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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE ANNÉE 1962 KATH. LEUVEN Nederlandse afdeling FAC. RECHTSGELE:ERDHEID BIBLIOTHEEK ÉTABLISSEMENTS ÉMILE BRUYLANT RUE DE LA RÉGENCE, 67, BRUXEJ.JLES

DE JURISPRUDENCE BELGE - KU Leuven · de repos, durée du travail, sécurité et hygiène du travail), le 16gislateur· ... culés au registre du commerce ou au registre de l'artisanat

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REVUE CRITIQUE DE

JURISPRUDENCE BELGE

ANNÉE 1962

KATH. UN~VfRSHTIT LEUVEN Nederlandse afdeling

FAC. RECHTSGELE:ERDHEID BIBLIOTHEEK

ÉTABLISSEMENTS ÉMILE BRUYLANT RUE DE LA RÉGENCE, 67, BRUXEJ.JLES

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COMITÉ DE DIRECTION :

MM. JEAN DABIN, professeur émérite à l'Université de Louvain;

Baron LouiS FREDERICQ, professeur aux Universités de Gand et de Bruxelles ;

LÉON GRAULICH, professeur émérite à l'Université de Liège;

JEAN VAN RYN, professeur à l'Université de Bruxelles,. avocat à la Cour de cassation.

SECRÉTAIRES DE LA RÉDACTION :

MM. ARTHUR BELPAIRE, conseiller à la Cour de cassation ;

ÀNDRÉ DE BERSAQUES, conseiller à la Cour de cassation, ·professelU' à l'Université de Bruxelles.

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SEIZIÈME ANNEE 1962

REVUE CRITIQUE

DE

JURISPRUDENCE BELGE

Cour de cassation, 1re chambre, 4 novembre 1960.

Président .: 1\il. V ANDERMERSCH, conseiller faisant fonctions de président.

Rapporteur : :Th1:. VROONEN.

Conclusions conformes : M. RAOUL HAY OIT DE TERMICOURT,

procùreur général.

Plaidants : :MMes DEMEUR et V AN RYN.

LOUAGE D'OUVRAGE. - LouAGE DE SERVICES. - CoNTRAT

D'EMPLOI A DURÉE INDÉTERl\HNÉ:m. - Lois cooRDONNÉEs

PAR :L'ARRÊTÉ ROYAL DU 20 JUILLET 1955. -CONGÉ DONNÉ

SANS PRÉAVIS PAR L'EMPLOYEUR.- CONGÉ FONDÉ SUR UN

FAIT JUSTIFIANT, SUIVANT UNE STIPULATION DU CON'l'RAT, LE

CO:NGÉDIEMENT SANS PRÉAVIS. - POUVOffiS DU JUGE.

La st·ipulation, dans un · contrat rég·i par les lois coordonnées SU'i' le contrat d'emploi, qu'un motif détet·miné justifie un congé­diement de ·l'employé sans préavis ne lie pas le juge appelé, conformément à l'a1·ticle 18, alinéa Jer, desdites lois, à apprécier la gravité de ce matif notifié par l'employeur.

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8 REVUE CRITIQUE ·DE JURISPRUDENCE BELGE

ne fait' pas de distinction suivant que le contrat lui-même détermin.&· ou ne détermine pas les faits susceptibles de ·donner lieu à un congé sans p:r;éavis. . .

Le litige qui a finalement été jugé par la cour suprême ne porte pas:. seulement sur l'interprétation exégétique de l'article 18 des lois, coor~ données sur le contrat d'emploi. Il soulève des problèmes bien. plus vastes : Quelle est, à l'heure actuelle, le rôle du contrat dans le doma:in.e des rapports entre employeurs et salariés? Que reste-t-il du principe· de la liberté des contrats ? L'autonomie de la volonté est-elle encore la­règle à laquelle. on doit' se référer en cas de doute?~ Quelle est la portée" du nombre considérable des dérogations qui y ont été apportées depuis~ trois quarts de siècle ?

II.

Le droit social belge a pour sources principales un ensemble de lois' et d'arrêtés mis en vigueur de IS87 à nos jours. Ces lois ont été adoptées. en vue de parer à des nécessités immédiates et quelquefois au hasard. de l'avancement des travaux parlementaires, en tout cas dans un ordre tout à fait empirique. Elles ne sont pas codifiées. Aucune d'elles n'énonce·. les principes généraux du droit social. Chacune forme. un tout indiquant son champ d'application, ses principes, ses conditions d'applicabilité,, ses exceptions, ses sanctions, ses. délais de prescription.

Chacun des éléments de ces législations · parallèles et diverses a été adopté en vue d'amender, et même de détruire, les effets des principes:~ généraux du droit des activités économiques tels qu'ils avaient été, proclamés dès le début de l'époque contemporaine.

On a ainsi dans un esprit social construit des institutions nouvelles et. voté des règles nouvelles à combiner avec les principes généraux .en honneur jusque-là, principes généraux auxquels il n'a été dérogé que' dans . des cas nettement déterminés et en vue de fins bien -précises. On a simplement amendé le ·régime libéral en de nombreux points, mais; par des mesures séparées.

Il réstùte de là que les dispositions légales et réglementaires ·adoptées depuis soixantè-quinze ans ne · péuvent être correctement "iriterpretées. et appliquées qu'en partant de principes généraux que, chaque 'fois,_. le législateur s'est abstenu d'abroger et auxquels il n'a apporté. que·· dérogations ou exceptions. · ·

Dans chacun des chapitres du droit social belge, le tableau des règles· à appliquer comprend inéluctablement une toile de fond constit.uée par· les principes originaires, notamment ceux qui sont inscrits dans la Consti­tution de la Belgique, dans la loi du 2-17 mars 1791, dans le Code civil,. notainment le titre « Des contrats et des obligations conventionneJles' en général» : liberté individuelle, liberté d'association, liberté du travail, liberté des contrats.

La liberté des contrats et la liberté du travail doivent retenir parti-­culièrement notre attention.

Non seulement le législateur n'a jamais abrogé les dispositions qui~

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établissent ces principes, mais, dans ces derniers temps1encore, il a montré avec quelle prudence et avec quelles réticences il consentait à y porter­atteinte.

Liberté des contràts. - Alors que nos voisins ont adopté depuis de nombreuses années des régimes d'autorisation préalable, de défense et d'obligation des embauchages, jusqu'en ces derniers temps le législateur­b lge s'en est strictement tenu à la liberté complète de l'embauchage' des nationaux (l). La loi du 14 février 1961 consacre son chapitre II à la réglementation du marché de l'emploi et l'article 18 attribue au Roi la. mission de soumettre les embauchages. à des régimes d'autorisation. ou de déclaration préalables. Mais les pouvoirs ·attribués au Roi sont moins étendus que ceux que le Gouvernement demandait originaire­ment (2).

Liberté du travail. -- Dans la. rédaction de toutes les lois relatives à la réglementation des conditions de travail (intervalles obligatoires de repos, durée du travail, sécurité et hygiène du travail), le 16gislateur· a toujours veillé à n'instituer des sanctions qu'à l'égard des employeurs qui font ou qui laissent travailler des salariés au delà des limites fixées ou en dehors des conditions indiquées. Il ne punit ni l'employeur, ni l'artisan, ni le salarié qui travaille lui-même en dehors des prédites normes (3).

Au cours de l'année 1960, le législateur est entré dans la voie de la. protection légale du travail des entrepreneurs, des artisans et des com­merçants indépendants. Dans cette vue, il a adopté la loi du 6 avrill960 concernant l'exécution des travaux de construction et la loi du 22 juin 1960 instaurant le repos hebdomadaire dans l'artisanat et le commerce, ce qui devait évidemment. l'amener à réduire la liberté du travail persorm.el. Il s'est bien gardé cependant d'édicter des sanctions pénales en raison de seu~ faits de travail personnel. La première loi punit seulement l'entrepreneur qui clandestinement travaille le soir, le samedi et le dimanche~ Les sanctions pénales ne sont pas applicables aux entrepreneurs immatri­culés au registre du commerce ou au registre de l'artisanat ni aux entre--

(1) Exception cependant pour l'industrie diamn.ntaire: loi du 30 décemb1•o 1050~ (2) Exposé des motüs de la loi du 14 février liHH, Doc. parl., Chambre, Hl59-

1961, n° 649-1; Rn.pp. Comm. de la Chambre, Doc, 1)arl., Chambre, 1959-1060, n° 649-30, p. 35 et 40; Rn.pp. Comm. du Sénn.t, Doc. parl., Sénat, 1059-1060,. no 09, p. 21.

(3) Loi du 17 juillet 1905 sur le repos du dimanche, art. 14, al. 2 et 3; lois. coordonnées du 28 février 1010 sur le trava.il des femmes et des enfants, nrt. 20 ;. bi du 14 juin 1021 instituant la journée de huit heures et la semn.ine de quarante· huit heures, a.I't. 20; loi du 0 juillet 1936 sur la. semaine de quarante heures, art. 6; loi du 22 décembre 1036 instituant le régime des quatre équipes dans les vei•rel'Ïes à vitres automatiques, art. 10; arrêté-loi du 25 février 1047 SUl' les jours fériés payés, art. 12 ; lois coordonnées du 0 mars Hl51 sur les vacances annuelles payées,. art. 59; loi du 10 juin 1952 concernant la santé ct la sécurité des t1•availleurs, art. 6, modifié par la loi du 17 juillet 1957.

Une unique exception cependn.nt : la loi du 16 mai 1938 sur la semaine de­quarante heures dans l'industrie diamantaire punit aussi bien les ouvriers qui t:ravaillent que les employeurs qui les font travailler en dehors de l'horaire qu'elle. fixe.

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JO REVUE· CRITIQUE DE JURISPRUDE.NOE BELGE

preneurs qui se présentent comme tels au public, par enseigne, publicité -ou autrement (4). La seconde loi punit uniquement les rapports directs avec la clientèle au cours de la journée de repos hebdomadaire (5).

Le législateur vient ainsi d'affirmer à nouveau, à une époque très .récente, qu'il honore toujours le principe de la liberté du travail, qu'il a Je souci de ne pas l'attaquer de front, qu'il veille à y déroger le' moins possible.

III.

La liberté des contrats et la liberté du travail sont néanmoins consi· -dérablement amendées et restreintes par l'effet de l'ensemble des lois .sociales et, plus spécialement, par les dispositions tendant à la protection des travailleurs salariés.

Ainsi que nous l'avons dit, la liberté d'embauchage des nationaux n'est guère atteinte. Le patron choisit librement l'ouvrier; l'ouvrier -choisit librement le patron; mais leur liberté d'option ne va guère au delà.

Des dispositions contenues dans la loi qui concerne le contrat de travail -et dans la loi relative au contrat d'emploi réglementent impérativ_ement :

- la forme des clauses qui limitent dans le temps les effets des ·contrats ( 6) ; ·

. -les cas de suspension légitime de l'exécution du contrat et les cas· ·4ans lesquels le droit à la rémunération est maintenu malgré la suspension 4es prestations du salarié (7); ·

- la forme, le point de départ et les délais des préavis de congé, les motifs qui permettent le congé immédiat et la forme de leur notification, .les indemnités pO.UJ' défaut de préavis (8) ;

( 4) Loi du 6 avril 1000, at•t. 7, al. 1 or, ct les articles 7, alinéa 3, et 3, 5°, combinés. En ce qui concerne les travaux de construction, le légùdateur a réduit l'o1Yet

·des textes que le Gouve1•nement proposait. Comp. l'article 11 du projet de loi, exposé des motifs et projet de loi, Doc. parl., Chambre, 1055-1956, n° 497·1, les articles 10 et 5 combinés du te:xte adopté par la Commission de la Chambre, Doc. parl,, Chambre, 1055·1056, n° 407·0, et les articleiJ 7 et 3, 5°, combinés dela loi.

Qunnt à l'intention de ne pas punir le fait de travailler, voy. Rapp. Comm. ·du Sénn.t, Doc. 1)arl., Sénat, 1058·1050, n° 182, p. 8.

(5) Loi du 22 juin 1060, art. 1er, § 2. En eo qui llOTI<lN'IH' lo l'tiJlOfl ht1hdomndnh•n cl1LilH J',wUiul.ru~t ot fln.m1 Jo c:ornmm'tlt,,

·voy. d1Lns l'<•xpoAo rl1•1:1 moWs, JJoc. pari., lllü!l-1000, n° 470·1, p. 4 ot G : «La loi 1.0 vise donc ptts les opérations de vonto en gl'Os, ni non pluà l'interdiction, pour 'le commerçant ou l'artisan, de se livrer à son activité, du moment que celle·ci n~ s'accompagne pas d'un contact, quel qu'il soit, avec la clientèle ~. Voy. aussi Rapp. Comm. de la Chambre, Doo. parl., 1959-1960, n° 470·4, p. 7, et Rapp. Comm. ·du S6nat, Doc. parl., Sénat, 1059·1960, n° 364, p. IS.

(6) Loi du 10 mars 1900, art. obis; lois coordonnées du 20 juillet 1955, art. 2 à 4 -et 13.

(7) Loi du 10 mal'S 1000, art. 28 à 28deoies, et loi du 20 juillet 1960 ; lois coor· .données du 20 juillet 1955, art. 8 à 12bis; voy. aussi lois coordonnées du 28 fé· ·vrier 1019, art. 5.

(8) Loi du 10 mars 1900, art. 16 et 19 à 24; lois coordonnées du 20 juillet 1955, .art. 14 à 22.

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. REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE Il

Des lois d.istînctes réglementent :

-l'âge d'admi<:~sion au travail et dans les locaux de travail (9) ;

-les intervalles obligatoires .de repos (10);

-la dm·ée jm:œnalière et hebdomadaire du travail (11);

- la sécurité et l'hygiène du travail, des lieux de travail et des lieux <i:le logement (12).

Des décisions de commission paritaire, dont 1.m grand nombre sont rendues obligatoires par arrêté royal, réglementent les sala.ires et, aussi, -diverses conditions de travail (13).

Ainsi, l'autonomie de la volonté est limitée par les normes préalable­ment ·établies par des lois, par des arrêtés royaux, par des décisions .de commission paritaire rendues obligatoires par a1Têté royal (14). L~auto­nomie de la volonté ne peut plus s'exercer qu'à l'intérieur de ces limites. Les .sources d'inspiration réellement contractuelles des obligations des ·employeurs et des salariés sont ainsi considérablement réduites ..

Limitons cependant la portée de cette constatation : sa1.û de très rares ·exceptions, les dispositions légales et réglementaires et les décisions -de commission .paritaire fixent des limites de travail maxima et des salaires minima ; il est toujours libre aux parties de convenir d'une rémunération :mpérieure au minimum fixé, de convenir d'une durée -du travailinférieure aux maxima fixés, de convenir d'intervalles de repos plus longs ou plus nombreux, de convenir, en faveur du salarié, de délais -de préavis plus longs ou d'indemnités plÙs élevées que ce que la loi impose.

Mais, même lorsqu'une loi impérative impose des obligations fixes .aux deux parties à un contrat déterminé, les obligations qui résultent légalement de la conclusion de ce contrat ont encore un caractère con­tractuel.

L'effet normal d'1.me disposition impérative ou prohibitive est de ·conditionner les effets des· contrats en ajoutant ou en retranchant aux .. effets des clauses que les parties ont voulues. On donne son accord sur l-ille. convention avec toutes les conséquences légales qui en résultent -ou o:ri ne contracte pas. On veut ou non la convention dans son ensemble.

Comme l'enseigne Demogue : «Nombreux sont les cas oü un texte .dispositü ou, même, d'ordre public donne au contrat certaînes consé­·quences. Peu importe que les parties, dès qu'elles ont voulu le contrat, l'aient par leur silence ou malgré elles coulé dans ce moule légal. Toutes l~s règles qu'il contient s'incorporent au contrat » (15).

(9) Lois. coordonnées du 28 février 1919, art. 3 à 4bis. (10) Loi du 17 juillet 1905; arrêté-loi du 25 février 1947; lois coordonnées

-~lu 9 mars 1951 ; lois coordonnées du 28 février 1919, art. 6 et 7 à 14; loi du 14 juin 1921, art. 8 et 9.

(11) Lois du 14: juin 1921, du 9 juillet 1936, du 22 décembre 1936 et du 16 mai J.938 ; lois coordonnées du 28 février 1919, ·art. 6.

(12) Lois du 10 juin 1952 et du 6 juillet 1949. (13) Arrêté-loi du 9 juin 1945 flxant le statut des commissions paritaires (art. 10). (14) Arrêté-loi du 9 juiu 1945, art. 12 et 13. (15) DEMOGUE, Rev. trim. de dr. civ., 1923, p. 657.

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12 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

IV.

Nous avons insisté sur ce que les principes de la liberté qes contrats. et de la liberté du travail sont toujours en vigueur et doivent constituer· la base de tout raisonnement relatif à la portée et à l'interprétation des dispositions légales impératives ou prohibitives relatives notamment à la protection des travailleurs : ces dispositions sont de stricte interprétation.

Il ne faut cependant pas aller au delà de ce corollaire. · Précisons d'abord que disposition de strict~ interprétation neveu·~ pas. ~e disposition qui.peut. ~tre intentio~elle~bnt .et impunément .tournée. Meme quand une dispositiOn est exceptiOnnelle, Il ne peut y avoir fraude· à la loi. Il y a des domaines où il y a, à cet égard, lille jlirisprudence bien établie. La loi sur le contrat- d'emploi et, plus récemment, la loi sur le contrat

de travail réglementent la clause d'essai et fixent impérativeme1;1t la. durée maximum de la période d'essai. Par contre, aucune disposition ne prohibe expressément de convenir le renouvellement d'une clause· d'essai pour lille nouvelle période.

A juste titre, les tribunaux déclarent ces renouvellements saris effet lorsqu'ils ne sont pas accompagnés d'm1e modification dans la nature· des prestations du sala1·ié. Intervenus entre des personnes qui ont déjà pu apprécier pendant un certain temps les effets de· leur coÜaboration,. ils n'ont aucune raison d'être et l'on décèle facilement l'intention d'échapper à l'obligation du préavis qui est d'ordre public en faveur­du salarié (16) (17).

Aucune disposition n'empêche la conclusion valable d'un contrat pour· une dm·ée déterminée, dès que le terme est constaté par écrit. ~!ais très lucidement les tribunaux déclarent que lorsque, après avoir été liées par·

(16) La clause d'essai ·doit être convenue par écrit au moment de l'engagement;; lm écrit postérieur est sans effet : cass., 5 décembre 1935, Pas., 1936, I, 77; cons. prud'h. app. Bruxelles, 29 juin 1948, J. T., 1948; 463 ; cons. prud'h. app. Mons,. 12 novembre 1955, R. D. S., 1956, 120.

Toute reconnaissance postérieure de l'employé n'a aucune valeur: cons. prud'h~ app. Liège, 29 janvier 1953, Jur. ·Liège, 1952-1953, 179; 19 février 19.53, .Jur. Liège, 1952-1953, 222.

Notons cependant une décision attribuant des effets à un écrit passé quelques. jours après l'engagement : cons. prud'h. app.Bruxelles, 9 novembre 1953, J. 'l'.,. 1954, 82.

(17) Ont refusé d'admettre la validité d'une conven.tion établissant une deuxième-­période d'essai entre les mêmes parties et pour les mêmes fonctions: cons. prud'h. app. Liège, 18 mai 1926, Jur. Liège, 1925-1926, 208; cons. prud'h. app. Bruxelles,. 30 novembre 1931, J. L. 0., 1934, 78 ; cons. prud'h. app. Bruxelles, 8 août 1935,.. J. L. O., 1936, 73; cons. prud'h. app. Bruxelles, 11 févl'ier 1936, J. L. O., 1937, 182; cons. prud'h. app. Anvet•s, 3 mars 1941, J. L. 0., 1942, 4; cons. prud'h. app. Gand,. 16 avril1956, R. D. S., 1957, 55; cons. prud'h. Charleroi, 3 octobre 1934, J. L. 0., 1937, 93.

Ont, par contre, admis des essais successifs, lorsq_u'il y a modification de fonctions. ou changement de service : cons. prud'h. app. Liège, 12 février 1942, J. L. 0.,. 1943, 30 ; cons. prud'h. app. An.vers, 9 août 1948, J. L. 0., 1949, 77 ; cons. prud'h .. Charleroi, 28 novembre 1940, J. L. O., 1942, 91; cons. prud'h. Soignies, 4 juin 1955,. R. T., 1955, 1084, Bull. F. I. B., 1955, 1273.

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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 13

un. contrat à court terme, les parties passent successivement, pour les mêmes fonctions, d'autres contrats à court terme, il y a là aussi un procédé qui tend à tourner l'obligation du préavis (18).

D'autre part, disposition de droit strict ne veut pas nécessairement dire disposition qui, dans le doute, doit s'interpréter de la façon qui contrevient le moins au principe de l'autonomie de la volonté. Ici, nous querellons un des arguments développés dans le pourvoi.

Il faut distinguer l'interprétation de la disposition légale et l'applica­tion de cette disposition.

Rien ne dit a priori qu'en adoptant une disposition impérative ou prohibitive le législateur ait voulu lui donner une portée minimum. Il faut rechercher son intention, par l'étude des travaux préparatoires, par l'étude de l'environnement légal dans lequel se place la disposition nouvelle. Ensuite, son intention étant fixée sans que l'on parte de la présomption qu'il a voulu déroger le moins possible à l'autonomie de la volonté, il s'agit de n'appliquer la disposition que dans les limites voulues par le législateur et sans aucune extension au delà de ces limites;

Ainsi, il y a lieu d'interpréter et d'appliquer une disposition légale ou prohibitive en lui donnant tous les effets voulus par le législateur. Or il.arrive- et, nous allons le voir, c'est le cas dans le domaine sur lequel

(18) Ont refusé d'admettre la validité d'un deuxième engagement (ou d'engage­ments subséquents) à durée déterminée pour les mêmes fonctions :. cons. prud'h. app. Liège, 9 janvier 1935, Jur. Liège, 1935, 95 ; cons. prud'h. app. Bruxelles, 7 janvier 1936, J. L. O., 1936, 134 ; cons. prud'h. app. Liège, 10 juin 1942, J. L. O., 1943, 19; cons. prud'h. app. Bruxelles, 12 avril 1951, R. D. S., 1954, 91,; cons. prud'h. app. Gand, 15 décembre 1952, R. D. S., 1953,90; cons. prud'h. app. Gand, 16 avril 1956, R. D. S., 1957, 55.

Précisent que ces engagements successifs à durée déterminée ne sont nuls que s'il y a intention frauduleuse de tourner l'application des dispositions relatives a.u préavis : cons. prud'h. app. Bruxelles, 9 novembre 1931, R. T., 1944, 279; cons. prud'h. app. Anvers, 3 mars 1941, J. L. O., 1942, 4 ; cons. prud'h. app. Bruxelles, 14 juin 1944, J. L. 0., 1946, 10; 27 juin 1944, J. L. O., 1944-1945, 10; cons. prud'h. Bruxelles, 17 avril 1939, J. T., 1939, 497; cons. prud'h. Gand, 27 février 1940, J. L. O., 1941, 218; cons. prud'h. Charleroi, 28 novembre 1940, J. L. O., 1942, 91 ; cons. prud'h. Bruxelles, 21 mars 1941, J. L. O., 1942, 119; 16 juin 1941, J. L. O., 1942, 53 ; 15 juin 1948, J. L. O., 1949, 145 ; cons. prud'h. ~pp. Bruges, 31 octobre 1952, R. W., 1953-1954, 389, R. D. S., 1954, 35;- Décider en outre qu'en conséquence ne peuvent être annulés que les termes successifs inférieurs à trois mois, c'est-à-dire au délai normal de préavis : cons. prud'h • .app. Bruges, 3 février 1958, Bull. F. 1. B., 1960, 1261..

Admet la succession de contrats à durée déterminée en ce qui concerne l'engage­ment de musiciens pal' un entrepreneur de spectacles : cons. prud'h. app. Liège, 4 février 1948, J. L. O., 1949, 139.

Admettent, ce qui nous paraît évident, la validité d'un engagement pour une durée déterminée après une période d'essai : cons. prud'h. app. Liège, 17 juin 1931, Jur. Liège, 1932, 15; 31 mars 1934, Jur. Liège, 1934, 183; 9 janvier 1935, Ju1·, Liège, 1935, 95; cons. prud'h. app. Mons, 4 décembre 1954, Pas., 1955, III, 127.

Oont1·a: cons. prud'h. app. Namm·, 8 mai 1937, J. L. O., 1938, 131. Admet la validité d'engagements successifs pour un mois conclus après une

période d'essai dans le cas d'un employé qui gagne au delà de 72.000 francs (contrat -conclu avant 1954): cons. prud'h. app. Mons, 20 novembre 1957, R. D. S., 1958, 59; mais M. LAGASSE fait observer qu'actuellement un préavis minimum est obligatoire m.ême pour les employés qui gagnent plus de 180.000 francs, R. D. S., 1958, 61.

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14 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

porte l'arrêt annoté ~ que par des in~erventions successives qui finissent par former un ensemble cohérent, le l~gislateur ait construit un système de protection, ait, tout au moins quant à une question ou à un groupe de questions, mis en place un régime des relations entre employeurs et salariés dont les divers éléments se complètent et doivent être interprétés les uns par les autres. Ils doivent être appliqués conformément au but que le législateur a poursuivi, peut-être d'une démarche prudente et originairement hésitante, mais en tout cas avec persévérance.

v.

En ·vue de comprendre le . sens de toutes et chacune des di~:~positions de la loi sur le contrat de travail et de la loi sur le contrat d'emploi,. il s'impose de mettre en évidence la portée de chacune de ces deux lois.

La loi du 10 mars 1900 sur le contrat de travail dom1e une énumération détaillée des obligations les plus usuelles des parties. Il n'y est pas seule.:. ment question des prestations de travail et de la rémunération. Elle ne considère pas le salarié comme un fournisseur de travail, simple mar­chandise ou article de commerce, Elle le traite comme un homme qui a des besoins tels que celui de remplir ses devoirs religieux ou ses obligations civiques {19), éventt1.ellement qui sera logé et nouni (20), qui entre dans une entreprise, et elle l'insère dans cette entreprise.

Elle suppose qu'il n'y a pas seulement des relations d'individu à individu entre les deux parties mais, en outre, insertion du salarié dans un ensemble composé d'une pluralité de particjpants : l'entreprise.

Déjà dans son texte origina:i1·e, la loi sur le contrat de travail énonce que l'ouvrier a des devoirs de prudence, de moralité et de correction non seulement à l'égard du chef d'entreprise mais aussi vis-à-vis de ses compagnons de ti·avail ·et que le patron a des obligations conc~rnant l'attitude des membres de son persoll!lel, les uns à l'égard des autres (21).

Plus largement enfin, la loi du 10 mars 1900 fait allusion à ce qu'il y a

(19) Loi du 10 mars 1900, art. 11, 6°; loi du 17 juillet 1905, a.rt. 9, al. 3. (20) Loi du 10 mars 1900, art. 11, 5°. (21) En matière de sécurité du travail, l'article 7 dispose que l'ouvrier a l'obli~

gation de s'abstenir de tout ce qui pourrait nuire à la sécurité de ses com1Jagnons de travail, et l'article 20 prévoit qu'il peut être congédié sans préavis lorsqu'il compromet par son imprudence, la sécurité de l'établissement, tandis que l'article 11 fait obligation au chef d'entreprise de tenir une boîte de secours pour premiers soins médicaux constamment à la disposition du personnel (dans le texte primitif cette obligation était limitée aux ateliers occupant plus de dix ouvriers).

Quant à la moralité, l'article 11 décide que le chef d'entreprise a l'obligation d'observer et de faire observe1• les bonnes mœurs et les convenances pendant l'exécution du contrat.

