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Numéro 01, ,Avril 2005 Atelier sur la coopération frontalière, du dialogue entre acteurs de l’intégration régionale (Abuja, 2004) CHRONIQUES FRONTALIÈRES BULLETIN SUR LES RÉALITÉS LOCALES RÉGIONALES EN AFRIQUE DE L’OUEST Avec l’appui du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest Comment ouvrir l’Intégration ? Tambacounda, ville de la culture transfrontalière, 18 ème semaine de l’amitié et de la fraternité Un dispensaire sans frontière à Biankouri (Togo) www.afriquefrontieres.org

Chroniques frontalières n°01 Version finaleCHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 2005 L’intégration en pointillés… Ils ont dit… Ils ont dit… Ils ont dit… Salle des plénières

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Atelier sur la coopération frontalière, du dialogue entre acteurs de l’intégration régionale (Abuja, 2004)

CHRONIQUES FRONTALIÈRESBULLETIN SUR LES RÉALITÉS LOCALES RÉGIONALES EN AFRIQUE DE L’OUESTAvec l’appui du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest

Comment ouvrir l’Intégration ?Tambacounda, ville de la culture transfrontalière, 18ème semaine de l’amitié et de la fraternité

Un dispensaire sans frontière

à Biankouri (Togo)

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SOMMAIRE N°01 Avril 2005

FORUM

LETTRE DE LA RÉDACTION

TAMBACOUNDA, AU SÉNÉGAL, VILLE DE LA CULTURE TRANSFRONTALIÈRE 18ÈME SEMAINE DE L’AMITIÉ ET DE LA FRATERNITÉ

3LA COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE AU SERVICE DE L’INTÉGRATION RÉGIONALE EN AFRIQUE DE L’OUEST

Atelier sur la coopération frontalière

L’INTÉGRATION EN POINTILLÉS...4 8 POINT DE MIRE 10 IDÉES

> Ils ont dits ... > Les quartiers frontières.

> L’impunité constitue le nœud du problème.

> A problèmes communs, solutions communes.

> Il est possible de s’inspirer de l’Europe, en prenant le meil-leur et en rejetant ce qui n’est pas bon.

> Si le politique ne fait pas l’intégration, les populations la feront.REPORTAGE

FRONTIÈRE TOGO - BURKINA

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> Un concept d’intégration par le bas.

> Sept jours de fraternité sans frontière.

> Echanges et promotion régionale.

> Le Nko, une écriture régionale ?

> Centre de soins de Biankouri, un dispensaire sans frontière

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Rencontre d’échanges, le Deuxième Atelier du réseau des acteurs locaux tenu à Abuja au Ni-geria dans les locaux du siège de la Cedeao a véritablement été l’occasion d’un partage et de réflexions sur les expériences de femmes et hom-mes ayant en commun une vive envie de croquer l’intégration régionale promise. Pour tous, les frontières sont encore vécues comme un carcan dont il faut s’affranchir. Morceaux choisis d’un débat sans frontière sur les frontières.

. CHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 20052

© Copyright : Tous droits réservés. Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite par quelque moyen ou sous quelque forme que ce soit sans l’autorisation écrite du propriétaire du copyright. Toute demande doit être envoyée à l’éditeur.

publié en français et en anglais.Disponible sur

www.afriquefrontieres.org

En partenariat éditorial et financier avec le SECRÉTARIAT DU CLUB DU SAHEL

et de L’AFRIQUE DE L’OUEST / OCDE

Responsables

Laurent Bossard & Marie TrémolièresLe Seine St Germain, 4 Bd des Îles, Bât A

92130 Issy-les-Moulineaux / FranceTél. + 33 (0) 1 45 24 89 68Fax : + 33 (0) 1 45 24 90 31

courriel : [email protected]

Production

Guy-Michel BolouviSUD COMMUNICATION (SUD-COM NIGER)

BP. 12952 Niamey - NIGER, Tél. +227 98 20 50 Fax. +227 75 50 92

Courriel : [email protected]

ont participé à ce numéro Laurent Bossard, Feng Darwei, Jean-Meissa Diop, Philippe Heinrigs, Sylvie Letassey, Marie Trèmolières.

Impression : OECD

CHRONIQUES FRONTALIÈRES

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En octobre dernier, le numéro zéro des Chroniques frontalières était diffusé à l’occasion du deuxième atelier du réseau WABI (West Africa Borders and Integration), organisé par le CSAO sous l’égide de la CEDEAO à Abuja.

Ceux qui ont parcouru cette première publication se souviennent sans doute du dossier consacré à «Kanollywwod» : l’industrie de la vidéo hausa rayonnant à partir de Kano sur le nord Nigeria, une grande partie du Niger et au-delà encore en Afrique de l’Ouest. Bel exemple de dynamique transfrontalière où une culture commune nourrit une économie transnationale.

La présente édition est également tournée vers la culture partagée. Le lecteur y trouvera une série d’articles sur la semaine de fraternité et de l’amitié à Tambacounda du 23 au 30 décembre 2004 ; 18ème édition d’une manifestation transfrontalière qui montre que le partage des langues et des traditions tout autant que les échanges entre les particularismes et les différences, constituent le terreau de la coopération régionale. Les pages consacrées aux européens, dont le processus d’intégration est très avancé, nous rappelle d’ailleurs que ce sont les échanges culturels qui ont ouvert la porte de la coopération au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Enfin, cette deuxième édition propose un compte rendu succinct de l’atelier WABI et surtout une série d’interviews de ceux qui l’ont animé, au premier rang desquels figurent les acteurs frontaliers. C’est pour eux que la CEDEAO, avec l’appui du CSAO et en valorisant les acquis du réseau WABI, s’engage désormais dans la mise en œuvre d’un Programme dévoué aux Initiatives Transfrontalières (PIT) en Afrique de l’Ouest.

Nous sommes convaincus que la multiplication de projets transfrontaliers, même modestes, permettra au processus d’intégration de prendre plus rapidement forme.Cette démarche sera sans doute longue et difficile. Il faudra convaincre et pour cela mettre sans cesse en avant la parole, l’expérience, les problèmes et les propositions des populations vivant sur les frontières.Telle est la vocation des Chroniques frontalières

La coopération transfrontalière s’installe progressivement dans les débats sur les enjeux et les agendas politiques des organisations régionales ouest-africaines. Quinze mois après le lancement de l’initiative WABI, l’atelier (Abuja, octobre 2004) organisé par le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest et Enda/Diapol, sous l’égide de la CEDEAO marque l’ouverture du dialogue entre les acteurs des dynamiques locales et les responsables institutionnels pour une lecture partagée des processus d’intégration régionale. Il confirme ainsi la nécessité d’une nou-velle approche des espaces et des territoires où l’échelle locale investit l’espace politique ; où la coopération transfrontalière change d’échelle.Une trentaine d’acteurs issus de plusieurs zones frontalières : commerçants et industriels de Kano (Nigeria) ou de Maradi (Niger), responsables locaux de la santé publique (Koro au Mali ou Maradi au Niger ) et de l’élevage (Maradi au Niger), élus (Ouahigouya au Burkina, Mopti au Mali, Tambacounda au Séné-gal….), associations locales transfrontalières (Kolda au Sénégal, Kayes au Mali, Gambie), etc. ont débattu avec des représentants des Etats et du Secrétariat Exécutif de la CEDEAO de leurs activités et des contraintes rencontrées.Ils ont fait notamment état des multiples obstacles, physiques et réglementaires qui compromettent la fluidité des espaces frontaliers.

Un des principaux acquis de l’atelier est la proposition de la CEDEAO de met-tre en œuvre un Programme d’Initiatives Transfrontalières. La définition et la mise en œuvre du PIT sont une occasion à saisir pour rapprocher la population ouest-africaine de la construction régionale institutionnelle. Ce programme s’appuie sur une démarche du gouvernement du Mali : une communication et un projet de recommandation relatifs au renforcement de la coopération transfrontalière soumis en janvier 2005 au Conseil des Ministres des Affaires étrangères et à la Conférence des Chefs d’Etat de la CEDEAO.

Les débats tenus à Abuja autour de l’expérience de l‘Association des Régions Frontalières Européennes (ARFE) montrent que la diversité des systèmes ad-ministratifs et juridiques peut être surmontée par la mise en œuvre de coopéra-tions frontalières flexibles : collaborations ad hoc, mise en place de structures permanentes ou d’associations, conclusion d’accords transfrontaliers de droit privé ou public, etc. Les échanges entre les participants montrent que les régions frontalières européennes et ouest africaines partagent les mêmes préoccupations. A ce titre, un dialogue euro-africain mérite d’être engagé.

Si l’Atelier d’Abuja fournit une impulsion politique à des réflexions et activités frontalières déjà anciennes, il ne représente qu’une facette des multiples coopéra-tions et dialogues possibles entre chacun et doit fournir l’occasion de générer davantage d’interactions spontanées dans l’objectif commun de participer du processus d’intégration régionale

La coopération transfrontalière au service de l’intégration régionale

en Afrique de l’Ouest

. .

Lettre de la rédaction

3CHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 2005 .Son compte-rendu est disponible en version imprimée ou électronique

sur simple demande auprès de [email protected]

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. CHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 2005

L’intégration en pointillés… Ils

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Salle des plénières du deuxième atelier des acteurs locaux du réseau WABI au siège de la Cedeao à Abuja

Général Cheick Oumar Diarra secrétaire exécutif adjoint de la Cedeao

«L’importance de cet atelier pour la Cedeao est qu’il devra aboutir à une réflexion sur un concept auquel la Cedeao est très attaché, en l’occurrence le concept de «Pays frontière». La Cedeao est une communauté d’intégration économique et cela signifie à la fois intégration physique et intégration institutionnelle. Il existe déjà des pôles d’intégration, notamment dans les zones frontalières et l’idée est de faire en sorte que celles-ci soient des catalyseurs de l’intégration régionale. C’est pourquoi, la Cedeao en partenariat avec Le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest a invité les acteurs de ces zones frontalières pour qu’ils puissent échanger sur les problèmes qui se posent à eux, notamment dans les domaines du transport, de la santé et autres».

FORUM

La santé sans frontière

Dr Mai Moctar Hassane : Directeur régional de la santé publique et de la lutte contre les endémies, région de

Maradi (Niger)

«La santé n’est pas en reste dans les problèmes transfrontaliers et par-ticulièrement la gestion des épidé-mies. Ces dernières n’ont pas de frontière tout comme les problèmes de santé publique. Dans le cas particulier du Niger et du Nigeria, nous sommes en présence de communautés qui partagent la même culture, les mêmes comportements, la même aire économique.Les systèmes de gestion des serv-ices de santé y diffèrent parce que ces communautés sont administrées d’un côté à l’autre de la frontière par deux modes différents : anglophone du côté du Nigeria, francophone au Niger.

Certes, il nous arrive d’élaborer des programmes de santé communs, par exemple dans le cadre de la lutte pour éradiquer la poliomyélite mais, ce n’est pas sans problème. Depuis près de 8 à 9 ans, dans le cad-re des journées nationales de vaccina-tion, nous organisons des campagnes transfrontalières synchronisées.

Malheureusement, ces activités conjointes n’ont pas pu se tenir en 2003 parce que tout simple-ment, du côté du Nigeria, il y a des communautés qui sont opposées à la vaccination de masse. En conséquence, le virus a trouvé une voie de résurgence et contaminé des enfants des deux côtés de la frontière fai-sant du Niger et du Nigeria les deux pays endémiques et épidémiques de la polio dans la région Ouest africaine.

Il est donc impératif d’élaborer des stratégies d’amélioration des échanges transfrontaliers en matière de santé des commun-autés riveraines de la frontière qui est après tout artificielle»

Envoyés spéciaux Marie Témolières & Michel Bolouvi

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Rencontre d’échanges, le Deuxième Atelier du réseau des acteurs locaux tenu à Abuja au Nigeria dans les locaux du siège de la Cedeao a véritablement été l’occasion d’un partage et de réflexion sur les expériences de femmes et hommes ayant en

commun une vive envie de croquer l’intégration régionale promise. Pour tous, les frontières sont encore vécues comme un carcan dont il faut s’affranchir. Morceaux choisis d’un débat sans frontière sur les frontières.

Les frontières catalysent

l’intégration régionale

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CHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 2005 .

Elh. Amadou Manzo : Direc-teur général de la Compagnie commerciale du Niger (CCN), société privée d’import-export dont le siège est à Maradi (Ni-ger). Importation de produits manufacturés d’Europe et d’Asie pour le Niger et le Ni-geria (réexportation). Exporta-tion de produits agricoles du Niger (arachide, niébé, souchet, sésame) essentiellement vers le Nigeria.

«Le Nigeria est l’un des prin-cipaux consommateurs des produits agricoles du Niger. Ainsi, le Nigeria importe près de 70 à 75% du niébé nigérien ; le reste étant destiné au Bénin, au Ghana et à la Côte d’Ivoire. Les échanges s’effectuent tout le long de l’année. Les opéra-tions vers le Nigeria se font avec des camions immatriculés au Nigeria qui chargent à partir de la ville de Maradi, principal centre de collecte des produits agricoles du côté du Niger. Le jeu des immatriculations de véhicules est le premier handi-cap. Pour pouvoir circuler assez librement sur le sol nigérian les camions qui transportent les marchandises sont contraints d’avoir une immatriculation nationale. Au Niger, le camion nigérian peut charger et aller décharger jusqu’au fin fond du pays et regagner le Nigeria, sans problème. L’inverse n’est pas impossible mais s’avère plus difficile. Les camions suivent l’itinéraire routier passant par Dan Issa (poste frontalier du Niger) et

La création d’une monnaie commune régionale est possible et envisageable

Magama (poste frontalier du Nigeria). Du côté nigérien les formalités douanières ont lieu au départ à Maradi tandis que du côté nigérian, le transporteur est sollicité tout le long du trajet jusqu’à destination au marché de Kano ou de Jibia. Deuxième handicap donc sur cet axe : les tracasseries, extorsions, corruptions qui sont courantes sur la route entre les deux pays. De part et d’autres, les agents de l’ordre public dérangent les us-agers. Comme partout ailleurs en Afrique la corruption est de règle. A chaque poste de con-trôle il faut faire un geste sinon on ne passe pas, on vous cause de petits problèmes, on vous fait perdre du temps.Le troisième obstacle sur cet axe est celui de la monnaie, le Niger et le Nigeria ayant des monnaies distinctes : le CFA et le Naira. Le problème est exacerbé par le fait que les banques des deux côtés n’opèrent ni transaction ni transfert sur ces monnaies. Ne reste et n’existe que le marché noir. Vous vendez au Nigeria, êtes payé en naira à changer sur place au marché noir avant d’entrer au Niger. Les com-merçants sont donc contraints de circuler avec de l’argent liq-uide sur plus de 250 Km, ce qui est risqué. La solution consist-erait en la création d’une mon-naie commune régionale et cela est possible et envisageable.Le problème de l’intégration ne se pose donc pas au niveau des populations. D’ailleurs, il est physiquement difficile de distinguer un Nigérien d’un Nigérian du Nord. Nous ap-partenons au même et unique empire Hausa et Kano est le principal centre des échanges économiques des grandes ré-gions du Nigeria et du Niger.Parfaire l’intégration déjà réelle au niveau des populations de-mande plus de travail du côté institutionnel. La création de la Cedeao avait suscité beaucoup d’espoir, on épilogue depuis

.L’intégration en pointillés…

des années sur la libre circula-tion des personnes et des biens. Certes, les personnes et les biens circulent mais, la question est : comment circulent-ils ?»

