Casque de Bronze

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  • Anne-Marie Adam

    Remarques sur une srie de casques de bronze ou Tarente etles Barbares dans la deuxime moiti du IVe s. av. J.-C.In: Mlanges de l'Ecole franaise de Rome. Antiquit T. 94, N1. 1982. pp. 7-32.

    RsumAnne-Marie Adam, Remarques sur une srie de casques de bronze ou Tarente et les Barbares dans la deuxime moiti du IVes. av. J.-C, p. 7-32.

    tude d'une srie de sept casques de bronze, fabriqus sans doute en Apulie (vraisemblablement Tarente), dans le troisimequart du IVe s. Parmi ces casques, cinq ont la forme de bonnets phrygiens, deux portent des oreilles de satyre et la plupart sontorns d'une abondante dcoration au repouss. En conclusion, on pose le problme d'une signification possible des formes oudcors choisis : valeur funraire pour les casques coloration dionysiaque, ou signe, dans le cas du bonnet phrygien, d'unintrt particulier des Tarentins pour le fait barbare, en relation avec les vicissitudes de leur lutte contre les Lucaniens?

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    Adam Anne-Marie. Remarques sur une srie de casques de bronze ou Tarente et les Barbares dans la deuxime moiti du IVes. av. J.-C. In: Mlanges de l'Ecole franaise de Rome. Antiquit T. 94, N1. 1982. pp. 7-32.

    doi : 10.3406/mefr.1982.1314

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5102_1982_num_94_1_1314

  • ANNE-MARIE ADAM

    REMARQUES SUR UNE SRIE DE CASQUES DE BRONZE

    OU TARENTE ET LES BARBARES DANS LA DEUXIME MOITI DU IVe S. AV. J.-C. *

    La srie de casques analyse ici se distingue par deux caractres essentiels qui se retrouvent tantt runis, tantt sparment, sur chacun des exemplaires, mais qui permettent, malgr la diversit d'aspects, de runir en un groupe relativement homogne les sept (ou huit) objets qui sont la matire de cette tude. L'une de ces caractristiques est leur forme : cinq exemplaires sur sept (ou six sur huit, selon le sort qui doit tre rserv au casque du Louvre, voir ci-dessous) prsentent, avec des variantes, la forme d'un bonnet phrygien, c'est--dire qu'ils possdent une longue pointe arrondie, replie vers l'avant; les deux autres sont de forme diffrente, mais semblables entre eux, avec une calotte arrondie, prolonge par le couvre-nuque, et surtout, de part et d'autre de la zone frontale,

    * Cette tude doit beaucoup aux discussions que j'ai pu avoir avec Agns Rou- veret et Angela Greco, lorsqu'elles-mmes prparaient leur communication sur La rappresentazione del Barbaro nell'ambiente magno-greco, communication prsente au Colloque de Cortone (Forme di contatto e processi di trasformazione nelle societ antiche), en mai 1981, et dont elles ont eu la gentillesse de me montrer le texte, avant publication. Je les en remercie et leur ddie amicalement ces quelques remarques.

    Mes remerciements s'adressent galement aux directeurs ou conservateurs de muses, et la Direction des Surintendances archologiques, qui m'ont communiqu renseignements et photos et m'ont autorise les publier : dottoressa A. E. Feruglio, soprintendente archeologico per l'Umbria; dottore Ettore De Juliis, soprintendente reggente alle antichit della Puglia; avvocato Giovanni Bruni, Museo provinciale, Catanzaro ; Direction des Muses du Vatican, Rome ; dottoressa Annalisa Zanni, Muse Poldi-Pezzoli, Milan; Madame H. Nicolet et Madame I. Aghion, conservatrice en chef et conservatrice au Cabinet des mdailles, Paris; Mademoiselle F. Gauthier, conservatrice au Muse du Louvre.

    MEFRA - 94 - 1982 - 1, p. 7-32.

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    deux oreilles animales pointues. L'autre caractre, commun tous sauf un (le n 2022 de la Bibliothque nationale de Paris), est la prsence sur ces casques d'une importante dcoration, gnralement au repouss, qui combine, en des compositions diverses, un petit nombre d'lments spcifiques : chevelure ondule, masques humains, ornements vgtaux varis (tiges avec palmettes ou bourgeons, mandres vgtaux souligns de fleurs ou rosettes, feuilles d'acanthe).

    La combinaison de ces diffrents lments nous permet de situer assez prcisment l'poque, le lieu et, dans une certaine mesure, le contexte de fabrication de ces casques. Elle en fait une srie tout fait part parmi les modles connus de casques antiques.

    I - La srie tudie

    Deux exemplaires prsentent une forme phrygienne trs nette et une ornementation particulirement riche :

    1) Paris, Bibliothque nationale, n 2023. Autrefois dans la Collection du roi des Deux-Siciles, puis dans celle du comte de Caylus ; aurait t trouv Herculanum (P)1 (PL I et II, a).

    La zone frontale, qui imite le galbe d'un front humain, est surmonte d'un bandeau de boucles ondules, trs souples, en grosses mches plus finement regraves. Au-dessus, un ruban (brod?), nou en nud d'Hrakls, est parsem de petits points groups trois par trois. La calotte est partage par une ligne mdiane, qui figure sans doute la couture centrale du bonnet, et que borde de chaque ct une ligne de vagues au repouss. La pointe recourbe, au sommet de la calotte, forme de gros plis qui simulent ceux d'une toffe et que parsment des motifs brods : fleurs ptales ronds ou pointus et swastikas traites au repouss. D'un ct du casque l'autre, le bas de la calotte porte une bande figure o sont reprsents, de part et d'autre d'un cygne aux ailes dployes (finement incises), deux couples de panthres opposes par la queue. Le couvre-nuque est orn d'un motif

    1 A. Cl. de Caylus, Recueil d'antiquits gyptiennes, trusques, grecques, romaines et gauloises, t. III, Paris, 1759, p. 128, pi. XXXIII, 2; Duc de Luynes, Annales publies par la section franaise de l'Institut archologique, I, 1836, p. 73 et Monuments, pi. III, ; E. Babelon et J.-A. Blanchet, Catalogue des bronzes antiques de la Bibliothque nationale, Paris, 1895, p. 661, n2023; F. von Lipperheide, Antike Helme, Berlin, 1896, p. 150-152; B. Schrder, Thrakische Helme, dans JDAI, XXVII, 1912 (abrg dans la suite du texte en Schrder), p. 331, Beil. 10, 4-6; F. Hauser, dans sterr. Jahresh., IX, 1906, p. 85, fig. 28; R. Pampanini, Le piante nell'arte decorativa degli Etruschi, dans SE, IV, 1930, pi. XXIII, 1 ; L. Coutil, Casques antiques, dans Mm. de la SPF, III, 1915, p. 201.

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    vgtal de deux rinceaux symtriques. Le casque comportait des paragnatides, dont on voit les trois trous de fixation au-dessus de chaque oreille.

