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ÉDUCATION TROUBLES D’APPRENTISSAGE CAHIER THÉMATIQUE J LE DEVOIR, LES SAMEDI 10 ET DIMANCHE 11 OCTOBRE 2015 Mère et fille se sont battues côte à côte Page J 4 Petits ajustements, grands impacts pour l’entreprise Page J 3 RIDVAN CELIK ISTOCK Le président du conseil d’administration de l’Institut des troubles d’apprentissage, Roger Casgrain, rêve d’un monde où les troubles d’apprentissage ne seront plus perçus comme un handicap, mais comme une différence parmi tant d’autres. L’organisation change de nom afin de se posi- tionner en tant que leader en matière de sen- sibilisation, de formation et de soutien pour la cause des troubles d’apprentissage. MARIE LAMBERT-CHAN I l y a 50 ans naissait l’AQETA, l’Associa- tion québécoise des troubles d’appren- tissage. Cette année, l’AQETA est re- baptisée l’Institut des troubles d’ap- prentissage (Institut TA). Un change- ment de nom qui s’imposait en raison de l’évo- lution de la mission de l’organisme. «Au début, nous étions davantage un regroupement pour les parents d’enfants aux prises avec des défis d’apprentissage » , rappelle Roger Cas- grain, président du conseil d’administration de l’Institut des troubles d’apprentissage et vice-président directeur chez la firme de cour- tage Casgrain & Compagnie Ltée. Incontournable Aujourd’hui, l’Institut TA est devenu un ac- teur incontournable dans le domaine des trou- bles d’apprentissage, une condition qui affecte 800 000 personnes au Québec, soit 10 % de la po- pulation. Chaque année, l’association organise un congrès sur le sujet réunissant plus de 1600 professionnels de l’enseignement, en plus d’un colloque pour les parents qui attire quelque 300 participants. « Nous œuvrons à assurer l’égalité des chances pour les personnes qui vivent avec un trouble d’apprentissage », souligne M. Casgrain. L’Institut TA agit sur plusieurs fronts: sensibili- sation, soutien à l’intégration, formation, consul- tation en entreprise et aide à la défense des droits. Une mission portée à bout de bras par les employés et les bénévoles, tant à Montréal que dans les antennes régionales. Aux côtés de sa conjointe Colette Charest — qui a aussi siégé au conseil d’administra- tion de l’Institut TA —, Roger Casgrain s’im- plique bénévolement depuis plusieurs années. « J’ai des proches qui doivent composer au quo- tidien avec des troubles d’apprentissage et je vois à quel point il faut être combatif pour rele- ver les défis et les tabous que leur impose la so- ciété, que ce soit à l’école ou sur le marché de l’emploi », explique celui qui achève son man- dat de président du conseil consultatif de Cen- tennial Academy, une école secondaire spé- cialisée dans l’aide aux élèves aux prises avec des difficultés d’apprentissage. Roger Casgrain s’émerveille devant la persévé- rance des individus vivant avec un trouble d’ap- prentissage. « Ils ne l’ont pas facile, fait-il remar- quer. Très jeunes, ils apprennent à faire face à l’échec. » Il déplore qu’on les sous-estime encore et toujours. « Comme un non-voyant s’entraîne à aiguiser son ouïe, les gens qui ont un défi d’appren- tissage développent d’autres aptitudes. » Débrouil- lards et créatifs, ils peuvent atteindre les plus hautes sphères. Roger Casgrain donne en exem- ple le fondateur de Virgin, Richard Branson, le président de Goldman Sachs, Gary Cohn, l’inven- teur de l’ampoule électrique, Thomas Edison, le cofondateur de Hewlett-Packard William Hew- lett, l’animateur David Letterman, les comédiens Tom Cruise et Cher, le nageur Michael Phelps, le créateur Walt Disney… Tous souffraient d’une forme ou d’une autre de trouble d’apprentissage. «Comme on peut le constater, les défis d’ap- prentissage sont loin d’être un fléau ! » s’exclame M. Casgrain. Lutter contre les préjugés Roger Casgrain rêve d’un monde où les trou- bles d’apprentissage ne seront plus perçus comme un handicap, mais comme une diffé- rence parmi tant d’autres. « Qui peut se préten- dre normal ? Nous avons tous nos particularités, et chez certains, ce sont des troubles d’apprentis- sage », observe-t-il avec philosophie. Encore trop souvent, des gens associent les dé- fis d’apprentissage à un faible quotient intellec- tuel, se désole-t-il. « En raison de ces préjugés, des enfants et des adolescents sont victimes de moque- ries, voire de harcèlement ou de taxage. Évidem- ment, tout cela affecte profondément la confiance en soi. Dans un tel contexte, il devient difficile pour ces jeunes d’atteindre leur plein potentiel, ce qui est une immense perte, d’abord pour eux-mêmes et leur famille, mais aussi pour la société en général. » Roger Casgrain souhaite ardemment que l’Institut puisse avoir les moyens, un jour, de lan- cer une grande campagne médiatique pour sen- sibiliser le public à la cause des troubles d’ap- prentissage — un peu à l’image du programme « On cause pour la cause » lancé par Bell afin de mettre fin à la stigmatisation des maladies men- tales. « Il est encore très difficile de s’afficher avec un trouble d’apprentissage, entre autres auprès de son employeur, affirme-t-il. Ce n’est pas parce que les gens sont méchants. C’est plutôt parce qu’ils ignorent ce que sont les défis d’apprentissage. » L’Institut TA a déjà amorcé des efforts de sensi- bilisation en publiant chaque mois dans les pages du Devoir le portrait d’un individu ayant un trouble d’apprentissage. Donateurs recherchés Roger Casgrain annonce que l’Institut TA a plusieurs projets dans sa besace. Le site Web sera éventuellement revampé pour en faire «un guichet unique » en matière de renseignements sur les troubles d’apprentissage, tant pour les professionnels que pour les parents, les em- ployeurs et, bien sûr, les personnes aux prises avec un défi d’apprentissage. À travers son site actuel, l’Institut TA se fait déjà un devoir de faire circuler les plus récentes recherches sur les troubles d’apprentissage. « En ce moment, on a environ 2000 visiteurs. L’idée est de faire passer ce nombre à 50 000 et, qui sait, peut-être même à 100 000 », dit le président. Pour mener à bien ses projets, l’Institut TA a besoin d’argent. À titre d’organisme sans but lucratif, une partie de ses finances repose sur des subventions et des dons. Idéalement, Ro- ger Casgrain vise à amasser 400 000 $ de plus par année en dons, en subventions et en com- mandites. Déjà, de grands donateurs comme Jean-Pierre Léger, président du conseil d’admi- nistration du Groupe St-Hubert, et Alain Si- mard, président-directeur général d’Équipe Spectra, de même que Roger Casgrain et son épouse ont offert leur soutien financier pour la cause. « Tout donateur contribue à notre succès, qu’il soit petit ou grand », précise M. Casgrain. Collaboratrice Le Devoir L’ Institut des troubles d’apprentissage voit le jour

ÉDUCATION - ledevoir.com · d’encadrement et de routine. Si ... et des heures passées en salle de classe devient donc une né-cessité. «Il ne faut pas attendre la première

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ÉDUCATIONTROUBLES D’APPRENTISSAGE

C A H I E R T H É M A T I Q U E J › L E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 0 E T D I M A N C H E 1 1 O C T O B R E 2 0 1 5

Mère et fille se sontbattues côte à côtePage J 4

Petits ajustements,grands impactspour l’entreprisePage J 3

RIDVAN CELIK ISTOCK

Le président du conseil d’administration de l’Institut des troubles d’apprentissage, Roger Casgrain, rêve d’un monde où les troubles d’apprentissage ne seront plus perçus comme un handicap, maiscomme une dif férence parmi tant d’autres.

L’organisation change de nom afin de se posi-tionner en tant que leader en matière de sen-sibilisation, de formation et de soutien pourla cause des troubles d’apprentissage.

M A R I E L A M B E R T - C H A N

I l y a 50 ans naissait l’AQETA, l’Associa-tion québécoise des troubles d’appren-tissage. Cette année, l’AQETA est re-baptisée l’Institut des troubles d’ap-prentissage (Institut TA). Un change-

ment de nom qui s’imposait en raison de l’évo-lution de la mission de l ’organisme. « Audébut, nous étions davantage un regroupementpour les parents d’enfants aux prises avec desdéfis d’apprentissage », rappelle Roger Cas-grain, président du conseil d’administrationde l’Institut des troubles d’apprentissage etvice-président directeur chez la firme de cour-tage Casgrain & Compagnie Ltée.

IncontournableAujourd’hui, l’Institut TA est devenu un ac-

teur incontournable dans le domaine des trou-bles d’apprentissage, une condition qui affecte800 000 personnes au Québec, soit 10% de la po-pulation. Chaque année, l’association organiseun congrès sur le sujet réunissant plus de 1600professionnels de l’enseignement, en plus d’uncolloque pour les parents qui attire quelque 300participants. «Nous œuvrons à assurer l’égalitédes chances pour les personnes qui vivent avec untrouble d’apprentissage», souligne M. Casgrain.L’Institut TA agit sur plusieurs fronts : sensibili-

sation, soutien à l’intégration, formation, consul-tation en entreprise et aide à la défense desdroits. Une mission portée à bout de bras parles employés et les bénévoles, tant à Montréalque dans les antennes régionales.

Aux côtés de sa conjointe Colette Charest— qui a aussi siégé au conseil d’administra-tion de l’Institut TA —, Roger Casgrain s’im-plique bénévolement depuis plusieurs années.« J’ai des proches qui doivent composer au quo-tidien avec des troubles d’apprentissage et jevois à quel point il faut être combatif pour rele-ver les défis et les tabous que leur impose la so-ciété, que ce soit à l’école ou sur le marché del’emploi », explique celui qui achève son man-dat de président du conseil consultatif de Cen-tennial Academy, une école secondaire spé-cialisée dans l’aide aux élèves aux prises avecdes difficultés d’apprentissage.

Roger Casgrain s’émerveille devant la persévé-rance des individus vivant avec un trouble d’ap-prentissage. «Ils ne l’ont pas facile, fait-il remar-quer. Très jeunes, ils apprennent à faire face àl’échec.» Il déplore qu’on les sous-estime encoreet toujours. «Comme un non-voyant s’entraîne àaiguiser son ouïe, les gens qui ont un défi d’appren-tissage développent d’autres aptitudes.» Débrouil-lards et créatifs, ils peuvent atteindre les plushautes sphères. Roger Casgrain donne en exem-ple le fondateur de Virgin, Richard Branson, leprésident de Goldman Sachs, Gary Cohn, l’inven-teur de l’ampoule électrique, Thomas Edison, lecofondateur de Hewlett-Packard William Hew-lett, l’animateur David Letterman, les comédiensTom Cruise et Cher, le nageur Michael Phelps,le créateur Walt Disney… Tous souffraient d’une

forme ou d’une autre de trouble d’apprentissage.« Comme on peut le constater, les défis d’ap-

prentissage sont loin d’être un fléau !» s’exclameM. Casgrain.

Lutter contre les préjugésRoger Casgrain rêve d’un monde où les trou-

bles d’apprentissage ne seront plus perçuscomme un handicap, mais comme une dif fé-rence parmi tant d’autres. «Qui peut se préten-dre normal? Nous avons tous nos particularités,et chez certains, ce sont des troubles d’apprentis-sage», observe-t-il avec philosophie.

Encore trop souvent, des gens associent les dé-fis d’apprentissage à un faible quotient intellec-tuel, se désole-t-il. «En raison de ces préjugés, desenfants et des adolescents sont victimes de moque-ries, voire de harcèlement ou de taxage. Évidem-ment, tout cela affecte profondément la confianceen soi. Dans un tel contexte, il devient difficile pources jeunes d’atteindre leur plein potentiel, ce qui estune immense perte, d’abord pour eux-mêmes et leurfamille, mais aussi pour la société en général.»

Roger Casgrain souhaite ardemment quel’Institut puisse avoir les moyens, un jour, de lan-cer une grande campagne médiatique pour sen-sibiliser le public à la cause des troubles d’ap-prentissage — un peu à l’image du programme«On cause pour la cause» lancé par Bell afin demettre fin à la stigmatisation des maladies men-tales. «Il est encore très difficile de s’afficher avecun trouble d’apprentissage, entre autres auprès deson employeur, affirme-t-il. Ce n’est pas parce queles gens sont méchants. C’est plutôt parce qu’ilsignorent ce que sont les défis d’apprentissage. »L’Institut TA a déjà amorcé des efforts de sensi-

bilisation en publiant chaque mois dans lespages du Devoir le portrait d’un individu ayantun trouble d’apprentissage.

