisser voir”
“t’éffeuiller dans l’onde, te fit pour l’océan”
“J’étais triste au fond de ma pensée…le gouffre noir
m’entrait dans l’âme”.
LA REPETITION
l’anaphore
“J’ai cueilli cette fleur pour toi” qui débute ce poème et se répètera au v 13 est une dédicace qui anime d’emblée le poème.
“et…et” (v 19) : une répétition qui donne une impression de vie, de profusion mais qui établit en même temps les correspondances entre la nature, le ciel et la mer.
“abîme” (v 1820) : une répétition qui élargit la vision étriquée de l’amour et qui l’amène à une dimension universelle, métaphysique.
54
la polyptote
v 3 : “seul” : Hugo insiste sur la force et la majesté de cet oiseau , sur sa supériorité inconditionnelle. Au 2ème degré, le poète à travers cette image s’identifie totalement.
OPPOSITION
Des vers , des expressions qui s’opposent :
“âpre escarpement” : qui évoque un paysage aride, dur où cette fleur étrangement croît paisiblement.
des couleurs qui s’opposent :
“arc de triomphe éclatant et vermeil” et “morne promontoire”
“le soleil et la sombre nuit”.
une idée de la fleur en discordance totale avec son symbole :
“elle est pâle”
“n’a pas de corolle embaumée”
sent l’odeur : “amère des glauques goémons”.
Cette fleur n’inspire absolument pas la sensualité, l’érotisme.
opposition entre la “cime” où elle a vécu, et “l’abîme”, “l’océan”, pour lesquels elle était créée.
Le poète lui recommande plus loin de “mourir”, de “se faner”.Derrière cette image si austère de l’amour, le poète oppose celle de l’Amour abîme universel, débarrassé de tout désir charnel.
LES SONORITES
pour accentuer cette impression de tristesse, d’abattement, le poète emploie de très nombreuses consonnes occlusives sourdes : P, T, K, D, GU, B :
“Dans l’âpre escarpement qui sur le flot s’incline”
“que l’amère senteur des glaucques goëmons”
“tandis que je songeais, et que le gouffre noir”
55
certaines consonnes liquides sonores : L, R accentuent la dureté des sonorités :
“L’ombre du morne promontoire”
“la sombre nuit bâtir un porche de nuées”
“sa racine n’a pris sur la crête des monts”
“une vague lueur lentement effacée”
“l’aigle connaît seul et seul…”
pour les quelques vers plus doux du début du poème, ainsi que pour les vers où le poète s’adresse avec compassion et tendresse à la fleur :
des consonnes fricatives sourdes : F, S, V, Z, CH, J sont employées et adoucissent la tonalité :
“J’ai cueilli cette fleur…”
“elle croissait aux fentes d’un rocher”
“Fanetoi sur ce sein”
“et les voiles s’en vont”
au niveau des voyelles on retrouvera cette même prédominance des tonalités sourdes qui évoquent la tristesse : on an oi ou :
“m’entrait dans l’âme avec tous les frissons du soir”
“quelques toits, s’éclairant au fond d’un entonnoir”
On retrouvera également pour les premiers vers et pour ceux où le poète s’adresse à la fleur :
des voyelles plus légères, plus gaies : a, e, i, é
“J’ai cueilli sur la colline”
“qui sur le flot s’incline”
“Fanetoi sur ce sein en qui palpite un monde.”
quelques paranomases :
“de nuées” “diminuées”
“des monts” “goëmons”
“monde” “onde”
LES CHAMPS LEXICAUX
L’amour : fleur paisible
56
flancs vermeil effeuiller (double sens)
ma bienaimée
corolle embaumée
senteur
cœur sein palpite
fane
amour
Lumière : l’ombre – morne
Couleurs : éclatant et vermeil
soleil englouti
sombre nuit
nuées
s’éclairant luire voir
pâle
glauques
jour lueur effacée
gouffre noir
Tristesse : âpre
Angoisse : morne sombre
craindre
amère
goëmons
pauvre fleur
abîme
mourir
fanetoi
triste
gouffre noir
frissons du soir
57
LES THEMES
Les correspondances
Elles s’établissent entre le paysage et la femme aimée, entre la tristesse et la désolation de ce paysage, : (morne promontoire, la fleur aux senteurs des glauques goëmons), entre la vie déclinant en cette fin de journée, le gouffre noir de l’obscurité et son état psychologique.
Elles s’établissent également entre les différents éléments : air, terre, eau, feu ; de même entre Dieu, les cieux et luimême, retrouvant pour quelques accents, son rôle de mâge dans le monde.
L’Amour
Il est évidemment évoqué dans la relation : “j’ai…toi”, et l’atmosphère paisible du début.
Puis tout s’obscurcit : le paysage devient sinistre, le soleil se couche et laisse monter l’angoisse, la fleur chargée de symboles amoureux se métamorphose en un élément rebutant, laid, malodorant.
Le poète élève alors le débat pour amener le lecteur à aller au delà des apparences, au delà du désir physique, pour s’attacher à une réflexion plus philosophique sur l’amour.
L’angoisse
Thème de l’angoisse qui monte au fur et à mesure que le jour décroît. Sa vision devient alors de plus en plus noire ; même s’il s’est assimilé à l’aigle orgueilleux, solitaire, puissant face à l’immensité de l’univers, même s’il a pu établir une étroite correspondance entre lui et les cieux, il se trouve en cette fin de poème comme assommé, déprimé au point où “le gouffre noir” pénètre son âme…
5. Gérard de Nerval (18081855)
5. « Vers dorés »
INTRODUCTION
En 1855, Nerval publie en même temps que les “Filles du feu” un recueil de sonnets regroupés sous le titre “chimères”. Nerval, de son voyage en Orient, a rapporté un goût pour l’ésotérisme, les sciences occultes. Dans ces sonnets, il évoquera ses expériences vécues en les mélant à des allusions, des symboles obscurs tirés de ces religions en marge des autres. Dans « Vers dorés », la nature n’est pas l’amie inconsidérée de l’homme, le lyrisme, les épanchements, les sentiments élégiaques sont totalement absents ; mais au contraire tout n’est que symboles, correspondances : on
58
reconnaît en Nerval, le précurseur des symbolistes et de Baudelaire.
VERSIFICATION
Sonnet
le mètre employé est l’Alexandrin
les vers sont agencés selon un schéma imposé et se composent de :
. 2 quatrains : 4 vers
. 2 tercets : 3 vers
les rimes s’organisent selon le schéma suivant : abba abba cdc dee
Les rimes sont embrassées pour les 2 quatrains.
pour les 2 quatrains, on trouve la même alternance de rimes Féminines F, et de rimes Masculines M :
a M
b F
b F
a M
pour les 2 tercets
c F
d M
c F
d M
e F
e F
toutes les rimes des quatrains sont suffisante.
Pour le premier tercet, alternance de rimes riches et suffisantes.
pour le deuxième tercet : toutes les rimes sont riches.
Le rythme de ce poème est assez régulier. Une césure à l’hémistiche. Des coupes plus fortes à l’intérieur de certains vers qui donnent une impression de solennité, de fermeté : “Homme ! Libre penseur !”
Un enjambement : v1 qui insiste sur la suffisance de l’homme.
59
LES FIGURES DE STYLE
LES IMAGES
la comparaison.
“comme un œil naissant” s’oppose à “caché”, à “obscur”, à “couvert par ses paupières”. L’œil est lié à la fois au physique mais aussi au spirituel ; au figuré l’œil peut être la conscience, Dieu. Ici l’esprit est comparé à un œil.
la personnification
“la bête”, “la fleur”, “le métal”, “le mur aveugle”, “un pur esprit”. Toutes ces personnifications confortent évidemment le fait que tout est vivant, que “tout est sensible”.
l’apostrophe
“Homme !”Le poète s’adresse directement de façon solennelle et impérative à l’homme. Il ne se sent pas concerné par le débat, ayant résolu ce problème.
“respecte” “crains” : deux impératifs qui ont la même valeur que l’apostrophe du premier vers. Il met en garde l’homme de ce qu’il pourrait lui advenir s’il outrepasse ses droits vis à vis de l’univers.
LES REPETITIONS
l’anaphore : “penseur” “pensant” “tout” (v 8) répétition qui insiste sur le fait que la Nature peut se retourner contre l’homme.
“toute” “tous” (v 2 et 4) : opposition entre l’attitude de l’homme et la nécessité d’une concertation avec la nature.
L’OPPOSITION
antithèse
“mur aveugle” “regard”
“œil naissant”
“écorce des pierres”
des oppositions à l’intérieur des vers. Très souvent les deux hémistiches sont antithètiques :
v1 Libre penseur seul pensant
60
v5 la bête esprit agissant
v7 le métal amour
v9 mur aveugle regard qui t’épie
v12 dans l’être obscur un Dieu caché
v14 un pur esprit écorce des pierres
LES SONORITES
les allitérations : une majorité de consonnes dures est employée dans ce sonnet qui veut réveiller l’homme, l’avertir.
T “que tu tiens ta liberté”
mais aussi B, P, K, GU
“Mais de tous tes conseils l’univers est absent”
“crains un regard qui t’épie”
“couvert par ses paupières”
“un pur esprit s’accroit sous l’écorce des pierres”.
des fricatives sourdes : F V SS CH qui adoucissent certains vers.
“où la vie éclate en toute chose”
“un esprit agissant” “sous l’écorce”.
des assonances
an “penseur” “pensant” “absent” “agissant” “puissant” “naissant” “souvent”.
urorerecares : elles ont une tonalité forte
“force” “l’univers” “respecte” “mystère” “regard” “servir” “écorce”
aeéi : quelques voyelles plus douces qui s’associent à des consonnes également douces. Elles évoquent la nature.
“chaque fleur est une âme à la nature éclose”
“respecte dans la bête un esprit agissant”.
6. Charles BAUDELAIRE (18211867)
6.1. « Spleen »
VERSIFICATION
Les vers sont extrêmement classiques et très travaillés. Toute l’originalité de Baudelaire se trouvera dans la puissance
61
évocatrice des mots, des associations, des correspondances et des sonorités.
1° Le mètre employé est : l’alexandrin (12 syllabes)
2° Les vers sont agencés librement : les strophes irrégulières ne correspondent à aucun genre donné. Elles contribuent à donner dans la forme même, une première impression de pesanteur.
3° Comme il est de coutume pour ces strophes libres, Baudelaire emploie les rimes plates: aabb.
4° L’alternance des rimes masculines et féminines est parfaitement respectée : MMFF.
5° Comme dans l’ensemble de sa poésie, Baudelaire utilise soit des rimes riches : romances quittances soit des rimes suffisantes : commune une.. Ceci contribue à accentuer l’unité thématique.
6° Un seul rejet au v 17 “L’Ennui”, qui met en lumière tout le thème du poème.
LES FIGURES DE STYLE
Baudelaire, dans ce poème, multiplie les figures de style, notamment toutes les images.
A. LES IMAGES
1° La comparaison :
“comme des remords”.
C’est une comparaison établie avec les vers grouillant sur des cadavres, image extrêmement visuelle et évocatrice.
2° Les métaphores
Elles sont nombreuses dans ce poème, et d’une grande violence.Baudelaire se compare à
“un gros meuble encombré de bilans…”
“un cimetière abhorré de la lune”
“un vieux boudoir”
“un vieux sphinx”…
Son cerveau est
“une pyramide”
“un immense caveau”.
3° La synesthésie
Figure propre à Baudelaire et qui utilise tout le jeu des correspondances.
correspondance entre le matériel et l’état d’âme du poète
62
“le meuble à tiroir” et “son triste cerveau”.
correspondances entre les sons, les odeurs, les couleurs :
“les pastels plaintifs seuls, respirent l’odeur d’un flacon débouché”.
“ne chante qu’aux rayons du soleil qui se couche”.
4° L’apostrophe
“ô matière vivante”.
Le poète s’exprime de façon solennelle et pompeuse à quelqu’un qui ne compte déjà plus…
B. L’EXAGERATION
1° L’hyperbole
C’est une figure très employée dans ce poème et qui contribue à donner l’impression de désordre qui règne dans le cerveau du poète.
“si j’avais mille ans”
“un meuble encombré…”
“plus de morts que la fosse commune”
“une pyramide”
“l’ennui qui prend la forme de l’immortalité”
“moins…que”
“plus…que”.
2° La redondance
“une pyramide, un immense caveau, un cimetière”.
C. LA RÉPÉTITION
1° L’anaphore
“de bilans, de vers, de billets doux”
cette répétition évoque le lourd passé du poète.
“où”
cette répétition reprend la même idée évoquée par celle du “de” des vers 3 et 4.
D. L’OPPOSITION
l’oxymore (associe deux termes, à priori contradictoires).
“matière vivante”
“lourds flocons”
“boîteuses journées”
“Sahara brumeux”.
63
LES SONORITES
Le jeu des sonorités est aussi évocateur que les images, et alourdit considérablement le climat qui a la tonalité d’une marche funèbre.
A. LES ALLITÉRATIONS
1° Les consonnes occlusives dures D, B, P, T, K, GU sont les plus nombreuses et évoquent la violence interne de Baudelaire, son abattement extrême qui lui font songer à la mort.
d : “de vers, de billets doux, de procés, de romances”
“roulés dans des quittances”
“l’odeur d’un flacon débouché”…
P : “où les pastels plaintifs et les pâles Boucher, seul respirent…”
“une pyramide”
“les proportions”
t : “ô matière vivante !”
“qu’un granit entouré d’une vague épouvante”
k : son extrêmement présent.
“cache moins de secrets que…”
“un caveau qui contient plus de morts que la fosse commune” etc.
b : “un gros meuble encombré de bilans, de billets doux…”
“un boudoir”
“les boîteuses journées”
gu : “rien n’égale en longueur”
2° Quelques fricatives plus douces sont employées pour évoquer l’amour, moins pessimistes : F, CH, V, S
“avec de lourds cheveux”
“de vers” (v 3)
“mes morts les plus chers”
“un flacon débouché”
“le soleil qui se couche”
3° La consonne r qui évoque aussi une certaine dureté et qui est très présente dans tout le poème.
“un gros meuble à tiroirs encombré de bilans, de vers”
“un cimetière abhorré”
“où comme des remords, se traînent de longs vers”
64
“qui s’acharnent toujours sur mes morts les plus chers…”
“l’humeur farouche…”
4° Les assonances
an : qui évoque les ennuis, les gémissements.
“les bilans”, “les romances”, “les quittances”, “un immense”, “l’ennui”, “prend”,
Les voyelles “o, a, eu, oi, e, ou, i” associées au “r” qui donnent une impression de dureté, de désespoir extrême.
“les tiroirs”, “les morts”, “cimetière abhorré”, “les remords”, “de vers”
“qui s’acharnent toujours sur mes morts les plus chers”.
“les lourds flocons”
“morne”, “proportions de l’immortalité”, “désormais”, ‘ignoré”, “les souvenirs”...
5° La paranomase
Cette figure accentue l’unité thématique du poème.
“mille ans” “bilans”
“cerveau” “caveau”
“farouche” “se couche” etc.
