22
LES IMPRESSIONS NOUVELLES Caméras subjectives DOCUMENTAIRE ET FICTION Allers-retours Solveig Anspach Julie Bertuccelli Alain Cavalier Jean-Pierre & Luc Dardenne Rithy Panh Claire Simon Agnès Varda

Extrait de "Documentaire et fiction"

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Extrait de l'essai coordonné par N.T. Binh et José Moure, intitulé "Documentaire et fiction. Allers-retours", paru aux Impressions Nouvelles en mars 2015

Citation preview

LES I M P R E S S I O N S N O U V E L L E S C a m é r a s s u b j e c t i v e s

documentaireet Fictionallers-retours

Solveig AnspachJulie BertuccelliAlain CavalierJean-Pierre& Luc DardenneRithy PanhClaire SimonAgnès Varda

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,avec la Bibliothèque nationale de France,

la New York University Paris et le soutien de la Scam et de l’Institut ACTE

documentaireet fiction

Allers-retours

LES IMPRESSIONS NOUVELLES

Coordonné par N. T. Binh et José Moure

extrait

IntroductIon

Il y a d’une part les documentaristes à qui l’on pose la question : « Quand est-ce que vous ferez un vrai film ? » Et il y a d’autre part des cinéastes de fiction à qui l’on demande : « Vous n’avez jamais eu envie de filmer la réa-lité ? »

À questions clichés, réponses toutes faites : le documentaire, c’est aussi du vrai cinéma ; on ne peut pas filmer la réalité, mais seulement notre point de vue sur le réel ; tout film de fiction est un documentaire sur des acteurs qui jouent. Le débat est aussi vieux que le cinéma lui-même. Peut-on filmer le réel ? Peut-on d’ailleurs filmer autre chose que le réel ? Des actualités reconstituées du cinéma des premiers temps (les frères Lumière comme Méliès en produisirent) aux longs métrages muets de Fla-herty ou de Schoedsack et Cooper, du néo-réalisme ita-lien aux essais cinématographiques de Chris Marker, les cinéastes et les commentateurs ont sans cesse relancé le sujet. Depuis qu’il existe un cinéma d’animation docu-mentaire, depuis que Claire Simon a postsynchronisé un film pris sur le vif dans une cour d’école ou qu’Agnès Varda a reconstitué ses bureaux sur une fausse plage rue Daguerre en y faisant déverser des tonnes de sable, les repères se sont encore plus brouillés !

Dans cet ouvrage, ont été interrogés huit cinéastes qui ont l’expérience conjuguée de la fiction et du documen-taire. Chacun d’entre eux se penche avec acuité sur le pas-

sage de l’un à l’autre. Le plus frappant est la diversité des approches, chaque créateur ayant son rapport particulier au réel et à l’imaginaire. À une exception près, ces inter-views ont été menées en public, dans le grand auditorium de la Bibliothèque nationale de France, par les étudiants du Master Scénario-Production-Réalisation de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, qui les ont ensuite transcrites, le tout sous la supervision de leurs enseignants.

En prenant contact avec Agnès Varda pour lui deman-der de participer à ce cycle, nous savions que, souvent, elle décline ce genre d’invitation pour se consacrer pleinement à son travail. Voici un extrait de ce qu’elle nous a répondu lorsque nous l’avons approchée, très en amont, pour éta-blir notre programme : « J’ai toujours peur de prendre des rendez-vous lointains… Mais le sujet que vous proposez est SUPER. Documentaire et fiction, c’est vraiment là où je navigue. Alors je dis OUI ! » Dans son intervention, Agnès Varda rappelle à quel point les frontières sont floues entre les deux modes d’expression. Elle les distingue cepen-dant de façon évidente : « Avec la fiction, on imagine et on est l’auteur, le chef de ce qu’on fait, tandis que dans le documentaire, on est au service du sujet… », ajoutant plus tard : « Il me semble que l’on peut filmer tout le monde. Il suffit de regarder les gens avec attention. » Elle relate ainsi une étrange expérience où, animant un atelier d’étudiants, elle leur a demandé de cadrer des gens avec une caméra vide, sans pellicule : « Et ils ont vu que la vie se met en scène toute seule si on attend, si on est observateur. Peut-être même qu’on le suscite. » Elle est bien là, l’ambiguïté du réalisateur, en documentaire comme en fiction : filmer ce qui advient devant la caméra, mais aussi le susciter.

