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EXAMEN DE JURISPRUDENCE (1972 à 1978) (1) LES SOCIÉTÉS COMMERCIALES PAR JEAN VAN RYN PROFESSEUR HONORAIRE À LIBRE DE BRUXELLES ET PIERRE v AN ÛMMESLAGHE PROFESSEUR ORDINAffiE À L'UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES TABLE DES MATIÈRES CHAPITRE Ier. - DÉFINITION. - RÈGLES GÉNÉRALES. § 1er. - DÉFINITION DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES. 1. Sociétés civiles et sociétés commerciales. - Professions libérales. 2. Sociétés commerciales et entreprises publiques. 3. Sociétés de construction d'habitations sociales. § 2. - LE CONTRAT DE SOCIÉTÉ. 4. Qualification du contrat : contrat de société ou contrat d'1.me autre nature; contrat de louage de services ou mandat. 5. Société anonyme fictive. -Conséquences. - Nullité? 6. Souscriptions simulées. - Interposition de personnes. - Faux pénal. 7. Apport en - Demande en résolution ou en n1.ùlité. (1) Les px:écédents examens de jurisprudence sur les sociétés commerciales ont été publiés dans ia Revue, 1951, p. 129, et 1954, p. 203, par J. V AN RYN ; 1958, p. 59, 1962, p. 359, 1967, p. 277, 1973, pp. 315 et 511, par J. VAN RYN et P. V AN ÜM:r;IESLAGHE. Revue Critique 1981, 2 - 15

EXAMEN DE JURISPRUDENCE · examen de jurisprudence (1972 à 1978) (1) les sociÉtÉs commerciales par jean van ryn professeur honoraire À l'ukivl'.!flsi'l'i~ libre de bruxelles et

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EXAMEN DE JURISPRUDENCE

(1972 à 1978) (1)

LES SOCIÉTÉS COMMERCIALES

PAR

JEAN VAN RYN

PROFESSEUR HONORAIRE

À L'UKIVl'.!flSI'l'I~ LIBRE DE BRUXELLES

ET

PIERRE v AN ÛMMESLAGHE

PROFESSEUR ORDINAffiE

À L'UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES

TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE Ier. - DÉFINITION. - RÈGLES GÉNÉRALES.

§ 1er. - DÉFINITION DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES.

1. Sociétés civiles et sociétés commerciales. - Professions libérales. 2. Sociétés commerciales et entreprises publiques. 3. Sociétés de construction d'habitations sociales.

§ 2. - LE CONTRAT DE SOCIÉTÉ.

4. Qualification du contrat : contrat de société ou contrat d'1.me autre nature; contrat de louage de services ou mandat.

5. Société anonyme fictive. -Conséquences. - Nullité? 6. Souscriptions simulées. - Interposition de personnes. - Faux pénal. 7. Apport en ~ature. - Demande en résolution ou en n1.ùlité.

(1) Les px:écédents examens de jurisprudence sur les sociétés commerciales ont été publiés dans ia Revue, 1951, p. 129, et 1954, p. 203, par J. V AN RYN ; 1958, p. 59, 1962, p. 359, 1967, p. 277, 1973, pp. 315 et 511, par J. VAN RYN et P. V AN ÜM:r;IESLAGHE.

Revue Critique 1981, 2 - 15

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8. Nullité des sociétés anonymes. - Violation de l'objet social. -Cause illicite.

9. Conséquence de la nullité d'une société. - Responsabilité des fon­dateurs.

§ 3. - LA PERSONNALITÉ MORALE.

A. - La personnalité mm·ale et la forme des sociétés.

10. Effet de la transformation des sociétés.- Reprise d'instance. 11. Attribution de la personnalité morale par l'effet de la loi. -Sociétés

ex-coloniales.

B.·· - Spécialité et capacité.

12. Restriction à la capacité des personnes morales. ployé et de représentant de commerce.

13. Suite. - Loi sur l'emploi des langues. 14. Spécialité des personnes morales.

C. - La dénomination sociale.

Qualité d'em-

15. Conditions de la protection des dénominations des S.A. et des S.P.R.L.- Sigles.- Sociétés étrangères.

16. La dénomination des S.P.R.L. 17. La protection de la dénomination et les . sociétés coopératives.

D. - Les o1·ganes des personnes morales.

18. Qualité en laquelle l'organe agit. 19. Engagement de la personne morale par son organe. - Matière

extracontractuelle. 20. Organes agissant en matière contractuelle. 21. Représentation des personnes morales envers les tiers. -Abus de

pouvoirs. 22. Représentation des sociétés en justice. 23. Pouvoir de représentation passive. 24. Engagements pris par une société en formation'. 25. La responsabilité pénale des personnes morales.

E. - Le siège social.

26. Définition. - Effets.

F. - La relativité et l'abus- de la personnalité morale.

27. Relativité de la persmmalité morale. - Groupe de sociétés. 28. Extension de la faillite au maître de l'affaire. - Principes. 29. Circonstances_ invoqué_es à l'appui de l'extension de la faillite sociale. 30. Circonstances jugées insuffisantes.

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31. Justifications données traditionnellement à l'extension de la faillite sociale.

32. Assimilation des maîtres de l'affaire aüx associés d'une société en nom collectif. - Rejet de cette assimilation par la Cour de cassation.

33. Conséquences de la jurisprudence de la Cour de cassation. 34. Absence de confusion des masses. 35. Fixation de la période suspecte. 35bis. Les S.P.R.L. fictives et le fisc.

§ 4. - LES RÈGLES DE FORlVIE. - LES <<SOCIÉTÉS DE FAIT)),

36. Les cadres légaux obligatoires. - Les prétendues sociétés de fait. 37. Suite. - Conditions requises pour que naisse une société irrégulière. 38. Conséquences de l'existence d'une société en nom collectif irrégulière. 39. Nullité de la société irrégulière en la forme. - Conséquences. 40. Régularisation de la société irrégulière. 41. Portée de la publication des actes de sociétés. 42. Irrecevabilité des actions introduites par des sociétés dont les sta­

tuts n'ont pas été publiés.

CHAPITRE II. - LES SOCIÉTÉS DE PERSONNES.

43. Conséquences de l'existence d'une société en nom collectif en ce qui concerne les associés.

43bis. · Responsabilité solidaire des associés. 44. Personnalité morale de la société en nom collectif. Exercice par 1.m

associé d'un recours fondé sur la loi du 14 juillet 1971. 45. Assemblée générale des associés en nom collectif. - Conséquences

de l'exclusion illicite d'un associé. 46. Cession à titre gratuit de parts de société en commandite simple.-·

Formes de la cession des parts d'intérêts. 47. Associat.ion en participation. ~Apports. 48. Suite. - Conséquences de la dissolution de l'association.

CHAPITRE III. - LES SOCIÉTÉS ANONYMES.

§ 1er. - CONSTITUTION DE LA SOCIÉTÉ.

49. Souscription fictive. - Apport dénué de toute valeur.

§ 2. - LES ACTIONS. - LE CAPITAL SOCIAL.

50. Transfert à titre gratuit d'actions nominatives. 51. Notion de capital social.

§ 3. - L'ADlVIINISTRATION ET LA GESTION.

53. Incapacité. -Arrêté royal du 24 octobre 1934. - Administrateur de fait.

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54. Opposition d 9intérêts. - Article 60. ---'- Conséquences. 55. Cumul des fonctions d'administrateur avec un contrat d'emploi. 56. Rémunération des administrateurs et cessation des paiements. 57. Pouvoirs des administrateurs. 58. Droit individuel d'investigation d'un administrateur. 59. Abus de majorit.é. au sein du conseil d'administration. 60. La responsabilité des administrateurs. - Fondements de cette res-

ponsabilité. 61. La décharge. 62. Appréciation de la faute par les tribu:riaux. 63. Exemples de fautes retenues. 64. Intentoment de l'actio mandati. 65,. Imputation des fautes. - Ljen de causalité. - Dommage. 66,. Fautes comn1unes ou concurrentes. 67. Prescription de l'action en responsabilité. 68. Interventions du juge des référés dans le fonctionnement du conseil

d'administration. 69. La gestion journalière. -Notion. -Application.

§ 4. -L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE.

70. Fonctiom1ement des assemblées générales. - Commmücations par les administrateurs à l'assemblée générale ..

71. Abus de majorité. 72. Intentement de l'action fondée sur l'abus de majorité et fins de

celle-ci. 73. Interventions du juge des référés.

§ 5. - LES COMMISSAIRES.

74. Responsabilité des coimnissaires.

§ 6. - LES COMPTES SOCIAUX.

75. Evaluations dans les inventaires. -Amortissements. 76. Force probante du bilan. 77. Dividendes intérimaires. 78. Nature du droit au dividende.

CHAPITRE IV. - LES SOCIÉTÉS DE PERSONNES À RESPONSABILITÉ LiMITÉE.

79. Constitution par l'apport de l'actif et du passif d'une société ano­nyme dissoute. - Qualité de fondateurs.

80. Evaluation des parts sociales. 81. Défaut d'inscription du transfert de parts sociales dans le registrt.

- Conséquences. 82. Le gérant statutaire. - Sa révocation. 83. Publication des pouvoirs de représentation des gérants de S.P.R.L.

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84. Responsabilité des gérants. 85. Intt:~rventions du juge des référés en matière de S.P.R.L. S6. Fonctionnement des assemblées générales. -Vote. 87. Pouvoirs de l'assemblée générale. -Abus de majorité.

CHAPITRE V.- LES SOCIÉTÉS COOPÉRATIVES.

88. Conséquences de l'annulation d'une société coopérative. 89. Démission d'un coopérateur. -Constatation. 90. Suite. - Retraits de parts et retraits de versements. 91. Assemblée générale. - Exercice du droit de vote. 92. Nullité des décisions des assemblées générales.

CHAPITRE VI .. - DISSOLUTION. - FUSION. LIQUIDATION.

§ 1er. - LA DISSOLUTION.

93. Dissolution pour justes motifs. 94. L'article 1871 du Code civil et l'ordre public. 95. Dissolution par application de l'article 1865 du Code civil : réali•

sation de l'objet social. - Décès d'un associé. - Concordat pal' abandon d'actif.

96. Réunion .des parts entre les mains d'une seule personne. 97. Perte du capital social.

§ 2. - LA FUSION.

98. Effets de la fusion.

§ 3. -LA LIQUIDATION.

99. Effets de l'entrée de la société en liquidation. - Concours entre les créanciers. - Conséquences. - Cours des intérêts.

100. Suite. - Effets de la mise en liquidation. - Droit de poursuite individuel des créanciers.

101. Persistance de la personnalité morale. - Actions en justice. 102. Désignation des liquidateurs. 103. Défaut de désignation des liquidateurs. 104. Pouvoirs des liquidateurs. - Liquidation par apport du patrj­

moine activement et passivement à une autre société. 105. Responsabilité des liquidateurs. - Prescription. 106. Survie passive de la société après la clôture de la liquidation.

CHAPITRE VII.- COMMISSAIRES SPÉCIAUX.

107. Désignation de commjssaires investigateurs.

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CHAPITRE VIII. - SOCIÉTÉS ÉTRANGÈRES.

108. Succursale ~u siège d'opération en Belgique.- Sanction du défaut de publication des statuts.

109. Société d'une personne étrangère.

CHAPITRE PREMIER. - DÉFINITION.­RÈGLES GÉNÉRALES.

§ 1er. - Définition des sociétés commerciales.

1. SoCIÉTÉS CIVILES ET SOCIÉTÉS COMMERCIALES.- PROFES­SIONS LIBÉRALES. -De manière très classique, la Cour d'appel de Liège, dans un arrêt du 31 mars 1976, précise que le caractère civil ou commercial d'1Ine société ne dépend pas de la qualifi­cation qu'elle se donne elle-même, mais bien de la· nature de son objet tel que les statuts le déterminent. Il faut vérifier si les statuts donnent à la société comme objet l'accomplissement d'actes réputés commerciaux par la loi ou, au contraire d'actes civils (infra, n° 3) (Liège, 31 mars 1976, Rev. prat. soc., 1976, p. 93 et la note de référence; cf. not. Bruxelles, 6 décembre 1967, R.P.S., 1969, p. 191 et la note; J .. T., 1968, p. 474 et note critique KmKPATRICK à propos d'une société exploitant une clinique).

En l'espèce, une société coopérative - dont l'activité avait succédé à celle d'une association antérieurement constituée entre ses membres ~ avait pour objet <<toutes études, recherches, expertises et activités quelconques se rattachant à l'art ou l'activité de l'ingénieur, pour son propre compte ou pour compte de tiers>>. Cette société s'était inscrite au registre du commerce et avait parfois qualifié elle-même ses propres engagements de commerciaux, mais cette circonstance a été jugée inopérante par la Cour. Toute la question était de savoir si, comme la société le plaidait, elle exerçait une profession libérale, laquelle ne res­sortit pas au droit commercial. Sans s'attarder au caractère essentiellement intellectuel des prestations de l'ingénieur-conseil et en soulignant que cette qualification n'implique aucun juge­ment de valeur péjoratif, la Cour considère que l'objet défini ci -dessus rentre dans les limites de << l'entreprise d'agence ou

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de bureau d'affaires >> définie par l'article 2 du Code de commerce. Les ingénieurs-conseils offrent leurs services à autrui; sans lien de subordination et contre rémunération; ilssont donc commer­çants. Les ingénieurs-conseils ne peuvent être rangés, notamment à défaut de traditions et d'organisation professionnelles compa­rables à celles des médecins, des avocats ou des architectes, parmi les titulaires de professions libérales. Voy. dans le même sens les décisions citées par l'arrêt: comm. Bruxelles, 15 décembre 1969, J.C.B., 1970, I, 288; Bruxelles, 3 février 19~2, J.C.B., I, 416. On peut se demander toutefois s'il ne s'agit pas plutôt d'une entreprise de travaux privés (cf. J. VAN RYN et J. HEENEN, Principes, t. rer, 2e éd., n° 380). De to-ute manière, la société coopérative en cause devait être considérée comme une société commerciale.

A la différence de la Cour de Liège. cependant, l'arrêt de .la Cour de Bruxelles cité du 3 février 1972 et le jugement du tribunal de commerce du 15 décembre 1969 qu'il confirme, mettent davan­tage l'accent sur la manière dont lesingénieurs-conseils·exerçaient en l'espèce leur profession - notamment en faisant appel à des procédés publicitaires - pour en déduire le caractère commercial de l'objet(cf._VAN RYN et HEENEN, Prinçipes, 2e éd., t.Ier, loc. cit., no 380, ~ Cf. dans le même sens, à propos d'un expert comptable : Bruxelles, 29_ janvier 1975, Pas., II, 103).

2. SoCIÉTÉS .. COMMERCIALES ET ENTREPRISES PUBLIQUES. La société de transports intercommunaux de· la région liégeoise (S.T.I.L.) . a été constituée en <<association de droit public>> suivant les constatations d'un arrêt de la Cour d'appel de Liège du 26 mars 1974 (R.P.S., 1974, p. 155 ; Jur. Liège, 1973-19,74, p. 250) en sorte qu'elle ne peut être rangée de plana parmi les sociétés commerèiales définies par l'article 2 des lois coor­données. Toutefois, elle se présente à certains égards sous les dehors d'urie société anonyme : elle a un capital social souscrit à concurrence de près d'un ·tiers par des sociétés privées ; ses statuts disposent qu'elle sera administrée, gérée et exploitée suivant les méthodes industrielles et son activité sociale, à savoir l'exploitation de transports en commun pour personnes, doit être rangée parmi les activités qualifiées commerciales par l'article 2 du Code de commerce. Ses statuts ajoutent que <<ses engagements sont réputés commerciaux>>. A partir de ces

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constatations, la Cour d'appel considère à bon droit .que cet organisme doit être considéré comme commercial- et que les dispositions du droit commercial lui sont applicables en principe. Cette solution doit être approuvée; elle est conforme à l'enseigne­ment de la doctrine (VAN RYN et HEENEN, Principes, t. II, n°8 1147 et suiv.). Bien entendu, les dispositions du droit admi­nistratif peuvent s'appliquer à certains égards également (ibid., no 1162).

Le tribunal de commerce de Namur, par jugement du 13 mai 1971 (R.P.S., 1972, p. 248), se fondant sur les principes du droit commercial (t. II, n° 1181), décide avec raison· que les activités du Crédit communal de Belgique sont commerciales par nature en sorte que cette société doit être· considérée comme justiciable du tribunal de commerce, même si elle invoque l'absence de but de lucre de son activité et son défaut d'inscription au registre du commerce. La circonstance que ses bénéfices soient éventuelle­ment consacrés, d'ailleurs de manière non exclusive, à des ris­tournes faites à ses membres ne suffit pas à l'excllire du champ d'application du droit 'commercial (en ce sens : VAN RYN et HEENEN, op.· cit., t. II, n° 1181).

Même. so.lution en ce qui concerne les engagements pris par la Régie des télégraphes et téléphones - qui n'est· pas cette fois une société commerciale ou à forme commerciale -, suivant ~ jugement solidement motivé du tribunal d'a:rrondissement de Bruxell~s du 15 mai 1972 (J.T., 1972, p. 589,. Pas., III, 57) précédé des conclusions contraires de M. de Thibault de Boe· singhe. L'article 4 de la loi organique du 19 juillet 1930 répute d'ailleurs commerciaux les engagements de la Régie (VAN RYN et HEENEN, op. cit., t. II, n° 1202).

Ce n'est donc point, suivant ces décisions, l'esprit de luc1·e qui détermine le champ d'application du droit commercial, -cette notion étant à ce point fuyante et inconsistante qu'elle n'a en réalité aucune valeur explicative (VAN RYN et HEENEN, <<Esprit de lucre et droit commercial>>, Revue, 1974, p. 325. -Cf. cependant cass., 19 janvier 1973, ibid., p. 321).

3. SOCIÉTÉS DE CONSTRUCTION·n'HABITATIONS SOCIALES. -La nature des sociétés de construction d'habitations sociales agréées conformément au Code du logement (loi du 2 juillet 1971)

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continue à donner lieu à des contestations- ces sociétés plaidant souvent qu'elles ont un caractère civil et contestant notamment la compétence des tribunaux de commerce (cf. Examen·. de jurisprudence, 1973, no 2, p. 323). Invoquant une importante jurisprud~nce, et notamment les arrêts de la Cour de cassation, des 15 avril 1943 (Pas., I, 142) et 30 avril 1945 (Pas., I, 150),. ainsi que l'opinion de la doctrine, le tribunal d'arrondissement de Bruxelles décide très justement qu'il faut, pour déterminer si une société à forme commerciale est une société commerciale ou une société civile, se rapporter à l'objet social tel qu'il est énoncé par les statuts (jugement. du 5 novembre 1974, R.P.S., 1975, p. 156 et les notes; J.C.B., 1974, p. 543). Constatant que suivant les statuts, la société locale en cause avait pour objet << la construction, l'achat, la vente et la location d'habitations. destinées aux personnes peu aisées>>, le tribunal décide que cette activité est en principe· commerciale depuis la modification apportée au Code de commerce par la loi du 3 juillet 1956. La circonstance que la loi du 11 octobre 1919 autorisait la Société Nationale du Logement et les sociétés régionales ou locales agréées à prendre la forme de sociétés anonymes ou de sociétés. coopératives «sans perdre leur caractère civil}) n'implique nulle­ment, suivant le tribunal, l'intention de reconnaître à ces sociétés un caractère exclusivement civil - cette question devant au contraire, sÙivant la déclaration faite par le Ministre des finances. lors des travaux préparatoires, se résoudre par l'application des. principes du droit commun.

La société en cause devait, dès lors, par application de ces. principes, être considérée comme commerciale. Le même tribunal relève, ce qui paraît l'évidence, qu'en tout 'cas ces sociétés ne peuvent jamais être considérées comme des associations- notam­ment parce qu'elles réservent des avantages patrimoniaux à. leurs fondateurs. La décision fait clairement la différence entre la distinction qu'il faut faire d'une part entre les sociétés et les. associations et d'autre part entre les sociétés civiles et les sociétés. commerciales. Les sociétés civiles poursuivent naturellement un but de lucre, contrairement à ce que l'on entend parfois plaider .. La cause est dès lors renvoyée au tribunal de commerce (corrip. sur la portée de l'article 2, al. 3, de la loi du 11 octobre 1919 ~

VAN RYN et HEENEN, t. II, n° 1183). A noter aussi que la loi du 11 octol:>re 1919 a été remplacée par une loi du 2 juillet 1971

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dite<< Code du logement>> 1nais que les articles 24 et 26 de cette loi reprennent l'article 6 de.la loi de 1919 sur lequel se fonde le jugement ( comp. sur d'autres décisions sur ces matières : Examen ·de jurisprudence, 1973, précité).

Bien entendu, la circonstance qu'une société d'habitations sociales agréée aurait la forme d'une société commerciale n'exclut nullement qu'elle puisse être chargée d'un service public, qu'elle -constitue alors un << organis1ne d'intérêt public>> ni qu'elle soit une autorité administrative en sorte qu'un architecte au service d'une telle société doive être assimilé aux architectes fonction­.naires (cass., 5 avril 1973, Pas., I, 759 et la note).

§ 2. - Le contrat de société . . . 'l

4. QUALIFICATION DU CONTRAT : CONTRAT DE SOCIÉTÉ OU

•CONTRAT D'UNE AUTRE NATURE : CONTRAT. DE LQUA(!E DE SER­

VICES ou MANDAT. ---:-.Sur conclusions conformes de M. l'avocat général Charlier, la Cour d'appel de Liège rejette la thèse d'une partie qui se prétendait dans les liens d'un COII.trat de louage de .services avec une autre partie, pour retenir au con,tr~ire l'existen­,ce d'un contrat de société commerciale irrégulière à défaut d'acte ·écrit et pour p~ononcer la faillite de la société et. celle de ses asso­ciés (24 juin 1976, R.P.S., 1976, p. 199). Il s'agissa,it de l'exploita­tion d'un restaurant. La Cour relève l'existence d'une affectio .societatis, des apports des deux partenaires et une<< participation ,égale et volontaire aux profits et aux pertes de l'exploitation >>. La prétendue préposée salariée avait d'ailleurs elle-même pris .à son nom l'inscription au registre du cmnmerce; elle avait pris la qualité d'associée envers les tiers ; elle était considérée comme telle par les administrations fiscales et avait supporté la taxe ·d'ouverture du débit de boisson. L'avocat général relève encore ·différents aveux de l'existence d'une collaboration élisive de la .subordination caractéristique du contrat d'emploi.

En revanche, le tribunal de commerce de Charleroi se refuse .à voir une société entre un père et ses deux fils, qui percevaient des rémunérations d'ailleurs maigres comme employés, mais n'avaient fait aucun apport, ne disposaient d'aucun pouvoir pour engager l'entreprise, ne pouvaient disposer de ses avoirs ·et n'étaient pas en rapport avec les tiers - et ce .nonobstant

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certains indices, dont la mention <<B. et fils>> sur le papier à firme et l'immatriculation de l'un des fils au registre du com­merce (20 juin 1977, R.P.S., 1978, p. 269).

Dans une espèce tranchée par le tribunal de commerce de Bruxelles le 29 septen1bre 1972 (R.P.S., 1974, p. 169) deux parties exploitaient en commun une formule de police d'assu­rance: l'une d'entre elles apportant son organisation, sa notoriété et sans doute un portefeuille d'assurance existant et l'autre l'usage d'une formule d'assurance qu'elle avait élaborée, ainsi qu'un portefeuille d'assurance. Les bénéfices résultant de cette activité étaient partagés ·par moitié.

Le tribunal en . a déduit l'existence entre ces parties d'une association en participation mais cette qualification a été rejetée p~r la Cour d'.appel dans un arrêt du 17 septembre 1975 (R.P.S., 1977, p. 125). La Cour considère en effet, contrairement au premier juge, que l'on ne rencontrait pas en l'espèce l' affectio .societatis, c'est-à-dire <<la volonté de s'unir en se reconnaissant réciproquement le droit de contrôler et de critiquer, d'égal à égal, la gestion d'une chose>>. La Cour ajoute qu'en outre l'une des parties à la convention était en grande partie rémunérée à la commission et qu'elle ne {(faisait apport que de son industrie>). Elle en conclut que cette convention comporte en premier lieu un mandat, dans la mesure où l'une des parties gérait la police pour compte de l'autre, mais comme cette gestion s'exerçait sous le nom du mandataire, il faut y ajouter, selon la Cour, un prête-nom. L'argument suivant lequel l'une des parties ne faisait qu'un apport en industrie ne saurait cependant être considéré comme pertinent; en effet dans les associations en participation, il est parfaitement possible qu'un associé se limite à un apport de son industrie et cette formule est même fréquente, comme le relève avec pertinence l'annotateur à la R.P.S. (cf. aussi DE PELSMAEKER, Des associations en participation, n° 28, p. 105; DERIVIINE, note sous cass., 19 février 1976, R.P.S., 1976, p. 84 et PASSELEOQ, Novelles, t. III, n° 4044; J. HEENEN, note dans cette revue 1955, p. 26, spéc. no 2).

Un pourvoi dirigé contre cet arrêt fut rejeté par la Cour de cassation le 31 mars 1977 (R.P.S., 1977, p. 120) par des consi­dérations qui n'ont pas cependant valeur de principe.

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232 REVUE CRITIQUE . DE JURISPRUDENCE BELG:ll:

5. SociÉTÉ ANONYME FICTIVE. - CoNSÉQUENCES ( 1). ~ NtJL­LITÉ? ~Par arrêt du 3 novembre 1975 (R.P.S., 1976, p. 44 et les observations justement critiques de P. CoPPENS; R. vV., 1975-1976, col. 1378 où l'arrêt est. publié dans son texte. complet), la Cour d'appel d'Anvers . déclare irrecevable une a~tion en revendication d'objets E!aisis introduite par une société anonyme considérée comme fictive. La Cour en déd~lit que cette société serait inexistante et que toute action en justice qu'elle .intro­duirait serait, partant, irrecevable.

Cette conception est tout à fait inconcipable avec la loi du 6 mars 1973 qui a modifié les lois coordonnées sur les sociétés commerciales pour les mettre en concordance avec la pre1nière directive communautaire sur l'harmonisation du droit des sociétés (sur cette loi : L. SIMONT, (<La loi du 6 mars 1973 modifiant la législation relative aux sociétés commerciales>>, R.P.S., 1974, p. 1; RoNSE, De vennootschapswetgeving, 1973).

