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BIBLIO BTS Je me souviens Catherine Duffau Livret pédagogique Réponses aux questions d’analyse des documents établi par Catherine Duffau, agrégée de Lettres modernes

Catherine Duffau - BIBLIO - HACHETTE · BIBLIO BTS . Je me souviens . Catherine Duffau . Livret pédagogique ... Celle de la classe de quatrième concentre divers aspects de la vie

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BIBLIO BTS

Je me souviens

Catherine Duffau

L i v r e t p é d a g o g i q u e Réponses aux questions d’analyse des documents

établi par Catherine Duffau,

agrégée de Lettres modernes

Sommaire – 2

S O M M A I R E

L’OUTIL MEMOIRE ......................................................................... 3 Le fonctionnement de la mémoire ........................................................................................... 3 Les effets de la mémoire ......................................................................................................... 5 La mémoire biographique ........................................................................................................ 7

L’UTILITE DE L’OUBLI .................................................................. 12 Le refus d’oublier ................................................................................................................... 12 La nécessité d’oublier ............................................................................................................ 13 Les « vertus » de l’oubli ......................................................................................................... 15

LA MEMOIRE COLLECTIVE ............................................................. 21 L’attachement aux traditions ................................................................................................. 21 Patrimoine et histoire ............................................................................................................. 22 Conflits de mémoire ............................................................................................................... 24

Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2015. 58 rue Jean Bleuzen, CS70007, 92178 Vanves www.hachette-education.com

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L ’ O U T I L M E M O I R E L e f o n c t i o n n e m e n t d e l a m é m o i r e

1 ◗Présentation du concept de mémoire Serge BRION, Jean-Claude DUPONT, Alain LIEURY Quels ont été les apports respectifs de la psychologie, de la neurophysiologie et de la biochimie à la connaissance de la mémoire. En quoi diffèrent-ils des explications antérieures ? La psychologie, la neurophysiologie et de la biochimie ont permis à l’analyse spécifique de la mémoire de se constituer en sortant des préoccupations mnémotechniques. Elle put ainsi dépasser les explications analogiques qui en faisaient le résultat d’associations d’images organisées comme les formes du raisonnement. À l’époque classique l’analogie se fait avec le langage. Mais on commence à observer des aspects particuliers du fonctionnement de la mémoire ou de l’oubli. Les analyses scientifiques de la mémoire ont d’abord reposé sur des observations portant sur des aspects précis de cette faculté, puis sur des phénomènes mesurables d’ordre strictement physique. Elles se sont enrichies de travaux sur l’incidence des lésions cérébrales et de diverses pathologies sur son fonctionnement ainsi que d’expériences fondées sur les stimulations électriques de zones cérébrales.

2◗ Localisation de la mémoire Jean François DORTIER À quelle hypothèse naïve ce document apporte-t-il un démenti ? La cohérence de nos souvenirs qui se présentent comme des scènes parfaitement organisées peut laisser croire que les événements mémorisés ont laissé une empreinte dans le cerveau. Les analyses scientifiques présentées par Dortier montrent que le souvenir résulte plutôt d’une interconnexion entre différentes zones cérébrales régissant émotions, impressions sensorielles, aptitudes cognitives ou motrices et régulant des fonctions permettant des opérations très diversifiées. Il existe, de plus, une mémoire de nos cellules qui reste évidemment inconsciente. Par ailleurs, notre mémoire physique est mise en réseau avec les moyens de stockage d’information personnels ou collectifs que l’humanité utilise depuis toujours et ne cesse de perfectionner.

3◗ Les 3 systèmes de la mémoire humaine F.-P. BUCHEL Que suppose la construction formelle du schéma ? Le schéma est construit à partir de trois carrés principaux qui correspondent à trois formes de mémoire considérées selon le paramètre de la durée ; celui de la première forme illustre la perception de l’environnement à l’aide des cinq sens ; le carré intermédiaire met en évidence le traitement et l’affinement que la mémoire à court terme fait subir aux données sensorielles brutes. Enfin le carré de la mémoire à long terme est surmonté de deux carrés secondaires qui distinguent les fonctionnalités de cette dernière. Les termes indiqués aux quatre pôles de la croix désignent les éléments qui interagissent. Des flèches de taille décroissante supposant une concaténation et orientées de façon réversible indiquent un va-et-vient entre les formes de mémoire. Elles montrent comment la pensée est

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alimentée par la perception sensorielle mais comment celle-ci est structurée par une organisation mentale. Le schéma montre ainsi de quelles interactions résultent notre adaptation à notre environnement naturel et social et notre activité conceptuelle.

4◗ Musique et souvenir BARBARA Analysez le mécanisme de la remémoration illustré par cette chanson. Le point de départ de la remémoration est une situation et des sensations tactiles et auditives qui lui sont liées. L’auteur, devant un piano, laisse ses doigts jouer un air. Spontanément lui revient une suite de notes mémorisées appartenant à une forme de musique religieuse classique peut-être de Bach, dont les cantates sont célèbres. L’adjectif « obsédante » évoque autant la nature de la mélodie que la récurrence de son exécution dans le passé qui lui a laissé un souvenir persistant. La maladresse de son exécution réactive les circonstances où elle jouait cette pièce : surgit alors : une scène ancienne peut-être de son enfance avec une femme chère (amie, sœur, mère) devant qui elle essayait de jouer la mélodie et que son inexpérience amusait. Elle la relayait et lui traçait le chemin de sa future vocation « chante pour moi ». Cette femme chère est sans doute morte depuis, ce qui active des souvenirs appartenant à l’imaginaire collectif de la mort et du Paradis : le thème religieux que suggérait déjà le nom du morceau « cantate » est mis cette fois en relation avec le devenir des âmes des morts au Paradis tel que l’imagine le Christianisme. Plusieurs thèmes se mélangent alors : culte à Dieu et culte du souvenir, douceur de la scène remémorée et acuité du sentiment de la perte.

5◗ Le déclenchement du souvenir par une sensation gustative Marcel PROUST Quel événement marquant pour le narrateur est l’objet de ce passage ? Ce passage est construit en abyme. Le narrateur évoque un lointain soir d’hiver où il vécut une expérience saisissante : la modification fulgurante et inopinée de son état d’esprit opérée par une bouchée de madeleine trempée dans du thé. Ce passage brutal de la morosité au bonheur par l’intercession de cet objet trivial l’interpelle. Il finit par comprendre qu’il a vécu la superposition de deux instants différents, une morne après-midi de son âge adulte et un plaisant rituel des dimanches matin de son enfance. La sensation gustative commune aux deux moments a eu le pouvoir de ressusciter l’ensemble de la scène dont elle était un fragment infime. Puis à partir de là sa mémoire lui a restitué tout le contexte de son enfance. Il remarque que la vue n’a pas eu ce pouvoir magique. Proust analyse donc un processus mental que des expériences scientifiques ultérieures vérifieront : le va-et-vient de l’expérience sensorielle à la conceptualisation, le lien entre sensation et souvenir et entre émotion et souvenir.

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L e s e f f e t s d e l a m é m o i r e

6◗ Le passé synthétisé Federico FELLINI Quelle est la particularité de la mise en scène du souvenir par rapport à son récit ? Un récit est forcément linéaire alors qu’une scène de film permet de capter simultanément un lieu, des personnages avec leurs attitudes et leurs propos. Elle permet de restituer une ambiance. C’est ce que cherche ici Fellini. Dans Amarcord il reconstitue des scènes qui ont marqué son enfance comme le rituel des séances de photo de classe. Celle de la classe de quatrième concentre divers aspects de la vie scolaire qu’il connut. Elle est révélatrice des rapports existant entre les enseignants, le directeur et les élèves et à l’intérieur de ces différents groupes. Le dialogue, les didascalies précisant la gestuelle révèle le regard amusé porté par le cinéaste sur le monde des enfants et sur celui des adultes qui les encadrent à l’école et tentent de les discipliner. Le réalisateur souligne également le conformisme des photos scolaires mais aussi leur effet magique qui parvient à figer un instant l’agitation et le désordre ambiants. Le monde des adultes est aussi représenté de façon humoristique. Le plan général 105 nivelle les différences entre les catégories alors que les plans moyens et rapprochés particularisaient les aspects de la situation en se focalisant sur des individus. La complexité du réel est ici réduite par la visée humoristique du cinéaste. Il s’agit d’une mise en scène de stéréotypes dans lesquels les spectateurs peuvent reconnaître des bribes de leur propre vécu. Le récit d’un souvenir autobiographique cherche parfois plus l’originalité ou la particularité

7◗ Le souvenir anecdotique Jacques- Henri LARTIGUE Quels types de moment et d’atmosphère le photographe a-t-il voulu fixer ? Jacques Henri Lartigue (1894-1986) appartenait à une famille aisée qui lui offrit son premier appareil photo à l’âge de 8 ans, en 1902. Il n’a cessé de photographier dès lors les loisirs de la famille et les inventions de son frère aîné surnommé Zissou. Les deux frères étaient passionnés par l’automobile, l’aviation et tous les sports alors en plein essor. Jacques Henri continuera adulte à fréquenter les manifestations sportives et à pratiquer lui-même quelques sports réservés à l’élite : ski, patinage, tennis, golf… La photo était pour lui un loisir et il se considérait comme peintre. Dans sa pratique photographique il cherche à capter des instants amusants, des événements spontanés, des situations heureuses, tout ce qui l’émerveille. Cette photo fixe un moment d’amusement : le panache de terre soulevé par l’engin tranche avec les robes claires des femmes. Le Bob, sorte de Kart, est un jouet pour adulte sans autre utilité que de créer des sensations. Les manœuvres du conducteur pour épater sa passagère amusent son public féminin. J-H Lartigue deviendra célèbre assez tardivement dans les années soixante grâce aux Américains chez qui la mode des clichés pris sur le vif s’impose avec l’évolution des appareils et qui voient en lui un précurseur de cette tendance photographique. Il avait en effet photographié de nombreux sujets en mouvement en train de sauter d’un escalier ou par-dessus une flaque d’eau par exemple.

