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L’âme s’efforce d’imaginer cela seulement qui pose sapropre puissance d’agir. Quand l’âme imagine son impuis-sance, elle est contristée par cela même. L’essence de l’âmeaffirme cela seulement que l’âme est et peut, autrement ditil est de la nature de l’âme d’imaginer seulement ce qui posesa puissance d’agir.

BARUCH SPINOZA

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Fondateur : Serge DaneyCofondateur : Jean-Claude BietteComité : Raymond Bellour, Sylvie Pierre, Patrice RolletConseil : Leslie Kaplan, Pierre Léon, Jacques Rancière,

Jonathan Rosenbaum, Jean Louis ScheferSecrétaire de rédaction : Jean-Luc MengusMaquette : Paul-Raymond CohenDirecteur de la publication : Paul Otchakovsky-Laurens

Revue réalisée avec le concours du Centre national du Livre

Nous remercions pour leur aide et leurs suggestions : Christa Blümlinger, Fabrice Revault,Nathalie Ruffié, Marcos Uzal.

En couverture : Alfred Hitchcock et les blondes buñuéliennes (Silvia Pinal et CatherineDeneuve), photomontage réalisé par Mark Rappaport.

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TRAFIC 70

Le futur antérieur. Autour d’Un lac de Philippe Grandrieuxpar Raymond Bellour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

Comment montrer des victimes? par Harun Farocki . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16Vies en sursis, images revenantes. Sur Respite de Harun Farockipar Sylvie Lindeperg . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

Une mémoire chérubinique. Sur Les Ailes du désir de Wim Wenderspar Maël Renouard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33

L’« âme de l’Iran ». Sur Shirin d’Abbas Kiarostami par Youssef Ishaghpour . . 43Retour sur Histoire(s), 1 par Jean-Louis Leutrat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52

Bernard-Deschamps, essai d’inventaire par Luc Moullet . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63

Notes sur le cinéma de Luis Buñuel par Manny Farber . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67Jeunesse par Jeanne Rucar de Buñuel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70Imagination morte substituez. Buñuel l’original par Kijû Yoshida . . . . . . . . . . 78Cette éblouissante clarté de Luis Buñuel par Marcos Uzal . . . . . . . . . . . . . . . . . 84

Sur Nietzsche : Hitchcock fait part de sa gratitude par Avital Ronell . . . . . . . . 92Laissez-moi entrer dans l’église seule. Les dessous catholiques de Vertigopar P. Adams Sitney . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98Bonnets noirs et bonnets blancs par Mark Rappaport . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108What is The Trouble with Harry? par Hervé Gauville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114

À contre-jour par Pierre Léon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122

Correspondance autour d’un scénario par Malcolm Lowry et Margerie Bonner,Frank Taylor, Jay Leyda, Christopher Isherwood et James Agee(présentation par Patrice Rollet) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131

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Trafic sur Internet :sommaire des anciens numéros, agenda, bulletin d’abonnement

www.pol-editeur.fr

© Chaque auteur pour sa contribution, 2009.© P.O.L éditeur, pour l’ensemble

ISBN : 978-2-84682-307-4N° de commission paritaire : 1003 K 78495

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Il s’agit d’abord d’inventer une couleur. Une couleur faite des chutes de possiblescouleurs. Aux premières images d’Un lac, le rouge sourd du chandail d’Aleximaniant avec fureur la hache tranche sur le gris feuilleté des grands arbres de

la forêt. On est dans un jour indécis, mais un jour qui consiste, ressemble à un jour.Dès la crise d’épilepsie qui foudroie le jeune homme dans la neige, une sorte d’ombres’étend sur l’image, et s’accentue jusqu’à son arrivée vers la maison. Ce pourrait êtresimplement le jour qui tombe, la nuit qui s’avance. Mais à l’intérieur de la maison,cette nuit s’opacifie pour ne plus suggérer que par surgissements plus ou moinsindécis, tout près des corps, l’étreinte douloureuse du frère et de la sœur. Plus tard,quand la frappe reprend dans la forêt, que Hege apporte à boire à son frère, du jourest revenu, et accompagne leur retour à la maison, où de nouveau l’ombre s’étend, celong moment où Alexi panse le grand cheval blessé. Mais plus tard encore, quandAlexi attend près du ponton et qu’on aperçoit l’étranger, Jurgen, progressant à traversla forêt, la tonalité du jour est déjà plus basse que dans les scènes antérieures ; et ellene retrouvera plus que par instants son indécise clarté d’origine. De sorte qu’entreles scènes internes à la maison, où parfois la lumière montera un peu, et celles quis’étendent autour du lac et dans la forêt, où elle s’atténue, ce soit une tonalité certestoujours variable, parfois d’un plan à l’autre, qui se développe, mais comme toutenveloppée dans une gangue d’ombre. Les éclats possibles de la couleur se trouventainsi attirés vers un faux noir et blanc, une tonalité intermédiaire qui rappelleraitun peu les filtres aux tons sourds de moments de films muets, si elle n’était aussil’imprévisibilité même, tramée d’écarts continuels, de densité comme d’intensité,faisant de la suite des plans, dans un cadre avant tout mobile, composé à même lecorps et le geste du cinéaste-opérateur, responsable aussi de sa lumière, un plan devariations toujours vibrant. Cette couleur pénétrée de l’idée que le noir est aussi unecouleur agit de sorte que ni dedans ni dehors ce ne soit plus vraiment ni jour ni nuit. 5

Le futurantérieurAutour d’Un lac de Philippe Grandrieux

par Raymond Bellour

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Mais plutôt cette « nuit expérimentale » en laquelle Jean Louis Schefer a reconnu lecorps propre du cinéma 1 et que Philippe Grandrieux, par le nouvel excès auquel illa porte, de la salle à l’écran, nous invite à repartager, comme un présent et commeune mémoire. Tant son film force le regard à s’imprégner de sa puissance passiveinsoupçonnée et à voir ou entrevoir ce que sans elle il n’aurait jamais vu.