La première question qui se pose concerne les conséquences juridiques qu'entraînent les constatations faites par l'arrêt : selon la Cour d'appel, les prétendus fondateurs de la société anonyme n'avaient fait que prêter leurs noms; ils étaient dépourvus de toute affectio societatis et ils n'avaient jamais libéré les actions prétendument souscrites .. Le conseil d'administration ne s'était jamais réuni ~t les assemblées générales avaient été de pure forme. Les souscriptions étaient, suivant la Cour, simu.­lées et toute personne pouvait faire constater l'intention réelle des fondateurs (sur la simulation des souscriptions dans les sociétés anonymes : Examens de jurisprudence, 1962, p. 361, n° 5; 1958, p. 61, no 5; 1967, p. 291, n° 11 ; VAN RYN, Principes, t. Jer, n°8 319 à 321). Il semble, qu'en l'espèce, c'est l'hypothèse où toutes les souscriptions sont faites par interposition de per­sonnes pour compte d'un souscripteur unique que la Cour ait envisagée, encore qu'elle n'ait pas clairement précisé son analyse. Il en résulterait que la société ne possédait pas dès l'origine plus d'un fondateur réel. On peut considérer que dans cette hypothèse, la société n'est pas valablement constituée : il s'agit d'un des cas de nullité prévus par l'article 13ter des lois coor­données sur les sociétés commerciales (dans le même sens, SIMONT, op. cit., n° 89; RoNSE, op. cit., n° 165 ; P. VAN ÜMME-

(1) Cf aussi infra, nos 28 et suiv.

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SLAGH:E, ((La première directive du conseil du 9 mars 1968 en matière de sociétés>>, Oak. dr. eur., 1969, p. 659).

·Encore convenait-il de déduire correctement les conséquences de cette situation : elle ne peut nullement entraîner l'inexistence de la société. Ce concept a en effet été expressément éliminé de notre droit des sociétés par l'article 11 de la directive. L'exposé des motifs de la loi le confirme et, comme l'enseigne M. Simont, la loi nouvelle doit évidemment s'interpréter en fonction des dispositions de la directive que la Belgique devait obligatoirement introduire dans son droit national (op. cit., n° 83, et la réf. à l'exposé des motifs ; RoNSE, op. cit., n° 139; VAN ÛMMESLAGHE, ·commentaire. cité p. 655 et 657; cf. et comp. CoPPENS, Examen de jurisprudence sur les faillites, cette Remte, 1979, p. 303, n° 6 ·et ·infra n°8 28 et suiv). La situation constatée entraîne seulement ]a n.ullité de la société. Celle-ci conformément à l'article 13quater 13e produit sans aucun effet rétroactif et a les mêmes conséquences qu'une dissolution. La société entre en liquidation et elle conserve la personnalité morale pour les besoins de sa liquidation. Il en résulte que la Cour d'appel ne pouvait déclarer purement et ;~dmplement l'action irrecevable par suite de l'inexistence de la .société ou mê1ne suivant l'expression encore plus erronée qu'elle a utilisée parce que l'appelante n'apportait pas une ((preuve -valable de son existence)).

Retenons cependant un motif intéressant dans l'arrêt en ce qu:il précis~ que la souscription au capital social faite par certains :fondateurs à l'aide de fonds empruntés est licite pour autant que la libération se fasse anima domini par ce souscripteur (voy. dans le même sens : Bruxelles, 16 mars 1965, R.P.S., 1966, p. 196; CoPPENS, notes in R.P.S., 1967, p. 200 et 1974, p. 193).

On peut. se demander dans quelle mesure la Cour d'appel ne .s'est pas, sans cependant le dire expressément, fondée sur la théorie contractuelle de la société anonyme pour en déduire que l'acte constitutif de la, société serait un contrat auquel s'applique­raient les règles sur la simulation. Ce contrat serait alors inop­posable aux tiers dans la mesure où il serait fictif, par application de l'article 1321 du Code civil. Le sommaire au R. W. suggère -cette interprétation. Pour notre part, nous ne pouvons souscrire .à. cette analyse puisque l'acte de constitution d'une société anonyme ne peut s'analyser en un contrat (VAN RYN, Principes, t. Jer, nos 319, 460 et 496 ; ((L'engagement par déclaration uni-

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latérale de volonté en droit commercial >>, Mélanges Dabin, t. II, p. 953). La formation de la société<résulte d'engagements unila­téraux des .fondateurs adhérant à l'institution que constitue la société.

Toutefois, 1nême la théorie contractuelle de la société anonyme ne permettrait pas d'admettre les conséquences dégagées par l'arrêt critiqué. En effet, l'inopposabilité de la société aux tiers. par application de la théorie de la sin1ulation serait, elle aussi, contraire aux dispositions de la première directive : celle-ci n'admet pas que, sous quelque dénomination que ce soit, ou par quelque technique que ce soit (RoNSE, op. cit., n° 139), la personnalité morale distincte d'une société anony1ne et son patrimoine autonome puissent être écartés, et ce pour éviter l'insécurité juridique que les auteurs de la directive ont voulu supprimer en consacrant la théorie restrictive des causes de­nullité et en organisant spécialement les effets de celles-ci. La thèse de la Cour, même ainsi analysée, serait contraire à l'ar­ticle 11 de la directive et aux articles 13ter et 13quater de la loi.

Le tribunal de. commerce de Tongres raisonne de manière plus. convaincante lorsque, par un jugement du 17 mars 1975 (R.P.S.,. 1978, p. 65), il admet la nullité d'une S.P.R.L. après avoir notamment constaté qu'elle avait été formée par deux fondateurs. dont l'un n'était pas animé de l'affectio societatis et était intervenu comme homme de paille pour compte de l'autre fondateur,. faisant expressément application de l'article 13ter, 4°.

Le tribunal relève que la nullité ne produit ses effets qu'à dater du jour où elle a été demandée, conformément à l'article 13quater.

6. SoUSCRIP~'IONS SIMULÉES. -INTERPOSITION DES PERSON­

NES. - FAUX PÉNAL. - Les triblmaux correctionnels sont souvent saisis de pmusuites dirigées contre les souscripteurs du capital d'une société anonyme (qu'il s'agisse du capital initial ou d'une augmentation du capital) en raison d'un faux résultant de la simulation des souscriptions (cf. Examen, 1967, n° 11,. p. 291 ; 1962, p. 361, n° 5 ; 1958, p. 61, n° 5; VAN RYN, Principes,. pe éd., t. Jer, nos 319 et suiv.). Il s'agit fréquem1nentd'hypothèses dans lesquelles les souscripteurs, ou certains d'entre eux, déclarent, notamment à l'occasion d'une poursuite répressive ou d'une in­formation consécutive à une faillite, qu'ils n'ont ji:tmais eu l'inten-

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tion de.souscrire au capital, qu'ils n'avaient été animés d'aucune affectio societatis et ne voulaient nullement devenir associés, mais qu'ils avaient prêté leur concours à la demande de-tel actionnaire prépondérant --:-par exemple pour atteindre le nombre minimum de sept fondateurs.

Il ne suffit pas naturellement, comme le rappelle la Cour d'appel d'Anvers dans un arrêt que nous critiquons par ailleurs (supra, n° 5), que les souscriptions aient lieu à l'aide de fonds prêtés pour conclure à l'absence d' affectio societatis : la provenance des fonds est indifférente, dès lors que les participants à l'augmen­tation du capital social avaient l'intention réelle d'assumer les obligations résultant de la· souscription et de devenir associés, en subissant les risques sociaux (Anvers, 3 novembre 1975, R. tV., 1975-1976, col. 1378; R.P.S., 1976, p. 44 dans une espèce où la Cour relève ·cependant, sur la foi de déclarations faites lors d'une instruction répressive, l'absence de toute intention des prétendus souscripteurs de devenir réellement actionnaires).

Pour que l'infraction de faux puisse être retenue, il faut en outre que les prévenus aient agi dans une intention frauduleus~ et que la simulation ait été de nature à causer à des tiers un préjudice réel ou possible. La seule intervention d'hommes de paille, pour autant naturellement que leurs souscriptions aient effectivement lie·u et qu'elles soient libérées dans les proportions indiquées dans l'acte, ne suffit pas à caractériser l'infraction de faux. D'une part, on peut se demander si la seule intervention à l'acte sans affectio societatis suffit pour constituer l'intention frauduleuse. D'autre part, cette intervention ne cause pas néces­sairement un préjudice pour les tiers. On ne peut donc suivre cer­taine jurisprudence qui considère que la seule comparution d'hommes de paille, par l'altération de la vérité qu'elle implique dans un acte authentique, suffit à justifier la condamnation elu chef de faux

Des éléments complémentaires, tenant aux circonstances de la cause, doivent être démontrés (voir à ce propos : DuPLAT, << Aspects nouveaux du droit de la banqueroute, du droit pénal comptable et du droit pénal des sociétés commerciales>>, in l'Evolution récente du droit commerciaZ.et économique, 1978, p. 412 et suiv.). Ainsi, le seul fait de contribuer à la constitution d'une société filiale par une société mère (qui demeure l'actionnaire

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prépondérant}, en souscrivant six parts sociales pour remplir les conditions requises par l'article 29 des lois coordonnées, ne suffit certainement pas à justifier une poursuite du chef de faux : nulle intention frauduleuse, ni surtout aucun préjudice pour les tiers ne peuvent être retenus dans le cas d'espèce.

Un arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles du 10 novembre 1971 "(R.P.S., 1973, p. 141 ; Pas., 1972, II, 99) fait une application excellente de ces principes : l'arrêt constate que des actionnaires belges avaient souscrit apparemment à une augmentation du capital d'une société et s'étaient présentés comme actionnaires, .alors ·qu'ils agissaient en réalité comme prête-noms poU:r un groupe anglais, et il relève l'absence d' affectio societatis des souscripteurs apparents. Puis il recherche de manière concrète les éléments supplémentaires dont pouvaient se déduire l'inten­tion frauduleuse et le préjudice possible pour les tiers. Cette inten­tion fraudul~use résultait notamment du fait que, par cette opéra­tion, la société apparaissait cmnme <<belge>> suivant la législation i'elative aux agréations des entreprises de travaux publics -cette nationalité se déduisant en l'espèce de la nationalité belge de deux tiers au nwins des actionnaires. La société pouvait ainsi jllégalement p~uticiper à des soumissions et. causait de ce fait un dommage possible à des concurrents. On sera n1oins convaincu par la considération que les tiers étaient en outre exposés à un dommage du fait qu'ils ignoraient l'identité exacte des action­naires - ·alors ·que notre régime de titres au porteur implique que cette identité puisse ne pas être connue, que le registre des actions nominatives n'est pas accessible aux tiers ·et que la souscription par porte-fort est parfaitement licite. L'argument n:e serait pertinent que si les actions n'étaient pas entièrement libérées et si par conséquent les tiers pouvaient envisager le recours prévu par les articles 52 et 190 des lois coordonnées. Les fausses mentions reprises dans l'acte notarié pouvaient aussi ,entraîner un préjudice en l'espèce par leur incidence sur un litige concernant la propriété des titres (cf. encore pour d'autres exemples concrets de préjudice possible et d'intention fraudu­leuse : DuPLAT, étude citée).

Rappelons d'autre part, que même en cas de constatation d'un faux pénal (et en dépit de la rectification de l'acte faux ordonnée le cas échéant par la juridiction répressive: Bruxelles, 10 novem­bre 1971, cité, qui a lieu même en cas d'acquittement à défaut

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de préjudice ou d'intention frauduleuse : cass., 24 décembre 1956, Pas., 1957, I, 478), le souscripteur ne peut se prévaloir envers la société de la simulation pour échapper à ses obligations: il doit notamment libérer le solde de sa souscription en cas de libération partielle ou il encourt les responsabilités. attachées à sa qualité de fondateur (cass., 4 décembre 1905, Pas., I, 1906, 50; comm. Bruxelles, 18 juin 1933, B.J., 1934, col. 280, conf. par Bruxelles, 5 avril 1939, R.P.S., 1948, p. 22; Examen, 1967, no Il, p. 291).

7. APPORT EN NATURE. - DEMANDE EN R:ÉS9LUTION OU EN NULLITÉ. - Une curieuse affaire soumise successivement au tribunal de première instance de Louvain, à la Cour d'appel de Bruxelles (arrêt du 22 janvier 1974, R.P.S., 1975, p. 224; R.W., 1974-1975, col. 1733) puis à la Cour de cassation (arrêt du 27 juin 1975, Pas., I, 1052; R. W., 1975-1976 et note FLAM:ÉE; R.P.S., 1975, p. 219 et note P. C.) aurait pu conduire les juridictions saisies à définir avec précision les relations juridiques résultant de l'apport en nature dans une société anonyme. Toutefois, comme le note l'annotateur à la R.P.S., il semble que les parties n'aient guère posé la question sur son vrai terrain. Des personnes avaient fait apport à une société anonyme, lors d'une augmen­tation de capital, d'un fonds· de commerce co~prenant des éléments actifs et passifs; Les apporteurs se plaignaient que les actions privilégiées qu'ils devaient recevoir n'avaient jamais été <<créées>> et surtout que la société bénéficiaire de l'apport n'avait pas fait face au passif du fonds de commerce comme l'apport lui en créait l'obligation. Elles demandaient la résolution de l'apport sur pied de l'article 11-84 du Code civil, qualifiant l'opé­ration de <<vente-apport>>. Les demandeurs sollicitaient égale­ment l'annulation de l'apport du chef de dol. La société, après avoir été dissoute, était tombée en faillite quelques jours après l'assignation.

Cette action supposait que l'on reconnût l'existence d'un contrat d'apport auquel s'appliqueraient les règles relatives aux obligations contractuelles. (Sur la conception selon laquelle l'apport inpliquerait un contrat : BLAISE, L'apport en société, nos 44 et suiv. et n° 180.) Même dans cette conception cependant, le dol émanant des organes de la société ne ·saurait aboutir à l'annulation de l'apport à l'égard des créanciers sociaux : ibid.,

Revue Critique 1981, 2 - ~6

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n° 180. Comp; toutefois, pour ce qui concerne l'augmentation du capital, ibid., n° l81bis.

· Sans disèuter apparemment cette analyse de l'apport, la Cour d'appel rejeta l'action en tant qu'elle était fondée sur le dol au motif que les demandeurs n'établissaient pas avoir été victimes de manœuvres et en tant qu'elle tendait à la résolution, pour la raison que l'artiCle 546 de la loi sur les faillites y faisait obstacle dès lors qu'il s'agissait d'une vente, l'apport étant qualifié << ap­port-vente>>. Cette dernière partie de l'arrêt était critiquée devant la Cour de cassation, mais exclusivement s.ous l'angle des rapports entre l'article 1184 du Code civil et la faillite. La Cour de cassation considère à ce propos que la faillite fait obstacle à l'accueil de l'ac­tion en résolution tant pour les biens meubles que pour les biens immeubles, lorsque ceux-ci sont compris dans un fonds de com­merce et que la cession revêt de ce fait un caractère commercial.

Elle ajoute que la cession à titre d'apport est en principe régie par les règles de la vente - ce qui est incontestable à plusieurs égards_: les. règles de la délivrance, de la garantie des vices ou de la garantie d'éviction applicables en matière d'apports sont en principe celles de la vente suivant une opinion unanime (VAN RYN, t. Jer, noi 332 et suiv. ; FREDERICQ, Traité, t. IV, n° 34; RESTEAiJ, S.A., t. Jer, nos 734 à 736 ; HoUPIN et BosvrEux, Traité, 7e éd., t. Jer, nos 251 et suiv. ; WAUWERMANS, Manuel, h 0 89bis ;, CoPPENS, note sous l'arrêt examiné, et les réf.).

Sur l'application de l'article 546 du Code de commerce aux immeubles compris dans un fonds de commerce : voy. la note critique de Flamée sous l'arrêt cité de la Cour de cassation. Sur la protection du vendeur en cas de faillite, et notamment sur l'application de l'article 546 : HEENEN, <<Les garanties du vendeur de meubles et leurs avatars>>, cette Revue, 1973, p. 9, spéc. n° 10.

A notre avis, la question était mal posée par les plaideurs : en effet, nous ne pensons pas que l'apport à une société anonyme soit le résultat d'un contrat conclu entre l'apporteur et la société ; l'opération doit s'analyser, selon nous, tant au moment de la constitution de la société que lors d'une augmen­tation du capital social, comme un acte juridique unilatéral (supra, n° 6). Or, la théorie générale du dol en matière de contrat ne s'applique pas sans adaptation aux actes juridiques unilaté-

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raux (Martin DE LA MouTTE, L'acte juridique unilatéral, p. 217 et suiv.) et surtout l'article 1184 du Code civil est tout à fait étranger aux actes juridiques unilatéraux en sorte que l'action aurait dû être rejetée sur cette base sans même qu'il soit besoin de se fonder sur l'article 546 de la loi sur les faillites (cf. dans le même ·sens : note CoPPENS sous l'arrêt cité de la Cour de cassation).

A juste titre,· le tribunal de première instance de Louvain avait rejeté, d'après les annotateurs de ces décisions, le moyen fondé sur le défaut d'impression des actions en faisant observer que les apporteurs tiraient leur qualité d'actionnaires de l'acte de souscription et qu'ils ne pouvaient prétendre donc à l'inexé­cution d'une <<convention d'apport>> résultant de ce que rien ne leur aurait été remis <<en échange>> d~ leur apport.

8. NULLITÉ DES SOCIÉTÉS ANONYMES. -VIOLATION DE L'OB­JET SOCIAL. - CAUSE ILLICITE. - Excellente application faite par le tribunal de commerce de Bruxelles (jugement du 24 juin 1977, R.P.S., 1978, p. 83 et note HISLAIRE, J.T., 1977, p. 660) des principes consacrés en matière de nullité de sociétés anonymes ou de S.P.R.L. par la loi du 6 mars 1973 (comp., supra, no 5) Le cura­teur à la faillite d'une S.P.R.L. demandait au tribunal l'extension de la faillite à trois personnes physiques qui en étaient les gérants, au motif que la société avait poursuivi une activité étrangère à son objet social. Le curateur faisait valoir que la société était <<inexistante>> à défaut d'objet ou de cause, en sorte que les gérants devaient être considérés comme ayant poursuivi person-­nellement le commerce,- c'est-à-dire, semble-t-il, en constituant de ce fait une société irrégulière. Le curateur, suivant les consta­tations du jugement, ne contestait pas cependant que l'activité étrangère à l'objet social avait été accomplie par la société elle­même et liait celle-ci.

Le tribunal répond, pour rejeter cette demande, que les causes de nullités de S.P.R.L. sont dorénavant énumérées de manière limitative par la loi, en sorte qu'aucune nullité ne peut être demandée en dehors de celles que la loi prévoit (SIMONT, op. cit.,. n°8 83 et 90; RoNSE, op. cit., n° 139; VANDERHAEGEN et VER­BRAEKEN, <<L'adaptation de la législation belge à la première directive de la C.E.E. relative aux sociétés>>, J.T., 1974, p. 133, n° 34). La seule nullité se rapportant à l'objet concerne l'hypo­thèse, étrangère à l'espèce, où l'acte constitutif ne mentionne

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pas l'objet social - à l'exclusion d'une simple imprécision de celui-ci (SIMONT, n° 85). Aucune nullité ne dérive du fait qu'une société commerciale poursuit une activité étrangère à son objet: elle sera même liée par les actes ainsi accomplis suivant les principes consacrés par les articles 63bis et 130, alinéa 5, des lois coordonnées. Mais la société pourra le cas échéant, mettre en cause la responsabilité des gérants. Le débat ne pouvait donc être placé sur le plan de la nullité de la société. Comme nous l'avons rappelé plus haut, l'article 11 de la directive exclut que l'on admette pour les sociétés visées par l'article 13ter des causes d'inexistence en dehors des cas de nullités limitativement énu­mérés (supra, no 5).

Le tribunal tranche aussi - d'ailleurs sans la discuter. et en considérant la chose comme évidente- la délicate question de savoir si une cause illicite peut entraîner la nullité de la société, alors que cette cause de nullité n'est pas mentionnée dans l'ar­ticle 13ter. Le tribunal confond d'ailleurs à ce propos la cause illicite·(dont il s'agissait ici puisque la société avait été créée dans le but de soustraire le patrimoine d'un des fondateurs à ses créan­ciers) avec l'objet illicite auquel il se réfère· par ailleurs (sur la notion de cause, mobile impulsif et déterminant : P. V .AN ÜMME­

SLAGHE, <<Observations sur la théorie de la cause dans la juris­prudence et la doctrine modernes>>, cette Revue, 1970, p. 328, spéc. nos 8 et 9). Cette confusion peut d'ailleurs s'expliquer par le texte néerlandais de la directive qui parle du << werkelijk doel >> de la société - ce qui pourrait comprendre non seulement l'objet social de la société, mais encore le but poursuivi par les fondateurs (en ce sens : RoNSE, op. cit., nos 157 à 160}.

A notre avis, la cause illicite ne peut être retenue comme cause d'annulation, dès lors qu'elle doit s'entendre du but pour­suivi par les associés, à défaut pour l'article 13ter (et pour la directive) de comprendre cette hypothèse dans l'énumération des causes de nullité (cf. P. VAN ÜMMESLAGHE, op. cit., dans les Cah. dr. europ., 1969, p. 660. Comp. pour une opinion nuancée: SIMONT, op. cit., no 87). C'est à tort, à notre avis, que la juris­prudence et la doctrine françaises paraissent accepter l'annula­tion pour cause illicite au motif que l'ordonnance française ayant rendu la directive applicable en France n'aurait pas exclu les causes de nullité du droit commun. Les auteurs de la directive ont eu l'intention exactement opposée, et si l'ordonnance fran-

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çaise a réellement cette portée, il faudrait en conclure qu'elle n'est pas conforme à la directive (SIMONT, op. cit., et les réf.)~ A noter que les textes français et italien de la directive font simplement mention de l'objet et à aucun moment de la cause.

On peut d'ailleurs se demander dans quelle mesure le texte néerlandais permettrait de retenir la cause illicite comme motif de nullité ; ne faut-il pas entendre par<< werkelijk doel>> l'activité effectivement exercée par la société, même si celle-ci n'est pas expressément prévue par l'objet social~ Auquel cas, l'interpré...: tation que défend M. Ronse sur base de ce texte ne serait pas tellement différente de la nôtre, mais y apporterait une nuance : il faudrait avoir égard non seulement à l'objet social statutaire, mais aussi aux activités effectivement exercées sous ce couvert. Tel est aussi le point de vue deM. Simont (loc. cit.).

En tout cas, il nous paraît que les tribunaux appelés à faire ainsi application de la théorie des nullités ou de celle de la simulation devraient demander à la Cour de Justice des Commu­nautés, par application de l'article 177 du Traité de Rome, d'interpréter la directive avant de se prononcer eux-mêmes sur la portée des lois internes prises en exécution de celle-ci -même si le recours à la Cour de Luxembourg n'est pas obligatoirè pour les juridictions inférieures.

9. CONSÉQUENCE DE LA NULLITÉ D'UNE SOCIÉTÉ. - RESPON­SABILITÉ DES FONDATEURS. - Le tribunal de cmnmerce de Tongres, dans le jugement précité du 17 mars 1975 (R.P.S., 1978, p. 65, supra, n° 5) examine les responsabilités que les fondateurs peuvent encourir à la suite de la nullité de la société. Invoquant sans grande rigueur tour à tour les articles 123, 6o,

des lois coordonnées, 1167 et 1382 du Code civil, il retient la responsabilité des fondateurs pour le préjudice subi par les créan­ciers par suite de la constitution de la société frappée de nullité. Il ne discute cependant guère la justification du dommage (se contentant d'une condamnation provisionnelle) ni surtout le lien de causalité entre ce dommage et les fautes résultant de la consti­tution irrégulière de la société. A notre avis, ces trois bases juridiques auraient dû être examinées séparément car leurs conditions d'application sont tout à fait différentes.

Le tribunal écarte la thèse de M. Ronse suivant laquelle

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l'article 123, 6°, ne pourrait plus guère trouver d'application. Rappelons que ce texte rend les fondateurs solidairement respon­sables du préjudice qui est une suite immédiate de la nullité résultant de l'article 13ter. Sauf le remplacement de la référence à l'article 4 par celle à l'article 13ter, le texte n'a pas été modifié : il ne concerne donc que la réparation des conséquences de la nullité et non d'autres préjudices (Rép. prat. dr. belge, v0 Sociétés anonymes, n°8 358 et suiv.). On enseignait déjà que cette dispo­sition ne. pourrait pas trouver d'application dans les cas où les tiers choisiraient de considérer la société comme conservant sa persom1alité juridique (ibid.). Comme, en vertu du régime nou­vèau, la société conserve nécessairement son patrimoine et son autonomie envers les tiers, on n'aperçoit guère de cas dans lesquels le texte pourrait encore s'appliquer. La démonstration de M. Ronse à ce propos est convaincante- et peut s'appliquer aussi bien aux sociétés anonymes qu'aux sociétés de personnes à responsabilité limitée. C'est donc sur d'autres bases. que la réparation civile des conséquences de la formation frauduleuse d'une sociéte doit être assurée : l'article 1382 et éventuellement, comme l'esquisse le tribunal, la fraude paulienne, - mais en examinant spécifiquement les conditions d'application particu­lières de ces dispositions légales.

§ 3. - La personnalité mm·ale.

A. - La personnalité morale et la forme des sociétés.

10. EFFET DE LA TRANSFORMATION DES SOCIÉTÉS. --REPRISE D'INSTANCE.- Depuis la loi du 23 fëvrier 1967, la transformation de la forme juridique d'une société commerciale n'entraîne aucune solution de continuité de la personnalité morale (art. 165 des lois coordonnées- Examen, 1973, p. 3, n° 11). La Cour du travail de Bruxelles en déduit avec pertinence que la transforma­tion d'une société commerciale dans le cours d'un litige n'entraîne aucune obligation de procéder à une reprise d'instance. Il suffit, comme l'indique la Cour, que la juridiction saisie constate que la forme de la société s'est modifiée, mais la même instance se pour­suit entre les mêmes parties (16 juin 1971, J.T.T., 1972, p. 75).

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ll-EVU~ CRITIQUE DE JURISPRU:QENCE BELGE 243

La reprise _d'instance suppose en effet qu'une personne succède à une autre personne dans une procédure et reprenne la position juridique de celle-ci, c'est-à-dire que se soient produits un change­ment d'état ou une modification de la qualité en laquelle une personne agit (C. jud., art. 815).

