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94 1 TEXTE ET PHOTOS Jean-Pierre Schiavi GRANDE CROISIERE Course ou croisière pourquoi choisir ? Le vent est très faible, et Chris Tibbs, le météorologue de l’ARC, nous a annoncé du sud. 16 ans après une première transatlantique sur un monocoque de 37 pieds, me voilà reparti dans un contexte un peu différent ; nous sommes 5 + Hadès, un landseer (chien de sauvetage en mer), mon assurance-vie à bord de Cat'Leya, un Lagoon 52... Cette transat, je l'ai rêvée et nous l'avons faite ! Ma première transat, en 2000, fut une découverte. Partis de Mindelo au Cap- Vert, nous avions atteint la Martinique après 17 jours de navigation dans une totale "zénitude". Voici ce que j'écrivais dans mon "blog" à l'arrivée : "Merci aux paille-en-queue qui nous ont apporté si souvent cette lueur blanche dans le ciel, aux dauphins et à leurs cris la nuit pendant les quarts, au ciel et son apparat d'étoiles qui même si elles ne nous guident plus sont bien pratiques pour garder un cap, à l'océan pour tout, à Catleya qui l'a fait, à ma compagne qui m'a permis de le faire, et surtout à mes équipiers..." Pour la version 2016 de la transatlan- tique, après des années de pratique de la voile, croisières, régates, etc., je déci- dais de prendre un autre cap. Objectif transat, donc, mais je voulais passer par le Cap-Vert, tant ces îles m'avaient laissé de souvenirs de beauté sauvage, de gentillesse de ses habitants. Et cette fois, la traversée serait aussi parsemée de rencontres, et la compétition pas tout à fait absente de ce rallye trans- océanique... Un classement à handicap permet en effet de se jauger par rapport aux autres sur le rallye ARC avec prise en compte des heures moteur. On allait voir ce qu'on allait voir ! En course sur l'Atlantique L'ARC+ se distingue de l'ARC classique par son parcours, organisé en 2 étapes ;

GRANDE CROISIERE Course pourquoi ou croisière choisir

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TEXTE ET PHOTOSJean-Pierre Schiavi

G R A N D E C R O I S I E R E

Courseou croisière

pourquoichoisir ?

Le vent est très faible, et Chris Tibbs, le météorologue de l’ARC, nousa annoncé du sud. 16 ans après une première transatlantique surun monocoque de 37 pieds, me voilà reparti dans un contexte un peu différent ; nous sommes 5 + Hadès, un landseer (chien de sauvetage en mer), mon assurance-vie à bord de Cat'Leya, unLagoon 52... Cette transat, je l'ai rêvée et nous l'avons faite !

Ma première transat, en 2000, fut unedécouverte. Partis de Mindelo au Cap-Vert, nous avions atteint la Martiniqueaprès 17 jours de navigation dans unetotale "zénitude". Voici ce que j'écrivaisdans mon "blog" à l'arrivée :"Merci aux paille-en-queue qui nous ontapporté si souvent cette lueur blanchedans le ciel, aux dauphins et à leurs crisla nuit pendant les quarts, au ciel et sonapparat d'étoiles qui même si elles nenous guident plus sont bien pratiques

pour garder un cap, à l'océan pour tout,à Catleya qui l'a fait, à ma compagne quim'a permis de le faire, et surtout à meséquipiers..."Pour la version 2016 de la transatlan-tique, après des années de pratique dela voile, croisières, régates, etc., je déci-dais de prendre un autre cap. Objectiftransat, donc, mais je voulais passer parle Cap-Vert, tant ces îles m'avaientlaissé de souvenirs de beauté sauvage,de gentillesse de ses habitants. Et cette

fois, la traversée serait aussi parseméede rencontres, et la compétition pastout à fait absente de ce rallye trans-océanique... Un classement à handicappermet en effet de se jauger par rapportaux autres sur le rallye ARC avec priseen compte des heures moteur. On allaitvoir ce qu'on allait voir !