    2) Prouse, Muse archologique. Trouv dans une tombe chambre de Paciano, prs de Castiglione del Lago2 (Pi. III).

    La zone frontale est encadre, comme dans l'exemplaire prcdent, de cheveux onduls au repouss, peut-tre surmonts d'un ruban nou (mais la calotte est brise cet endroit). La calotte porte mi-hauteur, sur tout son pourtour, sauf sur la zone frontale, une bande isole par deux cordons en relief et dcore d'une tige vgtale ondule, dans les mandres de laquelle sont insres des rosettes : les deux branches de cette tige partent, sur la partie postrieure, d'une touffe d'acanthe, elle-mme surmonte d'un buste de femme, tourn de trois quarts. Le couvre- nuque est orn de motifs vgtaux opposs symtriquement, voisins de ceux du casque prcdent. Le sommet de la calotte est lisse, avec une pointe assez mince, l'extrmit arrondie, et replie au-dessus du frontal. D'aprs les relations de fouille, les paragnatides, presque entirement disparues, portaient, toujours au repouss, la figuration d'une barbe boucle.

    Trois autres casques prsentent eux aussi, avec une dcoration plus simple, la forme caractristique du bonnet phrygien :

    3) Muse de Bari, Inv. n 20890. Trouv dans la tombe 10 de la ncropole de Conversano (Bari), en compagnie d'une cuirasse anatomi- que, de jambires et d'un ceinturon de type italique3 (Pi. IV).

    Il porte seulement, au-dessus de la zone frontale lisse, une bande de cheveux onduls, maintenue au centre par une sorte de barrette en forme de feuille (d'acanthe?) trs pointue. Le reste de la calotte est lisse; le sommet est en pointe assez arrondie, et non replie, surmonte d'une crte dentele. De chaque ct du timbre est fixe une ailette l'extrmit recourbe et dcore de petits points, de volutes et de nervures au repouss. Paragnatides dcoupes, lisses.

    4) Milan. Muse Poldi-Pezzoli, Inv. n 2426. Provenance inconnue4 (Pi. V).

    La forme de la calotte est voisine de celle du casque prcdent. Au sommet, de part et d'autre de la pointe, deux palmettes en relief, soudes, supportaient sans doute un ornement supplmentaire, qui tenait lieu de cimier et dont il reste, sem-

    2Bull. Inst., 1880, p. 261-262; Not. Scav., 1880, p. 79; G. Bellucci, Guida aile collezioni del Museo etrusco-romano in Perugia, Prouse, 1910, p. 162, fig. 38; ScIRoder, p. 332, Beil. 14, 4-7; G. Q. Giglioli, L'arte etrusca, Milan, 1935, pi. qccv, 4.

    3 /Voi. Scav., 1964, p. 161-162, fig. 75, 2 et 76; M. Cristofani, // fregio d'armi della tortnba Giglioli di Tarquinia, dans DdA, I, 3, 1967, fig. 8.

    4 Schrder, p. 327, Beil, 12, 1 et 2.

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    ble-t-il, le dpart boulet d'une tige. Au-dessus des charnires des paragnatides, une plaquette dcoupe forme un motif de vagues. Sur la partie frontale lgrement en pointe, est soud un masque fminin (?) aux traits pais (en particulier le gros nez pat), la masse de cheveux onduls dresse autour de la tte.

    5) Paris, Bibliothque nationale, n 2022. Ancienne Collection de Luynes; provient de Ruvo5 (Pi. II, b).

    La calotte rappelle celle des exemplaires prcdents, mais avec une pointe beaucoup plus accentue et dresse; le sommet de celle-ci est perc et portait peut- tre un ornement supplmentaire. La partie frontale, dcoupe en arrondi, forme une sorte de rebord en relief, assez large. De chaque ct sont fixes des ailettes, proches, pour la forme, de celles du casque de Conversano, mais sans doute moules, avec des ondulations et un bord festonn.

    Il faut examiner ici les problmes poss par un casque du Louvre, qui, de par sa forme et sa dcoration, semblerait appartenir la mme srie6. Cet objet, termin par une crte dentele, a la forme pointue du bonnet phrygien. La calotte est coupe mi-hauteur par un cordon de gros nodules, que termine, au-dessus de la zone frontale, un masque humain. La partie frontale triangulaire porte en son centre un visage fminin (?) aux cheveux onduls et surmont, en guise de capuchon, d'un mufle d'animal, et, de chaque ct, jusqu'aux tempes, des cheveux boucls. Sur chacune des paragnatides, un motif au repouss : un sphinx, lui- mme coiff d'un bonnet phrygien.

    Ce casque, plusieurs fois publi jusqu'au dbut du XXe sicle (supra, n. 6), est actuellement considr, sinon comme un faux, du moins sans doute comme un pasticcio, ralis partir d'lments antiques htrognes, ou comportant seulement une petite partie antique. Signalons, d'ailleurs, qu'il est aujourd'hui introuvable dans les rserves du Muse du Louvre, o il a peut-tre t dmont (mais cette opration n'a fait l'objet d'aucune mention d'archives). Il nous a donc t impossible de l'examiner. Tout au plus pouvons-nous dire, partir de la comparaison avec les casques dcrits plus haut, et en fonction de critres stylistiques sur lesquels nous reviendrons, que la partie la moins suspecte est celle qui se situe au-dessous du cordon et qui comporte le couvre-nuque et la zone frontale, avec le dcor de cheveux et le grand masque : on aurait ajout

    5Babelon et Blanchet, op. cit., p. 660, n2022; F. v. Lipperheide, op. fait., p. 147; Schrder, p. 335, Beil. 12, 3; L. Coutil, op. cit., p. 201. /

    6 Mon. Inst., 1836, pi. III; Daremberg-Saglio, Dictionnaire des Antiquits, s.v. Galea, p. 1450, fig. 3475; F. von Lipperheide, op. cit., p. 148; sterr. Jahrsh., IX, 1906, p. 86, fig. 29; Schrder, p. 327, Beil. 11, 1 ; A. de Ridder, Bronzes antiques du Louvre, Paris, 1913, n 1107, pi. 65; L. Coutil, op. cit., p. 201, fig. 55.

  • REMARQUES SUR UNE SRIE DE CASQUES DE BRONZE 1 1

    poque moderne tout le sommet et peut-tre les paragnatides. On pourrait alors imaginer comme point de dpart un fragment d'un casque voisin, pour la forme (et la dcoration), de celui du Muse Poldi-Pezzoli7.

    Enfin, nous avons dj voqu deux casques de forme diffrente, mais que leur dcoration rattache certainement la srie :

    6) Catanzaro, Muse provincial. Provenance: Tiriolo8 (PI. VI, c).

    La calotte est arrondie, lisse, sauf, sur la partie frontale, un dcor de cheveux au repouss entremls de feuillage (lierre). De part et d'autre, sur les tempes, se dressent deux petites oreilles pointues. Le couvre-nuque porte un ornement vgtal : tiges ondules, avec feuilles, rosettes et bourgeons, mergeant d'un double bouquet de feuilles d'acanthe.