Donateurs recherchésRoger Casgrain annonce que l’Institut TA a

plusieurs projets dans sa besace. Le site Websera éventuellement revampé pour en faire «unguichet unique» en matière de renseignementssur les troubles d’apprentissage, tant pour lesprofessionnels que pour les parents, les em-ployeurs et, bien sûr, les personnes aux prisesavec un défi d’apprentissage. À travers son siteactuel, l’Institut TA se fait déjà un devoir defaire circuler les plus récentes recherches surles troubles d’apprentissage. « En ce moment,on a environ 2000 visiteurs. L’idée est de fairepasser ce nombre à 50 000 et, qui sait, peut-êtremême à 100 000», dit le président.

Pour mener à bien ses projets, l’Institut TA abesoin d’argent. À titre d’organisme sans butlucratif, une partie de ses finances repose surdes subventions et des dons. Idéalement, Ro-ger Casgrain vise à amasser 400 000 $ de pluspar année en dons, en subventions et en com-mandites. Déjà, de grands donateurs commeJean-Pierre Léger, président du conseil d’admi-nistration du Groupe St-Hubert, et Alain Si-mard, président-directeur général d’ÉquipeSpectra, de même que Roger Casgrain et sonépouse ont offert leur soutien financier pour lacause. «Tout donateur contribue à notre succès,qu’il soit petit ou grand», précise M. Casgrain.

CollaboratriceLe Devoir

L’ Institut des troubles d’apprentissage voit le jour

ÉDUCATIONL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 0 E T D I M A N C H E 1 1 O C T O B R E 2 0 1 5J 2

A S S I A K E T T A N I

D u temps, du temps et en-core du temps… Aux pa-

rents d’enfants ayant un trou-ble d’apprentissage, le comé-dien, animateur et porte-parolede l’Institut des troubles d’ap-prentissage Francis Reddy n’aqu’un conseil : ne pas compterle temps qu’on donne. Car pen-ser que l’école peut résoudrele problème, dit-il, c’est fairefausse route.

Défi éducatifPère d’un enfant ayant reçu

un diagnostic de trouble d’ap-prentissage en 4e année du pri-maire, Francis Reddy peut té-moigner de ce que représentece défi éducatif. Au premierplan des désagréments vécus,il cite notamment les préjugéset les idées reçues qui ne fontque miner les esprits et les dé-bats. Des exemples ? Que lesjeunes ayant un trouble d’ap-prentissage freinent le restede la classe, qu’ils sont moinsintelligents que les autres ouencore qu’ils posent forcé-ment problème…

Au banc des accusés: s’atten-dre à tout prix à ce que tous lesélèves d’une classe réagissentde la même manière aux ensei-gnements et se compor tent« comme la moyenne. Mais lamoyenne, s’insurge-t-il, çan’existe pas. C’est abstrait etmême absurde». D’autant plusque ce type de réaction ne faitqu’enclencher un cercle vi-cieux. «Puisque l’enfant ne fonc-tionne pas comme les autres, ildérange. Et puisqu’il dérange, ilse fait mettre à l’écart et devientpersona non grata.» Résultat :«l’estime de soi s’écroule», ce quine pousse en rien vers de meil-leures performances scolaires.

À cela s’ajoute le sentimentde solitude, d’échec et d’in-compétence des parentsconfrontés à ces situations, as-socié au découragement de ré-péter sans cesse les mêmeschoses, sans pour autant obte-nir le résultat escompté.

La seule solution, en tant queparent, insiste Francis Reddy,est de se remonter lesmanches. « C’est une questiond’encadrement et de routine. Sion pense que l’école peut suffirepour faire les choses, on se cassela figure. L’école publique n’apas les moyens et l’école privée

s’en désintéresse. » S’investir encoulisse des cours, des devoirset des heures passées en sallede classe devient donc une né-cessité. «Il ne faut pas attendrela première rencontre de novem-bre pour découvrir que tout vamal. Au contraire, il faut êtreproactif, appeler et suivre deprès l’apprentissage de l’enfant.»

Demander de l’aideEt pour s’équiper, ne pas hé-

siter à aller chercher de l’aide.«En appelant l’Institut, on peutse faire orienter vers des lieux,donner des idées, aiguiller surdes sites, conseiller des vidéos àregarder pour comprendre com-ment d’autres parents fonction-nent. » Dans son cheminementpersonnel, c’est un travailmené avec un orthopédagoguequi a outillé la famille pour sur-monter les défis avec, commemot-clé, la patience. « Ce n’estpas parce que l’enfant n’a pascompris la première ou ladeuxième fois qu’il ne compren-dra jamais.» Tout est questionde trucs et de nouvelles façonsde faire pour que l’enfant sai-sisse et « assimile l’apprentis-sage scolaire de façon pro-fonde. » Quant au fait de répé-ter souvent les mêmes choses,c’est inévitable. La meilleurefaçon de le faire est de l’accep-ter et de « ne pas en faire unemontagne». Du temps de qua-lité, dont on entend si souventparler ? «Ce n’est pas du tempsde qualité qu’il faut accorder,mais plutôt quantité de temps.»Du temps sacrifié, mais loind’être perdu, poursuit-il, car ja-mais des parents qui ont fait lechoix d’accorder le temps né-cessaire à un enfant avec untrouble d’apprentissage ne leregretteront.

Le cégep, un mur?Le plus grand obstacle à sur-

monter en cours de routereste le cégep. Un mur, dé-nonce-t-il, auquel les jeunesayant un trouble d’apprentis-sage se heur tent invariable-ment. « Il s’agit de la pire er-reur qui existe actuellementdans notre système », dans lamesure où, au cégep, le parentde l’élève devenu majeur n’aplus accès à ses informationsscolaires ni au dialogue avecles enseignants et ne peutdonc plus l’accompagner ni lesoutenir. Or les jeunes ayant

un trouble d’apprentissagen’ont pas le même niveau dematurité académique queleurs camarades.

« Il faut que la por te resteouverte. Il en va de la capacitédu jeune à pouvoir continuerune fois arrivé au cé-gep. Tout à coup, toutce qui a été construitdans les années quiprécèdent s ’écroule.C’est terrible et il fautque ça change. »

Un échec d’autantplus cr ucial qu’il ar-rive au moment où lejeune peut intégrer lemarché du travail…démuni de tout ce qui pourralui ser vir et l’aider pour dé-marrer sa carrière.

Et si les outils didactiquesexistent, c’est surtout à l’uni-versité que le modèle d’ap-prentissage est le mieuxadapté aux élèves ayant untrouble d’apprentissage. Fran-cis Reddy cite notamment lemodèle des universités améri-caines, où toutes les optionssont possibles pour permettre

aux élèves de prouver leurscompétences. « Dans les uni-versités américaines, les courssont adaptés à toutes les dif fé-rences, pour ceux qui sont plu-tôt visuels ou auditifs, qui ontbesoin de vidéos ou de livres…

L’enseignement estdonné pour que tout lemonde puisse capter etretenir l’information.Le but de l’enseigne-ment n’est pas de cou-ler les élèves, mais deleur apprendre la ma-tière. » Il peut s’agirpar exemple de don-ner accès aux enregis-trements vidéo ou au-

dio des cours, pour que lesélèves concernés puissent lesrevoir ou les réécouter autantde fois qu’ils le souhaitent. Ouencore de pouvoir passer sesexamens sous la forme quiconvient le mieux, à l’écrit, àl’oral ou même en présentantun documentaire. «Le jeune vaproposer au professeur la formequ’il préfère pour prouver qu’ilpossède la matière. Ça se fait defaçon élargie dans les universi-

tés américaines, ça marche etça n’implique pas qu’il y ait sixspécialistes en classe pour ré-pondre à autant de troubles oude particularités. »

Et lorsque, « contre vents etmarées », ces jeunes parvien-nent au terme de leur par-cours, force est de constaterque tout le monde y gagne…« Il faut être conscient de ce queces jeunes peuvent apporter àla société, quel que soit leurtrouble d’apprentissage. Sou-

vent, ces personnes deviennentdes leaders de façon assez éton-nante. Ils ont eu tellementd’obstacles à surmonter qu’ilssavent mieux que les autrestrouver les outils pour avanceret rassembler des gens pourmettre en valeur ce qu’ils font.Une fois qu’ils ont trouvé leurvoie, ils décollent plus quen’importe qui. »

CollaboratriceLe Devoir

FRANCIS REDDY, PORTE-PAROLE DE L’INSTITUT DES TROUBLES DE L’APPRENTISSAGE

Les parents doivent s’investir

C’est une question d’encadrement et de routine. Si on pense que l’écolepeut suffire pour faire les choses, on se casse la figure. L’école publiquen’a pas les moyens et l’école privée s’en désintéresse.Le comédien, animateur et porte-parole de l’Institut des trou-bles d’apprentissage, Francis Reddy

«

»

C L A U D E L A F L E U R

U ne personne sur dix souffrirait d’un trou-ble d’apprentissage. Mais attention, on ne

parle pas ici d’un trouble de déficit d’attentionni d’une déficience intellectuelle, indique An-nie Parenteau, orthopédagogue et personne-ressource spécialisée à l’Institut des troublesd’apprentissage (ITA).

« Un trouble d’apprentissage, dit-elle, ce n’estpas une déficience physique, comme un troublede l’ouïe ou de la vue. Ce n’est pas non plus untrouble de santé mentale ou une déficience in-tellectuelle. Ce n’est pas dû non plus à un envi-ronnement socio-économique ni à des pra-tiques pédagogiques déficientes. Et il ne fautpas non plus confondre les troubles d’apprentis-sage avec l’autisme… »

Apprendre à vivre avecUn trouble d’apprentissage apparaît à la pe-

tite école, lorsque vient le temps d’apprendre àlire, à écrire ou à compter, explique la spécia-liste. On observe alors qu’un enfant éprouved’importantes difficultés au moment d’acquérirces notions de base.

Ces dernières années, les recherches enneurosciences ont permis de constater que,chez les personnes atteintes d’un trouble d’ap-prentissage, des zones particulières du cerveaune sont pas stimulées comme elles le devraient.(Pourquoi est-ce ainsi ? On l’ignore.)

Mais ce qu’il y a de merveilleux, relate AnnieParenteau, c’est que, puisque le cerveau estmalléable, on peut par venir à stimuler ceszones et à faire en sorte que l’enfant deviennetout à fait fonctionnel en classe et connaisse parla suite une vie d’adulte à peu près normale.« C’est la beauté de la chose, déclare-t-elle. Sidonc on identifie le trouble en bas âge, on est ca-pable, avec une rééducation appropriée, de sti-muler les zones qui n’étaient pas activées. À cemoment-là, l’enfant deviendra fonctionnel et, aubout du compte, il s’en sortira bien. »

Elle ajoute néanmoins que, puisqu’il s’agitd’un trouble neurologique, celui-ci demeurepermanent. « Mais on peut améliorer les chosesen stimulant le cerveau», insiste-t-elle.

Hélas, ajoute-t-elle, un trouble d’apprentis-sage arrive rarement seul puisque, souvent, ilest accompagné d’un déficit d’attention.

À la petite écoleComment se fait-il qu’on observe de plus en

plus de personnes affligées d’un trouble d’ap-prentissage ? De toute évidence, on en dénom-bre nettement plus aujourd’hui qu’il y a qua-rante ou cinquante ans, n’est-ce pas?

Annie Parenteau n’est pas d’accord. « Il n’y ena pas nécessairement davantage aujourd’huiqu’il y a cinquante ans, dit-elle. La dif férence,c’est qu’à l’époque de nos grands-parents, unepersonne pouvait très bien fonctionner en sociétésans trop savoir lire, écrire ou compter. Mais au-jourd’hui, les exigences de la vie moderne font ensorte qu’on ne peut guère travailler et fonction-ner sans avoir acquis ces apprentissages. Voilàpourquoi on attache tant d’importance aux trou-bles d’apprentissage. »

Il y a ainsi différents types de troubles d’ap-prentissage, rapporte l’orthopédagogue, dontla dyslexie, la dysorthographie et la dyscalcu-

lie (respectivement la difficulté d’apprendre àlire, à écrire et à compter). « Il y a aussi destroubles qu’on pourrait dire associés, ajoute-t-elle, comme la dysgraphie, le trouble des gestesmoteur. » Il y a aussi des troubles qui accompa-gnent souvent un trouble d’apprentissage, dontle déficit d’attention.