Encore, l'article 20 décide que le chef d'entrepr•ise peut congédier l'ouvrier sans préavis lorsqu'il se rend coupable d'un acte d'improbité, de voie de fait ou d'injure grave à l'égard du chef ou d1.t pe:rsonnel de l'entreprise, et l'article 21 dispose que l'ouvrier peut rompre l'engagement sans préavis lorsque le chef d'entre­prise tolère de la pm·t de ses p1·éposés des actes d'improbité, des voies de fait ou des injures grlLVes.

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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 15.

une discipline dans l'entreprise : l'article 20 permet de ,congédier l'ouVI·ier­sur l'l:teure lorsqu'il manque gravement à la· discipline de l'ent1·eprise.

D'autre part, la loi du 15 juin 1896 sur le règlement d'atelier, qui permet au chef d'entreprise de mettre en vigueur un règlement qui a valeur­de clauses contractuelles à l'égard des ouvriers, prescrit que ce règlement doit indiquer, là où l'entreprise le comporte, les droits et les devoirs. du personnel de surveillance et le recours ouvert aux ouVI·iera, et pennet un régime de pénalités ou d'amendes (22).

La. loi du 4 mars 1954 a accentué cette vocation à l'institutionnalisation.. de la situation de l'ouvrier. Elle fait participer l'ouvrier aux avatars. de l'entreprise en permettant à l'employeur de décider la suspension temporaire de l'exécution du contrat à la suite de manque de travail résultant de causes économiques. Depuis la loi du 20 juillet 1960, c'est par affichage que cette suspension doit être notifiée aux ouvriers. (23)-

Enfin, la loi du 20 juillet 1961 enjoint aux chefs d'entreprise de (( consa­crer l'attention et les soins nécessaires à l'accueil des travailleurs, et en particulier des jeunes travailleurs» (24).

Les lois coordonnées sur le contrat d'emploi n'énmnèrent pas les. obligations des parties, elles les sous-entendent, et nul ne met en doute que ce soit dans le même esprit que dans le contrat de travail. En tout cas, la loi du 20 juillet 1961 enjoint également au chef d'entreprise,: par une addition à la loi sur 'le contrat d'emploi, de consacrer l'attention et les soins nécessaires à l'accueil des employés (25).

Mais si des dispositions légales tendent à insérer les travailleurs dans les entreprises, plus spécialement en leur imposant des obligations à l'égard de l'ensemble de l'entreprise et à l'égard de ses composants, elles ne leur donnent dans l'entreprise d'autre place que celle de salariés, que celle de locateurs de services:· .

La portée de l'ensemble des lois sociales est de placer l'ouvrier dans. l'entreprise sans porter atteinte à la notion du louage de services.

Des lois contemporaines ont donné aux travailleurs une place plus­confortable qu'auparavant. Cela s'est manifesté par trois ordres de réformes :

1° La loi du 20 soptombre 1948 a créo les conseils d'entreprise, lioux officiels de contacts entre délOgués do la direction et délégués du personnel,. d'information, d'études, de discussion et d'avis (26) ;

2° Les lois du 4 mars 1954 et du Il mars 1954 ont, respectivement en faveur des ouvriers et en faveur des employés, amélioré la. stabilité de l'emploi en augmentant les délais de préavis et les indemnités pour-

(22) Loi du 15 juin 1896, art. 3, 1° et 4°. (23) Loi du 10 mars 1900, a1•t. 28quater inséré par la loi du 4 mars 1954 et modifié­

par la loi du 20 juillet 1960. (24) Loi du 10 mars 1900, art. 11, 7° ajouté par la loi du 20 juillet 1961. (2o) Lois coordonnées du 20 juillet 1955, art. 5, alinéa 3 ajouté par la loi du

'i 20 juillet Hl61. " (26)" Lui du 20 septembre 104:8 portant organisation de l'économie, tu·t. 15,.

et loi- du. 8 mai 1959.

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16 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

-défaut de préavis, et en décidant que certains ·événements ne font que suspendre l'exécution du contrat et ne le rompent pas, si bien' que le salarié doit retrouver sa place (27);

3° La loi du 20 juillet 1960 a organisé le régime du salaire hebdoma­·daire garanti (28).

:Mais le travailleur reste toujours étranger à l'entreprise à laquelle il loue simplement ses services moyennant rémunération, il est toujours placé sous l'autorité, la direction et la surveillance du patron et, en fait·, est dans un état de dépendance économique à l'égard de ce dernier. Aussi s'impose-t-il toujours que par des dispositions d'ordre public, le législateur veille à sa protection et que le juge en contrôle l'application.

C'est dans le cadre de l'ensemble de ces normes légales qui fixent, comme il vient d'être dit, la position de l'ouvrier et de l'employé dans l'entreprise, que doit être interprétée chacune des dispositions de la .loi sur le contrat de travail et de la loi sur le contrat d'emploi.

Elles ne sont pas destinées à fonctionner dans un cadre de droit commun. Le contrat de travail et le contrat d'emploi ne sont plus des contrats comme les autres. Ils ne fixent plus les droits et les obligations de deux parties considérées exclusivement comme des individus selon les canons du droit civil.

Contrat de travail et contrat d'emploi placent les parties en vue du fonctionnement de l'entreprise, et les appellent à jouer des rôles· bien distincts. Une fois le contrat conclu, un rapport de subordination se

· '· substitue à l'égalité juridique des parties. L'employeur a la mission . contractuelle d'exercer autorité, direction et surveillance sur le salari6, mais la loi intervient pour protéger unilatéralement le salarié. Lo salarié ne fait pas partie-de l'entreprise, il lui loue ses services pour une durée . déterminée ou déterminable, mais la loi intervient pour assurer une · certaine stabilité à son emploi.

En adoptant, les unes après les autres, les règles légales impératives ·qui concernent les rapports contractuels entre patrons et salariés, le · législateur a construit un système de protection. Chacune des dispo­sitions qu'il a édictées doit être interprétée en vue d'assurer le meilleur fonctionnement du système complexe qu'il a expressément voulu.

Afilrmor que toutes et chacune de ces dispositions légales impératives sont do droit strict ne veut pas dire qu'il ne faille pas los in.torprétor et les appliquer conformément à la. volonté bien cla.iro du législateur. Il y a lieu d'admettre des atteintes au principe de l'autonomie de la. volonté dans toute la mesure où, en vue des fins qu'il poursuit, le Mgisla-

. te ur le veut manifestement. .

(27) Loi du 4 mars 1054 modifiant la loi du 10 mars 1900; loi du 11 mars 1051 modifiant la loi du 7 aoilt 1922. Voy. aussi, pour les obligations militaires du -salarié, la loi du 22 juillet 1952.

(28) Loi du 20 juillet 1960, instaurant le salaire hebdomadaire ga.ranti, dunt une pa1•tie est insérée dans la loi du 10 mars 1900, art. 28 et suiv •.

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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 17

VI.

Dans cet esprit, il est bien na-turel qu'il ne soit pas possible aux pai'ties de déroger, indù·ectement, à des dispositions légales in1pératives ou prohibitives. Plus spécialement encore, doit être assurée l'application la plus complète des dispositions qui réalisent la stabilité relative dé l'emploi des salariés par la réglementation des suspensions et des ruptures ·et notamment par la technique des délais de préavis de congé et des indemnités pour défaut de préavis, car ces disposition,<;:~ sont essentielle­ment la raison d'être des interventions législatives.

Par le simple fait que la loi sur le contrat. de travail et la loi sur le ·contrat d'emploi disposent, l'une et l'aut.re, que les délais de préavis <Sont impérativement obligatoires en faveur du salarié, il doit nécessaire­ment 'fllppartenir au juge d'apprécier la réalité et la gravité des motifs ·qm dispensent l'employeur de donner le préavis de congé.

L·e préavis de congé en faveur du salarié est d'ordre public, sa dispense n'est donc pas dans le conunerce.

Aussi, en ce qui concerne le congé immédiat donné par l'employeur, ·c'est superfétatoirement que la législation sur le contrat d'emploi a précisé ,que c·'est uniquement pour des motifs graves laissés à l'appréciation ··du juge, qu'il peut le donner (29).

En matière de contrat de travail, auctme disposition de la loi du l 0 mars 1900 ne donne cette précision. Il faut même noter que l'article 3

·de la loi du 15 juin 1896 sur les règlements d'atelier dispose que là oü l'entreprise le comporte, le règlement d'atelier doit indiquer si un préavis ·de congé est exigé, le délai de congé ainsi que les cas où le contrat peut ·être rompu sarui préavis par l'une ou l'autre des parties. Mais l'article 19bis, inséré dans la loi du 10 mars 1900 par la loi du 4 mars 1954, décide que :Bont: n~Ües toutes clauses réduisant le délai de préavis à observer par :l'employeur ou prolongeant. celui à respecter par l'ouvrier. i.e délai de préavis en faveur de l'ouvrier est deve~u d'ordre public. Dès lors, il n'est plus permis aux parties de libeller, ni directement dans le contrat, ni par I'éférertce au règlement d'atelier, si un préavis de congé est .exigé de la part del'employeur, ni de préciser dans quels cas le patron peut licencier J'ouvrie1~ sans préavis .. Les règles à appliquer en matière de contrat de

, (2.9) Ont admis qu'il.appartient au juge d'apprécier la gmvité du motif invoqué ·par le patron même quand le contrat a prévu que le fait considéré justifiait la ~pt;ure immédiate du contrat : cons. prud'h. app. Liège, 9 juillet 1947, J. L. O., 1948, 44; cons. prud'h. app. Bruxelles, .19 janvier 1949, J. T., 1949, 139 ; 19 no­vembre 1949, J. T., 1950, 2'12; cons. prud'h. Bruxelles, 4 octobre 1929, J. L. O., ~l9SS, 75.; cons. prud'h. Anvers, 10 juin 1931, J. L. O., 1936, 38.

Contra : cons. prud'h. Gand, 27 février 1945, J. L. O., 1944-1945, 116; cons. prud'h. Ostende, 13 octobre 1950, R. W., 1950-1951, 1676, J. L. 0., 1952, 168.

Admet qu'est valable la clause qui précise que des manquements qu'elle déter­mine· justifient le renvoi immédiat de l'employé, sauf si il y a intention de frauder .iJ.a loi : c·ons. p1•ud'h. app. Gand, 19 mai 1952, J. T., 1952, 511, J. L. 0., 1953, 11; 16 mai 1953, J. T., 1953, 418 ; cons. prud'h. Bruxelles; 30 janviei• 1939, J. L. O., ~1939, 138 ; 1er juin 1942, J. L. 0., 1943, 43 ; ter février 1943, J. L. o.q:~43, 146.

REV. CRI'!'., 1962. - 2

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-18 REVUE CRITIQ1J:E: DE JURISPRUDENCE BELGE

travail sont devenues identiques à celles qui régissent le contrat d'emploi (30).

La disposition .de l'article 18, alinéa 1er, des lois coordonnées sur lé· contrat d'emploi n'est utile qu'en ce qui concerne le congé immédi:at donné par l'employé, car l'obligation légale du préavis de. congé en faveur­du patron n'est pas impérative.

Aussi est-ce seulement pour ce dernier cas que noùs croyons utile· de faire brièvement l'exégèse de l'ensemble de l'article 18.

L'article 18 envisage avec une réciprocité absolue le cas du congé immédiat donné pmu· motifs graves, soit par l'employeur, soit par· l'employé (31).

Les deux alinéas se complètent :

Aux termes de l'alinéa 2, la partie qui prend l'initiative dù·,,congé· irmnédiat ·ne peut invoquer pour le justifier que les motifs notifiés par· lettre recommandée expédiée dans les trois jours du congé. Aux termes. de l'alinéa 1er, le juge appréciera la réalité et la gravité des motifs ains~ notifiés.

Les tribnnaux appliquent l'alinéa 2 avec ponctualité, mais la jUrispru­dence est divisée quant à la raison d'être de cette disposition : pour les: uns, elle a pour but de permettre à la partie qui reçoit le congé d'identi:fiel~ les faits qui lui sont reprochés et de limiter le débat, sans que la partie­adverse puisse invoquer ultérieurement des motifs auxquels elle .n'avait pas pensé au moment du congé et qui n'en n'ont donc pas été la cause· déterminante (32); pom· d'autres, il s'agit de limiter les faits sur lesquels 'une.demande d'enquête pourra év~ntuellement porter (33) ; pour .d'au~res' enfin, il s'agit de pe1~mettre au juge. d'apprécier, à la lecture 9.~ 1~ ·seu}e­notification, .la gravité des faits invoqués,' C'ést à cette ~ qu'il,s.9.oivent avoir été notifiés avec précision (34). · . · Affirmer que le juge doit apprécier. la gravité des motifs invoqvés; même quand ils ont. été à l'avance indiqués dans nne disposition .. du _contrat comme faits graves permettant le congé irmnédiat!,. n'about.it pus'

(30) Ont apprécié la gravité d'une faute malgré une mention .du' règlèinênt. d'atelier : .. cons. prud'h; app.Bru,;x,elles, 4 avril 1957, R. n~·s., 195D~;2l9; 9 ·n:o-vembre 1955, R. T., 1956, · 460. . . . .

Comp. cons; prud'h. app. Anvers, 7 décembre ]956, B~ûl. F:.· I. B.,.1959~·Ü29:: (3~) La. questi~n de savoir s~ le renvoi im~~diat d'un e;mployé est Justifié·

est une question de fait qui est résolue souverainerent par le ju~e du fond. : cu.s,s~, 11 février 1937, Pas., 1937, I, 50. - , . _ · (S2) Cass., 12 février 1959, Pas., 1959, I, 598; cons. prud'h. app. 'Lfège,·2 no'­vembre 1938, Jur~ Liêge, 1938, 16 ; cons~· prud'h. app. Mons, -15 · jan-rier 1944,., J. L. O., 1946, 29; corui. prud'h. app. Bruxelles, 26 juin 1944, J. T., ·1945, 197 ;; cons. prud'h. app. Mons, 7 novembre 195f), R. T., 1960, 1005; cons. prud~h .. Gand,.. 24 avril 1945, J. L. O., 1944-1945, 158.

(33) Cons. prud'h. Anvers, 18 mars 1936, J, L. O., 1937, 44: . . . . (34) Cass.~ 12 février 1959, Pas., 1959, I, 598 ; cons. prud'h. app. Mon.s, 13 jan-·

vier 194:4, J. L. O., 1946, 29; 4 mai 1957, R. 'P., 1958, 895; 21 mars 1959, R. T.,. 1960, 837; 7 novembre 1959, R. T., 1960, 1005; cons. prud'h. Bruxelles;, 15 juin: 1948, J. L~ O., 1950, 220.

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REVUE CRITIQUE DE jURISPRUDENCE BELGE 19

à déhier toute utilité à lme clause du contrat qui énmn.ère les fautes graves justifiant lill renvoi brusque.

Il est naturel qu'en raison des caractéristiques de certains établisse­ments ou de certaines fonctions, des faits, qui ne sont pas nécessairement graves en tous lieux et dans tous ies emplois, présentent lille importance particulière et contiennent le germe de troubles graves dans l' m•ganisation industrielle ou commerciale considérée.

En conséquence, il est possible que ce soit avec la plus grande objectivité que les parties reconnaissent à l'avance que telles fautes ou telles négli­·gences ont un caractère grave dans l'institution où elles sont commises.

Aussi, en appréciant si le motif invoqué présente le degré de gravité requis pour justifier le congé brusque, le juge ne peut faire systématique­ment abst1·action des énonciations du contrat. Il doit s'éclairer par la lecture du contrat. S'il· a la conviction qu'elles correspondent à une situ~tion objective, il doit tenir compte de ce que tel fait qui, en d'autres circonstances, serait bénin, présente en l'espèce un caractère de gravité. ' ·~ai's c;est à la partie qui invoque le manquemmi.t à une obligation e:xP~essément prévue dans le cont.r~t; à prouver la réelle gravité de la .faute· commise par son cocontractant; Elle ne peut .se contenter de pro­duire le contrat, quitte.à ce que la partie adverse établisse que la clause querellée n'avait d'autre but que de tourner l'obligation du préavi~ de. co:ngé.

VII.

Üii peut se demander quels sont ·les pouvoirs du juge dans le cas de ·rupture anticipée pour motif grave d'un contrat à terme.

Il i3'impose moins de déroger au droit commun en matière de contrat conclu pour une durée déterminée ou pour une entreprise déterminée, pui:sque, pa·r définition, il est destiné à prendre fm par l'expiration du terme.

Le législateur n'intervient que pour veiller à ce que l'attention des parties soit, par la rédaction d'un écrit, attirée sur l'in1portance du terme. . La loi sur le contrat de travail et la législation sur le contrat d'emploi

, :permettent aux parties de résilier le contrat· avant terme lorsqu'il y a motü grave : l'article 16, 3°, de la loi du 10 mars 1900 énonce que le contrat prend fin par la volonté de l'une des parties lorsqu'il existe :tin juste motif de ruptm·e, cela aussi bien pour les contrats à terme que pour les contrats conclus sans terme; l'article 21 des lois coordonnées du ~0 juillet 1955 restreint le droit à indemnité pom· résiliation du contrat avant terme au cas où il a été dénoncé sans justes motüs. Mais dans aucune des deux lois, nulle disposition ne réglemente expressément la ·ruptme avant terme (35), et notamment l'article 18 des lois coordon­nées sur le contrat d'emploi ne concerne pas la résiliation avant terme.

On ne peut donc que se référer au droit commun.

··(35) Notons cependant :

a) Que l'article 24 de la loi du 10 mars 1900 prescrit que la stiptùation et le

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20 ·REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

Si le contrat ne dit rien, chacùn.e des parties peut, à ses risques et périls, prendre l'initiative de la rupture du contrat sans intervention préalable du juge, mais·. il appartient au juge d'apprécier la réalité et la gravité des motifs invoqués. Il est cependant loisible aux parties de conclure un contrat à terme affecté d'm1. pacte commissoire exprès avec ou sans dispense de mise en demeure. En ce cas, le juge n'a aucun ·pouvoir d'appréciation.

Il ne peut censurer les dispositions des' contrats, car, hormis l'obliga­tion de l'écrit, les régu'nes légaux de stabilité d'emploi ne visent pas les contrats à durée déterminée dans lesquels le terme convenu n'a pas pour but d'éluder l'obligation du préavis de congé.·

PAUL HORION,

PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE LY:ÈlGE.

montant de l'indemnité sont réciproques nonobstant toute convention contraire. Ce texte n'a pas été modifié par la loi du 4 mars 1954. II constitue une survivance du principe de l'égalité des parties qui dominait la loi du 10 mars· 1900;

b) Que les articles 21 et 22 des lois coordonnées du 20 juillet 1955 rëglémèn:tent iinpérativem~nt en f~veur de l'employé les indemnités dues pour· rupture avant terme. , : .

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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 21

· ~ Cour d'appel de Gand, 5e chambre civile, 10 avril 1961.

Président M. MARAITE, président.

Ministère public M. DE HooN, avocat ·général.

Plaidants : lVIMes DuBOIS et EvENS (celui-ci du barreau de Courtrai).

I. ACTION ALIMENTAIRE NON DÉCLARATIVE DE FILIATION. - REPRÉSENTATION DE L'ENFANT. ST.A-

. TUT PERSONNEL.

II.· ORDRE PUBLIC INTERNATIONAL BELGE. - PRIN­CIPES ESSENTIELS A L'ORDRE MORAL, POLITIQUE ET ÉCONO­MIQUE ÉTABLI.

III. CON;FLIT DE LOIS. ---:- SouLEVÉ n'OFFICE PAR LE JUGE.

IV. LOI APPLICABLE. - BuT sociAL DE LA LOI. - INTÉ­RÊTS PROTÉGÉS.

v. PREUVE DE LA LOI ÉTRANGÈRE. - INCOMBE AUX PARTIES.

VI. CONFLIT DANS LE TEMPS. - APPLICATION DE LA LOI NOUVELLE DE STATUT PERSONNEL.- SAUF POUR LES EFFETS DÉJA ACQUIS AVANT SON ENTRÉE EN VIGUEUR.

I. En droit belge, l'enfànt pow· lequel une action est intentée sur la base de l'article 340b du Code civil doit prouver préalable­ment, sous peine d'être ir"recevable à agir, sa filiation mate1'­nelle.

La mèt·e d'un enfant naturel non 1·econnu n'est pas qualifiée pour représenter juridiquement son enfant.

J!a représentation juridique d'un incapable ressortit à la capacité . d'exercice et donc au stat~tt personnel de ce dernier et, visant à

la protection de l'incapable, est rég,ie par sa loi nationale.

Ii. Une règle de droit qui fait découler, du seul fait de la naissance, la filiation à l'égard de la mère et qui admet, même sans 1'econ­naissance expresse de celle-c·i, qu'un enfant natu'rel est repré-

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22 REYVE ORI'r!QUE ;DE JURISPRUDENCE BELGE

senté juridiquement pa1· sa mè're, n'est pas en opposition avec l'ordre 1ntblic international belge qui corn prend uniquement les dispositio~s . qui consac?'ent un principe que le législateur belge considè1·e comme essentiel. à l'ordre moral, pol·itique ou écono­miqu,e établi.

III. Le premie1· 'jit,>ge peut soulever d'office le conflit de lois.

IV. Le législateur du_ .6 avril 1908 a eu pour but principal non pas tellement de protéger les intéTêts de ·la famille legitime, mais cle protégwr ·:-l'intérêt de l'enfant naturel dans la mesure qui lui paraissa.it juste.

Le but social de la loi est indubitablement, et avant tout, la pro­tection des intérêts de la partie la plus faible, l'enfant.

Si la loi nationale dë l'enfant est applicable en principe, "son application n'aura cependant lieu que 11our autant qu'elle ne soit pas en contradiction avec l'ordre public international belge.

V. Il ap11artient aux parties de produire le texte de la loi tchéco­slovaque non se-ulement pour apprécie1· sa conformité à l' m·iJ/re public international belge, mais encore pour établir de façon certa1:ne quelles sont les actions dont dispose l'enfant en vertu: de cette l~gislation.

VI. En cas de modification, 'rnême au cours d'une procédure, de la loi nationale compétente, le statut personnel des étrangers sera 'régi par la loi nouvelle en vigueur au moment du jugement.

Si la loi est immédiatement applicable aux e flets juridiques qu~ comporte. la paternité présumé~. après l'entrée en v.Ï.f!UMW de la loi, rien au. co~traire ne permet de l'appliquer aux effet~ juridiques déjà acquis avant son entrée en vig~wu,t.

' 1

1

(EIMOVA, C.l EVERAET.)

A~REST (1).

Nopens de hoedanigheid van appellante

Overwegende dat geïntimeerde opwerpt dat, bij gemis aan· erkenning van het kind vanwege appellante, de moederlijke afstamming van · het kînd ni et vastst~ù)Jt, zodat de vordering

(1) L'arrêt n'a ·pas été reproduit intégralement, divera passages ne pre~~ntant pas d'intér~t à"Q. point de vù~ des questiop.s examinées dans la note.

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REVUE CRITIQUE. DE jURISPRUDENCE BELGE 23

uit dien hoofde niet ontvankelijk is (Burg. Wetb., art. 3406) en .appellante bovendien om dezelfde reden · niet gerechtigd is ais vertegenwoordiger van het natuurlijk kirid op te treden;

·· ·Overwegende dat, naar Belgisch recht, het kind voor het~ welk een vordering op grond van artikel 340b van het Burger .. lijk Wetboek wordt ingesteld, inderdaad op straf van niet­·ontvankelijkheid voorafgaandelijk zijn moededijke afstamming moet bewijzen (DE PAGE, d. I, nr. 1201) ;

Daar deze moederlijke afstamming naar Belgisch recht aileen blijken kan uit een erkenning gedaan in. de door de wet voor .. geschreven vormen, i.e. uit een erkenning gedaan hetzij in ·de. geboorteakte, hetzij in een afzonderlijke akte van de burger­lij.ke stand, hetzij bij authentieke akte, behoudens het geva,l van artikel 336 van het Burgerlijk Wetboek; ·

'Dat ter zake zulke erkenning niet voorhanden is, terwijl ·de loutere geboorteakte geen bewijs is van natuurlijke afstam­ming;

Dat anderzijds, steeds naar · Belgisch recht, de moeder van ·een niet erkend natuurlijk kind niet gerechtigd is haar kind in rechte te vertegenwoordigen (DE PAGE, d~ I, blz: 1206, nota 2), ·door de voogdij van een niet erkend natuurlijk kind niet aan ·de nioeder doch aan de door de familieraad aangeduide voogd behoort (art. 405, alinea 2, van het Burgerlijk Wetboek; art. 5 van, de wet van 7 maart 1938) ;

· Overwegende dat de vraag echter is ofde moederlijke afstam­ming van het kind en de vertegenwoordiging in rechte van dit kmd; te1~ zake, naar Belgisch. of naar Tsjechoslowaaks. recht moeten worden beoordeeld ;

Overwegende dat de vertegenwoordiging in rechte van een ·onbekwame behoort tot de handelingsbekwaamheid en dus tot het persoonlijk statuut va:ri deze laatste en, bedoeld tot bescher­I~ing van de onbekwame, door zijn na-tionale wet is beheerst;

' Dat ook de moederlijke afstamming van een kind, en zijn rechtstoestand van wettig, natuurlijk of erkend kind ten aan­·zien van zijn moeder, beheerst. zijn door de nationale wet van moeder en kind ;

.· Dat appellante en haar kind beide van Tsjechoslowaakse :qat_ionaliteit. zijn ;

Dat, in ·strijd met wat geïnthneerde beweert, de regels van

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24 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

de Tsjechoslowaakse wetgeving inzake moederlijke afstamming· niet dezelfde zijn als de Belgische;

Dat de Tsjechoslowaakse wet nr. 265 dd. 7 december 1949; houdende « bepaling der rechtsnormen betreffende de familie ))~

in haar Hoofdstuk II « Ouders en Kinderen >) aileen gewag. maakt van de erkenning van het vader{3chap, nl. in artikel 44,, terwijl in geen enkel artikel van de g~nse wet spraak is van de erkenning van het kind door de ilioeder (zie : Ministerie· van Buitenlandse Zaken en Buitenlandse Handel : << Buiten­landse Wetteksten 1953, nr. 1, De Tsjechoslowaakse Famille_: en Nationaliteitswetgeving »);

Dat de Tsjechoslowaakse wetgeving terzake blijkbaar be-· hoort tot de groep wetgevingen die, zoals de Duitse (~ 1705· BGB) en de Zwitserse (art. 302), de afstamming van };tet kind ten overstaan van de moeder als vaststaande beschouwen door het feit van de geboorte (zie DE Vos, Conflits de lois,; d. I, nrs. 144-145) ; .

