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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France Discours prononcé à la Faculté des lettres (cours d'histoire de la philosophie moderne) / par M. Ph. Damiron...

Discours prononcé à la Faculté des lettres (cours …/12148/bpt6k95338j.pdfDamiron, Philibert (1794-1862). Auteur du texte. Discours prononcé à la Faculté des lettres (cours

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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Discours prononcé à laFaculté des lettres (cours

d'histoire de la philosophiemoderne) / par M. Ph.

Damiron...

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Damiron, Philibert (1794-1862). Auteur du texte. Discoursprononcé à la Faculté des lettres (cours d'histoire de laphilosophie moderne) / par M. Ph. Damiron.... 1845.

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8° Z Renan 7910

Paris1845

Damiron, Jean-PhilibertDiscours Sur Royer-Collard

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DISCOURS

PRONONCÉ

IjmTOULTÉ DES LETTRES

(C0WHIST011DELAPHILOSOPHIEMODERNE)

1'AnP«. BAMIROBT,!J

PROFESSBUIÎ,1IE1TBUEf)Bl/lSSTITBT.

i),4,~I"'y~ ~rifJL.HACHETTE,

Librairedel'OnlversitéroyaledeFrance,BOBPlBijBE-SABBAZW12.

1845

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IM^lMKl 2)183 ILÎBîKHaiBS»

PREMIÈRE SEANCE

OU COURS

DE L'ANNÉE SCHOLAIRE 18/i5~184G.

itt, fôognr-CallavL

Messieurs

i Je n'ai pas besoin, je pense, de vous annonceren commençant le sujet dont j'ai le dessein de vousentreteniraujourd'hui; vous le connaissezd'avance,et vous vous étonneriez sans doute que, le négli-geant pour un autre, je n'eusse rien à vous dired'un grand nom couvert de deuil, d'une de nosgloires éteintes, d'une mémoire vénérée, ue M.

Royer-Collard enfin, récemment enlevé par la mort

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à la philosophie! Je ne lui eusse pas succédé qu'àmoins de beaucoup oublier, j'aurais encore eu à luirendre un funèbre et triste hommage; mais sonsuccesseur maintenant, grâce à une réunion desuffrages qui m'honorentet m'obligent, vous n'avezpu douter que je ne songeasse pas à payer une detteà tant de titres respectable et sacrée. La difficultéest grande, je ne l'ignore pas, et vous ne refuserezpas de me croire, si je vous atfirme qu'elie m'effraiede plus d'une façon; mais le devoir est impérieux,et, si je ne m'en dissimule pas l'étendue, j'en com-prends aussi la nécessité. Vous m'en tiendrez com-pte, Messieurs vous vous mettrez à ma place, vousm'aiderez de vos sympathies, et vos pieux souvenirsviendront compléter et étendre ce que les miens au-ront inévitablement de trop imparfait et de tropabrégé. Je n'espère ni tout dire, ni tout dignementdire de l'homme éminent dont j'ai à vous parlermais ce qui me manquera vous me le prêterez cequi m'échappera, vous le suppléerez, et vous medonnerez pour me soutenir, confiance en votre in-dulgence.

Je ne perdraijamais la pensée du jour où, devantquelques amis, et en face d'un auditoire sérieux etrecueilli comme celui qui m'écoute en ce moment,j'eus aussi à rendreà un autre nom à celui de moncher Jouffroy, un dernier et douloureux honneur.J'avais le cœur brisé j'avais vu le mourant, j'avaisvu le tombeau; j'étais plein de l'image de cet amisitôt perdu, et perdu pour tant d'intérêts si tendreset si sérieuxà la fois. Je l'avoue,je ne voudrais pas,avec la même émotion, avoir à satisfaire encore à la

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même obligation; je n'en aurais, je crois la forceni le courage.

On me le pardonnera donc, si j'avoue qu'enm'acquittant aujourd'hui d'une tâche bien tristeencore, j'ai cependant l'esprit plus calme et le cœurmoins troublé. La mémoire de M. Royer-Collardm'est vénérable et chère elle a tous mes respects,elle a ma filiale dévotion; mais j'y puis cependantpenser avec moins d'angoisses et d'amertume. Jepuis me dire, pour me consoler, que celui qui l'alaissée parmi nous est mort comblé d'années, toutprêt à l'éternité, son œuvre sur cette terre en grandepartie achevée, et que, quand Dieu l'a retiré à lui,il n'avait plus qu'à se recueillir pour subir, sereinet ferme, sa dernière et suprême épreuve. C'est tou-jours une perte à déplorer profondément,parce quejamais de telles âmes ne manquent en vain parmiles hommes; mais à côté de l'affliction il y a plusde motifs de résignation, et on accepte mieux unedouleur qu'on comprend et qu'on explique mieux.

Du reste, ce que je vais faire pour M. Royer-Col-lard ressemblera beaucoup à ce que j'ai fait pourM. Jouffroy. Ce ne sera pas une biographie, le mo-ment et le lieu en seraient mal choisis; ce ne serapas un éloge, il y faudraitplus de pompe. Si la chai-re philosophique pouvait se permettre quelque cho-se qui rappelât ce qui se fait dans la chaire chré-tienne, ce serait, en l'honneurd'un sage justementvénéré une sorte de panégyrique j'aime mieux di-

re plus simplement que ce seront quelques mots derogrets de reconnaissance et d'admiration reli-gieusement consacrés pour notre édification mutuel-

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le une des intelligences qui ont de notre temps leplus honoré la philosophie. Dans ce dessein je neme propose donc pas de vous raconter la vie soitpublique, soit privée, de M. Royer-Coilard d'autresse chargeront de ce soin; mais seulement de consi-dérer et d'apprécier en lui le philosophe et autantque la nature du sujet se prêtera à ce partage, del'envisager d'abord dans sa doctrine, ensuite dansson esprit, enfin dans son caractère, de manière a

montrer comment ces trois choses convinrent pourformer harmonieusement cette âme du sage et dujuste, dont l'exemple doit nous rester comme un desmeilleurs enseignements de la vie spéculative etpratique.