Par contre, poursuit-elle, il ne faut pas pani-quer si son enfant semble éprouver quelquesdifficultés d’apprentissage, particulièrement en1re et 2e années. « Il y a des enfants qui démar-rent un peu plus lentement que les autres, note laspécialiste, et ça peut être tout à fait normal. »

Il importe cependant de surveiller ces enfantset de leur apporter au besoin une aide pédago-gique supplémentaire. En fait, ce n’est qu’auterme des deux premières années du primairequ’on peut vraiment identifier ceux et celles qui

souffrent d’un trouble d’apprentissage.Et encore là, il faut distinguer les enfants qui

connaissent certaines dif ficultés d’apprentis-sage de ceux qui souffrent d’un trouble d’ap-prentissage. Mais dans un cas comme dansl’autre, il ne faut sur tout pas désespérerpuisqu’avec un accompagnement adéquat, toutpeut rentrer dans l’ordre. Et Mme Parenteau saitde quoi elle parle puisqu’elle est mère de deuxjeunes ados atteints de troubles d’apprentis-sage… et qui se débrouillent très bien à l’écolegrâce à l’aide appropriée.

Des compressions qui nous coûteront cher

Il s’agit donc, poursuit Annie Parenteau,d’identifier le plus tôt possible les enfants at-teints d’une difficulté et de leur apporter l’aidesoutenue leur permettant de cheminer jusqu’àla fin de leurs études. « On a pour objectif derendre chaque enfant fonctionnel le plus tôt possi-ble pour qu’il soit capable de suivre la cadencedes autres élèves», résume-t-elle.

Malheureusement, on assiste présentementà d’importantes réductions des services profes-sionnels of fer ts dans nos écoles. En fait,constate l’or thopédagogue, plus on retardel’aide à apporter à un enfant, plus il devient dif-ficile de remédier à ses difficultés.

« C’est terrible, ce qui se passe, dit-elle,puisque, autrement, si on aide très tôt l’enfant,meilleures sont ses chances qu’il termine sesétudes et qu’il mène par la suite une vie normaleet productive. »

Elle rapporte même qu’en tant que société,on paiera très cher les compressions budgé-taires imposées par le gouvernement Couillarddans l’aide professionnelle en éducation.

« Il a été démontré que le fait de ne pas aiderles élèves qui ont des troubles d’apprentissage aun impact direct sur le décrochage scolaire, puissur les capacités d’obtenir un emploi, c’est-à-direde trouver un emploi qui permet de vivre dé-cemment, au lieu d’être à la charge de lasociété, déclare-t-elle. C’est dramatique pour lasociété de demain ! »

Et Mme Parentaux de rapporter que 42 % despersonnes qui éprouvent des dif ficultés d’ap-prentissage n’obtiendront pas de diplôme.« Imaginez les conséquences pour elles et pourla société ! »

CollaborateurLe Devoir

Comprendre pour savoir quoi faire…

NADIA ZHENG

Toute l’équipe de l’Institut des troubles d’apprentissage aux côtés du président et chef de la directionde la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc (centre droit), s’attèle, auquotidien, à une meilleure intégration des personnes atteintes d’un trouble de l’apprentissage.

MICAHËL MONNIER LE DEVOIR

Francis Reddy considère le cégep comme un grand obstacle, car le parent de l’élève devenu majeur n’a plus accès à ses informationsscolaires ni au dialogue avec les enseignants et ne peut donc plus l’accompagner ni le soutenir.

Francis Reddy

ÉDUCATIONL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 0 E T D I M A N C H E 1 1 O C T O B R E 2 0 1 5 J 3

M A R T I N E L E T A R T E

La haute direction d’une entreprise manufactu-rière convoque ses chefs d’équipe à une réu-

nion. Des documents leur sont distribués, puison leur demande de réagir sur le champ. Pierredevient alors très anxieux. Il perd tous sesmoyens et n’arrive pas à se concentrer sur la lec-ture des documents; encore moins, dans cet état,à formuler une intervention claire et pertinente.Pierre a un déficit de l’attention. Cet exemple estfictif, mais des situations semblables se viventtrop souvent dans les entreprises alors que desimples ajustements pourraient faire toute la dif-férence et permettre à ces travailleurs de mieuxfonctionner. C’est l’avis de Michel Leblanc, prési-dent et chef de la direction de la Chambre decommerce du Montréal métropolitain (CCMM).

«Dans un cas comme celui-là, le simple fait dedonner les documents à cette personne une ving-taine de minutes d’avance et lui permettre de leslire dans un lieu tranquille pourrait régler leproblème et faciliter la vie de tous», indique-t-il.

Michel Leblanc, également président d’hon-neur de la soirée-bénéfice de l’Institut des trou-bles d’apprentissage (Institut TA), pense à plu-sieurs autres solutions possibles pour dif fé-rentes réalités. Par exemple, pour un employéqui a de la difficulté à se concentrer lorsqu’il y abeaucoup de va-et-vient et de conversations au-dibles autour de lui, on peut placer son bureaudans un espace de travail par ticulièrementcalme, ou encore lui permettre de travailleravec des écouteurs. Des solutions peuvent êtresimples et peu ou pas coûteuses, mais le prési-dent et chef de la direction de la CCMM re-marque qu’encore peu d’entreprises réalisentce genre d’ajustements pour des employés avecdes troubles d’apprentissage.

Avancées dans les écolesLes progrès se font toutefois de plus en plus

visibles dans les écoles, même si les ressourceshumaines et financières ne sont pas suffisantesen ce moment pour aider de façon appropriéechaque élève dans le besoin.

«L’Institut TA a fait un grand travail pour dé-mystifier et déstigmatiser les troubles d’apprentis-sage, pour que les parents et les intervenantsdans les écoles les détectent, pour qu’on recon-

naisse ces difficultés, qu’on en parle et qu’on réa-lise des ajustements afin de permettre à ces per-sonnes de bien fonctionner à l’école, affirme Mi-chel Leblanc. Avant, on avait tendance à direque ces enfants étaient paresseux. Je crois quec’est beaucoup moins le cas aujourd’hui. »

Il croit toutefois que ces progrès dans le mi-lieu scolaire n’ont pas encore vraiment pénétréles milieux de travail.

« Il faut continuer de se préoccuper des enfants,mais aussi de la transition entre les milieux deformation et le marché du travail », dit-il.

Grandes entreprises versus PMETout de même, certaines entreprises se dé-

marquent. Par exemple, l’entreprise multinatio-nale allemande SAP, active dans le domaine deslogiciels, a lancé en 2013 un grand programmeinternational de recrutement de gens avec un

trouble du spectre de l’autisme. L’entreprise,présente au Canada entre autres, considèreque ces personnes ont souvent une capacité deconcentration exceptionnelle et une attentionextraordinaire aux détails, des aptitudes parti-culièrement importantes notamment dans desdomaines techniques comme la programma-tion et le test de logiciels. SAP prévoit que 1 %de ses employés auront un trouble du spectrede l’autisme en 2020.

Michel Leblanc croit que la grande entre-prise commence à se démarquer, à s’outillerpour accueillir des gens avec des troublesd’apprentissage.

«Avec le resserrement démographique, on a be-soin de la contribution de tout le monde, affirme-t-il. Il faut considérer ces gens et leur donner lesoutils pour qu’ils donnent leur plein potentiel. »

La PME a moins de moyens que la grande en-

treprise pour s’ajuster à ce bassin de main-d’œu-vre, mais elle a aussi beaucoup à gagner en per-mettant à ces travailleurs de bien s’intégrer.

«Plusieurs personnes avec des dif ficultés d’ap-prentissage sont très heureuses de voir qu’un em-ployeur leur donne une chance et elles sont sou-vent très loyales, ce qui est à considérer lorsqu’onsait comment plusieurs PME luttent contre untaux de roulement élevé», remarque M. Leblancqui a d’ailleurs à la CCMM des employés avecdes troubles d’apprentissage.

Ces employés peuvent aussi considérerdes tâches qui exigent un haut niveau deconcentration pendant de longues heures, oudes tâches répéti t ives, comme quelquechose de rassurant.

Bien sûr, chacun est différent, mais MichelLeblanc espère qu’on arrivera prochainement àaborder ces questions librement lors d’une en-trevue d’embauche sans peur d’être discriminé.

« L’idéal serait de pouvoir le dire d’emblée etainsi, les employés pourraient tout de suiteavoir les outils nécessaires pour fonctionner defaçon optimale, dit-il. L’Institut TA fait d’ail-leurs tout un travail pour recenser les meil-leures pratiques dans dif férents milieux et par-tager des outils développés. »

Engagement durableC’est la troisième année que Michel Leblanc

accepte d’être le président d’honneur de la soi-rée-bénéfice de l’Institut TA. Il vient égalementde prendre place à leur conseil d’administration.

Le président de la CCMM, dont cer tainsproches ont des troubles d’apprentissage, estconvaincu qu’alors que de grands progrès ontété faits dans l’intervention auprès des enfants,il faut travailler très fort également maintenantauprès des employeurs.

« Dans les milieux de travail, on est au débutdu processus, remarque-t-il. Je suis convaincuque dans dix ans, on aura énormément progresséen matière d’intégration en emploi. C’est un tra-vail de longue haleine. »

La CCMM compte plus de 7000 membres.On y trouve des entreprises regroupant plus de440 000 employés au Québec.

CollaboratriceLe Devoir

DIFFICULTÉS D’APPRENTISSAGE EN MILIEU DE TRAVAIL

Petits ajustements, grands impacts pour l’entreprise

Les conseillers d’orientationsont encore peu impliquésdans le parcours des jeunesavec des troubles d’apprentis-sage. L’Ordre des conseillerset conseillères d’orientationdu Québec et dif férents ac-teurs sur le terrain souhai-tent que cela change.

M A R T I N E L E T A R T E

Un étudiant se présente unjour au bureau de Marie

Ducharme, conseillère d’orien-tation en poste au Centre desservices d’accueil et de soutiensocioéconomique de l’Univer-sité du Québec à Montréal(UQAM). L’étudiant suivait uncours dans l’objectif de se ré-orienter alors qu’il était pré-posé aux élèves handicapésdans une commission scolairedepuis plusieurs années. Il ado-rait son travail, mais il souhai-tait obtenir une permanence.Pour y arriver, il devait réussirun test de français, ce qui luiparaissait insurmontable en rai-son de ses troubles d’apprentis-sage, dont il n’avait jamais dis-cuté avec ses patrons.

« Cet étudiant n’avait pas be-soin de se réorienter : il était àsa place, af firme Marie Du-charme. Il avait seulement be-soin de quelques aménage-ments et outils afin d’avoir lesmêmes chances que les autresde réussir le test. »

Elle qui avait travaillé plu-sieurs années au Ser viced’aide à l’emploi et de place-ment en entreprise (SEMO)Montérégie n’a pas hésité à endiscuter avec l’employeur.

«La commission scolaire m’ademandé ce qu’elle pouvaitfaire comme aménagement ; il ya une méconnaissance dans lemarché du travail, af firmeMme Ducharme. Finalement, ilavait seulement besoin d’avoiraccès à ses deux logiciels, pourla correction et la synthèse vo-cale, puis à plus de temps pourse relire. Il a prouvé qu’il étaitcapable de s’exprimer et qu’ilavait le vocabulaire nécessairepour rédiger ses rapports. Il aréussi le test et obtenu la per-manence qu’il souhaitait de-puis plusieurs années. »

Plan d’interventionCet étudiant a eu de la

chance : il a passé à travers leparcours scolaire, a trouvé savoie, a réussi à s’insérer enemploi et il adore son travail.Par contre, souvent, le par-cours pour en arriver là estlong et ardu. Plusieurs sont in-quiets, se découragent. Leursparents aussi. Et ce, bien queles jeunes avec des troublesd’apprentissage diagnostiquésaient maintenant des plansd’intervention dans les écoles.

« Ces plans visent générale-ment la réussite immédiate desdifférents cours, mais nous sou-haitons travailler avec les com-missions scolaires et les direc-

tions d’école pour qu’elles regar-dent davantage les perspectivesde ces jeunes ainsi que les butsde leurs études afin de les moti-ver par des objectifs concrets »,indique Laurent Matte, prési-dent de l’Ordre des conseillerset conseillères d’orientation duQuébec et père d’un enfantavec un déficit d’attention etd’un autre avec un trouble duspectre de l’autisme.

Il est convaincu que la parti-cipation des conseillers d’orien-tation à ces plans d’interven-tion pour faire cheminer lesélèves aiderait la persévérancescolaire.

Odette Raymond, personne-ressource à l’Institut des trou-bles d’apprentissage (ITA) etmembre d’Adaptech, un ré-seau de recherche sur les étu-diants collégiaux et universi-taires ayant des handicaps, estdu même avis.