11. ATTRIBUTION DE LA PERSONNALITÉ MORALE PAR L'EFFET DE LA LOI. - SociÉTÉS EX-COLONIALES. - Aux termes de l'article 128 d-p_ décret du 23 juin 1960 complétant la législation congolaise relative aux sociétés commerciales, les sociétés de droit colonial, en dehors des sociétés par actions à responsabilité limitée et des sociétés coopératives, devaient adapter leurs statuts aux nouvelles dispositions légales dans un délai d'un an, à peine de perdre leur personnalité morale. Une société congolaise de personnes à responsabilité limitée, qui n'avait pas accompli ces formalités, a perdu la personnalité morale et, partant, toute capa;­cité, notamment celle d'ester en justice (cass., 30 septembre 1971, Pas., 1972, I, 103 et la note). C'est une application de la règle selon laquelle la personnalité morale est attribuée par le légis.­lateur en sorte qu'une société ne peut en conserver .le bénéfice sans le secours du législateur lui-même. La situation étaitdiffé­rente pour les sociétés . commerciales dont le siège social était situé en Belgique, mais qui étaient soumises à la législation coloniale par dérogation à l'article 197 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales. Ces sociétés connaissaient u,n régime juridique particulier et tiraient leur personnalité morale de la loi coloniale. En vertu d'une loi du 17 juit:t 1960, modifiée le 20 décembre 1961, elles furent régies dorénavant par le droit belge dès lors qu'elles n'avaient pas transféré effectivement leur principal établissement au Congo avant l'indépendance de celui­ci, soit avant le 30 juin 1960. Il était ainsi mis fin au régime exceptionnel en vigueur pendant la période coloniale, pour revenir à l'application du droit commun. Ces sociétés ont de la sorte conservé leur personnalité juridique, sans solution· de continuité (cf. cass., 25 mai 1972, Pas., I, 882 et les notes). Un régime analogue, quoique comportant des différences dans les modalités d'application, résulte de la loi du 14 juin 1962 pour le's sociétés

· du Ruanda et du Burundi.

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'i B; - Spécialité et capacité.

12. RESTRICTION À LA CAPACITÉ DES PERSONNES MORALES.­QUALITÉ D'EMPLOYÉ ET DE REPRÉSENTANT DE COMMEnCE. -LES personnes morales jouissent en principe de la même capacité que les personnes physiques suivant l'arrêt de principe rendu par: la Cour de cassation le 31 mai 1957 (Pas., I, 1176; R.P.S., 1957, p. 289 avec les concl. du procureur général HAYOIT DE TERMICOURT ; cette Revue, 1958, p. 289 avec les observations de P. VAN ÜMMESLAGHE ; Examen, cette Revue, 1958, p. 63, n° 8). Les restrictions à cette pleine capacité de principe peuvent résulter soit de la loi, soit encore de la nature même de laper­sonne morale. Confirmant une sentence du conseil de prud'hom­mes de Gand du 22 septembre 1970 (R.P.S., 1971, p. 148, J.T., 1970, p. 654), un arrêt de la Cour du travail de Gand du 12 mars 1973 (R.P.S., 1973, p. 148, J.T., 1973, p. 291) fait une intéres­sante application de cette règle en refusant à une· personne morale le bénéfice de l'application des lois coordonnées sur le contrat d'emploi alors en vigueur et celui de la loi du 30 juillet 1963 sur le statut des représentants de commerce. Se fondant sur les caractéristiques de ces deux législations, dont la seconde renvoie à la première qu'elle complète, ainsi que sur les travaux préparatoires de la loi du 30 juillet 1963 qui excluent la qualité de commerçant dans le chef du représentant de commerce (argument assurément moins convaincant), la Cour considère que, par nature, la qualité d'employé ne se conçoit que pour une personne physique- d'où ilsuit qu'une personne morale ne pourrait prétendre profiter du statut de représentant de com­merce et réclamer le bénéfice de la protection en résultant. L'arrêt renvoie à une doctrine qui soutient la même opinion (STEYAERT, (( Arbeidsovereenkomst >>, re deel, alg. deel, n° 31- dans A.P.R., CoLENS, Le contrat d'emploi, n° 163bis).

La solution ne nous paraît pas critiquable.

En l'espèce, la demanderesse réintroduisit d'ailleurs son action devan~ le tribunal de commerce de Gand en invoquant cette fois un contrat d'agence commerciale et elle obtint une indemnité en raison des conditions dans lesquelles ce contrat avait été rompu sans préavis après avoir duré pendant trente-trois ans (comm. Gand, 9 avrill975, J.T., 1975, p. 511). Rien ne s'oppose

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en effet à la conclusion d'un contrat d'agence commerciale par une société commerciale.

13. SuiTE. -Loi SUR .L'EMPLOI DES LANGUES. -Plus délicate est la question de l'application aux personnes morales de la loi du 15 juip 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire. Faut-il faire une distinction entre les personnes physiques et. les personnes morales . pour l'application de ces dispositions en raison de la nature de ces dernières 1 La Cour de cassation décide en tout cas qu'aucune distinction ne doit être faite toutes les fois que l'application de la loi ne dépend pas de la vérification de .la connaissance par l'une des parties de la langue de la procé­dure. Tel est le cas par exemple, lorsque par application de l'article 7, §1er de la loi, les parties demandent de commun accord le renvoi de l'affaire devant une juridiction de l'autre région linguistique. Le recours à cette disposition ne dépend pas, en effet, de la connaissance que les parties ont de la langue de la procédure (cass., 14 mai 1976, Pas., I, 987 et la note A.T., p. 988).

La situation est différente, suivant la Cour, lorsque l'application de la loi dépend de la vérification effective de la connaissance de la langue par le défendeur : Selon un arrêt du 13 mars 1978 (R. W., 1977-1978, col. 2723; Arr. Hof van Oass., 1978, p. 803 et les concl. du. procureur général DuMON, partiellement con­traires;. Pas., 1978, I, 782 et les notes), il faut alors faire une distinction entre les personnes morales et les personnes physiques. L'arrêt rappelle que selon l'article 4 de la loi sur l'emploi des langues en matière judiciaire, une personne physique peut demander verbalement la modification de la langue, si elle com­paraît en personne, et la solliciter par écrit si elle comparaît par un mandataire et que le juge accorde dans les deux cas le change­ment de la langue s'il apparaît que cette personne a une connais­sance insuffisante de la langue dans laquelle est rédigé l'acte introductif d'instance.

Puis, pour appliquer ces principes aux personnes morales, la Cour distingue suivant que celles-ci comparaissent par un manda­taire et, notamment, dit-elle, par un avocat, et l'hypothèse où elles comparaissent en personne, par les organes déterminés par la loi conformément à l'article 728 du Code judiciaire (sur la comparutio:c. .en personne des personnes morales en justice>

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Examen 1973, p. 350, n° 17; CoPPENS, .<<La .comparution en personne des sociétés commerciales et la controverse issue de l'article 728 du Code judiciaire>>, R.P.S., 1970, p. 149; cass., 19 mai 1972, Pas., I, 866 et la note, Arr. cass., p. 876 et les concl. du premier avocat général lVIAHAUX).

Dans le premier cas, il faudrait, selon la Cour avoir égard à la connaissance de la langue par << la personne morale défende­resse>> et non point à celle de certaines personnes physiques, fussent-elles organes de la personne morale. Cette connaissance suffisante devrait se déduire de << l'activité du défendeur et notamment de la langue employée par celui-ci pour ses activités réelles>> à considérer dans son ensemble. Cette solution est inspi­rée de l'opinion de LINDEMANS, Tàalgebruik in gerechtszaken, n° 114,- qui cependant propose de l'étendre à toutes les hypo­thèses.

Dans le second cas, au contraire, les personnes morales compa­raissant par les personnes physiques ayant pouvoir à cet effet en vertu de la loi et des statuts, il faudrait avoir égard à la connaissance suffisante de la langue de la procédure par ces personnes, de manière qu'elles puissent suivre personnellement la procédure, la comprendre et faire valoir les 1noyens de défense et les exceptions de la société. Dans ce cas, à peine de rendre inefficace la comparution personnelle, dit la Cour, il faut avoir égard non plus à l'activité d'ensemble de la société mais à la connaissance personnelle de la langue par les personnes physiques qui la représentent.

Cette distinction n'est pas admissible~ Elle méconnaît la jurisprudence de la Cour selon laquelle l'activité d'une personne morale se réalise nécessairement à l'intervention de personnes physiques qui sont ses organes (supra, n° 12) et qui sont le support nécessaire de sa volonté. Que la société comparaisse en justice par un mandataire, qui ne saurait être qu'un avocat, ou qu'elle comparaisse en personne, il existe toujours â.es per­sonnes physiques qui la représentent, fût-ce pour donner les instructions nécessaires au mandataire de justice, approuver les moyens et les défenses, et particulièrement les conclusions, prendre toutes les décisions relatives à la direction du procès. Les personnes chargées de ·cette représentation en· justice sont déterminées par la loi aussi bien lorsque la société comparaît en personne que lorsqu'elle comparaît par mandataire. On

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n'aperçoit pas que dans les premiers cas .les organes. devraient pouvoir comprendre les pièces de la procédure pour· pouvoir la suivre, tandis que dans le second cas, cette compréhension serait indifférente !

En décider autrement aboutit, comme le souligne à juste titre le Procureur général . dans les conclusions précédant cet arrêt, d'une part, à faire une distinction entre la capacité des personnes morales et celle des personnes physiques que n'impose ni la loi ni la nature des choses, contrairement à un principe fondamental affirmé par l'arrêt de la Cour de cassation du 31 mai 1957 (supra, no 12) et d'autre part à violer sérieusement les droits de la défense lorsque le défendeur est une personne morale. Il faudrait dès lors pour que le juge puisse rejeter la demande de changement de langue, qu'il· constate que les personnes physiques composant l'organe qui légalement ou statutairement représente la société en justice ont une connaissance suffisante de la langüe de la procédure.

Dans l'espèce soumise à la Cour le 13 mars 197 8 comme dans une espèce très similaire ayantdonné lieu à un arrêt du 21 déce.m­bre 1979 (le chambre, en cause Sacothern) (inédit), le juge dÙ fond avait déduit la connaissance par la société de la langue néerlandaise dans laquelle était rédig{l'exploit introductif d'in~ stance du fait que cette société était établie dans l' agglomératio11: bruxelloise et qu'elle avait notamment l'oblig~tion d'utiliser la langue néerlandaise dans ses rapports avec son personnel néerlandophone en vertu de l'article 52 des lois. coordonnées sur l'emploi des langues en matière administrative. Il en résultait selon les juges du fond dans ces deux instances une sorte de présomption juris et de jure de la connaissance de la langue néerlandaise par la société. Dans les deux affaires, les décisi<;ms des juges du fond ont été cassées pour violation tant de l'article 5.2 des lois coordonnées sur l'emploi des langues en matière adminis­trative que de l'article 4 de la loi sur l'emploi des langues en matière judiciaire. Il appartenait en effet aux juges du fond de vérifier , dans quelle mesure il résultait concrètement et e~ fait de l'activité d'ensemble des sociétés en Qause qu'elles avaient une. connaissance suffisante de la languenéerlandaise.

Toutes ces considérations, comme le soulignait le Procureur général, ne concernent que les personnes morales de droit privé ;

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des règles. différentes. s'appliquent aux personnes morales de droit public.

14. SPÉCIALITÉ DES PERSONNES MORALES.- Si la ma~ière de la spécialité des personnes morales a été profondément modifiée par la loi du 6 mars 1973 et par les directives de droit européen pour les sociétés anonymes et les sociétés de personnes à respon­sabillté limitée, le droit commun demeure applicable aux sociétés coopératives par exemple.

C'est donc de manière tout à fait classique et par une motiva­tion à l'abri de la critique, que le tribunal de commerce de Liège décide par jugement du 21 septembre 1976 (R.P.S., 1976, p. 225 et la note BENOIT-MOURY), conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation (arrêt du 31 mai 1957, cité supra, il0 12)~

qu'une société coopérative ne peut puiser des droits dans une· conv-ention complètement étrangère à son objet social; il s'agis­sait d'une société dont l'objet consistait à donner des .conseils aux entreprises du secteur public ou privé dans le dom~ine de leur organisation et qui avait conclu une convention portant sur la fabrication de 9.200 bouchons en acier ... Le tribunal décide que les organes ne pouvaient lier la société que dans les limites de son objet, conformément au principe de la spécialité des personnes morales telle que la Cour de cassation l'a interprété, en sorte qu'ils n'avaient pas le pouvoir de conclure cette conven­tion, et que la société ne pouvait l'invoquer à son profit (cf. sur ce dernier point: Examen, 1958, p. 63, no 8, P. VAN ÛMMESLAGHE, observations sur les limites imposées à l'activité des personnes. morales en droit comparé, cette Revue, 1958, p. 286, spéc. n°8 7 et suiv. ; cf. aussi la note BENOIT-MouRY sous la décision). Le­jugement définit le rôle de la spécialité des personnes morales : il s'agit de protéger les associés contre les dépassements de pouvoirs des gérants, mais aussi les tiers <<en leur permettant de contrôler plus aisément les pouvoirs de ceux qui prétendent. agir au nom d'une société>>. Cette dernière justification n'emporte plus guère la conviction. C'est précisément pour protéger les tiers éventuellement au détriment des associés, que la première directive communautaire a imposé, pour les S.A. et les S.P.R.L., l'abandon du principe de la spécialité conformément au droit allemand (P. V AN ÛMMESLAGHE, .. << La première directive du oonseil du 9 mars 1968 en matière de sociétés>>, in Oak. dr. eur.,.

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1969,- p. 495, nos 31 et suiv. ; L. SiMONT, op. cit., nos 57 et suiv. Sur l'évolution en droit comparé : OLIVIER, <c La spécialité des personnes morales en droit anglais des sociétés ; évolution de la doctrine de l'ultra vires>>, Rev. dr. int. et dr. comp., 1977, p. 53).

L'abandon complet de la théorie de l'ultra vires pour toutes les sociétés impliquerait une modification de la loi sur les sociétés que ne prévoit pas le projet de réforme des lois coordonnées.

O. - La dénomination sociale.

15. CONDITIONS DE LA PROTECTION DES DÉNOMINATIONS DES S.A. ET DES S.P.R.L. - SIGLES. - SociÉTÉs ÉTRANGÈRES. -Confirmant un jugement du tribunal de commerce d'Audenarde (31 octobre 1972, R.P.S., 1973, p. 66 et la note, reproduit en sommair~; R. W., 1973-1974, col. 1202), la Cour d'appel de Gand, par arrêt du 21 décembre 1973 (R.P.S., 1974, p. 152) maintient la jurisprudence et la doctrine suivant lesquelles les dénomina­tions abrégées sont protégées par application des articles 28 et Il 7 des lois coordonnées - pour autant naturellement que l'abréviation .figure dans les statuts (Examen, 1962, p. 368, n° 12), ce qui était le cas en l'espèce. Les deux juridictiqns s'attachent à la ressemblance des dénominations, particulière­ment en ce qui concerne leur prononciation, pour conèlure à une trop grande similitude (Gebeco et G.B. co). Conformément à la doctrine et à la jurisprudence, elles soulignent que, pour l'appli­cation des articles 28 et Il 7, il importe peu que les sociétés soient concurrentes, qu'elles exploitent des entreprises semblables, ou qu'elles aient une implantation géographique ou un rayon d'ac­tions identiques ou comparables. Il faut simplement avoir égard au risque de confusion résultant de la ressemblance des dénomi­nations (Examen, 1962, p. 366, n° 10 et les réf. sur ces questions qui sont constantes. - VAN RYN, Principes, t. Jer, n° 464, Jre éd., et VAN RYN et HEENEN, Principes, Ire éd., t. II, n° 879). En l'espèce., il s'agissait d'une société anonyme d'une part, et d'une S.P.R.L. d'autre part.

Même application correcte et soigneusement . motivée de ces principes classiques, quoique souvent perdus de vue par les parties, dans une décision du tribunal de commerce de Bruxelles du Il mars 1975 (R.P.S., 1975, p. 230 et note FRANCIS BAUDUIN),

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à propos -d'une. S.P.R.L. qui avait, .en. toute modestie; choisi comme dénomination <<. M.P .. Morgan and Assoc )), alors qu'il n'existait parmi ses fondateurs et associés_ personne ayant ce patronyme. L'action était introduite à la requête de.la société de·. droit américain J. P. Morgan and Cy, et de la Morgan Garanty Trust Cy ofNew York. La oirconstance qu~ la S.P.R.L. défen9:e­resse n' exerçait pas uhe activité bancaire était . évide~ment sans aucune pertinence. Le jugement rappelle les principes, et accorde, conformément à la doctrine et à. la jurisprudence, la proteetion même à une société étrangère dès lors qu'il existe en Belgique un risque de confusion (Examen, 1967, p. 305, no 22 et les réf. ; BA UDUIN, note citée sous I' arrêt et les réf.).

Le jugement contient des considérations intéressantes sur la dénomination utilisée par des groupes de sociétés internatiónaux et sur l'intérêt légitime de ceux-ci d'éviter que l'on crée fansse­ment l'impression que ces · groupes patronneut les activités de sociétés locales qui leur sont parfaitement étrangères. ·

16. LA DÉNOMINATION DES S.P.R.L. - Suivant l'article 117 des lois coordonnées, la S.P.R.L. est qualifiée par une dénomi­nation particulière ou par la désignation de l'objet de son entre­prise, tout comme la société anonyme. Maïs, en outre, la S.P.R.L. peut utiliser une raison sociale, comme les sociétés de persounes; celie-ei comprend Ie nom d'un ou de plusieurs associés. Dans ce dernier cas, il faut veiHer à éviter toute confusion avec Ie nom ou la dénomination d'une autre société (supra, n° 15). Par ailleurs une S.P.R.L. ne pourrait se donner une dénomination sociale qui comprendrait Ie nom d'une personne physique qui ne serait ni associée ni fondateur. Il s'agirait d'un abus de la faculté permise par I' artiele 117. Comme Ie relève Ie jugement précité du tribunal de commerce de Bruxelles du 11 mars 197 5 (R.P.S., 1975, p. 230 et note BAUDUIN), en ce faisant, cette société oommet une faute.

17. LA PROTECTION DE LA DÉNOMINATION ET LES· SOCIÉTÉS cooPÉRATTVES. - Si les articles 28 et 117 prescrivent que les dénominations des sociétés anonymes et des S.P.R.L. soient différentes de celles de toute autre société, il n'existe aucune disposition analogue pour ce qui concerne les sociétés coopéra­tives. Faut-il considérer dès lors. qu'une société.coopérative n'est

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pas- tenue,·· dans 'Ie choix de sa dénoinination, de s'abstenir de toute. ressemblance. a vee la dénomination d'une autre société .~ C'est ce que soutenait une société coopérative Interbouw contre laquelle · une action avait été intentée par une société anonyme Interbouw, qui pouvait se prévaloir d'une antériorité dans l'utili­sation de la dénomination. Le tribunal de commerce d'Audenarde a rejeté cette argumentation par un jugement du 26 octobre 1976-(R.P.S., 1977, p. 157)~ Le tribunal ne se fonde pa.s sur les règles relatives à la concurrence deloyale qui peuvent être .invoquées en la matière, à condition que s'appliquent les conditions spécifiques permettant ·Ie reèours à la loi du 14 juillet 1971 (cf. VAN RYN et HEENEN, Principes, t. rer, 2e éd., nos 188 et 200; Examen,. 1962, p. 366, n°8 10 et 13; 1967, n° 21, p. 304). Il considère quê les articles 28 et 117 sont des applications particulières d'un. principe plus général assurant aux sociétés oommerciales la proteetion de leur dénomination. Il suffit alors, seloli Ie tribunal,. que Ie demandeur établisse l'antériorité de l'usage de la dénomi­nation et Ie risque de confusion résultant de la simihirité des noms. Ce principe nous paraît pouvoir être approuvé (dans Ie même sens : RoNsE, <<Overzicht>>, T.P.R., 1978, p. 731, n° 61 et 1967, no 36, p. 689).

La distinction entre la proteetion résultant des lois coordonnées et celle fondée sur la concurrence illicite s'est estompée depuis. que la loi du 14 juillet 1971 n'impose plus que Ie demandeur et Ie défendeur à l' action en concurrence déloyale soient des. concurrents. Il suffit que ·Ie demandeur ait un intérêt à I' action et celui-ei peut résulter simplement du risque de confusion entre les dénominations. Le demandeur peut invoquer soit la vialation de I' artiele 54 dans la mesure ou l'utilisation d'une dénomination trop similaire serait constitutive d'un acte de concurrence dé.: loyale, soit encore celle de l'article 20, 3o, si la dénomination est· utilisée dans une publicité dans des conditions de nature à créer une confusion avec Ie demandeur, ses produits ou ses. activités. Dans les deux cas, une action en cessation peut être intraduite · devant Ie président du tribunal de commerce siégeant conformément à I' artiele 55.

N ous crayons cependant qu'il subsiste une différence entre les deux régimes : alors que pour l'application des articles 28. èt 117 des lois coordonnées il ne faut avoir aucun égard à l'activité respective des deux sociétés, à l'aire géographiq~e de cette· acti~

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-vité ou à une confusion effective mais seulement à une possibilité ;abstraite de confusion (supra, n° 15} l'application de la loi du 14 juillet 1971 sùppose que la confusion soit concrètement pos-.sible, pour que le recours en cessation puisse être introduit.

A notre avis, cette dernière condition ~st aussi requise pour -qu'une action puisse être fondée sur l'article 1382 du Code civil.

D. - Les organes des personnes morales.

18. QUALITÉ EN LAQUELLE L'ORGANE AGIT. - Lorsqu'une ;société est partie à une convention et y est représentée par un organe social, il est clair que ce dernier ne contracte aucun ·engagement personnel relativement à cette convention. En cas -de doute sur la qualité en laquelle le signataire agit, il faut interpréter la convention par application des règles du droit ·commun, en recherchant la volonté réelle des parties. Le tribu_nal ·de commerce de Verviers fait une application correcte de ces p;rincipes (1) (comm. Verviers, 21 décembre 1976, J.O.B., 1977, .I, 233; R.P.S., 1978, p. 227, publication partielle). ·

Même lorsque l'organe n'a pas expressément fait ét~t de sa .qualjté, mais qu'il n'existe aucun doute dans _l'esprit des parties -et notamment du créancier d'une obligation, le juge peut consi­·dérer, selon les circonstances, que l'organe a bien agi en cette ·qualité. C'est ce que décide à juste titre le juge de paix de Saint­·Gilles dans une espèce relative à une lettre de change, .. tirée sur une S.P~R.L., dont la dénomination et l'identité étaient mention­nées comme telles, alors que l'acceptation avait été signée par le .gérant de cette société, sans ment~on expresse de sa qualité. Le ·tireur en l'espèce ne pouvait avoir aucun doute et n'avait pu considérer que le gérant aurait entendu accepter la lettre à titre :personnel (J. de P. St-Gilles, 14 juin 1978, J.J.P., 1978, p. 212).

19. ENGAGEMENT DE LA PERSONNE MORALE PAR SON ORGANE. -MATIÈRE EXTRACONTRACTUELLE.- Conformément à la juris­:prudence de la Cour de cassation (cass., 15 janvier 1946, Pas., I, 25, à propos de l'Etat; cass., 19 janvier 1955, Pas., I, 658;

(1) Cette décision fait en outre une application intéressante de la théorie de l'erreur ·:Substantielle à propos de l'acquisition d'une participation dans le cours d'une pro­-cédure concordataire.

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R.P.S., 1955, .p. 139 et les concl. du procureur général liAYOlT · DE TERMICOURT), ainsi qu'à la doctrine et à la jurisprudence

belges (Exa!llens, 1958, p. 65, n° 9 et les réf. ; 1962, p. 371, n° 16 et les réf.), le tribunal de comm~rce de Bruxelles considère qu'une société de personnes à responsabilité limitée est directe­ment et personnellement engagée par les délits accomplis par son gérant dans l'exercice de ses fonctions. L'intention dolosive qui caractérise le délit volontaire n'exclut nullement que les faits aient pu être accomplis dans les fonctions du gérant et qu'ils engagent la personne morale (cf. Liège, 26 avril 1955, R.O.J.B., 1956, p. 5, à propos de la responsabilité des organes de l'Etat et la note RENARD et GoossENS). La responsabilité de la société n'exclut pas la responsabilité personnelle de l'organe sur le plan civil. Les principes exposés par le tribunal sont incontestables. C'est à juste titre qu'il raisonne par analogie avec la responsa­bilité de l'Etat pour les faits de ses organes. C'est à tort cependant que le tribunal déclare la société << civilement responsable >> pour ses organes ; cette expression concerne en effet la responsabilité pour autrui. Or, suivant la jurisprudence précitée de la Cour de cassation, les fautes, même délictuelles, commises par les organes dans l'exercice de leurs fonctions et en rapport avec celles-ci, sont réputées avoir été accomplies directement par Ja société qui en répond sur pied de l'article 1382 du Code civil.

20. ORGANES AGISSANT EN MATIÈRE CONTRACTUELLE. -- Si, en matière extracontractuelle, les organes des sociétés commer­ciales engagent leur responsabilité personnelle à côté de celle de la société, in solidum, avec Mie, au contraire, ils n'assu­ment . ,aucune responsabilité . personnelle en matière .. contrac­tuelle --,--réserve devant naturellement être faite de l'hypothèse où une faute contractuelle serait, en même temps, dans leur chef, une faute extraç.ontractuelle. L'article 62 des lois coordonnée~ rap­pel.le, pour les sociétés anonymes, ce principe fondamental d~ droit des personnes morales. C'est à juste titre dès lors que le tribunal civil de Huy déclare irrecevable l'action d'un employé d'une société, fondée sur la rupture d'un contrat d'emploi, .en tant qu'elle était dirigée contre les administrateurs de la société employeur (16 février 1972, R.P.S., 1973, p. 224).

Un arrêt rendu par la Cour d'appel de Liège a été cassé pour avoir méconnu le principe de l'immunité de l'organe ou même

Revue Critique 1981, 2 - 17

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du préposé· d'une société à la suite du manquement par·. cette dernière à une obligation contractuelle. Une société était chargée de la surveillance de marchandises déposées en gage et le juge du fond avait constaté des négligences lourdes dans l'exercice de cette surveillance - sans que les constatations de l'arrêt permettent de relever une faute quasi délictuelle. La gravité de la-négligence commise dans l'exécution d'une obligation contrac­tuelle ne suffit pas, suivant la Cour, -à juste titre -à engendrer ·une responsabilité extracontractuelle. Sur base de ces constata­tions, la Cour d'appel pouvait certes retenir la responsabilité contractuelle de la société, mais non point celle de son préposé ou de son organe (cass., 15 septembre 1977, Pas., 1978, I, 57, et la note).

·Il en résulte ainsi une différence - au demeurant singulière mais solidement établie dans notre droit - entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité extracontractuelle -·différence qui rend d'autant plus importante la détermination précise, dans chaque cas particulier, de la nature de la responsabilité.

21. REPRÉSENTATION DES ·PERSONNES MORALES ENVERS LES

TIERS. - ABUS DE POUVOIRS.· - Un intéressant jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 18 décembre 1974 (J.O.B., 1977, I, 71) a trait à la représentation d'une société anonyme par un administrateur-directeur général à propos de la conclusion d'une convention antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 6 mars 1973. Cette société avait conclu un contrat de location de deux ordinateurs le 29 mai 1973; mais elle fit ensuite valoir que la personne qui avait signé le contrat, bien qu'admi­nistrateur et directeur général, n'avait pas le pouvoir de l'engager. Suivant les extraits publiés aux Annexes du Moniteur, ce direc­teur général ne disposait effectivement pas des pouvoirs néces­saires; même pour les besoins de la gestion journalière, il ne pouvait engager la société que conjointement avec d'autres per­sonnes.-

Le tribunal érige en principe l'opposabilité aux tiers des restric­tions aux pouvoirs des administrateurs dûment publiées, ce qui était incontestablement le cas sous le régime antérieur au. 1er sep­tembre 1973. Le tribunal rappelle que les organes de s9ciétés engàgent celles-ci de manière immédiate sans -interposition du mécanisme de la représentation. La demande ne faisait pas

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app.el, semble-t-il, à la théorie de l'organe ou du mandat apparent quoique les circonstances de la cause, telles que décrites par le tribunal, eussent sans doute permis .de l'invoquer.