    7) Rome, Muses du Vatican, Inv. n 12304. Provenance inconnue9 (Pi. VI, a-b).

    Presque semblable au prcdent. Sur la partie frontale, mieux conserve, on remarque nettement le relief qui imite de manire raliste le galbe d'un front humain. Les oreilles portent des bandes de tirets gravs. De chaque ct du couvre-nuque, dcor vgtal simple : une feuille d'acanthe et une tige simple, enroule et termine par une fleur.

    II - Origine de la forme en bonnet phrygien

    La plupart des provenances connues semblent donc suggrer pour notre srie de casques une origine sud-italienne. Mais la forme du casque bonnet phrygien est de toute faon une forme trangre, importe en Italie du monde grec. Ce type est videmment, l'origine, la copie mtallique des bonnets pointe, de forme varie, qui coiffent traditionnellement les populations des confins nord de la Grce et des rgions orientales. Il est difficile de dater exactement cette transposition, c'est--dire l'apparition des premiers modles mtalliques. Mais, comme le fait remarquer B.

    7 Un dernier casque de mme forme doit tre vraisemblablement adjoint la srie : il a t trouv dans une tombe de Sta Maria del Cedro (Marcellina) (Cosen- za). Nous n'en dirons rien, cependant, faute de le connatre autrement que par une photographie fort peu nette et prise avant restauration de l'objet (Archeologia (Rome), VI, 1967, p. 189, fig. 7).

    8 Bull. Inst., 1881, p. 203; Not. Scav., 1927, p. 349-350, fig. 23, pi. I, d. 9 Museo Gregoriano, I, Rome, 1842, pi. LXXIV; W. Helbig, Fhrer durch die

    Sammlungen Roms2, Leipzig, 1899, p. 372, n 1371; Fhrer, IV, 1, Tbingen, 1963, p. 513, n678; Schrder, p. 332, Beil. 14, 1.

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    Schrder, on trouve, la fin du Ve sicle, sur la cramique inspire des peintures de Mikon, et en gnral dans des scnes coloration orientale (scnes de l'Iliupersis, scnes de combat contre des Perses, ou contre les Amazones), plusieurs catgories de casques, qui, par leur calotte allonge, au sommet plus ou moins pointu, se distinguent nettement des casques corinthiens, attiques ou chalcidiens que l'on rencontre depuis le VIe sicle sur la cramique peinte 10. Notons d'ailleurs que c'est aussi dans la 2e moiti du Ve sicle que doivent apparatre les premiers exemplaires mtalliques du casque pilos, transposition lui aussi d'un bonnet souple (de cuir?) et dont on retrouve plusieurs reprsentants au IVe sicle, en Italie mridionale. L'histoire des deux formes doit donc tre parallle.

    C'est surtout au cours du IVe sicle, dans le nord de la Grce, et jusque sur les rives de la mer Noire, qu'on trouve des casques en forme de bonnet phrygien. On connat quelques exemplaires rels dans la rgion de Kertch11, en Macdoine12, et galement plusieurs reprsentations o il s'agit indubitablement d'objets de mtal, et non pas de bonnets souples, et qui sont sans doute pour beaucoup d'inspiration macdonienne : en particulier, bien sr, le sarcophage d'Alexandre Sidon, sur lequel on voit la reprsentation de plusieurs types d'armes macdoniennes13; mais on peut citer galement, dans le reste de la Grce, plusieurs monuments funraires de guerriers ainsi coiffs14. Tous ces monuments, aussi bien

    10 Schrder, p. 317. 11 Id., p. 326-327, Beil. 12, 5 : trouv dans un tumulus de la presqu'le de

    Taman, dans un sarcophage de bois qui, par sa dcoration et son contenu, doit appartenir la deuxime moiti du IVe sicle. Le casque, de provenance inconnue, du Muse national de Copenhague (Schrder, p. 326, Beil. 10, 1-2, et infra, fig. I, b), achet Constantinople, doit provenir lui aussi des rivages de la mer Noire (ou de Thrace).

    12 Un casque de ce type a t rcemment dcouvert dans le grand tumulus de Vergina (casque de fer, avec une longue crte assez mince et recourbe vers l'avant; sur la partie frontale, qui forme une dcoupe triangulaire, au-dessous de la crte, un masque d'Athna (?)) : M. Andronicos, The Tombs at the Great Tumulus of Vergina, dans Greece and Italy in the Classical World, Acta of the XI Intern. Congr. of Class. Arch., Londres, 1979, p. 46, pi. 8 et 9. Si cette tombe est vraiment, comme le pense M. Andronicos (p. 51 sq.), celle de Philippe II, elle appartient videmment au milieu de la deuxime moiti du IVe sicle.

    13 K. Schefold, Der Alexander-Sarkophag, Berlin, 1968 (pour Schefold, il s'agit bien du sarcophage du roi de Macdoine, excut avant la mort de celui-ci - c'est- -dire, peut-tre, vers 330, ou peu aprs).

    14 Stle de cavalier de Pelinna, en Thessalie (Muse du Louvre) : L. Heuzey et H. Daumet, Mission archologique en Macdoine, Paris, 1876, pi. 26.

    - Monument funraire d'Aristonauts : A. von Salis, Das Grabmal des Aristo- nautes, 84. Winckelmannsprogramm, Berlin, 1926.

    - Stle funraire d'Eleusis : Athens Annals of Arch., XIII, 1980, fig. 11, p. 19.

  • Illustration non autorise la diffusion

    REMARQUES SUR UNE SRIE DE CASQUES DE BRONZE 13

    que le contexte archologique de certains des casques rels, nous fournissent une datation homogne dans la deuxime moiti, et mme plus prcisment dans le troisime quart du IVe sicle.

    La frquence relative de ce casque en milieu macdonien15 ou dans les rgions voisines permet de supposer que c'est par l'influence macdonienne qu'il a t transmis l'Italie mridionale, soit par l'intermdiaire de reprsentations figures, de cartons, soit par des objets rels. On aurait retrouv Isernia, dans le Samnium, un casque de forme phrygienne,

    Fig. la - Casque trouv Isernia (d'ap. Schrder, Beil. 10, 3).

    Fig. lb - Casque achet Constantinople (Copenhague, Muse national danois) (d'ap. Schrder, Beil. 10, 1-2).

    exactement semblable ceux du monde grec, en particulier celui de Copenhague16 (fig. 1, a-b). Il est vrai que ce casque parat totalement isol et que, si la srie que nous tudions est bien, comme nous le pensons, tarentine ou tout' au moins apulienne (voir infra, Partie III), celui-ci n'appartient nullement la mme aire gographique et rien ne prouve qu'il

    15 II ne nous semble pas, en revanche, que le casque peint sur les parois de l'hypoge de Levkadia (Makedonika, 2, 1941-1952, pi. XIX) puisse se rattacher au mme type : il s'agit plutt d'un casque calotte arrondie, surmont d'une sorte de crte, d'appendice pointu.