« Le rôle des conseillersd’orientation est très importantet il faut commencer le travailavec les jeunes dès le milieu dusecondaire, affirme-t-elle. Cesjeunes doivent accepter leurtrouble, accepter qu’ils doiventtoujours travailler plus fort queles autres pour réussir, accepterd’aller chercher de l’aide. Ilsont besoin d’être encore mieuxaccompagnés pour préparerleur avenir. »

ProgrèsLes ser vices d ’aide aux

étudiants avec des troublesd’apprentissage se sont tout

de même beaucoup dévelop-pés ces der nières annéesdans les établissements post-secondaires.

«C’est évident, puisque de plusen plus de personnes réussissentlà où on ne l’aurait jamais crupossible il y a 15 ans, même10 ans», se réjouit Odette Ray-mond, qui a travaillé 25 ans aucégep du Vieux-Montréal au-près des personnes en situationde handicap.

Cela ne signifie toutefois pasqu’il ne reste pas de travail àfaire. Par exemple, sur le plande la transition entre l’écolesecondaire et le cégep.

«Le dossier du secondaire nesuit pas l’élève, dit-elle. Pourtant,cela aide énormément de savoirtout de suite ce qui a été essayéavec l’élève, ce qui fonctionne, cequi ne fonctionne pas.»

Puis Mme Raymond re-marque que si la population ensituation de handicap aug-mente aussi rapidement dansles établissements postsecon-daires, les ressources ne sontpas toujours présentes enquantités suffisantes.

Un autre grand défi pour lesétudiants postsecondairesavec des troubles d’apprentis-sage est la réalisation destages en entreprise. Doivent-ils parler de leurs troublesd’apprentissage ou pas?

« C’est évident qu’on leurconseille de le dire, mais si lejeune ne se sent pas enconfiance, s’il craint que le faitde parler de son trouble luinuise, il risque de vouloir le ca-cher, explique Mme Raymond. Ilfaut des milieux de stage et detravail inclusifs, où les jeunesseront convaincus de pouvoirobtenir des aménagements. »

Nouvelles approchesDevant l’augmentation du

nombre de gens avec des trou-bles d’apprentissage dans lesétablissements postsecondaires,de nouvelles approches sont ten-tées pour arriver à répondre auxbesoins grandissants.

Par exemple, il y a la concep-tion universelle de l’apprentis-sage. Cette approche, originairedes États-Unis, vient de l’univer-sal design, une démarche en ar-

chitecture qui vise à construiredes édifices accessibles à tous:personnes handicapées, parentsavec des poussettes, personnesâgées, enfants, etc.

« Une personne sur dix a untrouble d’apprentissage, alorscela commence à faire énormé-ment de soutien à mettre enplace et de salles supplémen-taires à rendre disponibles pourles élèves qui ont besoin de plusde temps pour les examens, ex-plique Mme Raymond. Cettenouvelle approche of fre à toutela classe des services universels.Tous les élèves peuvent ainsiprendre le temps dont ils ont be-soin pour terminer leurs exa-mens et utiliser des outils pourles aider. L’objectif est d’arriver àune meilleure inclusion de cha-cun et à moins stigmatiser lestroubles d’apprentissage. Il y ades critiques, c’est un change-ment de paradigme, mais l’ap-proche est testée dans quelquesétablissements postsecondairesau Québec.»

CollaboratriceLe Devoir

ÉTUDES POSTSECONDAIRES ET EMPLOI

Les conseillers d’orientation souhaitent intervenir davantage

SOURCE AQETA

Odette Raymond, personne-ressource à l’Institut des troubles d’apprentissage (ITA) et membred’Adaptech, un réseau de recherche sur les étudiants collégiaux et universitaires ayant des handicaps

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréalmétropolitain (CCMM) et président d’honneur de la soirée-bénéfice de l’Institut des troublesd’apprentissage (Institut TA)

ÉDUCATIONL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 0 E T D I M A N C H E 1 1 O C T O B R E 2 0 1 5J 4

C A T H E R I N E G I R O U A R D

«P our Noël, je veux avoir tout ce quiexiste pour pouvoir lire comme lesautres », avait demandé Juliette à

ses parents il y a quelques années. Sa mère ena fait son cheval de bataille et s’est retrousséles manches pour que les difficultés de Juliette,de sa sœur et de son frère, composant tous lestrois avec des troubles d’apprentissage dif fé-rents, ne les empêchent jamais de faire quoique ce soit. Et aujourd’hui, la chambre de Ju-liette déborde de livres.

C’est jour de grève pour les enseignants desécoles publiques. Les deux filles et le garçon deLouise Lehoux sont tous à la maison, dans No-tre-Dame-de-Grâce, lorsque Le Devoir va à leurrencontre. Louise et Juliette, sa fille aînée, sontassises côte à côte à la table de la salle à man-ger. Entre elles est posée l’épaisse pile de dos-siers des trois frère et sœurs de 8, 11 et 13 ans,remplis de suivis médicaux, de notes et deplans d’interventions. La trace de tout le che-min parcouru au cours des dernières années.

«En plus d’être la maman, la nutritionniste etl’infirmière de la maison, tu deviens aussi la thé-rapeute, quand tes enfants ont des troubles d’ap-prentissage », illustre Mme Lehoux, considérantmaintenant que le plus dur est derrière eux.

C’est lorsque Juliette a commencé l’école queLouise et son conjoint ont eu leurs premiersdoutes. « Ça semblait très dif ficile pour elle parrapport aux autres élèves », se souvient Mme Le-houx. Juliette fréquentant une école alternative,ses difficultés ne pouvaient pas se voir dans sesnotes, mais elles étaient bien palpables. À satroisième année, ils apprennent finalementqu’elle est dyslexique.

«Un stress est tombé quand on a eu le diagnos-tic, car on comprenait beaucoup de choses, maisun autre s’est ajouté, raconte Louise. Commentallions-nous faire pour l’aider ? » Un peu plustard, un déficit d’attention sera diagnostiqué àleur autre fille, et une dyspraxie verbale sévère— difficulté à exécuter les mouvements pourparler — à leur garçon.

Avec tous les rendez-vous en orthopédagogieà l’école et en orthophonie au privé — quandles services de l’école étaient surchargés ou in-suffisants —, les recherches de trucs et solu-tions, les suivis auprès des professeurs et dedif férents intervenants pour mettre en placedes plans d’intervention, en plus des exercicesà faire à la maison au quotidien, les parents dé-cident que Louise se consacrera à temps pleinaux enfants.

«Moi, j’ai fait ma troisième année quatre fois !rigole Louise. Car ce n’est pas un rendez-vousd’une heure par semaine en orthophonie qui faitla différence ; il faut mettre le travail en applica-tion à la maison tous les jours. »

Vivre avec sa dyslexiePour Juliette — comme pour son frère et sa

sœur —, son trouble d’apprentissage n’a jamaisété un sujet tabou ou gênant. Bien entourée,

elle ne s’est jamais sentie rejetée ni même ju-gée. « Ça fait partie de moi », affirme la jeunefille, qui a toujours aimé l’école.

Maintenant en deuxième secondaire, Juliettevoudrait devenir designer d’intérieur et n’a visi-blement pas l’intention de se laisser mettre desbâtons dans les roues par sa dyslexie. « Çame prend souvent plus de temps que les autrespour faire une chose, mais ça ne m’empêche pasde le faire pour autant. »

Des mesures d’adaptation mises en place àl’école aident Juliette à avancer au mêmerythme que les autres. Elle peut par exempleutiliser un ordinateur en classe pour corrigerses fautes d’orthographe, avoir droit à plus detemps pour remplir une évaluation ou avoir lapossibilité de répondre à l’oral plutôt qu’à l’écritpour tester certaines connaissances. Avec sonplan d’intervention, elle réussit même suffisam-ment bien pour être dans le programme inter-national de son école, où toutes les matièressont enrichies.

«Tout le monde dit que Juliette est très engagéedans ses apprentissages, af firme fièrementLouise. Elle a vraiment la volonté de réussir. »

Tout n’est pas toujours rose pour autantpour la jeune élève. « Ça peut par fois être fâ-chant d’avoir l’impression de travailler deux foisplus fort que les autres pour arriver au mêmerésultat », confie Juliette. Celle-ci a aussi sou-

vent fait des sacrifices, comme travailler avecun orthopédagogue pendant l’heure du dînerou après les classes alors que tous les autress’amusaient.

Pour Louise non plus, ce ne fut pas toujoursde tout repos. « Même si je suis mère à la mai-son, j’ai déjà failli tomber en épuisement profes-sionnel, confie-t-elle, se souvenant s’être effon-drée en sanglots dans le bureau d’un orthopho-niste. C’est facile de s’en mettre beaucoup sur lesépaules, dans une telle situation. »

Mais en étant bien accompagnés et en travail-lant tous ensemble, ils se sont trouvé des trucspour avancer. Des chansons, des leçons réci-tées à tue-tête en marchant dans la rue, des pe-tites histoires inventées pour retenir dans quelsens écrire les lettres et les chif fres… Descours de piano pour Juliette parce que la lec-ture de la musique pourrait aider les dys-lexiques, des lunettes pour corriger un détailde sa vue, des séries de livres comme HungerGames lues au complet avec son père : ils onttout fait, tout essayé. Certaines choses ont fonc-tionné, d’autres non. « Juliette a été un vrai petitrat », ricane Louise, accompagnée de sa fille.

Un soutien précieuxJuliette est consciente que sa mère a travaillé

très fort à ses côtés. «C’est celle qui m’a le plusaidée », af firme-t-elle. Mère et fille sont aussi

persuadées qu’elles n’y seraient jamais arrivéessans toute l’aide et tout le soutien reçus parl’école et les orthopédagogues côtoyés depuisle diagnostic. « Ç’aurait été vraiment plus com-pliqué sans aide et j’aurais sûrement redoublé aumoins deux fois », croit Juliette.

Louise ne peut qu’appuyer les enseignantsqui protestent contre les compressions en édu-cation, alors qu’on parle d’abolir 250 postesd’orthophonistes et d’audiologistes dans lesécoles de la province. Un des professeurs deJuliette expliquait d’ailleurs récemment à saclasse les conséquences de ces coupes. Sesamies se sont retournées vers elle pour luidire : «On va t’aider, Juliette. » Bien que le gestefût touchant, Louise et Juliette s’entendent pourdire que ce serait largement insuffisant.

C’est d’ailleurs parce qu’elle sent l’urgenced’agir que Louise Lehoux a eu envie de racon-ter leur histoire au Devoir. « On ne peut pascouper là, affirme-t-elle. Il n’y a déjà pas assezde services, qu’est-ce qu’il adviendra des pro-chains élèves qui en auront encore moins ? »s’inquiète-t-elle, espérant que le gouverne-ment et les commissions scolaires prendrontleurs responsabilités et les bonnes décisionspour l’avenir de nos jeunes.

CollaboratriceLe Devoir

TÉMOIGNAGE

Mère et fille se sont battues côte à côte

PEDRO RUIZ LE DEVOIR

Louise et Juliette sont persuadées qu’elles n’y seraient jamais arrivées sans toute l’aide et tout le soutien reçus par l’école et les orthopédagogues côtoyésdepuis le diagnostic. Elles s’inquiètent aujourd’hui des compressions dans le domaine scolaire.

R É G I N A L D H A R V E Y

P arents et professeurs sontles mieux placés pour dé-

tecter les troubles du langageet de l’apprentissage chez l’en-fant. Mais il y a bien des fac-teurs qui entrent en ligne decompte dans le dépistage detels problèmes, qui peuventgâcher sur plusieurs plansl’existence de quelqu’un du-rant toute une vie.

Phaedra Royle, professeureà l’École d’orthophonie et d’au-diologie, qui est rattachée à laFaculté de médecine de l’Uni-versité de Montréal, recenseles principaux de ces troubles :«Une étude a été publiée récem-ment qui comparait la préva-lence de ceux-ci et qui se pen-chait aussi sur la recherche quiest effectuée dans ces domaines-là : elle démontre que la dyspha-sie, aussi appelée trouble spéci-fique du langage [TSL], est leplus commun et qu’il se situe àpeu près au même niveau quela dyslexie ; on évalue que 60 en-fants sur mille ont un trouble detype dyslexie/dysorthographie etque 74 enfants sur mille sont at-teints de trouble spécifique dulangage.»

Il est démontré que, en com-paraison, le trouble déficitairede l’attention avec ou sans hy-peractivité (TDAH) atteint 50enfants sur mille et l’autisme,environ 6 sur mille.