Mme Ursule Diatta : géographe, conseillère technique auprès du directeur de l’Aménagement du territoire, Dakar (Sénégal).

«J’ai personnellement vécu les faits en temps que Sénégalaise traversant la Gambie pour me rendre dans ma Casamance na-tale. Le plus court chemin pour aller de Dakar à Ziguinchor par la route passe par la Gam-bie et l’aberration veut que les véhicules sénégalais n’ont pas le droit de faire du transport en Gambie et vice versa. Alors, toutes les fois que j’ai em-prunté les transports publics, à la frontière gambienne, il m’a fallu quitter le véhicule imma-triculé au Sénégal et effectuer la traversée de la Gambie dans un véhicule gambien et de nouveau embarquer dans un véhicule sénégalais de retour en territoire sénégalais. A ma connaissance, seul un bus a reçu une autorisa-tion spéciale pour convoyer ses passagers sans transvasement de Dakar à Ziguinchor en traver-sant la Gambie.Il est évident que les textes traî-nent à être appliqués et pour plusieurs raisons. La principale est le manque d’information des populations concernées.

Il n’est pas sûr que les opérateurs économiques et les transporteurs soient au courant des disposi-tions sur la libre circula-tion

Il n’est pas sûr que les grands usagers des routes comme les opérateurs économiques et les transporteurs soient au cour-ant des dispositions sur la li-bre circulation. Ces textes sont même méconnus des adminis-trations routières. Il y a défaut d’information et insuffisance de volonté politique pour leur ap-plication».

Instaurer une collabora-tion officielle avec les col-lègues de l’autre côté de la frontière pour le bonheur des malades

Dr Dembélé Soumaïla : mé-decin-chef du Centre de santé de référence de Koro (Mali), zone la plus peuplée des 8 cer-cles de la région de Mopti, sur la route dite du « poisson » entre Mopti au Mali et Ouahigouya au Burkina Faso.

«Nous avons deux peu-ples à fort brassage, en fait le même peuple, la même langue, partageant les mêmes coutu-mes. Depuis que nous avons initié la politique de «référence évacuation» caractérisée par un système de partage des coûts de la prise en charge des urgences chirurgicales surtout, nous sommes confrontés à un certain nombre de difficultés.Sept (7) aires de santé dans le cercle de Koro font frontière avec le Burkina, notamment avec les régions de Titao, Gui-bo, Ouahigouya et Thiou. Une grande majorité des personnes relevant de mon entité admin-istrative ont beaucoup plus de parents de l’autre côté de la

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. CHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 2005

Amadou Tidiane Sabaly : infirmier d’Etat principal à l’hôpital régional de Kolda (Sénégal), président de la Communauté rurale de Médina El Hadj (département de Kolda), région à vocation agricole du sud Sénégal frontalière avec la Guinée-Bissau.

«En 2000, la crise casamançaise a engen-dré un climat de méfiance et d’insécurité avec des répercussions sur la vie économique de notre communauté rurale : problème d’approvisionnement en vivres et matériel, difficultés de mouvements des personnes. Détendre la situation se posait en question de survie. Avec l’aide financière de parte-naires au développement, une série de fo-rums transfrontaliers furent organisés réu-nissant tous les acteurs concernés des deux

Des forums frontaliers pour préserver la paix

1000 enfants de réfugiés scolarisés

frontière (Burkina) qu’à Koro et, malgré les avantages de notre système sanitaire elles préfèrent aller au Burkina pour leurs soins.Pourtant, entre ces villages du Mali et du Burkina, il n’y a pas de route, seulement des pistes qui obligent à transporter les malades sur charrette ou sur moto sur une distance d’environ 60 Km. Comment comprendre qu’ils dédaignent le confort et la sécurité d’une ambulance que notre système leur of-fre pour la même distance et à peu de frais. Tout simplement de l’autre côté de la fron-tière, ils ont des parents et estiment donc plus opportun pour eux de s’y installer et bénéficier de facilités notamment pour la restauration et l’hébergement, le temps que dure le traitement de leur malade. L’argent n’est même pas en cause puisque les frais de cotisation annuelle pour béné-ficier de nos installations sont fixés à 500 F par ménage. C’est vous dire l’importance du brassage social, culturel et même économique des populations dans la région. Alors, pourquoi ne pas envisager d’instaurer une sorte de collaboration officielle avec les collègues de l’autre côté de la frontière pour le bonheur des malades».

côtés de la frontière : producteurs, opérateurs économiques, agents de l’administration, les personnes influentes telles que les chefs coutumiers, les marabouts, les anciens des villages. Thème de ces assemblées : le rap-pel des liens séculaires de fraternité entre nos parents et grands-parents respectifs, invitation à une prise de conscience. Ces rencontres ont permis de lever le climat de méfiance, et favorisé le retour à la sérénité et la reprise des activités. Cette initiative d’intégration transfrontalière a engendré d’autres concrétisées entre autre par le jume- .

L’intégration en pointillés…

Marcel Badji : Directeur de St Joseph Family Farms Center, projet de plantation familiale, à Bwiam , un village de Kansala (Gambie).

“La région concernée est celle dénommée Western Division (la Division Occidentale) qui comprend deux districts ou ré-gions : Fognié et Kombo. Le district de Fognié frontalier avec la Casamance étant composé de cinq districts administratifs avec chacun son chef. Les activités du Centre concernent principalement la préservation de l’environnement en partenariat avec les populations vivant de part et d’autre de la frontière. Au cours des quatre dernières années, les agents du Centre ont dû travailler plus activement avec la population, dans une collaboration plus significative, à cause de l’escalade survenue dans le conflit casamançais. Le Centre s’est ainsi investi dans l’assistance des réfugiés et de leurs familles d’accueil dès leur arrivée en Gambie.Le contexte est que pendant environ 10 ans ou plus, certaines écoles de la zone de con-flit sont restées fermées et ces deux dernières années, le Centre a pris l’initiative, avec ses homologues des districts de Ziguinchor et de Bignona, de convaincre le gouvernement sénégalais de rouvrir les écoles. Le Centre a notamment entrepris des démarches auprès de l’ambassadeur du Sénégal à Banjul. Les écoles furent rouvertes, et beaucoup plus proche de la frontière de la Gambie qui a alors accepté de les abriter. En deux ans, ces écoles ont ac-cueilli près de 1000 enfants de réfugiés. Le gouvernement sénégalais, l’Unicef Ziguinchor et la GTZ ont soutenu ces écoles de plusieurs manières en appui aux services d’inspections des écoles. Dans un autre domaine, la région connaît toujours beaucoup de difficultés. A cause du conflit, il y a peu d’actions de développement et la vie quotidienne s’avère très difficile pour les populations. Le centre appuie donc les paysans dans leurs activités agri-coles et dans la commercialisation des produits de cueillette qu’ils transportent depuis la forêt jusqu’aux centres commerciaux de Banjul. L’idée d’une intégration transfrontalière est devenue réalité lorsque le Centre a favorisé les échanges de semences entre populations. Il a d’autre part encouragé l’intégration des populations en continuant à transporter des gens en direction et en provenance de Ziguinchor et de la Gambie, et de Foni et Bulonbu, près de Tamba. Le Centre a particulièrement apporté son soutien aux échanges entre as-sociations de producteurs. Les associations par exemple des producteurs de noix d’acajou de Guinée Bissau, du Sénégal (Casamance) et de la Gambie ont tissé à présent des relations étroites et s’aident mutuellement dans la production, le traitement et la commercialisation de noix d’acajou de qualité.Egalement les associations d’apiculteurs pour ce qui est de la production et commercialisa-tion du miel. Les apiculteurs casamançais produisent un miel de qualité qu’ils sont con-traints de transporter à Dakar alors que la Gambie frontalière offre un important marché. Grâce au Centre, l’association gambienne des apiculteurs est en train de promouvoir des relations commerciales étroites entre le Sénégal et la Gambie.Je dois enfin noter que les villages gambiens situés le long de la frontière, et il en existe plus de 20, ont tissé des relations d’échanges en matière de formation avec ceux de la Casamance et ce sont des démarches semblables qui faciliteront l’intégration régionale des communautés”

lage d’écoles, de centre de santé et de GIE, l’organisation de rencontres culturelles et sportives transfrontalières, la signature en mai 2004 d’un protocole d’accord de col-laboration entre la Chambre de commerce de Kolda (Sénégal) et celle d’Oyo (Guinée-Bissau), l’installation de comités conjoints de vigilance et d’alerte. En perspectives, un projet de mise en valeur de sites frontaliers, notamment la vallée et la forêt communes nourricières de la zone et la mise sur pied d’activités génératrices de revenus pour la population féminine»

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CHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 2005 ..

.Nous essayons de mettre la pression sur le gouvernement pour l’amener à pratiquer les bonnes politiques et à modifier celles qui ne le sont pas

Si les acteurs locaux que nous som-mes nous mettons d’accord sur l’intégration, il y aura intégration

L’intégration en pointillés…

Elh. Suleymane Bello : deuxième vice prési-dent de la Chambre de commerce de Kano et Secrétaire général adjoint de l’Association nationale des commerçants nigérians, avec siège à Lagos et représentations à Abuja et Kano (Nigeria).

“Nous faisons la promotion des poli-tiques gouvernementales en matière de commerce, et en ce sens, nous essayons de mettre la pression sur le gouvernement pour l’amener à pratiquer les bonnes poli-tiques et à modifier celles qui ne le sont pas. Nous demandons aux commerçants, sur l’ensemble du territoire national, de rapporter leurs difficultés au Secrétariat na-tional à Lagos qui se charge ensuite de nous les transmettre. Nous procédons à l’analyse de ces problèmes et voyons comment nous pouvons les résoudre. Parmi les nombreux problèmes auxquels sont confrontés les commerçants nigérians, le plus grave est le manque d’infrastructures qui augmente le coût des affaires. Il existe des réglementa-tions strictes du gouvernement en matière de transport de biens et des personnes d’un point à l’autre du territoire national. Ces mesures devraient être assouplies en vue de faciliter les affaires. Non seulement le manque d’infrastructures constitue un problème mais également le coût et l’accès aux fonds pour financer les activités du sec-teur privé. Le coût du crédit bancaire est trop élevé et l’accès aux devises étrangères est pratique-ment nul. Aussi, les commerçants doivent-ils acheter des devises étrangères au marché noir pour financer leurs importations.Les exportations sont également incertaines à cause des formalités méticuleuses des cir-cuits par lesquels il faut passer : quarantaine, douane, service de l’immigration avant que les marchandises ne soient traitées pour l’exportation. Mais, nous avons eu des dis-

cussions avec le gouvernement, des ONG et des organisations de la société civile en vue de contraindre le gouvernement à assoup-lir cette réglementation. C’est pourquoi, pour ce qui nous concerne, nous sommes très heureux de participer à cet atelier, qui est, de notre point de vue, une opportunité de trouver une solution aux problèmes des membres de notre organisation.Au Nigeria, les commerçants représentent le plus grand groupe après celui des agri-culteurs. Presque, sinon tout le monde est commerçant, y compris même les membres du gouvernement, les fonctionnaires de l’Etat. Ces derniers ne représentent qu’une toute petite fraction mais beaucoup parmi eux sont à la fois des fonctionnaires et des commerçants. Nous constituons un très grand groupe, alors, dès que nos problèmes

auront trouvé une solution, beaucoup de problèmes auxquels le pays est confronté seront résolus.Le gouvernement en est conscient, mais c’est une question de bureaucratie. Aujourd’hui encore, il est presque impossible de voir un ministre. Lorsque le gouvernement adopte des politiques, il n’implique pas les parte-naires externes, mais seulement les acteurs locaux. C’est pourquoi, ces politiques, très souvent, ne profitent pas aux acteurs lo-caux. Le gouvernement le sait. Nous con-tinuerons d’exiger l’assouplissement de ce-tte politique. Mais malheureusement, une autre politique peut être adoptée et s’avérer pire que celle qui a été assouplie. Ce sont là des problèmes que nous rencontrons et le gouvernement est conscient des difficultés qui sont les nôtres”

Elh. Ali S. Madugu : Directeur général de Dala Foods Nigeria, Ltd, une société agroalimentaire établie à Kano depuis 25 ans, également président de l’Association des Industriels du Nigeria (MAN), prési-dent de la section de Kano (Nigeria).