Dat hieruit moet worden besloten dat in de ogen van de OP' dit punt bevoegde Tsjechosldwaakse wet, de moederlijke afstam-­ming ook zonder erkenning vaststaat;

Dat uit de geboorteakte geenszins blijkt dat het kind de· naam niet zou dragen van de moeder ;

Overwegende dat anderzijds uit de artikelen 52 en volgende· van gezegde Tsjechoslowaakse wet blijkt dat de ouderlijke, macht- die het recht omvat de kinderen te vertegenwoordigen (art. 5S) - aan de moeder behoort indien de vader on,bekend is (art. 55, alinea 2), terwijl er slechts een voogd wordt .aange-­steld indien geen van beide ouders de ouderlijke macht bezit.. of mag uitoefenen (art. 56), wat ter zake niet bewezen .if3;

Dat de vertegenwoordiging van het kind, ook om voor de· rechtbank te procederen, behoort aan elk van de ouders die· er de ouderlijke macht over uitoefenen (art. 57, alinea 1); eindelijk dat het kind slechts vertegenwoordigd wordt door· een curator indien geen van beide ouders het kind kan vertegen­woordigen, hetgeen terzake niet het geval is gezien het gaat. om een rechtsvordering uitsluitend ten bate van het kind. (art. 57);

Dat hieruit volgt dat appellante, volgens de op dit punt bevoegde Tsjechoslowaakse wetgeving, gerechtigd is haar kind in rechte te vertegenwoordigen;

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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 25

Da,t .een rechtsregel die de afstamming ten opzichte van de· moeder beschouwt als vaststaande door de geboorte en die aanneemt dat een natuurlijk kind ook zonder uitdrukkelijke erkenning van harentwege, in rechte wordt vertegenwoordigd door zijn moeder, niet strijdig is met de Belgische internationale. openbare orde, internationale openbare orde die aileen de voorschriften omvat die een beginsel bekrachtigen dat de Belgische wetgever ais wezenlijk beschouwt voor de in België gevestigde zedelijke, politieke en economische ordening der maatschappij ;

Overwegende dat geïntimeerde vergeefs beweert dat aileen_ Mter R... bevoegd was om de vordering in te spannen ; · Dat het aanvankelijk optreden in 1948-1949 van M:ter R .. ~ ais voogd ad hoc, aangeduid door de Distriktrechtbank van Duchov (Tsjechoslowakije), en vervolgens van zekere M:evr. P .. ~ als voogdes, blijkbaar teruggaat op de alsdan vigerende Tsje­choslowaakse wet die echter v66r het irileiden van de dagvaar­ding op 21 april 1950 was vervangen door de hierboven ver­melde Familiewet nr. 265 dd. 7 december 1949, luidens dewelke­de moeder - i.e. de huidige appellante en oorspronkelijke eiseres - gerechtigd is als vertegenwoordiger van het kind in rechte op de treden;

Dat de bevoegdheid van eiseres om q.q. in rechte op te treden moet worden beoordeeld op het ogenblik van de inleidende· dagvaarding (21 april 1950);

Overwegende dat geïntimeerde vergeefs opwerpt dat de­ver.zoeningsproceduur niet door appellante q.q. werd bewerk­stelligd;

Dat zij immers werd bewerkstelligd door Mter R ... , optredei1d ni et· alleen als voogd ad hoc van en in naam van het minderj arig kihd, maar ook in naam van de moeder van het kind- appel­lante ~ ais drager van volmacht dd. 13 mei 1948 voor deze laatste;

Dat geïntimeerde nog ten onrechte beweert dat de partijen in strijd met artikel 340/ van het Burgerlijk Wetboek, tijdens,. de verzoeningsprocedure verschenen met bijstand van hun__ raadslieden ;

Dat de voorzitter van de rechtbank, precies omdat partijen zich luidens artikel 340/ van het Burgerlijk Wetboek niet mogen

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:26 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

]aten bijstaan door avoués of raadslieden, in het proces-verbaal van verzoening vaststelt dat de moeder dus moet worden aange­zien als verstekmakend, terwijl geïntimeerde van zijn kant wei degelijk in persoon en zonder bijstand verscheen;

Ten gronde : betreffende de toepasselijke wet :

Overwegende dat, terwijl appellante en haar kind de 'l;'sje­·choslowaakse nationaliteit bezitten, geïntimeerde Belg is;

Dat de eerste rechter, die terecht het wettenconflict ambts-. ·halve· opwierp, om oordeelkundige redenen aannam dat de vordering tot onderhoudsgeld op basis van artikel 340b van het Burgerlijk Wetboek gesteund is op het vermoedelijk vaderschap en derhalve het persoonlijk statuut aanbelangt, zodat de rechter

·-de nationale wet moet toepassen, en wel de nationale wet die. het persoonlijk statuut beheerst van deze persoon wiens belang terzake door de nationale wetgever (en niet de nationale rechter.,: ·zoals de eerste rechter verkeerdelijk zegt) ais overheersend wordt aangezien;

Overwegende dat het bestreden vonnis echter een verkeerde. ·toepassing van dit principe heeft gemaakt;

Dat de eerste rechter nl. van oordeel was dat de wet van 6 april 1908 hoofdzakelijk de waardigheid en de belangen van

·de wettelijke famille van de vermoedelijke vader heeft willen -vrijwaren en hieruit afleidde dat de toepasselijke wet is; a) degene ·die het wettelijk gezin van de vermoedelijke vader beheerst,. ingeval deze _laa·tste gehuwd is, en b) degene die het statùut ·van :nioeder en kind beheerst, ingeval de vermoedelijke vader <mgehuwd is ; -

Dat hij, in de mening verkerende dat geïntimeerde bij het · inleiden van de proceduur ongehuwd was, de Tsjechoslowaakse . wet van appellante en haar kind toepasselijk verklaarde ·. en ·partijen verzocht op grond van de beschikkingen dezer wet -te besluiten ;

Dat appellante, het bewijs aanbrengend dat geïntimeérde -bij de aanvang der rechtspleging reeds gehuwd was, voor het Hof vraagt dat, in overeenstemming me.t de door de eerste'

-rechter gehuldigde principes, thans de Belgische wet van geïnti­meerde zou worden toegepast ;

Overwegende dat vooreerst de stelling, volgens dewelke de ... oplossing afhanke1ijk wordt gesteld van de omstandigheid of

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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 27:

de vermoedelijke vader in feite al dan niet gehuwd is, bezwaar­lijk kan worden bijgetreden;

Dat de wet van 6 april 1908 immers, in de ·mate waarin zij ·de belangen van de vermoedelijke vader en diens familie heeft willen vrijwaren, principieel de belangen heeft willen vrijwaren van . de vermoedelijke vader en diens eventuele familie, zonder ·onderscheid naar gelang van het individuele geval of van de' ·datum van het huwelijk ; .

Overwegende dat, wat daar ook van weze, de wetgever van 6 april 1908, in strijd met wat de eerste rechter meende, ais voomaamste doel heeft gehad, niet zozeer de belangen van de wettelijke famille te vrijwaren, maar het belang van het natuur­lijk kind te vrijwaren in de mate waarin hem dit rechtmatig -voorkwam;

Dat zulks ook het geval is wanneer de vordering strekt tot ·Dnderzoek naar het natuurlijk vaderschap (art. 340a van het Burgerlijk Wetboek), zodat de Belgische rechter het wetten­conflict tussen de persoonlijke wet van hém die de staat vaR. natuurlijk kind opvordert en de persoonlijke wet van de beweerde v ader, moet oplossen ten gunste van de nationale wet van het kind, onder voorbehoud van de regelen der internationale openbare orde (cass., 20 n1aart 1941, Pas., 1941, I, 86);

Overwegende dat deze opplossing des te meer klemt ten overstaan van de vordering op basis van artikel 340b van het Burgerlijk Wetboek, vordering die aileen strekt tot levensonder­houd en die, hoewel steunend op een vermoeden van vader­schap, geen verklaring of erkenning van vaderschap inhoudt, niet voor gevolg heeft de vaderlijke afstamming vast te stellen, doch het kind buiten de wettelijke familie houdt, zodat de belangen van de wettelijke familie van de vermoedelijke vader niet in het geding zijn ;

Dat ten overstaan van zulke vordering; die aileen het per­Boonlijk belang van . de v ader en dit van het kind tegenover ·elkander stelt, het sociaal doel van de wet ongetwijfeld in de ·eerste plaats is geweest : de verdediging van de belangen van de .zwakkere partij, het kind (zie Gent, Il maart 1954, R. W., 1953-1954, kol. 1726; J. T., 1955, blz. 159 met noot R. VANDER

ELST; DE Vos, Conflits de lois, d. I, nr. 158, blz. 198; Brussel, 17. maart 1954, Pas., 1955, II, 25; cass., 24 maart 1960, Pas.,

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28 REVUE CRITIQUE .DE JURISPRUDENCE BELGE

1960, I, 860; contra : Brussel, 2 april 1958, Pas., 1959, II, 42, dat ten onrechte deze wet toepasselijk verklaart die de gun­stigste is voor het natuurlijk kind) ;

Overwegende dat, indien derha,lve de nationale. wet van het kind, _ terzake de Tsjechoslowaakse wet, principieel_ toepasse,-­lijk is, zij dit nochtans aileen zal zijn voor zover zij niet strijdig· is met -de Belgische internationale openbare orde; · Dat het derhalve aan partijen zal behoren de Tsjechoslo­

waakse wet op het stuk over te leggen, niet aileen ten eind6' haar conformiteit met de Belgische internationale openbare orde te toetsen, maar ook ten einde duidelijk te stellen over welke vorderingen appellantes kind ingevolge deze wetgeving beschikt;

Wettenconflict in de tijd

Overwegende dat de eerste rechter toepassel,ijk verklaarde de Tsjechoslowaakse wetgeving « in voege ten _- tijde van de geboorte van het kind » ;

Overwegende echter dat het kind geboren werd op 21 juli 1945, terwijl op 1 januari 1950 een nieuwe wet in voege trad, ni. de hogervermelde Tsjechoslowaakse Familie~et nr. 265 dd. 7 december 1949, die de eerste rechter overigens in zijn vonnis inroept ;

Dat zich derhalve ook een wettencpnflict in de tijd voor­deed, dat eveneens moest worden opgelost ;

Overwegende dat, naar Belgisch bur~erlijk recht, ·een nieuwe wet enerzijds geen terugwerkende kracht heeft (behalve 'uit­drukkelijke bepaling in tegenovergestelde zin) eU: derhalve het verleden niet kan ·beheersen, maar anderzijds (behalve inzake oontraêten) onmiddellijk, i.e. vanaf haar inwerkingtreding, moet worden toegepast op de « toekomstige » gevolgen, zelfs van toestanden die onder de oude wet waren ontstaan (DE PAGE, d. I, nrs. 231bis en 23lter, en Complément, d. I, blz. 187 en volg.);

Dat zulks bijzonder het geval is voor de wetten die de staat der personen aanbelangen (DE PAGE, d. I, nr. 232), zelfs ten aanzien van reeds hangende gedingen (cass., 18 februari 1937, Pas., 1937, I, 63);

Overwegende dat rechtsleer en rechtspraak aanvaarden dat deze principes toepasselijk zijn op het internationaal privaat-

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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 29

recht (P. RouBIER, Rev. de dr. internat. privé, 1931, blz. 79-80; -:P. RouBIER, Le droit t1·ansitoire (conflits de lois dans le temps), 2de uitg., 1960, nr. 45, blz. 204, en nr. 67, blz. 314 en volg.), ·zodat in geval van wijziging- zelfs in de loop van het geding - van de bevoegde nationale wetgeving, het persoonlijk statuut van de vreemden beheerst wordt door de nieuwe wet die in voege is op het ogenblik van de uitspraak (Brussel, 7 juli 1941, Rev. prat. not., 1942, blz. 379; 3 juli 1947, J. T., 1947, blz. 495 met nota J. RENAULD ; Cour de Paris, 29 maart 1928, in de .:Zaak Goldwurm, Rev. de dr. internat. privé, 1928, blz. 499, eensl. concl. Lyon-Caen);

Dat de Tsjechoslowaakse Familiewet van 7 december 1949 nochtans geen bepaling behelst die haar terugwerkende kracht verleent, terwijl niets er op wijst dat de Tsjechoslowaakse wetgeving het principe van de· niet-terugwerkende kracht van de wet - principe dat gemeengoed is van de meeste beschaafde landen - niet zou huldigen ;

Dat derhalve, indien de wet van 7 december 1949 onmiddel­lijk toepasselijk is op de juridische gevolgen die het vermoe­-delijke vaderschap na de inwerkingtreding van de wet met zich brengt, niets integendeel toelaat de nieuwe wet toe te passen op. de rechtsgevolgen die bij haar inwerkingtreding reeds· verstreken waren ;

Dat · ten slotte geen aanwijzingen voorhanden zijn dat de "Tsjechoslowaakse wetgeving terzake, sedert de Familiewet van 7 decmnber 1949, nog andere wijzigingen zou hebben onder­.gaan; ·

Dat derhalve op de onderhavige vordering tot levensonder­·houd - die slaat op zich in de tijd uitstrekkende juridisc.he gevolgen van een rechtstoestand ~ toepasselijk zal zijn : a) voor ·de periode lopende vanaf de geboorte van het kind (21 juli 1945) tot aan de inwerkingtreding op 1 januari 1950 van de nieuwê wet : de v66r 1 januari 1950 vigerende Tsjechoslowaakse wet; b) voorde periode lopende vanaf 1 januari 1950 : de vanaf die· datum vigerende nieuwe Tsjechoslowaakse Familiewet nr. 265 van 7 december 19·49; .

Om die redenen, het Hof ... , zegt dat de beroepsakte regel­·matig is; verklaart het beroep tijdig en ontvankelijk doch -ongegrond, behalve in de mate hierna bepaald i verklaart het

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30 REVUE CRI'l'IQUE DE JURISPRUDENCE . BELGE

incidenteel beroep ontvankelijk doch ongegrond ; bevestigt · het bestreden vonnis met deze enkele wijziging dat toepasselijk wordt verklaard, voor de periode lopende vanaf de geboorte van het kind tot op .1 januari 1950, en voor de periode lopende vanar deze laatste datum tot het kind de leeftijd van achttien jaar heeft bereikt : de voor eike van die perioden vigerende Tsjechoslo­waakse wetgeving, telkens onder voorbehoud van de Belgische internationale openbare orde ; beveelt aan appellante de . voor­·elk van deze perioden vigerende Tsjechoslowaakse wetgeving· over te leggen; verklaart de voor het Hof ingestelde eis tot betaling van bevallingskosten en eigen onderhoud gedurende· vier weken niet ontvankelijk; zegt dat de voorwaarden tot evocatie niet vervuld zijn; wijst de zaak terug naar de recht-. bank van eerste aanleg te Kortrijk, anders sameng~steld, voor­verdere. behandeling op hierbovenbepaalde basis ;· veroordeelt appellante tot een derde en geïntimeerde tot twee derde van de kosten van de aanleg .

. TRADUCTION.

Concernant la qualité de l'appelante :

Attendu que l'intimé prétend que, faute de reconnaissance de l'enfant. par l'appelante, la filiation maternelle de l'enfant n'est pas établi(}, de· telle sorte que l'action n'est pas recevable de ce chef (art. 340b du Gode"' civil) et que l'appelante, pour ~es ,mêmes raisons que ci-dessus, n'est. pas qualifiée pour agir comme représentant l'enfant naturel;

Attendu que? en droit belge, l'enfant pour lequel une action est inttmtue· sur la base de l'article 340b du Code civil doit en effet prouver préalable~­ment, sous peine d'être ·irrecevable à agir, sa filiation materne}Je (.Dl!:". PAGE, t. Jer, n° 1201); . . .

. Que . cette filia:Üon m~tern.elle, en droit belge, ne peut .découler. q ueo "d'une reconnaissance faite dans les fOl·mes légales, c'est-à~dire d'une­reconnaissance faite soit dans l'acte de naissance, soit dans un acte 'séparé d'état civil, soit par acte authentique, sauf le cas de l'article 33·6 .. du Code civil ; .

Qu'alors qu'une telle recomlaissance n'est pas. produite, le seul acte· de naissance ne constitue pas une preuve1 de la. filiation naturellè ;

Que, d'autre part, toujours selon le drOit belge, la mère d'un elliant -naturel non reconnu n'est pas qualifiée pbur r·eprésenter juridiquement son enfant (DE PAGE, t. Jer, p. 1206, note 2),-latutelled'l.m elliant naturel non reconnu n'appartenant pas à la mêre mais à celui qui est désigné par le conseil de famille (a:rt. 405, al. 2, du Code civil; art. 5 de:la loi du ·7 mars 1938); . · Attendu que la question véritable est de savoir si la filiation mater.:..

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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE ·BELGE 3L

:nelle de l'enfant et la représentation juridique de celui-ci doivent, en l'espèce, être appréciées selon le droit belge ou selon le droit tchécoslo-­vaque;

Attendu que la représentation juridique d'un incapable ressortit à la. capacité d'exercice et donc au statut personnel de ce dernier et, visant à la protection de l'incapable, est régie par sa loi nationale ;

Que la filiation maternelle d'un enfant, elle aussi, et son état d'enfant légitime, naturel ou reconnu, à l'égard de sa mère, ressortissent à la loï nationale de la mère et de 1' enfant ;

Que l'appelante et son enfant sont tous deux de nationalité tchéco-­slovaque;

. Que, contrairement à ce que l'intimé prétend, les règles de la loi tché­coslovaque concernant la filiation maternelle ne sont pas les mêmes que, les règles belges ;

Que la loi tchécoslovaque n° 265 du 7 décembre 1949 portant << déter­mination des règles de droit concernant la famille "• dans son chapitre II,. « Parents et enfants "• ne parle que de la reconnaissance de la paternité,. p.otamment en l'article 44, tandis qu'il n'y a pas un seul article dans toute. la loi qui fasse allusion à .la reconnaissance de l'enfant par la mère (voir : Ministère des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, .«Textes des lois étrangères 1953, n° 1, Législation tchécoslovaque slir­la famille et la nationalité ») ;

Que la loi tchécoslovaque relative à· cette matière se rattache mani­festement au groupe de législations qui, telles la législation allemande· (§ 1705 BGB) et la législation suisse (art. 302), fait découler la filiation de l'enfant vis-à-vis de la mère du fait de la naissance (voir DE Vos,. Conflits de lois, t. rer, ri0 B 144-145) ·;

Que l'on doit en conclure que dans la perspective de la loi tchécoslo~­vaque, compétente sur ce point, la filiation maternelle s'établit sans~ reconnaissance ;

Qu'il ne résulte pas de l'acte de naissance que l'enfant ne porte paS'~ le 'nom de sa mère ; · ·

Attendu que, d'un autre côté, il résulte ·des articles 52 et suivants· de ladite loi tchécoslovaque que la puissance paternelle- qui comprend le. droit de représentation de l'enf!IDt. (art.· 53) ·--'---.appartient à la mère si le père est inconnu (art. 55, al. 2), tandis ·qu'un tuteur ne lui est dési­gné qûe si· aÛ:cuil des-deux p.~ents -ne dét.i~nt. ou ne peut _ex.e;rcer la puis-­sance paternelle (art. 56), ce qui n'est pas établi en l'espèce;

Que la représentation de l'enfant, y compris pour ester en juat~ce,.. appartient à celui des parents qui exerce la puissance paternelle (art. 57, al. 1er); enfin que l'enfant n'est représenté par un curateur que si aucun d~s deux parents ne peut représenter l'enfant, ce qui n'est pas le cas: en l'espèce étant donné qu'il s'agit d'une instance poursuivie exclu­sivement dans l'intérêt de l'enfant (art. 57);

Qu'il en résulte que l'appelante, selon la loi tchécoslovaque compé-­tente sur ce point, est qualifiée pour représenter juridiquement son e~~t;

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.32 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELém

Qu\me règle de droit qui fait découler, du seul fait de la naissance, la filiation à l'égard de la mère et qui admet, même sàns reconnaissanc-e expresse de celle-ci, qu'un enfant naturel est représenté juridiquement par sa mère, n'est pas en opposition avec l'ordre public international belge qui comprend uniquement les dispositions qui consacrent uil. prin­cipe que le législateur belge considère comme essentiel à l'ordre moral, _politique ou économique établi ; '

Attendu que l'intimé prétend à tort que seul Me R ... est compétent pour poursuivre l'instance ; · ·

Que l'intervention originaire de Me R ... , eri. 1948-1949, comme tuteur <tel hoc, nommé par le Tribunal de district de Duchov (Tchécoslovaquie), -et par la sui·te d'une dame P ... , comme tutrice, était manifestement fondée sur la loi tchécoslovaque en· vigueur· à cette époque, mais.rem­_placée, dès avant l'~ssignation du 21 avril 1950, par la Loi 'de la Famille n° 265, citée ci-dessus, du 7 décembre 1949, selon laquelle 1a mère, c'est­à-dire l'actuelle appelante et demanderesse originaire, est· qualifiée pour représenter juridiquement l'enfant en justice ;

Que la qualité de la demanderesse pour intenter l'action au nom <le son enfant doit être appréciée à la date de l'introduction de ltt--demande (21 avril 1950) ;

Attendu que c'est à tort que l'intimé soutient que la procédure de ~onciliation n'a pas été poursuivie par l'appelante q.q. ,· ·

Qu'elle a été poursuivie, en effet, par Me R ... , agissant non seulement comme tùteur ad hoc et au nom de l'enfant mineur~ mais aussi au iloin -de la mère de l'enfant, l'appelante, comme porteur de procuration dàtée du 13 mai 1948 pom cette dernière ; · ·.

Que l'intimé prétend encore à tort· que les parties, en ·violation de l'article 340/ du c·ode civil; ont c6rriparu din·ant la procédtœè de· Ûoricilia­tion avec l'assistance dë lelirs conseils;

Que le président du trib1.mal, précisément parce que selon l'ar'tiCle 340/ du: Code civil les parties ne peuvent se faire assister par des avoués ou des conseils, a constaté dans le procès-verbal de conciliation que laï-mère devait être considérée comme défaillante, tandis que. l'intimé, de• ·son côté, avait comparu en personne et sans être assisté ;

Au fond, concernant la_loi applicable·:

·Attendü que, tandis què l'appelant;~ e't\ son enfant sont de-nationalité ·tchécoslovaqùe, _l'intin~é est Belge ; . .

Que le premier'juge, qui,' à juste titre, souleva d'office le conflit de iois; admet. par des motifs judicieux que l'action alimentaire basée Sur' l'arti­cle 340b du Code civil est fondée sur la paternité présu.rnée et concerne dès lors le statut personnel, de telie sorte gue le juge doit appliquer la loi nationale, plus particulièrement la loi ~ationale qui régit le statut personnel de la personhe dont l'intérêt a é~é considéré par le législateur

1

national (et non le juge national, comme le déchwe incorrectement le _premier juge) comrile prédominante;

Attendu que le jugement attaqué a fait toutefois de ce principe une :mauvaise application ;

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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 33

Que le premier juge a estimé que la loi du 6 avril 1908 a voulu prin­cipalement garantir la protection et les intérêts de la famille légitime du père présumé et en a déduit que la loi applicable est :a) celle qui régit la famille légitime du père présumé au cas où celui-ci est marié et b) celle qui régit le statut de la mère et de l'enfant lorsque le père présumé n'est pas marié;

Que dans l'idée que l'intimé était célibataire lors de l'intentement de l'instance, il a déclaré applicable la loi tchécoslovaque de l'appelante et de soh enfant et a invité les parties à conclure sur la base des dispo­sitions de cette loi ;

Que l'appelante, apportant la preuve que l'intimé était déjà marié lors de l'introduction de l'action, demande devant la Cour, conformément aux principes admis par le premier juge, que la loi belge de l'intimé soit appliquée ;

Attendu d'abord que la théorie, selon laquelle la solution du litige dépendrait de la circonstance que le père présumé est ou non marié, ne pourrait être que difficilement admise ;

Que la loi du 6 avril 1908, en effet, dans la mesure où elle a voulu protéger les intérêts du père présumé et de sa famille, a voulu protéger en principe les intérêts du père présumé et de sa famille éventuelle, sans distinction tirée des situations individuelles ou de la date du mariage ;

Attendu que, quoi qu'il en soit, le législateur du 6 avril 1908, contrai­rement à ce que pensait le premier juge, a eu pour but principal non pas tellement de protéger les intérêts de la famille légitime, mais de protéger l'intérêt de l'enfant naturel dans la mesure qui lui paraissait juste;

Que tel est aussi le cas de l'action tendant à la recherche de la pater­nité nat1.-œelle (art. 340a du Code civil), dans lequel le juge belge doit résoudre le conflit entre la loi personnelle de celui qui réclame l'état d'enfant naturel et la loi du prétendu père au profit de la loi nationale de l'enfant, sous réserve des règles de l'ordre public international (cass., 20 mars 1941, Pas., 1941, I, 86);

Attendu que cette solution s'impose a fortiori lorsque l'action est fondée sur l'article 340b du Code civil, action qui tend uniquement à l'obtention d'aliments et qui, si elle se fonde sur une vraisemblance de paternité, ne comporte aucune déclaration ou reconnaissance de pater­nité, n'a pas pour effet d'établir la filiation paternelle, mais maintient l'enfant en dehors de la famille légitime de telle sorte que les intérêts de la famille légitime du père probable restent en dehors du litige;

Que dans cette action, qui oppose uniquement l'intérêt personnel du père à celui de l'enfant, le but social de la loi est, indubitablement, et avant tout, la protection des intérêts de la partie la plus faible, l'enfant (voir Gand, Il mars 1954, R. W., 1953-1954, col. 1726, J. T., 1955, p. 159 et noteR. VANDER ELST; DE Vos, Conflits de lois, t. rer, n° 158, p. 198; Bruxelles, 17 mars 1954, Pas., 1955, II, 25; cass., 24 mars 1960, Pas., 1960, I, 960; contra : Bruxelles, 2 avril 1958, Pas., 1959, II, 42, qui déclare à tort que la loi applicable est celle qui est la plus favorable pour l'enfant naturel) ;

REV. CRIT., 1962. - 3

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34 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

Attendu que si, dès lors, la loi nationale de l'enfant, en l'espèce la loi tchécoslovaque, est applicable en principe, son application n'aura cepen­dant lieu que pour autant qu'el1e ne soit pas en contradiction avec l'ordre public international belge ;

Que . dès lors il appartiendra aux parties de produire le texte de la loi tchécoslovaque sur la matière, non seulement pour apprécier sa confor­mité à l'ordre public international belge, mais encore pour établir de façon certaine quelles sont les actions dont dispose l'enfant en vertu de cette législation ;

Conflits de lois dans le temps :

Attendu que le premier juge déclare applicable la législation tchéco­slovaque «en vigueur à l'époque de la naissance de l'enfant»;

Attendu toutefois que l'enfant est né le 21 juillet 1945, alors que le 1er janvier 1950 une loi nouvelle entra en vigueur, en l'occurrence la loi tchécoslovaque de la famille n° 265 du 7 décembre 1949, citée ci-dessus, et que le premier juge invoque d'ailleurs dans son jugement;

Que se pose dès lors aussi un conflit de lois dans le temps qui doit également être résolu ;

Attendu que, selon le droit civil belge, une loi nouvelle n'a, d'une part, aucun effet rétroactif (sauf dispositions formelles en sens contraire) de telle sorte qu'elle ne peut régir le passé, mais qu'elle doit, d'autre part, (sauf en matière contractuelle), être appliquée immédiatement, c'est-à-'dire à partir de son entrée en vigueur, aux effets« futurs», même qes situations qui sont nées sous l'empire de la loi ancienne (DE PAGE, t, rer, nos 23lbis et 23lter; Complément, t. rer, p. 187 et suiv.);

Que tel est spécialement le cas des lois qui concernent l'état des per­sonnes (DE PAGE, t. rer, n° 232), même en ce qui concerne les instances pendantes (cass., 18 février 1937, Pas., 1937, r, 63);

Attendu que la doctrine et la jurisprudence admettent que ces prin­cipes sont applicables en droit international privé (P. RoUBIER, Rev. de dr. intern. privé, 1931, p. 79-80; P. RouBIER, Le droit transitoire (con­flits de lois dans le temps), 2e édit., 1960, n° 45, p. 204, et n° 67, p. 314 et suiv.), de telle sorte qu'en cas de modification, même au cours d'tme procédure, de la loi nationale compétente, le statut personnel des étrangers sera régi par la loi nouvelle en vigueur au moment du jugement (Bruxelles, 7 juillet 1941~ Rev. prat. not., 1942, p. 379; 3 juillet 1947, J. T., 1947, p. 495 et note J. RENAULD; Cour de Paris, 29 mars 1928, en cause Gold­wurm, Rev. de dr. intern. privé, 1928, p. 499, concl. conf. Lyon-Caen);

Que la loi tchécoslovaque sur la famille du 7 décembre 1949 ne comporte toutefois aucune disposition qui lui donnerait un effet rétroactif, tandis que rien ne fait supposer que la législation tchécoslovaque n'adopterait pas le principe de la non-rétroactivité de la loi, principe qui est consacré dans la plupart des pays civilisés ;

Que dès lors, si la loi du 7 décembre 1949 est immédiatement applicable aux effets juridiques que comporte la paternité présumée après l'entrée

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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 35.

en vigueur de la loi, rien au contraire ne permet d'appliquer la loi nou­velle aux effets juridiques déjà acquis avant son entrée en vigueur;

Qu'enfin rien ne fait supposer que la' législation tchécoslovaque en cause, depuis la loi sur là famille du 7 décembre 1949, aurait subi encore. d'autres modifications;

Que dès lors sera applicable, à l'action alimentaire en question, qui. vise les effets juridiques d'une situation de droit, - effets juridiques qui s'étendent dans le temps- : a) pour la période prenant cours à la naissance de l'enfant (21 juillet 1945) jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi nouvelle le 1er janvier 1950 : la loi tchécoslovaque en vigueur avant le 1er janvier 1950; b) pour la période prenant cours le 1er janvier 1950 : la loi tchécoslovaque n° 265 du 7 décembre 1949 en vigueur à partir de cette date ;

Par ces motifs, la Cour dit. l'acte d'appel régulier, déclare l'appel recevable mais non fondé, sauf dans la mesure fixée ci-après, déclare l'appel incident recevable mais non fondé, confirme le jugement attaqué moyennant ce seul amendement qu'est déclarée applicable, pour la période courant de la naissance de l'enfant au 1er janvier 1950, et depuis cette date jusqu'à ce que l'enfant ait atteint l'âge de 18 ans, la législation tchécoslovaque en vigueur pour chacune de ces périodes, sous réserve de l'ordre public international belge; ordonne à l'appelante de produire la législation tchécoslovaque en vigueur pour chacune de ces périodes ; déclare non recevable la demande' introduite devant la Cour tendant au paiement des frais d'accouchement et d'entretien pendant quatre semaines, dit que les conditions permettant l'évocation ne sont pas remplies, renvoie l'affaire devant le tribunal de 1re instance de Cour­trai, autrement composé en prosécution de cause, pour y être statué sur les bases fixées ci-dessus, condamne l'appelante à un tiers et l'intimé aux deux tiers des dépens de l'instance.