LES CHAMPS LEXICAUX
1° La vue : yeux fermés soir je vois se déroule feux soleils fruits corps mince œil
2° Les couleurs verts tamariniers port voiles mâts heureux
3° L’odorat : respire parfum odeur verts tamariniers sein m’enfle la narine fruits
4° Le goût : fruits savoureux
5° L’ouïe : le chant des mariniers
6° L’amour : sein chaleureux corps mince paresseux oeil voiles mât
7° La mer : rivages île port voiles mâts vague marine m’enfle mariniers
Mais très souvent, les mots sont ambigüs, ont un double sens et peuvent passer d’un champ à un autre selon l’interprétation que l’on veut leur donner. Ils s’associent, se mêlent, se répondent. Ainsi, les yeux fermés, la chaleur d’un soir, l’odeur d’un sein engendrent des visions, des rêveries, une sensualité qui s’achèveront sur la fusion totale avec l’âme du poète.
65
LES THEMES
Thème du spleen
Baudelaire ressent un immense découragement face au bilan de sa vie, un dégoût de tout. Causes matérielles : ennuis financiers, maladies, échecs sentimentaux. Causes métaphysiques : échec devant l’Idéal (terme chez Baudelaire qui englobe tout ce qui est divin, parfait, pur, au delà des contingences matérielles). C’est un état différent du “mal du siècle”, des romantiques, qui entraînait : soupirs, pleurs, méditations solitaires devant la Nature. Chez Baudelaire, le spleen entraîne un état névrotique, une angoisse morbide.
Thème du temps
La hantise du temps qui s’écoule est loin. Hantise liée à l’amour, mais aussi, à la peur de vieillir. Dans ce poème, le temps, au contraire, n’en finit pas de s’écouler quand l’ennui de tout s’est installé. “L’ennui prend les proportions de l’immortalité”.
Thème du poète maudit
“entouré d’une vague épouvante”, le poète n’est pas reconnu et il est relégué aux oubliettes. Sa poésie sulfureuse effraie les valeurs bourgeoises.
6.2. « L’invitation au voyage »
INTRODUCTION
Extrait de Spleen et idéal, “l’invitation au voyage” est un poème inspiré par Marie Daubrun, jeune comédienne aux yeux verts, maîtresse de Théodore de Banville. Au cours de celuici, il convie cette femme divinisée à l’accompagner dans un lieu idéal où ils pourraient vivre ensemble ; un lieu qui assurerait une symbiose totale entre le poète, la femme aimée et le paysage, un équilibre parfait entre l’ordre, la beauté, le luxe et la volupté.
Le poème est avant tout extrêmement mélodieux, rythmé, mais n’exclut pas une trame à la progression logique : il se compose en effet de trois longues strophes, séparées par un refrain, qui correspondent chacun à un thème bien déterminé : la ressemblance entre la femme aimée et le paysage, la description dans ce lieu, de leur chambre, mélange à la fois d’ordre et de chaude sensualité puis enfin la description d’un port au soleil couchant symbolisant l’apaisement de tous les désirs.
66
Ce poème sera repris dans les poèmes en prose du Spleen de Paris et explicitera certains points permettant d’affirmer que ce lieu qu’il ne nommera jamais est la Hollande.
VERSIFICATION
alternance de 2 mètres impairs : 2 pentasyllabes (5 syllabes) alternent avec un heptasyllabe (7 syllabes).
le poème est composé de 3 longues strophes de 12 vers de longueur différente séparées les unes des autres par un refrain de 2 vers (distique) de 7 syllabes.
les rimes sortent des 3 schémas classiques :
. aabb (plates)
. abab (croisées)
. abba (embrassées)
et s’agencent selon le schéma suivant : aabccb pour chaque sizain (6 vers) des 3 strophes.
Pour les 6 sizains, la rime b est mise en valeur par la longueur du vers : (heptasyllabe) et correspond toujours à une rime féminine (e muet). Ce qui a pour effet de donner non seulement un rythme mais aussi une douceur, une harmonie.
Les rimes sont toutes suffisantes ou riches. L’heptasyllabe est toujours riche, ce qui prouve encore tout le soin et l’importance que Baudelaire a voulu donner à ces vers.
le rythme extrêmement mélodieux, langoureux est donc donné par cette alternance de vers impairs : 5.5.7 5.5.7… rythme qui incite à la rêverie, à la douceur de vivre, qui s’apparentent non à la passion dévastatrice mais au paradis des amours enfantines, à l’Idéal.
Comme pour les poèmes de Verlaine, les vers courts renforcent la mélodie par le retour de sonorités identiques.
2 diérèses : “mystérieux / viennent” accentuent encore le charme, l’attrait poétique.
de nombreux enjambements, certains sur plusieurs vers. Par exemple, première strophe sur 5 vers (de v 7 à v 12), souvent sur
67
trois vers, mais grâce à la longueur de ceuxci, à l’alternance, on ne ressent aucun sentiment de pesanteur mais toujours ce même sentiment de légèreté.
Dans le premier sizain, une construction qui d’emblée plonge le lecteur dans la rêverie, la berceuse : le vers 1 s’achève par une virgule, pour les vers 2 et 3 on trouve un enjambement qui s’achève par un point d’exclamation. La construction est exactement similaire pour les trois vers suivants.
pas de rejet : refus du poète d’imposer à l’œil ou à l’oreille un arrêt sur un mot plus souligné.
LES FIGURES DE STYLE
Les figures de style, contrairement à certains poèmes comme “spleen” sont un peu mises de côté au profit du rythme, des sonorités, des sensations visuelles et olfactives, de la mélodie.
Il n’y a pas de métaphores, de comparaisons qui solliciteraient davantage l’attention et casseraient la langueur.
Baudelaire utilise en revanche, mais de façon moins appuyée :
la synesthésie :
Correspondance entre les différentes perceptions première strophe, entre le paysage et la femme aimée
deuxième strophe, entre l’intérieur calme et sensuel et l’âme du poète. Tout se prête à la volupté : profusion d’odeurs, jeux de miroirs, fleurs rares.
troisième strophe, correspondance entre les canaux et la tranquillité de la femme, les vaisseaux chargés de richesse et les pensées du poète.
la personnification :
lorsqu’il parle “des vaisseaux à l’humeur vagabonde”, aux ordres de la femme aimée.
quelques anaphores :
“aimer” employé à l’infinitif situe l’amour hors du temps, de l’espace.
“ces” : “ces canaux” “ces espaces”.
68
La répétition du refrain extrêmement mélodieux résume tout l’Idéal Baudelairien.
des antithèses :
“mon enfant, ma sœur” ;
“des soleils mouillés” en correspondance avec les larmes n’impliquent pas la notion de désespoir mais de douceur.
“s’endort”, “chaude lumière” : ce n’est plus ici le spleen, la terreur des lumières blafardes, des cauchemars. La nuit s’annonce paisible, sereine, peuplée de doux rêves.
l’apostrophe
en début de poème, Baudelaire adresse directement à la femme aimée son invitation au voyage
“mon enfant, ma sœur, songe …”.
LES SONORITES
la rêverie, la sensibilité, l’harmonie sont rendues également par le jeu des sonorités particulièrement travaillé dans ce poème, ainsi dans la première strophe l’on trouve :
Beaucoup d’allitérations
en “s” : songe semble ces cielssœurdouceur…
en “l” : ressembleles soleils mouillés.
en “r” : sœur douceur, en “m” : mon ma aimer mourir.
Des assonances :
“é” : aller aimer cesbrouillés…
“a” : maàlàbas…
“i” : vivreloisirmourirmystérieux…
“on” : monsongeont
“en” : ensembleressemblebrillant. Ce jeu donne à la strophe une impression de légèreté, de gaité, d’ivresse légère.
prédominance des allitérations avec des consonnes liquides en “l”
Dans la deuxième strophe où la sensualité de Baudelaire s’exprime de façon plus précise :
“meubles luisants…” et des consonnes vibrantes en “r” “décoreraient notre chambre”
69
prédominance des assonances en :
“an” : “luisants ambre ans chambre mêlant senteurs…”
c’est une sonorité qui créé une atmosphère plus capiteuse, plus chargée de souvenirs, d’odeurs, d’érotisme, une invitation plus précise à la sensualité mais assagie par l’image “des meubles luisants polis par les ans” qui évoque ainsi une sorte d’ordre, de quotidien presque bourgeois relevé néanmoins par l’inévitable piment érotique.
“é” : “mèlantparleraitsecret”
“o” : “polisdécoreraientnotre”
“eur” : “fleursodeurssenteurssplendeurs”.
deux paranomases
luisant les ans
plafonds profonds
la troisième strophe est riche en allitérations
en “s” : vaisseaux assouvir soleils hyacinthes”
en “ch” : “couchant champs chaude
en “v” : “vaisseaux vagabonde assouvir.
Dans ces derniers vers, il n’y a pas d’occlusive (consonnances dures) à l’exeption de couchant, ce qui contribue à amplifier la notion de douceur.
les assonnances
en éoonorouoii sont comme les allitérations des sonorités apaisantes qui illustrent magiquement le repos après l’amour, l’harmonie.
LES CHAMPS LEXICAUX
Ils reflètent toute la richesse et la profusion des sensations.
l’amour :
la volupté, la sensualité, l’harmonie dans “douceur”, “vivre ensemble”, “aimer à loisir”, “aimer et mourir”, “traîtres yeux”, “larmes”, “chambre”, “riches plafonds”, “miroirs profonds”, “splendeur orientales”, “assouvir”, “ton moindre désir”, “luxe, calme, volupté”.
70
la lumière :
Une lumière douce, chaleureuse, apaisante qui s’oppose aux lumières blafardes et morbides de certains poèmes dans lesquels Baudelaire est envahi par le spleen : “soleils mouillés”, “ciels brouillés”, “yeux”, “brillants”, “luisants”, “miroirs”, “vois”, “soleils couchants”, “d’hyacinthe et d’or”, “chaude lumière”, “rares fleurs” (pour les couleurs).
Les odeurs :
C’est un registre très important chez Baudelaire oû les parfums jouent un rôle considérable “fleurs”, “mêlant leurs odeurs”, “senteurs”, “ambre”.
LES THEMES
Le voyage
C’est tout enfant que Baudelaire a contracté ce goût pour les voyages, lorsqu’amoureux des cartes “il rêvait longuement aux pays vastes et inconnus, aux mers”. Ce goût est paradoxal puisque Baudelaire n’a fait qu’un voyage dans sa vie, voyage qui le mena vers l’île Maurice et la Réunion et lui donna pour toujours l’attrait de l’exotisme. Le voyage et l’amour font partie des moyens pour échapper au spleen. Comme le rêve, le voyage est une expérience qui permet un dépaysement, un ailleurs.
Dans les Fleurs du mal, plusieurs seront évoqués. Tous seront des expériences imaginaires ; ceux inspirés par Jeanne Duval seront toujours d’une grande sensualité et liés aux paysages tropicaux et lointains.
Dans ce poème, plus que la volupté et l’ivresse de ces paradis tropicaux, Baudelaire imagine pour la femme aimée des paysages qui possèdent davantage la douceur, la légèreté des lieux liés à l’enfance ; sans être jamais nommé, ce lieu qu’il appellera (dans le poème en prose écrit sur le thème) “l’Orient de l’occident” sera la Hollande. Voyager ensemble et vivre heureux grâce à une véritable fête des sens, une harmonie totale entre le paysage, sa maîtresse et luimême, voilà ce que propose Baudelaire.
Le temps
Contrairement au temps qui s’écoule lentement, synonyme d’Ennui, de mort, que l’on pouvait trouver dans le poème “spleen”, au temps qui nous rapproche inexorablement de la mort comme “l’ennemi” ou “l’horloge”, le temps évoqué ici est d’une toute autre nature. Ce voyage abolit le temps, responsable de l’usure, il permet la fuite du quotidien, l’oubli des préoccupations. Il est alors synonyme d’amour, de liberté dans un pays où l’on peut s’aimer à satiété, où ce temps s’écoule de façon harmonieuse, comme suspendu…
71
L’exotisme
Même si la première strophe évoque davantage le paradis des amours enfantines où la femme doit être protégée “mon enfant”, et ne représente aucun danger pour le poète dont elle est “la sœur d’élection”, Baudelaire ne peut pas ne pas céder dans les strophes suivantes à certaines évocations plus sensuelles, plus exotiques : les parfums, “la Chine de l’Europe”, les “vaisseaux” qui reviennent de l’orient chargés de leurs denrées.
L’Idéal
L’Idéal Baudelairien permet d’échapper au spleen. Le poète évoque un amour idéal, harmonieux, spiritualisé dans un endroit mythique, loin de l’horreur du quotidien, loin de sa vie tumultueuse et sordide. (le “là” du refrain, accentué, s’oppose à tout ce présent). Un endroit où “tout n’est qu’ordre et beauté”. Mais cet idéal ne peut s’arrêter à cette seule rigueur ; il lui faut également, la possibilité de laisser jouer ses sensations et ce lieu doit être également empreint de sensualité, de richesse et de calme.
Le refrain reprend exactement les thèmes de cet Idéal qui seront développés au cours des trois tableaux qui composent ce poème.
6.3. « Parfum exotique »
INTRODUCTION
Dans la lutte contre le spleen, l’amour a tenu chez Baudelaire une place importante. Amour spiritualisé pour Madame Sabatier et Marie Daubrun; amour sensuel auprès de Jeanne Duval, sa “vénus noire”, que Baudelaire connut dans ses années de bohème à son retour de l’Ile Maurice et qu’il aima jusqu’à la mort, en dépit des violences, des infidélités, de l’instabilité que lui apportait cette liaison.
Ce sonnet, de structure très classique, fera partie dans la section “spleen et idéal”, des poèmes inspirés par cette femme.
A travers les correspondances que le poète établira entre la beauté, l’exotisme, la luxuriance d’une île paradisiaque et Marie Daubrun, on retrouvera dans ce sonnet extrêmement évocateur, chargé de sensualité et d’érotisme, toute la magie baudelairienne.
VERSIFICATION
Sonnet qui respecte parfaitement les exigences de ce type de poème.
72
Le mètre employé est l’alexandrin
Les vers sont agencés selon un schéma imposé pour le sonnet et se composent de 2 quatrains et de 2 tercets
De même, Baudelaire emploie des rimes qui répondent à un des deux schémas classiques : abba abba ccd ede
Pour les 2 quatrains, on trouve une alternance de rimes Féminines et de rimes Masculines
FMMF
Pour le 1er tercet : MMF
Pour le 2ème tercet : MFM
Toutes les rimes sont riches : “automne” “monotone”
Un rythme assez lent pour ce sonnet qui évoque la langueur, la paresse, la sensualité. Il n’y a pas de ponctuation à l’intérieur des vers. Une césure à l’hémistiche.
Quelques enjambements qui accentuent encore cette impression de nonchalance heureuse :
v 34
v 56
v 1011 : donne un rythme et une connotation très sensuelle.
Il n’y a aucun rejet qui casserait ce rythme, cette rêverie.
