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AVRIL-MAI 2015 Comment les produits intelligents connectés changent les règles de la concurrence Les « produits intelligents connectés » ont ouvert un nouveau chapitre dans l’histoire de la concurrence. par Michael E. Porter et James E. Heppelmann DIGITAL

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AVRIL-MAI 2015

Comment les produits intelligents connectés changent les règles de la concurrenceLes « produits intelligents connectés » ont ouvert un nouveau chapitre dans l’histoire de la concurrence. par Michael E. Porter et James E. Heppelmann

DIGITAL

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ŒUVRE D’ART Chris Labrooy Braun, Grille-pain

PLEINS FEUX SUR L’INTERNET DES OBJETS

Pleins feux sur…

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Comment les produits intelligents connectés changent les règles de la concurrence

par Michael E. Porter et James E. Heppelmann

Michael E. Porter est le professeur titulaire de la chaire Bishop William Lawrence à la Harvard Business School.

James E. Heppelmann est le président et directeur général de PTC, une société de solutions technologiques basée dans le Massachusetts qui accompagne les entrepreneurs dans la création, l’exploitation et la maintenance de produits.

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elle n’est pas d’une grande utilité quand il s’agit de comprendre le phénomène et ses implications. L’Internet, qu’il s’applique aux personnes ou aux objets, constitue simplement un mécanisme de trans-mission de l’information. Ce qui fait que les produits intelligents connectés sont fondamentalement différents n’est pas Internet, mais la nature chan-geante de ces « objets ». C’est avec l’étendue de leurs capacités et avec les données qu’ils génèrent que ces produits écrivent aujourd’hui un nouveau chapitre de   l’histoire de la concurrence.

Les entreprises doivent voir, au-delà des techno-logies, les transformations qui s’opèrent d’un point de vue concurrentiel. Cet article s’applique à décortiquer la révolution des produits intelligents connectés pour ensuite en étudier les implications opérationnelles et stratégiques.

La troisième vague concurrentielle portée par l’informatique Par deux fois déjà, au cours des 50 dernières années, les technologies de l’information ont radicalement remanié la concurrence et les approches stratégiques, et nous nous trouvons aujourd’hui à l’aube de la troi-sième mutation. Avant l’arrivée des technologies modernes de l’information, les produits étaient méca-niques, et l’exécution des activités de la chaîne de valeur était accomplie manuellement et s’appuyait sur des supports papiers et un mode de communica-tion orale. La première vague informatique, au cours des années 1960 et 1970, a automatisé les activités

Les produits intelligents connectés proposent un nombre exponentiellement croissant de possibilités de nouvelles fonctionnalités, une fiabilité bien meil-leure, des utilisations produit bien plus poussées, et des capacités qui surpassent et repoussent les limites permises par les produits traditionnels. Ces change-ments dans la nature même des produits bouleversent aussi les chaînes de valeur et obligent les entreprises à repenser et à réorganiser quasiment tout ce qu’elles font en interne.

Ces produits d’un genre nouveau modifient les structures sectorielles et la nature de la concurrence en mettant les entreprises devant de nouvelles op-portunités concurrentielles, mais aussi de nouvelles menaces. Ils redéfinissent le périmètre des secteurs d’activité et en créent de nouveaux. Dans un grand nombre d’entreprises, les prod uits intelligents connectés amènent inéluctablement à se poser la question : « Dans quel business suis-je vraiment ? »

Les produits intelligents connectés posent de nou-velles problématiques stratégiques, à savoir comment créer de la valeur et la capturer, comment gérer et exploiter les montagnes de données nouvelles (et sen-sibles) qu’ils génèrent, comment redéfinir les relations avec les partenaires traditionnels tels les canaux de distribution, et enfin quel rôle les entreprises devront jouer alors que les limites de leur secteur s’étendent.

L’expression « l’Internet des objets » a été imaginée afin de refléter le nombre croissant de produits intel-ligents connectés et de mettre en lumière les nou-velles opportunités qu’ils représentent. Pour autant,

es technologies de l’information entraînent une révolution profonde dans l’univers des objets. Alors qu’ils ont longtemps été uniquement composés de pièces mécaniques et électriques, les objets sont aujourd’hui devenus des systèmes complexes qui associent un équipement matériel, des capteurs,

un stockage de données, des microprocesseurs, des logiciels, avec d’innombrables possibilités de connectivité. Ces « produits intelligents connectés », qui sont devenus une réalité grâce aux énormes progrès en matière de puissance de traitement et de miniaturisation des équipements, et grâce aux avantages réseaux d’une connectivité sans fil omniprésente, ont ouvert un nouveau chapitre dans l’histoire de la concurrence.

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individuelles au sein de la chaîne de valeur, du traite-ment des commandes au règlement des factures et à la conception assistée par ordinateur en passant par la planification des ressources de production (voir « How Information Gives You Competitive Advantage », de Michael Porter et Victor Millar, HBR, juillet 1985). La productivité de ces activités en a été remarquable-ment augmentée, en partie parce que de très grandes quantités de nouvelles données pouvaient être saisies et analysées pour chacune d’elles. Ceci a entraîné la standardisation des processus dans les entreprises, mais s’est accompagné d’une nouvelle probléma-tique : comment capturer les avantages opérationnels de l’informatique tout en consolidant des stratégies de différenciation.

La montée en puissance d’Internet, et donc d’une connectivité bon marché et omniprésente, lança la deuxième vague de transformation portée par l’infor-matique, dans les années 1980 et 1990 (voir l’article de Michael Porter, « Strategy and the Internet », HBR, mars 2001). Cela permit la coordination et l’intégra-tion des activités entre elles, c’est-à-dire avec les four-nisseurs, la distribution et les clients, mais aussi d’un point de vue géographique. Et permit aux entreprises, par exemple, de rapprocher et d’intégrer des chaînes logistiques disséminées dans le monde entier.

Les deux premières vagues ont engendré d’énormes gains de productivité et de croissance dans tous les secteurs de l’économie. Si la chaîne de valeur s’en est trouvée transformée, la plupart des produits eux-mêmes n’ont cependant pas été affectés.

Dans cette troisième vague, l’informatique devient une partie intégrante du produit lui-même. Les cap-teurs, processeurs et logiciels incorporés dans les pro-duits ainsi que leur connectivité (dans l’absolu, cela revient à insérer des ordinateurs dans les produits), associés à un cloud dans lequel les données du pro-duit sont stockées et analysées parallèlement à l’exé-cution des applications, apportent des améliorations radicales dans la fonctionnalité et les performances.

Une part conséquente de ces améliorations de perfor-mance est permise grâce aux montagnes de nouvelles données relatives à l’utilisation du produit.

Ces nouveaux produits, supérieurs, vont faire faire un bond de productivité à l’économie. De plus, leur production va redéfinir une fois de plus la chaîne de valeur, en modifiant la conception produit, le marke-ting, la fabrication et les services après-vente, mais aussi en créant un besoin pour de nouvelles activités telles que le traitement analytique des données et leur sécurité. Cela conduira à une nouvelle vague d’amé-lioration de la productivité à partir de la chaîne de valeur. Cette troisième vague de transformation por-tée par l’informatique peut donc se révéler comme la plus grande à ce jour et déclencher encore plus d’in-novation, de gains de productivité et de croissance que les précédentes.

Certains déclarent que l’Internet des objets « change tout », mais il s’agit là d’une simplification à  l’extrême, dangereuse. Tout comme l’Internet lui-même, les produits connectés reflètent l’émer gence d’un éventail de possibilités technologiques entiè-rement nouvelles. Mais les règles qui régissent la concurrence et les avantages concurrentiels restent inchangées. Garder le cap dans un monde de produits intelligents connectés obligera les entreprises à maîtriser ces règles mieux que jamais.

En quoi consistent les produits intelligents connectés ?Les produits intelligents connectés comprennent trois éléments fondamentaux : des composants phy-siques, des composants « intelligents » et des compo-sants de connectivité. Les composants intelligents amplifient les capacités et la valeur des composants physiques, tandis que la connectivité amplifie les capacités et la valeur des composants intelligents et permet à certains d’entre eux d’avoir une existence externe au produit physique lui-même. Il en résulte un cercle vertueux de progression de la valeur.

L’idée en brefUN ENVIRONNEMENT QUI ÉVOLUELes produits intelligents connectés offrent un nombre d’opportunités de nouvelles fonctionnalités qui croît de manière exponentielle, et ouvrent des possibilités qui transcendent les limites des produits traditionnels.

La nature évolutive des produits bouleverse les chaînes

de valeur et force les entre-prises à repenser quasiment tout ce qu’elles font, de la manière dont elles imaginent, conçoivent et se procurent les produits à la manière dont elles les fabriquent, les mettent en service et les entretiennent, en passant par la manière dont elles construisent et sécurisent les infrastructures informatiques nécessaires.

LES NOUVEAUX CHOIX STRATÉGIQUESLes produits intelligents connectés induisent un nouvel éventail de choix stratégiques quant à la manière dont la valeur est créée et captée, à la manière dont les entreprises travaillent avec leurs anciens et nouveaux partenaires, et à la manière dont elles s’assurent un avantage concurrentiel, tandis

que les nouvelles possibilités redéfinissent le périmètre des secteurs. Les produits intelligents connectés forcent de nombreuses entreprises à se poser la question : « Quelle est vraiment mon activité ? »Cet article propose un cadre de travail pour élaborer sa stratégie et s’assurer un avantage concurrentiel dans un univers intelligent et connecté.

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d’optimiser le système agricole. Par exemple, des bineuses automatisées injectent des engrais azotés à une profondeur et à intervalles spécifiques tandis qu’un semoir suit et dépose les graines directement dans le sol fertilisé.

La connectivité remplit une double finalité. D’une part, elle permet l’échange d’informations entre le produit et l’environnement dans lequel il fonctionne, son fabricant, ses utilisateurs et d’autres produits et systèmes. D’autre part, elle permet à certaines fonc-tions du produit d’exister en dehors de l’équipement physique, dans ce que l’on appelle le cloud. Ainsi, dans les nouveaux systèmes Wi-Fi de Bose, une appli-cation sur smartphone fonctionnant dans le cloud joue des morceaux de musique en streaming depuis Internet. Pour atteindre des niveaux élevés de fonc-tionnalité, les trois types de connectivité sont nécessaires.

Les produits intelligents connectés font leur appa-rition dans tous les secteurs de production. Dans les engins lourds, la technologie Port de Schindler réduit le temps d’attente des ascenseurs jusqu’à 50% en anticipant les pics d’appels, en calculant le temps le plus court jusqu’à la destination, et en affectant le bon ascenseur au bon appel afin de permettre un déplace-ment plus rapide à ses passagers. Dans le secteur de l’énergie, le réseau intelligent d’ABB permet aux fournisseurs d’énergie d’analyser des montagnes de données en temps réel sur une large gamme d’équi-pements de production, de transformation et de dis-tribution (fabriqués par ABB ou par d’autres), comme les variations de température des transformateurs et des sous-stations secondaires. Cela alerte les centres de contrôle des conditions d’une surcharge poten-tielle, ce qui permet des ajustements afin d’éviter les pannes de courant. Dans les biens de consommation, les ventilateurs de plafond de la société Big Ass dé-tectent la présence d’une personne dans une pièce et se mettent en marche, régulent leur vitesse en fonc-tion de la température et de l’humidité, et s’ajustent aux préférences individuelles des utilisateurs, qu’ils ont reconnus au préalable.

Pourquoi cela arrive-t-il aujourd’hui ? Tout un éventail d’innovations issues de l’ensemble du paysage technologique ont suivi des chemins conver-gents permettant de faire des produits intelligents connectés une réalité concrète. Ceci comporte de grandes percées en termes de performance, de minia-turisation et d’efficacité énergétique pour les capteurs et les batteries ; des processeurs puissants et des stoc-kages de données hypercompacts et économiques, ce qui rend possible l’intégration d’ordinateurs à l’inté-

Les composants physiques comprennent les pièces mécaniques et électroniques du produit. Dans une voiture, par exemple, il s’agit du bloc-moteur, des pneus et de la batterie.

Les composants intelligents comprennent les cap-teurs, les microprocesseurs, le stockage des données, les commandes, les logiciels, mais aussi, habituel-lement, un système d’exploitation intégré et une interface utilisateur performante. Dans le cas d’une voiture, par exemple, les composants intelligents com-

prennent l’unité de commande du moteur, le système de freinage ABS, les pare-brise avec détection de pluie et essuie-glaces automatiques, et les écrans d’affichage tactiles. Dans de nombreux produits, les logiciels rem-placent certains équipements ou permettent à un seul appareil physique d’intervenir à plusieurs niveaux.

Les composants de connectivité comprennent les ports, les antennes et les protocoles permettant les connections filaires ou sans-fil avec le produit. La connectivité prend trois formes, qui peuvent être présentes ensemble :• D’un vers un : un produit individuel se connecte à

un utilisateur, un fabricant ou un autre produit grâce à  un port ou une autre interface – par exemple, lorsqu’une voiture est branchée sur un appareil de  diagnostic.