Quels furent en philosophie les commencementsde M. Royer-Collard ? Il serait difficile de le direcar ils ne se tirent remarquer, ni par les occasionsqui les provoquèrent, ni par les maîtres qui les diri-gèrent, ni par les essais qu'ils produisirent. lis pas-sèrent, on peut le dire, à peu près inaperçus; et siou voulait à toute force en retrouver la trace ce se-rait dans la solidité de sa première instruction etdans les fortes études de mathématiques et de droitauxquelles il se livra ensuite plutôt que clans destravaux proprement métaphysiques qu'il faudrait lachercher. M. Royer-Collard en effet ne philosophad'iihon) qu!indirect<>ment, et par suite de celte dis-position générale de la pensée à pénétrer la raisondes choses qui ne pouvait manquer à un esprit sé-rieux et grave comme le sien.

II eut le bonheur, à la suite de ses humanités ter-minées, et à un âge où l'entendement s'essaie et

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commenceà prendre ses habitudes viriles, de pas-ser plusieurs années dans une retraite studieusesous la discipline éclairée et affectueusetout ensem-ble d'un oncle homme de mérite, principal du col-lége de la Doctrine dans la ville de Saint-Omer. Làdans la liberté et la règle à la fois, sans obligationprécise ni destination déterminée, mais avec de bonsexemples pour l'engager et d'excellentsconseils pourle guider, il s'appliqua assidûment à exercer avecfruit son active intelligence.

11 eut un autre bonheur ce fut lorsque,avocat,il eut à paraître et à plaider devant cette sévèregrand'chambre,dont, comme il le disait, il apprit lerespect, et qui laissa dans son âme une impressionsi profonde de la dignité dans l'indépendance et dela gravité dans la liberté.

Ces deux circonstancesdurent certainementcon-tribuer pour beaucoup à développer et à affermiren lui l'esprit de règle et de libre examen, de sageréserve et de sévère discussion,qui est l'espritmêmede la philosophie.

Mais avec ce qu'il reçut d'autrui et perfectionnapar le travail, il dut avoir aussi ses dons, sa grâce,son mouvementpropre, cet amourvivifiantprincipedes grandes vocations, et qui le fut certainementdela sienne. Autrement on ne s'expliquerait pas com-ment, sans autre début, et à un âge où d'ordinaireon ne débute plus guère, il put venir ici se produireavec un enseignement qui dura deux ans à peine,et cependant laissa des traces ineffaçables.

Il ne lui fallait pas moins pour pouvoir suffire à

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la tâche glorieuse, mais périlleuse, dont il osait secharger.

Où en étaient en effet alors les affaires philoso-phiques ? Matériellement et par la date le 18e siècleétait fini; mais moralemeut et par son action il dit-rait encore plein de force. Or, au 18e siècle à quiappartenait l'empire? à Descartes sans doute, aumoins pour une part, pour l'esprit même de lascience, pour les maximes et la méthode. Car, sousce rapport, je ne crains pas de le dire, Locke etCondillac eux-mêmes relevaient de ce maître; maispour une autre part, et sans contredit la plusgrave, pour le fond même des doctrines, ils n'é-taient plus ses disciples ils étaient ses adversaireset, en France du [moins, ses adversaires heureux.Condillac surtout, grâce à cette simplicité d'idéeset de langage qu'on aimait en ses écrits, et qui sielle n'y était pas toujours le signe de la vérité, enétait au moins le faux air, avait gagné et gouvernaitla plupart des esprits; il réunissait pour partisans,et ceux qui, comme Cauanis, Volney et de Tracy,avaient plus de penchant pour le sensualisme de laphysiologie; et ceux qui, comme M. La Romiguiére,de si douce mémoire, iuclinaieat de préférencevers un spiritualisme tempéré d'un peu de sensua-lisme.

La réaction, il est vrai, avait déjà commencé;mais c'était par les lettres plutôt que parla philoso-phie elle-même. M. de Chateaubriand avait fait sagrande opposition mais il t'avait faite selon songénie, par une incomparable imagination plutôt

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que par le raisonnement Mmc de Staël aussi avaitou son élan, mais sa force était dans le sentimentplutôt que dans la doctrine, et ce qu'elle avait d'i-dées en elle tenait de l'inspiration plutôt que du sys-tème. lI. de Donald lui-même, quoiqu'il discutâtdavantage, donnait plusàla foi qu'à la libre pensée,la tradition qu'à la raison et ses théories ne furentguère que de subtiles et brillantes traductions, enun style élevé, de certains dogmes de la théologie.Aussi la vive impression que ces puissants écrivainsavaient, chacun à leur manière, déterminée et pro-duite, de grand éclat dans le monde pour lequel elleétait mieux faite, n'avait pas le môme effet dans lesacadémies et les écoles auxquelles elle convenaitmoins, parce qu'elle n'avait pas un caractère assezdécidément philosophique.

