Delly - Entre Deux Ames

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  • 7/21/2019 Delly - Entre Deux Ames

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    BIBEBOOK

    DELLY

    ENTRE DEUX MES

  • 7/21/2019 Delly - Entre Deux Ames

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    DELLY

    ENTRE DEUX MES

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-1338-0

    BIBEBOOKwww.bibebook.com

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    Credits

    Sources : Bibliothque lectronique du bec

    Ont contribu cee dition :

    Gabriel Cabos

    Fontes : Philipp H. Poll Christian Spremberg Manfred Klein

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    Licence

    Le texte suivant est une uvre du domaine public ditsous la licence Creatives Commons BY-SA

    Except where otherwise noted, this work is licensed under

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    AM Charles Foley

    Amical et reconnaissant hommage.

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    CHAPITREI

    L Jockey-Club venaient de fter, ce soir, la toute

    rcente lection lAcadmie du marquis de Ghiliac, lauteurclbre de dlicates tudes historiques et de romans psycholo-

    giques dont la haute valeur liraire ntait pas contestable. Dans un dessalons luxueux, un groupe, compos de ce que le cercle comptait de plusaristocratique, entourait le nouvel immortel pour prendre cong de lui,car la nuit savanait et seuls les joueurs acharns allaient saarder en-

    core.De tous les hommes qui taient l, aucun ne pouvait se vanter d-

    galer quelque peu ltre dharmonieuse beaut et de suprme lgancequtait lie de Ghiliac. Ce visage aux lignes superbes et viriles, au teintlgrement mat, la bouche fine et railleuse, cee chevelure brune auxlarges boucles naturelles, ces yeux dun bleu sombre, dont la beaut taitaussi clbre que les uvres de M. de Ghiliac, et la haute taille svelte, ettout cet ensemble de grce souple, de courtoisie hautaine, de distinction

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    Entre deux mes Chapitre I

    patricienne faisaient de cet homme de trente ans un tre dincomparablesduction.Cee sduction sexerait visiblement sur tous ceux qui lentouraient

    en ce moment, changeant avec lui des poignes de main, ripostant,les uns spirituellement, les autres platement, ses mots tincelants, quitaient de lesprit franais le plus fin, le plus exquis, un vrai rgal ! ainsique le disait une fois de plus un de ses parents, le comte dEssil, hommedun certain ge, mine spirituelle et fine, en se penchant loreille dun

    jeune Russe, ami intime de M. de Ghiliac.

    Le prince Sterkine approuva dun geste enthousiaste, en dirigeant sesyeux bleus, clairs et francs, vers cet ami quil admirait aveuglment. ce moment, M. de Ghiliac, ayant satisfait ses devoirs de politesse,

    savanait vers M. dEssil : Avez-vous une voiture, mon cousin ? tous les dons reus du ciel, il joignait encore une voix chaude, aux

    inflexions singulirement charmeuses, et dont il savait faire jouer toutesles notes avec une incomparable souplesse.

    Oui, mon cher, un taxi maend.

    Ne prfrez-vous pas que je vous mee chez vous en passant ? Jaccepte avec plaisir, dautant plus que japprcie fort vos automo-

    biles. Venez donc en user ce soir. . . demain, Michel ? Je taendrai

    deux heures. Entendu. Bonsoir, lie. Mes hommages M dEssil, monsieur.Le jeune Slave serra la main du comte et de M. de Ghiliac, qui sloi-

    gnrent et sortirent des salons.Au dehors, un landaulet lectrique, petite merveille de luxe sobre, at-

    tendait le marquis de Ghiliac. Il y monta avec son parent, jeta au valet depied ladresse de M. dEssil, puis, senfonant dans les coussins soyeux,murmura dun ton dironique impatience :

    elle stupide corve !M. dEssil lui frappa sur lpaule. Blas sur les compliments, sur lencens, sur les adorations ! Ah !

    quel homme !M. de Ghiliac eut un clat de rire bref.

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    Entre deux mes Chapitre I

    Blas sur tout ! Mais, si vous le voulez bien, parlons de choses s-rieuses, mon cher cousin. Puisque nous sommes seuls, je vais vous de-mander un renseignement... Je ne sais si je vous ai dit que je songeais me remarier ?

    Non, mais jai appris indirectement que la duchesse de Versangesse montrait fort dsole, parce que vous vinciez impitoyablement sescandidates, choisies, cependant, parmi ce que notre aristocratie comptede meilleur, sous tous les rapports.

    Parfaites ! Mais jai mon idal, que voulez-vous !

    M. dEssil jeta un regard surpris sur le beau visage o les prunellessombres tincelaient dironie ensorcelante. Vous avez un idal, lie ?Le marquis laissa chapper un petit rire railleur. De quel ton vous me dites cela ! Jai lair de vous tonner prodigieu-

    sement et je souponne que vous me croyez incapable dentretenir dansmon esprit de sceptique la petite flamme bleue dun idal quelconque.Mais le mot est impropre en la circonstance, je le reconnais, car il sagitsimplement dun mariage de raison.

    Et vous avez choisi ?. . . Personne encore, cher cousin. Je nai pas trouv mon... comment

    dire ?. . . Mon rve ?. . . Non, cest trop thr encore.. . Mon type ? Cestvulgaire... Enfin, ce que je cherche.

    Sapristi ! vous tes difficile, mon cher ! Toutes les femmes sont vospieds et vous savez davance que lheureuse lue sera lobjet de jalousiesfroces.

    On naura pas grand sujet de jalouser celle qui deviendra ma femme,riposta tranquillement lie.

    M. dEssil le regarda dun air lgrement effar. Pourquoi donc, mon ami ?lie eut de nouveau ce petit rire railleur qui lui tait habituel. Eh ! nallez pas me croire des intentions de Barbe-Bleue !. . . Bien

    quon ait racont dassez jolies choses en ce genre propos de Fernande,ajouta-t-il avec un lger mouvement dpaules. Jai laiss dire, tellementctait stupide. Aujourdhui jimagine quon nen parle plus... Pour enrevenir la future marquise lie de Ghiliac, jai voulu simplement mere

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    Entre deux mes Chapitre I

    cee ide quaucune de ces dames ne serait peut-tre trs aise de menerlexistence srieuse, retire, que je destine ma seconde femme.La mine stupfaite de M. dEssil devait tre amusante voir, car son

    cousin ne put sempcher de rire, dun rire trs jeune, trs franc, sansaucun mlange dironie cee fois, et qui tait fort rare chez lui.

    Vous voulez vous retirer, lie ? Mais non, pas moi ! Je vous parle de ma femme. Allons, je vais mex-

    pliquer...Il senfona un peu dans les coussins, dun mouvement nonchalant.

    Sous la douce lueur de la petite lampe lectrique voile de jaune ple, M.dEssil voyait tinceler ses yeux profonds, que les cils voilaient dombre. ... Je nai pas vous apprendre que mon premier mariage fut une

    erreur. Jamais deux caractres ne furent moins faits pour sentendre quecelui de Fernande et le mien. Nous en avons souffert tous deux... et jeme suis promis de ne jamais recommencer une exprience de ce genre.

    Jentends rester libre. Et cependant je souhaite me remarier, afin davoirun hritier de mon nom, car je suis le dernier de ma race. Ceci est laquestion principale. En outre, je ne serais pas fch de donner une mre

    la petite Guillemee, dont la sant, parat-il, laisse fort dsirer, et dontles institutrices et gouvernantes procurent tant dennuis ma mre, parsuite de leur continuel changement.

    Alors, lie ? Alors, cher cousin, voici : je veux une jeune personne srieuse, ai-

    mant les enfants, dtestant le monde, heureuse de vivre toute lanne Arnelles, et se contentant de me voir de temps autre, sans se croirele droit de jamais rien exiger de moi. Je ne veux pas de frivolit, pas degots intellectuels ou artistiques trop prononcs. Il me faut une femmesrieuse, dintelligence moyenne, mais de bon sens et pas sentimentale,surtout ! Oh ! les femmes sentimentales, les romanesques, les exaltes ! Etles pleurs, les crises nerveuses, les scnes de jalousie ! ces scnes exasp-rantes dont me gratifiait cee pauvre Fernande chaque fois quune idelui passait par la tte !

    Sa voix prenait des intonations presque dures, et une lueur dirritationparut, pendant quelques secondes, dans son regard.

    Mais, mon cher ami, il y a tout parier que nimporte quelle femme,

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    Entre deux mes Chapitre I

    si srieuse quelle soit, sera prise et profondment prise dun maritel que vous, objecta en souriant M. dEssil. Cest invitable, voyez-vous. Jespre, si elle est telle que je le souhaite, lui faire comprendre

    linutilit et le danger dun sentiment de cee sorte, sadressant moi quiserai jamais incapable de le partager, rpliqua M. de Ghiliac. Une femmeraisonnable et non romanesque saisira aussitt ce que jaends delle, etpourra trouver encore quelque satisfaction dans une union de ce genre.Maintenant, venons au renseignement que je voulais vous demander : nevoyez-vous pas, parmi votre parent et vos nombreuses connaissances de

    province, quelquun rpondant mes desiderata ? Hum ! avec des conditions pareilles, ce sera diablement difficile !Savez-vous, mon cher, quil faudrait une femme dune raison presque sur-humaine pour accepter de vivre en marge de lexistence mondaine de sonmari, de se voir relgue toute lanne Arnelles, alors quelle pourraittre une des femmes les plus envies de la terre, et goter tous les plai-sirs que procure une fortune telle que la vtre ?

    Jen conviens, et au fond, je dsespre presque de la dcouvrir.Cependant, un hasard !. . . Une jeune fille trs pieuse, peut-tre ?

    Une jeune fille pieuse hsitera pouser un indiffrent comme vous,lie.

    Cest possible. Cependant, joubliais de vous dire que je tiens essen-tiellement ce point-l. Une forte pit, chez une femme, est la meilleuredes sauvegardes, et la premire garantie pour son mari.

    Mais vous nadmeez pas quelle puisse exiger la rciprocit ?.. . ditle comte avec un lger sourire narquois. Cependant, il arrive gnrale-ment quune jeune personne trs chrtienne tient trouver les mmessentiments chez son poux. Ce sera donc l encore une difficult de plus.

    Ah ! vous allez me dcourager ! dit M. de Ghiliac dun ton mi-plaisant, mi-srieux, en saisissant entre ses doigts la fleur rare qui, d-tache de sa boutonnire, venait de glisser sur ses genoux. Voyons, cher-chez bien dans vos souvenirs. Ma cousine et vous avez l-bas, en Franche-Comt, en Bretagne, aux quatre coins de la France, quantit de jeunesparents, de jeunes amies...

    Oui, mais aucune ne me parat apte raliser vos vux. Un hommetel que vous ne peut vouloir dune petite oie comme Henriee dErqui. . .

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    Entre deux mes Chapitre I

    Non, pas doie, mon cousin... Odee de Krigny est un laideron... Ce nest pas mon affaire. Tenez-vous une beaut ? Mais je nen veux pas, au contraire ! Une jolie femme est presque

    ncessairement coquee, elle voudrait devenir mondaine. . . Non, non, pasde a ! Une jeune personne qui ne soit pas faire peur, distingue surtout, jy tiens essentiellement, bien leve et de caractre gal, docile. . .