« …pour que le film soit visible, il faut qu’il soit projeté dans une véritable salle decinéma, peu importe le contexte, car le problème aujourd’hui c’est que les salles sontdes halls de gare avec des sorties de secours, des lumières partout, les lampes des pro-jecteurs qui ne sont pas réglées correctement, une lumière qui filtre des cabines deprojection car on ne l’a pas éteinte… Une salle de cinéma doit être noire. Rappelle-toil’ouvreuse qui te guidait jusqu’à ta place avec une lampe qui éclairait le long de sajambe, elle nous faisait traverser le noir, une obscurité dense, et elle nous montrait unsiège où on pouvait s’asseoir. Aujourd’hui on entre dans les salles comme dans sonsalon avec juste un peu moins de lumière. Une salle noire, transpercée par un faisceaude lumière, c’est ça, le cinéma… 2 »

Dans une étude aiguë à laquelle, sans y avoir d’abord pensé, j’emprunte à un articleprès son titre 3, Christa Blümlinger essayait de délimiter à l’intérieur d’un certaincinéma moderne (celui de Marker, d’Egoyan, de Resnais, de Godard) un statut sin-gulier de la réversibilité des temps qui lui paraissait correspondre à la réalité de laforme verbale la plus énigmatique de la conjugaison française. « Le futur antérieurpeut alors être considéré comme le symptôme d’une mise en abyme du dispositif audio-visuel : un temps qui habite les films qui se réfléchissent en se souvenant 4. » Un lac,qui a pourtant la simplicité d’un conte, relève d’une telle vue grâce à l’incertitudecyclique qui habite son temps de moment en moment et surtout de plan à plan. Par lapression de l’attention visuelle à laquelle il invite, le film oblige au souvenir constant,réfléchi et irréfléchi, de ce qui aura été perçu, entraperçu.

Mais sa réalité de futur antérieur s’étend aussi, doublement. D’abord, par la limpi-dité cruelle de l’histoire contée, tributaire de l’archaïsme que le film fait toucher.Dans les films de Philippe Grandrieux, on l’a déjà dit de bien des façons, la violencesouvent nocturne de l’image et son tremblement si particulier, son phrasé haletant,ses passages du net au flou au net, ses suspensions, ses précipitations soudaines sontl’indice expressif d’un monde pulsionnel troublé dont les puissances haptiques del’image et du son voudraient capter les qualités premières. Dans Sombre, c’est le désirrépétitif meurtrier, sexualisé, de Jean, qui s’en sauve peut-être en suggérant dans lascène finale, roulé contre la terre, qu’il n’aura été qu’un animal des forêts. Dans La

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1. « …l’expérience de cette nuit expérimentale dans laquelle quelque chose vient bouger, s’animer et parlerdevant nous » (Jean Louis Schefer, L’Homme ordinaire du cinéma, Cahiers du cinéma/Gallimard, 1980,p. 10).

2. « Entretien avec Philippe Grandrieux » par Didier Morin, Mettray, janvier 2000, p. 20.3. Christa Blümlinger, « Futur antérieur », Iris, n° 19, automne 1995, p. 111-125.4. Ibid., p. 121.

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Vie nouvelle, c’est l’écheveau des violences tramées autour du désir prostitutionnelavivé par les nouveaux conflits ethniques et territoriaux de l’Europe de l’Est et desBalkans. Dans Un lac, c’est le désir d’inceste du frère pour la sœur, lové dans leurtendresse incandescente, et celui de la sœur pour l’étranger qui l’en libère, ouvrantun avenir forgé dans un passé dont le film aura été, le temps qu’il dure, l’écho immé-morial. Le plan qui voit le couple s’éloigner sur le lac enfoui au cœur des montagnesenneigées, dans une barque qui ne peut pas ne pas rappeler celle de L’Aurore deMurnau, ce presque dernier plan long et comme apaisé, bien que plongeant dans sanuit expérimentale, porte en lui l’écho assourdi de tous les chocs d’images antécédents,par lesquels tentait de s’élaborer l’espace énigmatique qui, dans un film racontantune histoire, s’étend entre les corps, les âmes du cinéaste et de ses personnages.

Comment qualifier cette matérialité confuse, prégnante, faite d’obscurités et descintillements, de plans se coupant et se recoupant, chavirant pour capter les moindresgestes, expressions, nuances de sentiment ou d’émotion dont ils tissent la matière ?Dans l’obligation qu’on ressent d’y voir l’enfance, saisie dans ce désordre de pulsionsdont Freud voulut fixer le destin, deux façons de l’exprimer peuvent y répondre, icitout juste suggérées. La première est la dynamique de l’originaire, avec ses si biennommés pictogrammes, que Piera Aulagnier a cherché à dessiner, on est tenté de dire,pour cerner dans son travail autour de la psychose une activité de représentationpréalable au processus primaire même, qui « ignore l’image de mot et a comme maté-riau exclusif l’image de la chose corporelle 1 ». La seconde considère avec Daniel Sternles affects de vitalité, ces vecteurs d’émotion, exprimés en termes d’intensités, deformes et de rythmes, et par là précurseurs du style dans l’art, informant l’expériencedu tout petit enfant, permettant de construire sa réalité, antérieure et par là large-ment extérieure à ce que la psychanalyse a classiquement pu en dire 2. La singularitédes films de Philippe Grandrieux serait alors de rendre plus visible une articulationentre ces deux modèles de compréhension qu’on aura, comme souvent, plus de bénéficeà tenter de penser ensemble qu’à simplement opposer.

L’effet de futur antérieur frappe d’autre part aussi bien le cinéma dans son histoire.Il n’a échappé à personne, depuis Sombre, son auteur en ayant souvent témoigné,qu’une référence insistante au cinéma muet permet de mieux saisir ce qui se tramedans son expérience. On en trouve un indice manifeste au très peu de mots quis’échangent entre les personnages, ainsi que dans les plus muets des films muets,ceux qui accordaient peu ou quasi rien aux intertitres. Comme si les corps demeu-raient pris dans leur intériorité, ou ce qui en ressort dans le geste, le mouvement, lesouffle : le pur dehors, le pur dedans se traduisant l’un l’autre. Un pas a été encorefranchi en ce sens dans Un lac. Grandrieux a insisté sur le fait capital pour lui d’avoirchoisi des acteurs étrangers, et de pays divers (Russie, République tchèque, Belgiqueflamande). « Les acteurs ne pouvaient pas communiquer entre eux. Je pouvais à peine

71. Piera Aulagnier, La Violence de l’interprétation. Du pictogramme à l’énoncé, PUF, 1975, p. 19.2. Daniel N. Stern, Le Monde interpersonnel du nourrisson (1985), PUF, 1989.

