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Extrait de la publication… · pense à nos longues longues heures de répétition, ce sont nos vigoureuses conversations qui résonnent en moi. Les heures nombreuses passées à

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ÉPINAL

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DU MÊME AUTEUR

THÉÂTRE

À la gauche de Dieu, Sudbury, Prise de parole,1998.

L’Insomnie, Sudbury, Prise de parole, 1996.L’Inconception, Sudbury, Prise de parole, 1984.La Tante, Sudbury, Prise de parole, 1981.

avec Dan Lalande, Deuxième Souffle, Sudbury,Prise de parole, 1992.

avec Robert Bellefeuille et Jean Marc Dalpé, LesRogers, Sudbury, Prise de parole, 1985.

Cinquante exemplaires de cet ouvrageont été numérotés et signés par l’auteur.

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ROBERT MARINIER

ÉPINAL

Théâtre

Prise de paroleSudbury 2005

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives CanadaMarinier, Robert, 1954-

Épinal / Robert Marinier.

Pièce de théâtre.ISBN 2-89423-178-4

I. Titre.

PS8576.A66E64 2005 C842’.54 C2005-902669-3

En distribution au Québec : Diffusion Prologue1650, boul. Lionel-BertrandBoisbriand (QC) J7H 1N7450-434-0306

Ancrées dans le Nouvel-Ontario, les Éditions Prise de paroleappuient les auteurs et les créateurs d’expression et de culturefrançaises au Canada, en privilégiant des œuvres de facturecontemporaine.

La maison d’édition remercie le Conseil des Arts de l’Ontario, leConseil des Arts du Canada, le Patrimoine canadien (Programmed’appui aux langues officielles et Programme d’aide audéveloppement de l’industrie de l’édition) et la Ville du GrandSudbury de leur appui financier.

Photographies en page de couverture et à l’intérieur : FrançoisDufresneConception de la couverture : Olivier Lasser

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservéspour tous pays.Imprimé au Canada.Copyright © Ottawa, 2005Éditions Prise de paroleC.P. 550, Sudbury (Ontario) Canada P3E 4R2 www.prisedeparole.ca ISBN 2-89423-178-4 (Papier)ISBN 978-2-89423-627-7 (PDF)

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Prisedeparole

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PRÉFACE

Épinal. Quand je ferme les yeux et que je pense àÉpinal, les mots et les images se bousculent en moi. Pourparler d’Épinal, il faut que je cède la parole à trois voixen moi. Trois voix qui veulent se faire entendre et quien ont long à raconter sur ce merveilleux spectacle.

Il y a tout d’abord la voix du directeur artistiquedu Théâtre de la Vieille 17 qui, dès la lecture des vingtpremières pages, était séduite. Séduite par l’universsingulier de cette histoire, le mystère savoureux despersonnages et l’intelligence du texte. Le directeur enmoi était très fier et se sentait privilégié de pouvoir créerle dernier texte de Marinier. Marinier est un auteurprolifique qui cherche, qui écoute, qui risque, quidoute, qui se trompe… et qui continue à écrire malgrétout et à produire avec la ténacité des vrais. Ententeconclue ! Le Théâtre de la Vieille 17 créerait le spectacleen janvier 2002. La première version serait prête souspeu. La création était en marche…

MAIS, tout comme son titre énigmatique, lacréation d’Épinal nous réservait des surprises ! Je connaisla création. Je sais que chaque œuvre est unique, que

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chaque œuvre a son rythme de croissance. Et bien sûr jeconnais grosso modo le mode d’emploi de la création.Mais cette fois, le vertige, le grand vertige était aurendez-vous. Celui qui te questionne sans cesse, quit’habite jour et nuit, te paralyse même. Celui qui estinvivable et qui bouleverse complètement les règlesd’exécution ou du savoir-faire. Ainsi le directeur et sonami auteur ont été pris dans cette spirale… Épinal a étéune création tout à la fois angoissante et enivrante,désespérante et merveilleuse ! Contre vents et marées,Épinal est née le 30 janvier 2002 à la Nouvelle Scèned’Ottawa.