Le tribunal relève cependant que l'intéressé était non seule­ment administrateur, mais encore préposé de la société en qualité de directeur général - les deux qualités ne s'excluant pas nécessairement (infra, n° 55). Dans cette mesure, il engageait la société dans les limites de l'article 1384, alinéa 3, des lois coordonnées, pour toute faute commise même à l'occasion de l'exercice de ses fonctions (sur ce dernier point : cass., 10 mars 1961, Pas., I, 748; Il décembre 1964, Pas., 1965, I, 368; 7 février 1969, Pas., I, 517). Or, dit le tribunal, le directeur général, en concluant la convention dans ces conditions, à la faveur d'un abus de ses pouvoirs, en profitant de l'inattention de la deman­deresse, qui était au demeurant une société étrangère, a commis une faute que le tribunal qualifie de <<grave>>. Le tribunal en juge la société responsable et décide d'une réparation en nature, analogue à celle qui aurait résulté de la théorie du mandat appa­rent ; la société a été considérée comme liée par la convention nonobstant l'abus de pouvoirs de son préposé, et elle a été con­damnée à payer les clauses pénales prévues. La décision est également intéressante en ce qu'elle refuse d'annuler la clause pénale que la défenderesse jugeait excessive et sans commune mesure avec le préjudice subi (cf. sur cette dernière question : P. VAN ÛMMESLAGHE, Examen de jurisprudence sur les obliga­tions, cette Revue, 1975, p. 530, n° 59; J. VAN RYN, <<Nature et fonction de la clause pénale selon le Code civil>>, J.T., 1980, p. 557).

22. REPRÉSENTATION DES SOCIÉTÉS EN JUSTICE. ____:_ Suivant l'article 703 du Code judiciaire, lorsqu'une personne morale agit en justice, il faut mentionner son identité ; èelle-ci est, suivant la jurisprudence. de la Cour de cassation, suffisamment relatée par l'indication de sa dénomination, de sa nature juridique et de son siège social. Il n'est donc plus nécessaire de mentionner, comme autrefois, la composition des conseils d'administration ou autres organes à l'intervention desquels la société agit en justice (comp. Examen de jurisprudence, 1962, n° 18, p. 373 ; 1973, n° 16, p. 347) (cf. cass., 29 octobre 1971, Pas., 1972, I, 182; 19 mai 1972, Pas., I, 866 et la note~ Sur les risques qu'il y a à

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mentio11ner que la société est représentée par certains organes : Examen de jurisprudence, 1973, n° 16, p. 348 - Sur la compa­rution en personne par les organes statutaires : ibid., n° 17, p. 350).

Ces règles ont été confirmées par la Cour à propos des requêtes unilatérales auxquelles .il convient d'appliquer les dispositions de l'article 703, du· Code judiciaire encore qu'il n'existe à ce propos aucun texte spécifique (cass., 20 décembre 1974, Pas., 1975, I, 435).

Rappelons aussi, avec cet arrêt, que la partie contre laquelle on invoque l'acte de procédure dans lequel la société est identifiée de la manière indiquée ci-dessus, peut toujours demander la communication des noms et qualités des personnes qui composent l'organe qui représente la société. Il suffit que cette communi­cation soit faite en cours de procédure. <<Encore faut-il que celui qui formule cette demande justifie d'un intérêt>>, suivant la Cour d'appel de Liège (arrêt du 6 décembre 1973, R.P.S., 1975, p. 30).

Lorsque la société est défenderesse, elle doit pouvoir être identifiée de la même manière dans ·la citation ; toutefois, une erreur matérielle peut faire l'objet d'une rectification sans rendre l'assignation nulle dès lors que n'existait aucune erreur sur l'iden­tité de la société; tel est le cas suivant le tribunal du travail de Dinant (11 octobre 1977, Jur. Liège, 1977-1978, p. 302) dans une espèce où la société était exactement dénmnmée mais avec une indication erronée quant à sa nature juridique.

23. PouvoiR DE REPRÉSENTATION PASSIVE.- Les organes des sociétés commerciales ont également le pouvoir de représentation passive de ces sociétés; en conséquence, les notifications ou les significations faites à des organes en cette qualité doivent être considérées comme faites directement à la société elle-même. C'est ce que décide très exactement un arrêt de la Cour de cassa· tion du 7 avril 1975 (Pas.,. 1975, I, 773 et les notes; R.P.S., 1975, p. 209) à propos de la notification d'":ffie expertise en matière fiscale, avec la particularité cependant qu'en l'espèce la notification avait été faite au domicile privé du gérant d'une S.P.R.;L. dont les juges du fond· avaient constaté qu'il avait le pouvoir de donner décharge aux administrations publiques (c<;>mp. cass., 20 mai 1969, Pas., I, 858, à propos d'une notification

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faite en matière fiscale à un directeur de société, lequel n'a cependant pas la qualité d'organe.

24. ENGAGEMENTS PRIS POUR UNE SOCIÉTÉ EN FORMATION.­

On cite pour mémoire le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bruxelles le 20 décembre 1971 (R.P.S., 1973, p. 58, obs.) qui applique de manière classique la théorie de la gestiol!­d'affaires à des actes accomplis pour compte d'une société en cours de formation par celui _qui en avait rédigé les statuts et avait pris les dispositions utiles à ·sa constitution. Le tribunal relève .le caractère nécessaire et utile de l'intervention de ce rédacteur et, partant, les conditions d'application de la gestion d'affaires. La question est actuellement réglée par l'artiCle l3bis des lois, coordonnées : ceux qui, au nom d'une société en forma­tion, avant ·r acquisition par celle-ci de la personnalité juridique~ ont pris un engagement, à quelque titre que ce soit, en sont per­sonnellement et solidairement responsables, sauf convention con­traire, si ces engagements ne sont pas repris par la société dans les deux mois de sa constitution ou si la société n'est pa·s consti-' tuée dans les deux ans de la naissance de l'engagement. Au con­traire, lorsque les engagements sont repris par la société, ils sont alors réputés avoir été contractés par elle dès l'origine.

Dans quelle mesure cette nouvelle réglementation hiisse-t-elle subsister les recours de droit commun contre la société de la part du tiers, lorsque la société ne reprend pas l'engagement~ Nous partageo:ns l'opinion de L. Simont (étude citée, n° 68) et de J. RoNSE (Vennootschapswetgeving, 1973, cité, no 116) suivant laquelle la nouvelle réglementation exclut le recours au droit commun pour le tiers : l'intention du législateur a été de lui donner un répondant en toute hypothèse, mais non de lui en donner deux, comme cela serait le cas si le tiers pouvait d'une part invoquer l'article 13bis contre les promoteurs avec lesquels il a contracté, et, d'autre part, la gestion d'affaires contre la société. En revanche, les promoteurs qui auraient été contraints d'exécuter les engagements au motif que la société ne les aurait pas repris, pourraient exercer contre la société un recours fondé soit sur la gestion d'affaires, soit sur 1' enrichissement sans cause si leurs interventions avaient tourné au profit de la société et que celle-ci se refusait à tort de les reprendre à son compte

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(L. SIMONT, ibid. ; RoNSE, n° 118; cf. la réf. à la doctrine fran­çaise citée par L. SIMONT).

25. LA RESPONSABILITÉ PÉNALE DES PERSONNES MORALES. -La responsabilité pénale des personnes morales, et particu­lièrement des sociétés commerciales, notamment pour les délits économiques, demeure très discutée en droit belge. Si certains éminents auteurs, comme le professeur Legros, demeurent adversaires de la responsabilité pénale des personnes mora­les, au nom de l'individualisation de la peine et de l'appréciation de l'élément moral, constitutif de l'infraction (cf. notamment <<La responsabilité pénale des dirigeants et le droit pénal géné­ral>>, Rapport aux Journées Capitant 1963, Rev. dr. pén., 1963-1964, p. 8 ; dans le même sens : DoNCKIER DE DoNCEEL, << Respon­sabilité pénale non individuelle>>., Rapports au Xe congrès inter­national de droit comparé, 197 8, p. 605) plusieurs auteurs mar­quent une p.ette tendance en faveur d'une· évolution des cùncep­tions traditionnelles dans ce domaine (cf. TRoussE, << Sanctions pénales et personnes morales>>, Rev. dr. pén., 1975-1976, p. 72; MATTHIJS, Mercuriale prononcée le }er septembre 1975, R. W., 1975-1976, col. 385 ; D'HAENENS, <<Sanctions pénales et per­sonnes morales>>, Rev. dr. pén., 1975-1976, p. 731). La question a été examinée récemment à un Congrès tenu à Messine sur la responsabilité· pénale des personnes morales en droit commu­nautaire : cf. le rapport belge de M. DELATTE, Rev. dr. pén., 1980, p. 191 et le rapport général de droit comparé de M. ScRE­VENS, ibid., p .. 1963.

Dans l'état actuel des textes cependant la responsabilité pénale des personnes morales demeure exceptionnelle.

La jurisprudence continue dès lors à appliquer les principes énoncés par la Cour de cassation selon lesquels << lorsqu'une société commerciale a commis une infraction, la responsabilité pénale de celle-ci pèse sur les personnes physiques, organes ou préposés par lesquels elle a agi>> (cf. par ex. cass., 19 septembre 1972, Pas., 1973, I, 64 et la note; cass., 1er octobre 1973, Pas., 1974, I, 94 et la note; cass., 5 avril 1975, Pas., 1975, I, 803) (examens de jurisprudence, 1973, n° 15, p. 345; 1967, n° 28, p. 312). La même règle s'applique naturellement pour les autres personnes morales, comme les A.S.B.L. cass., 7 octobre 1974, Pas., 1975, I, 155.

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: L'imputabilité des infractions co:mmises dap.s le cours. de l'activité des personnes morales a fait l'objet d'études appro­fondies : LEGRos, <<Imputabilité pénale et entreprise écono­mique>>, Rev. dr. pén., 1968-1969, p. 372, et <<Le droit pénal dans l'entreprise>>, J.T.T., 1977, p. 169, outre la communication précitée faite aux Journées Capitant 1963 ; DELATTE, étude citée, p. 200 et suiv., spécialement; HANNEQUART, <<Imputabilité pénale et dommages survenus aux personnes ~t aux. biens à l'occasion des activités de l'entreprise>>, Rev. dr. pén., 1968-1969, p. 409 ; · WILMART, << La responsabilité des dirigeants et cadres d'entreprises au regard du droit pénal commercial, économique et financier>>, ibid., p .. 519 et suiv. ; cf. et comp. : Examen, 1967, n° 28, p. 31.

La jurisprudence belge y est attentive et elle consacre ferme~ ment le principe selon lequel il n'existe pas de responsabilité pénale pour autrui : l'imputation suppose qu'une faute soit effectivement commise par la personne physique qui sera pour­suivie et condamnée.

Ainsi la Cour de cassation, dans un arrêt du 28 février 1972 (Pas., I, 1587), fidèle à sa jurisprudence suivant laquelle la banqueroute peut être retenue à charge des organes des sociétés commerciales - même s'ils n'ont pas personnellement la qualité de commerçants ayant cessé leurs paiements - dès lors que le.s conditions de la faillite étaient réunies dans le chef de. la société (Examens, 1973, p. 345, n° 15; 1967, p. 31, n° 28; cass., 19 sep­tembre 1972, Pas., 1973, I, 64; 13 mars 1973, R.P.S., 1974, p. 127 et les réf.), souligne néanmoins que la seule circonstance qu'une personne aurait <<nominalement>> la qualité de .gérant d'une société ne suffit pas à justifier la condamnation de cette personne en qualité de banqueroutier ; elle ajoute que <<pour être régulièrement motivée, la condamnation du gérant d'une S.P.R.L. doit être fondée sans ambiguïté sur des faits consti­tutifs de banqueroute dont il est constaté qu'ils ont été commis par le gérant en sa qualité d'organe de la société faillie et rela­tivement à .la gestion de celle-ci>>. La Cour relève ensuite diverses constatations des juges du fond permettant de conclure à une participation active et consciente de l'intéressé à des prélève­ments jugés constitutifs de détournements d'actif alors mêmt1 que, par ailleurs, le juge du fond avait qualifié dérisoire la participation du demandeur en cassation à la gestion.

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.. TI faut dans chaque cas, pour déterminer la personne respon­sable, examiner la situation concrètement à la lùmière de l'orga­nisation de l'entreprise et des faits- de la cause sans imputer l'infraction automatiquement à l'administrateur délégué : pol. Charleroi, 11 mars 1977, J.T., 1978, p. 232.

Par arrêt du 1er octobre 1973 (Pas., 1974, I, 94), la Cour de cassation admet l'imputation d'une fausse déclaration de créance faite par une société à une faillite, à la personne qui, sans avoir matériellement établi cette déclaration, disposait de pouvoirs prépondérants au sein de cette société et, partant, devait être considérée comme son véritable auteur. Les juges.· du fond avaient retenu une telle imputation sur la base de leurs consta­tations sur les pouvoirs effectivement détenus par celui dont la culpabilité a été rècoriilue. Le même principe ëst affirmé· par un arrêt du 7 octobre 1974 (Pas., 1975, I, 155). ' Par jugement du 7 octobre 1977, h~ tribunal de commerce d'Anvers se refuSe à appliquer à la mesure prévue par l'article 467 du livre III du Code de commerce, qui autorise l'emprisonnement du failli lorsqu'il ne se rend pas aux convocations du curateur ou lorsqu'il fournit sciemment des renseignements inexacts, la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de banqueroute; Constatant que cette disposition légale n'est applicable qu'au failli et· que l'organe d'une société faillie n'a pas cette qualité; il rejette une requête d'un curateur tendant à ordonner l'eip.pri­sonnement d'un gérant (7 octobre 1977, R.P.S., 1978, p. 231). L'interprétation de la loi qùe fait le tribunal pour justifier cette meSure ne paraît pas compatible avec la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de banqueroute : si les organes ·de sociétés peuvent être condamnés comme banqueroutiers sans être personnellement faillis, on n'aperçoit pas pourquoi il serait impossible de leur appliquer l'article 467 du Code de commerce.

E. - Le siège social.

26. DÉFINITION. -EFFETS. - Lorsque la loi fait référence au siège social, il faut entendre par là le siège social réel. Si la haute administration effective de la société ne se trouve pas au siège indiqué dans les statuts, celui-ci est fictif et toute partie peut se prévaloir du siège réel. Aussi est-ce à juste titre que le tribunal de première instance de Bruxelles par jugement du

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14 mai 1976 (J.T., 1977, p. 119) considère conime valable une citation faite au siège social réel, et non au siège fictif indiqué dans les statuts (cf. VAN RYN, Principes, t. Ier, n° 374).

La Cour d'appel d'Anvers donne, dans son arrêt du 6 mai 197 5, une définition classique du siège social réel en précisant qu'il s'agit du lieu où l'entreprise est gérée, où se concentre son activité et où se trouvent sa direction, sa comptabilité, ses archives (R.P.S., 1976, p. 206).

La citation qui n'est pas adressée au siège social réel ou la­signification qui n'y est pas faite, est sans valeur et ne pourrait, par exemple, faire courir le délai d'appel (Liège, 4 décembre 1975, Jur. Liège, 1975-1976, p. 201).

F. - La relativité et l'abus de la personnalité morale.

27. RELATIVITÉ DE LA PERSONNALITÉ MORALE. - GROUPE DE SOCIÉTÉS. -----'- Selon la doctrine moderne, la personnalité morale est un concept relatif, dont il convient de faire application en fonction des objectifs poursuivis par -telle ou telle institution­indépendamment même de tout abus (sur l'abus :infra, n° 28). (Pour plus de détails : P. VAN ÛMMESLAGHE et L. SIMONT, <<La notion d'organe statutaire et ia répartition des pouvoirs par le conseil d'administration des sociétés anonymes>>, cette Revue,. 1964, p. 74, spéc. p. 81, note 23 et les réf. ; CouLOMBEL, Le particu­larisme de la condition juridique des personnes morales de droit privé ; PETITPIERRE SAUVIN, Droit des sociétés et groupes· de so­ciétés, nos 20 et suiv. ; Examen, 1973, p. 356, no ~9). Ainsi, en droit. social, on détermine l'ancienneté à laquelle peut prétendre un travailleur en fonction des services qu'il a rendus dans une entreprise déterminée, celle-ci eût-elle même appartenu à plu­sieurs personnes successives sans considération donc de la person­nalité morale distincte des e1nployeurs en cause (TAQUET et W ANTIEZ, << L'ancienneté et la notion de même employeur >>, J.T.T., 1972, p. 129 et suiv. ; cass., 14 juin 1957, Pas., I, 1227 et la note ; 28 mars 1958, Pas., I, 841 ; 2 juin 1971, Pas., I, 930 ; 6 juin 1973, Pas., I, 924; PAPIER J.A.MOULLE, Contrat de travail et contrat d'emploi, R.P.D.B., compl., t. III, n° 676). De même· dans le cas de groupes de sociétés, il est admis notamment par la jurisprudence de la Cour des communautas européennes, que

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'262 REVUE CRITIQUE. DE JURISPRUDENCE. BELGE

le comportement de sociétés filiales dont la politique est dictée par leurs sociétés mères soit imputé à ces dernières et. ·que celles...:ci soient, le cas échéant, condamnées aux amendes qui sanctionnent ces comportements (cf. not. : arrêts du 14 juillet 1972, Rec., 1972, p. 619, affaire des colorants; arrêt du 21 février 1973, affaire Continental Can, Rec., 1973, p. 215;. arrêt du ~mars 1974, Zoja SOS, Rec., 1974, p. 223; arrêt du 31 octobre 1974, Rec., 1974, p. 1167, en cause Centrafarm- adde: LAZARUS, LEBEN, LYON -CAEN et VERDIER, L'entreprise multinationale face au droit, p. 210-213 et p. 344 et suiv.).

Ces principes peuvent-ils trouver application en matière de concession de vente?

Un concessionnaire, dont la concession exclusive de vente avait été accordée initialement par une société mère, puis renou­velée par celle-ci d'abord et ensuite par une société filiale créée en Belgique, entièrement contrôlée par la société mère, invoquait la relatiyité de la personnalité morale pour faire valoir que, par suite de ces renouvellements, la concession initialement consentie pour une durée déterminée devait être considérée comme conclue pour une durée indéterminée conformément aux dispositions des lois des 27 juillet 1961 et 13 avril 1971 -nonobstant la circon­st~nce que la concession initiale avait été consentie par la société mère et les renouvellements par la filiale. Le but poursuivi par le législateur étant la protection du concessionnaire lorsque la con­cession subit des renouvellements successifs au point qu'elle est en fait conclue pour une durée indéterminée, il paraissait en effet conforme à cet objectif de tenir compte de la réalité écono­mique que constituent les groupes de sociétés notamment au .sein des entreprises multinationales. Le transfert de la concession de la société américaine à sa filiale belge à 100 % s'expliquait uniquement par des modifications dans l'organisation interne du groupe : un établissement stable de la société américaine ·en Belgique avait été érigé en filiale autonome sans que le contenu économique et la substance des conventions aient été modifiés.

Mais il n'a pas été suivi par la Cour d'appel de Bruxelles dans un arrêt du 17 janvier 1978 (R.P.S., 1978, p. 232). Nonobs­tant l'étroitesse des liens économiques existant entre la concé­dante initiale et sa société filiale, les deux sociétés constituent des entités juridiquement distinctes qui empêchent selon la

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Cour, que l'on considère les contrats de concesssion successifs comme émanant d'un << même >> concédant, dès lors que le conces­sionnaire ne soutenait ni ne démontrait que la constitution de la société filiale procédait d'un abus de la personnalité morale. Les exemples donnés par .le concessionnaire à l'appui de sa thèse concernant la relativité du concept de personnalité morale, furent considérés comme relevant de matières . spéciales et ne

. pouvant donner lieu à d'autres applications, qui méconnaîtraient l'article 2 des lois coordonnées. Un pourvoi dirigé contre cet arrêt a été rejeté le 19 avril 1979 (arrêt encore inédit) {1), mais la Cour . de cassation n'a malheureusement pas pu aborder la question ci-dessus exposée le moyen s'y rapportant étant jugé sans intérêt par suite d'autres dispositions de l'arrêt de la Cour d'appel.

28. EXTENSION DE LA FAILLITE AU MAÎTRE DE L'AFFAmE.____: PRINCIPES. ~ Pendant la période que nous examinons, la juris­prudence des juges du fond a continué à faire de nombreuses applications de la théorie suivant laquelle la faillite d'une société peut être<< étendue>> au<< maître de l'affaire>>, c'est-à-dire à celui qui exerce le commerce personnellement sous le couvert d'une société déclarée en faillite. De très importants litiges concernant cette question sont débattus devant les tribunaux de commerce (voir les examens de jurisprudence 1973, n° 20, p. 356 ; 1967, p. 316, no 21 ; 1962, p. 361, no 5; 1958, p. 61, no 5, ainsi que les études doctrinales citées dans ces examens ; adde : DuMON et MA USSION, << Propos sur la notion d'extension de faillite et sur les mesures analogues en droit belge et en droit comparé>>, J.O.B., 1974, p. 180, et 1976, p. 263 et suiv. ; CoPPENS, Examen de jurisprudence sur les faillites, cette Revue, 1979, p. 300, n° {).' Pour une critique des fondements juridiques traditionnelle­ment attribués à l'extension de la faillite : P. A. FoRIERS, <<Observation sur le contrat de prête-nom et la théorie des extensions de faillites>>, J.T., 1980, p. 117 ; RoNSE, Waarheid en leugen omtrent de onderneming met beperkte aansprakelijk­heid, discours prononcé à l'Académie des arts et belles lettres; RoNSE, << Overzicht van rechtspraak vennootschappen >>, T.P., 1978, p. 661, spéc. n° 128 et suiv. ; VAN GERYEN, Ondernemings-

(1) Première chambre, en cause Vandenbossche c. Hart and Codey.

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recht, t. XIII, p. 173 et suiv. ; DE' WILDE, << Overzicht van recht­spraak. Faillisement >>, T.P.R., 1974, p. 801, nos 8 et 9).

Si dans la plupart des cas il s'agit de l'extension de la faillite à des 'personnes physiques, il arrive aussi que la faillite d'une société soit étendue à d'autres sociétés ·(cf. par exemple : comm. Bruxelles, 20 février ·1975, R.P.S., 1975, p. 98; J.T., 1975, p. 401 et note GLANSDORFF dans une hypothèse où l'extension èst cependant ·refusée mir les éléments de fait invoqués par le· curateur paraissaient insuffisants).

Un arrêt de la Cour d'appel de Gand du 14 mars 1978 (R.P.S., 19'79, p. 269) étend la faillite d'une société à deux autres sociétés en considérant que deux des trois sociétés exerçaient le com­merce par prête-nom à l'intervention de la troisième. On relève les éléments suivants: les sociétés avaient les mêmes associés, les mêmes gérants, le même siège social ; elles utilisaient au moins partiellement la même marque; leurs activités se succédaient dans le temps mi étaient exercées en même temps; le personnel passait de l'une à l'autre; les dettes des unes étaient payées avec les ressources des autres; les parts d'un associé qui se retirait furent payées à l'aide de fonds sociaux de· l'une des sociétés; les assemblées générales· étaient tenues le niême jour, dans les mêmes locaux et pratiquement en même temps; elles faisaient ensemble une publicité commune. Les biens respectifs des diverses sociétés ne pouvaient plus être distingués.

Dans un cas curieux, un jugement du tribunal de commerce de Bruxelles, le 20 janvier 1972 (R.P.S., 1972, p. 249) confirmé sur ce point par un arrêt de la Cour de Bruxelles du 19 décembre 1972 (R.P.S., 1973, p. 34 et la note) refuse d'étendre à une société anonyme la faillite de certains de ses actionnaires et administrateurs, comme le demandait le curateur. Constatant que l'état de faillite des actionnaires ou administrateurs n'impli­quait pas nécessairement J'existence de cet état dans le chef d'une société de capitaux, et se refusant à juste titre à raisonner i(li par analogie. avec les sociétés en nom collectif, le tribunal considère néanmoins que l'hypothèse, pour exceptionnelle qu'elle soit, ne serait pas impossible, à ~ondition que le curateur dé-

(1) Outre les références citées au texte, on consultera la note de M. T'KINT (cette revue, 1981, 49) dont nous n'avons pu prendre connaissance qu'après l'achèvement du présent examen de jurisprudence.

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montre une confusion patrimoniale ou des circonstances quel­conques dont il résulterait que la société anonyme aurait exercé le commerce comme prête-nom à l'intervention des personnes physiques~ Cette preuve n'était pas rapportée en l'espèce.

Toutefois, au cours des dernières années, une très nette réac­tion de la Cour de cassation (voy. infra, n° 32) conduit à restrein­dre considérablement la théorie de l'<< extension de la faillite>> à laquelle les juges du fond avaient si largement recours et l'on peut dire que la jurisprudence de notre cour suprême ne suit pas l'évolution qui a jadis caractérisé la jurisprudence française; on sait que celle-ci a élaboré une théorie spécifique de l'extension de la faillite qui a finalen1ent été légalement consacrée par le décret français du 8 août 1935. (Sur cette évolution : cf. DuMON et MAussiON, étude citée, J.O.B., 1974, p. 180.) Au contraire, si une partie de la jurisprudence des juges du fond s'était nette­ment engagée dans cette direction, la Cour de. cassation n'entend pas lui apporter son approbation en l'absence de toute inter­vention spécifique du législateur. Comme nous le verrons, les arrêts rendus par la Cour de cassation impliquent la condamna­.tion des critères usuellement retenus par les juges du fond pour justifier r extension de la faillite et particulièrement celle. 'du critè:t;e fonda1nental de la <<confusion des patrimoines>>.

Certaines. décisions des juges du fond procèdent de la même tendance, - tel le jugement assurément excessif rendu par le tribunal de commerce d'Anvers le 26 octobre 1972 (J.O.B., 1974, p. 173; R. W., 1973-1974, col. 1488) selon lequel la distinc­tion entre le patrimoine social et celui d'un administrateur ferait toujours obstacle en principe à toute demande d'extension de la faillite sociale à cet administrateur au motif qu'une telle action serait inconnue en Belgique et impliquerait la constatation }Jréalable de l'inexistence de la société. Il est vrai qtle selon le jugement l'action tendait également <<à la confusion des patri­moines >> ce qui paraît difficilement compréhensible (cf. aussi Anvers, 30 novembre 1978, R.P.S., 1979, p. 272; comm. Bruxelles, 29 mars 1977, R.P.S., 1977, p. 143 et note COPPENS).

