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Centre d'Etudes Internationales de la Propriété Industrielle COURS DE DROIT AMERICAIN DES BREVETS * Nicolas Seckel & Philippe Signore * sur la base du cours de M. Robert Signore Année 2003-2004

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Centre d'Etudes Internationales de la Propriété

Industrielle

COURS DE DROIT AMERICAIN DES BREVETS

*

Nicolas Seckel &

Philippe Signore

*

sur la base du cours de M. Robert Signore Année 2003-2004

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INTRODUCTION

GENERALITES SUR LE DROIT AMERICAIN DES BREVETS :

SON ORIGINE ET SA PLACE DANS LE DROIT AMERICAIN

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CHAPITRE I

ORIGINE DU DROIT AMERICAIN DES BREVETS Le droit américain des brevets tire son origine du droit anglais des Lettres Patentes. S'il a reconduit nombre de dispositions du droit anglais, le droit américain des brevets a cependant marqué une révolution en la matière. C'est ce double caractère de continuité et de rupture qu'il faut analyser en premier lieu.

SECTION I

LES LETTRES PATENTES ANGLAISES § 1. Les principes Selon une très ancienne règle de la "Common Law" anglaise (la ou le "Common Law" est une branche du droit rassemblant les coutumes et toutes les décisions de justice), il entrait dans les prérogatives royales de pouvoir attribuer une partie du domaine public à une personne privée, à charge pour celle-ci de l'exploiter pour le plus grand profit de tous. C'est dans cet esprit que le principe des Lettres Patentes avait été instauré. Des articles manufacturés, dont la fabrication ou le commerce n'étaient pas connus ou mis en oeuvre dans le royaume ("not before known or worked in the realm"), pouvaient faire l'objet de privilèges royaux par lesquels leur commerce était réservé à une personne. La concession de ces privilèges était rendue publique au moyen de

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"Lettres ouvertes" ou Lettres Patentes (du latin "Litterae patentes") portant le sceau royal et indiquant "ouvertement" l'identité du privilégié et l'objet du privilège (par opposition à la lettre de cachet, pour laquelle un sceau clôt la lettre et en cache le contenu). § 2. Les abus Le système anglais des Lettres Patentes se pervertit peu à peu. La Couronne vit, en effet, dans l'octroi de ces privilèges, un moyen commode pour remplir ses caisses. En contradiction avec la règle de la Common Law selon laquelle la Lettre Patente ne pouvait porter que sur un article inconnu dans le royaume, le Souverain se mit à délivrer des privilèges pour des articles d'usage courant, dont le développement n'exigeait nullement le recours à de telles exceptions. C'est ainsi que sous le règne d'Elizabeth (1533-1603), Sa Très Gracieuse Majesté accorda à l'un de ses favoris le droit exclusif de vendre le sel dans le royaume. Le résultat ne se fit guère attendre : le prix du sel fut multiplié par 10. En 1603, un procès retentissant eut lieu à Londres à propos de Lettres Patentes accordées pour des jeux de cartes (DARCY v. ALLEN). Ce fut l'occasion pour le Tribunal de rappeler la règle fondamentale d'attribution des monopoles par le Souverain. C'est pour tenter de mettre fin à ces pratiques litigieuses que le Parlement anglais, sous le règne de Jacques 1er, vota en 1624 une loi essentielle : le "Statute of Monopolies". § 3. Le "Statute of Monopolies" Aux termes de ce "Statute" (ou loi écrite par opposition à la Common Law) toutes les Lettres Patentes passées étaient abrogées (articles I à V). Par exception, ne restaient valables que les Lettres Patentes délivrées au "premier et véritable inventeur"

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("first and true inventor") (article VI). Par ailleurs, ces Lettres ne pouvaient être accordées que pour une durée limitée, à savoir 14 ans. Il est généralement admis que le "Statute of Monopolies" constitue le fondement du droit moderne des brevets. § 4. Les Lettres Patentes dans le Nouveau Monde Lorsque les colonies anglaises s'établirent dans le Nouveau Monde, toute la "Common Law" anglaise s'y trouva transplantée, en particulier la part relative aux Lettres Patentes. Le Massachusetts accorda en 1641 des Lettres Patentes à Samuel WINSLOW pour un procédé original de préparation du sel et en 1646 à Joseph JENKES pour une machine à couper l'herbe. Le Connecticut développa plus que toute autre colonie la pratique des Lettres Patentes. Cette colonie promulgua plusieurs lois en la matière, dont une en 1672.

SECTION II

LE NOUVEAU DROIT AMERICAIN § 1. La Déclaration d'Indépendance Le 4 juillet 1776 retentit la Déclaration d'Indépendance. Les colonies se considérèrent comme relevées de toute fidélité à l'égard de la Couronne britannique. Tout lien juridique fut dissout avec l'Angleterre.

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Une Convention se tint à Philadelphie en 1787 aux fins de préparer et adopter une Constitution pour les futurs "Etats-Unis d'Amérique". Un comité comprenant un membre de chaque Etat adopta, notamment, la proposition suivante : le Congrès aura le pouvoir de favoriser le progrès de la Science et des Techniques en assurant, pour un temps limité, aux auteurs et inventeurs le droit exclusif à leurs écrits et découvertes respectifs. § 2. Le fondement constitutionnel Le 11 septembre 1787, la Constitution des Etats-Unis d'Amérique était signée par les délégués de neuf Etats. La disposition relative au droit d'auteur et au droit des brevets était ainsi rédigée dans la Constitution :

Congress shall have power ... "to promote the progress of science and useful arts by securing for limited times to authors and inventors the exclusive right to their respective writings and discoveries". (Art. I, sect. 8, par. 8).

Cette disposition constitutionnelle est toujours en vigueur aujourd'hui. § 3. La première loi Le 4 mars 1789, le premier gouvernement des Etats-Unis d'Amérique fut constitué. Au cours de sa seconde session, le Président George WASHINGTON pressa les Représentants de légiférer en matière de brevets d'invention et de droit d'auteur, comme l'avait prévu la Constitution.

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Le 10 avril 1790, George WASHINGTON signa la première loi américaine sur les brevets d'invention. Selon cette loi, la Lettre Patente n'est plus un privilège, dont l'octroi serait laissé à la discrétion du souverain, mais un droit, dont bénéficie tout inventeur dès lors qu'il est le premier. Les grands thèmes de la brevetabilité des inventions, tels qu'on les connaît aujourd'hui, sont déjà inscrits dans cette première loi :

- notion de catégorie d'inventions brevetables (procédé, article manufacturé, machine et perfectionnement),

- notion d'utilité de l'invention, - caractère premier et authentique de l'inventeur.

La condition de non évidence s'ajoutera longtemps après (en 1952). Pour ce qui est des effets du brevet, les actes de fabrication, d'utilisation et de vente sont déjà des actes de contrefaçon. S'y ajouteront plus tard l'incitation à contrefaire, la contrefaçon indirecte, l'importation. § 4. Le caractère fédéral de la loi Le rattachement de la loi sur les brevets à la Constitution fédérale est d'une grande importance juridique dans le cas de la Fédération que constituent les Etats-Unis d'Amérique, car il confère à cette loi un caractère fédéral. La loi sur les brevets s'applique donc à tous les Etats de la Fédération. Cette source de droit fédérale l'emporte sur toute source de droit des Etats (suprématie fédérale prévue à l'article 6, alinéa 2 de la Constitution). Tout contentieux relatif aux brevets est donc porté devant les juridictions fédérales. Il en va de même pour la loi sur le "Copyright" fondée, elle-aussi, sur la Constitution. Tel n'était pas le cas, en revanche, du droit des

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Marques, non prévu initialement en tant que tel dans la Constitution, et qui resta longtemps de la seule compétence des Etats. La première loi sur les Marques, de 1870, fut même déclarée inconstitutionnelle par la Cour Suprême en 1879. Le caractère fédéral de la loi sur les Marques se fonde aujourd'hui sur une disposition de la Constitution relative au commerce inter-états. § 5. La continuité du droit américain En complément de son caractère révolutionnaire (suppression des prérogatives royales), la première loi américaine de 1790 conserva certaines dispositions qui figuraient déjà dans le "Statute of Monopolies" anglais de 1624. En particulier, elle reprit cette disposition selon laquelle le brevet ne pouvait être accordé qu'au premier et véritable inventeur ("first and true inventor"). Ainsi, contrairement à une idée répandue, le système d'attribution du brevet au premier inventeur ("first-to-invent system") n'est pas une création américaine. C'est un principe déjà bicentenaire à cette époque (si l'on considère que le "Statute of Monopolies" de 1624 ne faisait que déclarer explicitement un principe jusque là implicite). Cette origine anglaise du "first-to-invent system" explique d'ailleurs pourquoi ce système fut appliqué plus tard dans tout le Commonwealth. Tout au plus, la loi américaine innova-t-elle en matière d'authenticité de l'inventeur ("true inventor"). Alors qu'en droit anglais, comme rappelé plus haut, la nouveauté d'une invention présentait un caractère territorial (l'invention devait être nouvelle "dans le royaume") et s'accommodait de l'importation d'inventions connues à l'étranger, l'authenticité au sens américain devint absolue : le véritable inventeur était celui qui avait découvert, par son propre génie, la chose inventée. Celui qui prendrait connaissance d'une invention à l'étranger et

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l'introduirait ensuite sur le territoire américain, ne serait pas un inventeur authentique. La première Lettre Patente américaine fut délivrée en 1790.

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CHAPITRE II

GENERALITES SUR LE DROIT AMERICAIN Si le Droit français s'inspire du droit Romain, le Droit américain, lui, relève d'une autre famille juridique, qui est celle du Droit anglo-saxon dit de la Common-Law (ou du Common-Law). Pour les héritiers du Droit Romain, la règle de droit est édictée par le Législateur. Le juge doit l'appliquer pour statuer sur le cas qui lui est soumis. Dans les pays anglo-saxons, la pratique est inversée : le juge examine les faits particuliers de la cause qui lui est soumise et recherche, non pas la règle de droit qui s'applique, mais les décisions antérieures rendues dans des causes similaires. Il statue alors dans le sens des décisions antérieures : c'est la règle de l'autorité des précédents. Toutes les décisions rendues pourront ensuite, et éventuellement, inspirer le Législateur. Celui-ci promulguera une Loi qui n'énoncera pas une règle générale mais qui rassemblera les différentes solutions apportées par les tribunaux. La première source du Droit anglo-saxon est donc judiciaire et non législative. Le droit ("the law") se crée progressivement, cas par cas (on parle donc de "case law", littéralement de "droit des cas", ou encore, si l'on veut, de "jurisprudence"). La loi écrite ("the Statute") est une source de droit essentielle, mais le plus souvent, elle ne précède pas la jurisprudence, elle la suit. A côté du Droit de la Common Law s'est développé un autre Droit qui est celui de l'"Equity". Par l'équité, il est possible de corriger ou de compléter la Common Law, qui, dans l'application stricte de la règle de l'autorité du précédent, pourrait conduire à des erreurs ou des abus. Ces caractères du Droit anglo-saxon se sont quelque peu atténués dans leur transfert aux Etats-

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Unis d'Amérique. D'abord, parce que les Américains ont tenu à marquer leur indépendance vis-à-vis de l'Angleterre ; ensuite parce qu'il existe une Constitution écrite outre-Atlantique ; enfin, parce que le caractère fédéral de la nation américaine rend difficile l'application stricte de la règle des précédents et complique la Common Law. Mais la distinction avec le Droit français demeure. Dans l'étude du Droit américain des brevets, il ne faut donc pas s'attendre à toujours trouver une loi qui énoncerait des règles générales, comme le fait la loi française. On trouvera souvent, dans la loi américaine sur les brevets, des énoncés détaillés souvent longs, relatifs à des situations de fait très précises et avec les solutions correspondantes. Ainsi, le Droit des Brevets conserve un fondement dans l'ensemble des décisions rendues, soit en droit ("at law"), soit en équité ("in equity"). Dans ce chapitre, on analysera d'abord les institutions judiciaires américaines, puisqu'elles sont un organe essentiel de la vie juridique du pays, et seulement ensuite les institutions législatives.

SECTION I

LES INSTITUTIONS JUDICIAIRES Les institutions judiciaires se composent d'institutions fédérales (paragraphe 1) superposées à des institutions d'Etat (paragraphe 2). § 1. Les institutions judiciaires fédérales La Constitution, dans son article 3, section 1, attribue le pouvoir judiciaire à une Cour Suprême et à des Cours inférieures que le Congrès peut établir.

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Ces Cours inférieures sont organisées en deux degrés de juridiction : a) Les "District Courts" Ces "District Courts" sont des juridictions de première instance. Un District judiciaire correspond à un Etat ou à une fraction d'Etat. Le Wyoming, par exemple, peu peuplé, comprend un seul District ; mais la Floride en comprend trois. Il existe également un tribunal de District pour le District of Columbia. Le juge de District siège normalement seul. Il est nommé à vie par le Président des Etats-Unis sous réserve de l'approbation du Sénat. N.B. Le fonctionnement d'un tribunal de District sera étudié plus en détail lors de l'étude de l'action en contrefaçon. b) Les "Court of Appeals for the Circuit" Les juridictions d'appel correspondent à des "Circuits". Chaque Circuit regroupe plusieurs Districts. Chaque Cour d'appel de Circuit est composée de magistrats appelés "Circuit Judges". Les juges de circuit siègent à trois. Chaque juge peut émettre une opinion personnelle en désaccord avec l'opinion majoritaire ("dissent"). Il existe aujourd'hui onze circuits, repérés par un rang allant du premier au onzième (on parlera ainsi du 8ème Circuit). Depuis 1982, ces circuits ont perdu leur compétence en matière de brevets après la création d'une nouvelle Cour d'appel, unique, la "Court of Appeals for the Federal Circuit", ou CAFC, ou en abrégé dans la littérature américaine : Fed. Cir.. Cette Cour rassemble l'ancienne "Court of Claims", l'ancienne "Court of Customs and Patent Appeals" (CCPA) qui avait été créée en 1929 pour réexaminer les décisions du "Board of Appeals" de l'Office des brevets, et toutes les Cours d'appel des circuits. Aujourd'hui donc, il n'y a plus qu'une Cour d'appel en matière de brevets, pour l'ensemble du territoire américain : la CAFC. Mais les circuits et

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leur Cour d'appel demeurent pour tous les autres contentieux ne mettant pas en cause la loi sur les brevets. c) La Cour Suprême La Cour Suprême couronne ces deux degrés de juridiction. Elle est composée de neuf magistrats : un président ou "Chief Justice" et huit conseillers ou "Associate Justices". Tous sont nommés à vie par le Président des Etats-Unis, sous réserve de l'approbation du Sénat. L'un des juges rédige l'arrêt de l'opinion majoritaire. Chacun des magistrats peut exprimer son opinion personnelle, soit à l'appui de la décision de la majorité ("separate opinion" ou "concurring opinion"), soit à l'encontre de celle-ci ("dissenting opinion" ou "dissent"). La Cour Suprême n'est pas tenue d'examiner une affaire jugée par une Cour inférieure, même si les parties en font la requête. La Cour ne se saisit de l'affaire que si elle le juge utile. Dans ce cas, elle accorde un "writ of certiorari". La Cour Suprême peut confirmer, modifier, annuler, renverser un jugement et éventuellement renvoyer la décision vers une autre Cour. La Cour Suprême a régulièrement rendu des arrêts en matière de brevets. d) Compétence des Cours fédérales La compétence des Cours fédérales dépend de la nature de l'affaire et de la qualité des parties.

i) Compétence en raison de la nature de l'affaire. Les juridictions fédérales sont compétentes pour toutes les affaires mettant en jeu ("arising under") la Constitution fédérale, les lois fédérales et les Traités. Ainsi, les juridictions fédérales sont-elles compétentes chaque fois que la loi sur les brevets est mise en jeu, puisque cette loi est de caractère fédéral (cf Section I, §1). Une

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affaire de brevet est donc normalement portée, en première instance, devant un tribunal de District fédéral. En appel, et depuis 1982, l'unique juridiction est la CAFC ("Court of Appeals for the Federal Circuit"). Lorsqu'il s'agit d'une affaire mettant en jeu une décision de l'Office des brevets, l'affaire peut être portée : - soit directement devant la CAFC, - soit devant le tribunal du "District of Columbia" en première instance, puis devant la CAFC statuant en appel.

ii) Compétence en raison de la qualité des parties

Le pouvoir judiciaire fédéral est compétent, en premier lieu, dans toute affaire où sont parties un ambassadeur, un diplomate ayant rang de ministre, un consul ou un vice-consul d'un Etat étranger. Il a compétence aussi pour les controverses entre Etats. Mais le chef de compétence de loin le plus important est celui des litiges opposant des citoyens d'Etats différents ("diversity of citizenship"). Ce sera donc le cas en matière d'invention, alors même que l'affaire relèverait du droit des Etats (par exemple s'il s'agit du droit de l'employeur sur l'invention) lorsque les parties en cause (employeur-employé) sont citoyens d'Etats différents. N.B. : Cette question de la compétence des tribunaux fédéraux sera reprise en détail lors de l'étude de l'action en contrefaçon.

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e) Désignation des décisions administratives ou judiciaires

Les décisions administratives ou judiciaires sont désignées par la ou les parties en cause. Les notations diffèrent selon les instances :

i) Lorsque l'Office américain des brevets rend une décision à la suite d'un appel formé auprès du "Board of Patent Appeals", la décision est notée "Ex parte X". Cette notation rappelle le caractère "ex parte" de la procédure, c'est-à-dire en dehors de toute partie autre que le demandeur. On trouvera ainsi une décision "Ex parte QUAYLE" indiquant qu'il s'agit d'une décision de l'Office des brevets ne concernant que M. QUAYLE.

ii) Lorsqu'une décision rendue par l'Office

américain des brevets ne donne pas satisfaction au demandeur, celui-ci peut porter le différend devant la Cour d'Appel (aujourd'hui "Court of Appeals for the Federal Circuit", ou CAFC, autrefois "Court of Customs and Patent Appeals", ou CCPA) ou devant le tribunal du District of Columbia. La décision rendue est notée "In re X". On trouvera ainsi une décision "In re DIEHR", indiquant qu'il s'agit d'une décision correspondant à un appel interjeté par un certain DIEHR à propos d'une décision de l'Office le concernant seul.

iii) Lorsque deux personnes X et Y sont parties à

un procès, la décision rendue est notée "X v. Y", la lettre "v" signifiant "versus" (contre). Plusieurs cas peuvent se présenter : α) Lorsqu'une décision préalablement rendue par l'Office des brevets (Ex parte X) a fait l'objet d'un appel par X auprès de la Cour d'Appel et que l'arrêt rendu (In re X) ne donne pas satisfaction à l'Office, celui-ci, par son Directeur (autrefois appelé Commissaire) Y, peut demander à la Cour Suprême de se saisir de

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l'affaire. Si la Cour accepte d'examiner l'affaire, la décision qu'elle rendra sera notée "Y v. X" où Y est le "petitioner" (la demanderesse) et X le "respondent" (l'intimé). En pratique, Y est le Directeur de l'Office des brevets (GOTTSCHALK, DIAMOND, QUIGG, etc... noms qui apparaissent donc très fréquemment dans la jurisprudence). Ainsi, la décision In re DIEHR, qui avait été rendue par la Cour d'Appel de l'époque, la CCPA, a été suivie d'une décision DIAMOND v. DIEHR rendue par la Cour Suprême où DIAMOND était le Directeur de l'Office des brevets et DIEHR l'inventeur. Naturellement, l'inverse peut se produire et X, mécontent de l'arrêt de la Cour d'Appel peut saisir la Cour Suprême ; l'arrêt rendu sera noté X v. Y où Y sera le Directeur des brevets. β) Dans une action en contrefaçon, où X est le breveté et Y le présumé contrefacteur, toutes les décisions rendues (première instance, appel, Cour Suprême) sont notées X v. Y. On trouvera par exemple "HYBRITECH INC. v. MONOCLONAL ANTIBODIES".

§ 2. Les juridictions d'Etat a) Les juridictions inférieures A l'échelon inférieur se trouvent, dans les campagnes, les juges de paix ("justice of the peace") et, dans les villes, divers tribunaux ("municipal Court", "small claims Court", "traffic Court", etc...). Les véritables tribunaux de première instance sont les Cours de Comté ("County Court") appelées aussi "District Courts" ou "Trial Courts" ou tribunal de jugement des faits. Elles font appel à un jury. Le jury rend un verdict sur les faits et non sur les points de droit. C'est le juge qui statue en droit.

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b) Les Cours d'Appel Les Cours d'Appel portent le nom habituel de "Superior Court" ou "Appeal Court" ou "Circuit Court". Une Cour d'Appel comprend entre 3 et 9 juges siégeant collégialement par trois. c) La Cour Suprême Dans chaque Etat, une Cour Suprême couronne la hiérarchie judiciaire. Elle comprend habituellement 5, 7 ou 9 juges. La Cour Suprême ne juge pas les faits, définitivement appréciés par les cours inférieures, mais seulement les points de droit. d) Compétence des tribunaux d'Etat Les tribunaux d'Etat ont compétence pour statuer sur tous les problèmes qui ne relèvent pas de la compétence des tribunaux fédéraux en vertu d'un texte particulier. Contrairement à ce que pensent parfois les étrangers, qui perçoivent d'abord le caractère fédéral des Etats-Unis, les litiges sont, dans l'immense majorité des cas (95%), tranchés par des tribunaux d'Etat. Les tribunaux d'Etat jugent aussi bien en équité ("equity") que selon la "common law". Dans la plupart des Etats, la distinction entre tribunaux de "common law" et tribunaux d'"equity" s'est effacée. En matière de brevets, les tribunaux d'Etat sont compétents pour tous les litiges portant sur les contrats de cession ou de licence et sur les droits respectifs des salariés et des employeurs (sauf en cas de "diversity of citizenship" où la compétence redevient fédérale). De sérieuses difficultés de compétence surgissent donc lorsque se posent à la fois des questions de droit contractuel à propos d'une invention (compétence des Etats) et des questions de validité du brevet correspondant (compétence fédérale) (cf la décision LEAR v. ADKINS qui sera étudiée plus loin).

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SECTION II

LES INSTITUTIONS LEGISLATIVES Le pouvoir législatif se compose d'institutions fédérales (paragraphe 1) et d'institutions des Etats (paragraphe 2). § 1. Les institutions législatives fédérales La Constitution américaine a prévu, dans son article 1, la formation d'un Congrès Fédéral composé de deux Chambres : la Chambre des Représentants et le Sénat. Chaque Etat élit un certain nombre de représentants proportionnel à sa population. Mais au Sénat, tous les Etats viennent à égalité avec deux sénateurs. Un texte ne devient loi qu'après avoir été voté dans les mêmes termes par la Chambre et par le Sénat et avoir reçu la signature du Président des Etats-Unis. Les pouvoirs attribués au Congrès Fédéral sont définis dans l'article 1er, Section 8 de la Constitution. Ils sont étroits mais portent notamment sur le droit des brevets et le droit d'auteur ("Copyright") :

Article 1, Section 8 : Le Congrès aura le pouvoir : (...) De favoriser le progrès de la science et des techniques en assurant, pour un temps limité, aux auteurs et inventeurs, le droit exclusif à leurs écrits et découvertes respectifs.

Toutes les lois fédérales sont rassemblées dans un Code, le United States Code ou USC comprenant 50 titres. Le Titre 35 (35 USC) est relatif à la loi

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sur les brevets (le Titre 17 est consacré au droit d'auteur et le Titre 15, Chapitre 22, aux Marques). Mais le Congrès n'est pas l'unique source de droit législative. Le Président des Etats-Unis est également source de droit dans la mesure où il prend des "Executive Orders" (comparables à des décrets) et où il émet des "Proclamations". De même, chaque "Secretary" (Ministre) édicte des "Rules" et des "Regulations" comparables à des arrêtés. Les "Regulations" sont rassemblées dans un code : le "Code of Federal Regulations" ou CFR, qui comprend 50 Titres. Le Titre 37 (37 CFR) régit le droit des brevets, des Marques et du droit d'auteur. Enfin, des Commissions comme l'Interstate Commerce Commission (ICC) ou l'International Trade Commission (ITC) possèdent un pouvoir réglementaire. L'ITC joue un rôle important dans l'exercice du droit de brevet. § 2. Les institutions législatives des Etats Chaque Etat règle comme il l'entend l'organisation de son pouvoir législatif selon une Constitution qui lui est propre. Dans la quasi-totalité des Etats deux Chambres sont prévues : une Chambre des Représentants et un Sénat. L'ensemble est appelé "Legislature". Le Gouverneur de l'Etat édicte des "Executive Orders". Ses collaborateurs prennent des "Rules". Le droit des Etats régit des situations juridiques beaucoup plus nombreuses que le droit fédéral : les contrats, les quasi-délits, les rapports familiaux, etc... En matière de droit des brevets, tout ce qui ne relève pas explicitement de la loi fédérale définie par le Titre 35 du Code fédéral (35 USC) relève du droit des Etats. Ce sera le cas, par exemple, des contrats de licence, des droits de l'employeur sur l'invention ("Shop Right"), etc...

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§ 3. La hiérarchie des sources de droit La hiérarchie entre ces différentes sources est simple à établir puisque la Constitution, dans son article 6, alinéa 2, affirme la suprématie fédérale. Ainsi, la plus modeste des sources de droit fédérales (par exemple un règlement administratif fédéral) est-elle supérieure à la plus élevée des sources de droit d'Etat (par exemple la Constitution de l'Etat). En contrepartie de cette suprématie, le droit fédéral est confiné dans un domaine étroit. Hors de ce domaine, ce sont les Etats qui sont compétents. L'article 1, Section 8 de la Constitution, définit de manière limitative ce domaine. Le droit des brevets y est explicitement mentionné. Il présente donc un caractère fédéral mais seulement dans la mesure où brevet il y a (avant la délivrance du brevet, tout contentieux à propos d'une invention relève du droit des Etats).

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PLAN DU COURS Ce cours se divise en deux parties : la première est consacrée à l'obtention du brevet, la seconde à l'exploitation du brevet. Chaque partie se subdivise en deux titres. Ces titres se subdivisent à leur tour en divers chapitres, selon le schéma ci-après. Une table des matières, à la fin du fascicule, permet de retrouver la page des sujets traités.

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Ch 1 : LE SUJETCh 2 : L'OBJET

Ch 3 : L'UTILITECh 4 : LA NOUVEAUTECh 5 : LA NON-EVIDENCECh 6 : LE DROIT DE PRIORITE

TITRE I

LE DROIT AUBREVET

Ch 1 : LA PERTE DU DROIT AU BREVET

Ch 2 : LE MEMOIRE DESCRIPTIF

Ch 3 : LES REVENDICATIONSCh 4 : LES PROCEDURES

TITRE II

LES MODALITESD'OBTENTION DU

BREVET

1ère PARTIE

L'OBTENTIONDU BREVET

Ch 1 : LA CESSION

Ch 2 : LA CONCESSION DE LICENCE

Ch 1 : LES LIMITES DU DROITCh 2 : LES ACTES DE CONTREFACONCh 3 : L'ACTION EN CONTREFACONCh 4 : L'ACTION EN JUGEMENT DECLARATOIRE

TITRE ILES OPERATIONS

JURIDIQUES RELATIVESAU DROIT DE BREVET

TITRE II

L'EXERCICE DU

IIème PARTIE

L'EXPLOITATIONDU BREVET

DROIT D' INTERDIRE

Ch 3: LA LEGISLATION ANTI-TRUST

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PREMIERE PARTIE

L'OBTENTION DU BREVET

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INTRODUCTION Dans l'étude comparée des droits américain et français en matière de brevets d'invention, il convient de marquer immédiatement une distinction essentielle à propos du régime général du droit au brevet. Pour les Américains, le droit au brevet trouve sa source dans l'acte inventif lui-même. Il naît spontanément et naturellement avec la chose inventée. A cet égard, droit d'inventeur et droit d'auteur sont analogues. D'ailleurs, la Constitution les traite sur le même pied. Aux Etats-Unis, l'acte inventif est ainsi constitutif de droit. La demande de brevet, déposée ultérieurement, n'est qu'un acte déclaratif de ce droit. Rien de tel en France où la demande de brevet est un acte simultanément constitutif et déclaratif de droit, qui n'est en rien subordonné à la réalité d'un événement antérieur. Nul droit ne préexiste à la demande de brevet (si ce n'est, dans des cas rares, le droit de revendication de propriété en cas de vol d'invention). Ainsi, se trouvent immédiatement distingués les systèmes communément appelés "du premier inventeur" en vigueur aux Etats-Unis et "du premier déposant" en vigueur en France et plus généralement en Europe : dans le premier, on s'attache d'abord à l'acte inventif, donc à l'inventeur. Dans le second, on ne s'attache qu'à la demande de brevet, donc au demandeur. De cette distinction primordiale découlent deux conséquences essentielles :

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- si plusieurs personnes ont réalisé,

indépendamment l'une de l'autre, la même invention, c'est le premier inventeur qui a droit au brevet dans le système américain, alors que, dans le système européen, où l'on ne reconnaît pas cette priorité, c'est le premier demandeur qui l'emportera ;

- l'obtention d'un brevet, dans le système

américain, est soumise à deux séries de conditions, les premières, appréciées à la date de l'invention, déterminant l'existence d'un droit au brevet, les secondes, appréciées à la date de dépôt de la demande et permettant la délivrance effective du titre. Dans le système européen, une seule série de conditions intervient, toutes appréciées à la date de dépôt de la demande de brevet.

L'étude de l'obtention du brevet aux Etats-Unis doit donc commencer par une analyse du droit au brevet ; pourront être examinées ensuite les modalités d'obtention du brevet. Le plan de cette première partie sera donc le suivant : TITRE I : LE DROIT AU BREVET TITRE II : LES MODALITES D'OBTENTION DU BREVET

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TITRE I

LE DROIT AU BREVET

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INTRODUCTION Le droit au brevet doit s'analyser d'abord dans son sujet puis dans son objet. Par ailleurs, et selon une particularité du droit américain, l'invention doit être utile. Apparaissent ensuite deux conditions de brevetabilité liées à la nouveauté de l'invention et à sa non-évidence. Le droit de priorité unioniste s'articulant de manière particulière avec la condition de nouveauté, il mérite un développement spécial. Le plan de ce titre sera donc le suivant : CHAPITRE I : LE TITULAIRE DU DROIT AU BREVET CHAPITRE II : L'OBJET DU DROIT AU BREVET CHAPITRE III : LA CONDITION D'UTILITE CHAPITRE IV : LA CONDITION DE NOUVEAUTE CHAPITRE V : LA CONDITION DE NON-EVIDENCE CHAPITRE VI : LES EFFETS DU DROIT DE PRIORITE UNIONISTE

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CHAPITRE I

LE TITULAIRE DU DROIT AU BREVET Comme exposé dans l'introduction générale, le droit américain des brevets est fondé sur le double principe du premier et du véritable inventeur ("first and true inventor"). Le droit au brevet appartient ainsi à l'inventeur premier ("first") et authentique ("true"). La première condition se rapporte à la nouveauté de l'invention et sera étudiée ultérieurement. La seconde pose le problème de savoir ce que l'on entend par inventeur "authentique". C'est ce qu'il convient d'étudier en premier (Section I). Plusieurs personnes pouvant participer à une même invention, il faut examiner ensuite le cas des coïnventeurs (Section II). Apparaît alors, dans la jurisprudence américaine, un concept original qui est celui d'entité inventive (Section III).

SECTION I

L'INVENTEUR AUTHENTIQUE Selon la loi américaine, seul l'inventeur authentique a droit au brevet. Cette exigence (que les Américains appellent "originality" pour désigner le caractère de celui qui est à l'origine de l'invention), doit s'étudier d'abord à travers les dispositions légales (paragraphe 1), puis dans son application (paragraphe 2).

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§ 1. Les dispositions légales a) Le titulaire du droit au brevet Dans la loi aujourd'hui en vigueur, l'article 35 USC 101 indique clairement celui qui est en droit d'obtenir un brevet :

Quiconque invente un procédé, une machine (...) peut obtenir un brevet pour cette invention ou découverte (...)

C'est donc celui qui invente, en tant que personne physique, qu'on entend récompenser par un brevet. Le droit au brevet est ainsi attaché à la personne de l'inventeur. Si le droit de brevet peut être cédé, le droit au brevet, lui, est intransmissible. b) L'inventeur authentique La condition d'authenticité est énoncée dans l'article 35 USC 102. Une personne qui n'a pas elle-même inventé l'objet revendiqué n'a pas droit à un brevet :

Une personne a droit à un brevet sauf (...) f) si la personne qui cherche à obtenir le brevet n'a pas elle-même inventé l'objet de la protection par brevet demandée.

c) Le déposant Cette disposition est renforcée par les règles de dépôt de la demande de brevet. Selon l'article 35 USC 111 seul l'inventeur peut déposer valablement une telle demande :

111. Demande de brevet. La demande de brevet doit être adressée au Directeur par l'inventeur (...)

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Toutefois, cette règle souffre deux exceptions :

i) Les représentants légaux d'inventeurs décédés ou frappés d'incapacité juridique peuvent déposer des demandes de brevet (Article 35 USC 117),

ii) Si un inventeur refuse de déposer une demande

de brevet ou ne peut être trouvé ou atteint en dépit d'efforts diligents, la personne à qui l'inventeur a cédé ou accepté par écrit de céder l'invention, ou qui prouve d'une autre manière des intérêts suffisant à justifier cette action, peut déposer la demande de brevet au nom de l'inventeur et à titre de mandataire de celui-ci (Article 35 USC 118).

Par ailleurs, aux termes de l'article 35 USC 115, le déposant doit attester qu'il croit être l'inventeur authentique et premier de l'objet qu'il revendique :

115. Serment du déposant. Le déposant doit déclarer sous serment qu'il croit être l'inventeur authentique et premier du procédé, de la machine, de l'article manufacturé, de la composition de substances ou du perfectionnement pour lequel il demande un brevet.

§ 2. Application de la règle Reconnaître le caractère authentique ou original d'un inventeur n'est pas toujours aisé. Un inventeur travaille rarement de manière isolée, et des tiers peuvent intervenir dans le processus de réalisation de l'invention. Deux questions se posent, notamment en ce qui concerne le rôle des employés subordonnés et du donneur d'ordre :

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a) Contribution d'employés subordonnés Dans AGAWAM Co. v. JORDAN (1969), la Cour Suprême a jugé qu'une personne qui conçoit seule une invention est l'unique inventeur malgré la contribution qu'a pu lui apporter un employé subordonné chargé d'exécuter des instructions. b) Le donneur d'ordre La solution précédente suppose que l'employeur ait une connaissance complète de son invention, jusque dans ses moyens de réalisation, et que le travail de l'employé se borne à l'exécution d'instructions précises. Elle ne peut être retenue dans le cas d'un donneur d'ordre qui se contenterait de fixer un résultat à atteindre, sans définir les moyens de l'obtenir. (INTERNATIONAL CARRIERCALL and TELEVISION CORP. v. RADIO CORP. OF AMERICA (1944)). Remarque : La condition d'authenticité ("originality") exigée pour les inventeurs, se retrouve dans le domaine voisin du droit d'auteur ou "copyright". Le titulaire de ce droit de copyright ne peut être que le créateur authentique de l'oeuvre considérée. Si l'on exige de celle-ci qu'elle soit "originale", il faut entendre par là qu'elle doit être "authentique", c'est-à-dire émaner directement de son auteur.

SECTION II

LES COÏNVENTEURS Il est fréquent que l'invention soit une oeuvre collective. Le droit au brevet appartient alors à l'ensemble des personnes ayant contribué à l'invention.

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Les dispositions légales et la jurisprudence ne laissent pas de doute à cet égard. Mais l'application de la règle peut se révéler parfois délicate. § 1. La règle Il a toujours été admis qu'une invention pouvait être revendiquée par plusieurs personnes dans une même demande de brevet. Aujourd'hui, l'article 35 USC 116 dispose clairement que la demande de brevet peut être déposée conjointement par plusieurs personnes, lorsque celles-ci sont coïnventeurs :

116. Inventeurs. Lorsque deux personnes ou davantage font une invention conjointement, elles doivent déposer la demande de brevet conjointement et prêter chacune le serment requis (...).

La jurisprudence a précisé les conditions dans lesquelles une invention pouvait être considérée comme l'oeuvre d'inventeurs conjoints (MONSANTO COMPANY v. KAMP (1967)). § 2. Application de la règle La détermination des coïnventeurs véritables est souvent malaisée. En effet, nombre d'études sont réalisées par des équipes complexes composées de personnes aux formations diverses : chercheurs, ingénieurs, informaticiens, etc... Or, ces personnes ne travaillent pas nécessairement côte à côte, ni même simultanément sur un sujet donné. C'est pour tenir compte de ces circonstances nouvelles que l'article 35 USC 116 a été amendé en 1984 dans sa seconde phrase :

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Les inventeurs peuvent déposer conjointement une demande de brevet même si 1) ils n'ont pas physiquement travaillé ensemble ou en même temps, 2) leur contribution n'a pas été de même nature ou de même qualité, ou 3) chacun d'entre eux n'a pas fait une contribution à l'objet de chaque revendication du brevet.

Aujourd'hui, l'Office américain des brevets considère que des co-déposants sont coïnventeurs dès lors que chacun est l'inventeur ou le coïnventeur d'au moins une des revendications de la demande (règle 37 CFR 1.45). Un brevet peut donc être délivré aux noms conjoints de A, B et C avec une revendication 1 correspondant aux travaux conjoints de A et B, des revendications 2 et 3 correspondant aux travaux de B seul et une revendication 4 correspondant aux travaux conjoints de A et C. Naturellement, l'exigence d'unité d'invention demeure. Si cette unité faisait défaut, la demande devrait être divisée. En cas d'amendement des revendications en cours d'examen, il pourrait se révéler nécessaire de modifier l'identité des coïnventeurs. Dans l'exemple précédent, l'abandon de la revendication 4 en cours d'examen nécessiterait le retrait de C comme inventeur. En cas de dépôt de demande divisionnaire, il se pourrait également que les coïnventeurs de la demande initiale ne soient plus coïnventeurs de l'invention objet de la demande divisionnaire.

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SECTION III

L'ENTITE INVENTIVE § 1. Définition L'entité inventive est constituée par la réunion de tous ceux qui ont contribué à la conception de l'invention. Cette entité se distingue des éléments qui la composent ainsi que d'autres entités qui ne contiendraient que certains de ces éléments ou qui en contiendraient d'autres. Ainsi, l'entité inventive (A, B, C) formée par les coïnventeurs A, B, et C se distingue-t-elle de (A) seul, de l'entité (B, C) qui ne contient pas A et de (A, B, C, D) qui contient un quatrième inventeur (D). § 2. Authenticité de l'entité inventive La condition d'authenticité exigée pour l'inventeur, personne unique, s'applique à l'entité inventive. Si une invention a été réalisée par trois inventeurs A, B et C, l'entité inventive authentique sera le groupe (A, B, C) et non l'entité (A, B) car cette entité tiendrait l'invention de l'entité (A, B, C) ; elle ne sera pas non plus (A, B, C, D) car cette entité ne serait pas véritablement à l'origine de l'invention (à cause de D). § 3. Entité inventive et invention antérieure En plus de son rôle dans l'appréciation de la condition d'authenticité, la notion d'entité inventive intervient dans l'appréciation de la nouveauté d'une invention. Comme il apparaîtra plus clairement par la suite, une invention examinée peut

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se voir opposer une invention antérieure réalisée par "un autre" ("by another"). En matière de brevetabilité, l'altérité se définit par rapport à l'entité inventive. "Un autre" signifie "une autre entité inventive". Ainsi, dans In re LAND, deux personnes LAND et ROGERS avaient déposé une demande de brevet en leurs noms conjoints. L'Office américain des brevets avait rejeté cette demande compte tenu de deux brevets américains antérieurs délivrés l'un à LAND, l'autre à ROGERS. La Court of Customs and Patent Appeals (à l'époque c'était la Cour d'Appel compétente) confirma le rejet : les trois entités inventives 1)LAND, 2) ROGERS et 3) (LAND, ROGERS) étaient en effet différentes et l'invention antérieure de LAND seul et celle de ROGERS seul étaient opposables à l'invention conjointe de l'entité (LAND, ROGERS). Depuis cette décision, afin de ne pas défavoriser les inventions développées dans le cadre d’équipes de recherches d’une même organisation, le législateur a prévu certaines exceptions à l’opposabilité d’une invention antérieure par “un autre” dans le cas où les inventions sont cédées ou soumises à une obligation de cession à la même entité. Ce point sera discuté plus loin.

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CHAPITRE II

L'OBJET DU DROIT AU BREVET Introduction La volonté du législateur américain a toujours été de limiter la protection par brevet aux seules inventions appartenant à ce que les Américains appellent les "useful arts" par opposition aux "liberal arts" qui rassemblent les sciences sociales, l'économie, les affaires, etc... Cette volonté est conforme à la Constitution qui prévoit que le Congrès aura le pouvoir de promouvoir "the progress of science and useful arts, ...". La loi américaine a ainsi toujours défini des catégories d'inventions brevetables, alors que le législateur français a préféré procéder autrement en énumérant les créations qui ne sont pas considérées comme des inventions brevetables (art. L.611-10). Pour tenter de dessiner au mieux le contour de l'objet du droit au brevet, il est utile de compléter l'étude des catégories brevetables (Section I) par l'analyse complémentaire des inventions que la jurisprudence a jugé bon d'écarter de la brevetabilité (Section II).

SECTION I

LES INVENTIONS BREVETABLES La loi américaine énumère les inventions brevetables dans son article 101 :

101. Inventions brevetables.

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Quiconque invente ou découvre un procédé, une machine, un article manufacturé ou une composition de matières, nouveaux et utiles, ou un perfectionnement nouveau et utile de ceux-ci, peut obtenir un brevet pour cette invention ou découverte aux conditions et selon les exigences du présent Titre.

§ 1. Procédé La définition d'un procédé a été donnée par la Cour Suprême dans COCHRANE v. DEENER (1877) :

Un procédé est un mode de traitement de certains matériaux pour produire un résultat donné. C'est une opération ou une série d'opérations appliquées à l'objet à transformer et à réduire en un état ou une chose différente.

Par ailleurs, l'article 35 USC 100 précise que le terme "procédé" comprend l'utilisation nouvelle d'un procédé, d'une machine, d'un article manufacturé, d'une composition de substances ou de matériaux connus. Ce type de procédé a fait l'objet d'une décision portant sur l'utilisation d'un produit célèbre : le DDT. Dans Ex parte MULLER (1947), la chambre d'appel de l'Office américain des brevets a déclaré brevetable l'utilisation du DDT, produit en soi connu, pour tuer les insectes. Conformément à l'article 101, dans ce type d'invention, la revendication ne doit pas être rédigée sous la forme "utilisation du produit X pour ..." mais sous la forme "Procédé pour ... consistant à utiliser le produit X de telle ou telle manière". C'est sous cette forme que l'invention entre dans l'une des catégories brevetables, en l'occurrence un procédé. § 2. Machine Cette catégorie d'inventions ne pose guère de problème. Tout au plus peut-on rappeler la

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définition qu'a donnée la Cour Suprême, dès 1853, dans l'affaire CORNING v. BURDEN :

Le terme machine recouvre tout dispositif mécanique ou toute combinaison de moyens et dispositifs mécaniques pour remplir une fonction et produire un certain effet ou résultat.

Aujourd'hui, les termes "apparatus", "device", "system" remplacent souvent le mot "machine" dans le libellé des revendications. § 3. Article manufacturé Cette catégorie concerne tout ce que l'homme peut réaliser lui-même. Il s'agit d'une vaste classe rassemblant les inventions qui ne seraient ni des machines ni des compositions de matières à proprement parler. § 4. Composition de matières Cette catégorie d'inventions est très vaste puisqu'elle recouvre les produits chimiques, les mélanges physiques, les alliages, etc... Quelques cas particuliers peuvent être évoqués : a) les produits de la nature Les produits que l'on trouve dans la nature peuvent donner lieu à des brevets à condition que ces produits présentent une structure différente de leur structure naturelle. C'est ainsi que la vitamine B12 purifiée a été jugée brevetable en 1957, bien qu'elle existât à l'état naturel (MERCK v. OLIN MATHIESON CHEMICAL).

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b) les produits connus présentés sous une forme nouvelle L'affaire la plus significative à cet égard concerne l'aspirine : KUEHMSTED v. FARBENFABRIKEN OF ELBERFELD (1910). Un certain HOFFMAN avait déposé une demande de brevet pour protéger ce qu'il avait appelé l'Aspirine. Le brevet avait été délivré en 1900. Dans une action en contrefaçon, le défendeur avait cité une publication d'un certain KRAUT, dans laquelle était décrit un procédé de production de l'acide acétylsalicylique. Ce procédé n'était pas le même que celui d'HOFFMAN, mais le défendeur prétendait que l'aspirine d'HOFFMAN n'était autre que l'acide acétylsalicylique produit par KRAUT, mais sous une forme purifiée. La Court of Customs and Patent Appeals fit observer que le produit d'HOFFMAN était recristallisé et possédait des propriétés thérapeutiques différentes de celles du produit de KRAUT. S'il était notoire que l'acide acétylsalicylique soulageait les douleurs rhumatismales, il était également connu que l'absorption de cet acide sous sa forme naturelle provoquait des maux d'estomac. Avec l'aspirine d'HOFFMAN, le produit, du fait de sa structure nouvelle, traversait l'estomac sans causer de douleurs et ne se trouvait libéré que dans les intestins où il jouait alors son rôle thérapeutique. Ainsi, même si les produits d'HOFFMAN et de KRAUT ne se distinguaient que par leur forme, celui d'HOFFMAN présentait des propriétés thérapeutiques nouvelles, qui méritaient qu'on accordât un brevet à HOFFMAN. c) les micro-organismes A la fin des années 70 s'est posé le problème de la brevetabilité des organismes vivants, notamment des micro-organismes. L'une des décisions les plus importantes dans ce domaine est sans doute la décision de la Cour Suprême rendue en 1980 dans DIAMOND v. CHAKRABARTY. En 1972 un microbiologiste nommé CHAKRABARTY avait déposé une demande de brevet américain dont le

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cessionnaire était General Electric Company. L'invention portait sur une nouvelle bactérie capable de dégrader le pétrole. La propriété qu'ont certaines bactéries naturelles de décomposer le pétrole était connue et l'application de cette propriété au traitement des pollutions par hydrocarbures était également connue. Mais ces bactéries n'avaient qu'une affinité sélective et ne dégradaient que certains composants du pétrole. C'est la raison pour laquelle on utilisait des mélanges de bactéries pour augmenter l'efficacité du processus de dégradation. CHAKRABARTY et l'un de ses collaborateurs avaient découvert que la faculté présentée par certaines bactéries naturelles de dégrader le pétrole était due à certains plasmides (qui sont des unités héréditaires distinctes des chromosomes) contenus dans ces bactéries. En particulier, CHAKRABARTY et son collaborateur avaient découvert certains plasmides capables de dégrader le camphre et l'octane, qui sont deux composants du pétrole brut. Dans sa demande de brevet, CHAKRABARTY décrivait et revendiquait un procédé pour transférer dans une seule bactérie, appelée Pseudomonas, quatre plasmides différents capables de dégrader quatre composants différents du pétrole. A l'état naturel, cette bactérie ne possédait pas cette propriété. Mais la nouvelle bactérie obtenue avec ses quatre plasmides, pouvait dégrader efficacement et rapidement le pétrole. Les revendications de la demande de brevet couvraient trois objets différents : un procédé de production de ces bactéries ; un inoculum constitué par un matériau support capable de flotter sur l'eau (tel que la paille) et contenant les bactéries en question ; enfin la bactérie elle-même. L'examinateur de l'Office américain des brevets avait accordé les revendications portant sur le procédé de production des bactéries et sur l'inoculum. Mais il avait refusé les revendications protégeant la bactérie. Le motif du rejet avait été double :

- les micro-organismes sont des produits de la nature,

- un corps vivant ne constitue pas un objet brevetable au sens de l'article 35 USC 101.

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CHAKRABARTY avait interjeté appel auprès de la chambre d'appel de l'Office américain des brevets mais la chambre d'appel avait confirmé le second motif de rejet : l'article 35 USC 101 n'était pas destiné à couvrir les organismes vivants. La Court of Customs and Patent Appeals renversa la décision de rejet en faisant valoir que le caractère vivant des micro-organismes était sans signification à l'égard de la loi sur les brevets. L'Office américain des brevets saisit alors la Cour Suprême. La Cour soutint un point de vue que l'on peut qualifier de "matérialiste" selon lequel, matière inerte et matière vivante ne sont que deux aspects d'une même Nature que l'Homme peut transformer par son génie inventif. Le caractère vivant ou non n'est pas significatif à l'égard des critères de brevetabilité. Ainsi, une bactérie modifiée par l'Homme est parfaitement brevetable comme objet manufacturé ou composition de matière. D'une manière générale, la Cour arrêta qu'était brevetable "anything under the sun that is made by man". d) les organismes vivants multicellulaires Une décision rendue le 3 avril 1987 par le Board of Patent Appeals and Interferences dans Ex parte ALLEN a provoqué une mise au point de la part de l'Office américain des brevets. Dans l'affaire en question, il s'agissait de la brevetabilité d'une nouvelle huître. Mais la mise au point de l'Office concerne plus généralement la brevetabilité des nouveaux types d'animaux produits par l'homme. La brevetabilité de ces inventions est désormais admise. Le premier brevet portant sur un mammifère a été délivré le 12 avril 1988 sous le numéro 4,736,866 à Philip LEDER et Thimothy A. STEWART. Il porte sur un "mammifère non-humain transgénique". Sa première revendication se lit comme suit :

1. A transgenic non-human mammal all of whose germ cells and somatic cells contain a recombinant activated oncogene sequence

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introduced into said mammal, or an ancestor of said mammal, at an embryonic stage.

La description du brevet indique que le mammifère en question peut être un primate, comme le singe rhésus, ou un rongeur, comme la souris. Le brevet européen correspondant a été rejeté (Décision de la Division d'Examen du 14.07.1989), l'article 53b de la CBE excluant les races animales. Mais la Chambre de Recours, dans sa décision T19/90 du 3.10.90, a renvoyé l'affaire vers la Division d'Examen au motif qu'il existerait "des raisons impératives" qui font que les dispositions de l'article 53a CBE (contrariété à l'ordre public et aux bonnes moeurs) doivent être prises en compte. Le brevet européen a finalement été délivré en octobre 1991. Des procédures d'opposition ont conduit à certaines limitations des revendications. § 5. Les inventions dans le domaine de l'informatique Les programmes d'ordinateur ne sont pas brevetables en tant que tels et relèvent du droit d'auteur (voir section suivante, paragraphe 5). Mais certaines inventions liées aux programmes d'ordinateurs sont brevetables. La situation, à cet égard, a beaucoup évolué ces dernières années. La Cour d'appel (CAFC) a indiqué qu'une application pratique d'une idée abstraite (algorithme mathématique, formule, calculs) pouvait être brevetable, si elle correspond à quelque chose de "tangible, concret et utile" ("Arythmia Research Technology Inc. v. Corazonix Corp., 1992 où il s'agissait du traitement mathématique d'électrocardiogrammes). § 6. Les inventions dans le domaine du commerce Récemment, dans State Street Bank and Trust Co v. Signature Financial Group Inc, (1998), la Cour d'appel (CAFC) a renversé un jugement du tribunal de District du Massachusetts et affirmé la brevetabilité d'une invention de traitement de données où ces

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données sont des nombres (en l'occurrence des Dollars) représentant la valeur d'un portefeuille d'actions. Une telle invention procure, selon la Cour d'appel, un résultat "tangible, concret et utile". De telles inventions entrent dans le cadre de ce qu'on appelle les "methods of doing or conducting business". Elles soulèvent de nombreuses questions (définition, appréciation de la brevetabilité, utilisation antérieure, etc...).

SECTION II

LES INVENTIONS NON BREVETABLES Les brevets dont il est question dans ce cours sont des "Utility Patents" tels que définis par les Chapitres 10 à 14 du Titre 35 du Code des Etats-Unis et non des "Design Patents" correspondant à des dessins ou modèles ou des "Plant Patents". "Non brevetable" signifie donc ici : qui ne peut faire l'objet d'un "Utility Patent". Contrairement à la loi française où l'article L.611-10 définit explicitement les inventions non brevetables, la loi américaine définit les inventions non brevetables a contrario : une invention n'est pas brevetable, en raison même de son objet, si elle ne tombe pas dans l'une des catégories prévues par l'article 35 USC 101. Il s'agit le plus souvent de concepts intellectuels, de procédés abstraits, de lois de la nature, etc. La Cour Suprême, dans une affaire GOTTSCHALK v. BENSON, a mis en lumière quelques inventions auxquelles il faut refuser la brevetabilité :

Les phénomènes de la nature, bien que venant d'être découverts, les processus mentaux, les concepts intellectuels abstraits ne sont pas

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brevetables car ils constituent les outils de base du travail scientifique et technique.

Cette même Cour Suprême, dans l'affaire DIAMOND v. CHAKRABARTY citée dans la Section précédente, avait également précisé :

Einstein ne pouvait pas breveter sa célèbre loi E=mc², ni Newton breveter sa loi de la gravitation. De telles découvertes sont des manifestations de la nature, libres à tous et réservées à personne.

