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Ann Dermatol Venereol2004;131:1092-4Articles scientifiques
Cas clinique
Cholestase anictérique, une étiologie rare de prurit du nourrissonE. MAHÉ (1), F. LACAILLE (2), S. HADJ-RABIA (1), C. BODEMER (1), Y. DE PROST (1), D. HAMEL-TEILLAC (1)
Résumé
Introduction. Le prurit du nourrisson est lié le plus souvent à des
dermatoses communes. Les causes générales restent exceptionnelles.
Nous rapportons deux observations de prurit du nourrisson révélant des
cholestases anictériques.
Observation. Cas no 1. Un garçon de 13 mois avait un prurit depuis l’âge
de 2 mois. L’examen clinique était non spécifique. Les examens
biologiques révélaient une élévation isolée et modérée des acides biliaires
totaux. La recherche de mutations des gènes de la cholestase familiale
fibrogène était négative. Le diagnostic retenu était celui d’une
hypercholanémie. Le traitement associait acide ursodésoxycholique et
rifampicine. Il contrôlait le prurit et normalisait le taux d’acides biliaires.
Cas no 2. Un garçon de 21 mois avait un prurit sévère depuis l’âge de
2 mois et un retard de croissance. L’examen clinique était sans
particularité. Les examens biologiques révélaient une cholestase à -GT
normale avec cytolyse modérée et carence en vitamines liposolubles. La
biopsie hépatique était normale. Le diagnostic retenu était celui de
cholestase familiale fibrogène. Le traitement associait acide
ursodésoxycholique et rifampicine. Il contrôlait le prurit et normalisait le
bilan hépatique.
Discussion. Les prurits isolés non dermatologiques sont rares chez le
nourrisson. Ces deux observations illustrent deux anomalies du transport
des acides biliaires. L’hypercholanémie est un défaut de captation par
l’hépatocyte des acides biliaires. La cholestase familiale fibrogène est un
défaut d’élimination de ces acides biliaires. Il est important de savoir
évoquer ces pathologies car un traitement spécifique permet de traiter les
symptômes et d’éviter l’évolution des cholestases familiales fibrogènes
vers la cirrhose.
Summary
Introduction. Pruritus in the infant is predominantly related to common
dermatosis. General causes remain exceptional. We report two cases of
pruritus in infants revealing anicteric cholestasis.
Observations. Case no 1. A thirteen month-old boy had exhibited pruritus
since the age of 2 months. The clinical examination was non-specific.
Biological explorations revealed an isolated and moderate rise in total
bilary acids. The search for mutations in the genes of a familial fibrogenic
cholestasis was negative. The diagnosis retained was hypercholanemia.
Treatment combined ursodesoxycholic acid and rifampicine, which
controlled the pruritus and normalized the bilary acid levels.
Case no 2. A twenty-one month-old boy had exhibited pruritus since the
age of 2 months and delayed growth. The clinical examination was
unspecific. The biological explorations revealed cholestasis with normal
GT, moderate cytolysis and liposoluble vitamin deficiency. The hepatic
biopsy was normal. The diagnosis retained was familial fibrogenic
cholestasis. Treatment combined ursodesoxycholic acid and rifampicine,
which controlled the pruritus and normalized the hepatic parameters.
Discussion. Non-dermatological isolated pruritus is rare in infants. These
two observations illustrate two abnormalities in bilary acid transport.
Hypercholanemia is a faulty canalization of bilary acids by the hepatocyte.
Familial fibrogenic cholestasis is a default in the elimination of these
bilary acids. Such pathologies must be evoked because specific treatment
will treat the symptoms and avoid the evolution of familial fibrogenic
cholestasis towards cirrhosis.
es dermatoses prurigineuses du nourrisson sont unmotif fréquent de consultation. La majorité des casest due à une dermatite atopique, une scabiose, une
varicelle… Les pathologies générales sont exceptionnelle-ment rencontrées chez ces petits enfants [1, 2]. Nous rappor-tons les observations de deux enfants chez qui le prurit lié à
une cholestase anictérique a débuté à l’âge de deux mois. Cesdeux enfants avaient une anomalie du transport des acidesbiliaires : une hypercholanémie et une cholestase fibrogènefamiliale (CFF).