• D’un vers plusieurs : un système central est connecté simultanément à plusieurs produits en continu ou par intermittence. Par exemple, plusieurs voitures Tesla sont connectées à un même système chez le fabricant qui effectue le suivi de leurs performances et réalise des manipulations d’entretien et de mise à jour à distance.• De plusieurs vers plusieurs : plusieurs produits se connectent à plusieurs autres types de produits et également, souvent, à des sources de données externes. Une panoplie de divers équipements agricoles sont connectés entre eux, mais aussi à des données de géolocalisation, afin de coordonner et

Certains déclarent que l’Internet des objets « change tout ». Mais il s’agit là d’une simplification à l’extrême, dangereuse. Les règles qui régissent la concurrence restent les mêmes.

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rieur de  produits ; des ports peu coûteux et une connectivité sans fil peu onéreuse et omniprésente ; des outils permettant de développer des logiciels rapi-dement ; du big data ; et un nouveau protocole Inter-net IPv6 qui  ouvre la possibilité de disposer d’un potentiel de 340  x  1036 adresses IP, avec une sécurité plus élevée, des transitions simplifiées lors des trans-ferts de dispositifs d’un réseau à un autre et permet-tant de faire une demande d’adresse de manière auto-nome sans soutien informatique.

Les produits intelligents connectés obligent les entreprises à mettre en place une infrastructure tech-nologique entièrement nouvelle consistant en une

succession de couches appelée « empilement de tech-nologies » (voir « Le nouvel empilement de technolo-gies »). Ceci comprend des appareils modifiés, des applications logicielles et un système d’exploitation intégré dans le produit lui-même ; un réseau de com-munication pour la connectivité ; un cloud (logiciel fonctionnant sur un serveur chez le fabricant ou chez un tiers) contenant une base de stockage pour les données du produit, une plateforme pour le dévelop-pement d’applications logicielles, une plateforme pour le moteur de règles et les traitements analy-tiques, et des applications relatives au produit intelli-gent qui ne sont pas intégrées dans le produit. Placés

LE NOUVEL EMPILEMENT DE TECHNOLOGIESLes produits intelligents connectés obligent les entreprises à mettre en place et à entretenir une infrastructure de technologies intégralement nouvelle. Cet empilement de technologies se compose de plusieurs couches comprenant de nouveaux matériels, des logiciels intégrés, des éléments de connectivité, un cloud de produit constitué de programmes fonctionnant sur des serveurs à distance, un ensemble d’outils pour la sécurité, un portail d’accès aux sources d’information externes et une interface d’intégration avec d’autres systèmes de l’entreprise.

CLOUD DE PRODUIT

Identité et sécuritéOutils gérant l’authentification utilisateur et les accès au système, et assurant la sécurité du produit, de la connectivité et des éléments du cloud

Sources d’information externesPortail d’accès aux informations provenant de sources externes – telles que la météo, la circulation, le cours des matières premières et de l’énergie, les médias sociaux et la géolocalisation  – qui renseignent les fonctionnalités du produit

Intégration avec les autres systèmes de l’entrepriseOutils intégrant les données provenant des produits intelligents connectés avec les systèmes de gestion de l’activité de l’entreprise tels que les systèmes de gestion des relations clients, de planification des ressources de production ou de gestion du cycle de vie des produits

Applications du produit intelligentApplications logicielles fonctionnant sur des serveurs à distance qui gèrent le suivi, le contrôle, l’optimisation et l’activation des fonctions du produit de

manière autonome

Moteur de règles et d’analysesCapacités relatives aux règles, aux méthodologies de l’activité et à l’analyse du big data comprises dans les algorithmes impliqués dans le fonctionnement des

produits et permettant d’en tirer des connaissances approfondies

Plateforme d’applicationsEnvironnement de développement et d’exécution des applications permettant la création rapide d’applications relatives à l’activité des produits intelligents connectés utilisant un accès aux données, une forme de visualisation et des

outils d’exécution

Banque des données du produitUn système de gestion des données pour le big data permettant d’agréger, de

normaliser et de gérer les données produit, aussi bien en temps réel que sur leur historique

CONNECTIVITÉCommunication réseau

Protocoles permettant les communications entre le produit et le cloud

PRODUITLogiciels produit

Système d’exploitation intégré, applications logicielles embarquées, interface utilisateur perfectionnée et composants de contrôle du produit

Produit physiqueCapteurs intégrés, processeurs et port/antenne de connectivité venant s’ajouter

aux composants mécaniques et électriques traditionnels

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transversalement à cet empilement se trouvent une structure relative à l’identité et à la sécurité, un por-tail d’accès aux données externes, et des outils reliant les données des produits intelligents connectés à d’autres systèmes (tels des systèmes ERP ou CRM).

Cela permet non seulement de développer des applications et de fonctionner de manière réactive, mais aussi de collecter, d’analyser et de partager des montagnes de données longitudinales, générées dans le produit et en dehors, dont on n’avait jamais pu dis-poser jusqu’ici. Construire et entretenir un tel empile-ment de technologies nécessite des investissements conséquents et un ensemble de nouvelles compé-tences – en matière, par exemple, de développement de logiciels, d’ingénierie des systèmes, d’analyse des données et d’expertise de la sécurité en ligne – que l’on trouve rarement dans les entreprises industrielles.

Que peuvent faire les produits intelligents connectés ?L’intelligence et la connectivité autorisent un en-semble de fonctions et de capacités entièrement nou-velles que l’on peut regrouper en quatre domaines : monitoring, contrôle, optimisation et autonomie. Un produit peut potentiellement rassembler les quatre

(voir « Les capacités des produits intelligents connec-tés »). Chaque capacité est importante en soi et pose les jalons nécessaires au niveau suivant. Par exemple, les capacités de monitoring sont les fondations pour le contrôle du produit, l’optimisation et l’autonomie. Une entreprise doit choisir l’ensemble des capacités qui lui permettront de générer de la valeur pour ses clients et de définir ainsi son positionnement concurrentiel.

Monitoring. Les produits intelligents connectés permettent un suivi détaillé de l’état, du fonctionne-ment et de l’environnement externe d’un produit à travers des capteurs et des données provenant de sources extérieures. En utilisant ces données, un pro-duit peut alerter ses utilisateurs ou d’autres tiers de changements relatifs à la situation ou aux perfor-mances. Le monitoring permet aussi aux entreprises et aux clients de suivre les caractéristiques opération-nelles du produit ainsi que son historique afin de mieux en saisir l’utilisation effective. Ces données ont des implications considérables quant à la concep-tion (pour éviter un excès de technique, par exemple), à la segmentation du marché (à travers l’analyse de comportements d’utilisation en fonction du profil des clients) et aux services après-vente (en permettant

Autonomie

Monitoring

LES CAPACITÉS DES PRODUITS INTELLIGENTS CONNECTÉSLes capacités des produits intelligents connectés peuvent être regroupées en quatre grands domaines : monitoring, contrôle, optimisation et autonomie, chacun venant s’appuyer sur le précédent. Afin d’avoir des capacités de contrôle, par exemple, un produit doit avoir des capacités de monitoring.

1 2 3 4Des capteurs et des sources de données externes permettent une supervision précise :• de l’état du produit• de son environnement externe• du fonctionnement du

produit et de l’utilisation qui en est faite

Le monitoring permet aussi la mise en place d’alertes et de notifications de changements

Les programmes intégrés dans le produit ou dans son cloud permettent :• le contrôle des fonctions

du produit• la personnalisation de

l’expérience utilisateur

L’association du monitoring, du contrôle et de l’optimisation permet :• un fonctionnement

autonome du produit• une coordination autogérée

de son fonctionnement avec d’autres produits et systèmes

• une amélioration autonome du produit ainsi que sa personnalisation

• la réalisation d’auto - dia gnostics et d’opérations de maintenance

Les capacités de monitoring et de contrôle permettent la mise en place d’algorithmes optimisant le fonctionnement et l’utilisation du produit afin :• d’en améliorer les

performances• de permettre des

diagnostics prédictifs, des opérations de maintenance et des réparations

Optimisation

Contrôle

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d’envoyer le bon technicien avec les bonnes pièces, ce qui permet en retour d’augmenter le taux de répara-tion dès la première intervention). Les données de suivi peuvent aussi révéler des problèmes de respect des termes de la garantie ou bien de nouvelles oppor-tunités commerciales, telles que le besoin de capaci-tés supplémentaires dues à une utilisation intensive.

Dans certains cas, comme pour les équipements médicaux, le monitoring est l’élément principal de la  création de valeur. Les appareils numériques de mesure du glucose dans le sang de Medtronic fonc-tionnent avec un capteur inséré sous la peau du pa-tient pour mesurer le niveau de glucose dans le liquide situé entre les cellules et se connectent sans fil à un appareil qui alerte le personnel médical et le patient jusqu’à trente minutes avant que celui-ci n’atteigne un taux de glucose critique, ce qui permet de mettre en place le geste thérapeutique qui s’impose.

Les capacités de monitoring peuvent couvrir plu-sieurs produits à distance. Joy Global, l’un des équi-pementiers leaders de l’exploitation minière, surveille ainsi les conditions de fonctionnement, les para-mètres de sécurité et les indicateurs prédictifs de maintenance d’un parc complet d’équipements opérant à de grandes profondeurs. Joy Global effectue également le suivi des paramètres opérationnels de nombreuses mines situées dans des pays différents afin d’établir des référentiels.

Contrôle. Les produits intelligents connectés peuvent être contrôlés grâce à des commandes à dis-tance ou à des algorithmes intégrés dans l’appareil ou  situés dans le cloud. Les algorithmes sont des règles qui indiquent au produit comment réagir à des changements spécifiques de son état ou de son envi-ronnement (par exemple : « Si la pression est trop élevée, activer le dispositif d’arrêt automatique », ou : « Si la circulation à l’intérieur du parking atteint tel ou tel niveau, allumer ou éteindre les plafonniers »). Le contrôle à partir de logiciels intégrés dans le produit ou dans le cloud permet de personnaliser les perfor-mances du produit à un niveau qui n’était jusqu’alors pas rentable, ni même possible. Cette même techno-logie permet également aux utilisateurs de contrôler et d’individualiser leur interaction avec le produit de nombreuses manières. Par exemple, les utilisateurs

peuvent ajuster la couleur de leurs ampoules Philips Lighting par l’intermédiaire d’un smartphone, les allumer ou les éteindre, les programmer pour qu’elles clignotent en rouge si un intrus est détecté ou dimi-nuer progressivement l’intensité de l’éclairage en soirée. Doorbot, un système de sonnette et de ver-rouillage de porte, permet aux clients de laisser entrer des visiteurs chez eux à distance après avoir vérifié leur identité sur leur smartphone.

Optimisation. Le flux abondant de données recueillies par les produits intelligents connectés, associé à la capacité de contrôler le fonctionnement du produit, permet aux entreprises d’en optimiser les  performances de nombreuses manières, dont la plupart étaient auparavant impossibles. Les produits intelligents connectés peuvent appliquer des algo-rithmes et des programmes d’analyse à des données en cours d’utilisation ou contenues dans son histo-rique afin d’améliorer considérablement le rende-ment, l’utilisation et l’efficacité. En ce qui concerne par exemple les éoliennes, un microcontrôleur ins-tallé sur place peut ajuster la position de chaque pale à chaque tour afin de capturer un maximum de l’énergie fournie par le vent. De plus, chaque éolienne peut être ajustée non seulement afin d’améliorer ses performances, mais aussi de minimiser son impact sur l’efficacité de celles qui se trouvent à proximité.

Le suivi en temps réel de l’état du produit et les capacités de contrôle du produit permettent aux entreprises d’optimiser leurs prestations en réalisant des opérations de maintenance lorsqu’une panne est imminente et en effectuant des réparations à dis-tance, ce qui diminue ainsi les intervalles de temps où un produit se trouve hors service ou encore la néces-sité d’envoyer un réparateur sur place. Même lorsqu’une intervention sur place est nécessaire, les informations obtenues à l’avance quant à la nature du dysfonctionnement, aux pièces requises et à la manière d’effectuer la réparation réduisent les coûts de service et améliorent le taux de réussite dès la première intervention. Diebold, par exemple, sur-veille un grand nombre de ses distributeurs bancaires afin de repérer les premiers signes d’anomalie. Après avoir évalué le  fonctionnement d’un distributeur, la machine est réparée, si possible, à distance. Dans le

Les produits intelligents connectés peuvent fonctionner de manière autonome, les humains surveillant désormais des systèmes plutôt que des unités individuelles.

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Redéfinir la structure des secteursAfin de comprendre les effets des produits intelligents connectés sur les profits et la concurrence, il nous faut examiner leur impact sur la structure même du secteur d’activité concerné. Quel que soit le secteur, la concurrence est régie par cinq grandes forces : le pouvoir de négociation des acheteurs, la nature et l’intensité des rivalités entre les entreprises concur-rentes, la menace de nouveaux entrants, la menace de produits ou de services de substitution, et, enfin, le pouvoir de négociation des fournisseurs. Ensemble, la composition et l’intensité de ces forces déterminent la nature de la concurrence au sein du secteur et la moyenne des profits des entreprises. La structure d’un secteur évolue lorsqu’une nouvelle technologie, les besoins des clients ou d’autres facteurs modifient l’équilibre de ces cinq forces. Les produits intelligents connectés vont profondément affecter la structure de  nombreux secteurs, tout comme l’avait fait la précédente vague informatique, avec l’arrivée de l’Internet. Les effets seront ressentis plus fortement dans les secteurs manufacturiers.