En course sur l'Atlantique

L'ARC+ se distingue de l'ARC classiquepar son parcours, organisé en 2 étapes ;

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Las Palmas-Mindelo, Sao Vicente auCap-Vert, puis la transat vers Sainte-Lucie.Pour les rencontres, il n'y a rien à pré-parer, avec 75 bateaux inscrits surl'ARC+ (version Cap-Vert) et 270 surl'ARC classique, elles furent nom-breuses, enrichissantes, joyeuses,folles parfois.Pour le rallye, il n'y a pas de règle decourse complexe comme en régate, nide limite particulière quant à la configu-ration du bateau. Par contre, les règlesrelatives à l'équipement de sécurité dubateau, calquées sur les règles ISAF,sont assez exhaustives et contrai-gnantes.Il y a la balise, bien sûr, mais aussi 2 sys-tèmes de feux de navigation (même sidans la réalité il existe une belle tolé-rance…), les gilets bien équipés, laredondance du système de navigationGPS, bouées et ensembles de récupé-ration d'homme à la mer, survie trans-océanique... J'ai personnellement ajoutédes balises personnelles GPS AIS avecsystème MOB ; en cas de chute à lamer, chaque balise émet automatique-ment un message AIS MOB avec saposition ; à bord, une boîte noire filtreles messages reçus et déclenche unesirène s'il s'agit d'un message d'hom-me à la mer de l'une des balises. Enfin,dans les équipements, il y a aussi laradio portable étanche DSC ASN GPSpour l'homme de quart, un radar (sur-tout pour les grains) et le transpondeurAIS.

Notre Irridium est en place, ce matin,j'ai téléchargé les fichiers GRIB qui pré-voient un temps plutôt calme pour les24 premières heures avec du nord-est,et un peu plus d'air vers la côte afri-caine. J'ai lancé deux calculs de routageavec et sans moteur, mais l'optionmoteur, malgré le handicap, reste avan-tageuse au départ, dommage...

Organisation du bord

Le centre névralgique est dans le carréorganisé autour de la TV du bord. Un PCminuscule (computer stick INTEL de lataille d'une grosse clé USB) sur lequeltourne QTVLM pour le routage, OpenCPN pour la nav et le repérage des posi-tions des autres bateaux, et Excel pourcalculer les vitesses réelles des bateaux(et non pas seulement le VMG sur24 heures), qui donnent une bonneinformation sur le vent réel, ainsi queles évolutions des écarts entre bateaux.

Un Iridium GO nous per-met d'obtenir 2 fichiersGRIB par jour (attention àbien définir une zone assezlarge surtout au départpour na pas manquer uneoption un peu extrême),une analyse météo del'ARC par jour, et la posi-tion de tous les bateauxtoutes les 4 heures. Anoter qu'Iridium proposedésormais des forfaitsdata illimités d'un moissans engagement de duréepour 130 US$ environ.C'est donc bien la télé quidevient le centre d'attrac-tion du bateau, avec lesnouvelles météos, le clas-sement et les positions...sans compter les SMS etmails échangés entre co-pains participants.

C'est parti !

C'est le jour J. Nous allonsreconnaître la zone dedépart, et… il n'y a pasd'air. Plus au large, c’estdu nord très modéré, ledépart va être lent !Dès que le bateau comitése positionne, nous revenons dans lazone de départ pour relever la ligne etpermettre à Denis de prendre un repèrevisuel afin de lancer le bateau dans lestemps. On est en course ou on ne l'estpas. Nous préparons le Code 0 au cas où levent du sud rentrerait, car il faudra alorss’attendre à 10 à 15 nœuds de vent deplus, au sud de l’île, vers l’aéroport. Ilfaut donc être prêt à toutes les hypo-thèses. H-5’ : Je lance la procédure, demi-toursur la ligne et nous remontons au prèspendant 2’, nous avons choisi le bateaucomité pour prendre le départ tribordamure, ce qui nous permettra d’avoirplus de choix.

