Développement cognitif et acquisition du langage (L1)

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  • 7/30/2019 Dveloppement cognitif et acquisition du langage (L1)

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    Quelques notions historiques et thoriques connatre

    1. Dveloppement cognitif et acquisition du langage (L1)

    Skinner et le behaviourisme

    Trs sommairement, il s'agit de la thorie du conditionnement sur laquelle nous reviendrons pluslonguement car elle a plus ou moins inspir un grand courant audio-oral dans l'enseignement des langues 2.

    Selon Skinner (1957), l'enfant acquiert le langage par imitation de l'adulte, en se servant des stimuli et desrenforcements proposs par l'adulte. Il produit alors des noncs adquats dans un certain contexte

    situationnel. Ses rponses sont alors renforces ou non par l'adulte. Le langage est dfini comme un

    comportement et l'enfant l'acquiert en "pratiquant" sa langue un maximum.L'acquisition est vue la base comme un processus externe, mcanique, de formations

    d'automatismes et d'habitudes verbales fonds sur l'imitation et la rptition : c'est ainsi que sont acquisles mcanismes fondamentaux de la langue. L'enfant acquiert par ce que le behaviourisme nomme la

    gnralisation : lorsqu'une rponse est renforce, le renforcement est aussi valable pour des rponsesvoisines occasionnes par des stimuli voisins. Tout dpend totalement des stimuli de l'environnement. Nous

    reparlerons de cette thorie lors de l'tude des mthodes d'enseignement des langues.

    Chomsky et l'innisme

    Chomsky s'est violemment oppos cette thorie (qui concernait la L1, rappelons-le) en s'appuyant sur

    le principe de crativit : l'enfant n'imite pas l'adulte, il produit des squences qu'il n'a jamais entendues

    auparavant. Le systme serait gnratif, c'est--dire permettant de crer et de comprendre un ensemble infini

    de phrases l'aide d'un nombre fini de rgles. Imitation et environnement ne seraient plus primordiaux. C'est

    l'activit cognitive de l'enfant qui est essentielle. L'environnement ne servirait plus que de dclencheur en

    quelque sorte, nourrissant l'apprentissage mais ne conditionnant pas sa nature.

    Chomsky (1959, 1965, 1975) parle du "language acquisition device" : tout enfant normal, expos de l'input souvent incomprhensible pour lui, souvent mal form, souvent mal entendu, arrive matriser la

    grammaire de sa langue en un temps trs court. Chomsky affirme que cette aptitude est interne, inne, et

    spcifique du langage (alors que d'autres thoriciens voient le langage comme du cognitif spcialis). Elle se

    diffrencie des autres aptitudes que l'enfant a.

    Chomsky se heurtait donc au behaviourisme, qui dominait aux Etats-Unis l'poque. Pour les

    partisans de l'innit du langage, la grammaire ne doit pas tre apprise par l'enfant, elle doit simplement treretrouve progressivement. Certaines proprits structurelles de la grammaire seraient innes et l'input

    servirait activer ces lments qui seraient en quelque sorte "en attente".

    Il est vrai que tout enfant venant au monde est capable d'acqurir n'importe quelle langue. Chomsky

    en conclut que toutes les langues doivent avoir les mmes structures innes : c'est ce qu'il appelle la

    "grammaire universelle" (Universal Grammar). Chaque langue ne diffrerait que par la totalit de son

    vocabulaire, sa morphologie, sa syntaxe, et la plus grande partie de sa phonologie. Ce qu'il y aurait decommun serait un certain nombre de principes gnraux.

    Il y a l des prsupposs psychologiques sur les processus d'acquisition et un modle d'acquisition est

    invoqu qui utiliserait des donnes linguistiques pour dcouvrir la grammaire de la langue dont relvent ces

    donnes.

    En ce qui concerne l'acquisition, l'ide est que le L.A.D (language acquisition device) est inn, il est

    mis en oeuvre lors de l'acquisition, mais ce dispositif n'est fonctionnel qu'en liaison avec une exposition

    minimale un matriau linguistique. (On voit que ceci s'oppose ce que nous disions auparavant sur la

    construction progressive des concepts par l'enfant en mme temps qu'il structure la perception de son

    environnement physique et affectif).

    En fait, une des cls de la thorie chomskyenne est la notion de grammaticalit, ainsi que celle de

    crativit : la grammaire est un ensemble d'algorithmes susceptibles de produire toutes et rien que lesphrases grammaticales d'une langue.

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    La comptence est un savoir implicite, n'apparaissant pas ncessairement au plan comportemental. La

    performance est la mise en oeuvre de cette comptence dans des situations concrtes.

    Lors de l'acquisition d'une langue 2, le L.A.D. serait d'aprs les Chomskyiens, ractiv, de faon

    naturelle, sans qu'aucun enseignement n'ait alors une importance notoire.

    L'objet d'tude du linguiste est en principe, pour Chomsky et ses disciples, le "locuteur-auditeur

    idal", non affect par les variables de performance, non affect par tout ce qui est d'ordre sociologique en

    particulier. On voit bien qu'on ne peut intgrer ici une analyse de productions d'apprenants, car comment

    distinguerait-on alors comptence de performance dans un systme en voie d'acquisition ? Une telle

    simplification des rapports entre comptence et performance ne pouvait gure dboucher sur un tude

    srieuse des comportements linguistiques rels dans un environnement social donn.

    Ce qui pose problme surtout c'est le formalisme li la notion de comptence. Peut-on parler d 'unecomptence linguistique unique, sans parler des niveaux de langue par exemple ? Chacun a des comptences

    varies, lies la situation. Chomsky ne prend pas en compte les aspects fonctionnels du langage.

    Pour Chomsky, le savoir concernant le langage ne porte pas sur les caractristiques physiques d'une

    langue, mais sur ses potentialits cratives. Les connaissances implicites de tout locuteur sont des "rgles degrammaire" d'une trs grande puissance, permettant d'engendrer un nombre infini de phrases. Ce

    connaissances - implicites - sont d'ailleurs largement suprieures celles - explicites - du linguiste,

    incapable l'heure actuelle de proposer un modle gnrant efficacement un nombre infini de phrases. Les

    jugements de grammaticalit sont ainsi du ressort de chaque locuteur, ou du linguiste en tant que locuteur de

    la langue. C'est de cette connaissance implicite, de cette facult d' intuition en langue maternelle que lelinguiste doit rendre compte. Nous reviendrons sur ces termes de "grammaire implicite" et de "grammaire

    explicite".

    Il est vrai qu'il y a un grand nombre de conduites humaines identiques, gnrales (construire une

    maison, ne pas laisser les morts en plein air). Mais il n'y a pas de raison de supposer pour autant une source

    inne ces comportements. Un trait comportemental commun l'espce humaine n'est pas pour autant inn,

    et s'agissant de langage, il est impossible d'en dcider, dans l'ignorance o nous sommes de l'histoire de sesorigines. On peut aussi se demander comment les enfants acquerraient-ils le langage des signes, ou encore

    pourquoi les adultes auraient tant de mal apprendre une L2 ou une L3 si la grammaire universelle tait une

    ralit ? L'hypothse la plus plausible, on le verra est que la capacit avoir une activit langagire chez un

    tre humain est un comportement cognitif spcialis : elle se sert de capacits perceptives et motrices plus

    gnrales, dans un processus de construction intelligente, au sein d'un environnement affectif et social

    donn. On ne fait pas que retrouver des structures prformes enfouies. L'tre humain nat avec des

    dispositions et des dispositifs susceptibles de comprendre et produire une langue naturelle et

    l'environnement joue aussi un grand rle : le dveloppement du langage, sa gense, dpendent de principes

    internes, gntiques, mais aussi externes, autrement dit la fois inns et acquis.

    Slobin et les stratgies de traitement

    Pour Slobin, s'il y existe des universaux, ce sont plutt des universaux de traitement que des

    universaux de structure : tous les enfants simplifient les groupes de consonnes, acquirent les occlusives

    avant les continues, les mots lexicaux avant les mots grammaticaux, comprennent que dans la chane sonore

    il faut dcouper les morphmes, qu'il y a un nombre limit de structures, etc. (Tout ceci sera sans doute aussi

    mis en application pour l'acquisition de la L2.)

    En mme temps qu'on acquiert la L1, on apprend non seulement des formes, des combinaisons et des

    signifis, mais on dveloppe aussi la matrise des conditions qui font que cette langue fonctionne, c'est--dire le langage. Ce qui est dans le langage est la reprise de caractristiques dj connues par l'exprience

    empirique. D'autre part il y a communication bien avant qu'il y ait langage comme nous l'avons vu

    prcdemment. Le langage est le rsultat d'une construction par un sujet actif dans son milieu, et non le

    dvoilement pur et simple de structures prformes.

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    Parmi les stratgies de traitement on peut citer par exemple le fait que la comprhension qu'a un

    enfant va d'abord vers ce qui est conforme la reprsentation qu'il se fait de l'univers (cf. l'exemple des

    phrases passives cit prcdemment). On peut galement citer comme stratgie les dcodages fonds sur

    l'ordre relatif des units (agent en premier par exemple) qui s'installent assez rapidement (mais les

    rgularits observes ne correspondent pas ncessairement celles de l'adulte). On peut aussi remarquer que

    la prise en considration des marques, des formes linguistiques s'effectue dans un troisime temps et doit

    amener un rajustement des stratgies d'ordre.

    Slobin a analys les donnes relatives l'acquisition d'une quarantaine de langues, appartenant 14

    groupes diffrents, et il a dgag un certain nombre de rgularits trs frquentes dans le processus

    d'acquisition. L'enfant appliquerait des principes heuristiques (de dcouverte) gnraux , comme par

    exemple :

    - faire attention la fin des mots- faire attention l'ordre des mots et des morphmes.

    Par ailleurs, l'enfant aura tendance associer de manire systmatique et univoque les marquesgrammaticales des valeurs smantiques : les distinctions grammaticales sont acquises plus tt si elles se

    fondent sur des diffrences smantiques plutt que sur l'arbitraire des critres formels (tels que le nombredes syllabes, la forme phonologique ou le genre).

    Slobin a, par exemple, montr que l'enfant anglophone arrive distinguer et matriser les deux formes

    du prsent (simple vs be + -ing) sans surgnralisation, c'est--dire en dlimitant bien le domaine

    d'application de chacune des formes : on n'observe pas chez l'enfant de squences comme He is liking. Or la

    distinction entre ces deux formes se fonde sur une diffrence de nature smantique : les verbes qui

    expriment clairement un tat dans un nonc donn ne se mettent pas la forme en be + -ing.