NOTE.

L'action alimentaire et la filiation de l'enfant naturel en droit international privé.

1. L'arrêt annoté de la cour d'appel de Gand du 10 avril1961 consacre, en des termes clairs et sans ambiguïté, un ensemble de solutions de conflits de lois qui peuvent fréquemment se pr~senter en matière de statut personnei, notamment d'action en recherche de filiation ou d'ac­tion alimentaire de l'enfant natm·el.

Soulignons quelques-unes de ces solutions, concernant le rattachement à la loi personnelle de l'enfant, la représentation de l'incapable en jus­tice, l'ordre public international et le conflit de lois soulevé d'office par le juge dans le domaine de ces deux actions.

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36 l,tEVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

A. -LOI APPLICABLE A LA RECONNAISSANCE DE FILIATION NATURELLE,

A L'ACTION ALIMENTAIRE DE L'ENFANT

ET A L'ACTION DE LA MÈRE.

2. Quant à la reconnaissance judiciaire et l'action alimentaire de l'en­fant, nous avons déjà eu l'occasion de constater (l) que la recherche de paternité ou de maternité naturelles et l'action alimentaire non déclara­tive de filiation sont rattachées, en droit international privé belge, au statut personnel et, en cas de divergence entre la nationalité du parent et celle de l'enfant, au statut personnel de ce dernier (2).

Les diverses solutions différentes ou « variantes >> que proposèrent les tribunaux doivent être écartées, même celle qui consistait à donner la préférence à la loi qui est la plus favorable à l'enfant (3) : «Attendu que, les parties étant de nationalités différentes, le juge belge doit choisir, parmi les lois nationales de ces parties, celle qui régit le statut de la partie sur qui se concentre l'intérêt prépondérant dont le législateur belge a voulu assurer la sauvegarde; - Attendu que, comme le reconnaît l'arrêt dénoncé, le législateur belge de 1908, en portant l'm·ticle 340b du Gode civil, a eu pour but de sauvegarder, dans la mesure qui lui paraissait juste, l'intérêt de l'enfant naturel; - Que la conséqttence nécessaire est, sous réserve de l'ordre public international belge, que le juge doit appliquer la loi person­nelle de l'enfant naturel, en l'espèce la loi française, non parce que, in casu, cette loi est plus ou moins favorable à l'intérêt de l'enfant naturel, mais parce que, du point de vue du droit international privé, cette loi est normale­ment la seule compétente pour déterminer ce que peut commander l'intérêt de l'enfant natuTel: ... » (4).

La jurisprudence française est conforme, la loi applicable à la recherche de filiation naturelle est celle de l'enfant, jurisprudence qui paraît défi­nitivement fixée depuis le bref mais catégorique arrêt Tomatis (5).

(1) J. T., 1955, p. 161. (2) Cass., 20 mars 1941, Pas., 1941, I, 86 ; 4 mai 1950, cité infra (arrêt Vigou­

roux); 21 mai 1950, Pas., 1950, I, 624; 22 octobre 1953, Pas., 1954, I, 130; J. T., 1953, p. 620 ; 24 mars 1960, cité infra. Cf. Bruxelles, 16 mars 1949, J. T., 1949, p. 388, note R. LEGROS; Gand, 11 mars 1954,. J. P., 1955, p. 159 et nos ob­servations; Bruxelles, 17 mars 1954, Pas., 1955, II, 25 et civ. Bruxelles, 26 mars 1949, Pas., 1951, III, 53 ; civ. Bruxelles, 25 novembre 1950, .Ann. not. et enreg., 1951, p. 321, note MAHILLON, et Pas., 1952, III, 29 ; civ. Gand, 24 décembre 1952, J. T., 1953, p. 205, etc.

(3) Système a priori contestable, puisque la solution du conflit de lois doit nécessairement, dans la logique du raisonnement de droit international privé, précéder l'examen du contenu de la loi qui, par l'effet de cette solution, est décla­rée compétente ... , mais système qui avait une apparence logique lorsqu'on allait jusqu'aux ultimes conséquences de la théorie de <<l'intérêt prépondérant >> dont nous dirons quelques mots infra.

(4) Casa., 24 mars 1960, J. T., 1961, p. 151. (5) Casa. fr., 20 janvier 1925, D., 1925, I, 177, note Rou.A.sT, S., 1925, I, 49, note

PILLET, C?unet, 1925, p. 709, Rev. crit. dr. int. privé, 1925, p. 531, note NIBOYET; cf. note GOLDMAN, Clunet, 1950, p. 184; étude PALLARD, Rev. crit. dr. int. privé, 1952, p. 623 et suiv. ; 1953, p. 61 et 329 et suiv. ; note MoTULSKY sous cass., 5 décembre 1949, Rev. crit. dr. int. p1·ivé, 1950, p. 65).

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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE :BELGE 37

3. Quant à l'action de la mère (art. 340c du Code civil), alors pourtant que cette action devrait logiquement être liée à l'article 1382 du Code civil, donc à la lex loci delicti, non seulement par application des prin­cipes généraux, mais encore en raison de l'allusion qui y est faite dans le corps même de l'article 340c, la cour de cassation, concernant ce con­cours de statuts (6), vient de déclarer récemment : «Attendu que l'arrêt n'est pas attaqué en tant qu'il décide que l'action alimentaire de l'enfant et l'action de la mère en nom personnel ont une base unique et indivisible, et doivent avoir le même sort à peine de créer un risque de contrariété de décisions» (7). Cette solution est, à nos yeux, valable : elle assure l'unité de rattachement des deux actions tout en mettant au premier plan le fondement commtm qu'elles trouvent dans la vraisemblance de pater­nité (8).

(6) Sur cette théorie, voyez Lois de police et de sûreté, I, chap. 5. Que l'on nous permette de rappeler qu'il arrive souvent que des « raisonnements démonstra­tifs » (cf. LALANDE, Voc. de la Philos., V 0 Antinomie) permettent de justifier le choix de l'un et l'autre statuts de droit international privé, puis,. une fois le statut choisi, qv.e la règle de conflit désigne deux ou plusieurs lois concurrentes. Nous avons distingué, en ce sens, le concours de statuts du concours de ratta­chements. Le concour3 de statuts peut se présenter lorsqu'une institution ou un rapport juridiques sont susceptibles d'être rangés, pour des motifs valables, soit dans l'une, soit dans l'autre des catégories du droit international privé que nous dénommons «statuts>>. Nous en avons donné de nombreux exemples, d~mt l'obligation alimentaire qui, selon certains, relève du statut des lois de police et de sûreté, selon d'autres du statut personnel. Le concours de rattachements, ou, si l'on veut être plus précis, le concours de lois applicables en vertu d'une même règle de rattachement, se produit lorsqu'un rapport de droit, quoique placé dans un statut bien déterminé du droit international privé, contient des éléments de rattachement renvoyant à deux lois différentes. Outre les hypothèses examinées dans l'ouvrage cité ci-dessus, nous avons eu l'occasion d'en analyser récemment d'autres en matière maritime (J. T., 1961, p. 389 et suiv.) et en matière de régime matrimonial (Ann. not. et enreg., mars-avril 1962 en cours d'impression, avec la collaboration de A. PoLAKIEWICZ). Parmi d'innombrables exemples, rappelons encore le cas du divorce (indiscutablement régi par le statut personnel et l'arti­cle 3, alinéa 3, du Code civil) lorsque les époux sont de nationalité différente, ainsi que l'obligation alimentaire, lorsqu'on la fait régir par le statut personnel, et que le créancier a une autre nationalité que le débiteur d'aliments. Le facteur de rattachement étant la nationalité, un concours ·de lois applicables surgit par l'application même de la règle de conflit compétente. Enfin il ne faut pas confon­dre ces hypothèses et celle de la compétence distributive de lois différentes, résul­tant d'un morcellement d'une institution de droit biterne lorsqu'on la transpose en droit international privé : par exemple la succession mobilière par rapport à la succession immobilière, ou la forme par rapport au fond du contrat.

(7) Cass., 24 mars 1960, précité, J. T., 1961, p. 151. (8) Et laisse dans l'ombre par conséquent le caractère indemnitaire de l'action

de la mère ... La solution est justifiée du point de vue pratique en tous cas : l'uti­lité évidente de soumettre les deux actions à la même loi submerge d'autres consi­dérations qui, sans cela, auraient peut-être prévalu. Mais il faut en conclure qu'à l'inverse le caractère indemnitaire d'une des actions aurait pu entraîner dans son orbite l'autre action, du moins si ce caractère était suffisamment accentué et rattaché au régime des obligations extracontractuelles nées d'un fait juridique régi par la lex loci (art. 3, al. 1er, du Code civil). Tel est le cas en Italie ( cass., 6 mars 1953, Rev. crit. dr. int. privé, 1954, p. 371, note DE NovA), où l'action alimentaire de l'enfant est gouvernée par la loi du lieu de la cohabitation, de la procréation ...

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'38 REVUE CRITIQUE DE .JURISPRUDENCE BELGE

4. Par contre, le système de l'unité des lois applicables n'a pas prévalu, en Belgique, concernant la reconnaissance volontaire de filiation naturelle. Par arrêt du 18 février 1960 (9}, la Cour d'appel de Bruxelles a décidé que <<s'agissant d'une reconnaissance volontaù·e et non d'une action intentée par l'enfant, c'est la loi du reconnaissant, donc, en l'espèce, la loi italienne qui doit être appliquée >>.

La jurisprudence française, quoique souvent équivoque à l'époque, avait d'abord pris parti en ce sens (10). Mais la doctrine critiqua ferme­ment cette dualité arbitraire du rattachement de la reconnaissance volontaire et de la reconnaissance forcée (11). La Cour de cassation française semble avoir mis fin récemment à la controverse, par arrêt du 22 mai 1957 (12}, et, implicitement en tous cas, a soumis la reconnais­sance volon,taire, elle aussi, à la loi de l'enfant reconnu alors même que le père était français.

Cette solution, garantissant à la fois l'unité du rattachement de la filiation naturelle en droit international privé et l'unité d'appréciation de reconnaissances successives ou concur~entes, s'imposera, croyons­nous, aux cours et tribunaux belges pour les mêmes raisons pratiques que celles qui ont prévalu en faveur de l'tmité de rattachement de l'ac­tion de· la mère par rapport à l'action de l'enfant naturel, sans que, cette fois, des objections théoriques puissent y être opposées : en cas de concours de rattachements, la jurisprudence, parmi les diverses solutions qui s'offrent à elle (13}, a souvent recours à celle du choix d'une des lois concurrentes et ce choix se porte normalement sur le rattachement qui, du point de vue pratique, garantit la solution la plus opportune en fait.

5. Il ne faudrait pas croire en effet que le critère de l'intérêt prépondé­mnt ait une val~ur absolue, à supposer même, ce qui n'est pas tellement certain, que cette prépondérance soit toujours discernable.

Le but social de la loi, l'intérêt envisagé par le législateur, la protec­tion de la personne, sont des critères qui s'inspirent de l'impressionnante construction théorique de Pillet et ne manquent pas d'utilité pratique. Mais ce ne sont que de grands phares qui éclairent les grandes routes, et qui ne peuvent dissiper l'ombre dès que celles-ci se divisent en petits sentiers. Autant de tels points de vue sont-ils précieux pour distinguer le statut persom1el du statut des lois de police et de sûreté par exemple, autant deviennent-ils incertains lorsqu'on se trouve devant une anti-

(9) J, P., 1960, p. 4U; Rev. crit. dr. int.l privl, 1960, p. 577, note RIGAUX.

{10) Voy. notamment cass. fr., 8 mars 1938, Clunet, 1938, p. 487, et Rev. crit. dr. int. privé, 1938, p. 653, note BATIFFOL; 20 décembre 1943, D., 1944, p. 105, note SAVATIER; civ. Seine, 8 avril 1949, Rev. crit. dr. int. privé, 1950, p. 200,

(11) BATIFFOL, Tmité, n° 477; PALLARD, Rev. crit. dr. int. privé, 1952, p. 637 et suiv.

(12) Rev. crit. dr. int. privé, 1957, p. 466, note BATIFFOL; sur l'arrêt attaqué, Nancy, 13 janvier 1955, voy. même revue, 1955, p. 525, note LoussouARN.

{13) Cf. Lois de police et de sûreté, I, n°8 44 et 45.

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REVUE· CRITIQ.UE DE JURISPRUDENCE BELGE 39

nomie résultant d'un concours de rattachements au stade du choix entre. deux lois internes également compétentes.

Pour trancher un tel concours, entre la loi du parent et celle de l'en­fant, la Cour d'appel de Gand, dans l'arrêt annoté, s'est servie de ce critère comme venait d'ailletirs de le faire la Cour de cassation (14). Nous ne voulons nous permettre aucune critique à ce sujet, mais attirer cependant l'attention sur la valeur très relative de ce raisonnement où l'on croit parfois découvrir la pierre philosophale du droit interna­tional privé qui justifierait son extrapolation vers d'autres domaines que celui des « lois de protection individuelle >>. Un jugement récent du tribunal de Charleroi (15) vient d'illustrer l'actualité du danger que nous dénonçons en brisant, au profit d'une vue de l'esprit, la constance d'une jurisprudence qui assurait la sécurité et la prévisibilité en matière de succession, sécurité et prévisibilité qui sont « d'intérêt social >> plus évident que l'illusoire elegantia juris résultant d'un raisonnement abstrait.

Même dans les limites du statut personnel la prudence s'impose. A supposer qu'il soit vrai que le législateur de 1908, en Belgique, ait eu pour but essentiel de cc protéger les intérêts de l'enfant dans la mesure qui lui paraissait juste >>, en accordant des droits à l'enfant naturel, n'a-t-il pas voulu aussi protéger les intérêts de la famille légitime dans la mesure qui lui paraissait raisonnable en limitant l'étendue des droits de l'enfant, de telle sorte que l'on ne peut a priori être certain que le législateur étranger dont on déclare la loi compétente n'a pas inversé ces deux valeurs ? Dans ce cas il y aurait matière éventuelle à renvoi ·par l'effet d'une différence de qualification, pour autant que l'on admette avec nous que la qualification d'une institution de la loi étrangère préa­lablement déclarée compétente doit s'apprécier selon cette loi, non selon la lex fori ( 16).

Mais en admettant que, faute d'en découvrir ùn autre qui soit meil-

(14:) 24 mars 1960, cité supra, n° 2).

(15) La jurisprudence française (cass., 4 juin 1941, Clunet, 1941, p. 4), comme la jurisprudence belge (cass., 28 mars 1952, Rev. gén. de l'enreg. et du not., 1956, "p. 24, où l'on trouve le jugement et l'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles dont le texte permet d'apprécier la portée de l'arrêt de la Cour suprême), rattachent la succession au statut réel, appliquant la lex rei sitae réelle aux immeubles et la loi de situation fictive du dernier domicile du défunt aux meubles, sans que cette solution ait donné à ce jour matière à difficultés particulières et alors qu'elle assure l'harmonie internationale des solutions avec la majorité des pays étrangers. En recherchant l'intérêt prépondérant (du mort?) l'on aboutit à déclarer que « si un défunt est mort ab intestat c'est sa loi nationale qui, par application de la règle de l'inté1·êt prépondérant, ou si l'on veut du critère de l'intérêt social, doit être prise en considération (CANIVET, J. T., 12 février 1956, p. 101 et suiv., n° 19); ... q'ue suivant la jurisprudence traditionnelle la loi applicable en matière successorale est, en ce qui concerne les immeubles la loi de leur situaMon et, q'uant aux meubles, la loi du domicile qn'avait le défunt 1'essortissant étranger lors de son décès; ... que cette jurisprudence ne peut être suivie; qu'il convient plutôt d'adopter, en matière de succession comme en matière d'état des personnes, un critère rationnel - celui de l'intérêt social - pour décider de la loi à appliquer; .. . » (ci v. Charleroi, 23 juin 1961, J. P., 1961, p. 590).

(16) J. T., 1955, p. 162.

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40 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

leur, le critère de 1 'intérêt prépondérant prime en matière de recherche de filiation et d'action alimentaire de l'enfant naturel, encore doit-on admettre dans ce cas le caractère arbitraire de la différence néfaste de régime faite entre la reconnaissance volontaire et la reconnaissance forcée.

En bref : la règle du choix de la loi applicable en fonction de l'intérêt prépondérant n'a qu'une valeur relative. Si elle ne doit pas être rejetée, encore faut-il ne pas lui accorder une importance exagérée, surtout ne pas en user en dehors du domaine des institutions de protection indi­viduelle et, dan.s ce domaine, n'y recourir que lorsqu'elle n'aboutit pas à des solutions qui sont, en fait, inopportunes.

B. -REPRÉSENTATION DE L'INCAPABLE EN JUSTICE.

6. L'on enseigne généralement que la représentation en justice touche au fond du droit plutôt qu'à la procédure et que, notamment, la repré­sentation du mineur est déterminée par sa loi personnelle (17). Sur ce point l'arrêt annoté consacre en Belgique (18) une solution qui est con­stante dans la jurisprudence française (19).

En matière de tutelle, la convention de La Haye du 12 juin 1902, approuvée par la loi du 27 juin 1904, adopte cette règle et le projet de convention récemment signé à La Haye le 26 octobre 1960, concernant la loi applicable en matière de protection des mineurs, alors même qu'elle fait prévaloir sur la loi nationale de l'incapable la loi de sa résidence, prévoit en son article 3 qu'« un rapport d'autorité résultant de plein droit de la loi interne de l'Etat dont le mineur est ressortissant est reconnu dans tous les autres Etats ».

La représentation des personnes morales est d'ailleurs régie par des règles analogues (20), quoique l'on puisse contester leur rattachement au statut personnel (21).

Ce principe n'est exclu que dans le domaine strictement procédu1·al, toujours régi par la lex fori : représentation par avoué, application de l'adage «Nul ne plaide par procureur», intervention et action du minis­tère public, etc. (22).

(17) BATIFFOL, no 724. 1

(18) Cf. Courtrai, 25 novembre 1955, J. P., i956, p. 165. (19) Cass. fr., 29 juillet 1901, S., 1903, I, 73; ~1 janvier 1902, S., 1903, I, 247;

2 juin 1908, D. P., 1912, I, 457, S., 1911, I, 385, note AUDINET, Clunet, 1908, p. 1155; 19 novembre 1923, D. H., 1924, 3, Clunet, 1924, p. 163, Rev. crit. dr. int. privé, 1924, p. 136 ; Gaz. Pal., 1924, I, 167 ; 27 juin 1950, Gaz. Pal., 1950, I, 234 ; Paris, 22 février 1957, Clunet, 1957, p. 722, note PONSARD, et Rev. crit. dr. int. privé, 1958, p. 86, note LoussOUARN; cf. dans le même sens Trib. féd. suisse, 6 avril 1955, Rec. off., 81, I, 139).

(20) Cass. belge, 6 octobre 1904, Pas., 1904, I, 362 • cass. fr., 4 juillet 1923, S., 1925, I, 81.

(21) ABRAHAMS, Soc. en dr. int. privé; LoussoUARN, Confl. de lois en mat. de soc., et note sous Rennes, 23 septembre 1958, Rev. crit, dr. int. privé, 1959, p. 79.

(22) Cf. Paris, 22 février 1957, précité.

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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 41

7. Ainsi la jurisprudence distingue judicieusement trois catégories de normes juridiques qui n'ont que des liens apparents en droit inter­national privé : celles qui gouvernent la capacité d'exercice et qui, en vertu de l'article 3, alinéa 3, du Code civil, dépendent directement du statut personnel ; Q~]J.~~ qui organisent la r.eprés~ntation _en général (notam­ment la représent;tiô~ilJùstfcë}}r·i~[~~Êr:t~.~!ég!~sp~r 1â. même _!oi ~institutio1l. à la,q':elle le .droit de représentation . s~ raJtachë," loi qm në8tpâs~n6~~ssàireffienT ctê'"stâttitperso;;:;;êl 'maiii I'e~tl~~~qu'il s'agit, comme en l'espèce, de la représentation d'un incapable; celles e!l~ qJ.tij;Q!lclwnt ,!), J~ proc.~du,r.e . strjc~,o. ~~1'/,~~-"et. S()!lt. liées, à Ja .l~~du for p:rocéÇ.ural, à,)~.J~~ /~T,~,.,pcpn: d~,E!,._rai~9?:s -dé~9ulant, s~lor~ le cas, de"s- principes de .. -etroit public _qui eorlCernent 'l'orga~1l'lationJ1Îw~i~ire o~· <f~--prir1C1p~~de~.drort· ~~~rnationâf-pHvf.qurtr~~~~t-· le1;~· exJ?~e~si~~ dans l'article 3, alinéa fer, du Code èl.vil'(23). · · · - · · · ·

0. ÛRDRE PUBLIC INTERNATIONAL.

8. L'arrêt annoté déclare qu'une règle de droit qui fait découler, du seul fait .de la naissance, la filiation à l'égard de la mère et qui admet, même sans reconnaissance expresse de celle-ci, qu'un enfant natm·el est représenté juridiquement par sa mère, n'est pas en opposition avec l'ordre public international qui comprend uniquement les dispositions qui consacrent un principe que le législateur belge considère comme essentiel à l'ordre moral, politique ou économique établi.

Mais, quant au fond, la Cour formule une réserve : si la loi nationale de l'enfant, en l'espèce la loi tchécoslovaque, est applicable en principe, son application n'aura cependant lieu que pour autant qu'elle ne soit pas en contradiction avec l'ordre public international belge.

La théorie générale de l'ordre public international a fait l'objet de nombreuses études (24). La Cour de cassation belge, dans le célèbre

(23) Cf. nos observations dans Lois de police et de sûreté, I, chap. 2, et II, chap. 9, en cours d'impression; cf. motifs Bruxelles, 2 avril 1958, Pas., 1959, II, 42, et Rev. crit. dr. int. privé, 1961, p. 371.

(24) FEnozzr, études parues au Olunet, 1879 à 1884, sous le titre « Quelques considérations sur l'idée d'ordre international»; DESPAGNET, «L'ordre public en droit international privé », Clunet, 1889, p. 5 et suiv., et 207 et suiv.; AUBRY, <<Notion de territorialité en droit international privé >>, Clunet, 1900, p. 689 et suiv., 1901, p. 253 et suiv., et 1902, p. 209 et suiv. ; FroRE, · « De l'ordre public en droit international privé », Rev. dr. int. et dr. comp., 1902, p. 608 et suiv. ; HEALY, «Théorie générale de l'ordre public», Rec. cours Acad. La Haye, 1925, t. IX, p. 407 et suiv.; MARMION, Des lois d'ordre public, thèse Paris, 1926; MoL­DAVAN, L'ordre public en droit international privé, thèse Paris, 1932; KN.APP, La notion de l'ordre public dans les conflits de lois, thèse Neuchâtel, 1932; BIREAUD, Contribution à l'étude de l'ordre public en droit international privé, thèse Aix, 1932; Louis-LucAs, «Remarques sur l'ordre public », Rev. C1'it. dr. int. privé, 1933, p. 393 et suiv.; LIENHARD, Rôle et valeur de l'ordre public en droit interne et en droit intm·national privé, thèse Paris, 1935 ; VALERY, « Examen critique », Rev. dr. int. et dr. comp., 1934, p. 194; LEGROS, J. T., 1949, p. 392; PmLONENKO, «Les atteintes à la propriété privée et l'ordre public international», Clunet, 1929, p. 13 et suiv., et J. T., 1949, p. 193 et suiv. ; « La notion de l'ordre public

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42 REVUE CRI'fiQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

arrêt Vigouroux (25), le définit : <<Attendu qu'une loi d'ordre public interne n'est d'ordre public international privé que pour autant que le législateur ait entend1-t consacrer, par les dispositions de celle-ci, un p1·incipe qu'il considère comme essentiel à l'ordre moral, politique ou économique établi» (26), consacrant ainsi la distinction fondamentale qui doit être faite entre l'ordre public interne et l'ordre public international.

L'étude de la jurisprudence nous a permis de dire que l'ordre public international, exceptionnel en sa fonction, restreint dans ses effets, est relatif par sa nature, et que cette relativité se manifeste sous trois aspects principaux : l'actualité de l'ordre public international, sa territorialité, et son effacement par l'effet de la similitude (27).

Nous ne pouvons reprendre ici ces développements et nous nous bor­nerons à constater que :

a) le caractère exceptionnel de l'ordre public international exclut son application du domaine de la forme de la reconnaissance d'enfant natu­rel et du régime de sa représentation, forme et régime qui relèvent de la << technique juridique », propre à chaque législation, selon laquelle la protection des droits de l'incapable, ou leur exercice, sont organisés; cette organisation ne touche d'aucune manière à des principes <<essen­tiels >> à l'ordre social du for (28);

international n, Clunet, 1952, p. 780 et suiv.; MAURY, L'éviction de la loi normale­ment compétente, VALLADOLID, 1952, et u L'ordre public en droit international privé français et allemand n, Rev. crit. dr. int. privé, 1954, p. 7 et suiv.; RAYMOND VANDER ELsT, note au J. T., 1954, p. 29, 1955, p. 161, et Les lois de police et de sûreté en droit international privé, 1957, I, cha p. III ; Paul LAGARDE, Rechm·che sur l'o'rdre public en droit international privé, 1959; SEIDL-HOHENVEL­DERN, dans Mélanges Maury, 1960, I, p. 473 ..• pour ne citer que les études parues en langue française.

(25) 4 mai 1950, Pas., 1950, I, 624, R. W., 1950-1951, col. 11 ; Rev. prat. not., 1952, p. 301 ; Clunet, 1952, p. 284 et 802, note PHILONENKO.