H-2’ : Nous avons abattu, le départ sefera vent arrière… sous génois etgrand-voile, Cat'Leya est lancé (enfin sion peut dire compte tenu de la force duvent…), les moteurs arrêtés et nouscoupons la ligne en tête tout près dubateau comité. Nous envoyons leCode 0 (faute de spi dans l'attente dusud...). Les quelques heures suivantesseront sympas, bateaux au contact,

SUMORE, le Lagoon 570, nous talonnesous Code 0 également, mais le ventest toujours du nord…Finalement, un autre Lagoon 52 lance lacourse au moteur… Nous savons queles heures moteur sont sujettes à han-dicap (de 1 à 2), mais, compte tenu dela vitesse du bateau sous moteur, stra-tégiquement, il vaut mieux les utiliserdès que la vitesse descend à moins de4,7 nœuds. Cela durera 24 heures,mais, grâce à une bonne gestion desvoiles (au moteur...), nous serons denouveau rapidement en tête.

7 novembre 2016 : La "régate" a vrai-ment commencé, nous envoyons lenouveau spi, chargeons les GRIBS lan-çons un routage afin d’avoir une infor-mation globale et gérons les voiles aumieux, nuit et jour. Nous avons créé unléger décalage vers l'est avec les autresconcurrents, sauf SUMORE, qui restetoujours juste derrière nous.

8 novembre 2016 : Nous avons fait letrou, le second catamaran est à25 milles, les autres beaucoup plus loin,ce spi est vraiment fantastique, lecompteur journalier nous annonce une

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1 : Cat'Leya, un Lagoon 52 ST confortable… mais aussi rapide ! 2 : C'est le départ de la première manche… Peu de vent, mais noussommes bien placés !3 : Hadès, le chien navigateur, fidèle au poste et en r oute pour sapremière transat.

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vitesse moyenne de9,5 nœuds et 227 milesparcourus ! On doit pou-voir encore faire mieux.9 novembre 2016 : Pourcreuser l’écart, je memets au réglage spi, cho-quer, border au gré dessurfs de Cat'Leya, 19,9max sur l’électronique….Ça fume derrière ! La moyenne monte à10,3 nœuds… Notrecatamaran est premier detoute la flotte, et avecune bonne avance !Malheureusement, la san-gle du nerf de guindant

lâche... le nerf déchire le fourreau jusqu'à mi-hauteur, et là,c'est la cata ! 1 heure et demie à galérer, le spi, en chalutant,a arraché la fixation du bout dehors…Les monocoques reviennent par l’ouest, il va falloir gérer. Ladécision est prise de faire un bord de recentrage pour contrô-ler ce qui peut encore l’être.Nous tangonnons le génois et envoyons le foc de brise pourfermer le couloir, puis descente vent arrière vers l’arrivée,nous allons moins vite, mais chaque mile parcouru nous rap-proche directement de l’arrivée au Cap-Vert…Les monocoques sont toujours plus près… Mais cela s’avé-rera une excellente décision, car notre vitesse moyenne VMGoscillera entre 8,3 et 8,8 nœuds, nous sommes assurés d’ar-river premiers !Un peu avant 23 heures, le 10 novembre, nous coupons laligne d’arrivée, premiers de la flotte de 72 bateaux. Nous pro-fitons d'un super accueil d’Anna et des "yellow shirts" del’ARC, champagne et bière locale…Le lendemain, la marina de Mindelo viendra également nousféliciter … et pas que la marina !Cette première étape atteinte, il nous reste à préparer la suitedu voyage, et en priorité à réparer la poutre avant pour pouvoiramurer notre second spi asymétrique !Cette halte est aussi l'occasion tant attendue de redécouvrirle Cap-Vert. 16 ans après, Mindelo a beaucoup changé, mais,lors de l'excursion organisée par l'ARC sur San Anton, l'île voi-sine, je retrouverai les mêmes émotions.