    Slobin a galement montr que les morphmes grammaticaux fonctions multiples offrent une plus

    grande rsistance l'acquisition que les morphmes non ambigus. On peut en outre distinguer d'autres

    stratgies trs gnrales : l'enfant aura tendance viter les exceptions ( il a prendu, il a pleuvu; des chevals,

    foots, goed, etc.) et viter les interruptions et les bouleversements d'units.

    Toutes ces recherches sont sans nul doute trs pertinentes pour le chercheur qui travaille sur

    l'acquisition d'une langue 2.

    Dans le domaine de l'apprentissage en milieu institutionnel, on retrouvera certaines de ces stratgies

    luvre, mais il faudra faire la part de ce qui vient de l'enseignement, et de ce que celui-ci induit comme

    comportements et comme stratgies de traitement.

    Piaget et le constructivisme

    Pour Piaget, le langage n'est que du cognitif spcialis. C'est un objet de connaissance comme lesautres, qui rsulte d'une construction, et les mmes concepts peuvent y tre appliqus. Les structures

    gnrales de l'intelligence, des processus cognitifs, participent cette construction. Il y a interaction entre lesujet et son objet. Reste que les activits de langage ont quand mme une spcificit, et les acquisitions

    langagires aussi en consquence. On verra que bien des recherches en L2 s'appuient sur cette thorie.

    Le langage est en relation troite avec les activits opratoires. Pour tre assimil, le langage (en tantqu'il se manifeste travers la langue maternelle) suppose la prsence antrieure de structures logiques. Le

    langage est un objet sur lequel l'enfant peut appliquer des mcanismes de traitement cognitif gnraux.

    L'acquisition du langage utilise donc les structures opratoires gnrales de l'intelligence, et le langage

    n'est qu'une des manifestations de la fonction smiotique, de l'laboration d'instruments de reprsentationmais, en tant qu'outil de reprsentation, le langage ne diffre pas fondamentalement des autres objets du

    monde physique et social.

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    La thorie de Piaget est cognitive, en ce sens qu'elle vise laborer une thorie de la connaissance :

    l'organisme possde des structures adaptatives, constitues de systmes actifs de rponse et derorganisation. L'activit mentale de l'enfant est grande dans son entreprise de dcouverte du monde, de

    structuration de ce qu'il peroit..

    Une telle activit tend la fois :

    - se conserver, intgrer tout nouvel objet ou toute nouvelle situation, par un mcanisme

    d'assimilation aux schmes disponibles- s'adapter aux ventuels changements du milieu, par un mcanisme d' accommodation, qui permet

    de modifier les schmes disponibles pour amliorer la matrise d'un nouvel objet ou d'une nouvelle situation.

    On verra par exemple en quoi ces deux notions vont tre essentielles pour comprendre comment on

    peroit une langue 2, comment on ne peut l'intgrer que par rapport ce qu'on connat dj (ie. le systme

    pralable de la langue 1), comment on peroit l'input, on comprend les mcanismes, les rgles, on

    gnralise, on compare, on adapte, etc., de faon inconsciente le plus souvent.

    D'o les deux notions centrales, dveloppes par Piaget, l'interactionnisme et le constructivisme,

    notions appartenant au domaine de la psychologie :

    - l'interactionnisme (au sens o Piaget l'entend, et non au sens d'interaction entre individus) peut tre

    observ dans le fait que l'organisme vise maintenir un tat d'quilibre. Si celui-ci est rompu par desperturbations extrieures, l'organisme cherche alors le retrouver par un processus d'auto-rgulation. Il y adonc une interaction permanente entre le sujet et son milieu. ("Interaction" n'est donc pas prendre ici dans

    l'acception qui sera vue plus loin dans le domaine de la communication entre individus.)

    - le constructivisme est la conception thorique selon laquelle ce qui est primordial, c'est l'activit del'organisme, ou plus exactement l'action qu'il exerce sur le milieu, et les rsistances que celui-ci lui oppose.

    L'laboration des structures de connaissance est progressive., selon une succession d'quilibres et deperturbations, donc de paliers ou de stades ; les acquis d'un stade ne sont pas perdus lorsqu'un

    dsquilibre transitoire survient, mais ils sont intgrs dans ceux du stade ultrieur aprs rquilibration.

    Le langage se dveloppe donc travers des systmes successifs, dont chacun possde ses propresrgles de fonctionnement, sa propre cohrence. Chacun de ces stades possde une cohrence suffisante pour

    fonctionner son propre niveau, pour tre fonctionnel, et chaque stade constitue un systme d'oprations partir duquel se construit le stade ultrieur.(La notion d'"interlangue" sur laquelle nous reviendrons plus loin

    doit beaucoup cette conception.)

    Par ailleurs la psychologie piagtienne a pu montrer qu'il existe une liaison troite entredveloppement cognitif et dveloppement linguistique : c'est assez tard dans le dveloppement de

    l'enfant, que des marqueurs complexes permettent par exemple d'exprimer un ordre temporel diffrent de

    l'ordre syntaxique comme dans l'exemple : avant de manger, je me lave les mains. Auparavant, l'enfant ne

    pouvait que mentionner les vnements dans leur ordre d'apparition chronologique en disant : je me lave les

    mains et puis je mange. L'intrt de telles acquisitions syntaxiques est la possibilit d'avoir plus de libert

    pour exprimer les faits dans l'ordre dsir, de faire correspondre des marqueurs linguistiques de plus en plus

    prcis des oprations mentales rendant compte de relations complexes entre les rfrents. L'nonciateur

    devient ainsi plus libre de choisir l'ordre dans lequel il prsente les choses, de faire agir le filtre de sapersonnalit par tous les moyens possibles de thmatisation et de topicalisation.

    La difficult d'acquisition de la forme passive, par exemple, est lie la possibilit d'exprimer une

    relation o le sujet grammatical est diffrent du sujet de l'action, surtout lorsque les deux sujets sont

    rversibles comme dans l'exemple : la fille est pousse par le garon La difficult est moindre lorsqu'il n'y

    a pas inversion possible de l'agent et du patient comme dans l'exemple : la voiture est lave par le garon,

    cas o on peut se dispenser de toute analyse syntaxique car la plausibilit smantique dicte les rles

    respectifs d'agent et de patient.

    Piaget a donc soutenu la thse de la primaut du cognitif et de la subordination du langage lapense. (cf. La formation du symbole chez l'enfant, 1946). Pour lui, l'origine des oprations logiques est

    antrieure l'apparition du langage. Par exemple l'enfant sait faire une dduction entre lcher un objet et le

    fait qu'il tombe par terre, que quelqu'un le ramasse. Il sait que ce qui vaut pour tel objet vaut pour tel autre,

    avec tel changement, etc. Et ce, bien avant de parler, mais dans des relations interactives avec son entourage.

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    Au niveau sensori-moteur, avant donc l'apparition du langage, l'enfant est capable d'oprer des

    gnralisations qui constituent des premires classifications : par exemple, l'enfant est devant un objet

    suspendu, il essaie de le saisir, n'y russit pas, mais fait balancer l'objet et par la suite, toutes les fois qu'il

    voit un objet suspendu, il le pousse et le fait balancer. C'est une acte de gnralisation qui tmoigne, bien

    sr, d'un dbut de gnralisation logique ou d'intelligence.

    Piaget explique ainsi :

    Le phnomne fondamental au niveau de cette logique des actions est l'assimilation, et j'appellerai

    assimilation l'intgration de nouveaux objets ou de nouvelles situations et vnements des schmes

    antrieurs (...). Ces schmes d'assimilation, ce sont des sortes de concepts, mais des concepts

    pratiques. (1979, p. 247)

    On trouve bien toute une structuration possible qui annonce la structure ultrieure de la logique.

    Pour Piaget, la pense reprsentative, l'intelligence, n'a pas son origine dans le langage, mais dans la

    fonction symbolique dont il n'est qu'une des manifestations. Par la possibilit du jeu, et donc de la fonction

    symbolique, l'enfant peut dire que des cubes sont des voitures. L'enfant "fait semblant de". Il attribue aux

    objets les significations les plus diverses parce qu'il en use comme symboles, comme signifiants d'autre

    chose. Il peut ds lors jouer la marchande avec des cubes, faire semblant de manger un crayon, etc.Les reprsentations ne sont au dpart que des imitations intriorises. La fonction symbolique est unproduit de l'volution psychologique de l'enfant. Elle lui permet d'acqurir le langage, produit social, quiconstitue le summum des capacits reprsentatives.

    Le langage, en tant que moyen d'exprimer des propositions, peut aider la constitution des oprations

    hypothtico-dductives qui apparaissent au dernier stade du dveloppement cognitif de l'enfant. Le langage

    sert alors structurer la pense, les anticipations, les dductions logiques. Mais la source en est dans les

    actions de sriation, de coordinations entre actions. Ce n'est pas le langage qui en est la cause premire.

    Citons encore Piaget :

    Le langage ne suffit pas expliquer la pense car les structures qui caractrisent cette dernire

    plongent leurs racines dans l'action et dans des mcanismes sensori-moteurs plus profonds que le faitlinguistique. Mais il n'en est pas moins vident, en retour, que plus les structures de la pense sont

    affines et plus le langage est ncessaire l'achvement de leur laboration. Le langage est donc une

    condition ncessaire mais non suffisante de la construction des oprations logiques.(...) L'intelligence

    elle-mme (...) est antrieure au langage et indpendante de lui. (1946, p.113)

    Il y a eu, et il y a encore de grands dbats pour savoir si l'aptitude au langage tait inne chez l'homme,

    ou si elle devait tre acquise. Chomsky est un partisan de l'innit, alors que Piaget est un partisan du

    constructivisme, c'est--dire de la thse qui soutient que l'enfant se construit par son dveloppementcognitif la possibilit d'acqurir le langage.

    Piaget a beaucoup insist sur la priode d'apparition du symbole chez l'enfant (18 mois environ) : les

    enfants apprennent "faire semblant", "faire comme si" (cette carotte est un avion ou un crayon) en mmetemps qu'ils apprennent lier mot et concept. Si l'enfant peut manier des mots, c'est parce que des

    simulacres, des symboles peuvent faire sens pour lui. Avant cette priode, les jeux ne sont que

    manipulations motrices: l'enfant fait rouler la balle, dplace des cubes, agite un hochet, etc.