Le pouvoir de négociation des acheteurs. Les produits intelligents connectés ouvrent de nouvelles opportunités de différenciation de l’offre, ce qui éloigne la concurrence du seul facteur prix. Le fait de connaître la manière dont les clients utilisent réelle-ment les produits donne aux entreprises plus de pos-sibilités de les segmenter, de les personnaliser, d’éta-blir des prix qui capturent plus de valeur et d’élargir l’offre de services à valeur ajoutée. Les produits intel-ligents connectés permettent en outre aux entreprises de développer des relations plus étroites avec leurs

cas contraire, l’entreprise envoie un technicien à qui on aura fourni un diagnostic détaillé du problème, une recommandation de protocole de réparation et, souvent, les pièces dont il a besoin. Finalement, comme beaucoup de produits intelligents connectés, les distributeurs bancaires Diebold peuvent être mis à  jour au fur et à mesure que de nouvelles améliora-tions sont disponibles. Cela se fait souvent à distance, grâce à des logiciels.

Autonomie. Les capacités de monitoring, de contrôle et d’optimisation des produits intelligents connectés se combinent pour leur permettre d’at-teindre des niveaux d’autonomie jusqu’ici inimagi-nables. Au plus simple niveau, on trouve un fonction-nement autonome correspondant à celui de l’iRobot Roomba, un aspirateur qui utilise des capteurs et un programme pour scanner et nettoyer les sols dans des pièces à l’agencement différent. Des produits plus sophistiqués sont capables de se renseigner sur leur environnement, de diagnostiquer le niveau de ser-vice nécessaire et de s’adapter aux préférences de l’utilisateur. L’autonomie réduit le besoin d’agents humains tout en permettant d’améliorer la sécurité dans des environnements dangereux et en facilitant le travail dans des endroits éloignés.

Les produits autonomes peuvent se coordonner à d’autres produits et systèmes. La valeur de ces capa-cités peut croître de manière exponentielle à mesure que de plus en plus de produits sont connectés. Ainsi, l’efficacité énergétique d’un réseau électrique aug-mente quand un nombre croissant de compteurs in-telligents y sont reliés, ce qui, à terme, permet au four-nisseur de connaître plus précisément les schémas de consommation et de répondre à la demande.

Au bout du compte, les produits peuvent fonc-tionner en complète autonomie, en appliquant des algorithmes qui utilisent les données relatives à leurs performances et à leur environnement – y compris l’activité d’autres produits du système – et en s’ap-puyant sur leur capacité à communiquer avec d’autres produits. Les opérateurs humains se contentent alors de suivre leurs performances et de surveiller un parc d’équipements ou de systèmes plutôt que des appa-reils individuels. Le système d’exploitation minière à longue taille de Joy Global, par exemple, est capable de fonctionner en toute autonomie à de grandes profondeurs, sous la supervision d’un centre de contrôle minier situé en surface. Les performances et les pannes de l’équipement font l’objet d’un suivi continu et les techniciens sont envoyés sous terre pour s’occuper des problèmes qui nécessitent une intervention humaine.

LES CINQ FORCES QUI RÉGISSENT LA CONCURRENCE AU SEIN D’UN SECTEUR

POUVOIR DE NÉGOCIATION

DES ACHETEURS

RIVALITÉS ENTRE

CONCURRENTS EN PLACE

Les objets intelligents connectés auront un impact majeur sur la structure des secteurs d’activité. Les cinq grandes forces qui régissent la concurrence fournissent un cadre permettant de comprendre l’importance de ces changements.

MENACE DE PRODUITS OU DE

SERVICES DE SUBSTITUTION

MENACE DE NOUVEAUX ENTRANTS

POUVOIR DE NÉGOCIATION

DES FOURNISSEURS

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clients. L’emprise sur l’historique et les données d’uti-lisation du produit a fait augmenter les coûts de chan-gement de fournisseur pour les acheteurs. De plus, les produits intelligents connectés permettent aux entre-prises de réduire leur dépendance vis-à-vis de la dis-tribution ou de partenaires, voire de les contourner, ce qui permet de faire plus de profit. Ceci tend à atténuer ou à réduire le pouvoir de négociation des acheteurs.

GE Aviation, par exemple, est maintenant en mesure de fournir directement plus de services aux utilisateurs finaux – une évolution qui a augmenté son pouvoir par rapport à ses clients proches, à savoir les avionneurs. Les informations recueillies à partir de centaines de capteurs placés dans les moteurs des avions permettent par exemple à GE et aux compa-gnies aériennes d’en optimiser les performances, en identifiant les écarts entre les performances prévues et les performances effectives. L’analyse des données de consommation de carburant réalisée par GE a permis à Alitalia d’identifier des changements pos-sibles dans ses procédures de vol, comme la position des volets à l’atterrissage afin de réduire l’utilisation de carburant. Les relations solides qu’a établies GE  avec les compagnies aériennes lui servent à se diff érencier, tout en améliorant le rapport de force avec les constructeurs aéronautiques.

Les produits intelligents connectés peuvent aussi améliorer le pouvoir de négociation des acheteurs en leur offrant une meilleure compréhension des per-formances réelles du produit, ce qui leur donne la possibilité de faire jouer un fabricant contre l’autre. Les acheteurs peuvent également considérer que l’accès aux données d’utilisation peut diminuer leur dépendance vis-à-vis du fabricant en termes de conseils et d’assistance. Enfin, si on les compare aux modèles propriétaires, les business models de « pro-duit en tant que service » ou les services de produit partagé (abordés ci-après) peuvent augmenter le pou-voir des acheteurs en réduisant le coût de migration vers un autre fabricant.

La rivalité entre concurrents. Les produits intelligents connectés peuvent potentiellement faire évoluer la concurrence en ouvrant un vaste éventail de nouvelles possibilités de différenciation et de services à forte valeur ajoutée. Ces produits per-mettent aussi aux entreprises de proposer une offre sur mesure à des segments de marché plus ciblés et même de personnaliser les produits à l’échelle indivi-duelle, poussant encore plus loin leur différenciation tout en améliorant leur avantage prix.

Les produits intelligents connectés génèrent également des opportunités d’élargissement de la

proposition de valeur au-delà des produits eux-mêmes, pour y inclure des données précieuses et des offres de services sophistiquées. Babolat, par exemple, produit des raquettes et des équipements de tennis depuis plus de cent quarante ans. Avec sa nouvelle raquette Babolat Play Pure Drive, dont la poignée intègre des capteurs et des composants de  connectivité, l’entreprise propose maintenant un   service destiné à aider les joueurs à progresser à travers le suivi et l’analyse de la vitesse des balles, des effets et des points d’impact, le tout transmis à une application pour smartphone.

Dans la dynamique concurrentielle, cet éloigne-ment de la pression des prix est compensé par la migra-tion de la structure des coûts des produits connectés intelligents vers une part plus conséquente de coûts fixes, tandis que les coûts variables diminuent. Cela est dû à l’importance des coûts initiaux de développe-ment des logiciels, à la complexité de la conception des produits et à la part fixe des coûts affectés à la mise en place de l’empilement de technologies évoqué plus haut, lequel inclut une connectivité fiable, ainsi qu’un stockage des données, des traitements analytiques et une sécurité solides (voir « Le nouvel empilement de technologies »). Les secteurs dont les structures de coûts fixes sont les plus élevées sont plus sensibles à la pression des prix, dans la mesure où les entreprises cherchent à ventiler leurs coûts fixes sur un nombre plus conséquent d’unités vendues.

L’énorme expansion des capacités qu’offrent les produits intelligents connectés peut aussi donner envie aux entreprises et à leurs rivales de se lancer dans une surenchère de caractéristiques et de fonc-tions et d’offrir bien trop de performances produits, dans une dynamique qui fait grimper les coûts et entame la rentabilité du secteur.

Enfin, la rivalité entre concurrents peut aussi s’ac-centuer à mesure que les produits intelligents connec-tés intègrent des systèmes de produits plus larges, une tendance que nous aborderons plus loin. Par exemple, historiquement, les fabricants de lumi-naires, d’appareils de divertissement audiovisuel et de systèmes de climatisation à usage domestique ne se sont jamais trouvés en concurrence. Pourtant, ils se  disputent aujourd’hui une place sur le nouveau marché des « maisons connectées », qui transforme un large éventail d’appareils ménagers en produits intelligents.

La menace de nouveaux entrants. Dans un univers de produits intelligents connectés, les nou-veaux entrants sont confrontés à de nouveaux obs-tacles de taille, à commencer par l’ampleur des coûts

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Les barrières à l’entrée s’élèvent aussi lorsque les entreprises présentes sur le marché s’approprient les  avantages cruciaux des premiers entrants en re-cueillant et en accumulant des données produits, puis en les exploitant pour améliorer leurs produits et leurs services, et pour remanier leur service après-vente. Les produits connectés peuvent également permettre d’augmenter la fidélité des clients et les coûts de migration, deux facteurs eux-mêmes susceptibles de participer à la hausse des barrières à l’entrée.

Ces dernières s’abaissent, cependant, lorsque les produits intelligents connectés court-circuitent ou annihilent les forces et les atouts des entreprises pré-sentes sur le marché. De plus, celles-ci peuvent se montrer hésitantes à s’engager dans le développe-ment des capacités des produits intelligents connec-tés, préférant protéger leurs forces relatives au maté-riel ainsi que leur rentabilité liée à la fourniture de services et de pièces détachées. Cela laisse la porte ouverte à de nouveaux compétiteurs comme OnFarm, qui n’offre pas de produits, mais concurrence avec succès les fabricants d’équipements agricoles tradi-tionnels en proposant aux agriculteurs des services de collectes de données sur les nombreuses machines de leurs exploitations pour les aider à prendre de meilleures décisions. OnFarm n’a ainsi pas besoin de

fixes liés à une conception de produits plus com-plexe, à la technologie intégrée et aux nombreuses couches qui composent les nouvelles infrastructures informatiques. Par exemple, avec l’analyseur de produits chimiques TruDefender FTi, Thermo Fisher a ajouté des éléments de connectivité à un produit proposant déjà des fonctionnalités intelligentes, afin de permettre la transmission des analyses chimiques d’environnements dangereux aux utilisateurs afin qu’ils puissent commencer les actions de prévention sans avoir à attendre la décontamination de la ma-chine et du personnel. Thermo Fisher avait besoin de créer un cloud complet pour le produit afin de re-cueillir, d’analyser et de stocker les données en toute sécurité et de les distribuer aussi bien en interne qu’en externe, un projet pour le moins considérable.

L’élargissement des fonctions d’un produit peut créer des barrières plus hautes à l’entrée. Biotronik, une entreprise d’appareils médicaux, fabriquait à l’ori-gine des pacemakers, des pompes à insuline et d’autres appareils individuels. Aujourd’hui, elle propose des dispositifs intelligents connectés tels des systèmes de  surveillance de soins à domicile, qui intègrent des centres de traitement des données permettant aux équipes médicales de surveiller à distance l’équipe-ment de leurs patients et leur état clinique.

1. Produit

2. Produit intelligent

3. Produit intelligent connecté

REDÉFINITION DU PÉRIMÈTRE DES SECTEURS D’ACTIVITÉNon seulement l’augmentation des capacités des produits intelligents connectés restructure la concurrence au sein des secteurs d’activité, mais elle en élargit également le périmètre. Cela se manifeste à mesure que la concurrence évolue des produits, pris individuellement, à des systèmes de produits constitués de produits connexes, à des systèmes de systèmes reliant toute une panoplie de systèmes de produits entre eux. Un fabricant de tracteurs, par exemple, peut se retrouver en situation de concurrence dans un secteur d’exploitation agricole automatisée élargi.

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devenir lui-même un fabricant de matériel. En matière de domotique, Crestron, un fournisseur de solutions intégrées, propose des systèmes complexes et dédiés dont les interfaces utilisateurs sont parti-culièrement sophistiquées. Les fabricants de produits sont aussi confrontés à de nouveaux enjeux amenés par d’autres concurrents non traditionnels comme Apple, qui a récemment lancé un nouveau système plus simple de gestion des maisons connectées à partir d’un smartphone.

La menace de produits de substitution. Les produits intelligents connectés peuvent fournir des performances, une personnalisation et une valeur client supérieures à celles des produits de substitution traditionnels, ce qui réduit les menaces de cette na-ture tout en améliorant la croissance et la rentabilité du secteur. Toutefois, pour de nombreuses activités, les produits intelligents connectés engendrent égale-ment de nouveaux types de menaces de substitution, notamment lorsque l’éventail des capacités du pro-duit englobe celles de produits classiques. Par exemple, l’appareil de fitness portable de Fitbit, qui recueille plusieurs types de données relatives à la santé, dont les niveaux d’activité et la façon de dor-mir, vient se substituer à des équipements tradition-nels comme les montres de course et les podomètres.

Les nouveaux business models qui émergent avec les produits intelligents connectés peuvent venir rem-placer ceux basés sur la propriété du produit, ce qui en réduit la demande dans son ensemble. En effet, les modèles de « produit en tant que service » permettent aux utilisateurs d’avoir entièrement accès à un pro-duit, mais de ne payer que pour l’usage qu’ils en font.

