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EHESS Genèse des banques centrales et légitimité de la monnaie Author(s): Michel Aglietta Source: Annales. Histoire, Sciences Sociales, 47e Année, No. 3 (May - Jun., 1992), pp. 675-698 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/27584184 . Accessed: 07/04/2011 04:01 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of JSTOR's Terms and Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp. JSTOR's Terms and Conditions of Use provides, in part, that unless you have obtained prior permission, you may not download an entire issue of a journal or multiple copies of articles, and you may use content in the JSTOR archive only for your personal, non-commercial use. Please contact the publisher regarding any further use of this work. Publisher contact information may be obtained at . http://www.jstor.org/action/showPublisher?publisherCode=ehess. . Each copy of any part of a JSTOR transmission must contain the same copyright notice that appears on the screen or printed page of such transmission. JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Annales. Histoire, Sciences Sociales. http://www.jstor.org

Genèse des banques centrales et légitimité de la monnaie 1992 - genese banques... · Genèse des banques centrales et légitimité de la monnaie Author(s): Michel Aglietta

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Genèse des banques centrales et légitimité de la monnaieAuthor(s): Michel AgliettaSource: Annales. Histoire, Sciences Sociales, 47e Année, No. 3 (May - Jun., 1992), pp. 675-698Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/27584184 .Accessed: 07/04/2011 04:01

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GEN?SE DES BANQUES CENTRALES

ET L?GITIMIT? DE LA MONNAIE

MICHEL AGLIETTA

Continuit? et renouvellement du d?bat mon?taire

Des ?v?nements contemporains de premi?re grandeur sont des champs d'investigation privil?gi?s pour nourrir la r?flexion th?orique sur la nature de la

monnaie, sur son organisation dans les soci?t?s lib?rales et ouvertes, sur sa

place dans la science ?conomique. Les bouleversements de l'ex-URSS provoquent une d?sorganisation des

?changes les plus ?l?mentaires par disparition de la pratique sociale dont la monnaie est la r?gle : le paiement des transactions dans un m?dium unanime ment acceptable. Le retour du troc souligne son ?norme co?t social : fragmen tation des ?changes qui se bilat?ralisent, arbitraire des termes et des conditions de l'?change soumis exclusivement aux rapports de force entre les ?changistes, imm?diatet? des relations ?conomiques entrav?es par la d?sorganisation pr? sente et l'incertitude future des approvisionnements. Les tentatives spontan?es de contournement du troc entra?nent la prolif?ration de banques de poche, hors de toute r?glementation et de toute supervision. Cette r?surgence du free ban

king ? l'initiative des entreprises, pour financer le stockage des facteurs de pro duction par anticipation des p?nuries ? venir, fait flamber l'inflation et d?truit ce qui reste de barri?re ? la cr?ation mon?taire. L'h?sitation ? ?mettre des mon naies nationales dans les nouvelles R?publiques qui cherchent d?sesp?r?ment ?

prendre en charge leurs ?conomies, illustre dramatiquement le lien entre le gou vernement de la monnaie et la souverainet? politique, la subtile dialectique entre l'action priv?e et la cr?ation institutionnelle pour parvenir ? ?tablir la confiance dans la monnaie.

La grave crise qui a r?cemment ravag? le syst?me bancaire am?ricain, met tant en difficult? de nombreuses grandes banques et d?truisant le tiers des caisses d'?pargne, montre que des r?gles inad?quates rendent la finance chao

tique et vuln?rable au risque de syst?me. La r?sistance farouche des lobbies

bancaires, soutenus par des pouvoirs politiques locaux, ? la r?forme l?gislative

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Annales ESC, mai-juin 1992, n? 3, pp. 675-698.

COMMERCE, MARCH?, MONNAIE

du syst?me bancaire donne un autre ?clairage sur les aspects ? la fois conflic tuels et compl?mentaires de la dualit? de la monnaie. D'un c?t? le syst?me des

paiements est un bien public qui est r?put? fournir des services ?quitables ? tous les agents ?conomiques, services de r?seau pour les paiements en cours de r?ali sation ou anticip?s, services de liquidit? dans l'attente des paiements futurs.

D'un autre c?t? le syst?me des paiements est collectivement g?r? par des ban

ques commerciales en compl?mentarit? avec leur activit? priv?e d'interm? diaires financiers. De cette compl?mentarit? d?coule des effets externes et des al?as de moralit? qui font du syst?me bancaire le domaine privil?gi? de la pro pagation des risques, donc aussi le premier terrain du contr?le prudentiel pour la contenir. Le caract?re insatisfaisant des compromis entre la limitation de la concurrence et la s?curit? du syst?me bancaire a relanc? un d?bat th?orique sur

les fondements d'une r?forme plus radicale qui pourrait s?parer les risques des cr?dits priv?s et la fourniture du service public des paiements. Dans ce d?bat le

statut, les fonctions et l'existence m?me de la banque centrale font l'objet d'interrogations qui remontent aux sources de la th?orie mon?taire.

L'Union mon?taire europ?enne rejoint les deux d?bats sur la l?gitimit? des

r?gies mon?taires et sur l'organisation la mieux adapt?e ? la stabilit? de la mon naie. Le d?bat europ?en a produit les principes d'une r?forme mon?taire ?

venir, qui sont inscrits dans le trait? de Maastricht. Il l'a fait dans une tradition tr?s diff?rente de la tradition anglo-saxonne. L'Union mon?taire europ?enne

met moins l'accent sur l'action priv?e que sur la construction institutionnelle. La confrontation anglo-germanique, qui a anim? les propositions de la conf? rence intergouvernementale, s'est achev?e par la victoire compl?te de la concep tion continentale. La clef de vo?te de l'Union mon?taire sera une banque cen trale europ?enne. L'organisation des pouvoirs mon?taires et la d?finition des

missions de cette banque centrale reposent sur un concept ?nigmatique : l'ind?

pendance. Il lui est associ? la capacit? de pr?server la stabilit? des prix, finalit? de la r?gulation mon?taire. Mais les vertus, les responsabilit?s et les conditions d'exercice de l'ind?pendance des banques centrales sont loin d'?tre ?videntes.

L'apport d'une d?marche historique

Les questions soulev?es par les probl?mes mon?taires contemporains plon gent leurs racines dans l'histoire mon?taire. La question la plus fondamentale concerne les institutions les plus aptes ? pr?server la confiance dans la monnaie.

C'est l'opposition entre le free banking et le central banking. Le premier est un mod?le formel de l'histoire mon?taire qui propose des monnaies bancaires

concurrentielles, qui nie qu'une banque centrale soit n?cessaire et qui pr?tend que la seule r?gle mon?taire indispensable est la d?finition d'une unit? de

compte. Le second est un mod?le qui affirme que le d?veloppement m?me de l'?conomie mon?taire produit l'?mergence des banques centrales. L'organisa tion du syst?me bancaire respecte un mod?le hi?rarchique dans lequel les mon naies bancaires sont unifi?es par la contrainte de conversion en monnaie

banque centrale dont l'?mission d?pend d'un monopole. L'opposition de ces deux mod?les institutionnels concerne ? la fois l'inter

pr?tation de l'histoire et les ie?ons qu'on peut en tirer pour r?former les institu tions contemporaines. C'est le d?veloppement ? naturel ? de la concurrence qui

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M. AG LI ETTA BANQUES CENTRALES ET MONNAIE

s?lectionnerait les organisations capables de r?guler les march?s. Ces organisa tions sont efficaces parce qu'elles portent une rationalit? collective ? laquelle les

agents ?conomiques individuels se conforment dans leur pratique, sans pouvoir eux-m?mes l'expliciter rationnellement. Or, curieusement, les adeptes de cette

conception auto-organisatrice de l'?conomie marchande excluent la banque centrale de l'?volution organique. Ils diabolisent, au contraire, la banque cen trale qui devient un instrument de l'?tat pour s'emparer gratuitement de la richesse produite par l'?conomie marchande. Le monopole de l'?mission rel?ve des ?tats pr?dateurs qui chercheraient ? maximiser le seigneuriage. L'ind?pen dance mon?taire serait alors ? la fois une n?cessit? et un pis-aller. Puisque la

monnaie est ?tablie par des restrictions l?gales ? la libre concurrence, au moins faut-il garantir que les r?gles d'?mission de la monnaie emp?cheront l'?metteur de spolier l'?conomie priv?e.

Nous allons, au contraire, montrer que l'hypoth?se d'alt?rit? radicale de la

banque centrale ? l'?volution de l'?conomie marchande est une violation du

postulat ?volutionnaire. En d'autres termes, la banque centrale est une cr?ation du march?, pas une cr?ature de l'?tat. La Banque d'Angleterre est, ? cet ?gard, exemplaire. Elle a certes ?t? le banquier de l'?tat d?s sa cr?ation ? la fin du xviie si?cle. Cela ne lui a pas donn? le statut de banque des banques. Ce n'est

que dans le dernier tiers du xixe si?cle, non pas par un acte l?gislatif, mais par un apprentissage tir? de l'exp?rience des crises financi?res, que la Banque d'Angleterre a ?labor? une rationalit? collective pour guider sa pratique dans le

march?. Les deux dimensions essentielles du m?tier de banque centrale, qui en ont fait la banque des banques, sont le pr?teur en dernier ressort et la prise en

charge de la r?gulation du taux d'int?r?t sur le march? mon?taire. En comparant les exp?riences anglaise et am?ricaine ? la m?me ?poque, on

montrera que la centralisation des paiements, au fur et ? mesure du d?veloppe ment de la monnaie scripturale offerte par les banques de d?p?ts, est la ten dance qui rend le central banking plus efficace que le free banking. Il n'en demeure pas moins que la globalisation financi?re, engag?e depuis pr?s de vingt ans, entra?ne une certaine d?nationalisation de la monnaie. L'Union mon?taire

europ?enne en est le processus le plus avanc?. La lib?ralisation financi?re ne conduit cependant pas ? red?couvrir le fil

perdu d'une auto-organisation des march?s concurrentiels. La disparition des

banques centrales n'est pas le point om?ga de l'innovation financi?re. Le free banking n'est pas l'id?al du lib?ralisme ?conomique, contrairement aux affir

mations doctrinaires de l'?cole de la ?New Monetary Economies?. Mais il est

vrai que la l?gitimation de la monnaie rencontre un probl?me analogue ? celle du Droit. L'auto-limitation du pouvoir d'?mission est requise pour que la mon

naie soit le bien public par excellence qui apporte des avantages ?quitables ? tous. Pourtant, la flexibilit? de la r?gulation mon?taire et la s?curit? de la finance impliquent n?cessairement la banque centrale dans des actions discr? tionnaires. L'ind?pendance des banques centrales s'inscrit dans cet entre deux.

