Education Non Violente

Embed Size (px)

Citation preview

ditions-Diffusion Charles Lopold Mayer 38, rue Saint Sabin 75011 Paris tel/fax : 01 48 06 48 86 [email protected] www.eclm.fr Les versions lectroniques et imprimes des documents sont librement diffusables, condition de ne pas altrer le contenu et la mise en forme. Il ny a pas de droit dusage commercial sans autorisation expresse des ECLM.

pratiques dducation non-violente

Sous la direction de Bernadette Bayada et Guy Boubault

Pratiques dducation non-violenteNouveaux apprentissages pour mettre la violence hors-jeu

Dans le cadre de la Dcennie pour une culture de la paix et de la non-violence (2001-2010)

DD 141

D I T I

Lassociation ditions-Diffusion Charles Lopold Mayer a pour objectif daider lchange et la diffusion des ides et des expriences de la Fondation Charles Lopold Mayer pour le progrs de lHomme (FPH) et de ses partenaires. On trouvera en n douvrage un descriptif sommaire de cette Fondation, ainsi que les conditions dacquisition des ouvrages et dossiers dits et coproduits. Bernadette Bayada et Guy Boubault travaillent au sein de lassociation NonViolence Actualit dont lobjectif est de promouvoir, par ldition et la diffusion de ressources pdagogiques, les propositions de la non-violence en matire de prvention des violences et dducation la gestion des conits. Bernadette Bayada est enseignante spcialise. Guy Boubault est journaliste la revue Non-Violence Actualit.

ditions-Diffusion Charles Lopold Mayer, 2004 Dpt lgal, 4e trimestre 2004 Dossier FPH n DD 141 * ISBN : 2-84377-093-9 Graphisme et mise en page : Madeleine Racimor Maquette de couverture : Vincent Collin

Sommaire

Prface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ditorial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Premire partie : Des programmes pour apprendre mieux vivre ensemble lcole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Mieux vivre ensemble ds lcole maternelle . . . . . . . . . . . . . . . . 2. La prvention des conduites risque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Changer lcole, cest possible ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. Le dveloppement de la mdiation scolaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5. Mettre en place la mdiation scolaire dans un tablissement . . . . 6. Vivre ensemble pour mieux travailler ensemble . . . . . . . . . . . . . . 7. Faire lcole ouverte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8. Des outils au service dun projet collectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9. Le respect pour combattre lincivilit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10. Devenir son propre mdiateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11. Former la gestion des conits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12. Cls pour la communication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13. Destination : vers le pacique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Deuxime partie : Des initiatives dducation la non-violence en milieux extrascolaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Le jeu coopratif pour construire un groupe . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Lapprentissage coopratif, une approche interactive de lorganisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. changer les savoirs pour promouvoir les personnes . . . . . . . . . . . 4. Une colo coop en Angleterre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5. Jouer, cest vivre ensemble ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6. Dispute ou coopration ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7. Ngocier, a sapprend tt ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8. La paix se construit au dojo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9. Lakido, une voie qui exclut toute comptition . . . . . . . . . . . . . . 10. Football : comment surmonter la violence ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11. Dvelopper une culture de la rencontre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12. La coopration en ducation physique et sportive . . . . . . . . . . . . . 13. Une comdie musicale Belleville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14. Du thtre pour dbattre de la violence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Troisime partie : Aspects pdagogiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. duquer la responsabilit lcole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Lalphabtisation motionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Clestin Freinet,un pdagogue de la coopration . . . . . . . . . . . . .

7 11

13 15 19 25 31 37 43 49 55 59 63 67 73 77

81 83 87 91 95 99 103 109 111 117 119 125 127 131 135 139 141 145 149

5

4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12.

Les relations famille-cole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ducation, sanction, discipline . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . De la ncessit de dvelopper une coute active . . . . . . . . . . . . . . Former les enseignants safrmer dans le respect . . . . . . . . . . . . La non-violence explique aux jeunes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bannir la violence en ducation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Construire une autorit ducative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Face la violence, le respect . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Limpact des images violentes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

155 159 163 169 173 177 181 185 191

Quatrime partie : Une ducation la non-violence pour mieux vivre ensemble . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Analyse de pratiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Changer de regard sur les enfants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Pour un accompagnement des enseignants . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. Vivre entre deux cultures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5. Violence des 10-13 ans : passer de la peur au dialogue . . . . . . . . . . 6. Rapports de violence et pratiques du conit . . . . . . . . . . . . . . . . . Annexe 1: Lducation nationale incite la rsolution non-violente des conits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Annexe 2 : Promouvoir lducation la non-violence Extraits du rapport de Ko Annan lONU . . . . . . . . . . . . . . Annexe 3 : Coordination franaise pour la Dcennie internationale de la promotion dune culture de la non-violence et de la paix au prot des enfants du monde (2001-2010) . . . . . . . . . . . . . Annexe 4 : Contacts utiles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Annexe 5 : Des outils pour apprendre vivre ensemble . . . . . . . . . . . . . .

199 201 205 211 217 223 231

239 243

247 249 253

PrfaceRichard Ptris

La non-violence est en marche ! Il y a quelques annes dj et en forant peine le trait ! je risquais comme explication, auprs dun ami dune organisation non-violente qui disait sa dception devant linsuffisance du soutien officiel ce type daction, que la non-violence entre dans les murs petit petit. En effet, je ne peux mempcher de marrter des faits majeurs qui ont ponctu notre histoire contemporaine depuis la n de la Seconde Guerre mondiale : des vnements aussi importants que la dcolonisation et la construction europenne constituent de vritables rvolutions politiques qui ont chang la face du monde. Des faits qui ont montr, en tous les cas, et bien que nous ne soyons pas labri de terribles retours en arrire, que des mentalits et des comportements pouvaient voluer. Certains observateurs ny ont-ils pas vu lindication de la n de lordre militaire ? En refusant tout la fois le simplisme et le cynisme, on remarque les horreurs de notre temps pour sen scandaliser. Les organisations humanitaires qui dfendent les droits de la personne ne sont pas isoles dans leur combat : elles sont lexpression mme de lopinion publique et elles nissent par tre rejointes par des institutions, ce qui rend possible les changements structurels ncessaires. Un magistrat et secrtaire gnral de lInstitut des hautes tudes de la justice, particulirement actif, en tant que citoyen, dans des comits Kosovo et Tchtchnie, affirmait rcemment, propos de la mise en place progressive de la Cour pnale internationale,

7

que le Tribunal pnal pour lex-Yougoslavie a enclench une dynamique vertueuse . Nest-ce pas le signe vident dun progrs moral ? Au niveau macro comme au niveau micro beaucoup reste faire ! On a pu considrer que les millions de personnes qui se sont mobilises au dbut de 2003 pour manifester contre la dcision de mener une guerre en Irak tmoignaient de la naissance dune nouvelle conscience universelle. Mais si ce refus de la guerre na pas empch grand-chose, sil est loin, en tout cas, davoir donn les cls de la paix, cest parce quune immense transformation en profondeur reste oprer, qui concerne la fois les individus et les structures de pouvoir ; cette ducation que daucuns osent qualier de seule rvolution qui vaille . LAssemble gnrale des Nations unies avait proclam lan 2000 Anne internationale de la culture de la paix et le Manifeste 2000 cr dans ce cadre incitait, notamment, au rejet de la violence. En cette Dcennie pour une culture de la paix et de la non-violence qui leur fait suite, il est particulirement opportun que Bernadette Bayada et Guy Boubault proposent cette valorisation dexpriences et dapprentissages que Non-Violence Actualit a reprs depuis plusieurs annes dans le double champ de lducation formelle et de lducation non formelle. Dans le premier, il sagit bien dapprendre vivre ensemble ds lcole, voire de commencer ds la naissance ce travail de construction de lidentit, dans le rappel des rgles, mais en dveloppant en mme temps les valeurs de patience et de tnacit qui permettront la prise de recul ncessaire et les exemples abondent, non seulement en France, dans des coles, des collges et des lyces, mais aussi en Europe et au Canada, de la dclinaison de cette ducation la civilit que pourrait rsumer la formule : Tu peux ne pas aimer mais tu dois respecter. Avec le second nous est montr en quoi les diffrents lieux de vie et milieux concerns constituent les terrains privilgis de cet effort de construction nonviolente de la personne, et de construction de la paix en ralit : de la famille au thtre et lart du dbat, en passant par le jeu, les vacances, le sport, la musique, etc. Les deux autres chapitres de louvrage proposent une analyse transversale de ces expriences et pratiques pour mieux en dgager les aspects pdagogiques ainsi quune srie dentretiens qui soulignent encore le caractre particulirement humain, incarn , de cette orientation donne lducation. Il faut vraiment sintresser chacune de ces initiatives, entendre chacun de ces tmoignages, quil soit de terrain ou plus thorique, pour mesurer la porte du changement qui est ici encourag en matire dducation. Sil est question de rvolution , nest-ce pas parce quil sagit de remettre en cause, de manire fondamentale, la fois nos comportements et les structures de la socit ? Il est dit et montr ici que penser une ducation non-violente cest prner une ducation aux droits

8

de la personne, vouloir des relations hommes/femmes plus galitaires, promouvoir la rsolution non-violente des conits et le dialogue des cultures ; que cest faire le choix dinscrire lducation non-violente dans les ralits et les interrogations du monde contemporain . Nul doute que lducation acquerra ainsi sa pleine dimension sociale et politique . Non seulement celle qui fait de lcole ce lieu de formation, vritable enjeu de socit, particulirement ballott dans notre actualit par le dbat autour des valeurs du dialogue et de la connaissance. Non seulement celle qui, travers la pratique dun sport, par exemple, donnera un jeune dun quartier difcile dune quelconque grande cit du Nord ou du Sud une autre chance de grandir que la loi dune bande. Mais celle sans laquelle on ne peut imaginer quun autre monde est possible .