    Mon cher ami, vous tes dune exigence !. . . Voyons. . . voyons. . .

    M. dEssil appuyait son front sur sa main, comme sil tentait den fairesortir une ide, un souvenir. lie, dans une de ses mains dgantes, frois-sait la fleur couleur de soufre. Une tideur exquise rgnait dans cet in-trieur capitonn, o floait un parfum trange, subtil et enivrant, quiimprgnait tous les objets lusage personnel de M. de Ghiliac.

    M. dEssil redressa tout coup la tte. Aendez !. . . peut-tre. . . Vous serait-il indiffrent dpouser une

    jeune fille pauvre, mais ce qui sappelle compltement pauvre, tel pointque vous auriez votre charge sa famille pre, mre, et six frres et

    surs plus jeunes ? La question dargent nexiste pas pour moi. Mais toute cee famille

    serait bien encombrante. Pas trop, probablement, car M de Noclare, toujours malade, ne

    quie jamais le Jura, o ils vivent tous dans leur castel des Hauts-Sapins, mi-montagne, l-bas, aux environs de Pontarlier. Valderez, la fille ane,est la filleule de ma femme...

    Valderez ?. . . Cest M dEssil qui lui a donn ce nom ? Oui, cest un des prnoms de Gilberte, une Comtoise, comme vous

    le savez. Il ne vous plat pas ? Mais si. Continuez, je vous prie. Cee enfant sest vue oblige, toute jeune, de remplacer sa mre

    malade, de la soigner, de soccuper de ses frres et surs, de conduire lamaison avec des ressources qui se faisaient de plus en plus minimes, car lepre, une cervelle vide, a perdu sa fortune, assez gentille lpoque de sonmariage, dans le jeu et les plaisirs. Maintenant, il mne aux Hauts-Sapinsune existence ncessiteuse, sans avoir lnergie de chercher une position

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    Entre deux mes Chapitre I

    qui puisse enrayer sa course vers la misre noire. Il est aigri, acaritre, et jesouponne la pauvre Valderez de ntre rien moins quheureuse chez elle,entre ce pre toujours murmurant et cee mre affaiblie de corps et devolont, avec le souci constant du lendemain et les mille soins de mnagequi retombent sur elle. Jimagine, mon cher, quon vous considrerait lcomme un sauveur.

    Comment est cee jeune fille ? Voil trois ans que nous ne lavons vue. Ctait cee poque une

    grande fillee de quinze ans, ni bien ni mal, les traits non forms, un peu

    gauche et mal faite encore, mais trs distingue cependant. Des cheveuxsuperbes, de dlicieuses petites dents et des yeux extrmement beaux.Avec cela, trs srieuse, dvoue dune manire admirable tous les siens,trs pieuse, trs timide, ignorant tout du monde, mais intelligente et suf-fisamment instruite.

    Eh ! mais, voil mon affaire ! Javais comme lintuition que je d-couvrirais quelque chose chez vous. La famille est de bonne noblesse ?

    Vieille noblesse comtoise, pure de msalliances.M. de Ghiliac demeura un instant silencieux, les yeux songeurs, en

    ptrissant entre ses doigts la fleur mconnaissable. Daprs ce que vous me dites, elle naurait que dix-huit ans, reprit-

    il. Cest un peu jeune. Elle serait plus mallable. Cest vrai. Et si elle est srieuse, aprs tout !. . . Habitue vivre la

    campagne, dans une quasi pauvret, Arnelles devra lui paratre un Eden. videmment. Et je ne me la figure pas du tout romanesque. Il est

    vrai quavec les jeunes filles, on ne sait jamais... Mon cher lie, puis-jevous demander davoir gard une de mes petites faiblesses en cessantde massacrer cee pauvre fleur ?

    Pardon, mon cousin, javais oubli...Abaissant la vitre, il lana au dehors les ptales crass. Puis il se

    tourna vers M. dEssil. Voil ce qui sappelle aimer les fleurs ! ant moi, ces produits

    de serre, ces crations compliques me laissent insensible. Aprs avoirquelque temps rjoui mes yeux de leur beaut, je les dtruis sans piti. La

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    Entre deux mes Chapitre I

    vraie fleur, pour moi, celle que je nai jamais touche que pour en admirerla simplicit harmonieuse, cest lhumble fleur des champs et des bois.M. dEssil carquilla des yeux stupfaits, ce qui eut pour effet dexciter

    de nouveau la gaiet un peu railleuse de M. de Ghiliac. Juste ciel ! mon pauvre cousin, je crois que je vous rvle ce soir

    des horizons insouponns ! lie de Ghiliac devenu lyrique et sentimen-tal ! Vous nen revenez pas. . . et moi non plus, du reste. Voyons, soyonssrieux. Nous parlions, non pas dune fleur, mais de M de Noclare cequi est tout un peut-tre ?

    Une fleur des champs, lie.La bouche railleuse eut un demi-sourire. En ce cas, soyez tranquille, nous la traiterons comme telle. Mais me

    serait-il possible de voir sa photographie ? Ma femme en a une, datant malheureusement de trois ans. Je vous

    lenverrai demain. Avec ladresse exacte, je vous prie. Du moment o je suis dcid

    me remarier, je veux en finir le plus tt possible avec cet ennui. Donc, sila physionomie me plat peu prs, daprs la photographie, je pars pour

    le Jura afin de voir cee jeune personne. Mais il me faudrait un prtexte,pour me prsenter M. de Noclare de votre part.

    Je vous remerai un mot pour lui en donnant comme motif votrevoyage le dsir de consulter de vieilles chroniques quil possde et dont

    je vous ai parl. En vue dun prochain ouvrage. Cest cela. Jespre quil aura au

    moins lide de me montrer sa fille ? Pour plus de sret, ma femme pourra vous donner une commis-

    sion, un petit objet quelconque, que vous serez charg de remere Mde Noclare.

    M. de Ghiliac eut un geste approbatif. Trs bien. . . Cee jeune fille a une bonne sant ? Excellente. Il ny a pas de maladie hrditaire dans la famille, je puis

    vous lassurer. Cest un point sur lequel je naurais pu passer. Dcidment, je trou-

    verai peut-tre l mon affaire.

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    Entre deux mes Chapitre I

    Le silence tomba de nouveau entre eux. M. de Ghiliac jouait ngli-gemment avec son gant. Du coin de lil, son parent le regardait, lairperplexe et curieux.

    Alors, pas didal, lie ? dit tout coup M. dEssil en se penchantvers lui.

    Les paupires qulie tenait un peu abaisses se soulevrent, les yeuxfoncs tincelrent, et M. dEssil, stupfait une fois de plus, y vit passerune flamme qui parut clairer soudainement tout le beau visage devenutrs grave.

    Jen ai tout au moins un : la patrie ! dit M. de Ghiliac dun ton calmeet vibrant.Dcidment le pauvre M. dEssil tombait aujourdhui dtonnement

    en tonnement. Ctait du reste la coutume de linsaisissable nigme qu-tait lie de Ghiliac dinterloquer les gens par les sautes tranges appa-rentes ou relles de ses ides.

    Ah ! Trs bien ! Trs bien ! fit le comte, cherchant reprendre sesesprits. Cest un trs noble idal, cela, un des plus nobles... Et vous enavez peut-tre dautres ?

    Peut-tre ! i sait ! Tout arrive !Subitement, le sceptique reparaissait, le regard redevenait ironique et

    impntrable.Lautomobile sarrtait ce moment devant la demeure de M. dEssil.

    Celui-ci prit cong de son jeune parent, et, dun pas encore alerte, gagnale troisime tage, o se trouvait son appartement.

    En entrant chez lui, il vit, par une porte entrouverte, passer un rai delumire. Il savana et pntra dans la chambre de sa femme. M dEssiltait couche et lisait. lentre de son mari, elle tourna vers lui sonvisage froid et distingu, dont un sourire vint adoucir lexpression.

    Vous ne dormez pas encore, Gilberte ? dit M. dEssil en sappro-chant.

    Impossible de trouver le sommeil, mon ami. Vous avez pass unebonne soire ?

    Excellente. lie tait particulirement en verve, ce soir, vous imagi-nez ce qua t sa conversation. el tre extraordinaire ! Tout lheure,

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    Entre deux mes Chapitre I

    en venant jusquici, car il ma ramen fort aimablement dans sa voiture, il ma compltement abasourdi. Racontez-moi cela, si vous ntes pas trop press de gagner votre

    lit. Mais pas du tout ! assura M. dEssil en sinstallant dans un confor-

    table fauteuil au pied du lit. Ah ! vous ne devineriez jamais ce que je viensvous apprendre ! Peut-tre votre filleule, Valderez de Noclare, est elle surle point de faire un mariage inou, merveilleux !

    M dEssil le regarda dun air profondment tonn.

    Pourquoi me parlez-vous ainsi, brle-pourpoint, de Valderez,quand il est question dlie de Ghiliac ?Le comte se froa les mains en riant malicieusement. Vous ne comprenez pas ? Cest bien simple, pourtant ! lie cherche

    une seconde femme, et je lui ai indiqu Valderez.M dEssil laissa chapper un geste de stupfaction. Vous tes fou, Jacques ! e signifie cee plaisanterie ? Une plaisanterie ? Aucunement ! preuve que jai mission de lui

    envoyer demain la photographie de votre filleule.

    Et M. dEssil, l-dessus, raconta sa femme sa conversation avec lie.and il eut fini, elle secoua la tte. Ce serait, en effet, un sort magnifique pour cee enfant... Mais

    serait-elle heureuse dans une union de ce genre ? lie est une nature sitrange, si inquitante !

    Aucune critique srieuse na jamais pu tre faite sur sa vie prive,il faut le reconnatre, Gilberte.

    Cest incontestable, et nous devons le dire bien vite son honneur.Mais son premier mariage nen a pas moins t fort malheureux.

    Fernande tait une si pauvre tte, une poupe vaine et frivole ! Sesexaltations sentimentales, sa jalousie, sa prtention de simmiscer dansles travaux de son mari devaient ncessairement exasprer un hommetel que lui, qui est lindpendance et il faut bien lavouer lgosmepersonnifis.

    Lgosme, oui, vous dites bien. Et sa conduite envers sa fille, dont ilne soccupe pas et quil connat peine ? Et son scepticisme, ses habitudesultra-mondaines, son sybaritisme ? Et, surtout, ce quon ne connat pas

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    Entre deux mes Chapitre I

    de lui, ce quil cache derrire le charme ensorcelant de son regard, de sonsourire, de sa voix ?.. . Puis, dites-moi, Jacques, croyez-vous quil soit bienagrable pour une femme de voir son mari objet des continuelles adu-lations dune cour fminine enthousiaste ?. . . Surtout quand elle-mmenaurait prs de lui que le rle effac destin par lie sa seconde femme ?

    videmment... videmment. Je ne dis pas que tout serait parfaitdans ce mariage ; mais pensez-vous, Gilberte, que cee pauvre petite soitheureuse chez elle, surtout avec cee constante proccupation de la pau-vret ? Son union avec lie ramnerait laisance parmi les siens. Et elle

    vivrait tranquille dans cet admirable chteau dArnelles, avec une tchedaffection et de charit prs dune enfant sans mre ; elle porterait undes plus beaux noms de France, jouirait du luxe raffin dont sait si biensentourer lie...