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leur parler… La première fois que Dima (Alexi) et Natálie (Hege) se sont retrouvésl’un en face de l’autre, ils ne pouvaient que se regarder. C’est magnifique de pouvoirfilmer deux êtres, frère et sœur dans la fiction, privés du lien de la langue. Dès lorstout était différent, le film s’engageait tout autrement. Ces deux acteurs “muets”,éprouvant leur altérité, ouvraient le chemin d’Un lac. Je les ai filmés, et nous étions là,tous les trois, dans la forêt, exposés à nos sentiments, à nos sensations. Leurs visages,les arbres, la neige, les montagnes, saisis dans un même silence, révélaient la puissancedu Réel 1. » Les rares mots qui ainsi se prononcent, d’un français indéfinissable, sontcomme les affects d’une origine de la langue. Leur primitivité fait écho à celle dupaysage, à la simplicité rudimentaire des actions. Ces corps d’aujourd’hui semblentainsi revenir d’un autre temps du cinéma dont ils réexposent la scène, transfiguréepar la puissance modulée d’un son qui incorpore la rumeur de la vie au travail. Cetautre temps est celui des films danois et suédois des années 1910 et 1920 (de Dreyer,de Sjöström, de Stiller), celui du cinéma allemand (Murnau surtout, pour la forceimpressive chez lui des scènes de nature) comme du cinéma soviétique (Poudovkine,Dovjenko, chez qui les corps puissants habitent si simplement, si pleinement le cadre).On peut penser aussi à ce film américain, The River (1928) de Frank Borzage, où lecorps du héros semble une émanation de la beauté rigoureuse du paysage, en cesannées où la filmographie de Borzage s’enlace si étroitement, au sein de la Fox, aveccelle de Murnau.

Grandrieux n’imite évidemment rien. Il fait retour et prolonge, métamorphose.L’essentiel est avant tout la dimension de futur que cette force d’antériorité suppose.Au lieu de la lourde caméra 35 mm durement tenue à l’épaule pour Sombre, c’est avecune petite caméra DV (et tout ce qui de là s’enchaîne) que Grandrieux a tourné, dansune liberté d’improvisation poussée dont toute la maîtrise du film se ressent. Car celle-ci a été tout aussi extrême. Prenons-en comme exemple la maison, « posée là dans lepaysage comme un monolithe ». Elle n’a d’ouverture qu’une porte, qu’on aperçoit àpeine ; elle a été dessinée avec le décorateur. On ne peut se représenter son intérieur,devenant d’autant plus interne. « C’est un espace clos, entièrement construit en studio,un réseau nocturne. C’est un univers mental. » Quand Grandrieux précise : « C’est unefigure, au sens plastique du terme2 », on pense librement aux figures qui viennent. Tellemaison de Klee, pour le déséquilibre et l’instabilité de la forme. Telle maison de Seurat,dans les dessins noirs des années 1880, pour la noirceur intense. Cette maison rappelleaussi la maison de Sombre, figure noire détachée sur un ciel d’un bleu métallique etsur le fond de laquelle avançait énigmatiquement l’enfant aux yeux bandés.

Ainsi la capacité d’enregistrement la plus directement sensible de la caméraenvers ses corps et ses objets rejoint-elle ici la volonté d’abstraction la plus grande,dans le traitement de chaque composante du film, au niveau aussi bien du montageque du son, de part en part construit, ou par la décision soigneusement suivie, de la

81. Propos recueillis par Claire Vassé, dans le dossier de presse.2. Ibid.

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prise de vues jusqu’à l’étalonnage numérique et au tirage 35 mm, de baisser leniveau de lumière sensible. Tout cela suggère qu’on se trouve devant une manièrepeut-être un peu nouvelle de régler les rapports entre « les deux grandes tendancesdu cinéma, la tendance-dessin et la tendance-enregistrement ». Daney précisait :« deux façons de se colleter l’inhumain dans l’humain », ajoutant que ce serait « aumilieu, du côté de la tendance-scène, […] que l’inhumain est tenu à distance 1 ». Il y a,de ce point de vue, une hésitation sur la tangibilité même de la scène, des scènes,dans Un lac. Leurs bordures sont souvent indécises, elliptiques. Mais en mêmetemps elles frappent toujours par des accents majeurs, d’actions, de tons, derythmes, qui les inscrivent en tant que scènes, au sens fort. Cela devient une foisinoubliable tant le film semble alors se lever au-dessus de lui-même. C’est le momentdu chant de Hege dans la forêt, soudain, chant du désir d’amour tranchant dans cefilm sans musique, mêlant le sublime des mots du poème d’Eichendorff, Mondnacht(« Nuit de lune »), au sublime de la musique de piano de Schumann qui le prolonge(Liederkreis, op. 39). Sublime de la voix fragile, aussi, voix réelle de la comédiennedonnant corps à l’artifice qu’induit dans le corps du film tout son étranger.

De là s’ouvrent des perspectives mélangées, composant un avenir ouvert du cinéma.La première tient à la référence du cinéma muet. Sans parler même d’une éthique

renouvelée du plan long, transformation du plan Lumière, chez Béla Tarr par exemple,si expressément posée en modèle par un cinéaste comme Gus Van Sant 2, cette réfé-rence a hanté à date plus ou moins récente d’autres cinéastes, au-delà des cercles ducinéma expérimental où elle a été depuis longtemps si prégnante, devenant créatriced’une pensée du cinéma. La tentative la plus littérale est celle d’Aki Kaurismäkiavec Juha (1999), « le dernier film muet du XXe siècle 3 ». Le carton y tient lieu dudialogue, allant au cours du film vers son extinction programmée, pour rendre plussensibles encore les exigences propres du montage sans mots et l’expressivité, plutôtcontenue, des acteurs. Un tel projet est par nature un acte de nostalgie vivante ; maisil ne montre cependant aucun désir excessif de résurrection. (« Le véritable drame,fondé sur l’image et uniquement possible à l’écran, a disparu pour toujours. ») Lenoir et blanc a ainsi dans Juha la force des équilibres réalistes du cinéma le plusclassique, proche de l’héritage de Griffith plus que d’aucun expressionnisme ; il setrouve techniquement actualisé, en quelque sorte, pour paraître pleinement, simple-ment d’aujourd’hui. L’image comme telle tend à s’effacer devant le paradoxe qu’ellecontribue à faire ressortir, de corps vivant sans mots pour l’incarner la conventionancienne d’un drame d’amour et de mort (emprunté à une grande œuvre de la litté-rature finlandaise, autrefois adaptée par Stiller dans À travers les rapides).