Alain Cavalier est également attentif aux représenta-tions d’une réalité qui se déroule ou qu’il provoque. Son parcours très singulier l’a mené à épurer son œuvre, en se débarrassant peu à peu de la lourdeur technique du cinéma, pour tenter de fixer la vie-même et d’en préser-ver des traces – qu’il appelle des « preuves ». Il définit ainsi l’évolution de son statut : d’abord, dans ses films de fiction avec vedettes, il fut « metteur en scène ». Abandonnant les acteurs connus, puisant ses sujets dans des événements réels, il se ensuite dit « cinéaste ». Puis, cadrant lui-même son environnement, il se proclama enfin « filmeur » : « Je ne suis pas un imaginatif. Si je n’ai pas la certitude que ce que j’entreprends de mettre en scène s’est réellement passé, ou que je n’ai pas été au milieu de la chose elle-même, j’ai l’impression d’être un menteur. » Cavalier est filmeur de sa propre vie, mais cela peut aller jusque dans l’invention d’une fiction avec un comédien célèbre (Vincent Lindon dans Pater) ! Il a certes conscience des limites de l’exercice consistant à filmer le réel, mais il accepte cette incomplé-tude : « C’est comme quand vous prenez le train. D’abord la Bourgogne, la Provence, puis vous arrivez à Marseille. Vous n’avez qu’une vision parcellaire de votre voyage, mais vous en conservez la colonne vertébrale. C’est comme cela que je me débrouille avec le réel. »

Jean-Pierre et Luc Dardenne, eux, ont commencé par un cinéma du réel, avec des années de documentaires mili-tants, toutefois imprégnés de l’expérience théâtrale politi-sée d’Armand Gatti. Luc Dardenne confie : « On a arrêté les documentaires parce qu’on les mettait beaucoup en scène… On ne filmait pas le réel, on n’essayait pas d’être là quand il se passait un événement, on réorganisait tout.

(…) On s’est aussi dit : “Au moins, avec un film de fiction, si on a envie de filmer quelqu’un qui tue quelqu’un, on peut.” En documentaire, c’est plus compliqué ! » Ils sont « passés à la fiction » avec un film qui mettait en abyme le théâtre (Falsch), puis un second, non dépourvu de qualités, mais qu’aujourd’hui ils regrettent (Je pense à vous), avant de trouver leur voie avec La Promesse, suivie de la carrière qu’on sait. Depuis, ils ne sont guère revenus au documen-taire, mais l’expérience originelle de confrontation au réel a nourri tous leurs films ultérieurs.

L’une des choses les plus intéressantes, dans l’itinéraire de Claire Simon, est la coexistence du fictionnel et du documentaire, au sein d’un même projet. Toutes ses fic-tions sont documentées, et tous ses documentaires sont mis en scène. Il en résulte des œuvres qui se répondent l’une l’autre (800 km de différence et Ça brûle), qui jouent sur les deux registres à la fois (Les Bureaux de Dieu), ou qui font naître plusieurs formes à partir du même matériau (un long métrage de fiction, un documentaire et un webdoc tournés à la gare du Nord).

Solveig Anspach, quant à elle, navigue entre réel et ima-ginaire de façon naturelle, traque la vérité chez ses acteurs et fait « jouer » des personnes réelles. Pour que ces deux veines s’enrichissent mutuellement, elle n’hésite pas à les faire coexister : plutôt que de se filmer elle-même, elle raconte sous forme de fiction une épreuve qu’elle a vécue (Haut les cœurs !) ; quelques années auparavant, dans l’un de ses documentaires intitulé Sandrine à Paris, « il y a des acteurs que j’ai mélangés avec les gens comme Sandrine, et des scènes écrites, ce qui ne se faisait pas du tout et qui, déontologiquement, était très mal vu ! Mais j’avais envie

d’essayer ça. Ensuite, j’ai fait la même chose en fiction : j’ai fait jouer des acteurs et des non-acteurs et j’ai mélangé tout le monde. Je trouve cela intéressant parce qu’on crée des événements, de l’inattendu, de la surprise ».