C'est un mythe fondateur qui ?vite le questionnement strat?gique des agents

priv?s sur les actes discr?tionnaires de la banque centrale.

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COMMERCE, MARCH?, MONNAIE

D?veloppement des syst?mes de paiements et ?mergence des banques centrales

Les conceptions alternatives des institutions mon?taires sont li?es ? celles des syst?mes de paiements qui sont les structures ?l?mentaires des ?conomies

mon?taires. Ces structures ?tablissent des relations ?troites entre les institutions mon?taires et les ?changes ?conomiques. Car le paiement est l'acte ?l?mentaire de l'?change marchand. Mais un paiement n'a sens que dans un r?seau qui est

organis? par un ensemble de r?gles. Les prix des marchandises offertes ? la vente sont exprim?s dans une unit?

de compte qui est institu?e. Les paiements sont ex?cut?s avec des moyens de

paiement dont l'?mission doit se conformer ? une r?gle bien d?finie. Dans un

r?seau l'ex?cution des paiements est s?quentielle. Elle impose aux agents indivi duels des contraintes de budget ?chelonn?es, dont l'intensit? d?pend de leur dis

ponibilit?s mon?taires (cash in advance) ou de leurs capacit?s ? emprunter les

moyens de paiements (finance in advance). Puisque les ?changes ?l?mentaires

s?quentiels forment un r?seau unique, il y a une contrainte de r?seau, ou

contrainte mon?taire globale, qui s'exerce par la coordination des moyens de

paiements ?mis par les banques. Cette contrainte est construite dans le syst?me des paiements. Le temps est d?coup? en p?riodes qui rythment le m?canisme de

compensation et de r?glement interbancaire. Ainsi la totalit? des ordres de paie ments re?us et envoy?s dans diff?rents r?seaux de paiements a une trace dans les soldes interbancaires qui sont calcul?s ? la compensation. L'obligation d'avoir ? r?gler ces soldes force les banques ? se garantir contre l'?ventualit? de man

quer du moyen de r?glement ultime. Le syst?me de paiement est donc directe ment branch? sur le march? mon?taire. C'est pourquoi le taux d'int?r?t ? court terme refl?te l'?tat des tensions ?conomiques, tel que les banques les observent et les anticipent dans leur tr?sorerie.

L'opposition entre Itfree banking et le central banking, en tant que mod?les

d'organisation mon?taire, s'exprime dans les r?gles qui d?finissent des syst?mes de paiements viables.

Le "free banking ": syst?me de paiements avec monnaies bancaires convertibles en monnaie marchandise.

Une marchandise particuli?re appel?e ? or ? ou un panier de marchandises

pr?te sa substance ? l'unit? de compte. Celle-ci est d?finie par la quantit? fixe de la marchandise choisie ou par l'ensemble des quantit?s des marchandises qui composent le panier. C'est la premi?re r?gle mon?taire. Cette monnaie-mar

chandise est aussi le moyen de r?glement ultime. Les moyens de paiements sont des monnaies bancaires, c'est-?-dire des

dettes ?mises par les banques sur elles-m?mes, qui prennent la forme de billets ou de d?p?ts sur lesquels on peut tirer des ch?ques. Ils doivent ?tre convertibles au pair dans la monnaie-marchandise. Comme cette derni?re a une raret? en tant que marchandise, la quantit? disponible et monnay?e exerce une contrainte sur le volume de transactions possibles.

Pour ?tre acceptables, les moyens de paiements ?mis par les banques doi

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M. AG LI ETTA BANQUES CENTRALES ET MONNAIE

vent ?tre des ? real bills ?, c'est-?-dire les contreparties d'effets de commerce

qui sont des droits sur des marchandises en instance de vente ou sur une produc tion vendable. Il n'est pas possible de savoir a priori si les monnaies bancaires sont ou non des ? real bills ?. C'est la contrainte mon?taire qui v?rifie cette qua lit? selon un m?canisme endog?ne du syst?me de paiements : la loi du reflux.

Lorsqu'une banque a un exc?s d'?mission de ses billets par rapport aux d?sirs du public, ? cause de la concurrence qui la pousse ? ?largir sa part de

march? dans l'escompte des effets de commerce, la contrainte mon?taire

s'exprime par la demande de conversion au pair de ses billets. Il y a trois modes

d'expression de cette contrainte : demande de conversion en esp?ces au guichet de la banque ?mettrice ; d?p?ts des billets en compte dans d'autres banques ;

maintien des billets en encaisses actives pour une d?pense suppl?mentaire pro chaine. La premi?re modalit? entra?ne un reflux imm?diat des billets, leur annu lation et la perte de r?serves en moyen de r?glement ultime par la banque ?met trice. La seconde modalit? entra?ne un accroissement des cr?ances d?tenues par d'autres banques sur la banque ?mettrice dans la compensation interbancaire et une demande de r?glement net ? rencontre de celle-ci. Elle doit disposer d'esp?ces et perd des r?serves pour annuler les billets en exc?dents qui lui sont

pr?sent?s ? la compensation. La troisi?me modalit? accro?t les int?r?ts cr?di teurs si les billets sont d?pos?s dans la banque ?mettrice. Ult?rieurement lors

qu'ils auront pay? des d?penses suppl?mentaires, ils reviendront pour ?tre annul?s par les deux voies pr?c?dentes. Mais les d?penses suppl?mentaires peu vent entra?ner des paiements en cha?ne et diffuser l'exc?s d'?mission sur plu sieurs banques, voire sur toutes les banques si les d?penses suscitent des impor tations suppl?mentaires.

On saisit la mani?re dont la loi du reflux contraint les banques. La perte de r?serves provoque un ajustement parce que la ou (les) banque (s) est (sont) dans une situation sous-optimale. L'avantage marginal ? d?tenir plus de r?serves devient sup?rieur au gain marginal de la mise en portefeuille de cr?ances suppl?

mentaires. Les r?serves doivent ?tre reconstitu?es; ce qui implique pour la

banque concern?e une sous-?mission de billets par rapport aux autres banques. Si c'est l'ensemble des banques qui fait une ?mission excessive de billets, l'expan sion mon?taire est limit?e par le paiement des importations et par la demande

d'esp?ces de la part des agents ?conomiques. Si donc les billets ?mis ne sont pas des ?real bills?, les co?ts croissants de liquidit? pour les banques (co?ts d'obtention des esp?ces) augmentent plus vite que les revenus tir?s des pr?ts. Il doit donc exister des montants optimaux de billets ?mis et de d?p?ts collect?s

pour un volume donn? d'esp?ces lorsque les banques sont en ?quilibre de bilan. Globalement la masse mon?taire est endog?ne parce qu'elle est d?termin?e

par les besoins du public, pour un niveau g?n?ral des prix exprim? en unit? de

compte marchandise. A l'?quilibre ce niveau des prix est ind?pendant des

moyens de paiements en circulation. C'est le volume des moyens de paiements qui se conforme au niveau des prix et ? la demande r?elle de monnaie des agents ?conomiques, l'ajustement ?tant r?alis? par la loi du reflux. Ce m?canisme d?termine le montant d?sir? des esp?ces pour un pouvoir d'achat des esp?ces qui est exog?ne au syst?me bancaire. Ainsi la dissociation de l'unit? de compte et de la monnaie bancaire para?t constituer un syst?me de paiements viable, tout en rendant superflue l'existence d'une banque centrale.

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COMMERCE, MARCH?, MONNAIE

Le "central banking ": syst?me des paiements hi?rarchis? avec monnaie

fiduciaire

La monnaie fiduciaire ?mise au passif d'une banque centrale est la caract?

ristique des syst?mes de paiements modernes. Dans ces syst?mes, l'unit? de

compte et les moyens de paiements sont indissolublement li?s. Les moyens de

paiements ?mis par les banques commerciales doivent ?tre interconvertibles et

convertibles en monnaie fiduciaire au pair et sans limites. L'unit? de compte est

purement nominale. Elle est d?finie en m?me temps que la r?gle d'?mission de la monnaie fiduciaire.

Les moyens de paiements n'ob?issent plus ? un crit?re de ? real bills ?, puis qu'ils n'ont pas ? subir l'?preuve de conversion en esp?ces ext?rieures au sys t?me bancaire. Le crit?re de leur ?mission est la richesse future anticip?e, cette ?mission cr?ant les moyens de r?aliser les ?changes qui devront valider les anti

cipations. Ainsi l'?mission mon?taire ob?it-elle ? une logique auto-r?f?rentielle.

Puisque la monnaie fiduciaire n'a ni raret?, ni utilit? intrins?que et qu'elle est ?mise ? co?ts n?gligeables, il n'existe pas de point d'?quilibre ? la cr?ation

mon?taire qui puisse d?couler des seules rationalit?s individuelles. La cr?ation mon?taire dans un tel syst?me de paiements est virtuellement instable. Pour ?carter les r?gimes explosifs, il faut organiser institutionnellement la raret? de la

monnaie fiduciaire de mani?re ? persuader les agents priv?s ? en formuler une

demande stable. C'est la strat?gie de l'ancrage nominal qui est inh?rente ? la

banque centrale, en tant que garante de la l?gitimit? de la monnaie fiduciaire. Un ?quilibre mon?taire est alors un ?tat compatible entre la r?gie d'?mission

de la monnaie fiduciaire et les anticipations des agents priv?s sur son pouvoir d'achat, ces derniers formant la demande qui valide cette ?mission et d?termine le pouvoir d'achat conforme aux anticipations. Il existe de nombreux r?gimes

mon?taires correspondant ? diff?rents ?quilibres dynamiques qui sont compati bles avec l'ancrage nominal.