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8◗ Souvenirs divergents Paul VERLAINE Quelles relations entre la réalité et le souvenir ce poème illustre-t-il ? Les deux personnages entrevus par le spectateur ont vécu une passion. L’un en a gardé pieusement la trace, l’autre a oublié jusqu’à la rencontre puisqu’il vouvoie son interlocuteur. À moins que le premier n’ait fait que rêver cette intrigue amoureuse. Ce fait explique la différence entre les réactions suscitées par cette promenade. Elle ravive un état d’exaltation et d’enchantement chez celui qui est resté attaché au passé. Le poète spectateur est immergé dans un présent nocturne et lugubre : parc désert, à l’abandon, (avoines folles), glacé, hanté par des fantômes. Ces formes sont probablement des images mentales qui incarnent ses propres souvenirs. Le lecteur l’identifie à celui qui évoque un passé intense sur le plan des émotions et des sensations. L’indifférence du partenaire redouble le contraste entre le passé enchanté et le présent désespérant et dévitalisé.

9◗ Souvenirs communs Maurice Halbwachs Quelle dimension originale de la mémoire Halbwachs met-il ici en évidence ? À quelles conditions un souvenir peut-il se constituer a posteriori ? Un grand nombre de situations que nous avons vécues ne laisse aucune trace dans notre esprit bien qu’il soit cependant évident que nous les avons forcément vécues. Cependant elles ont pu en laisser dans l’esprit d’autres personnes qui ont partagé avec nous cette expérience. Leur récit peut parfois nous permettre de constituer un souvenir rétrospectif à la condition qu’une bribe de mémorisation personnelle soit réactivée pour nous par ce récit. Ce phénomène montre que la mémoire n’est pas un phénomène purement personnel mais qu’elle a aussi une dimension collective. La mémoire collective utilise des supports très divers pour se constituer et se perpétrer. Dans le cas de la musique examiné par l’auteur, il existe dans un grand nombre de sociétés des systèmes de transcriptions de la musique qui permettent aux musiciens d’écrire une mélodie pour en garder la mémoire personnellement mais surtout pour la transmettre à d’autres musiciens et leur permettre de l’interpréter. Les partitions sont indispensables à l’apprentissage et à l’exécution d’œuvres orchestrales. Elles seront cependant mémorisées différemment par un instrumentiste, un chef d’orchestre ou un mélomane. Plus récemment l’invention et le développement de techniques d’enregistrement sonore constituent aussi une mémoire collective musicale : beaucoup de gens connaissent ainsi les mêmes airs.

10◗ Fragilité du témoignage Régis POUGET Pourquoi la mémoire est-elle un sujet d’étude pour les juristes ? Sous quel angle les juristes s’intéressent-ils au phénomène de la mémoire ? Très souvent il est fait appel aux dépositions de témoins pour inculper un suspect. Le poids du témoignage est lourd dans le jugement. De plus un certain nombre d’erreurs judiciaires ruinent la vie d’innocents condamnés et déshonorent la justice. Or les tests ADN récemment mis au point ont innocenté a posteriori de nombreux suspects qui avaient pourtant avoué avoir commis le crime qui leur était imputé. Le recours aux acquis de la psychologie dans cette conférence destinée aux juristes vise à développer chez les professionnels de la justice une attitude critique vis-à-vis des témoignages humains. En effet

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les expériences montrent que la mémoire est très malléable et que, de plus, la situation de témoin crée des perturbations émotionnelles spécifiques tant au niveau de l’expérience vécue que de sa restitution au cours d’une déposition. L’auteur informe les juristes sur les éléments qui peuvent influer sur la mémoire des témoins qui ont assisté à un événement lié à un acte criminel. Il souligne les particularités de ce type de remémoration et l’incidence du statut que donne le fait d’être témoin sur le traitement du souvenir. Il préconise donc de soumettre à un examen attentif tous les témoignages qui leur parviendront.

11◗ Altérations de la mémoire Alain LIEURY Quel est l’intérêt de tests confrontant des malades et des bien portants, des sujets jeunes et âgés ? La neuro physiologie, en étudiant des maladies qui ont parmi leurs symptômes des troubles de la mémoire, permet de faire des hypothèses sur leurs origines physiologiques. Il faut cependant s’assurer que le trouble est dû à la maladie et non simplement au vieillissement. On compare donc les performances des malades avec celles de gens du même âge non affectés par la maladie. Le groupe des jeunes permet par comparaison avec le groupe précédent d’évaluer les pertes dues au vieillissement. La comparaison entre des sujets d’âges différents permet de mesurer l’impact du vieillissement sur la mémoire. La différence d’écart entre les pertes de mémoire infligées par l’âge à un cerveau sain et celle d’un malade alertent sur l’importance d’éviter tout ce qui peut produire sur les corps striés les mêmes dégâts que le manque de dopamine. On peut alors déterminer les attitudes préventives à recommander.

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12◗Le contrôle des souvenirs Patrick ESTRADE

Quelle hypothèse l’auteur fait-il ici sur l’oubli et les mémorisations des éléments autobiographiques ? Le psychologue Patrick Estrade cherche à convaincre ses patients hantés par des souvenirs négatifs qui affectent leur équilibre psychologique que leur mémoire est plus riche qu’ils ne le pensent. Simplement les mauvais souvenirs font écran aux bons alors que nous pensons souvent qu’ils sont les seuls que nous ayons. Cette conviction que des souvenirs positifs sont encore présents et peuvent être retrouvés doit encourager les patients à un travail sur eux-mêmes qui leur permettra de sortir d’un certain enfermement dans le malheur ou le sentiment d’échec. Cette démarche est inversée par rapport à celle de Freud qui considère que les souvenirs perturbants sont refoulés et que la culpabilité qu’ils occasionnent s’exprime de façon indirecte notamment par des symptômes physiques sans cause physiologique dans le cas des hystériques par exemple.

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13◗La résilience Boris CYRULNIK À quel constat surprenant répond l’analyse de Cyrulnik ? On peut s’étonner que des enfants n’aient gardé aucun souvenir d’événements potentiellement traumatisants et au contraire aient été frappés par des détails anodins. Le psychiatre et psychanalyste Boris Cyrulnik met ainsi en lumière le rapport de la mémoire avec les capacités conceptuelles. Il explique le phénomène de résistance aux chocs psychologiques qu’il nomme résilience par le fait que ne peut être mémorisé par l’enfant que ce qui a un sens pour lui et qu’il peut nommer. La logique de l’adulte est donc différente de celle de l’enfant car la quantité d’expériences intelligibles est considérablement plus grande pour lui. Ce phénomène explique que certains enfants aient pu sortir sans dégâts psychologiques majeurs de situations extrêmes parce qu’ils n’en percevaient pas la gravité ou le danger.

14◗L’enquête biographique Patrick MODIANO Quelle est l’originalité de ce récit biographique ? Le romancier Patrick Modiano ne raconte pas une histoire qu’il connaît ou qu’il a reconstituée mais il fait le récit d’une tentative de reconstitution par un narrateur du destin d’une jeune juive pendant la deuxième guerre mondiale. Ce dernier mène une sorte d’enquête policière : il ne dispose que de faibles indices comme ici des photos de famille car son héroïne est une personne obscure. Or les photos de famille n’ont pas un sens très clair pour qui est étranger au groupe familial qui les a fait réaliser. Entreprendre une enquête sur la vie d’une personne obscure donne à celle-ci de l’importance. En l’individualisant, Modiano concrétise et dramatise la tragédie de l’extermination massive des Juifs lors de la seconde guerre mondiale.

15◗ Invention d’une forme d’autobiographie Annie ERNAUX De quelle façon originale Annie Ernaux contourne-t-elle la demande de son éditeur de rédiger son autobiographie ? L’éditeur de la romancière Annie Ernaux, désireux d’éditer en un seul volume toute son œuvre, lui demande de décider d’un titre et de rédiger sa biographie. Le projet amène l’auteure à réfléchir aux relations entre sa vie et son œuvre. Le titre s’impose « Écrire la vie ». L’article défini est important par sa valeur généralisatrice. Elle considère que ses romans dépassent l’autobiographie. Ils sont des illustrations, personnelles certes, mais de moments propres à toute vie humaine. Revenir sur l’ensemble de son œuvre lui permet de voir apparaître sa logique sous-jacente qu’elle reconstitue par l’ordre non chronologique dans lequel elle décide de placer les récits. En ce qui concerne sa biographie, elle renonce à la narration linéaire de faits et d’anecdotes. Elle se sert d’un choix de quelques photos qui lui paraissent importantes dans la mesure où elles permettent de la situer socialement ou parce qu’elles correspondent à des moments clés de sa vie. Elle utilise également ses œuvres littéraires, journal et romans, pour illustrer son évolution plus que pour l’analyser ou la décrire. Les lacunes et les manques sont aussi parlants que les informations données.