    Cette apparition du symbole s'inscrit dans une continuit dans le dveloppement de l'enfant et ne faitque reprendre des acquis plus prcoces lis la relation interactive du bb et de son entourage. Lalangue augmente la capacit de l'enfant tre en relation avec autre chose que le rel, mais ne cre pas cette

    capacit. Certaines organisations perceptivo-motrices sont les conditions sous-jacentes au maniement de la

    langue. Le langage n'a pas de spcificit dans le fonctionnement cognitif, et pour Piaget, il n'est pas inn,

    mais se construit grce la fonction symbolique.

    La divergence entre Chomsky et Piaget tient la conception, non de la fonction des structures de

    connaissance, mais de leur nature. Il existe pour Chomsky des structures spcifiques aux acquisitionslinguistiques, et leurinnit est lie au caractre unique du langage humain. Pour Piaget, les structures de la

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    connaissance sont gnrales : elles trouvent leur fondement dans les structures biologiques, mais il n'existe

    pas, de manire inne, de structure spcialise pour l'acquisition de la fonction spcifiquement humaine

    qu'est le langage. L'quipement inn qui permet l'mergence de telles structures n'est pas spcialis, mais

    fonctionnel : il permet l'application de mcanismes cognitifs aux interactions avec le milieu, et ilpermet en consquence la construction de l'intelligence humaine, dont le langage n'est qu'un volet.

    Mais pour les deux auteurs, les connaissances qui font l'objet d'un processus d'acquisition sont

    relatives un systme de rgles. Le dveloppement ne consiste pas apprendre ces rgles, mais lesdcouvrir (hypothses, stratgies), ou plus exactement en tablir un systme intrioris. (L'hypothse de

    l'interlangue correspond en fait une thorisation tout fait en accord avec et Chomsky et Piaget.)

    Piaget a surtout insist sur la reprsentation, plus que sur l'autre aspect du langage qu'est la

    socialisation, en soulignant la continuit qui unit les manifestations symboliques initiales aux premiersmots. Il a ainsi nglig le fait que le langage permet l'i nteraction avec l'entourage. Il a nglig galementles aspects pragmatiques du langage, et la communication qu'a le nouveau n avec son entourage. Comme

    Chomsky, Piaget donc nglige l'importance de la communication, les phnomnes d'interaction socialelis au langage et qui ont leur rle dans l'acquisition.

    En effet, en mme temps que l'enfant acquiert sa langue maternelle, il apprend non seulement desformes, des combinaisons de formes et des signifis, mais il acquiert aussi petit petit la matrise des

    conditions qui font que cette langue peut fonctionner dans une activit langagire. Il y a communication

    bien avant qu'il y ait langage. Le langage serait donc plutt le rsultat d'une construction faite par un sujet

    actif dans son milieu social.

    Psychologie cognitive et psycholinguistique : Bruner

    Les conceptions dveloppes par Bruner (1958) semblent trs pertinentes quand on cherche comprendre ce qu'est l'activit langagire.

    Le langagier est aussi pour Bruner du cognitif spcialis.

    L'activit structurante de tout individu est la mme dans le domaine de la perception et dans celui desacquisitions, et elle aboutit la constitution d'une connaissance implicite relative l'organisation de l'inputimpliqu dans cette activit. On parle donc de reprsentation structure et galement de stratgiesd'anticipation.

    Pour expliciter cette pense, on peut par exemple observer que du matriel pourvu de sens est mieux

    peru, dans le bruit, que des syllabes dnues de sens. Le masquage de mots inclus dans un contexte pourvu

    de sens gne moins que celui des mmes mots prsents isolment, hors contexte : le contexte joue ici un

    rle de limitation du vocabulaire probable, de rduction des probabilits d'occurrences de certains mots et de

    plus grande probabilit d'apparition d'autres mots. Le sujet a une activit de prdiction qui peut pallier

    certaines conditions de perception mauvaises (ou certains manques de comptence en langue 2).

    Donc l'attente est importante, attente ou prparation perceptive (prparation doit ici s'entendre au

    sens trs large d'une mise en oeuvre de connaissances explicites ou implicites concernant les propritsstables et spcifiques de l'input prsent).

    Percevoir, selon Bruner, est une activit de catgorisation. Le sujet qui peroit recueille des indices,et relie ces indices certaines catgories d'objets. Percevoir quelque chose, une banane par exemple, c'est

    identifier des indices (forme longue, couleurs, prsence d'angles, dimension) qui permettent de dire que

    l'objet appartient la catgorie des bananes Ngliger certains indices peut tre une source d'erreurs. Si je

    nglige l'aspect brillant de l'objet, je peux penser que c'est une vraie banane, alors qu'en fait c'est une banane

    en plastique.

    Percevoir, c'est donc prendre un dcision, dans une situation donne, et cette dcision doitpermettre de choisir le comportement adopter. La qualit de la perception est lie la construction d'un

    modle prdictif valable pour une situation donne. On suppose donc l'existence pralable de catgories,construites, et non innes, selon Bruner.

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    Le sujet applique sur son environnement une sorte de grille d'analyse des objets perus. Bruner

    souligne bien le caractre anticipatoire de la perception, qui est accompagne d'une ou plusieurshypothses sur la nature et les proprits de la situation dans laquelle on se trouve. Il arrive qu'il y ait une

    succession de dcisions : perception de la prsence d'un objet, recherche d'indices pour une explorationgrossire, suivie d'une catgorisation provisoire qui prend la forme donc d'une hypothse que l'on teste

    ensuite. Tout cela est li aux besoins et aux attentes du sujet. Si le sujet s'attend quelque chose, un petitnombre d'indices sera suffisant. L'accessibilit est alors grande.

    Les paramtres d'conomie et de prise de risque qui accompagnent l'activit perceptive conduisent

    Bruner parler, lui aussi, de stratgie. Percevoir, c'est bien prendre une dcision, mais le processus

    concern change suivant les attentes des sujets et suivant le contexte situationnel.

    En rsum, les notions d'hypothses et de stratgies sont importantes. Chez Bruner, elles sontutilises dans le champ de la perception, mais elles peuvent aussi tre invoques dans le domaine des

    acquisitions, langagires en particulier, et toute personne s'intressant la perception d'une langue trangre

    ne peut qu'tre intress par ce qu'il dit sur la perception de l'inconnu et l'activit de catgorisation, de

    cration d'hypothses, d'anticipations que cela impose.

    La notion de prdictabilit claire d'un jour nouveau la nature mme de la perception. Le seul

    caractre de qualit de la perception, pour Bruner, est son caractre prdictif. La reprsentation qu'on a d'unobjet est simplement l'ensemble des connaissances construites propos, non seulement de cet objet, mais

    aussi des relations qu'il a avec d'autres objets ou vnements, et tout particulirement avec le sujet qui

    peroit lui-mme.

    Il en dcoule une vue de l'acquisition du langage en tant que processus de rsolution de problmes, etcomportant des processus jugs primordiaux comme la perception d'analogies, la surgnralisation et lasurdiscrimination qui permettent de faire progresser l'acquisition en intgrant de nouvelles rgles que l'on

    teste avant de les adopter (cf. hypothse de l'interlangue).

    Au dbut, chez le tout jeune enfant, le langage est troitement li l'action, qu'il accompagne etsouligne, laquelle il se superpose sans vraiment l'influencer. Progressivement, il impose la motricit sa

    fonction organisatrice et rgulatrice. Le langage intervient quand il y a un obstacle, pour commenter etrguler l'action dterminer, puis dans un stade encore postrieur, il sert vraiment anticiper l'action, la

    planifier, se reprsenter ses phases ordonnes de droulement, il sert galement se librer de l'emprisede la situation immdiate, se montrer plus indpendant par rapport elle.

    C'est ainsi que l'on peut dire que l'intelligence humaine se structure par le langage.

    Interactions et acquisition de la langue

    L'interaction langagire constitue un contexte communicatif essentiel pour le dveloppement de la

    langue maternelle. L'hypothse est en particulier que l'"acte de parole" (Austin, 1962, Searle, 1969) serait

    l'unit linguistique primaire qui fonderait l'ensemble des acquisitions linguistiques. On suppose alors que lesintentions pragmatiques des enfants sont progressivement grammaticalises pour devenir ultrieurement

    des structures syntaxiques et smantiques bien formes. Halliday (1975) pense mme que les fonctionspourlesquelles le langage est utilis dtermineraient la structure de ce qui est acquis au plan linguistique.

    Bruner, en 1975, a propos un cadre thorique qui analyse la source de l'acquisition du langagecomme se trouvant dans les communications pr-verbales. Pour lui, le langage est un outil que l'on utilise

    pour prolonger ses capacits cognitives,.et qui est intgr toute l'action humaine.

    Le langage s'ajuste aussi la structure de l'action enfant-adulte. L'enfant distingue trs tt l'anim del'inanim, l'humain du non humain, et trs tt aussi comprend ce qu'interagir avec autrui implique. Bruner

    explique que des catgories linguistiques telles que celles dfinies par la grammaire des cas (agent, patient,

    bnficiaire, objet, action, etc.) sont probablement des catgories universelles, qui proviennent de

    caractristiques gnrales de l'action humaine.

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    L'acquisition du langage est donc lie l'action et l'interaction, et c'est ainsi que le jeune enfant

    peut parvenir dcoder les messages et les encoder. Seul devant une tlvision, entendre du franais par

    exemple toute la journe, il n'apprendrait gure parler. Par contre, il comprend vite la fonction des noncs

    qu'on lui adresse, leur force illocutoire ou instrumentale. C'est ainsi qu'il peut apprendre matriser les

    relations entre signes et rfrents. Sans interagir avec l'entourage, il n'apprendrait pas.

    L'acquisition du langage ne consiste donc pas tant apprendre parler qu' apprendre les usages que

    l'on peut faire du langage dans la vie de tous les jours, en interaction avec les objets et les gens. Dans sa

    tche, l'enfant est aid par la plus ou moins bonne interprtation que l'adulte peut faire de ses intentions de

    signification Bruner propose les notions d'tayage et d'attention conjointe : l'adulte aide l'enfant, en

    rptant, en segmentant les morphmes correctement (il corrigera le navion pour le remplacer parl'avion par

    exemple), en commentant ses noncs dj en situation le plus souvent, en variant et en paraphrasant ses

    noncs. On peut parler l de contrat pdagogique, terme que l'on retrouvera d'ailleurs propos del'acquisition d'une langue 2 en milieu naturel et bien sr aussi l'cole.

    L'acquisition du langage pour Bruner ne se rduit donc pas la rsolution d'un problme formel. Le

    langage fait partie intgranted'activits qui ont un but, qui sont orientes, et Bruner souligne le lien entre lescaractristiques de ces activits et la structure du langage.