L’une des variantes de ce modèle se trouve dans le modèle d’utilisation partagée. Zipcar, par exemple, fournit à ses usagers un accès à des véhicules en temps réel, au moment et à l’endroit où ils en ont besoin. Cette approche remplace la possession d’une voiture et a encouragé les constructeurs automobiles tradi-tionnels à s’introduire sur ce marché avec des offres telles que RelayRides de GM, DriveNow de BMW et Dash de Toyota.

Un autre exemple est celui des vélos partagés, que l’on voit apparaître dans de plus en plus de villes. Une application pour smartphone montre la localisation des stations où les vélos peuvent être empruntés et déposés. Les utilisateurs sont suivis et le montant correspondant au temps d’utilisation du vélo leur est facturé. Une utilisation partagée diminue clairement le besoin de posséder un vélo pour les résidents ur-bains, mais elle peut encourager plus de personnes vivant en ville à les utiliser puisqu’elles n’ont plus à se

WEATHER DATA SYSTEM

PLATFORM

PLANTEUSES

MOISSON- NEUSES- BATTEUSES

BINEUSES

TRACTEURS

SYSTÈME D’ÉQUIPEMENTS

AGRICOLES

SYSTÈME D’ÉQUIPEMENTS

AGRICOLES

APPLICATIONS D’IRRIGATION

STATIONS D’IRRIGATION

CAPTEURS DE TERRAIN

SYSTÈME D’OPTIMISATION DES SEMENCES

SYSTÈME D’IRRIGATION

APPLICATION D’OPTIMISATION DES SEMENCES

BASE DE DONNÉES DES SEMENCES

BASE DE DONNÉES DES PERFORMANCES DE L’EXPLOITATION

APPLICATION DE DONNÉES MÉTÉOROLOGIQUES

PRÉVISIONS MÉTÉOCARTES MÉTÉO

CAPTEURS DE PLUIE, D’HUMIDITÉ, DE

TEMPÉRATURE

SYSTÈME DE GESTION DE

L’EXPLOITATION AGRICOLE

SYSTÈME DE DONNÉES

MÉTÉOROLOGIQUES

4. Système de produits

5. Système de systèmes

REDÉFINITION DU PÉRIMÈTRE DES SECTEURS D’ACTIVITÉ

VIDÉO Pour une étude de cas filmée sur la manière dont les produits intelligents connectés d’exploitation minière de Joy Global ont transformé les performances minières, rendez-vous sur https://hbr.org/video/3819456791001/smart-connected-mining

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plus grande part de la valeur du produit et de réduire la rentabilité des fabricants.

Un bon exemple de ce nouveau genre de fournis-seurs est l’Open Automotive Alliance, une plateforme commune dans laquelle General Motors, Honda, Audi et Hyundai ont récemment allié leurs forces afin d’utiliser le système d’exploitation Android de Google dans leurs véhicules. Les équipementiers du secteur automobile n’avaient pas les capacités spécifiques nécessaires au développement d’un système d’exploi-tation embarqué robuste permettant de proposer une expérience utilisateur hors pair tout en permettant à un écosystème de développeurs de construire des applications. Le pouvoir des équipementiers tradi-tionnels se trouve sérieusement diminué par rapport à des fournisseurs tels que Google, qui disposent non seulement de ressources et d’un niveau d’expertise importants, mais aussi d’une marque grand public forte et d’un grand nombre d’applications connexes (par exemple, les clients peuvent préférer une voiture capable de se synchroniser avec leur smartphone, leur musique, leurs applis).

Les nouveaux fournisseurs liés à l’empilement de technologies des produits intelligents connectés profitent aussi parfois d’un pouvoir plus grand du fait de leur rapport aux utilisateurs finaux et de leur accès aux données d’utilisation du produit. A mesure que les fournisseurs recueillent celles-ci auprès des utilisa-teurs, ils sont en mesure de leur proposer de nouveaux services, comme l’a fait GE avec Alitalia.

Nouveaux périmètres sectoriels et systèmes de systèmesLa puissance des capacités des produits intelligents connectés redéfinit non seulement la concurrence au

soucier ni de l’achat ni d’un emplacement où le garer. Ces vélos partagés, pratiques, sont non seulement un  substitut aux vélos personnels mais éventuelle-ment aux voitures et à d’autres formes de transports urbains. C’est l’intelligence et la connectivité de cette approche qui rend tout à fait possible sa substitution à la pleine propriété.

Le pouvoir de négociation des fournisseurs. Les produits intelligents connectés ébranlent les rela-tions traditionnelles avec les fournisseurs et redis-tribuent les pouvoirs de négociation. A mesure que les composants intelligents et la connectique des produits apportent plus de valeur aux composants physiques, ces derniers peuvent être banalisés, voire remplacés à terme par des logiciels. En outre, les logiciels réduisent le besoin d’adaptation physique et donc le nombre des divers composants physiques. Généralement, l’importance des fournisseurs dans le  coût total du produit décline et il en est de même de leur pouvoir de négociation.

Cependant, les produits intelligents connectés entraînent aussi souvent l’apparition de nouveaux fournisseurs dont les fabricants n’avaient jusqu’ici jamais eu besoin : les fournisseurs de capteurs, de logiciels, de connectique, de systèmes d’exploitation intégrés, de stockage de données, de traitements analytiques et d’autres éléments de l’empilement de technologies. Certains d’entre eux, comme Google, Apple et AT & T, sont des géants dans leur secteur. Ils possèdent les talents et les capacités dont la plupart des fabricants n’avaient historiquement pas besoin mais qui deviennent aujourd’hui des éléments de   différenciation et des postes de coût essentiels. Le  pouvoir de négociation de tels fournisseurs peut se révéler très élevé, ce qui leur permet de s’arroger une

CARTOGRAPHIER L’IMPACT SUR LA CONCURRENCE1 Quelle influence les produits intelligents connectés ont-ils sur la structure du secteur et sur son périmètre ?

2 Quelle influence les produits intelligents connectés ont-ils sur la configuration de la chaîne de valeur ou sur l’ensemble des activités impliquées dans le jeu de la concurrence ?

3 Quelles nouvelles formes de décisions stratégiques les produits intelligents

connectés obligeront-ils les entreprises à prendre afin d’établir un avantage concurrentiel ?

4 Quelles sont les implications organisationnelles lorsqu’on fait le choix de s’engager dans l’aventure de ce nouveau type de produits et quelles sont les difficultés susceptibles d’affecter la réussite de sa mise en œuvre ?

Dans cet article, nous étudions l’influence des produits intelligents connectés sur la structure des secteurs et leur périmètre, puis nous nous penchons sur les nouvelles décisions stratégiques auxquelles les entreprises sont confrontées. Dans le deuxième volet (à paraître dans un prochain numéro d’HBR), nous étudierons leur influence sur la chaîne de valeur et les questions organisationnelles qu’ils soulèvent.(PTC fait du business avec plus de 28 000 entreprises à travers le monde, certaines étant mentionnées dans cet article.)

Cet article constitue le premier d’une série qui en comporte deux et dans laquelle nous étudions la manière dont les produits intelligents connectés font évoluer la concurrence dans de nombreux secteurs. Aussi est-il essentiel que les entreprises se posent les questions de fond suivantes :

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sein d’un secteur mais peut aussi aller jusqu’à en redé-finir la nature même. Le périmètre concurrentiel d’un secteur d’activité s’élargit pour englober des gammes de produits apparentés qui, ensemble, répondent à un besoin sous-jacent plus large. Les fonctions d’un pro-duit sont optimisées par leur connection avec d’autres produits. Par exemple, intégrer des équipements agri-coles intelligents et connectés – tels que des tracteurs, des bineuses et des planteuses – peut permettre d’améliorer les performances des équipements dans leur ensemble.

La base même de la concurrence glisse donc de la fonctionnalité d’un produit distinct vers les perfor-mances d’un système de produits plus large, dont l’entreprise n’est qu’un acteur. Un fabricant peut maintenant proposer une offre groupée de plusieurs équipements connectés avec les services connexes destinés à optimiser le résultat final. Ainsi, si l’on re-prend l’exemple de l’exploitation agricole, le secteur s’étend de la fabrication de tracteurs à l’optimisation des équipements agricoles. Dans le cas de l’exploita-tion minière, Joy Global a évolué, de l’optimisation des performances d’équipements pris individuellement à  l’optimisation de l’ensemble des équipements déployés dans la mine. Le périmètre du secteur s’est élargi, partant d’engins miniers séparés pour aboutir à des systèmes d’équipement minier.

De plus en plus fréquemment, cependant, les limites d’un secteur s’étendent encore au-delà des systèmes de produits, jusqu’à des systèmes de sys-tèmes – c’est-à-dire un ensemble de systèmes de pro-duits tout à fait différents associés à des informations externes pouvant être coordonnées et optimisées, comme dans le cas d’un bâtiment intelligent, d’une maison intelligente ou d’une ville intelligente. John Deere et AGCO, par exemple, ont entrepris de relier non seulement les machines agricoles entre elles mais aussi les systèmes d’irrigation, le sol et les sources de nutriments, à quoi s’ajoutent les informations relatives à la météo, au prix des produits récoltés et au cours des matières premières, afin d’optimiser les performances de l’exploitation dans son ensemble. Les maisons intelligentes, qui impliquent plusieurs systèmes de produits, dont l’éclairage, le chauffage et la climati-sation, les divertissements et la sécurité, en sont un autre exemple. Les entreprises dont les produits et la conception ont le plus d’impact sur la performance totale du système seront les mieux placées pour diriger le processus et en tirer une valeur démesurée.

Certaines entreprises – comme John Deere, AGCO et Joy Global – cherchent délibérément à étendre et à redéfinir leurs activités. D’autres peuvent se trouver

menacées par cette évolution qui génère de nouveaux concurrents, un nouveau champ concurrentiel et la nécessité de disposer de capacités entièrement nou-velles et élargies. Les sociétés qui ne s’adaptent pas risquent de voir leurs produits traditionnels banalisés ou d’être reléguées à un rôle de fournisseur d’équipe-mentiers, contrôlé par les intégrateurs de systèmes.

L’effet qu’auront précisément les produits intel-ligents connectés sur la structure de l’activité sera variable d’un secteur à l’autre, mais certaines ten-dances semblent claires.

Tout d’abord, l’élévation des barrières à l’entrée, associée à l’avantage d’être la première entreprise sur le marché – avantage procuré par une accumulation et une analyse anticipée des données d’utilisation du produit –, indique que de nombreux secteurs devront fusionner.

Ensuite, la contrainte des fusions sera amplifiée dans les secteurs dont le périmètre s’élargit. Dans de tels cas, les fabricants monoproduit auront du mal à concurrencer les entreprises multiproduits, capables d’optimiser les performances produits à travers des systèmes plus étendus.

Enfin, il est probable que de nouveaux entrants importants émergent, car les entreprises qui ne sont pas entravées par un héritage identitaire ou figées dans une approche concurrentielle, et qui, de surcroît, n’ont pas à défendre une source de profits déjà établie, saisiront les opportunités d’exploiter pleinement le potentiel des produits intelligents connectés afin de créer de la valeur. Certaines de ces stratégies seront d’ailleurs « sans produit », c’est le système qui relie les produits – et non les produits par eux-mêmes – qui constituera l’avantage principal.

Produits intelligents connectés et avantages concurrentielsComment les entreprises peuvent-elles s’assurer un avantage concurrentiel durable dans une structure sectorielle mouvante ? Les principes fondamentaux de la stratégie continuent de s’appliquer. Pour acqué-rir un avantage concurrentiel, une entreprise doit être capable de se différencier afin de pouvoir imposer un prix plus élevé, ou de produire à un coût inférieur à celui de ses rivaux, voire les deux. Ceci permet de dégager une rentabilité et une croissance supérieures à la moyenne du secteur.

L’efficacité opérationnelle (EO) constitue la base de  tout avantage concurrentiel. L’EO nécessite l’appli-cation des meilleures pratiques dans l’ensemble de  la  chaîne de valeur, qui englobe les technologies récentes, les derniers équipements en matière de

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production, ainsi que des méthodes de pointe dans la  vente, les solutions informatiques et la gestion de la  chaîne logistique.

C’est dans l’efficacité opérationnelle que réside l’enjeu principal. Si une entreprise ne fonctionne pas de manière efficace et n’applique pas systématique-ment les meilleures pratiques, elle perdra du terrain sur ses concurrents en matière de coûts et de qualité. Pourtant, l’EO constitue rarement la source d’un avantage concurrentiel durable, car les concurrents mettront les mêmes pratiques en œuvre et finiront par s’aligner.

Pour aller au-delà de l’efficacité opérationnelle, une entreprise doit définir un positionnement straté-gique distinct. Là où l’EO consiste à faire les choses bien, le positionnement stratégique consiste à les faire différemment. Une entreprise doit choisir la manière dont elle proposera une valeur unique à l’ensemble des clients à qui elle choisit de s’adresser. Une straté-gie nécessite des compromis : il ne s’agit pas seule-ment de décider de ce qu’il faut faire, mais aussi de ce qu’il ne faut pas faire.