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16◗ L’anti autoportrait Safet ZEC

En quoi consiste l’originalité de cet autoportrait ? L’autoportrait est une trace que l’artiste veut laisser de son physique et de sa personnalité à un moment de sa vie. Il choisit une posture, une expression, une tenue, un décor en conformité avec ce projet. Rembrandt s’est par exemple représenté tout au long de sa vie de façons très diverses. Une exposition sur ce thème pictural a eu lieu en 2002 au Musée du Luxembourg à Paris. On pouvait y voir des œuvres qui se démarquaient de cette tradition comme celles de Safet Zec ou de Jean Michel Albérola. Ces deux autoportraits ne révèlent rien de leur auteur sinon le désir de ne pas se révéler. À la place du reflet du visage de Zec attendu dans le petit miroir accroché sur un mur douteux le spectateur ne saisit que des lignes et des couleurs informes qui reflètent un semblant de décor, quelques objets difficilement identifiables mais tels qu’on peut les attendre dans une pièce où serait accroché ce type de miroir. Le principe de la photo d’identité est nié par le fait qu’Alberola masque les quatre prises de son visage avec un carton portant une des lettres du mot « rien ». « Je dis qu’il n’y a rien à voir », « je ne suis rien ». Les deux premières photos font penser à un jeu de cache-cache. Les deux autres masquent totalement le visage. S’agit-il d’une grande pudeur, d’humilité, de modestie ou au contraire d’un grand orgueil, ces manipulations signifiant alors « je ne suis pas réductible à une image de moi ».

17◗L’invention d’un nouveau genre littéraire Isabelle GRELL et Arnaud GENON Que révèle la création de ce site ? L’existence de ce site révèle un courant de mode en littérature. Il correspond à une évolution récente du genre romanesque qui consiste à fusionner fiction et récit de vie, antérieurement traités comme des genres distincts. Après l’invention de vies et de péripéties extraordinaires, l’auteur s’est appliqué à raconter des vies proches de la réalité comme ce fut la mode au XIXe siècle. Aujourd’hui l’auteur romance sa propre existence. L’autofiction s’écarte aussi du genre autobiographique initié par les Confessions de J.J.Rousseau dont la postérité fut abondante. Ce genre narratif nouveau a été considéré comme issu d’un manque d’imagination ou guidé par un extrême narcissisme des auteurs. Il semble cependant, si l’on en croit ce site, être l’objet d’un engouement international et poser des problèmes théoriques stimulants.

Notes et questions relatives aux documents du cahier couleur

1◗L’organisation des zones cérébrales Notre cerveau En quoi ce schéma remet-il en question la séparation souvent faite entre les domaines du corps et de l’esprit ? Certaines zones du cerveau accueillent de façon prévisible les terminaisons nerveuses des circuits neuronaux qui véhiculent les perceptions depuis les sens. On s’attend aussi à y trouver le point de

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départ des influx nerveux commandant les mouvements. Il paraît plus étonnant que ce qui semble relever de facultés abstraites comme se situer dans l’espace, identifier ce qui nous entoure, raisonner, prévoir et organiser ait un substrat physiologique. Le langage est un bon exemple de cette complémentarité. Il nécessite des organes vocaux et auditifs mais il ne peut fonctionner qu’en stockant des informations, en les analysant et en les associant. Ce schéma issu des travaux des neurophysiologistes montre que la pensée n’est pas immatérielle mais qu’elle résulte d’une activité neuronale et que sans elle, elle n’existe pas.

2◗ Éducation de la mémoire Djeco, Memory Quelle préoccupation révèle ce jeu éducatif ? Le graphisme très coloré et très simple de cette boîte de jeu confirme bien qu’il est destiné à de très jeunes enfants comme le mentionne l’indication de la fourchette des âges auquel il est destiné : de deux ans et demi à cinq ans. Il utilise fleurs et « petites bêtes » censées plaire aux petits. Les parents et les éducateurs ont donc le souci, dès que l’enfant commence à savoir parler, d’entraîner sa mémoire par le jeu. Ceci révèle l’importance qui est accordée à cette faculté dans l’éveil et l’activité intellectuelle.

3◗ Souvenirs collectifs La Limonade de Marinette Sur quels sentiments joue le décor de ce « bistrot casse-croûte » lyonnais ? - La décoration de ce « bistrot casse-croûte » reconstitue les rayons d’une épicerie des années cinquante, époque où les self-services n’existaient pas. Les produits sont regroupés par type comme ils l’étaient sur les rayons des épiceries. - La boisson du petit-déjeuner des adultes était essentiellement du café ou de la chicorée ; celle des enfants des produits à base de cacao enrichi de divers ingrédients. C’est le début des produits laitiers industriels. Le choix entre les marques et entre les produits commençait à s’élargir. - Ce décor ramène donc dans une époque où la consommation était encore relativement restreinte. Cette simplicité peut paraître reposante en comparaison avec les offres pléthoriques actuelles. - Le décor rappelle l’existence de produits ou de marques aujourd’hui disparus : la vache qui rit a tué la mère Picon. - Les emballages simples, au décor coloré et relativement sobre, aux dessins gais et amusants, ont laissé dans les mémoires une empreinte forte car les produits peu nombreux étaient donc consommés de façon très régulière. - Ils sont associés aux souvenirs de scènes de l’enfance, aux moments privilégiés du petit-déjeuner et du goûter.

4◗ Souvenirs partiels d’un individu, mémoire et identité Affiche du film Citizen Kane Sur quelle originalité du film d’Orson Welles l’affiche attire-t-elle l’attention ? On trouve sur ce site http://www.cineclubdecaen.com/realisat/welles/citizenkane.htm une analyse très détaillée du film d’Orson Welles.

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L’enquête menée par un journaliste pour éclaircir le sens du dernier mot prononcé par un mourant, le magnat de la presse Charles Foster Kane, lui fait rencontrer diverses personnes qui ont connu le défunt. Des flash-back successifs éclairent des pans de la vie du héros qui s’avèrent très contradictoires autant que les souvenirs qu’ont gardés de sa personnalité les diverses personnes interrogées. L’affiche a une composition binaire qui fait ressortir les contradictions et les ambivalences. Au centre l’homme, objet de toutes les conversations, fusionne en une seule figure le personnage et le réalisateur, également interprète du rôle. Le film porte sur l’effroi engendré par l’incapacité à définir cet individu. Six personnages résument leur point de vue en un mot ; deux femmes ont éprouvé pour lui des sentiments opposés ; quatre hommes le caractérisent par des termes antagonistes (canaille/saint, génie/fou). Tous ces termes évoquent une forme d’excès chez le personnage qui ne peut laisser indifférent et qui donc passionnera le spectateur qui se laissera convaincre par l’affiche.

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L e r e f u s d ’ o u b l i e r

18◗ Nostalgie de la patrie Joachim DU BELLAY Quelles sont les caractéristiques du sentiment nostalgique exprimé par le poète ? Le poète avait été tenté par une mission à Rome, cité fascinant tous les humanistes de la Renaissance par ses vestiges antiques et capitale fastueuse de la papauté. J. du Bellay devait y poursuivre une brillante carrière mais ses espoirs furent déçus et Rome lui parut dès lors un lieu hostile. Il se sentit envahi par un sentiment d’exil. La nostalgie qu’on appellera plus tard « mal du pays », ici correspond à une valorisation de l’enfance et du lieu où elle s’est déroulée. Le poète aspire à retrouver le sentiment de sécurité que distille un milieu familier. Le faste étranger trouvé au bout de la quête apparaît comme une fausse valeur au regard des mérites de la patrie, même obscure et modeste.

19◗ La préservation du patrimoine et des traditions www.lebonvieuxtemps.info Sur quel type de sentiment collectif repose le succès de cette fête ? L’exhibition de techniques agricoles anciennes, de véhicules disparus, la consommation de plats traditionnels et la pratique de jeux et de danses en vogue il y a plusieurs générations plonge dans l’illusion de remonter le temps. Le passé n’est alors restitué que sous son angle positif : on y possédait des savoirs perdus et on savait trouver son bonheur dans des plaisirs simples. Il s’agit d’un passé reconstruit fantasmatiquement pour répondre aux inconvénients de la vie actuelle. Ce genre de fête repose sur une utopie construite sur l’oubli de l’inconfort et de la dureté auxquels la modernité a su apporter des remèdes. Ils nous sont si familiers que nous les pensons naturels et les sous-estimons.

20◗ Régression Alphonse de LAMARTINE Comment s’exprime la conscience du temps dans ce poème de l’époque romantique ? La description d’un coin de nature sauvage permet au poète d’exprimer une méditation philosophique sur le temps et la condition humaine. La vie apparaît comme une suite de déceptions. Il n’aurait jamais fallu quitter le creux de ce vallon secret et inconnu, sécurisant comme un utérus. La nature est à la fois semblable à l’homme et son contraire. L’écoulement des eaux et le cycle des saisons figurent la fuite inexorable du temps. Mais la nature, dans ces cycles, se régénère à l’identique et conserve son intégrité, sa pureté originelle car le vallon isolé échappe à toute intervention humaine. À l’inverse la vie mondaine et ses déceptions dégradent et altèrent l’âme qui parvient à la vieillesse désabusée.

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21◗ Nostalgie gustative Mariana GONÇALVES et Christelle VOGEL Quel type de nostalgie cultive ce site de recettes de cuisine ? Les recettes utilisent des confiseries bon marché que les enfants achetaient dans les boulangeries à la sortie de l’école et qui étaient objets de convoitise dans les années 60 : Carambar, oursons en guimauve, boules de coco ou qu’ils convoitaient dans les fêtes foraines comme la barbe à papa ; s’y sont ajoutées ensuite les fraises Tagada, les Kinders et les M and M’s. Les goûters beaucoup moins diversifiés qu’aujourd’hui ont plus fortement marqué les mémoires (choco BN, Prince de LU, Gâteau marbrés). Ils voisinaient encore avec les desserts familiaux (biscuits roulés, quatre quart, gâteau au yaourt, pains perdus, tartes) ou les pâtisseries traditionnelles (madeleines, sablés, financiers, chouquettes). L’influence américaine s’exprime fortement par l’importation de confiserie et de pâtisseries (cookies, cupcakes), de produits comme le beurre de cacahuète et les barres de confiserie. La mode gustative actuelle du tiramisu, du fondant au chocolat, du moelleux, des verrines se surimpose à cet ensemble. Les recettes proposées par le site combinent les goûts à la mode aujourd’hui fortement influencés par le modèle américain avec les souvenirs gustatifs de plusieurs générations. Les satisfactions orales, si l’on en croit Freud, sont liées à l’enfance. À travers la réitération du plaisir gustatif l’adulte cherche à retrouver le climat psychologique et les souvenirs de cette époque idéalisée.