    NB : Il est utile de rappeler ici les fonctions du langage telles que les numrait Jakobson (1956) :- la fonction expressive : le sujet est centr sur ses besoins, ses dsirs, ses motions.- fonction rfrentielle : le sujet dcrit le monde, raconte les vnements C'est la fonction

    d'information.

    - fonction conative : on tente d'influencer l'autre par le langage.- fonction phatique : le langage sert assurer que la communication est maintenue, que l'on

    appartient bien la mme communaut linguistique.

    - fonction potique : c'est l une fonction artistique ou ludique.- fonction mtalinguistique : le langage devient objet d'analyse (la mtalangue est dans la langue).

    La langue devient l'objet de la connaissance. La langue sert parler de la langue, expliquer telle ou telle

    rgle de grammaire, ou tel sens de mot.

    C'est trs rapidement que l'enfant apprend ce que sont les actes de langage (Austin, 1962, Searle,1969, Ducrot, 1972).

    Tout nonc mis par un locuteur l'adresse d'un interlocuteur se caractrise, rappelons-le, par trois

    composantes :

    - l'acte locutoire, qui est le fait de transmettre de l'information.- l'acte illocutoire, qui est unacte social manant d'une intention du sujet : information, demande,

    ordre, flatterie, promesse, etc.

    - l'acte perlocutoire : l'effet, voulu ou non, produit sur l'interlocuteur.

    L'enfant voit trs tt comment ragit l'entourage ses actes de parole, et ajuste ses comportements et

    ses noncs ces ractions, suivant qu'elles renforcent ou non ses productions. Il le fait mme avant de

    parler, dans ses pleurs, ses rires, ses mimiques, et on parlera de l'apparition du langage proprement dit ds

    lors qu'il y aura en mme temps une intention de signification de la part de l'enfant et une relation stableentre le contenu et la forme des noncs.

    Le dveloppement social se chargera par la suite, et trs rapidement, d'apprendre l'enfant comment

    rclamer par exemple, sans donner l'impression de donner un ordre, par un acte de langage indirect et

    souvent plus efficace (par exemple en disant : j'ai pas eu beaucoup de bonbons, au lieu d'en redemander

    directement).

    Comme le soulignent Moreau et Richelle, si l'on songe par exemple l'inquitude que provoque chez

    bien des enfants des phrases comme :

    Je vais te mettre la tte entre les deux oreilles.

    on peut voir que certains messages sont bien compris d'un point de vue pragmatique (menace ici) avant

    d'tre dcods du point de vue smantique et syntaxique.

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    Par ailleurs, et cela ne surprend pas, des recherches ont montr qu'un enfant profite bien plus des

    reprises et des corrections qui portent sur le sens de leurs noncs que des corrections grammaticales,purement formelles de l'adulte. Tout enseignant de langue doit tre conscient de ce fait.

    C'est en acqurant sa L1 que l'enfant acquiert toute la panoplie de valeurs morales, culturelles,

    ventuellement religieuses et c'est ce qui forme son identit. Il ne faut pas sous-estimer ce point : le langagen'est pas simplement un outil de communication. Il est constitutif de la reprsentation du monde que l'on

    a, constitutif de l'identit, de la personnalit de l'enfant et de l'adulte ensuite . C'est travers lesconcepts de cette langue qu'il s'est forg son identit. Il est par exemple trs rare que l'on mne une

    psychanalyse en langue 2. C'est bien que le langage ne fait pas que servir communiquer : il est d'abord un

    systme de reprsentation symbolique du monde. Changer de langue c'est aussi changer de personnalit,et c'est la raison pour laquelle certains adultes ne veulent pas devenir trs performants en langue 2 : ils ne

    veulent pas perdre leur identit, alors que les enfants sont beaucoup moins rticents dans ce domaine. Il y a

    bien sr des facteurs biologiques d'ge, mais on sous-estime souvent ce paramtre d'identit sociale et

    culturelle. Prendre la parole en langue trangre n'est pas un acte anodin.

    Contexte sociolinguistique et dveloppement linguistique

    Des recherches ont t menes depuis les annes 70 pour dterminer dans quelle mesure le contexte

    social de l'enfant dans une socit donne influence son acquisition du langage et ses performances verbales.

    On s'est en particulier pos la question la suite du problme de l'chec scolaire d'enfants des classessociales les plus dfavorises. Il faut se garder l de jugements de valeur, et bien voir que le systme de

    l'cole favorise un type de langue : celle qui obit la "norme acadmique", ce qui ne veut pas dire que les

    autres types de langue soient plus pauvres, ou "mauvais". Le linguiste doit se garder d'attitudes de jugements

    de valeur, pour adopter une attitude de description et d'analyse, y compris ici du systme socio-politique etinstitutionnel en vigueur.

    Conclusion : langage et cognition

    C'est un domaine qui reste bien obscur encore. De nombreux chercheurs travaillent pour claircir les

    rapports entre langage et cognition, en langue maternelle et en langue seconde par exemple. Ils se posent

    aussi le problme pineux de la nature du langage intrieur.

    Relations entre langage et cognition

    La relation entre le dveloppement linguistique et le dveloppement cognitif est donc complexe.

    Si l'on considre l'aspect ontogntique (dveloppement de l'individu), il est intressant de rappeler,

    trs schmatiquement, les diffrentes thories suivantes (cf. Moreau et Richelle) :

    - la faon dont les individus apprhendent le monde est dtermine essentiellement par le type delangue qu'ils acquirent (Sapir, 1921, et Whorf, 1956) : le dveloppement cognitif serait subordonn au

    dveloppement linguistique. Suivant la langue que l'on parle depuis la toute premire enfance, on se

    constitue diffremment en tant qu'individu.

    - le dveloppement des fonctions cognitives prime le dveloppement linguistique, lequel n'est lui-

    mme qu'un volet de la fonction symbolique. La langue n'engendre pas le dveloppement des oprations

    intellectuelles. Elle ne fonctionne rellement que quand ces dernires se sont constitues. Mme aux tapes

    finales du dveloppement cognitif, elle est une condition ncessaire, mais non suffisante C'est, en grandes

    lignes, la position de Piaget et de l'Ecole Genevoise.

    - l'acquisition des mcanismes linguistiques suppose que l'enfant ait atteint auparavant une certaine

    matrise, sur le plan cognitif, des notions et des relations, mais cette matrise cognitive est aussi dtermine

    par des proprits spcifiquement linguistiques. Slobin, par exemple, a dfendu cette thse.

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    - Aussitt que le langage apparat, le dveloppement cognitif et le dveloppement linguistique

    sont en relation trs troite (Vigotsky, Bruner).

    2. Et lenseignement dune L2 ?

    Toutes ces considrations ne peuvent manquer d'avoir un cho particulier pour l' enseignant d'une

    langue trangre : une langue n'est pas un simple jeu de mots, sans attache profonde avec la personnalit.On ne change pas de langue simplement, on ne fait pas table rase de tout le langage intrioris qui continue

    vraisemblablement longtemps de se drouler en franais pour les francophones, y compris dans les stratgies

    d'apprentissage et de comprhension d'une langue trangre. L'enseignant de langue et le chercheur en

    didactique ne peuvent manquer de se poser quelques questions :

    - comment se structurent les schmas anticipateurs reprsentatifs de l'laboration d'une production en

    langue trangre, au moins pendant tous les dbuts de l'acquisition en milieu naturel ou de l'apprentissage en

    milieu guid ?- quel langage intrieur accompagne, rgule, anticipe, reconstruit le sens en production ou en

    comprhension ? Quelles sont les diffrences entre langue 1 et langue 2 cet gard ?

    - quelle est la diffrence, pour ce qui concerne le mode d'action de ce langage intrioris, entre

    l'acquisition d'une langue trangre en milieu naturel et son apprentissage en milieu guid, institutionnel ?

    On ne saura jamais vraiment ce qui se passe dans la tte d'un apprenant, ni dans quelle langue cela se

    passe si c'est explicite, verbal, mais il y a gros parier qu'on ne se dfait pas rapidement du langage intrieur

    en franais, qui surgit de faon fulgurante, qu'on le souhaite ou non, qu'on le contrle ou non, et surtout ds

    qu'un obstacle se prsente, ds que la planification des productions pose problme, ds que les fonctions de

    "bas niveau" comme la morphologie ne sont pas automatises, ds qu'on s'aperoit qu'on ne comprend pas

    bien le discours du natif, ds qu'on traduit peut-tre aussi intrieurement certains mots du lexique.

    C'est un domaine que l'on lude trop souvent et sur lequel nous reviendrons propos de d'tude plus

    dtaille de l'activit mtalinguistique (consciente) et de l'activit pilinguistique (inconsciente). On voitici que les proccupations qui reviennent priodiquement de tenter de bannir la langue 1 de la classe de

    langue 2 paraissent bien schmatiques dans leur problmatique. Si un apprenant exerce un type de contrle

    quelconque sur ses productions, la langue maternelle n'intervient-elle pas immdiatement, mme de faon

    fugace ou furtive ? D'autre part, si la perception de ce que l'on ne connat pas (la L2) ne peut se faire qu'

    partir de ce qu'on connat, de faon procdurale, (la L1), alors le systme pralable de la langue 1 est

    certainement le point de dpart qu'il faut exploiter plutt que bannir et occulter.

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    2.1. L'acquisition/apprentissage d'une langue 2

    On peut commencer par une trivialit apparente : la langue 2 diffre de la langue 1 en ce qu'elle

    vient en second, quand la langue 1 est dj en place, matrise, quand le monde est dj peru travers cefiltre pralable, cette conception du monde lie une langue particulire. Il en rsulte que mme si lesdeux activits d'acquisition/apprentissage ont vraisemblablement des points communs en ce sens qu'elles

    sont toutes deux des activits cognitives portant sur du langage ou des langues, elles diffrent radicalement

    en ce que l'une est premire, lie la gense de la personne et de sa construction du monde et que l'autre est

    seconde, "rajoute".

    Une langue 2 peut tre acquise de diffrentes faons, n'importe quel ge, pour diffrentes raisons et

    divers buts, et jusqu' diffrents degrs et natures de matrise.

    Il est vrai que, le plus souvent, on n'arrive pas la perfection comme en langue maternelle. Et on peut

    d'ailleurs se poser la question de savoir partir de quel stade on "parle" une langue, et on ne se contenteplus de se "dbrouiller" dans cette langue. Est-ce quand des natifs de la L2 ne peuvent aucun moment

    dceler que l'on n'est pas soi-mme natif de cette langue 2 ? Ou faut-il placer la barre moins haut et en

    particulier ne pas tenir compte des "accents" qui sont bien souvent ce qui rvle l'"tranger" ?

