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de DD MANAGEMENT, ACTIONNARIAT, TRAVAIL… Leader mondial du verre ophtalmique avec un chiffre d’affaires de 3,26 milliards d’euros en 2009, coté au CAC 40, Essilor est réputée pour ses bonnes pratiques sociales et son action en faveur des populations pauvres. Cette notoriété est-elle en conformité avec les faits ? Le dernier rapport développement durable du groupe Essilor date de 2006. Depuis les données DD sont intégrées au rapport annuel. Tatiana Kalouguine Votre enquête journalistique doit répondre aux interrogations suivantes : Sur la base des déclarations contenues dans le dernier rapport développement durable du groupe Essilor, les affirmations concernant les actions sociales et « sociétales » qui y figurent sont-elles conformes à la réalité ? Et si tel n’était pas le cas, quelle réalité recouvrent-elles ? 12LES ENGAGEMENTS D’ESSILOR À 32 i décision r ur sdu e ble ab s _ uin ju - j - ll uil et 10

Essilor : les engagements à la loupe

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Dans Décisions Durables de juin-juillet 2010

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de DD

MANAGEMENT, ACTIONNARIAT, TRAVAIL…

Leader mondial du verre ophtalmique avec un chiffre d’affaires de 3,26 milliards

d’euros en 2009, coté au CAC 40, Essilor est réputée pour ses bonnes

pratiques sociales et son action en faveur des populations pauvres.

Cette notoriété est-elle en conformité avec les faits ?

Le dernier rapport développement durable du groupe Essilor date de 2006. Depuis les données DD sont intégrées au rapport annuel.

Tatiana Kalouguine

Votre enquête journalistique

doit répondre aux interrogations

suivantes :

Sur la base des déclarations contenues

dans le dernier rapport développement

durable du groupe Essilor, les

affirmations concernant les actions

sociales et « sociétales » qui y figurent

sont-elles conformes à la réalité ?

Et si tel n’était pas le cas, quelle

réalité recouvrent-elles ?

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LES ENGAGEMENTS D’ESSILOR À

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Rapport d’enquête de notre journaliste

OR À LA LOUPE

(Le) style de management (est) caractérisé par la délégation fondée sur la confiance méritée et l’association des salariés à la vie et aux décisions de l’entreprise.

L’implication des

salariés reste à démontrer

En 2003 Claude Darnault, fraîchement nommé res-ponsable « développement durable groupe », confie la compilation des informations dites « extra-financières » aux équipes financières. Le choix n’est pas anodin : les financiers sont les bras-droits des patrons de filiales, ils représentent « une courroie de transmission importante pour impliquer les salariés », explique-t-il. L’objectif :

faire pénétrer la logique RSE dans tous les roua-

ges de l’entreprise.

Essilor se targue de pratiquer la technique du « bot-tom-up », qui consiste à soumettre les décisions ma-nagériales à l’évaluation des salariés, ou de proposer leur participation aux décisions importantes concer-nant l’organisation du travail. Claude Darnault ap-porte pour preuve la conception du dernier rapport DD datant de 2006 (depuis, Essilor injecte dans son rapport annuel les données DD) : « Il a été réalisé en partenariat avec les salariés du groupe. » Une centaine de salariés avaient alors répondu à l’appel.

Oui maisL’initiative, bien que remarquable, reste anecdotique dans un groupe de 35 000 salariés, répartis dans plus de 100 pays. Il est difficile, voire impossible, de connaître le véritable niveau d’adhésion des salariés à la stratégie du groupe, d’autant plus que les résultats d’une enquête interne réalisée en 2006 à l’initiative de la direction sont gardés secrets.« Une stratégie RSE ne peut se concrétiser qu’in-tégrée par des hommes et des femmes qui doivent en comprendre le sens, mesurer leur contribution et modifier leurs pratiques professionnelles », affirme Anne-Catherine Husson-Traoré, directrice générale de Novethic. Or, si l’on en croit une étude 2009 de l’agence spécialisée dans la RSE, Essilor n’accorde

pas suffisamment d’importance à la façon dont

est répercutée sa stratégie RSE au sein de son ma-nagement et de ses équipes, du moins sur le papier.Mais il faut prendre cette étude pour ce qu’elle est, nuance Madame Husson-Traoré, à savoir : « un recen-sement des informations fournies par les sociétés sur un certain nombre de critères extra-financiers. » Ce classement donne une prime à ceux qui informent le mieux. Il handicape les mauvais communicants, com-me Essilor. « Elle ne donne pas d’appréciation sur les pratiques réelles. » Dont acte.

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Promesse d’Essilor :

Anne-Catherine

Husson-Traoré,

directrice générale Novethic

Claude Darnault, directeur du développement durable Essilor International

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Rapport d’enquête de notre journaliste

Les salariés, premiers

actionnaires du groupe

Un bon moyen de mobiliser les sala-riés autour de la stratégie est de les faire entrer dans le capital.Environ 8 % du capital et 14 %

des droits de vote sont détenus

par des salariés d’Essilor, ce qui

en fait les premiers actionnaires

du groupe.