“Il y a deux choses importantes que nous devons examiner. Tout d’abord la CE-DEAO en elle-même, organisation d’Etats qui édictent certaines politiques et régle-mentations sur lesquelles ils se sont mis

d’accord. Les pays édictent des politiques presque contraires à celles de la CEDEAO et cela engendre des problèmes et des troubles. Il en est ainsi de la politique de la CEDEAO en matière d’harmonisation des tarifs des droits à l’importation qui commande aux Etats membres de pratiquer les mêmes tarifs.Dans le même temps, le Nigeria, par exemple, protège son industrie en empêchant l’entrée de toutes sortes de marchandises sur son territoire. Vous voyez, il y a problème. Nous, les industriels basés au Nigeria, avons l’impression d’être protégés par le gouvernement du Ni-geria tout en sachant bien que cette protection ne durera pas. Toujours est-il que cela n’est pas conforme à l’esprit de la CEDEAO. Ce sont là les exemples de domaines dans lesquels nous avons besoin d’une intégration.Les gouvernements devraient s’entendre sur une chose pour faciliter l’intégration. Il y a des relations commerciales par exemple, entre le Niger et le Nigeria, à partir de Kano. Les Nigériens importent beaucoup de produits manufacturés du Nigeria, et nous achetons beaucoup de produits agricoles et pastoraux du Niger, sans que le gouvernement n’ait même la plus petite idée de la vraie valeur de ce commerce. C’est parce que les politiques de la CEDEAO et celles de ses pays membres ne sont pas les mêmes. C’est ce qui explique les cas de fraudes graves sur les marchandises entrant au Nigeria en provenance du Niger. Les gens achètent des produits asiatiques qui entrent au Niger en transit. Finalement, à cause de la fraude, les produits arrivent au Nigeria sans que le gouvernement nigérian ne perçoive un Kobo de droits sur ces produits. Si le gouvernement nigérian ad-hérait réellement aux politiques de la CEDEAO, les pays de la CEDEAO ne permettraient pas aux produits asiatiques d’entrer sur leur territoire pour être acheminés frauduleuse-ment au Nigeria. Si les politiques étaient les mêmes, il nous serait plus facile de réaliser l’intégration”

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. CHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 2005

Aider la Cedeao dans l’élaboration des politiques

Les «Quartiers frontières»

Yahya Lawan Habibu, consultant en rela-tions commerciales auprès de la Conférence des Chambres de commerce des Etats du Nord Nigeria, professeur de Commerce et Finances internationaux, Maître-assistant à l’Ecole polytechnique de l’Etat de Kano, ancien directeur général de la Chambre de commerce de Kano (Nigeria).

“Je participe à ce séminaire en tant que représentant de la Conférence des Chambres de commerce des Etats du Nord Nigeria, au sein duquel je suis chargé de la coordina-tion du commerce national et international entre les Etats du Nord Nigeria et le monde, c’est à dire l’Afrique et au-delà.Pour la première fois de ma vie je rencontre des gens de différentes parties de l’Afrique pour traiter d’une préoccupation, comment parvenir à notre intégration économique ?

Nous avons toujours vécu une intégration sociale. Nous partageons et avons partagé les mêmes coutumes, nous sommes un même peuple avec la même culture, le même envi-ronnement et diverses autres choses. C’est pourquoi notre préoccupation est d’accélérer le développement de notre région à travers le renforcement de nos échanges commerciaux en général et celui des march-andises et des services en particulier. Une bonne coordination de notre politique commerciale peut profiter à chaque pays en termes d’échanges de marchandises et de services.Cela devrait commencer par l’accroissement du commerce régional ou transfrontalier

«Tous les problèmes soulevés au cours de l’atelier au sujet du développement des villes frontalières et de l’intégration transfrontalière en Afrique de l’Ouest se retrouvent au ni-veau des villes frontières togolaises. Elles comptent également certaines particularités dont la principale est liée à la configuration territoriale du Togo : un pays longiligne dont la largeur dépasse rarement 60 km à vol d’oiseau, ce qui fait que pratiquement toutes les villes du Togo sont des «villes frontières», un cas partagé seulement avec la Gambie. Cela est le fait de la colonisation, et du placement par la SDN (ancêtre de l’Organisation des Nations Unies), du pays sous la tutelle de deux nations : la France colonisatrice du Da-homey (actuel Bénin à l’Est du Togo) et la Grande-Bretagne colonisatrice de la Gold-Coast (actuel Ghana à l’Ouest du Togo). Après la première guerre mondiale, le Togo a ainsi été morcelé en partie britannique an-nexée au Ghana quand vinrent les indépendances et ce qui en reste aujourd’hui, la partie française.

Ces turbulences n’ont cependant pas affecté le tissu communautaire et le Togo dans son ensemble, exception faite de sa façade atlantique, reste un exemple de «Pays frontières» avec ce qu’on pourrait même appeler des «Quartiers frontières» avec brassage de plusieurs communautés et un fort dynamisme transfrontalier. Il en est ainsi des frontières du Togo au Sud-est avec le Bénin (Hillakondji), du Togo au Sud-ouest avec le Ghana (Aflao) et du Togo au Nord avec le Burkina Faso (Cinkanssé). Trois frontières qui sont en fait le prolongement d’un même pan de ville ou quartier de part et d’autre de la frontière».

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La définition de l’espace transfronta-lier ne cesse de s’enrichir au gré des entités concernées. On connaissait les «Pays frontières» et autres «corridors» ou «trian-gle» de développement.

Akuété Johnson, chargé de mission au cabinet du mi-nistre du Com-merce (Togo), est intervenu

encore confronté à d’énormes difficultés.Cet atelier a réuni les acteurs locaux et ré-gionaux de diverses régions d’Afrique de l’Ouest pour identifier ensemble lesdites difficultés, échanger des idées et discuter des solutions réalisables pouvant aider la Cedeao à élaborer et mettre en œuvre des politiques de renforcement du commerce transfrontalier pour le bien de chaque pays dans la région.

L’Union européenne est un exemple qui nous montre que les peuples ont travaillé ensemble pour promouvoir le commerce et

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POINT DE MIRE

le développement économique. Nous, Africains, devons reconnaître que nous avons besoin de travailler ensemble si nous voulons nous développer. Le problème d’un pays africain peut deve-nir celui de l’autre. Si les armes crépitent au Bénin ou au Niger, elles crépiteront au Nigeria. Les personnes qui vivent dans la pauvreté au Niger émigreront au Nigeria et vice versa. Par conséquent, si nous nous mettons en-semble pour résoudre nos problèmes, nous pourrons vivre et nous développer ensem-ble”

au cours de l’atelier d’Abuja sur le cas de son pays, le Togo où le cas d’espèce est celui des «Quartiers frontières».

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CHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 2005 .

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Ils ont dit…Ils o

nt d

it…Ils o

nt d

it…«L’impunité constitue le nœud du problème»Birame Owens Ndiaye,Directeur des opérations, Partenariat pour le Développe-ment Municipal (Pdm).

Association Partenaire de la Cedeao, de l’Uemoa et de la Cemac basée à Cotonou (Bé-nin). Le PDM accompagne les collectivités locales, en Afrique de l’Ouest et du Centre. Il appuie également les gou-vernements dans l’élaboration et la mise en oeuvre des politi-ques de décentralisation.

Quels pourrait être le rôle et la place des collectivités locales et des acteurs locaux dans le processus d’intégration ?

Nous sommes convaincus que l’intégration se fera difficilement et risque même de ne pas se faire sans une contribution des acteurs locaux et des collectivités locales. Dans ce processus d’implication, le réseau WABI, qui regroupe des acteurs frontaliers, tout comme les collectivités locales doivent joindre leurs actions et se compléter : en essayant dans la mesure du possible de définir et réfléchir sur les modalités institutionnelles d’une collaboration entre collectivités locales, Etats et institutions d’intégration régionale.

Comment surmonter les problèmes d’application des textes, de suivi sur le terrain, et de plus d’implication politique ?

Je verrai trois pistes. La première serait le contrôle citoyen : celui qui cherche à s’informer, réclame le respect et l’application des textes édictés au niveau régional, national et local. Deuxièmement, l’implication de la presse et enfin le contrôle au niveau de l’Etat. A ce propos, on a beaucoup parlé du rôle de l’Etat dans l’application de ses propres textes. Etant donné qu’il s’engage au niveau national et régional, si il n’évalue pas l’application de ses propres normes, n’exerce aucun contrôle, alors il est le premier responsable de l’échec. Je ne parle pas de superposition de contrôles mais, d’un contrôle qui permet de sanctionner si la libre circulation des personnes et des biens «applicable sur le territoire» rencontre des obstacles. Les autres régions du monde ne sont pas plus vertueuses que nous, seulement, les normes sont respectées par crainte des sanctions. L’impunité constitue ici le problème. Chaque fois que les faits incriminés sont constatés et vérifiés, l’Etat doit pouvoir punir. Il faut également que le citoyen joue le jeu. C’est un peu le rôle des acteurs frontaliers, du réseau WABI, d’apporter l’information afin d’aider les citoyens à mieux appréhender leurs droits et à se mobiliser sur les questions de respect des normes

Au sortir de

l’atelier d’Abuja,

les acteurs

locaux ont

unanimement

exprimé leur faim

d’intégration.

Ils ont affirmé leur

détermination à

combler

cette faim :

informer,

sensibiliser,

rester vigilant

et constructif.

Mais encore

échanger plus

et toujours.

Echanger,

la voie royale

vers la

construction

d’une Afrique

de l’Ouest

sans barrière.

POINT DE MIRE

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disponible sur le site

www.afriquefrontieres.org

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. CHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 2005

Thérèse Pujolle, présidente du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest.

“A problèmes communs, solutions communes”

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IDÉES

Qu’est ce qui vous a amené à travailler à l’intégration des pays de l’Afrique de l’Ouest ?C’est une idée ancienne du Club, née au moment de la grande sécheresse au Sahel. Les pays donateurs avaient décidé de se réunir pour travailler avec le Cilss et nous avons dès lors abordé le problème de dével-oppement en Afrique de l’Ouest à l’échelle régionale. Nous avons travaillé sur la sécu-rité alimentaire, puis sur la croissance dé-mographique et ses conséquences dans la modification des établissements humains sur toute l’Afrique de l’Ouest. Depuis la décennie de la démocratisation, nous avons acquis la conviction que les destins des quinze pays de la Cedeao sont liés. C’est une erreur de vouloir différencier leurs destins. Quand la Côte d’Ivoire qui a bénéficié de l’aide internationale ne va pas bien, les con-séquences se répercutent sur toute la région, comme dans le cas de la circulation des armes. Notre devise est : «ces pays ont des problèmes communs, il doit donc y avoir des solutions communes».

Le temps des diagnostics semble passé, il y a eu pléthore de textes, le problème se situe au niveau de leur application. Le

Rencontre avec...

.1976 : Création du Club du SahelContexte : Initiative de pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en liaison avec les autorités des pays sahéliens comme un forum de concertation et de plaidoyer en faveur d’un soutien accru et durable de la communauté internationale aux pays de la région, victimes de la sécheresse.2001 : Sur décision du Conseil d’administration du Club du Sahel d’élargir son champ d’action à toute l’Afrique de l’Ouest, le Club du Sahel devient le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest pour tenir compte des interdépendances et des complémentarités entre le Sahel et les autres pays de la région.Rôle : Passerelle et interface entre les acteurs de la région et ceux des pays de l’Ocde en tant que facilitateur, animateur et pilote d’échanges ouverts et constructifs.Objectifs : Aider à identifier les questions stratégiques concernant le développement à moyen et long terme de l’Afrique de l’Ouest ; Contribuer à la mobilisation et au renforcement des capacités africaines dans le cadre d’une approche réseau ; Soutenir des initiatives et les efforts africains en faveur du développement à moyen et long terme de la région ; Faciliter les échanges entre les acteurs de la région et les pays de l’Ocde ; Pro-mouvoir des débats constructifs pouvant conduire à des décisions innovantes, à l’intérieur comme à l’extérieur de la région, pour construire un futur meilleur.Principaux pôles de travail : Perspectives de développement, à moyen et à long terme ; Transformation de l’agriculture et développement dura-ble ; Développement local et processus d’intégration régionale ; Gouvernance, dynamiques des conflits, paix et sécurité.Partenaires : Les partenaires au développement de l’Afrique de l’Ouest ainsi que des organisations internationales et régionales.Zone d’activités : l’Afrique de l’Ouest, soit 18 pays dans une zone située entre le Cap Vert à l’Ouest et le Tchad à l’Est. En l’occurrence, les 15 pays membres de la Cedeao plus la Mauritanie et le Tchad ainsi que le Cameroun en raison de sa situation géographique. Une superficie de 7 800 000 km² et plus de 290 millions d’habitants

En savoir plus : www.afriquefrontieres.org ou www.oecd.org/sah

Le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO)

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Club peut-il donner un coup de main aux chefs d’Etat pour faire bouger les choses ?Oh, que non ! Le Club est un modeste groupe mandaté par des bailleurs de fonds. Nous essayons avant tout de montrer et de convaincre que le dével-oppement de l’Afrique de l’Ouest ne peut se faire qu’à l’échelle régionale dans un contexte démocratique.

Les acteurs locaux sont-ils partie de la solution ?La force des acteurs locaux s’est dégagée de l’Atelier : inévitables acteurs de la démocra-tie puisque, face aux populations dont ils sont également l’émanation. Il me semble extrêmement encourageant de voir que ces acteurs locaux, militants de la démocratie, de la vraie démocratie se ren-contrent, échangent et prennent de plus en plus de force ; de savoir à quel point les hau-tes autorités de la Cedeao ont parfaitement entendu le message. Alors, je pense que les choses vont bouger, le plus important pour l’Afrique de l’Ouest étant d’être unie.

L’UNION avec deux langues officielles et même trois en comptant la Guinée Bis-sau, surtout près de cinq monnaies. Faut-il rapidement se diriger vers une monnaie commune comme en Europe et donner plus de chance à l’intégration ?L’Europe à défaut d’être un modèle est une expérience qu’il faut méditer. L’adoption de l’Euro a produit une avancée considérable en Europe alors même que les «Euroscep-tiques» faisaient obstacle. Alors oui, la monnaie unique est nécessaire mais, n’est pas tout

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CHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 2005 .11

IDÉES

Jean-Paul Heider, Vice-président du Conseil régional d’Alsace, 1er Vice-président de l’ARFE, chargé des relations internationales et transfrontalières.

“Il est possible de s’inspirer de l’Europe, en prenant le meilleur et en rejetant ce qui n’est pas bon”

Mieux que le concours d’une pile de docu-ments, les participants au second atelier des acteurs locaux du réseau WABI ont joui de la présence d’un des chantres de l’école européenne en matière d’intégration. Monsieur Jean-Paul Heider, Vice-président de l’ARFE (Associa-tion des Régions Frontalières Européennes) a fait le dé-placement à Abuja et matérialisé la d i sponibi l i té européenne à p a r t a g e r son expéri-ence en m a t i è r e

Une transposition du modèle européen de coopération transfrontalière est-elle in-diquée en Afrique de l’Ouest ?