    Il est aussi vrai que l'on peut parler une langue 2 et non la comprendre, la comprendre et trs mal la

    parler, la lire et ventuellement l'crire, mais ne pas la matriser l'oral, ni en comprhension ni en

    production, se contenter d'une comptence minimale, ou au contraire toujours apprendre, se contenter d'une

    mauvaise matrise de l'"accent" en production, ne penser que lexique, stratgies discursives, pragmatiques et

    smantiques et non grammaticalisation, etc.

    On a recours au concept d'interlangue pour dsigner ces sortes de varits de langues parles par unnon-natif successivement dans son parcours d'acquisition : il ne s'agit en effet plus de L1, ni (encore) de L2,

    mais d'une sorte de langue "entre les deux", intermdiaire deux titres. Elle est intermdiaire en ce sensqu'elle se situe entre la LM et la L2, c'est--dire qu'elle a des caractristiques de ces deux langues, en plus de

    rgles propres. Elle est aussi intermdiaire en ce sens qu'elle volue : on passe d'un systme intermdiaire

    un autre, en progressant, tout comme, dans sa langue maternelle, l'enfant passe par diffrents stades

    intermdiaires de matrise. On peut par ailleurs se poser la question est de savoir si ces diffrentes sortes

    d"interlangue"constituent des langues naturelles (au mme titre que L1 et L2), tant donn qu'un typed'interlangue n'est pas parl dans une communaut linguistique (tous les francophones ne parlent pas le

    mme type d'interlangue franais/anglais par exemple), et peut-tre surtout tant donn que les locuteurs ont

    dj une langue (maternelle) par laquelle passe leur reprsentation du monde et l'ensemble de leur

    personnalit. A partir de quel moment est-ce vraiment une langue que l'on parle ?

    En L2, il arrive frquemment que l'on s'"arrte" un moment donn de l'volution, un stade que l'on

    estime (plus ou moins consciemment) tre suffisant car il "fonctionne" bien pour les besoins donns, et si les

    besoins ne s'accroissent pas ou ne changent pas de nature. C'est ce que certains appellent la fossilisation, oula sdimentation. L'volution peut reprendre plus tard, ou bien on peut rgresser un stade antrieur parmanque de pratique, tout comme on peut rgresser d'ailleurs dans sa LM si on ne la pratique pas pendant

    trs longtemps (pas tant au niveau phonologique qu'aux niveaux lexical ou syntaxique).

    L'interlangue a la mme crativit qu'une langue naturelle : un sujet peut produire ou comprendre unnonc jamais produit ou entendu auparavant. C'est vraisemblablement cette comprhension, suprieure

    souvent la production, qui permet de progresser.

    C'est toutefois une langue qui offre des caractres particuliers d'instabilit, et de variabilit, tout

    comme le langage enfantin.

    2.2. Problmatique de l'acquisition/apprentissage d'une L2

    11

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    Il n'est pas inutile de retracer en quelques lignes l'historique des proccupations actuelles, car il

    permet de repositionner les problmes avec un certain recul, et aussi de situer ce que nous verrons des

    diffrentes mthodologies d'enseignement des langues. En effet on verra que les diffrentes manires

    d'enseigner les langues ont une histoire.

    L'analyse contrastive et l'analyse des erreurs

    La linguistique contrastive, issue de la linguistique structurale, avait tabli, dans les annescinquante, des tableaux de comparaison entre diffrentes langues 1 et 2, et avait donc dfini, pour chaque

    couple de langues, un ensemble de structures identiques et un ensemble de structures divergentes.

    Schmatiquement, on peut dire que cette perspective, qui a longtemps prvalu, tait ne d'tudes sur le

    bilinguisme. On prdisait ainsi les difficults d'apprentissage de la L2 quand il y avait divergences entreL1 et L2.A contrario, ce qui tait semblable tait facile apprendre.

    Depuis on s'est aperu que, non seulement ce n'tait pas toujours le cas, mais que le processus pouvait

    tre contraire. Il faut en effet apprendre quand telle ou telle structure peut tre transfre car semblable dans

    les deux langues, et d'autre part des structures diffrentes peuvent tre facilement mmorises. Mais

    l'analyse contrastive reste cependant intressante ce jour, intgre dans une autre problmatique, celle du

    rle de la langue maternelle comme cadre linguistique pralable l'acquisition/apprentissage d'unelangue 2.

    On pensait donc, l'poque, pouvoir prdire les "erreurs" des apprenants en vertu des diffrencesqui existaient entre leur langue maternelle et la langue cible.

    Dans cette analyse des "erreurs" des apprenants, erreurs observes en production dans la grande

    majorit des cas (la comprhension n'est pas un observable : on ne peut directement observer ce que les gens

    comprennent), on a donc tout d'abord insist sur ce qui a t appel l es "erreurs d'interfrences", ou

    "transferts interlinguaux", c'est--dire les productions divergentes dont l'origine semblait devoir tre lalangue maternelle.

    Le terme d'"erreur" lui-mme, moins normatif dj que celui de "faute", reflte bien l'ide d'une

    comparaison avec la langue cible. Etait appel "erreur" ce qui divergeait d'avec la langue cible, la L2. C'est

    notamment un terme que les enseignants utilisent, pour la langue maternelle, comme pour une langue 2,contraints qu'ils sont de noter les productions de leurs lves par rapport la norme de la langue cible.

    On parle d'"erreur" surtout en milieu institutionnel, l'cole en particulier. La correction orale

    immdiate, ou la correction de copies, n'ont pas leur parallle psychologique dans les reprises, les

    paraphrases, les "expansions" des parents, en langue maternelle, reprises qui rappelons-le, sont surtout

    d'ordre smantique lors des 4 premires annes de l'acquisition de la langue maternelle. L'entourage d'un

    enfant de trois ans parle plutt de "mots d'enfants", du moins avant le CP et la norme de correction qui

    commence rgner ds l'cole primaire. Pour les adultes en milieu social (immigrs, rfugis politiques,

    sjours linguistiques divers, sans enseignement), on ne parle pas non plus vritablement d'"erreurs" : on

    parle en termes de comprhension facile ou non, de communication russie ou non, d'acceptation plus ou

    moins grande de l'tranger par les natifs. Les "erreurs" de morphologie y sont certainement moins

    "pnalisantes" qu'au collge.

    Ce que l'on nomme "interfrence" est gnralement l'un des aspects de la notion d'interfrence : sa

    face ngative. Quand au contraire un sujet peut transfrer une structure de la langue 1 directement dans la

    langue 2 (quand les structures sont identiques, qu'il le sache ou non, c'est--dire que ce soit le fruit du hasard

    ou non) on parle de transfert positifou de facilitation.On a longtemps pens donc que lorsque les deux langues se ressemblaient sur un point, les apprenants

    n'auraient pas de difficults, l'inverse tant galement prtendu. Dans le domaine de la phonologie, cela

    semble effectivement assez vident : les francophones apprenant l'anglais auront tendance produire un /i/

    franais. Cependant c'est parfois quand les divergences sont les plus grandes que l'on a plus de facilit, et il

    est toujours long d'apprendre connatre les similitudes, peut-tre aussi longtemps que les "faux-amis" dont

    on risque d'ailleurs d'exagrer la frquence ds que l'on commence "savoir un peu d'anglais".

    La notion de difficult est d'ailleurs bien subjective le plus souvent et la progression, dansl'enseignement, mane donc d'un empirisme quasi absolu.

    12

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    On cite bien sr le cas, pour les francophones apprenant l'anglais, de la surproduction de phrases au

    present perfect, dont l'origine serait la valeur temporelle et non pas seulement aspectuelle du pass compos

    franais (cf. Trvise, 1990). On ne peut nier cette interfrence, de mme qu'il semble difficile de ne pas

    penser l'interfrence dans l'emploi de certains dterminants, ou dans une production qui comporte le

    groupe nominal *a luggagepar exemple.

    Nanmoins, on a aussi souvent parl d'interfrence pour des productions comme :

    *He asked me where was the station.

    L'inversion normale en franais est non atteste en anglais. On s'est, depuis, demand si ce n'tait pas

    l une construction interrogative directe employe abusivement la place d'une construction indirecte. On

    voit que la prudence est requise quant l'origine des "erreurs". Pour "corriger" cette "erreur", l'enseignant

    devra avoir conscience de ses deux sources possibles.

    On voit en tout tat de cause que ces "erreurs", ces transferts ngatifs, comme positifs, manent de

    conduites cognitives connues et expliques dans le prcdent chapitre : les conduites de constructions

    d'analogies, d'assimilation et d'accommodation. On ramne l'inconnu au connu, on traire l'inconnu par

    rapport ce qu'on connat, consciemment ou non.

    En dehors des prdictions tires des analyses contrastives entre deux langues pour ce qui concerne les

    difficults ou, les facilitations, et avec lesquelles on n'est pas ncessairement d'accord, on voit que se poseici le problme crucial du rle du systme pralable de la langue maternelle . La langue maternelle estl, incontournable C'est elle qui structure la vision du monde de l'apprenant. C'est elle qui pendant trs

    longtemps structure la pense et le langage intrieur, les planifications et les rsolutions de problmes

    divers. Peut-il tre utile de s'en servir dans l'enseignement pour attirer l'attention des apprenants sur les

    diffrences ou les convergences ?

    Certains enseignants pensent que certains lments d'une analyse contrastive peuvent aider

    l'apprentissage de la langue 2. D'autres, au contraire sont opposs toute allusion au systme de la langue

    maternelle. C'est un dbat qui tient en fait l'analyse que l'on fait des processus d'apprentissage en milieu

    institutionnel. Un enseignant qui pense qu'il faut enseigner la grammaire pourra s'appuyer avec profit sur

    une (bonne) comparaison avec certaines structures de la langue maternelle. Un partisan de l'approche

    "communicative" ne fera que trs peu appel la comprhension et l'explicitation du systme de la langue

    maternelle. Nous reviendrons largement sur ce point. (Nous ne parlons pas ici de l'utilisation de la langue 1pour la discipline ou les explications, les consignes, mais bien de comparaisons entre les deux systmes de

    L1 et de L2.)

    Au lieu de parler d'interfrence, on prfre donc aujourd'hui parler du "cadre pralable" queconstitue la langue maternelle. Il est clair que, pendant trs longtemps, l'apprenant aura recours sa langue

    maternelle, plus ou moins consciemment, quand il rencontrera une difficult en L2. En tout tat de cause,

    cela dpend aussi de la perception qu'a le sujet de la distance entre les deux langues. Plus la distance estressentie comme grande, et moins le sujet tentera de recourir sa langue maternelle vraisemblablement.