Quelques exemples tirés de la jurisprudence feront mieux comprendre ce qu'est une invention non brevetable. § 1. Les produits de la nature Les produits de la nature, tels qu'on les trouve à l'état naturel, n'entrent pas dans la catégorie des produits "manufacturés". Ainsi, dans In re MANCY (1974), il s'agissait d'une souche de micro-organismes provenant d'échantillons de sol prélevés dans le Val de Marne ; le demandeur revendiquait un procédé de fabrication d'un antibiotique connu (la Daunorubicine). La Court of Customs and Patent Appeals accorda le procédé de fabrication de l'antibiotique mais fit observer que le demandeur n'aurait pas pu obtenir une revendication sur la souche, puisque celle-ci était un produit de la nature. § 2. Les documents ou objets imprimés La présentation d'informations imprimées n'entre pas dans les catégories d'inventions énumérées par l'article 35 USC 101. Ainsi, la constitution d'un index des chemins de fer conçu pour qu'en cas de changement de tarif, il ne soit pas nécessaire de

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réimprimer tout l'index grâce à l'emploi de symboles particuliers, ne constitue pas une invention brevetable (BUTHRIE v. CORLETT 1926). Dans Ex parte GWINN (1955), il s'agissait de dés dont les faces étaient marquées, non pas par les habituels points, mais par des signes évoquant le jeu de golf ("tee", "fairway", "putt") et par des chiffres indiquant un nombre de coups, selon une règle de jeu particulière. Le Board of Appeals rejeta une telle invention car la seule originalité de ces dés était de présenter des signes sur leurs faces et non une structure nouvelle. § 3. Les procédés abstraits La doctrine des "mental steps" conduit à écarter de la brevetabilité les procédés dont les opérations impliquent uniquement l'intervention de l'esprit humain. Cette exclusion s'appuie sur la définition du procédé brevetable que la Cour Suprême a donnée en 1887 dans COCHRANE v. DEENER (cf Section précédente) : "Un procédé est un mode de traitement de certains matériaux pour produire un résultat donné". Un procédé mis en oeuvre par l'esprit humain ne peut porter sur un matériau et, à ce titre, n'est pas brevetable. Toutefois, il faut observer qu'un procédé n'est pas nécessairement écarté de la brevetabilité du seul fait qu'il pourrait éventuellement être accompli mentalement (In re PRATER). § 4. Les créations dont la protection est prévue par d'autres dispositions du Titre 35 Le Titre 35 du Code des Etats-Unis, dans ses Chapitres 15 et 16, prévoit deux séries de dispositions pour protéger respectivement les plantes et les créations ornementales par des titres particuliers. Les plantes et les créations ornementales sont donc exclues de la brevetabilité par "Utility Patents" :

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a) Les brevets pour la protection des plantes L'article 35 USC 161 définit les brevets de plantes :

Quiconque invente ou découvre et reproduit asexuellement une variété de plante distincte et nouvelle, y compris les spores, mutants et hybrides cultivés et les semis de hasard, autre qu'une plante multipliée par tubercules ou qu'une plante trouvée à l'état sauvage, peut obtenir un brevet pour cette variété, sous réserve des conditions et exigences du présent Titre. Les dispositions du présent Titre relatives aux brevets d'invention sont applicables aux brevets de plantes, sauf dispositions contraires.

b) Les "brevets" pour la protection des dessins et modèles L'article 135 USC 171 définit les "brevets" de dessins et modèles :

Quiconque invente un dessin ou modèle nouveau, original et ornemental pour un article manufacturé, peut obtenir un brevet pour ce dessin ou modèle, sous réserve des conditions et exigences du présent Titre. Les dispositions du présent Titre relatives aux brevets d'invention sont applicables aux brevets de dessins et modèles, sauf dispositions contraires.

Le 18 février 1879, un "Design Patent" fut délivré sous le numéro 11 023 à un certain BARTHOLDI. Il représentait une statue de femme brandissant un flambeau avec cette légende : "Liberty enlightening the world". C'était la Statue de la Liberté.

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Remarque : L'expression "brevet de dessin" peut paraître contradictoire en raison de la juxtaposition de deux mots qui, pour nous Français, recouvrent des droits qui s'excluent, à savoir celui des brevets et celui des dessins et modèles. Cette anomalie vient de ce que nous traduisons "patent" par "brevet". Or, à l'origine, c'est-à-dire dans l'arrêté de 1791 pris en France pour instituer un droit protégeant les inventions, le mot "patente" était utilisé comme en Angleterre ou aux Etats-Unis. Mais un soi-disant risque de confusion avec des patentes fiscales a fait abandonner le mot au profit de "brevet". Le mot "brevet" a donc pris un sens restrictif lié aux inventions. Si le mot "patente" n'était pas tombé en désuétude dans ce domaine, il faudrait traduire "Design Patent" par "patente de dessin", "Plant Patent" par "patente de plante" et "Utility Patent" par "patente d'utilité" et l'apparente contradiction disparaîtrait. § 5. Les créations dont la protection est prévue par le Titre 17 du Code des Etats-Unis a) les programmes d'ordinateur La loi sur le droit d'auteur, régie par le Titre 17 USC, a été modifiée en 1980 pour y inclure les programmes en tant que tels. Selon l'article 17 USC 101, un programme d'ordinateur se définit comme suit :

Un programme d'ordinateur est un ensemble d'énoncés ou d'instructions destinés à être utilisés directement ou indirectement dans un ordinateur dans le but de procurer un certain résultat.

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b) les topologies de circuits En 1984, un Chapitre 9 a été ajouté au Titre 17 du Code des Etats-Unis pour constituer le "Semiconductor Chip Protection Act". Ce chapitre définit la protection des topologies de circuits intégrés. L'objet de cette protection concerne les "masques" permettant d'obtenir ces circuits intégrés et les circuits ("chips") obtenus à l'aide de ces masques. Cette loi est entrée en vigueur le 8 novembre 1984. Il serait exagéré de dire qu'elle a connu un vif succès.

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CHAPITRE III

LA CONDITION D'UTILITE Introduction La loi américaine a toujours exigé d'une invention qu'elle présente une certaine utilité pour être brevetable. Dans la loi de 1952 aujourd'hui en vigueur, l'exigence est formulée en ces termes :

"Quiconque invente ou découvre un procédé, une machine, un article manufacturé ou une composition de matières nouveaux et utiles, ou un perfectionnement nouveau et utile de ceux-ci, peut obtenir (...)"

L'exigence d'utilité se conçoit aisément : le droit exclusif constitué par un brevet ne peut être accordé par la Société que pour des inventions qui lui sont de quelque utilité. Cependant, cette exigence est absente de la loi française qui ne prévoit qu'un caractère industriel. Si la différence entre les deux exigences est indéniable, il ne faut toutefois pas l'exagérer. C'est la traduction de "useful" en "utile" qui accentue cette différence. Elle peut être réduite quelque peu si l'on observe que l'expression "useful arts" (par opposition à "liberal arts") ne désigne jamais que "les techniques", de sorte que la condition d'utilité est le plus souvent une condition de caractère technique. D'ailleurs, dans les accords du GATT et plus particulièrement dans l'accord sur les aspects de la propriété intellectuelle touchant au commerce (ADPIC en français ou TRIPS en anglais) il est stipulé que les expressions "susceptible

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d'application industrielle" et "utile" peuvent être considérées comme synonymes. On s'attachera non seulement à définir les inventions utiles (Section I) mais également à caractériser le défaut d'utilité (Section II).

SECTION I

L'INVENTION UTILE § 1. Définition de l'utilité d'une invention Une invention est utile lorsque son usage est bénéfique pour la Société. Mais l'utilité peut être en partie occultée par des effets pervers portant préjudice à la Société. L'utilité, comme condition de brevetabilité, n'est donc pas sans présenter quelques difficultés d'appréciation. La question peut, a priori, être abordée de trois manières différentes :

- soit qu'on soumette les inventions à un bilan destiné à peser leurs avantages et leurs inconvénients et qu'on déclare utiles les seules inventions pour lesquelles ce bilan est positif ;

- soit qu'on reconnaisse l'utilité aux inventions dont l'usage est bénéfique, en dépit des inconvénients qu'un tel usage peut présenter ;

- soit qu'on refuse l'utilité aux inventions dont l'usage est préjudiciable, malgré certains avantages procurés.

La jurisprudence marque une préférence pour la seconde approche : une invention est jugée utile, donc brevetable au sens de l'article 35 USC 101, si son usage est avantageux pour la Société, même si l'on peut déplorer des utilisations préjudiciables (Court of Customs and Patent Appels, dans In re ANTHONY (1969)).

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§ 2. Une certaine utilité Une invention, pour être brevetable, n'a pas à présenter davantage d'utilité qu'un art antérieur connu. L'utilité ne se confond pas avec le progrès technique. L'invention doit présenter une certaine utilité, grande ou faible. Selon les directives de l’Office américain, l’utilité doit être :

- Spécifique : on doit présenter l’utilité concernant l’objet revendiqué en particulier, et non pas se contenter d’une indication générale (par exemple, l’indication d’une utilité comme “marqueur chromosomique” risque d’être insuffisante si les sequences d’ADN objet du marquage ne sont pas précisées) ;

- Substantielle : l’utilité doit avoir une application dans le monde réel (ce n’est pas le cas, par exemple, d’une méthode pour traiter une maladie non identifiée, ou pour fabriquer un produit qui n’a pas lui-même d’utilité);

- Crédible : ce critère concerne les cas rares où une invention ne peut pas fonctionner comme le prétend l’inventeur (par exemple, traitement de tous les cancers par un produit non spécifié).

§ 3. L'utilité mentionnée dans le brevet L'utilité requise par la loi doit apparaître clairement à la seule lecture de la demande de brevet ou du brevet. Dans le cas où l'objet de l'invention est d'usage courant dans la technique en cause (moteur électrique, transistor, machine agricole, outil, etc...) l'utilité de l'invention est établie, même si elle n'est pas indiquée explicitement dans le brevet. Cette utilité est inhérente à l'objet revendiqué. Il n'en va pas de même pour les inventions portant, par exemple, sur des produits chimiques ou sur des procédés pour obtenir de tels produits. Dans ce cas, l'utilité peut ne pas apparaître immédiatement

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à travers la simple description du produit ou du procédé. Il est alors nécessaire de la mentionner explicitement, faute de quoi la demande sera rejetée. La nécessité de mentionner l'utilité de l'invention revendiquée rejoint l'une des exigences posées par l'article 35 USC 112-1 concernant la manière d'utiliser l'invention ("enablement requirement"), exigence qui sera analysée dans le Titre II consacré aux modalités d'obtention du brevet. La nécessité d'indiquer l'utilité de l'objet revendiqué est un piège dans lequel il n'est pas rare de voir tomber des déposants non-américains, peu habitués à considérer l'utilité comme critère de brevetabilité. Dans In re HAFNER, un déposant étranger avait omis de mentionner, dans sa demande de brevet américain, l'utilité du produit revendiqué. Il avait dû recourir au dépôt d'une Continuation-in-Part (CIP) pour remédier à cette insuffisance de description. Mais, entre-temps, le brevet étranger correspondant avait été délivré sur la base d'une demande déposée plus de douze mois avant le dépôt de la CIP. La demande de HAFNER fut donc rejetée sous l'article 35 USC 102d (cf Titre II, Chapitre I consacré à la perte du droit au brevet). § 4. Cas de certaines substances d'application thérapeutique Les inventions portant sur des substances ayant une application thérapeutique posent le problème de la preuve de l'efficacité de ces substances.

Autrefois, l’exigence à l’égard de telles inventions pouvait être sévère car l’Office américain craignait que la délivrance d’un brevet apparaisse aux yeux du public comme une garantie d’efficacité de la substance en question. De nos jours, l’Office américain utilise les mêmes critères dans le domaine thérapeutique que les autres domaines technologiques. Ainsi, l’utilité d’une substance présentée comme thérapeutique sera reconnue si la substance montre une activité pharmacologique. Dans certains cas, une activité

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pharmacologique peut être démontrée sur la base d’essais in vitro uniquement. Les exigences pour l’obtention d’une protection par brevet pour une substance thérapeutique sont donc nettement différentes des exigences de la Food and Drug Administration (FDA), qui demande des preuves élevées quant à l’efficacité in vivo et la sécurité des produits à effect thérapeutiques avant de délivrer une autorisation de mise sur le marché.

SECTION II

LE DEFAUT D'UTILITE Le défaut d'utilité peut affecter soit l'invention elle-même, soit son exploitation (invention illégale, immorale, frauduleuse, etc...). § 1. Les inventions dépourvues d'utilité Le défaut d'utilité affecte le plus souvent certains produits chimiques ou certaines compositions d'application thérapeutique. Il affecte aussi les inventions irréalisables. Il en est ainsi des inévitables machines à mouvement perpétuel. Etant irréalisables par principe, elles ne sont d'aucune utilité. De telles demandes sont donc rejetées par l'Office américain des brevets. Celui-ci donne cependant au déposant la possibilité de retirer sa demande, et d'obtenir le remboursement de la taxe de dépôt versée. Si le demandeur maintient sa demande, l'Office américain des brevets exige une présentation de la machine (ce que l'article 35 USC 114 lui permet), ce qui, généralement, met fin à la controverse. Le défaut d'utilité peut être également retenu contre des inventions qui violent manifestement les lois de la Nature ou qui sont manifestement

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inopérantes. C'est ainsi que, dans FREGEAU v. MOSSINGHOFF, la Court of Appeals for the Federal Circuit a jugé, en 1985, qu'un procédé destiné à renforcer la saveur d'une boisson et consistant à faire passer cette boisson dans un champ magnétique, était inopérant, donc dépourvu d'utilité. § 2. Les inventions ayant une utilité dans un domaine illégal Si l'usage d'une invention est illégal, l'invention perd son utilité. Dans NATIONAL AUTOMATIC DEVICE CO. v. LLOYD (1889), le brevet portait sur un cheval de course mécanique, destiné à l'organisation de courses dans des tripots de Chicago, où des paris pouvaient être engagés. Or, à cette époque, de tels paris étaient interdits. Le tribunal de District de l'Illinois invalida le brevet. Les critères d'appréciation du caractère illégal d'une invention sont aujourd'hui moins stricts. Il suffit qu'une invention soit applicable dans un domaine autorisé par la loi, pour qu'elle soit jugée utile, même si, par ailleurs, elle peut être utilisée dans un domaine illégal. Dans FULLER v. BERGER, il s'agissait d'un détecteur de fausses pièces pour machines à sous. Bien qu'utilisé à l'époque dans des machines où le joueur espérait un gain d'argent, machines qui étaient alors prohibées, le détecteur pouvait aussi être utilisé dans des appareils distributeurs de boissons, de confiseries ou de cigarettes. Dès lors, le brevet fut validé. § 3. Les inventions destinées à tromper le public Certaines inventions, exploitant la crédulité humaine, se voient refuser la brevetabilité. Un exemple illustrera ce point original de la loi américaine. Dans RICHARD v. DU BON (1900), le brevet portait sur un procédé pour produire artificiellement des taches sur des feuilles de tabac utilisées pour la fabrication des cigares. Ce procédé n'améliorait pas

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la qualité du tabac mais permettait de donner aux feuilles l'aspect tacheté caractéristique des feuilles provenant de régions réputées pour la qualité de leur tabac. Pour le consommateur ordinaire, la présence de ces taches garantissait l'origine du tabac, donc la qualité du cigare. Le brevet indiquait clairement que l'avantage du procédé revendiqué était "the simulation of spotted tobacco". La Cour annula le brevet pour le motif suivant :

"En délivrant des brevets aux auteurs de découvertes et d'inventions nouvelles et utiles, le Congrès n'avait pas l'intention d'étendre cette protection à ceux qui ne fournissent au public qu'une occasion de profit fondée sur la tromperie et la fraude. Pour mériter un brevet, l'invention doit être utile, c'est-à-dire apte à un usage bénéfique et non à une utilisation pernicieuse".

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CHAPITRE IV

LA CONDITION DE NOUVEAUTE INTRODUCTION La condition de nouveauté est probablement celle qui pose le plus de problèmes aux non-Américains. Cette difficulté tient essentiellement à deux facteurs :

1.- Les lois européennes, et en particulier la loi française, définissent la condition de nouveauté de manière très simple : une invention n'est pas nouvelle si elle est comprise dans l'état de la technique, sachant que l'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de la demande. Une telle définition, par sa clarté et sa concision, s'impose immédiatement à l'esprit. La pratique et l'habitude aidant, on n'y voit bientôt plus qu'une disposition parfaitement "naturelle". Dès lors, comment la conception américaine, bien différente, n'apparaîtrait-elle pas comme artificielle et obscure ?

2.- Il faut reconnaître que la condition de nouveauté est définie, dans la loi américaine, de manière embrouillée, sauf le respect que l'on doit au législateur américain. L'article 35 USC 102, qui est censé définir cette condition, traite non seulement de cette question mais aborde également d'autres sujets (authenticité de l'inventeur et perte du droit au brevet) de sorte que la condition de nouveauté se trouve imbriquée dans d'autres dispositions, ce qui n'en facilite pas la compréhension.

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Préalablement à l'étude détaillée de l'article 35 USC 102, il faut d'abord dégager les règles générales relatives à la nouveauté (Section I). La notion de fait destructeur de nouveauté pourra ensuite être analysée (Section II). Restera cependant un point délicat, qui est celui de la détermination pratique du caractère premier d'une invention, autrement dit de son antériorité, problème qui n'a pas d'équivalent en droit français et qui mérite une attention particulière (Section III).

SECTION I

LES REGLES GENERALES § 1. Signification générale de l'article 35 USC 102 L'article 35 USC 102 rassemble, à lui seul, toutes les conditions de brevetabilité découlant du principe d'attribution du brevet au premier et véritable inventeur :

- des conditions liées au caractère premier de l'inventeur et définissant la nouveauté de l'invention : paragraphes a, e et g ;

- une condition liée au caractère authentique de l'inventeur : paragraphe f ;

- des conditions liées à la perte du droit au brevet : paragraphes b, c et d.

L'article 35 USC 102 contient donc deux séries de dispositions, les unes précisant les conditions dans lesquelles une personne a droit à un brevet (il doit être le premier et authentique inventeur (a, e, f, g)), les autres fixant les conditions dans lesquelles ce droit peut être perdu (b, c, d).

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Il est indispensable d'avoir présente à l'esprit cette distinction lorsqu'on aborde l'article 35 USC 102. Il aurait sans doute été plus clair de scinder l'article 102 en deux sections, l'une portant sur les conditions faisant naître le droit au brevet, l'autre sur les conditions entraînant la perte de ce droit. § 2. La nouveauté s'apprécie à la date de l'invention Lorsqu'il s'agit d'apprécier la nouveauté d'une invention, seuls les paragraphes a, e et g doivent être pris en considération. Ces paragraphes ont ceci en commun qu'ils prennent comme référence chronologique la date de l'invention (et non la date de dépôt de la demande). Ce point est fondamental et doit être bien compris. En effet, qu'elle soit de caractère technique, ornemental, littéraire ou artistique, une oeuvre est nouvelle lorsqu'elle apparaît pour la première fois. A cet égard, les inventions sont des créations comme les autres et il n'y a pas lieu de les distinguer. Ainsi, la nouveauté d'une invention doit-elle être appréciée à la date où l'invention apparaît. Les faits destructeurs de nouveauté ne pourront être qu'antérieurs à l'invention. Il faut rappeler ici la remarque faite plus haut à propos du droit naturel des inventeurs sur leur création. L'acte constitutif du droit de brevet est l'acte inventif ; le dépôt de la demande de brevet n'est que déclaratif de ce droit. La nouveauté exigée pour fonder ce droit ne peut être relative qu'à l'objet de l'acte inventif. Elle devra donc s'apprécier à la date de cet acte, et non à la date de dépôt de la demande de brevet. Tel est le principe essentiel de la condition de nouveauté aux Etats-Unis. Il n'est pas moins naturel qu'ailleurs. Il relève même du sens des mots : selon la quasi-totalité des dictionnaires, est nouveau "ce qui apparaît pour la première fois".

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SECTION II

LES FAITS DESTRUCTEURS DE NOUVEAUTE La nouveauté, par essence, est le caractère de ce qui n'existait pas. Comme on ne peut prouver l'inexistence d'une chose, on ne peut prouver la nouveauté. On doit donc définir la nouveauté négativement : n'est pas nouveau ce qui existait déjà. A cet égard, la loi américaine ne diffère pas des autres lois : elle définit les cas où une invention n'est pas réputée nouvelle, comme notre loi dispose qu'une invention est nouvelle si elle n'est pas contenue dans l'état de la technique. L'étude de la condition de nouveauté est donc essentiellement une étude des faits susceptibles de détruire la nouveauté. Ces faits peuvent être appréhendés dans leur forme et dans leur contenu. § 1. La forme du fait destructeur de nouveauté Par "forme", on entend tout ce qui touche au temps, au lieu, à la publicité, à la nature et à l'auteur du fait destructeur de nouveauté. S'agissant du temps, et comme déjà indiqué, selon une disposition originale de la loi américaine, tous les faits destructeurs de nouveauté sont repérés par rapport à la date de l'invention et non par rapport à la date de dépôt de la demande ayant cette invention pour objet. Pour les autres caractères de forme, il suffit de passer en revue les trois paragraphes a, e et g de l'article 102 : a) Les faits du paragraphe 102a Il s'agit d'abord de la connaissance et de l'utilisation de l'invention par d'autres personnes. Cette connaissance et cette utilisation doivent être

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intervenues sur le territoire américain. Par ailleurs, et bien que la loi ne le dise pas explicitement (mais la jurisprudence a été constante sur ce point) ces faits doivent être publics. Il s'agit ensuite des brevets et des publications imprimées. Il s'agit encore d'une connaissance, mais d'un type particulier en ce sens qu'elle est codifiée dans un écrit (brevet ou publication). Son caractère écrit, donc indubitable, la rend opposable quel que soit le pays d'origine. Bien que le paragraphe 102a ne le précise pas, ces brevets ou publications doivent émaner de tiers. La jurisprudence est constante sur ce point. Restent deux ambiguïtés sur ce que l'on entend par "invention brevetée" et par "publication imprimée". i) l'invention brevetée ("patented") Selon les pays :

- un brevet peut prendre effet à compter de la date de dépôt de la demande (c'est le cas notamment en France et en Allemagne),

- une protection provisoire peut naître dès la publication de la demande,

- la décision de délivrance du titre peut être prise par un arrêté, sans publication d'un fascicule de brevet, cette publication n'intervenant qu'ensuite.

L'expression "brevetée ... dans un pays étranger" mérite donc quelques éclaircissements. La jurisprudence a précisé qu'une invention devait être considérée comme brevetée ("patented"), en tant que fait destructeur de nouveauté, si elle a fait l'objet d'un brevet délivré et accessible au public. C'est ce qui a été arrêté par la Court of Customs and Patent Appeals dans In re EKENSTAM (1958), arrêt qui sera analysé dans le Titre II relatif aux modalités d'obtention du brevet.

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ii) Les publications imprimées Il peut sembler curieux d'exiger d'une publication qu'elle soit imprimée pour être opposable à une demande de brevet. L'expression "publication imprimée" a été introduite dans la loi américaine en 1836. Il faut comprendre que le souci du législateur américain de l'époque était de ne retenir que les documents ayant eu une large diffusion auprès du public. Or, à cette époque, le seul moyen d'assurer une large diffusion à un document était l'impression. Les documents manuscrits ou les comptes rendus dactylographiés, en l'absence de techniques de reprographie, ne pouvaient bénéficier que d'une diffusion limitée. Or, aujourd'hui, avec la photocopie, le microfilm, les banques de données informatiques, le réseau Internet, etc... cette distinction n'a plus lieu d'être. Les informations d'une banque de données sont accessibles à un très grand nombre d'abonnés par le canal d'un simple terminal, sans même qu'il soit besoin d'imprimer ces informations sur un support papier. Il s'est posé la question de savoir si les demandes de brevet publiées dix huit mois après la date de dépôt, comme les demandes allemandes ("Offenlegungsschriften") devaient être considérées comme des "publications imprimées", alors qu'elles ne sont pas imprimées au sens strict. Dans les décisions In re LINKS et In re MONKS, il a été répondu par l'affirmative : les "Offenlegungsschriften" constituent bien des "publications imprimées". On peut y ajouter aujourd'hui les publications de brevets américains, maintenant que ces publications existent. Il ne faut donc plus aujourd'hui donner un sens limitatif à l'adjectif "imprimé". b) Les faits du paragraphe 102e i) Principes Il s'agit du contenu des demandes de brevets publiées et des brevets délivrés sur la base de demandes déposées par des tiers aux Etats-Unis avant l'invention examinée.

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Cette disposition correspond sensiblement à notre article L.611-11 (3). Il est important de souligner que si la demande publiée ou le brevet délivré bénéficie d'une priorité unioniste, ce n'est pas la date de priorité qui doit être antérieure à l'invention, mais la date de dépôt effectif aux Etats-Unis (ou la date de dépôt de la demande internationale désignant les Etats-Unis, à condition que cette demande ait été publiée en anglais). Cette question de l'entrée dans l'art antérieur des brevets américains sera reprise dans le chapitre consacré à la condition de non-évidence et plus spécialement dans l'étude de la notion d'art antérieur. En anticipant, on peut dire que, si la disposition de l'article 102e correspond sensiblement à celle de notre article L.611-11(3), une différence de principe sépare ces deux dispositions. Dans la loi française, le contenu des demandes antérieures fait partie de l'état de la technique par exception à la règle générale définissant l'état de la technique. Selon la loi américaine au contraire, ce contenu fait partie de l'art antérieur au même titre que les autres faits (énumérés dans les paragraphes a ou g). Il en résulte une conséquence très importante : lorsqu'il s'agira de définir l'art antérieur à prendre en compte pour apprécier la non-évidence d'une invention, le contenu des demandes de brevets publiées ou des brevets américains sera retenu tout naturellement, comme tous les autres faits énumérés dans les paragraphes a et g, alors qu'en France, ce contenu n'ayant été introduit dans l'état de la technique que par exception, il s'en trouvera au contraire écarté. ii) Origine historique Dans l'affaire ALEXANDER MILBURN CO. v. DAVIS-BOURNONVILLE CO. (1926), la Société ALEXANDER MILBURN CO s'était trouvé poursuivie en contrefaçon sur la base d'un brevet accordé à un certain WITFORD. ALEXANDER MILBURN CO avait soulevé une exception de nullité en citant un brevet américain accordé à un certain CLIFFORD, lequel avait déposé sa demande avant celle de WITFORD mais n'avait obtenu son brevet qu'après. Le brevet de CLIFFORD ne revendiquait pas la même invention que celle de WITFORD mais il la

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décrivait. WITFORD ne put pas prouver qu'il avait réalisé son invention avant le dépôt de la demande par CLIFFORD. La description de la demande de CLIFFORD, encore secrète au moment où WITFORD avait effectué son invention ne constituait pas une connaissance publique. Dès lors, on ne pouvait trouver de motif légal à cette époque pour invalider le brevet de WITFORD. Mais on ne pouvait pas ignorer non plus le fait que WITFORD n'apparaissait plus comme ayant été le premier inventeur (sans qu'on puisse d'ailleurs attribuer cette paternité à CLIFFORD, qui ne la revendiquait pas). Le juge américain, qui peut très bien ne pas s'en tenir à la loi s'il estime que la décision qu'il rendrait serait inconstitutionnelle, invalida le brevet accordé à WITFORD, malgré l'absence de motifs légaux à cette époque, en faisant valoir que son titulaire n'était manifestement pas le premier inventeur. Ainsi, fallait-il ajouter, aux faits déjà énumérés par la loi, un autre fait destructeur de nouveauté également susceptible de ruiner la nouveauté d'une invention, à savoir la description de l'invention dans un brevet américain délivré sur la base d'une demande déposée avant la date de l'invention examinée. Cette thèse constitue la "doctrine MILBURN". iii) Formulation dans la loi La doctrine Milburn a été codifiée dans le paragraphe e de l'article 35 USC 102 lors de la remise en forme de 1952 et révisé en 1999, lors de l’introduction de la publication des demandes de brevets à 18 mois. Selon l’ancienne version du paragraphe 102e en vigueur depuis 1952, seuls les brevets délivrés étaient visés par le paragraphe e). Cette ancienne version du paragraphe 102e détermine encore l’entrée dans l’art antérieur selon le paragraphe 102e des brevets issus de demandes ayant une date de dépôt antérieure au 29 novembre 2000. Pour ces brevets, la date effective selon le paragraphe 102e est, pour les brevets issus de demandes nationales américaines, la date de dépôt, et pour les brevets issus de demandes

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internationales (PCT), la date où certaines exigences importantes pour l’entrée en phase nationale américaine ont été remplies. Selon la nouvelle version du paragraphe 102e en vigueur aujourd'hui, toute demande publiée peut être retenue, même si le brevet n'est jamais délivré (après rejet définitif ou abandon). Le paragraphe 102e se divise donc aujourd'hui en deux clauses, la première visant les demandes publiées, la seconde les brevets délivrés. Une troisième clause envisage le cas des demandes internationales. Si une demande internationale désigne les Etats-Unis et a été publiée en anglais, elle produit l'effet d'une demande nationale. Dans le cas contraire, elle n’a aucun effet selon le paragraphe 102e. Le paragraphe 102e sera analysé à nouveau à propos de la condition de non-évidence, dans le chapitre suivant. c) Le fait du paragraphe 102g La loi américaine prévoit un fait destructeur de nouveauté spécifique du système d'attribution du brevet au premier inventeur : c'est l'invention réalisée par un tiers antérieurement à l'invention revendiquée. Un tel fait correspond à des connaissances d'un type particulier, appréciées de manière stricte : il doit s'agir véritablement d'une "invention", c'est-à-dire de connaissances ayant été mises en oeuvre ("reduced to practice"). Le contenu de cette exigence apparaîtra plus clairement à la lumière de la Section III. Le paragraphe g) distingue deux cas : i) dans le premier, deux inventeurs revendiquent la même invention ; dans la procédure d'interférence qui s'en suit (inter partes) chacun fait valoir divers faits, y compris le cas échéant des faits intervenus à l'étranger (par exemple en France) puisque l'article 35 USC 104 l'autorise ; la priorité d'une des inventions ayant été établie, la nouveauté de l'invention seconde est détruite par l'invention première ; ii) dans le second, on oppose à un brevet une invention antérieure d'un tiers (généralement,

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procédure ex parte ou procédure judiciaire) ; dans ce cas, l'invention antérieure doit nécessairement avoir été réalisée aux Etats-Unis. Dans ces deux cas, l'invention antérieure ne doit pas avoir été abandonnée, supprimée ou dissimulée (comme on le comprendra mieux après l'étude des conditions de perte du droit du brevet, cf Titre II, Chapitre II). Le paragraphe (g) de l'article 102 soulève la question de l'ordre chronologique de deux inventions. Il s'agit de déterminer laquelle de deux inventions peut être opposée à l'autre comme art antérieur, ou, en d'autres termes, qui, de deux personnes ayant réalisé une même invention, est le premier inventeur (cf. Section III suivante). § 2. Le contenu du fait destructeur de nouveauté Le fait destructeur de nouveauté ayant été analysé dans sa forme, il reste à en apprécier le contenu. a) L'antériorité à l'identique La nouveauté d'une invention est détruite si le fait antérieur la révèle exactement telle qu'elle est revendiquée. La formulation de l'article 35 USC 103 (que l'on étudiera plus loin) montre en effet que la condition de non-évidence vient s'ajouter à la condition de nouveauté, et que cette dernière condition est remplie si l'invention n'est pas exactement décrite comme énoncé à l'article 35 USC 102 :

103. Conditions de brevetabilité ; non-évidence Même si l'invention n'est pas divulguée ou décrite exactement comme énoncé à l'article 102 du présent Titre, un brevet ne peut pas être obtenu (...)

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b) L'antériorité unique La destruction de nouveauté doit être analysée strictement. Pour détruire la nouveauté, un fait antérieur unique doit regrouper pas tous les éléments de l’invention revendiquée dans la demande de brevet (antériorité à l’identique). L’existence de différences mêmes minimes élimine la possiblité d’une absence de nouveauté et impose une analyse au titre de la non-évidence.

SECTION III

L'ANTERIORITE DE L'INVENTION Les faits susceptibles de détruire la nouveauté d'une invention doivent être antérieurs à la date de l'invention. En conséquence, une invention, pour être nouvelle, doit être antérieure à tous les faits susceptibles de lui être opposés et notamment être antérieure aux mêmes inventions réalisées par des tiers. Ce caractère antérieur ou "antériorité" (que les Américains nomment "priority") est l'un des traits spécifiques du droit américain de la brevetabilité. L'antériorité d'une invention confère à l'auteur de celle-ci une priorité dans l'attribution du droit au brevet : il est le premier et, à ce titre, a seul droit à un brevet. L'antériorité d'une invention doit d'abord être étudiée dans ses principes. Il faut examiner ensuite, de manière plus pratique, les actes qui la déterminent.

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§ 1. Les principes La règle de l'antériorité ("priority") est spécifiée à la fin du paragraphe g de l'article 35 USC 102 :

"Pour établir la priorité d'une invention, il est tenu compte non seulement des dates respectives de la conception et de la mise en oeuvre de l'invention, mais aussi de la diligence normale de celui qui a été le premier à concevoir l'invention et le dernier à la mettre en oeuvre, à partir d'une date antérieure à la conception par l'autre personne."

Dans cette traduction du paragraphe g, l'expression "mise en oeuvre" correspond à "reduction to practice" en anglais. L'article 35 USC 102g et la jurisprudence qui en est à l'origine, permettent d'énoncer la proposition suivante :

La priorité d'une invention est attribuée à celui qui, le premier, a mis en oeuvre l'invention sauf si le second à l'avoir mise en oeuvre a été le premier à la concevoir et s'il a été diligent pour la mettre en oeuvre à partir du moment où l'autre a conçu l'invention.

Mais on peut renverser la proposition et énoncer :

La priorité d'une invention est attribuée à celui qui, le premier, a conçu l'invention sauf s'il a été le second à la mettre en oeuvre et s'il n'a pas été diligent à partir du moment où l'autre a conçu l'invention.

On observera deux points :

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- la diligence de celui qui a été le premier à mettre l'invention en oeuvre n'est jamais prise en considération. Il n'y a donc jamais lieu de comparer les diligences dont ont fait preuve les deux parties en cause : il n'y a pas de "course" ("no race of diligence") ;

- la période critique pendant laquelle est en cause la diligence de la partie qui a été la seconde à mettre en oeuvre l'invention mais la première à la concevoir, ne commence pas à une date fixée avec précision : il suffit qu'elle commence avant la conception par l'autre partie.

Ces règles peuvent paraître complexes mais elles procèdent d'une idée simple. Une création n'est accomplie que si elle a été réalisée, c'est-à-dire au sens étymologique, si son auteur l'a fait exister au titre de réalité concrète, à partir de ce qui n'existait que dans son esprit. Ce n'est que dans le cas exceptionnel où l'acte créateur est continu qu'on peut éventuellement lui attribuer une date de naissance antérieure à celle de la réalisation. Les deux schémas suivants illustrent la règle. Les indices a et b désignent deux inventeurs, R désigne une "reduction to practice" ou mise en oeuvre et C une conception. Dans les cas simples où les inventeurs ne peuvent s'appuyer que sur leurs mises en oeuvre (par défaut de moyens de preuve relatifs aux conceptions), la règle est simple :

a

b

Ra

Rb

L'inventeur b est donc le premier inventeur. Dans le cas général :

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a

b

Ra

Rb

Ca

Cb

Période critiqueDiligence

L'inventeur a peut être le premier inventeur s'il a été diligent dans la période critique. § 2. Les actes déterminant l'antériorité d'une invention La jurisprudence a défini trois actes pouvant être pris en compte pour la détermination de l'antériorité d'une invention : la conception, la "reduction to practice" et, dans certains cas, la diligence. a) La conception d'une invention La conception d'une invention est la démarche intellectuelle par laquelle un inventeur imagine et éventuellement formule un principe inventif. Ce principe ne doit pas porter seulement sur l'objectif à atteindre. Il doit définir des moyens spécifiques permettant d'obtenir un résultat. Lorsqu'une invention nécessite des essais répétés s'échelonnant sur des mois, il peut être difficile de situer avec précision la date de conception. Mais il suffit le plus souvent de montrer que cette date, si elle reste incertaine, est néanmoins antérieure à une date déterminée, qui est celle de l'acte opposé à l'invention.

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b) La "reduction to practice" La "reduction to practice" ou mise en oeuvre d'une invention est une étape supplémentaire par laquelle l'inventeur met en oeuvre son idée inventive. On distingue deux types de mise en oeuvre, l'une dite "actual" (effective ou de fait), l'autre dite "constructive" (fictive) :

- une "actual reduction to practice" est effectuée lorsque l'inventeur fabrique le produit ou met en oeuvre le procédé qu'il a conçu et démontre que son idée inventive procure bien le résultat escompté ;

- une "constructive reduction to practice" correspond au dépôt d'une demande de brevet décrivant l'invention conformément à l'article 35 USC 112. Le dépôt d'une telle demande de brevet vaut mise en oeuvre. En effet, la loi américaine exigeant d'une demande de brevet, non seulement qu'elle décrive suffisamment l'invention pour que l'homme de l'art puisse la réaliser, mais qu'elle donne aussi le meilleur mode de réalisation de l'invention ("the best mode contemplated by the inventor of carrying out his invention"), une demande de brevet régulière équivaut bien à une mise en oeuvre.

La doctrine de la "constructive reduction to practice" est strictement limitée au dépôt d'une demande de brevet, soit aux Etats-Unis, soit servant de base à un dépôt aux Etats-Unis. Elle ne s'étend pas aux autres demandes de brevets ni aux publications scientifiques ordinaires. L'appréciation de l'"actual reduction to practice" n'est pas moins sévère. En règle générale, il est exigé que l'objet de l'invention ait été réalisé et que son utilité ait été vérifiée. Ainsi, dans ELMORE v. SCHMITT (1964), la Court of Customs and Patent Appeals a estimé qu'un compteur binaire destiné à un calculateur n'avait pas fait l'objet d'une "actual reduction to practice" dès lors qu'il avait seulement été testé en laboratoire à l'aide d'un oscilloscope et non dans l'environnement même du calculateur auquel il était destiné.

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Dans STENCEL v. NORDINE (1973), il s'agissait d'un parachute de sécurité qui avait fait l'objet d'essais au sol et d'essais en vol. Ces derniers ne s'étaient toutefois pas révélés satisfaisants du fait de la défaillance d'un des moyens prévus. Néanmoins, la Court of Customs and Patent Appeals a estimé que l'ensemble de ces tests pouvait être considéré comme une "actual reduction to practice". Dans BIRMINGHAM v. RANDALL (1948), il s'agissait d'un procédé pour recouvrir du bois par du papier, afin d'en masquer les imperfections. La Court of Customs and Patent Appeals a estimé que des essais sur des échantillons de 5x10 pouces carrés étaient insuffisants pour prouver une "actual reduction to practice", de tels échantillons ayant une taille beaucoup trop faible pour que le résultat de ces essais ait une quelconque signification pratique. Une question difficile se pose lorsque l'invention n'a pas été réalisée mais seulement simulée sur ordinateur. Ce mode d'étude se développe rapidement dans certains domaines comme l'électronique (Conception Assistée par Ordinateur : C.A.O.) ou l'aéronautique (étude de profils) ou l'industrie spatiale (simulation des conditions spatiales). La question de savoir si une simulation par ordinateur est une "actual reduction to practice" n'est pas tranchée. Dans McDONNELL DOUGLAS Corp. v. UNITED STATES (1982), il s'agissait d'un missile défini par simulation. La Court of Claims n'a pas jugé que, d'une manière générale, la simulation par ordinateur n'établissait pas une "actual reduction to practice", mais qu'en l'espèce, cette simulation n'établissait pas, de manière convaincante, que l'invention avait été réellement achevée. Il faut dire que, lors des essais à tir réel entrepris par McDONNELL DOUGLAS après le dépôt du brevet, le missile manqua huit fois sa cible sur neuf tirs, ce qui laissait planer un sérieux doute sur la valeur de la simulation. c) La diligence La diligence est un soin, voire un empressement, que l'inventeur apporte à la mise en

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oeuvre de son invention. Diligence s'oppose à négligence. L'inventeur à qui incombe la charge de prouver sa diligence et qui n'y parvient pas, peut tenter de faire valoir certaines excuses :

- la maladie, - la pauvreté, - la charge de travail lorsque l'invention se situe

hors du domaine d'activité habituel de l'inventeur.

Mais :

- les doutes que l'inventeur formulait sur l'intérêt de l'invention,

- l'activité consacrée à une autre invention, ne constituent pas des excuses légitimes. § 3. La territorialité des actes pris en compte Avant le 1er janvier 1996, tous les actes permettant d'établir l'antériorité d'une invention (conception, "reduction to practice" et, le cas échéant, diligence) devaient être intervenus sur le territoire des Etats-Unis. Il n'était donc pas possible de se référer à des actes intervenus à l'étranger. Mais les Américains ont modifié leur loi pour tenir compte, d'abord, de l'Accord de Libre Echange Nord-Américain (ALENA, en anglais : NAFTA pour "North American Free Trade Agrement") entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique et, ensuite, de l'accord général du GATT, conclu en 1994 et dont le volet relatif à la propriété intellectuelle (TRIPS pour "Trade Related Aspects of Intellectual Property" ou ADPIC en français) impose que les droits de brevet ne peuvent faire l'objet d'une discrimination en raison du lieu où l'invention a été faite. L'article 35 USC 104, qui traite le cas des inventions faites sur un territoire étranger, a donc été modifié pour étendre le territoire en question aux pays appartenant à l'ALENA (Canada et Mexique) et aux pays de l'Organisation Mondiale du Commerce (WTO pour "World Trade Organization"). Depuis le 1er janvier 1996, les inventeurs français peuvent donc faire valoir leurs travaux

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exécutés en France pour assurer la brevetabilité de leurs inventions et échapper à un art antérieur ou pour l'emporter en cas d'interférence. Encore faut-il que des moyens de preuve aient été constitués et soient probants. En l'absence de tels moyens, seule la demande de brevet prioritaire déposée en France pourra servir à assurer la date de l'invention. En effet, si la demande de brevet américain déposée par un étranger a été déposée sous priorité, elle aura le même effet (pour le déposant) que si elle avait été déposée aux Etats-Unis à la date de priorité. Or, le dépôt régulier d'une demande de brevet américain constitue une "constructive reduction to practice". Donc, date de conception et date de "reduction to practice" remonteront à la date de priorité. Dans ce cas, date de conception, date de mise en oeuvre et date de priorité se confondront en une seule et même date. § 4. Domaine d'application La question de l'antériorité d'une invention se pose dans deux cas différents :

- dans le premier, deux inventeurs sont en compétition dans une procédure inter partes d'interférence à propos d'une même invention,

- dans le second, l'inventeur veut prouver que son

invention était antérieure à un fait qu'on lui oppose dans une procédure devant l'Office des brevets ou dans une procédure judiciaire; ce fait peut être par exemple une publication d'un tiers.

Le premier cas est naturellement plus difficile à régler que le second, puisqu'il y a deux incertitudes de dates : celles des deux inventions en interférence. Dans le second cas, au contraire, l'une des deux dates est connue : c'est celle de la publication opposée. Il suffit alors à l'inventeur, pour écarter cette publication, de prouver qu'il a mis en oeuvre l'invention avant cette date ou, si cela

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n'est pas le cas, qu'il a conçu l'invention avant cette date et qu'il a été diligent dans une période commençant avant la date de la publication et s'étendant jusqu'à la date de dépôt de la demande (considérée comme une "constructive reduction to practice"). Cette procédure particulière dite du "swearing back" est définie dans la règle 37 CFR 1.131. On observera qu'en pratique on détermine moins la date de l'invention que son caractère antérieur. Il suffit de montrer que l'on avait inventé l'objet revendiqué avant le document opposé, même si la date exacte de l'invention demeure incertaine.

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CHAPITRE V

LA CONDITION DE NON-EVIDENCE INTRODUCTION Les premières lois américaines (1790-1793-1836) n'imposaient qu'une condition de brevetabilité : la nouveauté. Mais la jurisprudence distinguait divers types d'inventions auxquels cette nouveauté pouvait s'appliquer (juxtaposition ou combinaison de moyens connus, changement de matière, de forme, application de moyens connus, etc...). En 1952, le Congrès, pour unifier l'appréciation de la brevetabilité, promulgua une nouvelle loi prévoyant explicitement une condition supplémentaire de brevetabilité : la non-évidence de l'invention. La condition de non-évidence, dans sa définition, ne soulève guère de difficultés (Section I). En revanche, son application recèle des pièges lorsqu'il s'agit de définir l'art antérieur à prendre en compte (Section II). L'appréciation de la non-évidence est familière aux Européens, puisque les règles françaises ou européennes sont directement inspirées des règles américaines (Section III).

SECTION I

DEFINITION DE LA CONDITION DE NON-EVIDENCE La condition de non-évidence est définie par l'article 35 USC 103.

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Il faut analyser d'abord les dispositions légales et souligner ensuite le caractère relatif de cette condition. § 1. La disposition légale La loi du 19 Juillet 1952 énonce une condition supplémentaire de brevetabilité, qui s'applique après la condition de nouveauté. Cette condition supplémentaire est la non-évidence de l'invention. L'article 35 USC 103, dans son premier alinéa (a), dispose :

103. Conditions de brevetabilité ; non-évidence. (a) Même si l'invention n'est pas divulguée ou décrite exactement comme énoncé à l'article 102 du présent Titre, un brevet ne peut pas être obtenu lorsque les différences entre l'objet de la protection par brevet demandée et l'art antérieur sont telles que cet objet dans son ensemble aurait été évident, au moment où l'invention a été faite, pour un homme du métier ayant une connaissance moyenne du domaine en cause. (...)

On observera que la loi française et les textes qui en sont à l'origine, notamment la Convention de Strasbourg de 1963, s'appuient sur la notion d'"activité inventive", qui ne semble pas ajouter grand chose à la notion de non-évidence puisque l'activité inventive, par définition (cf. L.611-14 CPI) est le caractère de ce qui n'est pas évident. La loi américaine fait l'économie de cette notion. Le premier alinéa de l'article 35 USC 103 se termine par la phrase :

La brevetabilité ne sera pas déniée en raison de la manière dont l'invention a été faite.

Cette phrase coupe court à des interprétations erronées, liées à des expressions comme "inventive genius" et "flash of creative

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genius", qui avaient été employées avant 1952 par certains tribunaux américains. Elles risquaient d'accréditer la thèse selon laquelle une invention ne serait brevetable que si son auteur avait fait preuve effectivement d'un trait de génie. § 2. Le caractère relatif de la non-évidence La non-évidence d'une invention est une question essentiellement relative. Elle exige qu'une comparaison soit effectuée et cette comparaison doit être effectuée dans certaines conditions. a) Les termes de la comparaison Les deux termes de la comparaison sont respectivement l'invention revendiquée et l'art antérieur : i) L'invention revendiquée L'un des termes de la comparaison est l'invention dont on cherche la protection, c'est-à-dire l'invention revendiquée. Il faut observer que ce ne sont pas les différences entre l'invention et l'art antérieur qui font l'objet de la comparaison mais l'invention considérée dans son ensemble ("as a whole"). Ce point pose des problèmes particuliers dans le cas des produits chimiques. Dans In re PAPESCH, la Court of Customs and Patent Appeals a indiqué que l'expression "the subject matter sought to be patented" employée dans l'article 35 USC 103 signifiait que la structure du composé et toutes ses propriétés devaient être considérées comme un tout indivisible. En 1988, la CAFC a indiqué que l'invention considérée comme un tout incluait le problème résolu par l'invention (In re WRIGHT). Mais ce point reste controversé.

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ii) L'art antérieur Le second terme de la comparaison est l'état de la technique ou art antérieur ("Prior Art"). La loi américaine est ambiguë à cet égard, car elle ne définit pas ce qu'est l'art antérieur. L'article 35 USC 103 se borne à évoquer les différences entre l'objet de la protection demandée et l'état de la technique. Cette question délicate, mais essentielle, mérite qu'on lui consacre une étude approfondie. Ce sera l'objet de la section suivante. b) Les conditions de la comparaison La comparaison entre l'invention et l'art antérieur est relative à une personne particulière : celle qui possède des connaissances normales dans le domaine technique auquel appartient l'invention. On peut désigner cette personne par "homme du métier" selon une expression courante en Europe. Il n'est guère besoin de s'appesantir sur le caractère fictif de cette personne. L'homme du métier est censé connaître et comprendre tous les documents ou travaux retenus contre l'invention, quelles que soient leur origine, leur langue, leur difficulté. Il peut aussi les combiner. Cependant, il faut souligner, en anticipant, que l'homme du métier, au sens de la loi américaine, se distingue de son homologue européen par une connaissance beaucoup plus complète de l'art antérieur : alors que l'homme du métier européen n'est censé connaître de l'état de la technique que la partie accessible au public (il ne connaît pas le contenu des demandes antérieures non publiées), l'homme du métier américain est réputé connaître, dans une ultime fiction, tout l'art antérieur, y compris, le cas échéant, des parties inaccessibles au public, voire des informations classées secrètes. Ce point spécifique du droit américain des brevets apparaîtra plus clairement à la lumière de la section suivante.

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SECTION II

L'ART ANTERIEUR Selon l'article 35 USC 103, l'appréciation de la non-évidence d'une invention nécessite l'analyse des différences entre cette invention et l'état de la technique ou art antérieur ("prior art"). Mais l'article 35 USC 103 ne définit pas ce qu'est l'art antérieur. Il convient donc tout d'abord de rechercher les sources légales de cet art antérieur ; il sera possible ensuite d'en analyser la forme. § 1. Les sources légales de l'art antérieur Comme la condition de non-évidence est une condition supplémentaire de brevetabilité, qui vient s'ajouter à la condition de nouveauté définie par l'article 35 USC 102, c'est dans cet article qu'on doit chercher un support légal à la notion d'art antérieur. La difficulté vient de ce que, pour définir la condition de nouveauté, l'article 35 USC 102 ne s'appuie pas sur la notion générale d'art antérieur. Il se borne à énumérer des faits destructeurs de nouveauté. S'il est clair qu'un brevet américain délivré sur la base d'une demande déposée avant l'invention en cause (paragraphe 102e) constitue un fait destructeur de nouveauté, il ne va pas de soi en revanche que le contenu de ce brevet puisse constituer un art antérieur devant être pris en considération pour l'appréciation de la non-évidence de l'invention en question. La même interrogation se pose pour les inventions antérieures visées au paragraphe 102g puisque, à leurs dates de création, ces inventions n'étaient pas nécessairement accessibles au public. Pour répondre à de telles questions et cerner la notion d'art antérieur, il faut examiner un à un les divers paragraphes de l'article 35 USC 102, à l'exclusion toutefois des paragraphes b, c et d, qui

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ne portent pas sur la nouveauté, mais sur la perte du droit au brevet (question déjà évoquée et qui sera examinée plus loin). Il est utile aussi d'examiner le paragraphe f car ce paragraphe intervient dans cette question de l'art antérieur, ce qui justifie d'ailleurs sa présence dans l'article 35 USC 102. a) Art antérieur correspondant à 35 USC 102a C'est le paragraphe qui pose le moins de problème pour un Français puisque tous les actes qu'il mentionne sont publics. Ainsi, le contenu :

- de la connaissance et de l'usage par d'autres que l'inventeur, aux Etats-Unis,

- des brevets ou des publications imprimées, n'importe où dans le monde,

constitue un art antérieur devant être pris en considération pour l'appréciation de la non-évidence en application de l'article 35 USC 103. b) Art antérieur correspondant à 35 USC 102e Le paragraphe e de l'article 35 USC 102 se réfère aux demandes de brevets publiées déposées avant la date de l'invention examinée ainsi qu'aux brevets délivrés sur la base de demandes déposées avant cette date. S'il est compréhensible que le contenu de ces documents soit susceptible de détruire la nouveauté d'une invention, il ne va pas de soi en revanche qu'un tel contenu puisse constituer un art antérieur devant être pris en considération pour apprécier la non-évidence d'une invention, pour la raison que cet art n'était pas public à la date de l'invention. La Cour Suprême a cependant répondu par l'affirmative à cette interrogation en 1965, dans HAZELTINE RESEARCH INC. et al. v. BRENNER. Selon la Cour Suprême, un déposant qui a pris soin de décrire son invention dans une demande de brevet américain ayant abouti à un brevet, a fait en sorte que l'état de l'art soit augmenté de cet apport. Le retard dans la mise à la disposition du public de cet apport ne lui est en rien imputable, mais tient seulement à la

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procédure d'examen engagée par l'Office américain des brevets. La décision HAZELTINE prolonge donc la Doctrine MILBURN rencontrée lors de l'étude de la nouveauté : l'article 102e définit un fait antérieur au plein sens du terme, en dépit de son caractère non public. Il est important de noter que cette solution est exactement opposée à celle de la loi française où l'article L.611-14 exclut le contenu des demandes antérieures non publiées visées à l'article L.611-11, lorsqu'il s'agit d'apprécier l'activité inventive. La disposition américaine se justifie dans la mesure où elle permet d'éviter que soient délivrés des brevets différents pour des inventions ne présentant pas entre elles de différences brevetables. On retrouvera plus loin cette notion selon laquelle deux inventions qui ne présentent pas de différences brevetables sont "les mêmes" (indépendamment de toute publicité de l'une ou de l'autre). La loi américaine a été modifiée en 1994 pour permettre le dépôt de demandes provisoires ("provisional specification"). Les modalités de dépôt de ces demandes sont précisées dans un nouveau paragraphe (b) de l'article 35 USC 111. Les brevets délivrés sur la base de ces demandes provisoires entrent dans l'état de la technique à compter de la date de dépôt de la demande provisoire, et non de la date de dépôt de la demande complète ("non-provisional specification") laquelle doit être déposée dans l'année qui suit. L'article 35 USC 102e qui, jusqu'au 29 novembre 2000, ne traitait que des brevets délivrés, a été modifié pour prendre en compte les demandes publiées : i) Demandes publiées (35 USC 102e(1))

Une première clause est relative aux demandes

publiées. Dès leur publication, ces demandes peuvent être prises en compte par l'Office américain des brevets et entrent dans l'état de la technique à compter de leur date de dépôt aux Etats-Unis (pour les demandes nationales).