L’identification en bas âgeCela étant posé, comment

arriver à cerner les manifesta-tions de pareils troubles ? «Onles détecte de façon dif férente àdes âges dif férents, car lessignes varient de l’un à l’autre.En général, le dépistage s’ef fec-tue d’abord à l’oral avant l’en-trée à l’école. » Une difficulté sepose alors : « C’est que versl’âge de deux ans, si un enfantéprouve un retard de langage,il se peut très bien que dansl’année qui suit il rattrape ce-

lui-ci, ce qui se produit dans àpeu près 50% des cas. C’est trèsdifficile dans une telle situationd’ambiguïté de savoir si on in-tervient ou pas. »

En aussi bas âge, il est doncinutile de s’affoler pour les pa-rents : « Le plus souvent, on neva pas commencer à traiter unenfant de deux ans ; on va plu-tôt le faire vers l’âge de troisans quand se manifeste la per-sistance d’un trouble, mais iln’en demeure pas moins quel’orthophoniste peut au départfournir des conseils de stimula-tion sur le plan de la lecture etdes jeux de langage. »

La professeure énumère uncertain nombre de signes qui,chez l’enfant, sont suscepti-bles de conduire plus tard à laconclusion d’un trouble aprèsune longue et sérieuse évalua-tion : « Chez les très jeunes, il ya évidemment le fait de parlerà un âge très tardif et d’arriver,par exemple, à prononcer les

premiers mots seulement versl’âge de 18 mois. Il y a la dif fi-culté à comprendre des règlesou des instructions données àl’enfant. Il est possible d’obser-ver de la frustration chez l’en-fant qui essaye de communi-quer et qui n’y arrive pas ; ilpeut faire des crises. Ceux-cipeuvent également éviter des si-tuations où ils se retrouvent endif ficulté et rester en retraitdans un tel cas. Il arrive deplus qu’ils soient incapablesd’entrer en communicationavec quelqu’un en dehors de lafamille ; celle-ci est en quelquesor te devenue un interprètepour lui. »

Sur les bancs de l’écolePhaedra Royle apporte cette

nuance avant d’entrer dans levif du sujet une fois que l’en-fant est parvenu au stade de lascolarisation : « Certains d’en-tre eux ont des dif ficultés à di-vers niveaux et il y en a chez

qui elles sont beaucoup moinssévères que chez d’autres.Celles-ci ont, par exemple, ten-dance à être moins sévères chezles filles que chez les garçons ;en cas de trouble de langage,elles s’avèrent tout de même debonnes communicatrices, ellesarrivent à communiquer. »

Les dif ficultés surgissentplus tard : «Ce n’est qu’une foisrendus à l’école que les enfantsse retrouvent avec des échecs ré-pétés. Le contexte devient pluscomplexe parce qu’il y a quandmême en classe un apprentis-sage qui est basé beaucoup surle langage, sur un vocabulairequi est plus spécifique, commecelui des mathématiques ou dessciences, par exemple. »

Il s’avère alors, selon elle,« qu’environ 30 % des enfantsqui ont un trouble spécifique dulangage ont aussi un trouble detype dyslexie, que l’or thopho-niste sera en mesure de décelerà partir de la première année. »

Ils rencontrent des écueils surle plan de l’écrit qui sont com-muns à tous, mais qui sontplus accentués et systéma-tiques chez eux, de telle sortequ’il est nécessaire de recourirà l’orthophonie pour les sur-monter. «Mais le travail s’ef fec-tue beaucoup plus à l’oral au-paravant, pour asseoir leursconnaissances avant de passerà l’écrit. »

La rareté des servicesUn dépistage précoce en-

traîne une prise en charge dumême ordre, ce qui comportedes avantages : «Plus le troubleest dépisté tôt, plus l’orthopho-niste peut intervenir vite, ce quienclenche un processus de déve-loppement linguistique impor-tant. Il peut être mieux intégrédans le système scolaire si onpense qu’il y a un enfant parclasse qui a un trouble de lan-gage. S’il n’abandonne pasl’école, une intervention lui sertà développer son plein potentielet, éventuellement, à avoir unemeilleure participation à unevie sociale ; il y a donc desconséquences à toutes les étapesde l’existence. On n’est pas tousobligés de fréquenter l’univer-sité, mais on a besoin d’acquérircer taines connaissances pourpouvoir fonctionner en société.»

Avant même que sur vien-nent les compressions en édu-cation, les enfants affectés pardes troubles de langage étaientmal desservis, ce que déploreMme Royle : «Une lettre publiéedans Le Soleil en 2014 parlaitd’un an et demi d’attente pourobtenir des services en orthopho-nie. Si on pense qu’il faut unepériode de trois ans avant quel’enfant soit dépisté et si onajoute une période d’un an etdemi, celui-ci a déjà quatre anset demi et il lui reste six moisavant la maternelle ; il reste peude temps pour les interventionsavant qu’il fréquente l’école. Ilest certain que ce serait l’idéald’of frir des services à partir del’âge de trois ans ou de trois anset demi.»

Elle brosse ce tableau plutôtsombre : «Dans les écoles, il n’ya pas en ce moment d’obliga-tion d’of frir des services en or-thophonie, et c’est également lecas dans le réseau de la santé ;c’est un choix que les gestion-naires font avec les fonds dontils disposent. Il n’y a pas nonplus de politique gouvernemen-tale à cet égard. Les services sefont rares et les enfants en su-bissent les conséquences. »

CollaborateurLe Devoir

Les enfants avec des troubles de langage laissés pour compte

COURTOISIE UDEM

Phaedra Royle, professeure à l’École d’orthophonie et d’audiologie rattachée à la Faculté de médecinede l’Université de Montréal

Plus le trouble est dépisté tôt, plusl’orthophoniste peut intervenir vite, cequi enclenche un processus dedéveloppement linguistique important.Il peut être mieux intégré dans lesystème scolaire si on pense qu’il y aun enfant par classe qui a un troublede langage.

«

»

ÉDUCATIONL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 0 E T D I M A N C H E 1 1 O C T O B R E 2 0 1 5 J 5

POUR ASSURER LEUR RÉUSSITE

SCOLAIRE :exigeons plusde ressources

pour dépister etsoutenir les élèves

en diffi culté.

NOUS CRÉONS L’AVEN

IR

Sarah Ferrer fait partie de ces personnes vi-vant avec un trouble d’apprentissage sansque cela ne soit perceptible vu de l’extérieur.Résultat : elle n’a été diagnostiquée que bientard, une fois ses études terminées, et parcequ’elle vivait alors un épisode de dépression.Pendant tout ce temps, elle croyait tout sim-plement qu’elle était moins bonne que les au-tres à l’école.

H É L È N E R O U L O T - G A N Z M A N N

S arah Ferrer semble mener la même vie queles filles de son âge. Jeune trentenaire, elle

est en couple, a des amies et travaille commeagente de développement chez Boscoville2000,organisme montréalais ayant pour mission defavoriser le développement des jeunes demoins de 30 ans. Souriante, gaie, toujours debonne humeur, dynamique, positive, elle estsortie diplômée de sa maîtrise en psychoéduca-tion après une scolarité sans étincelle, maissans gros accrocs non plus.

« Je traînais avec ceux qui avaient les meil-leurs résultats, on dirait aujourd’hui les nerds,raconte-t-elle. Je travaillais bien plus qu’euxpour avoir des résultats bien moindres. Je tra-vaillais tout le temps en réalité. Dès que je ren-trais à la maison. L’apprentissage a toujours étéquelque chose de très ardu. Mais je me disais quej’étais moins bonne que les autres. »

«Docteuse de l’espace»L’adolescente s’accroche. Elle aime l’école,

qui est d’ailleurs valorisée dans sa famille venues’installer au Québec en provenance du sud dela France lorsqu’elle avait quelques mois.D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle rêvaitd’être « docteuse dans l’espace », parce qu’ellevoulait aider les autres et que « le faire sur lalune, ça serait sûrement encore plus fun». Au se-condaire, elle a de bonnes notes. Elle participe àtoutes les récupérations, réussit les examensmême si ses résultats en mathématiques sont« justes justes». Elle s’en va alors faire son cégepen sciences pures, toujours avec cette idée dedevenir médecin, ou peut-être astronaute.

« Là, j’ai frappé un mur de brique, avoue-t-elle. La session suivante, je me suis dirigée versles sciences sociales tout en gardant un cours dechimie. Mais je devais travailler tellement fortpour obtenir la note de passage ! »

À l’université, Sarah Ferrer hésite. Sexo-logue ? Psychologue ? Enseignante ? Orthopé-dagogue ? Elle entreprend finalement un bac,puis une maîtrise en psychoéducation.

« C’est à cette époque que j’ai commencé àme poser des questions, poursuit-elle. Je me trou-vais différente, notamment dans ma relation auxautres. J’étais plus lente et j’avais une très faibleestime de moi. J’ai cherché de l’aide auprès de lapsychologue de l’université. J’ai été suivie durantquelques années. Puis, j’ai commencé à travailler.Et là, je suis tombée en dépression. Je suis retour-née voir une psychologue, qui m’a conseillé d’allerme faire évaluer. Le diagnostic est tombé : troubled’apprentissage avec déficit d’attention.»

Les dangers du diagnostic tardifUn diagnostic tardif, donc, qui lui aura laissé

le temps de développer d’autres troubles. Undéficit d’estime de soi, mais aussi une anxiétégénéralisée. Une grande difficulté à appréhen-der les changements qui l’a menée à avoir, aumoment où elle a dû renoncer à sa carrière de

scientifique, des idées suicidaires. Avec le re-cul, elle imagine que sa vie aurait été bien diffé-rente si elle avait été diagnostiquée plus tôt.

«Mais je ne crois même pas que je le serais au-jourd’hui, alors que l’on parle tout de même plusde ces troubles, considère-t-elle. Ceux qui sontévalués sont ceux qui posent problème, qui nepermettent pas au professeur de faire son cours,les hyperactifs, ou au contraire ceux qui sont ab-sents, complètement dans la lune. Moi, je ne dé-rangeais personne, je travaillais, je passais d’uneclasse à l’autre. Personne n’avait l’impressionque j’avais des problèmes. Aujourd’hui encore, jene suis pas certaine que tous mes collègues soientau courant. Et même au sein de ma propre fa-mille, on remet parfois en doute le diagnostic. Cen’est pas très clair pour tout le monde. »

Avec un diagnostic précoce, la jeune femme,

qui s’occupe d’une section régionale de Montréalde l’Institut des troubles d’apprentissage, se ditqu’elle aurait sans doute aujourd’hui une meil-leure estime d’elle-même. Qu’elle se serait moinsdévalorisée. Qu’elle aurait eu aussi plus de tempspour se rebâtir, pour apprendre à s’organiser. Évi-ter la dépression, les idées suicidaires. Elle seraitsans doute moins anxieuse. Moins fatiguée.

«Au quotidien, tout est un ef fort parce que jeme pose des tonnes de questions, explique-t-elle.Dans ma relation aux autres, notamment à mes col-lègues, par exemple. En réunion, il suffit d’une pe-tite remarque de rien du tout pour que je me de-mande ce que la personne a voulu dire, et que ça re-mette en cause toute ma confiance en moi. J’ai tou-jours l’impression que je ne serai pas capable.»

Après sa dépression, Sarah Ferrer a recom-mencé à travailler à temps partiel. Elle vienttout juste de passer à temps plein et elle avoueque la situation la fatigue terriblement.

« Le soir, il n’est pas question que j’aille boireun verre avec des amies, avoue-t-elle. Je n’en aipas l’énergie. D’ailleurs, des amies, des vraiesamies, j’en ai deux. Je ne pourrais pas avoir unerelation vraiment suivie avec plus. Tout me de-mande tellement d’organisation. »

Dans cette situation, et alors qu’elle est encouple depuis plusieurs années, Sarah Ferrercommence à imaginer avoir un enfant… tout enrepoussant l’échéance. La fatigue, son besoin

de s’isoler de temps à autre pour ne pas se sen-tir envahie… mais surtout la peur de transmet-tre son gène.

« Je me dis que je n’ai pas le droit de prendre lerisque de mettre au monde un enfant qui aura lemême problème que moi, confie-t-elle. En mêmetemps, je sais que je serai attentive. Si je vois lemoindre symptôme, j’irai le faire évaluer. La lit-térature dit que plus c’est pris tôt, plus il est faciled’outiller celui qui en souffre. Il est possible de dé-velopper de très grandes compétences au niveaude l’organisation. »

Mais si elle sera, elle, particulièrement atten-tive, elle regrette cependant que d’autres enfants,aujourd’hui encore, n’aient pas la chance d’êtreévalués. Et elle ne voit pas beaucoup de solutionspour y parvenir, à part permettre aux enseignantsd’être attentifs avec l’ensemble de leurs élèves.