ditorialGuy Boubault

Promouvoir les pratiques dducation non-violente Parmi les objectifs prioritaires de la Dcennie 2001-2010 de promotion dune culture de la paix et de la non-violence au prot des enfants du monde gurent la prvention de la violence et lapprentissage la gestion des conits. Au-del des bonnes intentions, ces recommandations risquent de rester lettre morte si rien nest entrepris pour aider les familles et les structures danimation et dducation faire voluer leurs comportements et leurs modes dintervention auprs des enfants et des jeunes. Lenvironnement international montre combien la culture de la violence est tenace. Les actes de violence touchent un nombre croissant dtablissements scolaires. Plus que par des faits graves, la violence est dabord perue comme un climat tendu et agressif qui entrane un sentiment de mal-tre et dinscurit. Les enseignants ne sont souvent pas prpars grer ce type de situation. Pourtant, le fonctionnement de ltablissement et celui de la classe sont eux-mmes facteurs de violence, notamment par rapport aux jeunes en difcults scolaires et sociales. Lcole est aujourdhui confronte la ncessit dintgrer dans un mme ensemble des publics htrognes qui ne partagent pas les mmes codes sociaux, aspirations, valeurs, langages La prvention de la violence passe par la ncessit de donner tous ces lves du sens leur prsence lcole et de faire de la lutte contre lchec scolaire une priorit. Outre sa fonction denseignement, linstitution a un devoir dducation auprs de tous les enfants pour leur apprendre vivre ensemble et les

11

prparer ainsi leur vie dadultes responsables. Cest vers cet objectif que doit se tourner la communaut scolaire toute entire. Cela ncessite le dveloppement de nouvelles capacits, notamment relationnelles, et donc une modication de la formation des personnels ainsi que llaboration de nouveaux outils pdagogiques. De nombreuses expriences montrent quil est possible de changer le climat dun tablissement. Et labaissement du niveau de violence saccompagne souvent dune augmentation de la russite scolaire. Ces projets sappuient tous sur la mme approche dune cole de service public qui accepte les lves tels quils sont et qui rpond leurs besoins. Dvelopper chez les jeunes leurs comptences et leurs aptitudes, cest leur permettre une insertion sociale et professionnelle, autant quun dveloppement personnel et citoyen russi. Tel est le d que lcole doit relever en cette Dcennie pour une culture de la paix et de la non-violence au prot des enfants du monde. Il convient de mettre en place des programmes, de dvelopper des outils, de proposer des formations qui facilitent laccs ces comptences sociales et psychologiques indispensables au bon fonctionnement tant des relations interpersonnelles que de la socit en gnral. Expression des motions, affirmation de soi, communication non-violente, gestion constructive des conits autant de thmes que nous abordons rgulirement dans la revue Non-Violence Actualit et qui constituent la base de ces savoir-faire et savoir tre de premire ncessit . Par son caractre institutionnel, lcole doit participer pleinement cette tche pour donner chaque jeune les meilleures chances daccder une vie panouie et une citoyennet active. En ce domaine, le travail reste faire car force est de constater que lducation nationale se soucie encore trop peu de lintelligence du cur , lapprentissage des comptences relationnelles. La situation nest en gnral pas meilleure dans les autres pays. Pourtant, les expriences dducation la gestion des relations et la rsolution des conits se multiplient, relevant le plus souvent dinitiatives individuelles denseignantes et denseignants trs motivs. Elles sont menes lchelle dune classe, dun tablissement, voire dun quartier, par les enseignants eux-mmes ou par des intervenants, sous formes dactivits extrascolaires ou intgres aux enseignements classiques, parfois nouvelle matire dans lemploi du temps, souvent nouvelle manire de concevoir lenseignement. Car comment enseigner le respect de soi et de lautre, la responsabilit, la coopration, la mdiation, la dmocratie, sans en faire soi-mme la dmonstration ? Tel est le dfi que lcole et lensemble de la socit doivent relever : apprendre mieux vivre ensemble.

Premire partie

Des programmes pour apprendre mieux vivre ensemble lcole

Les initiatives de prvention ducative pour lutter contre les comportements violents lcole ne manquent pas. De plus en plus dactivits pdagogiques sont mises en place dans les classes, pour apprendre aux lves les comportements respectueux, les principes de la communication ou encore la gestion des relations et des conflits. De vritables programmes dducation la citoyennet sont ainsi conus et expriments, prsentant le plus souvent dheureux rsultats tant sur lambiance gnrale de la classe que sur le niveau dacquisition des connaissances. Et pourtant, lducation nationale montre peu dempressement en faire la promotion. Ces dmarches, multiples et varies, sappuient toutes sur une mme conception de lcole service public : accepter les lves tels quils sont, rpondre leurs besoins, promouvoir leurs comptences et leurs aptitudes afin de leur permettre une insertion sociale, professionnelle ainsi quun dveloppement personnel et citoyen. Lcole peut et doit tre lun des lieux majeurs dacquisition des comptences sociales et psychologiques ncessaires la vie de lindividu et de la socit. Outre sa fonction denseignement, linstitution a un devoir dducation auprs de tous les enfants pour leur apprendre vivre ensemble et les prparer ainsi leur vie dadultes responsables. Cest vers cet objectif que doit se tourner la communaut scolaire tout entire.

13

1. Mieux vivre ensemble ds lcole maternelleAcadmie de Lille (Nord)

Si les conits font partie de la vie en socit, la manire dy faire face et den sortir dpend de nombreux facteurs dont beaucoup interviennent ds la petite enfance au cours du processus de socialisation. ct de caractres transmis gntiquement, bon nombre sont acquis au cours des interactions qui se produisent entre lenfant et sa mre, plus gnralement avec lenvironnement de celui-ci. Les pratiques ducatives au sein de la famille et dans les diffrents lieux de vie de lenfant jouent un rle essentiel dans la manire de prparer lenfant apprhender les situations conictuelles, par les comptences sociales que ces milieux permettent de dvelopper chez lenfant et par le rle modlisant de tout adulte Cest dans cet esprit que nous nous sommes intresss lcole dont la mission ducative, complment de lapport de la famille, doit tre sans cesse rappele. Le programme Mieux vivre ensemble , ds lcole maternelle, vise le dveloppement de comptences sociales indispensables la gestion des conits, mais galement une bonne socialisation gnrale. Principes et modalits Dvelopp depuis 1994 en partenariat avec des enseignantes de classes primaires puis de maternelle, essentiellement dans des secteurs rputs difciles, le programme aborde les comptences sociales dans un cadre pdagogique concret et adapt lge des lves. Laccent est mis sur la

15

construction de limage de soi (qualits, comptences de chacun), la connaissance, lexpression et la matrise des motions, le dveloppement de solidarits, la gestion de situations de leur contexte de vie : du dcryptage des publicits llve souffre-douleur, de la bagarre aux abus sexuels, du vol loffre de drogue ou au racisme. Programme transversal, Mieux vivre ensemble sappuie sur les piliers des objectifs pdagogiques ofciels : dveloppement de lexpression orale et de lexpression crite, expression artistique, citoyennet et recours aux mthodes actives, participatives, qui rendent llve acteur de ses apprentissages. En pratique, un temps fort de 10 45 minutes par semaine selon lge et la disponibilit psychologique des lves ; une reprise systmatique des lments abords durant ce temps fort toute occasion au cours de la semaine : vnements de la vie de la classe et de lcole ou situations importes de la famille ou du quartier. Le thme est introduit par un texte qui fait lobjet : dun travail de clarification et dacquisition du vocabulaire, puis dune expression spontane des lves sur le contenu du texte : ides, sentiments, valeurs (cette expression se fait dans le respect de rgles prcises de prise de parole) ; dactivits qui permettent de creuser le thme et qui font appel la rflexion par petits groupes, lexpression orale, artistique (dessin, musique, expression corporelle, thtre), la recherche documentaire, lexpression crite, la posie, les jeux de rles Ainsi, les situations concrtes abordes en classe vont se dgager des rponses trop rationnelles ou injonctives habituelles, pour mettre laccent sur laspect motionnel et relationnel et proposer des solutions qui prennent en compte les comptences de chacun. Par exemple, en cas de bagarre dans la cour de rcration, les protagonistes sont invits verbaliser leurs motions au moment du conit, les actualiser en prenant en compte le ressenti de lautre, auteur, victime ou tmoin, puis trouver une solution ngocie, symboliquement conclue par une poigne de main. Lors de conits plus importants ou rcurrents, des lves, parfois lenseignant, apporteront leur mdiation. Rsultats Les valuations qualitatives montrent la satisfaction des lves : enn on parle de la vraie vie , dit lun deux, soulignant la coupure qui existe entre les enseignants et le contexte de vie de certains quartiers dont les lments ne sont vcus que ngativement par ceux qui ny habitent pas ;

16

amlioration du vocabulaire des lves dans des champs peu investis par la scolarit habituellement, notamment le champ des motions ; les lves rclament le cadre du programme pour traiter certains problmes relationnels au sein de la classe ; baisse du niveau des tensions entre lves dans la classe et parfois audel de lcole ; les conits, bien sr, existent (et heureusement), mais se rglent plus facilement et rapidement ; disparition du bullying (brimades, harclement) ; entraide, investissement dans des projets coopratifs. Plus dune centaine denseignants ont eu loccasion de tester ce programme qui ncessite leur adhsion aux valeurs et principes ducatifs humanistes sous-jacents. Ils doivent tre prts travailler en concertation avec les familles encourages donner un prolongement aux notions abordes en classe ; travailler en concertation avec les services sociaux lorsque des problmes familiaux sont spontanment mentionns par les lves au cours des activits. Ils seront ouverts une ventuelle remise en cause lors des temps dexpression des lves (renvoi de leur propre violence, par exemple). Une formation pralable est donc trs souhaitable. Mieux vivre ensemble ds lcole maternelle ne cherche pas enseigner des comportements strotyps aux lves. Ce programme constitue un cadre pdagogique pour aborder, dans un lieu sacralis tel que la classe, des notions utilisables chaque instant de la vie, et qui participent galement la russite des apprentissages, tant la qualit du vcu scolaire et la gestion harmonieuse, respectueuse des relations interindividuelles, sont des facteurs essentiels de motivation. Jacques Fortin, pdiatre. Jacques Fortin est professeur en sciences de lducation luniversit de Lille-II o il enseigne les liens entre ducation et sant. Il est lauteur de Mieux vivre ensemble ds lcole maternelle (Hachette, 2001) et, en collaboration avec Georges Fotinos, dUne cole sans violences ? (Hachette, 2000).