« Peu d’entreprises peuvent se targuer d’atteindre ce niveau d’actionnariat salarié », souligne Maryse Balaya, analyste de l’agence de notation ex-tra-financière BMJ Ratings qui a dirigé l’évaluation d’Essilor. L’association Valoptec (3 800 membres), qui réunit depuis dix ans les actionnaires sala-riés d’Essilor, entretient selon elle un vrai dialogue avec la direction. Trois de ses membres siègent au conseil d’administration. Deux fois par an, Valoptec vote sur la politique générale et la politique sociale de l’entreprise.

Les salariés actionnaires sont bien sûr associés aux résultats de l’entreprise via les dividendes versés, en hausse continue depuis plus de huit ans.

Oui maisSi en France 98 % des salariés d’Es-silor possèdent des actions de l’en-treprise, c’est loin d’être encore le

cas dans le reste du monde. À ce jour 9 700 salariés sont actionnaires (1/4 de l’effectif mondial), mais ils se concentrent pour l’essentiel en France et aux États-Unis.

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Favoriser l’accès au capital de l’entreprise dans un cadre d’actionnariat salarié responsable.

Promesse d’Essilor :

Maryse Balaya, analyste de l’agence de notation extra-financière BMJ Ratings

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Développer l’employabilité

interne et externe des sa

lariés

en leur facilitant l’accès à la

formation tout au long de leur

carrière… Fournir un environ-

nement de travail qui respecte

l’intégrité physique et morale

des salariés, quelle qu’en soit

l’origine.

Bien-être au travail,

santé et sécurité :

difficiles à mesurer

Faute d’information sur les résultats de l’enquête interne de 2006, nous disposons de peu d’indicateurs suscepti-bles de témoigner du « bien-être » au travail des salariés d’Essilor. Le référentiel de la Global reporting initiative (GRI) pour le monde et les informations relatives à la loi sur les Nouvelles réglementations économiques (NRE) pour la France, nous fournissent cependant quelques éléments chiffrés. Signes positifs en France :

L’absentéisme recule légèrement ces trois der-nières années (de 5,8 % à 5,6 %) et le taux de forma-

tion est particulièrement élevé (4,5 % de la masse salariale) : 21 heures - en moyenne - de formation par salarié.

Essilor a conclu avec les syndicats, en janvier 2010, un accord sur la prévention des risques psycho-

sociaux, et se trouve classée dans la « liste verte » du ministère du Travail. « Il existe des situations difficiles dans certains services, des cas de harcèlement et de mal-être, affirme Christine Brisson, déléguée syndicale CGT, mais nous avons une direction avec laquelle il est possible de dialoguer. Lorsque nous intervenons pour les signaler, les problèmes se règlent le plus souvent en interne. »

Au niveau mondial cette fois, le taux de turnover (taux de rotation des salariés) a baissé, passant de 9,8 % à 8,6 % entre 2006 et 2009.

Aucun problème n’est à signaler dans les

droits de l’homme, respectés dans toutes les filiales, d’après le rapport GRI. De nombreuses conventions ont été signées par Essilor, dont le Pacte Mondial et les huit conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT).

Oui maisForce est de constater que certains indicateurs ont tendance à se détériorer tandis que le périmètre d’Es-silor augmente. Ainsi :

Le nombre moyen d’heures de formation par

salarié recule dans le monde (15 heures en 2009 contre 18 en 2006) ;

Le taux d’absentéisme a augmenté au plan mondial entre 2007 et 2009 (de 4,2 % à 4,8 %).

Le nombre d’accidents du travail (sans arrêt de travail), a triplé en 2007-2008 (420 accidents) pour reculer en 2009 (403 accidents). Selon la direction, cette augmentation serait due à une nouvelle loi bri-tannique qui contraindrait, depuis 2008, à référencer la moindre coupure comme accident du travail.

Enfin, pour être parfaitement raccord avec ses enga-gements, la direction d’Essilor aurait pu étendre son reporting GRI à ses sous-traitants. Or ceux-ci restent en dehors du cadre, même si le groupe affirme dans son document de référence être « particulièrement attentif à la sélection de ses fournisseurs locaux dans les pays considérés comme sensibles aux enjeux des droits de l’homme ».

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Promesse d’Essilor :

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Assurer un traitement équitable à tous les salariés en toutes circonstances.