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Selon le paragraphe 102e, une demande internationale publiée a le même effet qu’une demande nationale (c’est-à-dire qu’elle entre dans l’état de la technique à partir de sa date de dépôt international) à condition qu’elle désigne les Etats-Unis et qu’elle ait été publiée en langue anglaise. Si la demande internationale n'est pas publiée en langue anglaise, elle n'entre pas dans l'état de la technique à compter de la date de dépôt international. La demande internationale publiée, par exemple, en français entrera quand même dans l'état de la technique mais au titre de l'article 35 USC 102 paragraphe a, comme pour un document ordinaire, c’est-à-dire seulement à compter de sa date de publication. ii) Brevets délivrés (35 USC 102e(2))

Une deuxième clause concerne les brevets

américains délivrés sur la base d'une demande nationale américaine, comme par le passé. Cependant, cette clause ne s’applique pas aux brevets délivrés sur la base d’une demande internationale. On notera que, si la demande internationale a été publiée en anglais, elle entre dans l’état de la technique à la date de dépôt de la demande internationale, et cela au titre de la première clause. Observons que, pour le déposant d’une demande internationale désignant les Etats-Unis, tout se passe comme si la demande avait été déposée aux Etats-Unis le jour du dépôt de la demande internationale. Les effets ne sont différés que pour l'opposabilité aux tiers en liaison avec l'article 35 USC 102e. Cette distinction est prévue dans le Traité de coopération en matière de brevets (PCT), dans l'article 64 consacré aux Réserves :

4)a) Tout Etat dont la législation nationale reconnaît à ses brevets un effet sur l'état de la technique à compter d'une date antérieure à celle de la publication mais n'assimile pas, aux fins de l'état de la technique, la date de priorité revendiquée selon la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle à la date

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du dépôt effectif dans cet Etat peut déclarer que le dépôt hors de son territoire d'une demande internationale le désignant n'est pas assimilé à un dépôt effectif sur son territoire aux fins de l'état de la technique.

c) Art antérieur correspondant à 35 USC 102f Le paragraphe 35 USC 102f vise les inventions revendiquées par ceux qui n'en sont pas les inventeurs authentiques. La condition d'authenticité trouve sa place dans l'article 35 USC 102 pour définir un art antérieur particulier qui est essentiellement l'art antérieur admis par le déposant. Cet art antérieur particulier peut s'exprimer dans la description d'une demande de brevet ou dans le préambule d'une revendication : i) Art antérieur admis dans la description d'une demande Dans la description d'une demande de brevet américain, l'invention peut être présentée comme un perfectionnement à un art antérieur défectueux, même si cet art ne correspond pas à l'un des cas énumérés par l'article 35 USC 102 (il peut s'agir par exemple d'un usage dans un pays étranger). Cette situation s'est présentée dans In re NOMIYA (CCPA 1975). Des inventeurs japonais, NOMIYA et al., avaient déposé une demande de brevet pour couvrir un perfectionnement à des transistors. La description de la demande comprenait, comme il est d'usage, un paragraphe intitulé "Description of the Prior Art". Une figure illustrait cet art antérieur avec la légende habituelle "Prior Art". Cet "art antérieur" consistait en une technique utilisée au Japon pour réaliser des transistors. L'Office américain des brevets avait rejeté la demande comme portant sur une invention évidente compte tenu de l'art antérieur tel que défini par les déposants, combiné à d'autres documents cités par l'examinateur. Les déposants avait tenté d'éviter ce rejet en faisant valoir que l'art antérieur décrit

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dans la demande n'était connu qu'au Japon et qu'à ce titre il ne pouvait être retenu comme art antérieur selon le paragraphe a de l'article 102. En effet, cet article prévoit explicitement que, pour être retenue, la connaissance d'une invention doit se situer "dans ce pays", c'est-à-dire aux Etats-Unis, ce qui n'était pas le cas. La Court of Customs and Patent Appels confirma le rejet de la demande et rappela que tout art connu du déposant était un art antérieur sur la base duquel un rejet pour évidence pouvait être fondé. ii) Art antérieur formulé dans le préambule d'une revendication Est également considéré comme art antérieur le contenu du préambule d'une revendication rédigée sous forme de "Jepson claim". On verra qu'une telle revendication comprend un préambule rappelant l'art connu et un développement annoncé par l'expression ("characterized in that"), développement qui définit la partie originale de l'invention. C'est généralement la forme utilisée par les déposants européens. Cette question s'est posée dans In re FOUT et al. (CCPA 1982). Dans cette affaire, il s'agissait d'un procédé pour décaféiner le café. L'invention perfectionnait un procédé connu. Les principales étapes de ce procédé connu étaient énumérées dans le préambule de la revendication. L'Office américain des brevets, puis le Board of Appeals, avaient rejeté la demande comme portant sur une invention évidente à l'égard de l'art antérieur défini par le préambule de la revendication. Les déposants avaient tenté, en vain, de faire valoir que cet art n'était décrit ni dans un brevet ni dans une publication, qu'il n'était ni publiquement connu ni utilisé aux Etats-Unis et qu'en conséquence, il ne trouvait aucun support dans l'article 35 USC 102. La Court of Customs and Patent Appeals rejeta cette argumentation puisque ce préambule définissait un art connu du déposant. Dans ces deux exemples, le fondement légal du rejet est le paragraphe (f) de l'article 102 : le demandeur reconnaît en effet qu'il n'a pas inventé lui-même l'invention revendiquée, dès lors que sa contribution est jugée insuffisante.

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d) Art antérieur correspondant à 35 USC 102g i) Généralités Comme il a déjà été indiqué, le paragraphe g se divise en deux sous-alinéas définissant chacun un art antérieur particulier i) le premier sous-alinéa se rapporte

à une invention première mise en évidence à la suite d'une procédure d'interférence (inter partes) : cette invention première peut ruiner la nouveauté de l'invention seconde s'il y a identité d'objets, mais elle peut aussi affecter la brevetabilité de la seconde, si cette dernière découle de manière évidente de la première ; on verra ultérieurement comment se déroule la procédure d'interférence mais, en anticipant, on peut dire qu'une fois l'invention commune (appelée "count") déterminée et attribuée à la partie première, la question se pose de savoir si certaines dispositions distinctes du "count" et revendiquées par la partie seconde pourraient être accordées à celle-ci ; la réponse est affirmative si ces dispositions ne sont pas évidentes à l'égard du "count" attribué à l'autre partie (doctrine dite du "lost count"),

ii) le second sous-alinéa se rapporte à une invention première mise en évidence généralement au cours d'une procédure d'examen ex parte ou d'une procédure judiciaire ; la première invention ruine la nouveauté de l'invention seconde s'il y a identité mais peut également affecter sa brevetabilité si la seconde découle de manière évidente de la première.

Observons que l'invention première visée par le premier sous-alinéa (procédure inter partes) peut, le cas échéant, être une invention réalisée à l'étranger (par exemple en France) en raison de la modification apportée à l'article 35 USC 104, alors

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que l'invention première visée par le second sous-alinéa (procédure ex parte) est nécessairement une invention réalisée aux Etats-Unis. ii) Les amendement de 1984 et de 2000 Le paragraphe g) de l'article 35 USC 102 peut conduire à des situations préjudiciables pour les entreprises puisque les diverses inventions d'une même entreprise pourraient être opposables aux divers inventeurs de ladite entreprise au titre de l'évidence. C'est pour éviter ce genre de problèmes que l'article 35 USC 103 a été modifié une première fois en 1984, par l'ajout d'un alinéa prévoyant que l'on ne pourra pas opposer à une invention, au titre de l'évidence, l'objet des activités d'un tiers, objet qui tomberait normalement sous le coup des paragraphes f et g de l'article 35 USC 102, si cette invention et l'objet de ces activités appartenaient à la même personne ou devaient être cédées à la même personne au moment où l'invention a été réalisée. Le 29 novembre 2000 un nouvel amendement a étendu cette disposition au paragraphe e). L'alinéa c) de l'article 35 USC 103 se lit donc aujourd'hui comme suit :

"c) Des objets élaborés par des tiers, qui se qualifient comme étant de l'état de la technique uniquement en vertu d'un ou plusieurs des sous-alinéas e), f) et g) de l'article 102 du présent Titre, ne font pas obstacle à la brevetabilité en vertu du présent article, lorsque l'objet et l'invention revendiquée appartenaient, au moment où l'invention a été faite, à la même personne ou faisaient l'objet d'une obligation de cession à la même personne".

e) Conclusion sur la notion d'art antérieur Après cette analyse, on voit que la notion d'art antérieur à prendre en compte pour

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l'appréciation de la non-évidence présente des caractères spécifiques aux Etats-Unis :

i)L'art à prendre en compte est l'art antérieur à la date de l'invention et non l'art antérieur à la date de dépôt de la demande. S'il est admis qu'on peut faire valoir des faits postérieurs à l'invention (succès commercial, avantages, etc...) (cf section suivante), ce ne peut certainement pas être pour apporter une preuve directe de la non-évidence de l'invention, mais seulement pour étayer une conclusion tirée d'une analyse des faits établis à la date de l'invention.

ii)L'art antérieur peut n'avoir pas été accessible au public au moment de l'invention (102e, g).

iii)Alors qu'en Europe, "l'état de la technique" est défini par rapport au public en général ("tout ce qui a été rendu accessible au public"), aux Etats-Unis, l'art antérieur se rapporte plutôt à celui qui revendique un droit. Il peut y avoir ainsi un art antérieur aux yeux du public américain et un art antérieur aux yeux du déposant et ces arts peuvent très bien ne pas coïncider (cf In re NOMIYA et In re FOUT).

iv)En Europe, un même fait constitue un art antérieur indépendamment du territoire dans lequel ce fait existe, alors qu’aux Etats-Unis, certains faits ne constituent des arts antérieurs que s’ils ont eu lieu aux Etats-Unis (par exemple, une connaissance ou un usage antérieur aux Etats-Unis selon le paragraphe 102a).

v)Alors qu'en Europe, il existe deux composantes de l'état de la technique (l'une pour la détermination de la nouveauté, l'autre pour l'appréciation de la non-évidence) aux Etats-Unis, il n'y a qu'un seul art antérieur, quelle que soit la condition de brevetabilité examinée.

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SECTION III

APPRECIATION DE LA NON-EVIDENCE En 1965, la Cour Suprême des Etats-Unis rendit trois arrêts décisifs formant ce qu'il est convenu d'appeler la "trilogie GRAHAM" (le premier de ces trois arrêts étant l'arrêt GRAHAM v. JOHN DEERE). Ces arrêts permirent de préciser les conditions d'application du nouveau critère de brevetabilité défini par la loi de 1952. § 1. La règle d'appréciation Selon la Cour Suprême, la méthode pour apprécier l'évidence ou la non-évidence d'une invention consiste à :

- déterminer la portée et le contenu de l'art antérieur ;

- relever les différences entre l'art antérieur et les revendications en cause ;

- préciser le niveau des connaissances normales dans le domaine en cause ;

- déterminer, dans ce contexte, si l'objet des revendications est évident ou non-évident.

§ 2. Les indices de non-évidence a) Fondement jurisprudentiel L'article 35 USC 103 définit la condition de non-évidence et l'arrêt GRAHAM v. JOHN DEERE en précise les règles d'application. Il n'en demeure pas moins que, même après avoir suivi la méthode préconisée par la Cour Suprême, la conclusion quant à l'évidence ou la non-évidence d'une invention peut être difficile à tirer. Il est utile, dans cette ultime étape, de faire appel à des considérations que

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les Américains qualifient de "secondaires" ("secondary considerations"). Ces considérations sont secondaires par rapport aux considérations principales que sont le contenu de l'art antérieur, les différences entre l'objet dont la protection est recherchée et cet art antérieur, et les connaissances normales dans le domaine en cause. Mais ces considérations, pour secondaires qu'elles soient, n'en constituent pas moins des indices précieux de non-évidence. Dans GRAHAM v. JOHN DEERE, la Cour Suprême a explicitement reconnu que de tels indices pouvaient être utilisés. Il faut observer que le recours à ces indices ne date pas de l'arrêt GRAHAM. Bien avant l'introduction de la condition de non-évidence, il arrivait aux tribunaux américains de motiver leurs décisions par de telles "considérations secondaires". Naturellement, il ne s'agissait pas encore d'indices de non-évidence, mais plutôt d'indices de "nouveauté brevetable". b) L'intérêt du recours aux "considérations secondaires" La question de la non-évidence d'une invention soulève des questions de caractère essentiellement technique. Ces questions peuvent être très ardues. Or, aucun juge, siégerait-il à la Cour Suprême, ne peut prétendre assimiler les connaissances de l'homme du métier, fussent-elles ordinaires. Dans ces conditions, les seules considérations techniques peuvent, dans certains cas, conduire à une impasse. Pour en sortir, les parties tentent de transposer le problème sur un tout autre terrain, qui est celui des faits jalonnant l'histoire et l'exploitation de l'invention. Dès lors vont se poser des questions d'une tout autre nature : y avait-il un besoin depuis longtemps ressenti pour un objet tel que l'invention le propose ? Y avait-il de nombreux travaux entrepris dans ce domaine ? Ces travaux avaient-ils échoué, à l'exception de ceux de l'inventeur ? L'invention a-t-elle été reconnue immédiatement comme apportant une solution satisfaisante ? Le succès commercial a-t-il été

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important ? L'invention a-t-elle été souvent contrefaite ? etc... Naturellement, de telles considérations doivent être utilisées avec précautions, car leur force probante reste parfois contestable. En particulier, les raisonnements a contrario sont le plus souvent à proscrire : si le besoin longtemps ressenti ou le succès commercial peuvent être des indices de non-évidence, en revanche, l'absence d'un tel besoin ou d'un tel succès ne signifie en aucune manière que l'invention était évidente. Comme la jurisprudence française et les décisions de l'Office Européen des Brevets ont largement repris ces indices, il n'est guère besoin de s'y étendre davantage. § 3. Question de fait et question de droit Plutôt que de qualifier d'objectif ou de subjectif le test de la non-évidence, ce qui conduit à des développements parfois incertains, il semble plus judicieux de distinguer ce qui relève des faits et ce qui dépend du droit. Dans leur grande majorité, les tribunaux américains considèrent que l'appréciation de la non-évidence d'une invention, conformément à l'article 35 USC 103 et aux recommandations de la Cour Suprême, relève à la fois des faits et du droit :

- tout ce qui touche à la détermination de l'art antérieur et à son contenu, aux différences entre l'invention et l'art antérieur, aux connaissances ordinaires de l'homme du métier, relève des faits ;

- en revanche, l'étape ultime du raisonnement concluant à l'évidence ou à la non-évidence relève du droit.

La distinction a son importance relativement aux procédures judiciaires : une question de fait peut être tranchée par un jury, cette détermination étant très difficile à modifier en appel ; une question de droit relève du juge de première instance et peut donc

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être revue complètement en appel (auprès de la CAFC) ou par un recours auprès de la Cour Suprême.

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CHAPITRE VI

LES EFFETS DU DROIT DE PRIORITE UNIONISTE Les Etats-Unis ont adhéré à la Convention de Paris en 1887. L'article 35 USC 119 précise les conditions dans lesquelles un déposant peut bénéficier de la date d'un dépôt antérieur dans un pays étranger. L'application du droit de priorité est moins simple qu'il n'y paraît, en raison de l'articulation particulière de ce droit avec les conditions de brevetabilité énoncées dans l'article 35 USC 102. Pour analyser les effets du droit de priorité, il faut d'abord revenir sur le contenu exact de la Convention de Paris (Section I). Puis il faut distinguer soigneusement les effets pour le titulaire du droit (Section II) et les effets pour les tiers (Section III). Les premiers sont en conformité avec les lois européennes. Mais les seconds présentent des particularités.

SECTION I

LE DROIT DE PRIORITE SELON LA CONVENTION DE PARIS

Pour comprendre la spécificité du problème du droit de priorité en droit américain, il n'est pas inutile de rappeler les dispositions exactes de la Convention de Paris en cette matière. C'est que ce droit de priorité nous apparaît le plus souvent à

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travers notre loi nationale, laquelle traduit la Convention de Paris en des termes qui ne sont pas explicitement ceux de ladite Convention. § 1. La Convention de Paris et les lois du type "premier déposant" Notre loi dispose, dans son article L.612-7 alinéa 5, que pour l'effet du droit de priorité, la date de priorité est considérée comme celle du dépôt de la demande pour l'application de l'article L.611-11. On rappelle que le deuxième alinéa de cet article définit l'état de la technique et que le troisième prévoit, en outre, que le contenu des demandes de brevet français qui ont une date de dépôt antérieure à la date de dépôt de la demande de brevet examinée et qui n'ont été publiées qu'à cette date ou qu'à une date postérieure, est considéré également comme compris dans l'état de la technique opposable à la demande examinée. Par l'effet de l'article L 612-7 alinéa 5, on peut ainsi faire remonter la date d'opposabilité des demandes à leur date de priorité et faire entrer ces demandes dans l'état de la technique à compter de leur date de priorité. On en induit parfois que la Convention de Paris impose explicitement ce déplacement de la date de dépôt vers la date de priorité. Or, il n'en est rien. La Convention de Paris dispose en effet dans son article 4B :

B. En conséquence, le dépôt ultérieurement opéré dans l'un des autres pays de l'Union, avant expiration de ces délais, ne pourra être invalidé par des faits accomplis dans l'intervalle, soit, notamment, par un autre dépôt, par la publication de l'invention ou son exploitation, par la mise en vente d'exemplaires du dessin ou du modèle, par l'emploi de la marque et ces faits ne pourront faire naître aucun droit de tiers ni aucune possession personnelle. Les droits acquis par des tiers avant le jour de la première demande qui sert de base au droit de priorité sont réservés par

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l'effet de la législation intérieure de chaque pays de l'Union.

La Convention de Paris se borne ainsi à fixer des objectifs à atteindre (immunité et impossibilité pour les tiers d'acquérir des droits) mais laisse à chaque pays de l'Union le soin de définir les moyens légaux pour atteindre ces objectifs. Dans les pays relevant du système du premier déposant, seule la date de dépôt de la demande est prise en compte pour l'appréciation de la brevetabilité. La seule solution pour mettre en application la Convention de Paris consiste donc à déplacer fictivement la date de dépôt de la demande vers la date de priorité, qu'il s'agisse des demandes dont on examine la brevetabilité (ce qui assure l'immunité de ladite demande dans le délai de priorité), ou qu'il s'agisse de demandes de tiers non encore publiées que l'on fera entrer dans l'état de la technique à la date de priorité. C'est bien la solution prévue par notre article L.612-7, alinéa 5. Ainsi, dans les pays soumis au système du premier déposant, une demande de brevet français d'origine étrangère, qui bénéficie d'une priorité, entre-t-elle dans l'état de la technique à sa date de priorité (art. L.612-7(5) combiné à art. L.611-11(3)). Si tel n'était pas le cas, des tiers pourraient acquérir des droits sur l'invention objet de cette demande en déposant une demande de brevet français dans l'année de priorité attachée à la demande d'origine étrangère et la seconde disposition de la Convention de Paris serait violée. § 2. La Convention de Paris et la loi américaine Dans un pays soumis au principe d'attribution du brevet au premier inventeur, le problème se pose en des termes différents. L'acte essentiel servant à déterminer la nouveauté d'une invention n'est plus le dépôt de la demande mais la réalisation de l'invention. Tous les faits

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destructeurs de nouveauté doivent être intervenus avant que l'invention n'ait été faite. S'agissant d'assurer l'immunité d'une demande de brevet américain bénéficiant d'une priorité étrangère, il suffit de prévoir que l'invention objet de cette demande est réputée avoir été réalisée à la date de priorité. Ce résultat est obtenu en deux temps :dans un premier temps, l'article 35 USC 119 prévoit que l'effet d'une demande américaine sera le même (pour le déposant) que si la demande avait été déposée à la date de priorité ; dans un second temps, la théorie de la "constructive reduction to practice" (ou mise en oeuvre fictive), permet de considérer que "l'effet" en question est assimilable à la réalisation de l'invention. L'article 35 USC 119 se lit ainsi :

119. Bénéfice d'une date de dépôt antérieur ; droit de priorité

a) une demande de brevet portant sur une invention déposée dans ce pays par une personne qui a, ou dont les représentants légaux ou les cessionnaires ont, auparavant déposé régulièrement une demande de brevet pour la même invention dans un pays étranger accordant des avantages de même nature à l'égard des demandes déposées aux Etats-Unis ou à l'égard de citoyens des Etats-Unis, a le même effet que si la demande avait été déposée dans ce pays à la date à laquelle la demande de brevet pour la même invention a été déposée pour la première fois dans ledit pays étranger, si la demande est déposée dans ce pays dans les 12 mois à compter de la date du plus ancien dépôt de cette demande étrangère ; (...)

On observera que la disposition de l'article 35 USC 119 n'est pas limitée aux demandes émanant d'un pays de l'Union de Paris, puisque celle-ci n'est pas mentionnée en tant que telle. Cette disposition profite, très généralement, à tous ceux qui ont déposé leur première demande dans un pays accordant les mêmes avantages à l'égard des demandes déposées aux Etats-Unis.

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L'article 35 USC 119 signifie-t-il qu'on ne peut pas prouver une date d'invention autrement que par le biais du droit de priorité ? Avant le 1er janvier 1996, la réponse à la question était affirmative. Mais, depuis cette date, et comme expliqué dans la section consacrée à l'antériorité de l'invention (Section III du Chapitre IV), une nouvelle disposition est entrée en vigueur qui prévoit qu'on peut prouver une date d'invention dans un pays étranger par tout moyen (connaissance, usage, activités diverses), à condition toutefois que l'invention ait été réalisée dans un pays appartenant soit à la zone d'accord de libre échange nord-américain (ALENA) soit à l'organisation mondiale du commerce (OMC). Lorsque cette condition territoriale n'est pas remplie, le droit de priorité défini dans l'article 35 USC 119 est le seul moyen d'établir la date d'une invention. Ces nouvelles dispositions sont prévues dans l'article 35 USC 104 :

104. Invention faite à l'étranger a) Généralités 1) Procédures. Dans les procédures se déroulant

devant l'Office des brevets et des marques, les tribunaux ou toute autre autorité compétente, le déposant d'une demande de brevet ou le titulaire d'un brevet ne peut établir la date de l'invention en se référant à la connaissance, l'usage ou tout autre activité dans un pays étranger n'appartenant pas à l'ALENA ou l'OMC que de la manière prévue aux articles 119 et 365 du présent Titre. (...)

S'agissant maintenant de l'acquisition de droits par des tiers, la question se pose en termes très particuliers aux Etats-Unis, puisqu'on recherchera, à travers la procédure d'interférence, qui est le premier inventeur et non pas qui est le premier déposant. Dès lors, il n'est plus nécessaire, comme en France, de prévoir une disposition permettant de considérer que la demande de brevet américain entre dans l'art antérieur à la date de priorité. On peut analyser plus avant ces questions en distinguant les effets pour le titulaire du droit de priorité et les effets pour les tiers.

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SECTION II

LES EFFETS POUR LE TITULAIRE Comme indiqué dans la section précédente, l'effet de la priorité, pour le déposant ou le titulaire du brevet, est de faire remonter la date de l'invention objet de la demande ou du brevet à la date de priorité dont bénéficie cette demande ou ce brevet. L'immunité est donc assurée contre tous les faits destructeurs de nouveauté intervenus dans l'année de priorité. La seconde disposition de la Convention de Paris, visant l'acquisition de droits par les tiers, est également satisfaite mais par un autre mécanisme : aucun droit de tiers ne peut naître d'un dépôt effectué aux Etats-Unis dans l'année de priorité attachée à une autre demande, car, dans ce cas, une interférence se produirait et le titulaire du droit de priorité l'emporterait. On pourrait objecter qu'un Américain ayant déposé une demande de brevet dans l'année de priorité attachée à une autre demande de brevet pourrait, le cas échéant, l'emporter dans la procédure d'interférence s'il pouvait faire remonter la date de son invention avant la date de priorité dont bénéficie son adversaire. Cependant l'acquisition des droits ne serait pas liée, dans ce cas, à la demande déposée dans l'année de priorité mais à un événement antérieur à la date de priorité (l'invention réalisée). C'est précisément ce qu'autorise la Convention de Paris dans les dernières lignes de l'article 4B :

"Les droits acquis par des tiers avant le jour de la première demande qui sert de base au droit de priorité sont réservés par l'effet de la législation intérieure de chaque pays de l'Union".

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SECTION III

LES EFFETS POUR LES TIERS § 1. La solution légale Une demande de brevet américain publiée ou un brevet américain délivré définit un art antérieur à compter de la date de dépôt de la demande aux Etats-Unis (35 USC 102e, sous alinéa 1 et 2). Pour simplifier l'exposé, on peut laisser de côté le cas des demandes ou des brevets fondés sur une demande internationale (auquel cas une question de langue se pose). Cet art antérieur est susceptible d'être pris en considération pour l'application de l'article 35 USC 103 (cf Chapitre précédent). Lorsqu'une telle demande ou un tel brevet correspond à une demande déposée aux Etats-Unis sous priorité unioniste, peut-on considérer que cette priorité est opposable aux tiers et fait remonter cet art antérieur à la date de priorité ? On a déjà répondu à cette question dans le Chapitre précédent et la réponse était négative. La raison en est que les sous-alinéas 1) et 2) de l'article 35 USC 102e contiennent une condition de territorialité : la demande antérieure (102e) doit avoir été déposée aux Etats-Unis. Or, l'article 35 USC 119 ne modifie pas ces conditions. En conséquence, une demande de brevet américain ou un brevet américain délivré sur la base d'une demande déposée aux Etats-Unis sous priorité unioniste n'entre pas dans l'état de la technique défini par le paragraphe 102e à la date de priorité mais seulement à la date de dépôt effectif aux Etats-Unis.

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Le schéma suivant illustre cette disposition :

A l'étranger 1er dépôtFin du délai

de priorité

Aux Etats-Unis

Dépôt correspondantsous priorité

Entrée dans l'état de la

technique défini par

102e

Il se produit donc un dédoublement des effets, selon qu'il s'agit du titulaire de la demande publiée ou du brevet ou des publications et des brevets des tiers. § 2. La solution jurisprudentielle La question des effets du droit de priorité a été tranchée dans deux décisions, dites HILMER I et HILMER II. On peut s'en tenir à la première qui illustre bien la question à l'égard de l'article 102e. Un certain HABICHT avait déposé une demande de brevet aux Etats-Unis le 23 janvier 1958 sous priorité suisse du 24 Janvier 1957. Un brevet lui avait été délivré (n° 2,962,530). Par ailleurs, HILMER, KORGER, WEYER et AUMULLER avaient déposé aux Etats-Unis une demande de brevet le 25 juillet 1958 en revendiquant une priorité allemande du 31 juillet 1957. La chronologie était donc celle-ci :

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HABICHT

1er dépôten Suisse

24.01.57

HILMER

et al.

1er dépôten RFA

31.07.57

aux Etats-UnisDépôt correspondant

25.07.58

Dépôt correspondantaux Etats-Unis

23.01.58

USP2 962 530

L'Office américain des brevets ne pouvait rejeter la demande de HILMER et al. sous le paragraphe 102e, sur la base de la demande américaine de HABICHT du 23 janvier 1958, puisque la date de dépôt de la demande de HABICHT tombait dans l'année de priorité dont bénéficiaient HILMER et al. Ces derniers étaient donc réputés avoir effectué leur invention le 31 juillet 1957 (date de priorité) c'est-à-dire avant la date de dépôt aux Etats-Unis de la demande HABICHT. L'Office américain des brevets s'était cru fondé à rejeter la demande HILMER et al. sur la base de la demande prioritaire suisse de HABICHT qui était antérieure à la date de l'invention de HILMER et al. La Court of Customs and Patent Appeals saisie par HILMER et al. donna tort à l'Office et rappela que l'article 102e impliquait le dépôt d'une demande aux Etats-Unis ce qui n'était évidemment pas le cas pour la demande suisse du 24 janvier 1957. La demande américaine de HABICHT n'entrait donc dans l'art antérieur opposable à HILMER et al. qu'à la date du 23 janvier 1958, laquelle était postérieure à la date de priorité dont bénéficiaient HILMER et al. On voit bien, sur cet exemple, le dédoublement des effets de la priorité, selon le point de vue adopté : pour ce qui est du brevet HABICHT, si l'on se place du point de vue de HABICHT lui-même, la première date à prendre en compte est le 24 janvier 1957 ; mais si l'on se place du point de vue des tiers, en l'occurrence HILMER et al., la première date à prendre en compte à l'égard de ce même brevet HABICHT est, cette fois, le 23 janvier 1958.

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SECTION IV

INTÉRÊT ET LIMITES DU DROIT DE PRIORITÉ § 1. Intérêt Comme dans tout autre pays de l'Union, le droit de priorité immunise la demande américaine contre les faits intervenus entre la date du premier dépôt et la date de dépôt effectif aux Etats-Unis. Par ailleurs, en cas d'interférence, le droit de priorité permettra aisément au demandeur de faire remonter la date de son invention à la date de priorité (il pourra remonter au-delà si l'invention a été réalisée dans un pays appartenant à l'Organisation Mondiale du Commerce, mais la preuve sera plus difficile à apporter). La perte de la priorité par dépôt tardif entraîne donc une plus grande vulnérabilité de la demande, comme partout ailleurs. § 2. Limites Comme une demande de brevet américain n'entre dans l'état de la technique qu'à compter de sa date de dépôt effectif aux Etats-Unis, le droit de priorité n'est d'aucune importance à cet égard. CONCLUSION Il faut retenir de ce chapitre que le droit de priorité, aux Etats-Unis, est un moyen défensif et non offensif. Les Américains ont une formule qui traduit bien ce caractère. S'agissant du droit de priorité, ils disent : "it's a shield, not a sword" ("c'est un bouclier, pas un glaive").

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TITRE II

LES MODALITES D'OBTENTION DU BREVET

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INTRODUCTION Quiconque a réalisé une invention répondant aux conditions analysées dans le titre précédent (authenticité, catégorie brevetable, utilité, nouveauté et non-évidence) a droit à un brevet. Pour obtenir effectivement ce brevet, l'inventeur doit déposer une demande écrite auprès du Directeur de l'Office des brevets, conformément aux dispositions de l'article 35 USC 111. L'octroi du titre soulève de nouvelles questions :

- le droit au brevet, né au moment où l'invention a été faite, n'a-t-il pas été perdu entre-temps ?

- la demande de brevet est-elle régulière ?

La première question est spécifique du système américain et n'a pas d'équivalent en France puisque, dans notre pays, le dépôt de la demande est constitutif de droit. La seconde est, en revanche, très proche de celle qu'on trouve en Europe, notamment dans la Convention sur le Brevet Européen, mais elle présente néanmoins quelques particularités. La question de la perte du droit au brevet sera d'abord examinée. Puis on s'attachera au mémoire descriptif et aux revendications. Enfin, différentes questions de procédure seront abordées. Le plan de ce Titre II sera donc le suivant : CHAPITRE I : LA PERTE DU DROIT AU BREVET CHAPITRE II : LE MEMOIRE DESCRIPTIF CHAPITRE III : LES REVENDICATIONS CHAPITRE IV : LES PROCEDURES DEVANT L'OFFICE

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CHAPITRE I

LA PERTE DU DROIT AU BREVET INTRODUCTION Le droit au brevet appartient à l'inventeur authentique et premier. Mais ce droit n'est pas acquis définitivement. Il peut être perdu dans certaines circonstances. En d'autres termes, la règle d'attribution du brevet au premier inventeur souffre des exceptions. Contrairement aux faits affectant la nouveauté d'une invention, qui peuvent être effacés en prouvant l'antériorité de l'invention, les faits susceptibles d'entraîner la perte du droit au brevet ne peuvent en aucune manière être surmontés : la perte est irrémédiable. Les Américains appellent ces obstacles des "Statutory bars". Le sens de cette expression apparaît mieux lorsqu'on analyse l'origine de ces dispositions. En effet, il faut savoir que le législateur a eu le souci de protéger le public américain contre trois excès : - le dépôt tardif d'une demande de brevet, qui viendrait remettre en cause la libre utilisation d'une invention dont le public aurait eu connaissance, - le retard apporté à la mise à la disposition du public d'une invention, par abandon de celle-ci, - le dépôt tardif, par des étrangers, de demandes de brevets aux Etats-Unis pour des inventions déjà brevetées à l'étranger, ce qui risquerait de prolonger un monopole sur le territoire américain alors que le monopole étranger correspondant aurait déjà expiré. Les "statutory bars" viennent donc sanctionner des retards. Ce sont en quelque sorte des règles de prescription. Le droit au brevet, né au jour de l'invention, peut se prescrire si l'inventeur tarde à revendiquer ses droits sur l'invention.

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On observera d'ailleurs que l'expression "statute-barred" signifie exactement "prescrit". Le "statute" (c'est-à-dire la loi écrite) à laquelle cette expression se réfère, est le "statute of limitations" qui fixe, dans le droit général, les sanctions encourues à la suite de retards à engager diverses actions. Ces "statutory bars", ou règles de prescription, ont d'abord été élaborées par les tribunaux, puis ont été introduites peu à peu dans la loi écrite, selon le processus propre au droit américain. Dans la loi de 1952 aujourd'hui en vigueur, ces dispositions ont été insérées dans l'article 35 USC 102, aux paragraphes b, c et d. On a vu, dans le Titre I, que cet article est, par ailleurs, consacré à la nouveauté (a, e, g) et à l'authenticité (f). Ainsi, alors que les paragraphes a, e, f, g définissent des conditions d'acquisition du droit au brevet, les paragraphes b, c et d viennent préciser les conditions de perte de ce droit, à supposer qu'il soit né. C'est cette imbrication de deux types de conditions différentes qui rend l'article 35 USC 102 de lecture si difficile. Il faut comprendre cependant, que ces deux séries de conditions (droit au brevet et perte de ce droit) ne peuvent être examinées que si l'inventeur a déposé une demande de brevet pour déclarer et définir le droit qu'il revendique. En pratique donc, ces deux séries de conditions sont examinées en même temps. C'est la raison pour laquelle l'article 35 USC 102 les regroupe. Pour en revenir aux conditions entraînant la perte du droit au brevet, il convient de les analyser une à une, en suivant l'ordre de l'article 35 USC 102.

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SECTION I

PERTE DU DROIT SELON L'ARTICLE 35 USC 102b Le premier cas de prescription est défini par le paragraphe b de l'article 102 :

102. Une personne a droit à un brevet sauf (...) b) si l'invention a été brevetée ou décrite dans une publication imprimée dans ce pays ou à l'étranger, ou était d'usage public ou en vente dans ce pays, plus d'un an avant la date de dépôt de la demande de brevet aux Etats-Unis ;

Ce paragraphe traite donc de ce qu'il est courant d'appeler la "période de grâce". Encore faut-il comprendre que, dans un système juridique où le droit au brevet est accordé au premier inventeur, il importe peu, a priori, que l'inventeur divulgue son invention avant le dépôt de sa demande de brevet, puisque cette divulgation ne modifiera en rien son statut de premier inventeur. En principe donc, la question de l'existence d'une période de grâce ne devrait pas se poser en droit américain, cette période étant, en quelque sorte, de durée infinie. En fait, le but du paragraphe 102b est moins d'instituer une période de grâce que d'en limiter la durée à un an, en introduisant une forclusion : un an après la mise à la disposition du public d'une invention, l’inventeur sera forclos (quel que soit l’auteur de la divulgation). Le paragraphe b de l'article 35 USC 102 définit donc moins une grâce qu'une sanction. Les faits entraînant cette prescription peuvent s'analyser dans leur forme et dans leur contenu.

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§ 1. La forme des faits définis par 35 USC 102b Par forme, on entend tout ce qui touche au temps, au lieu, à la publicité, à la nature et à l'auteur. a) Le temps Les faits entraînant la prescription selon le paragraphe 102b sont repérés par rapport à la date de dépôt de la demande de brevet (et non par rapport à la date de l'invention) et ils doivent être intervenus plus d'un an avant la date de dépôt de la demande. La demande en question est la demande "aux Etats-Unis" et non la demande prioritaire, si elle existe. La période de grâce et la période de priorité unioniste ne se cumulent donc pas. Si un Français a divulgué son invention, il lui reste un an pour déposer valablement une demande de brevet aux Etats-Unis, et non pas deux par l'intermédiaire d'une demande de brevet en France, qui, naturellement, serait nulle, mais qui ferait naître un droit de priorité. b) Le lieu Certains faits peuvent intervenir n'importe où dans le monde. Ce sont les brevets et les publications imprimées. D'autres doivent nécessairement être intervenus sur le territoire des Etats-Unis : ce sont l'usage et la mise en vente. c) La publicité Le paragraphe 102b étant destiné à inciter l'inventeur à déposer sa demande de brevet dans le délai d'un an après l'accessibilité au public, il s'ensuit que tous les faits énumérés dans le paragraphe 102b doivent être publics. Encore faut-il s'entendre sur ce qui a été rendu public, car ce n'est pas nécessairement l'invention elle-même, ce peut être

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seulement son utilisation. Il n'est pas inutile de préciser ce point pour quelques faits particuliers. i) L'invention brevetée L'invention brevetée ("patented") dont il est question dans le paragraphe b de l'article 35 USC 112 correspond à un brevet accessible au public. Ce caractère public a été clairement établi en 1958 dans In re EKENSTAM. ii) L'usage public L'usage de l'invention doit être public pour entraîner la perte du droit au brevet. Ce qui est public, c'est moins l'invention elle-même que son utilisation. En 1983, dans In re SMITH, la Cour d'appel a indiqué qu'une utilisation était publique dès lors qu'il s'agissait d'une utilisation par une personne non soumise à une obligation de secret vis-à-vis de l'inventeur. L'expérimentation en public pose un cas particulier. Une expérimentation ne porte pas nécessairement sur une "invention", au sens précis de ce terme, à savoir une invention "reduced to practice". En effet, une idée d'invention pourrait être abandonnée sitôt après expérimentation, parce qu'elle ne fournirait pas les résultats escomptés. Dans ce cas, l'invention n'aurait pas été mise en oeuvre ; elle n'aurait même jamais existé. L'expérimentation, par nature, précède l'invention. Elle ne peut donc impliquer l'usage de celle-ci. Une expérimentation conduite en public ne met donc pas nécessairement une invention à la disposition du public. C'est ce qui a été jugé en 1877 dans CITY OF ELIZABETH v. AMERICAN NICHOLSON PAVEMENT où des essais pour un nouveau revêtement de sol avaient été effectués dans la rue. d) La nature Le paragraphe 102b reprend l'énumération du paragraphe 102a en ce qui concerne les inventions brevetées ou décrites dans une publication imprimée.

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Tout ce qui a été dit sur la nature de ces faits à propos de la condition de nouveauté (Titre I, Chapitre IV, Section II, par. 1) peut être repris. Cependant, le paragraphe 102b prévoit un fait qui ne figure pas dans le paragraphe 102a : c'est le cas où l'invention est mise en vente ("on sale") aux Etats-Unis. Cet acte est apprécié de manière large. Il n'est pas nécessaire, par exemple, que l'objet mis en vente ait été effectivement vendu ou livré. Il n'est pas nécessaire non plus que l'invention soit divulguée par la vente. C'est le fait d'offrir en vente l'invention qui risque de ruiner le droit et non la divulgation de l'invention. Par exemple, une seule vente d'un dispositif destiné à être utilisé dans des travaux couverts par le secret suffit à ruiner le droit au brevet, si la vente a eu lieu avant la date critique. S'agissant de l'usage public, les mêmes considérations peuvent être développées. Si l'inventeur commercialise l'invention, il peut perdre son droit au brevet même si l'invention reste secrète. On retiendra donc que l'usage public ("public use") ou la mise en vente d'une invention ("on sale") peut être retenu pour invalider un brevet américain portant sur cette invention, alors même que l'invention n'était pas divulguée par cet usage ou cette mise en vente. Il y a là une différence notable avec les dispositions européennes où l'usage et la mise en vente ne peuvent être retenus comme antériorités que si l'invention a été rendue accessible au public par de tels actes. On a pu s'interroger également, à propos de la vente, sur le point de savoir si l'invention devait nécessairement avoir été mise en oeuvre ("reduced to practice") avant d'être mise en vente. Dans PFAFF v. WELLS ELECTRONICS, Inc. (10 novembre 1998), la Cour Suprême a répondu par la négative : l'inventeur peut avoir eu une conception très claire de son invention, avoir réalisé des dessins et décrit son invention dans des documents, le tout de manière suffisamment précise pour qu'un homme du métier (en l'occurrence un sous-traitant) puisse l'exécuter et il a pu faire une offre de vente avant même d'avoir mis en oeuvre réellement l'invention. Dans un tel cas, le délai d'un an

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commencera à courir dès que l'invention aura été mise en vente. Ces considérations peuvent surprendre, mais il faut se souvenir qu'on est ici dans le contexte typiquement américain de la perte du droit au brevet et non dans celui de la nouveauté d'une invention. Celui qui exploite son invention tout en la gardant secrète, autrement dit celui qui a préféré le secret au brevet, ne peut pas jouer sur les deux tableaux (commercial et légal) : l'exploitation de l'invention peut lui faire perdre son droit au brevet. e) L'auteur Comme il a été souligné en introduction de ce chapitre, le premier but visé par le paragraphe b de l'article 35 USC 102 n'est pas fondamentalement d'instituer une période de grâce dont bénéficierait l'inventeur à l'égard de ses propres publications, mais plutôt d'inciter l'inventeur à déposer une demande de brevet dès lors que l'invention a été mise à la disposition du public, quelle que soit l'origine de cette publicité. C'est la raison pour laquelle le paragraphe 102b ne précise pas l'auteur des faits énumérés et ne fait donc pas de distinction entre le fait de l'inventeur et celui des tiers. On pourrait croire ainsi que les publications des tiers datant de moins d'un an ne sont pas opposables à une demande de brevet, comme s'il existait une espèce d'immunité. Il n'en est rien évidemment : une demande de brevet américain n'est pas immunisée contre les publications des tiers intervenues dans l'année qui précède son dépôt. De telles publications restent opposables à l'invention, mais au titre de la nouveauté, c'est-à-dire sous le paragraphe 102a. Il appartient alors à l'inventeur de prouver qu'il a réalisé son invention avant la date de cette publication, faute de quoi son invention serait dépourvue de nouveauté. Ainsi, l'apparente tolérance du paragraphe 102b à l'égard des publications des tiers s'explique-t-elle par l'exigence du paragraphe 102a.

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§ 2. Le contenu des faits définis par 102b a) Enoncé du problème Lorsqu'il s'agit d'apprécier le contenu des faits énumérés par le paragraphe a de l'article 35 USC 102 pour déterminer si la nouveauté d'une invention est détruite, le principe d'identité doit être appliqué : la nouveauté sera détruite si l'invention est décrite à l'identique dans l'antériorité (cf Titre I, Chapitre IV). Mais lorsqu'il s'agit d'apprécier le contenu des faits énumérés dans le paragraphe b de ce même article 35 USC 102, il n'est plus question de nouveauté mais de perte du droit au brevet. Dès lors, se pose la question de savoir si le principe d'identité demeure : une antériorité datant de plus d'un an avant le dépôt d'une demande de brevet, mais qui ne décrirait pas à l'identique l'invention objet de cette demande, pourrait-elle fonder un rejet sous l'article 35 USC 102b ? b) La solution jurisprudentielle La jurisprudence a répondu par l'affirmative à cette question : une divulgation remplissant les conditions prévues au paragraphe b de l'article 35 USC 102 peut entraîner la perte du droit au brevet même s'il n'y a pas identité entre le contenu de cette divulgation et l'invention objet de ce droit ; il suffit qu'il n'y ait pas de différences brevetables entre ce contenu et cette invention. Cette solution se justifie pleinement. Lorsqu'une invention a été mise à la disposition du public, les tiers ne pourront obtenir un brevet, dans la technique en question, que s'ils réalisent une invention présentant des différences brevetables avec l'invention précédemment divulguée. Seul l'auteur de l'invention divulguée possède ce privilège de pouvoir encore retirer au public ce que celui-ci avait reçu par la divulgation. Mais passé le délai d'un an, l'inventeur perd ce privilège et doit être soumis aux conditions générales de brevetabilité appliquées aux tiers : il ne pourra retirer du domaine public que l'objet des inventions présentant, avec ce qui

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appartient désormais au public, des différences brevetables. Cette opinion a été retenue dans DIX-SEAL CORP. v. NEW HAVEN TRAP ROCK CO (1964). c) Rôle de l'article 35 USC 103 La solution dégagée par la jurisprudence signifie que la condition de non-évidence définie par l'article 35 USC 103 (cf Titre I, Chapitre V) s'applique aussi en cas de rejet sous 35 USC 102b. Il faut souligner que cette solution n'allait pas de soi, car l'article 35 USC 103 précise que la condition de non-évidence s'apprécie à la date de l'invention, ce qui n'est pas nécessairement le cas lorsqu'on examine des faits repérés par rapport à la date de dépôt de la demande, faits qui peuvent très bien être intervenus après la date de l'invention. Un exemple illustrera cette question. Dans In re FOSTER (1965), il s'agissait d'apprécier la brevetabilité d'une demande de brevet déposée le 21 août 1956 par un certain FOSTER. L'Office américain des brevets avait rejeté la demande sur la base d'une publication d'un certain BINDER datée d'Août 1954. L'invention de FOSTER n'était pas décrite à l'identique dans l'article de BINDER, mais elle était évidente compte tenu de cet article. FOSTER pouvait établir une date d'invention remontant au 26 décembre 1952 (c'est-à-dire bien antérieure à la publication de BINDER).

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FOSTER

BINDER

26.12.52 21.08.56

08.54

Plus d'un an

Publication

Date de l'inventionDépôt de lademande

Dès lors, FOSTER avait utilisé deux arguments pour éviter le rejet de sa demande par l'Office des brevets :

- la publication de BINDER était postérieure à la date de l'invention (ce qui rendait l'article 35 USC 103 inapplicable),

- la publication de BINDER ne décrivait pas à l'identique l'invention réalisée (ce qui rendait l'article 35 USC 102b inapplicable).

Mais l'Office américain des brevets avait maintenu son rejet. La Court of Customs and Patent Appeals fit valoir que le Congrès, en adoptant l'article 35 USC 103 en 1952, n'avait pas voulu modifier les dispositions concernant les règles de prescription ("statutory bars"). Si l'inventeur dépose sa demande de brevet plus d'un an après que certains actes ont rendu l'invention accessible au public, il a perdu son droit au brevet. Si l'acte ayant rendu l'invention accessible au public ne décrivait pas à l'identique l'invention réalisée, mais si celle-ci en découlait de manière évidente, l'inventeur avait tout de même perdu son droit au brevet.

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SECTION II

PERTE DU DROIT SELON L'ARTICLE 35 USC 102c § 1. L'origine jurisprudentielle En 1898, une décision MASON v. HEPBURN apporta une autre exception au principe d'attribution du brevet au premier inventeur. Un certain MASON, qui travaillait pour la firme WINCHESTER, avait conçu et réalisé un chargeur de carabine en juillet 1887. Mais il n'avait pas donné suite à son invention et la firme WINCHESTER n'avait jamais commercialisé de carabines munies de ce chargeur. Un certain HEPBURN avait inventé, indépendamment de MASON, le même chargeur en 1894 ; il avait déposé une demande de brevet et obtenu un brevet le 11 septembre 1894. MASON, découvrant le brevet délivré à HEPBURN, avait déposé une demande de brevet et fait déclarer une interférence entre sa demande et le brevet HEPBURN. MASON n'eut aucun mal à prouver une conception et une mise en oeuvre bien antérieures (de sept ans) à celles de HEPBURN. Cependant, la Cour d'Appel du District of Columbia confirma le brevet délivré à HEPBURN. En effet, dit la Cour, le comportement de MASON indiquait qu'il avait dissimulé au public l'invention qu'il avait réalisée ; en conséquence, il n'avait pas fait en sorte que le public puisse un jour en bénéficier. A l'inverse, HEPBURN, en agissant comme il l'avait fait, avait droit à la récompense qui lui avait été attribuée par l'octroi d'un brevet. L'esprit de la loi sur les brevets et l'équité imposent en effet que l'on récompense celui qui fait bénéficier le public de ses connaissances en brevetant en toute bonne foi une invention qui, pour lui, semblait n'avoir jamais été faite en raison de la dissimulation de quelqu'un qui pouvait l'avoir réalisée depuis longtemps. Ces considérations constituent la "doctrine MASON" et introduisent une double exception au

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principe d'attribution du brevet au premier inventeur :

le brevet ne lui sera pas attribué s'il le revendique après avoir abandonné, supprimé ou dissimulé l'invention ; le brevet pourra même être attribué au

second inventeur, car la première invention ne lui sera pas opposable.

§ 2. Le fondement légal La prescription pour abandon est codifiée aujourd'hui dans le paragraphe c de l'article 35 USC 102 :

102. Une personne a droit à un brevet sauf (...) (c) si elle a abandonné l'invention.

Par ailleurs, cette disposition permet de préciser la condition de nouveauté exprimée dans les deux sous-alinéas du paragraphe g de ce même article. Qu'il s'agisse de l'invention antérieure d'un tiers mise en lumière dans une procédure d'interférence (sous-alinéa 1)) ou de l'invention antérieure d'un tiers que l'on oppose à une demande de brevet ou à un brevet dans une procédure ex parte (sous-alinéa 2), cette invention antérieure n'est opposable que dans la mesure où son auteur ne l'a pas abandonnée, supprimée ou dissimulée. Cette condition figure en effet dans les deux sous-alinéas. Si l'invention antérieure d'un tiers a été abandonnée, supprimée ou dissimulée, l'antériorité s'est, en quelque sorte, éteinte.

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SECTION III

PERTE DU DROIT SELON L'ARTICLE 35 USC 102d Un troisième cas de perte du droit au brevet est défini par le paragraphe d de l'article 35 USC 102.

102. Une personne a droit à un brevet sauf (...) d) si le déposant, ses représentants légaux ou ses cessionnaires ont d'abord obtenu ou fait obtenir un brevet ou un certificat d'auteur d'invention pour l'invention en cause, à l'étranger et avant la date du dépôt de la demande de brevet aux Etats-Unis, sur la base d'une demande de brevet ou de certificat d'auteur d'invention déposée plus de 12 mois avant le dépôt de la demande aux Etats-Unis ;

Cette disposition répond au souci du législateur américain d'empêcher qu'un monopole protégeant une invention d'origine étrangère se prolonge aux Etats-Unis alors qu'il a déjà expiré à l'étranger. Le fait énoncé dans ce paragraphe peut s'analyser dans sa forme et dans son contenu. § 1. La forme du fait énoncé dans 102d La question essentielle soulevée par le paragraphe d est de savoir ce qu'il faut entendre par "ont d'abord obtenu ou fait obtenir un brevet", traduction de "was first patented or caused to be patented". Le fait essentiel est le caractère breveté ("patented") de l'invention à l'étranger. Ce terme figurait déjà dans le paragraphe 102a définissant une condition de nouveauté, et dans le paragraphe 102b définissant une cause de prescription. Toutefois,

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lorsqu'il s'agit du paragraphe 102d, le terme "breveté" prend une signification particulière qu'il faut analyser avec soin, car la question est d'importance pour les non-Américains. La jurisprudence américaine a précisé a plusieurs reprises ce qu'il fallait entendre par "breveté" au sens de 102d. On s'en tiendra au cas des inventions déjà brevetées en France. Dans l'affaire THE DUPLAN CORPORATION et al. v. DEERING MILLIKEN RESEARCH CORPORATION, il s'agissait d'apprécier la validité du brevet américain 3,382,656 déposé le 3 janvier 1966 et délivré le 14 mai 1968. Le brevet américain couvrait une invention ayant fait l'objet d'une demande de brevet français déposée le 13 novembre 1964, le brevet ayant été délivré par un arrêté du 27 décembre 1965 ; la mention de la délivrance était parue dans le BOPI n°6 du 15.02.1966 ; le fascicule de brevet avait été mis à la disposition du public le 15 février 1966.

en France

aux USA

Dépôt

Arrêté dedélivrance

BOPI

13.11.64 27.12.65

Dépôtcorrespondant

03.01.66

15.02.66

La date de dépôt de la demande américaine tombait donc entre la date de l'arrêté ministériel de délivrance et la date de mention de la délivrance dans le BOPI. Il s'agissait donc de savoir si, le 3.01.1966, l'invention était "brevetée" en France. La Cour répondit par l'affirmative : l'invention était brevetée dès l'arrêté de délivrance. Le brevet américain devait donc être invalidé. Le fait que le public n'ait eu accès au brevet que quelques semaines plus tard (le 15 février 1966) était sans incidence sur le statut juridique de l'invention. La mise à la disposition du public des fascicules de brevet résulte d'une procédure interne à l'Institut National de la Propriété Industrielle et sa date dépend de circonstances qui ne sont pas directement liées à la décision de délivrance.

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Pour des pays autres que la France, les tribunaux ont jugé que l'invention était "brevetée" au sens de 102d dans les circonstances suivantes :

- en Allemagne, après l'Auslegeschrift et non après l'Offenlegungschrift, (Ex parte GRUSCHWITZ and FRITZ et In re LINKS),

- au Japon, après la publication pour opposition et non après la publication à 18 mois (In re IIZUKA),

- en Grande-Bretagne, après la procédure de délivrance lors du Seal et non après publication de la Complete Specification (In re MONKS).

Dans toutes les décisions portant sur ce sujet, les tribunaux américains ont insisté sur le fait que la disponibilité du fascicule de brevet était sans importance à l'égard du paragraphe d de l'article 35 USC 102. En effet, ce paragraphe d n'est pas relatif à un art antérieur publié qui viendrait ruiner la nouveauté d'une invention, comme c'est le cas, par exemple, des paragraphes a et b, mais définit une condition liée à l'état juridique à l'étranger d'une invention objet d'une demande américaine. La question est en effet de savoir si cette invention est déjà brevetée ou non à l'étranger. La mention de la délivrance, l'impression d'un fascicule, la date à laquelle ce fascicule est disponible etc... sont des faits qui ne relèvent pas du paragraphe d. En rapprochant ces considérations de celles qui ont été développées plus haut, on comprend mieux la différence entre le "breveté" du paragraphe d et le "breveté" des paragraphes a et b : au sens des paragraphes a et b une invention n'est "brevetée" que si elle est accessible au public, alors qu'au sens du paragraphe d une invention peut être considérée comme "brevetée" même si le brevet n'est pas encore accessible au public.