2. La prvention des conduites risqueEntretien avec Jacques Fortin

NVA : Pouvez-vous nous dresser en quelques mots lhistorique des programmes Gaspar et Mieux vivre ensemble ? Jacques Fortin : Cest en 1985 que le recteur dacadmie ma propos de venir Lille comme conseiller et ma demand de mettre en uvre les circulaires de 1983 et 1985 sur la prvention des toxicomanies et autres conduites dviantes . Linstitution proposait alors un schma pyramidal, comme habituellement dans lducation nationale, avec un certain nombre dinspecteurs et de responsables chargs de former des enseignants, des conseillers dducation, des chefs dtablissement, des infirmires, etc., an de les rendre capables de faire face aux situations dans chaque tablissement. De par ma formation, jai abord ce dossier comme un problme de sant publique, en commenant par une observation de terrain dans les tablissements du Nord-Pas-de-Calais, pour voir comment se posait le problme de la drogue et des autres conduites dviantes . Il sagissait dabord de dfinir la dviance : quelle norme ? qui dit la norme ? o est-elle crite ? Par rapport lalcool ou au tabac, la rgle nest pas la mme dans tous les lyces. En matire de drogue, et si lon sen tient aux dclarations des chefs dtablissement, le problme semble ne se poser nulle part. Ce nest pourtant pas lavis de la police et de la justice.

19

Dans ces conditions, comment avez-vous pu mener votre travail ? Je suis parti de ce constat-l : du ct des responsables tout va bien , il ne se passe rien, alors que police et justice ont la preuve de problmes. Une enqute auprs des lves montre la ralit des faits. On a demand des enfants de sixime : Si tu voulais fumer un joint, est-ce que tu saurais qui tadresser ? Nous navons jamais trouv un tablissement o un lve ne pouvait pas rpondre cette question. Soit il sait effectivement qui sadresser, soit il connat quelquun qui sait qui sadresser. Il y a manifestement une circulation de linformation. Le domaine des dviances sinscrit dans un systme de non-dit. Comment, dans ces conditions, mettre en place une prvention dun problme qui nexiste pas ? Cette situation est favorise par un systme vertical. Lenseignant hsitera dire quil a dans sa classe des problmes de drogue ou de chahut car il risque dtre mal not. Pour le chef dtablissement, mettre en place une politique de prvention cest dj reconnatre lexistence du problme, ce qui nest bon ni par rapport la hirarchie ni vis--vis des parents. Le systme pyramidal fait que les personnes qui doivent recevoir linformation sont en mme temps celles qui ont le pouvoir de notation. Tout cela encourage donc la loi du silence La circulaire de 1983 demande la hirarchie dorganiser la dcentralisation de la prvention, mais ce nest pas raliste puisque, par dnition, la base ne peut pas dire quil y a quoi que ce soit faire remonter. Les systmes verticaux ne peuvent engendrer que ce type de blocage. Jai donc propos une dmarche horizontale. Mon statut de mdecin a facilit les choses : relations de conance, secret mdical Cest ce qui ma permis de constater quil y avait des gens en trs grande difcult, des enseignants en recherche de solution, des chefs dtablissement trs conscients des problmes. Ma dmarche a t trs pragmatique. Jai pu mappuyer sur un ensemble denseignants qui staient impliqus dans les questions de drogue dabord, puis de dviances ensuite, en dehors du monde scolaire : dans les milieux associatifs, dans les quartiers, etc. Avec ces personnes, nous avons rod une mthodologie dintervention et fond en 1989 le Groupe acadmique de soutien et de prvention pour les adolescents risque (Gaspar). Cest une structure spcique lacadmie de Lille, qui rpond aux demandes daide exprimes par des collges et des lyces confronts des problmes de violence, de consommation et trafic de drogue.

20

Vous proposez des rponses standards ? Nous avons standardis une mthode mais pas les rponses qui sont construites sur mesure par les gens des tablissements demandeurs. Ce sont eux les concepteurs des rponses, ils doivent laborer petit petit leur propre stratgie. Nous napportons pas de solutions toutes faites. Pouvez-vous prciser votre mthode ? La mthode est base sur le respect. Ladulte simpose de respecter lenfant pour pouvoir, dans un second temps, exiger dtre respect, et non linverse. Cest ladulte daccueillir lenfant. Si le chef dtablissement dit au retardataire, le matin lentre : Dpche-toi, tes camarades tattendent , cela na pas le mme effet que : File, tu as deux heures de colle ! Il faut montrer aux enfants quils sont attendus, quils ont leur place dans ltablissement, que personne nest rejet. Le rglement intrieur doit tre discut et labor avec les lves car il dnit les rgles et les interdits pour toute la communaut. Dans certains tablissements, on prend le temps ncessaire chaque rentre pour prsenter le rglement intrieur aux nouveaux lves ; aprs dbat, chacun est invit le signer comme un engagement. Les familles aussi sont accueillies de la mme faon. Cest dabord un tat desprit. Je peux vous citer lexemple de ce professeur de mathmatiques qui tait en grande difficult dans sa classe. Aprs discussion avec le chef dtablissement, il est apparu que ce professeur tait un passionn de photo et un artiste. On lui cona donc le soin de mettre sur pied un atelier photo, avec prises de vue et dveloppement. Des lves participrent cette activit avec la consigne de raliser les portraits qui mettent le mieux en valeur leurs camarades. travers lappareil photo, il sagissait dapprendre regarder lautre de manire positive. Cela donna lieu des expositions o les enfants taient ainsi mis en valeur dans le lyce et qui furent loccasion de faire venir les familles. Au bout dun an se posait le problme davoir suffisamment denseignants le samedi matin pour accueillir les familles qui venaient discuter de lorientation de leurs enfants. Cet exemple montre comment on peut crer une atmosphre de respect o chacun a sa place, la famille aussi. Mais nest-ce pas li la personnalit du chef dtablissement ? Et comment passer de lengagement personnel linstitutionnel ? Je cite des exemples qui se sont drouls dans des tablissements avec lesquels nous sommes alls trs loin dans la rexion et la mise en place de structures. Leffet chef dtablissement est indiscutable. Mais nous

21

sommes intervenus dans 180 tablissements et partout o un minimum de conditions sont runies, on obtient des rsultats. Ce minimum, cest quoi ? Premirement, cest runir un noyau de 10 12 personnes, enseignants, conseillers dducation, inrmires, assistantes sociales un noyau dur de gens qui, dune part, sont conscients des problmes et, dautre part, sont prts se remettre en question pour que les choses avancent. Deuximement, il faut un chef dtablissement qui soit au minimum facilitateur, au mieux stimulant, imaginatif. On peut aussi trouver des leaders parmi les enseignants, les conseillers dducation, etc. Je ne connais pas dtablissement dans lequel il ny ait aucun enseignant qui corresponde ce profil. Dans tout tablissement, mme en zone difficile, on trouve toujours deux ou trois enseignants qui nont pas de problme avec leur classe, qui dveloppe une attitude relationnelle qui tmoigne que lon considre lautre, quon lentend. Moyennant quoi lautre, se sentant reconnu comme personne, a envie de poursuivre la relation et non de la gcher. Quest-ce qui vous a amen travailler ensuite avec les coles ? Cest le constat que des lves qui pouvaient tre charmants lintrieur dun tablissement scolaire devenaient capables dagressions lextrieur. Avec Gaspar, nous leur proposions des lieux de vie dans lesquels les rgles taient comprises et donc respectes. Les mmes personnes, plonges dans un autre milieu o les codes et les rgles napparaissent pas clairement, o il ny a pas de cohrence, sy adaptent et en adoptent les rgles et les modes agressifs relationnels. On ne modie pas la personnalit de jeunes de 18 ans, on peut seulement crer des climats qui rduisent lagressivit ; dans un cadre protg, on peut donner des opportunits pour grer les conflits dune faon non-violente. lextrieur, ces jeunes se trouvent dans lincapacit de reproduire ce quils font lintrieur de ltablissement parce quils imaginent que, sils le font, ils nobtiendront pas de la part de lautre le mme respect de leur identit que celui quils obtiennent lintrieur. Nous avons ralis des enqutes en lyces professionnels qui montrent que 90 % disent avoir recouru la violence quils considrent comme le moyen le plus efficace pour obtenir quelque chose sans aucune consquence dommageable pour 70 % dentre eux. Ils ont donc une vision extrmement positive de la violence. Ils vivent dans un univers, famille, quartier, o la violence, la force physique est valorise. Pour faire le pari dune autre approche relationnelle, il mest apparu quil fallait intervenir plus tt, ds lenfance. Jai commenc travailler avec des enseignants du primaire llaboration dun programme. Cest ce moment-l, au dbut des annes quatre-vingt-dix, que jai rencontr Montral, lors dun

22

congrs sur la non-violence et la coexistence pacique, des Qubcois qui en taient au mme niveau de rflexion que moi. Nous avons pu ainsi changer nos expriences. Cela a donc dbouch sur le programme Mieux vivre ensemble . Le programme Mieux vivre ensemble sadresse aux lves des coles lmentaires, partir de la grande section de maternelle. Il ne sagit pas, comme avec Gaspar de prvention de la violence, mais dun programme ducatif pour lacquisition et le dveloppement prcoce de comptences et dhabilets sociales qui facilitent la vie en groupe, en socit. ct de la famille, lcole est un lieu dapprentissage de la vie sociale. Lenseignant doit tre attentif aux motions et aux comportements qui naissent des rapports entre les enfants, entre les enfants et les adultes, aux expriences de joie et de souffrance suscites par les attitudes et les conduites des uns et des autres. On va donc apprendre mettre des mots sur les sentiments, analyser une situation conflictuelle, couter, sexprimer, prendre conance en soi et en ses capacits grer des difcults. Pour cela, on peut utiliser toute la palette des disciplines de lcole. Ces habilets faire attention lautre, rassurer, aider, ngocier, tre mdiateur, permettent lenfant de dvelopper sa capacit dintgration dans le groupe et le tissu social. Le but du programme est que llve intgre non des comportements mais des modes de raisonnement et des stratgies quil pourra ensuite appliquer diverses situations. Croyez-vous le changement possible ? La situation est paradoxale. Le systme me parat g et, la fois, il y a normment denseignants qui sont demandeurs de changement, qui sont en souffrance et qui voudraient une autre cole. Il y en en a qui sorganisent pour faire autrement, comme le mouvement Freinet, la pdagogie institutionnelle, etc., mais cela demande un investissement considrable. Cest du militantisme qui nest pas reconnu officiellement. On considre encore trop, y compris dans les IUFM, que la pdagogie cest du temps perdu et que la transmission des savoirs doit seffectuer selon le modle litiste de lavant 1970. La diversit des publics est nie dans la ralit et dans lajustement quelle provoque. Contrairement aux pays anglo-saxons, une grande partie de lcole franaise ne donne pas lcole une responsabilit importante dans la construction de lidentit et de la personnalit.