Je déconseillerai vivement de transposer le modèle. Par contre, il est possible de s’inspirer de ce que nous faisons, en prenant le meilleur et en rejetant ce qui n’est pas bon.

Faut-il lier les réticences à l’intégration régionale aux recettes que les pays tirent des opérations douanières à leurs fron-tières ?

Le même problème s’est posé en Europe. En supprimant les frontières les Etats ont été conduits à s’organiser autrement.

Se pose alors le problème d’un manque à gagner pour certains. Comment cela a-t-il été géré ?

Rencontre avec...

d’intégration. Une expérience qui prône la synergie entre États, institutions régionales et associations des régions frontalières comme canal de construction et de développement de la coopération transfrontalière. Des propositions d’actions expérimentales concrètes et des pistes de collaboration entre le mouvement transfrontalier européen et la dynamique de coopération émergente en Afrique de l’Ouest sont sorties de l’Atelier.

Il y a eu des compensations, des règle-ments globaux, la mise en place de nouv-elles stratégies financières, des structures de péréquation…

Dans un contexte ouest africain où la majorité des Etats vit grâce à l’aide ex-térieure, le processus est plutôt mal en-gagé, non ?

La situation a été identique en Europe, avec des pays plus riches, d’autres moins. L’Espagne, le Portugal, la Grèce étaient dans une situation économique mauvaise et, grâce à la solidarité des pays plus riches, des pays plus anciens au sein de la Commu-nauté européenne, ils ont bénéficié d’aides pour être remis à niveau.

L’Europe a-t-elle aussi connu cette situ-ation confuse de populations en major-ité favorables à une intégration souvent

réelle dans les relations intracommunau-taires, d’une politique qui traîne à la ren-dre effective au niveau institutionnel ?

L’Europe était constituée de communautés qui se connaissaient, vivaient côte à côte, s’étaient affrontées parfois. Leur souci de travailler ensemble a été plus fort et la vo-lonté de liberté de se mouvement a joué un très grand rôle.Ainsi, il fallait régler le problème des Alle-mands habitant en France et des Français travaillant en Allemagne. Un certain nombre d’arrangements ont du être trouvés à la satisfaction de chacun.Le grand problème a été de faire adhérer les citoyens, et de convaincre « les Euroscep-tiques » qui ne croyaient pas en l’intégration. Dès la suppression des frontières et le lance-ment de la monnaie commune, les popula-tions ont mesuré les changements au niveau de leur quotidien.

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. CHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 200512

Si les coopérations frontalières spontanées existent depuis longtemps entre les populations européennes, leur financement institutionnel ne s’est manifesté concrètement qu’en 1975 par la mise en place du Fonds européen de développement régional. Le FEDER s’inscrit dans le cadre des politiques soutenues par la Commission européenne. Il promeut la cohé-sion économique et sociale par la réduction des écarts de développement entre les diverses régions. Il est le fonds structurel le plus alimenté et finance notamment : - l’Objectif 1 qui vise à promouvoir le développement et l’ajustement structurel des régions ayant un fort retard de développement ;- l’Objectif 2 destiné à favoriser la reconversion des économies régionales (régions en muta-tion économique) ; - les initiatives communautaires Interreg III en faveur de la coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale,- le programme URBAN pour la revitalisation économique et sociale des villes et des quartiers en crise.Il se partage en investissements productifs, mesures de soutien aux initiatives de dévelop-pement local et d’emploi notamment aux entreprises, investissements dans les domaines de l’éducation et de la santé. Les régions éligibles soumettent un projet de programme à la Direction générale pour la politique régionale de la Commission européenne. Le FEDER alloue à chacun des programmes régionaux retenus entre 300.000 et 3 millions d’euros pour une période maximale de deux ans. Ces programmes sont établis sur la base d’un partenariat entre les acteurs régionaux et proposent un cadre d’appui stratégique pour la mise en oeuvre des projets individuels dont la gestion et la sélection incombent aux régions.Les ressources réservées au FEDER atteignent 13,2 milliards d’euros soit 3,94 % du total des fonds prévus pour la politique de cohésion (période 2007-2013). Son principal enjeu est d’intensifier la coopération à trois niveaux : coopération transfrontalière, à travers des programmes conjoints (47,73 % des ressources); coopération au niveau des zones transna-tionales (47,73 %); réseaux de coopération et d’échange d’expériences dans l’ensemble de l’Union (4,54 %). La coopération transfrontalière concernée couvre les régions situées le long des frontières terrestres internes et de certaines frontières terrestres externes, ainsi que certaines régions situées le long de frontières maritimes

Le FEDERMécanisme de financement des coopérations frontalières européennes

IDÉES

La monnaie commune peut donc servir de catalyseur ?

C’en est un. En Europe, les gens craignai-ent la monnaie commune parce certains cours étaient fixés arbitrairement ou du moins semblaient être défavorables à cer-tains pays. Il y a de nombreux avantages à payer avec la même monnaie lorsque l’on voyage. L’Euro aujourd’hui est l’équivalent du dol-lar et je pense qu’en Afrique le fait de pou-voir payer dans la même monnaie, surtout en présence d’ethnies ou de familles de part et d’autre des frontières, sera une avancée que les citoyens apprécieront.

Outre la monnaie commune, quels au-tres éléments, selon vous, peuvent servir la cause de l’intégration en Afrique de l’Ouest ?

La région ouest africaine présente des atouts qui manquaient à l’Europe. L’Europe compte aujourd’hui 19 langues officielles, l’Afrique de l’Ouest, deux. Il existe cette solidarité de part et d’autre des frontières, un lien entre des populations séparées par une décision arbitraire de faire passer la frontière à tel et tel endroit.

L’Union européenne serait-elle disposée à faire profiter la Cedeao de son expéri-ence ?

Je suis convaincu que très rapidement, après les discussions de cet atelier et avec l’engagement de la Cedeao, les pays de la région ouest africaine seront amenés à met-tre des structures en place. Que ces structures ressemblent beaucoup ou seulement un peu, à ce que nous avons mis en place en Europe, peu importe. Il faut peut-être tout simplement s’inspirer de ce que nous faisons mais sans nous cop-ier. De plus, il est extraordinaire que ce mou-vement naissant ait déjà reçu l’approbation d’une organisation régionale telle la CE-DEAO. Aujourd’hui en Europe, tout le monde est satisfait de l’Union européenne et je pense que décentraliser et favoriser la coopération transfrontalière est la meilleure idée que pu-isse avoir des Etats d’une même région.

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CHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 2005 .13

IDÉES

Le 14 juillet 2004, la Commission européenne adopte une réforme de sa politique de cohésion afin de redessiner la solidarité européenne dans une Union élargie et dans le con-texte de la globalisation économique. L’augmentation du nombre de frontières terrestres et maritimes de la Communauté motive notamment la proposition de règlement pour des « groupements européens de coopération transfrontalière, GECT ».

Le GECT permet la création d’entités à capacité juridique, qui chapeauteraient la mise en œuvre des programmes sur la base de conventions entre les administrations nationales, régionales et locales ou d’autres organismes publics, membres de ces groupements. Il s’agit ainsi de surmonter les difficultés importantes rencontrées par les États membres, les régions et les collectivités locales dans la réalisation d’actions de coopération transfrontalière, tran-snationale ou interrégionale, par suite de la multiplicité des droits et procédures nationaux. Le recours au GECT est facultatif.Chaque Groupement se dote de ses propres statuts, organes et règles budgétaires et fonc-tionne sur la base d’une convention de coopération transfrontalière européenne entre ses membres (collectivités régionales et locales). Celle-ci définit le droit applicable à ses ac-tivités (celui d’un des États concernés). La responsabilité financière des États membres et autres autorités n’est toutefois par affectée par l’existence du GECT. Il met en œuvre des programmes de coopération transfrontalière cofinancés par la Communauté, notamment au titre des Fonds structurels, ainsi que des programmes de coopération transnationale et interrégionale (1). Il réalise des actions de coopération transfrontalière à la seule initiative des Etats membres et de leurs régions et collectivités locales sans intervention financière de la Communauté (2). Toutefois, les pouvoirs qu’une collectivité régionale et locale exerce en tant que puissance publique, notamment les pouvoirs de police et de réglementation, ne peuvent faire l’objet d’une convention

Articles Extraits

Article 2 relatif à la composition du GECT 1. Le GECT peut être composée d’Etats membres et de collectivités régionales et lo-cales ou d’autres organismes publics locaux, ci-après dénommés les « membres ».2. La constitution d’un GECT est décidée à l’initiative de ses membres.3. Les membres peuvent décider de con-stituer le GECT comme entité juridique séparée ou de confier ses tâches à l’un d’entre eux.

Article 7 relatif au budget 1. Le GECT établit un budget annuel prévi-sionnel qui est arrêté par ses membres. Il établit un rapport annuel d’activité certifié par des experts indépendants des membres.2. Les membres sont responsables finan-cièrement au prorata de leur contribution au budget jusqu’à l’extinction des dettes du GECT.

Article 9 relatif à l’entrée en vigueurLe présent règlement entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publi-cation au Journal officiel de l’Union eu-ropéenne. Il est d’application à compter du 1er Janvier 2007. Le présent règlement est obligatoire dans tous ses éléments et direct-ement applicable dans tout État membre

Concrètement, comment pourrait se faire cette prise d’exemple ?

J’ai été amené à animer des réunions en Po-logne avant l’entrée de ce pays dans l’Union européenne. Nous avons reçu certains cadres administra-tifs et politiques et leur avons montré com-ment nous travaillions. Ils ont pris certaines choses et rejeté d’autres. Quelquefois, ils ont même pris des choses que nous trou-vions mauvaises mais, à chacun ses respon-sabilités. Je crois que c’est par ces échanges que l’on peut donner de l’inspiration. Encore que les réflexions au sein de cet atelier m’ont parues déjà très avancées.

L’intégration garantit-elle le développe-ment économique ?

Certainement, regardez la situation du Por-tugal qui est un exemple typique. Ce pays autrefois d’émigration est aujourd’hui, un pays d’immigration et beau-coup de migrants sont depuis retournés au Portugal parce que la situation économique s’est améliorée. .

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Un exemple d’instrument de coopération frontalière dans le contexte d’une Europe élargie

Le GECT

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Aujourd’hui, en Espagne, en Grèce, en Italie, on constate un nivellement des situ-ations

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. CHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 2005

Pourquoi une DNF ?

Notre idéal est l’intégration africaine, la banalisation des frontières d’Etat dans la mesure où vous conviendrez avec moi que les frontières ont été arbitrairement créées par les colonisateurs qui ont divisé des peu-ples unis par l’histoire et par la géographie.Le rôle de la DNF est de favoriser le dével-oppement des zones frontalières tout en procédant à la matérialisation des fron-tières. Ceci n’est pas antinomique puisque matéri-aliser les frontières c’est savoir où s’arrête administrativement l’Etat sans faire de la frontière une barrière. La DNF travaille à la coopération et à la collaboration entre les populations et les autorités administratives de part et d’autre de la frontière pour réaliser non seulement le développement de ces populations mais aussi construire progressivement leur inté-gration.

Comment se passe la cohabitation en-tre la DNF et la douane, cette dernière s’identifiant plus communément avec la notion de frontière ?

Pour l’instant la direction des douanes relève du ministère des finances tandis que nous sommes rattachés à celui de l’administration territoriale. Il n’y a donc pas de contact di-rect au niveau des tutelles tout comme il n’y a pas de contradiction. Je pense cependant que progressivement, la Cedeao doit chercher les voies et moy-ens pour que les douaniers de tous nos pays puissent avoir une structure commune pour éviter les tracasseries. Une démarche du même type devrait être entreprise en direction de la police et de la gendarmerie.

Aguibou S. Diarrah, Directeur national des frontières

du Mali (DNF), précédemment ambassadeur du Mali

au Ghana, Nigeria, Togo, Bénin, Tchad, Centrafrique,

Zaïre (RDC) et au Congo.

“Si le politique ne fait pas l’intégration, les populations la feront”.

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IDÉES

Rencontre avec...

Il a justement été beaucoup question des tracasseries aux frontières durant l’atelier

La Cedeao a certainement atteint certains de ses objectifs mais, pour nous, il sem-ble qu’il y ait encore beaucoup de choses à faire. Il y a eu des avancées mais davan-tage de blocages. De sa création en 1975 à ce jour, les populations ne sont pas allées à l’intégration comme voulu à cause des barrières administratives aux frontières, des tracasseries routières...Selon une évaluation de la Cedeao, au niveau de la frontière Nigeria/Bénin, mal-gré les textes de libre circulation des person-nes et des biens, les populations ne peuvent pas vaquer normalement à leurs affaires. Ça veut dire qu’il existe des blocages quelque part et que ces derniers se situent au niveau des frontières où l’on peut perdre deux à tr-ois heures de temps pour passer. Après plus de 40 ans d’indépendance et près de 30 ans de Cedeao, ces pratiques doivent être abolies. Et notre objectif, à partir de cet atelier est d’amener les autorités de la Cedeao à se rapprocher de l’intégration à la base, l’intégration de proximité au niveau de nos frontières.

Tout a été déjà pensé et consigné par écrit, comment expliquer ce problème général d’applicabilité ? Une structure comme la DNF ou une organisation telle que le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest peut-elle faire avancer les choses ?

Je suis entièrement d’accord que tout a été pensé mais rien ou presque rien n’est ap-pliqué. Là est le nœud du problème, de grandes idées qui demeurent vides parce que non appliquées. C’est ça l’Afrique ! Des projets qui n’avancent pas. Sur la question de l’application des textes, il est temps que la Cedeao accepte la mise en place en son sein d’un secrétariat en charge uniquement des questions des frontières, d’intégration de proximité et de développement frontalier.