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§ 2. Contenu du fait énoncé dans 102d a) Enoncé du problème L'invention dont il est question dans le paragraphe d de l'article 35 USC 102 est l'invention "brevetée" à l'étranger. S'agissant des paragraphes a et b de ce même article 35 USC 102, le terme "brevetée" signifiait que l'invention, dont on examinait la brevetabilité, était déjà décrite dans un art antérieur de nature particulière, à savoir un brevet. Dès lors, c'était le contenu entier du brevet qu'il fallait prendre en considération pour apprécier la brevetabilité de l'invention. En va-t-il de même lorsqu'il s'agit d'appliquer le paragraphe d ? b) La solution jurisprudentielle Lorsque le brevet étranger contient des revendications qui définissent l'étendue de la protection conférée par le brevet (ce qui est le cas aujourd'hui dans la plupart des pays), l'invention qui doit être prise en compte pour l'application de 35 USC 102d est l'invention définie par les revendications de ce brevet. C'est ce qui a été décidé notamment dans CARTER PRODUCTS v. COLGATE-PALMOLIVE. c) Identité d'invention Dans certains cas, il pourrait y avoir des différences entre l'invention objet de la demande américaine et l'invention brevetée à l'étranger. Ce sera le cas si, au moment de la préparation de la demande américaine, le demandeur modifie l'invention revendiquée. On pourrait espérer éviter l'obstacle du paragraphe 102d en modifiant suffisamment l'invention revendiquée aux Etats-Unis pour qu'elle ne soit pas considérée ultérieurement comme ayant déjà été brevetée à l'étranger. Dans la décision THE DUPLAN CORP. v. DEERING MILLIKEN INC. et al. analysée dans le paragraphe précédent, le déposant français, qui s'était vu refuser son brevet sous 35 USC 102d, avait tenté de

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faire valoir cet argument, car la demande américaine avait été modifiée en cours d'examen par rapport à la demande française. Mais, la Cour rejeta l'argument : de telles modifications sont normales, puisque l'examen pratiqué aux Etats-Unis entraîne souvent des amendements aux revendications, et ne sont pas suffisantes pour éviter un rejet sous le paragraphe 102d. L'expression "la même invention" ne doit pas être interprétée comme signifiant une invention "identique".

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CHAPITRE II

LE MEMOIRE DESCRIPTIF INTRODUCTION La demande de brevet adressée au Directeur de l'Office des brevets doit comprendre, notamment, un mémoire descriptif ("specification"). Ce mémoire doit répondre aux conditions énoncées par le premier alinéa de l'article 35 USC 112 :

112. Mémoire descriptif Le mémoire descriptif doit contenir une description écrite de l'invention ainsi que de la manière et du procédé de réalisation et d'utilisation de celle-ci, en termes assez complets, clairs, concis et exacts, pour qu'un homme du métier auquel l'invention se rapporte ou est apparentée puisse la réaliser et l'utiliser et doit indiquer la meilleure manière envisagée par l'inventeur d'exécuter son invention.

Ainsi, trois exigences s'imposent au déposant :

− décrire l'invention ("description requirement"),

− révéler les moyens de mise en oeuvre de l'invention ("enablement requirement"),

− donner la meilleure manière de réaliser l'invention ("best mode requirement").

Ces trois exigences visent des buts différents liés aux spécificités du droit américain des brevets : il s'agit d'abord de "déclarer" son invention (la demande est un acte déclaratif de droit) en la décrivant avec des mots. Mais il s'agit aussi

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d'établir une date fictive d'invention en établissant une "constructive reduction to practice" par un document valant mise en oeuvre (cf. Chapitre IV sur la nouveauté, Section III sur l'antériorité de l'invention § 2b). Et il s'agit enfin de mettre à la disposition de la Société toutes les informations nécessaires à la mise en oeuvre de l'invention une fois celle-ci tombée dans le domaine public.

SECTION I

L'EXIGENCE DE DESCRIPTION DE L'INVENTION Le premier paragraphe de l'article 35 USC 112 dispose que le mémoire descriptif doit contenir une description écrite de l'invention. § 1. Signification de l'exigence a) Définir l'invention et fixer une date de dépôt L'exigence posée par l'article 35 USC 112-1 ne vise pas à mettre à la disposition du public des informations qui lui permettront d'utiliser l'invention lorsque celle-ci sera tombée dans le domaine public, mais plutôt à définir, à la date de dépôt de la demande de brevet, ce qui est considéré par l'inventeur comme étant son invention. Comme expliqué dans le Chapitre précédent, la date de dépôt d'une demande de brevet est un événement capital, même dans le système américain d'attribution du brevet au premier inventeur (et non au premier déposant), car c'est cette date qui va conditionner un éventuel rejet pour perte du droit au brevet ("statutory bar"). Par ailleurs, l'invention décrite va servir de support aux revendications (cf Chapitre III suivant). Enfin, en cas d'interférence,

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il faudra que le mémoire descriptif décrive l'invention constituée par le "count" dont on cherche à déterminer la paternité. b) Le caractère intangible du mémoire Pour toutes ces raisons, le mémoire descriptif est intangible. Aucun élément nouveau ne peut y être introduit après le dépôt de la demande. L'article 35 USC 132 le dit clairement dans sa dernière phrase :

132. Avis de rejet ; réexamen (...) Une modification ne peut introduire d'éléments nouveaux dans l'invention divulguée.

En cas d'introduction d'éléments nouveaux, la modification proposée sera rejetée (objection de "new matter"). Ce point sera développé dans la partie du Chapitre IV consacrée à la procédure d'examen. c) Description de l'invention et mise en oeuvre de celle-ci L'exigence de description de l'invention ne coïncide pas avec celle de description des moyens de mise en oeuvre de celle-ci. On peut décrire les moyens de fabriquer un produit, sans pour autant décrire ce produit. Ainsi, dans In re RUSCHIG (1967), la CCPA a indiqué, à propos d'une invention portant sur des produits chimiques utilisables dans des médicaments, que le mémoire descriptif pouvait très bien être suffisant à l'égard des moyens de mise en oeuvre (le procédé de fabrication du composé était décrit) et être insuffisant à l'égard de l'exigence de description de l'invention. L'une des revendications de la demande portait sur un composé qui n'était pas décrit dans le mémoire descriptif, même s'il était possible de le fabriquer à partir du mémoire.

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§ 2. Appréciation de l'exigence L'exigence de description de l'invention pose essentiellement deux types de problèmes pratiques, lorsque, d'une part, les revendications sont modifiées en cours de procédure, et que, d'autre part, l'invention est définie par des plages de valeur. a) Description et modification des revendications La question de la suffisance de description se pose lors de l'amendement des revendications ou lors du dépôt de nouvelles revendications pendant la procédure d'examen. Si les revendications amendées ou nouvelles ne correspondent pas à ce que le déposant a décrit comme étant son invention, elles seront rejetées sous 35 USC 112-1. A titre d'exemple, on peut citer In re WERTHEIM (1976) où la description mentionnait une plage de composition allant de "25% à 60%" avec des exemples à 36% et à 50%. La CCPA a jugé qu'une revendication utilisant l'expression "au moins 35%" ne correspondait pas à l'invention décrite. En sens inverse cependant, on peut citer In re SMITHE (1973) où la CCPA a estimé qu'une revendication utilisant l'expression "inert fluid" correspondait à l'invention décrite dans le mémoire descriptif, alors que celui-ci utilisait l'expression "air or other gas which is inert to the liquid". Le même genre de problème peut surgir lorsque la modification des revendications restreint la portée de celles-ci, de manière à échapper à un art antérieur. Bien que, dans ce cas, la portée des nouvelles revendications ne s'étende pas au-delà de ce qui avait été décrit initialement comme étant l'invention, les nouvelles revendications peuvent néanmoins être considérées comme portant sur une invention non décrite. Ainsi, dans Ex parte GRASELLI (1983), le déposant avait modifié ses revendications pour échapper à un art antérieur, en ajoutant la condition négative "en l'absence de sulfure et d'halogène". Un

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tel ajout correspondait à une invention non décrite initialement. Bien que restreignant la portée des revendications, les limitations apportées constituaient des éléments nouveaux ("new matter"). On comprend mieux, dès lors, la différence entre la description d'une invention et la revendication de celle-ci. La première est intangible ; elle fixe définitivement les contours de l'objet que l'inventeur estime avoir inventé et pour lequel il sollicite un droit de brevet. La seconde peut fluctuer au cours de la procédure d'examen, l'inventeur pouvant ne revendiquer qu'une partie de ce qu'il a inventé. Mais jamais il ne peut revendiquer ce qu'il n'a pas présenté initialement comme ayant été inventé. b) Description d'une invention à l'aide de plages La question se pose de savoir si une invention revendiquée au moyen d'une plage de valeurs est "décrite" au sens de l'article 35 USC 112-1 dans un mémoire descriptif qui mentionne une plage différente. L'affaire la plus significative à cet égard est RALSTON PURINA Co. v. FAR-MAR-CO INC jugée en 1985 par la CAFC. La CAFC a indiqué d'abord que, dans ce type de problème, il ne saurait être question d'énoncer une règle générale. Une étude cas par cas s'impose. Dans l'affaire en question, il s'agissait d'un procédé de réalisation de particules de soja destinées à la fabrication d'aliments. La demande avait été déposée le 17 janvier 1973. Elle n'était pas une première demande mais une troisième demande au sens de 35 USC 120, rattachée à une première demande déposée le 10 juillet 1964 (cf Chapitre IV sur la procédure de dépôt des "continuations"). Pour éviter un art antérieur daté du 22 novembre 1965, le demandeur devait absolument bénéficier de la date de dépôt de la première demande. Or, celle-ci contenait plusieurs plages concernant la part de protéines dans le produit de départ, le taux d'humidité total, la température, etc...

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La décision de la CAFC contient de nombreuses discussions et opinions différentes (majorité et minorité) à propos de chaque cas. On peut se limiter à deux exemples pour illustrer ce qu'est une invention décrite ou non, lorsqu'il s'agit de plages :

- à propos de la plage de température : alors que la description initiale mentionnait une plage allant de 212° à 380°F (212°F est la température d'ébullition de l'eau en degrés Fahrenheit), des revendications énonçant : 1) "in excess of 212°F", 2) "at least about 212°F", 3) "substantially above 212°F", 4) "substantially in excess of 212°F", 5) "into the range 212°-310°F" ont été jugées comme correspondant à des inventions décrites dans le mémoire pour la majorité de la CAFC (mais non pour la minorité),

- à propos de la plage d'humidité totale : alors que la description initiale indiquait que l'humidité totale était d'environ 36%, des revendications énonçant 1) "at least about 20%", 2) "between about 20% and 40%" ont été jugées comme ne correspondant pas à une invention décrite (unanimité de la CAFC).

SECTION III

L'EXIGENCE DE DESCRIPTION DES MOYENS DE MISE EN OEUVRE L'appréciation du caractère suffisant d'un mémoire descriptif est une question essentiellement relative. Il convient d'examiner d'abord les conditions de cette appréciation. Il faut ensuite analyser les modalités pratiques dont dispose l'inventeur pour satisfaire à ces conditions.

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§1. Les conditions de l'appréciation L'article 35 USC 112 exige que le mémoire descriptif contienne une description de la manière et du procédé de réalisation et d'utilisation de l'invention en termes assez complets, clairs, concis et exacts pour qu'un homme du métier auquel l'invention se rapporte ou est apparentée puisse la réaliser et l'utiliser. L'appréciation est donc relative à l'homme du métier, lequel est supposé avoir des connaissances ordinaires dans le domaine en cause. Deux questions se posent alors relativement au contenu de ces connaissances et à la date de ces connaissances : a) Le contenu des connaissances de l'homme du métier La question rejoint celle qui s'est posée lors de l'étude de l'article 35 USC 103 (cf Titre I, Chapitre V). L'expression "person skilled in the art" de l'article 35 USC 112 est en effet quasi-identique à l'expression "person having ordinary skill in the art" de l'article 35 USC 103. Dans l'appréciation de la non-évidence d'une invention, les connaissances de l'homme du métier sont censées correspondre à tout l'art antérieur au sens de l'article 35 USC 102 (cf Titre I, Chapitre V). En va-t-il de même lorsqu'il s'agit de l'exigence de l'article 35 USC 112 ? Il faut observer d'abord que si l'article 35 USC 103 se réfère explicitement à la notion d'art antérieur ("prior art"), il n'en va pas de même pour l'article 35 USC 112 qui n'évoque qu'une "person skilled in the art". Par ailleurs, les buts poursuivis par les deux dispositions sont différents : l'article 35 USC 103 est destiné à éviter que l'on accorde un brevet pour une invention qui découlerait de manière évidente de l'art antérieur. Le but de l'article 35 USC 112 est autre. Il s'agit que l'homme du métier, à la simple lecture du brevet, puisse réaliser l'invention, sans avoir à effectuer une recherche documentaire pour compléter l'enseignement du brevet. Ainsi, l'homme du métier visé à l'article 35 USC 112-1 n'est-il censé connaître qu'une partie de

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l'art antérieur, celle qui est bien connue. En particulier, l'homme du métier ne connaît que les documents accessibles au public. Ainsi, ne connaît-il l'enseignement contenu dans une demande de brevet américain qu'après la publication de celle-ci. Il n'est pas censé le connaître à compter de la date de dépôt de la demande , comme c'est le cas pour l'art antérieur défini par 35 USC 102e. De même, pour les inventions antérieures prévues à l'article 35 USC 102g, qui sont considérées comme appartenant à l'art antérieur lorsqu'il s'agit d'appliquer l'article 35 USC 103 : l'homme du métier n'est censé les connaître qu'après leur mise à la disposition du public lorsqu'il s'agit d'appliquer l'article 35 USC 112-1. Ainsi, dans In re BUDNICK (CCPA 1976), la Cour a précisé que "les brevets cités pour préciser l'état de la technique dans le but de satisfaire à l'exigence de mise en oeuvre de l'invention (...) doivent avoir une date de délivrance antérieure à la date de dépôt effective de la demande". b) La date de l'appréciation L'article 35 USC 112-1 ne précise pas la date à laquelle le mémoire descriptif doit permettre à l'homme du métier de mettre en oeuvre l'invention. La question est moins simple qu'il n'y paraît. Elle mérite en fait une double réponse si l'on veut bien considérer que l'exigence de description des moyens de mise en oeuvre de l'invention vise un double but :

− il s'agit d'abord, conformément à une spécificité de la loi américaine, d'établir une date fictive d'invention par le dépôt d'une demande de brevet ayant valeur de "constructive reduction to practice" ;

− il s'agit ensuite, et comme dans tout autre pays, de permettre à l'homme du métier de mettre en oeuvre l'invention lorsque celle-ci sera tombée dans le domaine public.

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Selon le premier point de vue, la suffisance de description doit s'apprécier à la date de dépôt de la demande. Selon le second, elle doit s'apprécier à la date de délivrance du brevet. L'affaire In re LUNDAK (1985), montre bien cette double exigence. Un certain LUNDAK, professeur à l'Université de Californie, avait déposé le 26 mars 1981 une demande de brevet pour protéger une nouvelle lignée cellulaire et les hybridomes résultant de la fusion de cette lignée cellulaire avec des cellules lymphoïdes. L'inventeur avait développé cette nouvelle lignée par mutation génétique et sélection à partir d'une lignée cellulaire connue. Cette procédure était longuement décrite dans la demande de brevet. LUNDAK avait fait déposer la lignée cellulaire dans une collection de cultures à l'American Type Culture Collection (ATCC). En réalité, il est apparu que, par suite d'un contretemps, le dépôt n'avait été effectué que le 2 avril 1981, soit sept jours après la date de dépôt de la demande. Avant cette date, la lignée cellulaire était donc restée dans les laboratoires de l'Université de Californie et était inaccessible au public. L'Office des brevets avait rejeté la demande de brevet pour non conformité à l'article 35 USC 112-1, puisqu'à la date de dépôt de la demande, le mémoire descriptif seul ne permettait pas à l'homme du métier de réaliser l'invention, la lignée cellulaire indispensable étant inaccessible. Le fait que, "seulement" sept jours après, l'exigence de l'article 112-1 s'était trouvé satisfaite était inefficace pour éviter l'objection. La Chambre d'appel de l'Office (Board of Appeals and Interferences) avait confirmé le rejet. Cependant, la CAFC renversa cette décision. L'existence de la lignée cellulaire à l'Université permettait de considérer la demande comme constituant une "constructive reduction to practice" à la date de dépôt. Le transfert de cette lignée cellulaire de l'Université à la collection ATCC, avant la délivrance du brevet, permettait de satisfaire à l'exigence de description pour le public lorsque le brevet serait délivré.

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§ 2. La description pratique des moyens de mise en oeuvre a) La mise en oeuvre L'exigence posée par l'article 35 USC 112-1 est relative à la réalisation ("how to make") et à l'utilisation ("how to use") de l'invention. i) Comment réaliser l'invention ("how to make") Le mémoire descriptif doit contenir une description de la manière et du procédé de réalisation de l'invention suffisamment claire pour l'homme du métier auquel l'invention se rapporte. Cette exigence pose des problèmes notamment dans le cas des inventions portant sur des micro-organismes, comme on l'a vu plus haut dans In re LUNDAK. Dans bien des cas, le produit de départ est une souche, qui, même si elle se trouve dans la nature, peut être difficile à trouver ou à reproduire. C'est la raison pour laquelle il a été prévu qu'un échantillon de la souche pouvait être gardé par un dépositaire indépendant de l'inventeur, cette souche étant à la disposition du public. A ce sujet, il peut être observé que les Etats-Unis ont signé le Traité de Budapest sur la reconnaissance internationale du dépôt de micro-organismes. ii) Comment utiliser l'invention ("how to use") Le mémoire descriptif doit contenir une description de la manière d'utiliser l'invention. Ainsi qu'il a été expliqué dans le Titre I, Chapitre III, à propos de la condition d'utilité, l'exigence de l'article 35 USC 112-1 rejoint celle de l'article 35 USC 101 (cf In re FOUCHE où la CCPA a indiqué qu'un rejet sous 35 USC 101 peut tout aussi bien conduire à un rejet sous 35 USC 112). Le défaut de description du mode d'utilisation peut invalider une revendication de portée très large, qui tenterait de couvrir une

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multitude de modes d'utilisation dont certains seraient inopérants ou, tout au moins, douteux. b) La manière de décrire la mise en oeuvre i) L'incorporation par référence La manière la plus sûre de décrire les moyens de mise en oeuvre de l'invention est de les décrire explicitement dans le mémoire descriptif. Cependant, certains moyens étant connus, on peut être tenté de ne pas les décrire in extenso dans le brevet en se contentant de renvoyer à des documents (brevets, articles, livres). La question est de savoir si un tel art connu peut être incorporé par référence au mémoire descriptif. A cet égard, les tribunaux et l'Office américain des brevets se réfère non pas à un homme du métier, qui aurait accès à toutes les informations et aurait une connaissance parfaite de toutes les langues, mais au public américain réel. Si les livres de langue anglaise et les brevets américains, avec leur classification et leurs abrégés, constituent à l'évidence des documents d'accès facile pour le public américain, il n'en va pas de même pour des brevets ou des publications rédigés en langues étrangères. On voit donc que, dans cette question de l'appréciation de la suffisance de description, l'homme du métier a perdu certaines des qualités exceptionnelles qu'on lui prêtait lorsqu'il s'agissait d'apprécier l'évidence d'une invention. ii) Les informations "essentielles" et "secondaires" D'un point de vue pratique, il convient de distinguer les informations essentielles à la mise en oeuvre de l'invention et les informations secondaires. Une information est essentielle lorsqu'elle supporte une revendication ou lorsqu'elle est destinée à rendre la description conforme à l'article 35 USC 112-1. Relativement à ces informations essentielles, la règle est qu'on ne peut les

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incorporer par référence à un brevet que si ce brevet est un brevet américain délivré (ou une demande jugée accordable appartenant au même demandeur). Une information essentielle ne doit pas être incorporée par référence à des brevets ou à des demandes de brevets étrangers, ni par référence à des publications qui ne seraient pas des brevets, ni par référence à un brevet américain qui incorporerait lui-même cette information par référence. Il convient donc d'être très prudent lors de la rédaction d'une description lorsqu'on renvoie le lecteur à une référence, à propos de la manière de réaliser et d'utiliser l'invention. Si cette référence n'est pas un brevet américain mieux vaut reprendre l'enseignement de cette référence dans la description de la demande. De même, le recours à des documents publiés qui ne seraient pas constitués par des brevets américains, pour tenter de surmonter un rejet sous 35 USC 112-1, sera en général inefficace. Ainsi, dans In re HOWARTH (1981), la CCPA a estimé que le recours à des brevets de Rhodésie, du Panama et du Luxembourg, non cités dans la demande de brevet mais portés à la connaissance de l'Office des brevets au cours de la procédure d'examen, était insuffisant pour surmonter une objection sous 35 USC 112-1. Pour les informations secondaires, l'exigence est moins sévère : elles peuvent être incorporées à la description par référence à des brevets ou à des demandes de brevets délivrés ou publiées aux Etats-Unis ou dans d'autres pays, ou par référence à des demandes de brevets américains ayant le même titulaire, ou à des publications qui peuvent ne pas être des brevets. Mais de telles informations ne peuvent servir qu'à décrire un arrière-plan technologique ("background of the invention") ou l'état de la technique.

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SECTION III

L'EXIGENCE DE DESCRIPTION DE LA MEILLEURE MANIERE ("BEST MODE")

Selon l'article 35 USC 112-1, le mémoire descriptif doit indiquer la meilleure manière envisagée par l'inventeur d'exécuter son invention. Sous cette forme, l'exigence est relativement récente puisqu'elle n'a été introduite dans la loi qu'en 1952. Dans les lois antérieures, elle ne s'appliquait qu'aux inventions du type "machine". Aujourd'hui, elle touche tous les types d'invention. § 1. Le caractère subjectif de l'exigence Il faut bien observer que l'article 35 USC 112-1 n'exige pas que soit décrite la meilleure manière, en soi, mais la meilleure manière aux yeux de l'inventeur, ("contemplated by the inventor"). Même s'il existe une manière de réaliser l'invention meilleure que celle de la description, il ne s'ensuit pas que l'inventeur a failli à son obligation. Pour que la disposition de l'article 35 USC 112-1 puisse fonder le rejet d'une demande ou l'invalidation d'un brevet, il faut établir que l'inventeur a dissimulé ("concealed") des informations correspondant à une meilleure manière de réaliser l'invention. Cette condition subjective limite la portée de l'exigence. Cependant, elle demeure un motif d'annulation.

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§ 2. Exemples d'appréciation a) SPECTRA-PHYSICS INC. v. COHERENT INC. (1987) Dans cette affaire, la CAFC a annulé un brevet pour défaut de description de la meilleure manière envisagée par l'inventeur d'exécuter l'invention. Il s'agissait de lasers à gaz comprenant un tube en céramique muni de coupelles en cuivre brasées à l'intérieur du tube. Le mémoire évoquait un procédé de réalisation utilisant la technique connue de l'eutectique argent-cuivre avec titane et un autre procédé employant la brasure dite au moly-manganèse. La CAFC jugea que l'exigence de description relative à la manière de réaliser l'invention ("enablement requirement") était satisfaite mais que celle de la meilleure manière envisagée par l'inventeur ne l'était pas. En effet, l'inventeur avait dissimulé les détails de réalisation du tube par la méthode de l'eutectique argent-cuivre avec titane, alors qu'il savait pertinemment que c'était là la meilleure manière de réaliser le laser. b) Cas des inventions en informatique La question du "best mode" se pose d'une manière particulière dans le cas des inventions portant sur des circuits électroniques logiques ou de calcul. En effet, dans ce cas, si l'invention est décrite et revendiquée en termes de moyens concrets (portes logiques, compteurs, mémoires, circuits divers, etc...) en fait, l'inventeur envisage souvent d'exécuter son invention, au moins en partie, par "logiciel" et non par "matériel". Dès lors, la meilleure manière d'exécuter l'invention étant un logiciel, il est prudent de le décrire, même si ce mode de réalisation n'est pas brevetable en soi. Dans ce domaine, il n'existe pas de règle générale d'appréciation de l'exigence de "best mode". Une étude cas par cas s'impose. Dans In re SHERWOOD (1980), la CCPA a jugé qu'il n'y avait pas violation de la règle dans le cas d'une invention portant sur une méthode de prospection sismique mettant en oeuvre

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un ordinateur. L'inventeur avait décrit son invention dans le cas d'un calculateur analogique ; il avait indiqué que la manière dont il envisageait de l'utiliser était d'avoir recours à un ordinateur puissant et il avait donné les résultats obtenus avec un tel ordinateur ; mais il n'avait pas donné le programme détaillé. Dans ce cas particulier, la CCPA a estimé que l'homme du métier pouvait établir le programme lui-même. § 3. La date d'appréciation de l'exigence L'obligation faite à l'inventeur de décrire la meilleure manière dont il envisage d'exécuter son invention doit être remplie à la date de dépôt de la demande, que celle-ci soit provisoire ou définitive. Pour les étrangers, qui déposent leur demande de brevet aux Etats-Unis sous priorité, il faut considérer que la date en question est la date de priorité, qui vaut date de dépôt en ce qui concerne les droits du demandeur. C'est ce qui a été jugé dans STANDARD OIL CO. v. MONTEDISON (1980). S'il advient que l'inventeur découvre, après le dépôt de la demande, une meilleure manière d'exécuter l'invention, il n'est pas tenu d'amender sa demande pour y inclure cette nouvelle manière. La question est moins simple lorsqu'il s'agit d'une demande en "continuation". CONCLUSION : L'expression "suffisance de description" recouvre des exigences différentes selon qu'il s'agit d'apprécier une demande de brevet ou une antériorité :

- pour être "suffisante", une demande de brevet doit contenir une description de l'invention, une description des moyens de mise en oeuvre (comment la réaliser et comment l'utiliser) et une description du meilleur mode de réalisation ;

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- pour être "suffisante", une antériorité doit révéler l'invention, dans tous ses moyens, mais n'a pas à indiquer le meilleur mode de réalisation, ni même, lorsqu'il s'agit d'un produit, les moyens de son obtention ou de son utilisation.

Dès lors, il n'y a pas de contradiction à ce qu'un même document, par exemple une demande de brevet, soit considéré à la fois comme suffisant en tant qu'antériorité et insuffisant en tant que demande de brevet. Ainsi, une demande de brevet français peut porter sur un nouveau produit, décrire complètement la structure chimique du produit et ses propriétés sans toutefois indiquer comment on l'obtient ni à quoi il sert. La demande américaine correspondante sera rejetée pour "insuffisance de description" sous 35 USC 112.1. Une Continuation-in-Part devra être déposée. Mais entre-temps, la demande française aura sans doute été publiée depuis plus d'un an. Elle entraînera un rejet sous 35 USC 102b, car le produit revendiqué dans la CIP aura été divulgué dans la demande française publiée. Ainsi, le même texte (en l'occurrence une demande de brevet français) sera à la fois suffisant et insuffisant, selon le point de vue adopté.

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CHAPITRE III

LES REVENDICATIONS Si les revendications sont aujourd'hui familières à tous les spécialistes en brevets, il n'en a pas toujours été ainsi. On sait, par exemple, que la loi française ne les reconnaît que depuis 1968. Les Américains les ont introduites dans leur droit beaucoup plus tôt, mais sous des formes diverses. Bien qu'il y ait une assez grande convergence de vue sur le rôle des revendications des deux côtés de l'Atlantique, il n'en reste pas moins que le droit américain présente là encore quelques particularités. Il convient de les faire ressortir en analysant d'abord la fonction des revendications (Section I), puis leur forme (Section II).

SECTION I

LA FONCTION DES REVENDICATIONS La fonction de la revendication est d'être la mesure de l'invention (paragraphe 1). Elle est soumise à une exigence particulière, à savoir la précision (paragraphe 2).

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§ 1 La revendication comme mesure de l'invention a) Origine de la disposition i) Les premières lois Les premiers brevets américains délivrés ne comprenaient qu'un mémoire descriptif de l'invention. Ce mémoire devait répondre à deux exigences :

i) être suffisant pour qu'un homme du métier puisse réaliser et utiliser l'invention ,

ii) distinguer clairement l'invention de ce qui

était déjà connu ou utilisé. Le mémoire descriptif, en général, satisfaisait à ces deux exigences simultanément, encore que l'habitude se prit peu à peu de conclure la description proprement dite par une déclaration commençant par "I claim as my invention ...". Ainsi, à l'origine, la nécessité de définir l'invention était-elle perçue en même temps que celle de préciser comment la réaliser et l'utiliser. Mais, la définition de l'invention était davantage destinée à prouver la brevetabilité qu'à fixer la portée du brevet. Le premier litige concernant cette question de définition de l'invention semble être EVANS v. EATON, porté en 1822 devant la Cour Suprême. Le brevet d'EVANS décrivait une machine à faire de la farine et la description était suffisante pour qu'un homme du métier puisse la réaliser et l'utiliser, ce qui n'a été contesté par personne. Mais, dans le cas d'espèce, la Cour Suprême estima qu'il était impossible de décider si EATON, qui utilisait une machine semblable, était ou non contrefacteur. EVANS n'avait manifestement pas inventé la totalité de la machine, n'ayant fait que perfectionner des machines antérieures. Mais on ne pouvait distinguer clairement, à la seule lecture du brevet, qu'elle était l'étendue du droit accordé à EVANS. Dès lors, le brevet d'EVANS, bien que suffisant dans sa divulgation de l'invention, apparaissait comme insuffisant lorsqu'il s'agissait de l'opposer aux tiers.

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Cette difficulté, entre autres, conduisit les Américains à modifier leur loi (en 1836) et à exiger que l'inventeur fasse ressortir ("point out") le perfectionnement ou la combinaison qu'il prétendait avoir inventé. D'abord accessoire du mémoire descriptif, et ne devant servir que de guide pour les tribunaux en cas de litige, cette partie du mémoire devint peu à peu essentielle. En faisant ressortir les caractéristiques de l'invention, elle définissait, à elle seule, l'invention, aussi bien pour l'analyse de sa brevetabilité que pour l'appréciation de la contrefaçon. Il apparut alors que les revendications étaient la mesure de l'invention ("the claims measure the invention"). En 1870, la loi exigea une forme particulière pour ces revendications, distincte de la description proprement dite. ii) La loi actuelle Aujourd'hui, la loi en vigueur dispose, dans son article 35 USC 112, second alinéa :

"Le mémoire descriptif doit se terminer par une ou plusieurs revendications faisant spécialement ressortir et revendiquant clairement l'objet que le déposant considère comme son invention".

b) Revendication et description La revendication doit se fonder sur la description. La portée de la revendication peut être plus large que les modes de réalisation décrits, mais ne peut être plus large que l'invention décrite. Si certains moyens de l'invention décrite sont indispensables, ils doivent tous figurer dans la revendication. A défaut de l'un d'entre eux, la revendication serait nulle car elle ne se fonderait pas sur la description. L'exigence de clarté de la revendication ne coïncide pas avec l'exigence de description de l'invention. C'est la raison pour laquelle l'article

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35 USC 112 sépare nettement les deux exigences : celle qui vise les revendications est définie dans le second alinéa de l'article 112 alors que celle qui vise la description est l'objet du premier (cf Chapitre précédent). Ces deux exigences se distinguent également dans les sanctions prévues :

− une insuffisance dans la description entraînera un rejet sous le premier alinéa de 35 USC 112 ; un tel rejet est particulièrement grave puisqu'en général on ne pourra y remédier, l'article 35 USC 132 interdisant l'introduction d'éléments nouveaux ;

− un défaut de clarté dans les revendications n'entraînera qu'une objection sous le second alinéa de 35 USC 112 et ce défaut pourra être réparé par amendement.

§ 2. La précision de la revendication a) Un langage précis Dans la définition de l'invention qu'il revendique le déposant peut employer les mots qui lui convienne à condition qu'il les définisse clairement, selon l'adage :

"le breveté est son propre lexicographe". Le défaut de précision est le plus souvent dû à l'utilisation de mots ou expressions dont le sens est imprécis, tels que "substantially", "relatively", "closely", "partially", "slightly", "practically". L'imprécision peut également résulter de l'emploi d'alternatives ou de limitations négatives. Imprécise, la revendication sera rejetée pour indétermination ("indefiniteness").

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b) Un langage éventuellement fonctionnel Dans le passé, de nombreuses décisions avaient condamné le langage fonctionnel dans les revendications, dans la mesure où ce langage, allant au-delà de ce que le déposant avait réellement inventé ou décrit, rendait la revendication vague. Mais cette condamnation est apparue comme excessive. L'expression "means for" peut être, dans bien des cas, parfaitement claire. C'est pour lever toute ambiguïté sur la possibilité d'employer ce type de langage que la loi de 1952 a prévu, dans le sixième alinéa de l'article 112, la possibilité d'une rédaction fonctionnelle :

112.6 (...) "Dans une revendication de combinaison, un élément peut être exprimé en tant que moyen ou étape de réalisation d'une fonction spécifique sans en rappeler la structure, les matériaux ou les actes à accomplir, et cette revendication est comprise comme couvrant la structure, les matériaux ou les actes décrits dans le mémoire descriptif ainsi que leurs équivalents".

Cette disposition appelle quatre observations :

i)Si la loi parle d'un élément, il faut comprendre que ce "un" signifie n'importe lequel (c'est-à-dire "any") et non pas un seul élément.

ii)Le langage fonctionnel n'est prévu que pour les inventions de combinaison. Il ne s'agit pas uniquement des combinaisons de moyens mécaniques mais de tout type de combinaisons (substances, procédés, circuits, etc...). Il faut néanmoins qu'il y ait véritablement combinaison, c'est-à-dire existence de plusieurs moyens coopérant. Il n'est pas possible d'employer la formulation fonctionnelle pour une invention qui ne comprendrait qu'un seul moyen ("single-means claim").

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iii)La disposition prévue par l'article 35 USC 112.6 est certainement commode pour le rédacteur de brevet, mais en termes de protection, elle ne permet pas de généraliser l'exemple décrit dans le brevet, puisque la revendication "means-plus-function" s'interprète à partir de cet exemple. Cette question a été débattue dans In re DONALDSON (Fed. Cir. 1994).

iv)Bien que le dernier alinéa de l'article 35 USC 112 évoque les "équivalents", on ne doit pas considérer que cette disposition définit à elle seule la "théorie des équivalents", qui est à la fois plus complexe et de portée plus large (cf la seconde partie de ce cours consacrée à l'exploitation du droit de brevet).

SECTION II

LA FORME DES REVENDICATIONS La revendication de brevet américain répond à un format général spécifique (paragraphe 1) ; dans certains cas, des types particuliers de revendications peuvent être employés (MARKUSH, JEPSON ou "product-by-process") (paragraphe 2). § 1. Le format général de la revendication La revendication contient trois parties : un préambule, une transition et un corps. i) Le préambule Le préambule est un mot ou un groupe de mots désignant l'objet de l'invention, avec éventuellement son utilisation prévue et/ou ses propriétés (par

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exemple "Herbicide" ou "Sonde pour le contrôle non destructif" ou "Laser à gaz"). En règle générale, le préambule ne limite pas la revendication. S'il mentionne un domaine d'application, on considère qu'il ne s'agit là que d'une intention d'utilisation ("intended use"). Il est alors difficile de s'appuyer sur ce préambule pour prouver la nouveauté de l'invention. ii) La transition La transition est une phrase qui relie le préambule au corps de la revendication. Cette phrase indique si le corps qui suit est ouvert ("open") ou fermé ("closed"). Les expressions comme : "comprising", "the improvement which comprises", "including", "having", signifient que les éléments énumérés ensuite ne sont qu'une part du dispositif : la revendication est "ouverte". L'utilisation de "consisting" signifie en revanche que les éléments énumérés constituent l'invention à l'exclusion de tout autre : la revendication est "fermée". Une variante consiste à utiliser l'expression "consisting essentially of", qui ouvre quelque peu la revendication, mais seulement à des éléments qui n'affectent pas les caractéristiques nouvelles et fondamentales de l'invention. iii) Le corps Le corps de la revendication énumère les éléments et les limitations qui définissent l'objet inventé sans distinction de ce qui est connu et nouveau. La revendication est en effet destinée à fixer la portée du brevet et cette portée s'étend à la combinaison des moyens, qu'ils soient nouveaux ou connus. § 2. La revendication de type JEPSON La revendication de type JEPSON répond au format général analysé dans le paragraphe précédent, mais avec une différence : le préambule est plus complet et définit un art antérieur ; la transition

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est généralement de la forme "wherein the improvement comprises" et le corps ne porte que sur l'élément nouveau ou sur le perfectionnement. Une revendication de ce type est apparue pour la première fois en 1917 dans Ex parte JEPSON. L'examinateur de l'Office américain des brevets avait rejeté cette revendication comme non conforme au format général, du fait de son préambule. Mais le Commissaire des brevets, au contraire, jugea acceptable une telle revendication et même recommandable dans le cas des inventions de perfectionnement. Aujourd'hui, le Code of Federal Regulations recommande ce type de revendication (35 CFR 1.75(e)) ainsi que le Manual of Patent Examining Procedure (608.01(m)), mais cette recommandation n’est pas du tout suivie dans la pratique. Il faut savoir que le préambule d'une "JEPSON-claim" est censé définir un art antérieur et que celui-ci pourra être opposé à l'invention au titre de l'évidence, même si cet art antérieur ne relève pas explicitement des paragraphes a, e, g de l'article 35 USC 102 et correspond, par exemple, à un usage en France (cf Titre I, Chapitre IV sur l'art antérieur). Il faut observer aussi que le préambule d'une revendication de type JEPSON est une limitation de l'invention, ce qui n'est généralement pas le cas avec un préambule classique. § 3. La revendication de type MARKUSH L'Office américain des brevets a très tôt refusé l'usage d'alternatives dans une revendication. Dans Ex parte MARKUSH (1925), une demande avait été rejetée comme indéfinie pour cause d'alternative : un certain colorant y était défini comme un "diazotized solution of aniline or its homologues or halogen substitutes". L'inventeur (ou plus vraisemblablement son Patent Attorney) imagina pouvoir tourner cette difficulté en employant l'expression "material selected from the group consisting of aniline, homologues of aniline and halogen substitutes of aniline". Mais l'examinateur avait maintenu son rejet.

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Cependant, le Commissaire trouva la formule heureuse. L'Office américain des brevets l'accepte aujourd'hui mais sous certaines conditions :

- l'expression utilisée doit être exactement "selected from the group consisting of" ; il n'est pas admis d'utiliser le mot "comprising" qui "ouvrirait" le groupe de manière indéfinie ;

- les éléments du groupe doivent avoir quelque chose en commun dans leurs propriétés physiques ou chimiques qui justifie leur inclusion dans un même groupe.

Il faut observer qu'il est possible d'utiliser une revendication de type MARKUSH pour quelques éléments, alors même qu'il existe, dans la même demande, une revendication générique couvrant tous les éléments du groupe MARKUSH. Il est même possible d'utiliser plusieurs revendications MARKUSH de portée décroissante : par exemple le groupe (A, B, C, D, E, F, G), puis le groupe (A, B, F, G), puis le groupe (A, F, G). Il est piquant de noter que l'utilisation fréquente de revendications du type MARKUSH a eu pour effet de réhabiliter les alternatives (OU) dont l'interdiction était justement à l'origine de l'utilisation de cet artifice. Aujourd'hui, il est admis d'employer l'alternative OU pour des éléments qui pourraient définir un groupe MARKUSH. § 4. La revendication "Product-by-Process" Une revendication "product-by-process" est une revendication dans laquelle un produit est défini au moins partiellement en termes de procédé d'obtention. A l'origine, cette forme singulière ne se justifiait que si l'on ne pouvait pas définir le produit par sa structure ou sa composition. La formule "product-by-process" résultait donc moins d'un choix que d'une nécessité. Cette "necessity rule" avait été posée dès 1891 dans Ex parte PAINTER, et est encore appelée parfois "the PAINTER necessity rule".

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La brevetabilité d'une revendication "product-by-process" dépend du produit en soi et non du procédé pour l'obtenir (In re THORPE, Fed. Circ. 1985). Un produit déjà connu ne peut donc être breveté par une revendication "product-by-process" sous prétexte que le procédé est nouveau. Il convient dans ce cas de définir l’invention par une revendication de procédé. § 5. Le jeu de revendications a) Les revendications indépendantes Lorsque les revendications furent introduites, les déposants comprirent vite le parti qu'ils pouvaient en tirer. Puisque la revendication était la mesure de l'invention, ils prirent l'habitude de multiplier les revendications indépendantes pour étendre la protection. De là ces revendications innombrables ne différant les unes des autres que par quelques éléments omis ou rajoutés. Cette pratique tourna à l'abus. Ainsi, dans une affaire Ex parte McCULLOUGH en 1926, la demande ne contenait pas moins de 325 revendications ! Quelques taxes au-delà de la vingtième revendication (dès 1927) freinèrent l'ardeur des rédacteurs de brevet, mais on trouva encore des brevets avec des dizaines de revendications. Dans In re CHANDLER (1958), l'Office rejeta une demande pour la raison qu'elle contenait 50 revendications alors que l'invention ne présentait aucune complexité particulière ; la CCPA confirma le rejet. b) Les revendications dépendantes A cette technique rédactionnelle que l'on peut qualifier de "centrale" (en ce sens que chaque revendication est indépendante et définit à elle seule une invention) s'est substitué peu à peu une technique que l'on peut qualifier de "périphérique" en ce sens qu'elle s'attache à définir plutôt les contours du domaine protégé ("metes and bounds"), par un langage fonctionnel et plus général. Des revendications

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dépendantes, rattachée à une revendication générique, viennent préciser des sous-ensembles contenus dans le domaine général. C'est cette technique qui prévaut aujourd'hui. Elle est très proche de celle qu'on utilise en Europe. En 1975, le Congrès, pour permettre l'application du traité PCT prévoyant les revendications dépendantes, modifia l'article 35 USC 112 pour y ajouter les actuels alinéas 3, 4 et 5 sur les revendications dépendantes et dépendantes multiples. On observera que, selon l'alinéa 5 de cet article, une revendication dépendante multiple ne doit servir de base à aucune autre revendication dépendante multiple. Ainsi, ne peut-on avoir : 12) Dispositif selon les revendications 8, 9 ou 10 ..., si la revendication 8 est elle même à dépendance multiple, par exemple : 8) Dispositif selon les revendications 2 ou 3...

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CHAPITRE IV

LES PROCEDURES DEVANT L'OFFICE Pour obtenir un brevet, l'inventeur doit en faire la demande auprès du “Commissaire des Brevets” (l’Office américain est dirigé par un Directeur secondé par un Commissaire des Brevets et un Commissaire des Marques). La demande est examinée et le brevet éventuellement délivré selon une procédure qui est analysée, dans ses grandes lignes, dans la Section I. Durant cette procédure, diverses objections peuvent être soulevées à l'encontre de la demande. Elles sont passées en revue dans la Section II. La procédure d'interférence, propre au système américain, fait l'objet d'une section particulière (Section III). Selon une autre particularité de la loi américaine, le déposant peut redéposer sa demande tout en bénéficiant, si certaines conditions sont remplies, de la date du premier dépôt. Cette question fait l'objet de la Section IV. Le réexamen d'un brevet délivré est possible. C'est l'objet de la Section V. Dans toutes ces procédures devant l'Office, le déposant est tenu à un devoir de franchise (Section VI).

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SECTION I

LA PROCEDURE DE DELIVRANCE § 1. La demande provisoire ("provisional specification") a) Le principe Depuis le 8 juin 1995, il est possible de déposer des demandes provisoires ("provisional specifications") selon les modalités définies par le paragraphe b de l'article 35 USC 111 et par la règle 37 CFR 1.53c. Une demande provisoire doit être déposée par l'inventeur, ou autorisée par l'inventeur ; elle doit contenir une description conforme au premier paragraphe de l'article 35 USC 112 (ce qui signifie que les trois exigences relatives à la description de l'invention, à la manière de la réaliser et de l'utiliser et au meilleur mode de réalisation, doivent être satisfaites) et, le cas échéant, un dessin. Mais la demande provisoire ne contient pas obligatoirement de revendications. Par ailleurs, l'inventeur n'est pas tenu de déposer un serment et une déclaration. Enfin, la taxe de dépôt est réduite. La demande provisoire n'est pas examinée en tant que telle. Elle est automatiquement abandonnée 12 mois après son dépôt. Une demande provisoire ne peut pas revendiquer le bénéfice d'une priorité (interne ou étrangère). Mais une demande provisoire peut fonder un droit de priorité unioniste pour une demande ultérieure déposée hors Etats-Unis, par exemple en Europe. Une demande provisoire peut être déposée aussi bien par un inventeur américain que par un inventeur étranger. Dans ce dernier cas, la demande peut être déposée dans une langue autre que l'anglais, mais une traduction en anglais sera exigée.

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b) L'intérêt La disposition relative aux demandes provisoires est destinée à permettre aux inventeurs d'entrer rapidement dans la procédure de délivrance des brevets, en obtenant une date de dépôt dont bénéficiera une demande ordinaire ultérieure, déposée dans l'année qui suit. Le mécanisme de cette "priorité interne" est défini dans l'article 35 USC 119, comme pour la priorité unioniste. A cet effet, un ultime paragraphe e) a été ajouté en 1995. Ce dépôt rapide n'ampute pas la durée de la protection car l'expiration de la période de validité du brevet qui sera ultérieurement délivré sera comptée non pas à partir de la date de dépôt de la demande provisoire, mais à partir de la date de dépôt de la demande régulière complétée. L'intérêt pour un déposant étranger de déposer une demande provisoire, sans attendre la fin de l'année de priorité, pourrait être (i) d’avancer la date d’entrée dans l’art antérieur aux Etats-Unis selon l’article 102 paragraphes e et g, et (ii) de réduire le risque de perte du droit au brevet en raison d'une divulgation éventuelle par un tiers qui serait intervenue un peu avant la date de priorité et qui pourrait se situer plus d'un an avant la date de dépôt de la demande américaine (supposée déposée à la fin de l'année de priorité, comme c'est l'usage). § 2. La demande ordinaire a) Les pièces du dépôt Aux termes de l'article 35 USC 111, la demande de brevet doit être adressée par l'inventeur au Directeur de l'Office des brevets et doit comprendre :

- un mémoire ("specification"), (conformément à l'article 112),

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- un dessin, (conformément à l'article 113) lorsque cela est nécessaire à l'intelligence de l'objet dont la protection est demandée,

- un serment (conformément à l'article 115) par lequel le déposant déclare qu'il croit être l'inventeur original et premier de l'objet dont la protection est demandée.

Par ailleurs, la demande doit être accompagnée de la taxe prescrite (taxe de base, taxe pour chaque revendication indépendante au-delà de la troisième, taxe pour revendication à dépendance multiple). Une réduction de 50% de ces taxes est possible pour les petits inventeurs ("small entities"). La notion de "small entity" recouvre :

- les inventeurs individuels (à condition que le droit sur le brevet n'ait pas fait ou ne doive pas faire l'objet d'un transfert),

- les organisations sans but lucratif, - les petites entreprises (en général, moins de 500

employés, à condition encore que le brevet n'ait pas fait ou ne doive pas faire l'objet d'un transfert).

b) Date de dépôt L'article 35 USC 111a)4) précise que la date de dépôt d'une demande est la date de réception par l'Office des Brevets du mémoire descriptif et de tout dessin requis. Le serment et la taxe de dépôt peuvent être déposés ultérieurement, dans un délai prescrit par le Directeur. Ce point est important dans la mesure où cette date peut devenir une date de priorité. § 3. La publication de la demande Depuis le 29 novembre 2000, les demandes de brevet américain sont publiées 18 mois après leur date de dépôt ou de priorité conformément à un nouvel

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alinéa b) introduit dans l'article 35 USC 122. Cependant, certaines demandes ne sont pas publiées, à savoir : i) les demandes abandonnées, ii) les demandes mises au secret, iii) les demandes provisoires, iv) les demandes portant sur les dessins

("design patent"), v) les demandes pour lesquelles le

déposant certifie qu'il n'a pas déposé et ne déposera pas de demande correspondante dans un pays pratiquant la publication à 18 mois et pour lesquelles il requiert l'absence de publication.

Il est possible pour le déposant de demander une nouvelle publication de la demande en cas d'amendements apportés en cours d'examen. Le dossier d'examen n’est pas généralement rendu accessible au public à partir de la date de publication de la demande. La publication de la demande entraîne certains droits provisoires conformément à l'alinéa d de 35 USC 154. Le breveté pourra obtenir du contrefacteur une redevance raisonnable ("reasonable royalty") pendant la période allant de la publication de la demande à la délivrance du brevet, à condition que la demande de brevet publiée ait été notifiée au contrefacteur. Ces droits provisoires supposent que l'invention finalement revendiquée dans le brevet délivré soit essentiellement la même ("substantially identical") que celle de la demande publiée. C'est pourquoi il peut être utile de demander une nouvelle publication de la demande en cas de modifications substantielles des revendications, pour faire naître des droits provisoires attachés aux revendications odifiées. m § 4. Examen de la demande Conformément à l'article 35 USC 131, le Directeur des brevets fait examiner la demande. S'il

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L'article 35 USC 132 précise en outre, et ce point est important dans la pratique, qu'une modification ne peut introduire d'éléments nouveaux ("new matter") dans le mémoire descriptif.

ressort de l'examen que le déposant a droit à un brevet le Directeur délivre le brevet. a) Les notifications Conformément à l'article 35 USC 132, lorsque, à la suite de l'examen, une revendication est rejetée, ou fait l'objet d'une objection ou d'une exigence, le Directeur adresse une notification au déposant, en indiquant les motifs du rejet, de l'objection ou de l'exigence. b) Les réponses aux notifications Toujours selon l'article 35 USC 132, si le déposant, après avoir reçu une notification, persiste à demander un brevet, avec ou sans modification, la demande est réexaminée.

c) Les délais Conformément à l'article 35 USC 133, lorsque le déposant ne poursuit pas la procédure dans les délais impartis, la demande est considérée comme ayant été abandonnée, à moins qu'il ne soit prouvé de manière convaincante que le retard était inévitable. En pratique, le délai fixé dans la communication de l'Office est de 3 mois. Une réponse dans le 4ème mois entraîne le paiement d'une taxe ; dans le 5ème mois, une taxe plus élevée et dans le 6ème mois une taxe encore plus élevée. La prolongation du délai de réponse n'a pas à être demandée ; elle est accordée rétroactivement lors du dépôt de la réponse accompagnée de la taxe appropriée. Si le jeu de revendications est modifié dans un sens tel que des revendications indépendantes ou des revendications dépendantes multiples, etc... sont ajoutées, pour lesquelles les taxes exigibles

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n'auraient pas été acquittées au moment du dépôt de la demande, alors, des taxes complémentaires correspondantes doivent être acquittées lors du dépôt de l'amendement. d) Le rejet définitif ("Final rejection") Lorsque l'examinateur estime que la question débattue est claire ("clear issue"), il rend une décision définitive ("Final Action"). Les possibilités de réponse pour le déposant deviennent alors très limitées. Elles sont précisées dans la règle 37 CFR 1.116. Essentiellement, le déposant peut supprimer les revendications rejetées et accepter les revendications jugées accordables, ou mettre la demande en accord avec toutes les exigences ou objections formulées par l'examinateur. Après réception de l'ultime réponse du déposant, l'examinateur émet une "Advisory Action" dans laquelle il précise si les dernières propositions du déposant sont acceptées, refusées, ou susceptibles d'être prises en compte en cas d'appel. Dans tous les cas, la procédure est terminée 6 mois après l'émission de la décision finale ("Final Action"). Lorsqu'une demande est en condition d'être accordée, sauf à corriger certains points de forme, une notification dite "Ex parte QUAYLE Action" est émise. Elle clôt la procédure d'examen sur le fond. Plus aucune modification substantielle des revendications n'est alors possible. Dans son souci d'accélérer la délivrance des brevets (la durée moyenne entre le dépôt de la demande et la délivrance du brevet est tombée en dessous de 20 mois et doit tendre vers 18 mois), l'Office américain des brevets tient à une procédure rapide et les jeux sont pratiquement faits après la première notification officielle. Cette première notification est la seule qui permette une discussion complète et un amendement profond des revendications. La seconde notification tranche définitivement la question de fond et seuls des amendements de forme sont encore possible.

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e) La délivrance Si la demande est jugée accordable, une notification d'accord est émise ("Notice of Allowance"). Le déposant doit alors acquitter une taxe de délivrance ("issue fee") dans les 3 mois. Le brevet est imprimé et publié dans un délai bref. L'Office américain des brevets s'efforce de délivrer le brevet dans les quatre semaines qui suivent le paiement de la taxe de délivrance. § 5. L'appel (ou recours) a) La procédure Conformément à l'article 35 USC 134, tout déposant d'une demande de brevet dont une ou plusieurs revendications ont été rejetées par deux fois peut, après paiement de la taxe d'appel, recourir à une Chambre d'appel. Cette Chambre, ("Board of Patent Appeals and Interferences") est composée de collèges de 3 membres. L'appelant doit déposer une notification d'appel ("Notice of Appeal") dans le délai de réponse correspondant à la dernière notification (c'est-à-dire dans les 6 mois qui suivent l'émission de la "Final Action"). Cette notification identifie la demande et les revendications rejetées pour lesquelles l'appel est interjeté. Une taxe d'appel doit être acquittée. Dans les 2 mois qui suivent le dépôt de la Notice of Appeal, un mémoire d'appel doit être déposé ("Brief") et une nouvelle taxe acquittée. L'examinateur répond au mémoire d'appel, et l'appelant peut y répondre ("Reply Brief"). Une audience ("Oral Hearing") peut être demandée. Il faut observer que seules les objections de fond ("rejections")peuvent faire l'objet d'un appel. Les "objections" ou "requirements" (comme par exemple les "restriction requirements") ne peuvent pas faire l'objet d'un appel mais seulement d'une "Petition" auprès du Directeur.

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b) L'indépendance de la Chambre d'appel La Chambre d'appel n'est pas limitée à l'examen des motifs de rejet soulevés par l'Examinateur. Elle peut soulever de nouvelles objections et rejeter les revendications examinées pour de nouveaux motifs ("new grounds of rejection"). c) Les recours judiciaires La décision de la Chambre d'appel termine la procédure administrative au sein de l'Office. En cas de rejet de sa demande, le déposant ne peut plus espérer obtenir gain de cause qu'auprès des tribunaux. Pour cela, il peut :

- soit saisir la Court of Appeals for the Federal Circuit (CAFC),

- soit engager une procédure civile auprès du "District Court for the District of Columbia" (DCDC).