La diversité progresse, des

cas de discrimination signalés

Les plus de 50 ans représentent un tiers des effectifs France. « Nous avons été parmi les pre-miers du CAC 40 à mettre en place des accords et nous avons publié une charte des Essi-boomers », précise Claude Darnault. L’objectif : redynamiser

les carrières des plus expérimentés avec en-tretiens spécifiques, bilans professionnels, forma-tions adaptées, aménagement du temps de tra-vail, etc. Le groupe s’est doté de plusieurs chartes : contre toutes les formes de discriminations, pour l’emploi des personnes handicapées, pour l’égalité professionnelle hommes-femmes. Les résultats sur le handicap sont manifestes :

Les salariés handicapés sont au nombre de

133 en France (4 % des salariés) contre 107 en 2006 (3 % des salariés) alors que l’effectif d’Essilor a baissé sur la période : 3 544 salariés (en 2006) contre 3 471 (en 2009). « La société met les moyens financiers à disposition de cette mission », précise la syndicaliste Christine Brisson. Mais pour le reste, il s’avère ardu de connaître l’effet des missions et des chartes sur les pra-tiques dans chaque unité du groupe. Une seule chose est sûre : « Tous les directeurs sont recrutés en local, affirme Maryse Balaya. On peut donc vraiment parler de diversité à l’échelle d’un groupe international. »

Oui maisLe problème se pose une nouvelle fois au niveau de la transparence.

Aucun indicateur ne permet de mesurer la com-position des organes de gouvernance et la répartition des employés par sexe, tranche d’âge, appartenance à une minorité et autres indicateurs de diversité.

Impossible également de comparer les ni-

veaux de salaire entre les hommes et les fem-

mes par catégorie professionnelle. Des lacunes déjà pointées fin 2005 par l’institut Novethic dans un rap-port sur la diversité dans le reporting des sociétés du CAC 40, dans lequel Essilor faisait figure de mauvais élève de la classe.

Par ailleurs, bien que la direction conteste toute situation de discrimination, la réalité du terrain peut

être autre. Christine Brisson témoigne ainsi qu’un élu du personnel de religion musulmane a récemment été convoqué sans motif par le directeur général et le di-recteur des ressources humaines de son unité. « Il lui a été reproché d’effectuer ses prières lors de ses temps de pause », précise-t-elle. Depuis que l’intéressé a contacté la Halde, les pressions se sont arrêtées.

Une autre affaire a opposé en 2007 la direction d’Essilor-Compasserie de Ligny-en-Barrois (Meuse) à Richard Scheffer, salarié de l’entreprise depuis 1963, représentant du personnel et délégué syndical de la CFTC. Licencié pour « absence de travail » et « pré-sence aléatoire », le syndicaliste avait porté l’affaire devant le tribunal administratif de Nancy. Celui-ci lui a donné raison en décembre 2007 et a ordonné sa réintégration.

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Promesse d’Essilor :

Christine Brisson,

déléguée syndicale

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Des engagements tenus

vis-à-vis de la société civile

« Essilor cherche à comprendre comment apporter des solutions aux populations les plus pauvres », analyse Maryse Balaya. « Le coût d’une paire de lunettes est com-pris entre 3 et 15 jours de revenus partout dans le monde, soit de 6 à 60 dollars en Inde », estime Claude Darnault.Le groupe met un point d’honneur

à être actif dans les domaines de

l’éducation et de la correction visuelle partout où il est représenté. « Concernant l’éducation, Essilor a noué des partenariats forts avec des organisations internationa-les comme l’Unesco, affirme une note de BMJ Ratings. Dans le domaine de la correction visuelle, au-delà des missions de la fondation Essilor aux États-Unis, il a déployé de nombreuses actions à travers le monde. » Le principe est de s’appuyer chaque fois sur des acteurs locaux : ONG, hôpitaux, ophtalmologistes. En Inde, le groupe apporte son appui

à des campagnes de prévention itiné-rantes qui se rendent dans les villages. « Essilor nous a procuré des vans équipés pour la télé-ophthalmologie et nous fournit des lunettes à prix coûtant, ce qui nous permet de proposer aux populations rura-les des lunettes à un prix minimum », expli-que le docteur Sheila John, responsable du département télé-ophtalmologie de l’hôpital Sankara Nethralaya de Chennai (Madras).

Oui maisIl faut relativiser l’importance du modèle « bottom of the pyramid » au sein du groupe Essilor. Dans les faits, moins

de 12 000 lunettes sont commercia-

lisées chaque mois via les unités

mobiles indiennes, tandis que d’autres opérations telles que le Train de la vision en Afrique du Sud (qui a été arrêtée) ou le programme Lions Olympic à Rio de Janeiro ne concernent que 10 000 verres environ par an. Une goutte d’eau com-parée au million de verres vendus par jour dans le monde par Essilor. L’objectif avoué de cette démarche est de conserver la position de leader mondial à l’horizon 2050, et de s’occuper de l’ensemble des segments de la pyramide.

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Le groupe a mis en place de très nombreuses actions avec ses parties prenantes.

Promesse d’Essilor :

Sheila John, responsable du département télé-ophtalmologie de l’hôpital Sankara Nethralaya

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