    16 Schrder, p. 326, Beil. 10, 3 (Autrefois dans la collection du comte d'Er- bach).

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    ait transit par Tarente. Pour la rgion de Tarente, l'influence a peut-tre t surtout iconographique : notons qu'une des reprsentations les plus nettes du casque mtallique en forme de bonnet phrygien dans l'art tarentin se trouve sur une stle funraire de la fin du IVe sicle17, qui rappelle un peu les monuments de Grce continentale voqus plus haut. Ce genre de reprsentations a pu contribuer transmettre le type.

    Si vraiment on peut imputer la Macdoine la transmission du schma vers l'Italie, et Tarente en particulier, nous aurions l un tmoignage parmi d'autres, tmoignage certes modeste, mais tout fait concret, des relations probablement troites qui s'instaurent cette poque entre Tarente et la Macdoine 18.

    III - La fabrication tarentine

    Nous ne nous attarderons pas sur l'importance et la richesse de l'activit toreutique de Tarente, en particulier au IVe sicle. Elle est bien connue, elle a t longuement tudie et illustre par P. Wuilleumier 19 et elle ne se spare pas de la tradition, galement bien atteste, de l'orfvrerie20. On peut remarquer, d'ailleurs, qu'en dehors des miroirs bote et de la vaisselle sous toutes ses formes, les artisans tarentins ont aim dcorer des pices d'armement : cuirasses, comme celles, presque identiques, de Ruvo et de Tunisie qui reprennent, en l'agrmentant d'une riche ornementation, le modle des cuirasses indignes trois disques21; ou para-

    17 Wuilleumier (voir infra n. 19), pi. XI, . 18 Le problme dpasse nettement le cadre de cet article et nous nous bornons

    l'effleurer. Remarquons seulement que l'on ti ouve galement, en Macdoine, des objets peut-tre apuliens, ou qui tout au moins ont subi ''influence de l'Apulie : tel ce vase de bronze dor, trouv Derveni, prs de Thessalonique et publi par J. Bousquet, dans BCH, XC, 1966, p. 281 sqq.

    19 Tarente, des origines la conqute romaine, Paris, 1939 (abrgi ensuite : Wuilleumier), chapitre IV : l'Art du bronze, p. 311-334.

    20 Id., chap. V : L'orfvrerie, p. 335-369 et P. Wuilleumier, Le trsor de Tarente, Paris, 1930.

    21 Wuilleumier, p. 324, pi. XVII, 2 (il s'agit de la cuirasse trouve Ksour-es- Saf : Mon. Piot, XVII, 1910, pi. XIII-XIV); cuirasse de Ruvo, au Muse de Naples : Iapigia, II, 1931, p. 273, fig. 8

    Peut-tre faut-il attribuer galement aux ateliers tarentins la cuirasse trouve Santa Maria del Cedro (Marcellina), dans la mme spulture que le casque en forme de bonnet phrygien mentionn plus haut (note 7) : le masque de satyre aux oreilles pointues, l'aurole de cheveux onduls, rappelle d'assez prs certaines antfixes de Tarente; quant au dcor vgtal, c'est de ceux de la cramique apu- lienne qu'il se rapproche le plus.

  • REMARQUES SUR UNE SRIE DE CASQUES DE BRONZE 1 5

    gnatides de casques, trouves sur plusieurs sites, jusqu'en Italie centrale, mais attribues depuis longtemps des ateliers de Tarente22.

    Plus intressant, en ce qui concerne nos casques, est peut-tre le rappel d'une tradition plus ancienne : celle qui consiste humaniser le casque, en particulier par la figuration d'un bandeau de cheveux boucls sur la partie frontale. Ce type de dcor se rencontre en Apulie ds la fin du VIe sicle, par exemple sur un casque de type apulo-corinthien de Ruvo, au Muse de Bari (fig. 2) (avec boucles graves et repousses), casque entirement ferm, qui constitue un vritable masque et possde mme des yeux rapports, en pte de verre blanche23. une priode un peu plus rcente, plusieurs casques de forme chalcidienne, retrouvs en Italie mridionale ( Ruvo, mais aussi, en dehors de l'Apulie, Locres et Mtaponte), portent, sous la dcoupe triangulaire de la zone frontale, une bande de boucles en volutes, graves ou repousses et graves (fig. 3)24. On peut mentionner encore un casque, sans doute sud-italien, du Muse des beaux-arts de Lyon, avec sur le devant une bande de mches en volutes graves, retenues par une bandelette galement grave25.

    En dehors du dcor de chevelure, plusieurs lments de la dcoration des casques renvoient directement aux produits de l'artisanat apulien. C'est vrai, particulirement, pour les motifs vgtaux et pour les masques qui ornent deux (peut-tre trois) d'entre eux.

    Sur la cramique apulienne, les dcors vgtaux abondent, partir de 360, sur les vases du Peintre Varrese, du Peintre de Lycurgue et tous les groupes contemporains, jusqu'au Peintre de Darius et son cole aprs 340 26. Typique, galement, est la liaison, que l'on trouve sur le cas-

    22 Paragnatides de Siris, au British Museum : H. . Walters, British Museum, Bronzes, Londres, 1899, n 285, pi. Vili et Wuilleumier, pi. XVI, 1-2; de Palestrina : Wuilleumier, pi. XVI, 4-5 et Roma medio-repubblicana, Rome, 1973, n426, p. 286- 288 (E. La Rocca) ; de Pietrabbondante : Sannio, Pentri e Frentani dal VI al I sec. A. C. (exposition Isernia, oct.-dc. 1980), Rome, 1980, p. 140-150.

    23 Un autre casque apulo-corinthien porte lui aussi ds boucles, seulement graves : E. Kunze, VIII. Bericht ber die Ausgrabungen in Olympia, Berlin, 1967, p. 179, fig. 68.

    24 Plusieurs de ces casques ont t retrouvs Olympie, mais E. Kunze, op. cit., p. 160-180, qui cite galement les casques retrouvs en Italie, attribue toute la srie la Grande-Grce (ces casques possdent galement des paragnatides ornes, ici de ttes de blier, tradition qui se retrouve, nous l'avons vu, Tarente au IVe sicle).

    25 S. Boucher, Bronzes grecs, hellnistiques et trusques des muses de Lyon, 1970, n 108, p. 111-112.

    26 A. D. Trendall-A. Cambitoglou, The Red-Figured Vases of Apulia. I. Early and Middle Apulian, Oxford, 1978, pi. 109, 1; 114, 3; 124, 1; 125, 1; 139, 1; 159, 1 ; et M. Schmidt, Der Dareiosmaler und sein Umkreis, Mnster, 1960.