En plus des différences de procédure entre ces deux voies de recours, il est utile de préciser que la CAFC n'apprécie que les arguments des parties développées lors de la procédure au sein de l'Office, alors que le DCDC reprend toute l'affaire à son début et chaque partie peut développer de nouveaux arguments, ou faire valoir de nouveaux faits. Le DCDC est ainsi juge de première instance. En seconde instance, on retrouve la CAFC. § 6. La redélivrance ("reissue") a) Le fondement légal La redélivrance d'un brevet défectueux est prévue à l'article 35 USC 251 :

Lorsqu'un brevet est considéré, en raison d'une erreur commise sans intention de tromper, comme inopérant ou nul, en tout ou partie, en raison d'un mémoire descriptif ou d'un dessin

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défectueux, ou parce que l'inventeur revendique davantage ou moins que ce qu'il a droit de revendiquer dans le brevet, le Commissaire, moyennant renonciation au brevet et paiement de la taxe prescrite, redélivre le brevet pour l'invention divulguée dans le brevet original et sur la base d'une demande nouvelle et modifiée, pour la durée de validité du brevet original qui reste à courir.

b) La procédure La demande de redélivrance doit expliquer en quoi consiste l'erreur commise et proposer les corrections appropriées. Si la demande de redélivrance n'a pas pour but d'étendre la portée des revendications contenues dans le brevet original, cette demande de redélivrance peut être déposée à tout moment au cours de la vie du brevet. Dans le cas où l'on souhaite étendre cette portée, la redélivrance doit être demandée dans les deux années qui suivent la délivrance du brevet original. Le brevet redélivré montre clairement les modifications apportées : les passages supprimés sont mis entre crochets et les passages ajoutés sont imprimés en italique. c) Les effets de la redélivrance Conformément à l'article 35 USC 252 :

"La renonciation au brevet original prend effet à partir de la délivrance du brevet redélivré, et tout brevet redélivré à la même valeur et les mêmes effets juridiques, dans les procédures portant sur des litiges surgis ultérieurement, que s'il avait été délivré originairement sous la forme ainsi corrigée".

Un problème se pose lorsque la portée des revendications a été étendue par la redélivrance. Un tiers pouvait ne pas contrefaire le brevet original mais pourrait tomber sous le coup du brevet redélivré.

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Pour éviter cette anomalie, la loi prévoit, dans son article 35 USC 252, que les droits acquis par les tiers entre la délivrance du titre original et la redélivrance ("intervening rights") seront préservés. Cette disposition définit une sorte d'exception de "possession personnelle" mais seulement dans le cadre très étroit de la redélivrance.

SECTION II

REJETS, OBJECTIONS, EXIGENCES Le Directeur de l'Office peut, par l'intermédiaire de l'examinateur en charge du dossier, rejeter la demande ("rejection"), soulever diverses objections ("objections") ou formuler certaines exigences ("requirements"). La différence essentielle entre ces diverses prises de position est que seules les "rejections" peuvent faire l'objet d'un appel auprès de la Chambre d'appel (Board of Patent Appeals and Interferences), les "objections" et "requirements" ne pouvant faire l'objet que d'une pétition auprès du Commissaire. § 1. L'exigence de limiter l'invention ("restriction requirement") a) Son fondement légal Conformément à l'article 35 USC 121 :

"si plusieurs inventions indépendantes et distinctes sont revendiquées dans une seule demande, le Directeur peut exiger que la demande soit limitée à l'une d'entre elles".

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b) Le caractère "distinct" Le critère essentiel sur lequel se fonde cette exigence est la présence d'inventions indépendantes et distinctes. Deux inventions sont considérées comme indépendantes s'il n'y a pas de relation entre elles. C'est rarement le cas dans la pratique. En fait, l'objection se fonde le plus souvent sur le caractère distinct des inventions, l'Office des brevets substituant au "et" employé par la loi ("indépendantes et distinctes") un "ou" (indépendantes ou distinctes). Deux inventions sont considérées comme distinctes lorsqu'elles sont :

- susceptibles d'être réalisées, utilisées ou vendues séparément ;

- brevetables l'une par rapport à l'autre. Un critère fréquemment utilisé pour apprécier le caractère distinct de deux inventions est leur appartenance à des classes différentes dans la Classification américaine des techniques. Des inventions "distinctes" se rencontrent le plus souvent dans le cas où une même demande porte sur :

− une combinaison d'éléments et une sous-combinaison,

− un procédé et un appareil pour mettre en oeuvre ce procédé,

− un procédé et un produit obtenu par ce procédé.

c) L'élection Dans tous les cas où l'examinateur estime que les inventions sont distinctes, il émet une objection dite de "restriction". La réponse du déposant consiste à élire ("election") l'une ou l'autre de ces inventions. L'objection de restriction n'est pas à proprement parler une exigence de division car la ou les inventions non élues peuvent fort bien ne pas

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faire l'objet de divisions, l'objection de restriction n'étant pas moins surmontée dès lors que le déposant élit une des inventions. Les inventions non élues, si elles ne sont pas explicitement abandonnées, ne sont plus prises en considération par l'examinateur dans la procédure qui suit ("withdrawn from consideration"). Elles restent en suspend pendant toute la procédure d'examen et peuvent toujours faire l'objet de demandes divisionnaires jusqu'à la délivrance du brevet. d) La demande d'"election of species" Des "espèces" ou "species" sont des modes de réalisation d'un concept inventif, ces modes de réalisation étant brevetables l'un par rapport à l'autre. Une même demande peut porter sur de telles espèces de plusieurs manières :

i) soit que la description seule se réfère à de telles espèces dans le but de supporter une revendication générique de portée très large, ces espèces n'étant pas revendiquées explicitement (mais naturellement étant couvertes par la revendication générique) ;

ii) soit que la description et le jeu de revendications portent sur ces espèces, le jeu de revendications contenant une revendication générique (c'est-à-dire qui se lit sur toutes les revendications d'espèces).

Dans le premier cas (i), c'est-à-dire s'il n'y a pas de revendications d'espèces mais seulement une revendication générique, aucune demande d'élection n'est faite, à condition toutefois que le nombre de ces espèces soit raisonnable (règle 37 CFR 1.146). Dans le second cas (ii), c'est-à-dire lorsqu'il existe une revendication générique et des revendications d'espèces, l'examinateur demandera au déposant d'élire l'une de ces espèces (pour que la procédure d'examen puisse commencer) et ceci au cas où la revendication générique, qui lie provisoirement les revendications d'espèces, se révèle non accordable.

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Si la revendication générique est finalement jugée accordable à la fin de l'examen, toutes les revendications protégeant les différentes espèces se trouveront accordées, si elles reproduisent bien toutes les limitations de la revendication générique accordable (et à condition encore que le nombre des espèces soit "raisonnable"). Dans le cas contraire, la revendication générique n'étant pas accordable, la question de la brevetabilité de l'espèce élue se pose mais de toute façon les espèces non élues ne seront pas accordées dans la demande déposée. Elles peuvent être abandonnées ou faire l'objet de demandes divisionnaires. On retrouve le cas des inventions indépendantes et distinctes. Le déposant peut contester ("traverse") la nécessité d'élire une espèce. Mais, malgré cette contestation, il doit élire une espèce, faute de quoi une pétition adressée ultérieurement au Directeur à ce sujet serait irrecevable. § 2. Le rejet pour insuffisance de description a) Son fondement légal Comme expliqué dans le Chapitre II relatif au mémoire descriptif et conformément à l'article 112, alinéa 1, le mémoire doit contenir une description écrite de l'invention ainsi qu'une description de la manière et du procédé de réalisation et d'utilisation de celle-ci, en termes assez complets, clairs, concis et exacts, pour qu'un homme du métier auquel l'invention se rapporte ou est apparentée puisse la réaliser et l'utiliser et doit indiquer la meilleure manière envisagée par l'inventeur d'exécuter son invention. Si tel n'est pas le cas, le rejet de la demande est prononcé.

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b) L'interdiction de matière nouvelle ("new matter") L'objection d'insuffisance de description est difficile à surmonter car l'article 35 USC 132, dans sa dernière phase, interdit l'introduction d'éléments nouveaux ("new matter") par amendement de la description. L'impossibilité d'ajouter de la matière nouvelle résulte de ce qu'une demande de brevet doit valoir mise en oeuvre ("constructive reduction to practice"). Une fois cette mise en oeuvre datée, on ne peut plus en modifier l'objet. c) Les amendements autorisés Cependant, il est possible d'amender un mémoire descriptif sans contrevenir à la règle énoncée par l'article 35 USC 132. Les amendements sont possibles s'ils ont pour effet de clarifier ou de compléter la demande. La règle de "new matter" n'est violée que si le complément apporté n'était ni décrit ni suggéré dans les pièces originellement déposées, à savoir : la description, les dessins et les revendications. Ainsi, le déposant pourra ajouter à la description une expression ou une valeur numérique qui ne figurait que dans les revendications. Le déposant pourra également remplacer une référence à un document par le contenu de ce document (il peut s'agir par exemple d'une demande de brevet américain en cours d'examen). Le demandeur pourra également tenter de soutenir que l'ajout qu'il introduit dans sa demande rend explicite ce qui était implicite ou inhérent dans la description. Par contre, l'ajout de l'utilité de l'invention, alors que cette utilité n'était pas mentionnée dans les pièces originales, est considéré comme de la matière nouvelle ("new matter"). Mais l'utilité, si elle a été déjà mentionnée, peut dans certains cas faire l'objet de compléments. Si un complément doit absolument être déposé pour soutenir une demande défaillante, il faut avoir recours au dépôt d'une demande dite "Continuation-in-

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Part" selon une procédure qui sera décrite dans la section suivante. § 3. Les rejets pour défaut de brevetabilité a) Rejet sous 35 USC 101 La demande peut être rejetée si son objet ne tombe pas dans l'une des catégories d'inventions brevetables prévues à l'article 35 USC 101 (cf Titre I, Chapitre II sur l'objet du droit au brevet). b) Rejet sous 35 USC 102 Ce rejet sanctionne le défaut de nouveauté. Il s'appuie sur une seule référence. L'examinateur s'exprime généralement de la manière suivante : "claims X, Y are rejected under 35 USC 102 as anticipated by ... (reference)". Cette "anticipation" nécessite que tous les moyens de la revendication rejetée se retrouve dans la référence citée. Eventuellement, l'examinateur peut s'appuyer sur la doctrine de l'inhérence ("inherency") pour une partie implicite de l'enseignement du document cité, et, à cette fin, il peut citer d'autres documents pour prouver le caractère inhérent. c) Rejet sous 35 USC 103 Le rejet pour évidence s'appuie sur une ou plusieurs références. En général, l'examinateur s'exprime de la manière suivante : "claims X, Y are rejected under 35 USC 103 as unpatentable over reference A in view of reference B". La référence A, dans ce cas, est la référence première ("primary reference") et la référence B la référence seconde ("secondary"). Il sortirait du cadre de ce cours d'expliquer comment on tente de surmonter ces rejets.

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§ 4. Le rejet pour double protection ("double patenting") a) Le fondement de l'objection L'objection de double protection (ou "double patenting") ne trouve pas de fondement légal explicite. Elle découle implicitement de l'article 35 USC 101 qui stipule que "quiconque invente un procédé ... peut obtenir un brevet (...)", c'est-à-dire un seul brevet (en anglais "may obtain a patent", "a" étant pris au sens de "one"). Le fondement du droit au brevet, qui est essentiellement un droit d'exclure les tiers, interdit en effet qu'on délivre deux brevets pour la même invention et cela aussi bien à une même personne qu'à deux personnes différentes. b) Les deux tests du "double patenting" Lorsqu'un premier brevet a été délivré à une personne, il y a risque de "double-patenting" lorsqu'est revendiquée, dans une autre demande déposée au nom de la même personne :

- la même invention, - ou une invention qui est une variation évidente

de la première. Le test permettant de reconnaître que deux inventions sont les mêmes (à l'égard du "double-patenting") consiste à s'interroger pour savoir si, l'une des deux revendications en cause étant littéralement contrefaite l'autre le serait également. L'écueil que l'on souhaite éviter étant une double protection, il est en effet naturel que le test pratiqué se réfère au critère d'appréciation de la contrefaçon. Le test permettant de reconnaître que l'une des inventions revendiquées est une variation évidente de l'autre consiste à considérer fictivement que l'une des deux inventions est un art antérieur à l'égard de l'autre et à s'interroger sur l'évidence de la seconde selon les critères définis par l'article 35 USC 103.

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Dans cette appréciation, on s'appuie sur les connaissances de l'homme du métier, mais en excluant naturellement l'enseignement contenu dans la description du brevet déjà délivré. On notera que l’appréciation du “double patenting” s’effectue par une comparaison entre les revendications des deux brevets ou demandes. Il est rare, dans la pratique, qu'une demande encore en cours d'examen contienne une revendication portant sur la même invention que celle qui a fait l'objet d'un brevet déjà délivré à la même personne. Mais ce cas peut se produire lorsque la demande résulte d'une division déposée à la suite d'une objection de restriction. L'objection de double protection se rencontre généralement lorsque plusieurs demandes coexistent, l'une pour une invention exprimée de manière large et générique ("genus") et les autres pour des modes particuliers de réalisation ("species"). Un brevet portant sur une espèce particulière peut avoir été délivré très rapidement, alors que la demande sur l'invention générique reste encore en examen, mais est sur le point d'être accordée. La revendication générique à délivrer va, par hypothèse, couvrir l'espèce déjà brevetée et entraîner une duplication de la protection. L'affaire In re VOGEL (1970) illustre cette situation. Un certain VOGEL avait obtenu un brevet pour un procédé de traitement de la viande de porc, comprenant certaines opérations à certaines températures et pendant certaines durées. VOGEL avait également déposé une demande de brevet comportant, notamment, une revendication sur un procédé analogue appliqué à la viande en général. L'Office rejeta la demande pour "double-patenting". Le déposant avait fait appel auprès de la CCPA. La Cour appliqua d'abord le test de la contrefaçon pour déterminer si le procédé de traitement de la viande en général, était la même invention que le procédé de traitement de la viande de porc. On pouvait contrefaire littéralement la première (pour la viande en général) sans contrefaire ipso facto la dernière (pour le porc). Il ne s'agissait donc pas des mêmes inventions. En revanche, la Cour

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estima que le procédé de traitement de la viande en général et le procédé de traitement du porc étaient des variations évidentes : connaissant le procédé de traitement de la viande en général, il n'y avait aucune difficulté à imaginer qu'il pouvait s'appliquer au porc, ou inversement. Le premier test était donc négatif, mais le second était positif. Il y avait donc bien tentative de double protection. c) La renonciation ou "disclaimer" L'article 35 USC 253 prévoit que le titulaire d'un brevet peut renoncer ("disclaim") à toute revendication de brevet lorsque celle-ci se révèle nulle. Dans le dernier alinéa de cet article, il est indiqué que :

"De même, tout titulaire de brevet ou déposant peut renoncer à un brevet délivré ou à délivrer, ou le mettre à la disposition du public, pour la totalité de sa durée ou pour la durée qui reste à courir".

C'est sur cette disposition que se fonde la procédure de "disclaimer" qui permet à un déposant de surmonter l'objection de "double-patenting" en renonçant à l'autonomie de son titre et en liant celui-ci au brevet déjà délivré, à compter de la date d'expiration du premier. Encore faut-il observer que cette renonciation ne lève l'obstacle que dans le cas où les deux inventions ne sont pas les mêmes mais sont des variations évidentes l'une de l'autre. Si les inventions revendiquées sont les mêmes (au sens défini plus haut), il n'est pas possible de surmonter l'objection de "double-patenting" même par dépôt d'un "disclaimer" (car cette renonciation n'effacerait pas, dans la période commune, ce que l'on veut éviter, à savoir la duplication des brevets pour une même invention).

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SECTION III

LA PROCEDURE D'INTERFERENCE Le système d'attribution du brevet au premier inventeur se trouve en difficulté lorsque deux personnes revendiquent la même invention : c'est la situation "d'interférence" (ou de "collision"). L'interférence est régie par l'article 35 USC 135. Elle est déclarée lorsqu'une demande de brevet interfère avec une ou plusieurs demande(s) en cours d'examen ou avec un brevet délivré mais non expiré. En 1984, le "Board of Appeals" et le "Board of Patent Interferences" ont fusionné en une seule chambre : le "Board of Patent Appeals and Interferences". Par ailleurs, afin de réduire la durée et le coût de la procédure d'interférence, de nouvelles règles ont été élaborées et sont entrées en vigueur le 8 février 1985 (Règles CFR 1.601 à 1.688). Mais la procédure reste de toute manière complexe. On n'en donnera ici que les phases essentielles. a) Déclaration d'interférence La procédure d'interférence est déclarée lorsque deux conditions sont remplies :

- l'une de fond : deux déposants (ou un déposant et un titulaire de brevet) revendiquent la même invention brevetable ;

- l'autre de forme : les dates de dépôt des deux demandes (ou d'une demande et d'un brevet) sont rapprochées.

Reste naturellement à définir ce que l'on entend par la "même invention" et par "rapprochées". i) "La même invention" Les Américains considèrent que, dans ces questions de conflit d'attribution de brevet, deux

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inventions sont "les mêmes" ("the same") lorsqu'il n'y a pas de différences brevetables entre elles. En d'autre termes, l'identité d'invention s'apprécie selon les deux critères de brevetabilité que sont la nouveauté (35 USC 102) et la non-évidence (35 USC 103). Les "Patents Rules" disposent, dans leur paragraphe 1.601 "Scope of Rules, definitions" :

(n) invention "A" is the "same patentable invention" as an invention "B" when invention "A" is the same as (35 USC 102) or is obvious (35 USC 103) in view of invention "B" assuming invention "B" is prior art with respect to invention "B". (...).

La position américaine ne manque pas de logique : les brevets sont délivrés pour protéger des inventions brevetables. Or, une invention n'est brevetable que si elle présente suffisamment de différence par rapport à l'état de l'art. Les critères d'appréciation de cette différence sont la nouveauté et la non-évidence. Une invention est différente d'une autre si elle est nouvelle et non-évidente. La notion de similitude, qui est le complément logique de celle de différence, doit donc s'apprécier, elle aussi, à l'aide de ces deux critères. Les Américains ne séparent donc pas les conditions de nouveauté et de non-évidence : elles s'appliquent toutes deux dans tous les cas (cf, dans le chapitre sur la non-évidence, la disposition selon laquelle un brevet américain est opposable non seulement au titre de la nouveauté mais aussi au titre de l'évidence à compter de sa date de dépôt aux Etats-Unis). C'est la règle qui était d'ailleurs appliquée lorsqu'il s'agissait de la question de la double protection ("double-patenting") (cf la section précédente). Pour illustrer cette règle, il suffit d'évoquer, en le simplifiant, l'un des nombreux exemples envisagés par le "Manual of Patent Examining Procedure, par. 2309.01, Formulation of Counts". Dans cet exemple, il est supposé que l'un des déposants revendique un moteur à explosions à 6

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cylindres et l'autre un moteur à explosions à 8 cylindres. La question est de savoir s'il s'agit de "la même" invention et, dans l'affirmative, quelle est cette invention. Conformément à ce qui a été rappelé plus haut, les Américains résolvent ce problème de la manière suivante : un moteur à 8 cylindres est nouveau par rapport à un moteur à 6 cylindres, à supposer que celui-ci soit un art antérieur (ou inversement). S'il avait été évident de passer d'un moteur à 6 cylindres à un moteur à 8 cylindres, à supposer qu'un moteur à 6 cylindres ait été un art antérieur (ou inversement), alors il s'agit de la même invention et cette invention est celle du moteur à explosions (quel que soit le nombre de cylindres). En revanche, si l'un des déposants revendique un moteur à explosions et l'autre un moteur à explosions avec piston en platine, il ne s'agira pas de la même invention s'il n'était pas évident d'utiliser le platine pour réaliser un piston de moteur à explosions. Lorsque "la même invention" se retrouve dans deux demandes de brevet, au sens qui vient d'être dit, cette invention commune est définie par une revendication appelée "count". Littéralement, c'est le "chef d'accusation". Cette revendication est rédigée par l'examinateur. ii) La condition de date α) Définitions La date de dépôt ("filing date" ou, en abrégé, "FD") est la date assignée à une demande en vertu de l'article 35 USC 111 dernière phrase ("la date de dépôt d'une demande est la date de réception du mémoire descriptif et de tout dessin requis par l'Office des Brevets et des Marques"). Dans bien des cas (et notamment lorsque le déposant est un non-Américain) la première date à prendre en compte n'est pas la date où l'Office des Brevets et des Marques a reçu la demande, mais une date antérieure liée à une autre demande, soit qu'il s'agisse d'un premier dépôt effectué hors des Etats-Unis et créant un droit de priorité (35 USC 119) soit

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qu'il s'agisse d'une demande internationale PCT (35 USC 365),soit enfin qu'il s'agisse d'une demande ayant donné lieu à une autre demande ("Continuation", "Continuation-in-Part" (35 USC 120)). Dans ces trois cas, on parle de "effective filing date" (EFD en abrégé) pour désigner cette date "d'entée en vigueur". Ainsi, pour un Français déposant sa demande aux Etats-Unis à la fin de l'année de priorité et revendiquant valablement cette priorité, y aura-t-il deux dates à prendre en compte : la date de dépôt aux Etats-Unis ("filing date" ou FD) et la date de priorité ("effective filing date" ou EFD). Pour un Américain effectuant un premier dépôt aux Etats-Unis, il n'y aura qu'une date à prendre en compte, à savoir la date de dépôt ("filing date", ou FD), laquelle se confond avec l'"effective filing date" (EFD). β) La règle générale Ces dates ayant été définies, la règle générale relative au déclenchement de l'interférence est la suivante :

L'interférence n'est pas déclarée entre deux demandes s'il existe une différence de plus de 3 mois entre leurs "effective filing dates" dans le cas d'inventions de caractère simple, ou s'il existe une différence de plus de 6 mois dans leurs "effective filing dates" dans les autres cas.

Par inventions de caractère simple, on entend des inventions de faible technicité. Le schéma suivant illustre cette règle où la "période critique" est de 3 ou 6 mois :

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Déposant A

Déposant B

Déposant C

EFD

période critique

EFD

EFD

Règle : - pas d'interférence entre A et B - interférence entre A et C Dans le cas où s'affrontent des non-Américains bénéficiant chacun d'un droit de priorité, la règle s'applique à travers les dates de priorité qui constituent les "effective filing dates" :

EFD

déposant A

déposant B

déposant C

(priorité)

période critique

EFD(priorité)

FD(USA)

EFD(priorité)

FD(USA)

FD(USA)

Conclusion : - pas d'interférence entre A et B - interférence entre A et C. La partie qui bénéficie de l'"effective filing date" la plus ancienne est appelée "Senior Party", l'autre est la "Junior Party". δ) Les exceptions Comme souvent dans la législation américaine sur les brevets, une règle simple s'accompagne d'exceptions qui viennent sérieusement compliquer la question (comme pour la règle de détermination du premier inventeur). La Chambre d'interférences peut toujours déclencher une interférence, selon les

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circonstances, pour régler un conflit entre deux demandes, même si la condition précédente n'est pas remplie. Il est prévu, par exemple, une exception lorsque la demande ne bénéficiant pas de la EFD la plus ancienne, bénéficie cependant de la FD la plus ancienne, autrement dit, lorsque la chronologie des EFD n'est pas celle des FD. Ce cas peut se présenter dans plusieurs circonstances, par exemple lorsque s'affrontent un non-Américain bénéficiant d'une date de priorité (EFD) et un Américain ayant déposé sa demande aux Etats-Unis pendant l'année de priorité dont bénéficiait son concurrent. Dans une telle situation, l'interférence pourra être déclenchée même si la seconde demande (celle de l'Américain) est déposée après la période critique de 3 ou 6 mois commençant à la première EFD ; il faut cependant que la seconde demande soit déposée avant la FD de la première demande :

non-Américain

Américain

Période critiquede 6 mois FD

FD(USA)(priorité)

EFD

Interférence : oui. Par cette exception, les Américains veulent accorder un poids supplémentaire au dépôt effectué sur le territoire des Etats-Unis par rapport à un dépôt effectué à l'étranger. Ainsi, le non-Américain (par exemple un Français) qui pense pouvoir différer son dépôt aux Etats-Unis jusqu'à la fin de l'année de priorité, tout en gardant le bénéfice de son premier dépôt, prend en réalité le risque de se trouver engagé dans une procédure d'interférence avec un Américain, si celui-ci dépose sa demande vers la fin de l'année de priorité, alors qu'un dépôt rapide aux Etats-Unis pourrait lui éviter ce tracas.

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En d'autres termes, lorsqu'un non-Américain a effectué un premier dépôt dans son pays et a étendu sa demande aux Etats-Unis à la fin de l'année de priorité, un Américain a disposé de sensiblement 12 mois (et non de 3 ou 6 mois) à compter du premier dépôt pour déposer sa demande, avec possibilité de l'emporter dans une procédure d'interférence. Ce risque est non seulement encouru par le jeu du droit de priorité mais aussi, et surtout, à travers la voie PCT, qui retarde considérablement le dépôt de la demande sur le territoire américain (conformément à l'article 35 USC 371 (c), la phase nationale américaine peut être engagée dans un délai de 20 ou 30 mois à compter de la date de priorité). ε) Interférence entre une demande et un brevet Une interférence peut être déclarée également entre une demande et un brevet déjà délivré mais non encore expiré. Dans ce cas encore, il faut que l'invention commune soit brevetable pour les deux parties. Elle l'est par hypothèse pour le breveté, mais ne l'est pas nécessairement pour le demandeur. ζ) Forclusion Selon l’article 135, paragraphe b, il ne sera pas possible de déclencher une interférence avec un brevet délivré depuis un an ou plus, ou avec une demande de brevet publiée depuis un an ou plus. Ce délai institue une perte du droit à l’interférence dans un délai comparable à celui de la perte du droit au brevet à l’article 102, paragraphe b. b) Dépôt de déclarations préliminaires ("preliminary statements") ; réponses ; "motions", etc... L'interférence ayant été déclarée dans les conditions qui viennent d'être exposées, une procédure complexe s'engage où chaque partie dépose une déclaration dans laquelle elle identifie l'inventeur ayant inventé le "count" et indique où l'invention a été effectuée (aux Etats-Unis ou à l'étranger). Les

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règles CFR 1.623 et 1.624 définissent une série d'informations à fournir à l'Office. Chaque partie peut contester la validité de la demande de l'autre partie, en s'appuyant sur l'article 35 USC 112 (insuffisance de description), ou sur un abandon, une dissimulation, une suppression de l'invention (102g), ou montrer que l'adversaire n'a pas inventé lui-même l'invention définie par le "count" (102f). Chaque partie peut contester également la définition du "count" et soutenir que son invention échappe au "count". c) "Discovery", témoignages La phase de "discovery" est une phase d'instruction et d'enquête. Chaque partie peut faire appel à divers témoignages pour établir une date d'invention la plus ancienne possible. d) Décision La Chambre d'interférences rend sa décision et désigne celui qui est le premier inventeur du "count". En moyenne, la durée totale d'une procédure d'interférence est d'environ deux ans à compter de sa déclaration.

SECTION IV

LES DEMANDES SUCCESSIVES La procédure américaine présente la particularité d'offrir au déposant la possibilité de redéposer sa demande avec ou sans modification du mémoire descriptif et/ou des dessins.

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La première question qui se pose à l'égard de ces demandes successives ("continuations") est celle de savoir si elles bénéficient de la date du dépôt antérieur auquel elles se rattachent. Les différents types de demandes peuvent être ensuite analysés. Dans cette section, il ne sera pas question des demandes complétées déposées dans les 12 mois suivant le dépôt d'une demande provisoire. On rappelle simplement, à cet égard, que ces demandes complétées bénéficient de la date de dépôt de la demande provisoire selon les conditions fixées par l'article 35 USC 119 alinéa e, qui définissent une sorte de priorité interne. § 1. Bénéfice de la date d'un dépôt antérieur a) La règle Les conditions dans lesquelles une nouvelle demande peut bénéficier de la date de dépôt d'une demande antérieure sont définies par l'article 35 USC 120 :

120. Bénéfice de la date de dépôt antérieur aux Etats-Unis Une demande de brevet portant sur une invention divulguée de la manière visée au premier alinéa de l'article 112 du présent Titre dans une demande déposée antérieurement aux Etats-Unis, ou de la manière prévue à l'article 363 du présent Titre, qui est déposée par un ou des inventeurs nommés dans la demande déposée précédemment, a le même effet, en ce qui concerne cette invention, que si elle avait été déposée à la date de la demande antérieure à condition que le dépôt soit effectué avant la délivrance du brevet fondé sur la première demande ou sur une demande également admise au bénéfice de la priorité de la première demande, avant l'abandon de cette demande ou avant la conclusion de la procédure y relative, et à condition que la demande contienne ou soit modifiée en vue de contenir une référence

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expresse à la demande déposée antérieurement. (…)

b) Interprétation On peut analyser l'article 35 USC 120 comme suit : A) - une demande de brevet a été déposée aux Etats-

Unis, et, dans cette demande, une invention a été divulguée conformément à l'article 35 USC 112-1 ;

B) - une demande de brevet ultérieure a été déposée pour couvrir la même invention ;

- l'inventeur ou les inventeurs de la demande ultérieure ont été nommés dans la demande antérieure ;

- la demande ultérieure a été déposée avant la délivrance, l'abandon ou la fin de l'examen de la demande antérieure ;

- la demande ultérieure se réfère à la demande antérieure ;

C) - alors, la demande ultérieure a le même effet, en ce qui concerne l'invention, que si elle avait été déposée à la date de dépôt de la demande antérieure ;

D) - et la règle s'étend au cas où la demande antérieure n'était pas une première demande mais était une demande bénéficiant déjà de la date d'une demande antérieure.

Grâce aux dispositions de l'article 35 USC 120, des demandes successives peuvent former une chaîne ininterrompue permettant de remonter à la date de dépôt de la première demande. c) Rôle de l'article 35 USC 112-1 Il est essentiel d'observer que la continuité prévue à l'article 35 USC 120 entre diverses demandes n'est établie que si l'invention objet de la demande ultérieure avait été divulguée dans la demande antérieure conformément à l'article 35 USC 112 premier alinéa. On rappelle que l'article 112.1 exige de la demande qu'elle :

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- contienne une description de l'invention ("description requirement"),

- dise comment réaliser et utiliser l'invention ("enabling requirement"),

- indique la meilleure manière prévue par l'inventeur pour réaliser l'invention ("best mode requirement").

Si l'invention objet de la demande ultérieure n'avait pas été divulguée, dans la demande antérieure, de la manière visée au premier alinéa de l'article 112 (ce qui aura valu au demandeur une objection sous 35 USC 112-1), la demande ultérieure ne bénéficiera pas de la date de dépôt de la demande antérieure. Le mécanisme par lequel une demande bénéficie de la date de dépôt d'une demande antérieure conformément à l'article 35 USC 120 est donc similaire au mécanisme introduit en 1995 à propos de la demande provisoire si ce n'est que le délai de 12 mois prévu dans le second est absent du premier (comparer 35 USC 120 et 35 USC 119e1). § 2. Les différents types de demandes successives De nouvelles règles sont entrées en vigueur le 1er décembre 1997. Une nouvelle règle 37 CFR 1.53 rassemble l'ensemble des dispositions. Les anciennes règles 37 CFR 1.60 et 1.62 ne sont plus en vigueur (elles sont remplacées par le paragraphe b de la règle 1.53) a) La demande dite "Parent" La demande originelle est appelée "Parent" (parente). b) La demande dite "Continuation" Une "Continuation" est une seconde demande qui contient la même description que la demande parente. Une telle "Continuation" est utilisée pour

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introduire un nouveau jeu de revendications et permettre un examen de ce jeu par l'Examinateur. Un nouveau numéro de série est attribué. La demande parente n'est pas nécessairement abandonnée et peut poursuivre son cours. c) La demande dite "Continuation-in-Part" Une "Continuation-in-Part" (en abrégé CIP) est une demande qui reprend l'essentiel ou la totalité d'une demande antérieure et qui ajoute des éléments nouveaux qui ne figuraient pas dans la demande antérieure. Les revendications qui s'appuient sur la matière nouvelle ajoutée par la CIP ne peuvent bénéficier que de la date de dépôt de la CIP (si, à nouveau, la condition de suffisance de description est remplie) mais ne peuvent pas bénéficier de la date de dépôt de la première demande. Mais les revendications qui s'appuient sur une divulgation suffisante figurant déjà dans la première demande bénéficient de la date de dépôt de celle-ci (si les autres conditions fixées par 35 USC 120 sont remplies). Lorsqu'on est en présence d'un brevet qui a été délivré sur la base d'une CIP il faut donc "faire le tri" dans les revendications pour déterminer les dates respectives dont elles bénéficient (date de dépôt de la première demande ou de la CIP) et déterminer ainsi les dates de "constructive reduction to practice" des inventions correspondantes. Un nouveau numéro de série est attribué à la CIP. La demande parente n'est pas nécessairement abandonnée. d) La demande divisionnaire ("Divisional Application") Une demande divisionnaire est une demande qui contient des revendications déposées à l'origine et la description y afférent, ou la totalité de la description initialement déposée. La demande divisionnaire est déposée à la suite d'une objection de restriction, c’est-à-dire

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lorsque l’Examinateur a considéré que certaines revendications définissaient une autre invention et les a exclues de l’examen. La demande divisionnaire, puisqu’elle concerne une invention différente, ne peut pas recevoir une objection de “double patenting”. e) La procédure dite "Continued Prosecution Application" (CPA) Cette procédure avait été mise en place le 1er décembre 1997. Elle consistait à déposer une requête et à acquitter la taxe requise. La procédure d'examen reprenait alors comme s'il s'agissait d'une nouvelle demande. Cette procédure a été supprimée ensuite au profit de la requête en poursuite de procédure (voir ci-dessous). f) La requête en poursuite de procédure ("Request for Continued Examination" ou RCE) Un nouveau paragraphe b de l'article 35 USC 132 et une nouvelle règle CFR 1.114 ont instauré une procédure permettant à un demandeur de poursuivre un examen sans avoir à redéposer la demande. Il suffit d'en faire la requête et d'acquitter la taxe prévue. Cette requête peut être déposée à tout moment avant le paiement de la taxe de délivrance ou l'abandon de la demande. g) La demande "By-pass" Une demande internationale désignant les Etats-Unis vaut (pour le déposant) demande américaine réputée avoir été déposée le jour du dépôt de la demande internationale (mais, pour les tiers, cette demande ne constitue un art antérieur que si la demande internationale est publiée en anglais cf. 35 USC 102e1)). Il est donc possible, pour le déposant, de prendre cette demande internationale comme demande "parente" et de s'y appuyer pour déposer une seconde demande ("Continuation" ou "Continuation-

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in-Part"). Le dépôt de cette seconde demande peut être effectué avant l'engagement de la phase nationale prévue par le Traité PCT. La demande en "Continuation" constitue en quelque sorte une procédure de "contournement" qui "court-circuite" la phase nationale, laquelle peut alors n'être jamais engagée. § 3. Date de dépôt d'un brevet délivré sur la base d'une CIP Lorsqu'un brevet américain a été délivré sur la base d'une CIP déposée à la suite d'une objection d'insuffisance de description (35 USC 112-1) visant une demande parente, la question se pose de savoir quelle est la date de dépôt dont le brevet délivré bénéficie. La question est d'autant plus importante qu'aux Etats-Unis cette date de dépôt peut valoir date de "constructive reduction to practice", c'est-à-dire date d'invention. Si l'invention finalement revendiquée dans le brevet correspond à la matière ajoutée dans la CIP, la date recherchée sera la date de dépôt de la CIP. Mais si la matière nouvelle apportée dans la CIP ne concernait que des éléments de clarification ne se rapportant pas directement à l'invention finalement revendiquée, celle-ci pourra bénéficier de la date de dépôt de la demande parente, en dépit de l'objection initiale d'insuffisance de description. On ne peut donc pas déduire, du seul fait qu'une première demande a fait l'objet d'une objection pour insuffisance de description, que le brevet délivré sur la base d'une CIP déposée ultérieurement ne bénéficie pas de la date de dépôt de la première demande. L'affaire HUGUES AIRCRAFT CO. v. UNITED STATES illustre ce point. Une première demande avait été déposée le 18 avril 1960 pour un système de commande d'orientation d'un satellite. Ce satellite, de type géosynchrone et à rotation, envoyait des signaux à une station centrale située au sol, laquelle commandait en retour l'orientation du satellite. La demande initiale revendiquait un ensemble comprenant le satellite et la station au sol.

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Cette première demande avait été rejetée pour insuffisance de description sous 35 USC 112-1 car la station au sol n'était pas décrite avec suffisamment de précision. L'inventeur avait alors déposé une CIP le 21 août 1964 pour ajouter un complément de description relatif à la station au sol. Les revendications avaient, par ailleurs, été modifiées en cours d'examen pour finalement ne plus revendiquer que le satellite (et non plus le satellite en combinaison avec la station au sol). Le brevet avait été délivré en septembre 1973. Or, en 1962, c'est-à-dire plus d'un an avant le dépôt de la CIP, le satellite en question (il s'agissait du satellite SYNCOM, premier satellite de communication géosynchrone) avait été lancé avec succès et la presse spécialisée avait largement rendu compte de l'événement.

18.04.60

1er dépôt

1962 21.08.64 USP3,758,051

Lancement dusatellite

plus d'1 an

CiP

En première instance, le tribunal jugea que le dépôt de la CIP constituait, de la part du breveté, une reconnaissance du caractère insuffisant du mémoire descriptif d'origine et que, en conséquence, le brevet délivré ne bénéficiait que de la date de dépôt de la CIP, à savoir le 21 août 1964 et non de celle du premier dépôt. Or, plus d'un an avant cette date, l'invention avait été divulguée. A la date de dépôt de la CIP, l'inventeur avait perdu son droit au brevet (35 USC 102b) et le brevet était donc nul. Mais la Court of Claims (qui était, à l'époque, la Cour d'Appel compétente pour les affaires impliquant le gouvernement des Etats-Unis) renversa cette décision. L'invention finalement brevetée ne portait, en fait, que sur le satellite et cette

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invention là était décrite conformément aux exigences de l'article 35 USC 112-1 dans la demande parente. L'invention brevetée bénéficiait donc bien de la date de dépôt de la première demande, en vertu des dispositions de l'article 35 USC 120. La matière nouvelle ajoutée dans la CIP n'avait été destinée, selon la Cour, qu'à préciser comment le satellite était utilisé. L'inventeur n'avait donc pas perdu son droit au brevet sur le satellite. Naturellement, si l'invention finalement brevetée avait inclus la station au sol, pour laquelle un ajout avait été rendu nécessaire pour surmonter l'insuffisance de description, la solution aurait été inverse : la date de dépôt aurait été celle de la CIP et, dans ce cas, le brevet aurait été déclaré nul. On voit d'ailleurs par là, que le renoncement, pendant la procédure d'examen, à une partie d'une invention peut sauver un brevet. § 4. Validité d'une priorité fondée sur une "Continuation" Lorsqu'un brevet français ou européen revendique la priorité d'une demande déposée aux Etats-Unis et que cette demande prioritaire est une "Continuation", une question importante se pose qui est celle de savoir si la demande sur laquelle se fonde la revendication de priorité était bien une "première demande" au sens de la Convention de Paris. On suppose qu'une première demande A a été déposée aux Etats-Unis et qu'une Continuation B a été déposée ensuite. La demande A est la "demande antérieure" et la demande B la "demande ultérieure". On peut distinguer deux cas (entre autres) :

a) Avant la date de dépôt de la demande B, la demande A avait été abandonnée, elle n'avait pas servi de base pour une revendication de priorité, et n'avait pas laissé subsister de droits. Alors, la demande B est une première

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demande au sens de la Convention de Paris et de l'article 87(4) CBE. Mais cette demande B ne bénéficie pas de la date de dépôt de la demande A, car la continuité au sens de la loi américaine (cf 35 USC 120) a été rompue. Le cas est donc assez académique et correspond davantage à une "substitution" qu'à une "continuation" au sens strict.

b) A la date de dépôt de la demande B, la demande A n'avait pas été abandonnée et elle a suivi son cours. Elle a pu donner lieu à un brevet américain ou ne pas aboutir et finalement être abandonnée. Il y a bien continuité entre les demandes A et B au sens de la loi américaine, mais la demande B n'est pas une première demande au sens de la Convention de Paris ni au sens de 87(4) CBE puisqu'à la date de dépôt de la demande B, la demande A n'était pas abandonnée.

SECTION V

LE REEXAMEN Le Chapitre 30 de la loi américaine sur les brevets est consacré à la citation de l'état de la technique et au réexamen des brevets. Toute personne peut, à tout moment après délivrance d'un brevet américain, communiquer par écrit à l'Office américain des brevets l'état de la technique qu'elle considère comme ayant une incidence sur la brevetabilité d'une revendication du brevet. Cet état de la technique ne peut être constitué que par des brevets ou des publications imprimées. Toute personne peut également déposer une requête en réexamen de toute revendication d'un brevet, sur la base de l'état de la technique cité.

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§ 1. Procédure "ex parte" ou "inter partes" Longtemps, le réexamen a été une procédure "ex parte" dans laquelle le tiers ayant requis le réexamen ne pouvait intervenir. Depuis le 29 novembre 1999, il est possible de demander un réexamen de type "inter partes". Dans ce ré-examen "inter partes", le tiers peut adresser des observations en réplique à la réponse du titulaire du brevet. Cependant, le délai pour adresser ces observations est court : 30 jours. Comme le titulaire du brevet, le tiers peut interjeter appel d’une décision défavorable de l'examinateur (contrairement à la procédure "ex parte") en saisissant le "Board of Patent Appeals and Interferences". Depuis une modification de la loi en 2002, il peut également saisir la "Court of Appeal for the Federal Circuit", de la même façon que le titulaire du brevet, si la décision du Board lui est défavorable. § 2. Les "estoppels" de la procédure "inter partes" L'intérêt de la procédure de ré-examen "inter partes" est quelque peu atténué par les limites à l'action judiciaire ultérieure que cette procédure entraîne : i) celui qui a requis une procédure de ré-examen

"inter partes" ne peut demander, dans une action civile ultérieure, l'invalidation d'une revendication jugée valide, pour des motifs déjà soulevés ou qui auraient pu l'être dans la procédure de ré-examen "inter partes" ;

ii) celui qui a requis une procédure de ré-examen "inter partes" ne peut soulever de nouveaux motifs d'invalidation dans une action civile ultérieure.

Ces deux empêchements ("estoppels") ne s'appliquent pas si un nouvel art antérieur a été découvert, qui n'était pas connu au moment du ré-examen.

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SECTION VI

LE DEVOIR DE FRANCHISE (DUTY OF CANDOR)

Comme il sera expliqué dans la seconde partie de ce cours consacrée à l'exploitation du droit de brevet et plus particulièrement dans le titre consacré à la contrefaçon, toute fraude commise par le breveté dans l'obtention de son titre conduit à rendre ce titre inopposable ("unenforceable"). Cette sanction grave se fonde sur une branche du droit qui est l'équité ("equity") et plus spécialement sur la doctrine dite des mains propres ("clean hands"). La question de la fraude ne se pose pas seulement au moment d'un contentieux judiciaire mais, d'abord, pendant la procédure d'examen auprès de l'Office des Brevets et des Marques. Le déposant est soumis à un devoir de franchise ("Duty of Candor") envers cet Office. La règle doit être analysée d'abord dans son principe puis dans ses modalités d'application. § 1. La règle Le devoir de franchise est réglementé par la règle 37 CFR 1.56 du "Code of Federal Regulations". Une nouvelle règle est entrée en vigueur le 16 mars 1992. Elle précise le critère par lequel on juge qu'une information est importante ("material") et doit être communiquée à l'Office américain des brevets. Ce critère est le suivant :

"an information is material where it creates either by itself or in combination with other information, a prima facie case of unpatentability of a claim pending before the Office".

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On doit donc indiquer à l'Office américain des brevets toute information qui, à première vue ("prima facie") serait susceptible d'affecter la nouveauté (35 USC 102) ou la non-évidence (35 USC 103) d'une revendication. Cela n'empêche pas, naturellement, d'argumenter pour soutenir que cette information, en réalité, n'est pas gênante après analyse. La règle 37 CFR 1.56 dispose également que le déposant doit transmettre à l'Office toute information qui infirmerait ou gênerait des déclarations ou arguments avancés par lui dans la demande ou au cours d'une réponse à des Notifications à l'appui de la brevetabilité de son invention. Il peut s'agir par exemple de nouveaux tests ou de nouvelles mesures qui viendraient contredire ou infirmer des tests ou des mesures antérieurs. § 2. Les modalités Deux règles (37 CFR 1.97 et 1.98) précisent les modalités de transmission des informations à l'Office américain des brevets. Ces informations doivent être rassemblées dans une déclaration appelée "Information Disclosure Statement" (IDS en abrégé). Un tel document sera toujours pris en compte s'il est déposé :

- soit avant l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la date de dépôt de la demande,

- soit avant la date d'émission de la première Lettre Officielle,

la dernière date étant retenue. Le document IDS peut cependant être déposé après cette date, mais à condition de certifier que l'information qu'il donne n'avait pas été fournie par un Office étranger à propos de la demande correspondante plus de trois mois avant la soumission de l'IDS. Si l'information avait été reçue depuis plus de trois mois, l'IDS pourra encore être soumis à

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l'Office avant la dernière lettre officielle ou la notification d'accord, mais à condition d'acquitter une taxe. Au-delà de la dernière Lettre Officielle ou de la Notification d'accord, si l'information était connue depuis plus de trois mois, l'IDS ne sera pas pris en compte et il faudra recourir au dépôt d'une "Continuation" ou d’une requête en poursuite de procédure ("RCE") pour soumettre cette information à l'Office.

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SECONDE PARTIE

L'EXPLOITATION DU DROIT DE BREVET

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INTRODUCTION Aux termes de l'article L.611-1 de la loi française sur les brevets, le titre de propriété industrielle

"confère à son titulaire ou à ses ayants cause un droit exclusif d'exploitation".

On a pu souligner que la loi française n'était pas très heureuse dans cette définition. En effet, le titulaire d'un brevet peut très bien n'être pas en droit d'exploiter l'invention brevetée, si celle-ci tombe sous le coup d'un brevet dominant d'un tiers. Cette ambiguïté était celle-là même de la loi américaine à l'origine. Les lois anciennes de 1790, 1793 et 1836 contenaient des expressions comme

"exclusive right and liberty of making, constructing, using ...".

Mais la Cour Suprême rappela à plusieurs reprises que le droit de brevet n'était pas un monopole d'exploitation mais un droit d'exclure ("a right to exclude"). Cette mise au point s'imposait d'autant plus qu'aux Etats-Unis les monopoles ont mauvaise réputation (cf l'introduction générale sur le "Statute of Monopolies" anglais dont les brevets américains sont indirectement issus) et sont la cible d'attaques virulentes fondées sur les lois anti-trust. La loi de 1952, aujourd'hui en vigueur, dispose, dans son article 35 USC 154, que le droit concédé au titulaire est un droit d'interdire à autrui certains actes :

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154. Contenu et durée du brevet. Chaque brevet contient (...) l'acte de concession au titulaire, (...) du droit d'interdire à autrui de fabriquer, d'utiliser, d'offrir en vente ou de vendre l'invention aux Etats-Unis, ou d'importer l'invention aux Etats-Unis (...).

On observera encore que l'adjectif exclusif, qui qualifie le droit de brevet ("exclusive right") aux termes mêmes de la Constitution, a pour premier sens "qui a force d'exclure". Un droit exclusif est donc d'abord un droit d'exclure. Corrélativement, le caractère exclusif implique l'absence de partage et l'attribution à une seule personne. Le droit exclusif visé par la Constitution est donc bien le droit d'exclure et, en tant que tel, il n'appartient qu'au seul breveté. Accessoirement, on notera que le "Copyright", également prévu par la Constitution pour protéger les auteurs, est un droit exclusif lui aussi, mais en ce sens qu'il interdit la copie de l'oeuvre protégée. Il n'interdit pas à un tiers la production d'une oeuvre qu'il aurait créé par lui-même, de manière originale et indépendamment du premier auteur. Le droit de brevet est donc plus large en ce qu'il permet d'exclure un tiers de l'exploitation d'une invention même si ce tiers a retrouvé l'invention de manière indépendante. Pour en revenir au droit de brevet, il faut souligner que ce droit a le caractère d'un bien meuble, ("personal property") comme le précise l'article 35 USC 261. A l'image des autres biens meubles il peut donc être exploité par diverses opérations juridiques, comme la cession ou la concession. Mais le droit de brevet peut être exploité en tant que tel, c'est-à-dire par interdiction faite aux tiers d'exploiter industriellement l'invention.

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Cette seconde partie du cours comprend donc deux Titres : TITRE I : LES OPERATIONS JURIDIQUES RELATIVES AU DROIT DE BREVET TITRE II : L'EXERCICE DU DROIT D'INTERDIRE

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TITRE I

LES OPERATIONS JURIDIQUES RELATIVES AU DROIT DE BREVET

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INTRODUCTION Selon un schéma classique, on peut distinguer les opérations qui ont pour effet de transférer le droit attaché au brevet et celles qui n'entraînent pas un tel transfert. Les premières sont essentiellement constituées par la cession de brevet (l'apport en société n'est pas étudié ici). Les secondes portent essentiellement sur la concession de licence (le nantissement n'étant pas traité non plus). Cette distinction s'impose d'autant plus en droit américain que ces opérations ne relèvent pas du même droit : - la cession, qui transfère le droit d'exclure, présente un caractère fédéral puisque la Constitution porte justement sur ce droit d'exclure ; la cession relève ainsi du Code 35 et plus spécialement de son article 35 USC 261 ; - la concession de licence, qui, en général, ne transfère pas le droit d'exclure mais se limite à une autorisation d'exploiter, relève du droit des contrats, lequel dépend de chaque Etat. Enfin, toutes ces opérations sur le droit de brevet ayant un effet sur le commerce et la concurrence, la question se pose de savoir dans quelle mesure elles sont compatibles avec la législation anti-trust. Le plan de ce premier Titre sera donc le suivant : CHAPITRE I : La cession de brevet CHAPITRE II : La concession de licence CHAPITRE III : La législation anti-trust

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CHAPITRE I

LA CESSION DE BREVET Les brevets ont les attributs des biens meubles ("personal property"). A ce titre, ils peuvent être cédés, ainsi d'ailleurs que toute demande de brevet et, plus généralement, tout intérêt à un brevet. Ces attributs et la cession sont prévus dans l'article 35 USC 261 :

261. Propriété ; cession Sous réserve des dispositions du présent titre, les brevets ont les attributs des biens meubles. Toute demande de brevet, tout brevet et tout intérêt à un brevet sont légalement cessibles (...).

On peut distinguer les conditions de la cession (Section I), ses effets (Section II) et s'arrêter sur le cas particulier de la cession d'un employé à son employeur (Section III).

SECTION I

LES CONDITIONS DE LA CESSION § 1. Les conditions de fond a) Le cédant Le cédant doit être le déposant, le titulaire du brevet ou ses cessionnaires ou représentants légaux.

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b) L'objet L'objet de la cession est la demande de brevet, le brevet ou tout intérêt à un brevet. c) Le prix Une compensation ou rémunération doit venir en contrepartie ("consideration") de la cession. Elle peut être acquittée sous des formes diverses, soit par le paiement d'une certaine somme, en une fois ("lump sum") ou en versements échelonnés, soit par cession d'autres brevets, auquel cas il s'agit d'un échange croisé de brevets, soit par tout autre moyen. § 2. Les conditions de forme La cession doit être établie par un acte écrit, conformément à l'article 35 USC 261 :

Toute demande de brevet, tout brevet et tout intérêt à un brevet sont légalement cessibles par un acte écrit. (...).

Un tel acte écrit doit mentionner clairement l'intention du cédant de se séparer de son titre. C'est souvent cette intention qui permettra de décider après coup si une opération juridique était une cession ou n'était qu'une concession, indépendamment de l'appellation donnée à l'acte par les parties. § 3. Les moyens de preuve de la cession a) L'enregistrement Selon le dernier alinéa de l'article 35 USC 261 :

Toute cession, concession ou transmission est sans effet à l'égard de tout acheteur ultérieur

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ou de tout créancier gagiste ultérieur à titre onéreux, en l'absence de notification, sauf si la transaction a été enregistrée à l'Office des Brevets et des Marques dans un délai de trois mois à compter de sa date ou avant la date dudit achat ultérieur ou de la constitution dudit nantissement.

L'enregistrement de la cession à l'Office est souhaitable pour le cessionnaire. Il évitera les effets d'une seconde cession. En effet, si X cède son brevet à Y et si X cède à nouveau ce même brevet à Z, sans que la première cession ait été enregistrée, c'est finalement Z qui sera le véritable cessionnaire. On admet en effet que Y avait le moyen d'éviter cet imbroglio juridique en faisant enregistrer sa cession, ce qui l'aurait rendue opposable à Z. N'ayant pas accompli cet acte, il fait les frais de la manoeuvre de X. Naturellement, Y pourra se retourner contre X. b) Le certificat de reconnaissance La loi, dans son article 35 USC 261, prévoit un autre moyen de faire établir un "commencement de preuve de l'existence d'un acte portant cession, concession ou transmission d'un brevet" : il s'agit d'un certificat de reconnaissance portant signature et sceau d'une personne autorisée à recevoir des serments aux Etats-Unis.

SECTION II

LES EFFETS DE LA CESSION Ces effets portent sur les droits transférés et sur les obligations issues de la cession.

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§ 1. Les droits transférés a) Transfert de propriété Le brevet peut être transféré dans son intégralité. Le cessionnaire devient alors le seul propriétaire du brevet. Mais le brevet peut n'être transféré qu'en partie. Cette partie peut être relative à :

- une part de copropriété, le cessionnaire devant copropriétaire avec le cédant (ou avec d'autres copropriétaires),

- une part du territoire des Etats-Unis, (comme le prévoit l'article 35 USC 262, fin du premier alinéa),

- une part du domaine d'application de l'invention (comme l'a admis la Cour Suprême).

b) Transfert du droit d'exclure Quelle que soit l'ampleur du transfert du droit de propriété (en tout ou en partie), le droit d'exclure les tiers de la fabrication, de l'usage et de la vente de l'objet breveté est transféré au cessionnaire. L'article 35 USC 154, qui définit le contenu du droit d’exclure conféré par le brevet, dispose ainsi :

Chaque brevet contient (...) l'acte de concession au titulaire (...) ou à ses cessionnaires (...) du droit d'interdire à autrui de fabriquer, d'utiliser, d'offrir en vente ou de vendre l'invention (...).

On observera que le droit de priorité n'est pas transféré automatiquement avec le brevet.