LES FIGURES DE STYLE
Pas de comparaison dans ce sonnet où l’on se laisse aller essentiellement au gré des sensations évoquées par le poète. On trouve néanmoins quelques figures :
la synecdoque
Pour la synecdoque, la partie dans le texte exprime le tout
“les voiles” et “les mâts” évoquent l’ensemble des bâteaux
73
des anaphores :
Répétition de “Je vois” : Baudelaire insiste sur la correspondance entre l’odeur de sa maîtresse et l’évasion vers cette île.
Répétition de “des” : cela rend sa vision plus matérialisée.
l’oxymore :
“soleil monotone” : en général le soleil est rarement lié à la monotonie.
la synesthésie :
Cette vision particulière de Baudelaire qui établit des correspondances entre les différentes perceptions du monde, entre le matériel et le spirituel, est particulièrement représentée dans ce poème.
Correspondance entre cette femme au corps d’ébène et l’évasion vers cette île protégée de la civilisation.
Correspondances entre les parfums, les couleurs, les sons qui se répondent et l’âme du poète : “odeurs climats”.
Correspondance entre le matériel et le spirituel par l’intermédiaire du poète. “Le parfum se mêle dans mon âme au chant des mariniers”.
LES SONORITES
Si en dehors des analogies, les figures de style sont peu représentées, le jeu des sonorités en revanche renforce la rêverie et la fusion entre tous les éléments.
Les assonances :
e : sonorité extrêmement douce liée à la femme, à la chaleur, à la sensualité, à l’érotisme.
“une île paresseuse où la nature donne” “franchise” “étonne” “voiles” “vague marine” “des rivages heureux” etc.
i : évoque la légèreté : “respire” “rivages” “éblouissent” “île” “vigoureux”
“qui circule dans l’air et m’enfle la narine”
74
a : la langueur : “rivages” “paresseux” “nature” “charmants climats”
“fatigués par la vague marine” etc.
les allitérations :
ss : son qui invite à la paresse, à la langueur :
“respire” “sein” “éblouissent” “paresseux” “singuliers” “savoureux” “mince” “circule”
ch : “chaud” “chaleureux” “franchise” “charmants” “chants”
fu : consonnes fricatives qui donnent toujours cette impression de douceur, de volupté :
“fermés” “feux” “savoureux” “vigoureux” “femmes”
“voiles””vagues” “parfum” “verts”
lr : consonnes liquides expriment la sensualité, l’érotisme :
“fermé” “soir” “respire” “odeur” “chaleureux” “soleil”
“rempli de voiles” etc.
mn : consonnes nasales :
“automne” “monotone” “calme” “hommes” “charmants” “marine”
“tamariniers” etc.
b,p,k,t,d : quelques consonnes occlusives plus dures à l’oreille sont employées dans certains vers et évoquent :
la force : corps
la violence des sensations :
“pendant que le parfum des verts tamariniers qui circule dans l’air”...
l’effort : “le port” etc.
Pour enrichir tout ce jeu extrêmement évocateur des sonorités, accentuer la fusion de tous les éléments, Baudelaire emploie également :
75
la paranomase
marine narine
tamariniers mariniers
automne monotone, etc.
LES CHAMPS LEXICAUX
La vue : yeux fermés soir je vois se déroule feux soleils fruits corps mince œil
Les couleurs verts tamariniers port voiles mâts heureux
L’odorat : respire parfum odeur verts tamariniers sein m’enfle la narine fruits
Le goût : fruits savoureux
L’ouïe : le chant des mariniers
L’amour : sein chaleureux corps mince paresseux oeil voiles mât
La mer : rivages île port voiles mâts vague marine m’enfle mariniers
Mais très souvent, les mots sont ambigüs, ont un double sens et peuvent passer d’un champ à un autre selon l’interprétation que l’on veut leur donner. Ils s’associent, se mêlent, se répondent. Ainsi, les yeux fermés, la chaleur d’un soir, l’odeur d’un sein engendrent des visions, des rêveries, une sensualité qui s’achèveront sur la fusion totale avec l’âme du poète.
LES THEMES
L’exotisme l’amour le rêve
L’évasion se fait grâce à l’amour, à une sensation fugace qui l’entraîne vers un paradis où la nature vierge ne serait pas encore corrompue par la civilisation, où, comme dans le paradis originel, la nature est belle et généreuse, où la femme n’a pas encore trahi l’homme.
76
Une nature riche de parfums, de sensations où tout semble en accord et se répond dans une fusion parfaite. Pour que cette magie puisse avoir lieu, il est indispensable que l’âme du poète soit réceptive et puisse être le trait d’union entre le matériel et le spirituel...
6.4. « L’horloge »
INTRODUCTION
Dernier poème de la partie “Spleen et Idéal” consacré au temps ; un thème qui avait déjà été abordé à plusieurs reprises mais rarement avec autant de pessimisme que celuici écrit en 1860. “L’Idéal” est définitivement vaincu par le “spleen” et Baudelaire n’a plus d’autre recours que la mort et songe au suicide.
Dans “l’horloge”, poème philosophique, le poète rappelle à l’homme de façon solennelle et impitoyable que chaque seconde égrénée par le balancier de l’horloge le rapproche inéluctablement de la mort. On est loin du “carpe diem” ou du temps suspendu de “l’invitation au voyage””. Le temps, présenté comme un insecte insatiable, est l’ennemi de l’homme.
VERSIFICATION
le mètre employé est l’alexandrin.
poème composé de 6 strophes de 4 vers.
les rimes sont embrassées : abba abba
dans ce poème Baudelaire a joué un peu sur l’emploi des rimes masculines et des rimes féminines.
Alternance une strophe sur deux des schémas suivants : FMMF MFFM FMMF etc.
Les 2 rimes masculines dans le schéma FMMF sont toujours en “oi”, ce qui augmente l’effet incantatoire du poème.
cet effet incantatoire est prolongé également par le fait que les rimes F sont toujours riches et les rimes M toujours suffisantes.
exemple de la première strophe:
impassible : FR
toi : MS
effroi : MS
cible : FR
77
Baudelaire emploie pour ce poème un rythme soutenu, la césure est en général à l’hémistiche.
Mais beaucoup de ponctuation : points d’exclamation, virgules, guillemets.
Un rythme qui donne au sérieux de ce poème philosophique une vie, un aspect plus abordable que viendra renforcer encore une profusion d’images concrètes.
quelques enjambements : v 34
v 56 etc.
quelques rejets : v 10 “chuchote”
v 11 “d’insecte”
v 18 “qui gagne sans tricher” : long rejet qui accentue la longueur du vers, imite le temps qui s’écoule inexorablement.
FIGURES DE STYLE
Poème au ton très solennel.
la comparaison : “ainsi qu’une sylphide”.
la métaphore : “un morceau du délice” : l’amour.
la personnification : figure très employée qui permet à Baudelaire de donner vie à des abstractions en donnant au lecteur une possibilité même de les visualiser.
“l’horloge…nous dit”
“le plaisir vaporeux fuira…ainsi qu’une sylphide.”
“la seconde chuchote …”
“Maintenant dit…”
“le Temps est un joueur avide”
“le gouffre a toujours soif…”
78
“l’auguste vertu, ton épouse…”
“le Repentir…”
la redondance : redoublement excessif qui accentue la notion de frayeur dans :
“dieu sinistre, effrayant, impassible.”
l’anaphore : “souvienstoi””chaque””où”
Des images qui s’opposent :
“le jour décroit” “la nuit augmente”
“le gouffre a soif” “la depsydre se vide”
“Maintenant dit” “je suis autrefois”
la prosopopée : fait parler ou agir une notion abstraite ou une personne morte. Ici l’horloge personnifiée s’adressera durant tout le poème à l’homme.
LES SONORITES
Le jeu des sonorités est moins varié que dans certains poèmes. Le lecteur ne peut ainsi s’évader, échapper à la leçon philosophique que veut lui donner le poète.
les allitérations : essentiellement une répétition de consonnes dures qui montrent la gravité du sujet.
d : “dont le doigt … nous dit”
“douleurs” etc.
gu : “prodigue” “gosier” “gangues” “augmente” “gouffre”
d’autres consonnes occlusives comme ptk
“j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde”.
une exception pour les vers 5 et 6, où la notion de plaisir est évoquée, et où les sonorités sont plus douces :
79
le son “f” “fuira” “fond”
s v “sylphide” “ainsi” “coulisse”
les assonances : répétition lancinante du son “oi”. Le son “oi” du “souvienstoi” qui presse l’homme de se souvenir et qui revient constamment.
doigt voix effroi autrefois loi décroit soif
sonorité que l’on retrouve encore plus fréquemment dans l’avant dernière strophe, où l’homme a perdu la partie contre le temps et va vers la mort.
le son “an” rend l’atmosphère plus pesante, plus dramatique :
effrayant vibrantes planteront instant
maintenant argument gangue etc.
“ou” : nous souvienstoi douleurs toute tout coup
sans oublier la répétition du “ou” à chaque vers de la dernière strophe qui amènera l’ultime sentence : la mort.
On retrouve pour les vers 5 et 6 la même exception que pour les consonnes, un instant de douceur, de répit avec l’emploi de voyelles qui évoquent la légèreté, le plaisir, le côté éphémère de l’amour, sa brièveté par rapport à la vie de l’homme.
i : plaisir fuir l’horizon ainsi sylphide coulisse
la paranomase
pompé trompé
LES CHAMPS LEXICAUX
le temps, registre principal :
. des noms :
horloge
instant
saison
heure
80
seconde
minute
vie
gosier de métal
mortel
temps
jour
nuit
clepsydre
gouffre
. des verbes : répétition lancinante de “souvienstoi”.
fuira
dévore
décroit
augmente
sonnera
. des adverbes : bientôt
maintenant
autrefois
toujours
tantôt
trop tard
. des adjectifs : vaporeux
rapide
prodigue
folâtre
dernière
une telle profusion de mots liés au temps renforce l’ambiance obsessionnelle du poème.
81
L’amour
Quelques rappels mais liés à la fugacité de l’amour, à sa brièveté par rapport au néant et à l’infini de la mort. Registre très estompé, sans rappel de la sensualité baudelairienne :
plaisir vaporeux fuira
sylphide
morceau de délice
auguste vertu
épouse vierge.
LES THEMES
Le temps est le thème principal de ce poème philosophique que Baudelaire a voulu traîter de façon concrète en employant un rythme, des images, une personnalisation.
Un temps matérialisé, présenté comme une “horloge”, “un dieu sinistre, effrayant”, un “insecte” vampire insatiable, une “clepsydre”, un “joueur” contre lequel l’homme ne peut que perdre, ne peut lutter. Un temps qui inexorablement nous entraîne vers la mort ; aussi Baudelaire nous incitetil à profiter de l’instant, du plaisir limité, à en extraire la moindre poussière d’or, image du bonheur. Un temps qui passe tellement vite qu’il est déjà Passé avant d’avoir été Présent. “Maintenant dit : “je suis Autrefois”.Un temps qui très vite, nous amène à la fin de notre vie, à l’époque des regrets et des remords.
L’amour est évoqué de façon fugitive, vague, sans que l’on y remarque la moindre sensualité baudelairienne : ici pas d’odeur, pas de couleur, pas d’exotisme, pas de sensualité érotique.
Non, l’amour est évoqué par l’image de la sylphide, dieu aérien, lié à la grâce mais aussi à l’éphémère, à la légèreté.
La mort est sousentendue durant tout le poème. C’est une menace permanente qui plane sur la tête de l’homme. Elle est annoncée de façon assez suggestive à la troisième strophe. “Le jour décroît la nuit augmente. la clepsydre se vide”. Elle est sans appel à la quatrième strophe, après une sorte de jugement :
“Meurs, vieux lâche, il est trop tard !”.
7. Théodore de Banville (18231891)
7.1. « L’invincible »
Introduction
“L’invincible” est un poème extrait du recueil “le sang de la coupe” paru en 1857. On ne retrouve pas dans ce poème le ton
82
larmoyant des poèmes dédiés aux amours perdus des plus grands romantiques.La nature n’est pas présente pour réconforter l’âme du poète.
La tonalité, les symboles que l’on peut y retrouver sont déjà ceux que l’on pourra apercevoir et ressentir dans la poésie de Baudelaire et de Rimbaud. Le poème qui est aussi très différent de certains, d’une grande rigueur où la forme, “l’art pour l’art” domineront. Ici, les sentiments sont exprimés avec force, dans le vin, la folie, mêlant certains traits symboliques de la mythologie grecque et latine.
La progression est logique et suit le plan suivant :
jusqu’à pleurs, le poète exprime sa haine avec violence.
puis, jusque “la poésie en coule”, le poème sans larmoiement, avec force, exprime sa profonde douleur.
dans les strophes 4 et 5, le poète se redresse, se révolte et veut trouver dans le vin le réconfort, l’oubli et désire que son apparence physique qui pourrait laisser percevoir son état, se masque, de façon à ce que son ancienne maîtresse ne puisse deviner son désespoir.
dans la strophe 6, il se résout à l’inefficacité de ce substitut, la passion l’emporte sur tout…
VERSIFICATION
le mètre employé est l’octosyllabe : 8 syllabes.
les vers sont agencés en 6 strophes de 8 vers.
Les rimes observent le schéma suivant : abba cddc
les rimes sont embrassées par groupe de 4 vers.
les rimes masculines et féminines s’alternent selon le schéma suivant : MFFM FMMF
et suit celui des rimes embrassées cidessus.
Dans l’ensemble les rimes sont suffisantes : à l’exception de la strophe 2 prédominée par des rimes riches et de la strophe 3 où nous trouvons parmi les rimes suffisantes, 2 rimes plates : jaloux vous.
Malgré la longueur des strophes, le poème est très vivant, rythmé, plein de passion et de violence.
Des coupes fortes, une ponctuation très présente, très vive : des points d’exclamation, d’interrogation.
des enjambements très nombreux,
v78, v910
v1920, v2122
83
v2526
v2930, v3132, v3334, v3536
v3940, v4142, v4344
v4647
Mais grâce à la technique de Banville, au rythme soigneusement étudié, ses enjambements n’appesantissent pas le poème.
un rejet : “d’où naît” à l’avantdernier vers.
LES FIGURES DE STYLE
LES IMAGES
la comparaison
“comme ses mains de lys” comparaison qui évoque la fidélité d’antan de sa maîtresse.
“comme du flot amer”.
la métaphore
“les griffes des vautours” c’est une image très forte, très visuelle.
“le poison”
“sang vermeil” du raisin
image du “calice”
“le feu vivant”
toutes ces métaphores renvoient à des symboles.
l’allégorie
les “furies” : incarne la folie
les “Bacchantes” : aucune idée de fête
“Anadyomène” représente l’amour.
la personnification
le “vin”, les “yeux”, les “lèvres, “le cœur”. Le poète s’adresse à tous pour surmonter sa douleur.
la synecdoque
“une larme”
84
l’apostrophe
“ô Furie”
“Amis”
“et vous, mes yeux”
des interjections : “Non !” “Mais non” “oui” qui rendent le discours plus vivant et cassent le rythme.
EXAGERATION
l’hyperbole
“ce flot divin”
“le feu vivant”
“mer”
REPETITION
la polyptote
“cœur” v2v20 et “amour” v14v22 : les deux s’opposent.