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22◗ Poids du souvenir Charles BAUDELAIRE Analysez les métaphores de ce poème concernant le temps. Les souvenirs apparaissent au poète comme une masse pesante et encombrante dont on ne peut se défaire et qui plombe le présent et lui fait écran. La chambre désertée, le vieux meuble, la pyramide et le tombeau, le caveau, la fosse commune, le cimetière, le sphinx, métaphores de l’esprit sont des lieux morts ou voués à la mort. Ils sont encombrés de restes dévitalisés de ce qui constitua la vie passée, relations amoureuses, échanges commerciaux, relations sociales. Le sentiment de culpabilité né des torts faits aux êtres aimés est obsédant La beauté des êtres et des lieux, figurée par un boudoir rempli de présence féminine délicatement décoré à la mode du XVIIe siècle est fanée : la fraîcheur des sensations s’est envolée ne laissant que des restes insipides et fades. Le temps s’étire à l’infini de la plus lointaine antiquité égyptienne à l’immortalité. Un sentiment de vide et d’abandon, d’isolement absolu envahit l’esprit incapable de s’accrocher au présent et qui sombre dans une mélancolie mortifère devant la vie qui semble se pétrifier. Le souvenir est ici essentiellement le révélateur de ce qui est perdu.

23◗ l’oubli du traumatisme Anny Duperey Quelles sont les spécificités des souvenirs que sont les photos de famille ? Les photos de famille étaient faites par des professionnels ou par les membres de la famille à l’occasion de cérémonies religieuses ou profanes marquant les étapes de la vie de ses membres. Puis avec la démocratisation et l’évolution de la technique elles se sont multipliées et fixent désormais toutes sortes de moments particuliers propres à la vie d’un groupe familial souvent agréables. Cette pratique est dictée par le désir de garder une trace d’un moment de bonheur

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ou de plaisir. Les photos de famille n’ont aucun sens pour les étrangers au groupe qui ne peuvent identifier les personnes ni les circonstances. Comme le déclare Roland Barthes dans l’Obvie et l’obtus elles disent seulement que quelque chose a été.

24◗ Mémoire et informatique Pauline VÉZIE, Jérémie PINSON et Élise FRAVALLO Délimitez les trois parties de cet extrait et donnez-leur un titre. Quel est l’apport de ces informations d’ordre général à la question du droit à l’oubli sur internet. Le travail de ces étudiants propose d’abord une définition du terme « oubli » dans son sens général appuyée sur son étymologie puis mène un développement sur son intérêt dans le domaine cognitif. Il définit ensuite les caractéristiques générales d’Internet en matière d’information. Cette description oppose les deux processus : sélection en fonction des intérêts/enregistrement exhaustif et automatique. L’antagonisme des deux processus fait naître un problème nouveau qu’ignorait le fonctionnement lacunaire de la mémoire collective antérieur à la période électronique.

25◗ Droit à l’oubli numérique Fabienne DUMONTET Quels sont les enjeux de la question de l’oubli numérique ? La question de l’effacement d’informations personnelles sur Internet est techniquement complexe car les données personnelles sont disséminées et dupliquées dans d’innombrables sites avec l’accord de celui qui les dépose sur la toile, ce qui entraîne des problèmes juridiques. L’exploitation commerciale de ce service correspondant à un nouveau besoin ouvre un marché économique prometteur. D’un point de vue politique et social il peut sembler légitime que l’on puisse vouloir faire disparaître des informations qui peuvent être exploitées à notre détriment. Cependant cet effacement d’informations dans un but d’intérêt personnel s’oppose à l’intérêt collectif de l’accès à l’information, de la connaissance et de l’archivage du passé.

26◗Image de soi DELIGNE Analysez l’humour de ce dessin. La société Google est représentée sous les traits d’un peintre en bâtiment qui badigeonne une affiche surveillé par un juge en robe et à la mine intraitable. Sur cette affiche sont rassemblés les divers sites sur lesquels sont stockées des données concernant chacun d’entre nous. Si on les regroupe on peut tout connaître ou presque d’une personne, ses activités, sa situation de famille, son patrimoine, ses relations… Certains sites comme Facebook sont renseignés par nous-mêmes ; d’autres comme les annuaires par les télécommunications à partir des fichiers de leurs abonnés. Le travail d’effacement est présenté comme une tache manuelle lente et malaisée sans commune mesure avec les simples clics sur un clavier d’ordinateur qui ont permis d’entrer les données. Le masquage avec la peinture verte fait penser au « caviardage » de textes de presse lorsque la censure obligeait les journalistes à noircir certaines lignes interdites mais ici il semble impossible de discriminer ce qui est effacé et ce qui est conservé. On se refait une personnalité comme on ravale une façade.

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27◗ Inconvénients du droit à l’oubli Serge TISSERON Quel type de risque ouvre selon l’auteur le libellé de la loi européenne ? L’auteur sur le site suivant En savoir plus sur http://www. lemonde.fr/idees/article/2014/10/15/le-droit-a-l-oubli-sur-internet-ne-doit-pas-se-transformer-pas-en-droit-au-deni_4506572_3232.html#1gWibmQDskazgqKK.99 conteste l’argument du droit au repentir. Il y voit plutôt la revendication d’un droit au déni assurant l’impunité aux puissants et leur permettant de préserver leur image. Il propose un ajout à la loi : que soit enregistré le fait qu’une demande d’effacement a été faite par telle personne à tel moment. Internet ne pourrait plus servir à démentir la croyance par le démenti des faits. Sans cette précaution il sera impossible de connaître la vérité et les internautes seront à la merci des agences de déréférencement et des avocats des puissants qui, eux, pourront utiliser leurs services. Cette loi risque de plus de déresponsabiliser les internautes qui commençaient seulement à apprendre la prudence dans leur utilisation des réseaux électroniques.

28◗ Le droit à l’oubli sur Internet Schéma sur le droit à l’oubli sur internet Quels problèmes juridiques ce schéma met-il en évidence ? Le schéma explicatif est partagé en deux zones : la partie supérieure expose la règle générale ; la partie inférieure est une illustration par un cas particulier. On note que la décision d’effacer ou non est prise par « l’exploitant de données » soit le prestataire de service. Ce dernier s’approprie les données qui sont sur les sites et il se place en position de juger si la demande est pertinente ou non. Il substitue à l’intérêt de l’internaute son propre intérêt : engranger des profits en vendant le plus grand nombre possible de données à des entreprises commerciales. L’intérêt de l’information est aussi une notion vague ; quel type d’intérêt ? Commercial de façon évidente. Et pour qui ? Les vendeurs de toutes sortes sans doute. Cet intérêt au sens propre du terme se déguise en vertu civique, le respect du droit à l’information. Quand l’intérêt de l’internaute et celui du moteur de recherche sont en opposition il faut en référer à la justice. C’est la Cour européenne qui a voté le droit à l’effacement qui peut être opposé au refus de Google mais c’est la justice du pays du plaignant qui reste souveraine et devra statuer sur le cas particulier.

L e s « v e r t u s » d e l ’ o u b l i

29◗ le refoulement ou l’oubli des faits gênants Sigmund FREUD Sur quelle hypothèse concernant la mémoire Freud fait – il reposer sa théorie ? L’hypnose et sa pratique de la suggestion révélèrent à Freud que certains souvenirs qui semblent oubliés peuvent revenir à la conscience. Le fait que l’opération soit difficile lui fit penser à l’existence d’une force de résistance à ce retour à la conscience. Il supposa donc l’existence d’une force symétrique qui aurait fait disparaître de la conscience l’événement culpabilisant. Il nomma le processus refoulement. La vérification de l’hypothèse se fait par la pratique puisque le retour à la conscience de certains souvenirs gênants guérit les symptômes hystériques de ses patients.

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30◗ Écriture ou oubli Jorge SEMPRUN Quelle similitude peut-on trouver entre les expériences opposées des deux auteurs, anciens déportés, que sont Levi et Semprun ? Primo Levi a choisi d’écrire à son retour d’Auschwitz pour se débarrasser de cette expérience effrayante, le second en a été incapable. Le peu d’écho de son récit, la surdité qu’on lui opposa ont représenté un traumatisme important pour Levi. Une fois la reconnaissance obtenue il sera paradoxalement poussé au suicide. À l’inverse le silence de Semprun au sortir de l’épreuve lui a permis de décanter l’angoisse et de laisser le temps au public de devenir plus accueillant à mesure que le souvenir de la guerre s’éloignait. Le récit d’un souvenir traumatisant est donc ambivalent il peut permettre de dominer l’angoisse mais inversement il en entretient la force par la remémoration. Le passage montre qu’il existe une mémoire collective commune à ceux qui ont vécu des événements semblables comme une période de guerre mais qu’au sein d’une même société les expériences différentes de la même époque sont difficilement transmissibles du fait de la mauvaise conscience mais aussi de la diversité des situations vécues.