Dans le cas de la DNF au Mali il y a eu décision politique et précisément l’engagement en son temps du président Alpha O. Konaré. Parmi les dirigeants ouest africains d’aujourd’hui, y a-t-il aujourd’hui au moins un chef d’Etat suff-isamment engagé sur la question des fron-tières pour appuyer politiquement votre vision ?Je ne peux pas répondre à cette question parce qu’elle est trop politique, mais je sais

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CHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 2005 .15

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IDÉES

qu’au Mali, la continuité existe et le chef d’Etat actuel du Mali, Ali T. Touré est ac-quis à la cause de l’intégration. Toutes les Constitutions du pays ont stipulé que le Mali peut faire abandon d’une partie ou de la totalité de sa souveraineté en vue de l’intégration. C’est un postulat inscrit dans nos textes fondamentaux et tous les chefs d’Etat du Mali, de Modibo Keita à A.T.T. ont été ac-quis à l’idée de cette intégration.

Le fait que les frontières représentent pour beaucoup de pays et certainement pour les pays enclavés la principale source de recettes nationales explique-t-il cette lour-deur, cette réticence dans l’application des textes sur la libre circulation ?

Je suis d’accord que cela paraisse constituer une cause fondamentale du blocage mais il va falloir un jour dépasser cela. L’exemple de l’Union européenne est là ; si le politique ne fait pas l’intégration, les populations la feront. On ne peut pas continuer à s’accrocher à l’idée qu’on fera entrer peu d’argent dans les caisses de l’Etat avec la disparition des frontières. Il faut plutôt envisager l’apport dans le cad-re de l’union. Avec la mondialisation, un seul pays, en solitaire, ne peut plus aller vers le développement. Il faut s’intégrer dans la mouvance mondialiste, voir grand et non continuer à voir petit.

L’idée d’un observatoire dans tout cela ?

Je pense que c’est notre salut. S’il n’y a pas une structure à la Cedeao pour faire bouger les choses, les projets vont dormir dans les tiroirs et puis, terminé !

S’appuyer sur les acteurs locaux est-elle la bonne démarche ?

Oui, c’est celle qui peut faire en sorte que l’intégration avance. Nos pays ont vécu beaucoup d’expériences mais rien n’a abou-ti. Cette démarche qui consiste à impliquer les acteurs locaux est la bonne car ce sont eux les premiers concernés. Il y a un proverbe bambara qui dit « on ne peut raser la tête d’une personne en son ab-sence ». Parlant de coopération transfron-talière, de coopération de proximité, les acteurs locaux sont les premiers concernés.

Les fonctionnaires sont nombreux aux côtés des opérateurs économiques parmi les acteurs locaux. Le risque n’est-il pas grand de voir les projets souffrir des affectations de ces fonctionnaires à d’autres fonctions com-me c’est souvent le cas en Afrique ?

C’est sûr qu’à la base, la continuité est in-dispensable. Il faut pour cela travailler en réseaux afin que les mutations des fonc-tionnaires n’affectent pas la continuité du travail. La notion de réseau doit primer sur celle des individualités. Nous sommes dans une mouvance où il faut travailler de manière à ce que les choses puissent continuer à marcher.

La jonction avec l’exemple européen est-elle viable quand on sait qu’en Afrique nous sommes des experts en contradiction : lorsque nous suivons quelqu’un, nous évitons son pas vers la terre ferme pour mettre le pied dans le trou qu’il a évité ?

(Rire !) Bien dit et bien vu ! Il nous faut tirer des leçons de chaque expérience, que ce soit en Europe ou en Amérique. Je crois que l’exemple européen peut nous aider à trouver des solutions à certains de nos problèmes et éviter d’autres auxquels ils ont eu à faire face pendant qu’ils édifiaient l’Union européenne

Statut

Service central créé en mars 1999 et rat-taché au ministère de l’Administration ter-ritoriale et des collectivités locales.

Objet

Clarifier le tracé des frontières avec les pays voisins ; remédier à la grande perméabilité des frontières ; favoriser l’intégration des communautés vivant dans les zones fron-talières.

Mission

Elaborer les éléments de la politique na-tionale des frontières ; assurer la coordina-tion et le contrôle de l’action des autorités administratives, des services et organismes publics qui concourent à la mise en œuvre de cette politique.

Axes

Renforcement du processus d’intégration sous-régionale à travers des actions de coopération administrative et économique entre autorités frontalières ; matérialisation des frontières ; développement et équipe-ment des zones frontalières.

Le Mali

Un des pays enclavés les plus vastes d’Afrique de l’Ouest avec une superficie de 1.241.230 km² ; 7.595 km de fron-tières avec au Nord-ouest la Mauritanie, au Nord l’Algérie, à l’Est le Niger, au Sud le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et la Guinée et à l’Ouest le Sénégal : 7 zones frontalières issues de lignes de partage coloniales arbi-traires et artificielles qui n’ont tenu compte ni de l’histoire, ni de l’ethnie, ni des zones agro écologiques et de la culture des popu-lations.

Direction nationale des frontières

En savoir pluswww.afriquefrontieres.org

ContactDirection nationale des frontières

du Mali, Tel. 223-2 22 35 75

Email : [email protected]

DNF

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. CHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 2005

En cette dernière semaine de décembre 2004, Tambacounda bruit de mille rythmes et se pare d’autant de ces couleurs qui font l’Afrique de l’Ouest. Partout, la ville arbore de ces signes et vit cette ambiance reflets d’une manifestation à la longévité surpre-nante et aux modes d’organisation insolites : « la Semaine de l’amitié et de la fraternité (Safra) ». Décembre 2004, 18è édition de la Safra, la troisième du genre pour Tam-bacounda.Une semaine durant, Tambacounda n’a plus rien de ce patelin perçu comme un purgatoire pour fonctionnaire en disgrâce. La capitale du Sénégal oriental a plutôt les allures d’une capitale d’un ensemble ouest africain. On y parle anglais, arabe, portugais à côté du français, en raison des langues officielles des pays d’origine des participants à la Safra. Mais, entre acteurs de cette semaine, on parle plutôt bambara, malinké, mandingue, soninké, bamana, hassanya, pulaar… langues officieuses de cette expérience d’interpénétration des pe-uples, bien loin des calendriers officiels et des agendas gouvernementaux. Et la régu-larité, l’enthousiasme, la fébrilité et l’élan populaire dans lesquels se tient cette Safra a de quoi donner le complexe à des gouver-nants qui parlent d’intégration en feignant d’ignorer que ses bases les plus solides sont d’abord les peuples.Depuis vingt-quatre ans, chaque année, ces six villes se retrouvent dans l’une d’elles et fêtent l’amitié et la fraternité fortes que leurs populations se vouent. “On mange ensemble, dort ensemble, fait tout ensem-ble”, pour reprendre la belle boutade de Mme Sidibé Diaba Camara du Mali, un des piliers de cette expérience. En effet, le fes-tivalier préfère loger chez l’habitant, plutôt qu’à l’hôtel, pour donner un sens plus grand à la démarche qui les réunit tous ici.Ils sont artistes, sportifs, femmes et hom-mes, acteurs économiques, à se retrouver à Tamba pour la Safra qui gagne en popu-larité. Tout le monde en parle dans la ville. Chaque étranger qui débarque ici, s’entend demander s’il est un participant à la Safra. Et cette interpellation témoigne du degré de popularité d’une fête qui mobilise toute une ville, toute une région. Cela se vérifie le jour de l’ouverture solennelle de la Safra au stade municipal « rempli comme un œuf ». Les autorités sénégalaises sont représentées par le Premier ministre Macky Sall qui pré-side la cérémonie d’ouverture. Le chef du

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REPORTAGE 18e SAFRATAMBACOUNDA (Sénégal) Sept jours de fraternité sans frontière

Envoyé spécial Jean Meissa DIOP

Foot et bals à gogo

Le volet sportif de la Safra se consacre à une série de tournois dans différentes disciplines, du football au handball en passant par le volley-ball. Le foot évidemment concentre le plus grand engoue-ment avec un tournoi assimilable à une mini-coupe Cabral (du nom de ce trophée que se disputent tous les deux ans les équipes nationales de foot de la Zone 2 : Cap Vert, Gambie, Guinée, Guinée Bissau, Mali, Mauritanie, Sénégal, Sierra Leone). Chaque soir, le stade municipal fait le plein de spectateurs dans une ambi-ance survoltée. Ce n’est pas Sélibaby qui rencontre Bassé, c’est la Mauritanie face au Mali. Une forme de Coupe d’Afrique des Nations !Côté loisirs, la Safra donne lieu à des soirées folkloriques très dansantes… altruistes et intégratives : le 26 décembre étant anni-versaire de la fête de l’Indépendance de la Guinée-Bissau, le pro-gramme des manifestations est modifié en l’honneur de ce pays

Tamba qui flamboie au nom de l’amitié et de la fraternité. A peine éteints les lampi-ons du 4e festival « Tamba-Genève-Dakar », place à la Safra. Des allées menant à l’hôtel de ville, le stade municipal et au lycée convergent des festivaliers. Ils viennent principalement des villes de Kayes au Mali, Sélibaby en Mauritanie, Bassé en Gambie, Gabou en Guinée-Bissau et Boké en République de Guinée. Depuis vingt-quatre ans, ces six villes se retrouvent régulièrement dans l’une d’elles et célèbrent l’amitié et la fraternité de leurs populations.

gouvernement est entouré des sept ministres susceptibles d’être intéressés par les ques-tions abordées lors des colloques : ministres du Tourisme, de la Santé, de la Jeunesse, du Sport, du Nepad, du Plan et développement durable, de la Décentralisation et collectiv-ités locales, et de la Coopération décentral-isée. Côté hôtes, sont présents les maires de Bassé et de Sélibaby, les premiers adjoints aux maires de Kayes et de Gabou et d’autres autorités administratives. Des communes européennes partenaires de Tamba dont la Roche-sur-Yon (France), Sant Niklaus (Al-lemagne), une autre de Belgique ont mandé des délégations et ajouté une touche encore plus internationale à l’événement.Défilé civil rythmé par la fanfare du 4è ba-taillon de l’armée sénégalaise. Défilé des six délégations où se côtoient des sportifs, artistes, femmes et hommes d’affaires… Gabou défile sous une large bannière por-tant les six drapeaux avec en inscription « Paz e reconciliação ». La banderole de Boké scande « Une meilleure intégration des communautés ». Le folklore bassari de Tamba, le djambadong des Gambiens, le chéchia rouge des délégués de Boké. On parle anglais, portu-gais, français, arabe. Mais surtout, on parle hassaniya, pu-laar, mandingue, malinké, soninké… Toutes ces langues t r an s f ron ta l i è re s qui ont été celles des empires (Mali, Ghana…) dont la disparition n’a pas entamé le désir com-mun de rester frères. Et cette trouvaille qu’est la Safra résiste au temps et survit

étonnamment aux vicissitudes des relations entre Etats. Comme par exemple aux hou-leuses relations sénégalo-mauritaniennes dans les années 90…Pour Ben Youssouf Aidara, le président du Bureau international de coordination de la Safra, cette semaine est « le couronnement d’un vaste projet initié il y a vingt-quatre ans », un projet porté avec conviction « par des hommes et femmes de la région » et « la preuve qu’il existe plusieurs manières d’aborder l’intégration » à travers une « zone de solidarité agissante ». La Safra, une « ap-proche de l’intégration par le bas, différente de l’approche classique supra étatique ».L’événement a un pouvoir certain de mo-bilisation populaire. Le Premier ministre Macky Sall en profite pour souhaiter une Safra qui exploite également « les recettes inestimables du cousinage à plaisanterie » en faveur des nouveaux enjeux : lutte con-tre le sida, trafic de drogue, circulation des armes légères. Enfin, M. Sall a estimé per-tinent d’étudier la possibilité pour les min-istères de la Jeunesse et des Sports d’intégrer la Safra dans leur calendrier républicain.

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CHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 2005 .17

REPORTAGE 18e SAFRA

“Un concept d’intégration par le bas”

Ben Youssouf Aïdara, Président du Bureau International de Coordination de la SafraEntretien avec...

Histoire de taquiner Ben Youssouf Aïdara, ses compagnons le surnomment le “Roi de la Safra”. Un titre que lui vaut sans doute le leadership qu’il exerce au sein de cette organisation régionale, expérience d’“intégration Ouest africaine par le bas” - le mot est de lui - dont il a été et reste le commis-voyageur et la mémoire. Il est de ceux qui en ont jeté les bases et parcouru les six villes pour bâtir, pierre par pierre, cet édifice. La cinquantaine passée et grisonnante, Ben Youssouf Aïdara est une idole, un intégrationniste qui martèle ses convictions avec aisance et force. « Chroniques Frontalières » l’a intercepté au bas de la tribune d’ouverture de la 18è Safra pour lui arracher un entretien.

Dans votre allocution d’ouverture de la Sa-fra vous avez lancé un appel en direction des autorités des Etats à “légitimer la Sa-fra”, la satisfaction d’une telle demande ne condamnerait-elle pas la Safra à la sclérose, à l’image de celle qui finit par atteindre les organismes inter-Etatiques régionaux ?

C’est une crainte que peut avoir une per-sonne peu imprégnée de la situation que nous vivons depuis vingt quatre ans. A l’origine, la Safra n’était constituée que par les villes, chefs-lieux de région ou de prov-ince de cette région ouest africaine. Puis, elle s’est étendue aux régions tout en-tières. Nous avons eu différentes approches avec, par exemple, l’Union zonale pour la pro-motion des activités socio-éducatives (Uz-opase) qui relève de la Zone 2 du Conseil supérieur du sport en Afrique et cela depuis 1985 en Guinée. Enfin nous nous sommes dits que la Safra ne peut être inféodée à un quelconque or-ganisme et devait garder sa spécificité.La Safra a engrangé des acquis dont nous pouvons être fiers : la consolidation des relations entre les populations de cette ré-gion, la participation à la revalorisation du patrimoine culturel et, sur le plan spor-tif, la réhabilitation ou l’aménagement d’infrastructures sportives performantes. Mieux, la libre circulation des biens et des personnes, qui pose problème au niveau de la Cedeao, se trouve quelque peu résolue dans notre région grâce aux efforts de la Safra. Nous avons même récemment mis en place le « Réseau des maires des villes membres de la Safra ». Réunir les autorités des collectivités décen-tralisées pour qu’elles puissent voir ensem-ble ce qu’elles peuvent faire. Nous visons aujourd’hui un réseau des gou-verneurs de régions et - pourquoi pas ? - des préfets et - pourquoi pas encore ? - un ré-

seau des médecins, des directeurs régionaux de santé. Mais tout cela dans le cadre bien compris de nos objectifs prioritaires de resserrer les liens d’amitié et de fraternité entre les peu-ples de la région. En ces heures de globalisation, les popula-tions de la région sont confrontées à des problèmes identiques en terme de dévelop-pement. La Safra peut permettre aux dif-férents opérateurs économiques des zones de la région de se concerter, de voir ensem-ble ce qu’elles peuvent faire. Mais nous avons besoin - parce que nous sommes des acteurs locaux à la base - de moyens financiers, et donc d’une aide des Etats, financière, matérielle et morale, sans pour autant qu’elle nous étouffe car, là, nous nous battrons pour garder notre iden-tité. C’est ce que j’ai appelé (longues hésita-tions) « la légitimation ».