23

La lutte contre la violence devrait votre avis commencer ds la naissance Effectivement, la violence vient du type de socialisation de lenfant. Cest dans les deux premires annes de lenfant que sorganise la gestion de la relation lautre. Il faut donc travailler au niveau de la famille, au niveau des professionnels de la petite enfance, dans les crches, les haltesgarderies. Et l on retrouve les problmes lis lvolution de la socit, des parents qui nont pas la disponibilit souhaite, la stabilit motionnelle souhaite, tout ce qui fait que cela ne se passe pas toujours bien entre lenfant et ses parents. Ensuite, il faut voir comment se grent les relations entre pairs dans les structures de la petite enfance. On peut reprer les enfants agressifs et apporter des rponses, souvent mdicalises. Mais on ne soccupe jamais des enfants victimes, ceux qui nont jamais accs aux jouets ou laffection du personnel, et quon laisse gentiment dprimer dans leur coin jusqu des ges forts avancs. Retard scolaire, chec scolaire, difcult de langage, pipi au lit on va commencer soccuper de ces enfants victimes partir de leurs dysfonctionnements, en les culpabilisant. Un certain nombre dentre eux ultrieurement vont se suicider ou chercher refuge dans la consommation de produits. On voit donc que le problme des rats de la socialisation prcoce nest pas que facteur de violence, cest un problme plus vaste de sant publique. Par ailleurs, ct de lagresseur et de la victime, il y a le tmoin. Il ne faut pas loublier. Comment vais-je ragir si jassiste une bagarre ou quand je vois quun autre est malheureux ? Je ne fais rien parce que ce nest pas mon problme ou je ragis parce que, citoyen, cest aussi mon problme ? On est l dans des valeurs qui ne sont pas partages par tout le monde mais dont on peut au moins discuter. Dans le programme Mieux vivre ensemble , on essaie de faire en sorte que personne ne soit indiffrent lautre, on apprend aller vers lautre, agir ensemble pour un mieux-tre collectif. Il sagit l dune idologie humaniste que jassume pleinement. Propos recueillis par Bernadette Bayada et Guy Boubault. Contact : Gaspar Rectorat de Lille, 21 rue Saint-Jacques, 59000 Lille

3. Changer lcole, cest possible !Collge Paul-Vaillant-Couturier, Champigny-sur-Marne

Les expriences russies de prvention ducative pour lutter contre les comportements violents lcole ne manquent pas. Lducation nationale nen fait pourtant gure la promotion. Ces dmarches, multiples et varies, sappuient toutes sur une mme conception de lcole service public : accepter les lves tels quils sont, rpondre leurs besoins, promouvoir leurs comptences et leurs aptitudes an de leur permettre une insertion sociale, professionnelle ainsi quun dveloppement personnel et citoyen. Lexemple du collge Paul-Vaillant-Couturier de Champigny est un concentr dinnovations pdagogiques et ducatives qui montre que changer lcole est possible, pour peu quon le veuille rellement. Le collge Paul-Vaillant-Couturier de Champigny-sur-Marne est class zone dducation prioritaire (ZEP). Il compte 900 lves encadrs par 110 adultes dont 70 enseignants. Il ne sagit pas ici de proposer de modle, mais de dcrire des situations dans lesquelles le concept qui sous-tend ces expriences, la restauration de lestime de soi, a pu sincarner. Selon le contexte de chaque tablissement, il se dclinera diffremment. Trs peu dlves sont rellement violents, cependant les collges sont des lieux de grande conictualit, comme tout groupe humain, mais beaucoup moins polics puisque prs de 80 % du groupe sont constitus de jeunes en construction didentit, que celle-ci se fait dans le heurt avec lautre, et que la relation dapprentissage, raison dtre du groupe, est obligatoire, contraignante et dissymtrique par nature.

25

Cette conictualit nest donc pas systmatiquement pathologique, ni scandaleuse, mais le risque est permanent quelle se transforme en violence et se bloque sur ce mode de rapports. Certains lves ont beaucoup de mal ne pas draper. Il sagit de ceux qui souffrent de carences dans lestime de soi, qui lcole renvoie une image ngative deux-mmes et/ou qui ont une reprsentation dvalorise de leur famille et/ou de leur valeur personnelle en son sein. Aussi, donner le sentiment que lon peut avoir sa place lcole, qui que lon soit, et que lon y porte sur vous un regard positif fait-il partie des dmarches qui permettent que la conictualit ne se transforme pas en violence, en dpit des contraintes et des renoncements quimplique lcole. Mais cela signie un changement de pratiques, dtat desprit et de mode de relations avec les lves. Une partie des adultes du collge sest engage dans cette direction. Restaurer la loi Chercher restaurer lestime de soi nest possible que si lon sait qui lon est, qui est lautre, et que lon a identi ses limites. Aussi a-t-il fallu faire un travail pralable de restauration de la loi. Pour ce faire, une charte des droits et des devoirs de lenfant et de ladulte a t labore au collge. Lobjectif est de socialiser, dafcher les valeurs rpublicaines de citoyennet, de rafrmer la loi symbolique en rinscrivant linterdit et la frustration. Nul nest donc plus cens ignorer la loi et elle est afche dans toutes les salles. Mais, de mme quil ne suft pas denseigner pour que les lves apprennent, il ne suft pas dafcher et dexpliquer la loi pour quils la respectent. Si donner droit aux explications est dj un signe de reconnaissance, linscrire dans des pratiques qui, en suivant les voies du besoin narcissique, en assurent rellement la satisfaction, nous a sembl plus fcond. La mdiation entre lves Les structures participatives traditionnelles tant peu populaires chez nos lves, car ressenties comme articielles, le collge sest tourn vers la mdiation entre lves. Il sagit de leur donner des techniques dcoute et des outils de communication de faon quils puissent aider des parties trouver une solution leur conit. La mdiation entre lves fait pntrer les enfants dans le monde du dialogue et de lcoute ; elle concrtise le discours sur la citoyennet et, surtout, valorise des capacits et des rles sociaux qui ne sont pas lis au travail scolaire. Ces derniers permettent le

26

renforcement de lestime de soi et peuvent donc, terme, favoriser des dblocages lgard dactivits scolaires. Lutter contre lchec scolaire Certes, lacquisition dhabilets sociales requalie, mais la russite scolaire reste le rve de tous les lves ! La violence est aussi cette dception et cette honte de ne pas tre capable, de ne pas tre sa place. Mais o aller ? Lcole est obligatoire ! Alors que lenseignement primaire na pas encore russi faire acqurir certains enfants les connaissances ncessaires ladaptation au collge, il a cependant su prserver tant bien que mal leur sentiment davoir une place lcole et au sein de la classe. Au collge, lexigence scolaire nest plus pondre dans ce sens. Investir le terrain de lindiscipline puis de la violence contribue rendre vivable une position dsespre sur le plan scolaire. Cest ainsi que de nombreux lves en difficult lentre en sixime deviennent rapidement des lves difciles. Le lien entre chec scolaire et violence peut, ce stade, tre identi clairement. Cest pourquoi un programme lourd daide individualise a t mis en place grce aux aides-ducateurs, avant et aprs les cours, pendant le temps du repas, dans les trous de lemploi du temps. Mais lon sest heurt aux limites imposes par lorganisation du systme ducatif (problmes de salles, demploi du temps, absence de formation la pdagogie de la remdiation individualise). Nous avons alors investi le dispositif de lcole ouverte pendant les vacances et accueilli les lves de sixime et cinquire, et en aot exclusivement les enfants de CM2 inscrits pour la rentre suivante. Modeste et limit, ce dispositif a permis aux enseignants dtudier la nature des blocages cognitifs et les mcanismes dacquisition du savoir. Reconnatre la valeur de certains enfants dans des activits hors scolaires a contribu construire une autre image. Ceux-ci ont t rassurs sur les capacits de lcole et de ses matres aider, accueillir, donner rellement accs au savoir, reconnatre le positif de chacun. Mais rserver ces approches au hors-temps scolaire ne pouvait quaccentuer lcart avec ce qui se passait dans le temps scolaire. Il fallait donc les introduire ofciellement. Les trois dispositifs dj initis impliquaient un engagement individuel denseignants, sans modifier structurellement le fonctionnement classique de ltablissement, mme sils en changeaient dj lambiance. Les mentalits ayant sufsamment progress, il a t possible dafrmer dsormais que le collge s qualits est un lieu daccueil, o chacun a sa place et o tout est fait pour aider et valoriser llve.

27

Ce qui a t inscrit dans le projet dtablissement : Axe n 1 : un lieu daide, de russite (accent port sur lindividualisation). Axe n 2 : un lieu calme et serein (accent port sur la participation, la valorisation et la conance). Le dispositif SASS Le conseil dadministration a vot le bannissement des exclusions et des mises lcart qui nous semblent avoir sufsamment prouv leur inefficacit, et un dispositif intitul structure daide pour sen sortir (SASS) a t mis en place. Il sagit dun lieu de retrait et de relance. On utilise la suspension des cours au lieu du renvoi la maison. Dans ce cadre sont accueillis les lves sanctionns ou, prventivement, ceux qui risquent de ltre si des facteurs de risque ont t identis. Ce dispositif comporte un volet remdiation scolaire individuelle et un volet citoyennet et socialisation an dy organiser le retour en classe. Cest aussi un lieu de relais . Les partenaires du comit dducation la sant et la citoyennet viennent rencontrer les enfants. Un travail de reprage est entrepris, des mesures et des stratgies sont labores. Certains problmes ne peuvent tre rgls au plan de ltablissement ; la notion de partenariat est alors un volet important du projet. La collaboration avec les familles Cest enfin un lieu de collaboration avec les familles : les parents sont systmatiquement reus dans un esprit de coopration au bnce de llve. Au cours des entretiens, nous nous sommes rendu compte quen se penchant sur les difcults des lves, lon arrive trs souvent celles des parents et que la plupart des solutions passent par eux. Mais ce dialogue permanent qui prend aussi la forme de groupe de parole parents-enseignants devient lourd pour les quipes, tant par le temps consacr que par la nature des problmes voqus. En effet, ce travail a rvl de grandes attentes, plus particulirement une meilleure lisibilit de lcole et du projet dtablissement, des demandes de conseils sur la gestion des situations conictuelles avec les enfants et dinformations sur la psychologie des adolescents. Mais sont apparues aussi de grandes dtresses qui dpassaient nos comptences professionnelles, principalement des difcults ou des carences de transmission daspects fondateurs ou de repres clairs, par des parents en souffrance, parfois dans limpossibilit de renvoyer une image identicative positive leurs enfants. Nous avons donc dcid dorganiser des