“déchiré” v19v20
“fond” v27v28
“sang” v15v40
Elles insistent toutes sur la violence du tourment.
OPPOSITION
l’antithèse
“le vin et la lie”
“boire mes pleurs”
“Bacchantes furieuses” : ces déesses sont liées au plaisir, aux orgies.
“le poison de l’amour”, “grâce inhumaine” et “douces pourpres”
on trouve aussi des vers qui s’opposent les uns aux autres : les 4 premiers vers de la strophe 4 s’opposent aux 4 derniers.
De même à la strophe 5, les vers 1 et 2 s’opposent aux vers 3 et 4 et les vers 5 et 6 aux vers 7 et 8.
LES SONORITES
85
Des sonorités qui s’opposent constamment à l’intérieur des vers et qui évoquent particulièrement bien l’état d’esprit proche d’une certaine folie : le poète est partagé entre son désir d’oublier sa douleur dans le vin et l’espoir de retrouver cet amour.
Les fricatives sourdes sont douces : F V S J CH
“sous la griffe des vautours”
“je veux boire à ses amours”
“O Furie aux cheveux flottants”
“Enivrezvous”
“C’est dans ce calice profond”
“ses mains de Lys”
“Le feu vivant qui me dévore”…etc.
et vont s’entrechoquer avec les consonnes occlusives dures : B P T K GU
“cœur meurtri que leur bec entame”
“pour mieux pouvoir en même temps trouver”
“boire mes pleurs”
“par des Bacchantes”
“mon cœur se brise”
“pour lui cacher mon désespoir”
“trahiraient par leur pâleur
“les grappes brisées”
“les douces pourpres du vin”…etc.
En ce qui concerne les voyelles, on retrouvera la même interpénétration de sonorités douces et des sonorités dures, pour évoquer le désarroi, le dilemne du poète.
Des sonorités évoquent la douleur, la plainte, eur our oir – or :
“cœur”, “meurtri”, “pleurs”, “boire”, “mémoire”, “amour”, “pourpres”
an ain pour entame, “brûlante”, “chancelante”, “plaintes”, “sang” etc.
86
mais aussi des sonorités plus douces qui évoquent l’ivresse des amours, a e é – i :
“je veux boire à ses amours”
“c’est dans ce calice profond”
“ j’y jetterai les rêveries”
“des roses fleuries”
“ces lèvres qu’elle a tant baisées”
“les douces pourpres”
“sa grâce”
“l’invincible Anadyomène”, etc.
8. Charles CROS (18421888)
8.1. « Phantasma »
INTRODUCTION
Avec Tristan Corbière et Germain Nouveau, Charles Cros est considéré comme l’un des précurseurs du symbolisme, mouvement né en réaction contre la froideur et le côté solennel de l’école parnassienne.
Dans ce sonnet, extrait du recueil “le coffret de griffes”, on sent très fortement l’influence baudelairienne. Dans les thèmes évoqués, on retrouve ce goût pour l’évasion et le rêve qui nous amène vers l’Idéal et nous détourne de la vulgarité du quotidien, de “l’Ennui”.
On ressent également le jeu de correspondances qui s’établit entre les différentes perceptions, entre le matériel et le spirituel par l’intermédiaire de “l’âme”. Les sonorités, le rythme, les alliances étranges, les images évocatrices, l’aspiration vers l’absolu donnent à ce poème une idée de ce que pouvait être avec talent un précurseur du symbolisme, encore très proche de Baudelaire.
VERSIFICATION
Sonnet
le mètre employé est l’alexandrin.
les vers sont agencés selon un schéma imposé pour le sonnet et se composent de 2 quatrains et de 2 tercets.
les rimes sont disposées selon le schéma suivant : abab abab cdc ede
87
pour les 2 quatrains, on aura une alternance de rimes masculines et de rimes féminines selon le shéma suivant : MFMF qui reprendront celui des rimes embrassées des deux premières strophes.
Pour les deux tercets, on aura le même procédé : MFM MFM
les rimes en alternance sont suffisantes ou pauvres.
le rythme est varié ; la césure n’est pas obligatoirement à l’hémistiche ainsi aux vers 7, 12 et 13. Des coupes fortes qui donnent une certaine vie. Le retour de rimes identiques dans les deux quatrains : “eux onde” ; et dans les deux tercets “uit audes” rend le rythme extrêmement mélodieux.
des enjambements : v2, v3, v7, v9, v12.
deux rejets : v10, rejet qui évoque plus clairement l’Idéal dans lequel vit son amour. Idéal inaccessible pour lui
LES FIGURES DE STYLE
LES IMAGES
la comparaison : “comme une tombe blonde”, la mort et l’amour sont reliés par ces deux termes.
la métaphore : “oiseau qui fuit”, image qui donne l’impression d’insaisissable, d’inaccessible.
“oiseau de nuit” : image qui s’oppose à la précédente et donne une impression de lourdeur, de mort.
“proie exquise”
la personnification
“ton âme” est un oiseau qui fuit
“mon âme” est un oiseau de nuit
la synesthésie
les correspondances sont très employés dans ce poème, comme chez Baudelaire. Elles s’établissent entre :
. la vue et les odeurs : “archipels parfumés”
. les couleurs, les odeurs et les sons : l’or de tes cheveux son nouveau
. “l’âme” permettra au matériel de s’unir au spirituel. Elle est le médiateur.
88
EXAGERATION
l’anaphore
“mon” : répétition qui l’oppose à elle.
“âme” (v9 v11) : le premier s’oppose au second, oppose l’Idéal et le monde vulgaire, quotidien.
“oiseau” (v9 v11) : on retrouve la même opposition que pour âme.
“pour te” (v1213)
la polyptote
“cheveux” (v5 v6)
“rêvé rêve” : le premier nous invite à partir dans l’imaginaire. Le deuxième met un point final à l’illusion et nous ramène à la réalité.
Redondance
“Pour te soumettre” … “pour te dompter”.
OPPOSITION
l’antithèse
“une tombe blonde”
“horizons clairs de rubis, d’émeraudes” : clairs s’opposent aux couleurs rouges et vertes des pierres précieuses.
Des vers s’opposent au v11.
Des expressions : “étreintes chaudes” s’oppose à “mon ennui”. Le poète évoque la possibilité de pouvoir aimer cette femme dans un lieu parfait, idéal mais se décourage de pouvoir vivre cet amour dans un lieu commun.
LES SONORITES
Pour ce poème extrêmement mélodieux et évocateur, le poète a choisi des sonorités sourdes, douces qui s’opposent à des vers plus durs lorsqu’il doit revenir à la réalité.
De très nombreuses consonnes fricatives sourdes se répètent, s’entremêlent” : FVChSJZ
“J’ai rêvé l’archipel parfumé”
“sur le sable… en l’or de tes cheveux”
“au son nouveau de mes aveux”
89
“blanche, en mes étreintes chaudes”.
des consonnes liquides : lr donnent une idée de rêverie
“rêvé l’archipel parfumé”
“perdu dans une mer profonde (allitération).
“oubliés loin des lois” (allitération).
quelques consonnes occlusives dures : ptkgudB
cassent cette langueur, cette rêverie, pour apporter un sentiment de mélancolie, de légère angoisse.
“et pour te dompter”
“tous les pays sont trop habités aujourd’hui” etc.
des voyelles douces, gaies, chargées d’optimisme pour les premiers vers, et ceux évoquant la femme idéale :
aeié : “j’ai rêvé parfumé”
“profonde”
“le naufrage nous a jeté tous les deux”
“de mes aveux”
“ton âme est” etc.
on : qui évoque le songe
“profonde”
“le monde”
“tombe blonde”
“l’onde” etc.
et ces voyelles s’opposent à d’autres plus pesantes :
ui : fuit nuit ennui aujourd’hui.
our ou : pour soumettre tous aujourd’hui
u : abattue
oi : proie oiseau lois
des paranomases :
monde blonde onde
fuit nuit.
90
9. VERLAINE (18441896)
9.1. « Mon rêve familier »
INTRODUCTION
Le poème est extrait de la section “Melancholia” des “poèmes saturniens” publiés en 1866 peu après la mort du père de Verlaine et peu après qu’Elisa, sa cousine, dont il était éperdument amoureux, l’ait gentiment éconduit et se soit mariée.
En 1867, Elisa meurt et Verlaine très affecté, sombre dans la débauche et l’alcoolisme...
Dans les poèmes saturniens, on trouvera des pièces très marquées par le Parnasse, mouvement auquel Verlaine avait adhéré, mais d’autres également plus intimistes, qui ne retomberont pas dans le larmoiement romantique mais dans lesquels on pourra entrevoir toute la sensibilité et l’originalité poétique de Verlaine.
“Mon rêve familier” fait partie de ceuxlà. Le poète se soumet totalement à son imagination, à la nostalgie du bonheur d’une femme idéale qui le protégera du monde extérieur, mais surtout de luimême.
Pour cela, il rejettera l’éloquence, les regrets, l’anecdote et recherchera avant tout la simplicité et les effets musicaux, le pouvoir de suggestion infinie des sonorités.
Dans cette quête de l’amour spiritualisé et idéal, dans la modernité et l’intensité de la mélancolie exprimées par les sensations, la musique, on retrouvera évidemment toute l’influence baudelairienne.
VERSIFICATION
Sonnet qui respecte parfaitement les exigences de ce type de poème, mais déjà l’on sent toute l’originalité, la sensibilité, la mélodie de Verlaine lesquelles ne feront que s’affranchir de toutes les contraintes au fur et à mesure de son évolution poétique.
le mètre employé est l’Alexandrin
les vers sont agencés selon un schéma imposé et se composent de deux quatrains et de deux tercets.
de même, Verlaine adoptera l’un des deux schémas classiques pour l’agencement des
rimes : ABBA ABBA CCD EDE.
91
Les deux quatrains auront des rimes embrassées. Verlaine emploiera pour ceuxci des rimes identiques ce qui accentuera le côté mélodieux du poème :”onononeoeuroeurone”.
l’alternance des rimes masculines et féminines est parfaitement respectée et correspond au schéma suivant:
MFMF MFMF FFM FMF.
les rimes sont exclusivement suffisantes. Verlaine considérera la rime riche comme étant antimusicale.
le rythme de ce sonnet est rendu extrêmement mélodieux, grâce au jeu des coupes, à l’accentuation, à la répétition subtile de mots, de structures, de propositions à l’intérieur d’un même vers ou d’une strophe.
La césure peut se faire à l’hémistiche.
Tout cet ensemble forme une véritable alchimie musicale qui fait toute l’originalité de la poésie de Verlaine :
des enjambements qui n’alourdissent pas le poème, mais renforcent la mélodie : v 1v 3v 5v 6v 10v 13.
des rejets : v 2 : rejet qui nous entraîne dans le songe,
v 4v 6v 7 : rejets qui insistent sur le fait que seule cette femme peut le sauver, le détourner d’une certaine malédiction. La connaissance de ses faiblesses qu’il lie à une certaine fatalité, pour être né comme Baudelaire sous la planète Saturne, jette le poète dans l’effroi.
v 11v 14 : Verlaine a été très marqué par la mort de son père, et surtout d’une cousine très proche.
LES FIGURES DE STYLE
LES IMAGES
la comparaison
. “comme ceux des aimés...” : évoque la tendresse et la mélancolie du poète face à ces êtres chers disparus.
. “pareil au regard des statues” : image qui évoque une certaine froideur, mais aussi une idée de tolérance. Les statues voient mais ne jugent pas.
92
la métaphore filée
C’est l’image de la femme idéale, celle dont Verlaine rêve. Métaphore que l’on pourrait presque élever au rang d’allégorie.
l’allégorie
“la vie”
la personnification
“le regard des statues”
L’ATTÉNUATION
l’euphémisme
“la Vie exila”
“des voix chères qui se sont tues” : formes plus poétiques pour parler de la mort ou de l’éloignement.
L’EXAGÉRATION
la redondance
“sa voix lointaine, et calme, et grave”
LA RÉPÉTITION
l’anaphore
Les répétitions dans ce poème sont extrêmement nombreuses et contribuent à donner une mélodie chargée de mélancolie. Verlaine ne recherche pas les confidences, les larmoiements romantiques. C’est par le mot, avec lequel il joue, par la musique des sonorités, que les sentiments, les sensations s’expriment.
“et” : qui brise le vers, impose un rythme
“aime” : réciprocité des sentiments en correspondance avec “qui m’...” et “que j’...”
“ni tout à fait” : c’est la description d’une femme idéale qui s’adapte aux caprices de son imagination, de ses états d’âme
“comprend” : évoque la difficulté d’être de Verlaine, effrayé par ce qu’il peut être, par ses penchants chargés de malédiction
la polyptote
93
“transparent pour elle seule” : (complément circonstanciel) évoque la solitude du poète dont tous se sont détournés au fur et à mesure de ses coups d’éclat.
“Elle seule les sait rafraîchir” : (sujet) peut comprendre l’ambiguité qui règne dans Verlaine, partagé entre la femme et l’homosexualité.
L’OPPOSITION
l’antithèse
un nom “doux et sonore”
un coeur “transparent” qui s’oppose au vers suivant à “problème”
“moiteurs” et “rafraîchir”
LES SONORITÉS
Comme les répétitions, les sonorités qui se répondent, font partie de la musicalité du poème et donnent une tonalité mélancolique sans jamais tomber dans le lyrisme excessif.
les allitérations, les consonnes :
. les consonnes fricatives sourdes F, V, S, CH, J, G qui évoquent la douceur
“je fais souvent ce rêve étrange”
“chaque fois ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre”
“Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore”
. les consonnes liquides L, R, M, N qui apportent une fluidité, une légèreté
l : “elle seule les sait rafraîchir pleinement”
r : “car elle me comprend, et mon coeur transparent”
m : “d’une femme ... et que j’aime et qui m’aime”
n : “qui n’est ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre”
“estelle brune, blonde ou rousse ? Je l’ignore.” etc.
. quelques consonnes occlusives dures, qui évoquent la violence : P; T, K, B
“pénétrant”
94
“coeur, transparent pour elle seule” : ambiguité de son être
“problème”, “blème”, “pleurant”
les assonances, les voyelles :
“ê” : son très fréquent dans ce poème qui apporte une certaine langueur
“je fais souvent ce rêve”
“que j’aime et qui m’aime”
“pour elle seule ... cesse d’être un problème”
. des sonorités très douces et légères comme : e a é
e : “estelle brune, blonde ou rousse, je l’ignore”
“comme ceux des aimés que la vie exile”
a : “tout à fait la même”
“et pour sa voix lointaine et calme et grave elle a ...”
é : “et que j’aime et qui m’aime”
. on : sonorité qui apporte douceur et profondeur
“car elle me comprend et mon coeur...”
“son nom”
“l’inflexion des voix chères qui se sont tues”
. quelques sonorités plus mélancoliques :
an : “pénétrant”, “comprend”, transparent”
u : “statues”, “tues”, inconnue”
as : “hélas”
la paranomase qui accentue le bercement de la mélodie
“m’aime” et “le même”
“problème” et “front blème” : jeu qui associe plus étroitement les deux termes et renvoie à la vie de Verlaine
“exila” et “elle a”
“statues” et “sont tues”
95
9.2. « Green »
VERSIFICATION
le mètre employé est l’Alexandrin.
les vers sont agencés en 3 strophes de 4 vers.
les rimes employées sont des rimes croisées : ABAB.
l’alternance des rimes Masculines et des rimes Féminines est parfaitement respectée.
les rimes sont dans l’ensemble suffisantes : front délasseront
deux rimes pauvres : vous doux.
