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CAHIERS DE L’ACTION CULTURELLE Richard Lacroix, Floris IX, eau-forte Laboratoire d’animation et recherche culturelles (LARC) Université du Québec à Montréal (UQÀM) Volume 2, numéro 1, avril 2003 Sous la direction de Jean-Marc Fontan Choix des textes par Charles Rajottte Éditique par Sylvain Bédard

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Cahiers de l'action culturelle

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CAHIERS DE L’ACTIONCULTURELLE

Richard Lacroix, Floris IX, eau-forte

Laboratoire d’animation et recherche culturelles (LARC)Université du Québec à Montréal (UQÀM)Volume 2, numéro 1, avril 2003

Sous la direction de Jean-Marc FontanChoix des textes par Charles Rajottte

Éditique par Sylvain Bédard

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Table des matières

Éditorial....................................................................................................1Et si faire se pouvait ! par Jean-Marc FONTAN et Charles RAJOTTE ___ 1

Articles .....................................................................................................2Pour une action culturelle non désespérée dans un mondedésespérant par Charles RAJOTTE __________________________ 2Récupération de l’espace social par la réanimation dézarticulturelle parJoël NADEAU __________________________________________ 8Variations et créativités culturelles en région par Jean-Claude GILLET etVincent BERDOULAY _____________________________________ 13Vers une professionnalisation de l’Animation sociale et culturelle auLiban par Micheline SAAD _________________________________ 18

Rapports de recherche............................................................................. 22Expériences novatrices en sensibilisation, information et promotion ensanté mentale : rapport de recherche par Maud BERGERON, LucieCOUILLARD et Marie-Ève OUELLET ___________________________ 22Les artistes pour la paix : rapport de recherche par Ilia CASTRO _ 33

Entrevues ...............................................................................................42Entrevue avec Paul KLOPSTOCK par Ilia CASTRO _____________ 42

Calendrier culturel ................................................................................... 46Les journées de la culture ______________________________ 46

Cahiers de l’action culturelle..................................................................... 48Prochain numéro _____________________________________ 48

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Et si faire se pouvait !par Jean-Marc FONTAN et Charles RAJOTTE

Cahiers de l’action culturelle, Vol. 2, no 1 1

Éditorial

Et si faire se pouvait !par Jean-Marc FONTAN et Charles RAJOTTE

« La misère et la pauvreté sont si fondamentalement dégra-dantes, et exercent sur la nature humaine un effet si paraly-sant, qu'aucune classe de la population n'est jamais vrai-ment consciente des souffrances qu'elle endure. Il faut qued'autres le lui disent, et souvent elle refuse catégoriquementde les croire. Ce que les gros employeurs de main-d’œuvredisent des agitateurs est indéniablement vrai. Les agitateurssont des gens indiscrets se mêlant de ce qui ne les regardepas, qui fondent sur une partie de la population parfaitementsatisfaite de son sort et sèment en son sein les graines du mé-contentement. C'est bien pour cela que les agitateurs sontabsolument indispensables. Sans eux, au stade inachevé quiest le nôtre, il n'y aurait nul progrès vers la civilisation. Sil'esclavage a été aboli aux États-Unis, ce n'est pas à la suited'actions menées par les esclaves, ni même parce qu'ils au-raient exprimé un désir explicite d'être libérés. Il a été aboliuniquement grâce aux pratiques totalement illégales de cer-tains agitateurs de Boston et d'ailleurs, qui eux-mêmesn'étaient ni esclaves, ni propriétaires d'esclaves, et qui envérité n'avaient rien à voir avec la question. »

Oscar WILDE, L'Âme de l'homme sous le socialisme, Œu-vres, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard 1996, p. 933.(http://www.bribes.org/revoluti.htm)

Oscar Wilde parlait en socialiste du XIXe siècle,dans un langage que d’aucuns qualifieraient au-jourd’hui de politically incorrect. Mais si, au-delàdes mots, on s’arrête davantage à sa vision deschoses, on se rend compte que celle-ci garde toutesa force et sa pertinence. S’il vivait aujourd’hui,Oscar Wilde aurait possiblement vu dans l’Actionculturelle actuelle, toujours émancipatrice puisquetoujours porteuse de l’esprit démocratique, unemanifestation de « l’agitationisme » qui a conduità l’abolition de l’esclavage et de d’autres formesd’inégalités et d’injustices sociales.

En poursuivant la lancée amorcée par la parutiondu premier numéro d’Action culturelle en septem-bre 2002, en faisant d’Action culturelle une publi-cation électronique gratuite, les programmesd’Animation et recherche culturelles ainsi que le La-boratoire d’animation et recherche culturelles se sontdotés d’un outil « d’agitation sociale » que legrand Oscar Wilde lui-même n’aurait pas désa-voué. Ce deuxième numéro, comme le premier,vise essentiellement la promotion de la réflexionet du transfert de connaissances dans le grand

(vaste) domaine de l’action culturelle. Par la pro-duction de ce deuxième numéro, l’équipe qui atravaillé à sa réalisation, Charles Rajotte et Jean-Marc Fontan, prouvent que faire se peut lorsquela volonté et l’enthousiasme sont au rendez-vous.

Théoriquement, nous aurions dû maintenir l’idéed’une revue imprimée, et même, pourquois’arrêter en si bon chemin, nous aurions dû êtretenté par le défi d’en faire une belle revue glacée,compétitive, à la hauteur des GRANDES revuesparsemant le champ de la culture.

Économiquement, nous aurions dû miser sur unmarketing musclé, « pro-actif » pour la vendre àun prix raisonnable (19,99 $ sans taxes). Nousavons plutôt choisi la voie de la gratuité pour lasimple et bonne raison que le besoin d’une revueen ARC est bien (de loin) supérieur aux caprices(impératifs de compétition et de rentabilité) im-posés par le productivisme du marché.

Dès lors, pas de glaçage, si ce n’est le fait de pou-voir se sucrer l’esprit en lisant les excellents rap-ports de recherche contenus dans ce numéro, les-quels ont été produits à l’automne 2002 par desétudiantes du baccalauréat.

Dès lors, pas de grand plan de communication, sice n’est la possibilité de pouvoir communiquerdes réflexions novatrices produites par nos ensei-gnants d’ici et d’ailleurs sur le monde complexeet inépuisable de l’action culturelle.

Dès lors, pas de placardage publicitaire non plus,si ce n’est la joie de trouver un compte rendu surdes expériences novatrices, tel l’Agora festif.

Alors, il ne nous reste plus qu’à vous souhaiterbonne lecture et à vous inviter à profiter pleine-ment du nouveau « menu » que nous vous pro-posons. Comme on dit, vous en aurez pour votreargent… et même un petit peu plus !

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Articles

Pour une action culturelle nondésespérée dans un monde dé-sespérantpar Charles RAJOTTE 1

« Il faut construire, sur la base de l'économie moderne, librede certaines contraintes. Mais il faut refuser l'encadrementdans le système programmé et bureaucratique en train des'étendre sur toute la surface du globe (...). Le monde a be-soin de durer, de se préserver, de se poursuivre dans sa ri-chesse et sa diversité. Il faut apprendre un nouvel amour dumonde, fondé sur la reconnaissance de sa beauté qu'on saitmaintenant fragile ». (Michel Freitag)

L’ « invention » de l'action culturelle est tardivedans la Modernité. Mais elle s'inscrit d'embléedans la droite ligne de ses grands « projets éman-cipateurs » : le Progrès de la Raison passait, en ef-fet, pour en finir avec tous les obscurantismes etles traditionalismes, non seulement par le déve-loppement économique et social mais aussi doré-navant par le développement culturel (Cacéres,1975).

Le champ de la culture reprend donc à soncompte, dans le contexte de la relance économi-que de l'après-guerre, des « Trente glorieuses »,de l'avènement de la société de consommation oudes loisirs, la vision linéaire et cumulative de lamodernité que les deux Grandes guerres avaientpourtant sérieusement ébréchée. La notion de« développement culturel » marque ainsi la vo-lonté d'un État de prendre en charge, non seule-ment les instruments économiques et sociaux del'émancipation, mais aussi les structures signifi-catives elles-mêmes de la Nation dont il est lemandataire. Elle signe ainsi l'inscription de la dy-namique culturelle dans une historicité toutemoderniste, productiviste et économiste (Casto-riadis, 1986 ; Dumont, 1987).

L'action culturelle est née en France. Elle a unpère, A. Malraux, écrivain de renom qui est invi-té, à la fin des années 1950 par le général deGaulle, nouveau président de la République, à

1 Charles Rajotte complète un doctorat au département de

sociologie de l’UQÀM et enseigne en Animation et recher-che culturelles.

prendre la tête du ministère des Affaires cultu-relles qui vient d'être créé. Pour Malraux commepour son chef, la légitimité d'un État moderne estfondée essentiellement sur « une nation forte etunie » (Caune 1999, p. 142). En ce sens, la viséefondamentale, originelle, « l’antidestin » des Af-faires culturelles est essentiellement d'affirmer etde consolider le fait national.

Cet objectif n’est pas nouveau. Il ne faitqu’accentuer la visée nationale-étatique, issue dela Révolution française, d’acculturation (Cuche,1996 ; Pronovost, 1996) des masses paysannes etlaborieuses : inculcation d’une langue communesur tout le territoire, marquage de ce territoire parles emblèmes du pouvoir (bâtiments publics, mu-sées, monuments, etc.), « disciplinarisation » descorps et des esprits (Foucault, 1975) par l’école etla rationalisation du temps libre (Corbin, 1995),contrôle des médias à des fins d’éducation natio-nale voire d’endoctrinement nationaliste. AuQuébec, on sait que notre modernité (Bélanger,1996) est passée par le détour d’une culture reli-gieuse hégémonique (Levasseur, 1982) dont la vi-sée nationaliste et disciplinaire n’est un secretpour personne. Lemieux (1996, p. 161) signaleque, tant sur le plan fédéral que provincial,« l’argument culturel » est rarement invoqué. Ils’agit plutôt de favoriser le patriotisme en don-nant à l’État un contrôle sur les moyensd’information. Le même auteur précise que lapolitique culturelle québécoise « s’est abreuvée àla source du nationalisme d’une part et du mo-dèle français d’autre part ».

En fait, la nouveauté du projet tient dans sonénoncé même. En effet, parler de politiques cultu-relles, d’actions culturelles, marque, commel’affirme Urfalino (1996), une triple rupture :

§ idéologique avec l’affirmation officielle, au ni-veau de l’État, d’une philosophie de l’actionculturelle à visée nationale ;

§ artistique avec le façonnage d’un secteur ar-tistique professionnel officiel sélectivementsubventionné ;

§ administrative avec, outre l’autonomie bud-gétaire reconnue, la formation d’un appareiladministratif spécialisé et l’invention de mo-des d’action spécifiques.

Il faut dire que Malraux ne forge pas de toutespièces le concept d’« action culturelle ». Celui-ci asa source dans ce laboratoire d’initiatives cultu-relles qu’a constitué l’expérience du Front popu-laire dans les années 1930 : il circule en particulier

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Pour une action culturelle non désespérée dans un monde désespérantpar Charles RAJOTTE

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dans les milieux du Haut commissariat à la jeunesseet aux sports créé par Léo Lagrange. Le concept de« culture » auquel se réfère Malraux est encoreplus ancien : il reprend à son compte l’héritage dela grande culture humaniste française d’abord, eteuropéenne ensuite. Son « musée imaginaire » in-clut tous les trésors « civilisationnels » del’humanité, sélectionnés, on s’en doute, par ceuxqui auront en charge d’assurer le« rayonnement » tous azimuts de cette culture.Mais surtout, ce concept porte en lui la fonctioncompensatoire de constitution « d’une unité signi-ficative a priori », pour parler comme Freitag(1982,1986,2002), que s’était donnée la « HauteCulture » dans cette « civilisation sans Dieu ».

Son ministère se veut bien différent de tous lesautres, il l’est en effet. Il est à entendre au sensreligieux du terme : il ne s’agit pas d’éduquer, deformer et encore moins d’imposer un savoir quel-conque mais de « faire aimer » (Urfalino, 1996, p.47) ; puisque la culture n’est pas de l’ordre de laconnaissance mais de l’amour, de la communion.L’impératif invoqué pour y avoir accès est la« sensibilité » avec pour support « le partage del’expérience humaine universelle », que l’œuvreexprime et que les hommes retrouvent en eux parson contact, par « sa révélation ». La maison de laculture sera le lieu de cette rencontre (Caune,1999, p. 154), la « cathédrale des Temps moder-nes », conjuguant création et communion grâceau pouvoir de rassemblement et d’unification del’art (Urfalino, 1996, p. 48).

On comprend alors pourquoi ce discours élitistesur la culture s’accommode fort bien del’invention (Urfalino, 1996) de politiques cultu-relles à visée démocratique. La « démocratisationculturelle », nous dit Caune (1999, p. 150), estavant tout « fondée sur l’efficacité supposée d’unprocessus de communication qui s’appuie sur larésonance de l’art ». L’élargissement du public estpensable parce qu’il suffit d’un contact directavec une œuvre pour que se crée en soi « un sen-timent d’appartenance et d’identité ». En ce sens,Malraux ne retient qu’une dimension des idéauxtraditionnels de l’Éducation populaire (Cacérès,1964), l’objectif de la culture pour tous alors quela confiance en la « validité intrinsèque » de laculture populaire et la croyance en sa possibilitéde contribuer à la démocratisation sociale, cesdeux dimensions sont abandonnées comme illaisse d’ailleurs les organismes qui relèvent de cesecteur à l’éducation et aux loisirs. Si un « souciégalitaire » préside au projet Malraux où la lutte

contre l’inégalité géographique prévaut nette-ment sur celle contre les inégalités sociales, c’estque chaque français, quelle que soit son origine,arrive pour ainsi dire « nu » devant l’Oeuvre.C’est ici, pour parler comme Charpentreau (1967,p. 21), que « statistique et mystique » se ren-contrent.

Si nous insistons sur les conditions de naissancede l’action culturelle en France, ce n’est pas tantparce que l’expérience française à cet égard servi-ra de modèle au Québec mais parce quel’exemple français fait ressortir à la loupe les pa-radoxes de toute action culturelle dans une so-ciété moderne, au Québec y compris. En effet,celle-ci est partout coincée entre une volonté mo-derniste de démocratisation et l’adhésion à uneconception de la culture qui, pour être éventuel-lement accessible, « rassembleuse et commu-nielle », suppose cependant le long détour obligéde l’intégration d’un « habitus de distinction »(Bourdieu, 1976), dynamique inconsciente le plussouvent et qui est par ailleurs complètement niée.