M. Royer-Collard, que je ne voudrais pas grandiroutre mesure, mais auquel je dois cependant assi-gner sa juste place fut, avec d'autres sans doute,mais il fut un des premiers, il fut le seul même, d'a-bord dans une chaire publique, c'est-à-dire sur levrai lieu de la lutte et du combat, à concourir à ceretour généreux des esprits 3 et il n'était pas alorsce que nous l'avons vu depuis, ce personnage consi-dérable, puissant de renom et de crédit, que la tri-bune nationale avait comme investi d'une autoritéuniverselle. Il était peu connu, et n'avait publique-ment aucun des titres qui préviennent et préparentle succès: de :-a personne il avait tout à faire, jus-qu'au premier de ses disciples, car il n'avait pasencore enseigné. Mais il avait foi dans sa cause, et Il

se mit résolument à l'œuvre.

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Qii'avnH-îl en face de lui? Un système le sensua-lisme. Qu'avait-il à y opposer? Un autre système, lespiritualisme. Mais voyons précisément cequ'il vou-lut, et entreprit par celui-ci contre celui-là. Il nes'agit pas ici d'exposer tout le détail de sa doctrine,

ce serait le sujet d'une suite de leçons plutôt quecelui d'une pieuse et triste commémoration maisje voudrais au moins en bien faire comprendre lebut et les points essentiels.

Faites de la substance une collection de modes

ou de qualités, et vous n'avez plus deux choses enune, la substance et la qualité, la substance quali-fiée; vous n'en avez qu'une, la qualité, ou plutôt

vous n'avez rien car il n'y a que néant dans laqualité sans la substance.

Faites également de la cause une collection dephénomènes, et vous n'avez plus de même ni lesphénomènes, ni la cause celle-ci parce qu'ellen'est plus dès qu'elle se réduit aux phénomènes;ceux-là, parce qu'ils ne peuvent plus être dès qu'iln'y a plus un principe qui les produise et les sou-tienne.

Essaiez aussi de faire du temps une simple suc-cession, et de l'espace à son tour une simple jux-taposition, et le temps et i'espace,perdant à l'in-stant même leur infinie continuité, c'est-à-dire lacondition même de la succession et de la juxtaposi-tion, d'une part, cessent d'être ce qu'ils sont dansla réalité, et, de l'autre, ne peuvent pas être cequ'on feint qu'ils sont.

Ainsi, dans cette hypothèse, rien ne subsiste etne reste de la substance et de la cause, du temps

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et de l'espace, par conséquent do tout coque direc-tement ou indirectement ils impliquent.

Orque fait le sensualisme quand il ramène toutenotion à la simple sensation? Il se condamne néces-sairement à ne reconnaître et a n'admettre que l'ob-jet propre do la sensation et cet objet c'est le sen-sible, et non l'intelligible; c'est la qualité et non!a substance; l'effet, et non la cause, la juxtapo-sition, et non l'espace; la succession, et non la du-rée. Aussi la plupart et les plus conséquents de ceuxqui ont embrassé cette opinion ont-ils pensé ou ditque la substance et la cause ne sont que des collec-tions le temps et l'espace que deux points de vue deces collections, et toute leur explication qu'ilsl'aient voulu ou non, s'est au fond terminée à unepure négation. Te! a été leur scepticisme.

Eh bien c'est ce scepticismecontenu dans le sen-sualisme que M. Royer-Collard s'attacha particuliè-rement à combattre.

Ainsi, ponssant à bout cette prétendue substancequi ne serait qu'un assemblage, sans lien ni fonde-ment, d'attributs ou de modes, il montra qu'ellen'était qu'une abstraction réalisée, qu'un mot prispour une chose, qu'une impossibilitéet une vanité;et. de même de la cause par un semblable raisonne-ment. Quant à l'espace transformé, pour complaire àla sensation, en une juxtaposition il le convainquitégalementd'abord de n'être plus lovéritabloespace,et ensuite d'être ce qui ne se conçoit que par l'espacelui-même; c'est-à-dire qu'il y fit voir, avec uneillusion, une contradiction. Illusion et contradic-

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bon, c'est aussi ce qu'il marqua dans la durée prisepour la succession et non pour la condition de lasuccession.

C'est, de la sorte que sur tous ces points il s'ef-força de ruiner le scepticisme, renfermé au sein dusensualisme.

Mais ruiner n'était que la moitié de l'œuvre à ac-complir il fallait aussi édifier. M. Royer-Collardl'essaya en commençant par établir que, si l'enten-dement débute, il ne finit pas par la sensation, etque, s'il saisit le sensible, c'est pour pénétrer au delà

et aller jusqu'à l'intelligible, qui s'y trouve enve-loppé. Ilenseignade plus que ce n'est pas au dehorsseulement, mais aussi au dedans, et même au de-dans avant tout, que nous passons ainsi de ce quedonne le pur sens à ce que nous suggère la raison etil expliquaen conséquencecomment nous concevonsla substance et la cause en nous et puis hors de nous,non pas certes sans les qualités et les phénomènesqui les distinguent, mais comme autre chose que lacollection de ces qualités et de ces phénomènes.

Il raisonna de même à l'égard du temps et del'espace. Il les avait trouvés entre les mains dusensualisme, avec le faux caractère de la limite et dela division; il les reprit pour leur rendre avec leurcontinuité leur véritable infinité, et il les restitua àDieu, auquel ils appartiennent, en les retirant aumonde, qui n'en est pas capable.

Appliquant ensuite cette doctrine à l'âme, aucorps et à Dieu il montra que les expliquer, commeon avait fait la substance et la cause, le temps et

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l'espace, c'était au fond les nier. Car d'abord pourl'âme, si elle n'était en effet qu'une collection demodes ou de phénomènes, elle ne serait plus cequ'elle est dans la vérité de sa nature, une unitéactive, une force en soi, une personne; elle ne se-rait qu'une vaine et impossible abstraction et pa-reillement le corps, s'il n'était aussi qu'un assem-blage sans fond de modes ou de propriétés.