Il s'ensuit que la r?gulation mon?taire dans les syst?mes de paiements du central banking r?sulte d'une politique et non pas d'un m?canisme. La banque centrale a un double degr? de libert?. Le premier est strat?gique : c'est le choix du r?gime qu'elle est capable de faire respecter. Le second est tactique : c'est le

degr? de d?viation qu'elle peut tol?rer par rapport ? l'?quilibre dynamique cor

respondant ? un r?gime donn? pour absorber des chocs, sans que les agents questionnent sa d?termination ? pr?server le r?gime sur lequel elle a engag? sa cr?dibilit?.

On vient de d?finir deux mod?les institutionnels de l'histoire mon?taire. Le mod?le du free banking est celui qui a ?volu? ? partir des syst?mes de paiements m?talliques. On peut toutefois en distinguer deux types. Le mod?le de free ban

king pur est un syst?me de banques concurrentielles sous la contrainte de la convertibilit? en monnaie m?tallique. Le mod?le de free banking impur est un

syst?me dans lequel il existe une banque diff?rente des autres en tant que banque de l'?tat. Mais la monnaie qu'elle ?met est soumise ? la convertibilit? en

esp?ces et cette banque n'exerce pas le r?le de banque des banques. Ces deux

types de free banking ont ?volu? vers le syst?me du central banking. Mais la transformation a ?t? bien diff?rente. Ainsi dans le cas des ?tats-Unis, des crises de paiements de plus en plus graves ont suscit? un processus l?gislatif qui a ins

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M. AG LI ETTA BANQUES CENTRALES ET MONNAIE

titu? une banque centrale. Dans le cas de l'Angleterre, les crises ont entra?n? la diff?renciation de la Banque d'Angleterre qui a ?labor? les outils et les fonc tions d'une banque des banques.

Nous allons d'abord ?tudier les processus qui font ?merger le besoin de

banque centrale dans un syst?me de free banking pur. Puis nous ?tudierons comment la Banque d'Angleterre a fait l'apprentissage de la rationalit? collec tive qui est au c ur du m?tier de banque centrale. L'enjeu de cette analyse n'est

pas trivial, puisque le free banking para?t formellement viable et que tout un courant contemporain de th?orie mon?taire s'en fait l'adepte pour pr?coniser une r?forme mon?taire visant ? restaurer ce mod?le.

L'?mergence des banques centrales

On cite g?n?ralement deux exp?riences de free banking sans banque centrale et avec r?glement des positions interbancaires en monnaie m?tallique : le sys t?me de paiement ?cossais qui dura plus d'un si?cle jusqu'en 1844 et qui attei

gnit son apog?e au d?but du xixe si?cle ; le syst?me bancaire am?ricain avec free banking int?gral de 1837 ? 1863, mais sans banque centrale jusqu'en 1913. Ces

exp?riences paraissent contrast?es. On ?tudiera d'abord l'?chec de l'exp?rience am?ricaine avant de s'interroger sur les conditions particuli?res du bon fonc tionnement de l'exp?rience ?cossaise.

L. H. White (1984) pr?tend que la loi du reflux est efficace. Les banques sont automatiquement contraintes ? n'?mettre que de la monnaie de bonne qua lit?, parce que toute ?mission en sus des besoins du public retourne ? l'?metteur

pour ?tre d?truite. Consid?rons les trois modalit?s d?finies formellement ci dessus : demander conversion en esp?ces ? la banque ?mettrice ; d?poser billets ou ch?ques en compte sur les livres d'une autre banque ; conserver les encaisses actives pour les d?penser prochainement, ce qui ?tend l'effet de la sur?mission dans le temps mais finit par ramener aux deux autres possibilit?s. Si la premi?re d?cision est syst?matique, elle n'?loigne gu?re d'un syst?me m?tallique qui met l'offre de monnaie dans un carcan non ?lastique. Car elle force les banques ?

n'?mettre que des certificats d'or ou d'argent garantis ? 100% par leurs encaisses. Elle ne sont gu?re que des entrep?ts de monnaie m?tallique. Seule la deuxi?me d?cision introduit une organisation mon?taire nouvelle : la relation de

correspondant entre banques. Les utilisateurs ont confiance dans la convertibi lit? des monnaies bancaires parce que les banques elles-m?mes acceptent l'inter convertibilit? de leurs monnaies. Mais cette organisation minimale du free ban

king est fragile, coinc?e qu'elle est entre le risque de faillite et la tendance ? cen traliser.

La relation de correspondant ne syst?matise pas le r?glement. Il s'y forme des positions bilat?rales imbriqu?es qui forment une structure financi?re pro pice au risque de syst?me. Car le free banking ne peut d?tacher l'?conomie mar

chande des limites ?troites des syst?mes m?talliques que gr?ce ? sa capacit? de cr?er des moyens de paiements ? bas co?ts. Mais la concurrence pousse les ban

ques ? faire des pr?ts non n?gociables et risqu?s, en acceptant des engagements ? vue ou ? courte ?ch?ance sans garantie d'encaisses. Or un syst?me ? positions bilat?rales et r?serves d?centralis?es a besoin de montants ?lev?s de r?serves

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COMMERCE, MARCH?, MONNAIE

pour garantir la s?curit? des paiements. La contradiction entre l'?lasticit? des

moyens de paiements dans les phases d'expansion des ?changes et la fragilit? financi?re en cas de retournement y est maximale. A cela s'ajoutent tous les ris

ques moraux et les ?ventualit?s de contrefa?ons, lorsque circule simultan?ment une multitude de monnaies ?mises par des banques dont les clients ne peuvent pas ?valuer la solvabilit?. Enfin parmi les clients, il y a l'?tat ; mais c'est un

client tr?s particulier. En choisissant telles banques plut?t que telles autres pour faire ses propres paiements et exiger le produit de ses recettes, l'?tat influence d?cisivement la concurrence. Les monnaies ainsi choisies acqui?rent une qualit? structurellement sup?rieure aux autres. Aussi la relation de correspondant ne

peut-elle pas pr?server la concurrence entre un grand nombre de banques par faitement libres. Elle ?volue n?cessairement vers une hi?rarchie bancaire qui polarise les comptes de correspondants. Certaines positions cr?ditrices aupr?s de banques ? haut statut vont servir de r?serves pour r?gler des positions d?bi trices avec des banques tierces. Lorsque la centralisation est en marche, elle ?volue vers des clubs bancaires r?gionaux, localis?s dans des places financi?res et organis?s autour de chambres de compensation.

En 1856 d?j?, six banques de New York concentraient les d?p?ts perma nents des banques avoisinantes, dont elles rachetaient les billets c?d?s par les

agents non bancaires.

Quels sont les caract?res de ces arrangements multilat?raux et coop?ratifs entre banques ? Sont-ils autre chose que des fonctions de banque centrale tron

qu?es ? La chambre de compensation est une organisation centralis?e qui introduit

d?cisivement la rationalit? collective dans les syst?mes de paiements. Les cham bres de compensation apparurent dans les principaux centres d'affaires des ?tats-Unis au milieu du xixe si?cle. L'avantage collectif qu'elles apportent tient ? deux r?gles constitutives : la compensation multilat?rale et le r?glement net simultan?. La chambre de compensation devient l'agent central sur lequel se d?terminent les positions cr?ditrices et d?bitrices. Elle permet l'?conomie de r?serves et la baisse drastique des co?ts dans la collection des ch?ques. En fonc tionnement normal, le r?glement pouvait se passer de monnaie m?tallique. Les chambres de compensation devenaient agents de r?glement en ?mettant des cer tificats pour le compte des banques qui d?posaient des r?serves aupr?s d'elles.

Dans les p?riodes de crise aigu?, la convertibilit? m?tallique ?tait suspendue et les chambres se rapprochaient encore plus des fonctions de banque centrale.

Leurs certificats valaient r?glement parmi les membres. Enfin certaines cham bres de compensation permirent d'acc?der ? une caract?ristique tr?s importante de la s?curit? des syst?mes de paiements : l'irr?vocabilit? (Goodfriend, 1988). Un ch?que d?pos? pour collection parmi les membres d'une m?me association bancaire peut donner un cr?dit imm?diat ? son b?n?ficiaire. Ce dernier devenait assur? contre le d?faut de la banque du payeur. Il fallait pour cela que l'ensemble des membres acceptent collectivement de couvrir le risque de liqui

dit? lorsque l'un d'entre eux ?tait incapable de r?gler sa position ? la chambre en fin de journ?e.

Il est bien clair que ces avantages ne vont pas sans des r?gles de fonctionne ment tr?s strictes qui n'ont plus rien ? voir avec le free banking dans sa version

originale. Ces r?gles devaient ?tre prolong?es par la surveillance des situations

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financi?res des membres et par les sanctions ? l'?gard des transgressions, pou vant aller jusqu'? l'exclusion d'un membre. Des exigences minimales de capita lisation ?taient d?finies et des investigations fr?quentes des banques par les comit?s d'experts des chambres ?taient r?alis?es.

Mais une rationalit? collective tronqu?e est globalement inefficace dans le domaine des biens publics. Les graves insuffisances apparaissent clairement

lorsqu'on observe le syst?me de paiements des ?tats-Unis dans son ensemble et

pas seulement le sous-syst?me form? par le club des banques new-yorkaises. L'organisation multilat?rale des r?glements interbancaires sous l'?gide d'une

banque centrale est sup?rieure aux organisations collectives de statut priv?, parce qu'elle n'exclut pas et qu'elle peut assumer le risque de liquidit? dans les cas extr?mes en ins?rant la fonction de pr?teur en dernier ressort. Au contraire, une association de banques ? statut priv? voit son action entrav?e par des conflits d'int?r?ts en temps de crise, si elle n'est pas limit?e ? un petit nombre de

banques. Car pr?ter en temps de crise est une action qui va ? l'encontre de la rationalit? du march?. Certaines banques solides seront incit?es ? laisser tomber en faillite des concurrents plus fragiles. L'appartenance ou non ? une chambre de compensation devient une barri?re ? l'entr?e et un puissant facteur d'in?ga lit? dans la concurrence (Goodhart, 1988). C'est bien pourquoi l'institution de la banque centrale, en tant qu'agent central de r?glement, est le prolongement logique du free banking. La banque centrale est la seule entit? capable de conci lier la ma?trise collective des risques sur l'ensemble du syst?me de paiements et la pr?servation d'une concurrence loyale entre les banques.