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    Fig. 2 - Casque de Ruvo, au Muse de Bari (photo Soprint. Antich. della Puglia).

    que de Prouse, entre l'ornementation vgtale et le masque humain, souvent pos sur un bouquet de feuilles d'acanthe; dans un cas, au moins, on trouve, comme sur le casque, des rosettes de chaque ct de la tte27. En

    27 Amphore de Ruvo, Coll. Jatta, 74 (H. Sichtermann, Griechische Vasen in Unterialien, Tbingen, 1966, pi. 128-129). Pour la disposition du visage, lgrement de trois quarts, et un peu inclin, comparer galement un cratre volutes de Boston (Peintre de l'Iliupersis ) : Trendall-Cambitoglou, op. cit., pi. 61, 3.

  • REMARQUES SUR UNE SRIE DE CASQUES DE BRONZE 17

    Fig. 3 - Casque chalcidien d'Italie mridionale, trouv Olympie (d'ap. E. Kunze, op. cit., p. 168).

    dehors de la cramique, et plus proche encore par certains dtails, des frises vgtales des casques, il faut mentionner la frise sculpte dans l'hypoge Palmieri de Lecce, uvre locale mais d'influence tarentine (parmi ces dtails, les sortes de fleurs allonges, cur pointu, qu'on ne trouve gure en revanche sur la cramique)28.

    Le masque fminin du casque de Milan fait avant tout songer, quant lui, certaines antfixes gorgoneion, fabriques Tarente partir de la fin du Ve sicle, et o l'on retrouve les cheveux onduls, dresss en aurole, le gros nez pat et les lvres paisses29. Enfin," si le masque qui orne le casque du Louvre est antique, il renvoie certainement, par son iconographie, aux mmes sries d'antfixes, puisqu'on y rencontre plusieurs reprises, et dans des styles divers, le masque fminin surmont, comme d'un bonnet, d'un mufle d'animal30.

    D'autres particularits du dcor trouvent encore leurs correspondants directs en Apulie. On rencontre frquemment des panthres, avec les mmes caractres que sur le casque 2023 de la Bibliothque nationale, sur les appliques de terre cuite dores, dcors de sarcophages que R. Lul-

    28 L. Bernab Brea, / rilievi tarantini in pietra tenera, dans Riv. Naz. 1st. Arch, e St. Arte, NS, I, 1952, p. 85, fig. 55.

    29 C. Laviosa, Le antefisse fittili di Taranto, dans Arch. Class., VI, 1954, n23, p. 236-237, pi. LXXII, 4-5.

    30 Id., n31, p. 240-241, pi. LXXIV, 2 (et une variante, n 33, p. 241, pi. LXXIV, 5). (On discute l'interprtation de ce motif: Omphale?, ou Hercule? (malgr les cheveux longs), ou encore Artmis, comme le propose P. Wuilleumier, p. 428).

    MEFRA 1982, 1.

  • 1 8 ANNE-MARIE ADAM

    lies attribue, pour la plus grande partie, aux annes 330-320 avant J.-C.31. Des cygnes aux ailes dployes apparaissent plusieurs reprises sur la cramique32, jamais, il est vrai, l'intrieur d'une frise d'animaux, ni en association avec des panthres.

    Il nous faut dire un mot encore, pour terminer, de ce casque de Paris, o la tentative d'imitation d'une toffe brode est beaucoup plus nette que sur les autres exemplaires. C'est, de tous les casques de cette forme connus, en Macdoine, autour de la mer Noire ou en Italie, celui o le souvenir du modle initial (le bonnet thrace ou phrygien) est le plus vivant. Preuve d'ailleurs que les Tarentins, mme s'ils ont eu connaissance de ce type de casque directement par des modles mtalliques (et ce n'est pas sr, nous l'avons vu), taient parfaitement conscients de l'origine de la forme et du processus de transposition de ces coiffures d'une matire une autre (nous verrons d'ailleurs plus loin qu'on a galement frquemment reprsent le bonnet phrygien - en toffe - sur la cramique d'Apulie). La frise mdiane, avec les panthres et le cygne, pourrait fort bien tre la transposition de broderies ou de motifs tisss sur une toffe33, et cela est indubitable, en tout cas, pour le sommet du casque, non seulement cause des plis, mais surtout cause du dcor de fleurettes et de swastikas, que l'on retrouve associes sur des tentures peintes de la cramique apulienne34.

    On retrouve encore la mme association sur une antfixe pentagonale de Lavello prs de Melfi35. Il s'agit, l, d'un produit local, propos duquel P. Orlandini note comment le motif central symtrique, directement tir du rpertoire dcoratif grec (palmette et deux tiges termines en fleur de lotus), est complt par des motifs (swastikas et rosettes) qui, disposs irrgulirement, rompent cette symtrie et manifestent l'horror vacui des indignes. Mais ne peut-on pas supposer, par comparaison avec notre casque et avec les tentures voques plus haut, que cette association de motifs et cette surcharge dcorative sont inspires directement par un

    31 R. Lullies, Vergoldete Terrakotten-Appliken aus Tarent.dans Rom. Miti., VII. Erganzh., Heidelberg, 1962, pi. 7, 1; 11, 1; 15, 1 et 3; 14, 1; 25, 4.

    32 Trendall-Cambitoglou, op. cit., pi. 143, 4 (V. and A. Group); 146, 1 et 148, 1 (Peintre de Lycurgue); 155, 2 (Lycurgan Associates).

    33 R. Lullies pense d'ailleurs, pour la transmission des motifs des appliques dores, en particulier les reprsentations d'animaux, par exemple les panthres, ou de combats d'animaux, au rle possible de certains tissus, d'origine orientale.

    34 Trendall-Cambitoglou, pi. 140, 5. 35 Popoli anellenici della Basilicata, Potenza, 1971, p. 129, pi. LVI; P. Orlandini,

    Aspetti dell'arte indigena in Magna Grecia, dans Atti Taranto 1971, Naples, 1972, p. 289 et pi. L, 2.

  • REMARQUES SUR UNE SRIE DE CASQUES DE BRONZE 1 9

    quelconque produit de l'artisanat textile de Tarente, ou par exemple de Canosa, dont les fabrications de laine taient galement rputes. De mme, le motif de vagues qui borde la couture mdiane du casque de Paris orne frquemment, sur la cramique apulienne, le bord des vtements ou les coutures des coussins36.

    Pour conclure sur cette origine apulienne hautement probable (et on peut proposer comme date vraisemblable de fabrication le 3e quart du IVe sicle, datation qui correspond la fois celle des casques de mme forme dans le monde grec, et celle de la plupart des productions tarentines d'iconographie voisine), on doit remarquer que le bonnet phrygien ou le casque de mme forme sont, en dehors de ces modles rels, trs frquemment reprsents Tarente et en Apulie, dans la deuxime moiti du IVe sicle, tant sur la cramique37 que sur les reliefs38.

    Certains des casques peints portent des motifs d'arabesques, de rinceaux schmatiques, surpeints en blanc39, qui sont peut-tre l'vocation rapide du mme dcor au repouss que sur nos casques de bronze (en tout cas, il ne s'agit srement pas de broderies sur une toffe, car les coiffures en question sont d'une matire tout fait rigide). On rencontre encore ces ornements sur le relief que porte le couvercle d'une petite pyxis de terre cuite de la Collection Jatta (tte fminine casque)40 (fig. 4). Cette pyxis, dont l'ornementation se rattache directement la cramique de Cals41, doit avoir t fabrique Tarente. Enfin, certains des casques reprsents sont munis d'ailettes ou d'une crte dentele42.