A l’exception du premier vers très haché par l’emploi de la ponctuation, des répétitions, une conjonction de coordination,
“voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches”,
l’ensemble du poème possède un rythme assez lent qui exprime à la fois l’amour et une certaine mélancolie liée à l’inquiétude du poète :
“ ne la déchirez pas avec vos deux mains blanches”.
la césure se fait à l’hémistiche.
on trouve également des enjambements qui accentuent le côté mélancolique du poème : v 1 v 3 v 5 v 9.
pas de rejet qui casserait ce rythme.
LES FIGURES DE STYLE
Elles sont extrêmement réduites. Le poème est très dépouillé et n’exprime que l’âme du poète.
LES IMAGES
la synecdoque
96
“mon coeur” : représente le poète.
la synesthésie
. entre la nature qui évoque les couleurs, les odeurs (fruitsfleurs) et le poète (coeur).
. entre les sons et les impressions physiques : “ma tête sonore” et “vos derniers baisers”.
. entre la vue et les sensations (la rosée et le front glacé).
LA REPETITION
l’anaphore
.”voici” qui introduit les éléments de son “présent” et met aux pieds de cette femme aimée, la nature et son âme.
. “vos”
.”que” : répétition qui alourdit un peu le rythme du poème et qui est l’expression de son inquiétude.
. “encore” qui établit une correspondance entre la vue et l’ouïe : “rosée et sonore”.
.”laissez” : impératif qui traduit une supplique ; Verlaine veut obtenir le pardon de sa femme.
. “et” : provoque un effet de pesanteur similaire au “que.
L’OPPOSITION
antithèse
“s’apaiser” et “bonne tempête”.
l’oxymore : ce sont deux termes opposés, à priori contradictoires.
“fatigue” “reposée”
“bonne tempête”
ces deux figures expriment l’ambiguité de la vie de Verlaine : sa liaison avec Rimbaud qui l’épuise moralement et physiquement, et son amour pour Mathilde.
LA CONSTRUCTION
le chiasme :
“souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée”.
97
LES SONORITES
Le jeu des sonorités, véritable vibration de l’âme, est, comme dans l’ensemble de la poésie de Verlaine, extrêmement important.
les allitérations
beaucoup de consonnes fricatives : F, V, S, CH, G qui donnent une impression de douceur, liée à l’amour, à la tendresse.
F “voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches”
“souffrez que ma fatigue...”
V “j’arrive tout couvert ...”
“que le vent du matin vient glacer...”
“rêve”
“voici”
CH “ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches...”
“branches”
S “sur votre jeune sein laissez rouler ma tête...toute sonore”
“laissez” “glacer” “si”...
J “j’arrive” “jeune sein”
des consonnes liquides : qui évoquent la langueur et une certaine
mélancolie (L, R, M, N)
L “laissezla s’apaiser de la bonne tempête”
R “j’arrive tout couvert encore de rosée...”
“souffrez” “reposée”
“rêve des chers instants qui le délasseront”
“tout sonore encor de vos derniers baisers”
“que je dorme...vous reposez...”
M “le vent du matin vient glacer à mon front”
“mains” “ma” “mon” “dorme”
N “toute sonore encore de vos derniers baisers” “ne”
98
des consonnes occlusives : P, T, B, K, GU, D qui expriment une certaine violence :
Violence de l’amour qu’il éprouve pour Mathilde :
“mon coeur qui ne bat que pour vous”.
Cette allitération évoque les battements du coeur que l’on entend presque.
Violence qui évoque à mots couverts sa liaison avec Rimbaud :
“tout couvert de rosée que le vent du matin vient glacer à mon front.”
“souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée...rêve des instants qui la délasseront”.
Elles expriment dans la dernière strophe, l’émotion physique :
“toute sonore encore de vos derniers baisers...”
“s’apaiser de la bonne tempête...”
“et que je dorme un peu puisque vous reposez.”
Elles expriment également de la part de Verlaine, une supplique, une demande de pardon.
“Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches”.
les assonances
an : son sourd qui évoque généralement une plainte mais qui est ici au contraire lié à l’amour.
“mains blanches” “présent” “encore” “vent” “instants” “bonne tempête”.
ou : son qui évoque la douceur de l’amour.
“pour vous” “doux” “tout couvert” “souffrez” “rouler”...
Des voyelles douces, légères qui incitent à la rêverie, à la langueur :
i ui “voici des fruits” “et puis, voici” “ne le déchirez pas”.
99
é e “des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches”.
“ de vos derniers baisers”.
“laissezla s’apaiser de la bonne tempête”.
“et que je dorme un peu puisque vous reposez” etc.
a “le vent du matin vient glacer à mon front”
“que ma fatigue à vos pieds reposée”
“la délasseront”
“laissezla s’apaiser de la bonne tempête”
oon “vos yeux si beaux”
“la rosée”
“toute sonore encore de vos baisers...”
“reposez”
“mon front” “ délasseront”.
o (sonore de mort) : voyelle un peu plus dure
“toute sonore encore”
“dorme”
les paranomases
Elles renforcent l’unité du poème
“baiser” “apaiser”
“de rosée” “reposée”
“blanches” “branches”
“doux” “vous”
9.3. « Chanson d’automne »
INTRODUCTION
Cette “chanson” fait partie de la série des poèmes saturniens que Verlaine baptisa “paysages tristes”.
Comme pour les poèmes précédents, on retrouve ici une mélancolie, une tristesse auxquelles le poète s’abandonne, sans raison précise si ce n’est le regret des jours anciens et la sensation de se sentir emporté vers un “vent mauvais”, un tourbillon qu’il ne peut combattre.
100
En effet, Verlaine se pense damné comme tous ceux nés sous la planète Saturne. Ainsi, dans le prologue, le poète écrira :
L’imagination inquiète et débile vient rendre nul en eux l’effort de la Raison.
Dans leur veines, le sang, subtil comme un poison,
Brûlant comme une lave, et rare, coule et roule
En grésillant leur triste Idéal qui s’écroule.
Tels les saturniens doivent souffrir et tels
Mourir...
Leur plan de vie étant dessiné ligne à ligne
Par la logique d’une Influence maligne.
Cette croyance à un déterminisme est très importante pour l’évolution de Verlaine et excusera ainsi ses faiblesses.
Dans ce poème, la modernité du poète est plus sensible ; l’influence parnassienne du début des saturniens est loin. Le vers de 3 ou 4 syllabes perd son classissisme, le rythme se brise.
La priorité est donnée non pas au sens du mot, mais à son pouvoir d’évocation et à sa musique.
Dans ce poème, on ne retrouve aucune éloquence, aucune anecdote inutile, seulement l’âme d’un poète qui ne s’analyse pas mais se révèle à nous par le biais de sensations visuelles, auditives ou autres, intégrées à une mélodie parfaite.
LA VERSIFICATION
Verlaine pour ce poème varie les mètres. Il emploie soit des vers de 4 syllabes, soit des vers impairs de 3 syllabes (chaque dernier vers des strophes).
Ce poème est composé de 3 strophes de 6 vers.
De méme dans les strophes, on trouve une certaine liberté dans l’agencement des rimes qui demeurent néanmoins : AABCCB
L’alternance des rimes Masculines et Féminines suit le changement de rime : MMFMMF
Les rimes sont exclusivement suffisantes.
101
Le rythme de ce poème, que Verlaine baptisera chanson, est extrémement léger, sans éloquence, laissant une part au réve. Il est avant tout émotion et musique, révélateur d’une ëme.Les vers courts aux mètres pairs et impairs, le retour très rapide des rimes, le jeu des sonorités donnent au rythme cet effet de bercement monotone, de balancement de la feuille d’automne qui attend sa chute.La ponctuation est pratiquement inexistante dans l’ensemble du poème.
On trouve uniquement dans la deuxième et la troisième strophe des enjambements hardis : v 8 et v 17
. On peut noter également, la composition typographique du poéme qui accentue encore la grâce et la mélodie de cette chanson.
LES FIGURES DE STYLE
Elles sont pratiquement inexistantes pour ne laisser la place qu’à la mélodie de l’âme.
LES IMAGES
la comparaison
“pareil à la feuille morte” : comparaison qui illustre le fatalisme de Verlaine, qui se croit maudit pour être né sous l’influence maligne de Saturne.
la métaphore
Verlaine compare le vent au son plaintif du violon.
la personnification
“les sanglots longs...des violons blessent”
la synecdoque
“mon coeur” représente le poète
la synesthésie
Les sons et les couleurs se répondent.
“Les sanglots des violons de l’automne”
102
“blême quand sonne l’heure”.
LA REPETITION
l’anaphore
“et je pleure”;
“et je m’en vais”
cette figure évoque l’ambiguité qui ne cesse d’habiter Verlaine, entre les rechutes qui l’amènent à devenir une loque humaine vers la fin de sa vie, et les sursauts pour retrouver un équilibre, une normalité.
LES SONORITES
les allitérations
. Beaucoup de consonnes liquides : L, R qui évoquent le rythme langoureux d’une chanson mélancolique.
L : “les sanglots longs des violons de l’automne” etc.
R : “qui m’emporteÉpareil à la feuille morte.”
“coeur” “langueur” “l’heure”É
. Les consonnes liquides M et N traduisent davantage l’état d’âme du poète.
“mon” “je me souviens”.
. Des consonnes fricatives sourdes : FVSCHJ renforcent l’unité de la mélodie, la langueur dans laquelle le poète se plonge avec un certain plaisir.
“tout suffocant et blême quand sonne l’heure,
je me souviens des jours anciens et je pleure.”
“et je m’en vais au vent mauvais...”
. Les consonnes gl, pl, bl évoquent une douleur plus profonde :
sanglots blessent blême pleure
. Quelques occlusives dures : PBTKGUD
“Des violons de l’automne”
“coeur”
103
“Tout suffocant quand”
“qui m’emporte deça delà pareil à la feuille morte”.
les assonances
an : exprime la mélancolie.
“sanglots” “suffocant”
“et je m’en vais au vent mauvais qui m’emporte”.
de même :
o (sonore) : automne monotone sonne m’emporte morte
oe associé au “r”: “coeur” “langueur” “l’heure” “pleure”.
o exprime une plainte sourde, un gémissement.
“sanglots” “violons” “monotone” “suffocant” “l’automne” “mauvais”
on : “les sanglots longs des violons”...
è : “blessent” “blême”
“je m’en vais au vent mauvais”
Parmi tout cet ensemble de voyelles qui expriment la même tonalité mélancolique, quelques voyelles plus légères se mêlent.
aeè
a : “decà, delà pareil à la feuille morte”
e : “de l’automne...d’une” “je me...”
é : les des
la paranomase
elle accentue le côté mélodieux donné par les sonorités des mots utilisées pour leur puissance de suggestion, de sensation et qui révèlent l’âme de Verlaine.
“les sanglots longs” “des violons”
“automne” “monotone”
“souviens” “anciens”
“m’en vais” “mauvais”
“delà” “à la”
104
10. Arthur RIMBAUD (18541891)
10.1 « Roman »
VERSIFICATION
poème de jeunesse, d’un grand classicisme.
le mètre employé est l’Alexandrin.
le poème est composé de 8 strophes de 4 vers qui correspondent à 4 parties de 2 strophes chacune.
Les rimes sont croisées : ABAB
l’alternance des rimes Masculines et des rimes Féminines est respectée : MFMF
les rimes sont suffisantes : “romans” “charmants”
ou riches : “limonade” et” promenade”.
le rythme est gai, léger reflétant totalement l’insouciance de l’adolescence un soir de printemps. La césure est en général à l’hémistiche. Mais Rimbaud casse souvent le rythme par des coupes secondaires fortes, une ponctuation très présente à l’intérieur des vers : “Nuit de juin! dix sept ans! on se laisse griser”. Le rythme est également donné par l’importance des répétition.
des enjambements : v 9v 11v 15
des rejets : v 10v 12v 16
LES FIGURES DE STYLE
LES IMAGES
la comparaison
“comme une petite bête”
la métaphore
“la sève est du champagne”.
105
Image qui augmente l’impression d’ivresse que veut rendre Rimbaud.
“un tout petit chiffon”.
la synesthésie
. les sons et les couleurs :
“cafés tapageurs et lustres éclatants”
. les odeurs et les couleurs
“les tilleuls verts”
. les bruits, les odeurs et le goût
“le vent chargé de bruits a des parfums de vigne et des parfums de bière”.
la personnification
“l’étoile” a “de doux frissons”
“un baiser qui palpite”
“le coeur robinsonne à travers les romans”
la métonymie
“des parfums de vigne” : le vin.
L’EXAGERATION
la redondance
“on se laisse griser... la sève est du champagne et vous monte à la tête...
on divague”.
Figure qui insiste sur l’état second du jeune poète.
“alerte et d’un mouvement vif”.
LA REPETITION
l’anaphore
“on” : dix fois répété.
Le “vous” se substituera à ce pronom lorsque le poète sera impliqué personnellement à partir de la troisième strophe.
106
“petit” : répété à 6 reprises, il donne une tonalité un peu enfantine, un peu niaise au poème que Rimbaud reniera totalement pour ces raisons là, un peu plus tard.
répétition d’éléments de la strophe 1 à la strophe 8 qui se répondent.
L’OPPOSITION
l’oxymore :
“une mauvaise étoile”
CONSTRUCTION
l’ellipse est une figure qui laisse une liberté au lecteur, le choix d’imaginer.
“elle se tourne alerte et d’un mouvement vif...”
“sur vos lèvres”
“vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août”.
LES SONORITES
les allitérations : la tonalité est légère, chargée d’ivresse. Le poète emploie donc pour traduire cela beaucoup de consonnes fricatives : FVCHJ
“un beau soir foin des cafés tapageurs”
“on va sous les tilleuls verts”
“les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de Juin”
“le vent chargé de bruits... la ville n’est plus loin a des parfums de vigne et des parfums...”
“chiffon” “branche” “blanche”
“on se laisse griser. La sève est du champagne”
“on divague. On se sent aux lèvres...”
“d’un mouvement vif...Sur vos lèvres alors meurent les cavatines...”
“tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût”.
“on n’est pas sérieux quand on a dix sept ans”.
Des consonnes liquides : LR (en majorité)MN qui donnent une certaine fluidité, renforçant la légèreté du climat.
“l’air est parfois si doux qu’on ferme la paupière,
107
le vent chargé de bruits a des parfums de bière”
“D’azur sombre, encadré d’une petite branche...”
“le coeur fou robinsonne à travers les romans...”
“elle se tourne, alerte...”
“sur vos lèvres alors meurent les cavatines”
“Puis l’adorée un soir a daigné vous écrire”
“les tilleuls verts sur la promenade”
“amoureux”
Des consonnes occlusives : PTKGUDB qui n’expriment pas la violence mais plutôt la force vitale, les sensations exacerbées de l’adolescent, la gaité d’un soir de juin.