Julie Bertuccelli ne mélange pas les genres, mais pra-tique d’intéressants allers-retours. Elle a fait son apprentis-sage comme assistante sur des longs métrages importants, puis, devenue à son tour cinéaste, a goûté grâce au docu-mentaire le plaisir de tournages plus directs et plus légers : « Quel soulagement quand on n’a pas à choisir la couleur du t-shirt, et quel mouvement doit faire le personnage ! C’est pourquoi le documentaire est très reposant, même s’il comporte d’autres difficultés. » Ce n’est sans doute pas un hasard si son premier film de fiction, Depuis qu’Otar est parti, s’inspire de faits réels, tout en prenant l’imaginaire même comme sujet. Mais pour elle, les territoires du docu-mentaire et de la fiction sont bien circonscrits : au premier, le social voire le sociétal, tourné dans son pays, elle-même à la caméra, avec une volonté citoyenne de sensibilisation ; au second, l’exploration intime du mental des personnages, la découverte d’autres pays et d’autres cultures.

Pour finir, la trajectoire de Rithy Panh nous paraît exem-plaire sur toutes les questions qui alimentent l’opposition documentaire/fiction : le débat éthique et esthétique sou-levé par son cinéma alimente la problématique, relance les enjeux, revient sur les fondamentaux du débat. Les trauma-tismes de son histoire personnelle (l’extermination khmère rouge, l’exil) ont nourri sa reconstruction par le biais du cinéma. Avec la désarmante simplicité qui le caractérise, il retrace avec nous son cheminement exceptionnel : « Quand on finit un documentaire, on n’est jamais vraiment en paix

ensuite. Les questions continuent de s’enchaîner sans fin : des questions d’image, de montage, de narration, de poli-tique plus que d’esthétique. Le choix de la forme vient en second, c’est la politique qui guide le projet. (…) Quand on fait une fiction, on est peut-être plus léger, en tout cas, plus libre dans la création. On s’amuse davantage ! » De ses adaptations de poèmes de Prévert à ses documentaires minutieusement mis en scène, de ses fictions inspirées de sources littéraires à ses reconstitutions puisées dans le réel, Rithy Panh questionne à la fois les paradoxes du monde d’aujourd’hui, les contradictions du cinéma, les impasses et les espoirs de la création artistique. Au-delà même de ces questionnements, il nous livre une passionnante réflexion sur l’intrication du réel et de la fiction, de la vérité et de la tricherie, du vécu et de l’imaginaire. Sa démarche clôt ainsi de manière fort appropriée cet ouvrage, en se gardant bien de répondre de façon définitive à toutes nos interrogations.

N. T. Binh

Agnès VArdA « AImer ceux qu’on fIlme »

Vous êtes réalisatrice et artiste plasticienne. Vous avez réa-lisé votre premier film en 1956. C’était La Pointe Courte…

agnès Varda. Il a été tourné en 1954. La date impor-tante, c’est le tournage. Comme il a eu beaucoup de mal à sortir, il n’est sorti qu’en 1956. Je choisis toujours de donner la date de tournage.