Les produits intelligents connectés définissent de  nouvelles normes d’efficacité opérationnelle et relèvent considérablement le niveau en termes de meilleures pratiques. Toutes les entreprises devront décider comment intégrer les capacités de produits intelligents et connectés dans leurs propres produits. Mais le produit ne sera pas le seul à être affecté. Comme nous l’avons vu plus haut, l’évolution vers les  produits intelligents connectés implique aussi la   création de nouvelles meilleures pratiques pour l’ensemble de la chaîne de valeur.

Ce point spécifique sera développé dans un article ultérieur (voir « Cartographier l’impact sur la concur-rence »). Ici, nous allons examiner rapidement l’impact qu’ont les produits intelligents connectés sur la conception du produit, les services, le marketing, les ressources humaines et la sécurité, dans la mesure où l’évolution de ces fonctions internes a souvent une influence directe sur les décisions stratégiques.

Conception. Les produits intelligents connectés requièrent un ensemble de principes de conception tout à fait nouveaux, comme des concepts permet-tant d’établir la standardisation du matériel à travers une adaptation qui s’appuie sur les logiciels, des concepts permettant la personnalisation, des concepts intégrant la possibilité de réaliser des amé-liorations produits en continu, et des concepts per-mettant un service de prévisions, perfectionné ou à distance. Des compétences pointues en ingénierie des systèmes et en méthodes de développement de

logiciels agiles sont essentielles à l’intégration d’un produit matériel et de son électronique, de ses logi-ciels, de son système d’exploitation et de sa connec-tique – autant de champs d’expertise qui ne sont pas si fréquents chez de nombreux fabricants. Les proces-sus de développement de produit devront également savoir s’adapter de manière rapide et efficace à des changements de conception qui interviennent à des étapes tardives, voire après la vente. Les entreprises devront harmoniser les rythmes intrinsèquement dif-férents du développement du matériel et des logi-ciels, une équipe développant un logiciel doit pouvoir générer jusqu’à dix itérations d’une application dans le même intervalle de temps que celui nécessaire à la création d’une seule nouvelle version du matériel sur lequel elle fonctionne.

Service après-vente. Les produits intelligents connectés offrent des progrès importants en termes de maintenance préventive et d’efficacité de l’entre-tien. De nouvelles organisations et de nouveaux pro-cessus sont nécessaires pour profiter des données produit susceptibles de révéler des problèmes exis-tants ou imminents et de permettre aux entreprises de réaliser des réparations rapides, et parfois à dis-tance. Les données d’utilisation et de performance en  temps réel favorisent les réductions des coûts de déploiement sur le terrain et un gain significatif dans la gestion des stocks de pièces détachées. Les alertes anticipées de défaillance imminente sur une pièce ou un composant peuvent réduire les pannes et per-mettre une planification de l’entretien plus efficace. Les données relatives à l’utilisation et aux perfor-mances du produit peuvent permettre un retour concernant la conception du produit, de sorte que les entreprises puissent à l’avenir réduire les dysfonction-nements et ajuster de manière plus efficace les ser-vices qui y sont associés. Les données d’utilisation du produit peuvent aussi servir à valider des demandes relatives à la garantie ou à identifier d’éventuels non-respects des conditions de cette dernière.

Dans certains cas, les entreprises peuvent dimi-nuer les coûts d’entretien en remplaçant des pièces physiques par des « pièces logicielles ». Par exemple, les affichages LCD en verre des cockpits dans les avions modernes, qui peuvent être réparés ou mis à jour par l’intermédiaire de logiciels, ont remplacé les jauges et les cadrans mécaniques et électriques. Les données d’utilisation du produit permettent égale-ment aux entreprises d’opter pour une meilleure « conception pour l’entretien » – c’est-à-dire de réduire la complexité ou de repenser la disposition de pièces sujettes aux pannes afin de simplifier les réparations.

TeslaUn véhicule Tesla ayant besoin d’une réparation peut appeler de manière autonome une action corrective par le biais du téléchargement d’un logiciel ou bien, si nécessaire, envoyer une notification au client lui proposant qu’un voiturier vienne chercher le véhicule afin de l’amener dans un centre Tesla.

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Toutes ces opportunités modifient considérable-ment les activités de services au sein de la chaîne de  valeur.

Marketing. Les produits intelligents connectés permettent aux entreprises d’établir de nouvelles formes de relations avec leurs clients, ce qui nécessite un nouvel éventail de pratiques et de compétences marketing. A mesure que les entreprises accumulent et analysent les données d’utilisation du produit, elles acquièrent une connaissance plus fine de la manière dont ce dernier crée de la valeur pour les clients, ce qui en retour permet d’affiner le position-nement des offres et de proposer une communication plus claire des avantages du produit auprès des clients. Grâce aux outils de traitement analytique, les entreprises peuvent segmenter leurs marchés de manière plus sophistiquée afin de proposer des produits et services packagés sur-mesure apportant plus de valeur à chaque segment, avec un prix qui aura été déterminé afin de saisir une plus grande part de cette valeur. Cette approche est particulièrement pertinente quand les produits peuvent être adaptés rapidement et efficacement avec un coût marginal peu élevé grâce à des modifications des logiciels (par opposition à des modifications du matériel). Par exemple, John Deere, qui, avant, produisait plusieurs moteurs de différents niveaux de puissance destinés à différents segments de clientèle, peut aujourd’hui modifier le niveau de puissance sur un même moteur simplement à partir d’un logiciel.

Ressources humaines. Les produits intelligents connectés engendrent de nouvelles exigences et de nouveaux enjeux en termes de ressources humaines. Le plus urgent concerne le besoin de recruter de nou-veaux panels de compétences, dont beaucoup sont très demandées. Les services d’ingénierie, dont le personnel est traditionnellement constitué d’ingé-nieurs en mécanique, doivent intégrer des talents spécialistes du développement de logiciels, d’ingénie-rie des systèmes, du cloud, du traitement analytique du big data et d’autres domaines encore.

Sécurité. Les produits intelligents connectés nécessitent une gestion solide de la sécurité afin de protéger les données circulant depuis, vers et entre les produits, de protéger les produits contre des utilisa-tions non autorisées et de sécuriser l’accès entre l’empilement de technologies du produit et d’autres systèmes de l’entreprise. Cela demande de nouveaux processus d’authentification, des stockages sécurisés de données produit, des mesures de protection contre les hackers aussi bien pour les données produits que pour les données clients, une définition et un contrôle

des autorisations d’accès, et des mesures de pro-tection pour les produits eux-mêmes vis-à-vis des hackers et des utilisations non autorisées.

Implications stratégiquesAu final, le chemin d’un avantage concurrentiel passe toujours par la stratégie. Nos travaux de recherche révèlent que, dans un monde intelligent et connecté, les entreprises doivent faire face à dix nouveaux choix stratégiques. Chacun implique des compromis et doit refléter la situation particulière de l’entreprise. Ces choix sont aussi interdépendants ; ils doivent se renforcer mutuellement et définir un positionnement stratégique global cohérent pour l’entreprise.

1 Quel éventail de caractéristiques et de capacités une entreprise devrait-elle envi-

sager pour ses produits intelligents connectés ? Les produits intelligents connectés étendent radicale-ment la gamme de possibilités et de caractéristiques potentielles pour les produits. Les entreprises peuvent être tentées d’ajouter autant d’options que possible, surtout au regard du coût marginal relative-ment bas de l’adjonction de capteurs supplémentaires ou de nouvelles applications, et des coûts essentielle-ment fixes du cloud de produit et des autres infras-tructures. Mais ce n’est pas parce qu’une entreprise peut offrir un grand nombre de nouvelles possibilités que la valeur du produit aux yeux des clients en dé-passe le coût. Et lorsque les entreprises se lancent dans une surenchère de fonctionnalités et de capaci-tés, elles finissent par brouiller les différences straté-giques, et créer une compétition à somme nulle.

Comment une entreprise devrait-elle décider quelles caractéristiques intelligentes connectées proposer ? Tout d’abord, elle doit choisir celles qui apporteront une valeur réelle au client par rapport à leur coût. Dans le secteur des chauffe-eau à usage domestique, A.O. Smith a développé des capacités de détection et de notification des dysfonctionnements, mais les chauffe-eau ont une telle longévité et une telle fiabilité que peu de foyers sont prêts à payer un prix qui justifierait le coût de ce genre d’option. En conséquence, A.O. Smith ne les propose qu’avec une sélection restreinte de modèles. A contrario, pour les chaudières et chauffe-eau à usage commercial, de telles possibilités sont appréciées et de plus en plus demandées. La valeur que représentent un suivi et une gestion à distance pour des clients professionnels, dont les activités ne peuvent pas fonctionner sans chauffage ou sans eau chaude, est élevée par rapport au coût que cela représente, et de telles fonctionnali-

Joy GlobalLes équipements miniers intelligents et connectés tels que cette haveuse pour longue taille se coordonnent en toute autonomie avec d’autres appareils afin d’améliorer l’efficacité de l’exploitation.

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tés sont donc en passe de devenir la norme – sachant que le coût d’incorporation d’éléments intelligents et  connectés dans les produits tendra à diminuer dans le temps, comme c’est le cas pour les chaudières et les  chauffe-eau. Aussi, lorsqu’elles décident quelles caractéristiques proposer, les entreprises doivent constamment revoir l’équation de valeur.

Ensuite, la valeur des caractéristiques ou des capa-cités est amenée à varier selon les segments de marché et, en conséquence, la sélection offerte dépendra du segment sur lequel l’entreprise choisit de se position-ner. Schneider Electric, par exemple, propose des pro-duits de construction et des solutions de gestion de bâtiment intégrées qui recueillent de grands volumes de données concernant la consommation d’énergie et d’autres mesures des performances d’un bâtiment. Pour un de ses segments de clientèle, les solutions de Schneider impliquent un suivi à distance des équipe-ments, des alertes et des services de conseil sur la réduction des consommations énergétiques ou sur d’autres postes de coûts. Par contre, pour un autre segment de clients souhaitant une solution de sous-traitance complète, Schneider prend le contrôle à distance des équipements afin de minimiser la consommation d’énergie pour le compte du client.

Enfin, une entreprise devrait intégrer les capacités et caractéristiques qui lui permettent de consolider son positionnement vis-à-vis de la concurrence. Une entreprise ayant opté pour une stratégie haut de gamme a généralement la possibilité de renforcer son axe de différenciation par un éventail d’options sophistiquées, tandis qu’une société au positionne-ment low-cost peut choisir de n’incorporer que les caractéristiques les plus basiques ayant un impact sur les performances principales tout en réduisant les coûts d’exploitation. Par exemple, la division chau-dières Lochinvar d’A.O. Smith, dont la stratégie s’arti-cule autour d’une différenciation prononcée, a choisi d’établir une nouvelle norme pour le cœur de son acti-vité en intégrant systématiquement des éléments in-telligents et connectés dans ses produits. A contrario, le fabricant de montres de luxe Rolex a décidé que l’univers des montres intelligentes connectées ne constituait pas un domaine dans lequel il souhaitait entrer en lice.

2 Quelle part des fonctionnalités devrait être intégrée dans le produit et quelle part dans

le cloud ? Une fois que l’entreprise a choisi quelles capacités proposer, elle doit décider si les technolo-gies de chaque fonctionnalité devraient être intégrées dans le produit (ce qui en augmente le coût unitaire)

ou apportées par l’intermédiaire du cloud, ou les deux. Outre les coûts, un certain nombre de facteurs devraient être pris en considération.

Temps de réponse. Une fonctionnalité nécessitant un temps de réponse rapide, comme un arrêt en ur-gence par mesure de sécurité dans une centrale nu-cléaire, implique obligatoirement que le logiciel soit intégré dans le produit physique. Cela réduit aussi le risque d’allongement du temps de réponse dû à une perte ou un défaut de connectivité.

Automatisation. Les produits intégralement auto-matisés, tels les systèmes de freinage antiblocage, nécessitent en principe que la plus grande part des fonctionnalités soit intégrée dans l’appareil.

Disponibilité, fiabilité et sécurité du réseau. Incor-porer les logiciels dans le produit évite de dépendre du réseau et limite la quantité de données circulant entre le produit et les applications situées dans le cloud. Cela réduit le risque que des données sensibles ou confidentielles soient mises en danger au cours de la transmission.

Lieu d’utilisation du produit. Les entreprises utili-sant des produits dans des lieux éloignés ou dange-reux peuvent atténuer les dangers et les coûts relatifs à de telles situations en hébergeant les fonctionnalités dans le cloud de produit. Comme nous l’avons vu pré-cédemment, les analyseurs de produits chimiques Thermo Fisher, utilisés dans des environnements dangereux ou toxiques, ont des capacités situées dans le cloud et une connectivité permettant la transmis-sion instantanée des données de contamination, ce qui favorise la mise en œuvre immédiate d’actions de prévention.

Nature de l’interface utilisateur. Si l’interface utili-sateur est complexe et amenée à changer fréquem-ment, il convient de la placer dans le cloud. Le cloud offre en effet la possibilité de proposer une expérience utilisateur bien plus riche tout en tirant éventuelle-ment parti d’une interface utilisateur solide, existante et familière, tel un smartphone.

Fréquence des opérations d’entretien ou des amé-liorations du produit. Les applications et les inter-faces basées sur le cloud permettent aux entreprises de réaliser facilement, voire automatiquement, des changements ou des améliorations.