28

moments de rexion entre parents-enseignants et professionnels. cet effet, deux sminaires se sont tenus en fvrier et en juillet 1999. Lobjectif tait de raliser un vritable partenariat familles-cole, fond sur linstauration dun dialogue permanent et des actions communes, construit pour lenfant et sa russite scolaire, bases indispensables pour toute politique visant lutter avec pertinence contre la violence lcole. Pour ce faire, une double dmarche initie par chacun des partenaires sest impose. Dune part, le collge a labor une vritable politique de coducation permanente avec les parents (droulement de la scolarit, activits ducatives et pdagogiques, volet parents dans lopration cole ouverte , vie scolaire, relation avec lenvironnement, etc.). Dautre part, les parents dlves eux-mmes ont cr au sein du collge une association de soutien aux parents dans leur rle ducatif. Cette dmarche associative sinscrit dans le rseau dappui aux parents labor et mis en place par la Dlgation interministrielle la famille. Cette association, ouverte tous les parents de la zone dducation prioritaire, adhre la charte du rseau dappui parental. Elle bnficie dun bureau amnag et quip pour tre un centre de ressources parentalit pour les familles du quartier mais aussi pour les personnels de ltablissement, plus particulirement les enseignants. Cest larticulation, gale dignit de comptence, de ces deux dynamiques qui, implicitement et explicitement, se rvle rductrice des tensions institutionnelles, sociales et ducatives dans ltablissement. Le corpus commun des valeurs ducatives, llaboration des repres et des cadres dans lesquels elles sexercent, la reconnaissance et lutilisation des comptences socio-ducatives des parents, llaboration par les enseignants doutils pdagogiques dveloppant les comportements affectifs et les habilets sociales des lves, passages dsormais obligs de cette politique, y trouvent pleinement leurs sources. Des rsultats fragiles Depuis que ces dispositifs existent, la tension et les incidents ont fortement diminu au collge. Cependant, sans vritable politique nationale de prvention, et cela ds la maternelle, ils resteront fragiles et relveront davantage dune gestion court terme de la violence, tant trop dpendants des engagements personnels et des alas contextuels. Leffondrement des grands systmes intgrateurs dans lesquels la personne ne cesse de grandir et doccuper une place centrale conduit penser que, dsormais, le temps du principe dautorit et celui de la soumission des repres clairement identifis et consensuels sont rvolus. Cest pourquoi la notion d mergence du sujet, de plus en plus prsente

29

dans tous les domaines de la vie sociale et prive, ne peut pas rester trangre lcole, sauf se couper de ses usagers dont lexigence crot dans ce domaine. Lamlioration des conditions de travail des acteurs de lducation risque donc de rester strile si elle ne saccompagne pas dun changement de nature de laction ducative, qui accepte la prise en compte globale du sujet apprenant et sengage dans un lourd programme de formation cette dmarche. Consolider le lien social Ces dispositifs ont t raliss moyens constants mais ont demand une disponibilit humaine et une nergie motionnelle radicalement distinctes des moyens psychiques et relationnels classiquement en uvre dans le cadre scolaire. Ils ont suppos un soutien des instances administratives. Les satisfactions engranges par les acteurs engags dans ces voies tendent prouver que le mtier denseignant est possible ! Seule cette dmarche permettra lcole de la Rpublique de maintenir ses exigences et de consolider le lien social. Donatelle Pointereau, principale du collge de Champigny-sur-Marne jusquen juillet 2000. Cet article a t reproduit avec laimable autorisation des ditions Hachette. Il avait, en effet, t publi dans le livre de Georges Fotinos et Jacques Fortin, Une cole sans violences (Hachette, 2000).

4. Le dveloppement de la mdiation scolairecole primaire de Sarcelles

Les lves de CM2 de lcole primaire prive du Saint-Rosaire-de Sarcelles (95) ont suivi en 1999 une formation la mdiation scolaire. Vingt-quatre dentre eux ont t dsigns pour recevoir une formation plus pousse et intervenir comme mdiateurs lors des rcrations Ya plus de conits dans la cour , se plaint un lve mdiateur. Il y a au moins une bagarre par jour , rplique un autre. Nous sommes dans une salle du sous-sol de lcole, aprs la cantine. Les deux formatrices, Brigitte Liatard et Babeth Diaz (enseignantes dans les parties collge et lyce du mme tablissement), encadrent une runion dvaluation avec les vingtquatre lves mdiateurs. Comment faire en cas de refus de la mdiation par un des lves en conflit ? Comment grer les relations avec les surveillants et dlimiter le rle de chacun ? Comment faire comprendre la condentialit (les mdiateurs garantissent le secret de ce qui leur est dit, sauf en cas de grand grand problme o ils avertissent un adulte) ? Les trois classes de CM2, soit quatre-vingt-dix lves, ont reu, depuis le dbut de lanne, une formation de base la mdiation rpartie sur quinze sances dans le cadre de lducation civique. Au programme : dcouverte de soi, comprendre les diffrences, les motions, apprendre lcoute, comment se faire une opinion, etc. Ctait vraiment trois quarts dheure o les enfants se sentaient libres de parler de leurs problmes , tmoigne un instituteur, les enfants ont conclu que les cours de mdiation leur ont permis de prendre du recul par rapport aux conits .

31

Une institutrice souhaite renouveler lexprience : Ma classe, cette anne, est trs agrable, attentive, mature, et je souhaite voir si cest le rsultat de la mdiation. Les trois instituteurs de CM2 constatent que la formation la mdiation a ouvert des portes aux enfants et a chang le comportement de certains dentre eux qui cherchent maintenant se parler . Jai limpression quil y a moins de bagarres que les autres annes au mois de juin , note une enseignante, impression partage par Pierrick Chatellier, le directeur de lcole primaire. la n de la formation, beaucoup denfants taient volontaires pour tre mdiateurs, mais il a fallu en dsigner quatre par classe qui ont suivi une formation supplmentaire de trois heures aprs la cantine, puis nouveau quatre pour former une quipe supplmentaire. La dsignation a t diffrente dans chaque classe : par lection dans lune ; dans une autre les candidats ont d expliquer leur motivation ; dans une troisime ceux qui ne mangent pas la cantine nont pu tre mdiateurs car ils sont absents pendant la rcration de midi, la plus longue Les mdiateurs doivent tre attentifs et disponibles Une premire quipe de douze a reu la formation supplmentaire et a commenc intervenir n mars 1999. Une autre quipe a pris le relais quelques semaines plus tard. Chaque jour et chaque rcration, le groupe constitu de deux mdiateurs en service change. Un cahier de mdiation sert de lien, les interventions y sont notes et il est strictement rserv aux mdiateurs. Ceux-ci doivent tre attentifs et disponibles pendant les rcrations, mme sils peuvent jouer. Ils nont pas le droit de punir ni de dcider la place des autres : ils doivent aider rtablir les relations et trouver des solutions. Ils rpondent aux sollicitations mais interviennent deux-mmes galement quand ils voient une bagarre ou un petit qui pleure . Une mdiatrice raconte ainsi une intervention : Deux petites filles taient en train de se disputer parce que lune ne voulait plus parler lautre. Je leur ai demand de mexpliquer le problme, je leur ai pos plein de questions et ctait juste pour un truc bte, parce que leurs parents staient fchs et ne voulaient plus que leurs enfants se voient. Maintenant, les deux petites lles se parlent nouveau. Dans ce cas-l, on est all le signaler la surveillante et au directeur parce que ctait compliqu. On ne pouvait pas se mler des affaires personnelles. La prsence des mdiateurs est un recours pour les enfants, surtout pour les plus jeunes. Cest aussi un exemple parce que des enfants consacrent leurs rcrations aider les autres. Cependant peu de CM2 semblent solliciter leurs collgues, par peur que leur problme soit connu dans leur

32

classe, peut-tre aussi parce quils se considrent comme gaux des mdiateurs et donc pouvant se passer deux ? Une fillette de CE1 dit que les mdiateurs nous aident arrter de nous disputer ; ils nous disent de nous expliquer ; une autre : les mdiateurs nont pas le droit de punir, ni de gronder hyper fort, ni de le dire au directeur . Ce mardi aprs-midi, lorsque je cherche les mdiateurs, ils jouent au foot et lun dentre eux ne porte pas le brassard vert, noir et blanc qui les identie. Les mdiateurs sont des enfants qui ont aussi envie de se dfouler pendant la rcr mais la pratique du foot est-elle bien compatible avec leur service ? Leur prsence est bien plus efcace pendant la longue rcr de midi, souligne une institutrice, car nous ne sommes pas dans la cour. Les CM2 font tout le temps leur loi Les mdiateurs devraient rpondre toutes les sollicitations mais ce nest pas toujours le cas : Quand on leur demande, ils veulent pas parce quils jouent , tmoigne un petit . Un autre afrme : Les CM2 font tout le temps leur loi , notamment en ce qui concerne le terrain de football. Une rgle de partage semble avoir t tablie en conseil dcole, mais elle nest pas respecte. La loi du plus fort rgne et les plus petits ne semblent pas avoir recours aux mdiateurs qui, en loccurrence, risquent dtre juge et partie Autre recours en ce cas : avertir les surveillants ou les enseignants pour que la rgle soit applique, mais on risque de passer pour un rapporteur ! Le respect dautrui et de la rgle commune est un long apprentissage, mme pour des lves mdiateurs ! Dautant que la cour est parfois seme de piges : certains lves samusent provoquer les mdiateurs pour quon les tape et quon ne soit plus mdiateur , dautres simulent des conits pour voir comment ils interviennent, dautres, enn, intresss, viennent sinformer. Un autre petit remarque que, parfois, un mdiateur prend partie pour son copain car, sinon, celui-ci risque de ne pas tre content. Un garon souligne mme : On dirait que les mdiateurs, cest les moins sages des CM2 ! Les mdiateurs doivent-ils tre des exemples mme quand ils ne sont pas en service ? Sans doute car cela augmenterait leur crdit auprs des autres enfants et serait en cohrence avec le projet, mais on ne change pas du tout au tout des enfants un peu turbulents mme avec une formation la mdiation. Une institutrice estime que certains mdiateurs ont trouv l une occasion dtre reconnus comme responsables, alors queffectivement ce ne sont peut-tre pas les plus sages Mais lenjeu de la mdiation est peut-tre encore plus important auprs de ces enfants-l qui doivent canaliser leur agressivit ?