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1. Serge Daney, L’exercice a été profitable, Monsieur, P.O.L, 1993, p. 40-41.2. Voir Gus Van Sant, « La caméra est une machine », Trafic, n° 50, « Qu’est ce que le cinéma? », été

2004, p. 497-499.3. Peter von Bagh, Aki Kaurismäki, Cahiers du cinéma/Festival de Locarno, 2006, p. 177. Sur le film, le

dialogue entre l’auteur et Kaurismäki, voir p. 171-181 (pour la phrase citée ensuite, p. 173).

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Tout autre, on le sait, est la posture de Philippe Garrel. On y a récemment insisté,avec ferveur (Fabrice Revault) ou avec une réserve marquée (Hervé Aubron), à proposde La Frontière de l’aube 1. Le noir et blanc incandescent que poursuit le cinéma deGarrel depuis au moins Le Révélateur et L’Enfant secret a trouvé une force neuved’affirmation avec Les Amants réguliers et La Frontière de l’aube, se conjuguant dansson dernier film avec une rémanence de l’apparition venue tout droit du cinémaancien. Le trucage qui par trois fois fait surgir d’entre les morts, à travers un miroir,la femme aimée aux yeux de son amant demeuré malgré lui un vivant, jusqu’à ce qu’ily renonce, doit sa force à son caractère élémentaire, sa mimétique d’autrefois : c’est leseul exemple que je connaisse d’une créature humaine revenant à la vie de fantômeavec la puissance simple d’hallucination qu’on trouvait chez Murnau, dans Nosferatuou dans Phantom, précisément. Si bien que le saut final du héros dans le cadre ouvertde sa fenêtre semble l’effet autant de l’insupportable contrainte de l’apparition que ducaractère fantomal tout au long du film accumulé, autour des visages surtout, et eneux, saisis au plus près, dans la densité dure de son noir et blanc.

Autre, tout autre encore, est le chemin tracé par Albert Serra dans Le Chant desoiseaux. Emmanuel Burdeau a donné la formule de ce qu’il nomme un « (re)début » ducinéma : « C’est le cinéma primitif de la grande révolution numérique2. » Par quoi ilfaut entendre que ce cinéma volontiers mutique, de temps en temps énigmatiquementbavard, avec ses plans souvent interminables, ses dialogues et ses gestes sibyllins,tient de ses conditions de réalisation rudimentaires favorisées par les mutations tech-niques autant que de ses libertés d’esprit et d’improvisation, l’illusion de recommencerle cinéma. D’où l’analogie que suggère Burdeau entre l’histoire même que conte LeChant des oiseaux, la naissance du Christ et l’odyssée des rois mages venus la célébrer,et les nouvelles limites d’un art ancien appelé à se métamorphoser. Si les thèmes et lamanière, ainsi, évoquent Pasolini et les Straub, on est aussi « ailleurs » : disons, chezun Griffith picaresque qui aurait croisé Carmelo Bene. Et qui accorderait aussi à sesréalités d’images une autonomie et un envol par moments extrêmes. Par exemple, lestrois plans qui ouvrent le film, sur ces paysages lunaires où les mages s’avancent, lesecond plan surtout, qu’ils traversent presque de part en part : plan très long, cernantle plateau rocheux ceint de montagnes, sur toute la surface duquel se développe sansdiscontinuer, dans la rumeur du vent, une variation intense d’ombre et de lumière,telle une vague unique infiniment reprise. On comprend que Grandrieux ait trouvé cefilm « fantastique », et « magnifique » le plan dévoré d’obscurité qui clôt celui-ci, auquelun entretien l’amène3. Pour moi, devant les trois premiers plans du Chant des oiseaux,j’ai ressenti d’emblée qu’ils figuraient aussi une version noire et blanche spectrale descouleurs plongées dans la nuit froide du tout début de Sombre.

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1. Respectivement « Rien n’est oublié », Trafic, n° 68, hiver 2008, et « Spectre de la photogénie »,Cahiers du cinéma, n° 638, octobre 2008.

2. Emmanuel Burdeau, « Albert Serra en son royaume », Cahiers du cinéma, n° 641, janvier 2009, p. 9.3. « Le chant de Grandrieux », entretien par Vincent Malausa et Jérôme Momcilovic, Chronic’Art, n° 53,

mars 2009, p. 34.

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Par rapport à de tels gestes (il y en a certainement d’autres), la singularité de laposition de Grandrieux tient au fait que son désir de primitivité, auquel le cinéma muetoffre un cadre idéal de référence, suppose en même temps sa transmutation intensivepar une radicalité du traitement d’images qui s’apparente de façon explicite à celui dela tradition expérimentale (dans la lignée de l’avant-garde américaine surtout, deBrakhage, auquel il se réfère volontiers). C’est en effet le paradoxe de ses films et entretous d’Un lac : raconter une histoire, incarnée dans de vrais personnages, et la conterpar des moyens d’images et de sons relevant pour une part d’un art du cinéma qui s’estvoulu si étranger aux emprises du récit et des logiques dites de représentation.