On comprend pourquoi le « contact direct avecl’Art », et ce, malgré tous les supports qu’on netarde pas à élaborer pour lui servir d’appui (dé-centralisation, éducation, animation, etc.), nepouvait rencontrer les attentes fixées au départ.Ce projet moderniste, pas plus que les autres, nedonnera les fruits qu’il annonçait. Une décennieplus tard, soit en Mai 68, les « enfants » de Ma-lraux, en particulier les animateurs de ses mai-sons de la culture, seront nombreux à contesterles limites et les illusions d’un pareil projet et àcritiquer l’intégration à l’ordre culturel« bourgeois » et conformiste qu’il sous-tendrait(Gaudibert, 1977).

Au Québec, l’adhésion de l’État au modèle fran-çais n’a pas dépassé la création d’un ministère desAffaires culturelles et l’énoncé de politiques géné-rales, tout l’effort de la démocratisation de laculture étant mis dans un premier temps sur lesystème d’enseignement. Arpin (2002, p. 39) nousdit cependant qu’en créant le ministère des Affairesculturelles, le ministère « de la civilisation cana-dienne-française », suivant l’expression du pre-mier ministre libéral de l’époque, J. Lesage, legouvernement voulait « soutenir les initiativesd’intellectuels, d’écrivains, d’artistes et de sa-vants. Le nouveau ministère devait également sepréoccuper du fait français, de l’héritage, de lalangue écrite et parlée, de musique,d’architecture, d’arts plastiques... ». Les artistes et

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la culture humaniste comme « vecteurs » del’action culturelle et la visée nationaliste commemoteur se profilent derrière l’énoncé des nouvel-les politiques culturelles de la « province de Qué-bec ».

Pas surprenant que ce soit du côté de jeunes ar-tistes anticonformistes, pourfendant l’art élitisteet son isolement du monde ordinaire et appelantà un éclatement des spécialisations disciplinairesartistiques permettant de déboucher sur une pré-sence active dans l’espace public, qu’origine lacontestation des illusions de la démocratisationde la Culture au Québec. Il faut dire que c’estdans cette mouvance, dont le mouvement Fusiondes Arts constitue une figure emblématique, quel’on commence à parler « d’animation cultu-relle ».

Or, au moment où les chantres de la démocrati-sation commencent eux-mêmes à déchanter - lesenquêtes gouvernementales et universitaires, tanten France qu’ici, étant unanimes à constater que« la culture » restait pour l’essentiel une pratiquesélective réservée à une portion congrue de la so-ciété - arrive à point nommé un autre concept :celui de « démocratie culturelle ». Il faut admettreque celui-ci avait une puissance évocatrice nette-ment supérieure au premier, difficilement extrac-tible, malgré les efforts de Malraux et de ses épi-gones, d’un contexte sémantique quantitatif voirestatistique où ses effets ne pouvaient se mesurerqu’en termes de conquêtes de publics ou de « nonpublics ».

Plutôt que de convoquer le Peuple à une ren-contre avec « une » culture, renvoyant ceux quien étaient exclus aux limbes d’une « non-culture », voire d’une « barbarie », c’est à la ren-contre entre des « cultures au pluriel » que conviecette nouvelle notion qui prend le devant de lascène de l’action culturelle à la fin des années1970. Gaudibert (1977, p. 170) précise que cettenotion est mise de l’avant, par un courant del’action culturelle française qui est resté près dumouvement d’éducation populaire et qui se re-groupe autour de J. Hurstel : on veut ainsi dépas-ser l’opposition entre le « culturel-artistique » etle « socioculturel » (loisir, éducation populaire).C’est un modèle qui pouvait paraître « a priorimieux adapté au champ des activités sociocultu-relles qu’au domaine des arts (puisqu’il) réhabi-lite en effet des formes d’expression appartenantau monde du loisir, du divertissement ou à desgenres considérés comme mineurs » (Santerre,

2000, p. 48). Mais il n’excluait aucunement, aucontraire, la culture humaniste ; ce qu’il ques-tionnait, c’est le statut que cette « Culture »s’octroyait et qu’elle refusait aux autres formesd’expressivité, particulièrement celles qui étaient« jugées » de faible qualité et de niveau amateur.

Le programme que cette notion annonce arrive aumoment même où l’État moderne, bureaucratiséet gonflé à bloc, s’engage dans des curesd’amaigrissement (coupures d’argent et de per-sonnel) qui prennent modèle de plus en plus surles principes de gestion opératoire et pragmati-que du marché privé. Cette dérive gestionnaireenclenchée par le haut de l’appareil s’étend rapi-dement à l’ensemble du secteur culturel : on neparle plus que de plan de développement straté-gique, de redressement financier, de plans demarketing, de communication, de commandites,etc. Il ne s’agit pas de déplorer moralement ceprocessus - les gestionnaires des organismesculturels qui gèrent souvent la pénurie en faisantpreuve « de dynamisme et d’originalité » insoup-çonnés (de la Durantaye et Begin, 1996, p. 162)pourraient faire la leçon à tous ces grands ges-tionnaires du privé qui dilapident les fonds depension de leurs employés ou les mettent à piedpar milliers du jour au lendemain - mais deconstater que l’ensemble de la culture est soumisede plus en plus à des impératifs d’une économiede marché.

Cela dit, il fallait s’y attendre : la « rencontre » del’action culturelle de l’État qui se donne de plusen plus des allures de « gestionnaire responsa-ble » des fonds publics à travers des programmeset des structures de plus en plus compartimentéset sélectifs, à travers des organismes de consulta-tion chaque jour plus cloisonnés et bureaucrati-sés, à travers le recours continu aux seuls expertsdans la définition des critères de qualité, cetterencontre avec « les » cultures a donné davantagelieu à des colloques ou à des papiers sophistiquéssur les obstacles à son fonctionnement qu’à desexpérimentations concrètes et convaincantes surle terrain. L’évolution des politiques culturellesdes États modernes, même les mieux intention-nées, comme celles de « la Gauche » en France oudu Parti québécois au Québec, ne font que tra-duire leur timidité (!) à reconnaître, autrementqu’en mots, la pluralité culturelle qui ne cesse degrandir. Arpin (2002, p. 209) signale, par exemple,que les « nouvelles » voies empruntées, depuisplus de trente ans, par des artistes de disciplinesdiverses et qui les amènent à travailler ensemble,

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à quitter leur spécialisation pour former deséquipes pluridisciplinaires ne sont toujours pasintégrées dans les catégories traditionnelles des« bureaucrates de la culture ». On peut imaginerce qu’il en est des artistes souvent semi-professionnels des cultures premières ou des mi-norités ethniques…

Ce constat nous conduit à penser que l’essentieldes actions culturelles, porteuses de sens de cesdernières vingt années, sont celles qui ont échap-pé, en partie à tout le moins, à l’hétéronomie de lagestion étatique et des officines spécialisées et bu-reaucratisées et qui se sont déployées, ailleurs etautrement, dans les interstices du social.

C’est dans la foulée de la nébuleuse des mouve-ments identitaires (de femmes, des gais et les-biennes, des minorités ethniques et visibles, etc.),qui ont souvent su éviter le repli frileux sur desrevendications étroites et mis au premier plan ladimension esthétique-expressive de leur action,qu’a essaimé, depuis une quinzaine d’années cesinitiatives innombrables, urbaines, locales et ré-gionales, d’action collectives qui portent la ques-tion culturelle-identitaire au cœur de leurs prati-ques : enracinements dans des territoires réels ouimaginés, « narrativités » reconstruites ou crééesde toutes pièces, projections dans un avenirmoins idéalisé qu’humanisé. Ces médiationsnouvelles, en plus d’être créatrices de sens, im-pliquent d’emblée la reconnaissance par des Au-tres. C’est là que se vivent, s’expérimentent et setransmettent, en périphérie de l’État et de ses di-vers relais, des actions culturelles, le plus souventhybrides, métissées, fugaces, d’autant moins visi-bles qu’elles se construisent au ras du quotidienet des liens de proximité, qui sont en mêmetemps des formes nouvelles d’implication dans laCité. Les distinctions, maintenues en haut, entreles sphères, les genres, les disciplines s’estompentici : sur le terrain, le ludique, l’éducatif, le rela-tionnel, le social ou l’artistique se conjuguent.

Freitag (1982) y voyait là à juste titre, il y a plusde vingt ans, le terrain d’exploration etd’émergence d’une « nouvelle esthétique del’identité ». Dans un ouvrage tout récent (2002, p.179), l’auteur revient sur cette notion où, selonlui, l’énoncé d’une « différence » est toujoursdoublée d’une dimension universelle« d’humanitude », d’une « quête du sens dusens », d’un effort de reconstruction, tout aussiimpératif qu’utopique, d’un « a priori del’identité », c’est-à-dire de « l’a priori d’une recon-

naissance de soi dans la reconnaissance d’un au-trui ».

Nous postulons, avec le psychanalyste Winnicott(1975, p. 96), qu’il existe en chaque homme etfemme une « pulsion créative » qui ne demandequ’à s’actualiser pourvu que des « conditions suf-fisamment bonnes » soient réunies et quin’appartient en propre à aucun spécialiste, à au-cune classe, à aucun État, à aucune région dumonde en particulier. Freitag (1996, p. 59-68) rap-pelle que la dimension « expressive-esthétique »est une donnée « universelle » de tout rapport aumonde subjectif et cette « capacité humaine pro-ductrice de formes » tient essentiellement à la« médiation symbolique », au langage en premierlieu mais aussi à toutes les formes d’expressionssymboliques, qui constituent le détour obligé detout rapport humain au monde. De façon pluspéremptoire et polémique, un animateur culturelde la première heure, Y. Robillard (1998) rappe-lait que « nous sommes tous des créateurs » !Castoriadis (1996, p. 199) parle de la « puissancede création caractéristique de l’être en général » àlaquelle s’ajouterait, selon lui, chez l’humain « undésir de formation ». Le même auteur identifiecette puissance et ce désir comme « l’élémentpoiétique de l’humain, dont la raison elle-même(...) est un rejeton ». Selon lui (1996, p. 195), onappelle culture « tout ce qui, dans le domainepublic d’une société, va au-delà du simplementfonctionnel ou instrumental et qui présente unedimension invisible, ou mieux imperceptible, po-sitivement investie par les individus de cette so-ciété ». Autrement dit, la culture, pour Castoria-dis, est tout ce qui a trait à « l’imaginaire strictosensu, à l’imaginaire poétique, tel que celui-cis’incarne dans des oeuvres et des conduites dé-passant le fonctionnel ».

Par ailleurs, il nous apparaît aussi impératif dereconnaître les arts dits « mécaniques » comme« autre chose que des techniques de reproductionet de diffusion » (Rancière, 2000, p. 48) même sil’on ne peut nier avec Pronovost (1996, p. 30)qu’en elles-mêmes, les technologies del’information et de la communication ont contri-bué à élargir « la participation culturelle » cesdernières décennies. Mais il faut aller plus loin etadmettre que la « consommation des médias » esten soi une pratique culturelle qui ne laisse pas leconsommateur dans une dépendance passive dumédium technologique. Selon Pronovost (1996, p.47), les « usages des médias » ne peuvent être dé-finis « en dehors du système culturel de référence

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plus global » des acteurs et dont la consommationmédiatique ne constitue que l’une des facettes.

Depuis de Certeau (1980, p. 53) jusqu’à J.-P. War-nier (2000) en passant par Miège (1989, p. 34) quiparle d’« appropriations » et de « modifications »des usages prévus des médias, l’on sait que la« consommation » est une « production » aux an-tipodes bien sûr de la « production rationalisée,expansionniste, centralisée, spectaculaire etbruyante » des technologies médiatiques maisqu’elle a ses « ruses », ses « braconnages » et dont« la clandestinité », le « murmure inlassable » de-viennent audibles pourvu qu’on se donne lapeine d’y être attentif. Pronovost (1996, p. 64)parle d’une appropriation « sous la forme de jeu »renvoyant à des « finalités expressives » qui dé-bordent du cadre strictement technique, informa-tionnel ou spectaculaire de l’objet médiatique.Reprenant Bourdieu (1976, p. 59-67), le sociolo-gue belge Belin (2002, p. 208) parle d’une« médiation distinguée [...] d’ordre symbolique »qui serait différente d’une « médiation populaire[...] d’ordre dispositif ». Belin se réfère à la notionde « disposition » de Bourdieu qui se définit parl’aisance, la gratuité, la possession d’un capitalculturel et scolaire, l’appréciation « esthétique »des oeuvres, « bref, comme exercice d’une com-pétence symbolique de distanciation et de ré-flexivité profondément enracinée dans l’identitépsychologique et corporelle de l’agent social » etqu’il oppose à la notion de « dispositif » qui faitreposer le rapport aux autres et au monde « nonsur des capacités nobiliaires », mais surl’utilisation d’instruments techniques facilementappropriables, standardisés et marchandisés,comme les jeux vidéos, par exemple.

Le point de vue de Bellefleur (2000, p. 65) sur lesusages du loisir rejoint celui des auteurs précé-demment cités à propos des médias. Les loisirs,particulièrement ceux dits culturels ou sociaux-culturels, se sont développés en marge des prin-cipales institutions culturelles qui leur refusaientle prestige et la reconnaissance sociale dont ellesjouissaient. Bellefleur (2000, p. 70) précise quecette « mentalité d’affaires culturelles » perduremalgré les énoncés politiques officiels sur la« démocratie culturelle », le « pluralisme », etc.Fourmillant « de lieux et d’organisation déjàstructurés », d’expériences multiples « en matièrede réseautage et de concertation », de méthodesd’animation sociale et culturelle expérimentéesdans les milieux de vie les plus diversifiés (Belle-fleur, 2000, p. 80), le loisir est « devenu un haut

lieu et un temps fort de la culture vécue ». Pourcet auteur, les pratiques de loisirs se réfèrent « enpremière et dernière instance à un acte de choixlibre » déterminé par le fait qu’il s’agit « d’ununivers de situations humaines où la coercition,la manipulation ou la pression ne sauraient êtretotales ». Nous partageons le point de vue del’auteur à l’effet que les pratiques de loisir ontcomme « dénominateur commun la liberté dechoix et l’hédonisme compris dans le sens d’unequête de la qualité de la vie et de l’expression despulsions érotiques (au sens freudien) et esthéti-ques » (Bellefleur, 2000, p. 66).