« Mais que peuvent-ils faire avec trente élèvespar classe? questionne-t-elle. Comment peuvent-ils identifier le profil d’apprentissage de chacunde leurs élèves ? Comment faire alors que despostes de spécialistes sont supprimés et que l’ac-cès aux services est moindre? Malheureusement,je ne crois pas qu’on soit sur le bon chemin pourdiagnostiquer des cas comme le mien. »

CollaboratriceLe Devoir

TÉMOIGNAGE

«Ma vie aurait été différente»

GRACIEUSETÉ SARAH FERRER

« Personne n’avait l’impression que j’avais desproblèmes», raconte Sarah Ferrer.

Au quotidien, tout est un effort parce que je me pose destonnes de questions. Dans ma relation aux autres,notamment à mes collègues, par exemple. En réunion, ilsuffit d’une petite remarque de rien du tout pour que jeme demande ce que la personne a voulu dire, et que çaremette en cause toute ma confiance en moi. J’ai toujoursl’impression que je ne serai pas capable.

«

»

Sites InternetInstitut des troubles d’apprentissage : www.institutta.com(nouveau site Internet à venir en décembre 2015, à cettemême adresse !)Association canadienne des troubles d’apprentissage : ldac-acta.caClub TDAH: clubtdah.comInformations sur des troubles souvent associés : www.dou-glas.qc.ca/info/enfants-sante-mentale

À lireAider l’élève en difficulté d’apprentissage (Chenelière Éduca-tion)Collections Laisse-moi t’expliquer, Super héros et Guides pra-tiques sympathiques, ainsi que plusieurs autres titres (Édi-tions Midi trente)Être parent, c’est du sport ! (Chenelière Éducation)

Un document incontournable pour les parents dont l’enfant aun trouble d’apprentissage et fréquente le primaire-secon-daire public : «Précisions sur la flexibilité pédagogique, lesmesures d’adaptation et les modifications pour les élèvesayant des besoins particuliers», disponible sur le site du mi-nistère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de laRecherche (www.education.gouv.qc.ca)

Pour en savoir plus

MICHAËL MONNIER LE DEVOIR

Un diagnostic tardif, donc, qui lui aura laissé le temps de développer d’autres troubles. Un déficit d’estime de soi, mais aussi une anxiété généralisée.Une grande dif ficulté à appréhender les changements qui l’a menée à avoir, au moment où elle a dû renoncer à sa carrière.

HOCUS-FOCUS

ÉDUCATIONL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 0 E T D I M A N C H E 1 1 O C T O B R E 2 0 1 5J 6

Qu’est-ce que le trouble dudéficit d’attention avec ousans hyperactivité (TDAH) ?Quelle est sa prévalence ?Comment le diagnostiquer etsurtout comment le traiter ?Entrevue avec Annick Vin-cent, médecin et psychiatre,spécialisée en TDAH.

P I E R R E V A L L É E

«L e TDAH est une mala-die neurobiologique,

précise-t-elle, et aussi neurodé-veloppementale, puisqu’elle ar-rive avec la naissance. C’estque le cerveau d’une personneatteinte de TDAH ne fonc-tionne tout simplement pas dela même manière que le cer-veau d’une personne qui n’estpas atteinte. Dans le cas d’unTDAH, c’est la fonction de mo-dulation du cerveau qui est encause. Pour utiliser une image,si le cerveau est comme un or-chestre symphonique, eh bien,dans le cerveau de quelqu’unatteint de TDAH, il manque lechef d’orchestre. »

Le TDAH se manifeste pardeux grandes catégories desymptômes. La première caté-gorie est celle reliée à l’inatten-tion. « La personne oublie deschoses, est mal organisée, elleéprouve de la dif ficulté à dé-marrer une tâche, etc. » La se-conde catégorie est celle del’hyperactivité. «Dans ce cas, lapersonne souf fre d’une bou-geotte physique et réagit souventavec impulsivité. » Une per-sonne peut présenter unique-ment des symptômes d’inatten-tion, mais elle peut aussi pré-senter à la fois des symptômesd’hyperactivité, d’où le termeavec ou sans hyperactivité.« Mais attention, ces symp-tômes, pour qu’on les qualifie deTDAH, doivent avoir un im-pact sur le fonctionnement de lapersonne. Nous avons tous par-fois des moments d’inattentionou des réactions impulsives,mais cela ne vient pas troublernotre fonctionnement. Maisdans le cas d’un TDAH, oui.»

Selon la majorité des études,l’on estime qu’entre 5 % et 8 %des enfants sont atteints duTDAH. Chez les adultes, on es-time la prévalence à 4 %.

Connaît-on une augmentationde la maladie ? « Il n’y a pasd’augmentation en nombre ab-solu, du moins, il n’y a présente-ment aucune étude qui le démon-tre. Par contre, ce qui est en aug-mentation, ce sont les diagnosticset les demandes de traitement.»

Le diagnosticLe diagnostic du TDAH se

fait en cabinet au moyen d’uneentrevue et de questionnaires.Il est établi par un clinicien au-torisé, soit un médecin, unpsychologue ou un neuropsy-chologue. « D’abord, le clini-cien doit chercher à voir s’il n’ya pas d’autres causes aux symp-tômes. Par exemple, un enfantqui a des troubles de sommeil ade for tes chances de souf frird’inattention en classe. »

Une fois ces autres causeséliminées, le clinicien poursuitson diagnostic. «Nous nous ser-vons alors d’une grille d’analysetrès complète qui comprend plu-sieurs critères, dont neuf pourl’inattention et neuf autres pourl’hyperactivité. Pour qu’on luidiagnostique un TDAH, une per-sonne doit af ficher six critèressur neuf pour l’inattention et

toujours six sur neuf pour l’hy-peractivité. En deçà de ce seuil,elle n’est pas diagnostiquéecomme ayant un TDAH. Le cli-nicien doit ensuite compléter sondiagnostic en cherchant à déter-miner s’il n’y a pas des facteursaggravants, par exemple, unepersonne ayant un TDAH, maissouffrant aussi de dyslexie.»

Le traitementLe traitement est multiple et

ne repose pas entièrement surla prise de médicaments. «Lapremière étape du traitementconsiste à bien faire comprendreà la personne atteinte du TDAHce qu’il lui arrive et à lui fairesaisir que c’est son cerveau quifonctionne différemment.»

La seconde étape consisteen une série d’inter ventionsnon pharmaceutiques qui sontdes trucs et des astuces quipermettent à la personne at-teinte ainsi qu’à ses parents ouà son entourage de s’adapter àla maladie. D’une part, il fautque les parents et l’entouragede la personne atteinte appren-nent à communiquer efficace-ment avec la personne atteintedu TDAH, car on ne commu-

nique pas avec elle de lamême manière qu’avec unepersonne non atteinte. D’autrepart, il faut donner à une per-sonne atteinte des trucs et desastuces pour mieux composeravec la maladie. Ces trucs etces astuces sont souvent desroutines que l’on doit mettreen application. Par exemple,pour un enfant, on peut établirune routine pour le départ àl’école : placer le sac d’écoleprès de la porte, y déposer en-suite son lunch, mettre sessouliers et son manteau, etc.La routine peut être af fichéesur un babillard. Il s’agit icid’établir une routine que lapersonne atteinte adoptera etqui lui permettra de mieuxfonctionner.

Dans certains cas, ces inter-ventions suffisent, mais dansd’autres cas, non, et il fautalors se tourner vers la médi-cation. « On peut bien deman-der à un myope de rapprocherla feuille de ses yeux, mais à unmoment donné, ça ne marcheplus, et il faut alors envisager leport de lunettes. En matière deTDAH, la médication, c’est deslunettes pour le cerveau.»

La médication prescrite ap-partient à la classe des neuros-timulants et ser t à stimulerdans le cerveau la dopamineet la noradrénaline, deux neu-rotransmetteurs impliquésdans la fonction de modulationdu cerveau. Le plus connu deces médicaments est le Ritalin.« Mais il existe aujourd’huid’autres neurostimulants quiont des propriétés différentes duRitalin et qui permettent aumédecin traitant de mieuxadapter la médication aux be-soins du patient. »

Est-ce possible de voir dis-paraître par lui-même leTDAH ? « Dans cer tains cas,oui. Environ 25 % des enfantsn’en souffrent plus une fois ado-lescents, et environ 50 % unefois arrivés à l’âge adulte. Maisça laisse beaucoup de personnesqui auront besoin de traite-ments toute leur vie. L’impor-tant, ici, c’est de souligner quele TDAH n’est pas une idée far-felue, mais bien une maladie,et que cette maladie, si elle estdiagnostiquée, est soignable. »

CollaborateurLe Devoir

L’abécédaire du trouble du déficit d’attention

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

Une personne peut présenter uniquement des symptômes d’inattention, mais elle peut aussi présenter à la fois des symptômes d’hyperactivité, d’où le terme avec ou sans hyperactivité.

É M I L I E C O R R I V E A U

A u cours des dernières années, notammenten raison d’avancées technologiques im-

por tantes, l’engouement pour les neuros-ciences éducationnelles s’est considérablementaccru. Cet enthousiasme grandissant est-il jus-tifié ? Dans une certaine mesure, répondent leschercheurs de l’UQAM Line Laplante et JulienMercier. Car, bien qu’elle puisse être utile pouréclairer notre compréhension des troublesd’apprentissages et mieux guider les interven-tions qui les concernent, cette jeune disciplineest encore loin d’être une panacée.

À la croisée des neurosciences cognitives etdes sciences de l’apprentissage, les neuros-ciences éducationnelles ont pour visée d’enri-chir la recherche en éducation par l’ajout deméthodes psychophysiologiques pour mieuxcomprendre les processus d’apprentissage.Trouvant leurs racines dans les années 1950,elles ne sont considérées comme une disciplined’étude que depuis peu.

« Ça fait des dizaines d’années qu’en éduca-tion des recherches sont menées sur les proces-sus d’apprentissage sans qu’il y ait de contribu-tion avec des méthodologies issues des neuros-ciences. S’il y a aujourd’hui un engouementpour la chose, c’est en grande partie parce qu’ily a eu des développements très intéressants surle plan des appareillages. Ces machines extrê-mement perfectionnées que l’on utilise pour me-surer des aspects du fonctionnement du cerveauet du système nerveux nous permettent deschoses qu’il n’était pas possible de faire avant »,explique Julien Mercier, professeur et direc-teur de NeuroLab, le laboratoire de neuros-ciences éducationnelles de l’UQAM.

Par exemple, grâce aux avancées dans le do-maine de l’imagerie médicale, il est maintenantpossible d’observer le fonctionnement cérébrald’un apprenant en action au moment où celui-ciexécute une tâche de lecture.

« Il faut savoir que ça fait longtemps que les

neurologues s’intéressent aux liens qui unissentle fonctionnement cérébral et les problèmes d’ap-prentissage. La grande dif ficulté à l’époque,c’était que les scientifiques ne pouvaient qu’étu-dier les cerveaux d’individus morts ! L’imageriecérébrale a permis d’étudier le cerveau chez desindividus vivants. Ça a permis de commencer àétablir des liens entre le fonctionnement céré-bral et les comportements, non seulement de fa-çon dif férée, mais également de manière simul-tanée », relève Line Laplante, orthopédagoguede formation et professeure au Départementde linguistique et de didactique des languesde l’UQAM.

Valider les connaissancesCe que permettent ces avancées, c’est

d’abord d’étoffer la connaissance existante surles troubles d’apprentissage, laquelle s’appuielargement sur des études comportementalesmenées dans le domaine des sciences del’éducation.

Par exemple, des études conduites en neu-rosciences sont parvenues à montrer des diffé-rences d’activation cérébrale entre les dys-lexiques et les normolecteurs. Elles ont égale-ment démontré que ces différences tendaient às’amenuiser lorsqu’une intervention ciblée etintensive, visant le processus déficitaire, étaitmise en place.

« Il y a des chercheurs qui ont utilisé avec desdyslexiques des pratiques pédagogiques dont l’ef fi-cacité avait déjà été démontrée dans le cadred’études comportementales en éducation. Ils ontobservé que les capacités de lecture de ces indivi-dus s’étaient améliorées. Parallèlement, ils ontremarqué que les zones cérébrales associées auxactivités de lecture, qui sont souvent sous-activéeschez les apprenants aux prises avec de la dyslexie,étaient devenues plus actives. Ça a donc ajoutéune information supplémentaire à ce qu’on sa-vait déjà», précise Mme Laplante.

Si , pour l ’ instant, l ’appor t des neuros-ciences à la connaissance des processus d’ap-

prentissage se résume surtout à la validationdes acquis issus des recherches en éduca-tion, certains travaux en chantier pourraientvraisemblablement permettre d’ici quelquesannées d’appor ter un éclairage par ticuliersur des questionnements auxquels les me-sures comportementales ne peuvent encorerépondre entièrement.