Il faut ici être attentif, tant ce qui peut paraître proche est aussi dissemblable. Jepense ainsi à deux films, parents par leur motif de la situation qui se présente audébut d’Un lac. Dans He Likes to Chop Down Trees (1980), son tout premier essai,Leighton Pierce met en scène, brièvement, un bûcheron à l’œuvre. Stan Brakhage,de son côté, a construit la première partie de Dog Star Man (1961-1964), qui faitsuite au Prelude, autour de l’image plurielle et récurrente d’un homme, qu’il incarne,avançant dans la neige, une hache à la main. Cette image quasi réaliste, seulementralentie, souvent, ou floutée, revient, comme un leitmotiv, saisie sous tous ses angleset ses inclinaisons possibles ; mais elle est surtout constamment entrecoupée d’imagesinfiniment plus rapides, parfois à la limite du seuil de perception claire. Images plutôténigmatiques, de paysages, d’objets, de corps, de lumières, de scintillements ou deplongées nocturnes, apparemment sans rapport avec le motif central, cet homme quiavance, dont elles expriment peut-être l’intérieur virtuel de pensée ou les équivalentsmicrocellulaires de mouvements, ou avec lequel elles composent aussi bien une pureharmonie contrastée de rythmes tramant une vision quasi musicale d’ensemble.Leighton Pierce, lui, plus conceptuel, plus ironique, en deçà de son admirable cinémaultérieur, multiplie seulement jusqu’au vertige, en les étageant selon des niveauxde temps et de mouvements repris en boucle, les instants de la frappe de la hache,suspendus soudain par l’image récurrente du bûcheron se tournant vers le spectateurpour lui lancer : « I like to chop down trees. »

Que fait Grandrieux d’un tel motif, dès le premier plan de son film ? Il situe lacaméra de sorte à saisir au plus près par le milieu du corps le personnage encoreinconnu qui apparaît ainsi, et il suit par de menus déplacements de la prise de vuesle mouvement brutal de la hache qui va et vient contre le tronc de l’arbre. Dans lefond, tels d’immenses filaments, les arbres de la forêt, follement flous, vacillent,faisant trembler le cadre. Le plan dure, et il est difficile, à moins d’y prêter vraimentattention, d’être sûr d’avoir vu un seul plan, tant l’animation est constante sur lasurface de l’image. La chose se répétera, après la crise d’épilepsie et la scène où surgità l’intérieur de la maison le désir d’inceste. Cette fois, le haut seul du corps qui frappeest saisi, l’impression différente, à cause tant des écarts internes au cadre que del’avancée du récit. Mais le principe est le même : un plan frémissant dont l’effetévoque aussi bien à l’œil immédiat plusieurs plans. Un peu plus tard, quand Alexi etHege reviennent à la maison, elle sur le cheval, lui marchant à ses côtés, les deux 11

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riant de l’énergie de leurs corps jeunes et des désirs si proches mais antagonistes quis’y lovent, il y a bien plusieurs plans, sur l’un, l’autre, ou les deux ; mais l’agitationcontrastée de la lumière autour des corps et de leurs mouvements est alors telle, etla passion de la caméra à les cerner si vive, qu’on pourrait croire à beaucoup plus deplans. Il en ira de même, et plus encore, en maints moments. Ainsi, Grandrieux neconçoit ni n’ordonne ses images selon aucun système rythmique ou formel préconçu ; illes éprouve et les fait éprouver chaque fois selon l’œil du moment, saisis au tournageet accentués, précisés au montage (beau travail de Françoise Tourmen, qui l’accom-pagne depuis ses débuts), tendant à faire de chaque plan ou suite de plans un planglobal d’intensifications brouillant presque, et toujours plus ou moins, la limite duplan. Cela n’empêche bien sûr pas qu’il y ait aussi dans Un lac des plans calmes,posés, mais toujours animés d’un sourd degré de vibration. Comme pour y inclure lavibration de l’œil-cerveau du spectateur, la vie interne de son étrange corps immobileprojeté à travers le corps instinctif du cinéaste à l’œuvre 1. Mais ce travail d’image,c’est fondamental, dépend du récit qu’il sert autant que celui-ci en naît. La preuve endevient, dans Un lac, la cohésion harmonisée entre le monde d’images et de sonsainsi conçu et une histoire dont la simplicité aide à ce résultat.

Cette harmonisation a aussi sa genèse, qui touche à l’« art contemporain » dont lecinéma participe, à travers ce qu’il lui donne plus que par ce qu’il en reçoit. Dans lesannées difficiles qui ont suivi la sortie de La Vie nouvelle, son second long métragede fiction, si mal accueilli, comme on sait, Grandrieux a d’abord travaillé sur unancien projet, « américain », difficile à monter, auquel il reviendra sans doute. Il aaussi, à trois reprises, fini par donner une vie réelle à des essais d’images longtempsconçus dans une grande solitude. Trois installations sont nées ainsi, en 2004-2005, sion doit donner ce nom à des projections destinées à passer en boucle dans des lieuxd’art, galerie ou musée. Mais il leur faut, pour être montrées, du noir, du vrai noir,tel celui que Grandrieux demande à l’image du cinéma.

Inspiré par le motif dominant du roman éponyme du grand romancier autrichienAdalbert Stifter, L’Arrière-saison est un diptyque consacré à des roses (deux vidéosde 9 et 10´, s’enchaînant). Des roses de jardin y sont traquées, cadrées au plus serré,en un plan chaque fois improbablement continu, tant son mouvement, fortementralenti, déroute, car c’est aussi celui du corps filmant qui tourne, et dont la lumièrevarie d’irradiations extrêmes aux noirs les plus durement contrastés (« cet arrache-ment de la lumière, comme si elle s’éteignait »). Vie et mort de l’image, sans cesse,dans celles de la fleur poussée à pouvoir ainsi les exprimer, et que porte une forterumeur sonore, le souffle d’une vie ambiante accentué. Met est fondé sur une alter-nance entre des images de fleurs en masse, apparaissant, disparaissant, frappées parla lumière qui fait ressortir leurs tons tremblants sous la saisie de la caméra, et unplan chaque fois unique, de sexe et de corps nu de femme, dans diverses postures :

121. On peut l’éprouver dans le précieux making of d’Un lac, réalisé par Corinne Thévenon-Grandrieux

(on en trouve des extraits sur le site www.gandrieux.com, et il fera partie des bonus du DVD).