La transat

Une transat, c'est avant tout une aventure humaine. Le choixet la gestion de l'équipage sont donc très importants. Quatreéquipiers en plus du skipper permettent à celui-ci d'être horsquart, c'est-à-dire disponible à tout moment pour les manœu-vres et les décisions, mais également de passer du temps surla météo, le routage, la position des autres bateaux tout aulong du rallye. En général, le skipper est le seul à bien connaî-tre le bateau. Il lui faut donc :- Organiser strictement la sécurité, gilets et longes pour allerà l'avant, balise, radio GPS+ ASN la nuit .- Organiser les quarts. Sur Cat'Leya, les quarts de nuits sontde 2h30, ce qui limite les quarts de nuit à un par équipier. Ceuxde jour sont partagés entre les 3 qui ne sont pas dédiés à lacuisine du bord la journée. - Former les équipiers aux manœuvres de votre catamaran.Même s'ils sont également propriétaires d'un bateau, l'organisa-tion de pont est certainement différente, la taille du bateauégalement, les efforts en jeu sont donc aussi différents, etc.Pour ma part, j'ai rédigé un document technique décrivant pasà pas le déroulement des manœuvres, empannage, prise deris, etc., que j'ai transmis à mon équipage bien avant le départ.- Entraîner son équipage aux manœuvres ainsi qu'à la récupé-ration d'un homme à la mer. Tout le monde était à bord unesemaine avant le départ de Las Palmas ; chaque jour, nous

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4 : Après seulement deux jours de course, les écarts sont déjàimportants…

5: Après notre première place à Mindelo pour la première étape ,nous profitons du Cap-Vert, où il n'y en a que pour Hadès !

6 : Départ de la deuxième manche : mais où est donc Cat'Leya ?7 : Une transat où la pêche n'aura pas été à la hauteur de nos

attentes. On ne peut pas gagner sur tous les points !

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Moteur ou voile, faut-il choisir ?

L'ARC est un rallye avec classement,donc quelque part une "course"... Mais,aussi bizarre que cela paraisse, l'ARCn'interdit pas l'usage du moteur. Unepénalité est appliquée aux heures demoteur, elle est comprise entre 1 et 2,donc, au pire des cas, 1 heure demoteur est comptée pour 2 heures.C'est un élément important à prendreen compte, en effet, d'un point de vuestratégique, il peut être intéressantd'utiliser un peu de moteur pour rejoin-dre une zone ventée, par exemple, avecfinalement assez peu de pénalisation...Lors des routages, nous réalisons donc2 routages, l'un à la voile pure et l'autreen indiquant qu'en dessous de 4 nœuds(c'est-à-dire 8/2) on utilise le moteur.Ensuite, il suffit de comparer les duréesde navigation, d’appliquer la pénalitémoteur aux heures effectuées et dedécider de la meilleure stratégie àadopter !On peut espérer que, dans le futur,cette règle évolue, pour éviter le "motor-sailing", ou même les tricheries…

abordions un aspect : voile, homme àla mer, électronique, moteur, etc. enplus des conférences de l'ARC.- Organiser les manœuvres à 2 auminimum, toujours avec la présencedu skipper.- Organiser la vie à bord, repas, pro-preté, etc., pour que le moral soitbon. Une transat, c'est long, il fauttenir entre 10 et 14 jours !- Expliquer les prévisions météo, lesGRIB, le routage, faire participer, lespositions des autres bateaux, etc.,motiver l'équipage.- Briefer tous les soirs pour la nuitselon les conditions de vent, expli-quer les limites maximums de ventréel pour la voilure actuelle, plage deAWA (angle du vent apparent) autori-sée, distance mini des grains sur leradar…C'est indispensable pour la sécuritéde tous, et encore plus si on envisaged'aller plus vite que les autresbateaux autour de soi.Quant au choix des équipiers, il s'agitavant tout de bien définir et d’expli-quer à chacun l'objectif de la transat,il peut s'agir juste de partager uneexpérience fantastique... mais cetobjectif déterminera vos critères desélection. Attention aux sites derecherche d'équipage, les postulantsont souvent tendance à "enjoliver"leur compétence et leur expérience...J'avais ainsi pré-sélectionné un équi-pier "cap-hornier" qui avait participé àl'une des premières Whitbread... Il s'est avéré peu fiable... en fait, iln'avait été que cuisinier à bord !