Et voilà que la voix de l’acteur demande à êtreentendue. Quel beau personnage ! Ce rôle est un cadeausublime pour un acteur. Incarner le waiter à été, pourmoi, un temps fort dans ma carrière d’interprète. Cetterencontre m’a marqué au fer rouge et a laissé en moi destraces profondes et durables. Ce personnage exigeant etétrange, qui parle sans cesse, m’a tantôt terrorisé par lamultitude des mots qu’il déblatère, et ébloui par lesimages inouïes qui le hantent. Il m’a forcé à traverserdes contrées que j’ignorais et que je ne voulais pasnécessairement découvrir. Il m’a fait grandir en tantqu’acteur et m’a transformé en tant qu’homme, m’a émupar sa douleur et fasciné par sa résilience et sesconvictions tordues. Soir après soir, il m’a procuré unréel plaisir et parfois un vertige insoutenable. Je l’aiaimé et je l’ai haï. Et malgré tout, je le porte encore enmoi et, à certains moments, je m’ennuie même de lui.Pendant trois ans, il m’a accompagné dans ma vie etdans mes rêves et il a été un ami fidèle. Merci Robert.

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Merci de m’avoir présenté ce fascinant personnage et dem’avoir offert la possibilité de lui donner vie.

Et finalement, la voix du cometteur en scène sefait entendre. Que d’heures de répétitions ! Lorsque jepense à nos longues longues heures de répétition, ce sontnos vigoureuses conversations qui résonnent en moi. Lesheures nombreuses passées à parler, à discuter, àargumenter, à rêver et à réfléchir à voix haute. À unniveau personnel, ces conversations se sont avéréesprécieuses. Mais souvent, je suis sorti étourdi de la sallede répétition. Étourdi par la multitude des mots etl’incessant va-et-vient des propositions, par l’espoird’avoir enfin trouvé la scène qui manque et ladésolation instantanée de la mettre debout, pour réaliserque malheureusement, elle ne fonctionne pas. Et dans cevacarme, il y avait des silences lourds… etinsoutenables… et tellement angoissants. Pour ne passombrer dans l’angoisse totale, il y avait cette phrasephare qui commençait par : Et si on faisait ça au lieu…

Et tout repartait… Je nous revois avec frénésie etenthousiasme choisir un mot ou ajuster une expressionafin de trouver le rythme exact de la phrase, ou encorechanger la mise en place afin que le mouvement soitjuste et organique. Souvent, dans la conversation, lemot exactitude revenait. Et je crois qu’il définit biennotre façon de travailler, puisque trouver le mot juste etle geste précis procurent toujours plus de plaisir qu’un a-peu-près !

Les trois voix que je porte en moi voudraient, parcette preface, témoigner leur gratitude. Elles s’entendentà l’unisson pour te dire, mon cher Robert, un gros Merci

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pour la rencontre inoubliable qu’a été Épinal, et unBravo chaleureux pour ce texte si riche et si dense.

Et vous qui vous apprêtez à le lire, sachez quepénétrer dans l’univers d’Épinal, c’est accepter deprendre un billet pour l’inconnu, là où logent les non-dits, les désirs inassouvis et inavouables. Mais c’est aussiun billet pour une aventure qui contient desinterrogations essentielles sur les tours et les détours de lavie.

ROBERT BELLEFEUILLE

mars 2005

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Épinal a été créée à La Nouvelle Scène, à Ottawa, le30 janvier 2002, par le Théâtre de la Vieille 17 encoproduction avec le Théâtre français du Centrenational des Arts et la Caisse populaire Notre-Damed’Ottawa.

La distributionWaiter Robert Bellefeuille

Homme Robert Marinier

Les créateursTexte Robert Marinier

Mise en scène Robert Marinier etRobert Bellefeuille

Assistance à la miseen scène Diane Fortin

Régie Diane FortinScénographie Normand Thériault

Environnement sonore Marcel AymarÉclairages Michael Brunet

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UN BAR. Vide. La scène donne l’impression que lebar est assez grand mais il n’y a qu’une table etdeux chaises de visibles dans l’aire de jeu. C’est unbar du genre «cocktail lounge», chaleureux etrelaxant. C’est évidemment un endroit où on vientprendre un drink tranquille.