31◗ Le pardon à l’usurpateur Sorj CHALANDON De quel crime contre la mémoire s’est rendu coupable le vieux breton ? Beuzaboc a usurpé le destin de résistants dont le père du narrateur, pour se valoriser aux yeux de sa famille ; bien des années après il accepte à la demande de sa fille de faire publier ses souvenirs sachant qu’il serait probablement démasqué. Quand le narrateur découvre la supercherie il est pris de haine et de colère mais décide de jouer le jeu et de laisser le vieil homme à sa honte considérant que finalement sa manœuvre a permis de garder vivante la mémoire d’authentiques héros morts. Cependant quand Beuzaboc découvre que le livre ne le trahit pas, dans un mouvement de « courage en temps de paix » il avoue publiquement la vérité. Cet aveu rétablit la réalité du passé et soulage les consciences de tous les présents.

32◗ Amnistie des Communards Discours de Léon GAMBETTA Que révèle ce discours des enjeux politiques de la mémoire des événements violents ? L épisode sanglant de la Commune a débouché sur l’instauration de la Troisième République mais cette dernière dut consolider ses assises et désamorcer le ressentiment du camp adverse. Comme celui de toute guerre civile le souvenir de la Commune entretenait des haines et des désirs de vengeance. Le fait que le camp vainqueur renonce à accabler le vaincu signale l’élévation de son sens moral et accroît sa légitimité.

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33◗ La nécessité cognitive de l’oubli Philippe CHOULET Quelle caractéristique de la mémoire vivante l’auteur souligne-t-il ?

L’esprit n’enregistre pas en haute-fidélité comme les moyens mécaniques. Il retient des structures de sens sur lesquelles il peut reconstituer un contenu équivalent à défaut d’être identique. La paradoxale complémentarité de l’oubli et de la mémoire explique la survie des formes des œuvres de traditions orales telles que celles qui nous sont parvenues de la haute antiquité grecque.

Notes et questions relatives aux documents du cahier couleur

1◗ La persistance de la douleur Frira KAHLO Quels liens par ce tableau l’artiste établit-elle entre son passé et son présent ? Frira Kahlo, peintre mexicaine a été victime à l’âge de 18 ans d’un accident de la circulation qui lui brisa la colonne vertébrale ; elle subit de nombreuses opérations et fut amputée d’un pied. Le tableau a été peint en 1944. Elle a donc 37 ans. Elle se représente avec un corps de jeune fille à la plastique parfaite offert à l’admiration du spectateur. Son visage est impassible mais ruisselant de larmes et percé de clous comme l’ensemble de son corps. Le linge blanc autour des hanches et les clous rapprochent sa souffrance de celle du Christ. Son torse ouvert et vide nous entraîne au fond de son corps à la racine du mal dont souffre son esprit. Sa colonne vertébrale blessée y est représentée comme une colonne antique brisée qui ne pourrait plus soutenir le temple dont elle est un des supports. De même le corps de Frira Kahlo ne tient que soutenu par un corset. La beauté brisée, architecturale et humaine se dresse au milieu d’un paysage désolé. Le regard est fixé sur un horizon qu’on imagine semblable à ce qu’on voit derrière elle et dit la vie dévastée, l’esprit muré dans une douleur indépassable. La douleur permanente la ramène constamment à cet événement dramatique qui a brisé sa vie.

2◗Ambivalence de la mémoire René MAGRITTE Analysez l’ambiguïté de cette nature morte. Le peintre a commenté ainsi ce tableau « Le tableau n’est pas l’illustration des idées suivantes : quand nous prononçons le mot mémoire, nous voyons qu’il correspond à l’image d’une tête humaine. Si la mémoire peut occuper une place dans l’espace, ce ne peut être qu’à l’intérieur de la tête. Ensuite, la tache de sang peut éveiller en nous la supposition que la personne dont nous voyons le visage a été victime d’un accident mortel. Enfin, il s’agit d’un événement du passé, qui reste présent dans notre esprit grâce à la mémoire". Il montre bien ainsi qu’en tant que surréaliste il vise autre chose que la plate représentation d’idées convenues. On retrouve cette tête de sculpture évoquant la statuaire de l’antiquité grecque marquée d’une tache de sang dans plusieurs œuvres de l’artiste. L’enfance de Magritte s’est déroulée dans des conditions matérielles difficiles et il eut à affronter le suicide de sa mère quand il avait quatorze ans. Il a peint cette toile à l’âge de 40 ans. Elle est la dernière d’une série qui pourrait avoir un rapport avec la guerre.

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La tache rouge est en surface et semble produite par une projection humiliante subie par la statue et non par une blessure. Le rideau rouge comme celui des théâtres dévoile un horizon marin paisible et lumineux. L’énigmatique grelot, très souvent représenté par le peintre, ajoute par sa rondeur une sensation de paix. Le bruit qu’il suggère ainsi que le friselis de la surface de l’eau animent le tableau d’une sonorité légère. La feuille par sa couleur complémentaire de celle de la tache, par sa légèreté opposée au poids de la pierre est le seul élément vivant de l’ensemble ; elle suggère l’air qui l’a portée et délicatement posée là. Son aspect vernis fait penser à une feuille d’oranger et intensifie l’ambiance méditerranéenne. Tout le tableau suggère donc une atmosphère douce à laquelle la figure féminine dans sa dignité humiliée apporte un violent contraste.

3◗L’oubli des vies antérieures John RODDAM SPENCER STANHOPE Que suggère l’attitude des personnages du premier plan qui représentent les âmes des défunts ? Les peintres préraphaélites reviennent à des thèmes mythologiques ou littéraires de l’Antiquité ou du Moyen Âge. Ici Stanhope illustre le mythe de la réincarnation telle que les Grecs l’imaginait. Les âmes des défunts doivent oublier leur vie antérieure pour aborder une nouvelle incarnation. Christine Kossaifi dans « L’oubli peut-il être bénéfique ? L’exemple du mythe de Léthé : une fine intuition des Grecs » publiée dans la revue ¿ Interrogations ? L’oubli N°3 décembre 2006, présente les caractéristiques mythiques de l’oubli. « Au premier abord, Léthé apparaît comme une puissance destructrice. Par sa mère, Eris, sœur et compagne du dieu de la guerre, Arès, et par ses frères et sœurs, elle est associée aux violences guerrières sanglantes, aux tensions psychologiques, à la souffrance physique et morale. P. Lévêque et L. Séchan parlent même, à propos de cette généalogie, d’une « carte du dur ». Léthé devient ainsi un symbole de mort, associée à Thanatos comme dans l’Hymne orphique à Hupnos, et ce n’est pas sans raison si c’est aux Enfers que coule son fleuve : l’oubli que procure son onde s’assimile à une perte d’identité et souligne sa capacité à donner la mort par anéantissement léthargique de la personnalité. Léthé s’avère monstrueusement dangereuse ; d’ailleurs ne passe-t-elle pas aussi pour la fille de Gaia, dont la personnalité négative a été accentuée au point de faire d’elle la mère de tous les monstres ? Pourtant son ascendance et son identité de fleuve infernal la mettent en relation avec au moins trois des quatre éléments, à savoir la terre (elle est fille de Gaia), l’air (elle est fille d’Ether) et l’eau (elle est un fleuve) ; elle est même associée à la chaleur du feu chez Platon, ce qui fait d’elle une divinité cosmique primordiale, en tant qu’émanation de ce que les Anciens considéraient comme les composants ultimes de la réalité. Ses attributions et sa personnalité reflètent celles de ses parents d’une façon qui peut être tout à fait positive : Gaia, mère des monstres mais aussi « mère universelle et mère des dieux », possède une science mantique ancienne, et Léthé a hérité d’elle sa fonction oraculaire, puisque - nous le verrons - elle joue un rôle dans la consultation de certains oracles. À son père Ether, lumière pure du ciel supérieur, et à sa grand-mère Nuit, Léthé doit sa dimension spirituelle et sa puissance créatrice, tandis que son autre mère, Eris, qui n’est pas seulement la détestable Discorde mais aussi « l’esprit d’émulation, (…) ‘ressort’ (du) monde », fait d’elle une puissance d’apaisement et un principe de création, comme l’a fort bien compris Nietzsche, pour qui l’oubli est au principe de la création. Enfin, Léthé est sœur de Serment, Horkos, étymologiquement « ce qui enferme ou contraint », c’est-à-dire une violence salutaire qui oblige à tenir sa parole. À l’image de son frère, dieu de la droiture morale qu’il fait respecter au besoin par la force, Léthé, par sa puissance d’oubli, détruit et sauve tout à la fois ; d’ailleurs, ses filles, les Charites, sont de riantes divinités de la végétation, qui meurt pour revivre, et des déesses de la beauté, répandant la joie dans la nature et le cœur des hommes. Quand le mythe présente Léthé comme la fille d’Eris et la mère des Charites, il suggère, selon l’analyse du docteur B. Auriol, qu’à la discorde succède l’oubli qui engendre la fête ».

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L’étude de la figure de Léthé telle que la construisent la mythologie et les penseurs de l’Antiquité met en lumière la fine intuition des Grecs : si l’oubli peut apparaître comme une défaillance de la conscience et un échec du logos, il s’avère pourtant bénéfique. Il a un indéniable pouvoir thérapeutique et cathartique, puisqu’en effaçant les souvenirs douloureux, il adoucit les souffrances. En exprimant un manque qui provoque une nostalgie, il joue un rôle de catalyseur dans la quête philosophique de la vérité, l’aletheia, et il est même à l’origine de l’une des plus belles expériences humaines, celle de l’extase véritable, sensuelle ou mystique, qui est d’abord un oubli de soi dans l’autre ou en Dieu. Ainsi, l’oubli n’est pas seulement bienfaisant, il est proprement essentiel à l’homme, aussi inhérent à sa nature que la mort à la vie. » Les personnages qui avancent sur la rive gauche du fleuve portent des vêtements qui situent leur condition sociale, leur âge, de la toute petite enfance à la grande vieillesse. Ils ont des attitudes qui permettent d’imaginer les conditions de leur mort, individuelle ou collective, (amants, famille) et d’envisager les souffrances qu’ils ont connues, physiques ou morales. L’accablement et le retrait dans la douleur laissent place à l’approche de la rive à une tension vers le fleuve. Les regards se fixent sur l’horizon de l’autre rive ; ils vont se laisser basculer dans le fleuve. La traversée les dépouille et ils abordent nus et épuisés. Ils sont alors gagnés par un sommeil qui effacera tout leur passé de leur conscience.