33

Un mdiateur remarque : Avant je tapais tout le temps, maintenant je tape moins. Dautres tmoignent que dsormais ils se laissent moins emporter par leur colre, aussi bien lcole quen famille. Certaines mdiatrices interviennent mme dans des conflits entre adultes : Moi, raconte lune dentre elles, je nai pas russi rgler un conit parce que ctait entre des adultes : lors dune fte, ils ont failli en venir aux mains et je me suis mise entre eux en leur disant quils se comportaient comme des bbs. Ils nont pas lch laffaire pour autant, mais sans en venir aux mains. Le directeur de lcole primaire, Pierrick Chatellier, estime que lexprience reste plus positive pour les enfants qui ont t forms comme mdiateurs que pour les autres. Cependant la mdiation permet aux enfants de savoir quen cas de problme ils peuvent tre aids, et par dautres personnes que par des adultes surveillants . Un problme pratique na pas t rsolu : les mdiateurs devraient avoir une salle ouverte o faire leurs mdiations, ce qui nest pas le cas. Ils oprent donc dans la cour, ce qui ne garantit pas une totale discrtion. Le directeur dresse un bilan encourageant de cette premire anne car la mdiation est un travail sur soi, comme on peut le faire au thtre (nous avons galement un atelier thtre). Les enfants prennent conscience quils sont importants, quon peut les couter, quils peuvent avoir des responsabilits. Quelle responsabilit confie-t-on aux enfants dhabitude ? Cest un travail social et ducatif. Nous dpassons le rle denseignement de lcole, mais aujourdhui, si on se contente davoir un rle denseignement, lcole sera hors-jeu. Il faut trouver les pratiques pdagogiques pour motiver les enfants. Ce qui a peut-tre manqu, cest lexplication : prsenter le projet toute lquipe enseignante, aux surveillants, an que tout le monde soit partie prenante . tre bienveillant envers chaque enfant Lexprience initie dans cette cole primaire (mais la mdiation scolaire existe au collge voisin qui fait partie du mme tablissement depuis 1995), est un laboratoire passionnant. Une telle pratique de mdiation peut-elle se gnraliser, voire tre intgre par lducation nationale ? Si les enseignants ne sont pas impliqus, je ne vois pas comment a peut marcher, et il faut des gens comptents pour la formation , estime Pierrick Chatellier. Brigitte Liatard confirme : La mdiation implique que lon soit profondment bienveillant envers chaque enfant et que lon accepte de rchir sur sa propre faon de fonctionner. Effectivement, ltat desprit est essentiel, ainsi que lencadrement par les adultes. Babeth Diaz, formatrice avec Brigitte Liatard, pense que

34

des formations la mdiation devraient tre dispenses tous les enseignants du primaire. Cela parat souhaitable car la mdiation se rvle tre une ducation la civilit , selon lexpression dune institutrice de CM2, au respect de soi-mme, de lautre, de lenvironnement tout fait pertinente aujourdhui. Christian Le Meut Brigitte Liatard et Babeth Diaz sont fondatrices de lassociation Gnration Mdiateurs (27 bd Saint-Michel, 75005 Paris). Elles ont publi Contre violence et mal-tre, la mdiation par les lves (Nathan) ainsi que plusieurs cassettes vido sur la mdiation au collge (diffusion NVA).

5. Mettre en place la mdiation scolaire dans un tablissement

Gnration Mdiateurs Aprs plusieurs annes dintervention dans des dizaines dtablissements publics et privs, en rgion parisienne et en province, lanimation de nombreux stages externes, la formation de centaines de jeunes mdiateurs et le suivi de ce travail, lassociation Gnration Mdiateurs en arrive dgager certaines constantes dans la faon de mettre en place un projet dducation la gestion des conits et la mdiation par les pairs. Le mdiateur nest pas un magicien, ne lui demandez pas limpossible : la vritable solution est entre vos mains , peut-on lire en conclusion de la charte du jeune mdiateur rdige en 1995 par des lves de quatrime Sarcelles. Aprs plus dune anne dexpriences, de russites et de difcults, les collgiens mdiateurs avaient souhait prciser, auprs de leurs camarades, leur rle dans la cour ou dans la classe : il sagit, par leur prsence et leur attitude dcoute, de renouer le dialogue et daider leurs camarades mdis redevenir acteurs. Ils font confiance leur bonne volont et leur crativit pour trouver la solution qui permettra chacun de sortir du conit en ayant sauv la face et trouv une solution satisfaisante pour tous. Bien que dans 70 % des cas lissue en soit positive, la mdiation ne relve pas de la magie ; de la mme faon, la lutte contre les incivilits et la formation la gestion des conits que propose Gnration Mdiateurs

37

est exigeante. En effet, la spcicit de notre association consiste former des ducateurs : enseignants, CPE, surveillants, assistantes sociales, mdecins scolaires, inrmires, emplois jeunes, parents dlves Au cours de trois journes de stage ceux-ci passent par les tapes quils feront ensuite franchir aux jeunes de tous ges : collges, lyces, coles Car nous sommes persuads que la socialisation ne simprovise pas et ncessite dapprendre grer sainement les conits en rendant les jeunes acteurs et responsables. Si les textes ofciels sont indispensables, ils ne sufsent pas : notre exprience conrme que ce changement ne peut avoir lieu quavec une transformation des relations entre enseignants et enseigns, et un investissement personnel de lducateur dans la dure. Les qualits requises pour mettre en place un projet dducation la gestion des conits et la mdiation par les pairs dans un tablissement scolaire sont les mmes que celles qui sont ncessaires pour mener bien une mdiation : la patience, indispensable au mdiateur qui voit dans le temps un alli ; elle ne lest pas moins pour celui qui souhaite lancer un projet dans son tablissement cest parfois une attente de plusieurs annes qui est ncessaire pour couter, convaincre et choisir le moment favorable ; la tnacit, mais aussi le lcher prise : tenir cote que cote, braver les difcults et les obstacles tout en sachant que ce projet ne doit pas tre le sien, mais celui dune quipe ; une certaine stratgie pour trouver lentre, rechercher des appuis, les moyens matriels et nanciers ; Et bien sr, la chance : une situation qui paraissait bloque se dbloque parfois soudainement, un opposant irrductible est mut ou se rallie au projet. Si ces conditions se retrouvent chez tous ceux qui sont lorigine dune demande, nous constatons galement que certaines conditions sont plus favorables que dautres la russite du projet. Notre objectif nest pas tant daccumuler les stages que den assurer le suivi, de comparer les expriences des tablissements et de les faire connatre, de voir ce qui a permis la russite du projet, sa mise en veilleuse ou son chec, et surtout de mettre en lien les tablissements dune mme rgion et les personnes isoles pour constituer un rseau dentraide et de soutien. Do viennent les demandes ? Une premire approche concerne lorigine des demandes de stage. Cest le chef dtablissement qui peut prendre linitiative et ce sera une bonne ou une mauvaise chose selon sa personnalit et la faon dont il est

38

considr. Un projet venu den haut peut capoter car les enseignants pressentent ou craignent quil ne se glorie de sa russite. Nous avons dj t tmoins de cette triste situation et je connais un principal particulirement au fait des relations humaines qui, bien quayant lanc le projet, sest immdiatement mis en retrait pour laisser lquipe pdagogique se lapproprier. Un enseignant est souvent lorigine dune demande : sil est bien intgr et sait convaincre le chef dtablissement, les chances de succs sont relles. Mais, de plus en plus souvent, le contact avec Gnration Mdiateurs est pris par une inrmire, un mdecin scolaire ou une assistante sociale. Le prix que nous a attribu le Club europen de la sant et les tmoignages de plusieurs mdecins scolaires attestent des liens directs qui existent entre les objectifs de Gnration Mdiateurs et ceux dducation pour la sant 1. Le rle des assistantes sociales soriente de plus en plus vers la prvention et elles sont maintenant nombreuses prendre linitiative dune formation. Ce personnel de sant est gnralement considr comme comptent et trs proche des difcults des jeunes, et leurs propositions sont souvent bien perues. Nous avons galement connu des cas o la proposition de former des enfants mdiateurs provenait de parents dlves militants et (ou) qui souhaitaient voir leurs enfants en bncier. eux dtre prudents car la place des parents dlves nest pas encore bien dnie et les relations avec les enseignants sont loin dtre toujours faciles : l encore, il arrive que lopposition se focalise sur le projet. Les conditions de la russite Mais de la faon dont ces initiateurs ont t informs et connaissent le travail de Gnration Mdiateurs, va aussi dpendre la russite du projet. Les articles de journaux peuvent tre de bons vecteurs. Bien souvent, il faut le reconnatre, montrer qu on est pass la tl 2 apparat comme un critre de srieux. Car la question est double : il sagit dabord dtre certains que la demande dun tablissement scolaire correspond bien ce que nous pouvons proposer (et si ce nest pas le cas, orienter vers un autre organisme de formation) et ensuite rassurer sur notre comptence. En effet, rien nest pire pour un formateur que de constater, en dbut de stage, que les participants sattendaient tout autre chose que ce qui est propos ! Nos documents et un long entretien pralable au tlphone ou1. Article sur mdiation et sant dans le numro du 2e trimestre 2001 de Gnration Mdiateurs Info. 2. France 2 : JT en janvier 1999. France 5 : Rogers et la mdiation scolaire , septembre 2000.