    Tout "bon angliciste" francophone se mfiera du mot mot, surtout dans les expressions images ou les

    proverbes par exemple. S'appuyer sur sa langue maternelle constitue bien une activit qui est cratrice.L'apprenant s'appuiera sur la connaissance du monde qu'il a, et aussi sur sa reprsentation du monde par sa

    langue maternelle. Que peut-il faire d'autre d'ailleurs, avant de connatre la langue 2 ?Il se peut que le sujet utilise sa langue maternelle pour en extraire des repres la fois linguistiques et

    cognitifs, sans que cela conduise pour autant aux transferts interlinguaux. On sait aussi bien peu de choses

    sur le rle de la mmoire et du stockage en mmoire. De plus quel serait le rle de la L1 en comprhension ?

    En raction contre l'analyse contrastive et son schmatisme, les chercheurs ont eu tendance au

    contraire ensuite ne plus parler de transfert interlinguaux (entre L1 et L2), pour se centrer sur les

    transferts intralinguaux ou "erreurs d'analogie" ou de "surgnralisation" (rgles de L1 transfresabusivement). Il s'agit en fait des mmes conduites cognitives d'analogie : mais, au lieu de faire desanalogies entre L1 et L2 (interfrences), l'apprenant fait des analogies entre des structures de L2 et d'autres

    structures de L2.

    A partir de l'tude psycholinguistique de l'acquisition de la L1, on en est venu considrer que

    l'apprentissage de la L2 pouvait tre soumis galement des processus de (sur)gnralisation. On a tent

    d'tendre certains processus d'acquisition de la langue maternelle aux phnomnes d'acquisition et

    13

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    d'apprentissage d'une langue non maternelle. L'enfant ne procdant pas seulement par imitation, mais par

    gnralisation abusive (peindu, apprendu, vous disez, chevals , foots, comed, etc.) ou analogie, etconstruction de rgles, on a pens que l'on pouvait retrouver cette stratgie de gestion de l'inconnu partir

    du connu dans les processus d'acquisition et mme d'apprentissage d'une langue 2. C'est l un processus

    cognitif qui semble luvre effectivement dans l'apprentissage/acquisition d'une langue trangre : les

    apprenants produisent galement, comme les petits anglophones, des formes comme foots, ou comed ou

    taked, qui sont la preuve de la connaissance d'une rgle, mais de la mconnaissance des exceptions. On

    connat la rgle mais on dlimite mal son champ d'application. On trouve aussi des constructions comme I

    wish you to go, qui sont la transposition un autre verbe de constructions comme I want you to go. De

    mme, l'"oubli" du -s de troisime personne de singulier peut difficilement tre attribu l'interfrence du

    franais, si l'on sait que les petits anglophones font galement longtemps cette erreur, et n'acquirent cette

    rgle qu'aprs par exemple avoir acquis celle du prsent en be + ing ., les enfants tant plus volontiers

    plongs dans l'action que dans les vrits gnrales ou les tats.

    Il ne faut pas oublier non plus que chez les petits anglophones came vient avant comed, cause de

    phnomnes de simple rptition des formes entendues, d'imitation dans un premier temps. La forme comed

    arrive donc ensuite, quand les rgles de formation du pass sont dj l'oeuvre. Plus tard, les exceptions se

    mettent en place, et l'enfant produit alors came de nouveau, mais cette fois-ci selon un autre processus,

    intgr dans un systme de production. (Cela ne saurait manquer de poser le problme des barmes decorrection pour un enseignant. Le premiercame tait moins "bon" que comed, et en tout cas reprsentait une

    tape antrieure d'acquisition.)

    De mme les chercheurs ont montr qu'en anglais langue maternelle, le modal can par exemple est

    d'abord employ la forme ngative (l'enfant ayant souvent dire qu'il ,ne sait ou ne peut faire quelque

    chose). On voit donc que dans certains cas la ngation, pour un enfant anglophone survient avant la forme

    affirmative, et qu'il est donc bien difficile de dterminer le degr de difficult d'une structure. En outre, des

    noncs tels queI didn't did itou you didn't caught me sont produits un stade dj avanc de l'acquisition

    de la ngation.

    D'autre part, il est essentiel de souligner que la mme "erreur" observe dans les productions de

    plusieurs sujets peut provenir de stratgies, de cheminements diffrents, comme nous le soulignions pour

    l'nonc *He asked me where was the station. Un sujet peut faire telle erreur par gnralisation abusive,

    alors qu'un autre peut la faire pour une autre raison, mal connue. De bonnes productions peuvent aussi trele fait d'une bonne mmoire, de la rptition d'"unanalyzed chunks" (structures non analyses, toutes faites,

    apprises par cur), ou du hasard, et ne pas provenir de l'application de rgles, conscientes ou non.

    Il est aussi possible qu'un sujet parvenu un stade de connaissance assez avanc fasse une "erreur"

    par gnralisation abusive d'une rgle encore inconnue de son congnre.

    En tout tat de cause, ces productions sont bien la preuve que ce n'est pas (seulement) l'imitation qui

    oeuvre. Il y a bien une activit pilinguistique (inconsciente) ou mme mtalinguistique (consciente)crative. La gnralisation, le transfert par analogie, ou transfert intralingual peuvent tre effectus bonescient aussi, et non de manire abusive. Ce processus montre bien la crativit luvre chez les enfantscomme chez les apprenants. L'extension par analogie de quelques lments dj matriss dans le systme

    montre le dynamisme de la progression qui s'appuie sur des schmas cognitifs de rsolutions de problmes.

    On a aussi parl ce sujet d'"erreurs dveloppementales". Elles sont invitables, cratrices, innovatrices,elles testent des hypothses, et elles sont le symptme de systmes en voie de dveloppement (ou de

    systmes fossiliss, qui ne se dveloppent plus). On ne peut progresser sans tester ses hypothses. On voit

    ici que se pose encore une fois le problme de la notation l'cole, qui vient pnaliser cette activit crative.

    Mais comment faire autrement dans l'institution scolaire ?

    C'est la raison pour laquelle les chercheurs en acquisition de L2 ont senti le besoin d'tudier autre

    chose que les erreurs, les divergences avec la langue cible, pour se centrer sur le dveloppement des

    interlangues des apprenants, sur leur crativit, leurs systmatisations. Ils ont aussi recherch les structures

    qui n'engendrent pas ou peu de fautes, et galement tent de dpister les formes qui n'apparaissent pas ou

    peu, ou sont vites.

    Il s'agissait aussi de dmasquer les erreurs caches. Les enseignants ne pnalisent pas les erreurs

    caches, pour la bonne raison qu'elles ne sont pas visibles si l'on ne suit pas le dveloppement exact du

    systme d'interlangue d'un individu donn : par exemple un germaniste qui dirait mit der Nacht, non pas

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    parce qu'il mettrait le bon cas, mais parce qu'il penserait que le nom est masculin, et que dans son systme,

    la prposition mit serait suivi du nominatif. Un enseignant d'anglais ne peut voir si l'lve a produit the

    teacher said we must do our homeworkparce qu'il sait que c'est l le seul cas o must a une valeur de pass,

    ou parce qu'il a oubli la concordance des temps. On ne peut savoir si un francophone a compris le systme

    des adjectifs possessifs anglais s'il produit her table : il se peut que le fminin soit induit par le genre de

    table en franais et pas par le possesseur femme de l'objet. C'est ce qu'on appelle la "closeness fallacy",l'illusion de convergence: en fait dans le systme de l'apprenant il y a divergence avec la langue cible, maisla production rvle uniquement une convergence trompeuse. Un auxiliaire modal utilis la troisime

    personne du singulier avec un -s devrait tre mieux not qu'un auxiliaire modal sans -s chez un apprenant

    qui n'utilise jamais le -s de troisime personne du singulier. Pour dtecter les erreurs caches, il faudrait

    analyser toutes les productions d'un sujet, et connatre l'tat de son systme linguistique un moment donn.

    L'absence d'"erreur" dans une production ne veut donc pas forcment dire qu'il n'y a pas "erreur" dans lesystme interlangagier de l'apprenant. (L'enseignant ne peut bien sr pnaliser de telles productions. En tout

    tat de cause, il n'en a pas conscience le plus souvent, et mme s'il en avait conscience, il ne peut que noter

    par rapport la langue cible et sa norme. )

    On mesure donc bien quel point tout cela est complexe, et l'enseignant qui a 30 lves devant lui ne

    saura pas la cause des productions. Sa notation sera relativement arbitraire, mais que faire ? On ne peut,

    quand on enseigne, sauf dans des cours particuliers, faire une tude longitudinale du dveloppement del'interlangue de chaque apprenant. Et on est donc oblig de trancher, de corriger, et de sanctionner. Mais il

    vaut quand mme mieux mesurer quel point toute notation est arbitraire, et toute explication d'"erreur"

    difficile.

    L'analyse des erreurs ne suffit donc pas : il ne faut pas tudier les productions des apprenants par

    rapport la langue cible (quand on est chercheur), mais bien tenter d'avoir accs l'ensemble du systmelinguistique intermdiaire de l'apprenant en lui-mme, convergences et divergences mles. C'est ce qu'onappelle l'interlangue, c'est--dire un systme (ou plusieurs micro-systmes) embryonnaire au dpart, puis

    parfois fort dvelopp, qui volue sans cesse, sauf dans les cas de stagnations provisoires (fossilisations), et

    qui peut aussi rgresser largement dans certaines circonstances.

    Par ailleurs, tudier les productions des apprenants ne veut pas dire que l'on a accs leurs stratgiesd'apprentissage/acquisition. C'est l un saut qualitatif, qui fait passer du linguistique au

    psycholinguistique, de l'observable au non observable. Nous reviendrons sur ce point. On n'a pas accsfacilement non plus aux facults de comprhension des apprenants, puisque, on l'a dit, la comprhension

    n'est pas un observable. On ne sait jamais exactement ce qu'a compris un apprenant, sauf lui faire rpter

    mot mot, ou lui faire crire. L'adquation de la rponse peut tre trompeuse, en interlangue encore plus

    qu'entre natifs, o l'adquation de la rponse peut aussi cacher des malentendus, on le verra.