“Foin des bocks et de la limonade”...
“des cafés tapageurs aux lustres éclatants”...
“les tilleuls sentent bon...l’air est parfois si doux”
“qu’on ferme la paupière”
“le vent chargé de bruits a...des parfums de bière”.
“la sève est du champagne et vous monte à la tête”.
“un baiser qui palpite là comme une petite bête”
une allitération en T qui imite le martèlement des pieds :
“tout en faisant trotter ses petites bottines,
elle se tourne, alerte”...
les assonances : prédominances des voyelles légères : aeiè
“foinÉde la limonade, des cafés tapageurs aux lustres éclatants!”
“On va sous les tilleuls verts de la promenade.”
“les tilleuls...si doux...la paupière... la ville.a des parfums de vigne et des parfums de bière”
“piqué” “frissons” “petites”.
“qui palpite là comme une petite bête.”
“passe une demoiselle”
“trotter ses petites bottines”
“vos sonnets la font rire”
“puis l’adorée, a daigné vous écrire! “ etc.
108
Des sonorités sourdes : ONOUAU qui évoquent la douceur de vivre.
“on va sous les tilleuls verts”
“les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin”
“l’air est parfois si doux”
“un tout petit chiffon”
“avec de doux frissons”
“le coeur fou”
“Elle vous trouve”
“sous l’ombre”
“elle se tourne”
“Vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août.”
Quelques voyelles plus fortes qui répondent aux occlusives”er
“l’air est...qu’on ferme la paupière”
“la bière” “la sève” “les lèvres”
“bête” “réverbère” “père” “alerte”
Les paranomases
dixsept ans et éclatants
chiffon se fond
branche blanche
tête bête
10.2. « Voyelles »
INTRODUCTION
Ce sonnet a été écrit par Rimbaud au cours de l’été 71 ou dans les premiers mois de 1872. Il ne sera publié pour la première fois qu’en 1883. Ces vers, pour lesquels Rimbaud “se réservait la traduction”, auront déchaîné de véritables polémiques nombreuses et contradictoires. En 1968, Etiemble écrira sur ce seul poème un livre qui reprendra les différentes thèses. Une étude supplémentaire sur “voyelles” sera donc ici évitée. Mais peutêtre ne fautil voir dans cette accumulation d’images sans phrase structurée, ni suite logique, qu’une juxtaposition plus à éprouver globalement qu’à interpréter. Avec certitude, on peut dire également que l’impression dominante de ce poème libéré de toute
109
contrainte syntaxique est d’une extrême violence : choix et alliance des mots entreeux, jeu de sonorités.
On peut ressentir à travers ces évocations, toute la révolte et la haine de l’adolescent que fut Rimbaud.
VERSIFICATION
Le mètre employé est l’alexandrin.
Les vers sont agencés selon un schéma imposé pour le sonnet et se composent de :
. 2 quatrains
. 2 tercets
Rimbaud emploie des rimes qui répondent à l’un des 2 schémas classiques :
A B B A A B B A : rimes embrassées
C C D E E D
Pour les 2 quatrains on ne trouve que des rimes Féminines :
F F F F F F F F
Pour les deux tercets, le poète fait alterner 2 rimes Féminines avec une rime Masculine :
F F M F F M
Le rythme est très éclaté par l’accumulation de mots qui nécessitent une ponctuation dense.
Les coupes sont nombreuses. La césure n’est pas systématiquement à l’hémistiche.
Des enjambements qui allongent certains vers : v 3 v 7 v 10.
Il n’y a aucun rejet.
On peut noter également pour les 2 quatrains de ce sonnet, des rimes identiques mais inversées :
elles entes antes elles
110
entes elles elles antes
LES FIGURES DE STYLE
Elles sont dans ce sonnet pratiquement inexistantes à l’exception :
la synesthésie
correspondances entre les couleurs et les voyelles.
correspondances sémantiques entre les couleurs, les voyelles et les évocations :
“A, noir, corset velu des mouches éclatantes”
“E, blancÉ candeur des vapeurs”
correspondances entre les voyelles, le matériel et le spirituel.
le “O” réunit les “mouches” et les “anges”.
L’ELLIPSE
Pratique systématique de l’ellipse qui permit tant de controverses, de tentatives pour essayer de percer une enigme qui n’existe probablement pas.
LES SONORITES
Le jeu sur les sonorités est extrêmement important dans ce sonnet, né d’une juxtaposition d’éléments sans suite logique, qu’il faut ressentir dans son ensemble.
les allitérations
Par l’emploi répété de consonnes occlusives dures (P, B, K, D, T, GU), on ressent à la lecture (à l’exception peutêtre de la strophe 3) une très grande violence :
“corset velu des mouches éclatantes
qui bombinent autour des puanteurs cruelles”.
“qui bombinent” : allitération en “b” qui imite parfaitement le bourdonnement de l’insecte.
111
“Dans la colère ou les ivresses pénitentes”
“Suprême clairon plein des strideurs étranges”
“Golfes d’ombre ; E candeur des vapeurs et des tentes”
“vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides” ...
Impression renforcée par l’association fréquente de ces consonnes avec le R consonne liquide.
“cruelles” “ombre” “frissons” “pourpres” “craché”
“lèvres” “ivresses” “vibrements” “imprime aux grands fronts”
“supême” “strideurs étranges” “traversés”.
des consonnes fricatives : (F, V, CH, J, SS) plus douces mais employées souvent dans des mots qui peuvent évoquer la violence.
“corset velu des mouches”
“Lances des glaciers fiers”
“sang craché”
“lèvres belles dans la colère ou les ivresses pénitentes”
“vibrements divins des mers virides”
“suprême clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés”...
les assonances
. le son “an” revient fréquemment, alourdit le climat.
“Naissances latentes” “mouches éclatantes”
“puanteurs cruelles” “lances des glaciers fiers, rois blancs”
“sang craché” “ivresses pénitentes” “vibrements divins” etc.
. on trouve très fréquemment une alternance d’une voyelle orale dure et d’une voyelle nasale.
“Golfes d’ombre”
“suprême clairon”
“naissances latentes”
112
. des voyelles associées à la consonne R qui durcit davantage encore la tonalité : eur, our, er, or, oir
“Jour” “noir corset” “autour” “pourpres”
“candeurs des vapeurs” “puanteurs”
“colère” “mers” “vert”
. la sonorité “è”
“voyelles” cruelles” “ombrelles” “lèvres belles” “ivresses”
“colère” “suprême” “clairon”
. quelques voyelles douces :... e mais surtout i (très employé dans la 3ème strophe) :
“cycles, vibrements divins des mers virides,
“Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides”
Que l’alchimie imprime”...
des paranomases qui accentuent ce jeu sur les sonorités :
des tentes pénitentes
virides des rides
studieux ses yeux.
11. Stéphane Mallarmé (18421898)
11.1. « Apparition »
INTRODUCTION
Cette pièce est l’un des poèmes qui fait partie d’un recueil publié en 1862 dans “L’artiste et le Parnasse contemporain”. Dans ce poème de jeunesse, on sent encore l’influence des parnassiens dans le culte de la forme, et celle de Baudelaire pour les correspondances entre les différentes perceptions. On sent également l’évocation et l’inspiration de certaines œuvres préraphaélites anglaises que Mallarmé avait découvert en Angleterre en 1862 : les séraphins en pleurs, la femme idéalisée, une atmosphère ouatée.
VERSIFICATION
le mètre employé est l’alexandrin.
113
les vers sont agencés librement. Il n’y a pas de strophes qui correspondent à un genre donné. Une seule strophe un peu de lourde de 16 vers.
Comme il est de coutume pour ces strophes libres, Mallarmé emploie les rimes plates aabb.
les rimes masculines et féminines suivent le même schéma : M M F F
les rimes sont riches : “pleurs” “fleurs” ou suffisantes “tristesse” “laisse”.
Le rythme est assez lent, avec une césure à l’hémistiche, quelques coupes plus fortes qui cassent cette lenteur.
Il y a peu de ponctuation à l’exception des premiers vers.
De très nombreux enjambements sont utilisés et contribuent à accentuer cette impression : V1, 2, 3, 7, 8, 11, 13, 14, 15.
Quatre rejets : V2, 3, 12, 15
LES FIGURES DE STYLE
LES IMAGES
la métaphore
“les mourantes violes” : les flêches
“la fée au chapeau de clarté” : cette image évoque l’image idéalisée de la femme aimée.
la synesthésie
Les correspondances que l’on trouve beaucoup chez Baudelaire et que l’on trouve également chez Mallarmé.
“les blancs sanglots” : correspondance entre les couleurs et les sons.
“parfum de tristesse” correspondance entre les odeurs et l’état du poète.
114
“étoiles parfumées” correspondance entre le ciel et les odeurs.
la personnification
“la lune s’attristait”
“des séraphins en pleurs”
“tiraient de mourantes violes de blancs sanglots”
“Ma songerie” me martyrise, s’enivre”
“la fée” qui passe.
Les personnifications sont nombreuses et suggèrent chez le lecteur des images visuelles, concrètes.
REPETITION
l’anaphore
“sans” vers 8 : le poète insiste sur la mélancolie sans raison qui engendre la réalisation d’un rêve.
“dans” : la répétition oppose la rue, le soir au soleil de ses cheveux.
OPPOSITION
l’antithèse
“des séraphins en pleurs” qui s’opposent
“au calme des fleurs vaporeuses”.
“blancs sanglots” et
“azur des corolles”
“parfum de tristesse”, le parfum étant rarement lié à la tristesse mais à l’amour, à la sensualité.
“soleil aus cheveux” s’oppose au “soir”
“chapeau de clarté” s’oppose à “soir”.
LES SONORITES
Poème plein de lélancolie, de douceur rendues par le jeu des sonorités dans l’ensemble sourdes, mélodieuses.
les allitérations
S : “passait, laissant de ses mains”
“sans regret et sans déboire laisse”
“s’enivrait savamment du parfum de tristesse” etc.
115
beaucoup de fricatives sourdes sont employées : F, V, J, CH, S
rêvant vaporeuses violes savamment s’enivrait rêve
“l’œil rivé sur le pavé”
l’archet des séraphins cheveux chapeau
fleurs parfum fée enfant fermées parfumées
des liquides : R, L
“calme des fleurs”
“sur l’azur des corolles”
cueillaison cueilli vieilli œil sommeil
“la lune s’attristait”
“des séraphins en pleurs”
“rêvant l’archet”
“j’errais donc, l’œil rivé”
“dans le soir, tu m’es en riant apparue”.
les assonances
Des sonorités très gaies, légères qui alternent avec quelques sonorités plus mélancoliques.
é : “la fée au chapeau de clarté”
“neiger de blancs bouquets d’étoiles parfumées”
“l’œil rivé sur le pavé”
eai “ma songerie aimant à me martyriser”.
“s’enivrait” “tiraient” “béni”
“azur” “pavé”
Ces sonorités alternent avec des voyelles plus plaintives :
an : “mourantes” “de blancs sanglots glissant”
“sans”
des paranomases
“pleurs” “fleurs”
“mal fermées” “parfumées”.
116
12. Sully Prudhomme (18391907)
12.1. « Les Yeux »
INTRODUCTION
Sully Prudhomme se situe entre les parnassiens (dont il trouve les théories trop strictes, parmi lesquelles “le culte de la perfection formelle”) et les symbolistes dont il combat les innovations trop poussées.
Le poète peut s’exprimer avec une grande froideur quand il veut accéder à une poésie plus abstraite, plus philosophique. Mais lorsque son inspiration le pousse à évoquer des sentiments intimes, des inquiétudes existentielles, il les chante avec une grande délicatesse et un charme teinté de mélancolie.
“Les yeux”, extrait du recueil de poèmes “La vie intérieure”, fait partie de cette veine poétique. Dans ce poème symbolique, Sully Prudhomme évoque le douloureux problème de la mort, avec une grande sensibilité. Face à l’absurdité de celleci, le poète ne peut se résigner au néant et veut croire à l’existence d’un audelà, à l’immortalité de l’âme.
VERSIFICATION
le mètre employé est l’octosyllabe
les vers sont assemblés en 5 strophes de 4 vers chacune, ou quatrains
les rimes sont croisées : a b a b
alternance tout à fait régulière des rimes masculines et des rimes féminines : M F M F
les rimes sont suffisantes à l’exception de la deuxième strophe où les rimes sont riches : “jours” “toujours”
le rythme pour les deux premières strophes est très régulier, ce qui contribue à créer une certaine sérénité, une acceptation du destin de l’homme.
Aux vers 1 et 2 de la strophe 3, ce rythme est rompu pour évoquer la révolte (“Non, non, cela n’est pas possible !”);
puis la régularité des vers revient avec la certitude d’une vie future.
des enjambements :
v 56
v 78
v 1112
v 13
117
v19
un rejet : v 13 : “nous quittent”; rejet qui insiste sur l’idée de mort, adoucie par la comparaison avec les astres.
LES FIGURES DE STYLE
LES IMAGES
la comparaison
“comme des astres penchants” comparaison très visuelle et pleine d’espoir
la métaphore
“les yeux” qui représentent l’homme
“le regard” : la mort
“leurs couchants” : mort physique
“immense aurore” : l’éternité
“voient encore” : l’audelà
la personnification
“les yeux” qui dorment, ont leurs couchants;
des termes ambigus sont employés pour suggérer une personnification :
“le soleil se lève”
“les étoiles brillent”
“les astres nous quittent”
la synecdoque
“les yeux” : l’homme
DES INTERJECTIONS
“oh !” “non, non”
ATTENUATION
l’euphémisme : “ils dorment”, “leurs couchants”, pour évoquer la mort
REPETITION
118
l’anaphore : “tous” (v 1)
polyptote
“des yeux sans nombre” (v 2, v 6)
“Non, non” (v 10)
Des termes de la première strophe sont repris dans la dernière strophe :
répétition exacte du 1er et du 16è vers
“aurore” : représente la naissance au v 2, l’éternité au v 18
“tombeaux” : mort physique au v 3, l’audelà au v 19
“les yeux”
“encore” : lever du soleil au v 4, la vie future au v 20
OPPOSITION
l’antithèse :
aurore tombeau
dorment se lève encore
quittent demeurent
ferme voient
v 16 qui s’oppose au v 15
LES SONORITES
les consonnes
Malgré la gravité du sujet, la tonalité du poème est douce et chargée de mélancolie.
Le poète pour cela emploie en majorité des consonnes fricatives sourdes, F, V, S, CH, G, Z :
“Des yeux sans nombre ont vu”
“les astres penchants”
“les yeux qu’on ferme voient encore”
des consonnes liquides : L, R qui donnent aux vers une fluidité.
“le soleil se lève”
119
“les étoiles brillent”
“sans nombre ont vu l’aurore”.
quelques consonnes occlusives dures : P, T, K, D, GU seront employées dans les vers où le poète évoque la mort physique.
“ils dorment au fond des tombeaux”
“oh ! qu’ils aient perdu le regard,
Non, non, cela n’est pas possible !”