    M dEssil linterrompit dun hochement de tte. Si elle est reste telle quautrefois, ce nest pas une nature trou-

    ver des compensations dans des avantages de ce genre. La perspective deservir de mre Guillemee serait probablement plus tentante pour elle,si maternelle et si dvoue prs de ses frres et surs.

    Enfin, que pensez-vous, Gilberte ?. . .La comtesse rflchit un instant, en passant ses longs doigts fins sur

    son front. Cest excessivement embarrassant ! Je vous lavoue, mon ami, lie

    me parat un peu effrayant comme mari.M. dEssil se mit rire. Allez donc dire cela ses innombrables admiratrices ! Ah ! il est

    vident quil sera toujours le matre, car il sentend se faire obir ! Mais ilest trs gentilhomme, et je suis persuad quune femme srieuse et bonnenaura jamais souffrir de son caractre, trs orgueilleux, trs autoritaire,mais loyal et gnreux.

    Et fantasque, et... inconnu, au fond, avouez-le, Jacques. Si javaisune fille, la lui donnerais-je en mariage ? Ce serait, en tout cas, en trem-blant beaucoup.

    Hum ! moi aussi ! Et pourtant, jai lintuition que chez lui la valeurmorale est beaucoup plus grande que ne le font croire les apparences.Vous doutiez-vous, par exemple, quil ft un patriote ardent ?

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    Entre deux mes Chapitre I

    Pas du tout, je le croyais plutt tide sous ce rapport.Ehbien!ilvientdeservlerainsimoitoutlheure.Ilsepourraitdonc quil recelt dautres surprises agrables. Mais enfin, que dcidez-vous pour Valderez ?

    Nous navons pas de raisons absolument srieuses pour ne pas pr-ter les mains ce projet, Jacques. Il y a beaucoup de contre, cest vrai,mais beaucoup de pour aussi. Cee enfant sera impossible marier danssa lamentable situation de fortune. Puis, un jour ou lautre, ils naurontpeut-tre mme plus de pain. Dans de tels cas, des sacrifices simposent

    devant une solution aussi inespre que le serait une demande en ma-riage du marquis de Ghiliac. Si Valderez est romanesque, si elle a faitmme seulement quelques-uns des rves habituels aux jeunes filles, il est craindre quelle souffre prs dlie ; mais il est bien possible quelle nait

    jamais pris le temps de rver, pauvre petite ! et quelle accepte bien sim-plement ce mariage de raison, cee existence sacrifie, et la courtoise in-diffrence de son mari. En ce cas elle pourra trouver des satisfactions danscee union, quand ce ne serait que de voir les siens labri de la gnepour toujours, car lie se montrera royalement gnreux, cest dans ses

    habitudes... Par exemple, une chose sera probablement fort dsagrable Valderez : cest lindiffrence religieuse de M. de Ghiliac.

    Il sest toujours rvl, dans ses crits et dans ses paroles, trs res-pectueux des croyances dautrui, et il est bien certain que sa femme res-tera libre de pratiquer sa religion comme bon lui semblera.

    Oui, mais une jeune fille pieuse comme Valderez souhaite natu-rellement mieux que cela. Enfin, si lie se dcide de ce ct, les Noclarenous demanderont certainement des renseignements son sujet, et nousdirons tout, le pour et le contre. eux de dcider.

    Oui, cest la seule solution possible. Jimagine, par exemple, quela belle-mre ne sera pas cee fois jalouse de cee jeune marquise-l,comme elle ltait de Fernande, qui tait assez jolie, si mondaine, et sha-billait admirablement, tous dfauts impardonnables aux yeux de la trsbelle et toujours jeune douairire.

    Elle naura gure de raisons de ltre, en effet, si lie persiste dans laligne de conduite quil vous a rvle. Du moment o sa bru ne risquerapas de lclipser tant soit peu et ne sera pas aime du fils quelle idoltre,

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    Entre deux mes Chapitre I

    elle ne lui portera pas ombrage. Alors, nous enverrons la photographie demain ? Et maintenant,bonsoir, mon amie. Il est terriblement tard. Tchez de vous endormir en-fin.

    Il baisa le front trs haut o quelques rides sentrelaaient et fit deuxpas vers la porte. Puis, se retournant tout coup :

    Cest gal, Gilberte, je crois qulie entretient une utopie en pen-sant pouvoir persuader sa femme de navoir pour lui quun aachementmodr.

    Je le crains. Et cest ce qui meffraie pour Valderez. Dautre part, cemariage serait pour eux une chance tellement inoue, invraisemblable !. . .Ah ! je ne sais plus, tenez, Jacques ! Votre extraordinaire cousin me metla tte lenvers et je suis bien sre de ne pouvoir fermer lil un instant.Envoyez la photographie... et je ne sais trop ce que je souhaite : quellelui plaise ou lui dplaise.

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    CHAPITREII

    M. G, dun geste qui navait rien dempress, prit sur

    le plateau quun domestique lui prsentait lenveloppe sur la-quelle il avait, dun coup dil, reconnu lcriture du comte

    dEssil, et la dcacheta ngligemment.Il se trouvait dans son cabinet de travail, pice immense, o tout tait

    du plus pur style Louis XV, o tout parlait aussi des gots de luxe raffin,dlgance dlicate du matre de ces lieux. Aucune demeure dans Paris ne

    pouvait rivaliser sous ce rapport avec lhtel de Ghiliac, lantique et opu-lent logis des anctres dlie, que celui-ci avait su transformer selon lesexigences modernes sans rien lui enlever de son noble cachet. Un parentde son pre, grand seigneur autrichien, lui avait lgu nagure toute safortune, cest--dire quelques millions de revenus, de telle sorte qulie,dj fort riche auparavant, pouvait raliser ses plus coteux caprices, ce dont il ne se privait nullement.

    Nature trange et infiniment dconcertante que celle-l, ainsi que le

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    Entre deux mes Chapitre II

    dclaraient si bien M. dEssil et sa femme ! Ses meilleurs amis, que subju-guaient la sduction de sa personne et la supriorit de son intelligence,ses surs, sa mre elle-mme, laquelle il tmoignait une dfrenceaimable et froide, le considraient comme une indchiffrable nigme.On trouvait chez lui les contrastes les plus surprenants. Cest ainsi, parexemple, que cet homme donnait le ton la mode masculine et voyaitle moindre dtail de sa tenue avidement copi par la jeunesse lgante,ce sybarite qui sentourait de raffinements inous, avait fait deux ans au-paravant un prilleux voyage travers une partie presque inconnue de

    la Chine, et de tous ses compagnons, hommes rompus cependant cegenre dexpditions, stait montr le plus nergique, le plus entranant,le plus infatigable au milieu de dangers et de privations de toutes sortes.Cest ainsi quhier encore le mondain sceptique avait laiss entrevoir, auxyeux tonns de M. dEssil, un patriote convaincu.

    Les femmes lentouraient dadmirations passionnes, auxquelles, jus-quici, il tait demeur insensible. Il se laissait adorer avec une ironiqueindiffrence, en samusant seulement parfois exciter, par une aen-tion phmre, ces jalousies fminines. De temps autre, il engageait

    un flirt, qui ne durait jamais plus dune saison. Ses amis savaient alorsque le romancier avait dcouvert un type curieux tudier et quils leretrouveraient, dissqu avec une incomparable matrise, dans son pro-chain roman. Ironiste trs fin et trs mordant, il dvoilait dun mot, dansses paroles ou dans ses crits, toutes les faiblesses, tous les ridicules, et sesrailleries acres, qui senveloppaient de formes exquises lorsquelles sa-dressaient aux femmes, taient redoutes de tous, car elles dsemparaientles gens les plus srs deux-mmes.

    Telle tait cee personnalit singulire que M dEssil avait raisonde trouver fort inquitante.

    En ce moment, M. de Ghiliac considrait avec aention la photogra-phie quil venait de tirer de lenveloppe. Comme lavait dit M. dEssil, ellereprsentait une fillee dune quinzaine dannes, trop maigre, aux traitsindcis, aux yeux superbes et srieux. Une paisse chevelure couronnaitce jeune front o le souci semblait avoir mis dj son empreinte.

    Une photographie ne signifie rien, surtout si mauvaise que celle-ci,murmura M. de Ghiliac. L-dessus, la physionomie ne me dplat pas. Les

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    Entre deux mes Chapitre II

    yeux sont beaux, et dans un visage cest le principal. Jirai un de ces joursl-bas, et nous verrons.Il donna une caresse distraite Odin, son grand lvrier fauve, qui

    sapprochait et posait timidement son long museau sur ses genoux. Lengrillon accroupi ses pieds lana au chien un regard jaloux. Benakiavait t ramen dAfrique par M. de Ghiliac, qui lavait achet un mar-ch desclaves, et partageait avec Odin les faveurs de ce matre imprieuxet fantasque, bon cependant, mais qui ne semblait pas considrer lenfantautrement que comme un petit animal gentil et drle, dont il daignait sa-

    muser parfois, et qui meait une note originale dans lopulent dcor deson cabinet.Un domestique apparut, annonant : M la baronne de Brayles demande si monsieur le marquis veut

    bien la recevoir. Faites entrer ! dit brivement M. de Ghiliac.Il posa la photographie sur son bureau et se leva en repoussant du

    pied Benaki, ainsi quil et fait dOdin. Le ngrillon se rfugia dans uncoin de la pice, tandis que son matre, dun pas nonchalant, savanait

    vers la visiteuse.Ctait une jeune femme blonde, petite et mince, dune extrme et trs

    parisienne lgance. Ses yeux la nuance changeante, bleus ou verts, onne savait, brillrent soudainement en se fixant sur M. de Ghiliac, tandisquelle lui tendait la main avec un empressement qui ne paraissait pasexister chez lui.

    Javais tellement peur que vous ne soyez dj sorti ! Et je tenais tantcependant vous voir aujourdhui ! Jai une grande, grande faveur vousdemander, lie.

    Roberte de Grandis avait t lamie denfance de la sur ane de M.de Ghiliac et de sa premire femme. Il existait mme un lien de parentloign entre sa famille maternelle et les Ghiliac. De deux ans seulementmoins ge qulie, elle avait, enfant, jou fort souvent avec lui. Adoles-cents, ils montaient cheval ensemble, pratiquaient tous les sports donttait amateur M. de Ghiliac. Celui-ci trouvait en Roberte ladmiratrice laplus fervente ; il nignorait pas la passion dont, dj, il tait lobjet. Mais

    jamais il ne parut sen apercevoir. Lorsque, vingt-deux ans, il pousa la

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    Entre deux mes Chapitre II

    fille ane du duc de Mothcourt, Roberte crut mourir de dsespoir. Ellecda peu aprs aux instances de ses parents en acceptant la demande dubaron de Brayles, quelle ne chercha jamais aimer et qui la laissa veuveet peu prs ruine trois ans plus tard.