De plus le corps et l'âme toujours dans la mêmehypothèse, seraient encore à un autre titre privésde l'existence, puisque pour exister il faut durer,qu'il faut être situé, et qu'il n'y a pour les créaturesni durée ni situation si le temps n'est que la suc-cession, et l'espaceque la juxtaposition.

Quant Dieu, à en juger toujours d'après la mêmethéorie, il ne resterait pas non plus ce qu'il est parson essence, c'est-à-dire une substance et une causeinfinie, éternelle et immense, puisque par la suppo-sition rien de tout cela ne serait, et il deviendrait

un je ne sais quoi de vainement abstrait, quin'aurait plus caractère pour être celui qui est, etvertu pour tout faire, à tout jamais et partout.

Mais si, selon une philosophie plus conformeà lavérité, on reconnaît mieux dans leur nature la sub-stance et la cause, le temps et l'espace, on com-prend mieux aussi l'existence et les perfections descréatures et du Créateur. L'âme est alors une chosesimple, qui n'est pas mais qui a une collection defacultés; le corps une chose composée qui n'estpas, mais qui a un assemblage de propriétés; et l'uneet l'autre les ont au sein du temps et de l'espace, quileur servent par là même à les produire et à les

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développer. Dieu de son côté est l'être qui, réunissantenhii l'iinm uabiiiléde la substance à la vie de la cause,y joint comme deux moyen s de les faire être et pa-raître, où et quand il lui plaît, l'immensité et l'é-ternité.

Voilà ce que M-. Royer-Gollard enseigna, au moinsimplicitement, sur Dieu, l'homme et le monde.

En tout, de vérités méconnues, confondues, oumal à propos contestées il lit des vérités mieux con-nues, mieux entendues, ou justement rétablies. Il

repoussa le scepticisme caché dans le sensualisme,par un spiritualisme sagement dogmatique.

Le spiritualisme-pour le dogmatisme,contre lesensualisme, à cause du scepticisme, tellefut, dansson dessein le plus général et le plus élevé, la philo-sophie de M. Royer-Collard.

Ce dessein avait de la grandeur; ce n'était pasmoins que la penséede rétablirdans ses droits, c'est-à-dire dans les vérités les plus importantes à posséder,la raison, qu'en dépouillait, en croyant les lui assu-rer, une doctrine qui se faisait à elle-même illusion.Mais avec de la grandeur c'était aussi une certainesévérité, et je ne sais quoi de fortement contenu etcirconscrit, qui devait imposer plus que plaire àdes esprits moins éprouvés que le sien. L'horizon

ne manquait pas, maisjl était délimité; et je com-prends comment des disciples plus inquiets, plusardents et plus impatients que le maître, aient désiré

pour ainsi dire plus d'air et de lumière, un cielmoins austère, et de plus vastes contrées. M. Jouf-froy a dit que, dans l'impuissance où il était alorsde saisir les rapports secrets qui lient les problèmes

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en apparence les plus abstraits et les plus morts de

la philosophie aux questions les plus vivantes et lesplus pratiques, il ne revenait pas de son étonne-ment qu'en se préoccupant d'un sujet qui n'étaitaprès tout qu'un point dans la science, on en lais-sât de côté tant d'autres si considérables, touchantDieu, l'homme et le monde les mystères du passé

et l'énigme de l'avenir. Il exprimait bien par ces pa-roles l'état d'anxiété de son âme, à un âge où laphilosophie, lui venant comme à d'autres le poésie,parmi tous les tourmentsd'une curiosité pleine à lafois de tristesse et d'espérance, l'agitait de désirs, etje dirai presque de soupirs, que ne pouvait satis-faire un enseignement si ferme et si arrêté en sesbornes précises.

M. Royer-Coliard, en effet sans renoncer à riende ce qu'il aurait pu par la suite faire entrer dansses leçons, n'aborda au moins directement aucunede ces vives questions qui déjà éveillaient, qui plustard devaiententraîner les intelligencesébranlées. Il

ne toucha guère à la morale, s'abstint à peu prèsde la théodicée et suivit peu la philosophiedans sesapplications à la politique, à la religion, à l'art et àl'histoire; il se borna à la métaphysique,et il neput pas faire autrement clans les trop courtes an-nées qu'il consacra à sa chaire. Cependant, à la bienjuger, son œuvre n'en restera pas moins un grandétablissement, qui seul ne suturait pas sans doutepour toute une doctrine, mais qui en est au moinsla base solide autant que profonde.