Observations
CAS NO 1
Un garçon de 13 mois avait un prurit sévère inexpliqué évo-luant depuis l’âge de deux mois. On ne notait pas d’antécé-
Hereditary cholestasis, an unusual etiology of pruritus in the infant.E. MAHÉ, F. LACAILLE, S. HADJ-RABIA, C. BODEMER, Y. DE PROST, D. HAMEL-TEILLAC.Ann Dermatol Venereol 2004;131:1092-4
(1) Service de Dermatologie,(2) Département de Pédiatrie, Groupe Hospitalier Necker-Enfants Malades, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris.
Tirés à part : E. MAHÉ, Service de Dermatologie, Groupe Hospitalier Necker-Enfants Malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris.E-mail : emmanuel.mahe@nck. ap-hop-paris. fr
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Ann Dermatol Venereol2004;131:1092-4
Cholestase anictérique, une étiologie rare de prurit du nourrisson
dents dermatologiques familiaux, mais plusieurs problèmeshépatiques chez la mère (cholestase gravidique, hépatiteaprès prise d’amoxicilline, lithiase de la voie biliaire principa-le). L’examen clinique révélait des lésions diffuses de gratta-ge, sans xérose. Hormis une élévation des acides biliairestotaux : 22 mol/l (N < 6 mol/l), les examens biologiques,microbiologiques et radiologiques étaient normaux. Le dia-gnostic de prurit d’origine hépatique était retenu. La recher-che de mutations dans l’un des deux gènes connus de la CFF(maladie de Byler), FIC1 et BSEP, était négative. Le diagnos-tic retenu était celui d’hypercholanémie. Devant ce prurit bi-liaire, un traitement au long cours, associant acideursodésoxycholique (Ursolvan®) 160 mg/j et rifampicine(Rifadine®) 400 mg/j, normalisait le taux d’acides biliaireset contrôlait les démangeaisons. L’interruption du traite-ment pour cause d’approvisionnement s’accompagnaitd’une réascension des acides biliaires et d’une reprise duprurit. Au long cours, l’acide ursodésoxycholique seul con-trôlait le prurit.
CAS NO 2
Un garçon d’origine algérienne de 21 mois avait un pruritextrêmement invalidant depuis l’âge de deux mois. Ce pru-rit s’accompagnait d’épisodes de diarrhée et d’un retard decroissance (taille : -3,5 DS ; poids : -3 DS). On notait commeantécédents familiaux : une cholécystectomie chez la mèreet la grand-mère maternelle pour cause de lithiases vésicu-laires symptomatiques. L’examen clinique ne révélait quedes lésions de grattage, sans xérose. Lors de différentes hos-pitalisations, plusieurs bilans biologiques trouvaient destransaminases à 3 fois la normale de façon transitoire, unecholestase (phosphatases alcalines : 2-4 fois la normale,bilirubine : 29-41 mol/l, acides biliaires totaux : 89 mol/l),des -glutamyl transférases ( -GT) normales et une carenceen vitamines liposolubles. Une biopsie hépatique effectuéeà l’âge de 18 mois était considérée normale. L’origine ethni-que, les antécédents familiaux hépatiques (fréquents dansles formes hétérozygotes de CFF), la sévérité et la précocitédu prurit, la cholestase avec des -GT normales et la norma-lité de la biopsie hépatique permettaient de poser le diagnos-tic de présomption de CFF (étude moléculaire en cours). Letraitement associait acide ursodésoxycholique, 100 mg/j, ri-fampicine, 400 mg/j, et complément nutritionnel (régimehypercalorique et complément vitaminique). Le prurits’amendait rapidement transformant la qualité de vie de cetenfant. Sa courbe de poids s’améliorait.
Discussion
Devant un prurit du nourrisson, après avoir effectué un exa-men clinique rigoureux afin d’éliminer des maladies dermato-logiques « banales », il faudra penser à une exceptionnellecause générale. Peu de données sont disponibles sur la fré-quence et les étiologies de ces prurits « non dermatologiques »chez le nourrisson. Il semble que le point d’appel purement
dermatologique soit rare, le prurit étant alors un signe d’ac-compagnement d’une maladie symptomatique. Devant unprurit sine materia, l’examen clinique doit rechercher des argu-ments pour des pathologies endocriniennes, digestives et hé-patiques, des cancers ou hémopathies, des toxidermies etenfin des parasitoses (tableau I) [1, 2].