(26) Comp. cass. fr., 25 mai 1948, Rev. crit. dr. int. privé, 1949, p. 89. (27) Lois de police et de sûreté en droit international privé, I, n°8 24 et 25. (28) Faisons observer que la forme légale de la reconnaissance, et ses modes

de preuve, ressortissent au statut personnel et non à la règle Locus regit acturn. C'est là une exception aux principes généraux : forrne et preuve en matière de filiation sont régies non par la loi du lieu de l'acte mais impérativement par la loi u du fond n qui gouverne la filiation elle-même (BATIFFOL, n° 482; DE Vos, .nos 177 et suiv.). Depuis le siècle dernier la jurisprudence, tant en France qu'en Belgique, décide en effet que c'est la loi de statut personnel qui détermine si la reconnaissance doit être faite par acte authentique (cass. fr., 2 août 1897, D., '1898, I, 377, Cl·unet, 1898, p. 127 ; Bruxelles, 4 décembre 1928, Pas., 1929, II, 15), si elle résulte de l'acte de naissance lui-même (Rouen, 25 juillet 1906, D., 1907, II, 257 ; Paris, 27 février 1925, Rev. crit. dr. int. privé, 1926, p. 109 ; civ. Seine, 8 avril 1949, S., 1950, II, 17, note NIBOYET; civ. Charleroi, 27 juin 1958, Rev. dr. fam., 1958, p. 346), si la possession d'état ou la notoriété sont admissi­bles ( cass. fr., 13 janvier 1857, S., 1857, I, 89 ; Paris, 27 février 1925, précité). Mais, lorsque la loi personnelle exige, par exemple, que la reconnaissance soit faite par acte authentique, c'est la loi du lieu qui, par application de la règle ·Locus regit actum, détermine ce que l'on doit entendre par acte authentique et les conditions de l'authenticité (cass. fr., 31 janvier 1902, S., 1903,.I, 27,·Clunet, 1903, p. 351 ; Bruxelles, 4 décembre 1928, Pas., 1929, II, 15 ; cf. civ. Bruxelles, 2 mars 1887, Pas., 1888, III, 161).

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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 43

b) en raison de l'actualité de l'ordre public international, la situation de plus en plus favorable qui est faite à l'enfant naturel en droit interne belge (voy. par exemple la loi du 4 février 1958) doit avoir pour con­séquence que la loi étrangère qui admet la recherche de filiation, et a fortiori l'action alimentaire non déclarative de filiation, dans des cas non prévus par la loi belge ou, en général, de façon plus généreuse pour l'enfant que dans la loi belge, heurte de moins en moins, au fur et à mesure de l'évolution de notre propre législation, des principes que le législateur belge considérait comme« essentiels à l'ordre moral établi» (29).

9. Il est curieux de suivre, dans le droit positif belge, cette évolution qui illustre le cachet d'actualité de l'ordre public international, évolu­tion qui peut être saisie à ses trois stades successifs.

1° Premier stade. Les articles 335 et 340 et suivants du Code civil s'opposent, en vertu de leur caractère d'ordre public international, à toute reconnaissance ou action alimentaire au profit d'un enfant natu­rel en dehors des cas prévus par la loi belge (30).

2° Deuxième stade. Si la reconnaissance de filiation adultérine ou inces­tueuse heurte l'ordre public international, l'action en recherche de filiation naturelle simple admise dans des cas non prévus par la loi belge n'y est pas contraire : « Attendu que le jugement en question est, il est vrai, basé SU?' la cohabitation avec la mère pendant la période de concep­tion, alors que l'article 340a du Gode civil n'admet la recherche de la pater­nité qu'en cas de possession d'état d'enfant naturel, et en cas d'enlèvement, de. séquestration ou de viol; - Attendu cependant que, depuis que le légis­lateur belge de 1908, afin de concilier ha-rmonieusement les intérêts de l'enfant nat-w·el avec ceux du père et de la famille dont il est le chef, a admis la recherche de la paternité - ne fût-ce que dans deux cas bien déterminés -on ne voit plus pourquoi la législation étrangère, qui permettrait cette recher­che dans d'autres cas que ceux prévus par le législateur belge, serait en

, contradiction avec l'ordre public international belge,· ... qu'un développe­·ment harmonieux de la communauté internat-ionale exige que l'ordre public international n'écarte l'application du statut pe1·sonnel que dans la mesure où cela est strictement nécessaire» (31).

3° Troisième stade. La reconnaissance et l'action alimentaire des enfants adultérins, admises par une loi étrangère, ne heurtent plus l'ordre public international belge : « Attendu que. la partie appelante soutient que la loi italienne, en tant qu'elle admet la reconnaissance d'en­fants adultérins de façon plus large qtte la loi belge, et sans procédure judi­ciaire préalable, heurte l'ordre public belge et doit donc être écartée; qu'elle

(29) Cf. DEKKERS, Rev. crit. fur. belge, 1954, p. 105 et suiv, et nos observations J. T., 1955, p. 161 ; en France, voy. observations FRANCISKAKIS et réf. sous cass., 10 février 1960, Rev. crit. dr. int. privé, 1961, p. 341.

(30) Réf. dans DE Vos, I, n°8 162 et 166; Bruxelles, 19 mars 1952, Pas., 1953, II, 18; civ. Liège, 14 décembre 1950, Jur. Liège, 1950-1951, p. 131 ; cf. cass. fr., 8 novembre 1943, D., 1944, I, 65, note SAVATIER et réf.

(31) Gand, 11 mars 1954, J. T., 1955, p. 159 et nos observations.

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44 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

prétend trowver dans cet intérBt d'ordre lb!ic !a recevabüité et !e fondement de son action,· - Attendu que la reconnaissance des enfants adultérins est autorisée par la loi belge du 4 février 1958; que celle-ci y met cependant deux conditions que ne prévoit pas la loi italienne : que l'enfant soit né plus de 300 jou1·s après le procès-verbal de non-conciliation intervenu dans la procédure de divorce ou de séparation de corps de celui de ses auteurs qui était marié et moyennant une procéd!ure judiciaire préaldble; - Attendu que la partie appelante ne démontre nullement que le fait que ces deux con-

~ ditions n'ont pas, en l'espèce, été remplies, ait apporté à l'ordre public un trouble quelconque; - Attendu que, le principe de la 'reconnaissance des enfants adultérins étant admis tant par la loi belge que par la loi ita­lienne, il ne suffit pas que cette dernière l'admette de façon plus large que la loi belge pour que son application heurte nécessairement l'ordre public belge et doive donc être écartée >> (32).

D. - CONFLIT DE LOIS SOULEVÉ D'OFFICE.

10. Question délicate que celle de savoir si le juge peut, voire s'il doit soulever d'office le conflit de lois que les parties ont volontairement laissé dans l'ombre ou, ce qui est plus fréquent, qu'elles n'ont pas aperçu ...

Généralement ce problème est confondu avec celui de la preuve de la loi étrangère, mais à tort. Soulever le conflit de lois qui résulte de la mise en œuvre des règles de conflit du for, c'est appliquer le «droit inter­national privé du for >> qui répartit la compétence législative interna­tionale. La solution de ce conflit est susceptible, le cas échéant, de mener à la conclusion qu'une loi étrangère est applicable : à ce moment, mais à ce moment seulement, pourra se poser la question seconde de prouver le « contenu >> de la loi étrangère reconnue compétente.

L'arrêt annoté, :lmplicitement mais certainement, distingue parfaite­ment les deux problèmes.

Rappelons qu'en ce qui concerne la p1·euve de la loi étrangère, les prin­cipes peuvent brièvement s'exprimer en deux propositions :

1° Il incombe aux parties de prouver la loi étrangère comme s'il s'agis­sait d'une question de fait. Cette preuve peut être administrée par toutes voies de droit, sans qu'une forme particulière puisse s'imposer a priori (33) ;

(32) Bruxelles, 18 février 1960, J. T., 1960, p. 414, Rev. crit. dr. int. privé, 1960, p. 577, note RrGAUX; comp. cass. fr., 22 mai 1957, Clunet, 1957, p. 722 et note PONSARD,

(33) Cass. fr., 26 avril 1950, Clunet, 1950, p. 1192, D., 1950, I, 361, Rev. crit. dr. int. privé, 1950, p. 429.

En Belgique la jurisprudence s'est montrée jadis plus stricte, concernant l'arti­cle 54 de la loi de 1876 : «Attendu que, d'après l'article 54, cette réciprocité doit être constatée soit par les traités conclus entre les deux pays, soit par la produc­tion des lois ou actes propres à en établir l'existence; - Attendu qu'il n'existe pas de traités réglant la question entre la Belgique et l'Angleterre; que les inti­més ne citent aucune loi ni aucun acte quelconque qui consacrerait la réciprocité en cette matière ; qu'ils se bornent à produire des avis de jurisconsultes qui se trouvent même combattus par des dissertations en sens contraire ; - Attendu

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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 45

2° Mais, alors qu'il n'y est pas tenu, le juge peut cependant faire état de ses connaissances personnelles de la loi étrangère, comme pour une question de droit (34).

Les mêmes principes sont-ils adoptés dans le domaine de la mise en œuvre des règles de droit international privé, c'est-à-dire la faculté ou l'obligation qu'aurait le juge de soulever d'office le conflit de lois?

11. La jurisprudence française consacre, dans cette délicate matière, des règles analogues à celles de la preuve de la loi étrangère :

1° Le juge peut soulever d'office le conflit de lois et par conséquent déclarer d'office que la loi étrangère est applicable, alors même que son application n'est pas demandée par les parties (35);

2° Mais le juge n'est pas tenu de le faire : «les règles françaises de con­flit de lois, en tant du moins qu'elles prescrivent l'application d'une loi étrangè1·e, n'ont pas un caractère d'ordre public, en ce sens qu'il appar­tient aux parties d'en réclamer l'application et qu'on ne peut reprocher aux juges du fond de ne pas appliquer d'office la loi étrangère et de faire, en ce cas, appel à la loi interne française laquelle a vocation à régir tous les rapports de droit privé» (36).

12. La 7'urisprudence belge est moins certaine, mais nous croyons pouvoir affirmer qu'en Belgique la première des deux règles est iden­tique tandis que la seconde n'a point été admise comme elle l'a été en France.

1° Le juge peut certes soulever d'office le conflit de lois (37). L'arrêt cité en note le rappelle à juste titre.

que, quelle que soit d'ailleurs l'autorité doctrinale de ces consultations, elles ne constituent jamais que l'expression d'une opinion et n'ont pas le caractère d'authenticité incontestable exigée par la loi pour les documents destinés à éta­blir l'existence de la réciprocité >>(Bruxelles, 6 mai 1896, Pand. Pér., 1896, n° 991; cf. comm. Verviers, 8 décembre 1898, Pand. Pb., 1899, n° 1221, et Bruxelles, 5 avril 1899, Pand. Pér., 1900, n° 307; comp. civ. Dinant, 20 février 1902, Glu­net, 1902, p. 878, et civ. Gand, 24 décembre 1952, J. T., 1953, p. 205.

(34) Cass. fr., 24 juin 1878, S., 1878, 1, 429, et D., 1879, 1, 156, célèbre arrêt Forgo à l'occasion duquel l'illustre conseiller Aubry, en usant de sa science per­sonnelle de la législation bavaroise, créa la théorie du renvoi.

(35) Paris, 17 décembre 1920, Clunet, 1921, p. 521 ; 14 mars 1952, Rev. crit. dr. int. privé, 1952, p. 325 ; 18 mars· et 29 juin 1954, même revue, 1955, p. 116 et 128, puis récemment cass., 2 mars 1960, même revue, 1960, p. 97, note H. B.,

(36) Cass., 12 mai 1959, Rev. m·it. dr. int. privé, 1960, p. 63, note BATIFFOL; cf. cass., 12 juin 1894, Clunet, 1894, p. 806, motifs ; civ. Seine, 22 juin 1906, Glu­net, 1907, p. 745; MAURY, Trav. comité franç. dr. int. privé, 1953, p. 97; LoUis­LucAs, Rev. crit. dr. int. privé, 1959, p. 409.

Il importe de rappeler que l'arrêt du 12 mai 1959 a été rendu en matière de divorce (conversion de séparation de corps en divorce), donc, selon les termes du pourvoi, que « les juges, qui avaient tous les éléments utiles pour constater la nationalité des parties, avaient l'obligation de suppléer d'office un tel moyen touchant à l'ordre public», Ce ne fut point l'opinion de la Cour suprême en France. Nous croyons que le moyen aurait été suivi par la Cour de cassation de Belgique.

(37) Bruxelles, ter décembre 1927, Rev. prat. not., 1928, p. 403, et Clunet, 1929, p. 772; comm. Gand, 24 septembre 1932, Jur. comm. Fl., 1932, p. 220.

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46 :&EVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

2° Il doit même le faire, semble-t-il, lorsqu'il s'agit d'un litige inté­ressant l'ordre public ... la loi belge n'ayant pas, aux yeux du juge belge, « vocation à régir tous les litiges de droit privé » ...

Reprenons ce second point. Nous avons mentionné l'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles du-

1er décembre 1927, qui déclare que la non-recevabilité d'une demande en divorce à raison du statut personnel d'époux de nationalité étrangère est d'ordre public, qu'elle peut être invoquée en tout état de cause et même «être suppléée d'office par le jùge >>. La Cour de cassation (38), applique la loi italienne alors qu'elle était d'autant moins invoquée par les parties qu'il s'agissait d'une procédure par défaut dans laquelle la demanderesse se gardait bien de soulever le conflit de lois dont la solu­tion aboutit à son débouté, Les praticiens savent ·d'ailleurs que tous les tribunaux belges, lorsqu'ils sont saisis d'une demande en divorce et lorsqu'une des partie est étrangère, a fortiori lorsqu'elles le sont toutes deux, ne manquent pas de soulever d'office le conflit de lois que les justi­ciables peuvent perdre de vue ou passer sous silence ...

13. Nous nous trouvons donc devant deux systèmes fond~mentalement opposés qui, peut-être, trouvent leur expression dans deux positions doctrinales. En France M. le professeur Batiffol considère que la lex fori bénéficie d'une plénitude de compétence et Lerebours-Pigeonnière que sa compétence est générale quoique subsidiaire. En bref, le principe de la plénitude de compétence de la <<lex fori >> a été dégagé par ces émi­nents auteurs depuis plusieurs années et vient d'être consacré par la Cour de cassation de France le 12 mai 1959. En Belgique, bien au con­traire, nul auteur n'a jamais soutenu cette théorie et c'est plutôt celle que nous avons proposée sous la dénomination de <<fonction générale de suppléance de la lex fori >> qui semble consacrée par la Cour d'appel de Gand (39).

Cette solution nous semble justifiée. La loi étrangère en tant que telle ne comporte pas d'impératif dù·ect à l'égard du juge belge qui peut donc

(38) Cass., 16 mai 1952, et chambres réunies, 16 février 1955 (arrêt Rossi, Glu­net, 1953, p. 388 et suiv., note ABRAHAMS; Pas., f951, I, 589 ; J. T., 1955, p. 249, note FORIERS.

(39) Sauf dans les matières qui touchent à 1 ordre public, tel le divorce, où le conflit de loi doit être soulevé d'office, selon la jurisprudence belge, la« fonction gén1rale de suppléance de la lex fori >> joue non seulement lorsque, pour des raisons de droit ou de fait, la loi étrangère compétente est indéterminable ou indéter­minée, voire lorsqu'elle ne peut être mise en application dans les délais requis par l'urgence, mais aussi lorsque les parties négligent de l'invoquer ou y renon­cent (Lois de police et de sû1·eté, I, n°8 33 et suiv.). Il ne s'agit pas d'une compétence de la lex fori, mais d'une fonction de suppléance exceptionnelle que nous avons définie par la formule suivante : lorsque de ju1•e ou de facto, la loi étrangère compé­tente ne peut être appliquée ou la règle de conflit ne peut être mise en œuvre, la lex fori peut dans certains cas pallier cette carence et remplir ainsi une fonction générale de suppléance en droit international privé (op. cit., I, n° 38; dans un sens analogue, voy. Louis-LucAs, «Existe-t-il une compétence générale du droit français pour le règlement des contlits de lois? n, Rev. crit. dr. int. privé, 1959, p. 405 et suiv.).

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l'ignorer non seulement en fait, mais aussi en droit (40). Il n'en va pas de même de la règle de conflit qui, écrite ou non écrite, fait partie du droit positif belge et, dans la mesure où elle touche à une matière d'ordre public stricto sens'!k, s'impose au juge belge qui, fût-ce d'office, doit en tenir compte.

RAYMOND VANDER ELST,

PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ

DE BRUXELLES,

(40) Cf. BATIFFOL, Tmité, n° 328 et références; GRAULICH, Principes, n° 21 et références.

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48 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

Cour de cassation, 1re chambre (audience plénière), 12 mai 1961.

Président : M. GIROUL, président

faisant fonction de premier président.

Rapporteur : M. DELAHAYE.

Ministère public : M. DuMoN, avocat général.

Plaidant : M. VAN RYN.

I. CONSEIL DE PRUD'HOMMES. - CoMPÉTENCE « RATIONE

PERSONAE ». - Loi DU 9 JUILLET 1926, ARTICLE 5. - DISPO­

SITION SOUSTRAYANT LES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES A LA

COMPÉTENCE DU CONSEIL DE PRUD~HOMMES. -INTERPRÉTA­

TION RESTRICTIVE. - DISPOSITION! NE S'APPLIQUANT PAS A

S , , 1

LA OCIETE NATIONALE DES CHEM]NS DE FER BELGES.

II. CONSEIL DE PRUD'HOMMES. - CoMPÉTENCE « RATIONE

MATERIAE ». - Lor DU 9 JUILLET 1926, ARTICLE 43. - CoN­

TESTATIONS DU RESSORT DES TRIBUNAUX DE L'ORDRE JUDI­

CIAIRE ET DIRECTEMENT RELATIVES AUX ENGAGEMENTS RES­

PECTIFS DE TRAVAIL OU D'EMPLOI. - TRAVAILLEURS SOIT

LIÉS PAR UN CONTRAT DE LOUAGE DE SERVICES SOIT SOUMIS

A UN STATUT RÉGLEMENTAIRE. - COMPÉTENCE DU CONSEIL

DE PRUD'HOMMES.

I. Si le législateur a, par l'article 5 de la loi du 9 juillet 1926, soustrait les administrations publiques à la compétence du conseil de prud'hommes, il a toutefois entendu donner à la notion d'administration publique un sens restreint qui, s'il ne correspond plus à celui qui lui est reconnu aujourd'hui, ne pouvait, toutefois, dans son esprit, viser des institutions telles que la Société nationale des chemins de fer belges.

II. Les contestations non soustraites à la connaissance des tri­bunaux de l'ordre judiciaire qui trouvent directement leur source dans les engagements respectifs de travail et d'emploi s'élevant entre les employeurs, ouvriers et employés visés aux

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articles Jer à 5 de la loi du 9 juillet 1926 sont, sauf dérogation expresse établie par la loi, de la compétence du conseil de prud'­hommes, que ces ouvriers ou employés soient liés par un contrat de louage de services ou soient régis par un statut réglementaire.

(SOCIÉTÉ NATIONALE DES CHEMINS DE FER BELGES,

C. NOTERIS ET CONSORTS.)

ARRÊT.

Vu l'ordonnance de M. le premier président, du 6 avril 1961, décidant que la cause sera traitée en audience plénière ;

Vu les sentences attaquées, rendues les 16 juin 1955 et 1er mars 1956 par le conseil de prud'hommes d'appel de Bruxelles, cham­bre pour employés ;

Vu l'assignation en reprise d'instance donnée le 26 mars 1960 à la requête de la demanderesse aux défendeurs, légataires universels de feu Louis N otéris, défendeur en cassation, décédé le 9 mars 1959 alors que la cause n'était pas en état;

Sur le moyen, pris de la violation des articles 1er, 2, 3, 5, 13, 43 de la loi du 9 juillet 1926 organique des conseils de prud'­hommes, Jer, 7, 13, 15, 16, 18 et 19 de la loi du 23 juillet 1926 créant la Société nationale des chemins de fer belges, en ce que, par les décisions attaquées, le conseil de prud'hommes d'appel s'est implicitement reconnu compétent pour connaître de l'ac­tion intentée à la demanderesse, par laquelle l'auteur des défen­deurs prétendait avoir droit; en application de certaines dispo­sitions du statut du personnel unissant la demanderesse aux membres de son personnel, au remboursement d'une partie des sommes versées à une caisse dénommée « Caisse d'épargne des célibataires », alors que, d'une part, la compétence exception­nelle, attribuée aux conseils de prud'hommes par l'article 43 de la loi du 9 juillet 1926, se limite nécessairement à la connais­sance des contestations trouvant leur source dans un contrat de louage de services, et que, d'autre part, les agents de la société demanderesse ne se trouvent pas engagés vis-à-vis de celle-ci dans les liens d'un contrat de louage de services, mais sont régis par un statut réglementaire, exclusif de tout caractère contractuel :

Attendu que la loi du 9 juillet 1926 a, en principe, voulu REV. CRIT., 1962. - 4

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soumettre à la compétence des conseils de prud'hommes toutes les contestations relatives au travail;

Attendu, sans doute, que sont expressément exclues les con­testations entre les << administrations publiques »et leurs employés ou ouvriers ;

Mais attendu qu'il résulte des travaux préparatoires de la loi que le législateur a donné aux termes «administration publi­que » un sens restreint qui, s'il ne correspond plus à celui qui lui est aujourd'hui généralement reconnu et qui recouvre des organismes que la loi du 16 mars 1954 a qualifiés d'une manière générale « d'intérêt public », ne pouvait toutefois, dans son esprit, viser des institutions telles que la Société nationale des chemins de fer belges; que, suivant lesdits travaux, fut notamment expressément exclue de cette notion la Société nationale des chemins de fer vicinaux;

Attendu qu'au cours des. débats parlementaires relatifs à la loi du 23 juillet 1926, créant la Société nationale des chemins de fer belges, il fut précisé que les agents de celle-ci. ne pou­vaient être assimilés à des fonctionnaires de l'Etat et que ce nouvel organisme serait une «entreprise industrielle autonome» dont les «engagements sont réputés commerciaux», principes qui furent d'ailleurs expressément repris dans le texte même de ladite loi et dans l'arrêté royal du 7 août 1926 pris en exécu­tion de cette dernière ;

Attendu que, la loi du 9 juillet 1926 ayant donné un sens précis et restreint à la notion « administration publique » pour déterminer la compétence des juridictions, le pouvoir judiciaire ne saurait l'étendre ou le dénaturer, sous peine de modifier la compétence fixée par le législateur ;

Attendu que la circonstance que doit être attribuée la qualité «d'autorité administrative>>, au sens de l'article 9 de la loi du 23 décembre 1946, à certains organis1nes d'intérêt public, telle la Société nationale des chemins de fer belges, n'est pas de nature à modifier la portée de la loi de compétence du 9 juillet 1926;

Attendu que, contrairement à ce que soutient le moyen, la compétence des conseils de prud'hommes n'est pas nécessaire­ment exclue lorsque les rapports de travail existant entre les employeurs, d'une part, et les ouvriers ou employés, d'autre

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part, sont soumis à un régime statutaire et non régis exclusive­ment par les lois sur le contrat de travail ou relatives aux autres contrats de louage de services; qu'en effet l'article 1er de la loi du 9 juillet 1926, déterminant la mission des conseils de prud'hommes, dispose d'une manière générale que ceux-ci sont institués dans le but de vider les. contestations relatives au travail et que l'article 43, 1°, précise que ces conseils connaissent des « contestations relatives à l'apprentissage, au contrat de travail et à tout autre louage de services ... » ;

Attendu que, par cette dernière disposition visant la matière des litiges, le législateur s'est en réalité borné à distraire en prin­cipe de la compétence exceptionnelle du juge de paix, pour en attribuer la connaissance aux conseils de prud'hommes, dans les lieux où ils sont établis, «les contestations relatives aux engagements respectifs des gens de travail et de ceux qui les emploient» (article 3, 6°, de la loi du 25 mars 1876) et qui s'élèvent entre les employeurs, d'une part, et les ouvriers ou employés, d'autre part, qu'énumèrent les articles 1er à 5 de la loi du 9 juillet 1926 ;

Attendu, sans doute, que le statut du personnel de la Société nationale des chemins de fer belges, établi par la commission paritaire, organe de la société, ne constitue pas en lui-même une convention ; qu'il n'en demeure pas moins que les engage­ments se formant pour le travail entre cet employeur et l'ou­vrier naissent d'un concours de volontés;

Attendu que dans la loi du 23 juillet 1926 le législateur a lui-même usé des termes «contrat de travail» à propos de l'engagement du personnel de la Société nationale des chemins de fer belges régi par le statut réglementaire; qu'après avoir, par l'article 13, investi la commission paritaire de la mission d'établir le statut du personnel, il précise dans ce même article que cétte commission aura le pouvoir «d'examiner toutes les questions relatives au contrat du travail»;

Attendu qu'il se déduit de l'ensemble des dispositions de la loi du 9 juillet 1926 que, sauf dérogation expresse, toutes les contestations du ressort des tribunaux qui s'élèvent entre les en1ployeurs et les ouvriers ou employés visés aux articles 1er à 5 de ladite loi, et qui sont directement relatives à leurs enga­gements respectifs de travail ou d'emploi, sont de la compé­tence du conseil de prud'hommes ;

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52 REVUE CRiTIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

Que, pour l'application de l'article 43, 1 o, de la loi précitée, il est, dès lors, indifférent que les parties se soient soumises, non aux conditions établies par le législateur dans les lois sur le contrat de travail ou d'emploi, mais aux conditions d'un statut réglementaire ;

Que le moyen manque en droit ;

Par ces motifs, la Cour rejette le pourvoi; condamne la deman-deresse aux dépens. i

NOTE.

La compétence du conseil de prud'hommes à l'égard du personnel de la Société nationale des chemins de fer belges

et des autres associations de droit public.

Un agent de la Société nationale des chemins de fer belges avait, au cours de l'exercice de ses fonctions, effectué des versements à une caisse d'épargne de cet organisme, à laquelle il était obligatoirement affilié en vertu du statut des pensions qui le régissait. Lors de sa mise à la retraite, il réclama à la Société nationale des chemins de fer belges le remboursement d'une partie des sommes versées, en se fondant sur certaines dispositions du statut des pensions précité. La Société s'y étant refusée, l'intéressé saisit la section d'administration du Conseil d'Etat, qui déclara la demande étrangère à sa compétence (1), puis la juridiction prud'homale. Le conseil de prud'hommes d'appel de Bru­xelles fit droit à la requête par ses sentences des 16 juin 1955 et 1er mars 1956.

La Société nationale des chemins de fer belges s'est pourvue en cassa­tion contre ces décisions, en alléguant que le conseil de prud'hommes était incompétent pour connaître de la demande, pour le motif que les agents de la Société nationale des chemins de fer belges ne sont pas engagés vis-à-vis de celle-ci dans lès liens d'un contrat de louage de services, mais sont régis par un statut de nature réglementaire, exclusif de tout caractère contractuel.

C'est sur ce pourvoi que se prononce l'arrêt du 12 mai 1961. Le problème posé à la Cour - qui est donc de savoir si un litige né

entre la Société nationale des chemins de fer belges et un agent de sta­tut réglementaire au sujet d'une créance que le second prétend avoir contre la première à raison de ses fonctions, relève de la compétence du conseil· de prud'hommes - a, soulignons-le pour éviter toute équi­voque, une portée bien délimitée. Il se rapporte à la détermination de la frontière tracée entre la compétence spéciale des juridictions prud'­homales et la compétence de droit commun des tribunaux ordinaires.

(1) Cons. d'Etat, 23 juin 1950, Notéris, n° 396, Rec. jur. dr. admin., 1950, p. 230.