39

face face avec lauteur de la commande ont heureusement fait disparatre cette situation. Pourtant, mme si linitiateur du projet est apprci et bien inform, la partie est loin dtre gagne. Il faut maintenant venir bout des obstacles matriels et paralllement convaincre lquipe si lon souhaite organiser une formation sur site, ce qui est la fois plus simple et plus cohrent. Les obstacles sont dabord dordre nancier et, si les tablissements privs peuvent obtenir une prise en charge de lArpec, les tablissements publics devront faire preuve dimagination : regroupement dducateurs de plusieurs collges, montage grce des fonds du rectorat, de linspection acadmique ou du Comit daide la sant et la citoyennet, prise en charge par les IUFM, le conseil municipal ou gnral Patience, patience ! La question des dates trouver pour ces trois journes nest pas ngliger : viter les ns de trimestre que nous avons vcues, devant des enseignants extnus ! Et que faire des lves dont les professeurs sont absents ? L aussi, selon les cas, la rponse sera diffrente. Enn se pose la question cruciale : qui va venir ? Il nous parat indispensable, tant donn la ncessit dun engagement personnel, que les stagiaires soient volontaires et sachent ce qui les attend. Souvent enthousiastes aprs le visionnage dune des cassettes ou la venue dun formateur de Gnration Mdiateurs pour deux heures de prsentation, ils sont souvent inquiets pour la suite : cette remise en question annonce sera-t-elle bienveillante ? Ne risque-t-on pas de sloigner des programmes ? Seront-ils capables, en trois journes seulement de former des lves mdiateurs ? Quels moyens seront mis leur disposition ? Sur quelle squence horaire auront lieu les rencontres avec les jeunes ? Linvestissement ne sera-t-il pas trop lourd ? Le fait que les formateurs soient des gens de terrain, souvent des enseignants qui vivent au quotidien les problmes matriels, est trs rassurant, tout comme la proximit gographique des lieux o a marche . Patience et prudence Il importe de rpondre cette inquitude le plus rapidement possible, lors de la prsentation, si elle a lieu, ou loccasion du tour de table de la premire matine. La remise en question voque reste personnelle et nest que suggre par certains exercices. Les objectifs des instructions ofcielles ressemblent de plus en plus aux ntres : Initier les lves la gestion non-violente des conits (Bulletin ofciel, juillet 1987) ; enseigner apaiser un diffrend, rparer une faute, se rconcilier (Initiatives citoyennes, 1997-1998) ; duquer au respect, conduire chaque lve vers la matrise de soi et le respect de lopinion dautrui, dvelopper lestime de

40

soi, apporter un repre sur les valeurs, organiser des jeux de rle (BO n 23, juin 1999). La crainte dtre incomptent apparat frquemment et une clarication du rle de notre association et de ces journes est prioritaire. Nous venons proposer une formation la gestion des conits et la mdiation avec un matriel ludique, vari, adapt aux diffrentes tranches dges. Mais ce sera lquipe pdagogique de sapproprier le matriel en se donnant des objectifs en fonction du nombre dadultes impliqus, du public, de lambiance, de limplantation gographique En aucun cas, le fait de se limiter la gestion des conits ne doit tre considr comme un chec : il est prudent de procder par tapes et la mise en place de la mdiation scolaire, opration trop dlicate pour tre brusque, peut staler sur plusieurs annes. Par ailleurs, certains tablissements estiment que la formation la gestion des conits, avec ses sances de connaissance de soi, dobservation de la violence au quotidien et de sa propre faon de ragir, avec les exercices de communication sont si riches que lambiance de la classe change et que, chacun travaillant sur lui-mme, la mdiation nest pas ncessaire. La question des horaires trouve rponse dans les dernires rformes : lheure de vie de classe, accueil et accompagnement en sixime, les parcours diversifis en cinquime, les travaux croiss en quatrime, la formation des lves dlgus sont des moments privilgis qui permettent une reconnaissance ofcielle de la formation des jeunes et limitent le bnvolat. Une demande prudente consiste pour certains tablissements envoyer un claireur en stage externe avec pour mission prilleuse de faire un rapport au retour. Richesse de ces stages o se ctoient des personnes de toutes rgions, de tous statuts, de tous niveaux. Les trois quarts des jeunes accueillent le projet avec enthousiasme Enn, sil y a un groupe tranger toutes ces proccupations, cest bien celui des lves. On a limpression quils nattendaient que cela on a t surpris de voir que les trois quarts des jeunes sinscrivaient latelier Ils ont un tel besoin dtre couts et de parler de ce qui leur tient cur Moment crucial o beaucoup dducateurs vitent avec raison, dans un premier temps, dutiliser le terme prmatur de mdiation et choisissent dintituler les ateliers, quils soient obligatoires ou facultatifs, violence, gestion des conits ou formation personnelle . Cest au fil des sances quensemble les jeunes vont rflchir et dcider sils veulent aider les autres comme ils lont t eux-mmes. Ils seront, en moyenne, les deux tiers faire ce choix puis tmoigner de

41

lenrichissement personnel tir de cette exprience. tel point quune nouvelle perspective commence souvrir, celle de jeunes qui, quittant un collge o la mdiation marchait bien, stonnent quil nen soit pas de mme dans leur nouveau lyce, rclament une formation pour leurs camarades et pour les adultes et, en attendant, mettent leurs comptences et leur enthousiasme la disposition de leurs camarades. Brigitte Liatard, Gnration Mdiateurs.

6. Vivre ensemble pour mieux travailler ensemble lcole primaire des Cerfs-Volants, Val-de-Reuil, Eure

Le quartier de La Grosse Borne, Val-de-Reuil (Eure), rassemble 28 % des demandeurs demploi de la ville, 34 % des bnciaires du RMI, 31 % des foyers suivis par le comit communal daction sociale Dans lcole primaire des Cerfs-Volants, 35 % des enfants sont dorigine trangre et 25 % parlent leur langue dorigine en famille. Lquipe pdagogique a engag,depuis 1996, une action pour prvenir la violence physique. Un projet dcole a vu le jour : Vivre ensemble pour mieux travailler ensemble . La prise en compte de tous les conflits a permis dinstaller un climat plus serein, bas sur lcoute et le respect de lautre. Cette rgulation quotidienne de lagressivit permet de poursuivre lobjectif essentiel de ltablissement : lamlioration des rsultats scolaires des lves. Entretien avec Fabien Pujervie, instituteur en CE2 lcole des CerfsVolants et matre formateur lIUFM (Institut de formation des matres). NVA : Comment se passe la mise en place dune ducation la gestion des conits ? Fabien Pujervie : Dans lcole, dans la classe, les lves ne peroivent pas spontanment ce quest un conit. Ils vivent des confrontations. Sils sont gagnants, peine termine la confrontation, ils sont dj partis sur un autre centre dintrt. Sils sont perdants, leur ressentiment attendra

43

dautres occasions pour sexprimer, soit en se faisant mal , soit en blessant les autres leur tour. Cest, dit-on, lexprience de la vie ! La vie serait donc une suite de confrontations o les vainqueurs ne percevraient jamais la violence et les vaincus niraient par se poser des questions pour savoir comment faire autrement . En dautres termes, que les perdants rchissent ils nont dailleurs pas le choix et que les autres agissent ! Le passage lacte est souvent immdiat, parfois mme sans aucun signe verbal ou physique annonciateur. Comme si ce type de rponse tait le seul pour lenfant. Lespace est presque inexistant entre le sentiment dagression et la raction brutale. Comment donner de lpaisseur cet espace ? Comment prendre conscience de ce qui se joue ? Comment peu peu mettre des mots ? Cest cette question que nous essayons de rpondre. Quelle est la dmarche ? Un jour je me suis retrouv perdu dans la ville de Moscou au milieu dune foule dont je ne connaissais pas la langue, entour dincomprhensibles inscriptions en cyrillique, et me faisant apostropher par un individu trs mcontent. Jai eu beau mobiliser tous mes sens, je nai rien compris. Dans son exprience sensible des conflits, lenfant se retrouve parfois comme celui qui ne comprend rien ce qui se passe. Il na pas assez de repres, de rfrences, dexpriences analyses. Comment peut-il alors comprendre lvnement ? Avec quelles stratgies peut-il construire des rponses raisonnes ? Cest partir de quelques mots quon rentre peu peu dans un langage labor. En classe, la dmarche vise apprendre identier ses sentiments. Pourquoi est-ce que je ressens ce malaise ? Cette violence, quest-ce que cela me fait ? Est-ce injuste ? Quest ce que je veux obtenir ? Dans le mme temps, un travail de clarication et de dnition des manires de communiquer et de vivre ensemble est entrepris. Cest partir de ces rfrences communes que lon cherchera inventer, dcouvrir et vrier des moyens de rsolution des conits. Cest donc une dcouverte collective Il faut que nous ayons ensemble, enfants et adultes, du vocabulaire pour pouvoir parler le conflit . Par exemple, lorsque je leur pose une devinette (les leons sont pleines de devinettes !), jencourage les lves faire des hypothses, jouer sur les associations dides, vrier en allant jusqu labsurdit dun raisonnement. La solution est parfois possible trouver si lon relie les choses entre elles. Autre exemple de support que jutilise : lastronomie. On regarde les toiles, on les relie et, si a fait une casserole , cest la Grande Ourse Ce nest pas pour autant que la

44

casserole existe dans le ciel, mais on dcouvre l encore que si on fait des liens avec ce que lon connat, on peut se reprer. En matire de rsolution de conflits, on va sappuyer sur ces mmes dmarches : est-ce que jentends ce que me dit lautre ? est-ce que je comprends les raisons quil me donne ? est-ce que je me suis bien fait comprendre de lui ? etc. Cest par la construction de liens entre les faits et la manire dont ils ont t vcus par lun et lautre que lon va pouvoir avancer vers la comprhension du problme. Pour cela lutilisation des mots justes est une aide avre. Ensuite merge la conscience que le problme est commun aux deux parties. Une laboration de solution peut alors tre entreprise moins que seule la trve ne puisse tre obtenue (la rconciliation demande du temps et ne peut tre impose). Parfois lun ou lautre ose une solution tonnante qui satisfait. Ainsi, il sufrait de chercher, dans les situations vcues ou les leons abordes, les occasions de prendre conscience que telle ou telle comptence peut servir en cas de conit ? Je voulais montrer que bien des situations de la vie de la classe peuvent tre des moyens denrichir ses comptences dans le domaine de la rsolution des conits. Dans la classe, jai recours galement des bandes dessines sur des scnarios conictuels qui mettent en scne des animaux dans des dcors les plus neutres possible. On connat le dessin des nes qui tirent chacun de leur ct pour manger et qui narrivent rien. Jusquau moment o ils trouvent ensemble une solution qui satisfait les besoins de chacun. Quand il y a une bagarre pour un stylo ou un livre dans la classe, est-ce que lhistoire des deux nes ne peut pas nous aider trouver une solution ? On est toujours dans la construction de rfrences, dexpriences. Dans une autre bande dessine que jutilise, il y a un chien qui court aprs un chat et le chien est tellement impulsif et distrait quil se prend une planche sur le museau, laissant au chat tout le temps pour se sauver. Aprs avoir analys la situation et les enjeux de lvnement, chacun est invit donner un exemple vcu. On a tous vrifi que limpulsivit naide pas toujours rsoudre les problmes. On vrie que nous sommes plusieurs avoir vcu une telle difcult (le matre peut tmoigner galement dune situation de classe qui le met en cause). Parfois on veut arriver quelque chose tout prix et, au nal, on se retrouve en difficult. En gnral, les enfants ne manquent pas dexemples citer : je voulais attraper quelque chose, cest tomb et a sest cass ; ma petite sur avait pris mon cahier, jai tir et il sest dchir , etc. On na pas rchi avant dagir, on sest montr impulsif. On a tous vrifi que limpulsivit naide pas toujours rsoudre les