“quelque part”.
les assonances
Là encore, les voyelles sont sourdes et renforcent l’impression d’une douce mélancolie.
ou “tous aimés, tous beaux”
“plus douces que les jours”
on “au fond des tombeaux”
“nombre”, “ombre”
“non, non”
e, i, é sont des voyelles légères et douces
“le soleil se lève”
“l’invisible”
“quittent”
“immense aurore”
“aimé”
“enchanté”
“tournés”
“côté”
ar, eur, an sont des tonalités plus dures :
“regard”, “part”, “meurent”, “demeurent”
“couchant”, “penchants”.
120
la paranomase, c’est une similitude de sons, mais dans le poème, elle établit également des correspondances de sons entre les mots.
“aurore”, “encore”
“nombre”, “ombre”
“demeurent”, “meurent”.
13. Emile VERHAEREN (18551916)
13.1. « Le vent »
INTRODUCTION
Extrait du recueil “le village illusoire” paru en 1895. “Le vent” que l’on ne peut séparer de ces régions du Nord, est un des thèmes qui a le plus souvent inspiré Verhaeren : ainsi le poème “à la gloire du vent” publié dans le recueil “la multiple splendeur”.
Ce poème libéré de nombreuses règles de la poétique classique et parnassienne, se rappproche, (par sa mélodie, ses sonorités extrêmement élaborées et harmonieuses), beaucoup plus d’un Verlaine que d’un symboliste comme Mallarmé. Il faut se laisser aller au gré des sonorités, des répétitions lancinantes, se laisser pénétrer par la musique, les images sans essayer de trouver une interprétation plus intellectuelle.
VERSIFICATION
En tant que symboliste, Verhaeren, pour ce poème, prend un certain nombre de libertés par rapport à la métrique classique :
Les mètres employés sont variés :
la majorité sont des octosyllabes
mais l’on peut trouver pour les besoins de la mélodie, du rythme :
des vers de 6 pieds : “voici le vent hurlant”
des vers de 4 pieds : “voici le vent”
des vers de 2 pieds : “grincant”
“le vent”
121
les rimes ne correspondent à aucun schéma fixe : elles peuvent momentanément être plates, croisées, embrassées.
il y a une alternance de rimes masculines et de rimes féminines, mais elle est également anarchique et sans règle.
les rimes peuvent être riches, dans l’ensemble elles sont surtout suffisantes ou plates.
le rythme est extrêmement soigné. Par la variété des mètres employés, des coupes, des répétitions de mots, de vers entiers, de parties de vers, le poète a réussi à donner une vie, une personnalité au vent, d’une grande violence.
“le vent”, “le vent hurlant, le vent sauvage de Novembre”.
La ponctuation est très dense également, variée ou même volontairement omise.
des enjambements qui insistent toujours sur le côté rageur et incontrôlable du vent, son pouvoir destructeur dans les vers 5, 10, 12, 13 etc.
des rejets qui énumèrent les victimes :
“les seaux grincent et crient”
“le vent mord…des nids d’oiseaux”.
LES FIGURES DE STYLE
LES IMAGES
la métaphore
“les bras des morts que sont ces croix”
la comparaison
“comme des bêtes”
la personnification
C’est la figure la plus importante du poème. Tous les éléments de la nature sont personnalisés, ce qui contribuent à donner plus de vérité criante, d’éléments dramatiques dans ce poème.
122
“le vent” évidemment qui est le personnage central et que l’on retrouve dans toutes les strophes mais aussi :
“les seaux de fer et les poulies”… grincent et crient
“les lucarnes rapiécées”… ballottent leurs loques
“le moulin noir”… fauche le vent
“les bras des morts…” tombent comme dans un grand vol
“la lune à bas”
“les villages vermoulus qui criaient”.
LA REPETITION
l’anaphore
on la retrouve dans tout le poème et contribue à lui donner la force et une mélodie presque lancinante.
“le vent” ; “voici le vent” ; “le vent sauvage de Novembre”
“le vent cornant Novembre”.
“sur la bruyère infiniment” v 1, v 3, v 61
“les seaux et les poulies” v 10, v 13
“rageusement” v 23, v 24
“les vieux chaumes” v 37, v 40
“croix” v 43, v 44
“voici” v 62, v 63
LES SONORITES
Elles varient selon l’effet, la progression, l’intonation plus ou moins forte que le poète veut donner. Ce sont des sonorités extrêmement évocatrices auxquelles il faut se laisser aller. On retrouve dans chaque strophe néanmoins des constantes comme le son “an”, la consonne “r” qui illustre parfaitement la rage du vent.
Première strophe :
Reprise de consonnes assez sourdes, liquides qui évoquent l’arrivée du vent, les prémices de la tempête.
Des allitérations en :
S F V CH : “voici le vent cornant Novembre”
“infiniment” : donne une impression de non limite.
“se déchire”
“le vent sauvage”.
123
R L : “sur la bruyère longue”
“cornant Novembre”
“se déchire et se démembre”
“en souffles lourds”
Quant aux voyelles, on retrouvera des constantes, des assonances :
en : que l’on trouvera prédominant dans tout le poème qui évoque évidemment, le sifflement du vent, sa plainte.
“infiniment”
“le vent cornant novembre”
“se démembre”
“battant”
son qui se répercute davantage encore avec toutes les répétitions.
ère : “bruyère”
i : “infiniment”
“déchire”
“voici”
Deuxième strophe :
consonnes fricatives : F V S
“fermes” “seaux de fer” “grincent” “citernes”
M : allitération qui évoque la mort, la tristesse
“toute la mort dans leur mélancolie”
consonnes dures : P GR CR
“puits” “poulies” “grincent” “crient”
voyelles : c’est la seule strophe où le son “an” n’est représenté que dans la mélancolie.
ER prédomine : “fer” “ferme” “citerne”
I : “ les poulies” “citernes” “crient” “mélancolies”
Troisième strophe :
les allitérations
V : “vent” “verte” sauvage” “Novembre” “avalanche” “vieil hiver”.
124
R : “rafle” “mord” “branches” “râpe du fer” “hiver” “rageusement” “novembre”
L : “rafle” “bouleaux” “avalanches”.
les assonances
an : toujours les mêmes répétitions de mots où l’on retrouve cette sonorité”.
“rageusement” “avalanches”.
er : “vertes” “fer” “hiver”.
Quatrième strophe
les allitérations
Prédominance ici des consonnes liquides L, R
L : “dans les étables lamentables”
“les lucarnes”
“ballotent leurs loques falotes”
“éclairs”
“moulin”
Le L évoque ici des éléments matériels, en mauvais état, la tristesse de leur faiblesse, malmenée davantage encore par un vent.
R : “lucarnes rapiécées”
“vitre”
“bistre”
“airs”
“éclairs”
“noir”
V : toujours présent
“vitre”
“travers”
et toutes les répétitions que l’on trouve dans les strophes précédentes
les assonances
125
an : “vent lamentable”
a : “les étables lamentables”
“lucarnes rapiécées”
“ballottent leurs loques falotes”
er : “à travers airs”
“éclairs”
Cinquième strophe
Les consonnes
CH : “chaumes” “clochers”
S : “sont soulevés sur…”
“le cimetière” “que sont ces…”
“le sol” “trois cents” “soufflant”
“celui” “cette” “sons”
V : “soulevés”
“vieux”
“vol” “pouvant”
“villages vermoulus”
T K P B D : consonnes plus dures. Le vent s’intensifie et s’identifie à la mort.
“clocher” “croupetons” “bâtons”
“claquent”
“les croix”
“tombent comme”
“contre”
“rencontré”
“carrefour”
“criant”
“d’ahan”
“des peurs et des déroutes”
“bas”
“n’en pouvant plus”
“criaient comme des bêtes”
126
et toujours le V :
“soulevés”
“vieux” “vol”
“pouvant”
“villages vermoulus”
et les répétitions.
Les voyelles et les assonances
au : “chaumes”
“auvents”
“sauvage”
ou our :
“croupetons”
“autour”
“soulevés”
“carrefour des trois cents routes”
“soufflant”
“pouvant” “tous” “sous”
on : “croupetons” “sont” “bâtons”
“tombent” “contre” “rencontré”
a : “sauvage” “bras” “rabattu” “sauvage”
“carrefour” “l’avezvous” “là”
“il jeta la lune à bas”
oi : “Les croix du cimetière étroit”
an : “auvents” “grand” “criant” “soufflant d’ahan”
“pouvant” “tempête”
14. Guillaume APOLLINAIRE (18801918)
14.1. « Le pont Mirabeau »
INTRODUCTION
Ce célèbre poème d’Apollinaire a été publié en 1912. A cette époque, Marie Laurencin, avec laquelle il entretient une liaison depuis 1908, vient de le quitter, lassée par ses incartades et la violence de son caractère. La rupture de cet amour affectera profondément le poète ; “le pont Mirabeau” na”tra de cette nostalgie.
127
Poème romantique, élégiaque où l’on retrouvera les thèmes de la fuite du temps, le regret des amours mortes, la mélancolie qu’engendre le passage de l’eau. Mais en revanche, l’expression, sans méditation, ni épanchement larmoyant, restera extrêmement sobre et pudique. Pour dépeindre ses sentiments, le poète choisira en effet la modernité de l’écriture en renonçant à la ponctuation, en travaillant savamment le jeu des répétitions et des sonorités qui donneront à ce poème fluidité et musicalité.
VERSIFICATION
Pour ce poème, Apollinaire emploie plusieurs mètres qui vont contribuer à la mélodie de cette chanson.
Ainsi pour chaque strophe, les vers 1 et 4 sont des décasyllabes, entourés du vers 2 de 4 syllabes et du vers 3 de 6 syllabes. Initialement, la strophe était composée de 3 décasyllabes.
Les vers sont agencés en 4 strophes de 4 vers, séparées chacune d’un refrain de 2 vers.
Les rimes sont disposées selon le schéma suivant : A B C C
Les rimes A C C sont toujours Féminines. Seule la rime B est Masculine. Les 3 rimes Féminines sont identiques dans chaque strophe et pour les strophes 1 et 4 le son “eine” se répète.
Les rimes sont suffisantes pour les 3 Féminines.
Le rythme est donné par la variation des mètres, par les répétitions nombreuses qui donnent une impression d’écho, par le jeu des sonorités très élaboré.
L’absence totale de ponctuation qui fait sa modernité, permet également de jouer sur celuici, en associant les vers plus librement : ainsi le vers 2 peut être lu avec le vers 1, ou avec le vers 3 ce qui donne deux interprétations différentes.
Deux enjambements ; deuxième strophe : v 2 et v 3 qui augmentent le sentiment de mélancolie.
Une diérèse : “violente”. La prononciation obligatoire du “i” pour obtenir un décasyllabe, adoucit le terme.
128
LES FIGURES DE STYLE
Elles sont très peu nombreuses. La recherche du poète est essentiellement musicale.
LES IMAGES
la comparaison
“comme cette eau courante” au v 13.
Cette image élargit l’idée de l’eau assimilée à la fuite du temps, en la rapprochant des amours qui passent.
la personnification
“l’onde si lasse”.
Lassitude des eaux, lassitude des passions usées par le quotidien, par l’incompréhension.
“l’amour s’en va” “ni les amours reviennent”
comme le temps, comme l’eau qui coule, l’amour ne peut revenir. On retrouve dans ces trois thèmes la même irréversibilité.
LA REPETITION
Elles sont au sein du poème très nombreuses.
Le dernier vers qui clôt la quatrième strophe reprend le premier qui ouvre cette chanson.
“Sous le pont Mirabeau coule la Seine”
le refrain après chaque strophe qui insiste sur la permanence du poète, malgré toutes les difficultés de la vie.
l’anaphore
“l’amour s’en va” : v 1314
“comme” : v 1516, introduit deux phrases exclamatives.
“passent” : v 19, répétition qui insiste sur le fait que le temps ne fera pas revenir la saison des amours.
“ni” : v 2021, même idée que précédemment.
la polyptote
“amours” v 221 : si l’on considère que le v 2 est associé au v 3 ; nous avons un complément d’objet et un sujet.
129
Si le v 2 est associé au v 1 : nous avons deux sujets. Ce ne sera donc pas une polyptote.
“les mains dans les mains”
“face à face”
“sous le pont Mirabeau” “le pont de nos bras “
L’OPPOSITION
des images qui s’opposent :
“joie” et “la peine” : v4
“la nuit” et “les Jours” : refrain
“lente” et “violente”
“les jours s’en vont je demeure”
LES SONORITES
Dans l’ensemble du poème, elles sont très douces et évoquent la fluidité, la mélancolie.
les consonnes occlusives dures : P, B, K, GU, D, T sont rares :
“après la peine”
“Des éternels regards l’onde si lasse”
“passent”
“ni temps passé”
les consonnes fricatives douces : F, V, S, CH, J apportent au poème une douceur, une mélancolie rendue lancinante par le retour de certaines sonorités, les répétitions, le refrain.
“Fautil qu’il m’en souvienne”
“la joie venait toujours”
“Vienne la nuit sonne l’heure”
“Les jours s’en vont”
“face à face”
“passe”
“l’onde si lasse”
“l’amour s’en va comme cette eau courante”
“Passent les jours et passent les semaines” (allitération)
“Sous le pont Mirabeau coule la Seine”
130
Mais la majorité des consonnes sont des consonnes liquides : L, R, M, N qui évoquent la fluidité de l’eau, la passage du temps et des amours.
“Sous le pont Mirabeau coule la Seine”
“vienne la nuit sonne l’heure” (allitération)
“les mains dans les mains” (allitération)
“l’amour s’en va comme cette eau courante”
“comme et comme”
“ni les amours reviennent”
“les jours s’en vont je demeure”
“des éternels regards l’onde si lasse”
“ni les amours reviennent”
“la vie est lente”
“l’espérance est violente”
Les voyelles
Des tonalités sourdes : ON, OU, OUR, O se retrouvent dans l’ensemble du poème, évoquant sans violence un certain état mélancolique.
“Sous le pont Mirabeau coule la Seine”
“et nos amours”
“toujours”
“les jours s’en vont”
“sous le pont ... l’onde”
“l’amour s’en va comme cette eau courante”
On trouve également des tonalités plus chargées de tristesse comme “an” : en majorité dans la 3ème strophe :
“l’amour s’en va comme cette eau courante”
“la vie est lente”
“l’espérance est violente”
“ni temps passé”
comme “as” dans la 2ème strophe :
“restons face à face”
“sous le pont de nos bras passe”
“l’onde si lasse”
131
“passent les jours et passent les semaines”
comme “enne”
“Seine” “souvienne” “peine”
“vienne la nuit”
“passent les semaines”
“ni les amours reviennent”
des voyelles légères : a e ... i viennent égayer cette chanson, atténuer l’effet mélancolique.
“le pont Mirabeau coule la Seine”
“la joie venait toujours après la peine”
“je demeure”
“des éternels regards l’onde si lasse”
“vienne la nuit”
“l’amour s’en va”
des paranomases qui accentuent l’impression d’écho mélodieux
Seine peine
passe lasse
vie est lente – violente
14.2. « Nuit Rhénane »
INTRODUCTION
“Nuit Rhénane” fait partie des poèmes écrits par Apollinaire durant son séjour au bord du Rhin en 19011902. Il en retiendra une quinzaine qu’il insèrera dans “Alcools”, dont neuf seront regroupés dans une section appelée “Rhénanes”.