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Il concerne ainsi uniquement la répartition de la compétence entre les juridictions de l'ordre judiciaire, seules habilitées, dans l'état actuel de notre droit positif, à se prononcer sur les demandes tendant au res­pect des droits qualifiés « droits civils », tels les droits de caractère patrimonial. Il n'affecte en aucune manière la délimitation des compé­tences respectives des organes du Pouvoir judiciaire et des juridictions administratives; le pouvoir d'annulation du Conseil d'Etat, notamment, n'est pas en cause, (la haute juridiction administrative s'était, on s'en souvient, déclarée incompétente). Cela ne signifie d'ailleurs nullement qu'il ne présenterait qu'un intérêt réduit : il a, au contraire, dans le cadre qui est le sien, une importance marquée (ne serait-ce qu'en raison des controverses qu'il a suscitées dans le passé), mise en lumière par le fait que le premier président ait jugé opportun de réunir en audience plénière la chambre qui devait en connaître.

Ce problème soulève lui-même deux questions, au demeurant con­nexes, examinées l'une et l'autre dans l'arrêt annoté et dans les conclu­sions de M. l'avocat général Dumon qui le précèdent (2) : 1° La Société nationale des chemins de fer belges relève-t-elle du prétoire du conseil de prud'hommes? 2° Cette juridiction peut-elle statuer lorsque les rela­tions des parties en litige sont régies par un statut de nature régle­mentaire? (3).

Ces deux questions se rapportent aux deux principaux volets de la compétence prud'homale : compétence ratione personae et compétence ratione materiae, que la loi du 9 juillet 1926 règle respectivement dans ses articles 2 à 5, d'une part, et dans son article 43, de l'autre.

Dans la première série d'articles, le législateur détermine les sujets. de droit soumis à la compétence des conseils de prud'hommes : employeurs, ouvriers, employés, et, à cette occasion, exclut de la définition du terme « employeurs » les administrations publiques.

Dans son article 43, la loi définit celles des relations entre les sujets précités qu'elle entend attribuer à la compétence prud'homale : il s'agit des relations du travail mises en jeu par les contrats de travail, d'emploi ou d'apprentissage et par tout autre louage de services, ainsi que de relations de travail connexes aux précédentes. ·

Pour déterminer si le conseil de prud'hommes était compétent pour statuer dans l'espèce qui nous occupe, il convient donc de rechercher à la fois si la Société nationale des chemins de fer belges est un employeur,

(2) Ces conclusions (Pas., 1961, I, p. 969 à 981) analysent de façon très appro­fondie les deux questions posées. On y trouve de nombreuses références doctri­nales et jurisprudentielles, ainsi que de multiples extraits des discussions parle­mentaires se rapportant à la loi du 9 juillet 1926. Une abondante documentation étant ainsi réunie et publiée, nous nous permettons, spécialement pour l'analyse des travaux préparatoires, de renvoyer le lecteur à la savante étude de M. l'avo­cat général Dumon.

(3) La seconde question était, on l'a vu, seule invoquée comme moyen de cassation par la demanderesse, qui estimait - à juste titre d'ailleurs - que la première avait déjà été tranchée antérieurement. La Cour a cru néanmoins utile de reprendre l'examen du problème dans son ensemble.

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c'est-à-dire si elle doit être considérée comme n'étant pas une adminis­tration publique exclue par la loi du 9 juillet 1926, et si les relations qui l'unissent à ses agents se trouvant dans une situation réglementaire sont des relations de travail visées par la même loi.

Nous examinerons successivement ces deux questions dans. les deux premières parties de la présente note, dont la troisième partie sera consa­crée à des observations plus générales, débordant le cadre du litige et les données du droit actuellement en vigueur.

I,

La Société nationale des chemins de fer belges est-èlle une administra­tion publique échappant à la éompétence 4u conseil de prud'hommes en vertu de l'article 5 de la loi du 9 juillet '1926?

A cette question, la Cour suprême avait déjà répondu par la négative dans ses arrêts du 8 février 1952 (4).

L'arrêt annoté confirme cette jurisprudence, mais les motifs par lesquels il justifie la solution adoptée ne correspondent pas exactement à ceux qui avaient été invoqués e?- 1952. A cette époque, la Cour faisait valoir que la Société nationale des chemins de fer belges, tout en pré­sentant des analogies avec une administration publique, ne constitue pas réellement une administration de cette nature, caractérisée notam­ment par une participation à l'exercice du pouvoir public, par la non­limitation dans le temps et l'absence de tout esprit de lucre. Dans l'arrêt du 12 mai 1961, la Cour ne conteste plus la nature d'administration publique de la Société nationale des chemins de fer belges ; .le motif dont elle se prévaut pour admettre la compétence prud'homale est que la loi de 1926 a entendu l'expression «administrations publiques» dans un sens restreint qui, pour n'être plus celui qui lui est généralement reconnu aujourd'hui et qui recouvre les organismes que la loi du 16 mars 1954 a qualifiés d'nne manière générale « d'intérêt public », ne pouvait, dans son esprit, viser un organisme tel que la Société nationale des che­mins de fer belges (5).

La Cour se fonde donc sur une disparité qui existerait, selon elle,

(4) Pas., 1952, I, 322 et conclusions de M. le procureur général L. Cornil. -Pour la jurisprudence antérieure de la Cour, voy. les conclusions précitées, p. 329.

(5) La thèse adoptée par la Cour en 1952, qui déniait à la Société nationale des chemins de fer belges la qualité d'administration publique, avait fait l'objet de très nettes réserves de la part de la doctrine. Le professeur A. BUTTGENBACH,

notamment, l'avait critiquée (Rec. J'ur. d1·. admin., 1952, p. 145 à 152). Repre­nant sa critique dans une note d'observations sous l'arrêt du 2 décembre 1954 (reconnaissant le caractère de service public de la Société nationale des distri­butions d'eau), notre éminent collègue émettait l'avis que, pour justifier la com­pétence prud'homale à l'égard de la Société nationale des chemins de fer belges, la Cour eût été mieux inspirée en invoquant la volonté du législateur, plutôt qu'en se basant sur une notion assez discutable d'administration publique, qui ne pouvait en tout état de cause être valable que dans le cadre de la loi du 9 juillet 1926 (Rec. ju1·. dr. admin., 1955, p. 59). C'est, en somme, à cette manière de voir que se rallie l'arrêt annoté.

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entre la notion générale d'administration publique sous sa forme moderne, de compréhension large, s'appliquant à la Société nationale des chemins de fer belges ainsi qu'aux organismes similaires, et une notion parti­culière, propre à la loi relative aux conseils de prud'hommes, plus étroite et n'englobant pas la Société nationale des chemins de fer belges ni les institutions de même nature.

Qu'en est-il exactement? Il ne fait pas de doute que, prise dans le sens qui est aujourd'hui le

sien, la notion d'administration publique s'applique à toute institution créée par la loi ou le règlement pour assumer la gestion d'un service public, dotée à cet effet de prérogatives spécifiques comportant géné­ralement un pouvoir unilatéral de décision et astreinte en contrepartie à des obligations en rapport avec· sa mission, soumise enfin au contrôle ou à 1 la surveillance de l'autorité qui l'a créée ou en assume la responsa­bilité (6).

Cette notion, qui se dégage immédiatement des données de la législa­tion administrative, a trouvé son expression la plus générale et la plus caractéristique dans le concept d'autorité administrative consacré par l'article 9 de la loi du 23 décembre 1946. L'autorité administrative est précisément l'organisme public - dépendant · du pouvoir exécutif ~ qui, en raison de la prérogative dont il dispose d'imposer ses décisions unilatéralement, peut voir annuler ces décisions en cas d'illégalité (7).

Ainsi comprise, la notion d'administration publique, d'autorité admi­nistrative, englobe les organisations multiples auxquelles l'interven­tionnisme de l'Etat moderne a donné le jour. A côté des administrations traditionnelles, classiques, sont apparues une grande variété d'institu­tions de formes très diverses se regroupant pour la plupart au sein de trois types fondamentaux - administratio:q.s personnalisées, établisse­ments publics, associations de droit public - qui constituent autant de « modes de gestion de services publics » et procèdent toutes de la notion d'administration précitée (8).

(6) Cette notion étant aujourd'hui acquise, nous nous contenterons de ren­voyer aux ouvrages généraux de droit administratif et aux travaux du profes· seur A. BuTTGENBACH qui a été un promoteur dans ce domaine : Modes de gestion des services publics, Bruxelles, 1942; Théorie générale des modes de gestion des ser­vices publics, Bruxelles, 1952; Manuel de droit administratif, 2e éd., 1959 : livre Jer, titre Jer, «Les personnes publiques administratives ))' titre II, 11 Théorie générale du service public )),

(7) Sur cette notion, voy. notamment J. LESPÈs, Rec. jur. dr. admin., 1949, p. 165 ; J. PUTZEYS, ibid., 1954, p. 181 à 190 ; F. DE VISSCHERE, 11 Le développe­ment du concept autorité administrative >>, Tijdschr. v. Bestuu1·sw., 1958, p. 77 à 79.- La doctrine. ténd, dans sa majorité, à donner à la notion d'autorité'admi­nistrative une acception large, conformément à la volonté du législateur de 1946, qui a stipulé en termes généraux. Ainsi comprise, la notion couvre tout acte émanant d'un agent d'une administration traditionnelle ou d'un service public décentralisé ou parastatal (voy. BUTTGENBACH, Théorie des modes de gestion, p. 16). Le Conseil d'Etat s'est, dans le même esprit, reconnu une compétence assez large (voy. PUTZEYS, op. cit., p. 184).

(8) Sur cette classification des organismes publics personnalisés, voy. A. BuTT­GENBACH, Manuel de d1·oit administmtif, p. 179 à 226.

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La Société nationale des chemins de fer belges est du nombre. Créée pàr le législateur pour assmner aux lieu et place de l'Etat la gestion d'un service public, dotée de prérogatives comportant notamment l'exercice d'un pouvoir réglementaire à l'égard de son personnel et des usagers du service, soumise au contrôle tutélaire de l'Etat, la Société nationale des chemins de fer belges est, en raison de ces caractères, aujourd'hui unanimement reconnue par la doctrine comme étant une administration publique, une· autorité administrative, plus précisément une association de droit public. Il en va de même pour plusieurs autres institutions nées de la coopération de pouvoirs publics ou de la colla­boration de ceux-ci avec des particuliers (9).

Le Conseil d'Etat et, dans une certaine mesure, la Cour de cassation ont, en reconnaissant à la Société nationale des chemins de fer belges et à d'autres associations de droit public, la qualité d'autorités admi­nistratives au sens de la loi de 1946, confirmé cette manière de voir (10).

La loi du 16 mars 1954 a fait de même en rangeant plusieurs sociétés constituées par des pouvoirs publics, au nombre desquelles figure la Société nationale des chemins de fer belges, parmi les organismes d'in­térêt public qu'elle a soumis au contrôle administratif et financiet de l'Etat (11).

(9) Sur la nature juridique de la Société nationale des chemins de fer belges voy . .J. LESPÈS, Rec. fur. dr. admin., 1949, p. 160 à 166; A. BUTTGENBACH, ibid. 1952, p. 145 à 151 ; celui-ci critique notamment les éléments que les arrêts du 8 février 1952 mettent en avant pour caractériser la notion d'administration publique ; il estime à juste titre que les critères formulés par la Cour sont trop restrictifs et ne répondent pas aux données du droit administratif moderne.

Pour l'ensemble des associations de droit public, voy. A. BUTTGENBACH, Ma­nuel de droit administratif, p. 208 à 226.

(10) Sur la qualité d'autorité administrative de la Société nationale des che­mins de fer belges, voy. Cons. d'Etat, 13 juillet 1949, Bonheure, Rec. jur. dr. admin., 1949, p. 159 et obs. LESPÈS; Journ. Trib., 1949, p. 642 et obs. CAMBIER, - arrêt confirmé par une jurisprudence constante : voy. A. BuTTGENBACH et .T. DEMBOUR, Rec. jur. dr. admin., 1958, p. 11, note 61. A cette jurisprudence s'opposait la thèse que la Cour de cassation défendait dans ses arrêts du 8 février 1952, thèse dont on devait, en toute logique, déduire· que la Société nationale des chemins de fer belges n'était pas réellement une autorité administrative. La Cour suprême a toutefois décidé par la suite que la Société nationale des che­mins de fer belges, créée pour assurer un service d'intérêt public, est, dans ses relations avec son personnel réglées par le statut du personnel, une autorité admi­nistrative (cass., 27 novembre 1957, Pas., 1958, I, 328; 27 novembre 1959, Pas., 1960, I, 378). Sur les positions respectives des deux juridictions, voy . .r. DE MEYER, Rechtsk. Weekbl., 1951-1952, col. 1313 à 1342; F. iDE VISSCHERE, Tifdschr. v. bestuursw., 1958, p. 159 à 162; voy. aussi conclusio:p.s de M. Dumon, Pas., 1961, I, 978. 1

Pour les autres associations de droit public, voy. les décisions citées au Rec. fur. dr. admin., 1958, p. 11, note 61, initio et in fine.

(11) Depuis cette intervention du lég-islateur, il est devenu impossible de sou­tenir raisonnablement, comme le faisait avec un~ nuance de dédain M. le procu­reur L. Cornil (Pas., 1952, I, 327), que les efforts entrepris par les publicistes en vue d'élaborer une définition de l'administration publique rendant pleinement compte des institutions créées par le droit administratif contemporain, « restent

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Ainsi, plusieurs facteurs, confirmés par la volonté non équivoque du législateur de 1954, concourent indubitablement à attribuer aux asso­ciations de droit public, et notamment à la Société nationale des chemins de fer belges, la qualité d'administration publique que la Cour suprême déniait à cette dernière dans ses arrêts du 8 février 1952.

Ces facteurs ne concordent toutefois pas avec les éléments propres à la volonté que le législateur a exprimée en 1926 en organisant les con­seils de prud'hommes et en instituant la Société nationale des chemins de fer belges.

La loi organique des conseils de prud'hommes n'a pas défini la notion d'administration publique dont elle a fait usage dans son article 5, mais l'examen des discussions parlementaires (12) montre que le législateur a donné à cette notion un sens restreint, circonscrit aux administrations traditionnelles (centrale, provinciales et communales) et aux établisse­ments publics sensu stricto, et n'englob~nt pas les associations de droit public, en particulier la Société nationale des chemins de fer belges, ce que corroborent, en ce qui concerne cette dernière, les travaux prépara­toires de la loi du 23 juillet 1926 (13).

du domaine de la doctrine », Seules, les catégories proposées pour classer ces institutions gardent un caractère purement doctrinal, le législateur de 1954 ayant fait preuve, en la matière, d'un regrettable empirisme.

(12) Contre le recours aux travaux préparatoires pour fixer le sens de l'ex­pression «administration publique >>, l'on invoquerait en vain que, 11 lorsque le texte de la loi est clair et précis, il ne comporte aucune interprétation» (cass., 16 juin 1953, Pas., 1953, I, 817 et la note), ou que ules travaux préparatoires ne peuvent être invoqués à l'encontre d'un texte clair et précis » (cass., 20 février 1951, Pas., 1951, I, 410; 20 octobre 1952, Pas., 1953, I, .70), ou encore que ule terme employé dans une disposition légale ou réglementaire sans y être défini doit être compris dans son sens usuel» (cass., 12 juin 1952, Pas., 1952, I, 664 et la note 1). A la vérité, l'expression !<administration publique» figurant dans la loi du 9 juillet 1926 est on ne peut plus ambiguë et équivoque, étant inter­venue à une époque où s'amorçait une évolution profonde du droit administratif qui a suscité sa transformation. Dans ces conditions, le recours aux travaux pré­paratoires s'imposait pour fixer le sens qu'avaient, dans l'esprit du législateur de 1926, les termes 11 administrations publiques » et ainsi pour 11 confirmer la portée du texte légal » (voy. cass., 20 octobre 1952, précité) déterminant l'étendue de la compétence prud'homale. - Sur la valeur et les conditions d'utilisation des travaux préparatoires, cons. notamment H. CAPITANT, Mélanges Geny, t. II, p. 216; Pand. belges, t. 115 (1923), p. 59 à 65; J. MARx, Belg. judie., 1927, col. 257-263 ; CL. RENARD, Cours d'encyclopédie du droit, Les Presses universitaires de Liège, 1960 (Ronéo), fasc. rer, n° 130, p. 88 et 89.

(13) Voy. les motifs de l'arrêt annoté et les citations reproduites par M. l'avo­cat général Dumon, Pas., 1961, I, p. 976 à 978. Il résulte notamment d'une décla­ration du rapporteur de la Chambre que les auteurs du projet ont, entre autres institutions, exclu de la notion d'administration publique un certain nombre d'associations de droit public - coopératives de pouvoirs publics et organismes d'économie mixte : Société nationale des chemins de fer vicinaux, sociétés d'ha­bitation à bon marché, sociétés intercommunales de gaz et d'électricité 11 et autres organismes du même genre », La circonstance que la Société nationale des chemins de fer belges ne figure pas à la liste s'explique par le fait que, lorsque le législa­teur a examiné le projet de loi organique des conseils de prud'hommes (discussion qui s'est déroulée de 1923 à 1926 et s'est terminée aux séances des 5 et 6 mai 1926 au Sénat, et des 9 et 23 mai 1926 à la Chambre), il ne connaissait pas cette

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Cette acception stricte découle du but poursuivi par le législateur, qui a entendu ne soustraire à la compétence des juridictions prud'homales que les organismes dont la nature lui a paru vraiment incompatible avec ces juridictions. C'était le cas des administrations de type classique, auxquelles le législateur a jugé ne pouvoir reconnaître la qualité d'em­ployeur et qu'il croyait au surplus, ainsi que nous le verrons plus loin, ne pas relever, dans leurs relations avec leurs agents, de la compétence judiciaire, en raison du caractère de droit public de ces relations. Ce n'était pas le cas, au contraire, des associations de pouvoirs publics qui se constituent pour gérer des services de caractère économique, adoptent les méthodes de la gestion industrielle et recourent éventuellement aux procédés du droit civil et du droit commercial. Ces organismes, auxquels la doctrine n'avait, à l'époque, consacré que des analyses assez super­ficielles, n'étaient que très imparfaitement différenciés des entreprises du secteur privé.

Nous nous trouvons donc bien en présence de deux acceptions, l'une large, l'autre restreinte, de la notion d'administration publique, entre lesquelles il faut faire un choix.

Ce choix, l'arrêt annoté l'opère, pour résoudre le litige qui lui est sou­mis, en faveur de l'acception qui se dégage de la loi de 1926. La Cour estime que, cette loi ayant donné à la notion d'administration publique tm sens précis pour déterminer la compétence des juridictions prud'­homales, le pouvoir judiciaire ne saurait l'étendre ou le dénaturer sous peine de modifier la compétence fixée par le législateur. Elle affirme par ailleurs que la circonstance que la qualité d'autorité administrative au sens de l'article 9 de la loi du 23 décembre 1946 doit être attribuée à des organismes d'intérêt public, telle la Société nationale des chemins de fer belges, n'est pas de nature à modifier la portée de la loi de compé­tence de 1926.

On ne peut qu'approuver cette manière de voir. Pour déterminer l'étendue et les limites de la compétence des conseils de prud'hommes, il faut, sous réserve de ce qui sera dit plus loin, se référer à la notion d'administration publique à laquelle s'est elle-même référée la loi orga-

institution, dont la création a été décidée par après (la loi sur la Société natio­nale des chemins de fer belge!3 a été discutée à la Chambre aux séances des 16 et 17 juillet 1926, et au Sénat le 22 juillet suivant). Mais il ne paraît pas douteux qu'en raison des caractères qui lui ont été donnés par le législateur ( « entreprise industrielle autonome », dont « les engagements sont réputés commerciaux » et dont les «agents ne sont pas des fonctionnaires publics >>) et de la nature juri­dique qui lui est reconnue par la doctrine (association de droit public d'économie mixte), la Société nationale des chemins de fer belges doit figurer parmi les « orga­nismes du même genre » auxquels le rapporteur dJ la Chambre faisait allusion. Si la Société nationale des chemins de fer vicinaux, 1 qui est une pure coopérative de pouvoirs publics, n'a pas été exclue de la compétence prud'homale, il faut admettre a fortiori que la Société nationale des chemins de fer belges, qui est une association d'économie mixte, ne doit pas davantage en être exclue (un argu­ment analogue pourrait être tiré de l'exception apportée à l'incompétence prud'­homale, en ce qui concerne les régies communales).

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nique de cette juridiction, quelle que soit l'évolution que la notion en cause ait pu subir par la suite.

En se prononçant dans le sens indiqué, la Cour suprême n'a fait que se conformer à cette. règle élémentaire d'interprétation qui veut que, lorsque l'on cherche à déterminer le contenu et la portée d'une disposi­tion légale, l'on doit prendre les concepts, notions et termes employés par le législateur dont on cherche à déceler la volonté, dans le sens dans lequel celui-ci les a entendus au moment où il a élaboré le texte faisant l'objet de l'interprétation, sans avoir égard à l'acception plus ou moins différente. qu'il a pu leur donner dans des textes ultérieurs (14), aussi longtemps tout au moins qu'il n'est pas établi qu'en adoptant cette acception nouvelle, le législateur a expressément ou implicitement manifesté sa volonté de modifier la portée du texte ancien.

En l'espèce, l'on ne peut raisonnablement soutenir qu'en posant dans les termes les plus larges la notion d'autorité administrative et en recon­naissant la qualité d'administration publique à une série d'organismes qui n'avaient pas été exclus de la compétence prud'homale, le législa­teur a entendu révoquer la volonté qu'il a exprimée en 1926. En effet, l'intervention du législateur en 1946 et en 1954 a eu respectivement pour objectif de soumettre les organismes précités au pouvoir d'annu­lation du Conseil d'Etat ainsi qu'au contrôle administratif et financier du pouvoir central. Ces objectifs sont sans connexion avec l'objectif particulier que poursuivait la loi du 9 juillet 1926 : délimiter au sein du Pouvoir judiciaire, la compétence des conseils de prud'hommes. On doit donc admettre qu'en réalisant ceux-là, le législateur n'a en aucune manière modifié celui-ci. Il en irait certes autrement, nous le montrerons à la fin de cette étude, si le législateur venait à attacher à la notion d'ad­ministration publique des conséquences affectant les limites de la com­pétence judiciaire à l'égard des contestations surgissant entre les orga­nismes auxquels cette qualité est reconnue et leurs agents. Mais aucune initiative de ce genre n'a, jusqu'à présent, vu le jour.

Il faut, en conclusion, se rallier tant à la solution adoptée par l'arrêt annoté qu'au motif invoqué par la Cour pour justifier cette solution. Ce motif est, sans contredit, plus exact et plus pertinent que celui qui avait été mis en avant en 1952; surtout, il est plus conform~ aux données actuelles du droit administratif. On ne peut, dans ces conditions, que se réjouir de ce changement de motivation qui a, sur le plan des principes, une importance qui ne peut être sous-estimée - et qui bénéficie au sur-

(14) Voy. cass., 21 décembre 1953, Pas., 1954, I, 333 : le juge ne peut déduire l'intention du législateur d'un arrêté ou d'une loi postérieure à la loi qu'il inter­prète, le législateur ayant nécessairement ignoré ces faits. ~ Ce mode d'interpré­tation, qui s'impose à qui veut rechercher la volonté réelle du législateur, n'est pas universellement adopté. D'aucuns estiment que, entre les significations dont un terme s'est trouvé successivement revêtu, l'interprète doit choisir la plus récente; voy. R. WARLOMONT, «L'interprétation terminologique dans la doc­trine et la jurisprudence », J ourn. Tri b., 1951, p. 177 et la note 2. Ce système d'interprétation, que l'on justifie par des considérations d'ordre pratique (le juge ne peut être philologue), aboutit, selon nous, à dénaturer la volonté du législateur.

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plus de l'autorité s'attachant aux arrêts rendus en audience plénière. La Cour ne conteste plus désormais la qualité d'administration publi­que de la Société nationale des chemins de fer belges. Sans doute ne se prononce-t-elle pas de façon formelle en faveur de cette qualité, mais l'analyse de l'arrêt et sa comparaison avec les décisions antérieures permettent de présumer qu'elle l'admet effectivement. On peut de mêine assurer que, sans se rallier expressément à la notion large d'administra­tion publique, dans laquelle la doctrine moderne englobe les manifesta­tions multiples de l'organisation des services publics, y compris les diverses associations de· droit public, elle reconnaît en quelque sorte droit de cité à cette notion (15). Cette manière de voir est dans la ligne de l'évolution jurisprudentielle, illustrée par les arrêts qui se sont suc­cédé depuis 1952 sur le problème qui nous occupe et les problèmes con­nexes, évolution qui révèle que notre Cour suprême, petit à petit, pro­gressivement, prudemment, par retouches successives, incorpore dans sa jurisprudence les acquisitions récentes de la science du droit admi­nistratif ( 16).

II.

Les agents des organismes publics relevant de la compétence des conseils de prud'hommes sont-ils encore justiciables de ces juridictions lorsqu'ils sont soumis à un régime réglementaire?

La question se pose et elle es~ d'importance en raison de la place dévolue au statut réglementaire dans les rapports entre les pouvoirs publics et leurs agents : ce statut n'intervient pas seulement en ce qui concerne les agents de l'administration centrale, des provinces, des communes et des établissements publics, il est également susceptible de régir les agents des associations de droit public (17).

(15) L'arrêt annoté, en effet, reconnait expressément que le <<sens restreint» donné par la loi de 1926 à la notion d'administration publique <<ne correspond plus à celui qui lui est donné aujourd'hui >>,

(16) Les grandes étapes de cette évolution se dégagent du rapprochement des principaux arrêts que nous avons cités dans cette étude : arrêts du 8 février 1952, déniant la qualité d'administration publique de la Société nationale des chemins de fer belges et ne lui reconnaissant qu'un caractère << d'utilité publi­que »; - arrêt du 2 décembre 1954:, reconnaissant le caractère de service public de la Société nationale des distributions d'eau; - arrêts du 27 novembre 1957 et du 27 novembre 1959, reconnaissant la qualité d'autorité administrative de la Société nationale des chemins de fer belges dans ses rapports avec ses agents; - arrêt du 12 mai 1961, admettant implicitement que la Société nationale des chemins de fer belges est une administration publique, au sens moderne du terme. Ainsi se confirme l'orientation nouvelle de la Cour à l'égard des services publics décentralisés, amorcée en 1954:. Si, comme le faisait observer le professeur A. BuTT­

GENBACH (Rec. jur. d1·. admin., 1955, p. 15'7), il était, à ce moment, prématuré d'affirmer que la jurisprudence de la Cour manifestait une évolution certaine, il ne parait plus qu'il y ait lieu d'en douter aujourd'hui. A la vérité, il semble -ici comme dans d'autres domaines- que l'on se trouve en présence d'une lente érosion de certaines positions traditionnelles sous l'influence des transformations du droit administratif, érosion à laquelle la jurisprudence du Conseil d'Etat et la doctrine des publicistes ne sont peut-être pas étrangères.

(17) Voy. spécialement sur cette question: A. BuTTGENBACH et .J. DKIŒOUR:

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La Société nationale des chemins de fer belges, demanderesse en cassa­tion, se prononçait pour l'incompétence prud'homale.

Elle faisait valoir que, pour que le conseil de prud'hommes soit com­pétent, il ne faut pas seulement qu'il s'agisse d'une contestation relative au travail surgie entre les sujets de droit définis par les articles 1er à 5 de la loi du 9 juillet 1926, il est en outre indispensable, ratione materiae, que, conformément à l'article 43, 1°, de la même loi, la contestation trouve sa source dans un contrat de louage de services. Les agents dotés d'un statut réglementaire, n'étant pas engagés dans un lien contractuel (les deux notions sont exclusives l'une de l'autre), ne sont donc pas justiciables des juridictions prud'homales.