L'exp?rience des ?tats-Unis renforce cette conclusion par d?faut. Les chambres de compensation ? statut priv? n'ont jamais emp?ch? les crises finan ci?res. Dans ces conditions-l?, seuls ?taient pr?serv?s les paiements internes aux associations bancaires. Les autres positions d?bitrices devaient ?tre r?gl?es en

monnaies m?talliques. L'impossibilit? de le faire provoquait la d?cote des bil lets des banques non membres des syst?mes de compensation ? cause de la sus

pension de la convertibilit?. Il en r?sultait un fractionnement du syst?me de

paiements rendant les country banks extr?mement vuln?rables. L'hostilit? entre country banks et city banks s'est cristallis?e ? un point tel qu'elle est tou

jours pr?sente dans les discussions actuelles sur la r?forme bancaire. Comme la

p?nurie de liquidit? ?tait intense en condition de crise dans les r?gions ne dispo sant pas de chambres de compensation puissantes, le march? mon?taire ?tait lui-m?me fractionn? ; ce qui se manifestait par des disparit?s r?gionales de taux d'int?r?t.

Le National Bank Act de 1863, engagea une r?forme pour mettre fin juridi quement au free banking pur, instituer des banques ? charte nationale et unifor

miser la qualit? des monnaies sur le territoire. Pourtant la vuln?rabilit? du sys t?me des paiements am?ricains aux paniques bancaires n'a fait que s'aggraver jusqu'au paroxysme de 1907. Malgr? les chambres de compensation r?gionales qui faisaient circuler leurs certificats comme monnaie, les retraits des d?posants demandant conversion en or s'?tendirent dans tout le pays. La d?b?cle finan ci?re d?cida le Congr?s d'engager une r?forme radicale selon les principes mis en uvre en Angleterre cinquante ans plus t?t sous l'inspiration de Bagehot. Il

s'agissait de confier ? une Commission Mon?taire Nationale la mission d'?tu dier les moyens de doter le pays d'une institution ayant capacit? de banque cen

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COMMERCE, MARCH?, MONNAIE

traie dans deux domaines d?cisifs : fournir une offre ?lastique d'un moyen de

r?glement unique et assumer la responsabilit? d'un pr?teur en dernier ressort.

L'exp?rience historique am?ricaine fut exemplaire. Elle nous a permis de mettre en ?vidence la logique ?volutionnaire du d?veloppement des syst?mes de

paiements. Le cas ?cossais n'est pas un contre-exemple s?rieux. Deux traits essentiels indiquent bien sa particularit? : les banques ?cossaises n'?mettaient

que des billets, pas de d?p?ts ; elles ?taient peu nombreuses et avaient chacune une surface financi?re importante par rapport au montant total des billets en

circulation (Gorton, 1985). Car la caract?ristique du paiement par ch?que est de

s?parer le moyen de paiement qui circule et la liquidit? qui demeure inscrite dans les comptes de d?p?ts. Contrairement aux billets, il n'est donc pas possible de v?rifier la qualit? de la signature sur un march? secondaire. La qualit? d?pend des d?p?ts qui ne sont pas des instruments n?gociables. Or c'est le pro cessus de file d'attente associ? ? la conversion des d?p?ts qui est le ressort fon damental des paniques bancaires (Diamond et Dybvig, 1983). Avec le d?velop pement des d?p?ts et du paiement par ch?ques, la centralisation des paiements progresse beaucoup plus vite et requiert le m?canisme non marchand de conver tibilit? qu'est la compensation et le r?glement net des positions multilat?rales.

La rationalit? de la banque centrale

La banque centrale est l'institution qui s'implante au centre des syst?mes de

paiements pour garantir les r?glements, emp?cher les d?faillances syst?miques, contr?ler l'expansion des moyens de paiements, d?finir les r?gles prudentielles pour les membres et en surveiller le respect.

La centralisation des paiements s'impose avec l'invention de la monnaie

scripturale articul?e aux comptes de d?p?ts bancaires. Car cette modalit? du

paiement d?tache l'instrument lui-m?me (le ch?que) et la liquidit? (le d?p?t ins crit en compte). C'est donc une signature priv?e qui circule. Il s'ensuit que le flux des paiements peut ?tre perturb? par des risques de d?faut et par l'aire limit?e de l'acceptation des signatures. L'organisation de syst?mes de compen sation et de r?glement, dont la banque centrale est le noyau, conf?re aux

moyens de paiements, transmis et accept?s par les banques qui sont membres de ces syst?mes, une qualit? uniforme dans la communaut? de paiements natio nale. C'est d'ailleurs pourquoi le doute sur la capacit? d'un membre du syst?me ? honorer le r?glement de sa position d?bitrice tend ? se transformer en risque de syst?me. Ce doute ?branle la confiance des d?posants dans l'interconvertibi lit? des monnaies bancaires, jetant la suspicion sur la qualit? des signatures de toutes les banques li?es par des r?gles communes. C'est pourquoi la banque cen trale doit s'occuper de la s?curit? globale des syst?mes de paiements.

Corr?lativement l'organisation m?me des syst?mes centralis?s donne ? la

banque centrale les moyens en information et exp?rience pratique, m?moris?e et accumul?e par ses services de march? et ?clair?e par ses services d'analyse, de

mettre en uvre une logique de situation. Il faut avoir une bien pi?tre connais sance des banques centrales pour les accuser d'?tre les porte-parole d'une

logique arbitraire et d'imposer aux march?s des int?r?ts politiques partisans. Cela ne pr?juge en rien de l'efficacit? de leur action. Pour le meilleur et pour l?

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M. AG LI ETTA BANQUES CENTRALES ET MONNAIE

pire, les banques centrales ont d?velopp? des fonctions qui ne doivent rien ? des constructions a priori ou ? des statuts conf?r?s par la loi, mais tout ? leur pr? sence au centre des syst?mes de paiements et dans les march?s mon?taires. Cela

ne vaut, bien entendu, que dans les pays o? la banque centrale op?re au c ur de

syst?mes bancaires d?j? d?velopp?s, dont elle tire les informations qui lui per mettent d'?laborer une connaissance d?taill?e sur l'?tat des tensions financi?res.

En effet, l'usage de la monnaie scripturale transforme l'information ?l? mentaire qui est le produit joint de chaque paiement. Cette information devient

arithm?tique, personnalis?e et enregistr?e dans des comptes bancaires ouverts au nom de chaque contrepartie aux transactions. C'est pourquoi le syst?me des

paiements est le v?ritable op?rateur pratique du passage entre le niveau micro?

conomique et le niveau macro?conomique. Dans les positions de chaque banque sur l'ensemble des autres, qui sont calcul?es en fin de journ?e comp table sur les livres de la chambre de compensation, se trouve un r?sum? des flux de paiements qui ont travers? le syst?me, quelles que soient les transactions

d'objets ?conomiques qui en ont ?t? contreparties. Les banques peuvent appar tenir ? plusieurs syst?mes de compensation, pour les transactions ?conomiques courantes de leurs clients ou pour les transactions financi?res, pour la grande

masse des transactions de petits montants ou pour les transactions de gros mon

tants, pour les transactions entre r?sidents ou pour les transactions impliquant les non-r?sidents. Mais les soldes ? r?gler sur les positions finales, r?sultant des services de paiements offerts par les banques dans tous ces syst?mes, doivent se

d?verser sur les livres de la banque centrale, lorsque la monnaie centrale est le

moyen de r?glement ultime. C'est donc en ce lieu que se lit l'information sur les tensions financi?res rencontr?es par les banques. Pour honorer leurs obliga tions de r?glement, ces derniers devront se procurer la monnaie centrale requise en tirant sur leurs comptes de r?serve, en empruntant les fonds ? d'autres ban

ques sur le march? interbancaire, en mettant des actifs financiers n?gociables en

pension, en s'adressant ? la fen?tre de l'escompte. Tous ces proc?d?s branchent directement la banque centrale sur l'approvisionnement en liquidit? de l'ensemble du syst?me bancaire. C'est pourquoi elle peut relier ?troitement l'?tat des tensions financi?res exprim?es par le syst?me de paiements et la conduite quotidienne de la politique mon?taire. La banque centrale peut aussi

apprendre ? d?celer les situations des banques en difficult?, ? juger de la propa gation possible des tensions en risque de syst?me et ? d?cider de l'opportunit? de pr?ter en dernier ressort.

On en tire une conclusion d'une grande port?e th?orique. Dans une ?co nomie de paiements, la banque centrale dispose d'informations sur l'?tat de l'?conomie que les autres agents n'ont pas. Cela justifie enti?rement la possibi lit? d'actions discr?tionnaires ? effets r?els. Bien entendu, ces effets ne seront favorables ? la stabilit? ?conomique globale que si la rationalit? collective

port?e par la banque centrale est continuellement enrichie d'un savoir pratique puis? dans sa pr?sence sur les march?s de capitaux. Nous allons suivre la forma tion de ce savoir dans l'histoire en prenant l'exemple de la Banque d'Angle terre, cette quintessence de la banque centrale qui a invent? ? the art of central

banking ? dans ses rapports ?troits avec les march?s mon?taires internationaux.