4◗ L’exemple de l’oubli divin Le retour du fils prodigue … Rentrant en lui-même (le fils) se dit : « combien d’ouvriers de mon père ont du pain de reste, tandis que moi, ici, je meurs de faim ! » je vais aller vers mon père et je lui dirais : « Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi. Je ne mérite plus d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers ». Il alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut pris de pitié : il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. Évangile de Luc 15- 17, 20 En quoi la parabole qu’illustre cette icône révèle-t-elle le rapport du Christianisme à la mémoire des fautes ? Évangile selon saint Luc, chapitre 15, versets 11 à 32 : Il dit encore : Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : mon père, donne-moi la part de bien qui doit me revenir. Et le père leur partagea son bien. Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant tout ramassé, partit pour un pays éloigné, où il dissipa son bien en vivant dans la débauche. Lorsqu'il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin. Il alla se mettre au service d'un des habitants du pays, qui l'envoya dans ses champs garder les pourceaux. Il aurait bien voulu se rassasier des caroubes que mangeaient les pourceaux, mais personne ne lui en donnait. Étant rentré en lui-même, il se dit : Combien de mercenaires chez mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! Je me lèverai, j'irai vers mon père, et je lui dirai : Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils ; traite-moi comme l'un de tes mercenaires. Et il se leva, et alla vers son père. Comme il était encore loin, son père le vit et fut ému de compassion, il courut se jeter à son cou et le baisa. Le fils lui dit : Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils. Mais le père dit à ses serviteurs : Apportez vite la plus belle robe, et l'en revêtez ; mettez-lui un anneau au doigt, et des souliers aux pieds. Amenez le veau gras, et tuez-le. Mangeons et réjouissons-nous ; car mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé. Et ils

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commencèrent à se réjouir. Or, le fils aîné était dans les champs. Lorsqu'il revint et approcha de la maison, il entendit la musique et les danses. Il appela un des serviteurs, et lui demanda ce que c'était. Ce serviteur lui dit : ton frère est de retour, et, parce qu'il l'a retrouvé en bonne santé, ton père a tué le veau gras. Il se mit en colère, et ne voulut pas entrer. Son père sortit, et le pria d'entrer. Mais il répondit à son père : voici, il y a tant d'années que je te sers, sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m'as donné un chevreau pour que je me réjouisse avec mes amis. Et quand ton fils est arrivé, celui qui a mangé ton bien avec des prostituées, c'est pour lui que tu as tué le veau gras ! Mon enfant, lui dit le père, tu es toujours avec moi, et tout ce que j'ai est à toi ; mais il fallait bien s'égayer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et qu'il est revenu à la vie, parce qu'il était perdu et qu'il est retrouvé. (Traduction d'après la Bible Louis Segond). Cette icône moderne perpétue la tradition de représentation de personnages ou de scènes religieuses issues du nouveau Testament dans l’Eglise orthodoxe au Moyen Âge. La parabole illustrée ici montre le Christ, reconnaissable à son auréole, dans le rôle du père. Plusieurs scènes qui se succèdent dans le temps de l’histoire, se juxtaposent sur l’espace de l’icône. Le Christ accueille le fils repenti, commande au serviteur de préparer un festin et de faire tuer pour cela un veau gras puis on le voit bénissant le père et le fils réconciliés à la table de fête. Cette icône invite les chrétiens à pardonner les offenses en suivant l’exemple d’un dieu miséricordieux qui pardonne la faute originelle ainsi que le disent de nombreuses paraboles racontées par Jésus et rapportées dans les Evangiles. Le pain et le vin sur la table renvoient à la Cène, le dernier repas de Jésus avant son arrestation et son supplice qui rachète précisément toutes les fautes Il s’agit pour les fidèles d’être à la hauteur de cet exemple mémorable.

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L A M E M O I R E C O L L E C T I V E L ’ a t t a c h e m e n t a u x t r a d i t i o n s

34◗ Définitions Trésor de la Langue Française Informatisé À quels champs lexicaux appartiennent ces adjectifs ? De quelles connotations sont-ils chargés ? « Progressiste » et « réactionnaire » appartiennent au lexique politique ils sont antinomiques. Le premier tire sa connotation positive de la valorisation du changement issue de la notion de progrès élaborée par la philosophie des Lumières. Le réactionnaire est donc considéré comme quelqu’un qui refuse ou entrave le progrès. Le terme est donc connoté négativement par rapport à ce modèle intellectuel.

35◗Nostalgie barcelonais Jérôme TRIAUD Quels sont les enjeux économiques, politiques et sociologiques de la modernisation de ce quartier de Barcelone ? Le Poble Nou quartier industriel et portuaire de la ville de Barcelone était habité par une population modeste et interlope. On lui adjoignit le village olympique quand la ville accueillit les Jeux Olympiques, enjeu de prestige valorisant les politiques et dynamisant l’activité économique. L’évolution technique et la crise ayant disloqué l’économie ancienne qui animait ce quartier, il devint une zone en déshérence dont les prix bas séduisirent un nouveau type d’investissements plus ou moins légaux. L’insalubrité et l’immoralité du vieux quartier donnèrent des arguments pour sa destruction et les anciens habitants se virent refoulés vers des bidonvilles à l’entrée de la ville. L’administration de la ville peu préoccupée de la dimension sociale du problème favorisa l’implantation d’une nouvelle population aisée et branchée dans ce lieu devenu à la mode. La municipalité bénéficia de cette image plus valorisante de la ville, l’économie également. Les profits liés au tourisme, aux nouvelles technologies, à l’industrie du loisir ont remplacé ceux de l’ère industrielle. Les seuls perdants sont comme à l’accoutumée dans ce genre de remaniement urbain les classes inférieures de la société.

36◗ Mémoire des lieux Eugène ATGET Comment peut-on expliquer l’intérêt de ce photographe pour ce type de sujet dont il se fit une spécialité ? Le début du XXe siècle est marqué par de considérables transformations, particulièrement une accélération de la vie. La modernité est même chantée par les poètes comme Apollinaire ou représentée par les artistes. L’idée que le XXe siècle va révolutionner la vie rend plus attentif à ce qui paraissait solidement établi et qui s’avère finalement voué à se transformer comme le cadre de vie urbain. Atget cherche à fixer pendant qu’il en est encore temps l’état ancien d’une ville qu’il voit en constante transformation.

La mémoire collective – 22

37◗ Voyage mémoriel Nicole VOLLE Comment cet ouvrage illustre-t-il la notion de mémoire collective ? Kaufmann évoque la mémoire commune à différents membres d’une même famille sur trois générations. Il part à la recherche d’une connexion de son existence avec les vies de son père et de son grand père. Il cherche à faire siens leurs souvenirs. Mais au-delà de cette intention généalogique, cet itinéraire fait appel à une mémoire collective plus large, l’une d’origine scolaire constituée par l’histoire, la littérature, la géographie, l’autre vivante révélée par les conversations avec les habitants rencontrés sur le chemin. Ce voyage lui permet également de constater la pérennité des traditions qui maintiennent vivant un passé que les grandes villes semblent avoir éradiqué.

38◗ Passéisme Mathieu Bock-Côté Quelle attitude intellectuelle ce texte critique-t-il ? Le journalisme souligne avec humour le manque de culture historique, la naïveté présomptueuse de ceux qui condamnent toute référence au passé par principe. Le simplisme de telles postures les rend inopérantes sur le plan politique. Un essai de Jean Claude Michéa le Complexe dOrphée développe l’analyse de ce refus de regarder en arrière très répandu dans l’idéologie dominante actuelle.

39◗ Paradis passé ou futur Mircéa ELIADE Quelle idée du passé les mythes véhiculent-ils ? Les mythes inventent l’histoire de l’origine du monde. La narration de cette histoire reproduit la création elle-même et la perpétue ou la restaure. La répétition et la conservation de la mémoire de cette histoire fondatrice sont d’une importance vitale. La mémoire est génératrice de l’avenir qu’elle rend possible Elle a une fonction dynamique. La mémoire collective des colonisés intègre celle des colonisateurs d’une manière polémique. Elle nourrit une position politique revendicative dans le cas des cargos cults où le souvenir du passé n’est pas nostalgique mais révolutionnaire puisque les caractéristiques de ce passé heureux doivent être reconstituées.

P a t r i m o i n e e t h i s t o i r e

40◗Invention du patrimoine Histoire des musées De quel type de mémoire le musée est-il l’instrument ? Le musée a une fonction pédagogique dans la mesure où il stocke des objets artistiques, naturels, techniques… offerts à l’observation et l’étude. La conservation d’objets d’abord contemporains puis qui deviennent historiques au fil du temps contribue à la construction d’une culture qui constitue une forme de mémoire collective. Après avoir rassemblé des curiosités, des instruments techniques, des œuvres d’art, les collections publiques et privées se sont constituées autour d’objets ethnologiques. Il s’agit aujourd’hui de tout archiver d’un passé proche et du présent perçu comme fugace. Tout est fait

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pour attirer dans les musées le plus grand nombre possible de visiteurs. Une nuit des musées a même été instaurée. La mémoire devient alors avec un alibi pédagogique et culturel un produit économique à rentabiliser.