L'arrêt annoté rejette cette manière de voir. La Cour ne dénie certes pas que les agents de la Société nationale des chemins de fer belges puissent se trouver dans une situation réglementaire, solution en faveur de laquelle elle s'est du reste prononcée dans des arrêts antérieurs (18),

«Nature du lien juridique unissant les administrations publiques à leurs agents », Rec. jur. dr. admin., 1958, p. 1 à 12, spécialement p. 9 et suiv.; CH. HUBERLANT, << La situation juridique du personnel des institutions parastatales », Rec. jur. dr. admin., 1960, p. 240 à 267, spécialement p. 259 et suiv. ~Sans entrer dans l'examen d'un problème qui déborde le cadre de cette étude, signalons que, selon la jurisprudence du Conseil d'Etat, en dehors du cas où la loi, ou un règlement porté en vertu d'elle, fixe impérativement la nature du régime juridique des agents, les organes de gestion des établissements publics et des associations de droit public ont la liberté de choix entre le statut réglementaire et le statut con­tractuel; signalons aussi qu'en fait, la grande majorité des agents des organismes précités se trouvent dans une situation réglementaire, tandis qu'une minorité non négligeable se trouve dans une situation contractuelle (voy. sur ces deux points HuBERLANT, loc; cit., p. 250-252). On notera toutefois que l'arrêté royal du 14 février 1961 (Monit., 15 mars; Bull. lég., p. 193; Codes Larcier, t. V, Com­plément, v° Comptabilité de l'Etat : texte avec ses modifications), fixant, en appli­cation de l'article 11 de la loi de 1954, le statut du personnel de certains organismes d'intérêt public, a placé les agents des organismes qu'elle vise dans une situation réglementaire (voy. le Rapport au Roi, Bull. lég., p. 193, et l'avis du Conseil d'Etat, ibid., p. 197); voy. aussi A. MAsT, Overzicht van het Belgisch Adminis­tratief Recht, Gand, 1962, p. 55 à 57.

Pour la Société nationale des chemins de fer belges (qui n'est pas soumise à l'arrêté royal du 14 février 1961), voy. MAROY, Rec. jur. dr. admin., 1948, p. 92 à 97 ; HUBERLANT, op. cit., p. 252 et 254. Le régime juridique des agents, fixé par une commission paritaire, en vertu de l'article 13 de la loi du 23 juillet 1926, est un régime réglementaire ; le Conseil d'Etat se prononce formellement en ce sens : voy. Cons. d'Etat, 13 juillet 1949, Rec. jur. dr. admin., 1949, p. 159 et obs. LESPÈS, confirmé par la jurisprudence ultérieure (nous avons déjà cité ces déci­sions en tant qu'elles reconnaissent à la Société nationale des chemins de fer belges la qualité d'autorité administrative : voy. la note 10; les deux questions son1;, en effet, en partie liées : en reconnaissant à un organisme d'intérêt public la qualité d'autorité administrative à l'égard de son personnel, on admet néces­sairement que cet organisme a, sinon l'obligation, tout au moins le pouvoir d'éta­blir unilatéralement le régime juridique de ce personnel par voie réglementaire); il en est de même de la Cour de cassation dans ses arrêts récents (voy. la note 18 ci-après).

(18) Cass., 27 novembre 1959, Pas., 1960, 1, 378 (formule particulièrement nette : la Société nationale des chemins de fer belges est une autorité administra­tive et les rapports de droit qui naissent entre elle et son personnel sont régis, non par un contrat de travail ou d'emploi, mais par un statut administratif);

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mais elle déclare que la compétence prud'homale n'est pas nécessairement exclue lorsque les rapports de travail existant entre employeurs et ouvriers ou employés sont soumis à un statut réglementaire, au lieu d'être exclu­sivement régis par les lois relatives au contrat de travail ou aux autres contrats de louage de services (19).

4 décembre 1959, Pas., 1960, I, 402 (formule plus réservée : l'existence d'un statut réglementaire au sein de la Société nationale des chemins de fer belges n'exclut pas que certains de ses agents puissent être liés par un contrat de travail, etc.); la Cour avait déjà admis dans un arrêt du 29 avril 1937 (Pas., 1937, I, 131) que les agents de la Société nationale des chemins de fer belges sont régis, non par la loi sur le contrat d'emploi, mais par le statut du personnel étab1i en exécution de ia loi du 23 juillet 1926; d'autres arrêts avaient toutefois une portée plu13 dou­teuse (sur l'évolution de la jurisprudence de la Cour, voy. conclusions L. Cornil, Pas., 1952, I, 328-329; HUBERLANT, Rec. ju?', dr. admin., 1960, p. 254; spéciale­ment sur les divergences d'interprétation auxquelles a donné lieu l'arrêt du 2 juil­let 1948, voy. MAROY, Rec. jur. dr. admin., 1948, p. 92 à 97; BUTTGENBACH, ibid., 1955, p. 55 ; HUBERLANT, loc. cit.; conclusions Dumon, Pas., 1961, I, p. 978-979) ; cf. aussi ÜRIANNE, Rev. prat. soc., 1954, p. 202-203.

La Cour s'est par ailleurs prononcée en faveur du caractère réglementaire du st,atut du personnel de la Société nationale des distributions d'eau: cass., 2 décem­bre 1954, Pas., 1955, I, 306 et conclusions P. Mahaux, Rec. jur. dr. admin., 1955, p. 56 et observations A. BuTTGENBACH; ca.ss., 29 avril 1960, Pas., 1960, I, 1000 et conclusions P. Mahaux, Rec. jur. dr. admin., 1960, p. 280 et observations E. DEBRA (formules particulièrement nettes dans le dernier arrêt : le personnel d'une association de droit public est, normalement, sous régime statutaire ; lors­que l'association est constituée sous la forme d'une so.ciété de droit civil ou com­mercial, les organes de gestion peuvent opter soit pour un statut de droit public de caractère réglementaire, soit pour un statut de droit privé de nature contrac­tuelle).- Le caractère réglementaire du statut des agents de l'I. N. R. (établisse­ment public) a été reconnu par la Cour dans un important arrêt du 18 décembre 1952, Pas., 1953, I, 266. - On se trouve donc en présence d'une jurisprudence assez développée concernant les situations réglementaires.

(19) Comp. cass., 27 novembre 1959, précité, Rechtsk. Weelcbl., 1959-1960, col. 883-887 et observations A. HoUTEKIER; la lecture des motifs de cet arrêt, qui semble afflrmer l'incompétence des prud'hommes à l'égard des agents de la Société nationale des chemins de fer belges soumis à un statut réglementaire, pourrait donner à croire que la Cour a adopté en 1959 une position contraire à celle de l'arrêt annoté. Un examen plus attentif de l'espèce litigieuse permet toutefois de penser qu'il n'y .a pas, entre les deux arrêts, de contradiction réelle, parce que les problèmes tranchés de part et d'autre étaient différents. Si, en 1959, la Cour a déclaré que le conseil de prud'hommes était incompétent, c'est, comme le fait observer M. l'avocat général Dumon (Pas., 1961, I, p. 971-972), non parce qu'elle aurait estimé que le litige relevait de la compétence d'une autre juridic­tion judiciaire, mais parce qu'elle pensait qu'il échappait à la compétence des tribunaux judiciaires dans leur ensemble. En effet, pour écarter la compétence prud'homale, en ce qui concerne le problème en litige (demande tendant en ordre principal à faire mettre à néant une suspension disciplinaire et accessoirement au paiement d'une somme représentant les appointements non versés en raison de la suspension), la Cour se fonde non seulement sur la nature réglementaire du lien unissant l'agent à la Société nationale des chemins de fer belges, mais aussi sur la qualité d'autorité administrative de celle-ci à l'égard de ses agents. Ainsi motivée, la décision s'explique aisément : c'est le Conseil d'Etat et non le pouvoir judiciaire qui a compétence pour se prononcer sur une demande tendant à l'annulation d'un acte d'une autorité administrative, et il en est ainsi, même si la décision à intervenir a une incidence sur un droit civil, lorsque cette incidence n'est qu'indirecte et accessoire, comme c'est le cas pour l'annulation des mesures

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A l'appui de cette manière de voir, la Cour fait valoir un ensemble d'arguments que l'on peut résumer comme suit : l'article 1er de la loi du 9 juillet 1926 dispose que les conseils de prud'hommes sont institués dans le but de vider les contestations relatives au travail et l'article 43, 1°, précise que ces juridictions connaissent des contestations relatives à l'apprentissage, au contrat de travail et à tout autre louage de services; par cette dernière disposition, le législateur s'est borné à distraire de la compétence du juge de paix, au profit des conseils de prud'hommes là où ils sont établis, « les contestations relatives aux engagements res­pectifs des gens de travail et de ceux qui les emploient »visées par l'arti­cle 3, 6°, de la loi du 25 mars 1876; il se déduit ainsi de l'ensemble des dispositions de la loi du 9 juillet 1926 q:ue, sauf dérogation expresse, toutes les contestations du ressort des tribunaux, s'élevant entre les employeurs et les ouvriers ou employés au sujet de leurs engagements respectifs de travail ou d'emploi, sont de la compétence du conseil de prud'hommes, et il est dès lors indifférent, pour l'application de l'article 43 de cette loi, que les parties se soient soumises, non aux conditions établies par le législateur dans les lois sur le contrat de travail et d'emploi, mais a:ux conditions d'un statut réglementaire; cette compét~nce se justifie d'au­tant mieux dans l'espèce litigieuse que; bien que le statut du personnel de la Société nationale des chemins de fer belges ne constitue pas en lui-même une convention, les engagements se formant pour le travail entre cet employeur et les ouvriers naissent d'un concours de volontés et que la loi du 23 juillet 1926 a elle-même usé, à propos de ces engage­ments, des termes «contrat de travail>> (20).

On le voit, l'arrêt annoté associe un argument qu'il déduit de l'inten­tion, prêtée au législateur, de conférer aux prud'hommes la connaissance de l'ensemble des relations de travail ou d'emploi à des arguments de texte qui consistent essentiellement à identifier l'expression << louage

disciplinaires ayant des répercussions sur le traitement (cass.; 27 novembre 1957, Pas., 1958, I, 330; voy. OH. HUBERLANT, Le Conseil d'Etat et la compétence géné­rale du Pouvoir judiciaire, Bruxelles, 1960, n°8 15 et 21). La Cour devait donc, con­formément à sa jurisprudence antérieure, rejeter la compétence prud'homale. La solution aurait, croyons-nous, été différente si l'agent avait été dans une situation contractuelle : la demande, qui aurait dû alors être considérée comme une demande se rattachant à l'exécution du contrat, n'aurait pas été de la compé­tence du Conseil d'Etat, mais de celle de la juridiction prud'homale, laquelle aurait pu apprécier la validité, au regard du contrat, de la mesure qui privait l'agent d'une partie de sa rémunération et, en cas d'irrégularité de cette mesure, ordonner à la Société nationale des chemins de fer belges l'accomplissement de la presta­tion contractuelle à laquelle elle était tenue. Nous estimons donc que le rappel de la nature réglementaire de la situation en cause n'était pas surabondant, comme semble le croire M. l'avocat général Dumon. Il n'en demeure pas moins que ce motif n'a de valeur que dans le cadre du problème posé à la Cour et l'on se méprendrait singulièrement en estimant que l'arrêt de 1959 a affirmé d'une manière générale l'incompétence des prud'hommes à l'égard des agents se trou­vant dans une situation réglementaire.

(20) M. l'avocat Dumon (Pas., 1961, I, 979), de son côté, fait valoir qu'aucune disposition de la loi du 9 juillet 1926 n'établit de distinction entre les régimes conventionnel et réglementaire ; que les textes sont, au contraire, généraux, l'article 1er visant les contestations relatives au travail et l'article 43, 1 o, visant

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de services>>, :figurant dans l'article 43, 1°, de la loi du 9 juillet 1926, à celle d'« engagements respectifs du travail>>, cette dernière étant elle-même entendue dans un sens général, englobant tous les engage­ments relatifs au travail, qu'ils résultent d'un contrat ou trouvent leur source dans un règlement auquel les parties se sont soumises.

Quelle que soit l'opinion que l'on ait au sujet de l'argument déduit de l'objectif poursuivi par le législateur - nous examinerons ce point dans un instant -l'argumentation que la Cour prétend tirer des expres­sions reproduites ci-dessus paraît, disons-le immédiatement, difficilement acceptable car, sous prétexte d'interpréter la notion de louage de ser­vices, elle aboutit, par des glissements successifs de sens, à étendre et à dénaturer la portée de cette notion.

L'article 43, 1°, confie à la connaissance des conseils de prud'hommes les contestations relatives à certains contrats; ce sont, selon le cas, des contrats de travail, d'emploi, d'apprentissage ou, plus générale­ment, de louage de services, mais il s'agit toujours de contrats. Le texte est donc clair et dénué de toute équivoque : il vise les situations contrac­tuelles (21).

Les situations réglementaires tombent-elles également sous son appli­cation ? Il est difficile de le croire, car << contrat >> et << règlement >>, d'une part, << situation contractuelle >> et << situation réglementaire >>, de l'autre, ne sont pas synonymes : ce sont des termes et expressions auxquels le langage juridique assigne un sens nettement différent; l'on ne peut dès lors confondre ou employer l'un pour l'autre sans les vider de leur substance. Les termes << contrat >> et << règlement >> désignent respective­ment deux catégories juridiques distinctes et, par certains traits, oppo­sées, dont la doctrine a mis en lumière les caractères respectifs. Le con­trat est le concours de volontés formé en vue de produire des effets de droit ; les parties en déterminent librement le contenu, sauf dans la

non seulement le contrat de travail, mais tout louage de services; que l'article 13 de la loi du 23 juillet 1926 ne fait pas non plus la distinction, à laquelle nous sommes actuellement accoutumés, entre statut réglementaire et contractuel puisqhe, après avoir parlé de «statut du personnel »,il emploie l'expression« con­trat de travail », Ainsi, conclut-il, la loi confère aux prud'hommes une compé­tence générale à laquelle on ne pourrait apporter des exceptions en l'absence d'un texte légal précis et formel.

(21) La doctrine est unanime à affirmer que l'article 43, 1°, requiert, pour son application, que la contestation trouve sa source dans un contrat de louage de services : voy. WAUWERMANS et LÉGER, Les conseils de prud'hommes, 1926, nos 7 et 9 ; Répert. pmt. dr. belge, v° Conseils de prud'hommes, nos 191 et 201 ; VAN GoETHEM et GEYSEN, Droit du travail, p. 333; Les Novelles, Droit social, t. II,

'Les juridictions du travail (parC. DE SwAEF, M. MAGREZ etC. STRANART, nos 137, 138 et 166; P. HoRION, <<Compétence et jurisprudence des tribunaux du travail», Rev. dr. soc., 1954, p. 254 à 257; A. HOUTEKIER, Rechtsk. Weekbl., 1959-1960, col. 883-887.- La Cour de cassation a, dans un arrêt du 7 mars 1955 (Pas., 1955, I, 739), expressément rappelé .cette exigence pour écarter la compétence prud'­homale à l'égard des contestations nées d'un délit commis à l'occasion des rela­tions de travail. -Par contre, l'exclusion de la compétence prud'homale n'en­traîne pas celle du contrat de travail ou d'emploi (cass., 20 mai 1960, Pas., 1960, I, 1084).

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REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE 65

mesure où des dispositions impératives de la loi le leur interdisent ; les clauses stipulées sont intangibles, en ce sens qu'elles ne peuvent

être révoquées ou modifiées que de commun accord. Le règlement est une décision unilatérale de l'autorité qui fixe, d'une manière générale, objective et impersonnelle, le contenu des situations qu'elle crée; la

volonté du sujet que le règlement concerne (en l'espèce, l'agent), lorsque son intervention est juridiquement requise, ne forme pas avec le règle­ment un concours de volontés : elle est un acte-condition, dont le seul

objet est de rendre le règlement applicable à la situation individuelle du sujet en cause; elle n'affecte pas le contenu de cette situation, qui est l'œuvre du règlement ; elle ·n'assure pas davantage l'intangibilité

de ladite situation, qui peut à tout moment être modifiée unilatérale­ment par le règlement (22).

Il est, dans ces conditions, quels que soient les artifices de termi­nologie auxquels on croit pouvoir recourir, impossible d'assimiler les situations réglementaires aux situations contractuelles en vue de les inclure dans l'acception des termes et expressions employés par l'arti­

cle 43, 1°, - à moins de prétendre qu'en rédigeant cette disposition, le législateur a entendu le mot « contrat » dans un sens différent du

sens juridique courant, ce que rien ne permet de supposer (23). L'on

(22) Sur cette question, voy. notàmment P. WIGNY, Droit administratif, Prin­cipes généraux, 1953, n° 216, p. 175 à 180; A. BVTTGENBACH, Manuel de droit administratif, n°8 349 et 350, p. 298 à 302; CH. GoossENS, «Contrat et institu­tion dans les relations du travail» (Travaux du Colloque. sur les Sanctions en droit du travail, tenu à l'Université de Liège les 24 et 25 avril 1961). Sur ce que les deux notions s'excluent mutuellement, voy. WIGNY, loc. cit.; BuTTGENBACH, op. cit., n° 351; cass., 18 décembre 1952, Pas., 1953, I, 266 (voy. p. 268: << ... régle­mentaire et par conséquent. inconciliable avec une situation contractuelle»).

(23) L'article 43, 1°, se réfère à des notions classiques auxquelles le droit civil et le droit du travail donnent une acception précise, dont la définition ne comporte aucune ambiguïté et dont le caractère contractuel n'est pas douteux. C'est évi­demment à ces notions que s'est référé le législateur. Nous avouons ne pas saisir nettement la portée des arguments que l'on fait valoir pour étendre le champ d'application de l'article 43, 1°, au delà du contrat. L'expression << tout autre louage de services »,qui semble être invoquée à cette fin dàns l'arrêt annoté et dans les conclusions du ministère public, est complètement dépourvue de pertinence puisque, bien que ne comprenant pas le terme contrat, elle se réfère toujours, dans le langage juridique, à un contrat. Nous avons cherché en vain dans la doc­trine un exemple de définition du louage de services où l'on ferait abstraction de la notion de contrat : tous les auteurs le définissent comme un contrat ; on parle de louage de services - comm:e de louage de choses, de bail, de vente, etc. -· pour désigner une espèce de contrat. Nous n'apercevons pas davantage quel argument l'on peut tirer de l'expression <<engagements respectifs des gens de travail » qui figure dans la loi de 1876. Outre qu'elle ne peut servir à définir la compétence des prud'hommes, puisqu'elle n'a pas été reprise par le législateur de 1926, elle n'ajoute rien au contenu de l'article 43, 1°, car il est évident que les <<engagements respectifs »visés par la loi de 1876 ne peuvent être que des enga­gements que les parties ont stipulé à l'égard l'une de l'autre par contrat (cf. arti­cles 1779, 1°, et 1780; C. civ.). Nous ne comprenons pas non plus en quoi la mise en relief de ce fait d'évidence qu'en concluant un contrat de travail les parties << se soumettent aux conditions établies par le législateur dans le contrat de tra­vail », peut élargir la notion de contrat. On voit bien, certes, que la Cour essaye par là d'assimiler aux situations contractuelles la situation de << ceux qui se sont

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~e peut, dès lors, se fonder sur lalettre de l'article 43, 1°, pour justifier la compétence des prud'hommes dans l'hypothèse qui nous occupe. : Et pourtant, lorsque l'on analyse les diverses dispositions de la loi,

en ne se bornant pas à les considérer isolément, mais en les rapprochant l'une de l'autre et en les mettant en rapport avec le but social poursuivi, on acquiert la ferme conviction que 1 'intention du législateur a été de confier sans distinction à la connaissance des juridictions prud'homales l'ensemble des relations du travail se nouant entre les sujets de droit qu'il a soumis à ces juridictions. Cette intention apparaît à la lecture de. plusieurs des considérations exposées dans l'arrêt annoté, auxquelles on peut ajouter la volonté qui se dégage des dispositions de l'article 43, 2o à 9°, lesquelles prolongent en quelque sorte celles de l'article 43, 1o, pour constituer au profit des conseils de prud'hommes un domaine de compétence ayant pour objet les relations de travail, dans tous leurs aspects.

Cela étant, comment faut-il comprendre et interpréter l'exigence d'un contrat requise par l'article 43, 1°? Pour y arriver, il importe, à notre avis, de faire une distinction entre les relations de travail qui s'établissent dans le secteur privé et celles qui se nouent dans le secteur public.

Dans les relations de travail du secteur privé - qui constituent le domaine d'application normal .et courant de la compétence des prud'­hommes - l'exigence d'un contrat s'explique aisément. La juridiction prud'homale a été instituée pour connaître des relations de caractère juridique, comportant des obligations réciproques et se caractérisant essentiellement par la· subordination d'une des parties à l'autre dans l'exécution du travail. Or, dans les rapports de caractère privé, l'éta­blissement de relations de telle nature ne peut, en règle normale, résulter que d'un contrat. En effet, en vertu de la liberté individuelle et de la liberté du travail, l'employeur et le travailleur n'ont à assumer que les obligations qu'ils ont volontairement souscrites (cela est particulière­ment vrai pour l'obligation qui incombe au travailleur, en raison de l'état

soumis à un statut réglementaire >>, mais on saisit aussi ce qu'a d'artificiel cette assimilation. Nous ne comprenons pas, enfin, que l'on puisse, à propos des situa­tions réglementaires, parler de « concours de volontés » sans se livrer à un véri­table jeu de mots qui dénature la portée juridique de l'expression. Il est inutile d'aller plus avant : nous sommes en pleine logomachie et la jonglerie verbale que l'on nous présente n'a d'autre résultat que d'obscurcir les notions les plus claires et d'engendrer les plus regrettables confusions.

Quant à l'emploi du mot contrat dans la loi du 23 juillet 1926 pour désigner une situation de caractère réglementaire, il est certes révélateur d'un état d'esprit des auteurs de la loi organique. de la Société nationale des chemins de fer belges, dont il y a lieu de tenir compte dans l'appréciation de la volonté du législateur (voy. inf1·a, note 32). Mais on ne peut tirer de cette qualification incorrecte du statut des agents (voy. supra, note 18) un argument de texte pour attribuer à l'article 43, 1°, une portée extensive couvrant les situations réglementaires. Entre le terme « ~ontrat », employé par cette disposition conformément à l'usage con­sacré par l'ensemble de la législation, et le même mot, utilisé de manière inadé­quate par la loi sur la Société nationale des chemins de fer belges, il n'y a, en réalité, rien de commun.

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de subordination dans lequel le place le louage de services, de se confor­mer aux ordres de l'employeur) et, en droit privé, l'acte juridique per­mettant de souscrire des obligations synallagmatiques est le contrat, en l'espèce le contrat de louage de services, auquel l'article 43, 1o, pré­cité fait allusion (24).

Lorsque l'employeur est rm organisme public, la notion de relation juridique de travail n'est, par contre, nullement solidaire de celle de contrat de louage de services, puisque les personnes publiques peuvent être engagées dans des relations de cette nature avec les agents à leur service autrement que par l'effet d'rm contrat : par voie de règlement. Pourquoi, dans ces conditions, le législateur de 1926, qui a, comme on l'a vu au point précédent, soumis un certain nombre d'organismes publics à la compétence prud'homale, n'a-t-il pas fait mention du règle~ ment ? A-t-il estimé qu'il ne convenait pas d'attribuer la connaissance des relations de caractère réglementaire aux conseils de prud'hommes et qu'il était préférable de les laisser sous la compétence des· juridictions judiciaires ordinaires? A-t-il oublié d'envisager cette situation, peu fréquente et mal connue à l'époque, perdant de vue que les agents des organismes en cause n'étaient pas nécessairement engagés dans les liens d'un contrat de travail ou d'emploi, ou encore a-t-il jugé ne pas devoir prendre en considération tous les modes d'engagement possibles, se bornant à statuer de eo quod plerumque fit, ce qui autoriserait l'inter­prète à assimiler contrat et règlement pour la solution du problème qui nous occupe ? A-t-il été inspiré par un autre motif?

Les travaux préparatoires fournissent quelques indications à ce sujet. Ainsi que le montre M. l'avocat général Dumon, le caractère non con­tractuel des relations des pouvoirs publics avec leurs agents a été évoqué à plusieurs reprises au cours des discussions parlementaires et il l'a été en connexion avec le problème de l'incompétence prud'homale à l'égard des administrations publiques sensu stricto, plus précisément pour justi­fier cette incompétence. Si le législateur a écarté du prétoire des conseils de prud'hommes les administrations précitées, c'est dans rme large mesure parce qu'il a estimé que les agents de celles-ci se trouvaient non dans les liens d'un contrat de louage de services, mais dans une situation réglementaire, et parce qu'il a cru que l'appréciation d'une telle situation, qui relève du droit public, devait nécessairement échap· per à la compétence des tribunaux judiciaires et, par conséquent, des ·consêils de prud'hommes (25).

(24) Le législateur a toutefois attribué à la compétence prud'homale des con­testations relatives au travail qui ne trouvent pas leur source dans un contrat : ce sont les contestations énumérées par l'article 43, 5° à 9°, qui ont pour trait commun d'opposer des personnes entre lesquelles n'existe pas le lien de subor­dination qui caractérise le contrat de louage de services.

(25) Voy. Pas., 1961, I, 979-980 et les déclarations citées. Ces déclarations ont été formulées en réponse à ceux qui voulaient étendre la compétence prud'­homale aux agents des administrations publiques, notamment ceux des che­mins de fer, postes, télégraphes et téléphones, qu'on estimait livrés à l'arbitraire de leurs supérieurs et q.u'on désirait mettre en mesure d'en appeler à un juge

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· Ainsi, pour les auteurs de la loi dû 9 juillet 1926, la compétence prud'­homale· devait s'effacer en cas de relation réglementaire, mais elle le devait, non pour des motifs· tenant à la répartition des compétences entre les juridictions ordinaires· et· les juridictions du travail, mais pour des raisons iJ:lhérentes à la délimitation des compétences judiciaire et administrative;

Le problème est né de ce que la répartition des compétences entre les autorités· ou juridictions ·administratives et le pouvoir judiciaire ne correspond pas, dans la réalité, à l'idée que s'en faisait le législateur en 1926. D'une part, le pouvoir judiciaire se reconnaît compétent pour trancher les contestations survenant entre les pouvoirs publics et leurs agents lorsque ces contestations mettent en jeu des droits individuels, spécialement des droits civils : les cours et tribunaux sont ainsi inter­venus pour- résoudre de nombreux litiges entre les personnes publiques et leurs agents. D'autre part, aucune autorité administrative dotée d'un pouvoir juridictionnel n'a reçu compétence pour juger de tels litiges; le Conseil d'Etat, notamment, n?a que le pouvoir d'a1umler des actes de l'autorité administrative, mais non de statuer, même à l'occasion de l'exercice de sa compétence d'annulation, sur des droits indivi­duels (26).

Il n'y a, certes, pas lieu de s'étonner de l'erreur d'optique du législa­teur· de 1926, la limite des compétences administrative et judiciaire étant à l'époque assez imprécise. Le pouvoir judiciaire, bien qu'il eût, depuis 1920, sensiblement élargi le contrôle qu'il exerce à l'égard de la puissance publique, manifestait encore une certaine réserve dans la mise en œuvre de ce contrôle et n'intervenait pas, notamment dans les rapports des agents avec le pouvoir, avec la même netteté qu'au-

lorsqu'ils étaient injustement punis ou entravés dans leur avancement. On y I'épondait que les relations entre l'Etat et ses agents ne résultent pas d'un contrat de louage de services, que la matière de la compétence faisait donc défaut (voy. Ann. parl., Sénat, 1923-1924, p~ 700 : Rapport Section centrale de la Chambre, Pasin., 1926, p. 543-544). On faisait même cette objection, t~ée du «caractère spécial reconnu au lien de droit qui unit les salariés des administrations publiques à celles-ci >>, en ce qui concerne les agents temporaires, non couverts par la sta­bilité de l'emploi (voy. rapp. Cion au Sénat, Pasin., 1926, p. 536). Le problème a été également évoqué lors de la discussion de la disposition finale de l'article 5 étendant la compétence prud'homale aux agents des régies communales qui. ne bénéficient pas de la stabilité de l'emploi (Ann. parl., Chambre, séances ùes- 3, 10 et 16 décembre 1925, session ord. 1925-1926, p. 101 à 103, 145 à 148, 222 et 223). Il se dégage des débats que le législateur a entendu soumettre les agents des régies à cette compétence dans la mesure où ils sont engagés en vertu d'un contrat de travail ou d'emploi (Déci. Van Dievoet, approuvée par les socialistes, loo. oit., p. 101) et a estimé ne pouvoir faire de même à l'égard des agents titulaires d'une nomination, notamment pour ne pas porter atteinte au pouvoir de l'auto­rité administrative sur ces agents (on a déclaré vouloir laisser à une autre loi le règlement du statut des fonctionnaires; voy. ibid., p. 223).