« Prenons par exemple l’activité cognitive liéeau fait de lire un texte, suggère M. Mercier. Il ya des aspects de la lecture qu’on peut observer endemandant à un apprenant de lire à voix hauteou en lui demandant de rapporter ce qu’il a com-pris. Mais dans la lecture, il y a aussi des proces-sus qui sont beaucoup plus rapides que tout cequ’on peut observer ou demander à l’élève de rap-porter après coup. »

C’est notamment le cas du décodage desmots qui, pour un lecteur compétent, s’effectueen moins d’une demi-seconde. Chez les dys-lexiques, toutefois, cette tâche prend plus detemps. Or, d’après des spécialistes, certains in-dividus aux prises avec ce trouble seraient ca-pables de décoder des textes plus rapidementque leurs congénères grâce à une utilisation ef-ficace du sens global, mais la chose peut diffici-lement être validée dans le cadre d’études stric-tement comportementales.

«Au moyen d’un électroencéphalogramme, parcontre, on peut mesurer les niveaux d’ondes par-ticuliers qui attestent de l’utilisation du sens. Sides dyslexiques parviennent effectivement à déco-der des textes grâce à l’utilisation du sens, c’estdonc dire que la zone cérébrale qui atteste del’utilisation du sens devrait s’activer avant qu’unmot problématique ne soit décodé. Il y a des re-cherches intéressantes qui s’ar ticulent en cesens», indique Mme Laplante.

D’après M. Mercier, les neurosciences édu-cationnelles pourraient également apporter unéclairage intéressant sur les connaissances quenous possédons en matière d’affectivité en si-tuation d’apprentissage.

« Dans mon labo, on essaie de superposer des

méthodes issues des neurosciences à des observa-tions du comportement pour obtenir des complé-ments d’information sur la manière dont l’affec-tivité et la cognition fonctionnent. Dans l’appren-tissage, on s’est beaucoup intéressé à la cogni-tion, mais l’af fectivité d’un apprenant, notam-ment d’un apprenant en difficulté, peut avoir unsérieux potentiel soutenant ou délaitant pour lesindividus», fait-il remarquer.

Prenons l’exemple d’un apprenant en dif fi-culté qui est impassible : difficile de savoir com-ment il se sent réellement en ne s’appuyant quesur des données comportementales. Avec cer-taines mesures psychophysiologiques, parcontre, les chercheurs peuvent déterminer qu’àcertains moments très précis ce dernier a vécudes montées d’anxiété qui ont probablementengendré un blocage.

« Dans ce genre de cas, les méthodes issuesdes neurosciences peuvent présenter un apportimportant », relève M. Mercier.

Défi de tailleMalgré l ’enthousiasme que suscite ce

genre de projets de recherche, un défi detaille demeure : celui de relier le fonctionne-ment cérébral et psychophysiologique à l’ap-prentissage tel qu’il se déroule dans une sallede classe.

« Actuellement, quand on observe une régiondans le cerveau au moyen d’un appareil techno-logique, on est à des lieues d’observer ce qui sepasse dans la tête d’un apprenant en dif ficultélorsqu’il est en classe, souligne M. Mercier.Dans une classe, le cerveau est actif de toutessortes de façons, mais présentement, on n’est pascapable de prendre ces mesures-là. Le vrai défi, etce, au moins pour les 20 prochaines années, cesera donc de rattacher le fonctionnement du cer-veau à une véritable situation d’apprentissagescolaire. »

CollaboratriceLe Devoir

NEUROSCIENCES ÉDUCATIONNELLES ET TROUBLES D’APPRENTISSAGE

De belles occasions, mais de grands défis

ÉDUCATIONL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 0 E T D I M A N C H E 1 1 O C T O B R E 2 0 1 5 J 7

L A U R I E V A N H O O R N E

D evant l’explosion desdiagnostics de troubles

d’apprentissage, un enseigne-ment adapté s’impose de plusen plus comme la voie à sui-vre. Encore peu nombreuses,les écoles qui ont sauté le pasdémontrent tout l’intérêt devarier les formations.

«De plus en plus d’élèves ontdes besoins qui ne sont pas com-blés dans un système scolairetraditionnel, qu’ils aient eu undiagnostic de trouble d’appren-tissage ou pas, note Angela Bur-gos, directrice de CentennialAcademy. Ils ont accès à une pa-noplie d’informations, et ils ontbesoin de l’école pour les aider àstructurer, analyser et compren-dre cette masse d’informations.»

Chez Centennial, neufélèves sur dix sont aux prisesavec un trouble du déficit del’attention, l’autisme, la dys-lexie ou encore la dyscalculie,des diagnostics qui se tradui-sent souvent par un manqued’organisation, de structure etde méthode de travail. Ils sontpourtant plus de 95% à obtenirleur diplôme d’études secon-daires au bout de cinq ans.Derrière ce succès, la concep-tion universelle de l’apprentis-sage (CUA), que l’établisse-ment est le seul au Québec àavoir adoptée.

L’approche consiste grossomodo à of frir un cadre d’ap-prentissage bienveillant,exempt d’obstacles et qui favo-rise l’autonomie. Cela im-plique une conception de l’en-seignement quelque peu diffé-rente de celle à laquelle on esthabitués. «L’enseignant devientun coach qui se concentre surl’élève plutôt qu’un transmet-teur de connaissances, expliqueMme Burgos. On veut que lesélèves sachent qu’ils peuvent de-mander de l’aide, qu’ils ne se-ront pas jugés. »

Les élèves ne changent ja-mais de salle de classe ; cesont les professeurs qui lefont. De la 1re jusqu’à la 5e se-condaire, leur matériel sco-laire respecte un code de cou-leurs : un car table noir pourles mathématiques, orangepour les cours d’ar t. Davan-tage que les notes, ce sont lescompétences qui sont valori-sées. L’horaire des cours estrépar ti de façon à ce quechaque journée de la semainese déroule toujours de lamême manière. Une portionde l ’horaire quotidien estconsacrée aux devoirs, si bienque les élèves peuvent s’atta-quer aux travaux les pluscomplexes à l’école et garderles tâches les plus simplespour la maison.

Cet ensemble de mesures etbeaucoup d’autres s’inscriventdans une routine bien ficeléequi permet de réduire le stressdes étudiants. «La routine et laprévisibilité sont la clé pour unenvironnement propice à l’ap-prentissage des élèves », avanceMme Burgos. Pour les ensei-gnants, le défi devient de s’as-surer que les méthodes em-ployées répondent toujoursaux besoins de leurs étudiants ;ils collectent en ce sens desdonnées tous les jours ets’ajustent en conséquence.

Pour Mme Burgos, l’efficacitédu modèle en vigueur dansson école ne fait aucun doute.Elle estime qu’il serait nonseulement faisable, mais aussisouhaitable d’appliquer laconception universelle de l’ap-prentissage à l’ensemble duréseau scolaire. « Si ces mé-thodes sont bonnes pour les ap-prenants avec des dif ficultés,imaginez l’impact positifqu’elles auraient sur les jeunesqui n’ont pas de barrières àl’apprentissage ! Plusieurs Étatsaméricains, provinces cana-diennes et universités du Qué-bec reconnaissent que la CUAest la voie à suivre. »

Ranger les cahiersd’exercices

Située dans l’ar rondisse-ment d’Ahuntsic-Cartierville,l’école Félix-Antoine accueilleune quarantaine d’élèves, âgésde 18 à 58 ans. Contrairementaux écoles des adultes tradi-tionnelles, où les élèves tra-vaillent sur tout avec des ca-hiers d’exercices, l’établisse-ment ouver t depuis bientôtvingt ans prodigue un ensei-gnement magistral. Mais cequ’il of fre de plus précieux,

c’est la souplesse, un élémentessentiel dans l’itinéraire quidoit mener ceux qui le fré-quentent à l’obtention d’un di-plôme d’études secondaires.

La majorité d’entre eux ontabandonné l’école. Cer tainssont passés par une forma-tion professionnelle. À leurparcours souvent atypiqueviennent parfois s’ajouter desdifficultés d’apprentissage oude langue.

Pour ces élèves, qui viventsouvent en situation de préca-rité, le simple fait d’arriver àl’école représente une victoirequotidienne. « Il est dif ficilepour eux de refuser des heuresde travail, explique DenyseMayano, directrice de l’établis-sement. Certains sont travail-leurs saisonniers, il y en a égale-ment qui sont aidants naturelsauprès de leurs proches. Malgrétoute leur bonne volonté, plu-sieurs d’entre eux doivent à l’oc-casion s’absenter. C’est entre au-tres à ce niveau-là que ça coincedans le système traditionnel. Ons’est dotés d’une structure quipeut absorber ce genre de situa-tion, qui est à la fois profession-nelle et souple.»

Parmi la trentaine de béné-voles qui permet à l ’écoled’exister, on retrouve dejeunes retraités, des travail-leurs qui viennent donner deleur temps. I ls sont ensei-gnants, intervenants psycho-

sociaux, orthopédagogues. Etsi l’of fre n’a pas toujours étécoordonnée à la demande,Mme Mayano se considère au-jourd’hui comme gâtée : dufrançais aux mathématiquesen passant par la géographie,tout le spectre des matièresest couver t par son équipe.Des coachs de vie personnelleet professionnelle font égale-ment profiter les élèves deleur exper tise, notammentdans la création de leur CV.D’autres bénévoles se re-laient en cuisine, où des re-pas sont préparés tous lesjours grâce à des dons deMoisson Montréal.

Assurer la sur vie de cetteécole qui ne reçoit aucunesubvention gouvernementaledemeure cependant un défiau quotidien. « J’ai de quoipoursuivre mes activitésjusqu’en novembre, mais aprèsça, rien n’est acquis, confieMme Mayano. Je dois constam-ment trouver des sous. » Unesituation qui ne saurait toute-fois la détourner de son ob-jectif premier. « Notre but,c’est d’outiller nos élèves pourqu’ils soient capables de seprendre en main et de réussirnon seulement ici, mais aussiailleurs. Notre critère, c’est lediplôme suivant. »

CollaboratriceLe Devoir

CENTENNIAL ACADEMY / ÉCOLE FEÉLIX-ANTOINE

Un enseignement sur mesure

Des services pour soutenir nos étudiants en situation de handicap pour que chacun puisse réaliser son plein potentiel

RÉUSSIR

COURTOISIE CENTENNIAL ACADEMY

Chez Centennial, neuf élèves sur dix sont aux prises avec un trouble du déficit de l’attention,l’autisme, la dyslexie ou encore la dyscalculie, des diagnostics qui se traduisent souvent par unmanque d’organisation, de structure et de méthode de travail.

ÉDUCATIONL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 0 E T D I M A N C H E 1 1 O C T O B R E 2 0 1 5J 8

Le trouble déficitaire de l’attention n’est quela pointe de l’iceberg. Immergés, se cachentde nombreux autres troubles qui font de lavie d’un enfant un véritable calvaire : anxiété,stress, problèmes d’estime de soi ou de moti-vation scolaire.

M A R I E - H É L È N E A L A R I E

«L e trouble déficitaire de l’attention avec ousans hyperactivité, le TDAH, possède peu

de troubles associés, mais il est souvent associé àplusieurs troubles », nuance d’emblée Guy Au-blet, conseiller pédagogique en adaptation sco-laire et directeur de la programmation à l’Insti-tut des troubles d’apprentissage. L’image laplus parlante pour lui demeure celle de l’ice-berg : « Ce qu’on voit, c’est souvent le TDAH,mais il faut creuser pour voir ce qui se cache des-sous et qui fait que ce sont les dif ficultés atten-tionnelles ou l’hyperactivité qui ressortent. »

La psychologue scolaire Ginette Gagné ex-plique : «On travaille avec tous les problèmes del’enfant aux prises avec un TDAH. On met enplace des moyens physiques pour l’aider au ni-veau de l’agitation et de l’attention, mais sur lesplans personnel et social, il y a aussi des impactsimportants dont il faut tenir compte. » Dans lesfaits, peu importe le traitement, ce qui compte,c’est le contexte relationnel dans lequel setrouve l’enfant : « S’il a autour de lui un adultebienveillant, qui a une position alpha, qui estl’adulte responsable et qui procure les soins, à cemoment-là, n’importe quelle méthode peut fonc-tionner», raconte Ginette Gagné.

Actuellement, il existe deux types de traite-ments pour soigner les enfants qui présententdes signes de TDAH. Le premier est basé surle béhaviorisme, où on va tenter d’intervenir auniveau de la pensée, ce qui va entraîner unchangement de comportement, surtout avecles enfants et les adolescents anxieux. Le se-cond traitement se déroule au niveau de la rela-tion, où le thérapeute doit être conscient detous les stades d’attachement, pour arriver à unstade profond et guider l’enfant dans son che-minement. C’est l’approche développementale.Il est souhaitable que les parents soient impli-qués dans ce type de traitement puisque cesont eux les premiers pourvoyeurs de soins.