M. Royer-Collard, nous venons de le voir, atta-quait surtout le scepticisme. Dans cette guerre il

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avait ses adversaires; il devait avoir aussi ses auxi-liaires. Où les trouva-t-il? Avant tout dans celui qui,le premier entre les philosophes modernes, recher-chant régulièrement le principe de la certitude, lereconnut non dans les sens, auxquels il n'appartientpas, mais dans la pure pensée, dont il est le partage,quand elle est irrésistiblement déterminée par l'évi-dence. Il les trouva ensuite auprès de cette école desages qui, tout en accordant plus à l'expériencesen-sible, ne lui accordaient pas cependant ce qui n'étaitpas dans son droit, et revendiquaient pour la raison,sous la forme du sens commun, une autorité dontelle seule peut légitimementêtre investie. Dans Des-cartes, c'étaient le génie, la simplicitéjointe à la for-ce, la hardiesse unie à la prudence, une méthodeexcellente, exprimée en claires maximes, et justifiéepar de grands exemples, qui t'attiraient et lui inspi-raient une légitime confiance; clans les Ecossais,dans Reid particulièrement,c'étaient des quaiitésd'un moindre ordre sans doute, mais bien précieu-ses encore, une constante tempérance, une sagacitéjudicieuse, beaucoup de solidité dans la critique etde sûreté dans l'observation, en tout ce bon sens su-périeur et soutenu qui, s'il n'égale pas le génie lesuit au moins de près, soit pour le seconder, soitmême pour le redresser. M. Royer-Coliardput doncs'appuyersur Descartes et sur Reid en même temps,et, cartésien avec l'un, comme il convenait de l'êtrede nos jours, écossais avec l'autre, comme le de-mandait l'esprit de notre pays, il eut ainsi pourentrer dans la lutte qu'il allait soutenir, d'assez bel-les alliances,

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Mais il eut aussi ses forces propres et en premierlieu sa méthode. Or cette méthode, quelle était-elle? Une rare puissance d'analyse. M. de Biran,auquel on est naturellement amené à le comparerparce qu'ils philosophèrent ensemble, et avec unegrande estime l'un de l'autre, eut aussi son analyse,qu'il mania supérieurement;mais entre ses mainselle était plutôt métaphysique que logique; entrecelles de M. Royer-Collard elle était plutôt logique.Il excellait en effet à pousser avec rigueur de con-séquences en conséquences jusqu'aux derniers dé-veloppements d'un principe donné; M. Maine deBiran à remonter à ce principe lui-même, et à enreconnaître le fondement, avec autant de finesse

que de profondeur. L'un avait plus de dialectique etl'autre plus d'invention celui-ci d'une intelligenceplus en dedans, en quoiquesorte plus intime et plusrecueillie, avait plus de ce qu'on appelait le médi-tatif au 17e siècle celui-là, avec sa promptitude etsa précision nerveuse, sa vigueur dans la dispute,avait plus du controversiste. M. Maine de Biran au-rait eu des traits qui eussent rappelé Malebranches'il eût eu quelque chose de ses bëlles manières dedire; il en avait certainement, qu'on me permettele mol, cette pointe de spéculation qui, un peu àl'étroit, il est vrai, pénètre cependant parfois siavant et si loin.M.Roycr-Collard,de son côté, outred'autres liens de parenté qu'il pouvait avoir avecArnauld, en avait incontestablement, moins abon-dante sans doute, ou si l'on veut plus sobre, la forteet solide argumentation. On l'a rapproché de Pascal:

ce n'a pu être qu'à distance; mais, la distance gardée,

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il est certain que, quand comme lui il s'élève à l'élo-quence, c'est par la logique qu'il y parvient; c'est sahaute raison qui le fait orateur, et il la déploie dansses discours avec tant de vigueur et de mouvement,que sa démonstration presque aussi vive que lapassion finit non seulement par convaincre, maispar entraîner, si ce n'est par toucher les esprits. Enlui le logicien triomphe et paraît partout. On citede lui bien des mots pleins de verve et d'originalité;il en est bien peu qui ne soient comme un raisonne-ment mis en un trait d'esprit, et dans lesquels laconséquencene perceavec la justesse d'une manièreaussi précise que piquante et inattendue, tantl'exercice dialectique était dans ses habitudes lesplus familières et les plus promptes.

Peut-être même cette disposition donnait-ellequelquefois à son esprit quelque chose de trop né-gatifet le rendait-elle plus propre à la critique qu'àla doctrine. C'était l'abus de sa force, mais sa forcen'en était pas moins une singulière puissancede dis-cussion. Il était irrésistible dans la réfutation.

Sa méthode fit donc particulièrement valoir sonenseignement, et sa manière de philosopher sa phi-losophie elle-même.

Mais d'autres qualités remarquables la servirentégalement, soit à titre de secours, soit mèmecommeornement.

Ainsi, avant tout, M. Royer-Collardimposait parsa parole, et il imposait à tout le monde. Ou l'a puvoir en présence des plus diverses intelligences, desplus fécondes et des plus déliées des plus vigoureu-ses et des plus fermes; il paraissait toujours le mai-

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lie, on pourrait même dire ie magistrat, tant, grâceà l'élévation et à la gravité de ses pensées à la con-stance de ses sentiments,à à la précisionet à la décisiondes opinions qu'il professait, grâce aussi à un certaintour particulier d'expressions dont il possédait le

secret, il avait ce qui commande à la fois eljusliliel'assentiment. Dans le commerce ordinaire on discu-tait peu avec lui, et même on causait peu: il discu-tait et causait pour vous; mais on le laissait volontiersfaire, parce qu'il le faisait excellemment, et qu'il yapportait, avec une légitime et incontestable supé-riorité, une simplicité et un bon goût, une mesureet une convenance, qui lui assuraientaisément sinontoujours l'adhésion au moins la déférence. Il ré-gnait, et n'usurpait pas. L'autorité, en d'autres ter-mes, ou cette confiance dans la grandeur, cette di-gnité dans la force, cet assemblage heureux de puis-sance et de bon droit, qui n'appartiennent bienqu'aux natures d'élite, tel était certainement un destraits remarquables de l'esprit de M. Royer-Collard.