29. CIRCONSTANCES INVOQUÉES À L'APPUI DE L'EXTENSION DE LA FAILLITE SOCIALE. -Les tribunaux et les curateurs ont parfois marqué une certaine propension à considérer l'extension de la faillite comme une sanction particulière de. fautes graves

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de gestion dont se rendraient coupables les administrateurs ou les gérants spécialement dans les sociétés où ils auraient éga­lement la qualité d'actionnaires. Les commentateurs soulignent cependant, à juste titre, que, dans notre droit, rextension de faillite ne constitue pas une forme particulière de l'action en responsabilité (1). Elle est indépendante de toute idée de faute de gestion - ce qui n'exclut évidemment pas que des faits susceptibles d'être invoqués dans le cours d'une . action en responsabilité puissent aussi être pertinents pour justifier une extension de faillite (en ce sens : DuMON et MAussioN, op. cit., p. 194; Liège, 28 février 1967, R.P.S., 1968, p. 18; Examen, 1973, loc. cit., p. 357 ; CoPPENS, <<La faillite personnelle du maître de l'affaire>>, R.P.S., 1967, p. 205 et 206 et Examen de jurisprudence, cette Revue, 1979, p. 301).

Ainsi est-ce avec raison qu'un intéressant arrêt de la Cour d'ap· pel d'Anvers du 30 novembre 1978 (R.P;S., 1979, p. 272) réforme un jugement au motif que les violations de la loi sur les sociétés, si nombreuses fussent-elles, ne sont pas sanctionnées par l'extension de la faillite, mais par des sanctions spécifiques; l'extension de la faillite doit intervenir comme sanction particulière résultant de la constatation qu'une personne a exercé le commerce sous le mas­que de la société, en sorte· que << les infractions qui ne signifient pas une méconnaissance de l'indépendance de la société et de son patrimoine distinct ne peuvent conduire à la déclaration de faillite du gérant>>. La Cour constate que, même si des négli­gences et du désordre ont pu être relevés en l'espèce, les éléments de fait de la cause ne révélaient pas une confusion de patrimoine, ou la maîtrise de l'affaire exercée par le gérant d'une S.P.R.L.

En réalité, l'extension de la faillite doit sanctionner le com­portement de celui qui exerce le commerce personnellement sans respecter le fonctionnement de l'institution sociale.

C'est donc ce comportement qu'il convient de caractériser soigneusement à la lumière des circonstances de fait de chaque espèce, afin comme l'écrit le professeur Coppens, d'éviter que

(1) L'action en <<comblement de passif>>, (inspirée de celle qu'autorise en France l'article 99 de. la loi du 13 juillet 19tl7, devenu l'article 157 de la loi sur les sociétés) introduite par l'article 63ter des lois coordonnées (loi du 4 août 1978), est soumise à des conditions très différentes de celles que prévoit ·la loi· française. Elles sont de .stricte application pour que l'action puisse être accueillie (cf. RoNsE, «La responsabilité facultative des administrateurs et gérants en cas de faillite avec insuffisance d'actif~>, R.P.S., 1979, p. 292).

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<<l'extension de faillite acquière un caractère regrettable d'auto._ maticité qui saperait les fondements du droit des so_ciétés et détruirait le règle légale de la responsabilité limitée >> ( 1).

Une décision rappelle opportunément que le juge doit faire preuve de circonspection avant d'étendre la faillite : en principe en effet la création d'une société commerciale et la limitation de la responsabilité et donc des risques sont en soi licites (comm. Bruxelles, 29 mars 1977, R.P.S., 1977, p. 143 et note CoPPENS). M. Coppens dans cette note et M. Dumon et Mme Maussion dans l'étude citée (J.C.B., 1974, p. 210) regrettent une fâcheuse tendance de certains tribunaux à une automaticité qui ne repose pas sur une analyse suffisante des circonstances de fait propres à chaque espèce.

La jurisprudence s'attache à vérifier si les administrateurs, les gérants, les actionnaires ont respecté les règles du fonc­tionnement normal d'une société commerciale: ses organes ont-ils effectivement exercé leurs fonctions 1 ; l'autonomie du patri­moine social a-t-elle été respectée ou, au contraire, des dettes étrangères à la société ont-elles été payées par les deniers sociaux, sans comptabilisation adéquate, ou encore des dettes sociales ont-elles été payées sans être comptabilisées comme des avances, par les << maîtres de l' a:f;Iaire >> 1 ; la comptabilité permet-elle d'iso~ 1er le patrimoine social et d'en traduire l'autonomie, ce qui implique qu'elle soit régulièrement tenue sous cet angle 1 des décisions n'ont-elles pas été prises, non par les organes sociaux mais directement par le maître de l'affaire, en dehors de tout<< jeu social >> 1 des opérations sociales ont-elles été conclues par le maître de l'affaire sous son. nom ou l'inverse? les tiers avaient-ils des raisons de croire à une activité personnelle du maître de l'affaire qui se serait présenté comme tel à eux 1 Des correspon­dances, voire des assignations ou des déclarations de créances> témoignent parfois de ces confusions.

Dans cet ordre d'idées, on peut retenir les éléments ci-après relevés par diverses décisions - celles-ci soulignant d'ailleurs

(1) La situation en Belgique et en France est d'ailleurs très différente de celle que l'on rencontre à ce c]Jropos en droit comparé, spécialement en Europe (DUMON et MA us. SION, étude citée). En droit américain s'est développé en revanche un «case law • considérable sur le ~levée du voile de l'incorporation •> qui peut certainement inspirer notre jurisprudence et notre doctrine (sur le dernier état de la doctrine et de la juris­prudence allemandes, voir le remarquable ouvrage de 'VIEDEMAN, Gesellschajt81'echt. t. 1, Grundlagen, 1, III, § 4.1, p. 221 et suiv.).

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que les indices relevés doivent être pris dans leur ensemble et non isolément : (comm. Bruxelles, 12 décembre 1977, R.P~S., 1978,.p. 79; comm. Charleroi, 29 avril1974, R.P.S., 1974, p. 181 :et note P. C.).

- une participation prépondérante ou écrasante dans le capi­tal social ou plus généralement dans la société (comm. Verviers, 8 juillet 1976, confirmé par Liège, 12 avril 1977, R.P!S., 1977, p. 192 et 193, pourvoi rejeté par arrêt du 11 janvier 1979, inédit; ·comm. Bruxelles, 11 février 1975, R.P.S., 1975, p. 36; comm. Charleroi, 29 avril 1974, R.P.S., 1974, p. 181 et note P. C.) €tant entendu que le seul fait d'une participation même très importante au capital social ne suffit pas à justifier l'extension de la faillite si les règles du jeu sont par ailleurs respectées;

- le non-fonctionnement des organes sociaux - élément souvent déterminant (comm. Bruxelles, 12 décembre 1977, .R.P.S., 1977, p. 78; comm. Bruxelles, 29 mars 1977, R.P.S., 1977, p. 143, motifs·; comm. Ostende, 7 décembre 1976, R.P.S., '1977, p. 221 ; comm. Bruxelles, 23 avril 1975, R.P.S., 1975, p. 237; ·comm. Bruxelles, 11 février 1975, R.P.S., 1975, p. 36; comm. Charleroi, 29 avril 1974, R.P.S., 1974, p. 181 et note P.C.; comm.St-Nicolas, 19 mai 1970, R. W., 1972-1973, col. 1252; comm. Anvers, 6 octobre 1978, R.P.S., 1979, p. 321);

- la circonstance que des décisions même très importantes sont prises par le maître de l'affaire au mépris de la compétence ]égale ou statutaire des organes sociaux (comm. Ostende, 7 dé­.cembre 1976, R.P.S., 1977, p. 221 ; comm. Charleroi, 29 avril 1974, R.P.S., 1974, p. 181 et note P. C. ; comm. St-Nicolas, 19 mai 1970; R.W., 1972-1973, col. 1252);

· ~ le fait que des actifs affectés aux activités sociales seràient, sans conventions appropriées au sujet de leur. octroi en jouis­sance, ia propriété du maître de l'affaire qui· ne ferait ·ainsi aucune distinction entre les patrimoines (comm. Dinant, 23 mai 1972, R~P.S., 1972, p. 379; J.L., 1972-1973, p. 69; comm. ·st-Nicolas, 19 mai 1970, R. W., 1972-1973, col. 1252);

- l'utilisation dans les mêmes conditions par le maître de 1' affaire de biens sociaux à des fins personnelles ; l'utilisation sans indemnisation des services du personnel social à des fins privées (comm. Bruxelles, 21 juin 1977, R.P.S., 1978, p. 73, jugement refusant l'extension; comm. Ostende, 7 déceJn.b;re.1976,

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Rl:EV.trln CRITIQUE "DE~ JURISPRUDENCE BELGE 269

R.P:B;; 1977, p;:22l; comm. Bruxelles, Il février 1975, R.P.S., 1975; p.: 36; comm. Charleroi, 29 avrill974, R.P.S., 1974, p. -181, note P. S .. ;· comm. St-Nicolas, 19 mai· 1970, R. W., 197.2~1973,

col.. 1252) ; .

:- la conclusion d'opérations sans intérêt pour la société mais à l'avantage soit du maître de l'affaire, soit d'autres· sociétés du groupe (comm Ostende, 7 décembre 1976, R.P.S., 1977, p. 221 :; Mons, 30 décembre 1975, R.P.S., 1977, p. 261 ; comm. Bruxelles, 23 avril 1975, R.P.S., 1975, p.· 237);

- la conclusion au nom personnel du maître de l'affaire de conven,tions ou. de marchés intéressant l'activité sociale ; l'ins­cription personnelle du maître de l'affaire à la TVA ou à l'ONSS (comm,. Bruxelles, 12 décembre 1977, R.P~S., 1978, p. 78; comm. Bruxelles, 23 avril 1975, .R.P.S., 1975, p. 237 ; comm. Dinant, 23 mai I9?2,.R.P.S., 1972, p. 379 ; J.L., 1972-1973, p~ 69- fac­tures intéressant l'activité sociale adressées au maître de l'affaire sans protestation; comm. Anvers, 6 octobre 1978, R.P.S., 1979, p. 321);

. - ~es :Prélèvements. faits à. titre personnel (dans u~e << caisse noire)) de la société : Mons, 30 décembre 1975, R.P.S., 1977, p. 261; co;mm. Bruxelles,. Il février 19.75, R.P.S., .1~7~,. p. 36; détournements d'actif à des fins personnelles; .. comm. Charleroi, 29 ~vrill974, R.fl.S., p.,l81 (prélèvements couvertsp,ar des·f~c~ tures fictiv;es). En rev_anche, si les !ess.our.ces d'une<< caisse noire )) sont. a:ffe~tées à des fins sociales, comme le p~iement d~ rémuné­rations à d~s membres du personnel, voire, dans.un~ p;roportion raisonna.bl~, à d~s organes sociaux:, on ne. pourrait y voir l'indice d'un.e:expl~itation à titre pers<?nnel,.sans préjudic.enaturelle:ment des autres sanctions qu'un tel comportement d.evrait appeler;

-la représentation de la société par le m~ître de l'affaire au 1népris · des clauses statutaires ou des décisions des organes sociaux sur la. représentation de la société envers les tiers (Mons; 30 décembre 1975,. R.P.S., 1977,_ p. 261 ; comm. Bruxelles, 23 avril 1975, R.P.S., 1975, p. 237; comm. Charleroi, 29 _avril 1974, R.P.S., 1974, p. l81, note P. 0.);

- parfois, en conjonction avec d'autres éléments, les pouvoirs exorbitants accordés statutairement ou par décision. du conseil au << maître de l'affaire )), à moins que cette attribution de pouvoir ne- soit licite, .comme cela peut être le cas en matière de

Revue Critique 1981, 2 - 18

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S;P.R.L.;·en pareil cas, elle n'est pas-incompatible avec le respect des règles du jeu social (voy. n° suiv. ; cf. Liège, 12 avril 1977, confirmant Verviers, 8 juillet 1976, cité; Mons, 30 décembre 1975, R.P.S., 1977, p. 261: le maître de l'affaire gérait la S.P.R.L. sans être son organe légal; comme Bruxelles, 23 avril1975, R.P.S., 1975, p. 237; comm. Charleroi, 29 avril 1974, R.P.S., 1974, p. 181, note P. C.);

- la. circonstànce que la comptabilité a été tenue d'une ma­nière profondément irrégulière en sorte qu'elle ne pouvait traduire l'autonomie comptable de l'entreprise et ne permettait pas de s'assurer de la destination des fonds· sociaux; des irrégularités limitées dans la comptabilité seraient cependant à notre avis insuffisantes dès lors qu'elles n'auraient p~s cette portée (comm. Bruxelles, 21 juin 1977, R.P.S., 1978, p. 73, qui relève que quel­ques irrégularités sont insuffisantes ; comm. Bruxelles, 20 février 1975, J.T., 1975, p; 401 et note G:tANSDORFF qui fait la même remarque;· comm. Bruxelles, 12 décembre 1977, R.P.S:, 1978, p. 78; comin. Bruxelles, 29 mars 1977, R.P.S.; 1977, p. 143 et note CoPPENS, motifs; comm. Bruxelles, 23 avril1975, R.P.S., 1975, p. 237 : comptes concernant- indifféremment le maître de l'affaire et diverses sociétés; comm. An~e~s, 28 novembre 1974, R.P.S., 1975, p. 95; comm. Bruxelles, li février 1975, R.P.S., 1975, p. 36 :peu importe que le désordre soit imputable à une firme d'experts comptables selon ce jugement; comm. Charleroi, 29 avril 1974, R.P.S., 1974, p. 181 et note P. C.) ;

- l'utilisation de deniers personnels pour payer des dettes sociales ou inversé!llent l'utilisation de fonds sociaux pour faire face à des dépenses personnelles du maître de l'affaire (cet élément de confusion des patrimoines est souvent considéré comme éssentiel); les comptes sont ouverts au nom du maître de l'affaire pour des affaires sociales (comm. Bruxelles, 12 décem­bre 1977, R.P.S., 1978, p. 78; comm. Bruxelles, 29 mars 1977, R.P.S., 1978, p. 143, motifs; comm. Bruxelles, 23 avril 1975, R.P.S., 1975, ·237; comm. Bruxelles, 11 février 1975, R.P.S., 1975, p. 36; comm. Charleroi, 29 avril1974, R.P.S., 1974, p. 181, note P.C. ; comm. Anvers, 6 octobre ~978, R.P.S., 1979, p. 321, décision très sommairement motivée). Plusieurs décisions insis­tent sur la circonstance que ces ·éléments ne sont à prendre en considération que si ces opérations ne sont pas comptabilisées régulièrement par le débit ou le crédit du compte de l'associé.

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BEV.l;TE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE B~LGE 271

Il est fréquent et non irrégulier en principe, que des administra­teurs, g,érants ou associés soient en compte avec la société, notamment parce que leurs . rémunérations leur sont portées en compte, ce qui explique que des dépenses privées puissent être exposées par la société à condition d'être portées au débit du compte (infra n° 30). Certaines décisions cependant prennent en considération des prélèvements injustifiés, même s'ils sont portés en compte ou sans relever qu'ils ne l'ont pas été ; tout paraît être question d'espèce ou d'importance (par ex. : Liège, 12 avril 1977, confirmant comm. Verviers, 8 juillet 1976, R.P.S., 1977, 192 et 193, dont les 1notifs ne nous paraissent pas très convaincants).

- l'encaissement par le maître de l'affaire de fonds sociaux ou l'encaissement sans comptabilisation par la société de sommes revenant au maître de l'affaire (comm. St.-Nicolas, 19 mai 1970, R. W., 1972-1973, col. 1252).

- d'un~ manière générale, la confusion créée à l'égard des tiers entre une activité personnelle et . l'activité de la société (comm .. Bruxelles, 12 décembre 1977, R.P.S., 1978, p. 79; comm. Bruxelles, 29 mars J977, R.P.S., 1977, p. 143, motifs, et note CoPPENS ; comm. Dinant, 23 mai 1972, R.P.S., 1972, p. 379; J.L., 1972-1973, p. 69; comm. St.-Nicolas, 19 mai 1970, R. W., 1972-1973, col. 1252). ·

- la poursuite d'une activité sous le couvert d'une société ayant cessé d'exister par suite de la réunion de toutes les parts entre les mains d'une seule personne (comm. Bruxelles, 12 décem­bre 1977, R.P.S., 1978, P~ 79).

Les tribunaux sont souvent sensibles. à la circonstance qu'un commerçant apporte son entreprise à une société qu'il constitue, de manière à se libérer personnellement des charges résultant de cette entreprise, mais alors que l'apport en société ne modifie pas les conditions de la gestion et la mainmise du commerçant sur l'ensemble de l'affaire (cf. par ex. : Verviers, 8 juillet 1976, confirmé par Liège, 12 avril1977, où cet élément paraît avoir déterminé la conviction des juges; comm, Ostende, 7 décembre 1976, R.P.S., 1977, p. 221 ; Mons, 30 décembre 1975, R.P.S., 1977, p. 261).

30. SUITE. - CIRCONSTANCES JUGÉES INSUFFISANTES. - Par­mi les circonstances jugées Ï1Jsujfisantes pour justifier l'extension de la faillite, on pourra relever :

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~ les paiements de dettes personnelles ou les a-vances à la. société à l'aide de fonds personnels- si ces opérations sont régu­lièrement comptabilisées (comm. Bruxelles, 20 juin 1977, R.P.S., 1978, p. 73; comm. Bruxelles, 29 mars 1977, R.P.S., 1977, p. 143, motifs, plus note CoPPENS);

- des irrégularités fragmentaires dans les comptabilités (comm. Bruxelles, 20 juin 1977, R.P.S., 1978, p. 73; comm.. Bruxelles, 20 février 1975, J.T., 1975, p. 401 et note F. GLANS­DORFF; R.P.S., 1975, p. 98; Anvers, 30 novembre 1978, R.PB., 1979, p. 272) ;

- le fait de donner des cautions ou des garanties personnelles pour les dettes sociales, suivant une pratique fréquente· dans les sociétés de famille, les S.P.R.L. et les sociétés présentant une surface financière insuffisante (comm. Bruxelles, 29 mars 1977, R.P.S., 1977, p. 143; cf. cependant : Liège, 12 avril 1977; confirmant Verviers, 8 juillet 1976, cités, qui nous paraissent peu convaincants) ;

·-:- une participation même prépondérante dans le capital social si par ailleurs les conditions de fonctionnement normal de la société sont respectées (comp. avec les pays qui acceptent les ·sociétés d'une personne, sous la même con~tiori) (conim. Bruxelles, 29 mars 1977, R.P.S., 1977, p. 143);

- des fautes de gestion, voire des fraudes ou des infractions ~nales dès lors. qu'elles ne témoignent pas de l'exercice personnel d'une activité sous le couvert de celle de la société (supra, n° 29}:.__ (comm. ~ruxelles, ~Q février 1975, J.T., p. 401 et note.F. GLANS­DORFF ;,R.P .. S., 1975, p. 98; Anvers, 30 novembre 1978, R.P.S., 1979, p. 272) ;

- l'e"JÇ:ercice même de pouvoirs prépondérants, s'ils ne sont pas contraires à la :loi et aux statuts, ce qui paraî~.particulière­:p;tent important dans les S.P.R.L. où rien :q.'interdit d'accorder des pouvoirs considérables. à un gérant (cf. comm. Bruxelles, 29 mars 1977, R.J>.S,, 1977, p. 143 et la note CoPPENS)-:- (comp. cependant :.Liège, 12 ::tvril 1977, confirmant Verviers, 8 juillet 1976, cités, qui nous paraissent, justement critiqués. aussi par RoNsE, << Overzicht >>, T.P.R., 1978, p. 787, n° 136. Le pourvoi contre ces décisions a néanmoins été rejeté par un arrêt de la Cour de cassation du 11 janvier 1979, inédit);

- la circonstance que la société aurait poursuivi une activité

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étrangère à son objet social ·(comm.: Bruxelles, 24: juin 1977, J.T., 1977, p. 660, ··R.P.S., 1978, ·p. 83 et note HISLAIRE; déjà commenté ci-dessus, n° 8).

31. JUSTIFICATIONS DONNÉES TRADITIONNELLEMENT À L'EX­-TENSION DE LA FAILLITE SOCIALE. ___.:_ Selon l'opinion suivie par la jurisprudence et par une partie de la doctrine, l'on pouvait justifier de deux manières l'extension de la faillite d'une société au << maître de l'affaire >> : tantôt l'on ·considérait que la société était en réalité un prête-nom pour le maître de l'affaire, lequel devait être considéré comme le commerçant réel ; tantôt l'on se fondait sur le caractère fictif de la société dont la personnalité morale s'effaçait pour ne laisser subsister que le <<maître de l'affaire>>. Certaines décisions invoquaient [tout] à la fois les deux justifications, non sans quelque contradiction (sur ce double fondement : Examen, 1973, loc. cit., et les réf. ; CoPPENS et T' KINT, Examen de jurisprudence, cité; DuMON et MAussroN, étude citée, p. 193 et suiv.).

Depuis la loi du 6 mars 1973, le caractère fictif de la société faillie paraît ne plus pouvoir constituer une base juridique ·solide pour appuyer les solutions que consacre la jurisprudence. En effet, comme ·indiqué ci-dessus (supra, n° 5), l'absence d'affectio societatis ne constitue certainement plus une cause de nullité d'une société commerciale puisque ces causes de nullité ont été énumérées de manière limitative par l'article 13bis des lois coor­données, conforrnément à la directive du 9 n1ars 1968, du moins pour les sociétés anonymes et les sociétés de personnes à respon­sabilité limitée. Sans doute, le caractère fictif de toutes les souscriptions, lorsque tous les fondateurs agissent en réalité comme personnes interposées pour compte d'un fondateur réel unique, pourrait-il se traduire par la nullité de la société, qui, en ce cas, ne compterait qu'un seul souscripteur (supra, n° 5). Encore la nullité de la société ne sortirait-elle ses effets que pour l'avenir, sans disparition de la personnalité morale puisque cette nullité sera traitée comme une dissolution suivie de liqui­dation (supra, n° 5, et les réf.). Le concept de société fictive permettait de faire ünmédiatement abstraction de la personnalité morale distincte de la société et de son patrimoine autonome pour conclure à l'existence d'une seule activité commerciale, exercée par le <<maître de l'affaire>> àvec confusion de masses

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activement et passivmnent. Ces conséquences se heurteraient dorénavant à la loi du 6 mars 1973 et aux articles 13ter à 13quin­quies des lois coordonnées (en ce sens : CoPPENS, Examen, p. 303; RONSE, Vennootschapsrecht, n° 203 et Waarheid ... , cité, p. 14). On ne peut qu'approuver dès lors le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bruxelles le 11 février 197 5 (R.P.S., 1975, p. 36) qui écarte de la notion de société fictive et surtout indique la faible valeur explicative qui s'àttache à l' affectio societatis pour déterminer dans quelle mesure il.y aurait lieu ou non d'étendre la faillite au maître de l'affaire.

En revanche, le tribunal· de commerce d'Anvers, dans un jugement du 28 novembre 1974 (R.P.S., 1975, p. 95), se fonde toujours sur la notion de société fictive pour justifier l'extension de faillite et considère que la nullité d'une société pourrait encore être prononcée même sous l'empire de la loi ·du 6 mars 1973 si <<elle prend appui sur un 1notif d'ordre public>>; ce motif serait en l'espèce l'absence d'affectio societatis. Le tribunal prononce d'office la nullité de trois sociétés et étend leurs faillites à une personne physique considérée comme étant le· maître de l'affaire. Cette solution ne saurait être admise et le << motif d'ordre public>> résultant de l'absence d'affectio societatis procède d'une méconnaissance évidente de la directive européenne et de sa traduction dans le droit positif belge.

La Cour de cassation dans ses arrêts des 26 mai 1978 (Pas., I, 1108) et 26 octobre 1979 (Pas., 1980, I, 272), décide judicieu­sement qu'il n'est nullement nécessaire de constater le caractère fictif d'une société pour étendre sa faillite au<< maître de l'affaire>> et qu'il est possible de justifier cette soluton en constatant que ce dernier a utilisé la société comme prête-nom (cf. dans le même sens : Mons, 30 décembre 1975, Pas., 1976, II, 183; R.P.S., 1977, p. 261).

La théorie du prête-nom, souvent invoquée par la jurisprudence, ne paraît cependant pas davantage à l'abri de la critique. Le prête-nom est en effet une convention en vertu de laquelle une personne accomplit des actes juridiques en son nom mais pour le compte d'une autre personne, sans faire connaître sa qualité, ni dévoiler. l'identité, ou même l'existence du bénéficiaire de l'opération. C'est un mandat occulte (DE PAGE, t. V, n°8 477 et. suiv.)

L'existence d'une telle convention entre le maître de l'affaire

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et la société qui, par hypothèse, n'est qu:un instrument entre ses mains est difficilement . concevable : la société ne fait que subir la volonté de celui qui la manipule, sans qu'il existe à cette fin un mandat occulte, même tacite,. convenu entre le maître et son instrument.

En outre, parmi les éléments de fait fréquemment retenus par la jurisprudence figure la circonstance que le maître de l'affaire est apparu envers les tiers comme dominant la société, ou qu'il a ostensiblement entretenu une confusion entre son patrimoine et celui de la société ou entre des interventions personnelles et des opérations conclues pour compte de la société. Que reste-t-il dans ces conditions du caractère nécessairement occulte de la prétendue convention de prête-nom 1 Même si nous ne partageons pas le sentiment de l'auteur concernant les condi­tions de la simulation, nous pensons que les critiques dirigées par M. P. A. Foriers contre la justification de l'extension de la faillite par la théorie du prête-nom sont justifiées (<< Obser.­vations .sur le contrat. de prête-nom et la théorie des extensions de faillites.>>, J.T., 1980, p. 417 et suiv.).

Une troisième explication se fonde sur l'abus de la personnalité morale. (Cf. sur cette explication :V AN RYN et VAN ÜMMESLAGHE, Examen, 1973, n° 20, p. 356 et suiv. ; CoPPENS, Examen de jurisprudence cité sur les faillites, cette Revue, 1979, p. 300, n° 6; FoRIERS, étude citée au J.T., 1980, p. 424; Mons, 8 mars 1976, Pas., 1977, II, 31; R.P.S., 1978, p. 222; comm. Charleroi, 29 avril1974, R.P.S., 1974, p. 181 ; comm. Bruxelles, 12 décem­bre 1977, R.P.S., 1978, p. 78, qui cite d'autres décisions qui se fondent sur la mêine idée, rendues par le même tribunal ; comm. Bruxelles, 19 rnars 1980, R.P.S., 1980, p. 204; comm. Ostende, 7 décembre 1976, R.P.S., 1977, p. 221.)