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COMMERCE, MARCH?, MONNAIE

Bagehot et le pr?teur en dernier ressort

Le pr?teur en dernier ressort est un r?le qui a souvent ?t? identifi? ?

l'essence du m?tier de banque centrale. Ce r?le entretient le myst?re sur Topa cit? dont s'entoure la banque centrale. Car pr?ter en dernier ressort n'est jamais une op?ration de routine. C'est une op?ration exorbitante des r?gies de la concurrence. Elle l?ve, en effet, la contrainte budg?taire qui devrait s'exprimer dans les obligations de r?glement. Elle suspend la logique de l'?conomie de

paiement par un acte qui est accompli en vue de la p?rennit? de cette ?conomie. Il y a violation du march? puisque des engagements priv?s n'ont pas ?t? res

pect?s ; mais la sanction en est suspendue pour une dur?e ind?termin?e par une

d?cision souveraine, non pas report?e contractuellement dans le temps. Il y a

p?rennisation du march? puisque sont pr?serv?s d'autres engagements priv?s, qui sont parfaitement sains mais qui ne pourraient pas ?tre honor?s ? cause de la r?percussion externe des engagements qui ont failli. Il est clair, que cette intervention implique un al?a moral puisqu'elle dissocie le co?t social et le co?t

priv?. Il y a al?a moral lorsque le pr?teur en dernier ressort pr?cipite les pro cessus contre lesquels il procure une assurance collective. Pour diminuer cet

al?a, la banque centrale doit cr?er une impr?visibilit? sur l'?ventualit? de son

intervention. C'est pourquoi W. Bagehot a r?ussi un tour de force qui n'a

jamais ?t? renouvel? : procurer une doctrine pour ce qui est irr?ductiblement une situation singuli?re.

Le d?bat sur le pr?teur en dernier ressort remonte ? H. Thornton qui insis

tait, d?s 1802, sur la responsabilit? que devait avoir la banque d'approvisionner en liquidit? les banques saines en p?riode de panique bancaire. Ce conseil ne fut

pas suivi. Entre 1790 et 1866, l'Angleterre subit huit ann?es de panique (M. Bordo, 1990). Chaque retournement du cycle des affaires en son sommet

d?g?n?rait en crise de syst?me. Ces paniques ?taient d?clench?es par la faillite d'une institution financi?re importante qui pr?cipitait la demande de conver sion en or dans toutes les banques. Dans ces circonstances, la Banque d'Angle terre cherchait ? prot?ger ses propres r?serves ; ce qui aggravait la panique.

Lorsqu'elle se d?cidait ? intervenir, c'?tait beaucoup trop tard pour ?viter une cascade de faillites bancaires. La r?forme de 1844 s?para la banque en deux

d?partements, durcit la contrainte d'?mission des billets, g?n?ralisa ? l'ensemble du pays le monopole de la banque sur l'?mission de num?raire. Cette r?forme aggrava sensiblement l'intensit? des paniques, avec un paroxysme dans la crise financi?re de 1866 dont l'observation conduisit Bagehot ? formuler sa

doctrine. La crise de 1866 ?clata avec la faillite de la Overend Gurney Company un

vendredi noir de mai. Le jugement de Bagehot sur cet ?pisode fut sp?cialement s?v?re : ? These losses were made in a manner so reckless and foolish that one

would think a child who had lent money in the City of London would have lent it better? (Bagehot, 1873). Cependant cet ?pisode fut le point final d'une crise

qui se d?veloppa sur des situations financi?res fragilis?es par un effondrement des prix mondiaux du coton remontant ? 1864. Cet avertissement dans un sec teur sensible ? l'?poque fut ignor? parce qu'il se produisit en pleine expansion sp?culative. Les maisons de r?escompte acceptaient le papier tr?s lib?ralement.

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Dans cette ambiance euphorique, la firme Overend Gurney choisit de se trans former en soci?t? par actions cot?es au Stock Exchange en juillet 1865. Cela

renfor?a la sp?culation au point que la plus-value sur les actions de la compa gnie atteignit 100% en octobre, exacerbant l'engouement pour toutes les actions du march? et la surench?re des soci?t?s cot?es dans leur distribution de dividendes. Les achats ? d?couvert firent monter les taux d'int?r?t sur le march?

mon?taire. Voyant qu'elle perdait des r?serves par demande de conversion de ses billets par ses clients qui recherchaient des placements sur le march? mon?

taire, la Banque d'Angleterre ?tait ? la remorque du march?. Elle prit la d?ci sion fatale d'?lever brutalement son taux d'escompte de 3 ? 7 ?/o. La d?tresse financi?re s'installa parmi les maisons d'escompte et finit par gagner les ban

ques de clearing. Etouff?e par la p?nurie de liquidit?s, la sp?culation agonisa jusqu'en mai o? se produisit le crash final.

Dans cette crise comme dans les pr?c?dentes, l'ind?cision ?tait grande sur ce

qu'il fallait faire pour soulager les effets des paniques. La responsabilit? incom bait-elle au Tr?sor ou ? la Banque ? Fallait-il suspendre les limites ? la capacit? d'escompte que le Bank Act de 1844 imposait ? la Banque ? Quand et ? qui fal lait-il pr?ter ? Uniquement aux maisons de titre connues et respect?es de longue

date ou ? quiconque pr?sentait un collat?ral acceptable ? Comment d?finir un collat?ral acceptable en temps de crise? Pouvait-on se permettre d'accro?tre l'offre de monnaie sans restriction?

Ce d?bat multiforme ?tait relanc? p?riodiquement sans que des conclusions d?finitives puissent ?tre atteintes ni parmi les dirigeants de la Banque, ni dans la

City, ni au sein du gouvernement. Cependant, tout au long du xixe si?cle le volume et la complexit? de l'activit? financi?re s'?taient d?velopp?s ; l'imbrica tion des engagements et l'influence des connexions internationales rendaient les crises financi?res plus douloureuses ? supporter, plus ?tendues et plus incer taines dans leurs cons?quences ; enfin l'influence exerc?e par les d?cisions de la

Banque sur l'ensemble du syst?me financier ?tait devenue telle que des actions ?

contretemps avaient des influences n?fastes. L'exp?rience pratique des externa lit?s n?gatives dans les situations de crise et des r?percussions plus fortes des actions de la Banque que de celles de tout autre partenaire financier de la City gagnait du terrain. Aussi la formalisation de cette exp?rience dans l'expos? rigoureusement articul? de Bagehot arriva-t-elle sur un terrain propice. Ce qui fut ensuite reconnu comme ?tant la doctrine classique du pr?teur en dernier res sort fut la formulation d'une rationalit? collective, en tant qu'ensemble de prin cipes destin?s ? guider la conduite de la Banque face ? des situations singuli?res.

Cette doctrine fut g?n?ralement accept?e parce que les financiers influents avaient per?u qu'il ?tait de leur int?r?t d'aider des concurrents en d?tresse, ? cause de l'effet en retour de la chute de ces concurrents sur leur propre solidit?. La contagion ?tait donc le p?ril ? combattre. Il fallait pour cela une source de

liquidit? ext?rieure aux march?s de la monnaie et suffisamment ind?pendante dans sa mise en uvre pour ne pas ?tre l'otage de ses b?n?ficiaires. La rationa lit? collective du pr?teur en dernier ressort pouvait ?tre identifi?e et explicit?e, ?

partir du moment o? il ?tait possible de distinguer conceptuellement la stabilit?

globale du syst?me financier et le destin des institutions particuli?res. Tel fut le m?rite de Bagehot (Garcia et Plantz, 1988). Il ?non?a des principes g?n?raux et

des r?gles de conduite compatibles.

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COMMERCE, MARCH?, MONNAIE

Les principes g?n?raux sont les suivants. Le pr?t en dernier ressort ne doit

pas avoir de cons?quences durables qui puissent mettre en p?ril Tordre mon?

taire, c'est-?-dire la confiance in?branlable dans la convertibilit?-or des billets ?mis par la Banque d'Angleterre en temps normal. L'assistance financi?re fournie par la Banque doit anticiper sur la crise de liquidit? et doit ?tre tempo raire. Elle doit ?tre donn?e dans le seul souci de la stabilit? globale du syst?me financier ; ce qui doit exclure le secours aux institutions qui ont failli. Ces der ni?res doivent ?tre vendues ? de nouveaux propri?taires et recapitalis?es.

Des prescriptions pr?cises, mais dont la mise en uvre implique interpr?ta tion et jugement dans chaque situation singuli?re, d?coulent de ces principes :

pr?ter sans limite quantitative pour ?touffer les paniques et ? tous les emprun teurs sains sans discrimination (qu'ils soient bancaires ou non, financiers ou

non). La qualit? des emprunteurs est d?finie par celle des collat?raux qu'ils peu vent pr?senter. Les collat?raux acceptables sont des titres de toutes natures qui sont r?put?s ?tre de bonne qualit? en temps normal. La Banque doit les accepter ? leurs valeurs d'avant crise, pour que les d?biteurs sains ne soient pas p?nalis?s par la baisse g?n?rale des prix des actifs financiers devenus illiquides ? cause de la crise syst?mique. En outre le pr?t en dernier ressort doit ?tre accord? ? des taux de p?nalisation pour d?courager les emprunteurs d'y avoir recours lorsque d'autres sources de liquidit? sont encore disponibles. La p?nalisation se justifie aussi comme une prime de risque pour la Banque qui doit couvrir les pertes potentielles inh?rentes ? l'acceptation de collat?raux ? leur valeurs d'avant crise. La derni?re recommandation concerne la cr?dibilit?. Pour conforter la confiance du public tout en contenant l'al?a moral, il faut annoncer les prin cipes ? l'avance et s'y tenir strictement.