Le fabricant d’équipements audio domestiques, Sonos, pionnier dans les produits intelligents connec-tés, profite des capacités que lui ouvre le cloud pour « réinventer les systèmes audio de la maison à l’ère du numérique », et met en avant l’aspect pratique, le choix musical et la facilité d’utilisation. Les systèmes sans fil de Sonos placent aussi bien la source musicale

BabolatLe système Play Pure Drive de Babolat intègre des capteurs et des composants de connectivité dans la poignée d’une raquette de tennis, ce qui permet aux utilisateurs de suivre et d’analyser la vitesse des balles, leurs effets et les points d’impact afin d’améliorer leur jeu.

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que l’interface utilisateur dans le cloud, ce qui permet à la marque d’épurer le design de ses produits phy-siques : l’appareil, portable, contrôlé depuis un smart-phone, ne contient que l’ampli et le haut-parleur. Avec une telle offre, Sonos cherche à révolutionner le mar-ché de la hi-fi domestique. La contrepartie ? Le son des systèmes audio sans fil diffusant de la musique en streaming n’a pas le niveau de qualité qu’exigent les vrais mélomanes. Les concurrents comme Bose feront d’autres choix, et d’autres compromis, pour asseoir leur stratégie de différenciation.

Nous pensons que, à mesure que les produits intel-ligents connectés évoluent, plus de possibilités d’in-terface homme-machine pourraient migrer du pro-duit vers le cloud. Cependant, le niveau de complexité d’utilisation de ces interfaces augmentera, à tel point que cela risque de dépasser les utilisateurs et d’entraî-ner un retour de manivelle. Ce qui pourrait alors ame-ner les entreprises à réinstaurer des interfaces plus simples et plus faciles d’utilisation pour certaines fonctions de base, y compris, par exemple, les com-mandes on/off.

3 L’entreprise devrait-elle envisager un système ouvert ou un système fermé ? Les

produits intelligents connectés impliquent divers types de fonctionnalités et de services, et constituent souvent des systèmes englobant plusieurs produits. Une approche en système fermé vise à faire en sorte que les clients achètent l’intégralité du système de produits intelligents connectés auprès d’un seul fabri-cant. Les interfaces clés sont des interfaces proprié-taires et seuls des partenaires autorisés peuvent y ac-céder. Les données opérationnelles que GE collecte grâce à ses moteurs d’avion, par exemple, sont exclu-sivement mises à la disposition des compagnies aériennes qui utilisent les moteurs en question. A contrario, un système ouvert permet au client final d’assembler lui-même les différentes parties d’une solution – aussi bien les produits concernés que la pla-teforme qui reliera l’ensemble du système – en se les procurant auprès de plusieurs entreprises différentes. Ici, les interfaces d’accès à chaque partie du système sont ouvertes ou standardisées, ce qui autorise un acteur externe à créer de nouvelles applications.

Les systèmes fermés créent un avantage concur-rentiel dans la mesure où ils permettent à l’entreprise de contrôler et d’optimiser la conception de chacune des parties du système les unes par rapport aux autres. L’entreprise garde la mainmise sur les technologies et les données ainsi que sur la direction du développe-ment du produit et de son cloud. Les fabricants de

composants du système ne peuvent pas y accéder ou doivent obtenir expressément le droit d’y intégrer leurs produits. Une approche fermée peut se traduire par le fait que le système d’un fabricant devient de facto la norme du secteur, ce qui permet à l’entreprise de s’attribuer une valeur maximale.

Une approche fermée nécessite des investisse-ments conséquents et est optimale lorsqu’un seul fabricant possède une position dominante dans le secteur, sur laquelle il peut s’appuyer afin de contrôler l’approvisionnement des différentes parties du système. Si Philips Healthcare ou GE Healthcare était, l’un ou l’autre, le fabricant dominant d’équipements d’imagerie médicale, par exemple, cela entraînerait une approche fermée dans laquelle l’un pourrait imposer aux hôpitaux des systèmes d’imagerie médi-cale n’incluant que ses propres équipements ou éven-tuellement ceux de ses partenaires. Cependant, comme ni l’une ni l’autre de ces entreprises n’a cette position de force qui restreint le choix des hôpitaux, elles proposent toutes deux, pour leurs systèmes d’imagerie, des plateformes pouvant être reliées à des machines produites par d’autres fabricants.

Un système entièrement ouvert permet à n’im-porte quelle entité d’y participer et d’interagir avec lui. Lors du lancement des ampoules intelligentes connectées Hue, par exemple, Philips Lighting a inté-gré une application simple pour smartphone, permet-tant aux utilisateurs de contrôler séparément la cou-leur et l’intensité de chaque ampoule. Philips publia également l’interface de programmation de l’applica-tion, à partir de laquelle des développeurs indé-pendants lancèrent des dizaines d’applications, qui élargirent le champ d’utilisation des ampoules Hue, ce qui eut pour effet d’en stimuler les ventes. Une approche ouverte favorise un développement des applications et des innovations système plus rapides dans la mesure où plusieurs entités y contribuent. Elle peut aussi se traduire par une norme de facto du secteur mais, cette fois-ci, l’entreprise n’en retirera pas les avantages propriétaires.

Si un système fermé s’avère possible pour des systèmes de produits individuels, il est souvent peu pratique pour les systèmes de systèmes. Whirlpool, par exemple, constate que sa position de leader dans le domaine des appareils ménagers ne sera pas suffi-sante pour en faire aussi un leader dans les maisons connectées, qui comprennent non seulement de l’électroménager connecté mais aussi des éclairages automatisés, ainsi que des systèmes de chauffage et de climatisation, de divertissement et de sécurité. C’est pour cela que Whirlpool conçoit ses équipements afin

Ralph LaurenLe Polo Tech de Ralph Lauren envoie en streaming la distance parcourue, les calories brûlées, l’intensité des mouvements, le rythme cardiaque et d’autres données sur le mobile de l’utilisateur.

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trielles vont devenir des éditeurs de logiciels. » La na-ture des technologies qui entrent en jeu dans les pro-duits intelligents connectés explique clairement pourquoi cela pourrait bien devenir réalité et pour-quoi il est crucial de construire ses propres capacités informatiques en interne.

C’est pour ces raisons que les pionniers de la première heure, AGCO et John Deere, ont tous deux essentiellement choisi l’option interne pour dévelop-per des machines agricoles intelligentes. GE, pour sa  part, a ouvert un grand centre de développement informatique afin de disposer des capacités internes que le groupe considère comme stratégiques pour toutes ses unités opérationnelles.

Cependant, comme cela a été le cas avec les deux vagues informatiques précédentes, la difficulté, les compétences, le temps et les coûts qu’implique la construction d’un empilement de technologies complet pour les produits intelligents connectés sont titanesques et mènent à une spécialisation pour cha-cune des couches. Tout comme Intel s’est spécialisé dans les microprocesseurs et Oracle dans les bases de  données, de nouvelles sociétés spécialisées dans les  composants de l’empilement de technologies des  produits intelligents connectés émergent déjà, et  leurs investissements technologiques sont amortis sur plusieurs milliers de clients. Les précurseurs qui optent pour un développement en interne risquent de  surestimer leur aptitude à maintenir leur avance et de finir par ralentir leur cadence de développement.

Mais la sous-traitance peut devenir une nouvelle source de coûts, dans la mesure où les fournisseurs et les partenaires exigent une part plus importante de la valeur créée. Les entreprises qui dépendent de parte-naires compromettent également leur capacité à se différencier quand elles avancent, leur capacité à construire et à garder en interne le type d’expertise nécessaire pour définir la stratégie de conception du produit dans son ensemble, ainsi que pour gérer l’innovation et bien choisir ses fournisseurs.

Lorsqu’elles font le choix d’options internes plutôt qu’externes, les entreprises devraient identifier les couches de technologies qui leur ouvrent le plus d’opportunités en matière de maîtrise du produit, d’innovations futures et d’avantage concurrentiel, et sous-traiter celles plus susceptibles de devenir géné-riques ou d’avancer trop rapidement. Par exemple, la plupart des entreprises devraient entretenir des capa-cités internes solides dans des domaines tels que la conception du produit, l’interface utilisateur, l’ingé-nierie des systèmes, l’analyse des données et le déve-loppement rapide d’applications.

qu’ils puissent instantanément être reliés à une gamme de systèmes domotiques présents sur le marché, en ne cherchant à garder son contrôle pro-priétaire que sur les caractéristiques de ses propres produits. On peut voir des approches hybrides, dans lesquelles un sous-ensemble de fonctionnalités est ouvert tandis que l’entreprise garde le contrôle sur l’accès à l’étendue complète des possibilités, dans des secteurs tels que celui des équipements médicaux, où les fabricants adoptent une interface standard pour le  secteur mais proposent plus de fonctionnalités à leurs clients. A terme, les approches fermées devien-dront plus difficiles dans la mesure où les technologies seront plus répandues et où les clients seront réfrac-taires à ce qu’on limite leurs choix.

4 L’entreprise devrait-elle développer la to-talité des fonctionnalités et des infrastruc-

tures relatives aux produits intelligents connec-tés en interne, ou devrait-elle en sous-traiter une partie auprès de fournisseurs et de parte-naires ? Mettre en place l’empilement de techno-logies pour les produits intelligents connectés néces-site des investissements importants dans un ensemble de compétences, de technologies et d’infrastructures spécialisées que l’on trouve peu fréquemment dans les entreprises industrielles. En outre, une grande par-tie de ces compétences sont rares et très demandées.

Une entreprise doit choisir quelles couches de technologies développer et garder en interne, et celles qu’il convient de sous-traiter à des fournisseurs ou à des partenaires. Ensuite, dans le choix de partenaires externes, elle doit décider si elle opte pour le dévelop-pement de solutions personnalisées sur mesure ou pour l’acquisition des meilleures licences standards à chaque niveau. Nos travaux de recherche indiquent que les entreprises les plus prospères combinent judicieusement les deux.

Les entreprises qui développent des produits intel-ligents connectés en interne intègrent des compé-tences et des infrastructures clés, et gardent plus de contrôle sur les caractéristiques, les fonctionnalités et les données produit. Elles peuvent aussi s’attribuer l’avantage d’être la première entreprise sur le marché, ce qui leur donne les moyens d’influencer la direction que prendra le développement de la technologie. Elles suivront leur propre courbe d’apprentissage, plus ar-due, ce qui pourra les aider à entretenir leur avantage concurrentiel. Par exemple, alors que les compétences relatives aux logiciels sont peu développées dans la plupart des entreprises industrielles, Jeff Immelt a affirmé récemment : « Toutes les entreprises indus-

SonosLes systèmes audio sans fil de l’entreprise placent l’interface utilisateur dans le cloud, ce qui permet de contrôler l’appareil depuis un smartphone.

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Ces choix seront amenés à évoluer dans le temps. Dans les premiers stades de développement des tech-nologies des produits intelligents connectés, le nombre de fournisseurs compétents et solides étant limité, les entreprises étaient obligées d’opter pour un développement en interne ou sur mesure. Mais on voit déjà émerger des fournisseurs de référence pro-posant des solutions de connectivité et des clouds clés en main, des plateformes d’applications haute performances sécurisées et des outils de traitement analytique du big data prêts à l’usage. Il est de ce fait d’autant plus difficile pour les initiatives internes de garder le rythme et cela peut transformer une avance initiale en véritable handicap.

5 Quelles données l’entreprise doit-elle re-cueillir, sécuriser et analyser afin d’optimi-

ser la valeur de son offre ? Les données produit sont essentielles à la création de valeur et à la défini-tion d’un avantage concurrentiel dans l’univers des produits intelligents connectés. Mais la collecte de données nécessite des capteurs, qui viennent ajouter au coût du produit, ce qui est aussi le cas de la trans-mission, du stockage, de la sécurisation et de l’analyse de ces données. Les entreprises peuvent aussi se trou-ver dans l’obligation d’obtenir les droits relatifs à ces données – éléments de coût et de complexité supplé-mentaires. Afin de déterminer le type de données ap-portant suffisamment de valeur par rapport aux coûts qu’elles impliquent, l’entreprise doit prendre en consi-dération les questions suivantes : en quoi chaque type de données crée-t-il une valeur tangible en termes de fonctionnalité ? En termes d’efficacité de la chaîne de valeur ? Les données vont-elles aider l’entreprise à améliorer la manière dont le système de produits se comporte au fil du temps ? A quelle fréquence faut-il collecter les données pour optimiser leur utilité et combien de temps devrait-on les garder ?

Les entreprises doivent aussi se pencher sur les questions des risques relatifs à l’intégrité du produit, à la sécurité et au respect de la vie privée pour chaque type de données, avec les coûts que cela représente. Moins les données recueillies par une entreprise sont sensibles, moins il y a de risques de brèches ou de perturbations dans les transmissions. Lorsque les exigences de sécurité sont élevées, les entreprises ont besoin de compétences spécifiques pour protéger les données et limiter les risques lors de la transmission, en stockant des données dans le produit lui-même.

Le type de données qu’une entreprise choisit de recueillir et d’analyser dépend aussi de son position-nement. Si la stratégie de l’entreprise vise à être leader

sur les performances du produit ou à minimiser les coûts, elle doit généralement chercher à capturer une « valeur immédiate » importante qu’elle peut exploiter en temps réel. Ceci se montre particulièrement vrai pour des produits complexes au prix élevé pour les-quels toute période d’arrêt engendre un lourd manque à gagner, tels les éoliennes ou les moteurs à réaction.