C'était un penseur d'une exquise distinction. Ceuxqui sans le connaître, et sur la foi de jugementsqu'on ne s'expliquerait pas, lui auraient prêté dansleur imagination quelque chose du pédant d'école,se seraientcertes mépris d'une étrange façon. C'étaitau contraire l'honnête homme dans la plus préciseacception de l'ancien sens du mot, avec je ne saisquoi de bien né dans le discours, comme dans lesmanières qui en faisait de notre temps un des raresreprésentants de la grave politesse d'un autre âge.Il y joignait heureusement'- une culture littérairequi sans être aussi riche, aussi variée peut-être que

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celle qui fait votre admiration dans quelques unsde vos maîtres que je n'ai pas besoin de nommerici était cependant suffisante pour nourrir et ornerce grand et bel esprit et telle qu'il l'avait, il la pos-sédait comme il possédait tout, avec une rare puis-sance. On rapporte qu'un jour, dans une séance duconseil d'état, comme quelqu'un, le voyant distraitet peu occupé des matières qui s'y traitaient, luidemandait à quoi il pensait Je me récite Phèdre»répondit-il. C'était ainsi que souvent il revenait parla mémoire à Racine ou à Bossuet, à Corneille ou àPascal, et cherchait dans ses vivants et brillantssouvenirs un délassement à la fatigue des vulgairesaffaires. C'étaitsansdoute aussi en témoignage de sonrespect pour ces lettres de choix, qui seules avaientson cuite, qu'il disait à une autre personne « Je nelis plus, jo relis.» Il relisait, c'est-à-dire qu'il repre-nait avecamour ses livres d'autrefois pour en récréerreligieusement sa forte et généreuse vieillessecomme il en avait d'abord nourri sa laborieuse jeu-nesse et naturellement il donnait peu de son loisir etde ses soins à ces nouveautés, même brillantes, maisquelque peu hasardeuses,que lesiècle tentaiten vainde faire pénétrer et prendre place dans sa sévère re-traite. Il ne se plaisait bien qu'à l'antiquité, soitcelledes anciens, si l'on peut ainsi parler, soit aumoins relativement celle que l'on peut appeler lanôtre, et telle que nous l'ont faite les meilleurs denos auteurs.

Il avait l'esprit libre, ou, si l'on veut, libéral enmatière de pensée comme en matière de politiqueet aux mêmes conditions, c'est-à-direavec de grands

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égards pour l'ordre et la mesure. Ainsi il n'aimaitpas qu'on fît du côté de la philosophie des fautes

contre la religion pas plus qu'il n'approuvaitqu'onen commît de l'autre côté contre la philosophie elle-même religion et philosophie, il ne voulait pasqu'on opposât ou que l'on sacrifiât l'une de ces deuxchoses à l'autre; il eût plutôt désiré qu'on les con-ciliât en les distinguant, et dans sa haute impartia-lité ilaurait volontiersditauxuns N'y touchez pas;aux autres N'empêchezpas; et à tous Accordez-vous. C'est dans ces justes termes qu'il tâchait de setenir. Aussi, quand, dans ces derniers temps, il vitles déchaînements dont, sans provocation commesans motif, l'université, à cause de la philosophie,était soudain devenue l'objet, tout dégagé qu'il fûtdéjà des intérêts de ce monde, et tout occupé qu'ilparûi de pensées religieuses, il se rangea sans hési-ter de notre parti contre l'autre, et nous soutintconstamment de sa ferme approbation. C'était unsage chrétien qui sur le seuil de la tombe se re-tournaitcomme pour nous donner dans son dernieradieu un juste et honorable assentiment. Les sagesétaient donc pour nous.

En d'autres jours aussi M. Royer-Collard fut avecnous. C'était dans des temps plus durs, et alors quele malheureux esprit dont nous avons) pu craindrele retour triomphait à l'excès et ne mesurant passes coups, fermaitde grandes chaires, frappait unegrande école et nous atteignait au début comme audegré le plus élevé de notre laborieuse carrière.n'l. ~~O~er-COiiui'ii, qüi lloLL5 t'aVMlt OIIVCrt(', 11o11S yM. Royer-Collard, qui nous l'avait ouverte, nous ydéfendit tant qu'il le pul; puis, quand il dut renon-

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cer aux fonctions qui le lui permettaient, il fut pournous d'un autre secours: il nous prêta l'appui deson conseil et de son exemple et, par cette doublediscipline, nous apprit comment nous avions à con-cilier honorablement la modération avec l'indépen-dance, la constance avec la liberté une ferme ré-signation avec la iidélitéà nos convictions.Sa sagesse,qui nous avait guidé dans les voies de la pensée, nenous abandonna pas dans celles de la vie pratiqueet, à l'un comme à l'autre titre, il y eut toujours enlui beaucoup du père pour nous.

Par tous les mérites de son intelligence, il s'adres-sait à l'élite plus qu'à la foule des esprits; il fut lemaître puissant de quelques disciples de choix, maisil se communiqua peu au grand nombre, et n'attirajamais autour de sa chaire ce concours empresséqui se réunissait dans le même temps autour de cellede M. La Romiguière, et qui accourut plus tardplus fréquent et plus animé encore aux leçons deM. Cousin. C'était peut-être un peu parce que sadoctrine, nouvelle venue, était loin d'avoir encorela faveur méritée dont par la suite elle jouit, maisc'était aussi et surtout parce que sa savante parole,écrite d'ailleurs et non improvisée, n'avait rien decet agrément plein d'abandon et de bonhomie quiservait à M. La Romiguièreà charmer ses auditeurs,ou de cette vive ardeur qui donnait à M. Cousin tantd'action sur les siens; ce qui la distinguait c'étaientla solidité, la sobriété, la profondeur, une exquisepureté, une constante et forte sévérité.