Dans tous les cas, prévoyez au moinsune semaine de vie commune et desortie en mer avant le départ, cecivous permettra de définir le niveau deresponsabilité qu'il vous est possiblede déléguer en mer. Et n'oubliez pas,il ne peut y avoir qu'un skipper àbord !

16 novembre 2016 12h30

15’ avant le départ, nous finissonsjuste d’installer la pièce de fixation dubout dehors à la poutre avant… Ilreste encore quelques lattes à rem-placer…12h40 : C’est bon, nous larguons lesamarres, il nous reste 5’ pour hisserles voiles et rejoindre la ligne dedépart au moteur ; nous passonsdonc la ligne en bon dernier, cettefois, sous grand-voile et génois.Pendant que nous préparons le spi,nous choisissons une route pluslofée, dans le couloir inter-îles (entreSao Vicente et San Anton), demanière à faire de la vitesse.Pendant ce temps, l'équipage s'af-faire à préparer le second spi asymé-trique, que nous avons gardé enréserve. Mais celui-ci supporte moinsle vent, et nous nous fixons donc unelimite pour l'utiliser de 16 nœuds devent vrai. Une fois le spi asymétriqueen place, nous abattons en prenantbien soin de laisser San Anton à notretribord et suffisamment loin pour nepas subir son dévent.L’effet Venturi qui devrait s’étendresur 50 milles au sud-ouest ne fonc-tionne pas. Cat'Leya tire des bords,

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Au vent de travers ouau largue, sous spi

asymétrique ou Code 0,nous avons gréé le foc debrise pour exploiter un peuplus le couloir entre la GVet la voile d'avant...

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nous croisons et recroisons la flotte…et finalement, ça marche ! Petit à petit,nous reprenons les autres concurrents,mais notre stratégie est de partir dansle nord, il nous suffit d’attendre d’êtresuffisamment loin de San Anton…Nous entamons une bonne remontéeen croisant et recroisant la flotte parune succession d'empannages pouratteindre la 5e place. Nous restons dansle couloir entre São Vicente et SanAnton ; dans les conditions habituellesd'alizés de nord à nord-est, ça paye sil'on persiste pendant 50 à 60 milles,mais aujourd'hui, le vent est plutôt est,l'effet Venturi entre les 2 îles est beau-coup moins marqué. Dès le dévent deSan Anton passé, il est temps de quittertout le monde, cap vers le nord...Après une première étape plutôt réus-sie, et devant les prévisions de venttrès léger qui nous attendaient sur laroute directe (dépression tropicaled'ouest qui bloque les alizés), j'ai pro-posé à l'équipage de tenter un coup à lavoile et d'aller chercher le vent dans lenord (latitude 26°N, soit celle desBahamas tout de même), ce qui repré-sentait près de 15 % de route en plus.Tout le monde a été d'accord sur lecoup... même si j'avais prévenu que lesderniers jours risquaient d'être compli-qués... Lors du briefing du départ l'ARC,le 20 novembre à Las Palmas, le météo-rologue préviendra d'ailleurs les équi-pages qu'avec une route nord il fallaits'attendre à une arrivée au près avec duvent assez fort... Nous sommes partis4 jours avant de Mindelo, il y avaitencore une fenêtre possible.

Les performances des catamaransmodernes

Lors de la préparation de cette transat,je me suis amusé à réaliser des simula-tions sur les conditions météo (avec lesfichiers GRIB de l'époque) de l'ARC+2015 à partir des polaires fournies par

le cabinet VPLP. Pourespérer l'emporter, ilnous aurait fallu 7 % deperformances en plus....C'est beaucoup, mais ilfaut bien comprendreque les polaires ne sontcalculées que dans le casde configuration de voilesstandard ; par exemple,les voiles en ciseaux ou2 voiles d'avant grééesen "trinquettes jumelles"ne sont pas prises enconsidération, ni bien sûrl'effet de la houle et duplanning au vent arrière...Au portant, nous avonspu ainsi essayer de nom-breuses configurations