Légitimation ou légalisation ?

Légalisation peut-être, car je ne voulais pas utiliser le terme institutionnalisation. J’en ai peur, j’en ai peur parce que les velléités de récupération des gouvernants sont à crain-dre. Toutefois, nous souhaitons que les gouv-ernants puissent s’appuyer sur ce que nous faisons.

S’appuyer sur ce que vous avez déjà réalisé ou à partir de ce qu’ils ont déjà entrepris sur le plan institutionnel ?

Sur ce que nous avons déjà réalisé. C’est pourquoi je dis que nous allons nous battre pour qu’on ne nous arrache pas notre bébé, (ou plutôt notre garçon). La Safra a tout de même vingt-quatre ans d’existence. Les objectifs fixés au départ ont été atteints largement et nous pouvons à présent viser une autre dimension, celle de l’approche socio-économique, le dévelop-pement.

Vous avez énuméré un certain nombre d’acquis obtenus grâce à la Safra, des in-frastructures sportives et culturelles notam-ment, comment cela a-t-il été possible ? la Safra se serait-elle muée en une force de pression ou de persuasion ?

Je dirais de persuasion, car au départ les re-sponsables de nos Etats ont regardé et vu la Safra d’un œil circonspect. Les autorités n’y croyaient pas. C’était faire peu de cas de la dimension culturelle du développement. Quand elles se sont rendues compte qu’à travers ces actions culturelles et sportives, se tissait un brassage fécond de la jeunesse, elles se sont dit, pourquoi ne pas épauler ces jeunes-là ?

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. CHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 200518

Au départ, nous avions vingt-deux ans, vingt-trois pour certains, et même vingt quatre, mais aujourd’hui nous avons dé-passé la cinquantaine pour ceux qui ont posé les jalons de la Safra. C’est pourquoi nous affirmons une cer-taine maturité tout en restant reconnaissant aux quelques gouvernements qui agissent, même si ce quelque chose, nous le consid-érons encore très faible.

Quel est le secret de la Safra ou sa recette, ce qui en fait une structure au fonctionne-ment plus ou moins informel mais obten-ant des succès là où piétinent des organis-mes inter-Etatiques aux mêmes objectifs d’intégration ?

Il y a l’acceptation de l’autre, une attention particulière à ce que représentent les jeunes. Il y a une certaine confiance sous-tendue par la volonté commune des populations de se retrouver et de faire des choses ensemble, de reconstruire un ensemble, leur vieille Af-rique. Quand on regarde la composition soci-ologique des Etats membres de la Safra à travers leur ville, on se trouve face à une même grande communauté. Par le passé, le grand empire mandingue du Mali couvrait tous ces Etats. La colonisation est venue, elle a fait son petit partage, mais les peuples sont restés les mêmes. La Safra réunit aujourd’hui trois pays fran-cophones, un lusophone, un anglophone et un arabophone. Mais au-delà de cette ap-partenance à des langues qui ne sont pas af-ricaines, il y a une communauté de dialectes, le mandingue, le sarakholé, le peulh…

Et les divers échanges - culturels, économiques… - se construisent autour de ces langues ?

C’est là justement une dimension à ne pas négliger.

Jusqu’à présent, on constate que ce sont les mêmes six villes, à savoir Sélibaby, Tam-bacounda, Kayes, Boké, Gabou et Bassé, qui participent à la Safra. Cette manifesta-tion s’est-elle cristallisée autour de ces villes-membres ou bien envisage-t-elle une exten-sion à d’autres villes dans d’autres Etats de la région ?

Ce n’est pas un secret, nous envisageons une extension à d’autres villes, mais d’autres pays. Depuis six ans, la ville de Sal au Cap-Vert attend son intégration et elle était présente comme observatrice à l’édition de Sélibaby en 1998. Ça traîne parce qu’au niveau du bureau de coordination, nous sommes confrontés à des problèmes financiers. Nous avions dé-cidé d’effectuer des missions au Cap-Vert, dans les villes de Sal et Praia notamment puisque finalement il y a deux villes can-didates dans ce pays, avec des jeunes et des femmes très dynamiques. Le problème pour la ville de Praia est que jusqu’à présent la Safra n’accepte pas de capitale nationale. Ne sont admis que les chefs-lieux de provinces et de région. Nous avons également un programme, pourquoi pas ? pour la Sierra Leone, maintenant que les armes se sont tues.

Les différentes allocutions ont abordé des thématiques très actuelles - qui figurent d’ailleurs au programme de cette 18è se-maine - à savoir la circulation des armes légères, la paix, la lutte contre la drogue… Quel peut être l’apport de la Safra dans la lutte contre ces fléaux ?

Quand on parle du sida et du trafic d’armes légères par exemple, on pense en premier lieu aux jeunes. Nous disons que les au-torités des différents Etats ont des approch-es peut-être différentes dans la résolution de ces problèmes. Nous voulons leur offrir no-tre cadre. Pourquoi les autorités médicales n’échangeraient-elles pas ici leurs expérienc-

es en matière de lutte contre le sida et envisager une stratégie commune ? Dans le cadre du trafic des armes et de la drogue, les responsables de lo-calités et des forces de sécurité de la région ont déjà saisi l’opportunité au cours de cette Safra. Se rencontrer, faire connaissance, réfléchir sur ce qui peut être entrepris ensemble vu que tous sont confrontés aux mêmes problèmes, c’est sous cet angle que nous avons inscrit ces thématiques dans les activités de la 18è édition.

La Safra est un ensemble d’acquis sociaux, culturels, sportifs, mais que peut apporter cette semaine au plan économique ?

Economiquement, il y a aussi une avancée importante puisque la Safra comporte, entre autres, l’Association des femmes de la Safra (Af-Safra) qui a institué une foire exposi-tion-vente annuelle ouverte aux femmes de la région. Il y a donc des stands d’exposition de produits de l’agriculture et de l’artisanat des pays de la région. Ces femmes, des opératrices économiques pour la plupart, vont se connaître et ainsi va se créer un courant d’échanges. Quand on parle du commerce en Afrique, il faut penser d’abord aux femmes qui constituent une importante force économique.

Et si vous nous racontiez l’histoire de la Sa-fra… Pourquoi et comment en est-on venu à prendre Tamba, Kayes... Quelle est l’origine du choix des six villes partenaires ?

(Rires) La Safra est une initiative des jeunes de Kayes en l’occurrence, la section Unjm (Union nationale des jeunes de Mali) de Kayes, à l’époque de la Deuxième Répub-lique. Cette organisation de jeunes a entrepris de nouer des relations avec les jeunes de Tambacounda pour des échanges sportifs. Juste cela dans un premier temps, puisque pour ceux de Kayes, Tambacounda, c’est la porte d’à côté. Mais déjà, en 1974-75, cette même jeunesse de Kayes entretenait des relations avec des jeunes de Sélibaby, en Mauritanie. A partir des échanges, Kayes-Sélibaby, Kayes-Tambacounda, d’autres jeunes y ont vu une démarche qui pouvait leur apporter un plus. C’est ainsi que les jeunes de Bassé, en Gam-bie, sont arrivés. Alors, nous nous sommes dit, pourquoi ne pas aller vers les autres puisque nous sommes dorénavant trois ou quatre ? Ensuite, nous a rejoint Boké et, par des mis-sions de rapprochement, nous sommes ar-rivés à mettre tout le monde dans la même baraque, la Safra, régie par une charte

REPORTAGE 18e SAFRA

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CHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 2005 .

Echanges et promotion régionale

Dans la cour du Village artisanal de Tambacounda, les stands de krintin (pal-issade de lamelles de bambou) s’étendent tels des stands de kermesse. Dans cha-cun de ces stands, les participants, des femmes pour la plupart, exposent les produits de leur cru : pagnes teints du Mali très recherchés, voiles mauritaniens, articles de maroquinerie, produits agri-coles de Tambacounda, vannerie, huile de sésame, beurre de karité… Tout ici donne un aperçu de la diversité des produits autour desquels peuvent se développer des échanges commerciaux entre les populations de la région. Madani Traoré, un tradipraticien venu de Kayes propose une gamme de recettes de

la pharmacopée contre l’ulcère, les règles douloureuses, l’impuissance ou l’asthénie sexuelle, les maladies du foi, du rein, les rhumatismes…Des ONGs dont Gadec et d’autres organismes com-me l’Agence nationale pour le conseil agricole et rural (Ancar) sont présents pour vulgariser leurs expériences d’encadrement du monde rural et leurs produits, no-tamment le pressage de l’huile du sésame. Cette foire est pour Babou Dramé de l’Ancar, un «espace d’échanges pour promouvoir des approches nouvelles fondées sur l’expression des besoins des producteurs. Nous avons reçu une délégation malienne et une autre de Mauri-tanie venues s’enquérir de ce que nous faisons. Nous avons pu discuter de nouvelles démarches et de possibil-ités de partager ces expériences avec d’autres acteurs». La foire est l’occasion d’échanges intéressants entre les teinturières du Mali et du Sénégal, de discussions entre le Gadec et l’Ancar sur les transformations des produits d’origine animale comme le lait caillé pasteurisé et con-ditionné dans des sachets, le pressage du sésame...Finalement, «ce n’est pas la vente immédiate de pro-duits qui constitue l’essentiel dans cette foire», fait remarquer la présidente de l’Association des femmes de la Safra (Af-Safra) Diénéba Sidibé, responsable de l’organisation de la foire. «La région de Tamba regorge d’énormes potentialités, de ressources qui peuvent être valorisées et vulgarisées au niveau des foires de ce genre. Ce qui fait que je suis très satisfaite de voir les opéra-trices économiques de la région venir échanger avec nous et même avec les structures de développement de la région sur différents axes de développement de leurs localités». Mme Sidibé Diaba Camara du Mali renchérit : «Ce que nous voulons, c’est qu’en dehors de la Safra, nous puis-sions continuer à échanger en produits et en beaucoup d’autres choses. Nous voulons que la Safra parvienne à ce stade et nous sommes sur la bonne voie. Nous pen-sons qu’au fur et à mesure, les femmes vont continuer à échanger économiquement et même en dehors de la Safra»

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Si la Safra devait délivrer un prix de l’originalité, le trophée reviendrait au stand des Guinéens Djibril Diané et Mory Kaba dont l’attraction était as-surée par une quarantaine d’ouvrages écrits dans une graphie apparentée à l’Arabe par la forme et le mode de lecture, de la droite vers la gauche. Renseignement pris, ces ouvrages sont écrits en «N’ko», un alphabet ou plutôt un système d’écriture présenté comme pouvant «transcrire toutes les langues africaines et celles du monde, y compris le Chinois et le Russe». Selon Djibril Diané et Mory Kaba, il s’agit d’une écriture phonétique conçue depuis le 14 avril 1949 à Bingerville en Côte d’Ivoire coloniale par un savant du nom de Souleymane Kanté. Le «N’ko» combine 27 lettres (sept voyelles, dix-neuf consommes et une nasale) et tient compte de toutes les sinuosités de la langue transcrite - surtout les langues dites «à ton» - et rend même les subtilités stylistiques, syntaxiques et phonétiques.

Souleymane Kanté a appliqué son alphabet aux domaines les plus vastes de la connaissance humaine. Une collection de 183 livres en donne illus-tration et dans divers genres, simples manuels de lecture, romans, livres d’histoire, de géométrie, d’algèbre, de philosophie (notamment les pensées de cinquante philosophes d’avant notre ère), de théologie (le Coran et le Tafsir), de médecine, d’astronomie… Plus insolite encore dans les rayons du « N’ko », un dictionnaire encyclopédique illustré de trente trois mille (33 000) mots malinké et noms propres y compris la biographie succincte de quelques grandes figures africaines : Soundjata, Samory, Mandela, Ab-dou Diouf, Abdoulaye Wade, Houphouët-Boigny etc.

Ses présentateurs soutiennent que le «N’ko» figure dans le programme de cinq universités américaines, en l’occurrence dans les Etats de Philadel-phie, Washington, New York et en Californie. La transcription du Coran et d’autres livres islamiques a été homologuée par l’université de Médina et l’institut Al Ahzar du Caire.

Le «N’ko» est tout d’abord une expression qui signifie «je dis» dans trois langues ouest africaines, le bambara, le mandingue et le banana. Mory Kaba, secrétaire général de la section Tamba de l’association «N’ko», y voit « un système d’écriture lié ni à une culture ni à une ethnie » et donc un ter-rain d’unification du mandingue mais aussi des autres langues de la région ouest africaine.En attendant de pouvoir lui donner un statut officiel, les promoteurs du «N’ko» sont présents à la Safra depuis l’édition de 1992 et se réjouissent de la mise en route du Mouvement culturel mandingue pour le développe-ment, en abrégé «N’ko Mcmd», avec siège provisoire à Dakar au Sénégal et un bureau dans chaque pays membre de la Safra. La Guinée à elle seule compterait dix associations «N’kop» et un périodique écrit en «Nko»

Le «N’KO», une écriture africaine ?