C’était le premier film de Philippe Noiret, qui a été monté par Alain Resnais. L’économie de moyens et le tournage en décor naturel avec de nombreux acteurs non professionnels annonçaient déjà la Nouvelle Vague. Pendant votre carrière de cinéaste, vous avez tourné des films de tout type, des fictions, comme Cléo de 5 à 7 (1961) ou Sans toit ni loi (1985), des documentaires comme Daguerréotypes (1975), mais aussi des films hybrides qui échappent à ces deux formes, comme par exemple Les Plages d’Agnès (2008) ou même, dans une cer-taine mesure, Jacquot de Nantes (1990). Après une première vie de photographe dans les années 1950, puis une deuxième vie de cinéaste, vous dites à présent en vivre une troisième, de vidéaste et d’artiste plasticienne. Cet intérêt pour les arts plastiques était présent dès vos années de formation, lorsque vous suiviez des cours à l’École du Louvre en auditrice libre… Et Les Glaneurs et la Glaneuse (2000) marque un tournant dans votre carrière.

agnès Varda. C’est presque naturellement et par hasard, à cause de ces foutues pommes de terre en forme de cœur, que je me suis retrouvée à la Biennale d’art de Venise.

Comment êtes-vous passée du cinéma aux arts visuels ? agnès Varda. Cela s’est presque fait tout seul dans la

mesure où, fascinée par ces patates, je les avais gardées. J’ai fait une sorte de culture de vieillissement de pommes de terre. J’en ai mis certaines dans des cartons, donc elles avaient l’air un peu aplaties. J’en ai mis à la cave, en plein soleil. Je me suis mis à trouver très intéressant et beau que ces patates commencent à revivre, germent à nouveau, même si elles étaient immangeables. Donc, très naturel-lement quand j’ai été invitée à la Biennale, comme j’avais envie de faire un triptyque, je me suis dit : « Je vais montrer les patates qui respirent, et tout ce qu’elles font ». Le tapis de patates, c’est amusant. Le costume de patate, c’était fait pour faire une blague, mais le tournant était vraiment là, ça s’est produit naturellement. J’ai toujours aimé l’art contem-porain, les installations. Cela se fait depuis vingt à vingt-cinq ans, rappelez-vous Nam June Paik, Robert Cahen, et cela m’a toujours impressionné. Ce qui ne veut pas dire que j’ai renoncé au cinéma. Je mélange. J’ai d’ailleurs fait des tournages depuis, dont Les Plages d’Agnès (2008), et j’ai fait une série qui s’appelle De ci de là, que j’ai filmée en vidéo. Mon plaisir est d’avoir tous les outils en main. Je peux faire des photographies, filmer en 35 mm, en 16 mm, en vidéo, et je peux tout mélanger. Dans une exposition en ce moment à la galerie Obadia, près du Centre Pompi-dou, j’ai justement mis des triptyques composés de pho-tographies anciennes tirées argentiques, et dont les volets sont des choses filmées en vidéo. Ce qui me plaît, c’est de

mélanger noir et blanc, passé et présent, pellicule et vidéo. Il n’y a pas de rupture.

Et mélanger documentaire et fiction ?agnès Varda. Je ne vois pas de barrière entre tout cela.

Plus j’ai fait de choses et plus j’ai eu d’outils, de moyens dont je peux me servir. C’est naturellement que je suis passée de la photographie au cinéma, parce que j’avais envie que ça bouge, et, ensuite, j’ai eu envie que ce soit autrement. Donc il n’y a pas une décision théorique. Je suis inspirée par les choses. Je me laisse entraîner ensuite. Le Patatutopia qui a marqué mes débuts dans les trois dimen-sions, était pour moi très naturel.

Pour revenir à vos documentaires plus anciens, pouvez-vous nous parler du court métrage Elsa la rose (1965) ?

agnès Varda. Il faut dire un mot des circonstances : il y a quelqu’un – je ne sais pas qui, Pathé peut-être – qui est venu voir Jacques Demy et moi : « Il faut que vous fas-siez deux documentaires : l’un, Elsa racontée par Aragon et l’autre, Aragon raconté par Elsa. » J’ai dit oui tout de suite. Cela faisait une boucle de couples d’artistes parlant de couples d’artistes. Je me suis jetée là-dessus parce que j’aimais beaucoup Aragon et pas mal Elsa. Je trouvais que c’était une femme extraordinaire. Donc j’ai fait Elsa la rose ; puis, Jacques s’est débiné. « On les a assez vus dans ton documentaire, c’est bon… » Mon film est donc un volet d’un diptyque inachevé. C’est Michel Piccoli qui lisait les poèmes, c’est vrai qu’ils sont difficiles à lire vite. Et Elsa avait une attitude extraordinaire, parce qu’elle se sentait coupable de ne pas être restée « la » Elsa qu’il chantait. Dans le film, il y a un moment intéressant. Aragon entre