Pour les entreprises cherchant le leadership dans un système de produits, il faut investir dans une col-lecte et une analyse de données de grande envergure qui englobe plusieurs produits et des environnements externes, et concerne même des produits que l’entre-prise ne propose pas. Par exemple, un système de produits intelligents connectés peut nécessiter la collecte d’informations sur la circulation, sur les conditions météo et sur le prix des carburants à divers endroits pour une flotte complète de véhicules.

Différentes stratégies impliquent différentes déci-sions quant au recueil des données. Nest, qui ambi-tionne d’être le leader dans l’efficacité énergétique et les dépenses d’énergie, collecte un large éventail de données à la fois sur l’utilisation des produits et les pics de consommation sur le réseau énergétique. Ceci a permis la mise en place du programme Rush Hour Rewards, qui augmente le thermostat de la climatisa-tion des résidences des clients afin de réduire leur consommation d’énergie lors des pics de demande et prérafraîchit la maison avant que ce pic ne survienne. En s’associant avec les fournisseurs d’énergie pour obtenir des données de leur part et les intégrer avec celles de sa clientèle, Nest permet à ses clients de gagner des remises ou des avoirs auprès de leur four-nisseur d’énergie et de consommer moins d’énergie à des moments où tous les autres en utilisent plus.

6 Comment l’entreprise gère-t-elle les droits de propriété et d’accès à ses données pro-

duit ? Au moment où une entreprise choisit la nature des données à recueillir et à analyser, elle doit aussi déterminer comment en obtenir les droits et en gérer les accès. La question clé est : à qui les données appar-tiennent-elles effectivement ? Le fabricant est peut-être propriétaire du produit, mais les données d’utili-sation appartiennent potentiellement au client. Par exemple, qui est le propriétaire légitime des données transmises en streaming depuis le moteur intelligent et connecté d’un avion – le fournisseur du moteur, le constructeur aérien ou la compagnie aérienne qui possède l’avion et l’exploite ?

Il existe un éventail d’options pour définir les droits relatifs aux données des produits intelligents connec-tés. Les entreprises peuvent chercher la pleine pro-

MedtronicLes appareils numériques de mesure du glucose dans le sang de Medtronic sont implantés dans le patient et se connectent sans fil à un système de surveillance et d’affichage. Ils peuvent ainsi alerter lorsque l’évolution des taux de glucose nécessite l’attention.

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Il est aujourd’hui assez courant de voir des contrats « d’un clic » accordant un consentement large au recueil de données lors de la première utilisation d’un produit intelligent connecté. Ce consentement auto-rise les entreprises à recueillir sans distinction les données et à les utiliser sans trop de contraintes. Avec le temps, nous nous attendons à voir apparaître des cadres contractuels plus rigoureux et des procédures qui régissent ces droits afin de définir et de protéger la propriété intellectuelle associée aux données des produits intelligents connectés. Il appartient aux entreprises de devancer la tendance, surtout pour les données qu’elles ont réellement besoin de recueillir afin de promouvoir la création de valeur.

Dans les secteurs très réglementés comme celui des équipements médicaux, une gestion minutieuse des données sera également essentielle. Les normes réglementaires d’accès et de sécurité des données sont déjà en place dans beaucoup de secteurs de ce genre. Biotronik a créé une infrastructure qui permet de recueillir de manière sécurisée des informations sur le patient, comme des phénomènes d’arythmie ou  le niveau de charge de la batterie d’un pacemaker, et de ne les partager qu’avec un public spécifique, à savoir le médecin du patient. De toute façon, quel que soit le secteur, la gestion des données constituera une compétence essentielle et les violations en matière de données entraîneront des conséquences graves, quelle que soit l’entité à qui incombe la faute. Le risque relatif à la sécurité fait partie intégrante du business case concernant la nature des données à recueillir et la manière de les gérer.

7 L’entreprise devrait-elle se libérer d’inter-médiaires tels que les canaux de distribu-

tion ou les réseaux de services ? Les produits intelligents connectés permettent aux entreprises d’entretenir des relations directes et approfondies avec leurs clients, ce qui peut diminuer le besoin de travailler avec des canaux de distribution partenaires. Les entreprises peuvent également diagnostiquer les problèmes de performance et les pannes, et parfois même les réparer à distance, ce qui réduit leur dépen-dance vis-à-vis de services partenaires dans ce domaine. En minimisant le rôle des intermédiaires,

priété des droits, ou envisager une propriété conjointe. Il y a également plusieurs niveaux de droits d’exploi-tation, comprenant les accords de confidentialité, le droit de partager les données ou de les vendre. Les entreprises doivent définir leur approche en termes de transparence dans la collecte et l’utilisation des don-nées. Les droits relatifs aux données peuvent être pré-sentés dans un accord clair ou noyés dans des docu-ments en caractères minuscules, ou encore rédigés dans un jargon incompréhensible. Si l’on assiste ac-tuellement à un mouvement général vers plus de transparence dans la collecte des données, dans tous les secteurs, les normes quant à leur confidentialité et à leur propriété restent souvent à établir.

Une autre option pour la gestion des droits et de l’accès aux données consiste à mettre en place un cadre de partage des données avec les fournisseurs de composants, qui leur permette d’avoir accès aux infor-mations concernant l’état et les performances des composants, mais pas à leur localisation. Cependant, limiter l’accès des fournisseurs aux données risque potentiellement d’en réduire l’intérêt si ces derniers ne peuvent pas avoir une connaissance approfondie de l’utilisation du produit, ce qui ralentit l’innovation.

Les clients et les utilisateurs veulent aussi avoir leur mot à dire dans ces choix. Aujourd’hui, certains clients sont bien plus ouverts que d’autres au partage de leurs données d’utilisation du produit. Par exemple, un élément de la proposition de valeur de Fitbit est la possibilité de partager les informations d’activité collectées sur des médias sociaux. Mais tout le monde ne le souhaite pas. De même, des conducteurs pru-dents peuvent accepter de partager avec leur assu-rance ou avec les loueurs de voitures les données concernant leurs habitudes de conduite afin d’obtenir un tarif plus avantageux, mais d’autres peuvent se montrer réticents. Les entreprises devront fournir une proposition de valeur claire à leurs clients afin de les encourager à partager leurs pratiques ou d’autres don-nées. A mesure que les consommateurs prennent conscience de la valeur que ces données génèrent dans l’ensemble de la chaîne de valeur, ils vont jouer un rôle plus actif et plus exigeant dans les décisions relatives à la nature des données collectées, à leur exploitation et à ceux qui en tirent profit.

Les produits intelligents connectés amorceront un cycle de gains de productivité à l’heure où l’influence des premières vagues informatiques s’amenuise.

HBR.ORG Pour une analyse complète des stratégies concurrentielles, consultez l’article de Michael Porter : « The Five Competitive Forces That Shape Strategy » (HBR, janvier 2008).

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les entreprises peuvent éventuellement engranger des revenus supplémentaires et augmenter leurs marges. Elles peuvent aussi améliorer leurs connaissances des besoins des clients, renforcer la notoriété de la marque et promouvoir la fidélité des clients en les informant plus directement sur la valeur du produit.

Tesla, par exemple, a remis en question le statu quo du secteur automobile en vendant directement ses voitures au lieu de les confier à un réseau tradi-tionnel de concessionnaires. Cela a simplifié l’ap-proche prix de l’entreprise : le client paie le prix affi-ché, ce qui évite le marchandage auquel on assiste habituellement chez les concessionnaires et améliore significativement la satisfaction des clients. En élimi-nant les tiers impliqués dans les réparations, Tesla capture les revenus associés et consolide sa relation avec les clients. La société envoie directement des mises à jour logicielles à ses voitures, ce qui lui permet d’améliorer en continu l’expérience client tout en of-frant à chaque fois aux conducteurs l’équivalent de « l’odeur d’une voiture neuve ». Lorsque les outils de veille détectent qu’un véhicule Tesla nécessite une intervention, soit la voiture appelle de manière auto-nome afin de réaliser une réparation à distance par le biais d’un logiciel, soit elle envoie une notification au client l’invitant à effectuer une demande pour qu’un voiturier vienne chercher la voiture afin de l’amener dans un centre Tesla. Le constructeur a récemment été classé numéro  1 par le magazine spécialisé « Consumer Reports » en termes de satisfaction client.

Si la désintermédiation présente clairement beau-coup d’avantages, il reste important, voire nécessaire, de cultiver un certain niveau de proximité avec les clients dans la plupart des secteurs. Les clients doivent accuser réception du produit et parfois l’installer physiquement, et certaines formes d’ins-pections de service sont toujours nécessaires. De plus, il se peut que les clients aient établi des relations solides avec des revendeurs ou des canaux de distri-bution, qui leur offrent une gamme de produits plus large ainsi qu’une expertise de terrain plus ciblée et plus approfondie. Lorsque les fabricants réduisent le rôle de partenaires précieux, ils risquent de voir ces derniers se tourner vers des concurrents qui ont choisi de travailler en collaboration étroite avec eux. D’autre part, remplir les rôles auparavant administrés par des partenaires, comme les ventes ou les services en direct, peut se révéler difficile et impliquer un coût de  mise en route élevé ainsi que des investissements lourds dans des maillons de la chaîne de valeur tels  que les ventes, la logistique, les stocks et les infrastructures.

La décision de « désintermédier » ou non un parte-naire de distribution ou de service dépendra en grande partie du type de réseau que l’entreprise gère. Les partenaires ne font-ils que distribuer les produits ou jouent-ils un rôle crucial en matière de formation et de services sur le terrain ? Quelle part des activités du partenaire peut-on remplacer par des capacités propres aux produits intelligents connectés ? Les clients verront-ils aussi un avantage dans la suppres-sion de l’intermédiaire ? Les clients comprendront-ils que les relations avec les canaux traditionnels ne sont plus nécessaires et que cela implique des coûts supplémentaires ?

8 L’entreprise devrait-elle changer de busi-ness model ? Les fabricants se sont tradition-

nellement focalisés sur la production de biens phy-siques dont ils captaient la valeur en transférant la propriété du bien au client par le biais d’une transac-tion de vente. Le propriétaire est alors responsable des coûts d’entretien du produit ainsi que des autres coûts relatifs à son utilisation, et supporte les risques liés aux temps d’arrêt, aux dysfonctionnements et aux défauts qui ne sont pas couverts par la garantie.

Les produits intelligents connectés permettent de changer radicalement ce business model établi de longue date. Les fabricants, par leur accès aux don-nées produit et leur capacité à anticiper, réduire et réparer les défaillances, ont aujourd’hui la possibilité, pour la toute première fois, d’influer sur les perfor-mances du produit et d’optimiser les services. Cela ouvre un éventail de business models inédits pour capter de la valeur – un éventail qui va d’une variante du modèle traditionnel de transfert de propriété, où le client bénéficie de nouveaux services plus efficaces, au modèle du « produit en tant que service », où le fabricant garde la propriété et assume la responsabi-lité de tous les coûts de service et d’entretien du pro-duit contre un montant facturé en continu. Les clients paient au fur et à mesure, et non au départ. Ici, la valeur de l’amélioration de la performance produit, qui permet de réduire les coûts de service (par exemple, une consommation d’énergie optimisée), et de l’effica-cité des services est capturée par le fabricant.

Les produits intelligents connectés engendrent un dilemme pour les fabricants, en particulier pour ceux qui produisent des produits complexes ayant une durée de vie relativement longue et pour lesquels les pièces et les services constituaient une source de  re-venus importants, aux profits souvent dispro-portionnés. Whirlpool, par exemple, possède actuel-lement une activité florissante de vente de pièces

Philips LightingLes utilisateurs peuvent contrôler les ampoules Hue de Philips Lighting par le biais d’un smartphone, et les programmer afin qu’elles clignotent si elles détectent un intrus ou pour qu’elles diminuent progressivement leur luminosité le soir.

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la valeur du produit, ce qui est très intéressant pour d’autres entités. Dans les deux cas, cela peut ouvrir la  voie à de nouveaux services, voire à de nouvelles activités.

Les données relatives aux performances des composants d’un produit, par exemple, peuvent être très utiles aux fournisseurs de ces pièces. Les données concernant les conditions de conduite ou les ralen-tissements recueillies par une flotte de véhicules peuvent être importantes pour d’autres conducteurs, pour les opérateurs de systèmes logistiques ou pour  une équipe de réparation de la voirie. Les données de  comportement de conduite peuvent être précieuses pour des gestionnaires de parcs ou des compagnies d’assurances.

Une fois de plus, lorsqu’elles décident de la manière de capter d’autres formes de valeur à partir des données produit, les entreprises doivent prendre en considération les éventuelles réactions de leurs clients principaux. Si certains d’entre eux ne se sou-cient pas de la manière dont leurs données sont utilisées, d’autres peuvent avoir des idées très arrê-tées en matière de confidentialité et d’exploitation. Les entreprises devront identifier des mécanismes qui leur permettent de fournir des données à des tiers sans générer d’hostilité de la part de leurs clients. Par exemple, une entreprise peut vendre non pas les données individuelles des clients, mais plutôt des données anonymes ou agrégées concernant les com-portements d’achat, les habitudes de conduite ou la consommation d’énergie.