Un homme entre, une mallette à la main. Ilporte un habit, chemise blanche, cravate,l’uniforme d’un cadre, quoi. Il n’est pas nécessaire-ment bel homme. Il passerait inaperçu dans unefoule, un de ces bons petits bourgeois comme on envoit partout. Le genre qui a fait son chemin dans lavie en étant un bon lieutenant. Il inspire lastabilité plutôt que le leadership et l’innovation.

L’homme entre, en regardant derrière luicomme s’il cherchait à s’évader de quelqu’un. Onsent que l’homme est soulagé d’avoir trouvé unrefuge. Il regarde autour du bar, et d’un gestemécanique, vérifie sa montre. Il se retourne etregarde longuement dans la direction d’où il vient,comme s’il se demandait s’il devait faire demi-tour.Il regarde encore une fois autour du bar, soupire, desoulagement ou encore d’ennui. Il reste debout près

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de la porte comme s’il n’avait pas l’intention des’asseoir.

Il hoche la tête comme s’il venait de prendreune décision importante, sort son téléphone de lapoche de son veston et compose. Avec une certaineanticipation, il attend qu’on réponde, mais au déclicson visage montre de la déception et nous laissecomprendre qu’il a eu le répondeur. Il hésite à savoirs’il va laisser un message, décide de ne pas le faire,raccroche et remet le téléphone dans sa poche.

L’homme regarde autour de lui de nouveau,mais cette fois avec l’intention de choisir une place.Il se rend à la table, vient pour s’asseoir face à laporte et décide de prendre la chaise qui lui permetd’être de dos à la porte. Il s’assoit, pose sa mallettesous la table et se retourne afin de s’assurer qu’il estbien de dos à la sortie. Il reste assis à la tablequelques secondes sans bouger.

L’homme se rend compte qu’il est seul dansle bar. Il se tourne et cherche quelqu’un pour leservir.

HOMME

Il y a quelqu’un?Le waiter arrive. Il porte un pantalon noir et unechemise blanche avec une veste rouge, l’uniformed’un serveur de table.

WAITER

’Scusez moi… (En voyant l’homme, il s’arrête.)Bonjour.

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HOMME

Bonjour. Pas trop occupé aujourd’hui?Un temps.

WAITER

Ouain euh… c’est toujours de même. Qu’est-ce queje peux vous servir ?

HOMME

Ohhhhhh… euh… Une eau minérale.

WAITER

Vous avez l’air d’un buveur de scotch, vous.

HOMME

Non, non. Une eau minérale.

WAITER

Ah, un buveur de rye.

HOMME

Buveur de scotch. Tu m’as eu du premier coup…mais juste une eau minérale.

WAITER

Je vous l’offre.

HOMME

Pardon?

WAITER

Je vous l’offre… Un drink. Ce que vous voulez.

HOMME

C’est correct. Juste une eau minérale.

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WAITER

T’es sûr ? On the house là, c’est moi qui paye.L’homme fait comme s’il regardait sa montre.

HOMME

C’est un peu trop tôt dans la journée pour moi. Uneeau minérale, s’il te plaît.

WAITER

Faut admirer un homme qui peut dire non à undrink de la maison, hein?

HOMME

Eh.

WAITER

C’est pas souvent que ça arrive.

HOMME

Eh.L’homme regarde autour de lui.

WAITER

Tu dois te demander comment je fais pour survivresi j’offre à boire à mon seul client? D’abord, moi jefais juste travailler icitte, c’est pas moi qui fais leprofit. Pis je t’offre le drink pour célébrer.

Le waiter continue à regarder l’homme, toujours lesourire de service au visage. Évidemment, il attendla question.

HOMME

Célébrer ah… quoi? Qu’est-ce que tu célèbres ?

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WAITER

Toi.L’homme le regarde.

HOMME

Eh?Le waiter continue à le fixer, toujours en souriant.

WAITER

Un client. J’ai un client cet après-midi. C’est assezrare. Ça se fête.

HOMME

Ah.L’homme baisse les yeux pour briser le contact avecle waiter.