dans la pièce où se trouve Elsa et il lui dit : « Est-ce que je te dérange ? » Elle répond : « Pas du tout, je suis en train de traduire des poèmes russes, et il y a une formule que, peut-être, tu pourrais m’aider à trouver. » Puis elle se tourne vers moi et me dit : « Ah ce n’est pas pareil. Quand moi je tape chez lui et que je lui dis : “Est-ce que je te dérange”, il me dit : “Oui tu me déranges, j’écris un poème à Elsa.” » Je trouvais cette décomposition en deux magnifique. Elle était l’Elsa des poèmes et il a écrit des poèmes à Elsa, mais elle ne pouvait pas entrer dans la pièce. Ils étaient fascinants tous les deux. Ils m’ont fait confiance. J’ai été beaucoup plus impressionnée par elle que par lui. C’est vraiment un très grand poète, incroyable inventeur de formes et de rythmes, mais comme personnalité, elle était très attachante, très belle dans son attitude admirative, poétique et un peu malheureuse.

Comment choisissez-vous les sujets de vos documentaires ?agnès Varda. Là, c’était une commande. La question

est de savoir comment on la traite. On peut faire un film sur n’importe quoi et n’importe qui. C’est le point de vue qui est important. Il faut avoir un point de vue pour une fiction et un point de vue pour un documentaire. On peut filmer n’importe comment quand ça vient, mais le point de vue, là où on se met, pas la place de la caméra mais l’attitude mentale qu’on a envers un sujet, fait aussi la qualité ou l’intérêt d’un documentaire ou d’une fiction. Pour moi, dans les deux cas, la question est : « Où est-ce qu’on se situe par rapport au sujet ? » J’ai fait des films de commande. Même les films que j’ai faits sur le tourisme : Ô saisons, ô châteaux (1958) et Du côté de la côte (id.). Les Dites Cariatides (1984) était aussi une commande. Certes,

cela cesse d’être une commande à partir du moment où cela m’intéresse. Mais les films m’ont été proposés, pourquoi ne pas le faire ? Il y a des documentaires qui me sont venus par une rencontre, un choc, une surprise, qui m’ont fait dire : « Là, il faut le faire ». C’est le cas des Glaneurs par exemple.

Dans Elsa la rose, on entend un poème d’Aragon sur Elsa, sur lequel vous mettez des images comme pour une fiction ou une installation : une fleur, des pétales qui forment le nom d’Elsa… Ce n’est pas seulement du réel, vous mettez en scène les poèmes.

agnès Varda. On met quand même en scène, sauf quand on filme du documentaire dru où vous arrivez chez des gens qui sont en train de ramasser des patates, et vous filmez des gens ramassant des patates. Mais dès qu’il n’y a pas une réalité, on peut la recréer par un semblant de mise en place. Ce n’est même pas de la mise en scène des objets. C’est vrai, il parle de roses, on pense à des roses, on voit des pétales. Le nom d’Elsa, vous savez, c’est tous ces poèmes avec « J’écris ton nom ». On se rappelait ce grand poème de la guerre : J’écris ton nom, Liberté d’Éluard. Il m’a tout de suite semblé que cela avait du sens.