selon les conditions de vent, de mer etde route. Par exemple, amurer le spiasymétrique sur la pointe de la coqueau vent permet d'offrir au vent une sur-face beaucoup plus importante, qui per-met de mieux exploiter le renvoi de l'airvenant de la grand-voile. Sur leLagoon 52 SporTop, les haubans étanttrès en arrière, il est difficile d'ouvrir labôme à plus de 40° de l'axe du bateau,cette configuration permet de récupérerainsi plus de flux sur la voile d'avant. Auvent de travers ou au largue, sous spiasymétrique ou Code 0, nous avonsgréé le foc de brise pour exploiter unpeu plus le couloir entre la grand-voileet la voile d'avant...Reste à choisir ses voiles... Pour mapart, j'ai consacré 7 % du budget totalaux voiles et à l’accastillage complé-mentaire ; c'est à la fois beaucoup parrapport à ce que les plaisanciers dépen-sent pour ce poste, mais finalementassez peu, car on parle du moteur dubateau... Cat'Leya est ainsi équipé devoiles type course TRILAM Offshore,grand-voile, génois, Code 0 et mêmespinnaker asymétrique laminé (le 2e dece type, le premier ayant été fabriquépour Tanguy de Lamotte pour le VendéeGlobe). De tout ceci, il faudrait pouvoirmesurer les performances précises ducatamaran... Je me suis contenté defaire des enregistrements de vitesse etde cap dans certaines conditions, puisd'extrapoler la polaire VPLP. En gros, legain global est d'environ 10 % à toutesles allures ! C'est cette polaire que j'aiutilisée pour les calculs de routage.

Pendant cette partie de la transat, deuxautres monocoques nous ont suivis,l'un a même fait le tour de San Antonpar l'est pour éviter d'être déventé !Nous apprendrons à l'arrivée qu'ilsétaient routés de terre. Plus nous grim-pons dans le nord, plus nous dégringo-

lons dans le classement, 15e, 25e, ....et ce, jusqu'à la 56e place ! L'équipagecommence à se demander si le skippern'a pas perdu la boussole !Et il faut aller vite, car la dépression ins-tallée sur l'Atlantique va bientôt partirvers le nord et il nous faut profiter duvent qu’elle amène avec elle (sensinverse des aiguilles d’une montre aunord de la dépression, donc bon pournous pour faire de l’ouest) !Mais je rassure l’équipage, ça va finirpar payer !Derrière, Shamal et Mariela (les deuxmonocoques) ont "jeté l’éponge". Ilssont partis vers l’ouest, ce qui pour moiest à ce moment la pire des stratégies.Un peu de retard ne leur permettra pasde passer juste au nord de la dépres-sion, mais en plein dans la zone decalmes, ils feront beaucoup de moteur.Le routage du 23 novembre avec lesGRIBS montre bien la dépression ainsique les conditions plus que faibles quisévissent sur la route directe… Nousavons raison de persévérer, et n'avonsde toute manière plus le choix. Nouscontinuons ainsi notre montée jusqu’àla latitude des Bahamas, tandis qu’àterre tout le monde pense que le skippera pété un câble !J’enverrai même un mail à l’ARC :"Rallycontrol, nous venons de croiserdes baleines, des pingouins, des lionsde mer… Portons nos combinaisonsarctiques… Finalement, nous partonssur Cheasapeake Bay !" et recevrons enréponse : "Attention aux icebergs…"Nous avons du vent, la mer est belle etCat'Leya file bien plus vite que tousceux "d’en bas"… Le moral est au beaufixe, nous remontons inéluctablementdans le classement, et avons une pen-sée émue pour les heures moteur évi-tées…Et ça paye, pour le moment, pas de

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moteur, spi asymétrique, Code 0 quand ça monte. Ça me plaît etCat'Leya avale les milles ; pas tout à fait dans la bonne direction,mais, en comparaison de nos amis du sud plantés dans les calmesou au moteur..., on est bien ! En fait, en longitude, on aura tou-jours été bien placés par rapport à la flotte, et cela nous aura per-mis de garder le moral.