“Nuit Rhénanes” se situe un soir dans un cabaret, débute par un verre de vin trembleur et s’achève par le bris inexpliqué de celuici, symbolisant la victoire des puissances occultes. Entretemps, la progression dramatique ne cessera de monter, devant l’accumulation de faits étranges qui saisissent de frayeur le narrateur : la chanson du batelier qui évoque des génies féminins maléfiques gardiennes du Rhin, son verre qui tremble puis se brise, les éléments de la nature soumis euxaussi à des forces surnaturelles (le Rhin est ivre, les étoiles tremblent). Rien ne pourra conjurer cet envoûtement funeste.
132
VERSIFICATION
Le mètre employé est l’Alexandrin.
Les vers sont disposés en 3 strophes de 4 vers. La 4ème strophe ne comporte qu’un seul alexandrin.
Les rimes sont croisées : ABAB
Le v 13 reprendra la même rime : “ir” des v 9 et 11.
Les rimes Masculines et Féminines s’alternent. Elles sont suffisantes.
Selon les strophes, le rythme varie : il est lent pour la première, laissant le batelier chanter. Il est plus rapide pour les autres strophes. La césure est en général à l’hémistiche mais l’on trouve également des coupes fortes qui témoignent de l’angoisse du narrateur.
Deux enjambements :
au v 7 : le poète essaie d’exorciser son angoisse en faisant venir des femmes insignifiantes.
au v 11 : l’enjambement insiste sur l’envoutement du batelier.
LES FIGURES DE STYLE
LES IMAGES
La comparaison :
“ comme une flamme” : association vin feu. A la lecture du dernier vers, on peut voir rétrospectivement un élément démoniaque dans cette comparaison.
“comme un éclat de rire” : à rapprocher de la comparaison précédente. Cet éclat de rire évoque un peu un ricanement satanique.
la métaphore
“l’or des nuits” : la Lune, les étoiles
la personnification est très présente dans ce poème :
133
“le vin” est “trembleur”
“le Rhin est ivre”
“Les vignes se mirent”
“l’or des nuit” tremble.
L’EXAGERATION
l’hyperbole exprime l’angoisse du narrateur :
“toutes les filles blondes”
“tout l’or des nuits tombe”
“le Rhin est ivre”
LA REPETITION
C’est une figure dont Apollinaire s’est beaucoup servie dans ce poème.
l’anaphore
“mon verre” : que l’on retrouve au premier et au dernier vers.
“batelier” : v 2 v 4.
“leur” (v 4) : insiste sur le côté fantastique de ces femmes.
“au” (v 8) : oppose la description sage, rassurante de ces filles blondes à celle des fées évoquées au v 4.
“Le Rhin, le Rhin est ivre” : image qui montre l’incrédulité du poète.
la polyptote
“cheveux verts” (v.14, v.12) : complément d’objet direct et complément de nom; ce dernier insiste sur le côté surnaturel et magique : ce sont des fées.
“plus” (v.5, v.6) : le premier est le comparatif de beau. Le deuxième est une négation qui s’oppose au premier montrant la terreur du poète qui ne veut plus entendre ce chant maléfique.
On trouve également des mots qui ont la même racine :
“chanson” “chant” “chante” “chantez”
134
“trembleur” “tremblant”
L’OPPOSITION
“Les filles blondes au regard immobile aux nattes repliées” s’opposent aux “septs femmes (qui tordent) leurs cheveux verts et longs jusqu’à leurs pieds”.
“râlemourir” s’oppose à “chante”.
LES SONORITES
Poème qui reflète la violence, l’angoisse. Aussi le poète emploietil en majorité des sonorités dures :
des consonnes occlusives : P, T, K, GU, B, D
“plein d’un vin trembleur comme une flamme”
“Ecoutez la chanson lente d’un batelier qui raconte”
“sept femmes tordre... jusqu’à leurs pieds”
“que je n’entende plus le chant du batelier”
“Tout l’or des nuits tombe en tremblant s’y refléter”
“qui incantent l’été”
“Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire”
des consonnes liquides formant de nombreuses allitérations: L mais surtout R qui est plus rauque, plus sonore, et que l’on trouve en majorité.
“mon verre est plein d’un verre trembleur” (allitération)
“tordre leurs cheveux verts” (allitération)
“regard” “repliées” “ronde”
“le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent” (allitération)
“la voix chante toujours à en râlemourir”
“mon verre s’est brisé comme un éclat de rire”
“la chanson lente d’un batelier”
“sous la Lune”
“leurs cheveux verts et longs jusqu’à leurs pieds”
135
on trouve aussi quelques consonnes fricatives : F, V, S, CH, J, Z qui devraient adoucir, rassurer; mais ici elles sont liées au surnaturel, à une certaine folie, à l’ivresse.
“mon verre est plein d’un vin trembleur comme une flamme”
“avoir vu sept femmes tordre leurs cheveux verts”
“le chant du batelier”
“le Rhin est ivre où les vignes se mirent”
“la voix chante toujours”
“ces fées aux cheveux verts”
“mon verre s’est brisé”
les voyelles employées contribuent ellesaussi dans leur tonalité à renforcer cette idée de violence :
an : évoque la mort; c’est une sonorité que l’on retrouve très présente dans toutes les strophes.
“un vin trembleur”
“la chanson lente”
“Chantez ... en dansant”
“que je n’entende plus le chant du batelier”
“en tremblant”
“la voix chante toujours à en râlemourir”
“qui incantent”
des voyelles associées au R donnent une dureté au poème : OR, ER, AR, IR
“verre” “trembleur” “regard” “or” “mourir”
“tordre leurs cheveux verts et longs jusqu’à leurs pieds”
des voyelles plus sourdes qui s’opposent aux autres : ON, OU, O
“mou” “Ecoutez la chanson ... qui raconte avoir vu sous la Lune”
136
“debout” “ronde”
“toutes les filles blondes”
“tout l’or des nuits tombe”
“toujours à en râlemourir”
une voyelle gaie évoquant l’amour, l’ivresse : I
“Les filles... au regard immobile aux nattes repliées” (assonance)
“le Rhin est ivre où les vignes se mirent”
“un éclat de rire”
la paranomase
“flamme” “femme” : associe le feu à ces créatures démoniaques.
14.3. « Si je mourais làbas... »
INTRODUCTION
En septembre 1914, Apollinaire fait à Nice la connaissance de Louise de ColignyChatillon pour laquelle il éprouve une grande passion.
Exaspéré par son indécision, il décide de se faire incorporer ; il sera affecté au 38ème régiment d’artillerie à Nîmes où Lou le rejoindra peu de temps après pour une semaine.
Entre ses permissions où ils pourront se voir, Apollinaire lui écrit des lettres, des poèmes quotidiennement.
Puis, les lettres de Lou s’espacent, luimême prend ses distances. Sa dernière lettre sera datée du 18 janvier 1916.
L’ensemble des poèmes, qui lui seront consacrés, sont regroupés dans un recueil “Poèmes à Lou”.
“Si je mourais làbas”, écrit le 30 janvier 1915, est le douzième de cet ensemble.
VERSIFICATION
le mètre employé est l’Alexandrin, à l’exception du tercet ajouté après le poème dont chaque vers débute par l’une des lettres du prénom de Lou, et se compose de 4 syllabes pour les 2 premiers, et de 6 syllabes pour le dernier.
137
Les vers sont disposés en 5 strophes de 5 vers. La 6ème strophe ne comporte qu’un seul alexandrin. A la fin du poème, Apollinaire ajoute une petite strophe de 3 vers (tercet).
Les rimes sont disposées selon des schémas différents qui s’alternent pour les 4 premières strophes :
AABCB ABACB AABCB ABACB AABBC
La rime C est toujours Féminine et identique à la rime A.
Le v 26 reprend également la rime A de la 5ème strophe.
Les rimes Féminines et Masculines s’alternent selon les schémas cidessous :
FFMFM FMFFM FFMFM FMFFM FFMMF F
Les rimes sont dans l’ensemble suffisantes.
Le rythme du poème varie selon les strophes : lent pour la strophe I, plus rapide dans les strophes suivantes par une multiplication de coupes fortes, des énumérations, des répétitions.
La césure se fait fréquemment à l’hémistiche, notamment à la strophe 4.
Quelques enjambements :
au v 3, il permet au poète d’insister sur la comparaison entre le souvenir de ce qu’il fut qui s’estompe avec le temps et un obus.
v 6 v 9 : deux enjambements qui établiront une correspondance plus étroite entre le poète et le cosmos.
v 14 : le poète n’éprouve aucune jalousie vis à vis de Lou. Il veut devenir l’instrument de ses amours futures.
LES FIGURES DE STYLE
LES IMAGES
la comparaison
“comme meurt un obus éclatant sur le front de l’armée” :
il compare son souvenir éclaté à celui d’un obus.
“semblable aux mimosas en fleurs” : comparaison totalement inattendue.
138
“comme font les fruits d’or” : les tournesols.
la métaphore
“Mon sang c’est la fontaine ardente du bonheur”
Le poète incite Lou à amalgamer son sang éclaté au bonheur de vivre. Qu’il ne soit que son ultime souvenir.
la personnification
“le souvenir s’éteindrait” “l’obus éclatant meurt”
“ce souvenir couvrirait de mon sang”
“les soleils murissent”
“un amour inouï descendrait sur le monde”
L’APOSTROPHE
“Lou” : v 21
“ô Lou, ma bienaimée” : v 2
L’EXAGERATION
l’hyperbole
“ce souvenir couvrirait de mon sang le monde tout entier”
“le fatal giclement de mon sang sur le monde”
Deux hyperboles qui mettent en lumière le désir du poète de s’imaginer éternisé après sa mort, partie intégrante du cosmos, maître agissant sur l’univers, les sentiments.
la redondance
“aux instants de folie
de jeunesse et d’amour et d’éclatante ardeur”
LA REPETITION
Extrêmement employée dans tout le poème, elle exprime la passion du poète, sa peur d’être oublié sitôt mort.
l’anaphore
“un obus” : v 45
139
“Et puis” : v 3, v 6
“souvenir” que l’on retrouve de manière obsessionnelle partout, à l’exception de la strophe .
“je rougirais” v 12, v 13
“plus” : v 17, v 18, v 20 sont des énumérations.
“et” : v 23
A chaque strophe, la finale des v 1 et 4 se répète :
“le front de l’armée” : v 1v 4
“dans l’espace” : v 6 v 9
“choses” : v 11v 14
“sur le monde” : v 16v 19
une exception pour “folie” qui se répète au v 22 et au v 26.
la polyptote
“sang” : v 7 (CoI) v 20 (complément du nom) v 24
“amour” : v 19 (sujet) v 23 (complément du nom)
On trouve également des expressions qui se répètent mais
à des temps différents comme :
“si je mourais làbas” v 1 au conditionnel
“si je meurs làbas” v 26, premier présent employé dans ce poème qui rend sa mort moins hypothétique comme tous les autres de cette strophe.
à des natures, des genres ou des nombres différents :
“tu”, “ta”, “tes” à la strophe 3.
L’OPPOSITION
l’oxymore
“un bel obus” : v 5
“mon souvenir s’éteindrait” : v 3
l ‘antithèse
“souvenir oublié vivant dans toute chose”
“Mon sang c’est la fontaine ardente du bonheur”
140
“vieillirais” et “rajeuniraient” : v 1415.
Le v 16 “le fatal giclement de mon sang sur le monde...” s’oppose aux vers restants de la strophe, en associant la mort à une explosion de vie.
LES SONORITES
Apollinaire traite de sa mort avec fatalité et une certaine légèreté. Il souhaite juste que dans les moments de bonheur intense, Lou se souvienne de leurs amours, la souhaite heureuse dans les bras de ses amants. Aussi les sonorités dures et les sonorités douces s’équilibrent donnant un poème harmonieux malgré le thème dramatique.
des consonnes dures : P, T, K, GH, B, D évoquent plus spécialement la guerre, une certaine violence même dans l’amour.
“un obus éclatant”
“un bel obus semblable”
“couvrirait de mon sang le monde tout entier”
“le fatal giclement de mon sang sur le monde”
“l’amant serait plus fort dans ton corps écarté”
“de folie de jeunesse et d’amour et d’éclatante ardeur”
“fontaine ardente du bonheur”
“un amour inouï descendrait sur le monde” etc.
des consonnes fricatives plus douces : F, V, S, CH, J, Z
“semblable aux mimosas en fleurs”
“ce souvenir ... dans l’espace”
“les soleils merveilleux mûrissant dans l’espace”
“comme font les fruits d’or”
des consonnes liquides : L, R (plus sonores et nombreuses), N, M apportent une certaine fluidité au poème.
“couvrirait de mon sang, le monde tout entier
“la mer les monts les vals et l’étoile qui passe” (allitération en M, L)
141
“rajeuniraient toujours pour leurs destins galants” (all. en R)
“L’amant serait plus fort dans ton corps écarté” (all. en R)
“o mon unique amour et ma grande folie” (all. en M)
des voyelles plus évocatrices de la douleur, plus dures comme
le son “an”
“un obus éclatant”
“sang”
“sanglant”
“giclement de mon sang”
“l’amant serait plus fort dans ton corps écarté”
“Mon sang c’est la fontaine ardente”
“descend”
“pressent”
les sons associant une voyelle au R : ar eur our, ir er or
“l’armée” “souvenir” “meurt” “tu pleurerais” “mer” “or” “autour” “ardeur”
“serait plus fort dans ton corps écarté”
elles s’associent à des sonorités plus sourdes comme le “ou”, “on”, “o”
“ô Lou”
“un bel obus... aux mimosas en fleurs”
“couvrirait de mon sang le monde tout entier”
“je rougirais le bout de tes jolis seins roses”
“je rougirais ta bouche”
“souvenir oublié dans toute chose”
“Lou si je meurs làbas souvenir qu’on oublie”
“Mon sang c’est la fontaine”
ou plus légères, plus gaies comme le “a”, “e”, “é”, “i”
“ma bienaimée”
“et l’étoile qui passe”
“plus de vive clarté”
142
“un amour inouï...”
“ma grande folie”
“souvenir oublié vivant dans toute chose”.
143
Bibliographie
Cornulier, Benoît de, Théorie du vers, Paris, Seuil, 1982
Ducros, David, Lecture et analyse du poème, Paris, Armand Colin,
1996.
Dupriez, Bernard, Gradus, Les procédés littéraires, Paris,
Bourgois, coll. 10.18, 1989.
Grammont, Maurice, Petit traité de versification française, Paris,
Armand Colin, 1965.
Jean, Georges, La Poésie, Paris, Seuil, 1951.
Molin, Jean & GardesTamine, Joëlle, Introduction à l’analyse de
la poésie, 2.t., Paris, PUF, 1988
Richard, JeanPierre, Poésie et Profondeur, Paris, Seuil, 1964.
Ricoeur, Paul, La métaphore vive, Paris, Seuil, 1975.
144