On aura compris que l’action culturelle telle quenous la concevons sort des couloirs ministériels.Elle se donne pour objectif, pour reprendre lestermes de Enriquez (1997, p. 171) « d’articuler cequi est posé comme étranger l’un à l’autre » dansnotre société (vie privée/vie publique, éduca-tion/création, rationnel/ludique, loisir/culture,médias/art, etc.) et surtout de favoriser la réin-troduction de ce qui est particulièrement« refoulé dans notre société : l’affect » c’est-à-direl’affectif, le sensible, le goût de la parole, du « gaisavoir ». Il ne s’agit aucunement ici de fairel’apologie du plaisir illimité, du vécu immédiatou du corps « libéré », de se faire les chantres dubouger, du toucher, du crier, enfin bref de l’agirou de la décharge. qui sont, à nos yeux, des mani-festations narcissiques court-circuitant tout lienaux autres. Il s’agit plutôt, comme le précise En-riquez (1997, p. 230), de « mise en sens » ou pourparler comme Cassirer (1993, p. 71), de faire ensorte que les émotions ne deviennent pas seule-ment des « actes » mais des « œuvres ». Se recon-naître comme source d’un désir de création, nesignifie pas se piéger dans une « illusion de latoute-puissance » mais de tenter de « maintenir laforce du phantasme » tout en lui permettantd’accéder au langage, à l’expression« esthétique ». Reconnaître « l’ouvert des désirshumains [...], c’est donc bien reconnaître l’humainau-delà des méthodes [...] c’est simplement re-connaître que l’humain, c’est d’abord la ren-contre, toujours réamorcée sur d’autres ren-contres possibles (Duclos,1993, p. 312). C’est danscet « espace potentiel », nous semble-t-il, que peutse constituer un « monde sensible commun, (...)un habitat commun, par le tressage d’une plura-lité d’activités humaines » (Rancière, 2000, p. 66).

Dans le même sens, nous pensons avec Agamben(1990, p. 88) que les politiques (culturelles ou au-tres) à venir tiendront moins à des luttes de

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Récupération de l’espace social par la réanimation dézarticulturellepar Joël NADEAU

Cahiers de l’action culturelle, Vol. 2, no 1 7

conquête pour le pouvoir qu’à celles « entre l’Étatet le non-État » (de l’homme « singulier » ordi-naire). C’est dans cette disjonction déjà engagéeentre les « bureaucraties patriotes » et le « mondeordinaire » et dans ce nouage de « l’ordinarité »de la vie et de « l’exceptionnalité » artistique(Rancière) que prend sens, nous semble-t-il, uneaction culturelle « postmoderne ». Celle-ci passe« par des actes de parole, donneurs de sens »(Caune, 1999b, p. 272) anticipant la« communauté qui vient » (Agamben).

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Section « Articles »

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Récupération de l’espace socialpar la réanimation dézarti-culturellepar Joël NADEAU 1

L’automne passé, le collectif d’animation socio-culturelle Dia a vu le jour avec la volonté de« contribuer à l’activation et à l’élargissement dela masse critique pour engendrer des change-ments concrets au sein de la société ».Majoritairement composé d’étudiantEs del’UQAM (dont Animation et Recherche culturel-les, Arts visuels, Communications) Dia réfléchit àdifférentes actions susceptibles de renforcer lesliens entre les différentEs acteurs-trices s’activantau service du renouvellement social. La princi-pale réalisation du collectif reste à ce jour l’AgorAFestiF. La deuxième édition de cette nuit de créa-tion, le 15 mars 2003, a accueilli plus de 2 200 per-sonnes, dont 400 artistes issus de toutes les disci-plines.Nous présentons dans ce texte une description decet événement2. Cette présentation est précédéed’un résumé des réflexions et de la philosophiequi ont inspirées cette action. Veuillez noter que,si ce texte reflète généralement les idées del’ensemble du groupe, il n’engage que son auteur.

Des constats sur l’état des forces sociales québé-coisesPartout dans le Monde, des actions collectives vi-sant une profonde remise en question des fon-dements de notre société émergent et se multi-plient tranquillement. Il faut dire que le contexteactuel s’y prête bien. Les conséquences de lamondialisation néolibérale commencent à trans-paraître gravement sur la géopolitique interna-tionale et sur l’état de l’environnement. On peutmême parler d’un sentiment d’urgence quipousse plusieurs militantEs à agir.Au Québec, les conditions sont réunies pourpermettre une auto-détermination citoyenne,toutefois, certains freins empêchent l’émergenced’une réelle solidarité et nous obligent à prendre

1 Joël Nadeau est étudiant du programme de baccalauréat

en Animation et recherche culturelles.2 Il n’est pas question de faire ici un retour complet sur

l’AgorA FestiF, mais bien d’en expliquer les motivations etde cerner la continuité dans laquelle s’insère cet événe-ment. Si vous désirez en savoir davantage sur cette nuitde création, visitez le site Internet agorafestif.wd1.net.

le temps de réfléchir à des actions rassembleuseset porteuses de sens.Le collectif Dia est né de la volonté d’intervenirdans ce contexte, en se demandant quels sont cesfacteurs qui empêchent « l’activation etl’élargissement de la masse critique ». Nous enavons identifié quelques-uns :§ la perte du pouvoir citoyen ;§ une image fragmentée des forces sociales ;§ une désorganisation au sein des mouvements

sociaux ;§ les difficultés à articuler un discours clair et

rassembleur ;§ une (auto)marginalisation des actions mili-

tantes.

La perte du pouvoir citoyenPlusieurs citoyenNEs sont habitéEs par un senti-ment d’impuissance face à cette « machine », faceà des dynamiques sociales qui semblent échapperau contrôle des individus. La démocratie occi-dentale dans son état actuel, celle que nos diri-geants politiques vantent (et vendent sous pres-sion) dans le monde entier, réduit les citoyenNEsà une activité politique très passive. Une terriblemutation du statut de citoyen est en cours, trans-formant ce dernier en consommateur, ce qui apour incidence d’affaiblir la « voix délibérante »,de diminuer la portée de nos actes et, pire encore,qui décourage nombre de personnes qui vou-draient changer les choses.Perdu dans le flot d’informations continues, ungrand nombre préfère même cesser de s’informer,ne sachant plus comment réagir face à un reflettrop souvent dramatique de notre contexte localet mondial. Il ne s’agit pas d’un sentiment refouléde culpabilité indirecte, ni d’une simple absencede prise de conscience : c’est le règne du senti-ment d’incapacité à pouvoir influencerl’orientation d’une tendance lourde.Des actions comme le recyclage, le commerceéquitable et le transport en commun sont vuescomme les seules alternatives accessibles pourrépliquer à une société de consommation. De tel-les actions donnent à plusieurs la fausse illusion« d’avoir fait sa part ». Bien que ces actions sontd’excellents premiers pas, elles n’ont qu’un effetminime sur l’ensemble de la situation. Outre cesalternatives elles-mêmes récupérées, comment lecitoyen peut-il modifier son mode de vie et ainsicontribuer à la construction d’un monde juste etéquitable ?

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Il est évident qu’il nous manque des outils, quedavantage de moyens alternatifs peuvent être misen place, et que nous devons surtout reprendreconfiance dans la force possible du pouvoir ci-toyen. Des slogans, aujourd’hui entendus, tententjustement de raviver cette flamme, en déclarantqu’un autre monde est possible (Action mondialedes peuples) , qu’une autre Amérique est possible(Alliance sociale continentale), et qu’un autreQuébec est possible (Union des forces progres-sistes).

Une image fragmentée des forces socialesLe miroir d’une société atomisée nous renvoiel’image d’un mouvement fragmenté et le miroirmass-médiatique en discrédite les initiatives.Deux images bien éloignées de la réalité.En effet, si de nombreux collectifs sont nés dansles vingt dernières années, pour mieux faire faceà de nombreux enjeux spécifiques, cette situationn’apporte pas pour autant une fragmentation desforces. De plus et plus, tant dans le monde com-munautaire que dans les sphères artistiques, unéclatement s’impose et devient une force considé-rable. Un Front commun éclaté haut en couleur sebâtit peu à peu, porté par ses mille drapeaux.Plusieurs collectifs et militantEs, qui voguentdans la même direction, continuent à entrepren-dre des actions en tant que groupe d’affinité ouen tant qu’individu. Ces actions, bien que la ma-jorité du temps constructives, ne sont que rare-ment complétée par des actions issues d’unemasse critique, étape essentielle pour entraîner deréels changements.Le collectif Dia a d’abord cru qu’il était importantqu’un réseau intersectoriel solide soit bâti pourfavoriser les actions collectives. Rapidement,nous avons constaté que de tels réseaux existentdéjà, d’une manière informelle, mais qu’ils sonttrès peu utilisés. En fait, il faut aujourd’hui mettreen évidence les liens qui nous unissent, mettre enlumière les réseaux qui existent.

Une désorganisation au sein des mouvementssociauxUne des principales caractéristiques des mouve-ments sociaux d’aujourd’hui, c’est cette décentra-lisation, cette volonté d’installer une « totale dé-mocratie », celle du consensus à tout prix. Cesgroupes, en réaction au contexte abordé plushaut, se tournent vers des organisations polycé-phales, souvent inspirées par des concepts

d’anarchie. Retrouver l’équilibre naturel exigeparfois qu’à un extrême on oppose son contraire.Les mouvements sociaux se retrouvent cependanttrop souvent dans une situation de désorganisa-tion, d’incapacité à construire des actions à longterme ou à maintenir une mobilisation. Bien sûr,les choses changent tranquillement. Les nou-veaux outils de communication, par exemple, fa-vorisent l’organisation, à des niveaux locaux etinternationaux.Il est important de bâtir des cadres de travail,permettant de bien planifier nos actions, sanspour autant nuire la liberté d’expression ni à laspontanéité. Sur ce point, l’AgorA FestiF est unbon exemple : événement organisé d’une manièreserrée pour créer un espace d’expression totale-ment libre.

Les difficultés à articuler un discours clair etrassembleurNotre réflexion sur la désorganisation nous mèneà un autre problème tout aussi important : la dif-ficulté à articuler un discours clair, concis et ras-sembleur. Le discours militant actuel se réduitsouvent à une opposition sans propositiond’alternative.Face à cette situation, il est important de poursui-vre l’ouverture d’espaces de dialogue, de ré-flexions portées vers l’action. Plus encore, il estimportant de jeter les bases d’un cadre idéologi-que ouvert à la confrontation d’idées, qui feraface à l’autocritique perpétuelle. Bien que nousnous entendions sur les valeurs qui motivent nosactes, une orientation générale leur donnera plusde force.Les intellectuelLEs prennent-ils-elles assez deplace dans cette dynamique ? Heureusement, deplus en plus d’entre eux, partout dans le monde,prennent le risque d’alimenter ces débats.

Une (auto)marginalisation des actions militan-tesPar définition, être militant, c’est lutter, combattrepour une idée, une opinion, ou un parti. Danscette optique, plusieurs citoyenNEs sont mili-tantEs par leurs réflexions critiques et par leursactions quotidiennes. Pourtant, une grande majo-rité d’entre eux insistent pour ne pas être identi-fiés à une mouvance militante. Pourquoi ce para-doxe ?Probablement parce que les actions militantesfont souvent face à une marginalisation. Encoreune fois, les médias de masse peuvent être poin-

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tés du doigt, par leur éternelle récupération de lacontestation, mais ils sont loin d’être les seulsresponsables de la situation. Ils contribuentmême à une diffusion plus large de certains dis-cours militants.Par leur attitude (appropriation de certaines lut-tes, radicalisation de certaines actions), ce sontaussi des collectifs qui amplifient eux-mêmescette fracture ; on peut facilement observer uneautomarginalisation dans certains cas.Reste que les dernières actions sont très encoura-geantes. Certaines manifestations reçoiventl’appui d’une très grande partie de la population.Chaque mois, d’un pôle à l’autre de la planète,une très large mobilisation donne lieu à une im-pressionnante marche contre la mondialisationnéolibérale. Au moment où ces lignes sont écrites,plus de 200 000 citoyenNes descendent dans larue à chaque jour, afin de manifester leur désac-cord à la guerre en Irak. L’impérialisme économi-que y est dénoncé à chaque fois.Au-delà de ces manifestations de rue, n’est-il pastemps d’entreprendre des actions à long terme ?N’est-il pas urgent de dépasser cette mobilisationpériodique et de revoir les bases mêmes de nosmodes de vie ?

L’activation d’une masse critiqueIl existe suffisamment de militantEs, de tout âge,issuEs de tous les champs d’action, de toutes lesrégions et de toutes les cultures, pour entrepren-dre un réel renouvellement social. De plus, cesgens se connaissent, ils sont déjà reliés par un ré-seau informel qu’il nous faut renforcer, et surtout,ils voguent dans la même direction.Par l’ouverture d’espaces de dialogue, de débats,d’expression libre et par la redéfinition authenti-que de nos pratiques sociales et culturelles, nouspourrons d’abord prendre conscience del’existence de cette masse critique, et, par le faitmême, prendre conscience du pouvoir d’actionqui peut s’en dégager. Cela va de pair avecl’acceptation, le respect de l’éclatement qui est àla fois le reflet fidèle et la force de notre frontCommun. En d’autres mots, il faut favoriserl’expression de la culture militante d’aujourd’huiet de nos porte-parole, les artistes. Il est plus fa-cile d’alimenter une mouvance une fois qu’ons’identifie à elle.Comment maintenir cette appartenance, com-ment favoriser ensuite l’activation de cette massecritique ? Nous croyons qu’il est important queles actes, les arts et les réflexions soient transper-

sonnels, c’est-à-dire que le geste d’un individu oud’un groupe s’insère dans un contexte plus large.Ainsi, chaque acte vient à la fois alimenter cemouvement et inspirer d’autres actions. Par lamultiplication de ces actes, une réelle récupéra-tion de notre espace social peut s’effectuer. Iln’est pas ici question de démolir les bases de no-tre société, mais de construire en diagonale, àl’image de nos aspirations.Cela doit se faire en parallèle à l’ouverture de dé-bats de société et à des activités d’éducation po-pulaire. Nous croyons qu’il est d’abord importantde travailler à l’activation d’une masse critique.Soyons d’abord conséquent de notre discours,nous pourrons ensuite tenter d’élargir nos ac-tions. Il est aussi question d’articuler le discoursen question, de mettre en place des alternativesconcrètes et constructives, de dépasser la simpleopposition et ainsi mieux rejoindre la populationen général.Il ne faut pas oublier qu’en chimie atomique, unefois qu’une masse critique s’est activée, personnene peut contrôler son expansion : de làl’importance de jeter le plus rapidement des ba-ses idéologiques solide, question de ne pas gas-piller de si belles énergies dans une « révolutionvide de sens ».