    Lanne suivante, lie perdait sa femme. Lespoir, de nouveau, taitpermis. La passion navait fait que grandir dans lme de Roberte. Ellecherchait toutes les occasions de rencontrer M. de Ghiliac, elle multipliaitprs de lui les flaeries discrtes, les mines coquees et humbles la foisquelle pensait devoir plaire un orgueil masculin de cee trempe. Peine

    perdue ! lie restait inaccessible, il ne se dpartait jamais de cee cour-toisie un peu railleuse, un peu ddaigneuse un peu impertinente, pr-tendaient les plus susceptibles quil tmoignait gnralement toutesles femmes, en y joignant seulement, pour elle, une nuance de familiaritquautorisait leur amiti denfance.

    Une faveur ? Et laquelle donc, je vous prie ? dit-il tout en dsignantun fauteuil la jeune femme, en face de lui.

    Elle sassit avec un frou-frou soyeux, en rejetant en arrire son tolede fourrure. Puis son regard admirateur fit le tour de la pice magnifique,

    bien connue delle pourtant ; et se reporta sur M. de Ghiliac qui venait dereprendre place sur son fauteuil.

    Cest une chose que je dsire tant ! Vous nallez pas me la refuser,lie?

    Elle se penchait un peu et ses yeux priaient.M. de Ghiliac se mit rire. Encore faudrait-il savoir, Roberte ?. . . Voil ce dont il sagit : M de Cabrols donne le mois prochain

    une fte de charit. Il y a une partie liraire. Alors jai conu le projetaudacieux de venir vous demander un petit acte rien quun petit acte,lie ! Notre fte aurait un succs inou de ce seul fait.

    Dsol, mais cest impossible. Oh ! pourquoi ?Les sourcils du marquis se rapprochrent lgrement. M. de Ghiliac

    naimait pas tre interrog quant au motif de ses refus, sur lesquels il avaitcoutume de ne jamais revenir, et cela, peut-tre, parce quil les faisait

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    Entre deux mes Chapitre II

    trop souvent sous lempire de quelque caprice lui traversant soudaine-ment lesprit. Cest impossible, je vous le rpte ! dit-il froidement. Vous trouverez

    fort bien ailleurs, et votre fte nen aura pas moins beaucoup de succs. Non, ce ne sera plus la mme chose ! On se serait cras si nous

    avions pu mere votre nom sur notre programme ! Ce petit acte que vousaviez compos pour votre fte de lt dernier tait tellement dlicieux !

    Eh bien ! je vous autorise le faire jouer de nouveau. Mais jaurais voulu de lindit !. . . elque chose que vous auriez

    fait spcialement, uniquement pour. . . nous !Les lvres de M. de Ghiliac sentrouvrirent dans un sourire dironie. Ah ! quelque chose de fait uniquement pour vous ? dit-il en ap-

    puyant sur le pronom, tandis que son regard railleur faisait un peu baisserles yeux changeants qui suppliaient. Voil qui aurait fla votre vanit,nest-ce pas, Roberte ? Vous auriez pu dire tous et toutes : Cest moiqui ai dcid M. de Ghiliac crire cela.

    Elle releva les yeux et dit dune voix basse, o passaient des intona-tions ardentes :

    Oui, je voudrais que vous le fassiez un peu pour moi, lie !Pendant quelques secondes, les prunelles bleu sombre, ensorcelantes

    et dominatrices, se tinrent fixes sur elle. Cet homme, qui avait certaine-ment toute conscience de son pouvoir, semblait se complaire dans lado-ration suppliante de la femme qui sabaissait ainsi mendier prs de luice quil lui avait toujours refus.

    Puis un pli de ddain ironique souleva sa lvre, tandis quil ripostaitfroidement :

    Vous tes trop exigeante, Roberte. Je vous le rpte, il mest im-possible daccder votre dsir. Adressez-vous Maillis, ou Corlier ; ilsvous feront cela trs bien.

    Une crispation lgre avait pass sur le fin visage de M de Brayles.Elle soupira en murmurant : Il le faudra bien ! Mais javais espr un peu. . . Enfin, pardonnez-

    moi, lie, dtre venue vous dranger.Elle se levait, en rajustant son tole. Son regard tomba ce moment

    sur la photographie pose sur le bureau. Une soudaine inquitude y passa,

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    Entre deux mes Chapitre II

    que remarqua sans doute M. de Ghiliac, car un peu damusement apparutsur sa physionomie. Je suis au contraire charm davoir eu le plaisir de votre visite, dit-il

    courtoisement. Vous verrai-je ce soir lambassade dAngleterre ? Mais oui, certainement ! Puis-je vous rserver une danse ? Oui, mais jarriverai tard, je vous en prviens. Nimporte, vous laurez toujours, lie... Et je vais vous demander

    encore quelque chose une de ces fleurs superbes que vous avez l. Oh !je ne sais vraiment comment font vos jardiniers de Cannes et dArnelles

    pour obtenir de pareilles merveilles !M. de Ghiliac tendit la main et prit, dans la jardinire de Svres po-se sur son bureau, un norme illet jaune ple quil prsenta M deBrayles.

    La jeune femme enleva vivement le bouquet de violees de Parme, at-tach sa jaquee, et le remplaa par la fleur qui allait lui permere tout lheure dexciter la jalousie des bonnes amies, et irait ensuite se cacherdans quelque livre prfr, o cee Parisienne du vingtime sicle, fron-deuse et frivole, mais rendue sentimentale par lamour, la contemplerait,

    et la baiserait peut-tre.Mais tandis que ses doigts gants de blanc aachaient lillet au re-

    vers brod de la jaquee, son regard se glissa encore vers cee photogra-phie qui lintriguait, dcidment.

    lie la conduisit jusquau vestibule et revint vers son cabinet. Il pritde nouveau la photographie, la considra quelques instants.. .

    Elle doit tre distingue, songea-t-il. Cela me suffit. Pour ce qui luimanquera, je la formerai mon gr. Le tout est quelle soit docile et suf-fisamment intelligente.

    Sur le bureau, le bouquet de violees tait rest, oubli, volontaire-ment ou non, par M de Brayles. lie le prit et le lana au lvrier.

    Tiens, amuse-toi, Odin.Il senfona dans son fauteuil et regarda pendant quelques instants,

    avec un sourire moqueur, le chien qui parpillait les fleurs sur le tapis.Puis il sonna et ordonna au domestique qui se prsenta :

    Enlevez cela, Clestin... Et dites daeler le coup, avec les chevauxbais.

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    Entre deux mes Chapitre II

    cee mme heure, on annonait chez M dEssil la marquise deGhiliac. Ce fut M. dEssil qui apparut au salon, en excusant sa femme,quune douloureuse nvralgie retenait au lit.

    Je ne lavais pas vue, hier soir, chez M de Mothcourt, et je venaisprcisment savoir si elle tait souffrante, expliqua M de Ghiliac.

    M. dEssil remercia, tout en songeant : e nous veut-elle ? carla belle et froide marquise navait pas coutume de se dranger facilementpour autrui.

    Ils changrent quelques propos insignifiants, puis M m de Ghiliac de-manda tout coup : Dites-moi, mon cher Jacques, ne connatriez-vous pas, dans vos

    gentilhommires de province, quelque jeune fille de vieille race, srieuseet simple, qui puisse faire une bonne pouse et une bonne mre ?

    Sous les verres du lorgnon, les paupires de M. dEssil clignrent unpeu.

    Une bonne pouse et une bonne mre ? Grce Dieu, jen connaisplusieurs aptes ce beau rle !

    Oui, mais il y aurait ici un cas particulier. lie songe se remarier,Jacques, il men a parl dernirement. Mais il lui faudrait une jeune per-sonne tout autre que cee pauvre Fernande. Vous connaissez sa nature,vous savez quil serait peine perdue de chercher tre aime de lui. Ilveut faire uniquement un mariage de raison, pour perptuer son nom etdonner une mre Guillemee. Il ne lui faut donc pas une mondaine, une

    jeune fille frivole, ni une intellectuelle ou une savante. Oui, je sais quil a en horreur ce genre de femmes. Il faudrait que cee jeune personne acceptt de demeurer toute

    lanne Arnelles, de soigner lenfant, de ne jamais entraver lindpen-dance de son mari. Elle devrait tre suffisamment intelligente, car lienpousera jamais une soe.

    Je comprends. . . intelligence moyenne. . . Jolie ?Tandis que M. dEssil posait cee question, une lueur de fine raillerie

    traversait ses yeux ples qui enveloppaient dun rapide coup dil la bellemarquise de Ghiliac, oui, toujours belle et dapparence si jeune, bienquelle ft plusieurs fois grand-mre.

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    Entre deux mes Chapitre II

    Une contraction lgre serra les lvres fines. Non, pas jolie, surtout ! dit-elle avec vivacit. Elle aurait peut-treen ce cas des prtentions de coqueerie qulie ne tolrerait pas. Mais ilne voudrait pas non plus dun laideron.

    Un peu de regret se percevait dans le ton. Lexpression malicieusesaccentua dans le regard de M. dEssil.

    videmment ! Le contraste serait trop fort, dit-il en riant. Je voisce quil vous faut, Herminie... non, je veux dire ce quil faut lie. Mais

    je dois vous apprendre que lui-mme ma parl ce sujet, pas plus tard

    quhier, et que je lui ai indiqu une jeune personne susceptible de luiconvenir. Vraiment ! i donc ? dit-elle vivement.M. dEssil lui rpta ce quil avait appris la veille lie touchant Val-

    derez de Noclare. M de Ghiliac lcoutait avec une aention soutenue.and il eut termin, elle demanda :

    Nauriez-vous pas un portrait delle ? Je lai envoy ce matin lie. Du reste, il date de trois ans. Nimporte, on peut juger un peu...

    Eh bien, demandez votre fils de vous le communiquer, ma chreHerminie.

    Une ombre voila pendant quelques instants le regard de M de Ghi-liac.

    lie a horreur que lon simmisce dans ses affaires, dit-elle dun tonbref. Il ne ma pas charge de lui chercher une femme, je vous serai doncreconnaissante de ne pas lui parler de cee dmarche. Mais je voudrais levoir remari, cause de Guillemee... et puis je crains toujours quil nese laisse aller faire quelque mariage dans le genre du premier. Il y a deces coquees si habiles !. . . Roberte de Brayles, par exemple, qui, entre pa-renthses, se compromet vraiment par trop avec lui, comme me le faisaitremarquer hier M de Mothcourt.

    M. dEssil eut un fin sourire. Rassurez-vous, Herminie, votre fils nest pas homme cder devant

    une coquee. Il lui faut rendre cee justice quil a une tte remarquable-ment organise, sur laquelle les plus habiles manuvres fminines nontpas prise. Cee pauvre Roberte perd son temps, et, ce qui est plus grave,

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    Entre deux mes Chapitre II

    sa dignit. Fort heureusement, elle a affaire un vrai gentilhomme. Maisquelle triste cervelle que celle de cee jeune femme ! Certes, moi non plus,je naurais jamais souhait pareille pouse lie !

    M de Ghiliac se mit rire, tout en se levant. Triste cervelle ! Pas tant que cela ! Sa passion pour lie mise part,

    ctait un fameux rve de devenir marquise de Ghiliac, aprs avoir trduite vivre dexpdients !. . . Et, dites donc, Jacques, elle en ferait unaussi, votre petite pauvresse de l-bas, si elle devenait la femme dlie ?