C'est ce que fit la Banque avec beaucoup d'efficacit?. En contraste saisis sant avec ce qui se passa aux ?tats-Unis, les crises financi?res majeures de 1878, 1890, 1907 ne d?g?n?r?rent pas en paniques bancaires g?n?ralis?es. Le sauve

tage de la firme Baring Brothers en 1890, notamment, fut un ?pisode signifi catif d'une logique de situation g?r?e avec ma?trise par la Banque d'Angleterre sous l'?clairage des principes de Bagehot. La firme ?tait en d?tresse financi?re

aigu? au mois de novembre 1890 ? la suite d'acceptations sur l'Argentine qui s'?taient av?r?es en d?faut (Kindleberger, 1978). Lorsque la situation financi?re de Baring devint publique, la Banque d'Angleterre craignit la panique. Mais ses r?serves d'or ?taient basses et une hausse de son taux directeur pour les recons tituer s'av?rait inopportune dans le contexte. Apr?s un contact avec le Chance lier de l'?chiquier, la Banque d'Angleterre arrangea un pr?t accord? par la

Banque de France pour renforcer ses r?serves. Elle forma un Comit? d'experts compos? de directeurs de la Banque et de financiers de la City pour ?valuer le

montant de titres argentins sur le march?. Enfin elle se mit ? escompter les lettres de change pr?sent?es par Baring, apr?s que l'expertise ait conclu que

Baring ?tait solvable ? long terme ? condition de leur fournir 8 ? 9 millions de livres de liquidit?s. Le Gouverneur de la Banque obtint du Chancelier que le

gouvernement partagerait les pertes sur le papier Baring que la Banque allait

escompter. Fort de cet accord, le Gouverneur rencontra les propri?taires de onze banques priv?es pour les persuader de contribuer ? un fonds de garantie destin? ? couvrir les engagements de Baring. Il obtint aussi de la Banque d'?tat de Russie qu'elle ne retire pas 2, 4 millions de livres d?pos?s chez Baring. Un

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M. AGLIETTA BANQUES CENTRALES ET MONNAIE

fonds de 7, 5 millions de livres sterling fut constitu?, qui fut ensuite port? ? 10 millions. Cela impressionna l'opinion et permit de restructurer la firme sans

d?clencher de panique. Le 25 novembre 1890 une nouvelle firme Baring Bro thers and Co fut constitu?e avec un capital d'un million de livres.

La Banque d'Angleterre : "primum inter-pares "

sur le march? mon?taire

La doctrine de Bagehot n'?puisait pas les responsabilit?s collectives de la

Banque d'Angleterre. Son r?le d'agent de r?glement dans les syst?mes de paie ments faisait de son taux d'escompte une variable cruciale du march? mon? taire. Mais cela ne conf?rait pas une ligne de conduite pr?d?termin?e dans la

manipulation du taux de r?escompte {Bank rate). Le d?veloppement des mar ch?s financiers ? Londres et l'implantation des banques ?trang?res dans la City ? partir de 1850 augmentaient consid?rablement l'influence internationale du taux de la Banque. Or cette derni?re ?tait en concurrence avec les autres institu tions mon?taires implant?es ? Londres. Elle avait le souci de ses profits pour r?mun?rer ses actionnaires, comme tout autre firme priv?e.

Certes la Banque avait des responsabilit?s uniques dans la gestion des finances de l'?tat. Ce r?le avait grandement contribu? ? affermir son prestige dans la City. N?anmoins, le souci de la Banque pour ses propres profits entrait en conflit avec l'?mergence de ses responsabilit?s collectives (Sayers, 1957). Car la contrainte de rentabilit? conduisait logiquement les gestionnaires de la

Banque ? suivre la concurrence pour limiter ses risques propres. La prudence ?tait d'autant plus de mise que la Banque devait assumer trois missions:

garantir la convertibilit?-or de ses billets dans le carcan de l'Acte de Peel, satis faire les besoins financiers de l'?tat, pr?server le revenu des actionnaires. Ces

missions ?taient d'autant plus difficiles ? concilier que ses r?serves libres en or, c'est-?-dire non gel?es par la couverture des billets, ?taient tr?s faibles par rap port ? ses engagements liquides vis-?-vis des agents r?sidents et non r?sidents.

Pendant de longues d?cennies, la contrainte de profit avait conduit la

Banque ? s'aligner sur le taux du march? mon?taire. Elle n'exer?ait aucune action stabilisatrice. Lorsque la demande de cr?dit commen?ait ? s'emballer dans la phase montante du cycle, la Banque conservait un taux d'int?r?t faible

pour maintenir sa part de march?, alors qu'elle aurait d? durcir les conditions mon?taires en montant son taux d'escompte suffisamment t?t pour casser l'ali mentation ? cr?dit de la sp?culation. Lorsque la crise ?clatait et qu'elle perdait des r?serves, elle ?levait brutalement son taux ; ce qui achevait d'?trangler la

liquidit? et pr?cipitait les faillites bancaires. L'apprentissage de ses responsabi lit?s collectives au quotidien vis-?-vis du march? mon?taire ?tait donc le

compl?ment logique de la doctrine de Bagehot. Le besoin de r?agir au r?seau de contraintes qui l'enserraient augmenta dans les ann?es 1870 avec le changement de l'environnement financier. D'un c?t? on vit appara?tre des banques commer

ciales ? surface financi?re ?largie gr?ce au statut de soci?t?s par actions. Ces

banques commerciales plus solides confin?rent la Banque d'Angleterre ? une

part marginale du march?. Car ces banques commerciales londoniennes absor b?rent dans des syst?mes de succursales les Country Banks qui jusqu'alors pla ?aient ? Londres des liquidit?s tr?s sensibles au taux du march? mon?taire.

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COMMERCE, MARCH?, MONNAIE

D'un autre c?t?, la g?n?ralisation de la lettre de change en sterling pour financer le commerce international rendait les mouvements de capitaux ? court terme tr?s sensibles au taux mon?taire de la City. Ainsi les changements structu rels de la finance oblig?rent-ils la Banque ? hi?rarchiser ses missions et ? trouver des moyens permanents pour contr?ler le march? mon?taire. Car la perte d'influence de la Banque sur les taux d'int?r?t ?tait un risque grave : elle pouvait

menacer la convertibilit? des billets et entra?ner une ?rosion de ses revenus.

N'ayant aucun moyen l?gal d'imposer des r?serves obligatoires fractionn?es aux banques commerciales, la Banque d'Angleterre dut inventer l'art du ban

quier central. Il n'existe pas d'exemple plus pur de mod?le historique ?volution naire pour comprendre l'?mergence d'une rationalit? collective ? partir de la

dynamique des march?s. En 1878, pour la premi?re fois, la Banque prit la d?cision de ne traiter au

taux du march? que ses clients particuliers. Les interm?diaires financiers seraient trait?s dor?navant ? un taux officiel sup?rieur au taux du march? et fix? discr?tionnairement par la Banque (Sayers, 1976). Ainsi la Banque r?ussit-elle ? concilier son r?le commercial et son r?le d'institution centrale, consacr? au gui dage et au contr?le du syst?me financier dans l'int?r?t du public. Le taux de

r?escompte devenait le maximum des taux du march? mon?taire. En emprun tant sur le march? pour en retirer des liquidit?s, la Banque emp?chait le taux du

march? d'?tre ind?pendant de son propre taux. Ce dernier devint flexible en

fonction de l'?tat des r?serves d'or et des indications fournies par le r?glement des positions interbancaires sur l'?tat des tensions ? court terme du march?

mon?taire. Au fur et ? mesure que progressait l'apprentissage des informations

communiqu?es au march? par la Banque ? travers les variations de son taux

directeur, la r?ponse des banques devint plus pr?cise dans leur d?lai et dans leur

amplitude. Un savoir pratique partag? se d?veloppa dans la City ? partir de la diff?renciation des r?les.

La Banque prit des dispositions techniques, telles que l'exp?rimentation de Y open market dans les ann?es 1890, pour renforcer la transmission de ses d?ci sions au march?. V?ritable embl?me du pouvoir de la banque centrale, le taux officiel ?tait solennellement annonc? chaque semaine par le Conseil des direc teurs sans aucun attendu. Le seul expos? sur la politique de la Banque peut ?tre consult? dans les archives du Congr?s gr?ce ? la r?ponse au questionnaire de la Commission mon?taire am?ricaine en 1909. D'une mani?re tr?s significative le

communiqu? ne fait mention d'aucun des objectifs de politique mon?taire

qu'on a l'habitude de pr?ter aux banques centrales de nos jours. La Banque ne visait pas ? agir sur l'activit? ?conomique, ni ? stabiliser les prix, ni elle se sou ciait des d?s?quilibres de balance de paiements. Elle n'avait qu'un imp?ratif cat?gorique : garantir la convertibilit?-or de ses billets. Cette r?gle ?vitait les conflits strat?giques entre la Banque et le gouvernement ; elle assurait son ind?

pendance. Mais ce n'?tait en aucun cas un pilote automatique pour la gestion, contrairement ? ce que les th?oriciens quantitativistes voudraient faire croire. La r?gle devait ?tre interpr?t?e dans les situations du march? mon?taire pour former un jugement ? partir duquel le Conseil de direction prenait une d?cision sur le taux d'int?r?t de la Banque.

Chaque semaine il fallait d?cider si les r?serves libres d'or ?taient ad?quates ou non en anticipant les mouvements prochains. Ces derniers concernaient les

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M. AG LI ETTA BANQUES CENTRALES ET MONNAIE

drainages internes aussi bien qu'externes. Outre le ratio des r?serves libres au

passif exigible, le Gouverneur observait aussi le montant absolu des r?serves. Parce que la Banque op?rait avec une marge tr?s ?troite, le Gouverneur avait une opinion sur un minimum critique absolu. Aussi les drainages saisonniers

anticip?s pouvaient-ils avoir une influence sur le taux de la Banque. Il en allait de m?me des fluctuations externes. L'?conomie am?ricaine ?tait tr?s sensible aux rythmes agricoles et Pin?lasticit? de son syst?me mon?taire provoquait de fortes demandes saisonni?res d'or ? Londres que les gestionnaires de la Banque devaient anticiper.