    36 Trendall-Cambitoglou, op. cit., pi. 142 et 146, 4 (ces vases appartiennent tous au milieu du IVe sicle).

    37 Ce n'est d'ailleurs pas une exclusivit de la cramique apulienne, puisqu'on trouve (moins frquemment, peut-tre) la mme coiffure sur la cramique luca- nienne ou campanienne, le plus souvent, mais pas exclusivement, dans des scnes o interviennent des personnages orientaux ou, d'une manire gnrale, barbares : Paris, Mde, Busiris, les Amazones, les Perses. . . Sur ces reprsentations de bonnet phrygien en Italie mridionale : K. Schauenburg, Bendis in Unteritalien, dans JDAI, 89, 1974, p. 171 sq., 174 sq. (possible personnalit divine des figures ainsi coiffes); Id., Zu unteritalischen Situlen, dans AA, 1981, p. 467-469 (en particulier, n. 15, la bibliographie rcente sur l'argument).

    38 L. Bernab Brea, art. cit., p. 50 (relief du Muse de Trieste); p. 161, fig. 118 (relief tardif, courant du IIIe s.).

    39 H. Sichtermann, op. cit., pi. 70, 97, 99 et 100 (Coll. Jatta Ruvo). 40 Id., nK 107, p. 61, pi. 155. 41 R. Pagensteicher, Die Calenische Relief keramik, Berlin, 1909, pi. 18, n 185, e

    (guttus). 42 Sur l'amphore 74 de Ruvo : Sichtermann, op. cit., pi. 131, et sur le cratre

    42 : Id., pi. 70.

  • 20 ANNE-MARIE ADAM

    On peut souligner, galement que les sites ou les rgions d'o proviennent les diffrents reprsentants de notre srie sont gnralement lis Tarente par des relations artistiques ou conomiques. Sans mme parler des sites apuliens (Ruvo, Conversano), pour lesquels ces relations sont

    Fig. 4 - Pyxis de la Collection Jatta, Ruvo (d'ap. H. Sichtermann, op. cit., pi. 155).

    videntes, c'est le cas, notamment, pour la Campanie, si l'on admet que la provenance Herculanum , note par Caylus pour le casque BN 2023 fournit une indication exacte. Sur le plan historique, ces rapports troits sont connus et ont t analyss par P. Wuilleumier43. Par ailleurs, on possde un exemple, au moins, d'objet tarentin export en Campanie (statue de desse acphale, conserve au Muse de Francfort)44.

    Le mme schma est repris pour une statuette galement d'importation tarentine, trouve Tarquinia45, et qui n'est qu'un exemple parmi

    43 Op. cit., en particulier, p. 71, et 89-90. 44 Wuilleumier, p. 278 et A. Rumpf, dans Rom. Mitt., 1923-24, p. 464, fig. 11. 45 Rumpf, art. cit., p. 457, fig. 9, pi. XII.

  • REMARQUES SUR UNE SRIE DE CASQUES DE BRONZE 2 1

    d'autres d'objets tarentins retrouvs en trurie ou dans le Latium (deux miroirs bote, de Tarquinia et Palestrina, trsor d'argenterie de Falries, applique de bronze de Bracciano et paragnatides de casque dj voques, provenant de Prneste)46. Le casque de Prouse n'est donc nullement isol en Italie centrale. ct de cette exportation des objets les plus divers, on constate des influences artistiques de tous ordres de Tarente sur l'trurie ou le Latium, dans la peinture funraire47, la cramique48, les bronzes gravs (cistes et miroirs prnestins), ou la petite plastique49.

    Tout au long de cette tude, nous avons parl de srie ou de groupe : on manque d'lments, sur un nombre d'objets aussi restreint, pour caractriser plus prcisment l'organisation de leur production. Tous sont certainement issus de la mme aire culturelle, mais on ne peut dire si tous ont t fabriqus par un seul atelier (tout au plus, peut-on individualiser deux sous-groupes trs nets : d'une part, BN 2023 et le casque de Prouse, d'autre part, ceux de Catanzaro et du Vatican - voir ci-dessous). Pour les modles les plus simples, qui proviennent en gnral de sites apuliens (Ruvo, Conversano), on peut songer une fabrication dans un centre quelconque d'Apulie ( Ruvo, Canosa. . .) et pas ncessairement Tarente (qui a d produire, en revanche, au moins les deux exemplaires, les mieux orns, de Paris et de Prouse).

    IV - Le choix des modles

    Au-del des influences externes qui ont permis sans doute l'introduction Tarente de la forme du casque-bonnet phrygien, au-del de la tra-

    46 Les deux miroirs sont au Louvre : A. De Ridder, op. cit., II, n 1707, pi. 78 et 1839, pi. 88; trsor de Falries : P. Wuilleumier, Le trsor de Tarente, op. cit., p. 68, fig. 3-4, pi. X, 3 ; applique de Bracciano, au British Museum : Walters, op. cit., n 286, pi. VIII et Wuilleumier, pi. XV.

    47 M. Cristofani, dans ArchClass., XVII, 1965, p. 167 sqq. (c. r. F. Tin Bertoc- chi, La pittura funeraria apula) et // fregio d'armi della tomba Giglioli, art. cit., p. 298.

    48 L. Forti, Una officina di vasi tarantini a Vulci, dans Rend. Ace. Arch. Lett, e Belle Arti di Napoli, 1970, p. 233 sq. (sur les pocola : selon J.-P. Morel, dans Atti Taranto 1970, p. 413, les pocola n'ont pas t fabriques Vulci, mais Rome ou dans ses environs immdiats, mais l'influence tarentine est relle).

    49 T. Dohrn, Etruskische Zweifigurengruppe nach Tarentiner Vorbild, dans AA, 1965, p. 378-394.

  • 22 ANNE-MARIE ADAM

    dition artisanale et dcorative locale, qui a nettement marqu, nous l'avons vu, toute la srie, il faut se demander si les choix des formes et ventuellement du dcor sont entirement gratuits, ou si on peut, pour l'tude des mentalits tarentines dans la deuxime moiti du VIe sicle, les charger (avec prudence!) d'une certaine signification. Le caractre, malgr tout exceptionnel de ces casques nous semble autoriser une telle interrogation.

    Avant de revenir sur les casques phrygiens, nous voudrions voquer rapidement les problmes poss par les deux derniers casques de la srie : celui de Tiriolo et celui conserv aux Muses du Vatican, dont nous avons peu parl jusqu' prsent. Ces deux casques, qui, par l'ornementation vgtale de leur couvre-nuque et le dcor de cheveux, se rapprochent de tous les autres, s'en distinguent en revanche par la coloration dionysiaque que leur donnent le feuillage de lierre ml aux boucles de cheveux et les deux oreilles de satyre. Si on connat, ds le monde grec archaque, des casques munis d'oreilles, de cornes, ou figurant des mufles d'animaux (de sanglier, par exemple), sans doute destins en rendre l'aspect plus redoutable aux yeux de l'ennemi50, la rfrence aux figures du thiase dionysiaque est ici tout fait originale. Il peut s'agir d'une simple fantaisie dcorative, ou encore de confrer ces objets une valeur funraire, en relation avec le rle funraire de Dionysos, bien attest par ailleurs51.