    Oui, la pauvre enfant ! Ah ! cela changerait lie ! Elle naura rien de

    mondain, celle-l, elle ne saura probablement mme pas shabiller... Oh ! cela na aucune importance !. . . Elle doit vivre la campagne !Les yeux de M. dEssil ptillrent de malice, tandis quil rpliquait avec

    une douceur imperceptiblement narquoise : Oh ! videmment, cela na aucune importance !. . . aucune, aucune !Et, tandis quil accompagnait M de Ghiliac jusqu la porte, il redit

    encore : Aucune, aucune, en vrit !

    n

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    CHAPITREIII

    L la grande cour des Hauts-Sapins, drobant

    ainsi aux regards les pavs lamentablement ingaux, de mmeque, sur le toit du vieux castel, elle cachait de son dcor imma-

    cul le triste tat des ardoises, la dcrpitude des figures de pierre ornantles plus hautes fentres.

    Et blanches aussi taient les combes profondes, et la valle o se blot-tissait le village de Saint-Savinien, blanches les sapinires escaladant les

    pentes abruptes, blancs encore les ptis aujourdhui dserts. travers la cour, Valderez de Noclare allait et venait, faisant craquer

    doucement la neige sous ses petits sabots. Elle transportait de la buan-derie, vieille btisse lpreuse, jusque dans la cuisine, le linge du dernierblanchissage. Un tablier de toile bleue fort passe entourait sa taille, quise devina dune extrme lgance sous la vieille robe mal coupe. Val-derez tait, en effet, grande sans excs et admirablement bien faite. Lecapuchon qui entourait sa tte empchait de voir son visage ; mais il tait

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    Entre deux mes Chapitre III

    facile de constater que dans sa besogne de mnagre, elle gardait des ma-nires dune grce naturelle incomparable.Elle sarrta tout coup au milieu de la cour en apercevant une toute

    petite fille qui venait dapparatre sur le perron : e veux-tu, ma Ccile ? demanda-t-elle. Bertrand dit quil est lheure de goter, Valderez, fit une petite voix

    lgrement bgayante. Et papa se fche parce quil ne trouve pas la clefdu grenier aux vieux livres.

    Valderez plongea vivement la main dans la poche de sa robe.

    Cest vrai, jai oubli de laccrocher sa place ! Viens la chercher,Ccile.Lenfant descendit et savana petits pas presss. Elle prit la clef que

    lui tendait sa sur, mais demeura immobile, en levant vers Valderez unvisage un peu inquiet.

    Eh bien ! quaends-tu ? demanda la jeune fille dun ton malicieux. Mais. . . Bertrand voudrait bien goter !Un clat de rire dlicieusement jeune et frais schappa des lvres de

    Valderez.

    Et M Ccile aussi, nest-ce pas ? Allons, rentre vite, je vais avoirfini dans cinq minutes. Ne perds pas la clef, surtout !

    Elle se pencha pour ramener sur les paules de lenfant la petite p-lerine qui glissait. Ce mouvement fit tomber son propre capuchon, malaach. Entre les nuages gris ple dont le ciel tait parsem, un rayon desoleil pera ce moment ; il claira triomphalement un visage aux lignespures, un teint dune merveilleuse blancheur, une chevelure souple, on-dule, dun brun dor admirable.

    Valderez, un monsieur ! murmura Ccile.Son petit doigt se tendait vers la grille. Valderez tourna vivement la

    tte de ce ct ; elle vit, derrire les barreaux, un jeune homme de hautetaille, qui lui tait compltement inconnu.

    Au mme instant, ltranger, dtournant son regard aach sur Mde Noclare, agitait la sonnee dune main dcide.

    La jeune fille eut un mouvement pour se diriger vers le logis, afin dydposer son linge. Mais non, elle ne pouvait faire aendre cet tranger

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    Entre deux mes Chapitre III

    En adressant cee question, Valderez levait les yeux vers ltranger. Etces yeux dun brun velout, si grands et si profonds, taient les plus beauxyeux qui se pussent voir ; ils avaient une saisissante expression de fiertet de douceur et laissaient rayonner, sans ombre, lme pure et grave deValderez.

    Le marquis de Ghiliac, mademoiselle, rpondit-il en sinclinant.Elle eut un lger tressaillement de surprise et rougit un peu. Dans

    son regard, lie vit passer une expression dtonnement intense, presqueincrdule. La jeune provinciale ignorante du monde avait videmment,

    malgr tout, entendu parler de cee clbrit et se demandait avec stup-faction ce quun homme comme lui venait faire aux Hauts-Sapins.Elle sloigna dune allure souple, extrmement gracieuse. M. de Ghi-

    liac sapprocha dune fentre. Celle-ci donnait sur le jardin, en ce momentvaste tendue de neige. Les yeux du marquis parurent suivre pendantquelques instants les jeux du soleil sur la blanche parure des sapins.

    Il est amusant, mon cousin dEssil, avec sa photographie datant detrois ans ! songea-t-il avec un lger rire moqueur. Pour quelquun qui neveut pas dune beaut, je tombe bien ! Admirable, positivement ! Et com-

    bien de nos jeunes mondaines pourraient envier laisance si naturelle, l-lgance si aristocratique de cee petite provinciale perdue dans ses neigeset ses sapins, fagote je ne sais comme et occupe de pnibles besognesmnagres ! Avec cela, une incomparable fracheur morale, certainement,car ces yeux-l ne trompent pas... une intressante tude de caractre faire !

    Il se dtourna en entendant la porte souvrir. Un homme de belle taille,maigre et distingu, les cheveux grisonnants, entrait vivement. Lui aussiavait une physionomie stupfaite, mais visiblement ravie.

    Vraiment, monsieur ! elle amabilit !. . . Par ce temps !Dans sa surprise, il bredouillait un peu. M. de Ghiliac, sans paratre

    sen apercevoir, expliqua le motif de sa visite en quelques phrases ai-mables et remit son hte une lere de M. dEssil.

    Tandis que M. de Noclare lisait, lie lexaminait la drobe. Ceephysionomie mobile, aux lignes molles, laissait deviner la nature de cethomme, prodigue incorrigible, me faible et volontaire la fois, qui avaitconduit les siens la ruine et navait jamais eu le courage de tenter de

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    remonter le courant. Vraiment, quelle heureuse ide a eue mon ami dEssil de se rappe-ler nos vieilles chroniques ! sexclama M. de Noclare, peine sa lecturetermine. Cela nous vaut la faveur aussi flaeuse quinaendue dune vi-site de vous, monsieur. Hlas ! je ne suis plus Parisien ! Mais je sais quelleplace vous tenez. . . Asseyez-vous, je vous en prie ! Je suis dsol de vousrecevoir ainsi ! Ce salon est glacial. . .

    De fait, M. de Ghiliac regreait fort davoir qui sa pelisse. Si josais ?. . . continua M. de Noclare en hsitant. Nous passerions

    dans la pice familiale, le parloir, comme disent les enfants. Jaurais leplaisir immense de vous prsenter ma femme et de vous offrir une tassede th. Pendant ce temps, ma fille ane vous chercherait cee chronique ;cest elle qui se connat dans ces vieilles choses, dont je ne moccupegure, je lavoue.

    Rien ne me sera plus agrable que dtre trait sans crmonie,monsieur, et je serai fort heureux de prsenter mes hommages M deNoclare.

    Alors, permeez que je la prvienne.

    Il sloigna et revint presque aussitt en invitant son hte le suivre.Ils traversrent le vestibule et entrrent dans une salle tendue de tapisse-ries fanes, orne de vieux meubles de noyer soigneusement entretenus.Des branches de houx et de gui schappaient de hoes rustiques pendues la muraille. elques oiseaux gazouillaient dans une cage prs de la fe-ntre. Dans la grande chemine de pierre grise, un norme feu de bchesflambait, rpandant une douce tideur dans la vaste pice.

    Une femme dune quarantaine dannes tait tendue sur une chaiselongue, prs du foyer. Elle tourna vers ltranger un visage diaphane, auregard morne et las, et lui tendit la main avec un mot gracieux murmurdune voix fatigue.

    M. de Noclare, trs empress, avana son hte le meilleur fauteuil,sen alla la recherche de sa fille, puis revint promptement, en homme quine veut pas perdre une minute dune visite si prcieuse. Il mit la conversa-tion sur Paris, sur ses ftes et ses plaisirs. Dans ses yeux, semblables pourla nuance ceux de Valderez, mais si diffrents dexpression, M. de Ghi-liac pouvait lire le regret ardent que cet homme de cinquante ans gardait

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    Entre deux mes Chapitre III

    de sa vie frivole dautrefois.Une fillee de quatorze ans, un peu ple et fluee, mais de mineveille, apparut bientt avec une assiee garnie de tartines beurres.Derrire elle entra Valderez, charge dun plateau qui supportait les tasseset la thire.

    Ma fille ane, que vous avez dj vue tout lheure, monsieur, ditM. de Noclare. Celle-ci est Marthe, la cadee.

    Valderez se mit en devoir de servir le th. lie, tout en causant avecle charme tincelant qui lui tait habituel, ne perdait pas un des ses mou-

    vements. Nul plus que lui ne possdait ce don, prcieux pour un crivain,de saisir chez autrui les moindres nuances, en paraissant tout entier ce-pendant la conversation mme la plus absorbante.

    Valderez vint lui prsenter une tasse de th. Il la prit avec un remercie-ment, la posa prs de lui sur une table que venait davancer M. de Noclare,puis, levant les yeux vers la jeune fille, il lui dit avec un sourire :

    Il ne faut pas que joublie, mademoiselle, la petite commission quema cousine dEssil ma donne pour vous.

    Il lui remit un trs mince paquet entour dun coquet ruban, que Val-

    derez prit en remerciant avec une grce timide.Elle sen alla la recherche de la chronique et revint bientt avec un

    rouleau de parchemins jaunis. M. de Ghiliac, stant excus fort courtoi-sement de la dranger ainsi, se mit parcourir les vieux papiers, touten continuant de sentretenir avec son hte. De temps autre, il sin-terrompait pour demander une explication Valderez, que son pre luiavait dsigne comme tant au courant des antiques chroniques du pays.Elle rpondait avec beaucoup de clart et une trs grande simplicit, bienquau fond elle ressentt une gne intense devant ce brillant tranger dontle superbe regard semblait vouloir fouiller jusquau plus profond de lme.

    Je regree de ne pouvoir pousser plus loin mes recherches l-dedans. Je suis sr que jy dcouvrirais des choses fort curieuses, dit M.de Ghiliac en roulant avec soin les parchemins.

    Mais emportez-les donc, monsieur ! Et ne vous gnez pas pour lesgarder tant quil vous plaira ! scria avec empressement M. de Noclare,qui semblait liralement en extase devant lui.

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    Entre deux mes Chapitre III

    Mais je priverais peut-tre mademoiselle ?. . . dit lie en se tournantvers Valderez.Elle secoua ngativement la tte. Je nai plus le temps de moccuper de ces recherches. Emportez ces

    papiers sans crainte, monsieur.Il sinclina avec un remerciement, et, jetant un coup dil sur la pen-

    dule, se leva en faisant observer quil tait temps pour lui de songer audpart, sil ne voulait manquer lheure du train. Il prit cong de M deNoclare et de Valderez, et sortit du parloir avec M. de Noclare.