L’attachement« La faim de l’attachement est supérieure à

toute autre chose, même la faim physique», rap-pelle Mme Gagné. L’enfant devra rechercher laproximité de l’adulte et ce n’est que dans uncontexte d’attachement sécurisant qu’il pourrafaire certains apprentissages, il réussira à secalmer et pourra alors même chercher à fairede nouvelles expériences.

Un enfant anxieux est agité et vit une grandeappréhension en étant convaincu que quelquechose de dangereux le guette. Au départ, c’estun enfant alarmé, et la psychologue relate que«ce stress environnemental et social est excessive-ment blessant, surtout pour l’enfant qui ne vapas chercher ses repères vers un adulte bienveil-lant et responsable de lui, mais qui va plutôt al-ler vers ses pairs ».

Tout comme pour les enfants, les intervenantsdoivent s’attacher les parents. «On doit les amener

à nous faire confiance. Le message doit être quenous sommes des par tenaires et que nous nesommes pas là pour les juger, notre rôle est de chan-ger la perception qu’ils ont de leur enfant», expliqueGinette Gagné. Mais il ne faut surtout pas que lesparents se retrouvent dans une situation de dépen-dance par rapport aux intervenants «parce qu’in-tuitivement les parents savent quoi faire».

La motivation scolaire : tout un défiOn l’a vu, pour certains enfants, l’école peut

rapidement devenir un environnement hostile,et ce, 180 jours par année. On comprend quedans ce contexte il peut être difficile pour euxde se lever tous les matins pour se lancer danscette jungle. Dans ces conditions, la motivationscolaire est proche de zéro.

Roch Chouinard, professeur titulaire à la Fa-culté des sciences de l’éducation de l’Universitéde Montréal et responsable de l’équipe de re-cherche « motivation scolaire et gestion declasse», est bien placé pour expliquer les méca-nismes qui engendrent une perte de motivation.

La grande majorité des enfants commencentl’école avec l’intention d’apprendre, et ce quiest fascinant, c’est « qu’en général ils n’ont pasvraiment de doutes quant à leur capacité d’ap-prendre, mais ce que les enfants ne soupçonnentpas, c’est ce qu’est véritablement l’école », ex-plique le professeur. Pour lui, l’école place de-vant l’enfant des miroirs qui reflètent uneimage très précise quant à ses capacités intel-lectuelles. Les êtres humains ont des besoins

psychologiques de base et, parmi ces besoins,celui de se sentir compétent est un des plus im-portants : « À l’école, au fur et à mesure de leurexpérience scolaire et de leur maturation, cer-tains enfants vivent des difficultés répétées et c’estalors que le besoin de se sentir compétent, ils nele retrouvent pas beaucoup. » Il devient dès lorsimportant pour l’enfant de ne pas se faire bles-ser davantage. Pour Roch Chouinard, il est pri-mordial que les parents comprennent que « lesintentions premières de l’enfant ne sont alorsplus dirigées vers les apprentissages et l’acquisi-tion de connaissances, mais vers l’évitement dessituations qui pourraient amener une détériora-tion plus grande de l’estime de soi ». L’enfantpeut alors développer toute une série de com-portements d’évitement.

Le professeur prend l’exemple d’un enfantqui arrête d’essayer : «Quand on essaie très fortet que ça ne fonctionne pas, on se sent honteux etça fait beaucoup plus mal que quand on n’a pasvraiment essayé et qu’on ne fait que se sentir cou-pable. » Ce comportement va entraîner l’enfantdans un cercle vicieux de difficultés à l’école.Avec les années, la différence, l’écart et le re-tard par rapport aux autres vont commencer àparaître de plus en plus.

Si tu y mets l’effort, tu vas réussir !Les parents doivent être prudents avec la

question de l’effort quand un enfant a des diffi-cultés à l’école : «Parce qu’il a le sentiment quela plupart du temps, quand il a fait des ef forts,

ça n’a pas donné les résultats escomptés et il s’estfait blesser. De plus, ajoute le spécialiste, l’enfantest plongé dans un état de détresse parce qu’il nese comprend pas et il sent que son parent ne lecomprend pas non plus. » Il faut savoir qu’un en-fant qui vit des difficultés a tendance à mal éva-luer les exigences d’une tâche qu’on lui de-mande d’accomplir. Il fait peu de liens avec unenouvelle tâche à effectuer et des tâches anté-rieures, et c’est vrai dans tout ce qu’on lui de-mande et pas seulement en français.

Roch Chouinard suggère aux parents ded’abord rationaliser les choses : «Tout n’est pasnoir ou blanc. Il faut faire voir à l’enfant ses dif-ficultés tout en lui disant que ce n’est pas parcequ’il n’est pas capable de faire quelque chose queça sera toujours le cas. Donner des pistes de solu-tion et ramener l’enfant sur les éléments essen-tiels. » Il est important de toujours s’assurer quel’enfant comprend bien ce qui lui est demandé.De lui montrer en verbalisant à voix haute com-ment il devrait s’y prendre et de voir avec luichacune des étapes. « Il faut lui donner juste as-sez de soutien pour qu’il puisse avancer, pas tropparce que sinon le parent va faire la tâche à laplace de l’enfant, mais assez pour qu’il puisseconnaître des succès. » Et pour encourager lesparents, Roch Chouinard conclura que «réussiravec de l’aide, même si c’est avec beaucoupd’aide, c’est toujours mieux que d’échouer».

CollaboratriceLe Devoir

MOTIVATION SCOLAIRE

La bienveillance pour créer l’attachement

ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR

Pour certains enfants, l’école peut rapidement devenir un environnement hostile, et ce, 180 jours par année. On comprend que dans ce contexte il peutêtre dif ficile pour eux de se lever tous les matins pour se lancer dans cette jungle. Dans ces conditions, la motivation scolaire est proche de zéro.

A N D R É L A V O I E

L es technologies de l’infor-mation et des communica-

tions (TIC) seraient-elles laplanche de salut des 800 000Québécois souffrant de trou-bles d’apprentissage ? Les dic-tionnaires électroniques, cor-recteurs orthographiques etautres logiciels de suggestionsde mots ou de synthèse vocalepeuvent-ils combler toutes lescarences des personnes at-teintes de dyslexie ou de dys-calculie ? Les progrès sontréels et rapides, mais il fautéviter la pensée magique, rap-pellent certains experts.

Il y a quelques décennies,dans les écoles, les troublesd’apprentissage se résumaientà des problèmes de comporte-ment ou de paresse congéni-tale, le remède étant le plussouvent le bonnet d’âne et lebureau au fond de la classepour aboutir au décrochagescolaire. Même après la fonda-tion du ministère de l’Éduca-tion en 1964, on était loin de sedouter que les expressions« obstacles neurologiques » ou« surcharges cognitives » fe-raient un jour leur entrée dansle vocabulaire pédagogiquepour combattre les difficultésde cer tains élèves à lire,écrire, ou se concentrer surune tâche simple.

Madeleine Fauteux, per-sonne-ressource à l’Institutdes troubles d’apprentissage,et Jean Chouinard, conseillerpédagogique au Service natio-nal du RECIT en adaptationscolaire, suivent depuis long-temps l’évolution des TIC pour

qu’elles puissent mieux servirune clientèle trop longtempsnégligée et incomprise. Ils sesouviennent des premiers or-dinateurs peu per formants,mais surtout de la grande ré-sistance du milieu scolaire, etdu ministère, à voir débarquerdans les classes ces appareilsqui semblaient à cer tainscomme autant d’avantages in-dus pour un groupe d’élèves.

L o r s d ’ u n e e n t r e v u econjointe où les deux spécia-listes complétaient leurs ré-ponses dans un bel esprit decomplicité, Jean Chouinard arepris une métaphore qu’il uti-lise souvent pour illustrer l’im-portance des TIC pour ceux etcelles souf frant de troubles

d’apprentissage. «Les lunettes,précise-t-il, ça permet de com-penser une difficulté marquée àlire, et non de voir mieux queles autres. Les aides technolo-giques fonctionnent sur le mêmeprincipe : combler les écarts enlecture ou en écriture, en plusd’offrir une meilleure égalité deschances. » Sur ce point, Made-leine Fauteux appor te unenuance sur la question del’égalité. «Si je donne une pairede lunettes à tout le monde, çanuira à certains. Un élève seravite dérangé par le logiciel desynthèse vocale s’il n’en a pasbesoin : lire dans sa tête, c’esttrois fois plus rapide que de lireà voix haute. Mais pour l’élèvedyslexique, ça soutient sa com-

préhension du texte, sinon ilmet toute son énergie à le déco-der, et il n’en reste plus pour lecomprendre. Même avec la syn-thèse vocale, cet élève va termi-ner sa lecture après les autres.»

Ces fameuses lunettes, onle sait, n’ont pas eu droit decité dans les classes pendantlongtemps, mais une pre-mière ouver ture en 2008 apermis l’utilisation des outilstechnologiques pour lesélèves en troubles d’appren-tissage, et deux ans plus tardpour ceux et celles ayant desbesoins par ticuliers. Lesnuances sont importantes, carune fois la difficulté diagnosti-quée, qu’il s’agisse de dyscal-culie ou de dysphasie (trou-

ble de la communication ver-bale), ce n’est pas tout d’avoirun logiciel performant ou unetablette électronique.

Les deux chercheurs crai-gnent la fameuse pensée ma-gique version techno. PourMadeleine Fauteux, « il est im-possible d’appliquer la mêmesolution à deux élèves ayant lemême trouble d’apprentissage».« Quand un enseignant me de-mande si l’aide technologiquepeut être per tinente pour unélève, ajoute Jean Chouinard,ma démarche en tant queconseiller pédagogique est desavoir quelles sont les tâches etles compétences que l’on veutqu’il développe. » Pour bien dé-finir les besoins, il faut doncobserver et comprendre celuià qui l’outil est destiné.

«Il y a des dérives potentiellesface à ce que j’appelle l’aidetechno-médicamenteuse, sou-ligne Jean Chouinard. De lamême façon que le Ritalin nerègle pas tous les problèmes, jevois certains parents tomber desnues devant les faibles per for-mances de leur enfant aprèsavoir acheté plusieurs logicielscoûteux, car ils mettent beau-coup d’espoir dans ces technolo-gies. » Comme tous savent déjàqu’une plume ou un ordinateurn’engendre pas un écrivain, lesnouveaux outils disponiblessont d’abord cela : des outils.

Madeleine Fauteux abondedans le même sens que soncollègue, voyant naître sur leterrain des attentes parfois dé-mesurées. « Quand j’accom-pagne des élèves, des parents etdes enseignants, je perçois cetteidée de la magie qui arrive en-

fin. Je dois souvent répéter quel’ordinateur n’est pas intelli-gent, il propose toutes sortes dechoix, même les plus absurdes.C’est l’utilisateur qui est intelli-gent, et c’est à l’enseignant, àl’orthopédagogue, aux parents,d’accompagner l’élève. Mieux ilcomprendra le potentiel de l’ou-til, mieux il saura s’en servir. »

Malgré ces quelques « dé-rives», ni Jean Chouinard ni Ma-deleine Fauteux ne revien-draient dans cette sorte de «bonvieux temps » où les chosesétaient plus manichéennes dansles salles de classe. Le dévelop-pement des TIC dans les écolesprimaires et secondaires duQuébec a permis à de nom-breux élèves d’accéder aux ni-veaux collégial et universitaire«sans obtenir de diplômes à ra-bais, tous étant évalués de lamême façon», insiste MadeleineFauteux. Ceux et celles atteintsd’un trouble d’apprentissage nesont pas affligés d’une maladiegrave. Bien au contraire, sou-vent victimes de discrimination,ils développent une ténacité re-marquable pour arriver à desrésultats comparables aux au-tres, affichant aussi beaucoupde créativité. Pour bien des or-ganisations et des entreprises,ce sont de formidables atouts.«Et c’est en droite ligne avec lamission de l’école : favoriser laréussite, développer le plein po-tentiel des élèves, pour qu’ils de-viennent de véritables citoyens»,résume Madeleine Fauteux. Ilsuf fit par fois d’avoir des lu-nettes bien ajustées.

CollaborateurLe Devoir

TECHNOLOGIES

De l’importance des lunettes bien ajustées

SOURCE PURESTOCK

Une fois la dif ficulté diagnostiquée, qu’il s’agisse de dyscalculie ou de dysphasie (trouble de lacommunication verbale), ce n’est pas tout d’avoir un logiciel performant ou une tablette électronique.