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REPORTAGE 18e SAFRA

En savoir plus sur le « N’ko » : www.nkoinstitute.com ; www.kanjamadi.com ;

www.icra-nko.com

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. CHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 2005

Fatigué de voir que les frontières étaient encore des barrières, il décida de protester à sa façon, de marcher le long de toutes les frontières des pays membres de la Cedeao. Sur la ligne tel un funambule, un bras dans ce pays ci, un bras dans celui la, dire bonjour à son cousin de l’un et à sa cousine de l’autre. Les journaux, les radios, les télévisions parleraient de lui ; d’autres le suivraient ; il déclencherait un vaste mouvement citoyen ; les choses changeraient. Il ne savait pas nager, il n’avait pas de bateau et il était sujet au mal de mer, aucune famille parmi les poissons ; il prit la décision de ne longer que les frontières ter-restres. Il consulta les livres de géographie et calcula la longueur des lignes en question : vingt trois mille sept cent kilomètres ! En marchant huit heures chaque jour à raison de cinq kilomètres par heure, il comprit que la promenade durerait 20 mois. «Trop long» dit-il. Alors il décida de ne parcourir que les frontières in-ternes de la Cedeao. «Je suis un ouest africain et quand je marcherai j’aurai de la ouestafrique à gauche et de la ouestafrique à droite». Il recalcula et vit qu’il lui faud-rait 13 mois pour marcher les quinze mille cent quatre vingt huit kilomètres que cela fait. «Encore trop long» dit-il, «Les médias se fatigueront de me suivre». Il opta donc pour un itinéraire symbolique et raison-nable : faire le tour du Faso (pas la course de vélo) car ce pays est le seul de la région à n’être bordé que par d’autres pays de la Cedeao ; également celui dont la longueur des frontières Cedeao est la plus élevée.«Le Burkina est vraiment le pays des hommes inté-grés ; de la ouestafrique à gauche, à droite, devant et derrière ; deux mille huit cent quatre vingt six kil-omètres, ça se fait en 70 jours à condition de ne pas lambiner». Il décida d’entamer sa marche citoyenne le 17 mars 2005.Partir de la frontière avec le Bénin, aux confins du parc national du W, remonter vers le nord et le Niger, plus haut le Mali, redescendre vers la Côte d’Ivoire, longer le pays longtemps et rejoindre le Ghana puis le Togo. Retour au point de départ le 27 mai, attraper un taxi-brousse pour traverser le Niger et être à Abuja le 28 mai pour le 30ième anniversaire de la Cedeao. Raconter les frontières

24 000 kilomètres de frontières à pied

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CARNET DE ROUTE

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Ville passante, Cinkanssé-Togo épouse sur près de 6 km sa longueur de la na-tionale 1, la route internationale reliant le Togo au Burkina et déchirant la ville du sud au nord d’une bande d’asphalte, l’unique de la petite bourgade. De part et d’autre de cette bande asphaltée a surgi une infrastructure d’échoppes, d’alimentations dites « générales », d’auberges se donnant le nom d’hôtel, et une pléthore de petits restaurants au modèle togolais et burkinabé. Un véritable fourreau fonctionnel pour le tronçon urbain de la nationale 1 qui ne désemplit pas de routiers et voyageurs. Les restaurateurs sont les premiers bénéficiaires de la parcimonie avec laquelle la douane délivre ses laisser-passer. Avec une moyenne journalière de 300 camions en stationnement sans parler des cars de transport de passagers, les restaurateurs ont, à Cinkanssé, le luxe de refuser du monde. Les restaurants sont construits sur le même style de bicoques en matéri-aux assemblés mais répondent à deux types de culture culinaires : le fast-food à la burkinabé spécialiste des repas légers et le maquis à la togolaise débit non stop de plats de résistance.

«Marmite chaude», «Sougour nooma» et Cie…

“Sougour Nooma” le fast food à la burkinabéLa restauration offre un débouché certain aux Burkinabés plus avertis que les Togolais en service de repas légers. Ce n’est donc pas un hasard si plus de la moitié des tenanciers des maquis de Cinkanssé-Togo viennent de l’autre côté de la frontière. Un simple abri de planches sur une surface de ciment, un comptoir, quelques tables et chaises quand ce n’est pas des bancs, et le tour est joué. Café en toute heure, omelettes, tranches de pain beurré, constituent l’ordinaire. Les Burkinabé sont d’autant plus à l’aise à Cinkanssé-Togo que la première langue de la localité est le «yana», une variante du moré, principale langue du Burkina. Les Burkinabé à Cinkanssé-Togo, «comme poisson dans l’eau» dit-on. Il en est ainsi de Mady Bilgo, 24 ans, cuisinier et Karim Koné, 20 ans, serveur-manoeuvre, deux garçons qui ne connaissent pas grand chose de la ville de Cinkanssé. Ils n’ont simplement pas le temps de faire autre chose que chauffer les casseroles et dresser des tables. De 6 H à 23 H, tous les jours, ils sont au service des clients de leur petit restau-rant, «Sougour Nooma» (le pardon est bon, en moré, langue du Burkina) pro-longement sous le même toit, d’une boutique et d’un télécentre. La clientèle est toujours la même, pour la plupart des conducteurs et leurs aides, Burkinabés,

Nigériens, Maliens, Nigérians et Ivoiriens depuis un certain temps. Ces deux garçons venus de Ouaga il y a 8 mois, font recette pour un autre Burkinabé, Nikiéma Lassane, le pa-tron installé à Cinkanssé depuis plus de 15 ans. Son restaurant n’en a pas l’air mais il est une bonne affaire, plus rent-able que sa boutique et son télécen-tre réunis : «100.000 F et poussière Le cuisinier décorateur devant une de ses oeuvres.

FRONTIÈRE TOGO - BURKINA

Humour

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CHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 2005 .21

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de recette par jour, un peu plus les samedi, dimanche et lundi, pour une dépense quo-tidienne de 10.000 F pour la viande, le foie, les rognons» confie le cuisinier. Pour les pâtes, le riz et les ingrédients, tomate, arômes, sel, piment «on se sert à la boutique et, à la fin du mois, on fait les comptes». Sacré Nikiéma, il a flairé le filon en débauchant Mady du restaurant «Nayal-gué» au quartier Gounghin de Ouaga. Ce dernier n’a posé comme condition que de pouvoir amener son ami et voisin Karim. Une affaire de voisins en somme puisque Mady dit du patron «c’est mon voisin quand il vient à Ouaga».

Logés aux frais du patron, nourris au res-taurant, ils ont un salaire mensuel de 20 000 F pour Mady et 12.000 F pour Karim. Sont-ils satisfaits ? «Si j’avais les moyens, je m’installerais à mon propre compte» soupire Mady. Gérer sa propre affaire, il en a l’étoffe. C’est lui qui a «fait la décoration du restaurant, constitué le menu, revu les tarifs à la baisse pour attirer plus de clients». Il est d’autant plus sûr de lui qu’il a tâté à pas mal de choses, roulé sa bosse comme on dit, comme maçon, peintre en bâtiment, poseur de carreaux, agent d’hygiène, chaudronni-er… Il n’est pas sûr que Nikiéma Lassane puisse garder longtemps son cuisinier

Le CREDOCurieux Credo que celui récité par les «porteurs de tenues» comme on appelle communé-ment au Togo et au Burkina les agents des forces de l’ordre public : policier, gendarme, militaire, douanier, forestier… Credo de l’intégration transfrontalière par la douillette gri-serie d’un bar-restaurant contigu à ce qui sera le complexe d’un poste de contrôle commun. Un comptoir et deux terrasses sous abri, une cour aux manguiers fort ombrageux. Suffisant pour une détente autour d’un gueuleton bien arrosé. Ce Credo-là se récite à dix pas de l’actuel bâtiment de la douane burkinabé et à cinquante de la togolaise et c’est vous dire si ses adeptes sont nombreux quand vient l’heure de se recueillir après le boulot. Avec le crépuscule se ferme le passage frontalier aux gros porteurs et aux transports publics. Tant pis pour les agents de permanence chargés des mouvements des véhicules privés et des particuliers à moto, à vélo ou à pieds ; la fraîcheur nocturne se savoure mieux au Credo, viande et bière à gogo, jus de fruit et liqueur à volonté, service assurée par de ravissantes jeunes filles. Le Credo est le Centre de Réjouissance et d’Entraide Douanier que la douane burkinabé a pensé pour souder la collaboration douanière des deux Cinkanssé héritées de la colonisa-tion. Parce que la colonisation a réussi le partage en deux de la ville mais sans pouvoir les différencier par le nom : on a donc Cinkanssé-Burkina et Cinkanssé-Togo séparées par un petit pont de 10m de long sur un tout aussi petit ruisseau ou kori là où passe la route internationale. Le Credo anticipe la réunion des agents de la frontière, comme pour baliser le territoire pour le projet très institutionnel celui-là de «Bureaux communs nationaux juxtaposés / BCNJ)», (projet de création de postes frontières communs entre les Etats membres de l’Uemoa). Rien de tel qu’une concertation autour d’un pot pour matérialiser l’intégration transfrontalière. Au nom de la réjouissance et de l’entraide et des douaniers… Faut-il reprocher aux douaniers d’avoir la coopération très transfrontalière ?.

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Le Fufu, un des plats les plus demandés se pile en toute heure.

La marmite chaude

Sacré filon que la restauration à Cinkans-sé-Togo. La dame Koudahé Julienne Adjovi lui doit de s’être fixée dans cette ville qui lui rappelle pourtant un cruel souvenir, le décès en 2000 du père de ses quatre enfants, deux filles et des jumeaux. Originaire de Vogan, petite ville du sud du Togo, elle arrive à Cinkanssé en 1994 suite à l’affectation professionnelle de son mari fonctionnaire. Pour l’aider à boucler les fins de mois, elle se lance dans la vente de prêts-à-porter. Le décès de son mari lui commande de trouver une activité plus lu-crative. «j’ai remarquée qu’il manquait des restau-rants qui servent de vrais plats, des repas consistants comme on aime en Afrique» se rappelle-t-elle.

Elle loue une parcelle à 15.000 F le mois et y construit un restaurant de spécialités togolaises. «On ne vient pas à «la marmite chaude» pour le café mais pour faire un vrai plein » lance-t-elle sarcastique. De 8H à 22H, Julienne garantit un repas chaud. «J’ai baptisé mon restaurant la mar-mite chaude parce qu’effectivement, ma marmite est toujours chaude, du matin au soir, à n’importe qu’elle heure, je sers des repas chauds». Fufu (igname pilé), riz, pâte de maïs, cous-cous, riz, ragoût d’igname, sauce légume, sauce graine, viande de bœuf, de mouton, poulet… constituent son ordinaire.La marmite chaude tourne au rythme d’environ 1000 plats servis chaque jour «des plats de résistance uniquement» souligne-t-elle.

Elle a si bien réussi son pari que son nom est oublié et le tout Cinkanssé l’appelle «Marmite chaude».Mais que d’efforts consentis ! «J’ai fait ve-nir ma maman pour me prêter main forte et je dépense beaucoup pour payer mon personnel, sept (7) filles au total, plus un jeune homme pour la boisson». Ajouté aux taxes municipales et aux dépenses de la cui-sine, ça fait «trop de charges à supporter» se plaint-elle. Mais, elle avoue s’y plaire et confie : «si j’ai les moyens je vais agrandir le restaurant». Son chiffre d’affaires ne doit pas se porter aussi mal qu’elle le prétend et la restaura-tion a encore de beaux jours à Cinkanssé

Mme Koudahé Julienne alias “Mme Marmite chaude”

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La volonté en bandoulière, il n’en faut pas beaucoup pour faire grand. Le Centre de soins de Biankouri, référence qualité/prix en matière de santé dans la sous-préfecture de Cinkanssé-Togo, est un lot de bâtiments disposés en rectangle sur un site qui lui donne une option d’extension à souhait. Un rectangle piqué d’un timide grillage avec porte d’entrée principale sur la façade sud à l’opposé du domicile des soeurs, les trois autres côtés donnant sur les champs. A l’intérieur du rectangle, deux construc-tions: un bâtiment à gauche de l’entrée côté Ouest d’environ 50 mètres ; un autre au milieu du rectangle, face à l’entrée, long de 30 mètres ; à l’extrême droite un petit deux pièces. Aux extrémités sud et nord, un

Un dispensaire sans frontière

hangar en tubes de fer et toit de tôles sur sol de ciment. Le plus long bâtiment abrite la salle princi-pale de consultation, le labo, la pharmacie, deux salles de soins (injection et panse-ment), et le dortoir du Centre de récupéra-tion nutritionnel (Cren) des enfants. La bâtisse centrale est réservée à la maternité, scindée en salle d’attente, salle d’accouchement, salle de repos où les femmes ac-couchées sont retenues un minimum de 24 heures quand l’accouchement se passe sans complication, et la salle d’hospitalisation en chantier d’extension.

Le deux pièces sert de dépôt pharmaceu-tique et de magasin. Enfin les deux hang-ars : celui de l’entrée côté sud où trône une balance pour nourrisson fait office de salle avancée de consultation; celui du fond Nord laisse échapper un fumet dénonçant l’emplacement de la cuisine-réfectoire du Cren. Les deux grands bâtiments sont agrémentés d’une terrasse d’environ 3m de large, fort utile en temps de canicule. Un dispositif à mi-chemin entre le dispensaire de cam-pagne et l’hôpital de jour mais dont la par-ticularité est de ne pas désemplir.Effectivement, avec une fréquentation d’une vingtaine de malades les jours sans, et des pointes journalières de 50 à 70 patients à certaines périodes, le Centre de soins de Bi-ankouri fait modeste comparé à l’affluence d’un centre hospitalier. Mais Biankouri est un village d’une centaine de toits et cela devient insolite de recevoir régulièrement tant de malades.L’absence de structure sanitaire à une diza-ine de kilomètres à la ronde n’explique pas tout. Les hôpitaux des villes de Cinkanssé-Togo à 11 km par route ou de Cinkanssé-Burkina

Centre de soins de Biankouri (CSB)

Un dispensaire de campagne qui ne paye pas de mine. Un peu plus de ciment et de tôles dans le décor. Perdu en pleine savane dans un milieu où le féticheur-guérisseur est maître des maux et des âmes, il fait cependant insolite. Affectez-y un personnel reli-gieux, ces bonnes sœurs dont le sacerdoce est fondé sur l’amour du prochain, et le gris des mûrs devient engageant. Implantez ce dispensaire dans l’extrême Nord du Togo, à un jet de pierre

du Ghana et du Burkina Faso, vous avez un petit dispensaire à stature internationale. Comme qui dirait, «dans les petits pots les bons onguents». Les sœurs religieuses ont fait du modeste Centre de soins de Biankouri (CSB) un dispensaire sans fron-tière, référence en matière d’excellence dans la sous-préfecture de Cinkanssé, préfecture de Dapaong au Togo.