    Eh bien ! eh bien ! quest-ce que cela ? Valderez, ne peux-tu sur-veiller ces enfants ? scria M. de Noclare avec irritation.Dans le vestibule, Ccile et un petit garon du mme ge se trouvaient

    prs du coffre, o M. de Ghiliac avait dpos sa pelisse et samusaient enfouir leur visage dans la fourrure magnifique qui ornait celle-ci.

    Mais cela na aucune importance, monsieur ! dit lie en riant.Valderez tait dj l. Un peu rouge de confusion, elle prit les enfants

    par la main et les emmena vers une pice voisine. Ces mots parvinrentaux oreilles dlie, prononcs dun ton de douce svrit par la voix har-

    monieuse de la jeune fille : e cest vilain daller toucher comme cela au vtement de ce mon-

    sieur! quoi une petite voix enfantine rpondit : Oh ! Valderez ! ctait si chaud, et a sentait si bon ! Vous avez de nombreux enfants, je crois, monsieur ? dit lie tandis

    que, ayant endoss sa pelisse avec laide de son hte trs empress, il sedirigeait vers la porte du vestibule.

    M. de Noclare eut un profond soupir. Sept ! Et ma femme est de si faible sant ! Sans ma fille ane, je ne

    sais ce que nous deviendrions. Elle est toute dvoue ses frres et surs.Mais enfin, elle peut se marier un jour ou lautre. . . bien quune fille sansdot, hlas !. . . Car malheureusement la beaut ne suffit pas toujours. . .

    Non, pas toujours. . . Mais ne vous drangez pas, monsieur ! Je nesouffrirai pas que vous maccompagniez plus loin.

    En rentrant dans le parloir, M. de Noclare sexclama avec enthou-siasme :

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    Entre deux mes Chapitre III

    el tre merveilleux ! el chic ! elle lgance ! Tout ce que jenavais entendu dire est encore au-dessous de la vrit. Cest un homme tourner toutes les ttes, quen dites-vous, Germaine ?

    Oh ! pour cela, oui ! rpondit M m de Noclare, que cee visite sem-blait avoir lgrement veille de sa torpeur maladive. elle surprisenous a faite l M. dEssil ! M. de Ghiliac est fort aimable. . . et fier cepen-dant.

    Il a bien le droit de ltre ! Ah ! en voil un qui tout sourit dans lavie ! murmura M. de Noclare avec un soupir denvie.

    Il se mit marcher de long en large, les sourcils froncs, tout en as-pirant un subtil parfum qui floait encore dans lair tide de la pice.Valderez venait dentrer et soccupait ranger la table o elle avait servile th. Son pre sarrta tout coup devant elle.

    Dis donc, tu aurais bien pu changer de robe! dit-il dun tonsec. Crois-tu quil soit convenable de te prsenter avec cee vieillerie-l ? elle opinion a d avoir de toi M. de Ghiliac, accoutum toutes leslgances ?

    Mais, mon pre, vous savez bien que je nai pas eu le temps ! Cee

    robe est vieille, cest vrai, mais propre. . . Et que peut nous faire lopinionde cet tranger ? Il a bien vu aussitt que nous tions pauvres, ce qui nestpas un dshonneur, si nous savons conserver notre dignit.

    Ah ! oui, il la vu !. . . tre oblig de recevoir un homme comme luidans cee maison misrable, et avec a sur le dos ! fit-il en dsignant savieille jaquee rpe. Ses domestiques me meraient la porte, si je meprsentais chez lui comme cela !

    Il leva les paules et reprit sa promenade travers la salle. andValderez fut sortie, il se rapprocha de sa femme.

    Elle est extraordinaire, cee enfant-l, pour tre si peu coquee !Avec une beaut comme la sienne, pourtant !. . .

    Oui, elle est bien belle... elle le devient un peu plus chaque jour...Elle sinterrompit, hsita un moment et murmura : Avez-vous remarqu, Louis, que M. de Ghiliac la regardait beau-

    coup?M. de Noclare leva de nouveau les paules.

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    Entre deux mes Chapitre III

    Eh ! oui, il la regardait, parce quelle en vaut la peine ! Mais vousnallez pas vous imaginer, je suppose, quil va pour cela tomber amoureuxde notre fille ? Dabord, il a, parat-il, un cur rien moins quinflammable ;ensuite, il manque tant de choses notre pauvre Valderez pour plaire un homme comme lui, mondain raffin, grand seigneur des pieds la tte,et si admirablement intelligent ! Puis il appartient notre plus haute aris-tocratie, il est fabuleusement riche... et nous ne sommes que de pauvreshobereaux ruins, bons tout au plus exciter sa piti ddaigneuse, achevaM. de Noclare dun ton pre.

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    CHAPITREIV

    C grand repassage aux Hauts-Sapins.

    Dans limmense cuisine vote, Valderez maniait diligemmentle fer, tandis que Ccile et Bertrand, les deux blonds jumeaux de

    sept ans, jouaient dans un coin de la pice, prs de la vieille Chrtienne,lunique servante des Noclare, occupe plucher des lgumes pour lerepas du soir.

    Un pli profond barrait le beau front de Valderez. Tout en travaillant,

    elle refaisait mentalement le compte des dpenses du dernier mois. Mal-gr une conomie de tous les instants, ces dpenses dpassaient la mo-dique somme dont disposait la jeune fille. Il est vrai que M. de Noclareexigeait pour lui une nourriture plus soigne, il lui fallait du vin, des ci-gares. . . Et aujourdhui la pauvre Valderez se trouvait toute dsempare ensapercevant quelle avait des dees. Ctait peu de chose, mais jusquici,au prix de maints prodiges, de fatigues et de privations personnelles, elleavait russi quilibrer le maigre budget.

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    Entre deux mes Chapitre IV

    En outre, depuis la visite de M. de Ghiliac, son pre tait plus sombre,plus acaritre. La vue de ce privilgi, combl de tous les dons de la for-tune, pouvant user son gr des plaisirs dont demeurait avide M. de No-clare, semblait avoir rveill touts les amertumes de cee me faible. Deplus, depuis quelques jours, un souci plus grand paraissait peser sur lui,et Valderez se demandait avec angoisse si leur lamentable situation pcu-niaire navait pas encore empir.

    Le facteur est pass ! Il y a une lere pour toi, dAlice dAubrilliers,dit Marthe, qui entrait dans la cuisine. Et papa a une lere de Paris, avec

    une enveloppe gris ple, si joliment satine ! Il y a dessus une toute petitecouronne de marquis. Cest probablement de M. de Ghiliac, ne penses-tupas, Valderez ?

    Je nen sais rien, petite curieuse.Le bref passage dlie de Ghiliac avait laiss une grande impression

    dans lesprit de tous ; seule, Valderez ny songeait plus ds le lendemain,car, en vrit, elle avait bien autre chose faire et bien dautres soucis entte!

    Elle prit la lere que Marthe lui tendait et qui tait dune amie, dont les

    parents, autrefois voisins des Hauts-Sapins, habitaient depuis quelquesmois Besanon.

    Ah ! Alice se marie ! dit-elle, aprs avoir lu les premires lignes. Avec qui, Valderez ? Un avocat de Dijon, M. Vallet, un jeune homme trs srieux, bon

    chrtien et dexcellente famille, me dit-elle. Mais il nest pas noble !Valderez eut un lger mouvement dpaules. est-ce que cela, du moment o les qualits principales se

    trouvent runies ? Alice semble si heureuse ! Alors, tu ne regarderais pas non plus pouser un roturier ? Non, pourvu quil ft de mme ducation que moi, et de mentalit

    semblable. Il faut rechercher dabord le principal, ma petite Marthe, etne pas trop sentter aux considrations secondaires... Mais il est peuprobable que des filles pauvres comme nous aient sinquiter de ce sujet-l, ajouta-t-elle avec un sourire pensif.

    Bah ! pourquoi pas ? dit Marthe en excutant une pirouee.

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    Entre deux mes Chapitre IV

    Elle se trouva en face de Chrtienne, qui pelait ses lgumes dun gesteautomatique. Dis, Chrtienne, que nous trouverons bien nous marier ?La vieille femme arrta son travail, elle leva vers Marthe un visage

    svre et morose, sillonn de rides. Faudra voir. . . Et puis, tu seras aussi bien ici, va, plutt que de tat-

    tacher la chane aux bras. Cest comme Valderez, il vaut mieux pour ellequelle reste aux Hauts-Sapins, bien quelle ny soit pas toujours sur desroses. Le mariage, cest la misre... Oui, ma fille, je te le dis, fit-elle dun

    ton grave, en tendant la main vers Valderez. Souvent, oui... Mais enfin, Chrtienne, chacun doit suivre sa voieen ce monde ! rpondit Valderez en secouant doucement la tte.

    Bien sr ! Tu dis des choses impossibles, Chrtienne ! scria vive-ment Marthe. Nous nous marierons, nous serons trs heureuses, et toi tuen seras pour tes fcheuses prdictions. Crois-tu que notre Valderez nestpas assez belle pour tre pouse par un prince ?

    Chrtienne posa son couteau sur ses genoux, elle croisa les mains etleva vers Valderez ses yeux ternis par lge.

    Ma fille, si jamais un homme tpousait pour ta beaut seulement,je te plaindrais. Car la beaut sen va, et alors vient labandon. Tu mritesmieux que cela, Valderez, parce que ton me est plus belle encore que tonvisage.

    Ces paroles taient extraordinaires dans la bouche de la vieille ser-vante, gnralement taciturne et plus porte adresser ses jeunesmatresses des observations moroses que des compliments. Valderez etMarthe la regardaient avec surprise. Elle tendit sa main vers lane. . .

    Va, ma fille, je prierai pour toi, dit-elle solennellement.Et, reprenant son couteau, elle se remit lpluchage de ses lgumes.Marthe sloigna, et Valderez, ayant rapidement parcouru la lere de

    son amie, se remit louvrage. Mais peine avait-elle donn quelquescoups de fer que la porte souvrit, livrant passage M. de Noclare, trsrouge, tout motionn...

    Viens vite, Valderez, jai te parler, dit-il dune voie trangle. y a-t-il ? scria-t-elle, dj anxieuse.

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    Sans rpondre, il lentrana vers le parloir. Elle eut une exclamationdinquitude en apercevant sa mre demi vanouie sur sa chaise longue. Oh! ce nest rien du tout!... cest la joie! dit M. de Noclare en

    voyant Valderez se prcipiter vers elle. Un vnement si inaendu, si in-croyable, si. . . si. . .

    oi donc ? demanda machinalement Valderez, tout en meant unflacon de sels sous les narines de sa mre.

    Une demande en mariage pour toi ! Devine qui ? Une demande en mariage ! dit-elle avec stupfaction. Je ne vois pas

    qui. . . nous ne connaissons personne. . . Ah ! tu ne connais pas le marquis de Ghiliac ? dit M. de Noclaredune voix qui sonna comme une fanfare triomphale.

    Le marquis de Ghiliac !Le flacon glissa des mains de Valderez, et se brisa sur le parquet. La

    jeune fille, se redressant, regarda son pre dun air incrdule. Voulez-vous dire, mon pre, que. . . ce soit lui ? Oui, cest lui !. . . lui qui ma crit pour demander ta main, Valderez,

    ma fille bien-aime !