41◗ Conservation/modernisation Victor HUGO Quelles attitudes antagonistes à l’égard de l’héritage architectural ce texte présente-t-il ? Victor Hugo dénonce les transformations de la cathédrale faites pour la mettre à la mode des différentes époques de la période classique durant lesquelles l’art gothique était discrédité. Il signale aussi que l’architecture est un objet idéologique que la Révolution a pris pour cible jusqu’à ce que l’abbé Grégoire, inventeur du mot « vandalisme » convainque l’Assemblée que les œuvres architecturales de l’Ancien Régime devaient être considérées comme biens de la Nation et protégées. Le XIXe siècle constitua un catalogue des monuments historiques, initié par Prosper Mérimée destiné à organiser leur préservation. Hugo se place du côté des architectes restaurateurs comme Viollet le Duc qui chercheront à retrouver les formes originelles des bâtiments gothiques au détriment cette fois-ci des apports ultérieurs.

42◗ Le patrimoine François HARTOG Quelle mutation s’opère dans la relation au temps aujourd’hui ? Hartog souligne la paradoxale angoisse d’une société à la fois tournée vers l’avenir mais qui veut conserver de façon anxieuse les moindres traces du présent. Elle cherche à faire obstacle au travail de décantation qu’opère la mémoire avec un souci obsessionnel d’exhaustivité. Le présent veut maîtriser ses propres traces et organiser lui-même sa mémoire.

43◗ Souvenir/mémoire Serge BARCELLINI Quelles différences l’auteur note-t-il entre droit au souvenir et devoir de mémoire ? Les termes droit et devoir sont antithétiques alors que mémoire et souvenir semblent synonymes mais effectivement droit au souvenir et devoir de mémoire empruntent des voies de communication différentes. D’un côté le droit au souvenir s’exprime par un rituel au cérémonial figé qui sélectionne et hiérarchise ce qui doit être commémoré, qu’il s’agisse de la première guerre mondiale ou de la seconde. L’ensemble hiérarchisé de figures héroïques, le nombre des dates et des lieux de commémoration peuvent différer mais le principe est le même. De l’autre côté, le devoir de mémoire s’inscrit dans des lieux divers, musées, mémorial, historial ; il connaît une perpétuelle évolution des supports, recourt aux spectacles de divers types. Il demande des budgets toujours plus conséquents. La détermination des objets de ce devoir de mémoire est le fait d’un choix politique. Elle est toujours renouvelée, au gré des courants d’opinion et est à l’origine de lois votées en faveur de victimes.

La mémoire collective – 24

44◗ Mémoire/histoire Joël CANDAU Quels sont les principaux axes de l’opposition entre mémoire et histoire ? La dernière phrase du premier paragraphe propose les différentes antinomies existant entre les deux domaines. La citation que l’auteur fait d’un texte du psychologue Halbwachs puis de l’historien Pierre Nora complète cette première récapitulation par une autre série d’oppositions. Les oppositions portent sur les intentions, les fonctions, le rapport au passé, le mode de constitution de l’histoire et de la mémoire. Selon Nora la première est mouvante, concrète, subjective et passionnelle ; la seconde veut figer, abstraire, vise à l’objectivité et à

45◗ Le devoir de mémoire Monument aux morts Saint Julien du Gua. Que révèle l’inscription de ce monument ? Ce village ardéchois qui comptait 736 habitants en 1911 a versé proportionnellement à sa population, une contribution énorme à la guerre. Le simple énoncé des noms montre que six familles ont perdu au moins deux fils et deux familles trois. Cette ponction de 4,4 % sur les jeunes hommes (33) a forcément eu une incidence considérable sur l’avenir de la commune qui ne compte plus aujourd’hui que le quart du nombre des habitants recensés en 1911.

C o n f l i t s d e m é m o i r e

46◗ L’ambiguïté de la victoire de 1918 Annette BECKER Quelle ambiguïté révèle les commémorations de la fin de la Première Guerre mondiale ? L’érection des monuments aux morts et l’organisation des cérémonies ont été déterminées par les citoyens et ne sont pas le fruit d’une organisation étatique. C’est spontanément qu’un consensus étonnant s’est instauré : Alors que le pacifisme l’emportait sur le sentiment de victoire très peu de monument le proclament. Alors que des dissensions étaient apparues dans l’opinion publique au cours de la guerre une unanimité se fait autour de l’idée de deuil. Alors que la loi de 1905 avait proclamé la laïcité, les formes du deuil retrouvent des modes d’expression issus de la tradition religieuse. Toutes les communautés communient dans la souffrance et le deuil.

47◗Souvenirs honteux Robert CAPA Analysez la situation saisie par cette photographie. La scène photographiée par Capa est un cas parmi d’autres de règlements de compte à la faveur du retournement de situation créé par la Libération. Il a enhardi ceux qui sous l’Occupation collaboraient plus ou moins passivement avec le système dominant et qui voulurent désormais se montrer patriotes en pratiquant l’épuration des collaborateurs avoués et en punissant les femmes coupables d’intelligence avec l’ennemi désormais vaincu. Le titre de cette photo renvoie-t-il à l’indignité de la femme

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française qui a eu un enfant avec un Allemand ou à celle des « justiciers » qui l’ont tondue et l’humilient publiquement.

48◗ La difficulté d’écrire l’histoire coloniale Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD Comment est éclairée ici la difficulté encore actuelle à écrire une histoire de la colonisation française ? Les entreprises de colonisation ont été soutenues par la République française au nom des valeurs intégratrices exposées par Ernest Renan sur lesquelles elle était constituée et qui la légitimaient. Celles des Lumières et dont la transmission était la mission de la jeune école publique récemment instaurée. Désavouer la colonisation d’une manière globale sans porter atteinte aux valeurs fondamentales de la République s’avère compliqué.

49◗ Lois mémorielles Josie APPLETON Pierre NORA Quelles sont les caractéristiques des lois mémorielles et quels reproches les historiens leur font-ils ? Les lois mémorielles sont le fruit d’une mode récente. Elles sont nées d’un virage idéologique qui a poussé à la prise en compte de la revendication des victimes de drames historiques d’être reconnues et dédommagées. Ces lois sont souvent prises par opportunisme politique et sans cohérence au niveau des principes directeurs. De plus on assiste à une dérive du sens des termes « génocide » et « crime contre l’humanité » qui brouille la réflexion. Elles sont aussi des formes dangereuses de limites à la liberté d’expression et de recherche. À ce titre elles inquiètent les historiens qui y voient une toute autre problématique que celle qui sous tendait les lois contre la diffamation. Ces lois mémorielles sont prescriptives, moralisatrices et portent atteinte à la liberté de la recherche selon eux.

50◗ Taire ou dire Crystel Pinçonnat Quels sont les risques du silence sur le passé ? L’auteur a étudié des récits d’immigrés d’Afrique du Nord en France. Elle note une grande diversité des modalités d’expression de la mémoire et des contenus des récits. Elle s’interroge sur les effets du silence de ces générations migrantes sur leurs expériences. Il crée un vide dans la perception que leurs descendants ont de l’histoire de leur famille qui peut être comblé par de multiples fantasmes. La mémoire qui s’exprime dans les récits et les témoignages est subjective et donne une idée très variable de la réalité. Elle est la seule disponible pour combler le vide laissé par le peu de travaux historiques mais le fait d’une façon fragmentée et relative, et qui peut nourrir rancœur et révolte.

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51◗ Contre le droit à l’oubli informatique Fabienne DUMONTET Quelles menaces sur l’intérêt collectif fait planer la loi sur le droit à l’oubli informatique ? Il y a conflit entre l’intérêt personnel de celui qui veut sauver sa réputation ou faire disparaître la trace de ses forfaits et l’intérêt de la collectivité à disposer des informations qui peuvent permettre la connaissance de la vérité et des responsabilités. Les restrictions que la loi européenne a introduites à la suite de protestation comme l’effacement des noms propres sont illusoires, insuffisantes ou nuisibles. Il est, de plus, impossible de décider aujourd’hui de quels types d’information auront besoin les enquêteurs de demain.

Notes et questions relatives aux documents du cahier couleur

1◗ Lieux de mémoire Place de la Bastille, Opéra et colonne de Juillet Quels événements ce lieu commémore-t-il ? la Bastille La construction de la Bastille qui donne son nom à cette place remonte à Charles V. Elle se trouvait entre les débouchés du boulevard Henri-IV et de la rue Saint-Antoine et avait pour fonction de fortifier la porte Saint-Antoine. Mais Paris s’étendant vers l’Est elle perd sa fonction défensive et devient une prison sous Louis XI ; On l’utilisera comme entrepôt, salle de réception dépôt du trésor royal. Elle devient prison d’état sous Richelieu pour les nobles et les bourgeois dont le roi souhaite se débarrasser sans jugement et qui y vivent relativement confortablement. Les plus pauvres sont moins bien traités. Lors de la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, les cellules n'abritent que sept pensionnaires : quatre faussaires, un complice du régicide de Damiens et deux aristocrates emprisonnés à la demande de leur famille. Le 21 mai 1791, après vingt et un mois d'effort, le millier d'ouvriers engagés par l'entrepreneur Pierre-François Palloy ont rasé la Bastille ! La colonne de Juillet Napoléon Ier conçut en 1806 le projet d’aménager la place de la Bastille et d’y édifier un arc de triomphe à la gloire des armées françaises. Le projet fut rapidement abandonné et l’arc fut réalisé place de l’Étoile. En 1810, un nouveau projet vit le jour : la construction d’une fontaine en forme d’éléphant. Avec la chute de l’Empire, le projet fut abandonné et la maquette en plâtre de l’éléphant resta dans un coin de la place jusqu’en 1846. Pour commémorer la révolution de Juillet, Louis-Philippe décida d’élever une colonne à la gloire des victimes des Trois Glorieuses. Leurs noms furent inscrits sur le fût de la colonne, et des révolutionnaires morts au combat furent inhumés dans une nécropole bâtie au-dessous. Le 27 juillet 1831, Louis-Philippe posa la première pierre de la colonne. Celle-ci fut inaugurée le 28 juillet 1840 pour célébrer le dixième anniversaire de la révolution. Auteur de la notice : Alice Camus Collection : Numismatique Médaille commémorative de la pose de la première pierre du monument de la Bastille, 27 juillet 1831. Jacques-Jan Barre. Musée Carnavalet - Histoire de Paris 1831 Bronze 5 cm ND 4821 Description détaillée de la colonne par des élèves http://clg-antoine-meillet-chateaumeillant.tice.ac-orleans-tours.fr/eva/sites/clg-antoine-meillet-chateaumeillant/IMG/pdf/PLACE_DE_LA_BASTILLE-3.pdf