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§ 2. Les obligations issues du contrat de cession a) A la charge du cédant L'obligation de délivrance de la chose cédée se limite à la simple tolérance par le cédant des actes d'exploitation de la part du cessionnaire. Il n'y a pas d'obligation pour le cédant de garantir la validité du brevet cédé, ni de garantir le bon fonctionnement de l'invention. Une clause de garantie d'éviction du fait des tiers peut être prévue au cas où l'invention objet du brevet cédé tomberait sous le coup d'un brevet dominant. b) A la charge du cessionnaire L'unique obligation qui pèse sur le cessionnaire est d'acquitter le prix convenu. Accessoirement, on peut noter que le cessionnaire a la charge d'acquitter les taxes de maintien du brevet cédé, s'il souhaite le maintenir en vigueur.

SECTION III

LA CESSION DE L'EMPLOYE A L'EMPLOYEUR § 1. Spécificité de la question aux Etats-Unis La question de la cession du droit de brevet prend une importance particulière aux Etats-Unis dans la mesure où le droit au brevet (c'est-à-dire le droit à demander le brevet) n'appartient qu'à l'inventeur personne physique (cf Première Partie, Titre I, Chapitre sur le sujet du droit). Or, bien souvent, cet inventeur est un employé d'une entreprise. Alors qu'en France, dans une telle situation, c'est l'employeur qui sera le déposant (l'inventeur pouvant être nommé

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dans le brevet), aux Etats-Unis, c'est nécessairement l'inventeur qui sera le déposant, l'employeur n'étant que le cessionnaire. § 2. Le régime juridique Les conditions dans lesquelles un employé doit ou peut céder ses inventions à son employeur sont définies dans la loi des Etats et non dans la loi fédérale. La loi fédérale n'impose qu'une chose : que l'inventeur soit mentionné comme tel dans le brevet, quel que soit le cessionnaire du brevet. § 3. Les cas où la cession s'impose En règle générale, l'invention est cédée de l'employé à l'employeur :

- si le contrat de travail de l'employé le prévoit explicitement,

- si l'employé a été embauché pour exercer ses facultés inventives ("employed-to-invent").

En dehors de ces cas, l'employeur n'a généralement aucun droit à l'invention, sauf à bénéficier éventuellement d'une licence gratuite non exclusive et non transférable (Shop Right") dont on analysera, dans le Chapitre suivant, les conditions d'octroi.

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CHAPITRE II

LA CONCESSION DE LICENCE Comme déjà souligné, la concession de licence de brevet ne relève pas de la loi fédérale (elle n'est pas mentionnée dans le Code 35, comme la cession), mais relève de la loi de chaque Etat de la Fédération. Cependant, en cas de contentieux entre citoyens d'Etats différents ("diversity of citizenship"), c'est un tribunal fédéral qui sera compétent (voir l'introduction générale) et appliquera la loi de l’Etat concerné. La concession de licence de brevet s'analyse comme un renoncement ("waiver") de la part du breveté à exercer son droit d'interdire. Elle n'implique le transfert ni du droit de propriété, ni, en général, du droit d'agir en contrefaçon. On peut distinguer encore les conditions de la licence (Section I) et ses effets (Section II) et s'arrêter un instant sur cette licence particulière que constitue le "Shop Right" (Section III).

SECTION I

LES CONDITIONS DE LA LICENCE § 1. Les conditions de fond a) Le concédant ("licensor") Le concédant est le titulaire du brevet. Si le contrat l'autorise, le licencié ("licensee") peut concéder à son tour une sous-licence ("sublicense").

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b) L'objet L'objet de la licence est constitué par ce qui est couvert par les revendications du brevet. c) Le prix Le prix ou la contrepartie ("consideration") de la licence correspond aux redevances ("royalties") dues par le licencié ou tout autre mode de rémunération (comme par exemple la licence en retour des perfectionnements, ou "grant-back"). A propos de l'appellation "royalties", elle renvoie à l'époque où, en Angleterre, les sujets s'acquittaient auprès du Roi de taxes pour les privilèges qu'ils avaient obtenus de lui (cf introduction générale sur l'origine des Lettres Patentes). Comme partout ailleurs, le licencié peut verser ses redevances de multiples manières, en une fois ("lump sum"), ou en versements périodiques. Ces redevances sont calculées à partir d'un taux de redevances ("royalty rate") et d'une assiette de redevance ("royalty base"). Une notion de redevance "raisonnable" ("reasonable royalty") intervient aussi bien dans l'établissement du prix que dans la réparation du préjudice subi par le breveté du fait d'une contrefaçon. d) La durée La durée peut être quelconque, à condition qu'elle n'excède pas la durée du brevet (17 ans après la délivrance autrefois, 20 ans à compter de la date de dépôt aujourd'hui, sauf prolongation). L'obligation de payer des redevances après l'expiration du brevet est en général considérée comme une violation de la législation anti-trust et comme un abus ("misuse"). Elle est sanctionnée lors d'une action en contrefaçon (cf plus loin le Chapitre sur les défenses en contrefaçon).

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e) Le droit d'exploiter Le breveté peut accorder au licencié un ou plusieurs des droits de fabriquer, d'utiliser, d'offrir en vente, de vendre, d'importer. f) Le domaine d'utilisation L'exploitation par le licencié peut être limitée à une application parmi plusieurs. Par exemple, dans le cas des médicaments, le licencié pourrait être autorisé à n'exploiter le médicament que pour les applications vétérinaires. g) Le territoire Le territoire de la licence peut être tout ou partie des Etats-Unis. h) Le caractère simple ou exclusif La licence peut être non exclusive ou exclusive. (cf. Section III suivante sur la signification de "exclusive"). § 2. Les conditions de forme Le contrat de licence ne doit pas nécessairement être conclu par écrit, comme c'est le cas de la cession. Un contrat oral est possible. Cela dépend du droit des contrats de l'Etat où il est formé. Un contrat de licence peut être enregistré à l'Office des brevets. En principe, et selon l'article 35 USC 261 dernier alinéa, cet enregistrement est relatif aux cessions, mais l'Office ne vérifiant pas les effets juridiques définis par l'acte qu'il enregistre, le contrat de licence se trouvera enregistré comme un contrat de cession.

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SECTION II

LES EFFETS DE LA LICENCE Comme pour la cession, on peut distinguer les droits accordés par la licence et les obligations issues de celle-ci. § 1. Les droits accordés Le droit accordé est l'un ou plusieurs des droits de fabriquer, d'utiliser, d'offrir en vente, de vendre, d'importer l'invention brevetée. Lorsque la licence est exclusive au sens plein du terme, c'est-à-dire lorsque le breveté a autorisé le licencié et lui seul à exercer tous les droits attachés au brevet, le licencié exclusif est autorisé à agir en contrefaçon à la place du breveté. Le caractère exclusif de la licence est déterminé par les tribunaux beaucoup plus par la nature des droits accordés (en particulier le droit d'agir en contrefaçon) que par la terminologie employée par les parties. Un contrat dans lequel le breveté s'engage à ne concéder une licence qu'au seul licencié n'est pas nécessairement une licence "exclusive". La distinction entre cession ("assignment") et licence exclusive ("exclusive licence") est donc assez ténue. Dans le cas de la licence exclusive, toutefois, il est clair que le breveté reste titulaire du droit. C'est lui qui réglera généralement les taxes de maintien et c'est lui seul qui pourra, le cas échéant, agir auprès de l'Office dans une procédure de renonciation "disclaimer" (35 USC 253) ou de redélivrance "reissue" (35 USC 251)). En principe, le breveté devra également se joindre au licencié exclusif en cas d'action en contrefaçon (voir plus loin le Chapitre III), ce qui n'est pas le cas du cédant, qui ne possède plus d'intérêt dans le brevet.

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§ 2. Les obligations issues du contrat de licence a) A la charge du concédant Le concédant n'est pas tenu de garantir la validité du brevet ni le bon fonctionnement de l'invention. Mais les clauses dans ce sens sont possibles. De même, le concédant n'est pas tenu de garantir l'éviction du fait des tiers. Le concédant peut être tenu d'appliquer la clause du licencié le plus favorisé ("most-favored licensee") au cas où, ultérieurement, il concéderait d'autres licences à des conditions plus avantageuses (à un taux de redevances plus faible par exemple). Toutes les questions d'assistance technique ou de transfert des perfectionnements se posent essentiellement comme en droit français. b) A la charge du licencié Une clause d'exploitation peut être prévue ("working requirement"). Dans le cas d'une licence exclusive, certains tribunaux estiment que l'engagement du licencié à exploiter est implicite. Le licencié doit s'efforcer d'exploiter l'invention ("best efforts"). Le licencié doit acquitter des redevances et ce, jusqu'à la fin du contrat. Le licencié peut devoir au concédant, en retour, les perfectionnements apportés à l'invention ("grant-back"). Il est exclu, dans ce cours, de passer en revue toutes les obligations possibles à la charge du concédant ou du licencié. On s'attachera plutôt, dans la suite, à définir les obligations qui enfreignent la législation anti-trust (cf Chapitre III suivant) et qui sont, de ce fait, inexécutables et celles qui constituent des abus ("misuse") sanctionnés dans une procédure en contrefaçon.

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§ 3. L'arbitrage Depuis 1983, la loi prévoit qu'il est possible d'avoir recours à l'arbitrage pour régler des différends relatifs à un droit découlant d'un brevet, aussi bien pour des questions de validité que pour des faits de contrefaçon. L'article 35 USC 294 stipule :

294. Arbitrage facultatif : a) un contrat relatif à un brevet ou à tout autre

droit découlant d'un brevet peut contenir une disposition exigeant l'arbitrage de tout différend relatif à la validité ou à la contrefaçon du brevet surgissant en rapport avec le contrat. En l'absence d'une disposition de ce genre, les parties à un différend relatif à la validité ou à la contrefaçon d'un brevet peuvent convenir par écrit de régler ce différend par arbitrage. Toute disposition ou accord de ce genre est valide, irrévocable et exécutoire, sauf s'il existe des motifs d'annulation du contrat découlant de la loi ou de l'"equity"(...).

Des organismes se sont constitués pour offrir leur service en matière d'arbitrage et notamment l'American Arbitration Association (ou A.A.A.). Mais l'arbitrage n'est pas la panacée. Dans certains cas, il se révèle plus long et plus coûteux qu'un procès.

SECTION III

LA DOCTRINE DU "SHOP RIGHT" L'employeur qui a mis à la disposition d'un employé, dans l'un de ses ateliers ("shop"), différents moyens ayant permis à cet employé de

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concevoir et de mettre en oeuvre une invention, possède un droit sur l'utilisation de cette invention ("Shop Right"). § 1. Le fondement de la doctrine Le "Shop Right" peut se justifier de trois manières différentes : a) Par la théorie de la licence implicite L'employé qui a développé chez son employeur son invention, a consenti implicitement à ce que son employeur utilise l'invention. Le prix de cette licence implicite était la mise à la disposition de l'employé des moyens de d'employeur. b) Par la théorie de l'"estoppel" (ou irrecevabilité) Ayant installé chez son employeur son invention sans demander de compensation particulière, l'employé ne sera plus recevable, par la suite, à demander une telle compensation. c) Par l'équité Il est équitable que l'employeur qui a fourni les moyens de développer l'invention ait un droit d'usage de celle-ci. Comme dans toutes les affaires relevant de l'équité, on jugera en tenant compte de toutes les circonstances de l'espèce, des relations employé-employeur, de leurs intentions, etc...

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§ 2. Les conditions d'attribution du "Shop Right" Les conditions d'application de la doctrine du "Shop Right" sont au nombre de trois. L'employé doit avoir :

- développé son idée inventive pendant ses heures de travail ;

- utilisé les installations de l'employeur pour obtenir un mode de réalisation de l'invention ;

- introduit ce mode de réalisation dans les moyens de production de l'employeur.

Les tribunaux apprécient, cas par cas, les écarts par rapport à cette situation idéale. § 3. La nature du droit concédé Le droit accordé à l'employeur s'analyse comme une licence :

- non transférable (sauf avec la totalité de l'entreprise),

- non exclusive (l'employé pouvant concéder d'autres licences),

- de durée égale à la durée du brevet, - gratuite, - irrévocable.

La licence porte sur l'utilisation de l'invention par l'employeur, non seulement dans l'atelier ("shop") où elle a vu le jour, mais dans la totalité de l'entreprise.

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CHAPITRE III

LA LEGISLATION ANTI-TRUST Le droit des brevets, qui organise l'exploitation exclusive d'une invention, et la législation anti-trust, qui encourage au contraire la concurrence, sont a priori antinomiques. Le droit des brevets ne peut donc manquer de se heurter à la législation anti-trust. En fait, c'est moins l'existence du droit de brevet que son exploitation qui est en cause. On peut observer d'ailleurs que, conformément à l'historique des Lettres Patentes développé dans l'introduction générale, ce conflit ne date pas d'aujourd'hui mais remonte à l'Angleterre du 17ème siècle. Il avait été en partie résolu par le "Statute of Monopolies" de 1624. Le droit du brevet y apparaissait déjà comme une exception à la règle générale de la liberté du commerce. Le droit relatif aux lois anti-trust est complexe et on ne peut en tracer ici que les grandes lignes, en évoquant d'abord son fondement légal (Section I) puis en étudiant son application (Section II).

SECTION I

LE FONDEMENT LEGAL Deux lois constituent la législation anti-trust, à savoir la loi SHERMAN ou SHERMAN Act, qui date de 1890 et la loi CLAYTON ou CLAYTON Act qui date

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de 1914. Toutes deux sont rassemblées dans le Code 15 des Etats-Unis (15 USC). § 1. La loi SHERMAN Deux articles de cette loi ont une incidence sur l'exploitation du droit de brevet : a) Article 1 Selon l'article 1, sont illicites tout contrat, association ou entente ayant pour objet de restreindre le commerce ("restraint of trade"). b) Article 2 Selon l'article 2, sont illicites toute tentative de monopoliser, entente en vue de monopoliser ou monopolisation de toute partie du commerce des Etats-Unis. La loi SHERMAN vise donc, essentiellement, les restrictions au commerce et les monopoles. § 2. La loi CLAYTON Dans son article 3, la loi CLAYTON proscrit tout accord par lequel l'une des parties accepte de ne pas utiliser les produits d'un concurrent ou accepte de s'approvisionner en ces produits auprès de l'autre partie, lorsque l'effet d'un tel accord peut être de diminuer substantiellement la concurrence ou de tendre à créer un monopole. La loi CLAYTON vise donc plus spécialement les clauses d'approvisionnement. Les lois SHERMAN et CLAYTON ne mentionnent pas les brevets en tant que tels. Ce ne sont pas des lois sur les brevets, mais des lois d'application générale visant le commerce et la concurrence.

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SECTION II

APPLICATION L'instance compétente pour apprécier les atteintes éventuelles portées à la législation anti-trust est la "Federal Trade Commission" (FTC). Il est impossible de dresser une liste exhaustive des clauses restrictives qui, dans les contrats de licences de brevet, sont susceptibles de violer les lois anti-trust. Chaque cas est un cas particulier qui doit être analysé selon les circonstances (souvent complexes) et selon la "règle de raison" ("rule of reason"). On se contentera de donner quelques exemples d'infraction à la législation. § 1. Clauses ou actes contraires à la loi SHERMAN a) Contraires à l'article 1 (restriction au commerce) Sont en général illicites les clauses ou actes consistant à :

- obliger le licencié à payer des redevances au-delà de la durée de vie du brevet,

- imposer un prix de vente à des licenciés, - refuser une licence en vue d'établir une entente

entre plusieurs entreprises. b) Contraires à l'article 2 (monopolisation) L'obtention frauduleuse d'un brevet est un acte répréhensible qui vise à constituer injustement un monopole. L'un des cas les plus spectaculaires à cet égard est l'affaire WALKER PROCESS EQUIP, INC. v. FOOD MACHINERY AND CHEM. CORP. jugée en 1965. Dans une

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action en contrefaçon, le présumé contrefacteur avait déposé une demande reconventionnelle ("counterclaim") pour violation de la loi anti-trust par le breveté. Le motif était que le breveté avait obtenu frauduleusement son brevet ("fraudulent procurement") à la suite d'une fraude commise lors de la procédure d'examen auprès de l'Office des brevets. La Cour condamna alors le breveté pour violation de la loi SHERMAN et le défendeur obtint des dommages-intérêts en raison de cette violation ("anti-trust damages"). Dans le même sens, on peut citer une autre décision importante (AMERICAN CYANAMID Co. v. FTC) de 1966, où la Cour du 6ème Circuit a reconnu la violation de la loi SHERMAN pour fraude de la part du breveté lors de la procédure d'examen devant l'Office. La Cour a ordonné qu'une licence obligatoire soit concédée avec des redevances raisonnables ("reasonable royalty"). Le brevet portait sur la tétracycline. Dans toutes ces affaires graves, il a fallu apporter une preuve claire et convaincante ("clear and convincing evidence") de la fraude. La simple négligence ne suffisent pas à prouver la violation des lois anti-trust. § 2. Clauses contraires à la loi CLAYTON Sont généralement considérées comme violant la loi CLAYTON les clauses liant ("tying") la licence à des articles ou produits non protégés par le brevet. Il s'agit en général de clauses d'approvisionnement du licencié auprès du breveté.

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SECTION III

LEGISLATION ANTI-TRUST ET DOCTRINE DE L'ABUS ("MISUSE")

La législation anti-trust n'est pas sans rapport avec la doctrine de l'abus de droit ("misuse") qui fonde certains moyens de défense dans l'action en contrefaçon (cf. Titre II suivant). Cette doctrine du "misuse" sera étudiée plus loin dans le Titre consacré à la contrefaçon. Lorsqu'il y a violation d'une loi anti-trust il y a nécessairement "misuse". Mais la réciproque n'est pas forcément vraie : il peut y avoir abus sans qu'il y ait pour autant violation d'une loi anti-trust.

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TITRE II

L'EXERCICE DU DROIT D'INTERDIRE

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INTRODUCTION La loi américaine qualifie de contrefaçon ("infringement") les actes que le breveté est en droit d'interdire lorsqu'ils sont accomplis par un tiers non autorisé. L'article 35 USC 271 dispose, dans son alinéa a) :

271. Contrefaçon de brevets a) Sauf disposition contraire du présent Titre,

contrefait un brevet quiconque, sans autorisation, fabrique, utilise, offre en vente ou vend l'invention brevetée, aux Etats-Unis ou importe l'invention aux Etats-Unis, pendant la durée de validité du brevet.

En cas de contrefaçon, le titulaire du brevet peut demander réparation par une action en justice selon les termes de l'article 35 USC 281 :

281. Réparation fondée sur la contrefaçon du brevet

Tout titulaire de brevet peut demander, par la voie civile, une réparation fondée sur la contrefaçon de son brevet.

L'étude de l'exercice du droit d'interdire invite à étudier trois séries de questions :

− les limites du droit de brevet, − les actes pouvant constituer des actes de contrefaçon,

− les règles de l'action en justice permettant au breveté de faire respecter son droit.

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On peut compléter cette étude par quelques observations sur une procédure connexe qui est l'action en jugement déclaratoire. Le plan de ce Titre II sera donc le suivant : CHAPITRE I : LES LIMITES DU DROIT DE BREVET CHAPITRE II : LES ACTES DE CONTREFACON CHAPITRE III : L'ACTION EN CONTREFACON CHAPITRE IV : L'ACTION EN JUGEMENT DECLARATOIRE

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CHAPITRE I

LES LIMITES DU DROIT DE BREVET Une exploitation industrielle ne peut constituer un acte de contrefaçon que si son objet tombe dans les limites d'un droit de brevet. Or, ce droit n'a d'autorité que s'il existe (Section I). Par ailleurs, l'objet incriminé doit être compris dans l'étendue de la protection conférée par le brevet (Section II).

SECTION I

L'EXISTENCE DU DROIT L'existence du droit de brevet connaît deux limites : le temps et l'espace. § 1. Les limites dans le temps a) La durée de validité du brevet L'acte de contrefaçon doit intervenir pendant la durée de validité du brevet, comme le précise le paragraphe a de l'article 35 USC 217 :

a) (...) contrefait un brevet quiconque, sans autorisation, fabrique, utilise, offre en vente ou vend l'invention brevetée, aux Etats-Unis, ou importe l'invention aux Etats-Unis pendant la durée de validité du brevet.

Longtemps la durée de validité du brevet a été de 17 ans à compter de la date de délivrance.

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Mais, depuis le 8 juin 1995, la durée de validité des brevets a été modifiée pour être fixée à 20 ans à compter de la date de dépôt (article 35 USC 154 amendé). Le droit exclusif attaché à un brevet naît toujours à la date de délivrance du brevet, mais expire 20 ans après la date de dépôt de la demande correspondante. La durée effective du droit est donc de 20 ans moins le temps mis pour délivrer le brevet. Observons que des droits provisoires sont attachés à la demande publiée, sous certaines conditions (droit d'obtenir une redevance raisonnable, après notification de la demande publiée, et à condition que l'invention finalement revendiquée soit essentiellement la même que l'invention revendiquée dans la demande publiée). Les dispositions de la loi américaine concernant la durée des brevets sont en conformité avec celles de l'accord TRIPS, qui prévoient que la durée de protection ne peut s'achever avant l'expiration d'une période de 20 ans à compter de la date de dépôt. Des prolongations sont prévues :

i) lorsque la délivrance du brevet a été retardée en raison d'une procédure d'interférence ou d'une décision de mise au secret, ii) lorsqu'un recours (appel) a été engagé par le demandeur, soit auprès de l'Office des brevets soit auprès d'un tribunal fédéral.

En outre, pour les demandes de brevet déposées depuis le 29 mai 2000, la loi donne aux déposants certaines garanties concernant la diligence de l'Office américain des brevets dans la poursuite de la procédure d'examen : i) l'Office s'engage à délivrer des notifications

rapidement (moins de 14 mois après le dépôt pour la première notification, moins de 4 mois après une réponse du déposant) ;

ii) la procédure d'examen doit se dérouler en moins de trois ans (cette durée ne tient pas compte

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d'une éventuelle interférence, ou d'un appel, ou des délais demandés par le déposant).

Si ces délais ne sont pas respectés par l'Office, le déposant a droit à une extension de la durée de son brevet. L'Office a la charge de calculer la durée de l'extension dans tous les cas. Cette extension est mentionnée dans la notification d'accord ("Notice of Allowance"). Le déposant peut contester ce calcul. Si le brevet a été délivré sur la base d'une "continuing application"("continuation", division, "continuation-in-part") la date de dépôt prise en compte sera celle de la première demande. Cette disposition enlève beaucoup d'intérêt aux manoeuvres dilatoires consistant à déposer des Continuations en série pour retarder la date de délivrance du brevet portant sur la variante la plus intéressante. Elle va donc réduire le nombre de "brevets sous-marins". Si le brevet a été délivré sur la base d'une demande provisoire établissant une priorité interne, la date de dépôt à prendre en compte pour faire courir le délai de 20 ans n'est pas la date de dépôt de la demande provisoire mais celle de la demande complète (comme pour une priorité unioniste). Pour les brevets qui étaient déjà délivrés et qui étaient toujours en vigueur au 8 juin 1995, ou pour les brevets délivrés postérieurement au 8 juin 1995 sur la base de demandes déposées antérieurement au 8 juin 1995, le brevet expire, soit 17 ans après la date de délivrance , soit 20 ans après la date de dépôt, la date assurant la plus longue protection étant retenue. Ces nouvelles dispositions ne touchent que les brevets d'utilité ("utility patents") et les brevets de plantes ("plant patents") mais non les dessins et modèles ("design patents"), dont la durée demeure fixée à 14 ans à compter de la délivrance. b) Les taxes de maintien Les brevets américains délivrés sur la base de demandes déposées après le 12 décembre 1980 sont

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soumis à des taxes de maintien en vigueur. Les périodes de maintien ne sont pas annuelles mais quadriennales. Elles sont donc définies par le quatrième, le huitième et le douzième anniversaire de la délivrance du brevet. Pour maintenir en vigueur un brevet dans la période de quatre ans qui suit, il faut acquitter la taxe correspondante au moins 6 mois avant le début de la période (ou dans ces 6 mois mais avec une surtaxe). Les échéances tombent donc 3 ans et demi, 7 ans et demi et 11 ans et demi après la date de délivrance. c) Les actes intervenus avant la délivrance du brevet Longtemps le brevet américain n'a pris effet qu'à compter de sa date de délivrance. Aucune action judiciaire pour contrefaçon ne pouvait être engagée avant cette date. Depuis le 29 novembre 2000 les demandes de brevet sont publiées à 18 mois et cette publication entraîne des droits provisoires. Le breveté peut prétendre à une redevance raisonnable pendant la période s'étendant de la publication de la demande à la délivrance du brevet à condition que les revendications délivrées soient essentiellement identiques à celles de la demande publiée, et que la demande de brevet publiée ait été notifiée au contrefacteur. § 2. Les limites dans l'espace a) Le territoire américain Aux termes de l'article 35 USC 154, la concession faite au titulaire du brevet est celle

"(...) du droit d'interdire à autrui de fabriquer, d'utiliser, d'offrir en vente ou de vendre l'invention aux Etats-Unis ou d'importer l'invention aux Etats-Unis (...)".

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L'article 35 USC 271, définissant les actes de contrefaçon, exprime la même limitation dans l'espace :

(...) contrefait un brevet quiconque, sans autorisation, fabrique, utilise, offre en vente ou vend l'invention brevetée, aux Etats-Unis ou importe l'invention brevetée aux Etats-Unis (...)".

Par ailleurs, l'article 35 USC 100 dispose :

"(...) c) "Etats-Unis" et "ce pays" signifient les Etats-Unis d'Amérique, leurs territoires et leurs possessions".

Ainsi Samoa, Porto Rico, les Iles Vierges et la zone du canal de Panama sont-ils inclus dans l'expression "Etats-Unis". De même, les ambassades et légations américaines en territoire étranger font-elles partie des "Etats-Unis". Pour tenir compte des récents développements de l'industrie spatiale, l'article 35 USC 105 prévoit l'extension de la notion de territoire américain aux véhicules spatiaux et aéronautiques évoluant dans l'espace et placés sous le contrôle des Etats-Unis. b) L'exportation L'acte d'exportation pose un problème particulier dans la mesure où, s'il se conclut à l'étranger, il prend sa source sur le territoire américain. Deux cas simples peuvent être tranchés :

i) si l'exportateur fabrique aux Etats-Unis l'objet breveté, puis l'exporte pour l'utiliser ou le vendre à l'étranger, il commet une contrefaçon par l'acte de fabrication ;

ii) mais si l'exportateur se contente d'acquérir l'objet breveté, celui-ci ayant été fabriqué par un tiers sur le territoire américain, il ne contrefait pas le brevet.

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Reste le cas de celui qui fabrique tous les éléments, mais ne les assemble pas sur le territoire américain et les exporte tels que, l'assemblage étant achevé à l'étranger. Dans DEEPSOUTH PACKING Co. v. LAITRAM CORP. (1972), la Cour Suprême avait estimé que, dans ce cas, il n'y avait pas contrefaçon, la machine brevetée étant finalement assemblée hors du territoire américain. Mais, en 1984, le Congrès a modifié la jurisprudence DEEPSOUTH en ajoutant à l'article 35 USC 271 un paragraphe f selon lequel de tels actes constituent un acte de contrefaçon :

271. Contrefaçon de brevets

(...) f)1) Quiconque, sans autorisation, fournit ou fait fournir aux Etats-Unis ou à partir des Etats-Unis vers une autre destination, la totalité ou une partie importante des éléments d'une invention brevetée, lorsque ces éléments ne sont pas combinés en totalité ou en partie, de manière à inciter activement autrui à combiner ces éléments hors des Etats-Unis d'une manière qui constituerait une contrefaçon du brevet si cette combinaison était effectuée aux Etats-Unis, encourt la responsabilité d'un contrefacteur.

c) La présence temporaire Le premier litige concernant la présence temporaire d'un objet breveté sur le territoire américain est apparu en 1857 dans une affaire BROWN v. DUCHESNE. L'affaire opposait des navigateurs français ayant fait escale dans le port de BOSTON. L'invention portait sur une gaffe, utilisée par les marins français et brevetée aux Etats-Unis. La Cour Suprême estima qu'il fallait, dans pareil cas, prévoir une exception à l'application stricte du droit de brevet, en raison, d'une part, de la faiblesse du préjudice subi par le breveté du fait du caractère temporaire de la présence de l'objet contrefait sur le territoire américain et, d'autre part, du désir de préserver de

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bonnes relations commerciales avec les nations étrangères. Dans l'acte de La Haye de 1925, la Convention de Paris a repris la doctrine BROWN dans son article 5ter. La solution au problème posé initialement par les navires a été étendue aux engins aériens, et sera prochainement étendue aux satellites artificiels. La doctrine BROWN est aujourd'hui codifiée dans l'article 35 USC 272 :

272. Présence temporaire aux Etats-Unis. L'utilisation d'une invention dans un navire ou dans un engin de locomotion aérienne ou terrestre d'un pays qui accorde des privilèges semblables aux navires ou aux engins de locomotion aérienne et terrestre des Etats-Unis ne constitue pas une contrefaçon de brevet si le navire ou l'engin pénètre aux Etats-Unis temporairement ou accidentellement, à condition que l'invention soit utilisée exclusivement pour les besoins du navire ou de l'engin de locomotion aérienne ou terrestre et qu'elle ne soit ni vendue aux Etats-Unis, ni utilisée pour la fabrication d'un produit destiné à y être vendu ou à en être exporté.

SECTION II

L'ETENDUE DE LA PROTECTION Ainsi qu'il a déjà été exposé (cf première Partie, Titre II, Chapitre II), l'étendue de la protection conférée par le brevet est déterminée par les revendications. Notre loi française contient la même disposition, dans son article L.613-2. L'objet protégé est donc d'abord défini par la revendication (paragraphe 1). Mais le sens littéral de celle-ci peut être étendu par l'application de la

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doctrine des équivalents (paragraphe 2). Cependant, la portée de celle-ci est limitée par une autre doctrine, celle du "File Wrapper Estoppel" (paragraphe 3). § 1. La revendication a) Interprétation de la revendication La revendication est la mesure du droit exclusif conféré par le brevet. Aux termes mêmes de l'article 35 USC 112-2, l'inventeur doit faire ressortir et revendiquer clairement l'objet qu'il considère comme son invention. La revendication tente de définir par des mots une réalité objective, ce qui ne manque pas de poser quelques problèmes, car les mots manquent parfois pour désigner les choses inventées. Dans cette tâche, l'inventeur est son propre lexicographe. Il reste qu'une interprétation du langage employé s'impose parfois. Pour cette interprétation, le juge dispose de trois éléments :

- le language de la revendication elle-même, car la revendication doit satisfaire à l’exigence de description suffisante et claire de l’invention, et en particulier indiquer tous les éléments essentiels de l’invention ;

- le mémoire descriptif, qui, aux termes de l'article 35 USC 112-1, doit décrire l'invention et la manière de la mettre en œuvre (y compris les dessins, qui, aux termes de l'article 35 USC 113, doivent être fournis lorsque cela est nécessaire à l'intelligence de l'objet de la protection demandée);

- le dossier d’examen, lorsqu’il apporte des informations supplémentaires permettant d’éclaircir le language des revendications.

Il faut observer que le meilleur mode de réalisation ("the best mode") que la description doit indiquer, ne sert pas en général à interpréter la revendication.

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b) Les limitations Chaque élément énoncé dans le corps de la revendication constitue une limitation de la portée de la revendication. Il s'ensuit qu'une revendication ne "se lira" sur un dispositif, un produit ou un procédé que si celui-ci contient tous les éléments énumérés dans le corps de la revendication. Il faut souligner que si la revendication est "fermée" par l'expression "consisting of", un objet reproduisant tous les éléments de la revendication ne sera contrefaisant que s'il n'en contient pas d'autres. Au contraire, si la revendication est "ouverte" par l'expression "comprising", un objet reproduisant tous les éléments énumérés sera contrefaisant, même s'il en contient d'autres. La question de la limitation apportée par le préambule d'une revendication n'est pas tranchée en soi. Une étude cas par cas s'impose. En règle générale, le préambule ne constitue pas une limitation mais indique seulement un but à atteindre ou une utilisation envisagée. C'est le corps de la revendication qui limite le champ de celle-ci. Mais il peut arriver que le préambule contienne une indication qui donne son sens et son poids au corps de la revendication. La CCPA a répondu à cette question du rôle du préambule dans KROPA v. ROBIE and MAHLMAN (1951) en distinguant les cas où le préambule n'est pas limitatif (règle générale) et ceux où il l'est (exception). c) Langage fonctionnel Comme déjà exposé (première Partie, Titre II, Chapitre II), il est possible d'employer un langage fonctionnel ("means for ...") dans une revendication de combinaison. Dans ce cas, et conformément à l'alinéa 6 de l'article 35 USC 112, cette revendication couvrira la structure, les matériaux ou les actes décrits dans le mémoire descriptif ainsi que leurs équivalents.

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De manière paradoxale, dans certains cas, la portée de la revendication pourrait se trouver restreinte par cette utilisation du langage fonctionnel ("means for ...") par comparaison avec une formulation classique, qui ne renverrait pas dans les mêmes termes aux exemples de la description et qui, par conséquent, serait d'interprétation plus large. § 2. La doctrine des équivalents a) L'origine La doctrine des équivalents permet au titulaire d'un brevet d'interdire une contrefaçon alors même que le produit ou le procédé incriminé ne correspond pas littéralement au libellé de la revendication. Cette doctrine est apparemment en contradiction avec le principe de la revendication, qui limite la portée du brevet strictement à ce que l'inventeur a revendiqué. L'affaire WINANS v. DENMEAD (1853) est la première décision ayant utilisé la doctrine des équivalents pour étendre l'interprétation littérale d'une revendication. Le brevet de WINANS portait sur un wagonnet destiné à transporter le charbon. Au lieu d'utiliser un plateau horizontal rectangulaire, WINANS avait imaginé un véhicule en forme de tronc de cône qui permettait de répartir la pression sur toute la paroi et de disposer une ouverture à la partie inférieure du tronc de cône. La revendication précisait que le véhicule avait la forme d'un tronc de cône ("the form of a frustum of a cone"). Le présumé contrefacteur utilisait une surface octogonale pyramidale (autrement dit avec des parois planes, et non avec une paroi conique). Une courte majorité de la Cour Suprême se prononça en faveur du breveté, en raison de ce que le moyen prévu dans l'objet incriminé remplissait essentiellement la même fonction, essentiellement de la même manière (en répartissant la pression sur les parois extérieures) pour parvenir essentiellement au

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même résultat (stockage et vidage par la trappe inférieure). La théorie des équivalents était née. Longtemps limitée aux inventions mécaniques, elle s'étendit peu à peu aux autres domaines de la technique. En 1950, la Cour Suprême confirma la doctrine dans le domaine de la chimie (GRAVER TANK and MFG Co v. LINDE AIR PRODUCTS Co). Dans cette affaire, il s'agissait de substances utilisées en soudure électrique. La revendication du brevet mentionnait la présence d'un silicate d'un métal alcalino-terreux et la description citait le cas du magnésium. Le présumé contrefacteur utilisait le silicate de manganèse. Or, le manganèse n'est pas un alcalino-terreux. La Cour Suprême, dans sa majorité, jugea que le manganèse était équivalent au magnésium dans cette application particulière, d'autant qu'il était connu d'utiliser ce métal dans l'art de la soudure électrique. La Cour Suprême estima qu'il fallait éviter de subordonner la substance des revendications à leur forme, faute de quoi le breveté serait victime du verbalisme et serait plus enclin à garder son invention secrète qu'à la révéler par le dépôt d'une demande de brevet. La décision GRAVER TANK est devenue une référence en matière d'équivalents. b) Le caractère relatif de la doctrine Aux Etats-Unis, la portée de la doctrine des équivalents n'est pas définie de manière absolue : elle dépend de l'invention à laquelle elle s'applique et de l'art antérieur. A cet égard, on distingue trois types d'invention : les inventions de pionniers, qui bénéficient d'une application large de la doctrine, les inventions de perfectionnements importants, qui bénéficient d'une plage relativement large d'équivalents et les inventions de perfectionnements, qui ne peuvent prétendre qu'à une plage étroite d'équivalents.

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c) Le caractère connu de l'équivalent On a pu s'interroger sur le fait de savoir si l'équivalent devait être connu dans l'art pertinent. La Cour Suprême a semblé répondre par l'affirmative dans de nombreuses décisions. Mais la règle n'est pas absolue. Ainsi, un brevet qui, en 1957, portait sur un procédé pour poser et aligner des conduites au moyen d'un faisceau de lumière collimaté, a-t-il été jugé contrefait par un procédé utilisant un laser à gaz, lequel était apparu ultérieurement (LASER ALIGNMENT INC. v. WOODRUFF and SONS INC., 1974). Un faisceau laser a été considéré comme l'équivalent d'un faisceau collimaté. De même, dans HUGUES AIRCRAFT CO. v. UNITED STATES, un brevet portant sur un satellite géostationnaire pourvu de moyens pour recevoir du sol des signaux de commande et exécuter immédiatement la commande correspondante, a-t-il été jugé contrefait par un satellite comprenant un microprocesseur chargé de traiter les signaux reçus du sol pour, le cas échéant et le moment voulu, effectuer la commande, alors que de tels moyens (microprocesseur, moyens de traitement numérique) n'étaient pas connus à l'époque de la délivrance du brevet. d) Définition des équivalents Aujourd'hui, la définition qui prévaut aux Etats-Unis pour les équivalents est celle-ci :

"deux moyens sont dits équivalents s'ils remplissent essentiellement ("substantially") la même fonction, essentiellement de la même manière, pour parvenir essentiellement au même résultat".

Cette définition implique donc trois tests, respectivement sur la fonction, la manière et le résultat. Les tribunaux et notamment la CAFC parlent alors du "Triple Identity Test" ou du test "function-way-result". On observera que ce n'est pas exactement la définition appliquée en France (deux moyens sont dits équivalents s'ils remplissent essentiellement la même

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fonction en vue d'un résultat semblable (cf P. MATHELY, Le Nouveau Droit Français des Brevets d'Inventions, Edition du JNA, p. 417). La différence tient à la condition supplémentaire "essentiellement de la même manière" qui limite la portée de la théorie aux Etats-Unis (un transistor ne remplit pas nécessairement la même fonction "de la même manière" qu'une lampe triode à vide). Récemment, dans HILTON DAVIS CHEM. CO. v. WARNER-JENKINSON CO. (Fed. Cir. 8 août 1995), la CAFC a donné un caractère moins absolu à cette définition, et a souligné qu'il s'agissait avant tout de rechercher s'il existait des différences non essentielles ("Insubstantial Differences") entre l'objet revendiqué et l'objet incriminé. Le critère "Triple Identity" serait donc analogue au critère "Insubstantial Differences". La Cour Suprême a repris la question de la doctrine des équivalents dans la même affaire (arrêt du 3 mars 1997). La Cour a confirmé que la doctrine des équivalents devait être appréciée élément par élément (et non de manière globale). La question de l'équivalence doit être appréciée à la date de la contrefaçon et non à la date de délivrance du brevet. e) La "all-elements-rule" Dans PENNWALT CORP. v. DURANT-WAYLAND INC (CAFC, 1987), la CAFC a indiqué que dans l'appréciation de la contrefaçon, il fallait examiner si chaque élément revendiqué ou son équivalent était présent dans l'objet incriminé. C'est la règle dite "all-elements-rule". Malgré sa simplicité, la règle reste difficile à appliquer. f) Question de fait et question de droit Comme il sera expliqué dans le chapitre suivant relatif à l'action en contrefaçon, il est possible, aux Etats-Unis, dans un procès en contrefaçon, de faire appel à un jury populaire ("jury-trial"). Le jury n'examine que les questions de fait, le juge se réservant les questions de droit.

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Qu'en-est-il en matière d'équivalents ? S'agit-il de fait ou de droit ? La réponse est restée longtemps indécise mais en 1995, une indication claire a été apportée par la CAFC (HILTON DAVIS CHEM. CO. v. WARNER-JENKINSON COMPANY, Inc.) : la doctrine des équivalents est une question de fait et, par conséquent, peut être tranchée par un jury. § 3. La doctrine du "File Wrapper Estoppel" ou "Prosecution History Estoppel" a) Définition Le terme "File Wrapper" désigne littéralement la chemise du dossier constitué par l'Office américain des brevets ; mais l'expression a pris un sens plus large de "contenu du dossier" et même de "contenu de la procédure d'examen", d’où l’autre nom de cette doctrine, "Prosecution History Estoppel". Le dossier d’examen étant accessible au public après délivrance du brevet, il devient souvent l'une des pièces importantes du litige. Le terme "estoppel" désigne une exception d'irrecevabilité. La doctrine du "Prosecution History Estoppel" empêche le breveté, dans un procès en contrefaçon, de bénéficier d'une interprétation de sa revendication qui aurait pour effet de réintroduire dans celle-ci un objet qui en aurait été exclu pendant la procédure d'examen. Cet obstacle à l'élargissement des revendications intervient le plus souvent lorsque le demandeur a amendé ou abandonné des revendications pour échapper à un art antérieur. Il ne peut alors reprendre ce à quoi il a renoncé. Le dossier d'examen peut également être pris en compte pour les arguments qu'il contient, même si les revendications n'ont pas été amendées. La doctrine du "Prosecution History Estoppel" l'emporte sur celle des équivalents et limite donc l'élargissement des revendications par cette voie.

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b) Décisions i) EXHIBIT SUPPLY CO. v. ACE PATENTS CORP. : Dans cette affaire, jugée en 1942 par la Cour Suprême, il s'agissait d'un interrupteur pour machine du type billard électrique. La revendication 4 du brevet énumérait trois éléments : une tige (11) fixée à une table (10), un ressort en hélice (18) et un moyen conducteur (22) ("conductor means") qui, disait la revendication, était encastré dans la table ("embedded in the table"). Une extrémité du ressort était prolongée par une tige conductrice (19) apte à venir prendre contact avec le conducteur encastré (22) lorsqu'une bille venait heurter le ressort. L'objet accusé de contrefaçon contenait des moyens semblables. Mais le moyen conducteur permettant d'établir le contact avec l'extrémité du ressort était constitué par une tige posée sur la table et se terminant par un anneau dans lequel l'extrémité du ressort pénétrait. Or, cette revendication 4 avait une "histoire". Le dossier de la demande indiquait que l'examinateur avait d'abord rejeté les six revendications initiales. Le demandeur avait déposé un nouveau jeu de revendications, dont une couvrant la variante où le conducteur était porté par la table ("carried by the table"). L'examinateur avait rejeté cette revendication comme ne se distinguant pas suffisamment de l'art antérieur. Le déposant avait alors remplacé "carried by the table" par "embedded in the table". La Cour Suprême estima que, si la revendication 4 objet du litige avait été la revendication d'origine déposée par le demandeur, la doctrine des équivalents aurait pu lui être appliquée et aurait permis d'étendre la portée de cette revendication au cas où le conducteur n'était pas littéralement encastré, mais plutôt posé sur la table, ce qui était équivalent. Mais cette revendication 4 résultait d'un renoncement à l'expression générale "carried by the table" au profit de l'expression plus limitée "embedded in the table". C'est d'ailleurs ce renoncement qui avait permis la délivrance du brevet. Il fallait donc limiter la portée de la revendication aux termes strictement employés, à savoir que le

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conducteur devait être encastré dans la table. Or, ce n'était pas le cas du dispositif incriminé, qui n'était donc pas contrefaisant. Ainsi, c'est le dossier d'examen ("file history") qui a finalement permis de fixer définitivement la portée de la revendication. ii) WARNER-JENKINSON CO., Inc. V. HILTON DAVIS CHEMICAL CO. (Arrêt dit "HILTON-DAVIS") : Dans cette affaire, le breveté (HILTON-DAVIS) avait amendé ses revendications pour introduire une plage de pH allant d'approximativement 6 à 9 ("at a pH from approximately 6.0 to 9.0"). La partie accusée de contrefaçon (WARNER-JENKINSON) utilisait le même procédé mais avec un pH de 5. La CAFC avait décidé qu'il y avait contrefaçon par équivalence en dépit de la modification de la revendication en cours d'examen (arrêt du 8 août 1995). La Cour Suprême, dans son arrêt du 3 mars 1997, a confirmé que la doctrine du File Wrapper Estoppel (ou Prosecution History Estoppel) était bien un moyen de défense pour le présumé contrefacteur. Mais la Cour a souligné que, si le breveté voulait échapper à ce moyen, il lui incombait de prouver que la modification apportée par lui, en cours d'examen, n'était pas liée à une question de brevetabilité. A défaut de preuve, le tribunal devait présumer que la modification apportée était liée à une telle question de brevetabilité. En l'espèce, la CAFC n'avait pas examiné les raisons pour lesquelles le breveté avait modifié la plage du pH. La Cour Suprême a donc renvoyé le cas devant la Cour d'Appel du Circuit Fédéral pour que ce point soit précisé. iii) FESTO CORPORATION v. SHOKETSU KINZOKUKOGYO KABUSHIKI Co., LTD, SMC Corporation et SMC Pneumatics, Inc. (Arrêt dit FESTO) : L'affaire portait sur deux brevets américains cédés à la Société FESTO. Il s'agissait de dispositifs pneumatiques dans lesquels un piston pourvu de moyens magnétiques se déplace dans un cylindre et entraîne une chemise extérieure. Le premier brevet avait été amendé pendant la procédure

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d'examen pour préciser, dans la revendication générique, que la chemise extérieure était "en matériau magnétisable". Le second avait fait l'objet d'un réexamen, demandé par le breveté lui-même. Au cours de ce réexamen, la revendication générique avait été amendée pour préciser que le dispositif comprenait deux joints d'étanchéité disposés de part et d'autre du piston.

Le dispositif accusé de contrefaçon contenait une chemise en aluminium, qui n’est évidemment pas un “matériau magnétisable” comme le précisait la revendication amendée du premier brevet FESTO, et un joint unique à double effet au lieu de deux joints comme indiqué dans la revendication réexaminée du deuxième brevet FESTO.

Le Tribunal de District avait jugé, en première instance, que SHOKETSU contrefaisait les deux brevets FESTO car la chemise en aluminium était équivalente à un matériau magnétisable et le joint à double effet était équivalent à deux joints. La Cour d’Appel (CAFC) avait renversé cette décision en énonçant une nouvelle règle générale selon laquelle, lorsqu’un élément d’une revendication a été modifié de manière restrictive en cours d’examen, aucun équivalent n’est disponible pour cet élément.

La Cour Suprême s’est saisi de l’affaire et

a annulé (“vacated”) la décision de la Cour d’Appel. La Cour Suprême a indiqué que la règle générale proposée par la CAFC serait contraire à la règle des précédents, et qu’en outre, cette règle générale favoriserait trop les copieurs et ne permettrait pas à la doctrine des équivalents de remplir son rôle d’équilibrage entre la protection des brevetés et la liberté d’entreprendre.

En revanche, la Cour Suprême a (i) confirmé que le “prosecution history estoppel” est encourru quel que soit le motif de la modification restrictive des revendications, et (ii) institué une présomption d’abandon des équivalents en cas de modification restrictive des revendications. Cette présomption peut être surmontée par le breveté en démontrant

- que l’équivalent n’a que peu de rapport avec les raisons de la modification des revendications,

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- que l’équivalent n’était pas raisonnablement prévisible au moment de l’examen,

- ou encore, plus généralement, que l’on n’aurait pas raisonnablement pu attendre d’une personne de capacité moyenne, au moment de la demande, qu’elle rédige une revendication couvrant litéralement équivalent.

Ainsi, par cette décision FESTO, la Cour

Suprême a rendu plus difficile l’application de la doctrine des équivalents lorsque les revendications ont été modifiées en cours d’examen, mais sans éliminer totalement l’application de la doctrine comme l’avait proposé la CAFC.

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CHAPITRE II

LES ACTES DE CONTREFACON L'acte de contrefaçon n'est constitué que s'il présente un élément matériel (Section I) et un élément illégitime (Section II). Dans certains cas, il doit présenter en outre un élément moral (Section III).

SECTION I

L'ELEMENT MATERIEL Après les accords du GATT (TRIPS), qui fixent, notamment, certaines dispositions minimales en matière d'actes de contrefaçon, les divergences entre le droit américain et les autres droits nationaux se sont considérablement réduites. Comme en France, on peut distinguer la contrefaçon directe et la contrefaçon indirecte. § 1. La contrefaçon directe Il existe deux types d'actes de contrefaçon directe, selon qu'il s'agit d'une invention brevetée aux Etats-Unis ou d'un produit obtenu à l'étranger par un procédé breveté aux Etats-Unis et importé aux Etats-Unis.

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a) L'invention brevetée aux Etats-Unis Les actes de contrefaçon directe sont définis dans le paragraphe a) de l'article 35 USC 271 :

271. Contrefaçon de brevets a) Sauf disposition contraire du présent Titre, contrefait un brevet quiconque, sans autorisation, fabrique, utilise, offre en vente ou vend l'invention brevetée, aux Etats-Unis, ou importe l'invention brevetée aux Etats-Unis pendant la durée de validité du brevet.

On peut passer en revue chacun de ces actes : i) La fabrication La fabrication d'un objet breveté, même si elle n'est pas suivie d'utilisation ou de vente, est un acte de contrefaçon directe. Lorsque l'invention brevetée est une combinaison de moyens, la fabrication de l'objet s'entend de la réalisation de chaque moyen et de leur assemblage en vue d'obtenir un objet capable de fonctionner. Ainsi, dans DEEPSOUTH PACKING CO. v. LAITRAM CORP (1972), déjà citée, le présumé contrefacteur fabriquait tous les éléments de la machine brevetée. Mais il expédiait chacun de ces éléments, dans des caisses séparées, à des clients étrangers. La Cour Suprême jugea que l'élément matériel de l'acte de contrefaçon n'était pas réalisé, dès lors que la machine, dans son intégralité, n'était pas fabriquée aux Etats-Unis. Il faut observer, à propos de ce type d'actes, qu'ils tombent aujourd'hui sous le coup du paragraphe f récemment introduit dans l'article 35 USC 271, mais en tant qu'incitation à la contrefaçon, comme expliqué plus bas.

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ii) L'utilisation L'utilisation d'une invention brevetée, même si elle n'est pas précédée de la fabrication ou suivie de la vente, est un acte de contrefaçon directe. Le mot "utilisation" a une acception large qui englobe la démonstration et l'usage, même à des fins non prévues par le brevet. Mais la simple possession de l'invention ne constitue pas en soi un acte de contrefaçon. De même, il n'y a pas utilisation d'un procédé ou d'une machine dès lors qu'on utilise les produits obtenus par ce procédé ou cette machine. iii) L'offre en vente et la vente L'offre en vente et la vente d'un objet breveté, même si elles ne sont pas précédées de la fabrication, sont des actes de contrefaçon directe. Le plus souvent, celui qui est poursuivi en contrefaçon pour vente d'un objet breveté est un revendeur qui tient l'objet d'un fabricant, lequel sera lui aussi poursuivi pour contrefaçon directe. Une seule vente suffit pour que l'élément matériel soit constitué. Une question délicate se pose lorsqu'il s'agit de la vente des objets saisis dans une entreprise en faillite, alors que ces objets sont des contrefaçons. L'offre en vente n'est un acte de contrefaçon que depuis 1994. iv) L'importation L'importation d'un objet breveté sur le territoire américain est un acte de contrefaçon depuis 1994. L'article 35 USC 271 a été modifié pour être en conformité avec l'accord GATT (TRIPS) qui prévoit expressément que le droit exclusif lié au brevet couvre le cas de l'importation.

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b) Le produit obtenu par un procédé breveté aux Etats-Unis L'article 35 USC 271 comprend un paragraphe g) récent qui dispose :

g) Quiconque, sans autorisation, importe aux Etats-Unis, offre en vente ou vend ou utilise aux Etats-Unis un produit qui est obtenu par un procédé breveté aux Etats-Unis, encourt la responsabilité d'un contrefacteur, si l'importation, l'offre en vente, la vente ou l'usage du produit intervient pendant la durée du brevet de procédé. (...)

Il est précisé toutefois, à la fin du paragraphe g) :

"Un produit qui est obtenu par un procédé breveté ne sera pas considéré, aux fins du présent titre, comme tel, après : - qu'il aura été modifié par d'autres procédés, ou - qu'il sera devenu banal et un composant non essentiel d'un autre produit".

S'agissant plus spécialement de l'importation de produits obtenus par un procédé breveté aux Etats-Unis, la loi dispose, dans son article 35 USC 287, qu'un importateur, qui envisage d'importer des produits analogues à ceux d'un manufacturier américain, peut demander à ce manufacturier de lui indiquer ("request for disclosure") les brevets de procédés qu'il met en oeuvre, afin de déterminer si, lui, importateur, encourt le risque de contrefaire ces brevets. Plus généralement, s'agissant d'un produit obtenu par un procédé breveté, la loi a prévu un renversement de la charge de la preuve dans son article 35 USC 295 :

295. Présomption : produit fabriqué selon un procédé breveté

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Dans les actions dans lesquelles est alléguée la contrefaçon d'un brevet de procédé par l'importation, l'offre en vente, la vente ou l'utilisation d'un produit fabriqué selon un procédé breveté aux Etats-Unis, si le tribunal constate : 1) qu'il existe une forte probabilité que le produit ait été fabriqué selon le procédé breveté, et 2) que le demandeur a fait des efforts raisonnables mais sans succès pour identifier le procédé effectivement utilisé pour fabriquer le produit, le produit est présumé avoir été fabriqué selon le procédé en cause et la charge de la preuve du contraire incombe à la partie qui affirme qu'il n'a pas été ainsi fabriqué.

Il résulte de ces dispositions que les produits obtenus par les procédés brevetés se trouvent protégés aux Etats-Unis sensiblement de la même manière qu'en France en vertu de l'article L.613-3(c), et de l'article L 615-5-1 tel qu'il résulte de la loi du 18.12.1996. On observera toutefois que la loi américaine ne prévoit pas que le produit doit être "directement" obtenu par le procédé breveté, comme dans notre loi. Le rapport du Sénat sur cette question montre clairement que le législateur américain a voulu laisser au juge le soin de déterminer si le produit visé était ou non obtenu par le procédé breveté, sans lier par avance le juge par l'adverbe "directement". L'absence de cette condition élargit le champ d'application de la loi.