    Il lui avait saisi les mains entre les siennes, qui tremblaient dmotion.Valderez, dont le visage sempourprait, murmura :

    Mais, mon pre. . . je ne comprends pas. . . Comment ! tu ne comprends pas ? Nai-je pas t suffisamment

    clair ?Faut-il encore te rpter que le marquis de Ghiliac demande la main

    de Valderez de Noclare ?M de Noclare ouvrait en ce moment les yeux. Elle tendit les mains

    vers sa fille en balbutiant : Mon enfant, combien je suis heureuse ! Un tel mariage ! Un rve

    invraisemblable !Valderez, devenue subitement trs ple, appuya sa main tremblante

    au dossier dune chaise. Il ny avait pas trace, sur son beau visage, de lajoie dbordante dont tmoignait la physionomie de ses parents. Ctaitbien plutt de leffroi qui se mlait sa stupfaction.

    Comment M. de Ghiliac peut-il dsirer pouser une personne aper-ue pendant une heure au plus ? dit-elle dune voix qui tremblait lgre-

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    ment. Il ne me connat pas. . .M. de Noclare clata de rire. Es-tu neuve dans la vie, ma pauvre Valderez ! La moiti des ma-

    riages se font ainsi. Dailleurs M. de Ghiliac est de ceux qui jugent lesgens dun coup dil... Et puis, petite nave, ne sais-tu pas que tu es as-sez belle pour produire le fameux coup de foudre ? Cependant, ta surpriseest comprhensible, car, malgr tout, il tait impossible de rver pareillechose ! Un homme clbre comme lui, et tellement recherch, et folle-ment riche ! Avec cela, il est lunique hritier de son grand-oncle, le duc

    de Versanges, dont le titre lui fera galement retour...Un geste de Valderez linterrompit. Ces considrations me paraissent bien secondaires, mon pre. Je

    vois autre chose dans le mariage... Oui, oui, nous savons que tu fais la srieuse, la dsintresse. Eh

    bien ! lis la lere de M. de Ghiliac, tu verras les raisons dont il appuie sademande.

    Valderez prit la feuille gris ple, do sexhalait ce parfum lger, sub-til, qui avait persist lautre jour dans le parloir, aprs la visite de M. de

    Ghiliac. Elle parcourut rapidement la missive, dans laquelle il sollicitaitsa main en termes lgants et froids, dclarant quil esprait trouver enM de Noclare, fille et sur si parfaitement dvoue, lpouse srieusecherche par lui, et une mre toute dispose aimer la petite fille quilavait eue de son premier mariage.

    Mademoiselle votre fille naurait pas craindre de voir beaucoupchanger ses habitudes en devenant marquise de Ghiliac, ajoutait-il. Jenaurais aucunement lintention de lastreindre la vie mondaine, si d-plorable tous points de vue. Elle vivrait avec ma fille au chteau dAr-nelles, o son existence serait trs calme, presque autant quaux Hauts-Sapins. Avant toute chose, je recherche une jeune personne raisonnableet bonne, et telle ma apparu M de Noclare.

    Ce qui, dans le ton de cee lere, avait chapp au pre et la mre,fous dorgueil et de joie, se prcisa neement dans lesprit de la jeune fille :elle saisit, sous les phrases correctes de lhomme du monde, la froideurabsolue, probablement aussi profonde que ltait sa propre indiffrence lgard dlie de Ghiliac. En admeant que celui-ci et ressenti le coup

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    de foudre, il navait su aucunement le montrer, en dpit de son habiletliraire.De cee flaeuse demande en mariage, il se dgageait clairement ceci :

    le marquis de Ghiliac cherchait une mre pour sa fille, il pensait la trou-ver en cee jeune fille pauvre, accoutume une existence austre et ausoin des enfants. Par M. dEssil, il avait eu les renseignements ncessaires,et, ne songeant qu un mariage de raison, ne saardait pas en phrasesinutiles lgard de cee humble petite provinciale, laquelle il faisaitlhonneur doffrir son nom, un des plus glorieux de larmorial franais.

    Valderez comprit aussitt tout cela, un peu confusment, car elle taitinexprimente, et elle navait jamais eu le loisir ni lide de rflchir surla question du mariage, considr par elle comme peu prs inaccessible.

    Elle tendit silencieusement son pre llgante missive dont le par-fum limpressionnait dsagrablement.

    Eh bien ! quen dis-tu ? Nest-il pas srieux ? Il ne veut pas dunemondaine, tu vois... ce qui nempchera pas quune fois marie, tu lam-neras faire ce qui te plaira. Ce ne serait pas la peine davoir une positioncomme celle-l pour nen pas profiter !

    Vraiment, vous me connaissez bien peu, mon pre ! La perspectivede cee vie calme et de ce devoir remplir prs dune enfant sans mremairerait au contraire, si... si ce ntait lui .

    Comment, si ce ntait pas lui ? sexclama M. de Noclare, tandis quesa femme se redressait un peu pour regarder Valderez dun air stupfait.

    Oui, car il ne me plat pas, et je ne crois pas pouvoir ressentir desympathie son gard.

    Il ne te plat pas ! bgaya M de Noclare. Lui quon appelle le plusbeau gentilhomme de France !

    M. de Noclare, un moment abasourdi, eut un mordant clat de rire. En vrit, Valderez, as-tu donc quelque chose de drang l ? dit-il

    en se frappant le front. On ten donnera, un prtendant de cee espce !Une pareille demande ne se discute mme pas. On laccepte comme unede ces chances inoues dont on naurait jamais os avoir lide. Ah ! il nete plat pas, cet homme qui naurait qu choisir parmi les plus nobles etles plus opulentes ! Folle crature, combien de femmes, portant les plusgrands noms dEurope, appartenant mme des familles souveraines,

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    exulteraient de bonheur si cee demande leur tait adresse ! Tu ne lasdonc pas regard, ou bien tu tais aveugle, lautre jour, pour venir nousdire cee insanit : Il ne me plat pas !

    Comme beaucoup de natures faibles, M. de Noclare tait violent l-gard de ceux sur qui il exerait une autorit. Valderez voyait poindre lo-rage. Nanmoins, elle continua courageusement :

    Jai voulu dire, mon pre, que sa seule vue suffit me persuaderque rien gots, habitudes, ducation nest commun entre nous. Il est,avez-vous dit vous-mme, extrmement mondain ; on le devine aussitt,

    rien qu sa tenue, raffin en toutes choses, jusqu lexcs peut-tre... Etce pli railleur des lvres que vous avez sans doute remarqu. . . Allons, je vois que ma pieuse fille sait fort bien observer et juger

    son prochain ! interrompit M. de Noclare avec une irritation sarcastique.Mais tout cela, ce sont des enfantillages ! Parlons srieusement, Valderez.

    Je suis absolument srieuse, mon pre. Le sujet est trop grave pourquil en soit autrement. Je vous avoue, en toute franchise, que M. de Ghi-liac minspire une sorte deffroi et que je ne crois pas possible, en ce cas,de devenir sa femme.

    Elle prononait ces derniers mots dune voix tremblante, car elle sa-vait davance quelle fureur elle allait dchaner. Mais elle savait aussi que,loyalement, elle devait les dire.

    Valderez ! gmit M de Noclare.Un flot de sang tait mont au visage de M. de Noclare. Il posa sur

    lpaule de sa fille une main si dure que Valderez chancela. coute, dit-il dune voix sifflante, je vais te dire les consquences

    dun refus de ce genre. Javais engag les quelques fonds qui nous res-taient dans des oprations financires paraissant annoncer des chancessrieuses. Ces jours derniers, jai appris que cee affaire priclitait. Si

    jen retire le quart, je devrai mestimer satisfait. Alors, ce sera la misre,comprends-tu, Valderez ? la misre noire. Les Hauts-Sapins seront venduspour un morceau de pain et nous irons mendier sur les routes.

    Valderez, crase par cee rvlation, demeurait sans parole. Il pour-suivit :

    Si tu pouses M. de Ghiliac, tout change, car naturellement, celui-ci ne laissera pas dans le besoin les parents de sa femme, il pourvoira

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    lducation des enfants... Non, non, pas cela ! je travaillerai, je ferai nimporte quoi. . . maisne me demandez pas cela ! dit-elle dune voix trangle.

    Je serais curieux de savoir comment tu parviendrais nourrir tesfrres et surs, ainsi que ta mre et moi ! riposta ironiquement M. deNoclare. Ne nous dbite pas de pareilles soises, je te prie.

    Valderez baissa la tte. Ctait vrai, ce quelle pouvait ntait peuprs rien et ne parviendrait pas combler la centime partie du gouffreouvert par limprvoyance paternelle.

    Ce mariage est donc pour nous une invraisemblable planche desalut. Il nous donnera enfin la scurit, il assurera brillamment ton aveniren faisant de toi une des plus grandes dames de France.

    Oh ! moi ! murmura Valderez dun ton bris.Elle rencontra le regard de sa mre, suppliant et pathtique. L non

    plus, elle ne trouverait pas dappui. M de Noclare tait une me faibleunie un corps fatigu ; jamais elle navait eu dautre volont que celle deson mari, jamais elle navait su diriger ses enfants, et ctait lane, admi-rablement doue moralement, qui assumait les responsabilits de ldu-

    cation de ses frres et surs. Pour sa mre, Valderez avait une affectioninconsciemment protectrice, mle de compassion et de respect, elle sin-gniait lui enlever les moindres soucis. Aussi comprit-elle aussitt lasignification de ce regard.

    Le voulez-vous donc aussi ? murmura-t-elle, le cur serr, en sepenchant vers M de Noclare.

    Si je le veux ! Mais ce sera le repos pour nous tous, mon enfant ! Tesavoir si bien marie !. . . Et nous labri du besoin ! Il ny a pas hsiter,voyons, Valderez !

    Si, je dois rflchir, dit fermement la jeune fille en se redressantet en se tournant vers son pre. Une telle dcision ne peut tre prise in-considrment. Dailleurs, ne faut-il pas avoir des informations auprs deM. dEssil ? Nous ne savons rien de M. de Ghiliac. . . rien, pas mme sila quelques sentiments religieux, et si sa femme pourrait voir ses convic-tions respectes.

    M. de Noclare eut un geste impatient.

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    Entre deux mes Chapitre IV

    Eh ! te figures-tu quil soit un sectaire ? Il est catholique, naturel-lement, comme tous les Ghiliac ; quant tre pratiquant, cest chose peuprobable. Mais il ne faut pas trop demander et faire la petite exagre. Dureste, je vais crire M. dEssil, sil ne faut que cela pour te dcider. En at-tendant sa rponse, tu rflchiras ton aise. Mais noublie pas quil sagitpour nous de la misre ou de la scurit, selon le parti que tu prendras.

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    CHAPITREV

    O ! , ne devait pas loublier, pauvre Valderez ! Toute la

    nuit se passa pour elle tourner et retourner dans son espritla pnible alternative : ou la misre pour tous et la vie devenue

    un enfer pour elle par suite du ressentiment de son pre ou le mariageavec cet tranger.