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arrachés soudain à la couleur, déposés dans une ombre sans limites, où la vie pourraits’abolir comme s’éterniser, ces plans feutrés suscitent un trouble intense. Grenoble,enfin, tourné au cours d’une session de formation continue destinée à des acteurs, seprésente comme une double projection, deux images ajointées par un angle de mur(44´ et 17´). La première fait alterner des suites de paysages avec des scènes plus oumoins développées, découpées ou traitées en longs plans s’adaptant aux mouvementsdes corps. Scènes ou plutôt tableaux, disons d’approche sexuelle, muets mais parfoissonores, le plus souvent très crus, à travers lesquels s’expose un désir-tourment sansautre psychologie que celle prêtée à des figures. La seconde image cerne dans la natureune succession de comportements sensoriels : un homme qui recueille sur un arbreun suc, de ses doigts qu’il lèche avec application ; un visage aux yeux clos, illuminéde soleil ; des bouches dont les langues se cherchent, longuement. Et bien d’autressensations-actes. Tout ce dont Virginia Woolf écrivait si bien (à travers le prisme deMrs. Ramsay, dans La Promenade au phare) : « …ces affections non cataloguées etqui sont si nombreuses. »

Pensant à tout cela, conçu pendant les années qui ont précédé l’écriture d’Un lac,on se rappelle d’autant que la première œuvre de Philippe Grandrieux, en 1976, étaitune installation, composée de quatre moniteurs vidéo et d’un dispositif conceptuelpropre à un temps d’idéologie critique. Et que, cinq ans plus tard, il collaborait, pourles parties film opposées-combinées aux parties vidéo conçues par Thierry Kuntzel, àleur œuvre commune inclassable, La Peinture cubiste, qui transformait en l’éclairantl’image de peinture en image mouvante. Un peu plus tard encore, Grandrieux pro-duisait, avec la série Live, pour la télévision (soit, avec le recul du temps, pour laprojection installée de musée), quatorze films dont la formule immuable faisait desplans d’une heure, sans coupe d’aucune sorte ni interruption, quelle que soit l’habiletédes cinéastes et artistes invités à déjouer la contrainte en l’honorant (parmi eux,Robert Frank, Stephen Dwoskin, Robert Kramer, Thierry Kuntzel, Gary Hill, KenKobland). Aussi, en venir à l’installation, après des années de documentaires auxcontours divers et deux longs métrages de fiction, n’était pas seulement tromper ladureté propre à tant de vies de cinéastes exigeants ; c’était revenir pour les attirer plusloin à des formes libres d’images, dont un film comme Un lac a pu ensuite faire sonprofit et porter l’empreinte. On peut supposer, en regard des emboîtements internesaux trois installations-projections, que la vision du sexe affrontée crûment, posée dansla distance d’images arrachées au récit, et ainsi au transfert d’identification qu’ilfavorise entre des corps trop proches, a pu contribuer à apaiser l’excès d’angoisseinvesti dans les films antérieurs. Et aussi que la présence insistante de la nature ycontribue, par tout un jeu du dedans et du dehors, projetés l’un sur l’autre, commepar l’équivalence troublante qu’on peut trouver à filmer une rose comme un corps, uncorps comme une rose. Mais il reste qu’à travers leurs implications mêmes, les deuxdimensions de création et d’expérience ne sont pas substituables, sans parler del’écart crucial des dispositifs qui les montrent. Le récit les sépare, si poreuse parfoisdevienne la frontière entre des longs métrages de fiction et des œuvres expérimentales. 13

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Un contrat de vision, d’identification, les disjoint, qui passe par tous les degrés et lescontaminations imaginables mais cependant demeure, dans ses virtualités contraires.L’exemple le plus pur en a été donné tout récemment par ce qui aura sans doute étécette année le plus beau film de la Berlinale (dans le « Forum Expanded ») : Ascolta !,de Stephen Dwoskin, un des Tre Puccini choisis par la programmatrice (StefanieSchulte Strathaus) dans la série des films suscités l’année dernière par le festival decinéma expérimental de Luca pour célébrer l’anniversaire du musicien.

Imaginez. Cela commence à l’œil clos, contre la joue, d’un visage de femme. Maisl’œil s’ouvre bientôt, à gauche (c’est l’œil droit du modèle), où une larme se forme entremblant sous les cils. Il nous contemple sans nous voir, d’un regard errant, capta-teur, voilé. Un motif musical a d’emblée commencé à monter, inlassablement ralentiet repris, devenant la respiration de l’image. La caméra tourne un peu, bouge insensi-blement. Sa caresse s’étend à l’autre œil, à demi, au nez. Parfois les yeux se ferment,à peine, s’ouvrent, nous fixent immensément. On revient à l’œil gauche, seul, toutprès, qui se ferme soudain, comme sous l’effet d’une crispation de douleur. La larme acoulé le long d’une aile du nez, une autre se reforme à l’intérieur de l’œil. Cela varie,se reprend comme le motif incessant de musique. Mais la caméra descend brusque-ment jusqu’à la bouche, aux lèvres qui s’entrouvrent. La main repasse tel un voile.L’œil gauche et des cheveux blonds apparaissent, et soudain, comme la musique sortde son lamento en boucle et que la voix du chant s’élance (« Signore, ascolta », deTurandot), on retrouve les yeux exorbités qui nous fixent, animés par un lent mouve-ment de balancier s’achevant sur l’œil initial, dans une image qui défait sa couleurpour ne plus en laisser passer qu’une vibration intérieure avant de s’effacer.

J’ai pensé à ce film de Dwoskin quand j’ai revu pour la seconde fois Un lac. Aumoment de la scène du chant de Hege, évidemment. Pour bien sentir la différenceentre une pure extase close sur elle-même, sans dehors, quasi sans mémoire, si cen’est celle de la brièveté de sa durée, le temps des six minutes et demie que dureAscolta !, et l’expérience qui s’ouvre à la mémoire accumulée de toutes les figures(narratives, plastiques) d’un récit dont le chant du personnage exprime le sentimentglobal et anticipe aussi la fin imminente. Mais j’ai aussi pensé que c’est parce queGrandrieux s’était acharné à filmer pendant des semaines, seul, des gros plans deroses inspirés par Stifter, comme Dwoskin devant son visage de femme (ce dernierest sans doute, avec ceux qui ont su approcher le visage de Lillian Gish tel Sjöströmdans The Wind, le plus grand filmeur de visages de femmes de l’histoire du cinéma),qu’il a pu saisir si fortement le visage de son actrice (Natálie Rehorová), dans l’ombreépaisse de la maison et dans le demi-jour de la forêt.

Enfin, on n’oubliera pas, dans Un lac, l’animal. Tao, étalon percheron du Théâtredu Centaure à Marseille, ce cheval unique et extraordinaire qui sert au transportdes troncs abattus. Il est immense. Sa robe d’un gris pommelé s’accorde aux tons dupaysage. Ses poils très longs, formant comme une chevelure, se mêlent à celle deshumains dont il partage la vie, Alexi et Hege surtout. Arthur aussi, le petit frère.14

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Son souffle dilaté emplit l’espace de la forêt comme de l’étable. Son œil cadré au plusprès palpite, devenant la chair de l’image. Cerné en regard de celui d’Alexi, il exprimela réciprocité intime de l’homme et de l’animal, l’unité du vivant.