§ 2. La contrefaçon indirecte La loi américaine, dans son article 35 USC 271, paragraphes b et c , prévoit que celui qui incite activement à contrefaire un brevet ou celui qui contribue à la contrefaçon par vente d'un élément d'un objet breveté, peut encourir la responsabilité d'un contrefacteur.

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a) L'incitation à contrefaire Aux termes de l'article 35 USC 271, par. b :

271 (...) b) Quiconque incite activement autrui à contrefaire un brevet encourt la responsabilité d'un contrefacteur.

L'incitation est nécessairement liée à la contrefaçon directe prévue au paragraphe a de l'article 35 USC 271. Elle n'est un acte de contrefaçon que dans la mesure où elle conduit effectivement à une contrefaçon directe (fabrication, utilisation, offre en vente, vente, importation). Ainsi, n'y a-t-il pas contrefaçon lorsque l'incitation reste sans effet ou lorsqu'elle aboutit à un acte qui n'est pas un acte de contrefaçon directe. L'incitation peut prendre des formes diverses :

- la licence, par exemple, lorsque le breveté qui a concédé une licence exclusive fournit à un autre que le licencié exclusif des plans et informations pour l'exécution de l'invention brevetée,

- la vente de pièces détachées pour la réparation d'un objet contrefait, dans certaines circonstances,

- la fourniture de plans ou dessins en vue de l'exécution de l'invention brevetée,

- les instructions données lors de la vente d'un produit, pour utiliser ce produit dans un dispositif ou procédé breveté. Un avertissement du vendeur selon laquelle sa responsabilité est dégagée en cas de contrefaçon est sans effet et ne suffit pas à écarter le grief d'incitation à contrefaire.

En revanche :

- la promesse d'une indemnisation en cas de contrefaçon,

- la publication d'informations sur un produit ou un procédé breveté,

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ne sont pas considérées en général comme des actes d'incitation à contrefaire. b) La contrefaçon par contribution ("contributory infringement") L'article 35 USC 271 dispose, dans son paragraphe c :

c) Quiconque offre en vente ou vend aux Etats-Unis ou importe aux Etats-Unis un élément d'une machine, d'un article manufacturé, d'une combinaison ou d'une composition brevetée, ou une matière ou un appareil à utiliser dans l'application d'un procédé breveté, et constituant une partie de l'invention, encourt la responsabilité d'un contrefacteur indirect (contributory infringer), s'il sait qu'il s'agit d'un objet spécialement fabriqué en vue de la contrefaçon du brevet en cause ou spécialement apte à être utilisé pour la commettre et non d'un article courant du commerce (staple article or commodity of commerce) se prêtant à une utilisation importante ne constituant pas une contrefaçon.

La contrefaçon par contribution prévue au paragraphe c) de l'article 35 USC 271 est à la fois liée à la contrefaçon directe prévue au paragraphe 1) et à l'incitation prévue au paragraphe 2) : i) lien avec la contrefaçon directe : L'acte consistant à vendre un élément d'une invention brevetée n'est un acte de contrefaçon que s'il y a, par ailleurs, contrefaçon directe, c'est-à-dire fabrication, utilisation, offre en vente, vente ou importation de l'invention brevetée. Cette distinction a été mise en évidence dans deux cas jugés par la Cour Suprême : "ARO I" jugé en 1961 et "ARO II" jugé en 1964 (ARO MFG CO. v. CONVERTIBLE TOP REPLACEMENT). Dans "ARO I", l'objet breveté était utilisé par le licencié et il n'y avait donc pas contrefaçon directe. Dès lors, la vente de pièces pour réparation

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de cet objet licitement utilisé ne constituait pas un acte de contrefaçon. Mais dans "ARO II", le défendeur vendait des pièces destinées à la réparation d'un objet breveté utilisé par une société sans l'accord du breveté. Il y avait donc contrefaçon directe et la vente de pièces, dans ce contexte, était une contribution à cette contrefaçon. ii) lien avec l'incitation à contrefaire L'élément vendu doit avoir été spécialement fabriqué en vue de la contrefaçon du brevet ou être spécialement apte à être utilisé pour la commettre. Dès lors, l'incitation à commettre la contrefaçon accompagne le plus souvent la vente de l'élément de l'invention brevetée. iii) l'élément courant du commerce L'élément vendu ne doit pas être un article courant du commerce ("staple article" ou "commodity of commerce") se prêtant à une utilisation importante ne constituant pas une contrefaçon. De nombreuses décisions ont précisé ce qui pouvait être qualifié de "courant" ("staple"). Aucune règle générale ne peut être formulée. A titre d'exemple, on peut citer DAWSON CHEM. v. ROHM AND HAAS, jugé en 1980 par la Cour Suprême. Le brevet portait sur un procédé pour appliquer le propanil (produit en soi connu) à la destruction des mauvaises herbes dans les cultures, notamment de riz. Le brevet portait sur une application nouvelle de ce produit connu. Le défendeur vendait le propanil. Or, celui-ci, bien que connu en soi, n'avait pas d'autre utilité que celle d'herbicide. La Cour estima qu'il ne s'agissait donc pas d'un article courant du commerce. On a pu se poser la question de savoir si la vente d'un produit courant ("staple product") pouvait être poursuivie lorsqu'elle s'accompagnait d'une incitation à contrefaire. Certaines décisions ont répondu par l'affirmative lorsque le vendeur, par ses instructions et la publicité faite, incitait activement et manifestement à la contrefaçon.

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La loi française de 1978 a rejoint certaines de ces dispositions dans son article L.613-4. iv) une partie de l'invention On observera, pour finir, que l'élément vendu doit être une partie de l'invention, et non divers accessoires ou équipements accompagnant l'objet breveté. Mais il n'y a pas nécessairement, dans l'expression "material part", d'implication de caractère "essentiel" (comme dans l'article L.613-4 de la loi française). Il n'y a donc pas contribution à la contrefaçon lorsqu'on fournit au contrefacteur des moyens ou services ordinaires (électricité, matières premières, etc...).

SECTION II

L'ELEMENT ILLEGITIME Celui qui exploite une invention brevetée en commettant l'un des actes précédemment analysés, n'encourt pas nécessairement la responsabilité d'un contrefacteur. Encore faut-il que cette exploitation soit illégitime. En effet, le droit concédé au titulaire du brevet, qui est celui d'interdire à autrui de fabriquer, d'utiliser, d'offrir en vente, de vendre ou d'importer l'invention brevetée, souffre plusieurs exceptions : - celui qui accomplit de tels actes à titre expérimental ne commet pas d'acte de contrefaçon (cf . la loi française art.L.613-5(a,b)), - celui qui acquiert le produit breveté du titulaire du brevet ou de ses licenciés peut utiliser ou revendre librement ce produit (cf la loi française art.L.613-6) ; et ce droit d'utilisation emporte droit

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de réparation du produit (mais non sa reconstruction complète). En revanche, l'usage d'un produit ou d'un procédé breveté à des fins personnelles ne constitue pas une exception comme en droit français (art. L.613-5) et reste un acte de contrefaçon. Ces questions peuvent être précisées quelque peu. § 1. L'usage expérimental Le caractère légitime de l'usage expérimental résulte de la jurisprudence. Il est strictement limité. Par ailleurs, l’article 35 USC 271, paragraphe e1, prévoit que les actes permettant de recueillir et de soumettre à la "Food and Drug Administration" (FDA) des informations, ne constituaient pas des actes de contrefaçon :

e)1) Ne constitue pas un acte de contrefaçon la fabrication, l'utilisation ou la vente d'une invention brevetée (...) uniquement pour des usages qui ont un rapport raisonnable avec le fait de recueillir et de soumettre des informations en vertu d'une loi fédérale réglementant la fabrication, l'utilisation ou la vente des produits pharmaceutiques.

Cependant, le paragraphe e2 de ce même article établit que certaines demandes d’autorisation de mise sur le marché auprès du FDA constituent des actes de contrefaçon, et institue un régime d’action en contrefaçon spécifique a une telle situation. § 2. La licence implicite La vente licite d'un produit breveté épuise le droit du breveté sur ce produit. Celui qui acquiert un tel produit (du breveté ou de l'un de ses

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licenciés) peut utiliser ou revendre librement ce produit, sans que le breveté puisse intervenir dans l'exploitation ultérieure de celui-ci. On considère en effet que l'acquéreur bénéficie d'une licence implicite ("implied license"). Cependant, pour qu'il y ait licence implicite, il faut que l'objet vendu par le breveté ne puisse être utilisé que dans l'invention. Il faut en outre que les circonstances de la vente indiquent clairement que la licence d'utilisation ultérieure est implicite. Par exemple, dans DAWSON CHEM. v. ROHM AND HAAS, déjà citée, le breveté vendait un produit connu (le propanil) comme herbicide (application brevetée) dans des conteneurs munis d'une étiquette donnant les indications d'utilisation du produit. De telles indications constituaient une licence implicite sur le procédé d'utilisation du propanil comme herbicide. Mais la vente par le breveté de l'un des éléments d'une combinaison brevetée, lorsque cet élément peut trouver d'autres utilisations que la réalisation de la combinaison brevetée, ne constitue pas une licence implicite au profit de l'acquéreur sur la combinaison brevetée. § 3. Réparation et reconstruction Celui qui acquiert licitement un objet breveté auprès du breveté ou de l'un de ses licenciés possède le droit d'utiliser cet objet, et notamment de le réparer. La réparation s'entend du remplacement de certains éléments devenus défectueux. Mais ce droit ne s'étend pas à la reconstruction complète de l'objet. La ligne de démarcation entre ce qui est légitime et ce qui ne l'est pas est, à vrai dire, assez délicate à tracer : si l'objet est complètement recréé dans tous ses éléments, le risque de contrefaçon est sérieux. En revanche, si seul un des éléments est reconstitué, il n'y a pas contrefaçon directe, puisque c'est l'objet dans sa totalité qui est protégé par le brevet. Mais la question de la contrefaçon par contribution ("contributory infringment") demeure posé.

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La décision ARO MFG Co. v. CONVERTIBLE TOP REPLACEMENT, jugée en 1961 par la Cour Suprême, évoque toutes ces questions à propos de pièces pour l'automobile.

SECTION III

L'ELEMENT MORAL Aux éléments matériel et illégitime faut il ajouter un élément moral établissant que l'auteur de l'acte en question a agit sciemment ? La réponse est claire lorsqu'il s'agit de contrefaçon directe et de contrefaçon par contribution. Elle l'est moins pour l'importation et l'incitation à contrefaire. § 1. Cas de la contrefaçon directe Celui qui fabrique, utilise, offre en vente, vend ou importe un objet breveté commet un acte de contrefaçon, qu'il agisse ou non en connaissance de cause. Ainsi, l'élément moral n'est-il nullement requis pour ces actes particulièrement graves. La solution française est analogue. Pour l'importation d'un produit obtenu par un procédé breveté, les tribunaux n'ont, semble-t-il, pas encore tranché. § 2. Cas de la contrefaçon indirecte S'agissant de la contribution à la contrefaçon, le paragraphe c de l'article 35 USC 271 souligne expressément la nécessité de l'élément moral pour cet acte de contrefaçon : "(...) s'il sait qu'il

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s'agit d'un objet spécialement fabriqué en vue de la contrefaçon du brevet en cause (...)". Il est nécessaire que la connaissance porte non seulement sur l'existence du brevet mais aussi sur le caractère contrefaisant de la combinaison utilisant l'élément vendu. La solution française est analogue, l'article L.613-4(1) s'exprimant sensiblement de la même manière : "... lorsque le tiers sait ou lorsque les circonstances rendent évident que ces moyens sont aptes et destinés à cette mise en oeuvre". La question de la connaissance de cause est moins claire pour ce qui est de l'incitation à contrefaire. En effet, dans son paragraphe b, l'article 35 USC 271 ne précise pas si l'auteur de l'incitation doit savoir que les actes auxquels il incite constitueront une contrefaçon du brevet en cause. Certaines décisions ont admis qu'il n'était pas nécessaire que l'auteur de l'incitation ait agi sciemment : comme pour les actes de contrefaçon directe, il suffirait que l'incitation active soit établie.

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CHAPITRE III

L'ACTION EN CONTREFACON L'action en justice demeure le moyen traditionnel mis à la disposition du breveté pour faire respecter ses droits et obtenir réparation. Cette action se fonde sur l'article 35 USC 281 qui dispose :

281. Réparation fondée sur la contrefaçon du brevet. Tout titulaire de brevet peut demander, par la voie civile, une réparation fondée sur la contrefaçon de son brevet.

C'est cette action particulière qui est l'objet du présent Chapitre. Il convient d'abord d'analyser les règles générales qui la régissent (Section I). Comme le défendeur dispose aux Etats-Unis de moyens de défense particulièrement efficaces pour résister à cette action, il est utile de les analyser avec soin (Section II). Enfin, il y a lieu d'étudier les sanctions de l'action (Section III).

SECTION I

LES REGLES GENERALES Les règles générales relatives à l'action en contrefaçon portent essentiellement sur le droit d'agir, sur le tribunal compétent et sur la procédure.

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§ 1. Le droit d'agir Le droit d'agir en contrefaçon est réservé à certaines personnes ; il ne conduit à réparation que s'il est exercé dans une certaine période, et après notification. a) Le titulaire du droit d'agir Dans l'immense majorité des cas, c'est le breveté qui peut et doit agir en contrefaçon. Mais la situation est moins claire en cas de copropriété, ou en cas de transfert total ou partiel des droits. La situation se complique encore si l'on veut distinguer les procès en droit ("action at law") et les procès en équité ("suit in equity"). Sans entrer trop avant dans ces questions de procédure, on peut passer en revue quelques cas particuliers : i) Le breveté Comme en France, le breveté a le droit d'agir en contrefaçon, en raison même de la nature du droit attaché au brevet, qui est un droit d'interdire. ii) Les copropriétaires La copropriété des brevets est régie de manière très libérale en ce qui concerne l'exploitation de l'invention. Sauf accord contraire entre copropriétaires, chacun a le droit d'exploiter l'invention brevetée sans le consentement des autres copropriétaires et sans leur rendre de comptes (35 USC 262). Mais, s'agissant de l'action en contrefaçon la règle est plus stricte : tous les copropriétaires doivent agir conjointement. L'un des buts visés par cette disposition est d'éviter le harcèlement du contrefacteur par différents copropriétaires qui agiraient en ordre dispersé. Un copropriétaire ne peut pas contraindre un autre copropriétaire de se joindre à lui. Le refus d'un copropriétaire de se joindre à une action en contrefaçon peut être interprété comme un accord

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tacite passé entre ce copropriétaire et le présumé contrefacteur. En matière de contrefaçon, chaque copropriétaire dépend donc du bon vouloir des autres. Cela peut bloquer une action en contrefaçon si l'un des co-propriétaires entretient des relations privilégiées avec le présumé contrefacteur. iii) Le cédant ("assignor") Lorsque le titulaire d'un brevet transfère ("conveys" ou "assigns") la totalité de son droit, il perd aussitôt le droit d'agir en contrefaçon. iv) Le cessionnaire ("assignee") Le cessionnaire recevant du cédant le droit de brevet, reçoit aussitôt celui d'agir en contrefaçon, car l'entière propriété du titre lui est transférée. v) Le licencié exclusif Le licencié exclusif ayant reçu, dans certaines limites (temps, territoire, objet), tous les attributs du droit de brevet, il peut agir en contrefaçon dans les limites fixées par la licence exclusive. En effet, dans ces limites, il est seul titulaire du droit de brevet, et, à ce titre, peut exclure les tiers. Il faut rappeler (cf Titre I, Chapitre II sur la concession de licence) que le caractère "exclusif" de la licence résulte moins de la désignation que les parties ont donnée au contrat que de la véritable nature de celui-ci. Il ne suffit pas que le licencié soit unique pour que la licence soit exclusive ; il faut avant tout qu'il ait reçu tous les attributs du droit de brevet, à savoir celui de fabriquer, d'utiliser, d'offrir en vente, de vendre et d'importer dans un domaine défini. Ainsi, celui qui a reçu du breveté le droit "exclusif" de fabriquer, d'utiliser, d'offrir en vente, de vendre ou d'importer deux machines brevetées dans un certaine zone géographique des Etats-Unis est considéré comme un licencié exclusif et peut avoir le droit d'agir en contrefaçon dans cette zone

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géographique, y compris contre le breveté, en dépit des limites strictes du droit transféré (seulement deux machines dans un District). Par contre, celui qui a reçu du breveté le droit "exclusif" de fabriquer et d'utiliser des machines brevetées, dans un certaine zone géographique des Etats-Unis, mais n'a pas reçu le droit d'offrir en vente, de vendre ou d'importer ces machines, n'est pas considéré comme un licencié exclusif car il n'a pas reçu la totalité des droits attachés au brevet, le droit d'offrir en vente, de vente ou d'importation ne lui ayant pas été transféré et étant resté la propriété du breveté. La Cour Suprême a longuement analysé ces questions en 1831 dans WATERMAN v. MACKENZIE à propos d'une affaire de cessions et de concessions successives d'un brevet portant sur un stylo. Comme le breveté, en général, conserve un intérêt dans le brevet en dépit de l'exclusivité de la licence, notamment à travers les redevances qu'il perçoit de son licencié, il est une partie indispensable à l'action en contrefaçon et doit donc se joindre au licencié exclusif. D'ailleurs, l'annulation éventuelle du brevet lui causerait un préjudice certain, ce qui prouve bien son intérêt et par conséquent le caractère indispensable de sa présence (ce qui n'est pas le cas pour un cessionnaire). vi) Le licencié non exclusif Le licencié non exclusif n'a pas qualité pour agir en contrefaçon car il n'a pas d'"intérêt de propriété" ("ownership interest") dans le brevet. b) Le temps pour agir Aux termes de l'article 35 USC 286, il n'est pas possible d'obtenir réparation pour des actes datant de plus de six ans :

286. Prescription de l'action en dommages-intérêts Sauf disposition légale contraire, nulle réparation n'est due à l'égard d'une contrefaçon

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commise plus de six ans avant l'introduction de l'action en contrefaçon ou de l'action reconventionnelle (...).

Il ne s'agit pas là, à proprement parler, d'une prescription de l'action elle-même, mais plutôt d'une limitation dans l'étendue temporelle de la réparation. La question du temps pour agir en contrefaçon sera reprise plus bas, dans la Section II, lors de l'étude des "exceptions" à la contrefaçon, en particulier pour l'exception de retard à engager l'action en contrefaçon ("laches"). c) La notification ("notice") Le breveté ne peut obtenir réparation que s'il a notifié la contrefaçon au présumé contrefacteur. Pour cela, le breveté dispose de deux moyens, l'un de caractère général, qui s'adresse au public à travers le marquage des produits brevetés, l'autre de caractère privé qui s'adresse directement au contrefacteur : i) La notification au public : le marquage Le public doit être averti des risques de contrefaçon des produits brevetés. Pour cela, le breveté doit marquer les produits qu'il fabrique et vend ou qu'il fait fabriquer et vendre par ses licenciés, par la mention "patented" ou "pat.". L'article 35 USC 287 dispose :

287. Limitation des dommages-intérêts ; marquage et notification. Les titulaires de brevet, ainsi que les personnes fabriquant ou vendant un objet breveté pour leur compte ou sous leurs ordres, peuvent prévenir le public que l'objet est breveté, soit en inscrivant sur l'objet le mot "patent" (brevet) ou l'abréviation "pat.", avec le numéro du brevet, soit, lorsque la nature de l'objet ne se prête pas à cette inscription, en attachant à l'objet lui-même, ou à l'emballage qui en

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contient un ou plusieurs exemplaires, une étiquette portant la même indication (...).

Si le brevet porte sur un procédé, le marquage est naturellement impossible. Il faut noter que quiconque appose sur un objet un marquage mensonger, avec l'intention de tromper le public et de lui donner à croire que l'objet a été fabriqué ou vendu par le titulaire d'un brevet ou avec son consentement, est passible d'une amende de 500 Dollars (article 35 USC 292). Toute personne peut demander l'application de cette amende et recevoir la moitié de celle-ci. ii) La notification directe au contrefacteur A défaut de marquage, le breveté ne pourra recevoir de dommages-intérêts que s'il a notifié au contrefacteur la contrefaçon. La fin de l'article 35 USC 287 dispose en effet :

287. (...) en l'absence d'un tel marquage, des dommages-intérêts ne sont accordés au titulaire du brevet dans une action en contrefaçon que s'il est prouvé que la contrefaçon a été notifiée au contrefacteur et que celui-ci a ensuite continué de la commettre ; dans ce dernier cas, des dommages-intérêts ne peuvent être accordés que pour la contrefaçon commise après cette notification. L'introduction d'une action en contrefaçon constitue une telle notification.

La notification au contrefacteur ne doit pas porter uniquement sur l'existence du brevet ou de la publication à 18 mois mais doit souligner la contrefaçon de celui-ci. La simple transmission d'un brevet ou une simple conversation à propos d'un brevet ne constituent pas une notification. A défaut de notification directe, l'introduction d'une action en contrefaçon constitue cette notification. Quelle que soit la nature de la notification (publique ou privée), les dommages-intérêts ne

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pourront porter que sur les actes de contrefaçon postérieurs à la notification. § 2. Le tribunal compétent L'action en contrefaçon doit être engagée auprès d'un tribunal ayant la compétence requise. Celle-ci peut s'analyser en deux éléments classiques, en raison de la matière et en raison du lieu. Compte tenu du caractère fédéral des Etats-Unis d'Amérique, une autre question se pose à propos des conflits de compétence. a) La compétence en raison de la matière Comme indiqué dans l'introduction générale, les tribunaux fédéraux ont compétence exclusive pour traiter les litiges mettant en jeu ("arising under") une loi promulguée par le Congrès Fédéral. La loi sur les brevets ayant ce caractère fédéral (Code 35), les actions en contrefaçon sont du ressort des tribunaux fédéraux et non des tribunaux d'Etat. Dans le titre 28 du Code des Etats-Unis, l'article 1338 donne cette compétence exclusive aux tribunaux de District ("District Courts") (cf introduction générale), aussi bien d'ailleurs pour les brevets d'utilité que pour les brevets de dessins et de plantes, le droit d'auteur et les marques. Il faut observer que la compétence d'un tribunal de District n'est pas remise en cause s'il advient que le plaignant et/ou le défendeur font valoir divers moyens d'attaque ou de défense (comme l'existence d'un contrat, la rupture d'un contrat, etc...) qui, en eux-mêmes, seraient de la compétence des tribunaux d'Etat. b) La compétence en raison du lieu ("venue") Selon l'article 29 USC 1400b, l'action en contrefaçon peut être portée soit devant le tribunal du District où réside le défendeur, soit devant le tribunal du District où le défendeur a commis des actes de contrefaçon et où il possède un établissement

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commercial stable ("a regular and established place of business"). Il existe donc une alternative quant au choix du tribunal de District. Autrefois, le choix du tribunal ("forum shopping") donnait lieu à de savantes analyses et supputations en fonction de l'attitude des Cours d'Appel des "Circuits" correspondants. Certaines Cours étaient réputées favorables au breveté ; d'autres au contraire semblaient hostiles au droit de brevet. Depuis qu'en 1982, la Court of Appeals for the Federal Circuit (CAFC) est devenue la Cour d'Appel quasi-exclusive, les distinctions entre circuits favorables ou défavorables au breveté sont nettement moins cruciales. Il reste cependant l'alternative prévue par l'article 29 USC 1400b :

i) action dans le District où réside le défendeur

La détermination de la résidence peut soulever des questions délicates, notamment en cas de changement de domicile. Pour une personne morale, la "résidence" est l'Etat où la Société a été formée ("incorporation").

ii) action dans le District où l'acte de

contrefaçon a été commis et où le contrefacteur possède un établissement commercial. On notera la conjonction des deux conditions ("et"). Si la contrefaçon est commise là où le contrefacteur ne possède pas d'établissement stable, cette seconde branche de l'alternative ne peut être retenue.

L'acte de contrefaçon déterminant le District retenu a été étudié dans le Chapitre II. On rappelle qu'il peut s'agir soit d'un acte de contrefaçon directe (fabrication, utilisation, offre en vente, vente, importation), soit d'un acte de contrefaçon indirecte (incitation à contrefaire, contribution à la contrefaçon). Pour ce qui est des étrangers, qui ne résident pas aux Etats-Unis et qui n'ont pas d'établissement stable, ils peuvent être poursuivis dans n'importe quel District.

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c) Les conflits de juridiction Des actions en justice différentes peuvent être engagées à propos d'un même brevet. Par exemple, le fabricant d'un produit breveté peut introduire une action en jugement déclaratoire d'invalidité dans un certain District et le breveté peut introduire une action en contrefaçon à l'encontre de ce fabricant et de ses distributeurs dans un autre District. Pour tenter d'éviter la duplication des actions judiciaires, deux règles sont généralement appliquées :

i) le procès doit se poursuivre auprès du tribunal qui, le premier, a reçu la plainte ("first-to-file principle") ; mais la règle souffre un certain nombre d'exceptions, comme par exemple l'exception d'utilisateurs ("customers suit exception") : si la première action a été intentée contre les utilisateurs alors que la seconde l'a été contre le fabricant, la seconde action peut être jugée prioritaire ;

ii) divers mécanismes de procédure peuvent être développés comme le sursis à statuer ("stay"), le renvoi ("dismissal"), le transfert d'un District à l'autre, etc...

§ 3. La procédure La procédure de contrefaçon étant complexe, on ne peut ici qu'en tracer les grandes lignes. a) Le procès devant le tribunal de District i) La phase préliminaire Le demandeur dépose auprès du tribunal de District une plainte ("complaint") assez succincte où il expose les faits essentiels de l'affaire. Le tribunal adresse au défendeur une assignation à comparaître ("summons"). Le défendeur soulève en

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général divers moyens de défense (invalidité du brevet, absence de contrefaçon, fraude, abus, etc...). Le breveté est en droit de requérir diverses mesures conservatoires, comme l'ordonnance d'interdiction préalable ("preliminary injunction"). Conformément à l'article 35 USC 283, le tribunal peut rendre de telles ordonnances dans le but de prévenir la violation d'un droit découlant d'un brevet. Le défendeur dépose une réponse avec ses conclusions (nullité du brevet, absence de contrefaçon) et forme éventuellement des demandes reconventionnelles ("counter-claims"). Chacune des parties peut demander que l'affaire soit jugée en équité ("in equity") devant un seul juge, ou en droit ("at law") et, dans ce dernier cas, éventuellement devant un jury ("jury trial"). Dans certains cas, le juge peut prendre immédiatement une décision sans engager plus avant le procès ("summary judgement"). La décision peut porter aussi bien sur la validité du brevet que sur l'existence de la contrefaçon lorsqu’il n’existe pas de véritable dispute sur les faits du litige. Le juge peut cerner également diverses questions et séparer les questions qui relèveront du jury de celles qui relèveront du juge. ii) La phase d'instruction ("Discovery") C'est sans doute la phase la plus longue et la plus coûteuse. C'est elle qui doit permettre d'administrer la preuve des faits allégués. Les règles de procédure civile prévoient que l'administration de la preuve peut se faire par :

- des dépositions orales, - des interrogatoires écrits adressés par chacune

des parties à l'autre, - des productions de documents, dessins, objets.

Cette procédure de Discovery, dans laquelle chaque partie a l'obligation de répondre aux questions de la partie adverse, soulève la question délicate du privilège accordé aux avocats qui les exempte de cette obligation à l'égard des rapports qu'ils ont eus avec leurs clients ("attorney-client privilege").

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Tous les documents produits au cours de cette phase de "Discovery" seront rendus accessibles au public (sauf ceux qui, en raison de leur caractère confidentiel, pourraient être spécialement retirés de la mise à la disposition du public). A la suite de cette longue instruction, des réunions préliminaires avec le juge ("pre-trial conferences") permettent à chaque partie de préciser la manière dont elle envisage de plaider, et quels témoins ou experts elle compte citer. iii) Le jury L'une des particularités de la procédure américaine de l'action en contrefaçon est de permettre le recours à un jury ("jury trial"). Très inspirée à cet égard par l'ancien Droit anglais, la Constitution américaine prévoit en effet, dans son 7ème amendement :

"Dans les procès de droit commun ("common law") où la valeur en litige excédera vingt dollars, le droit au jugement par jury sera observé, et aucun fait jugé par un jury ne sera examiné de nouveau dans une Cour des Etats-Unis autrement que selon les règles du droit commun".

Ce droit avait été peu utilisé en matière de contrefaçon de brevet où le procès était porté le plus souvent devant un juge ("bench trial"). Mais, depuis les années 1970, le recours au jury est devenu plus fréquent. Par exemple, dans les années 1968 à 1970, sur 382 procès en contrefaçon seulement 13 avaient fait appel à un jury. Dans les années 1992 à 1994, sur 274 affaires, 173 firent appel à un jury, c'est-à-dire plus de la moitié. Le nombre de jurés n'est pas inférieur à 6 et n'excède pas 12. C'est en général le breveté qui demande la présence d'un jury. Il espère notamment impressionner le jury par le titre officiel qui lui a été délivré ("the blue ribbon and the red seal syndrome") et voir ainsi confirmer la validité de son brevet. De fait, les statistiques montrent que dans 65% environ des cas, un jury populaire confirme la validité des brevets.

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Dans les procès avec jury, il faut sélectionner avec le plus grand soin les témoins et les experts qui comparaîtront, et cela autant en fonction de l'impression qu'ils pourront produire sur le jury qu'en raison de leur compétence. Le juge rédige les questions auxquelles le jury doit répondre. Celui-ci rend un verdict général ou des verdicts spéciaux. Le verdict doit être pris à l'unanimité des jurés. Aussi, le défendeur préfère-t-il qu'il y ait de nombreux jurés (12), ce qui réduit les chances d'unanimité. Naturellement, le demandeur souhaite au contraire un jury réduit (6). Le recours à un jury peut surprendre dans la mesure où les jurés sont en général peu informés du droit des brevets. Il faut comprendre que le juge explique au jury toutes les questions en cause, lesquelles ne concernent de toute manière que des faits assez faciles à appréhender, et non des points de droit. Il peut s'agir de faits destructeurs de nouveauté, des connaissances de l'homme du métier, de l'art antérieur utilisé pour apprécier la non-évidence, du besoin longtemps ressenti, du succès commercial, des actes de contrefaçon, d'équivalence, des dommages-intérêts, du caractère volontaire de la contrefaçon, etc... Pour certaines questions, il est parfois difficile de savoir s'il s'agit de fait ou de droit. Par exemple, pour ce qui est de l'interprétation des revendications, des décisions en sens opposés avaient été rendues. Mais, en 1995, la CAFC a tranché cette question dans MARKMAN v. WESTVIEW INSTRUMENTS, Inc. : l'interprétation des revendications de brevet est une question de droit, qui relève donc uniquement du juge. La Cour Suprême a confirmé ce point de vue le 23 avril 1996. Pour interpréter les revendications, le juge peut convoquer les parties à une audience préliminaire ("Hearing") et solliciter éventuellement le concours d'experts. Il n'est pas rare qu'après une telle audience les parties transigent car l'issue du procès peut être prévisible dès lors que l'interprétation des revendications a été arrêtée. Mais le juge peut aussi décider seul de cette interprétation.

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L'appréciation de la non-évidence implique à la fois des questions de fait et de droit. Le juge se réserve l'appréciation ultime. De même, toutes les questions relevant de l'équité ("equity") (par exemple le triplement des dommages-intérêts, l'abus de la part du breveté, etc...) ne relèvent pas du jury mais du juge. S'agissant de la doctrine des équivalents, on rappelle qu'après l'arrêt HILTON DAVIS de la CAFC, en 1995, cette question relève des faits, donc du jury. iv) L'audience Lors de l'audience, le plaignant parle en premier. Les témoins sont présentés par les parties et interrogés successivement par l'un et l'autre des avocats. La procédure est de type "contradictoire" (comme en Angleterre), le juge se bornant à veiller à ce que les débats se déroulent normalement (à l'opposé de la France où la procédure est de type "inquisitoire", le juge instruisant le dossier). Selon la difficulté de l'affaire, selon le nombre de témoins et d'experts, l'audience peut être plus ou moins longue. v) Le jugement Lorsque l'affaire a été portée devant un jury, le juge prend acte du verdict prononcé par celui-ci et qui ne peut concerner que les faits. Il prend ensuite sa décision relativement aux points de droit. En matière d'invalidité de brevet, le présumé contrefacteur doit apporter une preuve claire et convaincante ("clear and convincing"). Cette exigence se situe à mi-chemin entre le critère normalement requis dans les procès civils, où l'on exige seulement qu'une présomption l'emporte sur la présomption contraire ("preponderance of the evidence") et le critère des procès criminels, où l'on exige des preuves au-delà du doute raisonnable ("proof beyond a reasonable doubt"). En revanche, la contrefaçon se prouve selon le critère de la prépondérance des preuves. Si le breveté a obtenu gain de cause, les dommages-intérêts sont alors fixés.

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En moyenne, la durée d'un procès en contrefaçon en première instance est d’environ 2 à 3 ans (mais il y a des exceptions notables). Par ailleurs, cette durée dépend beaucoup des tribunaux. Certains "expédient" les affaires en une année (tribunaux "Docket Rocket" comme dans le District Est de Virginie). D'une façon générale, les procès avec jury sont plus longs que les procès sans jury. Dans la plupart des cas (environ 90%), les litiges se résolvent par un accord entre les parties. Cet accord survient souvent après le "Hearing" ou à la fin de la procédure de Discovery. La perspective de l'intervention d'un jury, avec l'incertitude qui l'accompagne, incite les parties à s'entendre avant que ne commence le procès au fond. Le juge peut éventuellement participer aux négociations et encourager les parties à trouver un terrain d'entente. b) La procédure d'appel La partie qui a perdu en première instance peut interjeter appel de la décision dans les 30 jours qui suivent le jugement. Aujourd'hui, la seule Cour d'appel en matière de brevet est la Court of Appeals for the Federal Circuit (CAFC). La CAFC comprend douze juges ("Judges") et un président ("Chief Judge"). Les juges se constituent en général en collège de trois pour chaque affaire. En appel, il n'est pas possible d'invoquer de nouveaux moyens. Le mémoire d'appel reprend en grande partie des éléments du dossier de première instance. Sauf en cas d'erreur lourde et manifeste, la CAFC ne reconsidère pas les questions de fait appréciées par le jury en première instance. Mais elle peut revenir sur les questions de droit, comme par exemple l'interprétation des revendications. L'audience devant la CAFC est brève, chaque partie disposant d'environ 30 minutes. Comme exposé dans l'introduction générale, les juges peuvent exprimer des positions personnelles pour soutenir ou combattre l'opinion de la majorité

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("concurring opinion" ou "dissenting opinion" ou "dissent"). c) Le recours auprès de la Cour Suprême La Cour Suprême couronne les institutions judiciaires américaines (cf Introduction Générale). La partie qui a perdu en appel devant la CAFC peut demander à la Cour Suprême de réviser le jugement ("request for certiorari"). La Cour ne se saisit de l'affaire que si elle le juge utile et, dans l'affirmative, délivre un "writ of certiorari". La Cour Suprême peut confirmer, modifier, annuler une décision, ou renvoyer une affaire devant une instance inférieure. La Cour Suprême s'est d'abord saisie d'affaires où des divergences d'appréciation étaient apparues entre les diverses Cours d'appel des onze Circuits. La création de la CAFC a uniformisé certains aspects de la jurisprudence, on aurait pu s'attendre à ce que la Cour Suprême rende de moins en moins d'arrêts en matière de brevets. Cependant, des différences importantes se sont faites sentir entre les conceptions des 12 juges de la CAFC sur certains points controversés (comme la doctrine des équivalents discutée plus haut), ce qui a amené la Court Suprême a intervenir relativement fréquemment depuis quelques temps.

SECTION II

LES MOYENS DE DEFENSE La loi américaine a prévu divers moyens de défense (ou exceptions) pouvant être invoqués par le défendeur dans une action en contrefaçon. Ces moyens de défense sont définis dans l'article 35 USC 282 et dans un nouvel article 35 USC 273 introduit dans le "First Inventor Defense Act" de 1999.

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L'article 35 USC 282 dispose : 282. Présomption de validité ; exceptions ("defenses")

(...) Les exceptions suivantes peuvent être invoquées dans toute action dans laquelle la validité ou la contrefaçon d'un brevet est mise en cause : 1) l'absence de contrefaçon, l'absence de responsabilité en tant que contrefacteur ou le fait que la contrefaçon ne peut pas être poursuivie ; 2) la nullité du brevet ou la nullité d'une revendication en cause, pour l'un des motifs prévus dans la IIe Partie du présent Titre en tant que conditions de brevetabilité ; 3) la nullité du brevet, ou la nullité d'une revendication en cause, pour le motif qu'il n'est pas satisfait aux exigences des articles 112 ou 251 du présent Titre ; 4) tout autre fait ou acte qui est érigé en exception par le présent Titre.

Mais la doctrine et l'équité ont ajouté d'autres moyens de défense notamment l'abus de droit et les retards à engager l'action. En dehors de l'exception d'absence de contrefaçon, qui relève de l'appréciation de la portée des revendications, question déjà étudiée, on peut classer les autres exceptions en quatre catégories, selon qu'elles invoquent la nullité du brevet, l'obtention frauduleuse du brevet, l'abus de droit ("misuse") et, enfin, le retard mis à engager l'action en contrefaçon ("laches" ou "estoppel"). La première n'est pas spécifique au droit américain. Mais les trois autres conduisent à des développements originaux sur lesquels il convient de s'arrêter. Quant au nouvel article 35 USC 273, il prévoit une exception pour usage antérieur d'une méthode "for doing or conducting business".

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§ 1. L'exception de nullité L'exception de nullité soulève quatre questions relatives, successivement, à la présomption de validité, à l'opportunité d'examiner la validité du brevet, aux effets de la nullité, et enfin au droit de soulever cette exception. a) La présomption de validité Tout brevet délivré par l'Office américain des brevets est présumé valide. Chaque revendication du brevet est présumée valide, indépendamment de la validité des autres revendications. La charge de la preuve de la nullité incombe au défendeur puisque c'est lui qui soulève l'exception de nullité. Ces règles sont conformes à l'article 35 USC 282 :

282. Présomption de validité ; exceptions ("defenses")

Tout brevet est présumé valide. Chaque revendication de brevet (sous la forme indépendante, dépendante ou dépendante multiple) est présumée valide indépendamment de la validité des autres revendications ; les revendications sous la forme dépendante ou dépendante multiple sont présumées valides même si elles sont dépendantes d'une revendication nulle. La charge de la preuve de la nullité d'un brevet ou d'une revendication de brevet incombe à la partie qui allègue la nullité. (...).

b) L'opportunité d'examiner la validité d'un brevet Le premier chef d'une action en contrefaçon est naturellement la contrefaçon d'un brevet. La question de la validité de ce brevet n'est qu'un moyen de défense soulevé par le présumé contrefacteur. Dès

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lors, il semblerait normal de trancher d'abord la question de la contrefaçon, pour n'examiner qu'ensuite, et seulement en cas de réponse positive, la question de la validité du brevet contrefait. Mais l'examen de la validité d'un brevet peut servir à d'autres actions en justice que le breveté intenterait à l'encontre d'autres contrefacteurs. Si la validité du brevet est mise en cause d'abord, indépendamment de la réalité de la contrefaçon, la conclusion tirée pourra faciliter les actions ultérieures, voire les éviter en cas de nullité. Par ailleurs, si une Cour d'appel infirme un jugement de première instance ayant conclu à l'absence de contrefaçon sans que la question de la validité du titre n'ait été examinée et si la Cour d'appel renvoie l'affaire devant la première instance, il faudra bien reprendre la question de la validité du brevet. En définitive, dans cette question délicate de l'opportunité d'apprécier systématiquement ou non la validité du brevet présumé contrefait, il n'existe pas de réponse tranchée. La Cour Suprême a indiqué que la meilleure pratique consistait à examiner les deux questions. Mais, en même temps, elle a admis qu'un tribunal n'était pas tenu d'examiner la validité d'un brevet dès lors qu'il avait jugé que la contrefaçon n'était pas commise. c) Les effets de la nullité Lorsqu'un tribunal a déclaré nul un brevet à la suite d'un procès en contrefaçon, la question se pose de savoir si cette nullité peut être opposée à tous et invoquée dans tout autre procès impliquant le même brevet. L'affaire BLONDER-TONGUE LAB v. UNIVERSITY OF ILLINOIS FOUNDATION, jugée en 1971 par la Cour Suprême, permet de comprendre le problème posé et la solution retenue. Dans cette affaire, le titulaire du brevet avait poursuivi la Société WINEGARD Co. devant le tribunal du District Sud de l'Iowa. Le tribunal avait déclaré le brevet nul et la Cour d'appel du 8ème Circuit (dont dépendent les Districts de l'Iowa) avait confirmé la nullité.

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Alors que ce premier procès était en cours, le titulaire du brevet avait engagé une seconde action en justice contre la société BLONDER-TONGUE LAB. devant le tribunal du District Nord de l'Illinois. Le tribunal avait jugé le brevet valide. La Cour d'appel du 7ème Circuit (dont dépendent les Districts de l'Illinois) avait confirmé la validité du brevet. Devant cette incohérence, la société BLONDER-TONGUE LABORATORIES, qui était présumée contrefaire le brevet, avait demandé à la Cour Suprême de réviser l'arrêt de la Cour du 7ème Circuit. La Cour Suprême arrêta qu'un jugement de nullité de brevet peut bénéficier à un présumé contrefacteur poursuivi postérieurement à ce jugement, sauf si le titulaire du brevet peut prouver qu'il n'a pas eu l'opportunité, au cours de la procédure, de défendre la validité de son titre. Dans l'affaire citée, suite à la décision de la Cour Suprême, le cas fut renvoyé devant le tribunal du District Nord de l'Illinois, (le breveté ayant eu toute opportunité pour défendre son titre lors du premier jugement). Le brevet fut déclaré nul par ce tribunal et la nullité fut confirmée par la Cour d'appel du 7ème Circuit. Sous la réserve indiquée, un jugement de nullité de brevet entraîne pour le breveté une irrecevabilité subsidiaire ("collateral estoppel"). La Cour Suprême a fondé son opinion sur la justice et l'équité ("justice and equity"). Chaque affaire reste un cas d'espèce que le tribunal doit examiner avant de décider de suivre ou non l'arrêt BLONDER-TONGUE. Si un jugement de nullité lie le titulaire du brevet et l'empêche d'engager des actions ultérieures sur le même brevet, il n'en va pas de même dans la situation inverse où un premier jugement aurait reconnu la validité d'un brevet. Un tel jugement ne peut, bien sûr, lier un contrefacteur qui n'était pas partie à la première action, et celui-ci peut parfaitement invoquer l'exception de nullité. Cependant, si l'affaire revient devant le même tribunal (mais avec un autre défendeur), le nouveau défendeur devra invoquer de nouveaux moyens de preuve de la nullité du brevet, à défaut de quoi il se

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heurterait à la règle de l'autorité du précédent qui est l'essence même de la "Common Law". d) Le droit de soulever l'exception de nullité La question s'est posée de savoir si l'exception de nullité était ouverte à tous ou au contraire si une exception d'irrecevabilité ("estoppel") pesait sur certains. i) Cas des licenciés Un licencié qui, librement, s'était engagé par contrat à payer des redevances au breveté, peut-il invoquer cette exception pour tenter ensuite de se libérer de ses engagements ? La "Common Law" des contrats commanderait plutôt une réponse négative. Mais, par ailleurs, la loi fédérale sur les brevets impose que seules les inventions valablement brevetées peuvent être réservées, les autres étant de libre usage et disponibles à tous. Toute personne devrait donc pouvoir soulever ce moyen de défense pour résister aux prétentions d'un breveté dont le titre est estimé nul. La réponse a été donnée en 1969 par la Cour Suprême dans LEAR INC. v. ADKINS. Dans cette affaire, ADKINS avait déposé une demande de brevet en 1954 pour un gyroscope. En 1955, ADKINS et la société LEAR INC avaient signé un contrat de licence. Le brevet n'étant pas encore délivré, une clause permettait au licencié LEAR de mettre fin au contrat si le brevet n'était pas délivré ou si le brevet délivré était ultérieurement jugé nul. Dès 1957, alors que la procédure d'examen n'était pas terminée, la société LEAR avait cessé de payer des redevances à ADKINS au motif que, selon elle, l'invention n'était pas brevetable. ADKINS avait porté le litige devant le tribunal, en l'occurrence celui de l'Etat de Californie, seul compétent dans ce genre d'affaires puisqu'il s'agissait d'une rupture de contrat (cf Chapitre I). La société LEAR avait contesté la brevetabilité de l'invention, mais

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l'inventeur ADKINS avait obtenu gain de cause, y compris auprès de la Cour Suprême de l'Etat de Californie en plaidant que le licencié LEAR ne pouvait mettre en cause la brevetabilité d'une invention dont il avait acquis librement la licence. Cependant, le brevet ayant été délivré, la Cour Suprême fédérale fut saisie de ce conflit entre la "Common Law" des contrats et la loi fédérale sur les brevets par le licencié LEAR. Elle arrêta que l'intérêt du public primait ; dès lors, il fallait laisser au licencié le droit de contester la validité du brevet. Ainsi, la société LEAR pouvait-elle, après la délivrance du brevet à ADKINS, contester la validité de ce brevet et, en cas de succès, cesser de payer les redevances. La question des redevances dues avant la délivrance du brevet n'a pas été et ne pouvait pas être tranchée par la Cour Suprême fédérale car un tel problème n'est pas du ressort fédéral. L'affaire a donc été renvoyée devant la Cour de l'Etat de Californie, qui est seule compétente, s'agissant d'inventions non brevetées relevant du secret de fabrique ("trade secret"). La doctrine LEAR a été étendue aux licenciés exclusifs et à ceux qui ont tenté d'obtenir une licence de brevet mais n'y sont pas parvenus. Tous peuvent soulever l'exception de nullité du brevet, que ce soit pour échapper au grief de contrefaçon ou pour résister à une action quelconque en rupture de contrat. ii) Cas du cédant Récemment (1988), dans DIAMOND SCIENTIFIC Co v. AMBICO INC, la CAFC a arrêté que le cédant ne pouvait contester la validité du brevet cédé. Dans cette affaire, l'inventeur avait cédé son invention à son employeur. Par la suite, il avait quitté ce dernier pour fonder sa propre société et exploiter son invention. Poursuivi par son ancien employeur, pour contrefaçon du brevet cédé, l'inventeur cédant avait tenté de soulever l'exception de nullité du brevet pour insuffisance de description, défaut de nouveauté et évidence. La CAFC confirma la décision du tribunal de District : l'inventeur-cédant avait prêté serment,

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lors du dépôt de sa demande de brevet, et déclaré qu'il croyait en la brevetabilité de son invention, ce qui lui interdisait par la suite de soutenir l'inverse. Plus qu'un empêchement fondé sur l'équité ("equitable estoppel"), il s'agissait là d'un cas d'irrecevabilité de droit ("legal estoppel"). § 2. L'obtention frauduleuse du brevet Celui qui se présente en équité pour réclamer réparation du préjudice qu'il a subi du fait d'une contrefaçon doit être irréprochable et avoir "les mains propres" selon l'adage :

"he who comes into equity must come with clean hands"

Or, quiconque dépose une demande de brevet est soumis à un devoir de franchise ("duty of candor") à l'égard de l'Office américain des brevets (cf Chapitre IV du Titre II de la partie précédente). Tout manquement à ce devoir constitue une "conduite inéquitable" et, dans les cas graves, une fraude. Dès lors, celui qui aura obtenu frauduleusement un brevet ("fraudulent procurement") se verra opposer une exception le privant du droit à réparation. a) Les actes frauduleux i) Le faux serment Dans le serment qui doit accompagner la demande de brevet, le déposant doit déclarer qu'il croit être l'inventeur premier et authentique (cf première partie) et doit révéler tout ce qui pourrait constituer un obstacle à la délivrance du brevet. S'il apparaît que l'inventeur n'ignorait pas que tout ou partie de ses déclarations étaient fausses (par exemple, qu'il n'était pas le seul inventeur ou que l'invention était déjà en usage depuis plus d'un an avant le dépôt de la demande, etc...), il aura prêté un faux serment et commis une fraude.

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ii) L'omission d'un art antérieur pertinent Le déposant doit porter à la connaissance de l'Office américain des brevets tout art antérieur pertinent qu'il connaît (cf la première partie, sur le devoir de franchise et la règle 37 CFR 1.56). Tout manquement à cette obligation peut conduire au grief de "fraudulent procurement". iii) Les fausses informations fournies par affidavit Lorsque l'Office américain des brevets rejette une demande pour évidence (35 USC 103), le déposant peut, notamment dans le cas de produits chimiques ou de substances thérapeutiques, fournir des informations destinées à prouver certains avantages ou des propriétés du produit revendiqué. De même, pour étayer une argumentation s'appuyant sur des considérations secondaires, le demandeur peut invoquer le succès commercial, etc... Toute fausse information à ce sujet peut constituer une fraude. b) Le caractère essentiel ("material") L'information fausse ou omise doit porter sur un élément essentiel ("material") pour que soit constituée la conduite inéquitable ou frauduleuse. (cf. le Chapitre IV du Titre précédent et la Section VI sur le Devoir de franchise). En 1991, les critères d'appréciation du caractère essentiel des informations à citer ont fait l'objet de nouvelles règles proposées par l'Office américain. La nouvelle règle 1.56(b)(1) en vigueur depuis le 16 mars 1992 définit ainsi les informations essentielles :

"an information is material where it creates, either by itself or in combination with other information, a

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prima facie case of unpatentability of a claim pending before the Office".

Si, à première vue ("prima facie") une information est susceptible d'affecter la nouveauté (35 USC 102) ou la non-évidence (35 USC 103) d'une revendication, ou encore d’autres critères de brevetabilité comme les exigences de description, réalisation et utilisation, et meilleure manière (35 USC 112), cette information doit être soumise à l'Office. Ceci n'empêche pas, naturellement, d'argumenter pour soutenir que cette information n'est pas gênante pour la revendication en cause. c) Le caractère intentionnel La conduite inéquitable ou la fraude doit avoir été intentionnelle. Sans cet élément intentionnel ("scienter"), l'omission ou l'erreur dans les communications avec l'Office des brevets ne constituerait pas une fraude. Dans ce domaine, la bonne foi peut constituer une excuse. Des décisions récentes de la CAFC vont dans ce sens. d) Les conséquences i) Les conséquences en général Le breveté, qui ne s'était pas acquitté de son obligation de franchise ("duty of candor") à l'égard de l'Office américain des brevets, encourt de multiples sanctions : - le brevet peut être annulé ou rendu inopposable

("unenforceable"), la sanction pouvant même s'étendre à d'autres brevets du même titulaire,

- le Gouvernement peut introduire une action en nullité, et, en cas de succès, la nullité est absolue,

- le breveté peut être condamné à rembourser les frais d'avocat du défendeur (cf section suivante),

- le breveté peut encourir des sanctions pour violation des lois anti-trust, de la loi fédérale sur le commerce (Federal Trade Commission Act) et

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des lois de sécurité fédérale (Federal Securities Laws) (cf dans le Titre I, la section consacrée à la législation anti-trust et à la décision WALKER PROCESS).

ii) Les conséquences dans un procès en contrefaçon Pour s'en tenir aux moyens de défense liés à la contrefaçon, on peut s'arrêter un instant sur la nullité ou l'inopposabilité ("unenforceability") du brevet obtenu frauduleusement. Si la fraude entraîne la nullité du brevet, la conduite inéquitable, elle, n'entraîne que l'inopposabilité du brevet au présumé contrefacteur. La différence est mineure pour le défendeur qui, dans les deux cas, échappe à la contrefaçon. Il faut observer que la nullité s'étend à tout le brevet et ne se limite pas aux seules revendications entachées de fraude. Dans certains cas graves, comme par exemple dans KEYSTONE DRILLER Co. v. GENERAL EXCAVATOR, jugé en 1933 par la Cour Suprême, la fraude sur l'obtention d'un brevet a entraîné l'inopposabilité de quatre brevets portant sur la même machine. Dans cette affaire, le breveté avait payé un témoin pour effacer la preuve d'une utilisation antérieure de l'invention. On remarquera que la nullité du brevet en cas de fraude est une exception qui profite au défendeur à l'action en contrefaçon et qui n'a pas d'effet absolu. Cependant, la règle du "collateral estoppel" exposée plus haut interdit pratiquement au breveté d'agir à nouveau en contrefaçon sur la base du brevet qui a été déclaré nul. La nullité absolue pour fraude ne peut être obtenue que par le Gouvernement américain. Mais les cas sont rares (une dizaine semble-t-il). § 3. L'abus de droit ("misuse") a) Les principes L'exercice du droit de brevet peut conduire à des abus tombant sous le coup des lois anti-trust

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(cf Titre I, la section sur la législation anti-trust). Le droit de brevet est ainsi contenu dans des limites strictes. Celui qui les transgresse se rend coupable d'abus et se verra refuser le droit à réparation en cas de contrefaçon. Deux affaires jugées par la Cour Suprême peuvent illustrer la doctrine de l'abus de droit ("misuse") : i) Il semble que la notion d'abus remonte à 1917 avec

une affaire MOTION PICTURE v. UNIVERSAL FILM. Le brevet portait sur un projecteur de film. Une clause de la licence liait ("tying clause") la licence du projecteur à l'utilisation de films vendus par le breveté (il faut rappeler qu'en 1917, la loi CLAYTON venait juste d'être promulguée (1914) pour interdire justement de telles clauses d'approvisionnement).

ii) Dans CARBICE CORP. v. AMERICAN PATENTS DEVELOPMENT

CORP., jugée en 1931, le brevet portait sur un bac pour conserver de la glace. Le brevet portait sur une combinaison de moyens, l'un d'eux étant la glace. Le breveté avait soumis la concession d'une licence à l'obligation pour le licencié de s'approvisionner en glace chez le breveté. Le présumé contrefacteur vendait de la glace aux utilisateurs de l'appareil breveté, sachant parfaitement que ceux-ci utilisaient cette glace dans l'appareil breveté. Il pouvait donc y avoir contrefaçon par contribution ("contributory infringement") (cf Titre II, Section II). La Cour Suprême jugea que le titulaire du brevet, en liant ("tying") l'acceptation de la licence à l'engagement d'approvisionnement d'un élément non breveté en soi, avait abusé de son droit. En tentant de supprimer la concurrence dans la vente d'un élément non breveté, le breveté s'était privé de tout recours en équité pour faire cesser des actes allégués de contrefaçon commis par un concurrent.