(26) Voy. notamment cass., 27 novembre 1952, Pas., 1953, I, 184 et conclu­sions du procureur général Cornil-; HUBERLANT, Le Conseil d'Etat et la compétence générale dtt Pouvoir jttdiciaire, n° 12; la compétence de la haute juridiction admi­nistrative subsiste cependant lorsque l'incidence n'est qu'indirecte et accessoire (voy. la note 17).

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jourd'hui (27). Par ailleurs, l'on ignorait .à ce moment l'étendue de la compétence qui serait attribuée à la future juridiction . administrative - Cour de contentieux administratif ou Conseil d'Etat - dont l'insti­tution retenait déjà l'attention des milieux politiques, et .pour laquelle d'aucuns préconisaient une sphère d'attributions plus large que celle qui lui a été reconnue en 1946, en ce qu'elle devait comporter, outre le contentieux de l'annulation, la connaissance de litiges administratifs résultant, entre autres, des relations des pouvoirs publics et de leurs agents (28). Il est, dans ces conditions, aisé de comprendre que des parlementaires éminents aient estimé que, pour déterminer la compé­tence des ·prud'hommes, il y avait lieu de faire abstraction de ces rela­tions : il ne pouvait être question de soustraire aux tribunaux ordi­naires une compétence qui, croyait-on, ne leur appartenait pas.

L'attitude du législateur n'en pose pas moins pour l'interprète le problème délicat de déterminer si, en présence d'une restriction de com­pétence fondée sur un motif dépourvu de réalité, il doit faire prévaloir cette restriction parce qu'elle a été formulée ou s'il doit, au contraire, se refuser à en tenir compte parce que le motif qui l'inspire est inexistant.

Cette question ne pe:ut re.cevoir une réponse générale et absolue : to:ut dépend de la façon dont la restriction a été formulée, du car!'tctèrè plus ou moins déterminant. du motif qui l'a inspirée, du degré de pro­babilité avec lequel on peut apprécier quelle aurait été la. volonté du législateur s'il avait connu la situation réelle, etc. .

Pour la résoudre, il importe de distinguer le problème de la compé­tence prud'homale à l'égard des administrations publiques au sens strict du terme et celui .de la même compétence à l'égard des autres organismes publics.

En ce qui concerne les administrations publiques au sens strict, la solution ne peut faire de doute :la restriction doit prévaloir parce qu'e~le s'est traduite par une exclusion de compétence formuléè de façon expresse dans le texte législatif lui-même (29) et qu'elle ne repose pas uniquement

(27) L'intervention des tribunaux judiciaires dans la protection des droits des fonctionnaires s'est manifestée surtout à partir de 1934, avec la reconnaissance du droit civil à la pension, pour s'étendre par la suite aux différents droits de l;,.t fonction. Voy. à ce sujet notre étude sur les droits individuels, Ann. Dr. Liège, 1960, p. 188 et la note 42, p. 189 et la note 45.

(28) Voy. la proposition de la commission extraparlementaire constituée en 1921 : <<La loi peut instituer une juridiction chargée de statuer sur les litiges administratifs qu'elle désignera » (cité par L. MouREAU, L'institution du recours pour excès de pouvoir en Belgique, p. 241). Parmi ces « litiges administratifs » devaient incontestablement figurer, dans l'esprit des publicistes de l'époque et conformément au droit administratif français généralement pris pour modèle, les contestations entre l'administration et ses agents. Que cette perspective ait été celle du législateur de 1926, résulte de déclarations non équivoques formulées au cours des travaux préparatoires (voy. conclusions Dumon, Pas., 1961, I, p. 979 et 980).

(29) C'est l'incompétence ratione personae du conseil de prud'hommes examinée au point précédent. - La même solution doit être adoptée, pour le même motif, en ce qui concerne les agents des régies communales lorsqu'ils bénéficient de la stabilité de l'emploi (voy. supm, la note 25, in fine).

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SUr le motif critiqué plus haut, mais procède également d'autres consi­dérations (30), de telle .sorte qu'en en faisant abstraction, l'on irait manifestement à l'encontre de la lettre du texte et l'on méconnaîtrait la volonté nori équivoque du législateur.

· En ce qui concerne les organismes publics auxquels le législateur de 1926 n'a pas reconnu là qualité d'administrations publiques, la situa~ tion est très différente. L'on ne se trouve plus en présence d'administra­tions exclues du prétoire des conseils de prud'hommes en vertu d'un texte formel; l'on a au contraire affaire à des organismes que le législa­teur a expressément voulu soumettre à la compétence de ces juridic­tions. Cette volonté a été exprimée sans réserve et sans être affectée, au moins de façon directe et explicite, d'une ·restriction de compétence en ce qui concerne les relations de caractère réglementaire, cette restric­tion. ayant été formulée uniquement à propos des administrations publi­ques stricto sensu ( 31) et non à propos des organismes qui retiennent pour l'instant notre attention. Lâ seule difficulté tient au libellé de l'article 43, 1°, qui est rédigé en termes insuffisamment compréhensifs pour rendre pleinement compte des solutions qui découlent de l'objectif poursuivi par le législateur, état de choses qui semble, en dernière ana­lyse, provenir de ce que les auteurs de la loi de 1926, qui différenciaient mal, on 1' a vu, les associations de droit public des entreprises privées d'utilité publique, ne soupçonnaient pas que leurs agents pourraient se trouver dans une situation réglementaire (32).

{30) Outre cet argument, l'on a fait valoir que les administrations publiques n'étaient pas des employeurs. On a aussi invoqué les difficultés d'ordre pratjque que soulevait la soumission des administrations au conseil de prud'hommes, en ce qui concerne l'organisation du conseil et la représentation de l'Etat auprès de cet organisme. paritaire : on a notamment fait observer que les partisans de cette manière de voir n'avaient formulé aucune proposition concrète à cet égard et l'amendement qu'ils avaient présenté a été écarté parce que, a-t-on dit, la question n'était pas mûre (voy. Pasin., 1926, p. 544).

(31) Voy. sup1·a, p. 67 et la note 25. La question de la nature spéciale du lien qui unit les administrations publiques à leurs agents a été invoquée sur le plan de la compétence ratione personae et non sur celui de la compétence ratione materiae, et cela non seulement pour les agents des administrations en général non consi­dérées comme employeurs (voy. note 30), mais même en ce qui concerne les agents des régies communales (on considérait en quelque sorte que la compétence ou l'incompétence était liée à la personne de l'agent «contractuel »ou cc statutaire »). Mais il est certain que c'est, par nature, un facteur tenant à la matière et non aux personnes.

(32) Cela est particulièrement vrai pour la Société nationale des chemins de fer belges. Certains pensaient qu'en créant cette société, dont les actions devaient, dans leur majorité, être attribuées à des particuliers, l'on avait remis la gestion des chemins de fer à un organisme privé concessionnaire d'un service public, passant avec sas agents des cc contrats de louage d'ouvrage rentrant dans le cadre de l'article 1710 du Code civil» (voy. cons. prudh. Bruxelles, 21 décembre 1928, J. L. O., 1929, p. 21). On pouvait invoquer en ce sens les déclarations faites par le premier ministre .Jaspar au cours de la discussion de la loi du 23 juillet 1926, lequel assurait que << les agents de la Société nationale des chemins de fer belges ne seront pas des fonctionnaires publics » (Ann. parl., Sénat, 22 juillet 1926, p. 1137, col. 2; Pasin., 1926, p. 751) et déclarait leurs conditions d'engagement non incompatibles avec celles d'entreprises privées analogues, telles les grandes

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Il est, dans ces conditions, permis de faire abstraction de la restric­tion prérappelée, qui n'a pu, dans l'hypothèse considérée, affecter la volonté du législateur (33), et cela d'autant plus que la manière de voir -opposée conduit à des solutions tout à fait anormales, que n'ont pu -désirer les auteurs de la loi.

En effet, en limitant la compétence des prud'hommes au domaine des relations visées par l'article 43, 1° :

- on écarte en fait les organismes d'intérêt public du prétoire de cette juridiction non pour un nombre limité de litiges mais pour la très grande majorité sinon pour la totalité des contestations les mettant aux prises avec leurs agents (et cette conséquence ne fait que s'accroître avec la généralisation des situations réglementaires), au mépris de la volonté, clairement exprimée par le législateur, de soumettre ces orga­nismes à la compétence prud'homale;

- ort attribue les contestations en cause à la connaissance des seules juridictions auxquelles le législat13ur n'ait pas songé à les confier, car si les auteurs de la loi de 1926 ont admis que la compétence prud'homale s'efface éventuellement devant la compétence administrative en ce qui concerne les relations de travail de caractère réglementaire, ils n'ont à aucun moment expressément o-q. implicitement manifesté la volonté de les soumettre à la compétence des tribunaux ordinaires ;

- on établit entre les agents de régime contractuel et les agents de statut réglementaire une différence de traitement absolument illogique, qui ne trouve aucun fondement dans la loi ; nous cherchons en vain l'élément, tenant à la nature respective des conseils de prud'hommes et des autres juridictions judiciaires, qui militerait en faveur de la com­pétence des premiers lorsque la relation de travail a un caractère contrac­tuel, et de celle des secondes lorsque cette relation a un caractère régle­mentaire; à la vérité, les raisons que le législateur a pu avoir d'accorder la préférence aux prud'hommes sur les tribunaux ordinaires valent pour toutes les relations de travail, qu'elles découlent d'un contrat ou d'un règlement.

,compagnies françaises (Ann. parl., Chambre, 17 juillet 1926, p. 2302, col. 2); on pouvait également invoquer le mode d'élaboration du statut des agents (dis­_cuté au sein d'une commission paritaire), ainsi que l'emploi du mot «contrat,, dans l'article 13 de la loi. Tout cela procède certes d'une analyse incorrecte du lien qui unit les agents à la Société nationale des chemins de fer belges, lequel .est de caractère réglementaire (voy. supra, notes 17 et 18), mais est révélateur de l'état d'esprit du législateur de 1926, qui n'a pas vu de différence de nature entre les relations de travail se nouant entre la Société nationale des chemins de fer belges et ses agents et celles qui découlent d'un louage de services conclu dans le secteur privé.

(33) Il va sans dire que si la restriction avait eu un fondement réel, la compé­.tence prud'homale aurait dû ~ par identité de motif ~ être écartée pour les agents réglementaires des organismes qui retiennent notre attention aussi bien que pour les agents des administrations publiques proprement dites, nonobstant le fait que le législateur n'a pas prévu cette exclusion de compétence dans le premier cas.

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Il est dès lors impossible de s'en· tenir à la lettre de l'article 43, Io, qui conduit aux conséquences véritablement aberrantes qui viennent d'être énoncées, et il convient de dépasser le cadre de cette disposition pour aboutir à des solutions plus conformes à l'économie et au but social de la loi. On objecterait vainement à cette manière de procéder que, le conseil de prud'hommes étant une juridiction d'exception, les disposi­tions qui déterminent sa compétence sont de stricte interprétation (34). L'objection est sans portée dans la question qui nous occupe, parce que cet argument, qui est fondé sur la volonté présumée du législateur de n'avoir dérogé à la compétence de droit commun que loi'squ'ill'a expressé­ment stipulé dans un texte, ne peut être opposé à cette volonté claire­ment exprimée (35). On notera d'ailleurs que si l'interprétation proposée va «au-delà» de la lettre de l'article 43, 1°, elle ne vas pas «à l'encon­tre» de cet article, ni d'ailleurs d'aucune disposition de la loi (36), qu'elle reste, en tout état de cause, dans les limites de l'article 1er de la loi qui définit la mission de la juridiction prud'homale (37) et qu'en définitive, elle ne s'écarte de la lettre du texte que pour rester fidèle à son esprit.

(34) Voy. A. FETTWEIS, Organisation judiciaire, compétence et procédure civile (Notes de cours), Liège, 1959 (Ronéo), fasc.ll, p. 264: <<Le conseil de prud'hommes est une juridiction d'exception. : il ne peut connaître que des seu_les causes qui lui sont attribuées par une disposition légale expresse », - On notera que l'~:~,rgu­mentation de la dour et de son avocat général, qui rattachent directement ·au texte de l'article 43 la solution proposée, évite cette objection. Affirmant le carac­~ère général de cette disposition, M, Dumon invoque très log~quement, pour écarter l'argument que l'on pourrait déduire des déclarations restrictives formulées au cours des travaux préparatoires; que seules des dérogations légales expresses sont susceptibles de restreindre la portée de l'article 43. Mais, étant donné que cet article n'a pas, selon nous, la portée qu'on veut lui attribuer et qu'il ne s'agit pas d'en restreindre mais plutôt d'en étendre l'application, l'objection à laquelle nous venons de faire allusion. doit bien être rencontrée.

(35) La règle de la «stricte interprétation » en ce qui coi:J.Cerne les juridictions d'exception est fondée sur l'idée que, la compétence des tribunaux de première instance étant, selon la loi, de principe, échappent uniquement à la connaissanc~ de ces tribunaux les litiges que le législateur a, d'une manière n.on équivoque, entendu soustraire à cette compétence, de sorte qu'en cas de doute sur la volonté du législateur, il faut se prononcer en faveur de la compétence de droit commun. Un tel raisonnement serait sans pertinence dans la question qui nous occupe, étant donné qu'il ne subsiste aucun doute sur la volon té du législateur de ne pas maintenir la compétence des juridictions ordinaires : cette compétence était, dans son esprit, exclue de toute façon.

(36) La situation n'est nullement comparable à celle des agents des régies com­munales; à propos de laquelle il existe une disposition formelle exprimant la volonté non équivoque du législateur d'exclure de la compétence prud'homale les agents bénéficiant de la stabilité de l'emploi (voy. supra, note 25, in fine). On ne trouve, dans l'hypothèse qui nous occupe pour l'instant, aucune manifesta­tion de volonté similaire, expresse ou tacite. L'article 43, 1°, tout en se trouvant limité par la signification des expressions qu'il emploie, n'a pas été rédigé en termes restrictifs, mais sous une forme que le législateur a voulue compréhensive.

(37) On ne peut, assurément, se fonder exclusivement sur la disposition de l'article 1er pour définir la compétence matérielle des conseils de prud'hommes, étant donné que la loi contient, sur cet objet, une autre disposition plus précise et plus circon.stanciée. Mais il n'est nullement interdit de prendre en considéra­tion la mission définie à l'article 1er et de la combiner avec d'autres éléments pour en déduire la volonté du législateur.

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Nous estimons, en conclusion, que c'est à juste titre que l'arrêt annoté s'est prononcé en faveur de la compétence du conseil de prud'hommes, bien que ses motifs ne puissent recevoir notre entière adhésion {38).

III.

La solution consacrée par l'arrêt du 12 mai 1961 ne se justifie toute­fois que dans les limites définies au début de cette étude, c'est-à-dire dans le cadre d'un problème de délimitation de compétence entre juri­dictions se ratt~chant au Pouvoir judiciaire. C'est en fonction de ces données que la question a été examinée dans les deux précédentes parties et qu'ont été élaborés les arguments exposés en faveur de la compétence prud'homale : ces arguments visaient simplement à établir qu'à l'égard des contestations· portant sur les relations de travail relevant de la com­pétence des tribunaux judiciaires, le conseil de prud'hommes est la juri­diction légalement qualifiée pour statuer.

Mais le problème de la compétence peut - de lege ferenda - être envisagé dans un cadre plus large, débordant celui d'une répartition de compétenoe entre les tribunaux de l'ordre judiciaire, et alors laper-spective se modifie sensiblement. .

Il n'est nullement impossible de concevoir que le législateur, dans le çadre d'une réorganisation d'ensemble du contentieux administratif du premier degré, décide de soumettre à la connaissance de juridictions administratives spécialisées les contestations surgissant entre les pou­voirs publics et leurs agents, - non plus seulement en ce qui concerne l'annulation des actes administr11tifs qui causent grief à ces agents, mais encore en ce qui concerne l'appréciation de leurs droits individuels.

Il n'existe, à notre avis, aucun obstacle d'ordre constitutionnel s'oppo­sant à une initiative de ce genre, parce que, contrairement à ce qu'affirme une opinion largement répandue mais mal informée, les droits que les agents publics- tout au moins les agents proprement dits, c'est-à-dire soumis à un régime réglementaire - tirent de leur statut fonctionnel n'ont pas le caractère de droits civils (39).

(38) Peut-être serait-il opportun - sous réserve de ce qui sera dit ~u point suivant - que le législateur, afin d'éviter toute controverse dans l'avenir, donne force de loi à la solution admise par la Cour (voy. dans ce sens, la proposition de loi déposée à la Chambre des représentants, Doc. parl., session 1959-1960, n° 582). Il conviendrait qu'à cette occasion le législateur revoie les concepts et la terminologie dont il a fait usage - administration publique, contrat et règlement - afin de les adapter à l'évolution récente du droit. Il serait par ailleurs utile que l'attention du législateur soit attirée sur la disparité qui existe entre les insti­tutions du droit du travail qui requièrent la présence d'un contrat (ainsi, en prin­cipe, les accidents du travail, la sécurité sociale) et celles qui s'accommodent du règlement (ainsi, la compétence prud'homale, depuis l'arrêt annoté); voy. sur ce point, HORION, <<Droit social et secteur public))' Ann. Fac. Dr. Liège, 1956, p. 23 à 54; HUBERLANT, Rec. jur. dr. admin., 1960, p. 255-256.

(39) CH. GoosSENS, << Recherches sur les critères de dist;inction des droits individuels : droits civils, droits politiques, droits administratifs ))' Ann. Fac. Dr. Liège, 1960, p. 14:9 à 285; voy. sur ce point p. 253 à 256; contra: les autorités

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Cette réforme aurait le grand avantage d'unifier le contentieux de la fonction publique, actuellement écartelé entre le Conseil d'Etat, statuant à l'annulation, et les tribunaux judiciaires chargés de garantir les droits des agents, dualité de juridictions qui est une source de conflits et d'incertitudes - la ligne de partage des compétences étant assez malaisée à déterminer exactement (40)- en même temps qu'un obstacle au bon règlement du contentieux, aucune des juridictions compétentes ne disposant d'un pouvoir de statuer s'étendant à l'ensemble des éléments des .situations fonctionnelles. Un regroupement. des compétences au sein de tribunaux administratifs investis d'un pouvoir de pleine juridiction et statuant sous réserve de recours au Conseil d'Etat, remédierait à cet état de choses. Pleinement adaptées, par _leur nature administrative et la composition qui pourrait leur être donnée (41), aux propriétés .spécifiques des situations réglementaires de droit public, investies d'une _compétence su:ffisa1ll1llent large pour acquérir une vision d'ensemble des ·situations fonctionnelles, dotées d'un pouvoir de décision leur per-

auxquelles il est renvoyé aux notes 154 et 155; on notera que l'arrêt commenté ne fait pas appel à la notion de droit civil, mais les conclusions de M. Dumon en font état (voy. notamment Pas., 1961, I, p. 332), de même que le premier arrêt du 8 février 1952 l'invoquait dans ses motifs (voy. Pas., 1952, I, p. 332).

Dans l'étude précitée, nous dénions le caractère civil des droits des agents soumis à un régime réglementaire, en nous fondant fiur·le fait que ces droits décol.}:­lent d'un statut réglementaire qui est un statut de droit public, - contrairement à la tendance d'une partie de la doctrine qui voit dans les droits individuels des agents, lorsqu'ils ont un caractère pécuniaire, des droits civils, même quand ils ont leur source dans des règlements de droit public (op. cit., note 180, p. 267 .. 268). On trouve dans un arrêt récent l'affirmation expresse de la nature de droit public du statut des agents soumis à un régime réglementaire (cass., 29 avril 1960, Pas., 1960, I, p. 1005). C'est, sauf erreur de notre part, une tendance nou­velle; manifestation de l'influence publiciste sur la jurisprudence de la Cour, mais il faudra sans doute .encore un certain temps avant qu'elle ne se répercute sur le plàn des droits subjectifs.

On notera que notre conception ne nous conduit pas à dénier la compétence judiciaire en ce qui concerne les droits des agents des personnes publiques : nous reconnaissons cette compétence, même à l'égard des droits dépourvus de carac· tère civil ; nous estimons simplement que le législateur est libre de soustraire à la compétence précitée les litiges qu'il juge opportun de confier à des juridictions administratives (op. cit., p. 237 à 239). · (40) Voy. les analyses pénétrantes de M. HUBERLANT dans l'étude déjà citée : Le Conseil d'Etat et la compétence générale du Pouvoir judiciaire, elles révèlent la complexité du problème.

(41) Si le conseil de prud'hommes est plus apte que les tribunaux ordinaires à statuer sur les contestations qui nous occupent, parce qu'il s'agit de relations du travail, la juridiction de la fonction publique sera plus qualifiée encore, car ce « conseil de prud'hommes administratif >> pourra être composé spécialement en fonction des parties en présence (notamment des différentes administrations) et du genre de litiges à trancher (en l'espèce, les droits des travailleurs du secteur public envisagés en rapport avec les particularités du fonctionnement des services administratifs). Lors de la discussion de la loi de 1926, le député Jacquemotte avait proposé d'étendre la compétence de conseils de prud'hommes aux admi· nistrations publiques, en créant à cet effet. des chambres spéciales, résultant d'élections particulières (voy. Pasin., 1926, p. 557). C'était reconnaître la néces­sité d'une spécialisation, que nous cherchons à réaliser de façon plus adéquate par la création de juridictions administratives.

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mettant de prendre toutes mesures nécessaires à la protection des droits individuels (reconnaissance de ceux-ci, annulation des mesures admi­nistratives qui y font obstacle, condamnation de l'administration aux prestations pécuniaires nécessaires ·à la satisfaction des droits mécon­nus, etc.), ces juridictions seraient en état d'édifier une jurisprudence cohérente en ce qui concerne le droit de la fonction publique.

L'institution de juridictions de la fonctimi publique aurait inévita­blement pour effet de modifier l'interprétation qui doit être donnée à la loi de 1926 : elle donnerait en. effet réalité à l'élément sur lequel le législateur s'était fondé à l'époque pour restreindre la compétence pru:d'­homale à l'égard des agents dotés d'un statut réglementaire, élément dont l'absence est, on l'a vu, à la base du système d'interprétation large de cette compétence que la Cour a fait triompher.

Au regard des juridictions de la fonction. publique, il ne serait plus possible de faire abstraction de la qualité d'administration publique de la Société nationale des chemins de fer belges et des institutions simi­laires comme lorsqu'il s'agit de répartir les compétences au sein de l'ordre judiciaire.

Il serait, de même, impossible de faire abstraction de la différence entre les situations réglementaires et les situations contractuelles. Cette différence prendrait sa pleine signification et sortirait toutes ses consé­quences : le lien de type réglementaire, qui donne lieu à un statut de droit public, serait dévolu à la juridiction administrative, tandis que le 'lien contractuel, qui donne lieu à un statut de droit privé, resterait de la compétence judiciaire. Une telle différenciation serait tout à fait logique alors que, dans l'état actuel des choses, une distinction du statut et du contrat n'a sur le plan juridictionnel-limité au cadre judiciaire-'­absolument aucun sens (42).

Ce n'est donc plus la nature de l'organisme (43), mais celle du lien qui unit cet organisme à ses agents, qui déciderait désormais du par-

(42) On notera que, déjà à l'heure actuelle, la nature contractuelle ou régle­mentaire du lien se nouant entre une administration et ses agents est susceptible d'avoir une influence sur la compétence : l'existence d'un contrat est de natu),'e à réduire la compétence du Conseil d'Etat, dont le pouvoir d'annulation disparaît dans la mesure où les actes attaqués se rattachent à l'exécution d'un contrat (jurisprudence constante, voy. notamment Conseil Etat, 1er décembre 1950, Rec. J"ur. dr. adm., 1951, p. 98, ainsi que les décisions citées à la note 44,) et d'éten­dre en principe la compétence de la juridiction prud'homale à tout ce qui concerne l'exécution du contrat, alors que, lorsqu'il n'y a pas contrat, la compétence des prud'hommes concernant les mesures prises à l'égard de l'agent est plus circon­scrite, les juridictions judiciaires n'ayant alors le pouvoir de se prononcer sur une demande tendant à l'anéantissement d'un acte de l'administration que lorsque cet acte met directement en jeu un droit civil. Cette influence de la nature con­tractuelle ou réglementaire du lien sur la compétence explique la contradiction apparente entre l'arrêt du 27 novembre 1959 et l'arrêt annoté (voy. la note 19).

(43) Il y a, dans le système actuel, un état de choses profondément illogique : alors que les agents des associations de droit public relèvent du conseil de prud'· hommes même lorsqu'ils ont un statut réglementaire, les agents des administra­tions traditionnelles et des établissements publics ne bénéficient pas de cette juridiction, même lorsqu'ils ont un caractère contractuel.

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tage des compétences. Une administration publique, au sens moderne et large de cette expression, quelle que soit sa nature (administration centralisée, administration personnalisée, établissement public ou asso­ciation de droit public}, apparaîtrait comme une autorité administra­tive à l'égard de ses agents engagés dans les liens d'une relation régle­mentaire, et comme un employeur à l'égard de ses ouvriers et. employés se trouvant dans les liens d'un contrat de louage de services. Dans la première hypothèse, il y aurait compétence. de la juridiction de la fonc~ tion publique, dans la seconde, compétence du conseil de prud'hommes.

Cette :rp.anière de procéder apporterait au problème de la compétence juridictionnelle dans les rapports des personnes publiques avec leurs agents et préposés, une solution souple et parfaitement adaptée aux nécessités : la compétence administrative interviendrait dans la mesure · où ces personnes, en raison de leurs fonctions spécifiques, recourraient, dans leurs relations avec leurs agents~ aux procédés du droit public, tandis que l~:t compétence judiciaire subsisterait dans la mesure où elles s'en tiendraient aux procédés du droit privé (44).

CHARLES GoossENS,

PROFESSEUR A L'UNIVERSrrÉ DE LIÈGE,

( 44) Cela signifie que la compétence des prud'hommes resterait exceptionnelle pour les administrations traditionnelles et qu'elle serait plus large- pour autant que la tendance, excessive selon nous, au développement du statut réglementaire ne se généralise pas complètement - en ce qui concerne les établissements publics et les associations de droit public (entre lesquels il n'y a. pas lieu,· à notre avis, de faire de différence quant au problème de compétence qui -nous occupe ici). -Sur la possibilité de trouver des agents de statut contractuel : dans les établisse­ments publics, voy. la note 17 ainsi que Conseil d'Etat, 8 janvier 1960, Rea. ju1·. dr. adm~, 1960, p. 25 et observations LIGOT, et Conseil d'Etat, 13 et 23 septembre 1960, ibid~, 1961, p. 8 et 9 et observations DEBRA; dans les commissions d'assis­tance publique, voy. cass., 7 octobre 1943, Rea. jur. d1•. adm., 1946, p. 89 et obser­vations L. MouREAU; dans l'administration centrale, lorsque le législateur ou l'autorité administrative le décident, voy. BUTTGENBACH et DEMBOUR, Rea. jur. dr. adm., 1958, p. 8.