Dans son livre Electric Animal, et dans un article postérieur, « The Death of anAnimal » 1, Akira Misuta Lippit inscrit comme une sorte de mythe d’origine du cinémale petit film de Thomas Edison, Electrocuting an Elephant. Dans cette image à vraidire indécise, où on devine une forme immense s’abattant dans un nuage de poussière,Lippit a aimé lire le symbole de la catastrophe anthropologique liant d’un seul tenantl’avènement du cinéma et la disparition programmée des espèces animales dans unecivilisation de la machine. Il y a ainsi beaucoup d’animaux tués, au cinéma, deslapins de La Règle du jeu à la girafe de Sans soleil, prophétisant aussi bien l’histoiredes humains que jugeant leur violence irréversible.

Mais il y a aussi tant d’animaux vivants, ce sont bien sûr les mêmes, dont la viepropre atteste l’intensité du rapport qui se noue, pour un spectateur, entre le corpsdu film et son corps captif. C’est la part la plus organique de ce rapport qui a étéainsi cernée, de tout temps, dans le cinéma, à travers la créature de mouvement etde pure présence qu’est l’animal, lui dont l’innocence fait croire à celle de l’image. Telest ce qu’on ressent dans l’acharnement doux mis par Grandrieux à filmer le grandcheval. Il y a ainsi un moment électif, en plusieurs temps, dans la forêt, lors de laseconde frappe d’arbres. Le cheval est d’abord cerné comme un gardien gigantesque,un dieu de la forêt. Il est ensuite approché, du regard, de la main, de tout son corpspar Alexi, ici le personnage et l’acteur le plus physique (impressionnant DmitryKubasov), qui paraît vouloir se confondre avec ce corps qu’il flatte, mimant jusqu’àson souffle. Puis, Hege arrivée, montée sur le cheval pour repartir, c’est contre sonflanc que les mains du frère et de la sœur se joignent, et qu’Alexi repose son visagepour mieux apercevoir celui de sa sœur qui sourit, fermant les yeux, portée par les paslourds de l’animal. « Pareil la mort de l’homme, pareil la mort de la bête, l’âme, uneseule » : ce sont les mots de l’Ecclésiaste que choisit de lire Alexi pour introduire ledîner, en l’absence du père. Telle est l’identité, à travers le cheval, emblématiquement,retournée de la mort vers la vie, que conte Un lac.

(Merci à Janet Bergstrom, Christa Blümlinger, Emmanuel Burdeau, Capricci Films,Stephen Dwoskin, Catherine Jacques, Corinne Thévenon-Grandrieux.)

151. Akira Misuta Lippit, Electric Animal. Toward a Rhetoric of Wildlife, Minneapolis, University of

Minnesota Press, 2000 ; « The Death of an Animal », Film Quarterly, vol. 56, n° 1, 2002, p. 9-22.

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Dans Elephant de Gus Van Sant (USA, 2003), les deux lycéens visionnent uncourt film sur Hitler et le national-socialisme avant de partir mitrailler leurscamarades et leurs professeurs. Nous avons tous vu des films de ce genre, le

plus souvent à la télévision. J’en ai encore regardé un la nuit dernière, sur la chaîned’information allemande NTV. Il s’agissait de la cavale d’assassins nazis commeEichmann et Mengele après la guerre. Ceux-ci trouvèrent refuge en Argentine, d’autrespurent s’établir aux États-Unis ou au Canada (Hightech-Nazijagd, le 13 octobre 2008sur NTV). L’expert habituel expliquait que les principaux criminels avaient ainsiéchappé à leur châtiment. Pour illustrer son propos, le film montrait alternativementdes nazis et des amoncellements de cadavres. Chaque image durait environ troissecondes. Cette façon d’utiliser les images de morts est révoltante.

Le court métrage sur Hitler et les crimes commis sous le régime national-socialisteconstitue un type, voire un genre en soi. Il prend sa source dans les films tournés parles Alliés immédiatement après la guerre, et avec lesquels ceux-ci pensaient réédu-quer les Allemands. L’une de ces réalisations est Die Todesmühlen de Hanus Burger(RFA/USA, 1945). On voit à la fin du film les habitants de Weimar conduits au campde Buchenwald sur ordre des occupants américains. Les corps trouvés par les Alliésà leur entrée dans le camp n’ont pas encore été enterrés. Pour leur punition et leurédification, les Allemands doivent voir les morts.

En mai 1945, Samuel Fuller servait comme soldat dans l’unité d’infanterie The BigRed One, qui libéra le camp de Falkenau (aujourd’hui Okres Sokolov, en Républiquetchèque), une annexe du camp de concentration de Flossenbrück. Indigné par lescrimes découverts en ce lieu et par l’attitude des habitants de Falkenau, qui niaientavoir rien su des forfaits commis à leur porte, le capitaine Richmond prit une mesureinhabituelle. Il ordonna aux habitants d’habiller et d’enterrer les morts ; la populationdevait se tenir le long de la route par laquelle on conduirait les corps du camp aucimetière. Ainsi fut fait, et Samuel Fuller enregistra l’événement avec une caméra16 mm. Emil Weiss en tira un film en 1988, après être retourné sur les lieux en com-

Comment montrerdes victimes?par Harun Farocki

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pagnie de Fuller et lui avoir fait commenter les images muettes de 1945 (Falkenau,vision de l’impossible, France, 1988-2004).

Fuller lui-même avait intégré dans son film de fiction Verboten ! (USA, 1959) desvues documentaires des camps allemands, qu’il commentait déjà de sa propre voix.Verboten ! est un film sur la « rééducation ». Dans les derniers jours de la guerre, unefemme allemande a caché un soldat américain blessé, des liens de couple se nouententre eux. Le frère de la femme, âgé de quatorze ans, rejoint après la capitulation ungroupe de jeunes restés fidèles au nazisme, et commet avec eux des actes de sabotage.Pour ouvrir les yeux à son frère Franz, Helga l’emmène assister à une séance desprocès de Nuremberg. Nous voyons d’abord un policier militaire américain en factiondevant une guérite rayée, un homme se dirige vers lui, montre son accréditation, onle laisse passer. Puis c’est le tour de Franz, suivi par Helga. Les visiteurs entrentdans la salle d’audience, et se dirigent vers les bancs ; ils marchent en file indienne,comme les prisonniers doivent souvent le faire.