On considère que le maître de l'affaire, lorsqu'il se comporte dans des conditions telles qu'il exerce en réalité lui-même l'activité de l'entreprise sociale, commet un abus de droit en se prévalant néanmoins de la limitation de sa responsabilité personnelle pour les obligations de la société. C'est ce que l'on appelle parfois, d'une manière peut-être un peu approximative, un <<abus de la personnalité morale>>. L'abus n'est pas le fait de la société elle-même, qui conserve le bénéfice de la personna­lité juridique, mais celui de l'actionnaire prépondérant qui peut être privé,. à titre de sanction, du droit d'invoquer cette institu-

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·tion en· sa·faveur.· Très pro.che est .l'interprétation de· l'extension .de faillite par la,<< rechtsverwerking >> {cf. RoNSE,. Waarheid. en -leugen ""' .cité, p .. ' 15; VAN .ÛMMESLAGHE, << Re.chtsverwerking en afstand·van recht>>, T.P.R;, 1980,-·p. 735, spécialement. n° 24 et les réf.). Selon cette dernière doctrine, une personne :qui ne .respecte :pas elle"'" même une règle ·de droit -ou une. instit'P-tion peut être privée de la faculté d'invoquer cette règle _ou cette institution en sa faveur.

32. ASSIMILATION DES MAÎTRES DE L'AFFAIRE AUX -ASSOCIÉS D'UNE· SOCIÉTE EN NOM COLLÈCTIF. - REJET DE CETTE ASSIMI­LATION -PAR LA CouR DE CASSATION. -La jurisprudence consi­dérant que le -comportement du maître de 1' affaire, lorsqu'il

-révèle l'exercice d 1une activité commerciale personnellè sous le . couvert de la société, doit entraîner ipso facto, en cas de faillite de la société, celle du maitre de l'affaire lui-même, nous· ·avions cru pouvoir établir un parallèle entre cette situation ·et celle des associés d'une société ~n nom- ·collectif lorsque celle-ci· est déclarée en faillite. En effet comme l'a décidé la Cour de cassation ·par son arrêt du 15 décembre 1938 (Pas., I, 383), ces associés <<font -le commerce sous la raison sociale>>.

Il nous était apparu dès lors que l'on pouvait considérer que dans les deux cas la qu~lité de commerçant de la_ personne physique dérive de la nature- des activités de la société en sorte .que la faillite demeurerait possible même si cette personne physique avait en fait cessé toute activité, dès lors que la société subsiste; ainsi la déclaration de_ faillite par exte:p.sion serait toujours possible même si plus de six mois s'étaient écoulés depuis la faillite de la société ainsi que cela se pratiquepour les sociétés en nmn collectif ( cass., 15 décembre 1938, Pas., I, 383; J.O.'B., 1939, p. 153 et note PIRET); 2° qu'il n'y avait pas lieu­pas plus que pour les associés en nom collectif - de rechercher concrètement sile maître de l'affaire se trouvait personnellement en état de cessation des paiements et d'ébranlement du crédit au motif que, davantage encore que dans les sociétés en nom collectif, la personnalité de la société en cas d'extension de la faillite <<se confqnd avec celle>> du maître de l'affaire pour reprendrel'expression utilisée en 1938 par la Cour de cassation. . . . ' ., . ' : ;

·· · . La_ ·thèse que nous défendions a ·été consacrée par un arrêt

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''REVUE: CRITIQUE-·:DE' 'JURISPRUDENCE .. BEEGE ~;277

solidement motivé de la :Cour d'appel de Mons du 8 mars 1976 (R.P.S., 1978, p. 222, Pas., '1977, II, 31) qui, après avoir rappelé ~le double-fondement assigné ·traditionnellerhent à l'extension de :.la faillite dans notre droit, prend appui sur la jurisprudence .. de la Cour de cassation en matière de ·.sociétés ·en nom collectif pour considérer que les raisons pour lesquelles, ·en ce domaine, la Cour de cassation s'était écartée des règles habituellement suivies pour les commerçants personnes physiques, devaient s'appliquer a fortiori en cas d'extension de faillite. Il consacre les solutions que . nous proposions tant à propos du délai· de . six ·mois que de la constatation de l'état de cessation des paiements de la per­·sonne ·physique.

La même idée.se retrouve dans un jugement du tribunal de ·commerce de Bruxelles, lorsqu'il·énonce que<< l'état de cessation des paiements résulte de la faillite de la société qui n'est que le support de l'activité personnelle du gérant>> '(11 février 1975,. R.P.S., 1975,. p. 36 et dans un jugement du tribunal de com­.merce de Charleroi du 29 avril 1974, R.P.S., 1974, p. 181 et note P:C., qui se réfère à l'arrêt de la Cour de cassation de 1938; ·- cf. aussi dans le même sens : DuMoN et MAUSSION, étude citée, J.O.B., 1974, p. 196 et 206 et spécialement note 80. -Contra : RoNSE, << Overzicht >>, 1978, p. 784, no 140; HoRSMANS et T'KINT, <<Chronique de jurisprudence sur les sociétés>>, J.T., 1977, p. 426, no 8).

Ces solutions ont été condamnées par la Cour de cassation qui se refuse à traiter l'extension de la faillite comme une institution spécifique. Il faut, selon la Cour, appliquer les règles de la loi sur les faillites strictement en l'absence de toute dispo­sition législative analogue à celles que connaît ·le droit français. La Cour a ainsi affirmé par ses arrêts des 26 mai 1978 (Pas., I, 1108), 1er juin 1979 (Pas., I, 1129) et 26 octobre 1979 (Pas., 1980, I, 272) l'autonomie complète de la faillite du maître de l'affaire par rapport à celle de la société.

L'arrêt du 1er juin 1979 (J.T., p. 727 ; Pas., I, 1129 et impor­tante note F.D.; cette Revue 1981, 49, note T'KINT) casse un arrêt de la Cour d'appel d'Anvers au motif que la décision décla­rant la faillite ne constatait pas la qualité de commerçant le jour de la déclaration de la faillite ou dans les six mois précé­dents ni que le maître de l'affaire <<avait en cette qualité cessé ses paiements et que son crédit était ébranlé>>, alors que la personne

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déclarée en faillite contestait ces circonstances dans ses conclu­sions. La note<< F.D. >> sous cet arrêt critique avec force la ten­dance des juges de fond à déclarer u-q.e. faillite <<par extension>> sans s'assurer que les conditions de la faillite sont réunies dans le chef de celui à. qui la faillite de la société est étendue.

Dans l'affaire soumise à la Cour le 26 octobre 1979 (Pas., 1980, I, 272), le dmnandeur en cassation critiquait un arrêt de la Cour d'appel d'Anvers .qui avait refusé de déclarer la faillite du maître de l'affaire au motif que plus de six mois s'étaient écoulés depuis la déclaration de faillite de la société, en sqrte que le maître de l'affaire avait nécessairement cessé toute activité commerciale personnelle depuis plus de six mois ; il faisait valoir que le caractère commercial et l'état de faillite du maître de l'affaire résultait nécessairement de l'activité de ce dernier sous le couvert de la société. L'arrêt rejette le pourvoi en constatant que les articles 437 et 442 du Code de commerce .excluent toute possibilité . de déclarer la faillite du maître de l'affaire dès lors que, par suite de la faillite de la société, il a cessé pendant plus de six mois d'accomplir personnellement des actes de commerce.

C'est donc la condamnation de l'assimilation proposée à la situation de l'associé en nom collectif. Maintenant la doctrine des arrêts ci-dessus, la Cour, dans un arrêt du 12 février 1981 (1) casse un arrêt de la Cour d'appel de Mons au motif que les éléments retenus pour étendre la faillite d'une société à son actionnaire prépondérant n'étaient pas de nature à établir en l'espèce la qualité de commerçant dans le chef de cet actionnaire, qualité que ce dernier contestait. Le même arrêt confirme que la qualité de commerçant ne peut remonter à une date antérieure de plus de six mois à la faillite de la société.

Tenant compte de la position adoptée par la Cour de cassation, les juges du fond ne pourront donc plus étendre la faillite de la société au maître de l'affaire aussi facilen1ent qu'ils l'ont fait jusqu'à présent -·-- ce qui avait parfois donné lieu à certaines décisions contestables. Cette extension se traduisant par une nouvelle déclaration de faillite- celle du maître de l'affaire- il ne suffira plus de relever les éléments (notamment les agissements révélant une confusion des actifs et des dettes) propres à démon­trer que le maître de l'affaire exerçait en réalité lui~mê~el'acti-

nl R.P.S., 1981, 106.

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vité de l'entreprise. Il faudra établir en outre que le maître· de l'affaire avait acquis la qualité de commerçant et qu'il était lui-même en état de cessation des paiements et d'ébranlement du crédit - le tout depuis moins de six mois.

On peut s'interroger sur le bien-fondé du traitement différent réservé à l'associé en nom collectif et au <<maître de l'affaire>> alors que tous deux exercent le commerce à <<travers la so­ciété»- mais la jurisprudence de la Cour est maintenant nette­ment fixée. Les curateurs pourront désormais être tentés d'invo­quer les règles sur les sociétés en nom collectif en soutenant qu'une telle société ~ irrégulière en la forme - s'est constituée entre la société faillie et le << 1naître de l'affaire>> selon les circon­stances - ce qui permettrait alors d'appliquer les règles spéci­fiques aux associés en nom collectif. Cette argumentation fut présentée dans l'espèce tranché par l'arrêt précité de la Colir de Mons de 16 juin 1976 et est développée dans une affaire actuel­lement pendante devant le tribunal de commerce de Bruxelles.

33. CoNSÉQUENCES DE LA JURISPRUDENCE DE LA CouR DE CASSATION.- Les arrêts récents de la Cour de cassation condui­sent non seulement à affirmer l'autonomie complète de la faillite du maître de l'affaire - qui suit ses règles propres selon le droit commun ~ et de la faillite de la société, mais même à· remettre en cause les critères les plus fréquemment retenus pour justifier l'extension de la faillite. Celle-ci semble devoir, à la lumière de cette jurisprudence, redevenir une mesure tout à fait exception­nelle répondant à des circonstances rarement rencontrées tandis que les irrégularités que retient habituellement la jurisprudence doivent être sanctionnées par l'application d'autres règles : responsabilités pénales ou civiles (dont les fondements sont variés), déchéances consécutives à la faillite telles qu'elles ont été étendues par la loi du 4 août 1978. (Voy. dans le sens de cette évolution : Anvers, 30 novembre 1978, R.P.S., 1979, p. 272.)

Par son arrêt précité du 26 mai 1978 (Pas., I, 1108) la Cour amorce une critique du concept de << confusion des patrimoines >>, qui constitue une circonstance essentielle dans les appréciations des juges du fond, lorsqu'elle énonce, pour censurer le report de la date de la cessation des paiements à plus de six mois avant le prononcé de la faillite du maître de l'affaire:<< que la confusion entre .le patrimoine du failli et celui d'une société de personnes

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.·à responsabilité limitée déclarée .en; faillite antérieurem~nt ou

. celui de son épouse déclarée en faillite antérieurement ne peut constituer un motif Jégal permettant de déroger à cette r:ègle d'ordre public>> .

. L'important arrêt du 1er juin 1979 (Pas., I, 1129 et la.substan­,tielle note signée F. D.) impose, comme nous l'indiquions ci­dessus, aux juges du fond la constatation de toutes les conditions de la faillite dans le chef du maître de l'affaire au moment du prononcé de sa faillite, sans pouvoir se contenter d'affirmer que -ces conditions résultent de la situation de la société (supra, n° 32) mais en outre il condamne le critère de la confusion des patri­Inoines pour· établir la qualité de commerçant du maître de l'affaire. Cet arrêt dispose en effet :

·<<Attendu que les éléments invoqués par l'arrêt et repris au moyen, notamment les indices sérieux de ·confusion entre .le patrimoine dela demanderesse et celui de la société de personnes .à responsabilité limitée dont elle était gérante et la disparition des pièces relatives à l'origine du patrimoine de la demanderesse ne constituent pas la constatation que le 19 janvier 1978 ou pendant les six mois qui précédaient cette date la demanderesse était commerçante ni qu'elle avait, en cette qualité .cessé ses. paiements et que son crédit était ébranlé, éléments dont la demanderesse contestait en conclusions l'existence>>.

Cet arrêt doit être rapproché de la note signée F. D. par -laquelle le Procureur général à la Cour de cassation rappelle d'abord que, selon certains droits étrangers, l'extension de la faillite peut être soumise à des conditions spécifiques mais qu'une telle solution n'est pas adn1issible en Belgique en l'absence .de texte de loi et par le seul biais d'une construction purement jurisprudentielle, concluant que : << l'extension de la faillite constituant elle-même une déclaration de faillite, ne pourra être déclarée judiciairement que si le sujet de droit qui en fait l'objet. se trouve dans les conditions légales qui la per1nettent : il doit. ·être commerçant, avoir cessé ses payements et son crédit doit _être ébranlé. Ces conditions essentielles ont souvent été perdues . . de vue par les juges du fond>>.

L'annotateur critique la jurisprudence des juges du fond.,. soulignant que . << l'on a quelquefois tendance à déduire trop· aisément et illégalement de la circonstance qu'un administrateur,. -un gérant, un associé, un actionnaire voire un autre intéressé

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a· -conduit r entreprise comme la sienne propre et qu'il y a lieu de procéder à l'extension de la faillite sans examiner plus avant si la personne qui a ainsi abusé de ses fonctions, de ses pouvoirs de fait ou de son influence a eu une activité commerciale person­nelle, si elle a cessé ses payements et si son crédit est ébranlé ... >>. L'abus des pouvoirs et la domination exercée sur la société, le fait de la gérer comme une entreprise personnelle, ne sont donc plus des critères adéquats pour justifier l'extension de la faillite. contrairement à ce que décident nombre de jugements et d'arrêts (supra, n° 30}.

L'auteur de .la note condamne explicitement le concept de <<confusion des patrimoines>> dans les termes suivants :

<< Quant à la· notion si fréquemment invoquée de cconfusion des patrimoines' sur laquelle se fonde l'arrêt de la cour d'appel au sujet duquel statue l'arrêt annoté, elle est pour le moins vague e1; imprécise et dès lors, n'obéit pas à la rigueur scientifique nécessaire aux décisions des juges devant assurer l'égalité de traitement entre tous les justiciables et la sécurité juridique ... La qualité de commerçant ne saurait non plus· se déduire de la seule circonstance qu'il y aurait eu de telles cconfusions des patrimoines'.

>>Le fait qu'un gérant a détourné des biens appartenant à la société faillie justifie certes des poursuites répressives notam-1nent du· chef de banqueroute mais il ne suffit' pa~ à permettre légalement sa déclaration en état de faillite personnelle >>~'

L'évolution'de la jurisprudence de la Cour se trouve confirmée par l'arrêt ·précité du 12 février 1981 (R.P.S., 1981, 106}. La Cour a vérifié si les éléments de fait retenus par les juges du fond (en l'espèce la Cour de Mons dans un ar:rêt du 16 janvier 1980} suffisaient à justifier l'extension de la faillite d'une société à son administrateur-délégué. Si les ·juges du fond peuvent constater souverainement les éléments de fait dont ils déduisent que les conditions de la faillite étaient réunies dans le chef du maître de l'affaire, il appartient naturellement à la Cour de cassation de yérifier si le juge pouvait légalement prononcer la faillite à la lumière des faits qu'il retient. En l'espèce l'arrêt· de la Cour de Mons a été cassé au motif qu'<< il ne ressort pas des motifs reproduits au moyen ni d'aucun autre motif de l'arrêt que celui-ci a constaté 'le 8 février 1979, date du jugement décla­rant la faillite personnelle du demandeur, administrateur-délégué

-~ -=~

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d~ la société anonyme Alfacel, dont la faillite avait été prononcée 1~ 26 oçtobre 1978 ou à une date qui n'est pas antérieure de plus de six mois. au 8 février 1979 que, le demandeur était com­merçant, qualité qu'il contestait·>>.

Or, les critères retenus par les juges du fond et repris dans le moyen de Qassation auquel les motifs de l'arrêt renvoient, com­prenaient précisément les éléments usuellement retenus par les jug~s du fond à l'appui des extensions de faillite au maître de l'affaire (supra, no 29).

Cet arrêt implique de toute évidence la condamnation de la jurisprudence quis'est développée dans notre pays depuis 1950.

On p~ut. se demander à quelles conditions il sera dorénavant possible . de prononcer la faillite personnelle du « maître. de l'affaire>> et dans quels cas l'on pourra considérer qu'il exerçait personnellement une activité commerciale à travers la société. Si la . qualité . de. commerçant est contestée par le maître de l'affaire, .comme dans l'espèce soumise à la Cour de cassation, il. faut naturellement que le . juge du fond. relève les faits qui permettraient de caractériser une activité commerciale. propre .du failli et cesfaits ne peuvent être ceux que la jurisprudence retient habituellement .

. 34. ABSENCE DE CONFUSION DES MASSES. -.L'impossibilité dans l'état actuel de notre droit (voy. supra, n° 31) de const.ater ou de déclarer le caractère fictif d'une société interdit de faire pureJD.ent et simplement abstraction du fait qu'elle a un patri­moine propre et. di~tinct. Il ne paraît pas légitime,. dès .lors, de confoll.dre en une seule"masse l'actif et le passif tant de la société que du maître. de l'affaire, car il y a nécessairement autant de masses que de personnes juridique en état de faillite .. Mais les créanciers de la société- auront le droit· de produire également au passif de la faillite du m.aître de l'affaire. La constitution d'une masse unique ne pourrait être admise qu'en cas de oonfu~ sion à 1~ fois inextricable et complète des deux .patrimoines (en ce sens : DUMON et MAussioN, op. cit., p. 204; CLOQUET, Faillite et concordats, dans Novelles, 2e éd., n° 1393; CoPPENS, Examen de jurisprudence cité, 1979, p. 300, n° 6 ; comm. Bruxelles, 12 décembre 1977, R.P.S., 1978, p. 78 et les références ·à des décisions inédites de ce tribunal; comm. Charleroi, 29 avril1974, R.P.S., 1974, p. 181 ; Mons, 8. mars 1976, R.P.S., 1978, .p. 222;

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comm. Ostende, 7 décembre 1976, R.P.S., 1977, p. 221, cette décision ne se fondant cependant pas spécialement sur la confu­sion des patrimoines, mais sur le caractère << factice >> de la société, ce qui est devenu insuffisant).

35. FIXATION DE LA PÉRIODE SUSPECTE.- Nous avions égale­ment proposé que le début de la période suspecte dans la faillite du maître de l'affaire, coïncide avec celui de la faillite de la société, à tout le moins lorsqu'une masse unique est formée notamment à la suite d'une telle confusion qu'entre les patri­moines en cause toute distinction est impossible (cf. et comp. sur cette solution: comm. Ostende, Il décembre 1969, Examen, 1973, no 21, p. 367 ; -dans le même sens : CoPPENS, << L'exten­sion de la faillite du maître de l'affaire>>, R.P.S., 1967, p. 199; DuMON et MA ussiON, étude citée, p. 205).

La nécessaire coïncidence de la date de la cessation des paie­ments dans la' faillite ·du maître de· l'affaire et dans ·celle de la. société inspire les décisions suivantes : comm. Bruxelles, 12 dé­cembre 1977, R.P.S., 1978, p. 78 ; comm. Charleroi, 29 avril 1974, R.P.B., 1974, p. 181, et note P. C. Le jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 12 décembre 1977 cite en outre plusieurs décisions inédites qui témoignent de la constance de la jurisprudence du tribunal de commerce de Bruxelles ; Mons, 8 mars 1976, R.P.S., 1978, p. 222 ; comm. Ostende, 7 décembre 1976, R.P.S., 1977, p. 221. · Mais par son arrêt précité du 26 mai 1978 (Pas., I, 1108),

la Cour de cassàtion décide que l'article 442, alinéa 3, du Code ·de commerce empêèhe que l'époque de la cessation des paiements puisse être fixée à plus de six mois avant la déclaration de la faillite. Comme il s'agit d'une règle d'ordre public, il ne peut être dérogé (sauf l'exception visée par l'art. 613 en cas de concordat), même en cas de confusion entre le patrimoine d'une société à responsabilité limitée déclarée en faillite antérieurement et le patrimoine de la personne physique· considérée comme maître de l'affaire. La solution est confirmée par l'arrêt du 12 février 1981, cité supra, n° 32.

35bis. LES S.P.R.L. FICTIVES ET LE FISC.- L'administration des contributions directes persiste dans ses tentatives de taxer certains gérants de sociétas de personnes à responsabilité limitée

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-comme des exploitants personnels, en faisant ainsi abstraction ·de la société-; et des. modes de taxation qu'elle implique (sur cette question.: Examens, 1967, no 29; ·p. 319.; 1973, p. -368; n° 22)~ La Cour de Bruxelles, dans un arrêt du 12 novembre 1974 :(Journ. dr. fisc., 1975, p. 112) s'est refusée à suivre les thèses de l'administration dans une espèce où le gérant n'était pas associé, ·était rémunéré par un traitement fixe et par une commission :sur le chiffre d'affaires et où il disposait des pouvoirs les plus .étendus pour agir au nom de la société dans les limites de l'objet social; il s'agissait d'un gérant statutaire unique désigné- pour ·toute la durée de la société.

La Cour considère qu'il y a lieu de vérifier en fait, selon ·les ·circonstances de l'espèce, si le gérant· se trouve effectivement :subordonné aux associés; l'administration ne pouvait· soutenir ·que la société était à proprement ·parler· fictive. Mais le gérant, non associé, se-trouvait~:_ en l'espèce,· dans un .rapport de dépen­dance à: l'égard de l'assemblée générale et il était soumis à son ·contrôle, en sorte que la thèse· de l'administration ·n'était pas. fondée~

§ 4· . .....:._ Les règles de forme. ~ Les <<sociétés de faît >>; ·

36. LES CADRES. LÉGAUX' OBLIGATOIRES. - LES PRÉTENDUES :sociÉTÉS· DE FAiœ. - La paix judiciaire est maintenant assurée ·en ce qui concerne la nature juridique des prétendues sociétés .de·fait et les conséquences qui s'y attachent, depuis les. deux ·excellents arrêts rendus par la Cour de cassation les 17 mai 1968 (Pas., I, 1074) et 28 juin 1968 (Pas., I, 1235) (cL sur:.ces·arrêts : .Examen. de jurisprudence, 1973, p. 370, n° 23: Voir les conclusions ·du procureur général GANSHOF·VAN DER MEERSCH· in· Pas., I, 1074, Arresten,.·1968, p. 309 et R. W., 1968-1969, col. 299 pour ]a seconde affaire).

La Cour de. cassation a été amenée à ctmfirmer ·sa jurispru­~.)·dence ~ntérieure au sujet des prétendues sociétés de. fait .p~r '\ ·des arrets des·17 mars 1972 (Pas., I, 665 et les notes) et 17 JUin

· \) 1976 (Pas., I, 1124 et la note; R.P.S., 1976, p. 89, qui publie .aussi les deux arrêts contre lesquels un pourvoi avait été introduit, rendus par la Cour d'appel de Liège les 22 janvier 1975 et 24 juin 1975 erronément:indiqué comme étant de 1976, _p. 192 et 199, tous deux rendus sur conclusions de M. l'avocat

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général CHARLIER reproduites, loc. cit., in .. R~P.S.). L'arrêt de 1976 formule en des termes identiques à ceux.des arrêts de 1968~ les conditions dans lesquelles naît une société en nom. collectif irrégulière en la forme entre des personnes qui poursuivent ensemble une activité commerciale ; il suffit que les conditions prévues par l'article 15 des lois coordonnées soient réunies, jointes aux conditions requises pour tout contrat de société. La Cour confirme qu'une telle société constitue nécessairement une indivi­dualité juridique distincte de celle de ses associés. La Cour de Liège, dans les arrêts soumis à la censure de la Cour de cassation, avait parfaitement appliqué ces principes.

La fermeté de .la jurisprudence n'a pas suffi à rendre les commerçants plus prudents dans leur comportement ni plus attentifs aux conditions dans lesquelles peut se constituer entre eux une société commerciale irrégulière à défaut d'acte écrit (violation de l'article 4 des lois coordonnées) et de publication (violation des articles 10 à 12 des lois coordonnées). Plusieurs décisions rendues pendant la période examinée ont dû rappeler à nouveau que des personnes qui exercent ensemble une activité qualifiée commerciale par la loi pour en partager les bénéfices (ou les pertes) et se présentent comme telles envers les tiers, notamment en utilisant une raison sociale, constituent par là n;1ême une société en nom collectif irrégulière, conformément à la définition de ce type de société que donne l'article 15 des lois coordonnées (sur ce raisonnement: Examen de jurisprudence, 1973, n° 23, cité, et les réf. p. 370 et suiv.), voyez notamment : Charleroi, 25 février 1972, R.P.S., 1972, p. 311 et note P. O.; civ. Liège, 1er décembre 1971, ibid., 1972, p. 325; J.L., 1971-1972, p. 147, jugement solidement motivé qui se réfère à la jurispru­dence de la Cour de cassation, dans une espèce où les associés n'utilisaient pas une raison sociale expresse; comm. Bruxelles, 28 septembre 1970, ibid., 1972, p. 323, qui souligne que la diffi­culté de mettre en œuvre les droits de la société est la sanction de son caractère irrégulier; comm. Bruxelles, 28 novembre 1969, ibid., 1972, p. 321 dans une espèce où l'entreprise commune était exploitée par deux époux entre lesquels le tribunal a considéré que s'était formée une société en nom collectif irrégu­lière, alors que les défendeurs soutenaient que seule la défende:.. resse exerçait une activité commerciale; à la lumière des circons­tances de fait retenues par le tribunal les deux époux apparais-

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saient envers les tiers comme exerçant cette activité; Bruxelles, ~0 juin 1972 (J.T., 1972, p. 749; R.P.S., 1973, p. 30; R. W., 1972-1973, 1170) dans une espèce où la société en nom collectif et ses associés étaient défendeurs; Liège, 18 juin 1973, R.P.S., 1974, p. 147 et note J. M. NÉLISSEN, J.T., 1974, p. 214; Liège, 9 octobre 1973, J.L., 1973-1974, p. 49; R.P.S., 1973, p. 291, obs.; comm. Bruges [sect. Ostende], 12 mai 1977, R. W., 1978-1979, col. 507, obs. VAN BuRYSTEGEM; Bruxelles, 29 janvier 1971, Pas., 1971, II, 146 ; civ. Bruxelles, 12 janvier 1971, Entr. & Dr., 1972, p. 87, obs. LIMPENS; Bruxelles, 4 avril 1974, R.P.S., 1975, p. 144 et note NÉLISSEN; Bruxelles, 5 octobre 1975, J.T., 1976, p. 135 et les réf., rédigé en termes excellents; Mons, 16 juin 1976, Pas., 1977, II, 107 et les notes détaillées; comm. Verviers, 28 février 1977, J.O.B., 1978, p. 39.