L’AgorA FestiF« Une Force Commune Éclatée affirme sa pré-sence et sa détermination à s’activer au service durenouvellement social. »À chaque époque, il faut redéfinir nos pratiquessociales et culturelles, en se demandant quels es-paces seront un reflet authentique des forces so-ciales et un lieu propice à une expression libre.Au Québec, en ce début du troisième millénaire, àcause du contexte plus haut décrit et face à unesolide industrie culturelle, cette tâche n’est passimple.Nous nous sommes tournés vers la simple logi-que : ouvrons une nuit de création totalement li-bre, où tous les arts pourront cohabiter et où lesparticipantEs seront invitéEs à s’approprier cehappening culturel actualisé. L’art, langage uni-versel et la voix de nos porte-parole, et le festifsont sans hésitation des éléments rassembleurs :le collectif Dia a donc ouvert un AgorA FestiF.Grâce à l’implication de plusieurs centaines depersonnes qui ont cru en ce projet (le tout béné-volement, tant de la part des 40 collaborateurs-trices à l’organisation que de la part des 400 ar-tistes), grâce aussi à l’aide de plusieurs comman-

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ditaires, cette nuit a pu se réaliser. Il faut ici men-tionner l’aide financière et technique apportéepar Faites De la Musique (FDM). C’est via lecommissaire Guy Sioui Durand que la deuxièmeédition de l’AgorA FestiF s’inséra dans le cadrede l’événement « Espaces Émergents », organisépar Faites De la Musique.Durant douze heures et sur les 40 000 pieds carrésd’une usine désaffectée, « l’American can », deuxscènes, un vaste espace de peinture et de sculp-ture, un espace numérique, deux salles vidéo,plus d’une centaine d’installations et de perfor-mances, un espace cirquassien et de très nom-breuses interventions spontanées ont donné lieu àun théâtre hautement FestiF qui s’est imprimédans la mémoire de tous-toutes ces participantEs.L’AgorA FestiF s’insère dans cette prise de cons-cience de l’existence de la masse critique, en ou-vrant un espace de dialogue et d’expression libreoù s’est exprimé tout l’éclatement d’une forcecommune qui se solidifie. Le 15 mars 2003 : cam-pagne électorale, campagne de guerre, et surtout2 200 citoyenNEs qui s’approprient l’AmericanCan, en symbole d’une volonté de récupérer no-tre espace social.Un des objectifs de la nuit était de prendre cons-cience des liens déjà existants entre les militantEsquébécoisEs. Cet objectif a été atteint au-delà denos espérances : plusieurs participantEs ont af-firmé leur surprise lorsqu’ils ont constaté qu’ilsconnaissaient beaucoup de gens sur place.Cette nuit-là, des liens se sont solidifiés. Plus en-core, ce fut une cohabitation de militantEs ayantdes pratiques totalement différentes et de diffé-rents degrés de radicalisme. Par des événementscomme celui-ci, la fracture au sein des forces so-ciales s’estompe peu à peu.

Dans une continuité plus largeUn message clair a été exprimé par les partici-pantEs : cet événement doit avoir lieu annuelle-ment. CertainEs ont même exprimé le souhait devoir des AgorAs FestiFs à toutes les fins de se-maine. Bien sûr, cela est techniquement impossi-ble. Mais surtout, il est clair pour nous que cehappening culturel n’est pas en soi le lieu mêmed’une récupération de notre espace social. Ce lieud’expression à notre image est là pour contribuerà la prise de conscience de la convergence possi-ble de nos actes et pour inspirer la multiplicationde ces actes, de ces arts et de ces réflexions.C’est d’ailleurs la raison de la création du collectifDia. Nous existons pour organiser d’autres Ago-

rAs FestiFs, mais aussi pour entreprendre diffé-rentes actions qui feront que ces manifestationsculturelles, communautaires et de ruess’inséreront dans un mouvement plus global.La veille de la nuit de création, un AgorA Ré-flexiF avait été ouvert à des débats sur « l’art,l’Acte, et leur récupération. » Un mauvais timinggénéral a surtout concentré l’attention des genssur la nuit de création. Nous désirons poursuivreces réflexions, toujours portées vers l’acte, via lesite internet de Dia, et par l’ouverture de nou-veaux espaces de réflexions.Outre ces activités, Dia se rencontre ce printempspour mettre sur pied d’autres projets, toujoursdans l’optique de contribuer à l’activation de lamasse critique.Pour suivre cette évolution, vous pouvez visiterle site dia.wd1.net.Et pour que ces actes deviennent transpersonnels,pour qu’ils puissent alimenter une mouvanceplus globale, nous avons ouvert, lors de l’AgorAFestiF, une syllepse (voir à la fin de ce texte). Lapremière signature de cette syllepse est l’AgorAFestiF.Sans attendre « qu’une goutte fasse déborder levase », il est important, avant tout, de reprendreconfiance dans le pouvoir citoyen. Toute actionqui ira dans ce sens lancera un message clair àtout ceux et celles qui se sentent impuissantEs :tout est encore possible.

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12 Cahiers de l’action culturelle, Vol. 2, no 1

SYLLESPE préambulaireSi ce présent texte n’est pas la Syllepse en soi, maisbien son préambule, c’est que la Syllepse en questiondevient la convergence d’une multitude de Visions etde Réinventions, qu’elle est donc en constante mou-vance, et surtout qu’elle n’a de valeur que si elle faitface à une autocritique perpétuelle.• Parce qu’une réelle démocratie serait compo-

sée de 6 milliards de gouvernements.• Parce que nous aspirons à un libre-échange

planétaire des Arts, des Cultures, des Idées,des Inventions, des Solidarités et des Utopies.

• Parce que nous voulons contribuer à une crois-sance qui n’est pas d’ordre matériel maisd’ordre humain, et que cette évolution se faitdans un contexte de Liberté, d’Égalité, de Res-pect, d’Harmonie entre l’humanité et la natureet dans un contexte de Paix.

« Ce matin, le 16 mars 2003,en plein cœur d’un AgorA FestiF,

nous déclarons cette Syllepse ouverte. »Cette déclaration commune aura autant de couleursque de signataires. Ensemble, nous allons nousl’approprier de la même manière que nous allonsrécupérer notre espace social.Cette Syllepse prône la multiplication des Actions,des Créations et des Réflexions, inspirées non paspar les normes, mais par le sens. Nous l’ouvronsparce que ces Gestes se doivent d’être transperson-nels pour que toutes leurs significations et leursforces émergent. C’est lorsque nos Actes s’insèrentdans une mouvance commune que leur addition formeune masse critique.Plus qu’une déclaration, la multiplication de ces Ac-tes authentiques sera la source d’un renouvellementsocial, puisque rien ne peut ralentir l’expansion d’unemasse critique une fois qu’elle s’est activée.Approprions-nous le pouvoir de Citoyen du Monde enmettant de l’avant tout l’éclatement que suppose ceconcept.Pour que cette Syllepse soit l’expression sincèrede l’existence et de la détermination d’un FrontCommun Éclaté, il n’y a qu’une manière d’alimenterson contenu : la signer, mille fois plutôt qu’une.Et il n’y a que trois manières de la signer :

L’ActeL’Art

Et la Réflexion.

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Variations et créativités culturelles en régionpar Jean-Claude GILLET et Vincent BERDOULAY

Cahiers de l’action culturelle, Vol. 2, no 1 13

Variations et créativités cultu-relles en région1

par Jean-Claude GILLET et VincentBERDOULAY2

La culture occupe une place importante dans lespolitiques publiques, au point qu’elle est de plusen plus jugée comme un moyen et une conditionindispensables au développement territorial, etdonc pas nécessairement ou seulement comme safinalité (Teisserenc, 1997). En parallèle à cetteorientation, mais sans interaction avec elle, se dé-ploie aussi un renouveau de l’intérêt pour laculture au sein des sciences sociales, et tout parti-culièrement pour l’approche culturelle en géo-graphie (Claval, 1999). Toutefois, les liens entrecette approche nouvelle des phénomènes socio-spatiaux et le domaine de l’intervention en ma-tière de développement ne sont encore suffisam-ment cernés pour s’enrichir mutuellement. Celaprovient, au moins partiellement, de la difficultéà saisir les relations complexes qui se tissent entreles diverses modalités de la culture et la multidi-mensionnalité de l’espace, d’autant plus que ce-lui-ci est à la fois vécu et projeté, lieu de vie etinstrument de l’action planificatrice.

Vieille tradition universitaire, la géographieculturelle ne s’est que très tardivement dégagéedu tropisme de l’étendue et du repérage despermanences, en ce sens que l’essentiel del’attention portait sur l’étude simultanée d’uneportion d’espace (ou paysage) et d’une cultureapprochée comme relativement statique. Quasi-ment seule l’étude de la diffusion des innovationspermettait à cette géographie culturelled’introduire la dynamique qui faisait trop défautà son champ d’observation. Il n’est pas étonnantque ce soit un de ses aspects qui a le mieux résistéau temps et qui a pu renouveler la curiosité pourla société contemporaine (Brown, 1981). Mais ilest symptomatique que plus cette étude s’esttournée vers les phénomènes innovants contem-porains, plus elle a négligé la dimension régio-nale. C’est donc l’objectif de ce recueil de textesde se concentrer sur les échelles régionales, car

1 Ce texte reprend des éléments de l’introduction du nu-

méro 8 de la revue Sud-Ouest Européen intitulé : Géogra-phies culturelles.

2 Jean-Claude GILLET (Université de Bordeaux III-Intermet-MSHA) et Vincent BERDOULAY (Laboratoire SET –CNRS/UPPA).

s’y déploient à la fois des dynamiques culturellesanciennes et modernes et des instruments del’action publique. Le thème dominant est celui dela variation de la culture, tant dans l’espace quedans le temps, à travers la mise en évidence de lacréativité et de la diversité présentes dans la vieculturelle des populations.

Acteurs régionaux et décloisonnement des terri-toires

Les acteurs institutionnels régionaux ont recoursà des stratégies culturelles pour animer leurs ter-ritoires, y assurer une visibilité accrue à un en-semble de pratiques et valoriser ses atouts envi-ronnementaux. Les modèles prédominants deculture légitime, souvent enfermés dans des sitesréservés, ne suffisent plus à canaliser la demandeculturelle, et on assiste à l’émergence de stylesinnovants qui, en brouillant les classementsd’hier, renouvellent les spectacles et les partici-pations. Dans ce jeu, les périphéries concurren-cent le centre même si ce dernier n’a pas cesséd’exister ; les équipements se diversifient et sespatialisent, entraînant de nouvelles configura-tions entre villes, banlieues et campagnes, entrecultures classiques et cultures marginales, entrepublics réservés et publics ouverts.

Or, ce constat de la place des cultures, du rôlequ’y jouent les arts, les sciences et les techniques,et de leurs capacités de mobilisations’accompagne d’un paradoxe lié à la modestiedes travaux qui leur sont consacrés. Alors que laculture devient un élément stratégique de déve-loppement, les études analysant les pratiques, lesévénements et les lieux culturels, sont moinsnombreuses que celles étudiant le commerce,l’industrie, les transports, les populations ou plusrécemment, les banlieues. Ce décalage vient de ladifficulté à cerner l’objet d’étude, notamment parles géographes et les aménageurs qui laissent lechamp libre à d’autres sciences humaines moinsattentives à la dimension sociospatiale du phé-nomène. Or, c’est justement à l’intersection deslieux et des pratiques que les changements seproduisent et que les questions d’organisation etde politique publique se posent.

On sait que les composantes de cette action cultu-relle sont multiples. La culture artistique, celledes arts du spectacle et des arts vivants, est laplus facilement identifiée par les responsablespolitiques et administratifs et par les médias. Ellecorrespond aux définitions du ministère de la

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Culture et reste pour l’essentiel destinée à despublics. La culture scientifique et technique a étédéfinie plus récemment et se veut l’expressionthéorique et pratique des innovations technologi-ques contemporaines. Elle se donne à voir sousforme de cités des sciences ou de lieux de mé-moire industrielle, valorisant des traditions tech-niques et des valeurs du travail scientifique. Dansun sens plus anthropologique, la culture se dis-tingue de ces deux composantes par une concep-tion associant les modes de vie, les comporte-ments des populations et les réponses qu’ellesdonnent aux problèmes posés parl’environnement naturel et social. À côté descultures dites légitimes naissent des cultures pé-riphériques qui s’inventent et se transformentpour s’adapter aux milieux. Les cultures de ban-lieues, les festivals, les cultures sportives, lesgrandes fêtes urbaines participent à ces culturesvivantes permettant aux habitants de médiatiserleurs connaissances et leur agir et de redéfinirleur place dans la société.

Les changements dans l’organisation et la formede l’action régionale, comme ceux concernantl’évolution des pratiques et des équipements quilui sont liés, ne peuvent pas être saisis sans tenircompte des processus socioculturels qui inner-vent l’ensemble de la société contemporaine. Sansles développer plus avant, cinq d’entre eux ontsouvent été soulignés : celui de la mobilité accélé-rée qui favorise un changement d’échelle urbaineremettant en question la distance physiquecomme indice de proximité sociale ; celui de larétraction du social qui correspond au délitementde l’organisation traditionnelle au profit d’un es-pace de parcours entre de multiples lieux ; celuide la multiplication des moyens d’information etde communication qui agit dans l’espace socialau détriment des relations personnelles directes ;celui de la remise en cause de l’intégration par letravail qui a longtemps été un des fondements del’organisation urbaine ; et enfin, celui del’individuation qui devient un principe fondateurse distinguant de l’individualisme conçu commeun repli sur soi.

Ainsi, la société holiste, qui donnait une relativecohésion aux espaces et assignait à chacun unstatut et un rôle en dictant des comportements etdes croyances, s’est affaiblie progressivement,laissant la place à une société d’individuationmanifestant une conscience élargied’appartenance, voire une multi-appartenance.Certains auteurs ont préféré insister sur le chan-

gement dû aux mutations technologiques pourappréhender l’émergence du fait que les proces-sus de l’esprit, du mental, de l’information de-viennent premiers par rapport à ceux del’extraction, fabrication et transformation de lamatière qui fondaient l’organisation sociocultu-relle précédente (Gaudin, 1997 ; Castells, 1998).Aux effets territoriaux nécessairement liés à cesmutations s’ajoutent ceux de la métropolisation.

Mais si ces effets participent à un décloisonne-ment des villes, les équipements, les services, lescréations et les diffusions culturelles s’inscriventtoujours dans un jeu complexe d’offres et de de-mandes, qui, selon Antoine Haumont (1996), sesitue à l’interférence de trois sphères : celle del’offre publique (dominante dans le modèle fran-çais) qui cherche à promouvoir le développementculturel et la valorisation différenciée des prati-ques ; celle de l’offre privée qui détecte de nou-veaux marchés et développe ses entreprises dansles secteurs jugés les plus rentables ; et celle desindividus qui mesurent mieux qu’hier l’intérêt às’engager dans des stratégies de participationculturelle. C’est en jouant sur ces sphères quel’action culturelle laisse apparaître deux grandestendances, l’une résultant des efforts des acteursrégionaux pour assurer la paix et le mélange so-cial, l’autre liée à la compétition qu’ils mènentpour valoriser leur image. Or, cette action se jouesur fond d’ajustement conceptuel aux variationsculturelles dont on commence mieux prendre lamesure aujourd’hui.