Il faut observer enfin que l'abus peut être purgé. Le titulaire du brevet recouvre alors le plein usage de son droit et n'est plus exposé à l'exception de "misuse".

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b) Les actes susceptibles de constituer un abus Pour éclairer cette question de l'abus, il est utile de passer en revue quelques actes ou clauses susceptibles de justifier ce moyen de défense : - les clauses liées ("tied") La loi du 19 novembre 1988 (Patent Misuse Reform Act) a assoupli les contraintes relatives aux clauses liées. Il est possible aujourd'hui de prévoir une clause d'approvisionnement auprès du breveté pour un produit non breveté, à condition toutefois que le breveté n'ait pas une position de pouvoir sur le marché ("market power") relativement au produit breveté. Si tel était le cas (pouvoir sur le marché) la clause serait un abus et même une violation des lois anti-trust. - L'engagement de non-concurrence Toute disposition, dans un contrat de licence, exigeant du licencié qu'il ne s'engage pas dans l'exploitation de produits qui viendraient concurrencer le produit breveté, constitue un abus. - Les groupes de licence ("package licensing") La concession d'un groupe de licences ne constitue pas, en soi, en abus. Mais il y aura abus si le breveté refuse de licencier les brevets séparément et exige l'acceptation de l'ensemble des licences. En d'autres termes, si c'est par commodité contractuelle ou par nécessité économique que l'ensemble des brevets a été licencié, il n'y a pas abus. Par contre, si le breveté conditionne la concession d'une licence sur un brevet à l'acceptation d'une licence sur d'autres brevets, il y a abus et possibilité pour un défendeur de soulever l'exception d'inopposabilité en cas de procès en contrefaçon.

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- Les redevances après expiration du brevet Une clause de contrat de licence exigeant le paiement de redevances après expiration du brevet concédé est inexécutable. Mais la question de savoir s'il s'agit d'un abus, empêchant le breveté d'obtenir réparation d'actes de contrefaçon, n'est pas clairement tranchée. Cette question se trouve liée, d'une part, à la précédente, car elle apparaît le plus souvent à propos de groupes de licences portant sur des brevets expirant à des dates différentes et, d'autre part, à la suivante, lorsque les redevances sont basées sur les ventes totales. - Les redevances sur les ventes totales En général, on considère que le titulaire d'un brevet abuse de son droit lorsqu'il conditionne la concession d'une licence à l'acceptation, par le licencié, d'un paiement de redevances sur les ventes totales, sans qu'il soit tenu compte de l'utilisation effective du produit ou du procédé breveté. Mais une telle assiette peut être considérée comme licite, si c'est par convenance réciproque qu'elle a été adoptée et non par obligation faite au licencié. - La discrimination dans le choix des licenciés et dans le taux de redevances En règle générale, le titulaire d'un brevet est libre de choisir ses licenciés et de fixer le taux de redevances à sa guise. Cependant, des taux excessivement différents ou des refus de licencier, sans motifs crédibles, peuvent constituer un abus. - La fixation du prix de vente Le titulaire d'un brevet qui impose un prix de vente à son licencié abuse de son droit de brevet.

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- Les limitations territoriales et les contraintes de revente Le titulaire d'un brevet peut imposer une limitation territoriale dans la licence qu'il concède. Il est par exemple licite de limiter l'exploitation d'un brevet à l'Est du Mississipi. Mais le titulaire du brevet ne peut restreindre l'étendue territoriale lorsqu'il s'agit de la revente d'un produit breveté, après sa première vente. La vente autorisée d'un produit breveté épuise, en effet, le droit du breveté sur ce produit. Ainsi, celui qui acquiert un tel produit auprès du breveté ou de son licencié, peut-il utiliser ou revendre librement ce produit. - Domaine d'utilisation et limitation de clientèle Le titulaire d'un brevet peut imposer un domaine d'utilisation au licencié. Il ne s'agit pas d'un abus en soi. Mais il ne peut limiter le domaine d'utilisation après la première vente autorisée de l'objet breveté. - La rétrocession ("Grant-Back") Un contrat de licence peut prévoir que le licencié devra au concédant les droits de brevet que celui-ci pourra acquérir. Il peut s'agir de droits portant sur des perfectionnements de l'objet de la licence ou, plus largement, sur des inventions ayant un rapport avec l'objet de la licence. La Cour Suprême a estimé que de telles clauses ne constituaient pas, en soi, un abus ; mais le risque de violation des lois anti-trust n'est pas exclu dans certains cas. - Le refus d'exploiter ou de licencier De manière générale, le titulaire d'un brevet est libre de ne pas exploiter son invention et de ne pas en concéder de licence. Ce n'est que dans certains domaines très particuliers comme l'énergie atomique (Atomic Energy Act de 1970) ou l'environnement (Clean Act de 1970) qu'une licence peut être imposée au titulaire du brevet.

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Cependant, il est des cas où le refus de licencier peut être considéré comme abusif, comme dans l'affaire VITAMIN TECHNOLOGISTS v. WISCONSIN ALUMNI RESEARCH FOUNDATION. Un professeur de l'Université du Wisconsin avait inventé un procédé de production de la vitamine D. Le brevet avait été cédé à la Fondation WISCONSIN ALUMNI RESEARCH FOUNDATION, laquelle faisait exploiter l'invention pour enrichir le beurre en vitamine D. Pressée d'exploiter cette invention également pour la margarine qui, à l'époque (en 1945) était le "beurre du pauvre", ce qui aurait permis de combattre le rachitisme qui sévissait dans les couches défavorisées de la population américaine, la Fondation, insensible à cet argument humanitaire, s'y refusait et se bornait à enrichir le beurre en la précieuse vitamine, et, du même coup, à s'enrichir elle-même (7 millions de dollars de profit). La société VITAMIN TECHNOLOGISTS s'était mise alors à exploiter l'invention pour la margarine et s'était trouvé alors poursuivie en contrefaçon. Il apparut que le brevet était nul. Mais la Cour du 9ème Circuit souligna que la conduite du titulaire du brevet avait été si odieuse et si contraire à l'intérêt du public qu'elle lui aurait enlevé tout droit à réparation, à supposer que le brevet eût été valide. c) Les actes qui ne constituent pas un abus Après cette énumération d'actes susceptibles de conduire à des abus, on peut s'interroger légitimement sur ce qui reste au breveté pour exercer son droit par le biais d'une licence. L'article 35 USC 271, dans son alinéa d) répond à cette interrogation et énumère les cas où l'exception de "misuse" ne peut être soulevée pour échapper à la contrefaçon. Ne sont pas des abus les actes suivants :

d) 1) avoir tiré un revenu d'actes qui, s'ils étaient accomplis par autrui sans son consentement, constitueraient une contrefaçon indirecte du brevet ; 2) avoir accordé à autrui une licence ou une autorisation pour accomplir des actes qui,

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s'ils étaient accomplis sans son consentement, constitueraient une contrefaçon indirecte du brevet ; 3) s'être efforcé de défendre ses droits contre la contrefaçon ou la contrefaçon indirecte du brevet ; 4) avoir refusé d'accorder une licence sur le brevet ou d'utiliser un droit sur le brevet ; ou 5) avoir subordonné la licence d'un ou plusieurs droits sur le brevet ou la vente du produit breveté à l'obtention d'une licence sur les droits à un autre brevet ou à l'acquisition d'un autre produit à moins que, en raison des circonstances, le titulaire du brevet n'ait une position de pouvoir sur le marché correspondant pour le brevet ou le produit breveté auquel la licence ou la vente est subordonnée.

Remarque On n'aura pas manqué d'observer que certaines dispositions du Traité de Rome (art. 85 et 86) et certains arrêts de la Cour de Justice des Communautés Européennes vont dans le même sens que la jurisprudence américaine précédente. Cependant, si certaines clauses de contrats de licence sont également nulles de part et d'autre de l'Atlantique, aux Etats-Unis, les sanctions sont plus sévères qu'en Europe puisqu'elles s'étendent au brevet lui-même et le rendent inopposable. § 4. Le retard à engager l'action Une double exception peut être soulevée par le défendeur lorsque le titulaire du brevet a tardé à engager l'action en contrefaçon : la première ("laches") prive le titulaire du brevet de toute réparation pour les actes de contrefaçon commis avant l'introduction de l'action ; la seconde, plus sévère, empêche ("estoppel") le breveté d'obtenir réparation pour tout acte de contrefaçon, qu'il soit antérieur ou postérieur à l'introduction de l'action.

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Ces exceptions proviennent de l'ancien droit anglais de l'équité ("equity"). a) "Laches" L'exception de "laches" suppose que trois éléments soient réunis : un délai déraisonnable, l'absence d'excuses et un préjudice pour le défendeur (c'est-à-dire le présumé contrefacteur) : i) Le délai déraisonnable L'exception de "laches" peut être soulevée lorsque le titulaire du brevet a mis un délai "déraisonnable" pour intenter l'action en contrefaçon. Le caractère déraisonnable dépend des circonstances, mais les tribunaux retiennent souvent un délai de six ans, (qui est d'ailleurs le délai de prescription en matière de réparation (35 USC 286)). Le délai commence à courir du jour où le titulaire du brevet apprend, ou aurait dû apprendre, l'existence de la contrefaçon. Si la contrefaçon existe, mais si la preuve de celle-ci est difficile à apporter, le titulaire du brevet peut faire valoir qu'il ignorait la réalité de la contrefaçon, et peut introduire une action en justice alors que la contrefaçon était commise depuis plus de six ans. ii) L'absence d'excuses Le titulaire du brevet peut échapper à la sanction liée au délai déraisonnable en faisant valoir certaines excuses. Ainsi :

- l'existence d'autres litiges sur le même brevet, - l'engagement de véritables négociations avec le

défendeur, - la modestie de la contrefaçon à ses débuts qui

rendait inutile l'action en justice, peuvent constituer des excuses légitimes.

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Par contre, la pauvreté ou le désir de maintenir de bonnes relations avec le défendeur, ne constituent pas des excuses valables. iii) Le préjudice subi par le défendeur Pour que l'exception de "laches" soit retenue, il faut que le présumé contrefacteur prouve que le retard mis par le titulaire du brevet à le poursuivre lui a causé un préjudice. Il en est ainsi, par exemple, si :

- le présumé contrefacteur se trouve dans une moins bonne position pour défendre sa thèse (de non contrefaçon ou d'invalidité, etc...) par suite de la mort de certains témoins, de la disparition de certains documents, de l'oubli inévitable de certains faits,

- l'expansion de l'entreprise du présumé contrefacteur, son changement éventuel de position (rachat par une autre compagnie, etc...) ont rendu plus difficile sa défense.

Si le premier type de préjudice est largement reconnu par les tribunaux, le second est beaucoup plus controversé. b) L'"estoppel" L'exception dite d'"estoppel" est une exception d'irrecevabilité. Elle peut être invoquée lorsque le titulaire du brevet a manifesté expressément son intention de ne pas poursuivre le contrefacteur et que celui-ci, fort de cette assurance, a poursuivi son exploitation. La charge de la preuve appartient au défendeur, qui doit montrer en quoi le titulaire du brevet avait manifesté cette intention de ne pas poursuivre et prouver que c'était bien en raison de cette assurance qu'il s'était cru autorisé à exploiter l'invention brevetée. Si cette preuve est apportée, le titulaire du brevet ne peut obtenir réparation, ni pour les actes antérieurs à l'action ni pour les actes postérieurs.

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L'exception d'"estoppel" est beaucoup plus rare que celle de "laches". § 5. L'exception pour usage antérieur d'une "method of doing or conducting business" Un nouveau moyen de défense a été introduit dans l'article 35 USC 273 par la réforme de 2000. Après la décision de la "Court of Appeal for the Federal Circuit" dans l'affaire State Street Bank and Trust Co. v. Signature Financial Group Inc. (1998), où la Cour a reconnu qu'un système de traitement de données pour des services financiers était brevetable, nombre de sociétés, banques, services financiers, etc... se sont inquiété du risque de voir proliférer des poursuites judiciaires à leur encontre à propos de méthodes utilisées jusque là de manière secrète. Le Congrès a reconnu qu'il y avait là un problème sérieux qui n'était pas imputable à ces sociétés mais provenait des particularités de la loi américaine sur les brevets. En effet, ces sociétés avaient toujours estimé que ce type d'inventions n'étaient pas brevetables et elles avaient donc préféré les exploiter secrètement. Or, elles ne pouvaient plus les revendiquer valablement aujourd'hui, en dépit de la décision de la CAFC, car l'article 35 USC 102b sanctionne une exploitation publique par la perte du droit au brevet (cf. Titre II, Chap. I, Section I, §1d). Enfin, ces méthodes ayant été dissimulées ("concealed") elles ne s'opposent pas au droit d'un inventeur second (cf. Titre II, Chap. I, Section II) qui peut, lui, les breveter valablement. Pour tenir compte de ces difficultés propres aux méthodes "of doing or conducting business", le Congrès a imaginé un moyen de défense supplémentaire limité strictement à ce type d'inventions, et qui est une sorte d'exception de possession personnelle antérieure. Ce moyen peut être retenu si deux conditions sont remplies :

i) la personne désirant bénéficier de cette exception doit avoir mis en oeuvre l'invention

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("actual reduction to practice") au moins un an avant la date de dépôt effective du brevet qui lui est opposé,

ii) et elle doit l'avoir utilisée commercialement, de bonne foi, aux Etats-Unis, avant la date de dépôt effective du brevet opposé. Si l'utilisation a été abandonnée puis reprise, elle ne peut soutenir l'exception avant la date de l'abandon.

Ce moyen de défense est personnel mais peut être transféré en cas de cession ou de transfert de l'entreprise ou de l'activité. Ce droit, permettant à un utilisateur antérieur d'échapper aux prétentions d'un breveté, s'épuise si l'utilisateur vend un produit obtenu par ce procédé ("useful end product"). La disposition du nouvel article 35 USC 273 est entrée en vigueur le 29 novembre 1999. Ses conditions d'application ne sont pas encore parfaitement claires (que signifie "method", "business", ... ?) Observons que ce moyen de défense fondé sur une mise en œuvre et une utilisation antérieures n'est pas suffisant pour entraîner ipso facto l'invalidation du brevet opposé sous 35 USC 102a (pour connaissance ou usage public antérieur), ou sous 35 USC 102b (pour commercialisation ("on sale")) ou sous 35 USC 102g2 (pour invention antérieure faite par un tiers), parce que cette mise en œuvre et cette utilisation, si elles sont antérieures à la date de dépôt de la demande, ne sont pas nécessairement antérieures à la date de l'invention faite par le breveté. Par ailleurs, le présumé contrefacteur a pu abandonner pendant un temps son invention, cédant ainsi son droit au breveté (cf. la théorie de la perte du droit).

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SECTION III

LES SANCTIONS Aux termes mêmes de l'article 35 USC 281 :

"Tout titulaire de brevet peut demander, par la voie civile, une réparation fondée sur la contrefaçon de son brevet".

Il n'existe pas, aux Etats-Unis, de sanction pénale pour contrefaçon de brevet. La seule sanction pénale qui subsiste en cette matière vise la fabrication d'un faux brevet ("forgery" ou "counterfeiting") ou le marquage mensonger d'objets par la mention "patented" (cf 35 USC 292). La réparation offerte au titulaire du brevet trouve un double fondement dans le droit américain : en droit ("at law") et en équité ("in equity") :

- lorsque le tribunal siège en droit, il vise à réparer le préjudice subi par le titulaire du brevet en évaluant les gains perdus, ou en fixant une redevance raisonnable ;

- lorsqu'il siège en équité, il tente d'aller au-delà ; longtemps, il apprécia les profits iniques perçus par le contrefacteur afin de les restituer au titulaire du brevet ; mais l'évaluation des profits perçus par le contrefacteur dans les procès en équité soulevait de telles difficultés que le Congrès supprima cette disposition en 1946 pour les brevets (mais elle subsiste pour les "Design Patents" (cf 35 USC 289)) ; le tribunal peut aussi rendre une ordonnance ("injunction") dans le but de prévenir la violation d'un droit découlant d'un brevet, alors même qu'il n'y a pas encore de préjudice.

Les deux actions ("at law" et "in equity") sont complémentaires. Mais le titulaire d'un brevet ne

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peut justifier une demande en équité que s'il prouve qu'il ne peut obtenir réparation en droit ("at law"). La présente section analyse les deux types de sanctions ("remedies") prévus en étudiant d'abord les sanctions pécuniaires, puis l'interdiction ("injunction"). § 1. Les sanctions pécuniaires La première réparation due au titulaire d'un brevet contrefait est d'ordre pécuniaire et porte sur l'allocation de dommages-intérêts ("damages"). La règle est aujourd'hui codifiée dans l'article 35 USC 284 :

284. Dommages-intérêts Si le tribunal fait droit à l'action du demandeur, il lui alloue les dommages-intérêts permettant de le dédommager de la contrefaçon mais qui ne sont en aucun cas inférieurs à une redevance raisonnable pour l'utilisation de l'invention par le contrefacteur, ainsi que les intérêts et frais fixés par le tribunal. Si les dommages-intérêts ne sont pas fixés par un jury, ils le sont par le tribunal. Dans un cas comme dans l'autre, le tribunal peut les augmenter jusqu'au triple du montant fixé. Le tribunal peut entendre des experts pour l'assister dans la fixation du montant des dommages-intérêts ou de la redevance qui serait raisonnable en l'espèce.

On rappellera que les dommages-intérêts sont limités (cf Section I) à la période qui suit la notification, celle-ci pouvant être générale (par le marquage des objets brevetés) ou adressée directement au contrefacteur (notification). Les dommages-intérêts peuvent être fixés de trois manières différentes selon le mode d'exploitation du brevet par son titulaire : soit par évaluation du gain manqué, soit par référence à une redevance établie, soit encore par référence à une redevance raisonnable. La première estimation s'impose

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lorsque le titulaire du brevet (ou un licencié exclusif) exploite l'invention brevetée. La deuxième correspond au cas où le breveté n'exploite pas lui-même, mais a concédé une ou des licences à un taux de redevance déterminé. La dernière est utilisée lorsque le breveté n'exploite pas l'invention, ni par lui-même, ni par un licencié. a) Le gain manqué Le titulaire d'un brevet peut se voir allouer des dommages-intérêts correspondant au gain manqué ("lost profits") du fait de la contrefaçon. A cet égard, la loi américaine n'offre guère de particularités. On peut se borner à observer que le titulaire du brevet doit prouver un lien de causalité entre la contrefaçon du brevet et le profit perdu, et qu'il doit estimer ce profit perdu. Comme partout ailleurs, se pose aux Etats-Unis, le difficile problème de l'évaluation du gain manqué lorsque l'invention porte sur un perfectionnement : c'est le problème du tout commercial ("whole market value"). b) La redevance établie La redevance établie ("established royalty") est celle que paient des licenciés au titulaire du brevet, conformément à des contrats de licences librement négociés et acceptés. Cette manière de mesurer le dommage subi par le titulaire du brevet l'emporte sur les prétentions de ce même titulaire relatives à un gain manqué. Ainsi, dans SEYMOUR v. McCORMICK, qui est la première décision de la Cour Suprême ayant analysé l'évaluation des dommages-intérêts en cas de contrefaçon (1853), le jury du tribunal de District avait accordé au breveté McCORMICK la somme de 17 306 $ de dommages-intérêts pour compenser les ventes soi-disant perdues par lui. Mais McCORMICK avait consenti des licences au taux de 30 $ par machine fabriquées. Comme le contrefacteur avait vendu 300 machines, les dommages-intérêts calculés sur cette redevance établie s'élevaient donc

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à 9 000 $ et non à 17 306. C'est le premier montant qui fut retenu et non le second. Le recours à une redevance établie suppose que plusieurs conditions soient remplies. La redevance : - doit avoir été payée ou au moins fixée avant la

plainte en justice, - doit avoir été payée par un nombre suffisant de

licenciés pour que son caractère "établi" soit reconnu (une seule licence ne suffit pas en général),

- doit être uniforme, - ne doit pas avoir été imposée sous la menace d'une

action en justice ou pour mettre fin à un litige, - doit porter sur des droits comparables à ceux qui

sont en cause dans la contrefaçon. Si ces conditions sont remplies, la redevance établie fixe à coup sûr une réparation minimale pour le titulaire du brevet. La question de savoir si elle définit une réparation maximale est beaucoup plus complexe et dépend des cas d'espèces. c) La redevance raisonnable Si le titulaire du brevet ne peut prouver un gain manqué, ou ne peut faire valoir une redevance établie, il peut tout de même obtenir réparation en se référant à une redevance "raisonnable" ("reasonable royalty"). Aux termes mêmes de l'article 35 USC 284, les dommages-intérêts ne seront alors en aucun cas inférieurs à cette redevance raisonnable. Les tribunaux définissent la redevance raisonnable comme celle qui aurait résulté d'une négociation hypothétique et volontaire entre le titulaire du brevet et un utilisateur potentiel de l'invention brevetée. De nombreux facteurs entrent en jeu pour évaluer cette redevance. Ils se rangent dans deux catégories : l'une, relative aux conditions générales du marché dans l'industrie en cause (existence de licences antérieures sur des brevets comparables, politique du breveté en matière de licences, etc...),

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l'autre, liée aux développements ultérieurs prévisibles de l'invention brevetée (profits prévisibles, bénéfices annexes, perfectionnements à venir, etc...). Comme le précise le dernier alinéa de l'article 35 USC 284, le tribunal peut entendre des experts pour l'assister dans la fixation de la redevance raisonnable. Rappelons que depuis le 29 novembre 2000, date d'entrée en vigueur de la disposition prévoyant la publication à 18 mois des demandes, le breveté peut prétendre à une redevance raisonnable dès la publication de la demande, à condition qu'il ait notifié cette demande au présumé contrefacteur et qu'il y ait quasi-identité entre l'invention finalement brevetée et l'invention revendiquée dans la demande publiée. Cette possibilité s'étend aux demandes PCT désignant les Etats-Unis mais à condition qu'elles soient publiées en langue anglaise. d) Les évaluations annexes Conformément à l'article 35 USC 284, le tribunal peut ajouter aux indemnités principales dédommageant le titulaire du brevet des sommes annexes ("collateral assessments") correspondant soit aux intérêts des indemnités pour la période antérieure au jugement, soit à l'augmentation des dommages-intérêts, soit enfin aux remboursements des frais d'avocat. i) Les intérêts pour la période antérieure au jugement La question des intérêts des sommes allouées a été longtemps controversée. Mais aujourd'hui, l'article 35 USC 284 prévoit explicitement que le tribunal peut allouer de tels intérêts pour la période antérieure au jugement. Cet aspect de la sanction peut être particulièrement important lorsque le procès s'éternise (comme c'est parfois le cas aux Etats-Unis) car la période portant intérêt s'allonge d'autant. Un exemple spectaculaire a été donné dans GENERAL MOTORS

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CORP. v. DEVEX CORP. où le procès, commencé en 1946, ne s'est achevé qu'en 1983. Le contrefacteur (DEVEX) ayant été condamné à 8 813 945 $ au titre des dommages-intérêts calculés sur la base d'une redevance raisonnable, les intérêts se sont élevés à 11 022 854 $, c'est-à-dire au-delà des dommages-intérêts eux-mêmes. La Cour d'Appel du 3ème Circuit a confirmé le jugement en 1981 et la Cour Suprême également en 1983. Dans l'affaire ayant opposé POLAROID à KODAK, cette dernière société a été condamnée à 900 millions de dollars dont la moitié (450) correspondait aux intérêts. ii) L'augmentation des dommages-intérêts Si le principe de la réparation du préjudice subi par le breveté est sans surprise, en revanche, la possibilité de voir les dommages-intérêts augmentés jusqu'au triple de leur montant, est une disposition typiquement américaine. A l'origine, la loi de 1793 exigeait le triplement des dommages-intérêts. Mais la loi de 1836 atténua la disposition en la laissant à la discrétion du tribunal. Aujourd'hui, l'article 35 USC 284, dans son alinéa 2, prévoit que le tribunal "peut" augmenter les dommages-intérêts. Il faut rappeler que, dans une action "at law", c'est le jury qui fixe les dommages-intérêts réels et que c'est le juge qui, éventuellement, les augmente compte tenu des circonstances de l'espèce. En équité, et donc en l'absence de jury, c'est le juge qui fixe les dommages-intérêts réels et qui détermine l'augmentation éventuelle de ceux-ci. Cette disposition est essentiellement dissuasive. En son absence, le contrefacteur aurait "intérêt" à refuser toute proposition de licence, même raisonnable, puisqu'en cas de condamnation pour contrefaçon, il serait assuré de n'avoir à payer que la redevance raisonnable qui lui avait été offerte. Ainsi, au pire se retrouverait-il dans la position d'un licencié. Mais la disposition de l'article 35 USC 284 a également pour but d'indemniser totalement le breveté pour un préjudice qui reste souvent difficile à apprécier et surtout à prouver (dépenses annexes,

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frais divers liés à la contrefaçon, au procès, etc...). Cette sanction exceptionnelle n'est toutefois prononcée que si la contrefaçon est volontaire ("willfull infringement"). Il en est ainsi lorsque le défendeur, connaissant le brevet et le risque de contrefaçon encouru, s'est engagé ou s'est maintenu dans la contrefaçon, sans prendre l'avis d'un spécialiste en la matière ou en s'appuyant sur un avis inconsistant (incomplet, superficiel) ou en dépit d'un avis autorisé le mettant en garde contre les risques de contrefaçon. En 1983, la CAFC a rendu un arrêt exemplaire à ce sujet, dans UNDERWATER DEVICES INC. v. MORRISON-KNUDSEN CO. Le défendeur avait été averti par le breveté de l'existence d'un brevet et de la contrefaçon de celui-ci, lors d'une adjudication pour une installation de conduites d'égout sous l'eau. Le breveté demandait 200 000 $ de redevance pour le projet. Le défendeur, après s'être vu confier la charge de réaliser le projet, avait pris conseil auprès d'un employé de la société. Celui-ci avait estimé, assez légèrement, que le brevet était nul et que, de toute façon, les tribunaux rejetaient les griefs de contrefaçon à 80%. Sur ce "conseil", la société s'était cru fondée à se lancer dans le projet et avait refusé de payer la redevance de 200 000 $ demandée par le breveté. Mal lui en a pris. La CAFC jugea d'abord que le défendeur était en parfaite connaissance de cause. Elle observa ensuite que l'employé auquel le défendeur avait eu recours n'était pas un "Patent Attorney" et n'avait même pas examiné le dossier d'examen du brevet ("file history") pour fonder son opinion ; celle-ci se bornait à des remarques péremptoires dénuées de justification. La redevance "raisonnable" ayant été fixée à 200 000 $ (somme qui avait été proposée par le breveté), la Cour estima que, devant tant de désinvolture, cette somme devait être triplée. En revanche, si le contrefacteur a suivi les conseils d'un spécialiste averti, dont l'opinion concluait à la nullité du brevet ou à l'absence de contrefaçon, le contrefacteur pourra être considéré

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comme ayant été de bonne foi et pourra échapper à la sanction. Il faut observer enfin que le triplement des dommages-intérêts est un cas extrême. L'article 35 USC 283 stipule, en effet, que le tribunal peut augmenter les dommages-intérêts "jusqu'au triple du montant fixé". En pratique, l'augmentation peut être inférieure : par exemple 50% ou 125% ou le double, ou même consister en une somme forfaitaire. iii) Les frais d'avocat Le tribunal peut accorder le remboursement des frais d'avocat conformément à l'article 35 USC 285 :

Dans des cas exceptionnels, le tribunal peut allouer à la partie gagnante les frais d'avocats dans une mesure raisonnable.

Ces frais sont alloués à la partie gagnante ("prevailing party"). Il peut s'agir du demandeur (à savoir le breveté dont le brevet a été jugé valide et contrefait), ou du défendeur (à savoir le présumé contrefacteur lorsque le brevet a été jugé nul ou non contrefait). De tels frais d'avocat ne peuvent être alloués que dans des cas exceptionnels. Si la partie gagnante est le titulaire du brevet, le caractère exceptionnel peut correspondre à une contrefaçon volontaire et délibérée ou à un moyen de défense pour usage antérieur qui s'est révèlé être sans fondement raisonnable (35 USC 273-b(8)) ; si la partie gagnante est le présumé contrefacteur, le caractère exceptionnel correspond à une conduite inéquitable du breveté ("inequitable conduct") dans l'obtention du brevet ou dans la poursuite du litige. La preuve du caractère exceptionnel de l'affaire incombe naturellement à la partie qui requiert l'allocation des frais d'avocat. iv) Les frais divers Le tribunal peut accorder également des frais ("costs") au demandeur.

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Selon une disposition prévue à l'article 35 USC 288, ces frais ne sont pas alloués si le brevet contient une revendication nulle et si une renonciation ("disclaimer") à la revendication nulle n'a pas été enregistrée à l'Office des brevets avant l'introduction de l'action. § 2. L'interdiction La loi permet aux tribunaux compétents, c'est-à-dire, en l'occurrence, aux tribunaux fédéraux, de délivrer des ordonnances ou "injunctions" pour prévenir la violation d'un droit de brevet. L'article 35 USC 283 dispose ainsi :

283. Ordonnance (injunction) Les tribunaux compétents pour juger des affaires fondées sur le présent Titre peuvent rendre des ordonnances selon les principes de l'équité dans le but de prévenir la violation d'un droit découlant d'un brevet, aux conditions que le tribunal juge raisonnables.

Une ordonnance visant à interdire des actes de contrefaçon relève de l'équité. Elle n'est donc jamais décidée par un jury mais seulement par un tribunal siégeant en équité, donc par un juge. Cette interdiction peut être préliminaire ("preliminary injunction"), c'est-à-dire rendue avant ou pendant une action en justice, ou permanente ("permanent injunction"), c'est-à-dire après qu'une décision sur le fond a été rendue. a) L'interdiction préliminaire ("preliminary injunction") Le titulaire d'un brevet peut obtenir une ordonnance préliminaire interdisant à un tiers une activité contrefaisante. Mais cette ordonnance reste exceptionnelle et soumise à des conditions strictes :

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i) Le titre Le plaignant doit faire la preuve qu'il est titulaire d'un brevet, soit en tant que breveté original, soit en tant que cessionnaire ou licencié exclusif. Dans ce dernier cas, le titulaire du brevet doit se joindre à l'action (cf. Section I, § 1 sur le droit d'agir). ii) La validité du titre Un brevet est présumé valide (35 USC 282). Cependant, le caractère Ex parte de la procédure d'examen auprès de l'Office des brevets ne donne pas toutes les garanties à cet égard. En pratique, pour obtenir une ordonnance d'interdiction préliminaire, le titulaire du brevet doit apporter une démonstration claire ("clear showing") de la validité du brevet. Pour cela, il peut s'appuyer sur un jugement précédent ayant reconnu la validité du titre ou sur une exploitation longue et paisible équivalant à un acquiescement implicite des tiers. iii) La réalité de la contrefaçon La réalité de la contrefaçon doit être prouvée par une analyse détaillée de la portée des revendications du brevet de l'objet de la contrefaçon, et par une comparaison entre l'objet de la contrefaçon et la portée du brevet. La conclusion tirée ne doit pas faire de doute ("beyond question") ou être raisonnablement claire ("reasonably clear"). iv) Le préjudice irréparable Le demandeur doit prouver que si l'ordonnance d'interdiction est refusée, il subira un préjudice irréparable ("irreparable harm"). Ce caractère irréparable peut découler de diverses situations :

- incapacité du contrefacteur à dédommager financièrement le breveté,

- impossibilité de calculer les dommages-intérêts,

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- incitation d'autres personnes à contrefaire, ce qui entraînerait le breveté à multiplier les actions en justice.

v) L'équilibre de l'équité Lorsque le titulaire a prouvé son titre, sa validité, la contrefaçon et le caractère irréparable du préjudice, le tribunal pèse les différents avantages et inconvénients qui résulteraient de l'accord ou du refus de l'ordonnance, à la fois pour les deux parties et pour le public ; il prend alors la décision qui lui semble la plus équitable. b) L'interdiction permanente Lorsque le tribunal a déjà tranché la question de la validité du brevet et celle de la contrefaçon et qu'il a fait droit à l'action du demandeur, il peut accompagner la sanction pécuniaire d'une sanction d'interdiction permanente de poursuite des actes de contrefaçon. Cette sanction est naturelle puisqu'elle découle de la nature même du droit de brevet, qui est celui d'exclure les tiers. Toutefois, le juge ne la rend pas systématiquement. Il peut laisser au contrefacteur l'usage de l'objet contrefaisant mais en lui imposant de dédommager le breveté. La violation d'une ordonnance d'interdiction est un acte particulièrement grave, considéré comme outrage à un tribunal ("contempt of court"). La réparation d'un tel outrage peut conduire à un triplement des dommages-intérêts, et à tous autres frais et amendes laissés à la discrétion du tribunal.

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CHAPITRE IV

L'ACTION EN JUGEMENT DECLARATOIRE ("DECLARATORY JUDGEMENT")

§ 1. Nature de l'action L'action en jugement déclaratoire trouve son fondement légal dans la loi dite "Declaratory Judgement Act" de 1934. L'action en jugement déclaratoire est, d'une certaine manière, inverse de l'action en contrefaçon : le présumé contrefacteur, au lieu d'être le défendeur, est le plaignant ("plaintiff") et le breveté, au lieu d'être le plaignant, est le défendeur. Dans cette action, le plaignant (le présumé contrefacteur) cherche à faire déclarer par le tribunal que le brevet qui le menace est nul et/ou qu'il n'y a pas contrefaçon. § 2. Compétence a) En raison de la matière L'action en jugement déclaratoire est de la compétence des tribunaux fédéraux comme pour la contrefaçon. Le différend soulevé est en effet fondé sur la loi des brevets, et, à ce titre, les tribunaux fédéraux sont compétents, puisque cette loi est une loi fédérale. b) En raison du lieu Le plaignant introduit l'action en jugement déclaratoire auprès du tribunal fédéral du District où il réside ou du District où il possède un établissement commercial.

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§ 3. Les conditions de l'action a) Existence d'un différend Pour que l'action en jugement déclaratoire soit possible, il est nécessaire qu'il y ait un différend effectif entre les parties ("actual controversy"). Le terme "controversy" vient de la Constitution des Etats-Unis, qui, dans son article III, stipule que les tribunaux fédéraux voient leur compétence limitée aux "cases" (causes, affaires) et aux "controversies" (différends). Ainsi, ne serait-il pas possible à un industriel américain de demander un jugement déclaratoire de non contrefaçon d'un brevet, comme on demanderait une opinion à un expert, alors même que le breveté n'aurait jamais manifesté son intention de poursuivre l'industriel. b) nature du différend Les tribunaux reconnaissent généralement qu'il y a différend ("controversy") lorsque deux conditions sont remplies : i) Il doit y avoir menace d'action en contrefaçon effective ("actual") ou implicite de la part du breveté. Les tribunaux apprécient cette menace selon les circonstances de l'espèce. Cette menace peut être prouvée par des actions en contrefaçon antérieures entre les deux parties, des menaces de la part du breveté auprès de clients, des procès déjà intentés contre des clients, des avertissements publiés dans la presse spécialisée, des déclarations faites par le breveté lors de négociations, des procès en contrefaçon introduits à l'étranger sur la base de brevets correspondants. Ainsi, un procès en contrefaçon introduit en France par un breveté français à l'encontre d'une société américaine ayant une activité en France, peut justifier une action en jugement déclaratoire aux Etats-Unis de la part de la société américaine, si le breveté français a menacé de faire également valoir ses droits sur le brevet américain. Mais certains faits sont réputés

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insuffisants pour créer une véritable menace, comme par exemple le simple achat par le breveté du produit présumé contrefait, ou des menaces proférées par un tiers qui n'a pas qualité pour agir en contrefaçon. ii) Le plaignant doit avoir l'intention immédiate ou la possibilité de s'engager dans une activité potentiellement contrefaisante. Le plaignant peut être déjà en train de fabriquer, d'utiliser, d'offrir en vente, de vendre ou d'importer le produit susceptible d'être contrefaisant. Le plaignant peut être aussi engagé dans des actions de fourniture de moyens. Il ne suffit pas, en général, que le plaignant ait l'intention de mettre sur le marché un produit pouvant avoir une certaine structure, des essais restant à effectuer qui pourraient amener à modifier la structure du produit. En d'autres termes, la préparation d'échantillons expérimentaux peut ne pas être suffisante pour justifier un jugement déclaratoire. § 4. Les parties Si la partie plaignante est incontestablement la partie qui est menacée d'une action en contrefaçon, la partie en défense est définie moins nettement. Naturellement, dans la plupart des cas, il s'agira du breveté. Mais il pourrait s'agir aussi d'un licencié exclusif, agissant pour le compte du breveté. La question est de savoir si la qualité pour agir dans une action en jugement déclaratoire peut être assimilée à la qualité pour agir en contrefaçon (breveté-cessionnaire-licencié exclusif). Un breveté peut-il introduire une action en jugement déclaratoire ? La question n'est pas clairement tranchée. En principe, le "Declaratory Judgement Act" ne l'interdit pas, dès lors qu'il existe un différend entre deux parties. Mais de nombreux tribunaux se déclarent incompétents, en raison de ce que le breveté peut agir en justice par la voie de l'action en contrefaçon et qu'il n'y a donc pas lieu de lui offrir ce second moyen de réparation.

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CHAPITRE V

L'ITC (“INTERNATIONAL TRADE COMMISSION”)

L'industriel américain titulaire de droits de brevets qui veut se protéger contre des importations concurrentes, n'a pas que l'action en contrefaçon comme moyen de défense. Il peut agir également auprès d'une Commission gouvernementale, créée en 1974 pour appliquer l'article 19 USC 1.337 du "Tariff Act" (loi sur les tarifs douaniers) de 1930. Cette Commission, siégeant à Washington D.C., est l'"International Trade Commission" ou ITC en abrégé. Elle est chargée d'enquêter sur les agissements relevant de la concurrence déloyale et de faire cesser de tels agissements. Suite aux accords GATT de 1994, l’action devant l’ITC a été ouverte aux importateurs aux Etats-Unis titulaires de droits de brevets. On peut analyser cette procédure particulière en étudiant d'abord les conditions auxquelles est soumise l'action auprès de l'ITC pour dégager ensuite son intérêt.

SECTION I

LES CONDITIONS DE L'ACTION On peut distinguer les conditions de fond et les conditions de forme.

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§ 1. Les conditions de fond L'article 35 USC 1.337 (ou article 337 en abrégé) définit les actes autorisant l'ouverture d'une enquête ("investigation"), les conditions économiques à remplir pour qu'il y ait concurrence déloyale, la nature des décisions que peut prendre l'ITC et enfin les moyens de défense offerts au défendeur. a) Les actes autorisant l'ouverture d'une enquête Ces actes sont l'importation de produits ou articles et leur vente sur le territoire américain. L'article 337 ne se limite pas au cas où ces produits sont protégés par des droits de brevets. Mais c'est dans ce cas que la Commission intervient le plus souvent, car il est explicitement prévu, dans le paragraphe 337a, que l'importation d'un produit fabriqué à l'étranger selon un procédé breveté aux Etats-Unis est un acte de concurrence déloyale au sens de l'article 337. C'est par ce seul biais que les industriels américains pouvaient, avant la réforme de 1988 de la loi sur les brevets, lutter contre de telles importations. On a vu, dans le chapitre du cours consacré aux actes de contrefaçon, que l'article 35 USC 271 qualifie aujourd'hui d'acte de contrefaçon une telle importation. L'industriel américain possède donc maintenant deux moyens d'action, l'un auprès de l'ITC (comme autrefois), l'autre auprès des tribunaux fédéraux (action en contrefaçon). b) Les cas de concurrence déloyale L'article 337 définit les conditions dans lesquelles il peut y avoir concurrence déloyale. Ces conditions sont au nombre de trois :

i) une industrie nationale américaine doit exister pour le produit importé,

ii) cette industrie doit fonctionner de manière économique et efficace,

iii) cette industrie doit subir un préjudice grave ou risquer d'être détruite, ou risquer

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de subir un préjudice grave, du fait des agissements incriminés.

Si une telle industrie nationale américaine n'existe pas, il peut néanmoins y avoir concurrence déloyale si les agissements incriminés font obstacle à l'établissement d'une industrie nationale. Suite aux accords GATT de 1994, la définition d’une “industrie nationale américaine” a été élargie aux importateurs aux Etats-Unis pour permettre à ces derniers d’agir devant l’ITC. c) Les décisions prises par l'ITC La Commission peut prendre trois types de décisions (ou "orders") :

- l'exclusion temporaire ("temporary exclusion order") interdisant l'importation des articles incriminés pendant l'enquête de l'ITC ;

- l'exclusion ("exclusion order") interdisant l'importation de tous les produits visés (quels que soient les importateurs) ;

- l'interdiction de poursuivre la vente des produits déjà introduits sur le territoire américain ("cease and desist order").

Aucune réparation financière ne peut être accordée au plaignant. Les décisions de l'ITC peuvent faire l'objet d'un appel auprès de la "Court of Appeals for the Federal Circuit" (CAFC) comme pour les décisions des tribunaux fédéraux en matière de contrefaçon. d) Les moyens de défense Les moyens de défense offerts au défendeur ("respondent") sont de deux types, selon qu'il s'agit des moyens traditionnels soulevés dans une action en contrefaçon ou de moyens fondés plus spécialement sur les conditions économiques imposées au plaignant :

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- l'abus ("misuse") dans la concession de licences de la part du breveté.

i) Les moyens traditionnels Chaque fois que l'action intentée auprès de l'ITC se fonde sur l'existence de brevets, le défendeur peut soulever la plupart des moyens de défense dont il disposerait auprès des tribunaux fédéraux, à savoir :

- la nullité du brevet, - l'absence de contrefaçon, - la conduite inéquitable du breveté auprès de

l'Office,

Cependant, l'exception de retard à engager l'action ("laches") est sans effet. L'ITC peut remédier à la concurrence déloyale, à tout instant, même après retard à engager l'action. ii) Les moyens liés à l'exploitation industrielle du plaignant Le défendeur peut contester les allégations du plaignant relatives aux conditions d'exploitation des produits visés. Le défendeur peut tenter de prouver :

- qu'il n'existe pas d'industrie nationale américaine, parce que le plaignant n'exploite pas l'invention, ni par lui-même ni par des licenciés,

- que le plaignant travaille dans des conditions techniquement dépassées et non compétitives,

- que le plaignant ne subit aucun préjudice notamment en raison de la faible part du marché qu'il occupe. L'augmentation de ses ventes et de ses profits, en dépit de l'importation visée, est un indice d'absence de préjudice.

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§ 2. Les conditions de forme L'ITC est une agence administrative dépendant du gouvernement fédéral américain. Elle comprend six Commissaires siégeant en collège. La procédure devant l'ITC relève du Code de procédure administrative. L'article 337 exige que l'ITC rende sa décision dans les 12 mois qui suivent l'introduction de l'action ou, exceptionnellement, dans les 18 mois lorsque le cas est difficile. Ce délai est donc particulièrement court (en comparaison des années requises dans un procès en contrefaçon). Les principales étapes de la procédure sont les suivantes :

- Dépôt d'une plainte. Dans les 30 jours qui suivent, la Commission doit décider si elle ouvre ou non une enquête.

- Publication d'un avis d'enquête ("investigation").

- Réponse brève du défendeur dans les 20 jours. - Période d'investigation inquisitoire

("discovery"). Cette investigation doit être achevée dans les 5 mois qui suivent la publication de l'avis d'enquête.

- Audience dans les 7 mois. - Recommandation faite par le Président de la

Commission. - Décision définitive de la Commission à la fin

du 12ème mois. - Le Président des Etats-Unis a 60 jours pour

désapprouver éventuellement la décision de la Commission. En l'absence de désapprobation du Président, la décision de la Commission est définitive.

On voit que cette procédure est menée rondement. En particulier, la phase de "discovery" doit être achevée en 5 mois. Comme la "discovery" des procès en contrefaçon, elle consiste en interrogatoires, dépositions d'employés, requêtes en production de divers documents, objets, appareils, et inspections d'usines, ateliers et installations.

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Cette véritable inquisition s'étend aux installations sises à l'étranger, ce qui peut poser de sérieux problèmes. Il faut savoir cependant que le refus de délivrer les documents requis ou de recevoir les enquêteurs est sanctionné par la Commission qui tient dès lors pour acquises les allégations du plaignant.

SECTION II

L'INTERET DE L'ACTION Le recours à l'ITC présente d'incontestables avantages pour l'industriel américain, par rapport à l'action traditionnelle en contrefaçon. Mais elle comporte aussi quelques inconvénients. § 1. Les avantages On peut citer brièvement les avantages suivants pour le plaignant :

a) Le délai de 12 mois imposé à l'ITC pour rendre sa décision et surtout le délai de 5 mois accordé à la procédure de Discovery, impose une pression considérable au défendeur, qui ne s'attendait généralement pas à une attaque aussi foudroyante et doit organiser très rapidement sa défense.

b) Le plaignant peut obtenir immédiatement une

interdiction temporaire d'importation et, dans les 12 mois, une interdiction définitive d'importation, ce qui peut être catastrophique pour le défendeur.

c) La décision de l'ITC a un caractère absolu :

elle vise les produits concurrents, quels que

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soient leurs importateurs. En une seule action, l'industriel américain se protège contre toutes les importations concurrentes. Les Américains qualifient les effets absolus de telles décisions de "in rem" par opposition à "in personam". Ces décisions sont d'ailleurs identifiées par les produits qu'elles visent et non par les Sociétés incriminées. On trouve par exemple comme décisions : "Certain Novelty Glasses", "Certain Double-Sided Floppy Disk Drives", "Certain Surveying Devices", etc... Notons qu'un tribunal fédéral ne pourrait prendre une sanction "in rem" car, selon la Constitution américaine (5ème amendement), une personne ne peut faire l'objet d'une sanction judiciaire sans garanties légales ("without due process of Law"), lesquelles consistent au moins en une signification et une audience. Or, la condamnation de l'ITC peut toucher des importateurs qui n'ont même pas été avertis de l'action intentée auprès de l'ITC.

d) Le défendeur n'a pas la possibilité

d'introduire une demande reconventionnelle ("counter-claim"). Il ne peut que se défendre et ne peut pas contre-attaquer.

e) Le plaignant n'épuise en rien son droit à

réparation à travers les tribunaux fédéraux par une action ultérieure en contrefaçon. La règle "Res Judicata" qui s'applique aux décisions des tribunaux (autorité de la chose jugée) ne s'applique pas aux décisions de l'ITC. Un défendeur qui l'a emporté devant l'ITC peut néanmoins se retrouver ultérieurement engagé dans un procès en contrefaçon auprès d'un tribunal fédéral pour la même affaire et contre la même partie (mais l'ordre inverse est impossible : une décision d'un tribunal fédéral empêchera une action ultérieure auprès de l'ITC).

f) La Commission semble plus indulgente à l'égard

des abus du breveté ("misuse") que ne le sont les tribunaux.

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g) Lorsque l'action porte sur des sujets techniquement difficiles (électronique, biologie), l'ITC semble plus compétente qu'un tribunal de District.

§ 2. Les inconvénients

a) Le plaignant doit prouver qu'il remplit les trois conditions de caractère économique visées plus haut (industrie nationale, viabilité et préjudice subi). Le défendeur peut espérer convaincre la Commission que l'une au moins de ces trois conditions n'est pas remplie.

b) L'égalité dans le vote de la Commission

profite au défendeur. Comme la Commission comprend six membres, en cas de résultat nul (3 contre 3), la plainte est repoussée. Le plaignant doit donc convaincre au moins 4 membres de la Commission pour l'emporter, alors que le défendeur peut n'en convaincre que 3.

c) Le plaignant ne peut être dédommagé

financièrement. C'est en raison de ces inconvénients que le Congrès avait modifié, en 1988, d'une part, la loi sur l'importation des produits obtenus par des procédés brevetés aux Etats-Unis pour donner aux industriels américains un moyen supplémentaire de lutter contre de tels produits et, d'autre part, la procédure devant l'ITC. A cet égard, il n'est plus demandé au plaignant de prouver qu'il subit un préjudice, lorsque l'importation visée contrefait un brevet valable et opposable aux tiers. Il suffit dans ce cas que le plaignant prouve qu'une industrie existe. que les exigences de caractère économique ont été adoucies pour les titulaires de brevets. L'enjeu économique de toutes ces questions est considérable car la protection des procédés est devenue vitale dans certaines industries comme la

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pharmacie, l'électronique et surtout la biotechnologie. L'ITC, dans une étude générale sur la propriété intellectuelle, avait estimé à 40 à 60 milliards de dollars par an la perte subie par les Etats-Unis du fait des contrefaçons commises par les étrangers (ce qui représente 1% du produit national rut). b

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CONCLUSION GENERALE

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Il est indéniable que le droit américain des brevets est complexe. Il l'est sans doute davantage que le nôtre. Mais ce droit reste passionnant et cela à plusieurs titres : - il n'est pas une fin en soi, ce qui le rendrait

académique, mais un moyen : celui de promouvoir le progrès et d'assurer le bonheur du peuple américain ; à cet égard, il est intimement lié au développement de la nation américaine ;

- il ne s'applique jamais mécaniquement : il prend en

compte le comportement des personnes, l'intérêt du public, la valeur des inventions ; il relève alors de l'équité, voire de la morale sociale ;

- il s'appuie sur deux siècles de jurisprudence, et

notamment sur maints arrêts de la Cour Suprême des Etats-Unis, ce qui lui donne une remarquable continuité ;

- son histoire éclaire souvent celle de notre droit :

bien des dispositions de notre loi, sans qu'on le sache toujours, ont été inspirées par le droit américain.

On notera pour finir un paradoxe du droit américain des brevets. Alors qu'il prend sa source dans la "Common Law", qui est, par essence, conservatrice puisque fondée sur l'autorité des précédents, le droit américain évolue sans cesse et s'adapte aux circonstances. On a vu ainsi les critères de brevetabilité se modifier pour que puissent être protégées les nouvelles techniques (micro-organismes, procédés informatiques, espèces vivantes ...) ;

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l'exploitation du droit de brevet se plier aux nouvelles exigences économiques (lois anti-trust, Organisation Mondiale du Commerce ...) ; la doctrine évoluer sans cesse (sur les équivalents, le rôle du jury, ...). Cette vie intense et animée révèle l'intérêt constant que les Américains portent aux brevets. Elle illustre leur foi inébranlable dans le rôle moteur que jouent les brevets dans le progrès des sciences et des techniques, aux termes même de la Constitution que les pères fondateurs de l'Union élaborèrent il y a plus de deux siècles.

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COURS DE DROIT AMERICAIN DES BREVETS p 1 INTRODUCTION p.3 CHAPITRE I : Origine du droit américain des brevets Section I : Les Lettres Patentes Section II : Le nouveau droit américain p.11 CHAPITRE II : Généralités sur le droit américain Section I : Les institutions judiciaires Section II : Les institutions législatives p.23 PLAN DU COURS p.27 PREMIERE PARTIE : L'OBTENTION DU BREVET p.31 TITRE I : Le droit au brevet p.35 CHAPITRE I : Le titulaire du droit au brevet Section I : L'inventeur authentique Section II : Les coïnventeurs Section III : L'entité inventive p.43 CHAPITRE II : L'objet du droit au brevet Section I : Les inventions brevetables Section II : Les inventions non brevetables p.57 CHAPITRE III : La condition d'utilité Section I : L'invention utile Section II : Le défaut d'utilité p.65 CHAPITRE IV : La condition de nouveauté Section I : Les règles générales Section II : Les faits destructeurs de nouveauté Section III : L'antériorité de l'invention p.85 CHAPITRE V : La condition de non-évidence Section I : Définition de la condition de non-évidence Section II : L'art antérieur Section III : Appréciation de la non-évidence p.103 CHAPITRE VI : Les effets du droit de priorité unioniste Section I : Le principe du droit de priorité selon la Convention de Paris Section II : Les effets pour le titulaire du droit Section III : Les effets pour les tiers

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p.113 TITRE II : Les modalités d'obtention du brevet p.117 CHAPITRE I : La perte du droit au brevet Section I : Perte du droit selon l'article 35 USC 102b Section II : Perte du droit selon l'article 35 USC 102c Section III : Perte du droit selon l'article 35 USC 102d p.135 CHAPITRE II : Le mémoire descriptif Section I : l'exigence de description de l'invention Section II : L'exigence de description des moyens de mise en oeuvre Section III : L'exigence de description de la meilleure manière ("best mode") p.151 CHAPITRE III : Les revendications Section I : La fonction des revendications Section II : La forme des revendications p.163 CHAPITRE IV : Les procédures devant l'Office Section I : La procédure de délivrance Section II : Rejets, objections, exigences Section III : La procédure d'interférence Section IV : Les demandes successives Section V : Le réexamen Section VI : le devoir de franchise ("duty of candor") p.203 SECONDE PARTIE : L'EXPLOITATION DU DROIT DE BREVET p.209 TITRE I : Les opérations relatives au droit de brevet p.213 CHAPITRE I : La cession de brevet Section I : Les conditions de la cession Section II : Les effets de la cession Section III : La cession de l'employé à l'employeur p.219 CHAPITRE II : La concession de licence Section I : Les conditions de la licence Section II : Les effets de la licence Section III : La doctrine du "Shop Right" p.227 CHAPITRE III : La législation anti-trust Section I : Le fondement légal Section II : Application Section III : Législation anti-trust et doctrine de l'abus ("misuse")

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p.233 TITRE II : L’exercice du droit d’interdire p.237 CHAPITRE I : Les limites du droit de brevet Section I : L'existence du droit Section II : L'étendue de la protection p.255 CHAPITRE II : Les actes de contrefaçon Section I : L'élément matériel Section II : L'élément illégitime Section III : L'élément moral p.269 CHAPITRE III : L'action en contrefaçon Section I : Les règles générales Section II : Les exceptions Section III : Les sanctions p.315 CHAPITRE IV : L'action en jugement déclaratoire p 319 CHAPITRE V : L’ITC (“International Trade Commission”) Section I : Les conditions de l’action Section II : L’intérêt de l’action p.329 CONCLUSION GENERALE p.333 Table des Matières