Une seule note discordante apparaît dans un jugement du tribunal de commerce de Namur du 20 décembre 1974 qui, ignorant complètement la jurisprudence de la Cour de cassation, relève une série d'éléments de fait, y compris l'utilisation d'une raison sociale, pour en déduire que deux commerçants sont des ·<< associés de fait >> et refuser de les considérer comme des associés en nom collectif (R.P.S., 1975, p. 143).

Le législateur fiscal a fort malencontreusement dérogé au droit des sociétés pour ce qui concerne la perception de l'impôt sur les revenus, en assimilant, par une fiction, les sociétés com­merciales irrégulièrement constituées aux sociétés dénuées de la personnalité morale (article 25, alinéa 2, C.I.R., modifié par la loi du 12 juillet 1979). Toutefois, pour l'application d'autres dispositions fiscales et notamment du régime de la T.V.A., c'est le droit commun qui s'applique (Manuel de laT. V.A., n° 107, c.).

" 37. SuiTE. - CoNDITIONS REQUISES POUR QUE NAISSE UNE sociÉTÉ IDRÉGULIÈRE.- Une discussion surgit parfois, quoique en définitive assez rarement, sur les conditions requises pour qu'il existe entre les parties une société - soit que ceux que l'on prétend qualifier d'associés soutiennent qu'il existe entre eux ~es liens d'une autre nature· (par. ex. : Liège, 22 janvier et 24 juin 1975 cités ou ·comm. Bruxelles, 28 novembre 1969, cité), soit encore qu'ils contestent l'existence de l'une ou de plusieurs des conditions caractéristiques de la société (cf. Examen, 1973,

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n° 23, p. 370 et n° 24, p. 373 à propos de la poursuite de l'entre­prise d'un commerçant décédé par les héritiers de celui-ci).

1î/ L'arrêt de la Cour de cassation du 17 1nai 1973 (Pas., I, 866 et les notes), rappelle que l'application de la théorie consacrée par les arrêts de 1968, suppose non seulement une exploitation en commun, mais encore que soient remplies les conditions propres à tout contrat de société, dont notamment l' affectio societatis et le fait d'agir sous une raison sociale (laquelle peut, comme nous le rappelons ci-dessus, être tacite). Le procureur général Ganshof van der :Meersch, le rappelait aussi dans ses conclusions avant l'arrêt du 28 juin 1968 cité supra. En l'espèce, le demandeur en cassation avait négligé de faire valoir devant le directeur des contributions, les éléments de fait dont aurait pu se déduire l'existence d'une affectio societatis et l'exercice d'une activité sous une raison sociale, en sorte qu'il ne pouvait se plaindre de ce que l'administration n'ait pas retenu l'existence entre lui-même et un tiers d'une société en nom collectif irrégu­lière à laquelle aurait dû s'appliquer le régime de taxation des sociétés de personnes. Cette espèce est antérieure à la modifica­tion de l'article 25, alinéa 2, C.I.R. par la loi du 12 juillet 1979 dont question ci-dessus.

L'arrêt précité de la Cour d'appel de Mons du 16 juin 1976 (Pas., 1977, II, 107), après avoir exposé de manière très précise et parfaitement correcte les règles régissant les prétendues sociétés de fait, déduit des circonstances de l'espèce que les personnes en cause s'étaient << comportées comme des associées ayant l'intention ou la volonté de travailler ensemble sur un pied d'égalité pour .faire pi·oduire des bénéfices à l'entreprise, mais aussi de partager les risques de celle-ci>>.

On peut aussi consulter les autres décisions citées au numéro précédent où les circonstances de fait des espèces sou1nises aux tribunaux sont analysées.

38. CoNSÉQUENCES DE L'EXISTENCE D'UNE SOCIETE EN NOM

COLLECTIF IRRÉGULIÈRE. -Comme le rappellent les arrêts pré-· cités de la Cour de cassation du 17 mars 1972 et du 17 juin 1976, la société en nom collectif irrégulière constitue, comme la société en nom collectif régulièrement constituée, une individualité juri­dique distincte de celle de ses associés.

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a) Il en résulte que cette société peut être déclarée en faillite comme telle. C'est la conclusion que la Cour de Liège déduisait dans l'affaire tranchée par l'arrêt du 17 juin 1976, de la constata­tion suivant laquelle une telle société existait en l'espèce et la Cour de cassation l'approuve. La faillite doit être déclarée dès lors que les conditions légales de celle-ci sont réunies. (même arrêt; cass., 10 mars 1955, Pas., I, 766). Il en résulte aussi que la faillite personnelle des commerçants associés au. sein de la société irrégulière doit être prononcée : c'est le droit commun de la société en nom collectif (mêmes décisions) ( cass., 15 décem­bre 1938, Pas., I, 383}. Toujours par application du droit commun de la société en nom collectif, les faillites personnelles des associés peuvent être prononcées même si plus de six mois se sont écoulés depuis la faillite de la société et donc de la cessation de leur activité sociale (cass., 17 juin 1976, cité, appliquant la solution consacrée par l'arrêt de la Cour de cassation précité du 15 décem­bre 1938; Pas., I, .383 et J.O.B., 1939, p. 153 et note PmET). Il n'y a pas lieu, pour déclarer la faillite d'un associé en nom collectif de vérifier s'il a accompli personnellement des actes de commerce pendant les six mois précédant la déclaration de faillite (cf. Examen de jurisprudence, 1973, p. 365, n° 21 et les réf.) La faillite de la société entraîne, selon la Cour, celle des associés en nom. Il en résulte une différence fondamentale entre la situation des commerçants entre lesquels existe une société en nom collectif irrégulière et ceux dont la faillite personnelle serait prononcée en leur qualité de << maîtres de l'affaire >> exerçant leur commerce par prête-nom ou à la faveur d'un abus de la personnalité morale suivant la jurisprudence adoptée sur ce dernier point par la Cour de cassation, par des motifs qui ne nous convainquent pas (supra, n° 32).

b) L'individualité juridique distincte implique aussi que des créanciers de la société irrégulière puissent demander sa condam­nation et ensuite celle de ses associés solidairement avec elle. En­core faut-il, suivant l'article 189 des lois coordonnées, commencer par demander la condamnation de la société et ensuite seulement celle des associés. Les diverses condamnations peuvent cependant être sollicitées par un même exploit et être prononcées par un même jugement (solution constante: VAN RYN, Principes, Jre éd., t. I, n° 409). Certaines décisions acceptent cependant - illé-

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gaiement selon nous - que le demandeur sollicite immédiate­ment et de plana la condamnation des associés en nom sans demander expressément celle de la société (comm. Bruxelles, 28 novembre 1969, R.P.S., 1972, p. 321 ; trib. trav. Gand, 20 novembre 1971, J.T.T., 1972, p. 171).

Un arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles du 5 octobre 1975 (J.T., 1976, p. 135), relatif à des faits antérieurs à la loi du 6 mars 1973, déduit les conséquences logiques qui s'attachent à la reconnaissance de la personnalité morale de la société en nom collectif irrégulière et à la situation juridique de ses associés, après avoir excellemment rappelé les principes qui justifient cette reconnaissance. Les associés d'une société irrégulière avaient cédé la créance qu'ils avaient contre des tiers à une S.P.R.L. qu'ils avaient constituée, et cette S.P.R.L. avait repris l'instance initialement introduite par les <<associés de fait>> contre ces tiers. Ces derniers avaiE~nt négligé d'invoquer les différents moyens de défense qu'ils eussent pu opposer à l'action introduite contre eux, mais ils avaient introduit une action reconvention­nelle contre les<< associés de fait>>. Ceux-ci, décide la Cour. d'appel en réformant -le jugement a quo, demeurent tenus des obligations contractées par la société irrégulière, solidairement avec elle, en vertu du droit commun de la société en nom collectif, non­obstant la cession de la créance à la S.P.R.L.

c) Troisième conséquence : les associés en nom, exploitants du fonds de commerce, ne peuvent solliciter à leur profit une condamnation des débiteurs de la société. Ceux-ci continuent à faire valoir avec succès qu'ils n'ont pas traité avec les exploi­tants personnellement, mais bien avec la société comme telle. Il n'y a pas de lien de droit avec les associés et suivant la juris­prudence la plüs récente, il s'agit d'une exception au fond et non d'une fin de non-recevoir- ce qui nous paraît exact (voy. eu ce sens: civ. Liège, }er décembre 1971, R.P.S., 1972, p. 325 ~

comm. Bruxelles, 28 septembre 1970, ibid., 1972, p. 323 et les réf. très complètes; Liège, 18 juin 1973, R.P.S., 1974, p. 147 ; civ. Bruxelles, 12 janvier 1971, Entr. & Dr., 1972, p. 87, obs. A. LIM:PENS ; comm. Verviers, 28 février 1977, J.O.B., 1978, I, 39 ---' cf. P. VAN ÜMMESLAGHE, note ·sous Bruxelles, 26 mai 1961, R.P.S., 1963, p. 103, pour plus de détails sur cette question;

Revue Critique 1981, 2 - 19•

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290 ItEVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE' BELGE

Examens,. 1973, no 25, p.· 375 ; 1967, p. 321, n° 31 ; 1962, p. 387, no 25).

Si, d'autre part, la société irrégulière terite elle-même de m.ettre en œuvre les droits qui lui appartienne~t, elle se heurte à une fin de non-recevoir déduite de l'article Il des lois coordonnées : à. défaut de publication, l'action est irrecevable. La tentative de certains associés d'une société irrégulière de soutenir que cette disposition serait inapplicable au motif que les créances de la société seraient<< les créances des associés agissant conjointement en cette qualité>>, en sorte que les associés pourraient les mettre personnellement en œuvre, a été rejetée par la Cour de cassation dans l'arrêt précité du 17 mars 1972, car elle méconnaissait la personnalité juridique distincte de la société. L'action intentée individuellement par les associés avait en l'espèce été rejetée par la Cour d'appel en raison de l'absence de lien de droit avec ceux-ci personnellement. Cet arrêt rejette ainsi une thèse esquis­sée par le .professeur Ronse, fondée sur le caractère incomplet de la personnalité morale des sociétés en nom collectif (T.P.R., 1964t p. 93; 1967, p. 665, << Overzicht >>, T.P.R., n° 42, p. 715).

Les débiteurs peuvent aussi invoquer l'exception d'irreceva­bilité: résultant du défaut d'inscription dé la société au registre du commerce' (articles 41 et 42 de l'arrêté royal du 20 juillet 1964 sur le registre du commerce).

39. NULLITÉ DE LA SOCIÉTÉ IRRÉGULIÈRE EN LA FORME. -CoNSÉQUENCES. - La société irrégulière est par ailleurs nulle.

Le tribunal de comtnerce d'Anvers a fait une excellente appli­cation de cette nullité dans un jugement du 24 mai 1972 (J.O.B., 1972, I, 53.0) dans une espèce où les exceptions usuelles étaient opposées par les défendeurs à une action en justice introduite par le liquidateur d'une société en nom collectif irrégulière dissoute entretemps par le décès de l'un des associés. La dissolu­tion maintient la société, sa personnalité morale et les irrégula­rités qui l'affectent. Celles-ci peuvent donc être invoquées même si la société est· dorénavant représentée par son liquidateur.

L'article 4 ancien des lois coordonnées réservait .aux tiers une option : ils p~uvaient soit invoquer la nullité de la société, soit, au contraire, l'accepter comrp.e telle ; l'exercice de cette option était irrévocable (VAN RYN, Principes, Ire éd., t. rer, no 386;

·~.; 1

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P. VAN ÛMMESLAGHE, <<Les sociétés de fait>>, J.T., 1957, p. 709, no 18 et les réf.).

Après avoir constaté l'existence d'une société en nom collectif irrégulière entre deux commerçants et s'être référée à la juris­prudence de la Cour de cassation, la Cour d'appel de Bruxelles relève qu'un demandeur avait. assigné la société en tant que telle, en sorte qu'il ne pouvait plus, en degré d'appel, prétendre avoir traité avec les associés ut singuli, ni interdire à la société de faire appel d'une décision de première instance par laquelle elle avait été condamnée. Le demandeur n'avait à aucun moment invoqué la. nullité de la société par application de l'article 4 des lois coordonnées alors en vigueur (4 avril 1974, R.P.S., 1975, p. 144 et note NÉLISSEN; R. W., 1974-1975, col. 1510). Il avait donc opté pour l'acceptation de la société. L'appel pouvait également être contesté, par application de l'article 11, en raison du défaut de publication de l'acte écrit. Toutefois, ce moyen n'aurait pu être accueilli car l'on enseigne que l'article 11 ne concerne que les actions en justice et non point les recours qui apparaissent comme des moyens de défense (VAN RYN, Principes, t. Jer, no 397 ; note NÉLISSEN sous l'arrêt).

Le régime des nullités pour vice de forme se trouve profondé­ment modifié depuis l'entrée en vigueur de la loi du 6 mars 1973. Les articles 13quater à 13quinquies des lois coordonnées s'appli­quent à toutes les nullités et à toutes les formes de sociétés dotées de la personnalité 1norale. Sans doute, les tiers ne sont-ils pas obligés d'invoquer la nullité pour vice de forme et celle-ci n'inté­resse-t-elle pas l'ordre public. Mais si la nullité est prononcée, la société ne disparaît plus rétroactivement puisque les· effets de la nullité sont maintenant assimilables à ceux d'une dissolution : la société entre en liquidation, elle conserve sa personnalité morale pour les besoins de cette liquidation et les engagements qu'elle a contractés ne sont pas affectés par la nullité.

Le tribunal de commerce de Verviers paraît avoir perdu de vue la loi du 6 mars 1973 lorsqu'il a rendu un jngement, par ailleurs intéressant, le 28 février 1977 (J.C.B., 1978, I, 39). Ce jugement s'appuie sur un abondant appareil de références jurisprudentielles et doctrinales et expose parfaitement le régime des sociétés irrégulières. Il fait ressortir à juste titre que l'irrece­vabilité de l'action déduite de l'article Il (défaut de publication des statuts) ne saurait être opposée à une action intentée par

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les. a~sociés ut singuli, mais seulement à l'action intentée par la société (Examen, 1967, n° 31, p. 322 et les réf.); il ajoute que l'exception déduite de l'article Il n'intéresse pas l'ordre public et que, par conséquent, les défendeurs peuvent renoncer, même tacitement, à s'en prévaloir. Mais lorsqu'il examine les consé-" quences de la nullité, le tribunal se fonde sur les enseignements antérieurs à la loi de 1973 sans faire la moindre allusion à cette loi. Il considère que si les défendeurs ont accepté de nouer le débat avec les associés agissant ut singuli, ils ont, par là, invoqué la nullité de la société et exercé en ce·sens l'option que leur réser-' vait le système antérieur ;. cette option étant exercée irrévocable­ment, le tribunal dénie aux défendeurs le droit de contester encore le fondmnent de l'action intentée par lesassociés indivi­duellement. Cette .dernière conséquence n'est plus exacte actuel­lement. En effet, dès lors qu'une société irrégulière existe, les droits et actions la concernant appartiennent exclusivement à cette dernière et jamais aux associés personnellement- et cela n1ême si la société est nulle, puisque cette nullité n'agit plus avec effet rétroactif et n'entraîne plus la disparition de la person~ nalité morale de la société.

Le régime çle l'option a donc pris fin.

40. RÉGULARISATION DE LA sociÉTÉ IRRÉGULIÈRE. - Sous le régime antérieur à 1973, il était pratiquement très difficile de régulariser la situation d'une société irrégulière. Les créances de la société à charge de tiers, si elles étaient cédées à une nouvelle société, régulièrement constituée par· les associés, demeuraient entachées des vices qui les affectaient irrémédiablement (sur le principe du maintien des exceptions nonobstant la cession: cass., 13 septembre 1973, Pas., 1974, I, 31, cette Revue, 1974, 352, note STENGERS ; P. VAN ÜMMESLAGHE, Examen de jurisprudence sur les obligations, cette Revue, 197 5, p. 658, n°8 93 et 93bis et les réf.).

Par son arrêt précité du 17 mars 1972 (Pas., I, 665), la Cour de cassation consacre en outre la thèse déjà admise par plusieurs décisions des juges du fond (cf. sur celles-ci : Examen de juris­prudence, 1973, p. 375, n° 25 et les réf.) :si la créance de la société irrégulière a été cédée à une société régulièrement constituée,. uniquement dans le but de tenter de priver le débiteur du moyen de· défense offert par l'article 11, alinéa·3, des lois coordonnées,

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cette cession a lieu en fraude des droits du débiteur et n'est pas opposable à ce dernier.

La loi du 6 mars 1973 a modifié cet état de choses et elle réalise sans doute un meilleur équilibre entre les intérêts en présence.

S'appuyant sur l'enseignement des commentateurs de la loi du6 mars 1973 (L. SIMONT, op. cit., nos 97 et 103; RoNSE, op. cit.~ nos 261 et 262; VAN DER HAEGEN et VERBRAEKEN, étude au J.T., 1974, n° 42, p. 125; NÊLISSEN, <<La loi du 6 mars 1973 et les actions en justice des sociétés irrégulières>>, obs. sous Liège, 18 juin 1973, R.P.S., 1974, p. 147, cet arrêt affirmant qu'une régularisation de la situation des sociétés irrégulières est possible, mais sans en indiquer le mécanisme) un jugement du tribunal de commerce d'Ostende du 12 mai 1977 (R. TV., 1978-1979, col. 507 avec note· VAN BRUYSTEGEM sur les aspects de droit des sociétés de la régularisation, et note WEYTS sur les aspects fiscaux de celle-ci à la lumière de la décision administrative du 26 avril 1977, Rec. gén., 1978, p. 36 et suiv~ et note DoNNAY) a donné une excellente analyse de la situation nouvelle.

Dans l'espèce, un débiteur d'une société irrégulière avait, avec succès, oppos~ à une action introduite par les associés en nom, une exception déduite de ce qu'il n'avait pas traité avec eux, mais avec la société -(supra, n° 38). Les associés avaient ensuite fait constater l'existence entre eux d'une société en nom collectif et cette société avait assigné pour mettre en œuvre les droits existants.

Autrefois,. les demandeurs auraient pu opposer une exception déduite de la nullité de la société à l'époque de la nàissance de la créance et faire constater celle-ci avec effet rétroactif.

Aujourd'hui, selon l'article 13quater nouveau des lois coor­données, la nullité n'est plus prononcée avec effet rétroactif; en conséquence, les tiers ne peuvent plus opposer à une action intentée par une société régularisée que celle-ci était nulle au moment de la naissance de la créance et que, partant, ils demeu­rent en droit d'opposer cette exception. A tort aussi, les défen­deurs dans l'action soumise au tribunal d'Ostende, faisaient valoir que la société n'aurait acquis son existence qu'à dater de l'acte de régularisation : en réalité, la personnalité morale de la société en nom collectif existe dès sa formation, même irrégu­lière (supra, n° 36).

De plus, la nullité ne peut être prononcée qu'avec un effet

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constitutif de droit et l'on en déduit que les conditions·requises pour qu'elle soit accueillie doivent exister au moment où le juge statue, suivant le droit commun des jugements constitutifs de droits nouveaux. Dès lors, même si le législateur belge n'a pas expressément prévu, comme l'y autorisait l'article 11 de la directive dans sa dernière rédaction (P. VAN ÜMMESLAGHE,

étude citée in Oak. dr. eur., 1969, p. 661) la possibilité de régu­lariser les nullités jusqu'au moment où le juge statue; encore· cette possibilité se déduit-elle implicitement de l'ensemble du nouveau régime (cf. les auteurs cités ci-dessus et particulièrement les analyses de L. SIMONT et J. RoNSE); On n'imaginerait pas qu'un juge puisse prononcer la nullité de la société sans effet rétroactif et provoquer ainsi la dissolution de celle-ci et son entrée en liquidation, si la cause de nullité n'existe plus au mo­ment où il statue, ou, à tout le moins, suivant certaines interpré­tations~ au moment où l'action a été introduite (en faveur ·du rejet de l'action si la régularisation a lieu pendant la procédure : L. SIMONT, loc. cit., n° 97 et RONSE, op. cit., n°8 225 et 226 à juste titre selon nous).

Enfin, la nullité ·de la société doit être prononcée par une décision· de justice, qui acquiert l'autorité de la chose jugée erga omnes. La nullité ne peut donc plus être simplement-invoquée par voie d'exception comme sous le régime antérieur. Les défen­deurs auraient pu naturellement introduire une action recon­ventionnelle pour faire constater la nullité de la société, mais cette action était vouée à l'échec en l'espèce en raison de la régularisa ti on de la société.

La régularisation ne peut valablement prendre la forme de la constitution d'une société nouvelle, différente, à laquelle les asso­ciés ou la société irrégulière apporterait le patrimoine social. En pareil cas, en effet, les créances apportées demeureraient affectées du vice résultant notamment de l'impossibilité où se trouvait la société apporteuse de les mettre en œuvre si l'apport est fait par la société. Bi, au contraire, l'apport est fait par les associés, on leur opposera qu'ils n'étaient pas titulaires de la créance.

41. PORTÉE DE LA PUBLICATION DES ACTES DE SOCIÉTÉS. -La publicité organisée par les lois coordonnées sur les sociétés com­merciales, a pour objet de protéger les tiers qui .traitent avec les sociétés : cette << ratio le gis >> n'a pas été modifiée par les

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changements apportés au régime de publicité et à certains effets de celle~ci par la loi du 6 juin 1973 (Examen, 1973, no 28, p. 379 et les réf. ; L. SIMONT, op. cit., nos 24 et suiv. sur l'analyse de l'actuel article 10, § 4, des lois coordonnées). Les tiers ont donc la faculté, en 'principe, de considérer que l'acte non publié leur est inopposable. Mais ils peuvent, s'ils le préfèrent, s'en tenir à l'acte tel qu'il existe. La nouvelle rédaction des textes confirme l'interprétation suivant .laquelle les tiers dispo-. sent ainsi, à défaut de publication des actes, d'une option à deux branches et non d'une option à trois branches :.soit s'en tenir à l'acte, soit considérer la société comme existante indépen­damment de l'acte, c'est-à-dire la tenir pour une société en nom collectif, régie par le droit commun. (V AN RYN, Principes, t. Jer, no 398; RoNSE, op. cit., n°8 66 et 67 ; SIMONT, op. cit., no 26).

La connaissance effective par les tiers de l'acte de société les. prive cependant, sous le régime nouveau; de la possibilité d'invo­quer le défaut de publication de l'acte____, à charge pour la société de prouver cette circonstance. En outre, pendant une période de seize jours suivant la publication, les tiers qui démontreraient avoir été dans l'impossibilité de prendre connaissance de l'acte, pourraient en- décliner l'opposabilité. En dehors de ces deux hypothèses, l'inopposabilité de l'acte est . indépendante_ de la connaissance effective qu'en auraient les tiers. Elle n'est pas davantage fondée sur une sorte de présomption de connaissance. qui ne recouvrerait aucune réalité concrète.

C'est à juste titre, dès lors, que compte tenu du but de la. publication, la Cour de cassation a rejeté la prétention d'un employé qui, renvoyé pour des motifs graves pris de ce qu'il avait constitué une S.P.R.L. concurrente de l'entreprise de son employeur, faisait valoir que ce dernier était présumé avoir connaissance de l'existence de cette S .P .R .L .. par le seul fait de la publication de la constitution de celle-ci aux annexes du Moni­teur, en sorte que le renvoi intervenu plus de trois jours après: cette publication aurait été tardif aux yeux des lois coordonnées sur le contrat d'emploi (arrêt du 5 mai 1976, Pas., I, 957). Comme l'indique l'arrêt, il ne se déduit en rien des règles relatives à l'opposabilité des actes de sociétés aux tiers- et ajoutons : aux tiers ayant traité avec la société- une quelconque présomption légale qui obligerait à considérer que tous les tiers ont eu connais­sance de cette publication même. pour l'application de l'article 18

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des lois coordonnées sur le contrat d'emploi (actuelle_ment ar~ ticle 35 de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travailt .

. 42. IRRECEVABILITÉ DES ACTIONS INTRODUITES PAR DES SO­

CIÉTÉS DONT LES STATUTS NE SONT PAS·~UBLIÉS. - L~article 11 des lois coordonnées dispose .que toute action intentée :par une société dont l'acte constitutif n'a pas été publié, n'est pas recevable ( comp,. n° 38 .pour les fréquentes applications de cette règle aux sociétés en nom collectif irrégulières dites<< SC?ciétés de fait>>).

Le moyen n'intéresse pas l'ordre public et les parties défen­deresses peuvent donc renoncer à l'invoquer (Bruxelles, 5 octobre 1975, J.T., 1976, p. 135, cité supra et les réf. not. à la jurispru­dence ancienne de la Cour de cassation; .V .AN RYN, Principes, t. Jer, 1er éd., n° 396).

Malheureusement la publication du .Ll!Ioniteur belge .connaît,, de notoriété publique, des retards considérables, atteignant plu,. sieurs mois. Les fonctionnaires qui en sont responsables .peuvent être tenus à des dommages-intérêts suivant l'article 10, §3, dès lors que la publication n'a pas lieu dans les quinze jours du dépQt de l'acte à publier. Mais peut-on invoquer les retards dans les publications au Moniteur pour éviter la sanction prévue par l'article 11, dès lors· qu'une société aurait régulièrement déposé les actes à publier, mais n'aurait pas obtenu cette publication dans le délai de quinzaine prévu par l'article 10, § 3~ Une société avait accompli toutes les formalités légales et était, en l'espèce, inscrite au registre du commerce. Le défendeur invoquait à la fois l'article 11 et l'inopposabilité de l'acte constitutif, mais, sur ce dernier point, sans présenter correctement l'option à deux branches dont question ci-dessus, - du moins à en juger par le résumé de sa thèse figurant dans une ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce d'Anvers siégeant en matière de cessation (11 décembre 1975, J.O.B., 1976, I, 353 et note; R.P.S., 1977., p. 48). Le président a considéré que les dispositions de l'article 11 ne lui permettaient pas de déclarer l'action recevable même si le défaut de publication n'est pas imputable à la société.

Ajoutons que l'article 10, § 3 lui-même paraît bien exclure toute autre conséquence du retard dans la publication que les dommages-intérêts à charge du fonctionnaire coupable du retard.

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Le président s'est cependant borné à remettre les débats sine die ; nous croyons que, dans la rigueur même de son raisonne­ment, il aurait dû déclarer l'action irrecevable sans préjudice de la possibilité pour la société de la réintroduire après la publi­cation de ses statuts (VAN RYN, Principes, t. Jer, Ire éd., no 396).

CHAPITRE II. - LES SOCIÉTÉS DE PERSONNES.