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l'Opéra-Bastille Inauguration le 13 juillet 1989 À l'occasion des cérémonies de commémoration du bicentenaire de la Révolution française, le nouvel opéra parisien est inauguré place de la Bastille par le président de République François Mitterrand. Imaginé par l'architecte canadien d'origine uruguayenne, Carlos Pott, l'Opéra Bastille se caractérise par la transparence de ses façades et sa capacité d'accueil de 2700 places. Le coût total de sa construction s'élève à 2,8 milliards de francs et le bâtiment sera l'objet d'une vive controverse. L'opéra de Berlioz "Les Troyens" sera le premier spectacle a y être donné le 17 mars 1990.

2◗ La décantation du passé collectif Jean-Baptiste MAUZAISSE Analysez l’ambivalence du temps historique à partir de cette allégorie. Afin d'orner la salle consacrée aux objets précieux du musée, dénommée alors " salle des bijoux, un plafond fut commandé au peintre Mauzaisse en 1821. Une nouvelle commande lui fut passée en 1828 pour compléter ce décor. Les voussures reçurent les allégories des quatre saisons, les dessus-de-porte, celles des quatre éléments, tandis que des représentations des Arts, des Sciences, du Commerce et de La Guerre furent placées en entre-deux des fenêtres. Le peintre conformément à la tradition classique représente le temps sous l’apparence d’un vieillard robuste, ailé et armé d’une grande faux. Ces éléments expriment que le temps est une donnée éternelle. Ils évoquent la rapidité avec laquelle le temps s’écoule, la caractéristique périssable de toute chose. Le Temps se détache sur un ciel nocturne chargé de nuages menaçants mais qui s’écartent pour laisser voir un clair de lune limpide diffusant une lumière argentée. Le personnage est éclairé par une lumière dorée qui provient d’une source placée symétriquement par rapport à la lune. La lumière solaire annonce le jour qui baigne déjà, dans le coin inférieur droit, un paysage marin. Le Temps se trouve donc au centre d’un face à face entre la lune et le soleil qui symbolisent respectivement la nuit de l’oubli et la mise au jour de la redécouverte. Les objets redécouverts sont des vestiges architecturaux ou des fragments de statues. Ils sont en désordre ce qui montre la dimension hasardeuse des redécouvertes artistiques seules considérées ici puisque ce motif décore le plafond d’une salle de musée. Les styles ou les sujets résument l’histoire de l’art : on voit l’angle d’un temple dorique évoquant la Grèce, un chapiteau corinthien et un torse impérial suggérant l’art romain, une tête de roi peut-être gothique, le torse tordu à la manière baroque d’un homme évoquant la statue de Laocoon restaurée par Michel Ange, un buste moderne d’un héros de l’armée impériale. Le temps use, détruit ; les hommes abandonnent à la nature les vestiges des civilisations vaincues. Cependant la Renaissance puis l’époque classique se passionnèrent pour les civilisations antiques, en collectèrent les restes puis entreprirent des fouilles pour les exhumer dès le XVIIe siècle dans le cas de Pompéi par exemple. Le XIXe siècle redécouvre et revalorise l’art gothique, expression du passé national. Au milieu du XIXe siècle, la légende napoléonienne pourtant peu éloignée semble avoir été reléguée au rang des antiquités à redécouvrir.

3◗ Mémoire des colonisés Diego RIVERA Quelle vision de la conquête du Mexique par les Espagnols cette fresque donne-t-elle ? Une étude globale de la fresque peut être consultée à l’adresse suivante http://www.crimic.paris-sorbonne.fr/actes/sal3/barataud.pdf

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Une description détaillée est donnée par https://lapartmanquante.wordpress.com/2012/01/03/diego-rivera-murales-del-palacio-nacional/ Cette partie du mural montre l’arrivée des soldats et des prêtres qui tuent l’empereur et le grand prêtre. Ils réduisent les Aztèques en esclavage et les traitent avec la plus grande sévérité. Les colons ensuite se partagent les terres et les exploitent à la manière européenne, élevant des troupeaux, exploitant des mines et des forêts.

4◗Illustration de la mémoire Affiche de l’exposition « Mémoire et bande dessinée » Texte de présentation de l’exposition : « Grand Angle met la bande dessinée au service de l’histoire et de la mémoire… La bande dessinée raconte une histoire, toujours. C’est le scénariste qui la conçoit, le plus souvent de toutes pièces. Elle est découpée, travaillée, réfléchie, mesurée. C’est ensuite au dessinateur de se l’approprier pour lui donner corps après autant de recherches, d’esquisses, et de traits essayés. Quand l’histoire est antérieure à la bande dessinée qui va la raconter, la donne est changée. Les auteurs sont en création, toujours, mais différemment. Ils interprètent et endossent une responsabilité face à cette histoire qui leur est antérieure. De nombreuses questions se posent, un regard critique s’impose, la documentation, les témoignages, les photos d’époque sont autant d’éléments qui vont façonner le regard des auteurs et leur restitution des faits à travers un album. La collection Grand Angle s’est ainsi construite, avec ses auteurs, un univers d’histoires qui racontent la grande histoire. Les albums de cette collection interrogent et font réagir. C’est cette démarche que l’exposition « Mémoire et Bande Dessinée » souhaite aujourd’hui restituer et décrire… » Analysez la complémentarité entre l’organisation de l’image et le texte de l’affiche. Le site de l’exposition indiqué ci dessus présente différents albums de la collection Grand Angle sur des doubles pages. Pour chacun est fait un rappel du contexte géographique et historique dans lequel se situe l’action racontée, le sujet traité et les angles d’approche des auteurs. Des documents, des interviews côtoient des exemples de vignettes ou de planches. Les choix graphiques des dessinateurs sont ainsi présentés et parfois expliqués par les auteurs. L’affiche de l’exposition représente dans un ciel jaune qui peut suggérer le feu, sept bombardiers anciens qui évoquent les attaques aériennes de la dernière guerre mondiale. Si on ne sait pas identifier ces avions ni leur pays d’origine, l’orientation de leur vol vers notre droite, donc vers l’Est évoque plutôt les forces alliées. On en conclut que la mémoire évoquée dans la Bande dessinée est une mémoire des conflits modernes et militaires. Le point d’où sont vus les avions représentés se situe juste au-dessous de l’avion du premier plan. Le spectateur de l’affiche est donc amené à partager les sensations des membres d’un autre avion de l’escadrille. La proximité des appareils et la vitesse suggérée par les traînées jaunes dans la partie la plus claire du ciel expriment implicitement l’habileté des pilotes. Le nombre des avions et leur disposition sont caractéristiques d’un raid. Le spectateur est immergé au cœur du danger. Nous sommes d’emblée dans

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la situation narrative des histoires racontées dans les ouvrages de cette collection : un point de vue individuel sur un événement collectif qui permettra de concrétiser et de faire partager l’angoisse et la tension ressenties dans des situations de danger mortel collectif comme les guerres.

La typographie oppose également une police classique pour les majuscules du mot « mémoire » à une typographie plus ludique pour l’expression « bande dessinée ». Chaque lettre est assimilée à une image d’une vignette à cause du cadre qui l’entoure et dans lequel elle est irrégulièrement centrée comme peuvent l’être les sujets dessinés. Le mot en devient mouvant sur deux axes, selon la verticale de la page mais aussi selon un axe qui lui sera orthogonal vers nous. Les lettres semblent alors plus ou moins proches de nous. La typographie connote la dimension ludique du mode d’expression qu’est la bande dessinée. Ce dernier effet est accentué par l’irruption d’une majuscule au milieu des minuscules. Le logo bien visible de la ville de Lyon qui héberge l’exposition la présente comme à l’origine de cette séduisante idée et rappelle aux citoyens la pertinence des actions culturelles qu’elle promeut ou soutient. Il s’agit d’une initiative pédagogique comme on peut le percevoir dans le texte de présentation qui explique le principe de la réalisation d’une bande dessinée. Il s’agit aussi d’une initiative contrôlée par l’éditeur qui se présente comme garant de la vérité historique et du sens des responsabilités de ses auteurs. Le nom de la collection est celui d’un type d’objectif d’appareil photo qui renvoie donc à une restitution considérée comme objective puisque photographique. L’adjectif implique aussi une vue d’ensemble. Ceci équilibre la perspective individuelle et émotionnelle des histoires individuelles racontées qui doivent révéler des aspects plus mémoriels qu’historiques mais sans toutefois trahir les versions officielles des faits. On sent ici la tension entre histoire et mémoire

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