45

problmes. On peut faire stop ! je rchis ! . Ces notions deviennent progressivement des rfrences communes la classe, une culture commune qui va pouvoir tre rutilisable dans dautres situations. Ce nest plus lenseignant qui va dire : Tu tes tromp dans lexercice de math parce que tu as t trop vite , mais llve qui va tre capable de comprendre linefcacit de son absence de mthode. Ce changement est-il perceptible chez les lves ? Au l des mois, les enfants sapproprient un langage li au conit et des repres qui leur permettent den parler. En milieu danne scolaire, il nest pas rare dentendre dans la cour de rcration : Arrte, tes impulsif ! Je citerai aussi lexemple de cette maman qui, un soir, arrive la sortie de la classe avec son petit de trois ans, lui donne une gie pour je ne sais quelle raison, et son grand ls de huit ans qui lui dit : Maman, tas t impulsive. Et la maman rpond ne dis pas des mots que tu ne connais pas ! . Lenfant, au contraire, avait parfaitement compris la situation. Il ntait pas dans linscurit, il avait mis des mots sur ce qui se passait. Quand on sait dcrire le conit, comment aborde-t-on sa gestion ? La premire phase permet de se situer dans le conflit, davoir des repres et des mots pour en parler. ce niveau, il ne sagit pas dune ngociation sur le mode tu mas fait a, moi je te fais a . Quand un interdit a t transgress, il ny a rien ngocier. On travaille sur la loi, la rgle, linterdit, la ngociation. Cest un temps dappropriation, un temps pour enrichir une culture de rfrence autre que celle qui domine et qui privilgie la violence. On va travailler des mots tels que coopration, complmentarit, distance, mdiation, recherche dune troisime voie, trve, contrat Tout cela fait lobjet dun travail systmatique, partir doutils pratiques, de bande dessines, ainsi que des situations qui se prsentent dans la classe ou dans la cour de rcration. Cest un travail qui est en permanence confront la ralit. Quand ce travail est-il fait dans la classe ? Selon quels horaires ? Lessentiel du travail sur les rfrences se fait pendant les cours dducation civique. Mais on aborde galement ces notions durant les matires qui touchent aux moyens dexpression et qui font aussi partie du programme. Matrise de sa peur, conance en soi, accueil de lautre sont des capacits importantes que nous explorons en thtre, musique et sport. Par exemple, la notion de coopration est approfondie en sport partir

46

dun jeu o la coopration est ncessaire la russite. Il y a un moment o lon sarrte pour se demander qui a gagn ? Pourquoi il a gagn ? Comment on sest organis ? Comment on peut mieux faire ? Chaque activit peut ainsi tre loccasion dun travail sur les comportements, sur la manire dtre. Cest pour cela que nous avons appel ce programme Dmarche pour vivre et travailler ensemble . Il sagit bien sr de respecter la fonction assigne tout enseignant du point de vue de lacquisition des connaissances, mais aussi dacqurir les capacits pour vivre ensemble. Ce choix de dvelopper le vivre ensemble dans la classe modie-t-il la faon de travailler ensemble ? Ma dmarche sinscrit dans une pdagogie du partage, le partage des intentions ducatives. Ce projet repose sur lappropriation de nouvelles rfrences comme nous lavons vu, mais aussi sur lexprimentation. Chaque semaine, par exemple, nous avons une runion de classe o remontent tous les problmes qui nont pas t traits sur le moment. Cest un temps pour entendre les conits. Llve, lenfant, comprend quil a le droit de dire son problme et quil sera cout. Ensuite, on participe tous la recherche de solutions puisquon a les lments en commun. Si lenseignant tait le seul pouvoir rsoudre les problmes, il ne pourrait faire face au dferlement de la parole. Dans ces runions, on se familiarise avec les diffrentes formes de gestion des conits : cest une mise en pratique des notions que nous avons pu voir plus thoriquement. La solution peut merger dune longue coute et je ne suis pas toujours le dtenteur de la bonne rponse. En revanche, lorsquil sagit de choses non ngociables, de transgressions, ce nest plus du ressort de la classe. Dans la vido, Quand llve est aussi un enfant, qui prsente votre travail 3, il est question du d mathmatique , de quoi sagit-il exactement ? Je lance un dfi la classe sous forme de problmes de math rsoudre : une trentaine en une heure. Les lves sorganisent comme ils veulent et peuvent utiliser toutes les ressources disponibles dans la classe : les copains, les livres, lordinateur, les calculatrices. Ils doivent donner une seule solution par problme. Cela oblige mettre en uvre ce qui a t vu dans le temps dappropriation : les stratgies de coopration, de communication, dchange, de partage, dargumentation. Le premier exercice collectif est la rpartition des problmes. Je les laisse sorganiser et, en gnral, lors du premier dfi de lanne, les meilleurs sont dsigns. Ils3. Quand llve est aussi un enfant, documentaire de Patrick Chesnet et Allan Wisniewski, Marjane Productions (diffusion NVA).

47

commencent par faire les problmes les plus faciles. Au bout dun moment, le systme se bloque puisquil reste le plus difcile faire, ce que personne ne sait faire. On sarrte, on examine la situation, ce qui na pas march dans lorganisation. Cest loccasion de confronter ses capacits individuelles au projet collectif : comment le groupe mobilise ses comptences et les organise pour russir collectivement le d. Il y a donc un double bilan qui est fait : du point de vue des mathmatiques en termes de correction des problmes, et du point de vue de la stratgie dorganisation du travail. Comment abordez-vous la question des conflits dans la cour de rcration ? Dans mon cole, les enseignants sont prsents dans la cour de rcr. Il y a trois personnes en permanence, ce qui permet de rpondre toutes les demandes des enfants. Dans ces conditions, lenfant qui frappe est dabord sanctionn parce quil a encore moins dexcuses que dautres davoir donn un coup alors quil y avait un dispositif de justice sur la cour. Est-ce que cela entrane un changement dambiance dans lcole ? Les enfants sont heureux de venir lcole. Le soir, ils ont du mal partir. Beaucoup restent aux ateliers de sport, danse, peinture, etc. jusqu 17 h 30, bien que les parents soient la maison. Il en est de mme le mercredi aprs-midi et les jours de vacances o, avec laide de la mairie, lcole reste ouverte. Cette culture partage du respect et de la parole semble apprcie des lves et des onze enseignants qui y redoublent tous les ans. Propos recueillis par Guy Boubault. Contact : Inspection de lducation nationale BP 617 27106 Val-de-Reuil Cedex

7. Faire lcole ouverteLyce professionnel, Roubaix

Jean-Pierre Lafage est proviseur au lyce professionnel Lavoisier de Roubaix depuis 1992. Il y mne une action pour rduire la violence et promouvoir la multiculturalit. Le lyce Lavoisier compte 600 lves, principalement des lles (sections habillement, htellerie, carrires sanitaires et sociales). 80 % des lves sont boursiers et 60 % des familles sont sans emploi. Le quartier compte 8 000 habitants, dont 50 % de jeunes de moins de 25 ans NVA : Quelle tait la situation de votre lyce votre arrive ? Jean-Pierre Lafage : Jai trouv un lyce extrmement sanctuaris , compltement coup de son environnement. Il y avait de la violence autour de ltablissement, des rodos sur la place, un chien pour garder le lyce Dentre de jeu, nous avons dcid de nous ouvrir aux associations du quartier et nous sommes alls jusqu crer un conseil dhabitants dont le sige est toujours au lyce. On a fait du porte--porte, avec dautres personnes, en essayant de savoir ce qui posait problme la population : du logement un dcit culturel extrmement important puisque la population de notre quartier est constitue de Franais roubaisiens issus du monde arabe qui ne connaissent pas leur culture dorigine.

49

La premire chose que lon a dcouverte, cest quil y avait une trs forte demande de connatre lhistoire du monde arabe, celle des Arabes en France et de leur arrive Roubaix. Cest pourquoi nous avons dcid de crer le Centre culturel du monde arabe. Cela a pris trois ans tant nous avons rencontr dopposition sur Roubaix. Pour rsumer, nous avons commenc par rtablir lchange entre le lyce et son environnement, sachant que lenvironnement conditionne le fonctionnement mme du lyce car il nest pas concevable quun service public vive quelque part sans changer. Dans le mme ordre dides, nous avons dcid dabandonner tous les marchs conomiques qui taient prtendument moins chers et nous avons achet nos fruits, nos lgumes, notre viande, etc., dans le quartier. Puis, tant donn que le gouvernement nous avait accord la possibilit de crer des emplois, nous avons cr trente emplois CES (contrats emploi-solidarit) qui nous apportent un confort extraordinaire. Sans ces emplois CES, ce serait lenfer, cest clair. Ils nous apportent une aide importante pour tout ce qui concerne la surveillance, lentretien et ladministration. Ce sont des gens dici qui peuvent faire en sorte que la violence nclate pas en dehors du lyce parce que, si elle est dehors, elle pntre lintrieur. Cest une mprise de dire quon va construire des murs, sanctuariser, mettre des camras, etc. Je nai jamais vu des camras et des murs de quatre mtres empcher une effraction. En revanche, quand nos lves sortent des lyces, est-ce que les camras et les murs vont les protger ? Comment faire pour prvenir la violence ? Nous pensons quil faut faire en sorte quil existe au lyce une convivialit, un peu comme dans un village. Du reste, lentre du lyce donne sur une belle place. Pour nous, cest la place du village. Quand des trangers arrivent, on les accueille comme des trangers, cest--dire avec hospitalit. Et lhospitalit commence par le dialogue. Au moment de la rcration, les lves ont le droit de sortir du lyce. Ils vont sur la place, en compagnie dadultes (les CES) qui sassurent quil ny a pas de violence. On est en train de faire la dmonstration que, dans un quartier dit en difcult , il y a normment de ressources et de comptences. Le qualicatif en difcult est dailleurs une mauvaise tiquette. Il ne faut pas que le tissu urbain soit constitu uniquement de logements. Il doit aussi comprendre des entreprises qui emploient des gens du quartier. Moi, par exemple, je suis tenu dhabiter le lyce, et je ne men plains pas car je dveloppe un tissu de relations dans le quartier. On partage normment de choses ensemble. Tous les lves