M. Cousin, que je viens de nommer, et auquel,quelques égards que je doive m'imposer en parlant

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de lui, je ne puis cependant pas refuser ce que lesplus sévères lui accordent, eut mieux de ce qui con-vient à l'élite et à la foule tout ensemble. Le pinsheureux accord d'une érudition profonde et rare etd'une singulière fécondité de vues, l'exactitude de lacritique unie à la puissance de la doctrine, un lan-gage des meilleurs, même pour les plus difficiles, enun mot ce qui se juge, et s'estime surtout: voilà cequi lui assura la partie la plus grave du public quil'écoutait le mouvement, la chaleur, l'imagination,et même la passion au service d'un constant be-soin de répandreau dehorset de propager ses pensées,l'éloquencepour tout dire dans ce qu'ellea à la fois deplus naturel et de plus habile, voilà ce qui lui gagnaéclat la jeunesse. C'est ainsi qu'en succédant àson illustre maître il put le continuer sans lui res-sembler, et régner après lui sans régner comme luià peu près comme il en fut dans toutes les gran-des écoles, comme il en fut, par exemple, entre Pla.ton et Socrate. J'aime peu ces rapprochements dontla postérité seule est bien juge, et qu'il faut lui lais-ser pour plus de justice et de vérité; mais cependant,toutes réserves faites et toute mesuregardée, y au-rait-il quelque chose de trop invraisemblable à direque celui qui dans notre temps eut des traits de Pla-ton rappela sans répéter celui qui de son côté eneut certainement de Socrate. Je ne sais; mais cequ'il y a de certain, c'est qu'avec leurs ressemblan-ces ils eurent leurs différences, et que leurs rôles,quoique liés, furent cependant distincts. Dans l'or-dre des idées, comme dans celui des sociétés, enphilosophiecomme en politique, il y a des hommes

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qui semblent mieux laits pour la résistance et l'indé-pendance, d'autres pour l'élan et la conquête.M. Royer-Collard,par sa nature, était plutôt des pre-miers, et M. Cousin des seconds. Celui-ci avait dansla pensée plus de souplesseet de flexibilité, d'attraittet d'ambition, de don et de puissance pour s'assimi-ler les âmes; celui-là plus de rigidité, de retenue,de fermeté, et, s'il restait toujours lui-même, il fai-sait assez difficilement les autres à son image; il luimanquait peut-être un peu de la vertu active et del'efficace du prosélytisme. Et dans cette différenceréelle entre le maître et le disciple il y avait sansdoute beaucoup du génie propre à chacun mais il yavait aussi de l'âge, du moment de la vie, où ils ar-rivèrent tous deux à l'enseignement public l'un eneffet n'y toucha que dans sa maturité, l'autre aucontraire y fut élevé dans ta force de sa jeunesse. Or,a cinquante ans, on peut encore fortement combat-tre pour sa patrie; et ici la patrie de l'un comme del'autre, c'était ce spiritualisme libéral et éclairé, au-quel ils se dévouèrent également- mais on songemoins à s'étendre et à pousser au loin sa domination.A vingt-cinq, on ose plus; en espérance du moins,on embrasse le monde. Tels furent entre eux cesesprits, excellents tous les deux, celui-ci pour déve-lopper, celui-là pour commencer ce grand mouve-vement d'idées, auquel leur nom restera attaché.

J'ai essayé de vous rappeler quelques uns destraits qui distinguèrent la liante intelligence deM. Royer-Collard; je ne voudrais pas oublier devous marquer ceux qui honorèrent le plus son nohleet ferme caractère. Après avoir été juste envers le

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penseur, il faut l'être aussi envers le sage, surtoutquand on considère que de l'un à l'autre tout setient, et que, par une heureuse harmonie dans cetteâme élevée, la volonté fut digne de l'entendement,comme l'entendement de la volonté.

M. Royer-Collard pensait beaucoup à lui; mais ilfaut bien l'entendre. S'il pensait beaucoup à lui, c'é-tait afin de mieux veiller sur lui, afin de mieux s'as-surer son estime à lui-même, afin de mieux environ-ner sa vie de décence et d'honneur. Il n'était si at-tentif que pour être plus irréprochable. On a dit delui, par un de ces mots qui rappellent les siens, etqui ont besoin toutefois d'êlre bien interprétés, quepour lui Vautre n'existait pas. L'autre en effet, c'est-à-dire l'homme des petites passions, des petits inté-rêts, des bassesses et des hontes, n'était pas à sesyeux; il n'en tenait pas compte, il ne lui permettaitpas son commerce. Mais l'homme meilleur et plusdigne, l'homme honnête et loyal, dont la conduite etles maximes convenaient avec les siennes, il le re-cherchait, il le cultivait, il l'acceptait volontiers ensa grave société. C'était donc là, si l'on veut,dans son âme sérieuse, une considération de lui-même, quelque peu exclusive, mais exclusive dequoi? de tout ce qui n'était pas honorable,c'était dela dignité un peu lière peut-être, mais juste et bienfondée. Aussi était-elle généralement reconnue etsentie; et quand il disait qu'il n'y avait plus enFrance telle chose que le respect, il eût pu se rappe-ler qu'ii y en avait au moins pour lui car des hom-mes (le notre temps nul ne fut plus respecté. Cerespect, dont il se plaignait de voir la tradition dis-

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paraître de nos mœurs et qu'il se félicitait d'avoirappris des hommes d'un autre temps, il en était na-turellement, par sa personneet par sa vie, le légitimeobjet.