10 L’entreprise devrait-elle élargir son champ d’activité ? Non seulement les produits intelli-

gents connectés transforment les produits existants mais, de plus, ils élargissent souvent le périmètre du secteur. Des produits qui ont toujours été séparés et distincts peuvent se retrouver intégrés dans des systèmes optimisés de produits reliés, ou devenir des composants de systèmes de systèmes. L’évolution du périmètre du secteur signifie que des entreprises leaders dans leurs secteurs depuis plusieurs décen-nies peuvent se retrouver à jouer un rôle secondaire dans un paysage élargi.

L’émergence de systèmes de produits et de sys-tèmes de systèmes soulève au moins deux types de  choix stratégiques sur le champ d’activité de l’entreprise. Le premier pose la question de l’expan-sion de l’entreprise à des produits connexes ou à d’autres parties du système de systèmes. Le second pose la question de la possibilité de fournir la plate-forme qui relie les produits et les informations

détachées et de contrats de service – un modèle qui ne favorise pas une dynamique de production de pro-duits plus fiables, plus durables et faciles à réparer. Si, au lieu de cela, Whirlpool se tournait vers un modèle de « produit en tant que service », où l’entreprise res-terait propriétaire du produit tandis que le client ne paierait que pour l’utilisation de la machine, la dyna-mique économique s’en trouverait inversée.

La rentabilité des modèles du « produit en tant que service » dépend de la politique de prix pratiquée et des termes contractuels, qui dépendent à leur tour des pouvoirs de négociation. De tels modèles sont susceptibles d’augmenter le pouvoir des acheteurs, dans la mesure où les clients ont la possibilité de changer lorsque le contrat arrive à son terme (si le pro-duit n’est pas intégré, comme dans le cas d’un ascen-seur), contrairement au modèle de pleine propriété.

Le partage de produits, une variante du modèle du « produit en tant que service », se concentre sur une utilisation optimisée de produits utilisés par intermit-tence. Les clients paient pour utiliser le produit (par exemple une voiture ou un vélo) lorsqu’ils en ont besoin, et l’entreprise (comme Zipcar ou Hubway) se   charge de tout le reste. Le partage de produits tend à s’élargir aux produits non mobiles tels que les habitations.

Les entreprises peuvent aussi envisager un modèle hybride entre les deux extrêmes que sont le « produit en tant que service » et la propriété traditionnelle. Il s’agit par exemple de la vente de produits packagés avec des contrats de service ou de garantie, ou de la vente de packages comprenant le produit et des contrats basés sur la performance. Les contrats de ser-vices permettent au fabricant de garder l’entretien en interne et de capter plus de valeur par l’efficacité des services. Dans le cas d’un contrat basé sur la perfor-mance, le fabricant vend le produit avec un contrat assurant que celui-ci fonctionnera selon des spécifi-cations données (comme le pourcentage de temps de fonctionnement). Ici, la propriété est bien transférée, mais le fabricant reste responsable de la performance du produit, aspect dont il assume aussi le risque.

9 L’entreprise devrait-elle se lancer dans de nouvelles activités en monnayant ses

données et en les vendant à des tiers ? Les entre-prises peuvent s’apercevoir que les données accu-mulées grâce aux produits intelligents connectés revêtent une grande valeur pour des entités autres que leurs clients habituels. Ou réaliser qu’elles peuvent recueillir des données supplémentaires, au-delà de celles dont elles ont besoin pour optimiser

EolienneLorsque des éoliennes intelligentes sont en réseau, le programme peut ajuster les pales sur chacune d’entre elles afin d’en minimiser l’impact sur l’efficacité des éoliennes situées à proximité.

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connexes, même si elle n’en produit pas ou n’en contrôle pas toutes les parties.

Les entreprises peuvent être tentées de se lancer dans les produits connexes afin de saisir cette grande opportunité, mais l’entrée sur ces marchés comporte toujours des risques et impose de s’armer de nou-velles compétences. Elles doivent donc identifier une proposition de valeur claire avant d’envisager une telle aventure. Elargir le champ du produit sera plus intéressant s’il existe d’importantes opportunités d’amélioration en optimisant le système à travers la coconception de produits connectés. Sinon, si l’opti-misation ne dépend pas de la conception individuelle des produits, une entreprise peut se montrer plus avi-sée en se concentrant sur son métier et en proposant une connectivité ouverte à des produits connexes fabriqués par d’autres. La réussite dépend moins de la conception traditionnelle de produits que de l’ingé-nierie de systèmes.

Les entreprises dont les produits (et les capacités technologiques associées) sont au cœur du fonc-tionnement et des performances d’un système de produits plus global, comme c’est le cas pour les équipements d’exploitation minière de Joy Global, seront les mieux placées pour se lancer dans les pro-duits connexes et dans l’intégration d’un système. Les fabricants qui produisent des équipements dont l’importance dans le système est moins cruciale, comme les camions qui transportent le minerai, seront moins compétents et moins crédibles aux yeux des clients pour occuper le poste de fournisseur d’un système plus important.

La décision de développer, ou non, la plateforme technologique qui relie un système de produits ou un système de systèmes dépend de plusieurs questions reliées. La première est de savoir si l’entreprise a les moyens de rassembler les technologies et les compé-tences informatiques dont elle aura besoin, mais qui  sont très différentes de celles requises pour la conception et la fabrication de produits. Une autre question essentielle concerne le centre névralgique de l’optimisation du système. Une optimisation « in-terne » implique l’intégration de concepts produits individuels afin que ceux-ci fonctionnent mieux ensemble. Une optimisation « externe » intervient dans les algorithmes qui relient les produits et les autres informations, et implique que les produits eux-mêmes soient modulaires. L’optimisation interne constitue la logique la plus solide en faveur d’une expansion vers les produits connexes afin d’offrir une plateforme propriétaire. L’optimisation externe favorise une plateforme ouverte, qui peut

même être proposée par une entreprise qui ne fabrique pas le moindre produit.

Carrier Corporation est une illustration de tels choix. Fort d’un siècle d’innovation dans la concep-tion d’une gamme complète d’équipements de chauf-fage et de climatisation – chaudières, climatiseurs, pompes à chaleur, humidificateurs et ventilateurs –, Carrier optimise les performances de son système de produits en intégrant les concepts individuels à l’en-semble de la gamme de produits, tandis que la plate-forme de son système de chauffage et de climatisation intelligent Infinity les relie entre eux. Cependant, le chauffage et la climatisation font aussi partie d’un système domotique plus large.

Carrier ne s’est pas lancé dans d’autres segments de produits domotiques car ceux-ci impliquaient des compétences radicalement différentes. Au lieu de cela, sa plateforme Infinity offre des interfaces qui permettent aux produits de chauffage et de climatisa-tion de s’intégrer dans un système de systèmes.

LES ERREURS À ÉVITERLes produits intelligents connectés ouvrent un large éventail d’opportunités de création de valeur et de croissance. Cependant, saisir ces occasions ne sera pas chose facile. Voici quelques-uns des plus grands risques d’un point de vue stratégique :

Ajouter des fonctionnalités pour lesquelles les clients ne sont pas prêts à payer le prix. Ce n’est pas parce qu’une fonctionnalité est possible qu’elle représente une proposition de valeur claire pour le client. Ajouter des caractéristiques et des options sophistiquées peut même réduire la rentabilité, à cause des coûts et de la complexité d’utilisation que cela implique.

Sous-estimer les risques en termes de sécurité et de confidentialité. Les produits intelligents connectés ouvrent d’énormes portes d’accès aux systèmes de l’entreprise ainsi qu’à ses données, ce qui nécessite de renforcer la sécurité du réseau ainsi que celle des appareils et des capteurs, sans oublier de crypter les informations.

Mal anticiper les nouvelles menaces en termes de concurrence. Les nouveaux concurrents proposant des produits aux capacités intelligentes et connectées (tels des éléments de connectivité ou des programmes intégrés), ou bien des business models basés sur la performance ou le service, peuvent se faire rapidement une place et redéfinir la concurrence, voire le périmètre du secteur.

Attendre trop longtemps avant de se lancer. Avancer lentement concède un double avantage aux concurrents et aux nouveaux entrants : celui de commencer à recueillir et à analyser les données, et celui de prendre de l’avance dans la courbe d’apprentissage.

Surestimer les capacités internes. L’évolution vers des produits intelligents connectés nécessitera de nouvelles technologies, de nouvelles compétences et de nouveaux processus dans l’ensemble de la chaîne de valeur (concernant par exemple le traitement analytique du big data, l’ingénierie des systèmes et le développement d’applications). Il est essentiel de réaliser un état des lieux réaliste quant aux capacités à étayer en interne et celles à développer avec l’aide de nouveaux partenaires.

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mondiale, à un moment où l’influence des vagues informatiques précédentes s’amenuise et où les gains de productivité ont commencé à stagner.

Non seulement cette troisième vague informatique créera des paliers d’amélioration dans les capacités et dans les performances des produits, mais elle fera progresser radicalement notre capacité à répondre à de nombreux besoins commerciaux et humains. Dans de nombreux domaines, les produits seront bien plus efficaces, plus sûrs, plus fiables, et on en exploitera mieux les capacités tout en préservant les ressources naturelles rares comme l’eau, les sources d’énergie et les matières premières.

Cette opportunité de promouvoir l’innovation et une croissance économique rapide, avec le retour à la prospérité que cela implique, n’arrive pas trop tôt. La dernière décennie s’est caractérisée par des réductions de coûts internes, des investissements prudents, une  rentabilité plus élevée pour les grandes sociétés, une multiplication des fusions et acquisitions, et une innovation en berne pour de larges pans de l’écono-mie. Cela s’est traduit par une croissance timide de l’emploi, par des améliorations plus lentes dans les domaines du salaire et du niveau de vie du citoyen moyen, par une perte de confiance vis-à-vis des opportunités économiques, mais aussi par un certain scepticisme vis-à-vis du capitalisme et une réduction des subventions publiques pour les entreprises.

Le chapitre qu’ouvrent aujourd’hui les produits intelligents connectés peut infléchir cette tendance, à  condition que les entreprises se lancent avec enthou-siasme dans cette dynamique. Ensemble, les entre-preneurs et les gouvernements devront former les employés de tous les secteurs pour leur donner les compétences leur permettant de prendre part à l’aven-ture. Et établir dans le même temps un cadre législatif et réglementaire nécessaire à la définition de normes, afin de promouvoir l’innovation, de protéger les don-nées et d’écarter les comportements d’opposition au  progrès (comme l’opposition politique des conces-sionnaires automobiles à Tesla).

Les Etats-Unis sont prêts à mener le mouvement et à profiter de manière formidable d’un monde de produits intelligents connectés, étant donné les atouts dont dispose le pays dans les technologies concernées, dans une grande part des compétences requises et dans les secteurs clés. Si cette nouvelle vague de technologies permet aux Etats-Unis de redynamiser ses capacités en tant que leader tech-nologique au sein de l’économie mondiale, cela insufflera un nouvel élan au rêve américain tout en   contribuant à faire avancer le monde.

Enfin, à mesure que les produits intelligents connectés élargissent le champ d’activité du secteur et le périmètre de la concurrence, de nombreuses entreprises devront repenser leur mission. Au-delà de la définition traditionnelle des produits, l’attention se concentre aujourd’hui sur les besoins élargis auxquels l’entreprise est à même de répondre. Par exemple, Trane ne se considère plus comme un fabricant d’équipements de chauffage et de climatisation, mais comme une entreprise améliorant les bâtiments à hautes performances pour le bien de tous leurs occu-pants. Et comme les produits communiquent et colla-borent entre eux en réseaux de plus en plus nombreux et de plus en plus diversifiés, beaucoup d’entreprises devront réexaminer leur mission principale et revoir leur proposition de valeur.

Toute entreprise doit faire un choix clair dans chacune de ces dimensions de la stratégie en s’assu-rant que chaque décision est cohérente avec les autres et les renforce. Par exemple, une entreprise qui a dé-cidé de viser le leadership d’un système de produits se lancera dans les catégories de produits connexes, travaillera à l’intégration des concepts de produits à l’intérieur du système, recueillera des données d’uti-lisation produit très poussées, et consolidera ses capacités internes à travers l’empilement de technolo-gies. A contrario, une entreprise qui se concentre sur une seule partie du système de produits devra s’atta-cher à devenir la référence en termes de caractéris-tiques et de fonctionnalités, tout en proposant des interfaces ouvertes et transparentes afin que ses produits puissent être facilement intégrés dans les systèmes et les plateformes d’autres entreprises et y apporter une précieuse contribution. Au bout du compte, la réussite dans un tel univers concurrentiel ne viendra pas de l’imitation de ses rivaux, mais de la capacité à définir et à accomplir de manière réaliste une proposition de valeur tout à fait unique.

Un horizon plus large Les produits intelligents connectés changent la ma-nière dont on crée de la valeur pour les clients, la manière dont les entreprises se partagent un marché et le périmètre même de la concurrence. Ces évolu-tions vont toucher pratiquement tous les secteurs, directement ou indirectement. Mais les produits in-telligents connectés auront un impact qui va bien au-delà. Ils influenceront la trajectoire de l’économie dans son ensemble et amorceront le prochain cycle de gains de productivité porté par l’informatique, pour les entreprises, pour leurs clients et pour l’économie

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