Les variations des cultures

Afin de comprendre la dimension culturelle de lasociété contemporaine, l’attention s’est portée surle contexte offert par la ville industrielle. On y aidentifié, à côté d’une culture bourgeoise bieninstallée dans ses lieux de spectacles et largementtournée vers les arts et les lettres, une culture po-pulaire s’enracinant dans des banlieues ouvrières.Ces deux cultures, et il conviendrait de jouer surleurs variations, apparaissent comme sociologi-quement et spatialement cloisonnées, les occa-sions de mélange demeurant assez rares. Les fêtesrépublicaines et religieuses, les carnavals et lesévénements sportifs sont ces rares momentsd’effervescence rassemblant un temps des grou-pes divers.

Si en France certains travaux ont tenté de saisirces transformations (Dumazedier, 1962 ; Duma-zedier et Samuel, 1976), l’essentiel de la recherche

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Variations et créativités culturelles en régionpar Jean-Claude GILLET et Vincent BERDOULAY

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est restée longtemps dominée par l’orientationimprimée par Pierre Bourdieu. Établis à partird’enquêtes menées dans les années 1960 et 1970,ses travaux se fondaient sur le postulat d’unehomologie entre le capital scolaire, économique etculturel. Après l’étude des usages sociaux de laphotographie (Bourdieu, 1965), celle consacréeaux musées l’amène à montrer que les pratiquesdes individus d’une catégorie sociale tendent àconstituer un système, et à considérer qu’une« fréquentation assidue du musée est à peu prèsnécessairement associée à une fréquentationéquivalente du théâtre et, à un moindre degré, duconcert » (Bourdieu et Darbel, 1969, p. 101).D’autres essais et articles (Bourdieu, 1971, 1978)permettent à Bourdieu d’affiner les dimensionsthéoriques de ses analyses, et la publication del’ouvrage La distinction en 1979 peut être considé-rée comme l’aboutissement et la synthèse des tra-vaux menés depuis le début des années 1960.L’ouvrage propose une division ternaire de la so-ciété mettant en rapport les éléments de la struc-ture sociale, les styles de vie et les habitus res-pectifs des classes supérieures, des classesmoyennes et des classes populaires. La partie in-titulée « Goûts de classe et styles de vie » consa-cre un chapitre à chacun de ces groupes : le sensde la distinction pour les classes supérieures, labonne volonté culturelle pour les classes moyen-nes et le choix nécessaire pour les classes populai-res. Ces travaux ont largement influencé la so-ciologie de la culture et permis des avancéesépistémologiques, mais ils ont aussi impulsé uneorientation structuraliste qui ignore, notamment,les effets territoriaux. Ceci est d’autant plus gê-nant que ces travaux sont fondés sur l’analysed’une période située au début de profonds chan-gements socio-spatiaux dans l’organisation de lasociété. Avec ces transformations, l’homologieplus ou moins parfaite entre structures de classeset cultures devient caduque.

Les recherches récentes sur le phénomène cultu-rel dans les villes s’intéressent plutôt au substratsocio-géographique et montrent les dynamiquescomplexes liées aux logiques d’action et aux poli-tiques publiques d’équipement (Augustin et Gil-let, 1996, Augustin et Latouche, 1998). Par ail-leurs, les enquêtes du ministère français de laCulture sur l’évolution des pratiques culturellessoulignent toutes que les frontières entre culturepopulaire et haute culture se sont estompées. Leterme de « frontière flottante » et celui « d’universculturel » (visant à distinguer de larges ensem-

bles) sont de plus en plus utilisés. À titred’exemple, on peut reprendre ici le résultat desanalyses d’Olivier Donnat (1994) sur les pratiquesqui ont modifié depuis trente ans en France lerapport d’homologie entre univers culturel etgroupe social.

Ainsi, il distingue trois éléments de changement :d’abord l’instauration d’un « minimum culturel »partagé par une proportion croissante et large-ment majoritaire de la population ; ensuitel’émergence d’une culture juvénile capable degénérer des solidarités plus fortes quel’appartenance de classe proprement dite ; enfin,l’effet croisé de la scolarisation et de l’économiemass-médiatique qui, en gommant les clivagesentre genres majeur et mineur, serait corrélatif dela fragmentation des cultures légitimes. Donnatse penche alors sur les changements affectant lespratiques dans certains domaines intéressant leministère de la Culture : les sorties culturellesliées à la fréquentation des lieux de spectacles etd’expositions (cinéma, théâtre, concerts rock oujazz, musique classique, opéra, musées, exposi-tions de peinture ou sculpture), l’écoute musicale(chansons, musique classique, jazz, rock) et lalecture. Se dégagent alors sept agencements ma-jeurs de pratique. Le premier, celui des exclus etdes reclus, rassemble ceux qui ne fréquentent au-cun lieu culturel, ne lisent pas et n’écoutent pasde musique ; il s’agit d’un groupe âgé, rural etnon diplômé qui correspond à 10 % de la popu-lation française. Un deuxième agencement depratiques concerne les démunis qui ont un faibleniveau de contact avec les trois domaines et quiest estimé à 25 % de la population. Deux autresagencements sont jugés hétérodoxes parce queses membres privilégient un seul domaine depratique. Ainsi, 10 % combinent un rapport rela-tivement intense à la lecture et une distance avecles autres domaines. L’autre combinaison re-groupant plutôt les amateurs exclusifs de musi-que populaire ou rock, public adolescent ou dejeunes adultes de milieux populaires, équivaut àmoins de 5 % des Français. Deux autres combi-naisons sont dites incomplètes parce que sesmembres privilégient deux domaines àl’exclusion du troisième. L’une d’elles regroupeles lecteurs mélomanes plutôt casaniers et âgés(10 %) et l’autre, organisée autour du couple sonet image, est composée de jeunes amateurs despectacles pop, de cinéma, de films vidéo et demusiques enregistrées (10 %). Enfin, une minoritéde jeunes Parisiens, branchés et fortement diplô-

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més, sont mélomanes éclectiques, noctambules, etgrands lecteurs (2 %). Mais il faut noter aussiqu’un quart de la population française ne s’inscritpas dans ces agencements.

Donc, même si ces résultats ne concernent quecertaines pratiques culturelles et n’incluent pasleurs dimensions spatiales, ils en montrent la di-versité et soulignent les variations qui ont pu lesaffecter. Ils indiquent clairement qu’il convient detravailler aux rapports des pratiques et des espa-ces. Les combinaisons localisées des divers agen-cements selon des critères générationnels, so-ciaux, ethniques et sexuels, ne sont évidemmentpas à négliger, de façon à saisir les interactionsentre les espaces, les modes de vie et les appa-reillages institutionnels de l’action culturelle.

Des pistes de recherche

Si l’on convient que les questions posées par lesagencements culturels, par l’évolution des prati-ques et des lieux ne peuvent être réduites à uneapproche fondée sur la simple description destransformations territoriales (les cadres de vie) ousur l’homologie entre structures de classes et ac-tivités (les styles de vie), un vaste chantier de re-cherches est ouvert aux disciplines valorisant lesdynamiques sociospatiales (Augustin et Favory,1998). La géographie et l’aménagement peuventainsi apporter leur contribution. Si les donnéeséconomiques, démographiques, sociologiques etanthropologiques enrichissent les analyses, il n’enreste pas moins que les cultures participent de laterritorialisation de l’espace et à la qualificationdes lieux et que l’étude de ces interactionss’impose, notamment dans les espaces publics(Augustin et Sorbets, 2000).

Il est clair aussi que, dans cette approche, laculture doit être comprise dans un sens large dé-passant l’acception traditionnelle, qui procède decontenus et reste, dans son sens classique, tour-née vers les arts et les lettres. Elle est davantageune manière d’être, de se comporter, des’informer, c’est-à-dire qu’elle est plus liée aumouvement et au dessein qu’au contenu lui-même. Saisie dans sa diversité et sa variabilité, laculture a nécessairement un ancrage dans le vécuet dans l’initiative individuelle. Il faut donc segarder de se placer exclusivement sous l’angle dela réception passive, par l’individu, de produitsélaborés par d’autres, afin d’être attentif à la partactive du sujet qui cherche non seulement às’adapter mais aussi à faire sens de sa vie ou de

ses activités. En cela, la culture est création, etc’est cette part de réflexivité et de créativité, exer-cée en rapport avec l’environnement, qu’il fautessayer de saisir et de souligner dans les analysesgéographiques (Berdoulay et Entrikin, 1998 ; Ber-doulay, 1999). C’est d’ailleurs sur elle que repose,au fond, tout projet de développement démocra-tique (Berdoulay et Morales, 1999).

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Vers une professionnalisation de l’Animation sociale et culturelle au Libanpar Micheline SAAD

Cahiers de l’action culturelle, Vol. 2, no 1 17

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Vers une professionnalisationde l’Animation sociale et cultu-relle au Libanpar Micheline SAAD 1

Si une mutation de mentalité ne se produit pas, si un soufflenouveau provenant d’une révolution intellectuelle et éthiquene passe pas sur le pays, le développement sera fragile et leLiban n’aura pas rempli ni sa tâche de cohésion interne, ni satâche supranationale de centre civilisateur.

Besoins et possibilités de développement du Liban. Étudepréliminaire Mission IRFED (1960-1961, p. 476)

Le présent article cherche à dresser un état deslieux de l’Animation sociale et culturelle au Li-ban. Il aborde plus particulièrement le phéno-mène de la professionnalisation de cette pratiqued’origine bénévole ou militante. Il retracel’évolution historique qui a favorisél’identification progressive d’un référentiel decompétences professionnelles et la certification deleurs acquisitions à travers des diplômes. Il souli-gne le rôle primordial des regroupements profes-sionnels dans la reconnaissance sociale de la pro-fession et son développement.

Origine et évolution de l’Animation au LibanLes origines de l’Animation sociale et culturelleau Liban sont multiples et les phases de son évo-lution correspondent aux étapes importantes del’histoire contemporaine du pays.L’Animation essentiellement bénévole ou mili-tante, apparaît dans les années soixante en milieuurbain et connaît un essor parallèle dans les zo-nes rurales. Ainsi, l’Éducation populaire trouveson inscription naturelle dans les banlieues desvilles à travers les actions d’alphabétisation et deconscientisation en direction des classes ouvriè-res. À la même époque, apparaît une volonté dedémocratiser la culture, impulsée par certainesassociations militantes, comme le Mouvement so-cial libanais2 (MSL), qui initient des activitésculturelles de proximité favorisant l’accessibilitéde la culture au plus grand nombre. Par ailleurs,l’animation des loisirs en centres de vacances sedémultiplie (CEMEAL, YMCA, ULCV, etc.), les

1 Micheline Saad est Cheffe du département Animation so-

ciale – École libanaise de formation sociale – UniversitéSaint-Joseph de Beyrouth, LIBAN (couriel :[email protected].).

2 Le Mouvement social libanais, fondée en 1961, est l’unedes premières associations sociales au Liban.

mouvements de jeunes et les bénévoles dans lecadre associatif augmentent considérablement. LeBureau du tourisme des jeunes (BTJ) met en placeles auberges de jeunesse, ainsi que des activitéstouristiques favorisant les rencontres internatio-nales de jeunes dans des chantiers ruraux orien-tés vers les services communautaires (restaura-tion d’un site, installation de canaux d’irrigation,récolte ou vendange, etc.)Parallèlement, suite au rapport de la missionIRFED3 qui met l’accent sur la nécessité d’un dé-veloppement social plus équilibré en faveur deszones périphériques, apparaissent les animateursruraux, dans le cadre de l’Office du développe-ment social (ODS)4, qui ont pour mission la pro-motion sociale, économique et culturelle des ré-gions rurales.Entre 1975 et 1990, le Liban connaît une des guer-res les plus meurtrières de son histoire : déplace-ment forcé à l’intérieur du pays de près d’un cin-quième de sa population et l’émigration de plusd’un quart, le cloisonnement des communautés,déchiquetage du tissu social, destruction del’infrastructure et des services de base, paralysiede l’État5. Cependant, la société civile dans leszones touchées par la violence s’organise poursurvivre, assurant certains services de base (ra-massage d’ordures, nettoyage et aménagementdes abris, secours d’urgence, etc.), initiant des ac-tions collectives de résistance civile à la guerre(activités occupationnelles ou éducatives auprèsdes enfants et des adultes dans les abris, mani-festations pacifistes et anti-confessionnelles, etc.).Ainsi, la croissance du champ de l’Animationn’est pas interrompue durant la guerre, bien aucontraire, les centres sociaux de quartier mobili-sent des réseaux croissants d’animateurs béné-voles en regard du temps libéré « de force ».C’est dans ce contexte que l’Animation sociale etculturelle effectue une mutation vers la profes-sionnalisation. L’École libanaise de formation so-ciale (ELFS) de l’Université Saint-Joseph (USJ)initie alors une formation sur le tas (entre 1987 et1990), afin d’habiliter les acteurs de terrain à faireface à des pratiques d’animation qui se complexi-fient.

3 Rapport de la Mission IRFED au Liban (1960-1961).4 L’Office du développement social, structure interministé-

rielle visant le développement social.5 Rapport de recherche produit sous la direction de Robert

KASPARIAN et André BEAUDOIN, Institut d’études ensciences sociales appliquées, IESSA (1992) La populationdéplacée au Liban : 1975-1987.

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Vers une professionnalisation de l’Animation sociale et culturelle au Libanpar Micheline SAAD

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Passage du bénévolat au professionnalismeL’analyse du phénomène de la professionnalisa-tion de l’Animation, au Liban, comme dans denombreux autres pays, permet de dégager quatredéterminants majeurs qui favorisent cette évolu-tion :§ Un référentiel de compétences spécifiques qui

définit la profession et ses champs de prati-ques ;

§ Une certification des compétences profes-sionnelles acquises à travers des formationsdiplômantes ;

§ Un regroupement professionnel qui oeuvre àla défense des droits, au respect de la déon-tologie, à la promotion et au développementde la profession (Syndicats et associationsprofessionnelles) ;

§ Une reconnaissance de la fonction sociale dela profession à travers des conventions col-lectives et des ministères de tutelle.

Mais comment se réalise cette professionnalisa-tion dans le contexte spécifique du Liban ? Àquelle étape du processus en est-on actuelle-ment ?