WAITER

Ce bar icitte… il y a jamais personne qui vient dansce bar icitte. Le monde, ils vont s’acheter unebouteille à la régie pis ils boivent dans leurschambres. Bien moins cher. Ce bar icitte, ils gardentça aller juste au cas qu’il y ait du monde qui en abesoin… Pour des réunions, genre. Comme vouspeut-être ? Hein? Réunion?

L’homme le regarde, mais son visage affiche unsourire poli qui ne révèle rien.

Des fois, en soirée, il y a du monde, mais c’est pasmon shift ça.

HOMME

Ah.

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WAITER

En tout cas, t’es là, toi. Ça se fête, ça.

HOMME

Eh.

WAITER

En tout cas, merci d’être là.Le waiter lui tend la main. L’homme, mal à l’aise,lui donne la main sans se lever. Le waiter lui secouela main avec énergie mais sans chaleur.

Ça paraît-tu que je passe trop de temps tout seul ? Ilvient tellement pas de monde que, quand il y en a, ilfaudrait pas que je commence à leur faire peur, hein?

HOMME

Bien… euh… c’est chaleureux ici en tout cas.

WAITER

J’arrive tout de suite avec ton eau minérale. (Lewaiter sort presque à reculons comme s’il avait peur quel’homme disparaisse) T’es sûr que tu veux pas changerd’idée? Un p’tit Glenfiddich peut-être?

HOMME

Non non, ça va. Eau minérale.

WAITER

Perrier ? Pellegrino?

HOMME

…Perrier.

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Le waiter sort. L’homme reste assis sans bouger pourun instant, ensuite il sort son téléphone et, aprèsune légère hésitation, compose. En attendant qu’onréponde, il se lève et s’éloigne de l’endroit où estsorti le waiter. Son visage affiche l’inquiétude et lacontrariété – il a de nouveau eu le répondeur. Ilhésite à savoir s’il doit laisser un message, décidequ’il n’a pas le choix et, du doigt, frappe le carrépour sauter l’annonce du message.

HOMME

C’est moi. J’imagine que tu es toujours en réunion.Excuse le message, c’est que la… Ce n’est pas prêt. Jesuis monté attendre dans le bar en haut… Il y a unbar au deuxième étage… parce que j’ai croisé desgens en bas, ici pour… En tout cas, je me suis ditque ça serait bon de les éviter… Alors aussitôt quec’est prêt, je t’appelle pour te donner le numéro dela… comme ça tu pourras monter directement et tun’auras pas à passer par le lobby… En tout cas… jet’appelle aussitôt que c’est prêt… et euh… À tout desuite.

L’homme remet le téléphone dans sa poche etretourne à la table. En s’assoyant, il prend samallette et la pose sur la table. Avant de l’ouvrir, ilhésite, se retourne pour regarder la porte. Il se lèveet s’assoit dans la chaise qui fait face à la porte.Afin de montrer qu’il est là pour travailler, il ouvresa mallette et en retire un dossier.

Le waiter revient avec un cabaret sur lequelon voit une bouteille de Perrier, un verre avec glaceet lime et un verre de scotch, sans glace.

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Lorsque le waiter arrive à la table,l’homme, son dossier en main, referme sa malletteet la remet sous la table afin de faire de la placepour son eau minérale.

HOMME

Pardon.L’homme ouvre son dossier et se met à lire.

Le waiter dépose le Perrier, le verre avecglace et lime et, en dernier, avec un petit gestecérémonieux, le scotch. L’homme remarque le verrede scotch.

Pas de drink, merci.

WAITER

Ah, t’sais, je me suis dit : au cas. C’est correct, on thehouse.

HOMME

Non non… mais si toi tu le veux…?

WAITER

Oh, pas pour moi, pas tout de suite. Pas que je boispas le jour, ça m’arrive. Mais t’sais, des fois, tu veuxavoir l’esprit clair… hein?

HOMME

Eh.L’homme verse l’eau minérale dans le verre tandisque le waiter s’éloigne. L’homme tente de lire sondossier mais est trop conscient de la présence duwaiter. Lorsqu’il lève les yeux de son travail, il voitque le waiter est debout à l’autre bout du bar et

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