    On a, pour l'poque archaque, l'attestation presque certaine de casques valeur exclusivement funraire : ce sont les casques de type apu- lo-corinthien qui, comme celui de Ruvo illustr plus haut (fig. 2), possdent des yeux en matire rapporte52. Il ne peut donc s'agir de casques rellement utiliss au combat, puisqu'ils ne prsentent aucune ouverture pour les yeux. Ils se transforment alors en vritables visages humains et jouent pratiquement le rle de masques funraires. Peut-tre doit-on songer une fonction analogue pour les casques oreilles de satyre, tant bien entendu qu'au IVe sicle on a dpass la valeur primitive, et magique, du casque-masque, et transpos tout ceci sur un plan plus nettement religieux, plus hellnique galement, par cette rfrence une divinit du

    50 B. Schrder, p. 325-326, cite un certain nombre de casques ainsi dcors. 51 C'est comme ceci, par exemple, que R. Lullies {art. cit.) explique la prsence

    de trs nombreuses panthres, animaux dionysiaques, sur les appliques de terre cuite dores, qui taient destines la dcoration des cercueils.

    5? Outre celui de Bari, on peut citer, au moins, le casque Babelon-Blanchet, n 2017, de la Bibliothque nationale de Paris, qui a perdu ses applications, et prsente seulement, l'emplacement des yeux, deux trous minuscules.

  • REMARQUES SUR UNE SRIE DE CASQUES DE BRONZE 23

    monde funraire, qui semble transformer le dfunt en une sorte de compagnon de cette divinit.

    De la mme faon, faut-il chercher une explication au got prononc de Tarente pour la forme du bonnet phrygien, got qui ne lui est pas propre, nous l'avons vu, puisqu'on retrouve le bonnet phrygien partout en Italie mridionale et galement en trurie, mais qui se manifeste en Apu- lie avec une grande frquence? Dans l'esprit des Grecs, le bonnet phrygien est traditionnellement li l'image des populations barbares qui entourent, au nord et l'est, le monde grec, et parfois le menacent.

    Il faut videmment tenir compte, pour expliquer en partie cette vogue du bonnet phrygien d'un certain orientalisme du got, d'un intrt pour l'Orient, perceptible ds la deuxime moiti du Ve sicle, et dans toute la Grce, par exemple Athnes, travers une sorte de nouvelle vague orientalisante, qui marque diffrents domaines artistiques53. Cet intrt est, bien sr, nettement relanc, dans la deuxime moiti du IVe sicle, par les expditions d'Alexandre, expliquant, par exemple, selon H. Metzger, les nombreuses reprsentations des Perses sur la cramique apulien- ne, de la deuxime moiti du VIe sicle ( Peintre de Darius et son cole) : on retrouverait dans ces peintures le souvenir des guerres mdiques, qu'avaient rveill 150 ans plus tard les succs d'Alexandre54.

    Mais peut-tre faut-il attribuer aussi aux Tarentins du IVe sicle, une attitude comparable celle des habitants de l'Ionie au VIe, ou des Athniens de la premire moiti du Ve sicle : au contact des populations barbares et la suite des menaces qui psent sur les cits grecques, celles-ci connaissent un intrt nouveau pour le fait barbare et laborent une image du Barbare, qui est ensuite frquemment reproduite, archer oriental ou scythe bonnet pointu de l'art ionien du VIe sicle, ou combattant perse de la cramique attique. Ce qui caractrise ces reprsentations, c'est le mlange de dtails ralistes (par exemple, certaines particularits de l'armement perse) et de traits gnriques du Barbare, image strotype qui provient d'ailleurs en partie de ce que, partir du type labor par l'art ionien archaque, toutes les reprsentations de populations barbares s'influenceront l'une l'autre55.

    53 Sur ces reprsentations orientalisantes de la fin du Ve et du IVe sicle, en particulier : F. von Lorentz, , dans Rom. Mitt., 52, 1937, p. 171 sqq.

    54 H. Metzger, propos des images apuliennes de la bataille d'Alexandre et du conseil de Darius, dans REG, LXXX, 1967, p. 308-313.

    55 R. Zahn, Die Darstellung der Barbaren in griechischen Litteratur und Kunst der vorhellenistischen Zeit, Heidelberg, 1896, en part. p. 45-80 et A. Bovon, La

  • 24 ANNE-MARIE ADAM

    Et si l'enthousiasme provoqu par les victoires d'Alexandre a certainement contribu remettre l'honneur l'image du Barbare, et surtout celle de la lutte entre Grecs et Barbares, il est possible que les Tarentins y aient vu galement le moyen d'exprimer leurs propres proccupations, d'voquer les luttes qu'eux aussi mnent contre leurs Barbares, d'abord, surtout, les Iapyges, puis, partir de la fin du Ve sicle, les Luca- niens.

    Ds le courant du Ve sicle, et peut-tre, s'il faut en croire G. Nenci56, pour faire oublier sa neutralit pendant les guerres mdiques, Tarente se pose en championne de la dfense de la grecite en Occident : d'o, la fois, les deux ex-voto qui, d'aprs Pausanias (X, 10, 6 et 13, 10), auraient t offerts par Tarente au sanctuaire delphique pour commmorer une victoire sur les Iapyges, et l'oracle de fondation, selon lequel la cit tait destine servir de rempart contre les Barbares ( : Strabon, VI, 3, 2). On peut noter, d'ailleurs, que la citoyennet tarentine semble avoir t rarement accorde des Indigne.s : sur 400 noms d'individus attests dans la Tarente prromaine et recenss par P. Wuilleumier, peine une douzaine ne sont pas grecs; comme si Tarente, cit consciente de sa grecite, cherchait, comme Athnes par exemple, dfendre farouchement la puret de son corps de citoyens57.

    Alors que la pression des Lucaniens s'tait dj aggrave depuis le dbut du IVe sicle, vers 350 apparat un ennemi nouveau, les Bruttiens, qui constituent alors leur propre confdration. C'est ce moment-l que Tarente fait appel plusieurs condottieri, venus du monde grec et qui se succdent pendant toute la deuxime moiti du IVe sicle58. Le sentiment grec de Tarente cette poque, et jusqu'au dbut du IIIe sicle, se dduit aisment des deux pigrammes composes par le pote Lonidas, l'occasion de la conscration des armes prises aux Lucaniens59.