Dans vos documentaires, vous vous intéressez souvent à des artistes ou à des œuvres d’art.

agnès Varda. Vous savez, j’ai réalisé une série pour Arte, c’est la dernière chose que j’ai faite. Cela s’appelle Agnès de ci de là Varda (2011). C’est-à-dire que j’ai fait cinq fois 45 minutes à l’occasion de mes voyages ici et là. Et dans chacun des numéros, je me suis approchée d’un ou d’une artiste avec beaucoup d’attention. Mais je l’ai fait, de la même façon que je me suis approchée d’une femme qui

vendait du poisson ou qui faisait une sauce sur un marché du Mexique, ou de gens à Rio qui tapaient sur des bidons en plastique et qui faisaient de la musique. Je ne fais pas de différence de niveau. J’ai envie de témoigner de rencontres que j’ai faites. J’ai eu l’opportunité de rencontrer un artiste comme Boltanski qui avait fait cette œuvre magnifique au Grand Palais intitulée Personne. C’était une chose extraor-dinaire. Il avait essayé de raconter, dans une énorme expo-sition, la dépersonnalisation. Il y avait des espèces de boîtes de biscuits reliées avec des numéros. Puis il y avait une pile énorme de vêtements et un piège qui essayait de les attra-per… En faisant parler Boltanski, en allant quatre ou cinq fois filmer cette exposition, là, à côté, ailleurs, il m’a semblé entrer dans l’œuvre avec plus de finesse, plus de compré-hension, et la rendre partageable. J’ai proposé aux gens de comprendre Boltanski ou Soulages, qui sont des artistes. Mais dans la même série, je m’approche de gens « de la rue », comme on dit. Ils n’ont pas particulièrement de fonc-tion ou de raison d’être connus, et je les filme avec la même attention. Mais c’est vrai que les créateurs me confortent, parce que c’est ma nourriture la plus agréable. Des artistes, des musées, des expositions… cela me semble être la plus belle chose que l’on puisse nous proposer comme distrac-tion et comme aliment spirituel. Mais quand je suis fil-meuse, je ne mets pas une catégorie « chic » ou une autre. Il me semble que l’on peut filmer tout le monde. Il suffit de regarder les gens avec attention. Je pense que la seule force que l’on doit apprendre à développer pour le documen-taire, c’est d’aimer qui on filme.

[…]

table des matières

n. t. BInh

Introduction 5

Agnès VArdA

« Aimer ceux qu’on filme » 11

AlAIn cAVAlIer

« Je n’ai aucune morale quand je filme » 43

JeAn-PIerre et luc dArdenne

« On a toujours bien aimé les contraintes » 69

clAIre sImon

« Il faut apprendre à cadrer ce que l’on voit » 95

solVeIg AnsPAch

« Mes documentaires sont filméscomme des fictions » 113

JulIe BertuccellI

« Dans un film, toute personnedevient un personnage » 139

rIthy PAnh

« Le réel n’existe pas :il y a toujours une mise en scène » 161

dans la collection« caméras subjectiVes »

aux impressions nouVelles

Cinéma et musique :aCCords parfaits

dialogues avec des compositeurs et des cinéastescoordonné par N. T. Binh, José Moure

et Frédéric SojcherEntretiens

musiques de filmsnouveaux enjeux

coordonné par N. T. Binh, José Moureet Séverine Abhervé

Essais

Documentaire et fiction allers-retoursmarS 2015

Il y a d’une part les documentaristes à qui l’on pose la question : « Quand est-ce que vous ferez un vrai film ? » Et il y a d’autre part des cinéastes de fiction à qui l’on demande : « Vous n’avez jamais eu envie de filmer la réalité ? »

Le débat est aussi vieux que le cinéma lui-même. Peut-on filmer le réel ? Peut-on d’ailleurs filmer autre chose que le réel ? Dans cet ouvrage, ont été interro-gés huit cinéastes qui ont l’expérience conjuguée de la fiction et du documentaire. Chacun d’entre eux se penche avec acuité sur le passage de l’un à l’autre, chaque créateur ayant son rapport particulier au réel et à l’imaginaire.

Ouvrage coordonné par N. T. Binh et José Moure

Diffusion / Distribution : Harmonia MundiEAN 9782874492440

ISBN 978-2-87449-244-0192 pages – 17 €

Retrouvez-nous sur www.lesimpressionsnouvelles.com