    L'hypothse de S. P. Corder

    Corder a eu le mrite de rhabiliter en quelque sorte les "erreurs". Il est l'origine d'un certain nombre

    des recherches menes aprs lui, et dont nous venons de faire tat trs succinctement. Pour lui, les "erreurs"

    sont intressantes tudier en tant que symptmes. Symptmes d'abord pour l'enseignant interventionniste,car c'est l un moyen de diagnostiquer le stade d'apprentissage de l'apprenant. Symptmes aussi pour le

    chercheur observateur qui peut, grce elles, tudier les "processus utiliss par l'apprenant dans sa

    dcouverte progressive de la langue"(196, p.13). Symptmes enfin pour l'apprenant lui-mme, car pour

    reprendre les termes de Corder :

    On peut considrer l'erreur comme procd utilis par l'apprenant pour apprendre. C'est pour lui une

    faon de vrifier ses hypothses sur le fonctionnement de la langue qu'il apprend (1967, p.13).

    On en est donc venu voir dans l'"erreur" le produit des hypothses invitables,

    incontournables de l'apprenant sur le fonctionnement de la langue qu'il apprend.

    L'erreur est donc un phnomne d'apprentissage. C'est le moyen par lequel le sujet apprend, fait des

    hypothses et teste ses hypothses par le feed-back qu'il reoit, les corrections qu'il reoit ou les

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    observations de non congruence qu'il est petit petit amen faire. C'est donc la trace d'une hypothse que

    le sujet labore, consciemment ou non sur le systme de la langue cible. L'erreur est l'indice, la preuve de la

    crativit et de l'activit opratoire de l'apprenant. C'est aussi ce qui justifie l'appellation d'"apprenant",

    participe prsent qui montre que le sujet est actif.

    On sait que toutes les erreurs n'ont pas le mme statut, et celles que l'usage commun nomme souvent

    "erreurs d'tourderie", celles que l'apprenant peut lui-mme rectifier en faisant plus ou moins consciemment

    appel une rgle ne sont pas elles la trace de nouvelles hypothses, mais des indices de zones de fragilit,

    ou de rgression temporaire.

    Corder proposait une hypothse gnrale de grande porte lorsqu'il rejetait le caractre alatoire(non systmatique) des erreurs. Pour tudier l'acquisition de la L2, il se fondait sur la thorie de Chomsky. Il

    admettait que les conditions d'acquisition sont diffrentes de celles qui prsident l'acquisition de la langue

    1, mais il postulait que l'adulte garde une capacit d'acquisition de mme nature que le "language acquisition

    device" de Chomsky.

    La thse centrale est donc que les "erreurs" linguistiques de l'enfant en L1, ou celles de l'apprenant

    d'une langue 2 sont considres comme des indices d'un processus actif d'acquisition : c'est notammentleur caractre systmatique qui a conduit Corder faire cette hypothse. Les erreurs sont une manifestation

    d'un tat du dveloppement langagier de l'enfant en L1, ou de l'apprenant en L2. Elles permettent de dcrirela "connaissance" qu'a l'enfant de la langue un stade donn (sa "grammaire"). Le facteur dterminant del'apprentissage est le matriau linguistique mis disposition de l'apprenant et contrl par celui-ci sousl'effet d'un programme interne. La progression est alors construite par l'apprenant lui-mme.

    On parle de comptence transitoire, qui a un caractre systmatique, et non erratique.Ceci confre aux erreurs un statut essentiel dans le dveloppement des acquisitions langagires : si

    l'apprenant en prend conscience, c'est donc pour lui l'occasion de tester et d'infirmer ses hypothses sur lefonctionnement de la L2.

    La production d'erreurs est donc un mode fondamental d'apprentissage (traitement de donnes d'input

    et formation d'hypothses). L'apprenant rectifiera ses erreurs quand il aura t expos plus de donnes, et

    qu'il les aura traites, soit par l'observation directe, soit par les explications du professeur.

    Les tats de langue provisoires des apprenants ont t baptiss "dialectes idiosyncrasiques" par

    Corder. (Le terme d'"interlangue" n'est venu que plus tard.) Ils ne peuvent tre dcrits ni travers lesystme de rgles de la L1, ni par celui de la L2. Ils peuvent contenir des rgles des deux, et aussi desrgles particulires, idiosyncrasiques, systmatiques, mme si elles voluent..

    L'hypothse de S. Krashen

    L'opposition entre un apprentissage conscient ou inconscient, entre apprentissage guid et acquisition

    non guide se retrouve dans la distinction que fait Krashen entre des environnements linguistiques formels

    et informels, qui peuvent aboutir, selon lui, deux types de connaissance en langue trangre, stockssparment dans le cerveau.

    Krashen est parti de ces constatations, maintes fois effectues empiriquement, que des sujets qui ont

    une grande connaissance des structures de la langue cible ont parfois de grandes difficults s'exprimerdans cette langue, alors que le cas inverse existe bien sr galement.

    Et, entre 1981 et 1985, il propose l'hypothse que des adultes apprenant une L2 laborent deux types

    de connaissance pouvant tre indpendants, l'un acquis (et il fait ici rfrence une comparaison avecl'acquisition de la L1) et l'autre, appris, que le sujet construirait consciemment au moyen de la connaissancemtalinguistique de rgles enseignes l'cole.

    Ce deuxime systme servirait uniquement contrler ("monitor theory") les productions, si lesujet dispose de suffisamment de temps. Ces productions, elles, manent de la connaissance acquise, et

    implicite par nature.

    Mme en situation d'apprentissage donc, le sujet verrait se dvelopper deux ensembles de processus

    distincts : l'un implicite qui serait analogue ce qui se passe pendant l'enfance en L1 et l'autre qui exerceraitle contrle au moyen d'une connaissance explicite de quelques rgles simples.

    L'hypothse de S. Krashen se fonde sur la thorie chomskyenne de la "Grammaire Universelle" :

    l'acquisition du langage se fait selon un programme interne. Les positions de Krashen dcoulent des tudes

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    faites sur l'ordre d'acquisition des morphmes d'une L2 par les enfants en milieu naturel, et sur les analogies

    qui existeraient entre l'acquisition de la langue maternelle et l'acquisition d'une langue 2. Analogies qu'il

    semble d'ailleurs exagrer en ngligeant les interfrences interlinguales constates : on ne peut ngliger le

    premier systme linguistique mis en place, et qui servirait de cadre pralable dans l'acquisition/apprentissage

    d'une langue 2.

    Les adultes eux-mmes auraient recours la crativit inconsciente qui constituerait un type de

    connaissance et qui se manifesterait dans les productions spontanes alors que les productions formelles,

    sous contrainte, manifesteraient, elles, la prsence d'une connaissance apprise, explicite, avec une emprise

    beaucoup plus importante du contrle.

    Ainsi, suivant la nature des tches accomplies par les sujets, tches qui impliquent un contrle plus ou

    moins grand, des "erreurs" diffrentes, des productions diffrentes plutt, maneraient de systmes

    diffrents, le systme acquis tant le seul tre stable et avoir des rgles systmatiques.

    Les individus soumis un enseignement ragiraient donc diffremment suivant l'importance de leur

    recours au contrle, et ceci expliquerait l'immense varit des cas rencontrs.

    Krashen pense que les processus d'acquisition dvelopps en milieu naturel sont largement

    inconscients ou "subconscients". Il distingue l'apprentissage ("learning") qui suppose de matriser des rgles

    explicites, de l'acquisition ("acquisition") qui se fonde sur l'laboration de rgles intriorises implicites.L'acquisition serait responsable de la "fluency" et l'apprentissage de l'"accuracy". Il insiste beaucoup sur

    l'importance d"un input comprhensible (difficile dfinir) qui suffirait faire progresser l'apprenantgrce son "language acquisition device" dans un environnement affectif favorable. La correction des

    erreurs ne serait que d'une efficacit trs rduite, sinon nfaste. Il prne ce qu'il appelle "the naturalapproach", en assimilant l'acquisition de la langue 2 celle de la langue 1. D'aprs lui, seulement une

    partie trs rduite de la langue devrait tre apprise et non acquise. Le rle de l'enseignant se bornerait

    fournir de l'input comprhensible pour faciliter l'acquisition dans ses dbuts.

    Les processus de production, selon lui, peuvent correspondre suivant les cas, des connaissances

    acquises ou des connaissances apprises. En classe, le "monitor" intervient, et l'apprenant fait un appel

    conscient des rgles. Lorsqu'on teste les capacits linguistiques d'un apprenant, les conditions du test

    peuvent ou non permettre l'appel au "monitor", en particulier selon la vitesse de traitement demand.

    Lorsqu'il est oblig de produire rapidement, l'apprenant ne peut faire appel au "monitor".

    Les distinctions de Krashen sont certes intressantes. Mais elles sont parfois peu claires. On peut se

    demander en particulier quel type de rapport s'tablit entre les rgles intriorises et les rgles explicites, et

    quelle est la nature des processus de contrle invoqus. Comment par ailleurs dterminer ce qu'est un

    "comprehensible input" ?

    Le rapport entre ce qui est acquis et ce qui est appris n'est pas clair. On ne sait pas comment les sujetsacquirent la langue 2. Krashen ne pose pas le problme de l'automatisation ultrieure de l'appris qui a, ou

    n'a pas, le mme statut que l'acquis, en particulier en termes de conscience. Il ne pose pas non plus le

    problme des rgles enseignes qui sont, sinon inadquates, du moins parcellaires, et qui ont un domaine

    d'application plus ou moins matrisable chez les apprenants. Il ne parle pas du rle ventuel de la

    connaissance mtalinguistique dans l'acquisition hors enseignement.

    En ce qui concerne les processus luvre dans l'acquisition/apprentissage d'une langue 2, on revient

    en fait ici ce qui a t voqu au chapitre 1, et aux modes de perception et d'organisation du matriau

    explorer, pour l'enfant comme pour l'adulte, en langue 1 comme en langue 2. Une langue 2 est une langue,

    au mme titre que la langue maternelle. D'autre part, c'est la mme activit cognitive humaine qui est en

    jeu : on ne sera pas surpris alors de trouver de nombreuses analogies de traitement dans l'un et l'autredomaine. Le cerveau humain procde dans les deux cas des rsolutions des problmes, des

    catgorisations, des diffrenciations, des assimilations, des mmorisations. (On tentera cependant de

    cerner plus prcisment la spcificit de l'acquisition d'une langue 2.)

    En effet, les "erreurs" d"analogie sont bien le signe que, comme en L1, la gnralisation fait partiedes processus. On peut dire d'ailleurs, on l'a dj soulign, que les "erreurs" d'interfrence sont aussi issues

    de processus de gnralisation qui font appliquer un deuxime systme linguistique ce qu'on sait pouvoir

    appliquer pour le premier.