43. CONSÉQUENCES DE L'EXISTENCE D'UNE SOCIÉTÉ EN NOM COLLECTIF EN CE QUI CONCERNE LES ASSOCIÉS. - Plusieurs décisions rappellent, le plus souvent à propos de sociétés en nom collectif irrégulières, les conséquences qui résultent pour les associés de l'existence d'une telle société. On sait que la société en nom collectif, si elle jouit dans notre droit de la person-­nalité morale, se distingue cependant moins de ia personnalité des associés. que d'~utres types de sociétés. Suivant la formule de la Cour de cassation, la personnalité de la société en nom collectif <<se confond pratiquement avec celle de ses associés))­(15 décembre 1938, Pas., I, 383) ou .encore, les associés font le· commerce. << sous le couvert )} de la société en nom collectif (cf. note PIRET sous l'arrêt précité, dans J.O.B., 1939, p. 153).-

Il en résulte, rappelle la Cour de Mons, dans son arrêt précité du 16 juin 1976 (Pas., 1977, II, 107, motifs), conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation, que le tribunal qui pro­nonce la faillite d'une société en nom collectif, peut également. prononcer celle d'un associé en n01n, même par un jugement postérieur, sans devoir rechercher si cet associé est personnelle­ment en état de cessation de paiements et si son crédit est ébranlé .. L'état de faillite de la société implique que les asEJociés se trouvent personnellement dans la même situation. La solution est cons­tante depuis l'arrêt précité de la Cour de cassation (VAN RYN et HEENEN, Principes, t. IV, n° 2641; CLOQUET, Les concordats· et la faillite, 2e éd., n° 128 et les réf.).

L'arrêt ajoute que la faillite personnelle d'un associé ne pour­rait plus être prononcée par application de ces règles, sans. que le tribunal vérifie la situation personnelle de l'associé, si la société avait clôturé sa liquidation depuis plus de six mois. En pareil cas, en effet, la société ne pourrait plus elle-même être déclarée en faillite et l'associé ne pourrait,. par voie de consé:-

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quence, se voir imposer les conséquences résultant d'un état de faillite de la société (sur la règle suivant laquelle une société ne peut plus être déclarée en faillite plus de six mois après la clôture de sa liquidation : Examen, 1973, n° 98, p. 564; VAN RYN et HEENEN, Principes, t. II, n° 1120; CLOQUET, Les concordats et la faillite, 2e éd., n° 189; CoPPENS, Examen de jurisprudence .sur les faillites, cette Revue, 1974, n° 5, p. 373; FREDERICQ, Traité, t. VIII, n° 555, p. 771 et les réf.).

La Cour de cassation confirme cette jurisprudence par son arrêt du 17 juin 1976 (R.P.S., 1976, 189; Pas., 1977, I, 1124; J.T., 1976, p. 696; R. W., 1976-1977, col. 2141, qui rejette un pourvoi contre les arrêts cités de la Cour d'appel de Liège des 22 janvier 1975 et 24 juin 1975, R.P.S., 1976, p. 192, avec l'avis de l'avocat général CHARLIER) à propos d'une société en nom collectif irrégulière : la déclaration de la faillite de la société entraîne nécessairement celle de l'associé sans que ce dernier puisse se prévaloir du fait que la société n'avait plus accompli d'acte de commei"ce depuis plus de six mois en raison de sa mise en liqui­dation. La faillite peut donc être prononcée tant que la liquida­tion de la société n'est pas clôturée depuis plus de six mois.

43bis. RESPONSABILITÉ SOLIDAIRE DES ASSOCIÉS.- Les asso­ciés sont tenus solidairement et indéfiniment des dettes de la .société en nom . collectif, (art. 1 7 des lois coordonnées) pour autant qu'elles aient été contractées sous la raison sociale, fût-ce ·sous la signature d'un seul des associés, comme lerappelle la Cour de Bruxelles dans son arrêt du 20 juin 1972 (J.T., 1972, p. 749; R.P.S., 1973, p. 30). Cette règle implique que la société n'ait pas de gérants ; dans cette dernière hypothèse, en effet, ;seul le gérant peut engager la société dans la limite des pouvoirs qui lui ont été conférés (et sous réserve des règles qui imposent la publicité de sa nomination et limitent l'étendue de ses pou­-voirs), en sorte qu'un associé, même· agissant sous la raison .sociale, ne pourrait alors engager la société (VAN RYN, Principes, t. Ier, pe éd., nos 430 et 433). En l'espèce, il n'existait pas de gérants, la société en nom collectif étant irrégulière (cf. aussi .Bruxelles, 5 octobre 1975, J.T., 1976, p. 135).

De cette responsabilité solidaire, il se déduit que les créanciers peuvent assigner non seulement la société, mais encore les associés : Bruxelles, 3 janvier 1974, R. W., 1974-1975, col. 67,

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obs., pour autant naturellement, comme le relève la Cour, que la société soit également assignée, au cours de la même procédure. La solution est constante, par une interprétation libérale de l'article 189 des lois coordonnées (VAN RYN, Principes, t. Jer, 1re éd., no 409).

44. PERSONNALITÉ MORALE DE LA SOCIÉTÉ EN NOM COLLEC­TIF.- EXERCICE PAR UN ASSOCIÉ D'UN RECOURS FONDÉ SUR LA LOI DU 14 JUILLET 1971. -Un curieux jugement du président du tribunal de commerce de Bruxelles (siégeant en application de la loi du 14 juillet 1971 sur les pratiques du commerce) du 28 avril 1975 (R.P.S., 1975, p. 104 et note critique LEURQUIN,) déclare recevable une action en cessation introduite par l'associé d'une société en nom collectif irrégulière contre un concurrent de cette société, accusé d'utiliser une publicité fallacieuse et de contrevenir à l'article 20 de la loi sur les pratiques du commerce. Il s'agissait de deux frères faisant le commerce sous une raison sociale et dont le jugement constate qu'ils avaient ainsi formé une société en nom collectif irrégulière dotée de la personnalité morale. Mais, ajoute le président, l'action ne vise pas à l'exécution de droits résultant d'engagements pris envers la société, que celle-ci seule pourrait mettre en œuvre ; elle tend à faire cesser des pratiques qui sont de nature à causer un préjudice aux asso­ciés en nom ou, à tout le moins, à porter atteinte à leurs intérêts professionnels. Or, selon la loi du 14 juillet 1971, l'action en cessation est ouverte à tout intéressé. Cet intérêt n'est pas indirect en l'espèce, car les associés étaient personnellement lésés dans leurs activités professionnelles par la publicité qu'ils criti­quaient.

Cette décision pourrait se fonder sur la considération énoncée par la Cour de cassation, rappelée supra, n° 43, suivant laquelle, dans la société en nom collectif, ce sont les associés qui· font en réalité le commerce. Elle traduit la tendance à considérer la personnalité de ce type de sociétés comme incomplète.

Pour ingénieuse qu'elle soit, elle nous paraît cependant criti­quable et nous partageons le point de vue de l'annotateur à la R.P.S. Si, selonl'article 57, alinéa 1er, de la loi du 14 juillet 1971, l'action en cessation prévue par l'article 55 peut être introduite à la requête de tout intéressé, il faut que le demandeur ait un intérêt personnel et direct à la cessation. Sans doute, est-il

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·30Q REVUE .CRITIQUE DE .JURISPRUDENCE BELGE

préYp. --'- par dérogation ·à ce premier principe .--',-'- que des groupements professionnels ou interprofessionnels intéressés peuvent intenter l'action s'ils jouissent dela personnalité morale, nonobstant la circonstance qu'ils défendent en ce cas. les intérêts de leurs membres. Mais le tribunal ne se fondait pas sur cette dernière notion, - et d'ailleurs la société en nom collectif irrégu­lière n'est évidemment pas un groupen1ent professionnel ou interprofessionnel au sens de cette disposition. Or, l'intérêt direct, existait uniquement dans le chef de la société et non point dans celui de ses associés .. Ceux-ci n'ont pas un intérêt commercial distinct de celui de la société à faire cesser une publicité de nature à nuire à l'activité sociale. L'action ne pourrait être reçue que si, par exemple, à la faveur d'une publicité dénigrante; l'associé était personnellement mis en cause - ce qui n'était pas le cas en l'espèce.

45. ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES ASSOCIÉS EN NOM COLLECTIF.­CONSÉQUENCES DE L'EXCLUSION ILLICITE D'UN ASSOCIÉ. -En principe, la loi n'organise pas d'assemblée générale dans les sociétés en nom collectif; pas plus d'ailleurs que dans les sociétés en commandite simple. Les décisions qui ne rentrent pas dans le cadre de la gestion doivent donc être prises par les associés à l'unanimité, ·sans cependant qu'une assemblée doive être tenue.

Une exception est prévue par la loi en· cas de dissolution de ces sociétés : à défaut de disposition contraire dans les statuts, les liquidateurs sont nommés par l'assemblée générale des asso­ciés, qui fixe aussi le mode de liquidation (article 179 des lois coordonnées). Ces décisions supposent l'assentiment de la moitié des associés possédant les trois quarts de l'avoir social. Un arrêt de la Cour de cassation du 4 avril 1975 (Pas., I, 759 et la note; }l. W., 1974-1975, col. 2461 avec les conclusions de M. DuMON alors premier avocat général; cette Revue, 1977, p. 551, et la note HEENEN sur<< L'inobservation des règles de forme prescrites pour les délibérations des organes d'une société ou d'une asso­ciation >>) précise que l'article 179 suppose la réunion d'une véri­table assemblée générale, fonctionnant comme un. organe délibé­rant (voy. àu contraire, en matière de S.P.R.L;, l'article 126 des lois coordonnées relatif à l'assentiment à donner. par les associés aux cessions ou transmissions de parts sociales pour lequel on enseigne qu'une assemblée ne doit pas être réunie, cet assentiment

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devant être donné individuellement (V AN RYN et HEENEN,

Principes, t. II, n° 916). Le juge du fond avait décidé le contraire, considérant ·la décision comme valable indépendamment de toute assemblée, dès lors qu'elle était prise par des associés individuellement, aux conditions prévues par l'article 179.

Les statuts peuvent aussi organiser une assemblée générale des associés; dans la pratique, de telles clauses se rencontrent souvent dans les sociétés de personnes, particulièrement dans les sociétés en con1mandite simple.

Dans ces deux hypothèses, il faut observer les règles de fonctionnement des collèges délibérants.

L'arrêt précité de la Cour de cassation a eu à se prononcer sur l'incidence de l'exclusion irrégulière d'un associé sur la régu­larité des décisions des assemblées générales auxquelles cet associé n'avait pu participer (désignation de liquidateurs et détermina­tion du mode de liquidation et, d'autre part, approbation des bilans pour la période antérieure à la liquidation). Les statuts de la société prévoyaient que les bilans devaient. être approuvés par les associés à la majorité des voix. Il s'agissait d'un nouvel épisode de la contestation qui a donné lieu à une décision de principe de la Cour de c.assation au sujet de la légalité de l'expulsion de l'associé demandeur (cass., 11 mars 1966, Pas., I, 896 et la note, et cette Revue, 1967, p. 205 avec la note KIRKPATRICK et GLANS­

DORFF; Examen, 1973, n° 72, p. 537 et la critique de cet arrêt).

Il fallait donc déterminer dans quelle mesure l'exclusion illicite d'un associé entraîne la nullité des délibérations des assemblées générales auxquelles cet associé n'avait pas pris part.

Conformément aux conclusions de son premier avocat général, la Cour rejette la solution dite << mathén1atique >> suivant laquelle la nullité devrait être refusée toutes les fois que l'actionnaire irrégulièrement exclu n'aurait pas pu, par sa particip~tion. à la .délibération, modifier le jeu de majorités requises par la loi ou par les statuts. Le juge du fond est censuré pour avoir fondé exclusivemt,3nt sa décision sur le fait que la désignation des liquidateurs avait eu lieu par une décision prise par la moitié des associés possédant les trois quarts du capital social, et que << il ne pouvait être tenu compte de la simple supposition que si le demandeur avait été présent à l'acte, il aurait convaincu un ou plusieurs associés .de prolo:p.ger. la société>>.

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Il aurait fallu en outre constater, suivant la Cour, que << les inté,. rêts. du demandeur (c'est-à-dire de l'associé exclu indûment) n'avaient pas été lésés>>. L'assemblée générale prévue par l'ar­ticle 179 suppose que tous les associés aient eu l'occasion de prendre part à l'assemblée << afin de veiller à la protection de leurs intérêts personnels, . notamment par des communications à leurs coassociés qui pourraient éventuellement influencer les décisions de la majorité précitée>>.

L'obligation faite au juge du fond de vérifier si les intérêts du demandeur n'ont pas été lésés, implique nécessairement ( 1) que la seule constatation du caractère irrégulier de l'exclusion et, partant, de l'absence du demandeur, ne suffit pas à entraîner, en soi, l'annulation de l'assemblée. En effet, cette réserve n'aurait, sinon, pas de signification. On peut, pensons-nous, en déduire que la Cour a ainsi rejeté une autre thèse souvent défendue à propos de· certa.ines irrégularités relevées dans le fonctionnement d'organes délibérants de sociétés, suivant laquelle la seule consta­tation de ces irrégularités suffit à justifier la nullité. Selon nous, telle est la conséquence, dans les sociétés de capitaux notamment, de la violation de formes· substàntielles (V AN RYN, Principes, t. Jer, 1e éd., no 718; Examen, 1967, no 71, p. 363). En parti­culier, nous considérons que l'exclusion injustifiée d'un action­naire d'une assemblée générale implique la violation d'une forma­lité substantielle.

Il reste alors à tenter de préciser la portée exacte de l'arrêt : dans qùelles conditions les intérêts du demandeur en nullité peuvent-ils être considérés comme lésés par la décision attaquée'? Tel ne serait pas le cas, suivant le premier avocat général, si l'on peut considérer, selon les circonstances, que l'associé exclu aurait lui-même voté en faveur de la décision critiquée ou l'aurait proposée. Faut-il envisager d'autres hypothèses~- M:. lieenen (note citée, cette Revue), considérant que l'arrêt a consacré la théorie dite <<appréciative>> de l'incidence de l'irrégularité sur la décision, estime· que les intérêts du demandeur ne sont pas lésés toutes les fois qu'il sera établi avec une vraisemblance raisoimable, que la présence de l'associé indûment exclu n'aurait pas entraîné une décision différente. Selon lui, - 1nais l'arrêt ne se prononce pas sur ce point - cette dernière démonstration

(1) Cf. sur·ce point les conciusions de M. le premier avocat général Du.MoN. ·

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incomberait à la société défenderesse en nullité,· tandis . que le demandeur aurait à établir, prima facie, l'irrégularité (note citée~ no 14).

Il faut donc vérifier, concrètement, dans quelle mesure les communications que l'associé exclu aurait pu faire à ses coasso­ciés et plus généralement tous les éléments qu'il aurait pu appor­ter lors de l'assemblée, étaient de nature à avoir une incidence sur la décision sans se contenter ni d'un calcul arithmétique des majorités, ni de la seule constatation de l'irrégularité commise, que la formalité . violée soit ou non substantielle (cf. sur cette thèse : RoNSE, << Nietigheid van besluiten van organen van de naamloze vennootschap >>, rapport sur le droit belge pour la V ereniging voor de vergelijkende studie van het recht van België en Nederland, 1965-1966).

Dans ses conclusions précédant l'arrêt du 4 avril 1975, le premier avocat général soulignait que la Cour n'était saisie de cette question qu'en matière de sociétés de personnes; les solu­tions consacrées par la Cour ne peuvent donc automatiquement être étendues aux sociétés de capitaux à propos desquelles le problème est le plus souvent étudié en doctrine. Les sociétés de personnes se caractérisent notamment par la responsabilité indé­finie des associés (ou de certains d'entre eux) en sorte que l'inci­dence des décisions prises par un organe délibérant, en l'espèce une assemblée générale, peut être plus grande que pour un action­naire d'une société à responsabilité limité ; d'autre part, les pouvoirs de la majorité sont en principe plus larges dans les sociétés de capitaux, alors que dans les sociétés de personnes, l'application de la règle majoritaire est l'exception (conclusions citées R.W., 1974-1975, col. 2465 et note à la Pas., sous l'arrêt; cf. HAMEL et LAGARDE, Traité de droit commercial, 1954, p. 566). On ne pourrait donc étendre sans autre réflexion, les solutions consacrées par la Cour au cas des organes de sociétés de capitaux. M. Heenen, dans sa note citée, examine plus pa~ticulièrement cette dernière question, et sous réserve de nuances au sujet de l'interprétation à donner à l'arrêt, conclut que la solution con­sacrée pourrait néanmoins s'appliquer aussi aux organes des sociétés de capitaux.

46. CESSION À TITRE GRATUIT DE PARTS DE SOCIÉTÉ EN COM­

MANDITE SIMPLE:- FORMES DE LA CESSION DES PARTS D'INTÉ-

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:RÊTS. - Selon l'article 24 des lois coordonnées, la cession de parts d'intérêts dans une société en commandite requiert le res­pect des formes du droit civil. L'on ne saurait donc appliquer à ces sociétés les modes particuliers de cession des parts sociales qu) organise le droit commercial : un jugement du tribunal de première instance de Bruxelles du 11 mai 1973 (R;P.S., 1973, p. 302, et la note P. C.) traite d'une société en commandite simple dont les statuts prévoyaient la création d'un <<registre des parts des commanditaires >> ; il relève, à juste titre, que cette pratique n'est pas conforme à l'article 24 des lois coordonnées. Un tel registre, non seulement n'est pas imposé parla loi comme l'indique le jugement, mais il faut ajouter qu'il serait illégal en tant qu'il aurait pour effet de transformer les parts ·d'intérêts en titres négociables nominatifs.

La contestation portait en l'espèce sur la validité d'une cession de parts d'intérêts consentie à titre gratuit, sans aucune mention dans le registre en question (cette mention aurait en tout cas été sans effet utile) et sans avoir observé les règles du droit civil. La: cession ·avait été signalée lors d'une assemblée générale et mentionnée dans le procès-verbal de cette assemblée, et les associés commanditaires et commandités avaient déclaré en prendre acte. Cette cession à titre gratuit était dès lors nulle en la forme :il s'agissait en réalité d'une donation directe, mais purement verbale. Cette opération ne pouvait s'analyser en une donation indirecte, à défaut d'acte possédant un statut juridique autonome qui lui conférerait une validité, indépendamment de l'intention libérale des parties, La seule forme prévue par les dispositions· du droit civil pour une donation de parts sociales est celle des articles 931 et 932 du Code civil, applicables aux dona­tions de meubles incorporels. La violation de ces prescriptions est sanctionnée par une nullité absolue, sauf l'exception de l'article 1340 du Code civil. L'opération ainsi réalisée était donc nulle et ]a décision est parfaitement motivée sur ce point. Elle est conforme à la jurisprudence de la Cour de Bruxelles (arrêt du 6 mars 1961, Pas., 1962, II, 65, Rev. prat. not., 1969, p. 60, dont les motifs sont très proches de ceux du jugement commenté). Le même jugement adopte une solution différente pour le trans;... fert d'actions nominatives de sociétés anonymes (infra, n° 50).

47. AssociATION EN PARTICIPATION.·- APPORTS.·-"- Plusieurs

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décisions rendues en matière fiscale confirment la jurisprudence de la Cour de cassation, telle qu'elle résulte de l'arrêt du 4 février 1954 (Pas., I, 488, obs. ; R.P.S., 1955, p. 85, ·et les concL d~ l'avocat général MAHAUX ; J.T., 1954, p. 569 ; Examen, 1958; n° 16, p . .71) selon laquelle, dans une association en participation, chacun des associés conserve en principe la propriété de son apport. L'arrêt de la Cour de cassation du 4 février 1954 réservait les droits des tiers, qui peuvent notamment invoquer la protec­tion de l'article 2279 du Code civil lorsque l'associé gérant appa­raît à leurs yeux comme possesseur de biens meubles corporels dans l'exercice de ses fonctions d'associé, mais sans qu'il soit fait état de cette qualité. Il importe peu en ce cas que les biens en question appartiennent à un autre associé, participant.

Par un arrêt du 19 février 1976 (Pas., I, 691 et note; R.P;S., 1977, p. 78 ;_ cette Remte, 1978, p. 163 et note KmKPATRICK), la Cour rappelle que chaque participant garde en principe la propriété de son apport, <<sauf si celui-ci consiste en numéraire ou si les parties en conviennent autrement >>.

Il ne nous paraît pas que l'absence de référence à la protection des droits des tiers dans l'arrêt, implique une évolution par rapport à la jurisprudence de 1954 ; en réalité, cette réserve est de droit et elle procède simplement du mécanisme de l'article 2279 du Code civil (cf. les conclusions Mahaux, précitées).

Lorsque l'apport consiste en numéraire (ou plus généralement lorsqu'il porte sur des choses fongibles : KmKPATlUCK et V A.N der liAEGHEN, note citée note 7, p. 186), la propriété doit nécessaire­ment en être transmise à l'associé-gérant, puisque celui-ci devra en disposer pour les besoins de la gestion et que ces choses ne pourraient rester identifiées dans son patrimoine (MAHAUX, concl. citées, spéc. R.P.S., 1955, p. 91 in fine; DE PELSl\iA.EKER, Associations en participation, n° 32).

La<< convention contraire>> peut soit consister dans un transfert de la propriété à l'un des associés (MAHAUX, loc; cit. ; DE PELS­MAEKER, n° 29 ; cet associé doit être, à notre avis, l'associé-gérant pour les besoins de sa gestion : cf. l{IRKPATRICK et VAN DER lliEGHEN, note citée, n° 7), soit aboutir à la création au moins dans les rapports entre les parties d'une copropriété indivise MAHAux, concl. cit.; DE PELSMAEKER, loc. cit.; cass., 4 mars 1943, Pas., I, 84). Cette convention, qui déroge au droit commun, doit évidemment être prouvée par celui des associés qui l'invoque.

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La preuve peut être rapportée selon le droit commun (cf. DER.:. MINE, riote sous l'arrêt du 19 février 1976, R.P.S., 1976, p. 87). Nous ne croyons pas que l'arrêt de la Cour de cassation requière une stipulation expresse comme l'indique M. Dermine, car l'at­tendu auquel il se réfère résume la thèse que les juges du fond <<ont pu>> adopter. Que la dérogation au droit commun doive être certaine, paraît indiscutable, mais elle peut être aussi bien tacite qu'expresse et s'induire notamment soit des clauses du contrat, soit encore du comportement des parties conformément aux règles ordinaires de l'interprétation des conventions (cf. V AN

RYN, Principes, t. Ier, Fe éd., n° 453; DE PELSMAEKER, nos 30 et 31, p. 108 et 109, spécialement note 2, p. 109 ; FREDERICQ, Traité, t. V, n° 800, p. 1126).

Dans la pratique, les diverses hypothèses se rencontrent et l'indivision est loin d'être aussi exceptionnelle que ~ertains com­mentateurs l'indiquent. Il ·arrive même que l'indivision soit constituée de manière très élaborée et circonstanciée lorsque l'association en participation est destinée à être l'instrument d'une exploita~ion durable et importante.

Dans les espèces tranchées par la Cour de cassation le 19 février 1976 et le 3 juin 1976 (Pas., I, 1056 et la note; cette Revue, 1977, p. 177 et la note KIRKPATRICK et VAN DER HAEGHEN, cité) et par la Cour de Liège, statuant com.me cour de renvoi après la cassation du 3 juin 1976, le 23 mars 1978 (ibid., p. 179), l'association en participation avait pour objet la mise en valeur de terrains et leur revente ultérieure. Les associés propriétaires de ces terrains s'étaient bien gardés d'en faire un apport en propriété ou en copropriété- contrairement d'ailleurs à ce que certains d'entre eux furent ensuite amenés à soutenir pour des raisons d'ordre fiscal. Ils faisaient apport <<des droits qu'ils possédaient dans les <<terrains>>. Selon les juges du fond, il s'agissait d'un apport en jouissance résultant <<du droit de dispo.ser des terrains en vue de leur exploitation>> - ce que la Cour de cassation a admis, - sans qu'il en résulté une indivision (sur cette analyse, KmKP A TRICK et V AN DER HAEGHEN, note citée nos 9 et 10). On peut se demander si l'apport ne portait pas plutôt sur les avantages économiques à provenir de la mise en valeur et de la réalisation ultérieure des immeubles après l'accomplissement des travaux destinés à leur conférer une plus­value;

Ce genre d'apport se rencontre fréquemment dans la pratique.

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. 48. SmTE. - CoNSÉQUENCES DE LA DISSOLUTION DE L' A,.Sso­CIATION. - Le jugement cité du, tribunal. de commerce de Bruxelles du 29 septembre 1972 (supra, n? 4; R.P.S:., -1974, p. 169) réformé par l'arrêt de la Cour de Bruxelles du 17 septem­bre 1975 (R.P.S., 1977, p. 125) au motif que les relations entre les parties ne pouvaient s'analyser en une association en parti­cipation, contient certaines considérations intéressantes sur les oonséquences de la dissolution de l'association.

Le tribunal rappelle que la liquidation des associations en participation n'est pas régie par les articles 179 et suivants des lois coordonnées, qui ne concernent que les sociétés dotées de la personnalité morale, ce qui est parfaitement exact. Dans la pratique, cependant, il se recommande de prévoir dans les statuts des associations en participation constituées pour l'exploi­tation durable d'une entreprise, des clauses détaillées organisant 1~ liquidation et même de renvoyer aux dispositions des lois coordonnées.

Le tribunal tente ensuite de déterminer les conséquences de la dissolution sur le fonds de commerce qui, selon le jugement était la propriété indivise des associés. Nous ne pouvons le suivre lorsqu'il retient comme une faute du gérant, le fait de n'avoir pas <<trouvé une solution négociée>> en ce qui concerne le sort de ce fonds de commerce, car le fait de ne pas résoudre par la négociation une situation juridique, ne peut constituer, en règle, une faute. A notre avis, comme le décide le tribunal, le gérant ne peut naturellement s'approprier le fonds de commerce indivis. Mais celui-ci doit faire l'objet d'un partage entre les associés soit en nature,. si cela est possible, soit sous la forme d'une réalisation au profit d'un associé ou d'un tiers si le partage en nature n'est pas possible. Il en résulte une obligation de non-concurrence qui continuera à peser sur les associés vendeurs même après la dissolution de la société, contrairement à ce que le jugement paraît admettre en déclarant nulle la clause de non­concurrence que les associés ava~ent fort logiquement insérée dans leur convention pour une période de cinq années après la dissolution de leur association (cf. Bruxelles, 21 novembre 1919, J.O.B., 1920, p. 227 réformant un jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 8 mai 1919 ; note FRÉJA VILLE, D.P., 1934.2.50; ESCARRA et RAULT, Sociétés commerciales, t. rer, n° 313 au moins en cas d'adjudication du fonds de commerce

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à un tiers; cass. fr., 2 juillet 1925, D., 1926, I, 57 et note SAVA­

TIEE.; Pic et KE.EBER, Sociétés commerciales, t. Jer, n° 679; contra : comm. Gand, 16 septembre 1948, R. W., 1948-1949, col. 1230}.

(à suivre)