Émergence d’un référentiel de compétences pro-fessionnellesGénéralement, une profession se définit par sonhistoire et à travers sa dénomination. Elle seconstruit autour de publics définis, de domainesd’action particuliers et de méthodesd’intervention propres. Ces différents élémentsdéterminent l’identité professionnelle à laquellecorrespond un référentiel de compétences spéci-fiques certifié par des diplômes reconnus offi-ciellement.Au Liban, ce référentiel de la profession Anima-teur s’est progressivement élaboré et précisé àtravers la démarche même de la certification pro-fessionnelle.Ainsi, à partir de 1987, l’ELFS explore ce champde pratiques en entreprenant une étude des be-soins en formation sur le terrain de l’Animation.Elle analyse les programmes de formation exis-tant localement, facilitant le repérage de leurs li-mites. Des voyages d’études en France complè-tent la perspective favorisant les échanges et la ré-flexion avec des partenaires français sur les ré-alités de l’Animation sociale et culturelle dans lesdeux pays. La mise en place de quatre sessionstouchant plus d’une centaine de candidats, dansdifférentes régions du Liban, permet de vérifier et

de fonder la pertinence d’un projet de formationà l’Animation. En décembre 1991, l’évaluationexterne du programme auprès des bénéficiaires,des employeurs et des formateurs qui ont partici-pé aux différentes sessions, identifie une de-mande explicite de reconnaissance sociale à tra-vers un statut professionnel spécifique et unecertification diplômante.À partir de 1994 - 1995, l’ELFS implante une for-mation professionnelle universitaire qui donneaccès à la licence en Animation sociale. Tout aulong de la phase d’implantation, elle maintientdes interactions constantes entre formateurs, per-sonnes en formation et terrains d’action profes-sionnelle pour adapter le programme etl’approche pédagogique aux besoins. Elle chercheconstamment à initier des stages pilotes et à dé-velopper des actions innovantes dans les diffé-rents domaines de l’Animation.De cette dynamique se dégage progressivementun référentiel de compétences qui se précise.L’Animateur se définit comme un travailleur so-cial qui assure essentiellement une fonction depromotion et de prévention. Il favorise les inte-ractions au sein des groupes, des publics ou descommunautés, renforce les liens sociaux et déve-loppe les potentialités collectives, afind’améliorer la qualité de vie et d’assurer unmieux-être. En milieu urbain ou rural, il suscitedes dynamiques de développement à travers desprojets à caractère culturel, éducatif, économique,social ou politique. Il utilise à cet effet une diver-sité d’activités - supports : l’aménagement du ca-dre de vie, la valorisation du patrimoine, la for-mation à la citoyenneté et à la démocratie,l’organisation et la formation de groupes de re-vendication ou de pression, la mise en place pro-jets de micro-économie ou d’économie sociale, ledéveloppement de la vie associative, le dialogueinterculturel, etc.Que l’apparente clarté de ce référentiel ne mas-que pas les difficultés de la réalité ! De fait,l’identité professionnelle reste l’objet d’une cons-truction permanente, tant pour chaque apprenanten formation, que pour le collectif d’animateursprofessionnels dans son interaction avec d’autresprofessionnels ou au cœur de ses pratiques.

D’une formation qualifiante à une formationdiplômanteÀ l’heure actuelle, quatre types de formation àl’Animation existent au Liban :

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§ Une formation qualifiante sur le tas, sans re-connaissance officielle ni certification ;

§ Une formation qualifiante donnant accès à uncertificat délivré par un ministère de tutelle,tel que le projet de BAFA (en cours) qui seraitdélivré par le ministère de la Jeunesse et desSports ;

§ Une formation diplômante donnant accès àun Baccalauréat technique (BT) de moniteur –animateur, dans le cadre du « Training Cen-ter » du ministère des Affaires sociales, di-plôme délivré par le ministère del’Enseignement technique ;

§ Une formation universitaire débouchant surune licence et un master professionnels, queseule actuellement l’ELFS de l’UniversitéSaint Joseph délivre avec la reconnaissancedu ministère de l’Enseignement supérieur.

Si les deux premiers types de formation sont da-vantage qualifiants, touchant surtout les bénévo-les ou les militants du champ de l’Animation, lesdeux dernières préparent les professionnels et lescadres de l’Animation sociale et culturelle.Aussi, la formation universitaire en Animationsociale a pour but de préparer à l’exercice de laprofession dans les différents domaines (forma-tion qui se veut globale et polyvalente). Elle per-met aux étudiants de développer leurs capacitésà :§ Analyser et comprendre l’environnement so-

cial de l’animation ;§ Entrer en interaction dynamique avec les

groupes, les publics et les communautés ;§ Initier, organiser et animer des actions pro-

motionnelles avec des populations en capa-cité ;

§ Participer à l’élaboration et à la promotion depolitiques locales ou nationales propres auchamp de l’Animation.

L’approche pédagogique considère l’étudiantcomme l’acteur principal de son projet de forma-tion. Le processus d’apprentissage vise à renfor-cer l’intégration théorie – pratique, à travers unealternance articulée entre stage et cours.L’enseignement privilégie la méthode et les tech-niques actives.En 1999-2000, la maîtrise en Animation est miseen place pour renforcer la pratique profession-nelle dans une perspective de spécialisation etpour développer la recherche comme instrumentpermettant de faire évoluer les connaissancesdans le domaine.

État des lieux de la reconnaissance sociale de laprofessionLa profession d’Animateur, relativement jeune auLiban, reste encore peu connue par les instancesconcernées et par le grand public. Actuellement,le département Animation sociale de l’ELFS est àsa 9e promotion en formation et plus de 40 ani-mateurs professionnels diplômés activent sur leterrain. Une enquête est en cours pour préciserles champs et les lieux d’exercice professionnel,les publics visés, les conditions de travail desanimateurs, etc. Cependant, on peut déjà consta-ter que peu d’organismes sociaux ou de structu-res socioculturelles mesurent l’importanced’engager des animateurs professionnels. Le re-cours aux bénévoles reste la pratique dominanteet l’expérience est toujours très valorisée àl’embauche. La crise économique semble freiner,du moins ralentir, le développement profession-nel de ce champ, qui reste perçu comme« superflu » par rapport aux autres formesd’intervention sociale ou éducative.À partir de 2001, la préoccupation de reconnais-sance et de valorisation sociale de la professions’amplifie chez les animateurs débouchant sur laconstitution d’un comité fondateur du syndicatde la profession. Les démarches sont actuelle-ment en cours pour l’obtention de la reconnais-sance de ce regroupement professionnel par leministère du Travail au Liban. Le syndicat de laprofession Animateur aurait un rôle primordial àjouer dans la défense des droits et de la déontolo-gie professionnelle, dans la promotion etl’évolution de la profession. Son action toucheraitles instances publiques concernées pour consoli-der la reconnaissance sociale obtenue à traversdes conventions collectives.Si la définition de la profession se précise pro-gressivement, que la certification par des diplô-mes est acquise et que la fondation d’un syndicatde la profession profile dans un avenir proche, iln’en demeure pas moins, qu’il reste encore beau-coup à faire pour la reconnaissance et le dévelop-pement de la profession au Liban.

Perspectives prometteuses d’évolution etd’expansionBien que le recours aux professionnels reste ti-mide, on assiste, à l’heure actuelle, à une expan-sion du bénévolat et du militantisme dans lechamp de l’Animation : adhésion grandissanteaux mouvements de jeunes, développement del’apostolat des laïcs, accroissement du nombre

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Vers une professionnalisation de l’Animation sociale et culturelle au Libanpar Micheline SAAD

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d’associations qui militent en faveur des droitshumains ou de la démocratie, de la protection del’environnement ou de la valorisation du patri-moine. Le recours aux animateurs professionnels,dans ce cadre, se fait surtout pour la formation etl’encadrement des réseaux de bénévoles, et pourl’organisation de groupes de revendication ou depression en faveur d’une cause.Par ailleurs, les écoles publiques et privées, té-moignant d’un intérêt réel pour le développe-ment global des jeunes, favorisent la création declubs écologiques, de programmes pourl’éducation à la santé ou à la citoyenneté, etc.dans le cadre scolaire. Les universités, également,participent de cette dynamique à travers les ami-cales et les mutuelles estudiantines.Avec la réactivation de la participation citoyenne,les municipalités présentent actuellement un ca-dre privilégié pour mener des projets collectifsd’Animation dans une approche intégrale et inté-grée, visant le développement local global.De même, les structures socioculturelles (loisirssportifs, activités de plein air, actions culturelleset touristiques) se démultiplient tant dans le sec-teur public (réseau national de centres locauxd’animation socioculturelle – CLAC – et de bi-bliothèques municipales, etc.) que dans le secteurprivé (clubs, centres ou agences de loisirs et detourisme) ou dans le secteur associatif. Cette ex-pansion structurelle s’accompagne d’une diversi-fication des formes d’expression artistiques etculturelles utilisées sollicitant davantage de spé-cialisation et de technicité professionnelles : ate-liers d’écriture, théâtre de l’opprimé ou théâtreforum, spectacles de rue, activités sportives et deplein air orientées vers la valorisation du patri-moine, l’écotourisme.Des domaines de plus en plus variés sont investispar l’Animation. Ainsi, apparaissent certainesinitiatives, encore rares il est vrai, dans le do-maine sociopolitique (formation et organisationdes syndicalistes) ou économique (économie so-ciale, tourisme solidaire).Dans le contexte d’après-guerre, on constate queles réponses apportées aux problèmes compor-tent une indispensable dimension de recomposi-tion du lien social, un travail de remaillage de lasociété civile et une nouvelle intégration de la di-versité confessionnelle et culturelle. Cette préoc-cupation majeure se traduit par le développe-ment d’une Animation de type médiation, favori-sant le dialogue interculturel, surtout, dans le ca-dre du retour des populations ayant subi des dé-

placements forcés à l’intérieur du pays, maiségalement, auprès des jeunes qui ont grandi du-rant la guerre et n’ont connu que les conflits in-tercommunautaires.Si les domaines potentiels, où l’Animation pro-fessionnelle peut exercer et se développer, dessi-nent des perspectives prometteuses, c’est effecti-vement dans l’investissement de ces pistes par lesanimateurs qui apportent une plus-value profes-sionnelle, laquelle ouvrira la voie à une recon-naissance sociale accrue.En parallèle, l’action du syndicat des Animateursen direction des pouvoirs publics reste indispen-sable, afin de promouvoir des conventions col-lectives en faveur de la profession et de favoriserla création de postes dans la fonction publique.Finalement, c’est parce que le champ del’Animation paraît vaste et ses domaines variésqu’il provoque parfois certains troubles dans laperception de l’identité professionnelle. Parl’analyse des invariants, la visibilité s’accroît et seprécise, pour les acteurs eux-mêmes et, par le faitmême, pour les contextes où ils opèrent. La pro-fessionnalisation est un processus long et difficile,qui permet, cependant, à une profession de resterproche de sa source d’émergence, de sa raisond’être sociale et, surtout, de maintenir en vie ladynamique qui l’anime.

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Rapports de recherche

Expériences novatrices en sen-sibilisation, information etpromotion en santé mentale :rapport de recherchepar Maud BERGERON, Lucie COUILLARD etMarie-Ève OUELLET1

Introduction

Le rapport qui suit présente les résultats d’unerecherche produite par trois étudiantes au bacca-lauréat en Animation et recherche culturelles. Letravail porte sur le thème de la santé mentale. I aété réalisé à partir d’une enquête qualitative me-née pendant les mois d’octobre et de novembre2002 dans le cadre du cours de recherche qualita-tive du programme de baccalauréat en Animationet recherche culturelles. L’étude porte sur des ex-périences novatrices de sensibilisation,d’information et de promotion dans le domainede la santé mentale.

Dans ce document, nous retrouvons les sectionssuivantes. Tout d’abord, la première section in-troduit la méthodologie de recherche utilisée. Ladeuxième partie présente une description de laproblématique. En troisième lieu, on regroupel’information documentaire et les données re-cueillies au cours de l’enquête qualitative. On re-trouve également une analyse de ces donnéessuivie d’une réflexion critique sur les résultats del’enquête et de la recherche ainsi que sur son pro-cessus. Une conclusion résume le travail effectuéet rappelle les éléments clés de cette recherche.

Le projet de recherche

Le thème de travail de session proposé dans leplan du cours de recherche qualitative, les expé-riences dites d’avant-garde dans le domaine dudéveloppement culturel, a plu d’emblée à toutel’équipe. Ainsi, nous désirions que notre projet derecherche porte sur une initiative culturelle liéeau développement social, et l’art, comme moyen

1 Maude BERGERON, Lucie COUILLARD et Marie-Ève

OUELLET sont étudiantes de baccalauréat du programmed’Animation et recherche culturelles.

d’action, nous intéressait. Inspirées par un par-cours in situ à l’hôpital psychiatrique Louis-H.Lafontaine vécu par un membre de l’équipe, puisconstatant le questionnement et l’émotion quesuscitait en nous le thème de la maladie mentale,nous avons décidé de nous pencher sur la sensi-bilisation, l’information et la promotion en santémentale. Plus spécifiquement, nous nous sommesquestionnées sur l’apport que peut avoirl’innovation dans ce domaine.

Méthodologie

Ayant décelé l’existence d’innovations en sensi-bilisation, information et promotion en santémentale, nous nous questionnons sur les raisonsqui poussent certains organismes à faire preuved’audace et d’originalité. Nous cherchons àconnaître leur motivation à accomplir le travailautrement. Ainsi, nous cherchons à dresser unportrait qualitatif de l’apport des expériences no-vatrices en sensibilisation, information et promo-tion de la santé mentale.

L’intérêt de la recherche est de savoir quelle est laprémisse, les valeurs, les constats qui soutiennentle choix de certains acteurs dans le domaine de lasanté mentale d’emprunter des voies novatricespour parvenir à leurs fins. Devrions-nous re-considérer l’orientation des projets de sensibili-sation, d’information et de promotion en santémentale ? Pouvons-nous dégager des notions, desconcepts pertinents pour le développement deprojets de sensibilisation, d’information ou depromotion en santé mentale ?

Dans le cadre de cette recherche, nous avons ré-alisé des entrevues avec différents organismesqui offrent des expériences novatrices en sensibi-lisation, information et promotion en santé men-tale. Ces organismes sont : Farine Orpheline chercheailleurs meilleur, Le collectif d’animation urbaineL’autre Montréal, Folie Culture et Les Impatients.Ces quatre organismes nous semblaient appro-priés pour notre recherche puisqu’ils sont tousintervenus à un moment ou un autre au niveaude la sensibilisation, de l’information et de lapromotion en santé mentale. De plus, nous fai-sions l’hypothèse que leurs interventions faisaientpreuve d’innovation dans leur démarche respec-tive.

Nous avons préparé deux grilles d’entrevue, unepour les organismes et une autre pour les partici-pants, c’est-à-dire les gens qui ont pris part à uneexpérience novatrice dans le domaine de recher-

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Expériences novatrices en sensibilisation, information et promotion en santé mentale : rapport de recherchepar Maud BERGERON, Lucie COUILLARD et Marie-Ève OUELLET

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che. Les thèmes de la santé mentale, del’information, sensibilisation et promotion, desexpériences novatrices et finalement de l’apportde ces expériences ont une égale importance dansles deux questionnaires. Nous avons cependantmis l’accent sur le thème 3 dans notre question-naire destiné aux organismes.