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    On peut avancer la mme ide pour les traitements qu'un apprenant applique aux informations dont il

    dispose et qui correspondent des processus de slection et de reconstruction. L'acquisition progressived'un nouveau systme ne peut se faire simplement par le reprage des formes de ce systme, mais est li

    une activit de structuration qui porte sur l'ensemble du systme de la langue cible, dans tous ses aspects. Ils'agit l de principes gnraux d'acquisition souvent dcrits dans la tradition de la "psychologie de

    l'apprentissage" ("apprentissage" est alors le terme gnrique), en particulier de tous les courants qui

    soulignent le caractre global des acquisitions, dans le cadre de la thorie Gestaltiste (qui a surtout tudisurtout la perception et la rsolution de problmes, et non les acquisitions linguistiques). Mais rappelons que

    le linguistique n'est que du cognitif spcialis. Il est vrai que l'hypothse de l'interlangue reflte assez

    exactement et le constructivisme de Piaget, et plus gnralement ces thories de psychologie cognitive

    suivant lesquelles l'adaptation une situation nouvelle passerait par l'laboration d' hypothses, tout aumoins lors de certaines phases de l'apprentissage. Ces hypothses (cf. 1.2.) manent de facteurs internes, de

    reprsentations, qui comprennent des reprsentations du but atteindre, et des moyens mettre en oeuvre.On voit que l'apprentissage obit aux mmes rgles que la perception ; la dcouverte d'une rponse correcte

    dpend de la faon dont l'apprenant va structurer l'input qu'il reoit, qu'il peroit, qu'il reconstruit donc.

    L'apprentissage comprend un double processus de cration puis d'abandon (ou de conservation)

    d'hypothses.

    Apprendre, c'est donc organiser progressivement davantage les matriaux qui font l'objet del'apprentissage (ici l'input de langue cible), c'est changer peu peu la structure perceptive dessignaux pertinents.

    Cette structuration du matriau linguistique par l'apprenant suppose une activit de slection. Lelangage tant en particulier trs redondant, il se peut que quelques lments suffisent orienter la

    comprhension ou la production, condition que les indices slectionns soient pertinents. Cette conception

    suppose que l'on offre l'apprenant un matriau suffisamment comprhensible, mais aussi riche et vari,

    pour qu'il puisse dvelopper son activit de slection et structurer l'input. On verra que l'enseignement peut

    servir aider la perception consciente de nouveaux indices linguistiques qui feront progresser le systme

    intermdiaire.

    On a souvent parl de "simplification du systme de la langue cible" par les apprenants. L'interlangue

    serait de la L2 laquelle il manquerait (encore) des lments et des rgles. Le terme est incorrect, car une

    "simplification" impliquerait un processus qui partirait d'une connaissance du systme cible que l'on

    rduirait. Or les apprenants n'ont pas cette connaissance, de mme qu'un enfant disant papa parti ne

    "simplifie" pas. Par contre, quand on crit un tlgramme, ou quand on utilise le "parler pour trangers"

    ("foreigner talk"), ou le "parler bb" ("baby talk"), on simplifie (dans les deux derniers cas de faon

    empirique), et les processus de production sont alors trs diffrents chez le natif qui parle "petit ngre" ou

    l'adulte qui "parle bb" de ce qu'ils sont dans les productions de non natifs ou de jeunes enfants.

    Les processus d'acquisition d'une L2 sont donc trs variables. Il y a une multiplicit des processus

    en jeu, et il existe diffrents niveaux de fonctionnement des activits langagires.On peut diffrencier les stratgies de production des stratgies de comprhension. Ces deux types de

    stratgies sont diffrencier, on ne sait pas encore trs clairement comment, des stratgiesd'acquisition/apprentissage. Les diffrents modes d'exposition la langue conduisent des stratgiesdiffrentes, suivant que l'on coute ou lit surtout, ou que l'on parle ou crit surtout. En production, les

    stratgies de communication interviennent. En comprhension, le sujet rencontre un moins grand "dfi",

    mais il ne peut alors user de stratgies d'vitement par exemple ("avoiding strategies"), de contournement de

    certaines difficults linguistiques, ce qui est typique en production, et pas seulement en langue trangre.

    Il est dlicat de distinguer ces diffrentes sortes de stratgies, stratgies de production/comprhension

    d'une part, et stratgies d'acquisition/apprentissage de l'autre, car les modes d'acquisition ne peuvent tre

    spars des activits de langage impliques par les situations. Les tches, dans leur nature, influent sur les

    stratgies de production/comprhension, et donc sur les stratgies de progression galement. Rien ne permet

    de considrer une comptence d'un point de vue absolu. Les stratgies de communication ont un rle encore

    18

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    assez mal cern. Le paradoxe est ici qu'on apprend en parlant et en coutant et que pour parler et couter il

    faut avoir appris au moins quelques lments.

    Suivant le type de tche, en particulier, l'apprenant (et en milieu institutionnel l'enseignant galement)

    privilgiera l'attention la forme ("form focused teaching/learning") ou plutt l'attention au sens ("meaning

    focused"). Se pose ici le problme de la nature de l'automatisation des rgles dont nous reparlerons auchapitre suivant. Si certaines rgles sont appliques sans que l'on ait besoin d'y rflchir, le "cot" cognitif

    est moins grand. L'automatisation implique bien un processus de progression qui va d'une lourde chargecognitive une activit inconsciente plus "lgre" cognitivement.

    Le terme d''automaticit", quant lui, s'attache la description d'un tat de langue un moment

    donn et non d'un processus. On fait rfrence par l la possibilit de traiter quelque chose un niveaubas (phonologie, morphosyntaxe) alors que l'attention active est porte sur le traitement du niveau haut(smantique, construction de la signification, gestion de l'interaction)

    La pratique, celle d'exercices structuraux "intelligents" en particulier, peut assurer l'automatisation de

    certaines formes linguistiques, mais n'est pas suffisante pour en permettre la transposition d'autres

    situations. L'automatisation, on le verra, a divers degrs.

    On s'aperoit ici que ces considrations valent galement largement pour la langue maternelle, en

    particulier dans un cadre scolaire, mais pas uniquement. Une attention la forme plus grande, dans unesituation naturelle de communication plus "stressante" induit une surcharge cognitive. De mme, l'crit

    (lecture/criture) en langue maternelle, l'orthographe en particulier (surtout en franais), posent galement le

    problme de l'automatisation des fonctions de bas niveau. Les activits cognitives complexes supposent la

    mise en oeuvre de nombreuses oprations qui doivent s'enchaner trs rapidement. Certaines de ces

    oprations exigent beaucoup d'attention de la part du sujet, alors que d'autres peuvent tre accomplies de

    manire automatique (sans qu'il y ait eu un moment donn accs la conscience) ou automatises (aprs

    prise de conscience pralable). En dbut d'apprentissage, l'attention est grande pour les deux niveaux. En fin

    de parcours, on peut supposer que le niveau bas est automatis, et que l'attention peut se porter sur le niveau

    haut, que ce soit pour l'apprentissage d'une langue 2, ou pour l'apprentissage de la lecture en langue

    maternelle, o l'on passe du dchiffrage qui occulte le sens gnral d'un texte une lecture automatique au

    niveau bas et qui se concentre sur le sens. Le dfaut d'automaticit d'une opration peut tre un handicap

    pour l'enchanement d'autres oprations. Une rgle automatise permet cependant toujours le retour vers laconscience, si un obstacle apparat. On peut toujours, en langue maternelle, peler un mot, et le redchiffrer

    en cas de problme, en corriger l'orthographe. On peut toujours, si l'on connat la rgle, vrifier que le -s de

    la troisime personne a t ajout en anglais. Ceci n'est pas le cas en ce qui concerne les acquisitions qui ne

    sont pas "passes par" des rgles explicites un moment ou un autre, qui ne sont pas du ressort de la

    conscience possible en cas de relecture ou d'obstacle quelconque.

    2.3. L'observation et l'intervention : deux problmatiques

    L'tude de l'interlangue intresse le chercheur (psycho)linguiste qui observe et analyse les

    phnomnes d'acquisition des langues, ou qui dcrit un tat de langue un moment donn. Depuis lesannes 70, on a en effet eu une plus claire conscience que l'on ne savait gure de choses sur l'acquisition des

    langues 2. L'tude des varits de langues produites par des sujets acqurant une langue 2 permet d'aborder

    des problmes concernant l'aspect volutif du langage, problmes parfois masqus par les seules analyses de

    la langue maternelle d'un adulte non pathologique, ou par les objectifs traditionnels de l'enseignement des

    langues.

    La description du dveloppement des interlangues aide approfondir certains concepts et clarifier

    une terminologie se rapportant aux langues et l'activit langagire en gnral. Le va-et-vient constant avec

    des donnes permet des considrations sur le fonctionnement du langage en gnral, mais aussi permetd'approfondir les connaissances sur l'acquisition de la langue 1, sur les pidgins et les croles, sur le

    bilinguisme. De mme que l'tude des aphasiques renseigne sur l'activit langagire non pathologique, de

    mme cette tude des interlangues largit sans cesse son champ pour intgrer des considrations gnrales

    sur le langage, ce fruit de l'activit de reprsentation de sujets adultes ayant une pratique sociale dans une

    mme communaut linguistique. Elle met en effet en jeu d'un ct le caractre fondamental de l'activit de

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  • 7/30/2019 Dveloppement cognitif et acquisition du langage (L1)

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    reprsentation et galement une conception socio-cognitive qui accorde un rle spcifique aux facteurs

    sociaux dans le dveloppement langagier. Elle apparat donc comme un poste d'observation du langage,un prisme ou une loupe si l'on veut, et constitue un champ qui permet de mettre l'preuve des thories

    linguistiques et psychologiques.

    Les chercheurs ont, par exemple, analys des varits d'interlangues de sujets (immigrs conomiques

    en France par exemple) qui n'avaient pas t soumis un enseignement, mme dans leur langue maternelle,

    afin d'liminer le paramtre de l'influence de l'enseignement sur l'acquisition d'une langue 2, et de pouvoir

    aussi tenter d'tablir des comparaisons avec l'acquisition de la langue 1 par les enfants d'ge pr-scolaire.

    On a aussi tudi l'importance de la focalisation sur la forme dans de tels environnements "naturels",

    et le rle plus ou moins pdagogique des interlocuteurs bien intentionns. Nous reviendrons sur ces

    domaines.

    - l'interventionLe chercheur peut aussi faire tout ce travail d'analyse des fins d'intervention. Un