Vie à bord en transat

Les repas se succèdent à bord, et participent énormément au plai-sir de naviguer ensemble. L'avitaillement a été réalisé pour l'es-sentiel aux Canaries. Les nombreux équipements du bateauapportent bien entendu leur part au confort du bord, frigos, congé-lateur, lave-vaisselle, dessalinisateur, groupe électrogène, pan-neaux solaires, un lit indépendant par personne, excellente pro-tection au poste de barre, etc. Ceci n'empêche pas une bonnegestion de l'eau et de l'énergie. Chaque jour, lorsque les condi-tions de mer le permettent, nous mettons en route le groupe(1 heure environ) et le dessalinisateur (280 l/h) afin de régénérernotre consommation.Plus nous avançons dans la traversée, plus nous subissons degrains pendant les nuits. Au début, ils suivent le vent, tant qu'ilssont dans notre tribord, pas de souci. Sinon, il faut surveiller leurévolution au radar. Au fur et à mesure, lesgrains sont plus désordonnés, et ça devient vitecompliqué, car leur trajectoire est imprévisible,leur taille plus impressionnante, et ils se refor-ment très rapidement... Parfois, il n'y a qu'unesolution, on ne prend aucun risque, et onréveille les équipiers, pour affaler les voiles etmettre le moteur pour s'échapper...Nous passons juste au nord de la dépressiontropicale bien visible sur les fichiers, et l'enrou-lons donc comme dans les livres !Nous nous surprenons à espérer une arrivée

dans les 10 premiers, mais je tempère l'optimisme de l'équipage.Depuis le départ, je sais que l’arrivée sera compliquée par unedépression qui va traverser l’Atlantique…Tout à coup, plus de grand-voile, la drisse s’est cassée ! Il fautmonter au mât (27 mètres au-dessus du niveau de la mer) en pleinAtlantique, et qui s’y colle ? Moi bien sûr, moteur, et Cat'Leya filevent arrière pour minimiser les mouvements de roulis et de tan-gage. Il nous faudra quelques heures pour repasser une nouvelledrisse et repartir… Mais ce n’est pas fini, le lendemain, de nou-veau grand-voile en bas. Cette fois, c’est la sangle de têtière quis’est décousue. On bricole une fixation de fortune. Il faut que çatienne !

Terre, enfin !

Les derniers jours, la situation ne sera finalement pas aussi mau-vaise que prévue initialement. L'arrivée d'une grosse dépressionpar l'ouest nous obligera à faire un peu de moteur afin de passerdevant. Nous attaquons la descente, plus compliquée, et les2 derniers jours, nous devons naviguer au près… Le 30 novembreà 9 heures, nous coupons la ligne d'arrivée à Sainte-Lucie. Noussommes sixième de la flotte en temps réel… et premier de laclasse multicoque !

Nous avons parcouru 2440 milles à 7,3 nœuds, aulieu de 2098 milles sur l'orthodromie, soit près de350 milles de route en plus, en un peu moins de14 jours. Nous avons eu 12 touches pour seule-ment 2 barracudas remontés à bord, des dizainesde grains évités, un drisse de grand-voile casséeremplacée en mer, une têtière de GV réparée,4 nouveaux "transateurs" à bord, 27 très bonsrepas, Hadès, mon fidèle compagnon, enfin deretour sur terre...Et maintenant, place aux vacances auxAntilles !

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9 : Notre route a été… trèsnord. Le meilleur (et le

seul ?) moyen pour chercheret trouver le vent !

10 : Qui a dit que les catama-rans de croisière modernes

n'avançaient pas ?

11 : Hadès, pas peu fierdevant son trophée après

la belle victoire de son équipage !

Cat'Leya profite maintenant des Antilles, comme ici au mouillage dans le lagonde Saint-François en Guadeloupe.

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