Le pouvoir de la banque centrale sur les mouvements d'or par son taux offi ciel ?tait essentiellement mon?taire et s'exer?ait ? tr?s court terme gr?ce aux

mouvements internationaux de capitaux. Toute r?percussion plus longue ?ven tuelle par l'interm?diaire des taux d?biteurs des banques et de la demande de cr?dit n'?tait pas consid?r?e avant la crise de l'automne 1907 o? la Banque dut

monter son taux jusqu'? 7 ?/o. Habituellement le taux de la Banque n'avait ? varier que dans la plage 3 ? 5 %, o? il ?tait tenu pour acquis que l'influence sur les conditions du cr?dit ?tait faible. C'est dire l'importance d?cisive de l'?lasti cit? des mouvements internationaux de capitaux pour la stabilit? du syst?me de l'?talon-or. Cette ?lasticit? d?pendait crucialement de la puissance du levier exerc? par le taux officiel de la banque sur les taux du march? mon?taire.

Comme les bons du Tr?sor ?taient insignifiants, la Banque n'avait pas en porte feuille des titres imm?diatement n?gociables sur un march? profond et r?silient d'effets publics. La vente et l'achat directs de papiers n?gociables de qualit? strictement d?finie avec ses clients priv?s ?tait une technique d'appoint. La rela tion essentielle utilisait la hi?rarchie du syst?me bancaire londonien. Le travail de v?rification et d'escompte des effets de commerce internationaux accept?s par les banques du monde entier ?tait effectu? par les maisons d'escompte lon doniennes. Lorsque la Banque voulait r?duire les fonds disponibles sur le march? mon?taire, elle ponctionnait les liquidit?s qui servaient aux maisons

d'escompte ? financer leurs achats de titres internationaux. Pour cela, la

Banque se portait elle-m?me emprunteuse de fonds qui auraient ?t? pr?t?s sur le march? mon?taire. Ce n'est qu'? partir de 1906 que la structure du syst?me financier se transforma au point d'obliger la Banque ? adapter ses m?thodes.

Elle se mit ? emprunter directement aux banques de clearing qui ?taient deve nues de grandes banques commerciales. Un march? oligopolistique de

l'escompte commen?a ? se dessiner avec le guidage de la Banque d'Angleterre qui devait pr?valoir apr?s la premi?re guerre mondiale.

La Banque d'Angleterre exer?ait une action fine sur la conjoncture globale tant que le march? mon?taire de Londres r?sumait l'?tat des tensions finan ci?res mondiales. D'un c?t? les non r?sidents empruntaient ? Londres ? court terme parce que la lettre de change en livre sterling ?tait le moyen universel de

paiement du commerce international. D'un autre c?t?, les non-r?sidents d?te naient des balances liquides dans les banques anglaises parce qu'ils b?n?fi

ciaient du cr?dit international de ces m?mes banques. C'est pourquoi la Banque d'Angleterre pouvait faire levier sur l'ensemble des taux internationaux ? court terme en intervenant dans le march? interbancaire entre les banques r?ceptrices des apports de capitaux et les maisons d'escompte qui les empruntaient (Van Cleveland, 1976). Le canal principal d'influence sur l'?conomie r?elle du chan

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COMMERCE, MARCH?, MONNAIE

gement des taux d'int?r?t mon?taires passait par la variation du co?t du finan cement des stocks ? une ?poque o? le march? mondial des mati?res premi?res jouait un r?le d?cisif dans l'activit? industrielle (J. F. Vidal, 1989).

La r?gulation macro?conomique de la Banque d'Angleterre peut donc ?tre mise en ?vidence dans sa subtilit?. Un emballement du cr?dit international entra?nait un accroissement des stocks ? financer plus rapide que les ventes. Les

maisons d'escompte de Londres ?taient de plus en plus sollicit?es pour escompter les lettres de cr?dit ?mises dans le commerce international et accep t?es par les banques. Elles devaient donc elles-m?mes emprunter des liquidit?s.

La tension sur les taux d'int?r?t des effets de commerce internationaux se r?per cutait sur le taux du march? interbancaire ? Londres. Lorsque les banques se

pressaient au r?escompte, l'?cart entre le taux d'int?r?t du march? et le taux officiel de la Banque se r?duisait. C'?tait un premier indicateur de tension financi?re. Si la Banque r?escomptait un volume croissant d'effets ?ligibles au

m?me taux, elle devait ?mettre un montant ?quivalent de monnaie en contre partie dans son d?partement de banque. Cela provoquait une augmentation du passif exigible ? Tencaisse-or libre dans le d?partement d'?mission. C'?tait le deuxi?me et le plus important indicateur de tension. La Banque d?cidait d'accro?tre son taux, d'une amplitude ?talonn?e par l'exp?rience, pour r?tablir le ratio d?sir?. L'incidence sur le taux pratiqu? par les maisons d'escompte ?tait imm?diate et la r?percussion sur le financement du commerce international tr?s rapide. En m?me temps les liquidit?s, attir?es par la r?mun?ration plus ?lev?e, affluaient sur le march? mon?taire de Londres. Ce mouvement de capitaux ? court terme tendait ? appr?cier la livre sterling ; ce qui entra?nait la r?action des banques centrales dans les autres pays li?s par T?talon-or. La connexion ainsi ?tablie entre la gestion de la conjoncture mondiale par la Banque d'Angleterre et la stabilisation des taux de change par les banques centrales ?trang?res d?ter

minait une dynamique stable (Aglietta, 1990).

L'ind?pendance des banques centrales

Quelles le?ons peut-on tirer de l'?volution des syst?mes mon?taires depuis l'?poque cruciale o? les banques centrales ont ?tabli leur r?le directeur sur les conditions du cr?dit ?

Les syst?mes hi?rarchis?s dans lesquels l'unit? de compte est purement nominale se sont impos?s dans l'ensemble des pays industrialis?s. En d?pit de la r?surgence du d?bat acad?mique, le retour du free banking pur ne parait plus ?tre une solution s?rieuse aux probl?mes pos?s par la globalisation financi?re. Il n'en demeure pas moins que le triple processus d'innovation, d?r?glementation et int?gration financi?res a d?clench? des forces d?stabilisantes qui obligent les banques centrales a reconsid?rer les principes et les m?thodes du gouvernement de la monnaie. Les ann?es 80 ont ?t? celles de la recherche d'une nouvelle l?giti

mit?. En Europe cette recherche a pris r?solument la voie d'une d?nationalisa tion de la r?gulation mon?taire, d'abord par la cr?ation du syst?me mon?taire europ?en et sa transformation progressive en principe de l'ancrage nominal des

monnaies nationales sur le Deutschmark, ensuite dans la perspective de l'Union mon?taire. Cette ?volution d'une grande port?e peut tirer parti des enseigne

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M. AG LI ETTA BANQUES CENTRALES ET MONNAIE

ment s de l'histoire mon?taire avant la premi?re guerre mondiale, dans la mesure o? elle inverse des tendances qui avaient ?t? pr?pond?rantes dans la

majeure partie du xxe si?cle.

La politisation de la monnaie et sa remise en cause

Dans la plupart des pays occidentaux, les bouleversements des guerres mon diales et de la d?pression des ann?es 30 ont conduit ? nationaliser la monnaie et ? en transf?rer le contr?le ? l'Etat. Les trente ans qui ont pr?c?d? la fin de la seconde guerre mondiale ont ?t? ceux de l'av?nement de la soci?t? salariale ; les trente ans qui l'ont suivi ont ?t? ceux de son essor. La place de l'?tat dans l'?co nomie en a ?t? boulevers?e. Des groupes sociaux organis?s ont tiss? de multiples engagements institutionnalis?s, qui se sont av?r?s indispensables pour la coh? sion de la soci?t? et qui influencent la formation des revenus. C'est un capita lisme organis? qui s'est ?panoui dans des espaces nationaux ? l'?poque de la

grande croissance.

Les incidences de ces ?volutions sur la monnaie n'ont pas manqu? d'?tre

drastiques dans les id?es comme dans les faits. L'id?e impensable au xixe si?cle, qu'il est possible d'orienter l'?volution ?conomique pour atteindre des finalit?s sociales par la politique mon?taire, est devenue un savoir largement partag?. La notion m?me de politique mon?taire, c'est-?-dire d'une strat?gie pour guider les

modes d'influence de la monnaie sur l'?conomie, est une rationalit? collective radicalement distincte de celle de la Banque d'Angleterre sous P?talon-or. Car

l'ancrage ?tabli par la d?finition de l'unit? de compte en or exprimait la confiance in?branlable dans la validit? des grandeurs nominales et par cons?

quent des contrats fond?s sur ces grandeurs. La convertibilit?-or signifiait pour les agents ?conomiques que la pr?servation de la valeur nominale des contrats

priv?s ?tait un engagement de la soci?t? tout enti?re ? l'?gard de chaque indi vidu. C'?tait une norme sup?rieure aux finalit?s ?conomiques que les gouverne

ments auraient pu atteindre en manipulant la monnaie. Cette attitude religieuse ? l'?gard de la convertibilit? ?tait une croyance largement r?pandue qui prot? geait la banque centrale des influences politiques.

L'abolition de l'?talon-or pose le probl?me de la l?gitimit? des signes mon? taires. L'unit? de compte para?t arbitraire. La banque centrale devient la cible des forces contradictoires qui agissent sur le pouvoir d'achat de la monnaie.

Lorsqu'elle n'est pas directement expos?e, elle est concern?e ? travers ses rela tions avec l'?tat qui est juge et partie vis-?-vis de l'inflation. Le contr?le de la

monnaie fut r?alis? de mani?re diff?rente selon les pays. Divers ?l?ments struc turels influenc?rent les choix de r?gulation mon?taire : existence ou non de mar

ch?s d?velopp?s des titres de la dette publique, degr? de protection et donc de robustesse du syst?me bancaire au risque d'insolvabilit?, pr?pond?rance du financement intermedi? ou recours aux march?s de capitaux, ?tendue et s?v?rit? du contr?le des changes, r?glementation des taux d'int?r?t explicite par les autorit?s et implicite par l'oligopole bancaire.