Pendant ce temps, on entend déjà le président citer les plaignants – les quatre Étatsalliés –, puis les accusés. Göring, Hess, von Ribbentrop et ainsi de suite. On voit ceux-ci, seuls ou en groupe, pendant l’appel de leurs noms. Ils sont coiffés de gros écouteurs,pour la traduction, beaucoup portent des lunettes noires, sans doute aussi pour seprotéger de la lumière des projecteurs. Ils sont surveillés par des policiers militairesaux casques ronds.

La voix énumère à présent les noms des organisations mises en cause : SS, SD,Gestapo, et ainsi de suite. On passe sans aucun temps d’arrêt au réquisitoire duprocureur Jackson. Celui-ci est montré d’abord de dos, ensuite de face. Les motsentendus ne correspondent pas aux mouvements de sa bouche : « Nous allons vousmontrer un film réalisé par les prévenus eux-mêmes. »

Commence alors le film présenté au tribunal. Ou plutôt : le film qui est censé avoirété présenté au tribunal.

« Vous pourrez voir quelle conduite fut la leur pendant la conspiration. C’est l’histoiredu parti nazi, tel qu’il sortit des rues agitées de Munich dans les années vingt. Leurobjectif était d’établir un contrôle absolu sur la communauté allemande. “Donnez-moicinq ans. Aujourd’hui l’Allemagne, demain le monde. Seul le parti nazi a le droit dediriger l’Allemagne et de détruire l’ennemi.” »

Ces mots viennent de Hitler, qu’on voit dans une manifestation en plein air. Encoreune fois, les mots ne correspondent pas aux mouvements des lèvres – ne serait-ce queparce que Hitler ne prononçait pas ses discours en anglais.

On voit maintenant Franz en train d’écouter, l’image du chef de son groupe naziapparaît en surimpression. « Seul le Loup-garou a le droit de diriger l’Allemagne. Etle droit de détruire l’ennemi. »

Il dit ces mots avec un fort accent allemand, c’est une drôle d’idée de faireparler un Allemand en anglais, mais avec un accent qui signale son origine – queson chef ait prononcé les mêmes mots que Hitler avant lui, cela semble préoccuperFranz.

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« Martin Boorman, aperçu vivant pour la dernière fois le 2 mai 1945, sort inconnu,jugé par contumace. Le prévenu a dit : “L’ennemi doit travailler pour nous. Si nousn’avons pas besoin de lui, il doit mourir.” »

Pendant cette citation, on voit des hommes décharger du charbon d’un train, puisun plan d’ensemble montre une foule de personnes travaillant dans une carrière.Puis à nouveau le visage de Franz, à nouveau le visage du chef des Loups-garous ensurimpression, disant avec un fort accent allemand : « L’ennemi doit travailler pournous. Si nous n’avons pas besoin de lui, il doit mourir. » Une ride soucieuse se creusemaintenant entre les sourcils de Franz, à la naissance du nez.

« Les antinazis allemands furent les premières victimes. Dans de nombreux camps,on pratiquait couramment des expérimentations médicales sur des Allemands quin’étaient pas d’accord avec Hitler. L’accusé Frick, en tant que ministre de l’Intérieur,dirigea le programme nazi visant les Allemands âgés, malades mentaux, handicapésou incurables, ceux qu’on appelait les “bouches inutiles”. On les envoya par milliersdans des institutions spécialisées. Très peu d’Allemands antinazis en revinrent. Il aété prouvé qu’ils furent assassinés parce qu’ils ne servaient pas les plans de Hitler. »

Pendant que ces mots sont prononcés, on voit les images de détenus effroyablementamaigris, couchés dans des lits. Le premier est déshabillé par un médecin ou uninfirmier qui le manipule sans ménagement. Le deuxième et le troisième sont allongésnus, sans couverture. Il s’agit de toute évidence de vues tournées par les Alliés aprèsla Libération; dans un plan d’ensemble de la salle, on voit à l’arrière-plan de nombreuxdétenus allongés sur le sol ; au premier plan un homme de profil, vêtu d’un manteaud’uniforme, une pipe à la bouche.

Sur le mot « malades mentaux » la caméra amorce un mouvement vers les specta-teurs allemands ; sur « milliers », elle saute au dernier rang et fixe Helga et Franz.Celui-ci secoue la tête de gauche et de droite. Un « non » silencieux, plusieurs foisrépété. Non, ça ne peut pas être vrai. Non, je ne savais pas ça. Ou bien : non, je neveux pas regarder ça.

« Hitler et ses nazis lancèrent une campagne intense contre les protestants, lesluthériens, les catholiques allemands. Le pasteur Niemöller fut envoyé en camp deconcentration. L’évêque Gallen fut molesté. Hitler inspira des actes de vandalismecontre les biens de l’Église. La doctrine des nazis n’était pas compatible avec la foichrétienne. Les nazis avaient le projet de supprimer complètement l’Église chrétienneaprès la guerre. »

À nouveau le chef Loup-garou avec l’accent allemand : « L’ancienne ère chrétiennedura près de 2000 ans. Elle a échoué. » Puis à nouveau le commentaire de Fuller :« Mais avec la guerre le nombre des victimes augmenta, incluant des citoyens detoutes les nations européennes. Parmi les exécutés et les brûlés figurent des citoyensde Hollande, de France, de Belgique, de Pologne, de Hongrie, de Tchécoslovaquie, deGrèce et d’autres pays. Mais leur plus grand crime contre l’humanité, les Allemandsle commirent peut-être contre les Juifs, qu’ils utilisèrent comme un bouc émissairepour camoufler leur projet de faire de Hitler un dieu et de Mein Kampf leur bible.

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Cette édition électronique de la revue Trafic 70

a été réalisée le 08 décembre 2010 par les Éditions P.O.L. Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage,

achevé d’imprimer en mai 2009 par les ateliers de Normandie Roto Impression s.a.s.

(ISBN : 9782846823074) Code Sodis : N47118 - ISBN : 9782818012482

Numéro d’édition : 166531

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