Si l’examen clinique est normal, il faut, et malgré l’absenced’ictère ou d’hépatomégalie, suspecter une origine hépatique[3]. Cette hépatopathie est recherchée par le dosage des tran-saminases, de la bilirubine, des phosphatases alcalines, des-GT et des acides biliaires totaux. Ce dernier test est le plus
sensible pour détecter une cholestase.Les prurits hépatiques chez le nourrisson semblent rarement
observés en dermatologie, lorsqu’ils sont vus en première in-tention. L’obstruction des voies biliaires extra-hépatiques (kys-te du cholédoque, sténose congénitale des voies biliaires,lithiases,…) se révèle plutôt par un ictère, les cholangites sclé-rosantes par une hépatomégalie et une hépatite cytolytique etcholestatique, les exceptionnels déficits de synthèse des acidesbiliaires (déficit en 3-bêta-hydroxysteroïde déshydrogénase)sont graves et se révèlent par une insuffisance hépatocellulai-re. Devant une cholestase anictérique isolée révélée par unprurit devront être évoqués : une hépatite toxique chronique(interrogatoire), un syndrome d’Alagille (paucité des voies bi-liaires interlobulaires associée à une dysmorphie particulière,une sténose pulmonaire, des vertèbres en ailes de papillon etun embryotoxon), l’hypercholanémie et les CFF [4]. L’hyper-cholanémie, transmise sur le mode autosomique récessif(OMIM : #607 748 ; mutations des gènes TJP2 ou BAAT) cor-respond à un défaut de captation des acides biliaires par leshépatocytes [5]. La clinique est limitée à un prurit révélant uneélévation isolée et modérée des acides biliaires dans le sang.Le pronostic est bon sans évolution vers la cirrhose. À l’inver-se, les CFF sont plus bruyantes. Elles correspondent à un dé-faut de transport des acides biliaires de l’hépatocyte vers lescanalicules biliaires. Si la clinique peut se limiter initialementà un prurit féroce, l’hépatopathie évolue sans traitement versla cirrhose. Biologiquement, l’augmentation des acides biliai-res s’associe à d’autres signes de cholestase et une élévationdes transaminases. Les -GT sont normales dans les deux for-
Tableau I. – Principales étiologies de prurit d’origine systémique chez l’enfant [1].
CholestaseAnémieInsuffisance rénale chroniqueMaladie de Hodgkin, leucémies, polyglobulieTumeurs solidesSyndrome carcinoïdeHypo – et hyperthyroïdieCarence martialeDiabèteParasitosesToxidermiesEntéropathie au gluten, autres malabsorptions
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E. MAHÉ, F. LACAILLE, S. HADJ-RABIA et al. Ann Dermatol Venereol2004;131:1092-4
mes connues de la maladie de Byler (Déficit sur les gènesFIC1, OMIM : #211 600, ou BSEP, OMIM : #602 397) ou éle-vées par défaut d’expression du gène MDR3 (OMIM :#171 060). Les CFF sont transmises sur le mode autosomiquerécessif (FIC1) ou dominant (MDR3) [4, 6].
D’un point de vue thérapeutique, les antihistaminiques etdifférentes crèmes que l’on pourrait utiliser en dermatologie(dermocorticoïdes, émollients,…) sont inefficaces. L’acide ur-sodésoxycholique (Ursolvan®) est le traitement de fond deces maladies. Il « remplacerait » la protéine manquante enutilisant d’autres voies d’élimination des acides biliaires etrétablirait le flux biliaire par son effet osmotique [7]. Le trai-tement symptomatique de ce prurit utilise la rifampicine(Rifadine®). Il agit comme inducteur du cytochrome P450(isoforme Cyp3A4) et entraîne une amélioration rapide duprurit, en accélérant peut-être le métabolisme des acides bi-liaires. D’autres traitements peuvent être proposés mais res-tent moins efficaces : la cholestyramine (résine chélatrice desacides biliaires) et le phénobarbital (inducteur enzymatique,moins efficace que la rifampicine) [2, 8].
Devant un nourrisson se grattant et pour lequel aucunedermatose n’est trouvée, avant de conclure à un éventuel (s’ilexiste) prurit psychogène du nourrisson, il faut penser à cespathologies hépatiques. Elles sont rares mais il existe des
traitements étiologiques et symptomatiques spécifiques pou-vant modifier leur pronostic.
Références
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6. Klomp LW, Bull LN, Knisely AS, Van Der Doelen MA, Juijn JA, Berger Ret al. A missense mutation in FIC1 is associated with greenland familialcholestasis. Hepatology 2000;32:1337-41.
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