Dans ces syst?mes s?par?s nationalement et limit?s dans leur ouverture, la

politique mon?taire ?tait un appoint ? la politique ?conomique visant principa lement le plein emploi et secondairement l'?quilibre de la balance des paie

ments. La stabilit? des prix n'?tait consid?r?e que d'une mani?re relative : par

693

COMMERCE, MARCH?, MONNAIE

rapport ? l'inflation des autres pays pour la comp?titivit? dans les pays les plus ouverts, par rapport ? l'arbitrage entre inflation et sous-emploi pour les plus grands pays. La r?gulation mon?taire proprement dite se partageait entre deux

r?gimes polaires qui pouvaient ?tre combin?s de diff?rentes mani?res. L'un,

principalement en vigueur dans les pays anglo-saxons, agissait sur la structure des taux d'int?r?t en influen?ant directement le prix des liquidit?s mises ? la dis

position de l'?conomie par la banque centrale. L'autre, principalement en

vigueur en Europe continentale, agissait sur la disponibilit? du cr?dit bancaire, en influen?ant le comportement des banques, soit en encadrant directement leurs cr?dits, soit en contr?lant ?troitement ? la marge le montant de leurs res sources liquides.

Ces r?gulations mon?taires nationales ont but? sur les deux obstacles de l'inflation et de l'ouverture internationale. Les r?actions des agents priv?s ? l'inflation ont pr?cipit? les changements structurels de la finance. Les chocs

macro?conomiques de grande ampleur des ann?es 1970 ont provoqu? une contre-r?volution des autorit?s mon?taires dans leurs doctrines et dans leurs

pratiques. Les crises financi?res ont r?v?l? la fragilit? des banques et l'instabi lit? des march?s lorsque l'int?gration internationale a affaibli les oligopoles

nationaux. La fonction du pr?teur en dernier ressort a resurgi au premier plan et sa compatibilit? avec la politique mon?taire s'est pos?e avec acuit? aux ?tats

Unis. La recherche de l'ancrage nominal des prix est redevenue un imp?ratif cat?gorique de la politique mon?taire. L'id?e m?me d'un arbitrage entre des

objectifs ? concilier a disparu. L'emploi est devenu la variable de bouclage sur

laquelle se concentrent tous les d?s?quilibres. L'?quilibre de la balance des paie ments est devenu obsol?te avec l'int?gration financi?re, puisque la confiance dans la valeur externe d'une monnaie permet de financer des d?ficits qui peu vent ?tre importants et durables.

Ainsi les canaux d'influence r?ciproque entre la monnaie et l'?conomie ont ils retrouv? de nombreux traits communs avec ceux de l'?poque o? la Banque

d'Angleterre affinait la mise en uvre de la doctrine qu'elle avait forg?e. La faible inflation tendancielle, l'instabilit? ? court terme des march?s financiers, les cycles du cr?dit, la grande importance des taux d'int?r?t ? long terme et leur

quasi-ind?pendance ? l'?gard des impulsions ? court terme de la politique mon?taire, la pr?occupation grandissante des taux de change. Mais une diff? rence essentielle avec cette ?poque ancienne subsiste. Les syst?mes de paiements demeurent fond?s sur des monnaies fiduciaires dont la qualit? est indissoluble

ment li?e ? la pr?servation dans le temps de la valeur des contrats libell?s en unit? de compte. En d?pit d'exhortations v?h?mentes de certains milieux acad?

miques pour restaurer une unit? de compte marchandise qui serait d?finie par une r?gie internationale, il parait peu probable que cette voie soit suivie. L'ind?

pendance des banques centrales est un symbole qui r?sulte de la confrontation entre la d?nationalisation croissante de la r?gulation mon?taire et l'abstraction

toujours plus grande des signes mon?taires. Car cette abstraction, ?prouv?e par chacun dans sa pratique quotidienne, rend illusoire de ressusciter le symbole fondateur de Tordre mon?taire pass? : la croyance intime d'une ?quivalence entre la monnaie et une source de valeur intrins?que.

694

M. AG LI ETTA BANQUES CENTRALES ET MONNAIE

L'ind?pendance des banques centrales et le myst?re de la l?gitimit? des institutions

La banque centrale fournit une garantie contre l'arbitraire du signe mon?

taire, un rempart contre le nominalisme. Cette garantie doit ?tre une croyance intime des agents priv?s, alors que la culture ?conomique moderne interdit de

donner ? cette garantie la figure symbolique d'une r?alit? ?naturelle?. Il est n?anmoins s?r qu'une croyance unanime, si elle doit ?tre solide et persistante dans les situations de crise o? la banque centrale peut ?tre amen?e ? adopter des

politiques tr?s ?loign?es de sa conduite habituelle, ne peut fonctionner que sur le mode du mythe. De l? d?coule son caract?re symbolique. Ce n'est pas un

?change avec les individus, mais un pacte avec la soci?t?. La confiance n'est pas ?tablie par un contrat, mais ?prouv?e par un rituel. Le mythe consiste dans une

croyance ? l'ext?riorit? de l'institution vis-?-vis des conflits qui parcourent la soci?t? ; ce qui lui conf?re le statut d'un m?diateur impartial.

Pour la banque centrale, c'est l'ind?pendance qui est la figure de cette ext? riorit? mythique. Pour garantir la l?gitimit? de la monnaie, la banque centrale doit para?tre ext?rieure aux int?r?ts partisans qui s'opposent au sujet de la ges tion de la liquidit?. Cette ext?riorit? doit demeurer cr?dible sans emp?cher la

banque centrale de jouer son r?le politique pour r?guler la monnaie, donc sans

l'emp?cher de mener l'action discr?tionnaire qui s'impose. L'ind?pendance apparait donc comme un principe mon?taire, surtout pas comme une r?gle op? rationnelle qui transformerait l'action de la banque centrale en pilote automa

tique. C'est pourquoi la Bundesbank et la future banque centrale europ?enne ont leur ind?pendance inscrite dans des textes fondamentaux et investie dans la

mission de la stabilit? des prix. Mais dans leur grande sagesse, ces textes se gar dent bien de pr?ciser ce qu'est la stabilit? des prix ; ce qui priverait la banque centrale de sa capacit? de jugement dans des contextes impr?visibles. L'ind?

pendance est un symbole qui fonctionne si la banque centrale peut adopter des

politiques flexibles, pour r?pondre ?quitablement ? des d?s?quilibres vari?s, sans ?tre suspect?e de menacer la stabilit? des prix.

Le principe de la stabilit? des prix, qui l?gitime l'ind?pendance des banques centrales, est un cadre de r?f?rence pour la prise de d?cision, non pas une r?gle qui se substitue ? la d?cision. Cette r?f?rence exprime une repr?sentation de la contrainte mon?taire qui est commun?ment accept?e dans les ?conomies

contemporaines et qui est institutionnalis?e. Il en va de la monnaie comme du droit : la politique mon?taire doit ?tre l?gi

tim?e vis-?-vis de l'ancrage des valeurs nominales, comme les lois vis-?-vis de la constitution. La monnaie comme la loi doit ?tre au service de tous. L'une et l'autre sont les cr?ations d'un pouvoir instituant. C'est un pouvoir qui doit s'auto-limiter en apparence pour que sa l?gitimit? soit renforc?e dans la com

munaut? nationale. Il ne doit pas para?tre s'exercer en faveur de groupes parti culiers, ni de l'?tat lui-m?me.

Comme l'ind?pendance de la banque centrale a la nature d'une garantie symbolique, alors que sa pratique l'ins?re profond?ment dans l'?conomie, les

proc?dures qui permettent d'?viter la confusion de ces niveaux formels ont une

grande importance. A cet ?gard les cultures nationales sont tr?s diff?rentes. La

situation de la Bundesbank et celle de la Banque d'Angleterre montrent la

695

COMMERCE, MARCH?, MONNAIE

grande distance culturelle qui joue un grand r?le dans l'hostilit? anglaise ? la d?marche codifi?e ? Maastricht.

La Bundesbank se recommande d'une ind?pendance de jure. Elle est statu tairement s?par?e des organes ex?cutifs du gouvernement. Ses comp?tences et sa mission sont ?nonc?es juridiquement. La responsabilit? de la politique mon? taire n'est pas partag?e. Au contraire, la Banque d'Angleterre doit affirmer dans sa pratique une ind?pendance de facto. Car la d?finition de ses missions est tr?s large, mais les responsabilit?s de la politique mon?taire s'exercent en

?troite collaboration avec le Tr?sor et sous la tutelle du ministre des Finances. Mais l'interaction de la Banque avec la City, poursuivie sur une tr?s longue p?riode, lui conf?re une autorit? et une initiative tr?s grande pour jouer son r?le de banque des banques.

L'opposition entre les proc?dures qualifi?es d'ind?pendance de jure et de

facto ne doit pas ?tre cristallis?e. Certes, la posture d'ext?riorit? de la Bundes bank ? l'?gard des conflits ?conomiques g?n?rateurs d'inflation est plus visible. Elle est conforme ? son statut juridique. La Banque d'Angleterre doit justifier ses actions et d?fendre ses jugements dans un d?bat beaucoup plus contradic toire. La politique mon?taire est, en Angleterre, comme elle T?tait d?j? au

d?but du si?cle, sous le feu d'une double interpellation permanente : celle du Parlement et celle de la presse ?conomique. Le d?bat contradictoire force le Tr?sor et la Banque ? ?laborer une position commune qui est expliqu?e, contes

t?e, mais aussi relay?e dans l'opinion. Il se forge ainsi un int?r?t g?n?ral par lequel s'acquiert la l?gitimit? mon?taire. De son c?t? la Bundesbank est, par le

mode de recrutement de ses dirigeants, en prise sur l'opinion publique. Car elle est au contact des pouvoirs ?conomiques et financiers locaux, des associations

d'?pargnants et des autorit?s publiques r?gionales. La diff?rence entre les deux

pays r?side finalement dans des styles diff?rents de vie d?mocratique. Pour se

garder de ?Texit? (la d?fiance vis-?-vis de la politique mon?taire), la Bundes bank peut compter sur la loyaut? ; la Banque d'Angleterre doit affronter la ? voice ? (le d?bat d?mocratique).

Michel Aglietta Universit? de Paris X-Nanterre

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para?tre dans le livre collectif Analyse ?conomique des conventions, sous la direction d'Andr?

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