    Pourquoi donc cee dernire solution lui inspirait-elle une tellecrainte ? Elle ne savait pas le dfinir clairement. Nature rare et charmante,

    trs mre sur certains points par les responsabilits qui lui incombaient,et par son existence svre, elle avait conserv sur dautres lexquise sim-plicit, la fracheur dimpressions dune enfant. Lextrme srieux de soncaractre, sa pit profonde la prservaient en outre de toute tendanceromanesque, et de tous dsirs de luxe et de vanit. Aussi, cee pre-mire visite de M. de Ghiliac, avait-elle t moins frappe de lextrieursduisant de cet tranger, quimpressionne par ce quil y avait en ceephysionomie, dans ce regard et ce sourire, dnigmatique et dinquitant.

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    Entre deux mes Chapitre V

    Puis, ainsi quelle lavait dit son pre, elle lavait devin aussitt en-tirement diffrent delle-mme, la pauvre petite Valderez, habitue lapauvret, aux durs labeurs du mnage, ne connaissant rien des raffine-ments de la coqueerie, si oppose dans tous ses gots aux femmes deson monde. tait-il possible quelle devnt lpouse de ce brillant grandseigneur ? Lincompatibilit ne serait-elle pas trop forte entre eux ?

    Telle fut la question quelle adressa le lendemain matin au bon vieuxcur de Saint-Savinien, lorsque, aprs une nuit dinsomnie, elle se rendit lglise pour lui demander conseil.

    Voil, ma pauvre petite, une alternative bien grave, dit le prtreen secouant la tte. ant ce point-l, il me semble que vous ne devezpas trop vous en inquiter, puisquil vous prvient lui-mme que vousnaurez pas une existence mondaine. Cest donc quil souhaite avant toutune pouse srieuse, ce qui est tout son honneur et doit vous inspirerconfiance.

    Mais puis-je, loyalement, accepter sa demande, lorsque je nai pourlui que de lindiffrence mme plus que cela, une sorte de dfiance ?

    Ceci est plus grave. Pourquoi cee dfiance, mon enfant ?

    Je ne sais trop, monsieur le cur... Il est si diffrent des hommesque jai vus jusquici ! Son regard a une expression que je ne puis dfinir,qui aire et trouble la fois. Puis, sous ses faons aimables, il est froidet hautain... et je crains quil ne soit trs railleur, trs sceptique. Enfin,monsieur le cur, pour rsumer tout, je ne le connais pas, et cest cetinconnu qui me fait peur.

    M. dEssil ne pourrait-il vous donner des renseignements ? Mon pre va lui crire. Cest un homme srieux et loyal, il dira

    ce quil sait, certainement. La question religieuse me tourmente aussi. Jemimagine que M. de Ghiliac est un incroyant.

    Ma pauvre petite, votre cas est bien pineux ! Il ne sagirait que devous, je dirais : refusez, puisque lide de cee union vous inspire tant decrainte. Mais il y a les vtres. . . On vous demande un sacrifice. Vous tesassez forte pour le faire, Valderez. Mais il sagit de savoir si vous en avez ledroit. Le mariage est un sacrement avec lequel on ne doit pas jouer. Vousne pouvez accepter la demande de M. de Ghiliac que si vous tes rsoluenon seulement remplir tous vos devoirs envers lui, mais encore chasser

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    Entre deux mes Chapitre V

    cee crainte, cee dfiance et faire tous vos efforts pour laimer, ce quiest un prcepte divin. Si vous ne vous en croyez pas capable, alors ditesnon, quoi quil doive vous en coter.

    Elle serra lune contre lautre ses mains froides et tremblantes. Je ne sais pas ! murmura-t-elle. Si, au moins, javais pu le connatre

    un peu plus ! Il est certain que le ton de sa lere est srieux. . . mais lui,lest-il ? e faire, mon Dieu, que faire ?

    Des larmes glissaient sur ses joues. Le bon cur la regardait, trs mu,lui qui connaissait si bien cee me nergique et tendre la fois. Le noble

    tranger qui demandait Valderez pour pouse saurait-il les comprendre etles apprcier, cee me dlicieuse, ce cur aimant dont il aurait toute lapremire fracheur ? Hlas ! tant donn le portrait que lui en avait fait la

    jeune fille, le cur se sentait envahi par le doute ce sujet. Aussi, combienaurait-il voulu lui dire de rpondre par un refus ! Mais il nignorait pas lasituation lamentable de la famille de Noclare, il savait aussi quen cas derefus, M. de Noclare ne pardonnerait jamais sa fille, et que lexistence decelle-ci deviendrait intolrable. Alors, si le sacrifice pouvait tre fait sansaenter aux droits de la conscience, ne fallait-il pas laccomplir quand

    mme?Cest ce quil expliqua Valderez, en ajoutant que lincroyance pr-

    sume de M. de Ghiliac ne serait pas, dans ce cas particulier, un obstacleabsolu, pourvu que la libert religieuse de sa femme et lducation de leursfuturs enfants se trouvassent garanties.

    Je ne parlerais pas ainsi toutes, mon enfant. Lincrdulit de l-poux est presque toujours un danger pour la foi de lpouse et pour celledes enfants. Mais vous tes une me profondment croyante, intelligenteet droite, vous tes instruite au point de vue religieux, et il vous serapossible de le devenir davantage encore. Dans ces conditions, le prilsera moindre pour vous, et vous pourrez mme esprer, laide de vosexemples et de vos prires, faire du bien votre poux.

    Ce sera tellement dur pour moi ! dit-elle avec un soupir. Il doit tresi bon davoir les mmes croyances, les mmes clestes espoirs !

    Hlas ! ma pauvre petite enfant, je voudrais tant quil en soit ainsi !Rflchissez, priez beaucoup surtout, Valderez. Voyez si vous pouvez voushabituer la pense de cee union. Daprs ce que vous me dites du ton

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    de la lere de M. de Ghiliac, il parat vident quil ne sagit pour lui aussique dun mariage de raison. Il ne peut donc vous demander rien de plus,pour le moment, que la rsolution de remplir tous vos devoirs son gardet de vous aacher lui peu peu. Vous auriez une belle tche prs decee enfant sans mre, et une autre, plus dlicate, mais plus belle encore,prs de votre poux. Tout cela doit tre un encouragement pour vous,si rien, daprs les renseignements que vous recevrez, ne soppose cemariage.

    Et il faudra quier mes pauvres petits ! dit-elle dune voix touffe.

    e feront-ils sans leur Valderez ?. . . Mais non, je dis une soise, personnenest indispensable. Vous tes tout au moins trs utile, ma chre enfant ; mais ils sont

    tous dge aller en pension, et Marthe est trs capable de vous remplacer.Et puis, ma pauvre petite, vous navez pas le choix ! conclut-il avec unsoupir. Retournez votre tche, et demain joffrirai le saint sacrifice votre intention.

    Dieu seul, et un peu aussi le vieux prtre, confident de son me,connurent ce que souffrit en ces trois jours Valderez. Combien de fois

    envia-t-elle le sort dAlice dAubrilliers, dont la lere laissait voir chaqueligne un tranquille bonheur, bas sur une srieuse affection mutuelle !

    Et comme un incessant aiguillon, il lui fallait entendre son pre rp-ter : Heureuse Valderez, tu peux dire que tu as eu les fes pour mar-raines ! ; sa mre murmurer dun ton extasi : Ma future petite mar-quise ! ; Marthe scrier cent fois le jour : Oh ! comment peux-tu h-siter ? Moi, jaurais dit oui tout de suite, tout de suite !

    Personne ne paraissait penser la possibilit dun refus. Et Valderez, lecur serr par langoisse, songeait que rien, humainement, ne la sauveraitde cee union.

    La rponse de M. dEssil arriva promptement. Il disait avec franchisetout ce quil savait sur lie, ses doutes, ses inquitudes, et aussi ses soup-ons de qualits plus srieuses que ne le faisaient penser les apparences.

    M. de Noclare ne lut pas cee lere sa fille. Il passa sous silence cequi tait dfavorable et stendit longuement sur le reste, insistant sur cefait que la conduite de M. de Ghiliac ne laissait pas prise la critique,et que, tout indiffrent quil ft, il tenait avoir une pouse trs bonne

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    chrtienne. Un indiffrent ! murmura Valderez avec tristesse. Eh ! tu toccuperas le convertir, voil tout ! Cest dj trs bien

    de sa part de tenir la religion pour sa femme. Cela doit tencourager, jesuppose ?

    Valderez, dun geste inconscient, froissa ses mains lune contre lautre. Cela mest dur, mon pre ! Je vous assure quil faut vraiment que

    nous soyons dans cee situation pour accepter un mariage dans cesconditions.

    M. de Noclare bondit. Mais tu es folle lier ! A-t-on jamais ide dune jeune fille pareille !Il ny a pas discuter avec toi, du moment o tu as de semblables raison-nements et une mentalit aussi extraordinaire. Je vais crire linstant M. de Ghiliac. Cest oui, nest-ce pas ?

    Une dernire hsitation angoissa lme de Valderez. Elle murmura in-trieurement : Mon Dieu ! sil faut faire ce sacrifice, je le ferai, poureux, et avec la volont de remplir tout mon devoir envers lui . Alors,dune voix ferme, elle rpondit :

    Ce sera oui, mon pre.

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    CHAPITREVI

    M. G arriva quelques jours plus tard aux Hauts-Sapins.

    Valderez avait revtu sa toilee du dimanche, une robe bleufonc, dune simplicit monacale, mal taille par la petite cou-

    turire du village. Trs ple, les traits tirs par linsomnie et les doulou-reuses incertitudes de ces derniers jours, elle se tenait assise dans le par-loir, prs de sa mre. M. de Ghiliac entra, introduit par la vieille Chr-tienne, dont le regard, sous les paupires retombantes, lexaminait des

    pieds la tte. Il salua M de Noclare, sinclina devant Valderez en pro-nonant une phrase de remerciement des mieux tournes. Puis, prenantla petite main un peu frmissante, il leffleura de ses lvres et y passa labague de fianailles.

    La loquacit de M. de Noclare et lextrme aisance mondaine du mar-quis vinrent heureusement en aide Valderez, dont la gorge serre avaitpeine laisser chapper quelques paroles. M. de Ghiliac se mit conteravec verve un petit incident de son voyage, qui meait en relief un trait

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    particulier du caractre comtois. De temps autre, il sadressait Valde-rez. Elle lui rpondait en quelques mots, singulirement gne devant cecauseur tincelant, quelle devinait si facilement railleur, intimide aussipar ces yeux pntrants et trs nigmatiques dont elle rencontrait souventle regard.

    Valderez, voici justement un rayon de soleil, tu devrais montrer M. de Ghiliac le coup dil quon dcouvre de la terrasse, dit tout coupM. de Noclare.

    Si cela peut vous intresser, monsieur ?. . .

    Mais certainement, mademoiselle ! rpondit-il en se levant aussitt.Valderez jeta sur sa tte une capeline de drap brun, et le prcda versle jardin. Dans lalle principale, ils marchrent lun prs de lautre. Val-derez, toujours en proie cee insurmontable timidit, ne trouvait pas unmot dire ce fianc si lgamment correct, si froidement courtois. Maislie de Ghiliac ntait pas homme se laisser embarrasser, en quelquecirconstance que ce ft. Il se mit questionner Valder