    Peut-tre n'est-ce pas un hasard non plus, si on trouve plusieurs reprises dans l'art tarentin, et plus gnralement apulien, de la deuxime moiti du IVe sicle, des scnes de combat qui peuvent tre interprtes

    reprsentation des guerriers perses et la notion de Barbare dans la Ire moiti du Ve s., dans BCH, LXXXVII, 1963, p. 579-602.

    56 // fra Taranto e gli Iapigi e gli tarantini a Delfi, dans ASNP, 1976, p. 719-739.

    57 Sur ce point : L. Moretti, dans Atti Taranto 1970, p. 42. 58 Pour tous ces vnements historiques : . D'Agostino, // mondo periferico

    della Magna Grecia, dans Pop. e civ. dell'Italia antica, II, Rome, 1974, p. 230-233. 59 Anthologie Palatine, VI, 129-130; M. Gigante, La cultura a Taranto, dans A ta

    Taranto 1970, p. 80-82.

  • REMARQUES SUR UNE SRIE DE CASQUES DE BRONZE 25

    comme la lutte du civilis contre le Barbare60. Ce schma est souvent galement transpos sur le plan mythique (on peut noter, en effet, la frquence des amazonomachies, les Amazones tant parfois secondes par des guerriers de sexe masculin, mais revtus d'un costume barbare)61.

    Peut-tre ne faut-il chercher, derrire le choix de ces sujets, aucune signification psychologique particulire, d'autant plus qu'il s'agit (par exemple dans le cas des amazonomachies) de schmas iconographiques emprunts la Grce continentale. Mais l'Italie de cette poque semble en tout cas avoir t parfaitement consciente de la valeur symbolique de ces scnes, qui sont devenues le canon en matire de reprsentation de la lutte du civilis contre l'envahisseur barbare : on a suppos, en effet, que les reliefs celtomachie, excuts en Italie septentrionale (Padoue), aux IVe et IIIe sicles, avaient t influencs par les reliefs tarentins62.

    On peut donc affirmer, semble-t-il, que l'image du Barbare occupait avec une certaine frquence l'esprit des Tarentins en ce dbut de la priode hellnistique, et, de mme qu'on l'a souvent reprsent cette poque, peut-tre a-t-on t attir de prfrence par tout ce qui symbolisait traditionnellement ces populations non-grecques, retrouvant ainsi, pour les voquer, le lieu commun du bonnet phrygien. Il faut noter que, comme toujours dans la mentalit grecque, cette vision tarentine du Barbare, et les images qui s'y rattachent, conservent un caractre gnrique, conventionnel : on constate, en effet, depuis le VIe dicle, que le monde grec, partir d'observations ralistes concernant des habitudes vestimentaires, par exemple le port du bonnet phrygien, ou certaines pratiques spcifiques telle population barbare (ainsi la coutume des archers scythes de dcocher leurs flches par derrire), constitue autant de topoi, qu'il utilise ensuite pour fondre les diffrentes populations en un type unique de Barbare .

    La srie de casques tudie ici nous a paru particulirement exemplaire des ralits tarentines du IVe sicle. D'une part, les relations avec la Grce continentale, Athnes, la Macdoine, la mtropole lacdmonienne,

    60 II faut rester prudent dans des interprtations de ce genre, mais c'est l'hypothse que semble proposer J. C. Carter, propos des reliefs qui dcoraient un nais- kos tarentin : Relief Sculptures from the Necropolis of Taranto, AIA, 74, 1970, p. 125- 137 (en part., p. 134), et c'est comme cela galement qu'on a propos de comprendre les scnes de combat de l'hypoge Palmieri de Lecce.

    61 L. Bernab Brea, art. cit., p. 205 et p. 64, fig. 45; p. 139, fig. 92; p. 178-180, fig. 155-161 (quelques fragments reprsentent aussi des Amazones isoles : fig. 130 et 137).

    62 E. Langlotz, dans Atti Taranto 1970, p. 245.

  • 26 ANNE-MARIE ADAM

    y restent fort troites et la cit est ouverte toutes les influences qui peuvent en provenir (en particulier, pour cette poque, celles de la Macdoine); d'autre part, elle est nettement ancre dans une tradition locale apu- lienne. C'est l toute l'ambigut de la ville, qui en mme temps qu'elle affirme sa grecite, est en relations constantes avec le monde indigne (y compris les Lucaniens et le Bruttium) et dont, en tout cas, l'artisanat fabrique en grande partie pour cette clientle indigne.

    cole franaise de Rome Anne-Marie Adam

  • Illustration non autorise la diffusion

    REMARQUES SUR UNE SRIE DE CASQUES DE BRONZE 27

    Pi. I a-b - Paris, Bibliothque nationale, Babelon-Blanchet 2023 (Photo BN).

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    )

    PI. II a - Babelon-Blanchet 2023 (Photo BN) ; b - Paris, Bibliothque nationale, Babelon-Blanchet 2022 (Photo BN).

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    REMARQUES SUR UNE SRIE DE CASQUES DE BRONZE 29

    PI. Ill a - Prouse, Muse archologique (Photo Soprintendenza archeologica- Perugia); b - Id. (d'ap. Schrder, Beil. 14, 6-7).

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    30 ANNE-MARIE ADAM

    Pi. IV a-b - Casque de Conversano, Muse de Bari (Photo Soprint. Ant. della Puglia).

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    Pi. V a-b - Muse Poldi-Pezzoli, M

    ilan (Photo Muse).

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    32 ANNE-MARIE ADAM

    Pi. VI a - Muses du Vatican (Photo Muses); b - Id. (d'ap. Schrder, Beil. 14, 1); e - Casque de Tiriolo, Catanzaro, Muse provincial (d'ap. Schrder, Beil. 14, 3).

    InformationsAutres contributions de Anne-Marie Adam

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    PlanLa srie tudie Paris Bibliothque nationale n 2023. Autrefois dans la Collection du roi des Deux-Siciles, puis dans celle du comte de Caylus ; aurait t trouv HerculanumPerouse, Muse archologique. Trouv dans une tombe chambre de Paciano, prs de Castiglione del Lago2 Muse de Bari, Inv n 20890. Trouv dans la tombe 10 de la ncropole de Conversano (Bari) en compagnie d'une cuirasse anatomique, de jambires et d'un ceinturon de type italique Milan. Muse Poldi-Pezzoli Inv n 2426. Provenance inconnue Paris, Bibliothque nationale n 2022. Ancienne Collection de Luynes ; provient de RuvoCatanzaro. Muse provincial. Provenance : TirioloRome. Muses du Vatican, Inv n 12304. Provenance inconnue

    Origine de la forme en bonnet phrygien La fabrication tarentine Le choix des modles

    IllustrationsCasque trouv IserniaCasque achet ConstantinopleCasque de RuvoCasque chalcidien d'Italie mridionale, trouv OlympiePyxis de la Collection Jatta, RuvoBabelon-Blanchet 2023Babelon-Blanchet 2023 et 2022Prouse, Muse archologiqueCasque de ConversanoMuse Poldi-Pezzoli, MilanMuses du Vatican, Casque de Triolo, Catanzaro, Muse provincial