«…Ici, on ne demande pas au malade d’où il vient, quelle est sa nationalité, sa religion, son groupe ethnique. On lui demande seulement de quoi il souffre et on s’efforce de lui donner satisfaction».

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Un hangar, une balance, suffisant pour une salle avancée de consultation.

Envoyé spécial Michel Bolouvi

Stèle à l’entrée du CSB

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à quelques 2 km plus loin, opposent une timide concurrence. Le Centre de soins de Biankouri leur rafle non seulement leurs patients mais en attire aussi des villages et hameaux du Ghana voisin. Ce qui n’est pas pour déplaire au personnel du CSB puisque tel était le dessein prédit à ce dispensaire dont l’implantation à Biank-ouri n’est pas fortuite.André Laré Yendouban, l’infirmier-chef du CSB nous reçoit dans sa salle de consulta-tion, le temps d’un répit aux environs de midi d’un jour poussiéreux de début jan-vier. Il raconte que le choix du site du CSB, à la lisière Nord du village de Biankouri, est le résultat d’une réflexion conjointe des au-torités administratives et coutumières de la région de Cinkanssé-Togo. Il s’est agit en 1980 de répondre au projet de sœur Claire François, une sœur francis-caine, de doter la région d’une infrastruc-ture sanitaire. La mission catholique de Da-paong répondait ainsi à la demande d’un centre de soins de santé par les populations de la région. Biankouri, modeste canton de la sous pré-fecture de Cinkanssé, à 2 km du Ghana et à une quinzaine de km par piste du Burkina Faso a vite fait l’unanimité et œuvre inté-grative puisque, confie l’infirmier chef du CSB, «nous recevons des malades du Burki-na, du Ghana, du canton de Cinkanssé et bien d’autres localités». Le projet de sœur Claire François lui a surtout bien survécu puisque, 25 ans plus tard, en ce jour d’harmattan de début janvier, le CSB est en effervescence : travaux d’agrandissement du bâtiment d’hospitalisation et chantier de construc-tion sur le terrain annexe à l’Est sous la su-pervision de Maldja Koïtidja Eugène, chef de canton de Biankouri et d’un enfant du pays, Sambiani Liwoibé Anatole, technic-

FRONTIÈRE TOGO - BURKINA

Le “fils du pays”, Sambiani Liwoibé Anatole, technicien supérieur de santé.

Les enfants malnutris du CREN par exemple, sont gardés, soignés et nourris pendant un mois pour une participation de 2000 F pour les parents.

ien supérieur de santé, ancien ministre du Travail, de l’Emploi et de la Fonction pub-lique du Togo de 1995 à 1999. Ce dernier est tout surexcité : «Le CSB ne cesse de s’agrandir. Au départ c’était un dis-pensaire constitué de 2 ou 3 bâtiments et, grâce à la volonté des sœurs et de la com-munauté de Biankouri, il a grandi de plus-ieurs bâtiments à la grande satisfaction des populations». Et il entend par populations: «nos parents, les parents des pays voisins tels que les Burkinabé, les Ghanéens et même les Béni-nois qui n’hésitent pas à parcourir des kil-omètres pour venir se soigner ici. C’est vous dire que ce centre bénéficie d’une certaine popularité, d’une renommée qui fait notre fierté à nous enfants de la région».Le petit centre est aujourd’hui devenu si important que les autorités administratives ont jugé bon de ne pas être en reste. «Il faut donner un coup de pouce aux sœurs» dit l’ex-ministre. D’où les travaux de construction d’un loge-ment pour l’infirmier d’Etat affecté au CSB et aussi d’un foyer de jeunes pour matérial-iser l’idée selon laquelle la santé est d’abord une affaire de sensibilisation, de combat de l’ignorance.L’infirmier d’Etat attendu à la célébration des 25 ans du CSB rejoint un effectif soign-ant modeste mais efficace. En l’occurrence, une équipe mobile constituée d’un agent de consultation et un de vaccination qui font la tournée des villages ; 2 sages-femmes, 2 puéricultrices au Cren (Centre de récupéra-tion nutritionnelle, voir encadré) ; 2 agents à la consultation médicale; 2 au labo ; 3 à la pharmacie ; et 2 sœurs aux soins, de la congrégation Ste Catherine.

Il ne faudrait surtout pas oublier les agents d’entretien. Si le centre est un modèle de propreté et présente un visage des plus ac-cueillants, il le doit à une équipe qui joue sans cesse du balai et de la serpillière. Atout majeur de ce collectif : «la polyvalence au niveau des agents» dont se félicite sœur Elisabeth Tehoul, directrice du CSB. L’ex-ministre ajouterait le culte du travail chez la sœur directrice : «elle travaille comme un âne, passez-moi l’expression».

L’accueil en premier soin

Personnel soignant, malades, visiteurs, tout le monde s’accorde : le CSB doit sa réputa-tion au culte qu’on y voue à l’accueil. Le sens de l’accueil, tout réside dans ce petit quelque chose qui met à l’aise, crée un cli-mat de confiance, assoit une prédisposition souvent essentielle en thérapie.L’accueil est le Credo du petit monde du centre de soins de Biankouri. C’est à sa qualité devenue un comportement que le petit dispensaire doit sa popularité selon l’infirmier chef André Laré Yendouban. Le centre n’est pas célèbre pour le traite-ment des cas spécifiques, il s’est taillé un nom en accueillant avec la même attention rassurante tout malade en quête de soins. Ainsi, concède l’infirmier chef dont l’exercice favori n’est visiblement pas ce-lui de panégyriste, «il y a l’organisation au niveau du service qui fait que les gens préfèrent venir chez nous», mais encore au CSB, «les malades sont reçus comme tout malade qui souffre et cherche un soul-agement et ici c’est un centre confessionnel qui répond à leur besoin de soulagement». Il avoue, «l’accueil que nous réservons à

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nos malades est particulier. Le malade est rassuré dès le premier contact, conscient qu’il est quelqu’un d’important pour nous et que nous sommes à l’écoute de son prob-lème et allons lui trouver une solution». L’accueil du malade, «est fondamental» martèle-t-il. Le CSB disposerait d’une carte majeure dans cette zone frontalière, «nous avons des avan-tages que n’ont pas les autres dispensaires de la région, notamment d’être un centre qui a la possibilité de s’approvisionner en produits pharmaceutiques, doté d’un labo, d’un service de gynécologie et de médecine générale ainsi que de services complémen-taires dont ne disposent pas les autres».L’ex-ministre, technicien de santé a aussi son avis : «la réputation du centre est due au sérieux des soignants dans l’accomplissement de leur devoir. Les sœurs et leurs collabo-rateurs mettent un accent particulier dans l’accomplissement de la mission qui leur a été confiée». Son raisonnement est celui-ci: «une reli-gieuse, c’est connu, exerce un devoir sacer-dotal qui consiste à aider inconditionnelle-ment son prochain. Quand cette religieuse, déjà sous serment sacerdotal, est aussi une infirmière d’Etat, autre agent assermenté, cela signifie qu’elle a prêté deux serments. C’est dire qu’elle se donne deux fois plutôt qu’une. Je pense que la renommée du CSB vient du sérieux que les responsables du centre et leurs collaborateurs mettent dans la satisfaction de leurs malades. Cela est d’autant plus important qu’un malade est à moitié guéri quand il est bien accueilli. Et

pour l’accueil, vous pouvez être tranquille, ce n’est pas ce qui fait défaut ici. La preuve !» ponctue-t-il d’un éclat de rires en point-ant du doigt la table de bienvenue garnie de rafraî-chissements et de biscuits que la sœur directrice du centre a dressée pour ses hôtes.Le CSB fait le plein de ma-lades par son sens plus que professionnel de l’accueil, mais encore, dans un envi-ronnement plutôt pauvre, la modicité du coût des soins est d’une séduction certaine. «Au départ» in-dique André Laré Yendou-ban «nous pensions à la gratuité. Puis, nous avons essayé de

faire en sorte de proposer les mêmes prix qu’ailleurs, du moins pour les médica-ments». Les tarifs des soins au CSB sont imbatta-bles, seulement 100 F CFA pour la consul-tation et 75 F le carnet de santé. Par ailleurs, les malades peuvent juste acheter la dose de médicament nécessaire à leur cas plutôt que de devoir s’encombrer de la boîte entière d’un produit puisque, souligne l’infirmier chef du centre, «nous prescrivons en dose nécessaire plutôt qu’en boîte».Une adaptation à l’environnement socio-économique qui fait que le CSB accorde même des dérogations comme l’explique la sœur directrice : «les soins sont gratuits

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Le chantier d’agrandissement de la salle d’hospitalisation.

pour ceux qui n’ont pas les moyens de pay-er, le volet social est important au centre. Certaines évacuations sont elles aussi gratu-ites et les soins à l’hôpital d’évacuation pré-financés, surtout lorsqu’il s’agit d’enfants, les parents peuvent rembourser après les récoltes. Les enfants malnutris du CREN par exemple, sont gardés, soignés et nourris pendant un mois pour une participation de 2000 F pour les parents».Ainsi, sans être un hôpital, le centre de soins de Biankouri offre un maximum de sécurité à ses patients. Il n’y a pas de service d’hospitalisation mais les malades qui ont un besoin de suivi ne sont pas abandonnés. Le centre dispose d’une salle avec l’inscription «Hospitalisation» mais, recti-fie l’infirmier, «nous n’avons pas une salle et un service d’hospitalisation en tant que tels, mais plutôt une salle d’observation, où nous gardons les malades qui nécessitent un suivi pendant un temps donné. Nous sommes un dispensaire, et si nous n’arrivons pas à gérer le cas nous évacuons sur Dapaong et rarement sur Lomé ou Tand-jiéta au Bénin quand il faut l’intervention d’un spécialiste et, toujours, en passant par Dapaong la tutelle administrative».Les ingrédients sont presque tous réunis pour faire du CSB un dispensaire intégra-teur quand l’esprit qui y prévaut est «nous n’avons pas de frontière, un patient est un patient et si nous enregistrons l’identité des malades, c’est juste pour nos rapports». Et selon les registres de l’infirmier chef, les populations de Cinkanssé Burkina sont les plus réguliers.C’est dans l’ordre des choses pour le CSB soutient l’ex-ministre : «Ce dispensaire a été

Les sœurs religieuses ont fait du modeste Centre de soins de Biankouri (CSB) un dispensaire sans frontière, référence en matière d’excellence dans la sous-préfecture de Cinkanssé, préfecture de Dapaong au Togo.

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implanté par les religieux pour justement pouvoir servir toutes les communautés au-tour sans distinction de nationalité. C’est un exemple d’hôpital sans frontière, on ne demande pas au malade d’où il vient, quelle est sa nationalité, sa religion, son groupe ethnique, on lui demande seulement de quoi il souffre et on s’efforce de lui donner satisfaction». A le croire, les populations de la région se-raient même des plus intégrées, notamment par la magie des brassages matrimoniaux, et l’ex-ministre d’illustrer : «moi-même qui vous parle, ma mère est Burkinabé. Et beau-coup de nos parents ici sont mariés à des femmes Burkinabé, Ghanéenne…, il n’y a pas de frontière par ici. Nous ne connais-sons pas de Togo, Ghana, Burkina Faso. C’est la même communauté, notre vraie souche est à Fada (Fada N’gourma au Burkina Faso), nous sommes originaires du Gourma, là-bas sont nos fétiches».Faire fonctionner un tel joyau implique, on s’en doute, des besoins, pas seulement en produits et matériels médicaux, produits de maintenance, mais encore en espèces son-nantes et trébuchantes. Sœur Elisabeth Tehoul, affectée au centre en 1994 par l’évêque de Dapaong et promue directrice depuis 2002 porte stoïquement son fardeau et en appelle aux bonnes âmes. Le CSB compte des donateurs au rang

desquels l’organisation «Joie et Santé» de France «qui supporte une grande partie des besoins financiers du centre : l’entretien et les dépenses de fonctionnement du centre, le salaire du personnel, le carburant pour les évacuations et le groupe électrogène, l’approvisionnement en médicaments». Mais, les besoins vont grandissant à l’image de la notoriété du centre. L’infirmier chef se fait du mouron à chaque évacuation de malade «l’ambulance est en panne depuis longtemps, on ne se rappelle même plus la date, et c’est le véhicule des sœurs qui fait office d’ambulance».La sœur directrice ne tombe pourtant pas dans le découragement et, prospecte «je frappe un peu partout à la porte des projets, associations et Ongs». Certains ont entendu sa complainte, «entre autres je peux citer l’Ordre de Malte, Terre d’amitié, et un centre Victor Hugo qui nous organise des collectes de médicaments en France». La disponibilité en produits pharmaceu-tiques qui fait la différence du CSB d’avec les autres centres de santé de la région est l’un de ses plus grands soucis et, pour les achats, la directrice fait fréquemment le déplacement de Ouaga au Burkina Faso où dit-elle : «c’est un peu moins cher».En attendant que s’allonge le nombre des donateurs, la directrice s’attache à combler

les usagers du centre et y autorise même des fêtes pour coller aux traditions. C’est ainsi que la salle de repos des mères accouchées dégage les relents propres à un débit de «So-dabi» whisky local distillé à partir du vin de palme et de «tchapalo», la bière du cru préparée à base de sorgho rouge. Elle explique, « les fêtes et réjouissances ne manquent pas ici. Quand une femme ac-couche, c’est la joie pour tout le monde. Les mamans apportent de quoi faire la fête ». L’ex-ministre approuve : «je préfère la célé-bration de cette joie à celle qu’on manifeste à l’occasion des décès. Je suis étonné que quand naît un enfant, personne n’organise de fête, ne fait tonner le tam-tam pour célé-brer la naissance, mais quand vient à mour-ir quelqu’un, surtout une vielle personne, c’est la fête, c’est le branle-bas de folklore et tout ça… comme si on était plus content de la mort des gens que de leur naissance. Je suis d’accord que sœur Elisabeth laisse faire, laisse danser, laisse les femmes ex-primer leur joie et célébrer la naissance de leur enfant». La fête devrait connaître son apothéose lors de la célébration des 25 ans du centre au rythme de tambours togolais, burkinabé, ghanéen et même béninois.

FRONTIÈRE TOGO - BURKINA

La maternité, département le plus animé du CSB

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CHRONIQUES FRONTALIÈRES AVRIL 2005 .

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disponible sur le site www.afriquefrontieres.org