Avant de débuter nos entrevues, nous noussommes assurées de la compréhension de nosquestionnaires. Nous avons donc effectué desentrevues préparatoires ; deux « pré-tests » (unorganisme et un participant) qui nous ont aidés àvérifier la clarté de nos questions et à nous assu-rer que l’information obtenue répondait à nosinterrogations. Ces interventions étaient aussil’occasion de nous préparer à la réalisation desentrevues, en d’autres mots, de vérifier notreconfiance et notre maîtrise du questionnaire.

Nous avons rencontré les intervenants dans leurlieu de travail. Dans le cas de Folie culture, qui estun organisme implanté dans la ville de Québec,l’entrevue s’est déroulée par téléphone. Nosquestionnaires comptent respectivement treize ethuit questions et le temps accordé aux entrevuesa varié entre trente minutes et une heure. Nousavons utilisé un magnétophone lors des entre-vues.

Limites

L’étude est fondée essentiellement sur les don-nées fournies par les personnes rencontrées lorsd’entretiens semi-directifs. L’opinion de ces per-sonnes repose sur un ensemble de variables dontla position qu’elles occupent dans le milieu de lasensibilisation, de l’information et de la promo-tion en santé mentale et leurs expériences de tra-vail.

Cette enquête ne dresse pas un portrait de la si-tuation du Québec en matière d’innovation ensensibilisation, information et promotion en santémentale, mais elle en fait un survol. Elle ne per-met pas de dire que l’un ou l’autre des moyens desensibilisation, d’information et de promotion ensanté mentale est meilleur et ne permet pas deconnaître l’efficacité de ce qui se fait actuellementdans le domaine étudié.

Notre recherche permet, d’une part, de se ques-tionner sur les résultats de certaines expériencesnovatrices sur la société et, d’autre part, elle offredes possibilités d’ouverture à des réflexions surl’importance de telles expériences (devrait-il y enavoir davantage ?) et sur des suites possibles en

ce qui a trait à la sensibilisation, à l’information età la promotion en santé mentale. Nous espéronsque les interrogations et les réflexions se ferontégalement du côté des personnes que nous avonsinterviewées.

Problématique

Présentons d’abord dans quel contexte se situentles expériences novatrices en sensibilisation, in-formation et sensibilisation en santé mentale surlesquelles nous nous interrogeons.

La problématique de la maladie mentale est uni-verselle : « Les troubles mentaux sont présentspartout dans toutes les régions du monde et danstous les pays, indépendamment de leur niveaud’industrialisation. Riches, pauvres, hommes,femmes, enfants, communautés urbaines ou ru-rales : aucun groupe n’est à l’abri de troublesmentaux. 1 » Ce n’est donc pas un phénomènesingulier, d’autant plus que les problèmes desanté mentale sont très fréquents. Précisions que« dans les sociétés occidentalisées, ces troubles sesitueraient au 2e rang sur le plan du fardeau de lamaladie, juste après les maladies cardio-vasculaires et devant les diverses formes de can-cer. 2 » Selon les données de la planification stra-tégique 2002-2007 de l’Hôpital Louis-H. Lafon-taine, « plus d’une personne sur quatre a ou auraun ou plusieurs troubles mentaux au cours de savie. Une famille sur quatre sera donc touchée. 3 »

Cette ampleur pourrait surprendre, peut-être celaest-il dû au fait que, souvent, la maladie est asso-ciée aux « troubles mentaux graves et persistantstroubles psychotiques, troubles anxio-dépressifssévères, problèmes liés aux toxicomanies, etc. 4 »Ces troubles touchent de 1 % à 3 % de la popula-tion. Cependant, « les troubles les plus fréquentssont les troubles anxieux, les troubles dépressifset les problèmes d’abus de substances. À elleseule, la dépression majeure touche près de 5 %de la population.5 » Il est vrai que la maladiementale est une question de santé complexe etvaste et que sa méconnaissance la rend subtile.Ainsi, même si nous pouvons dire que tout le

1 Planification stratégique 2002-2007, p.14.2 . Direction de la santé publique, Régie régionale de la santé

et des services sociaux de Montréal-Centre, Rapport an-nuel 2001, p. 6.

3 Planification stratégique 2002-2007, p. 14.4 Ibid., p. 14.5 Ibid., p. 14.

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monde connaît quelqu’un qui est affecté d’unproblème de santé mentale, les problèmes sontsouvent occultés. Toujours selon la dernière pla-nification stratégique de l’Hôpital Louis-H. La-fontaine la majorité des personnes souffrant detroubles mentaux — dans les pays développés —ne consultent pas1. Pourtant, les traitements de-viennent plus efficaces et plusieurs possibilitéss’offrent aux personnes souffrantes pour amélio-rer leur qualité de vie. Il semble donc qu’il y aitun manque d’information et de sensibilisation àce sujet.

Depuis quelques années, une nouvelle conceptionde la santé mentale a fait sa place. D’une défini-tion axée sur l’individu et ses caractéristiquespersonnelles, la santé mentale est aujourd’huicomprise en tenant compte des interactions entrel’individu et son environnement social, culturel,économique ou politique ; dans une perspectiveplus communautaire. Cependant, précisonsqu’aucune définition n’est universellement re-connue. Elles sont influencées par les travaux enscience sociale, en médecine et par des mouve-ments sociaux. « Chacune de ces définitions com-porte ses propres nuances, lesquelles influent àleur tour sur les perspectives de développementdes services, notamment à ce qui a trait à la pré-vention et à la promotion2. »

Voilà pourquoi la population doit être sensibili-sée à la question de la santé mentale. La problé-matique est présente, les troubles mentaux, fré-quents. La population doit connaîtrel’avancement de la science, tant au niveau médi-cal qu’au niveau social. Une vision nouvelle doitêtre partagée.

La problématique de la santé mentale ne date pasd’hier. Au Québec, par le passé, les familles pre-naient soin des personnes « idiotes » ou lesconfiaient aux religieuses. Ce sont elles qui rece-vaient également, entre 1873 et 1962, les indivi-dus désignés par le gouvernement. Aujourd’hui,on intervient auprès des personnes et avec leconsentement des personnes atteintes de troublesmentaux.

Question de recherche

Après réflexions et discussions, la question de re-cherche a été posée comme suit : quel est l’apportdes expériences novatrices en sensibilisation, informa-

1 Ibid., p. 15.2 Blanchette et Laurendeau, 1992, p. 5.

tion et promotion en santé mentale ? Au départ,nous voulions connaître l’efficacité de ces prati-ques différentes. Nous avons constaté que cettequête du rendement et de l’effet serait d’une tropgrande complexité. Une « recherche d’efficacitédoit prendre en considération minimalementdeux composantes essentielles, soit les résultatsobservables et les résultats ressentis. Les résultatsobservables réfèrent à un ensemble d’indicateurs,de mesures objectives qui permettent de vérifierle niveau d’atteinte des objectifs poursuivis. Lesrésultats ressentis réfèrent à la façon dont les per-sonnes apprécient l’impact de la mesure3 ». Nousavons donc changé notre question de rechercheen remplaçant efficacité par apport. Notre travailétant une recherche qualitative, nous cherchonsdonc l’obtention de résultats ressentis.

Les réponses obtenues sont de l’ordre des opi-nions et dépendent essentiellement de ce que lespersonnes interrogées entendent par expériencesnovatrices. L’efficacité est une donnée difficile àobtenir dans le cadre restreint de notre recherche.Son ampleur nous incite donc, plus simplement, ànous questionner afin de savoir si l’innovation estsouhaitable. En cherchant à connaître les raisonset les effets des expériences novatrices en sensibi-lisation, information et promotion de la santémentale, nous voulons mieux comprendre sonutilité, son intérêt, bref : son apport.

Notre enquête nous permettra de comprendremieux la vision qu’ont certains organismes et in-dividus de la santé mentale et les préjugés ou laconnaissance/méconnaissance qu’ils pourraientavoir à ce sujet. Nous avons le sentiment, selonnotre connaissance intuitive et nos constatations,que la santé mentale et ses diverses problémati-ques pourraient être mieux comprises en rappro-chant les citoyens et les gens du milieu, en leurfaisant vivre des expériences différentes, émou-vantes. Notre enquête nous permettra de vérifiernos hypothèses.

Données découlant de l’enquête qualitative

Dans la partie qui suit, nous présenterons lesdonnées découlant des entrevues. Étant donnéque nous avons deux différentes grilles, il va desoi de présenter en premier lieu les données desparticipants et par la suite les données des orga-nismes. Afin de regrouper les réponses à nos dif-férentes questions, nous avons élaboré des ta-

3 Paquet, 1994, p. 37.

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bleaux qui nous permettaient de schématiser à lafois les thèmes, les questions, les réponses ainsique les participants et les organismes. Ces ta-bleaux se retrouvent en annexe I (tableaux desenquêtes entrevues.)

Des entrevues ont également été réalisées avecdes gens qui ont vécu des expériences novatricesen sensibilisation, information et promotion ensanté mentale. Nous trouvions intéressant depouvoir analyser les deux côtés de la médaille,nous ne voulions pas seulement le point de vuedes organisateurs. Ainsi, nous espérions uneanalyse plus complète de notre recherche et denotre questionnement.

Le premier thème de la grille est la santé mentale.La première question que nous avons posée auxparticipants était de définir la santé mentale. Leparticipant 1 répond que c’est une questiond’équilibre, de rationalité et d’autonomie tandisque le participant 2 affirme simplement que c’estun état de bien-être physique et psychologique.La deuxième question du premier thème portesur les besoins au Québec en sensibilisation, in-formation et promotion en santé mentale. Le par-ticipant 1 dit qu’il n’existe pas assezd’information sur la santé mentale au Québec,qu’on ne connaît pas les maladies mentales etcomment les personnes qui en sont atteintes vi-vent. Il dit aussi que nous devrions avoir del’information sur les ressources gratuites quiexistent pour aller chercher de l’aide. Le partici-pant 2 quant à lui pense qu’il y a un gros manquede sensibilisation dans la société québécoise etque l’on devrait faire disparaître les tabous.

Le thème deux se nomme : sensibilisation, infor-mation, promotion. Tout d’abord, nous avonsdemandé aux participants de nommer une expé-rience novatrice qu’ils trouvaient réussie etd’expliquer pourquoi, selon eux, c’était novateur.Le participant 1 a répondu que le parcours in situorganisé par le collectif d’artistes Farine OrphelineCherche Ailleurs Meilleur dans une aile désaffectéede l’hôpital psychiatrique Louis-H.-Lafontaine enétait une, car elle permettait de mettre les gens encontact avec des personnes souffrant de maladiesmentales. Le participant 2 mentionne égalementl’activité de Farine orpheline et dit que ça initie lesgens aux maladies et que le contexte artistiqueamène une ouverture, de la confiance et qu’il en-lève l’élément de peur. La deuxième personneinterrogée nous parle aussi d’un spectacle pré-senté au Centre Molson par des humoristes et qui

s’intitulait « Y sont pas plus fous que nous au-tres ». Selon lui, c’est novateur d’utiliserl’humour pour parler de santé mentale.

La deuxième question de ce thème est la sui-vante : qu’attendez-vous en terme de sensibilisa-tion, information et promotion en santé mentale ?Le participant 1 a répondu que l’on doit aider lesgens qui en ont besoin avec des services gratuitsdans un esprit de solidarité. Le deuxième partici-pant aimerait que plus de gens connus en parlent.

Le thème 3 porte sur les expériences novatrices etla série de questions qui s’y réfère est la suivante :Croyez-vous qu’il se fait de l’innovation en sensi-bilisation, information et promotion en santémentale ? (Voyez-vous fréquemment del’innovation dans ce domaine ?) Devrait-il s’enfaire davantage ? Pourquoi ?

Le premier participant a répondu parl’affirmative à la première question et il dit qu’ilne voit pas fréquemment de l’innovation dans ledomaine de la sensibilisation, information etpromotion en santé mentale. Il dit quel’originalité, l’innovation pourrait accrocher lesgens davantage. Le deuxième quant à lui affirmequ’il devrait s’en faire plus, car on n’entend pasparler de la santé mentale et de ses différentesapproches « promotionnelles ».

Le quatrième et dernier thème est l’« évaluationet l’impact ». Nous avons demandé aux deux per-sonnes ayant participé à des activités novatricesen sensibilisation, information et promotion ensanté mentale s’ils croyaient que cette approcheest plus susceptible d’atteindre efficacement lepublic et pourquoi ? Le participant 1 a répondu :« Oui, pour que tout le monde se sente concer-né. » Selon lui, c’est primordial d’aller plus loin,de vivre des expériences qui vont susciter desémotions. Le participant 2 a également répondupar l’affirmative et il a donné comme raison que« ça allège le climat ».

La dernière question destinée aux participants estla suivante : qu’avez-vous retiré de vos expérien-ces de sensibilisation, information, promotion ensanté mentale ? Le participant 1 a réalisé que lesmaladies mentales, « c’est tabou pis pas à peuprès ! » Il affirme également que les personnesavec des troubles mentaux sont très intelligenteset ont beaucoup de choses à dire. Il a apprécié sonexpérience unique et confrontant, même s’il s’estsenti inconfortable par moment. Le participant 2parle d’un apport important que les « annonces »pourraient apporter afin de conscientiser la po-

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pulation même s’il trouve un côté négatif à la pu-blicité. « Il faut que les gens le vivent, qu’ils par-lent avec les gens ».

Maintenant, voici les données découlant des en-trevues réalisées auprès de quatre organismesagissant en information, sensibilisation et pro-motion en santé mentale. Les organismes sont lessuivants : Farine Orpheline cherche ailleursmeilleur, L’Autre Montréal, Folie Culture, LesImpatients.

Pour la description des données recueillies, nousprésenterons les organismes par les chiffres pré-sentés plus haut. Tout comme les entrevues réali-sées avec les participants, la grille d’observationcomporte quatre thèmes principaux et pour cha-cun de ces thèmes nous avons présenté différen-tes questions.

Le premier thème de l’enquête concerne la santémentale. La première question de ce thème de-mandait aux intervenants pourquoi ils avaientdécidé d’intervenir en santé mentale. Les orga-nismes ont unanimement répondu : par intérêt.Pour enchérir sur la réponse, le premier orga-nisme à répondu qu’ils avaient agi dans ce milieuà la demande de l’hôpital Louis-H Lafontaine. Enoutre, l’organisme 2 a également agi suite à lademande de l’organisme Action Autonomie.