Dans nos jours de faciles et promptes complai-sances, de compositionsempressées, d'accommode-ments peu retenus il resta intègre et ferme devantles divers pouvoirs; et son adhésion à leur égard nefut jamais qu'au prix de sa franche approbation.Dans ses rapports avec eux, il recevait beaucoupd'avances et faisait peu de frais; il demandait rare-ment, et seulement quand il avait pour autrui quel-que droit à faire valoir mais alors aussi il exigeait,et, on peut le dire, il obtenait, tant son interven-tion prêtait à la justice d'appui et d'autorité.

Dans nos jourspareillement, d'une charitésincère,mais plus occupée peut-être des biens matérielsque des intérêts d'un autre ordre et des besoins mo-raux des âmes alors que, parmi les secours quel'on prodigueaux faibles, on néglige un peu trop au-près de l'aumône ordinaire celle que je demande lapermission de nommer spirituelle l'aumône d'unbon conseil, d'une salutaire réprimande, d'une pa-role de consolation, de sollicitude et d'amour; onconçoit commentM. Royer Col lard, dans sa dévotionà ce spiritualisme qu'il aimait pour la pratique nonmoins que pour la théorie, ne goûtait pas toujourset n'acceptait pas sans réserve les principes et lesmaximes de cette facile philanthropie. Je ne sais si jene vais pas abuser de la particularité et rapporterdes paroles qui devraient peut-être êtrp gardées pourles souvenirs familiers; mais j'y trouve l'expression

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d'une idée juste et saine, et je crains moins de les

citer quand elles se peuvent ainsi justifier. Un jourdonc que, dans une conversation à peu près publi-

que sur ce sujet on avait soutenu une opinion con-traire à la sienne, il finit par dire « Oui je com-prends, vous préférez pour le peuple un bon bouil-lon (on s'était servi de ce terme) à un bon senti-

ment moi je préfère un bon sentiment ». Et il se-mait sa réponse d'une foule de mots piquants dansleur fine et grave familiarité, qui ne ménageaientguère ses contradicteurs et cependant ne les bles-saient pas les charmaient même plutôt, tant la vé-rité et l'urbanité s'y mêlaientà la liberté. C'est qu'eneffet M. Royer-Collard plaidait alors pour une despensées les plus chères à son cœur, pour cette foi auxchoses morales, au service de laquelle il était tou-jours prêt à mettre soit sa haute raison soit sa vive

et brillante raillerie.Il avait le culte du droit il en était le défenseur

public, le docteur à la tribune; et, dans le particu-lier, il ne l'abandonnait pas. Comme dans une cer-taine circonstance il l'entendait sacrifier sans rete-

nue au fait, voulant le relever par un trait inatten-du qui terminât le débat, il dit ce mot qui étonnad'abord ceux auxquels il était adressé « Pour moije ne sache rien déplus méprisable que le fait. » Lefait, dans son opposition au droit, ou l'abus de laforce, le privilège, l'injustice, voilà en effet ce quine pouvait trouver place dans son estime, et ce qu'iltraitait constamment avec le plus de dédain et de sé-vérité.

Vous parlerai-je maintenant de ses vertus privées,

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de son choix et de sa fidélité dans sa bienveillanceet dans son amitié, de sa tendresse paternelle, auxjours de sa vieillesse si cruellement éprouvée; decette religion de la famille qu'il portait dans sonâme et qu'il répandait autour de lui Mais il n'au-rait pas souffert qu'on le louât de ces mérites, et,pour écarter de lui tout éloge semblable, il eût bienpu répéter une de ses célèbres paroles, et dire que,si la vie privée doit surtout être murée, c'est pourque le bien plutôt que le mal y demeure caché, et ysoit un objet de recueillement et de conscience, etnon d'ostentation.

Je ne vous ai pas raconté sa vie. Je ne vous ra-conterai pas sa mort, dont d'ailleurs il n'y aurait rienautre chose à vous faire connaître, sinon qu'elle futpour lui sérieusement prévue, gravement méditée,pieusement acceptée de sa vie à sa mort, ce ne futqu'une conséquence.

Mais je ne voudrais pas vous quitter et acheverde vous parler de l'homme illustre que nous pleu-rons, sans vous exprimer une réflexiondans laquelleau reste votre pensée a peut-être déjà prévenu lamienne J'ai tâché de vous montrerdans la person-ne de M. Royer-Collard avec une saine doctrine ungrand esprit et un noble caractère. Or il y a là sansdoute de quoi beaucoup regretter, mais il y a plusencore de quoi beaucoup imiter. L'exemple est cequi y domine. Que l'exemple en sorte donc pournous éclatant cl durable; qu'il en sorte sacré, pournous apprendre à bien penser et à bien vouloir;qu'il nous fusse, s'il se peut des hommes de la fa-mille de ce sage, des âmes selon cette âme, des

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cœurs selon ce cœur. Suivons d'un long regard, decette vie à l'autre, cette ombre vénérée, que lemystère de la mort doit nous rendre plus sainte en-core. Qu'avec nos vœtix funèbres nos bonnes ré-solutions l'accompagnent que nos adieux soient desengagements à marcher sur ses traces. Faisons-luicomme une religion de notre respect et de notreamour. Grand nom que nous saluons avec une tris-tesse pieuse, reste-nousdans la mémoire pour nousexciter constammentà ressembler, autant qu'il seraen nous à celui qui te porta avec tant de dignité etd'honneur; de la tombe que tu décores, des œuvresoù tu es inscrit, des actes ojutujprilles sois-nouscomme une lumière et une règle ,<Je vie. Nous nesaurions avec un tei signe, eieny demeurant con-stamment fidèles, manquer à aucune forte étudeni à aucun saint devoir s i' w->/ .>/