La deuxième question demandait aux répondantsde définir la santé mentale. Les réponses à cesquestions ont été similaires pour deux organis-mes. Les deuxième et quatrième organismes ontrépondu que la santé mentale était la capacité des’adapter à son milieu. Dans le même ordred’idées, le premier organisme présentait la santémentale parlant du fait ne plus être fonctionneldans la société. Finalement, le troisième orga-nisme a mentionné que la santé mentale étaitplutôt le bien-être mental.

La troisième question de ce thème interrogeait lesparticipants par rapport aux besoins en santémentale. Les premier et deuxième organismes ontaffirmé que les besoins en santé mentale étaientceux d’être accepté et de reconquérir une identité.De plus, pour les deuxième, troisième et qua-trième organismes, ils mentionnaient un grandbesoin en ce qui a trait l’information et la sensibi-lisation. De plus, le troisième organisme affirmequ’il a un manque dans l’innovation des appro-ches en information en santé mentale.

Le deuxième thème de cette enquête s’attarde à lasensibilisation, à l’information et à la promotion.

Trois questions ont été posées aux organismes. Lapremière question posée tant à connaître les rai-sons de faire de la sensibilisation, del’information et de la promotion. Pour le premierorganisme, il s’agissait d’une conséquence à leurprojet. Au départ, il n’avait pas l’idée de faire del’information, de la sensibilisation ou de la pro-motion. Pour le deuxième organisme, leur projetétait né d’une demande du groupe Action Auto-nomie et puis, faire ce travail permettait de par-tager une analyse sociale avec les visiteurs et demettre en lumière des problématiques sociales. Letroisième organisme mentionnait quel’information, la sensibilisation et la promotionpermettaient de faire tomber les préjugés. Fina-lement, le quatrième organisme affirmait que sesactions permettaient de redonner confiance auxpersonnes souffrant de problèmes en santé men-tale.

La deuxième question de ce thème servait àconnaître leurs expériences en information, ensensibilisation et en promotion en santé mentale.L’organisme 1 a énoncé son projet nommé « Lanef des fous » qui consiste en un itinéraire en ba-teau où des entrevues étaient passées de façontrès spéciale et informelle aux différents pointsd’arrêts. Le deuxième organisme, quant à lui, faitpart de la visite guidée qu’il offre. Il s’agit deconférences qu’il fait sur place, il parle del’histoire, c’est l’équivalent d’un documentaire.Le troisième organisme mentionne des deux fes-tivals de Folie Culture qui ont eu lieu entre 1984et 1987 dans la ville de Québec. Finalement, lequatrième organisme présente « parle-moid’amour » qui est une rencontre entre un profes-sionnel (psychiatre ou artiste) et les personnesayant des troubles en santé mentale.

Pour conclure ce troisième thème, nous avonsdemandé aux organismes quels étaient les publicscibles. Pour le premier organisme, il s’adresse auxgens qui vivent dans le milieu où ils exposent etles gens qui fréquentent rarement les musées. Ledeuxième organisme d’adresse particulièrementaux psychiatrisés et aux intervenants en santémentale. Les troisième et quatrième organismess’adressent au grand public aussi éclaté soit-il.

Le troisième thème de cette recherche se nommeles expériences novatrices. Ce thème est beau-coup plus vaste que les trois autres puisque nousavons posé cinq questions. Comme premièrequestion nous leur avons demandé s’ils croientque leur organisme fait preuve d’innovation. Les

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Expériences novatrices en sensibilisation, information et promotion en santé mentale : rapport de recherchepar Maud BERGERON, Lucie COUILLARD et Marie-Ève OUELLET

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quatre organismes affirment qu’ils font del’innovation à leur manière et c’est dans la diffé-rence qu’ils deviennent novateurs. Le premier or-ganisme à répondu d’emblée : oui, puisqu’ils« offraient » publiquement l’hôpital Louis-H La-fontaine et ses patients. Le deuxième organismeaffirme que l’outil culturel qu’il utilise ne s’estencore jamais fait. Le troisième organisme utilisedes arts, fusionne les artistes et les gens ayant desproblèmes en santé mentale. Tandis que le qua-trième organisme se dit avoir une approche hu-maniste et il n’oublie jamais qu’il travaille, avanttout, pour les gens qui ont des problèmes ensanté mentale. De plus, il réalise une collectionpermanente qui peut servir à des fins d’études.

Lors de la deuxième question, nous cherchions àsavoir comment les organismes définissaientl’innovation en sensibilisation, information etpromotion. Pour le premier organismel’innovation, c’est de faire venir des gens dans unmilieu qu’ils n’ont pas l’habitude d’être. En ce quia trait au deuxième organisme celui-ci, affirmequ’il s’agit d’informer, mais c’est difficile à dire.Pour le troisième organisme, il avance quel’innovation, c’est de parler de la santé mentaleavec de l’humour et de la dérision. Finalement,pour le quatrième organisme, l’innovation seraitde retourner aux valeurs et ne pas se faire avoirpar la récupération.

En ce qui concerne la troisième question, nousavons demandé aux intervenants s’ils croientqu’il se de l’innovation en santé mentale. Lespremier et troisième organismes ne peuvent af-firmer qu’il y a de l’innovation en sensibilisation,information et promotion en santé mentale. Parcontre, les deuxième et quatrième organismescroient retrouver de l’innovation dans les émis-sions de télévision (les émissions d’intérêts pu-blics).

La quatrième question proposée aux répondantsétait de nommer une expérience novatrice en sen-sibilisation, information et promotion en santémentale. Le premier organisme interrogé offrecomme exemple le film la Devinière. À l’instar del’organisme précédent, le deuxième organismepropose un documentaire, il s’agit du film Legrand Monde réalisé par Marcel Simard. Le troi-sième organisme présente comme exemple uneœuvre de leur cru soit : le Petit dictionnaire desidées reçues sur la folie. Quant au quatrième orga-nisme, il fait mention d’une ville où le taux dechômage est de 98 % et où les gens ont trouvé

une solution et ils travaillent en collaboration afinde passer à travers ce mauvais temps.

La cinquième et dernière question nous permetde connaître quelle serait l’expérience novatricedans une situation idéale. À cette question lepremier organisme à répondu qu’il aimerait bienavoir des gens beaucoup plus disponibles et aussisi s’était possible, être dans la peau de d’une per-sonne ayant des problèmes en santé mentalependant quelque temps. Le deuxième organismesouhaiterait des outils qui amèneraient des ré-flexions, des informations solides, rigoureuses,complètes et complexes avec un côté émotif etsensible, et surtout avec une diffusion de masse.Pour le troisième organisme, il s’agirait de refaireun deuxième dictionnaire et installer des affiches-créations dans les salles d’attente des médecins.Finalement, pour le quatrième organisme il s’agitd’une collaboration entre tous pour pouvoir re-donner le pouvoir aux gens qui ont des problè-mes de santé mentale.

Le tout dernier thème de notre enquête touchel’évaluation et l’impact des expériences novatri-ces en sensibilisation, information et promotionen santé mentale. Le dernier thème est composéde deux questions. La première question tente deconnaître comment le public réagit aux expérien-ces novatrices. Le premier organisme admet qu’ily a toutes sortes de réactions, des gens choquésou bien très réceptifs. Les deuxième et quatrièmeorganismes soutiennent que le public reçoit trèsbien l’expérience même s’il remarque beaucoupd’émotions fortes chez eux. Les gens n’en tien-nent pas rigueur. En ce qui concerne le troisièmeorganisme, le public reçoit bien les expériencesmais certains (les intervenants) croient qu’ils sontfous !

En ce qui a trait à la dernière question, nous ten-tions de connaître l’apport des expériences inno-vatrices en sensibilisation, information et promo-tion en santé mentale. Le premier organisme af-firme que réaliser des expériences novatricespermet de surprendre et de dire à haute voix cequi est tabou. Le second organisme présentel’apport au niveau de l’intégration del’information, il s’agit d’une analyse sociale. Letroisième organisme mentionne que les expérien-ces novatrices peuvent poser la question de lasanté mentale autrement, permettent de changerles mentalités. Finalement, pour le quatrième or-ganisme l’apport des expériences novatrices c’estde permettre aux patients d’être heureux.

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Traitement et analyse

Voyons d’abord la synthèse du thème de la santémentale.

Si les instruments de contrôle social qu’étaient lesasiles n’existent plus, reste que les normes et,malheureusement, beaucoup de préjugés formentun poids énorme sur les personnes atteintes detrouble mental. En lien avec les questions que seposaient le collectif d’artiste Farine orphelinequant aux normes de la société qui nous ferontdire qu’un individu n’est pas adapté à son envi-ronnement – signe de mauvaise santé mentale leplus souvent mentionné par les personnes inter-viewées, avec le bien-être, comme signe positif—, citons le Rapport annuel 2001 sur la santé dela population : « La santé mentale est liée tant auxvaleurs collectives d’un milieu donné qu’aux va-leurs propres à chacun1« Si, pour cette raison ilest difficile de cerner les « écarts » à la bonnesanté mentale, ce n’est pas sans complexifier lamise en œuvre des programmes de promotion dela santé mentale. Cependant, tel qu’on peut lelire, à nouveau dans le rapport du MSSS ce tra-vail de promotion « n’est en pas moins fonda-mental, ce qui exige d’aller de l’avant pour proté-ger [la santé mentale]et pour créer un maximumde conditions favorables à son développement2 ».

D’ailleurs, tous, les organismes et les participants,s’entendent pour dire qu’il y a des besoins noncomblés en sensibilisation, information et pro-motion. Il est important d’informer la collectivité :un participant parlait du besoin d’informationquant aux traitements et au vécu des gens ayantdes troubles mentaux. Un organisme avançaitqu’il y a un besoin d’informer la population ausujet de l’influence de facteurs sociaux comme lapauvreté et l’organisation du travail et au sujetdes droits et de la citoyenneté. Nos lecturesn’étaient très précises quant aux luttes des per-sonnes vivant avec des problèmes de santé men-tale. Plusieurs documents en ont cependant faitmention. On retient l’idée de la citoyenneté : depersonne à charge au pouvoir et à la responsabi-lité de prendre sa vie et sa santé en main. Laquestion des droits en est aussi une où il fautfaire face à des préjugés. : « L’usager est une per-sonne à part entière qui a le pouvoir d’accepterou non tel ou tel traitement. Il revendique d’être

1 Direction de la santé publique, Régie régionale de la santé

et des services sociaux de Montréal-Centre, 2001, p. 12.2 Ibid. p. 12.

traité comme un citoyen atteint d’une maladie etnon comme un être stigmatisé par un diagnosticde maladie3 ».

Il est question dans les réponses des interviewésde tabous et de préjugés : source de peur qu’ilfaut combattre. Ce le besoin qui est revenu le plusfréquemment au cours de nos lectures.

Voici le constat que fait l’Hôpital Louis-H. La-fontaine à ce propos : « Si l’année 2001 a été dé-terminante par la richesse de la réflexion qui a eucours relativement à la santé mentale, la percep-tion négative et les tabous qui entourent les ma-ladies mentales dans la société (surtout lorsquecomparées à des maladies physiques considéréescomme « nobles ») constituent un obstacle detaille aux efforts déployés même si les nouveauxtraitements sont aussi efficaces que pour la méde-cine physique4 ».

Le document Santé mentale, prévention et groupescommunautaires : de la vertu à la rue nous a amenébeaucoup d’information en lien avec les préjugéset les tabous. Il s’agit de la présentation des ré-sultats d’une recherche sur les pratiques de pré-vention des groupes communautaires en santémentale. Présente chez les organismes que nousavons interviewés et chez les répondants de cetterecherche, la question des préjugés et des tabousest vraisemblablement une préoccupation im-portante des organismes communautaires.

Avant de citer quelques exemples de propos rap-portés dans la recherche en question, voici unextrait de la conclusion, qui illustre et résumebien la situation. « Demandez autour de vous : Çava la santé mentale ? Vous comprendrez vite quevous touchez là à quelque chose de tabou. Ques-tionner la maladie mentale c’est s’ouvrir à la ma-ladie mentale. Et, comme la maladie mentale estassociée à la folie, on s’empresse de fermer laporte. Avec tous les mythes relatifs à la maladiementale, on comprend : les personnes atteintes demaladie mentale seraient déficientes, irresponsa-bles, dangereuses, voire contagieuses5 ».

Voici les extraits découlant des entrevues auprèsdes trois organismes présents au focus-group :

3 Planification stratégique 2002-2007, juin 2002, p.32.4 Ibid. p. 32.5 Paradis, janvier 1995, p. 20.

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Expériences novatrices en sensibilisation, information et promotion en santé mentale : rapport de recherchepar Maud BERGERON, Lucie COUILLARD et Marie-Ève OUELLET

Cahiers de l’action culturelle, Vol. 2, no 1 29

« … il y a un préjugé sur la maladie mentale. On est mal àl’aise avec ça. On n’a pas honte de dire : j’ai un cancer. Maison a peur de dire qu’on a une maladie mentale1 ».

« … ce serait de voir d’où part le tabou. D’où part toute cettefermeture face à la maladie mentale ? Travailler sur cettefermeture, la harceler jusqu’à ce que ce soit assez ouvert. Çapasse par l’information sur les maladies qui font le plus peur.Car ce sont beaucoup les préjugés qui font mal. S’il y a delourds préjugés sur la maladie mentale autour de toi, tu vasessayer de fuir au maximum avant de faire quelque chosepour te prendre en main2 ».

« On doit vivre avec la maladie mentale. C’est une situationde fait. Et, plus on est éduqué sur ce sujet, plus on val’accepter et plus la personne ayant un trouble mental vaavoir une meilleure perception d’elle-même3 ».

Un grand besoin d’information et d’éducationdonc : beaucoup de travail à faire. Lors de nosentrevues, un autre besoin est ressorti : un man-que d’innovation en information. Effectivement,nous croyons que ce serait pertinent de créer dela nouveauté pour relever le grand défi quecommande la présence encore trop importantedes préjugées et des tabous en santé mentale.

Sensibilisation, information et promotion

Pour Farine orpheline, la sensibilisation étaitplutôt une heureuse et probable conséquence àleur projet. Cependant, le but premier de celui-ciest surtout de faire une exploration artistique,une réflexion présentée au public. Tant mieux sisensibilisation il y a. Pour L’autre Montréal, quiintervient en santé mentale à la demande d’unautre organisme, il s’agit en fait d’un service of-fert à tout groupe ; le collectif d’animation permetde partager une analyse sociale, il est en quelquesorte un outil pour des groupes. L’autre Montréaldéfinit surtout son action comme de l’éducationpopulaire.

Revient ici la question de la terminologie. Peut-être que les organismes tendent à utiliser d’autrestermes (éducation populaire, entraide, préven-tion) que nous n’avions pas inclus à notre ques-tionnaire. Nous croyons que bien souvent les or-ganismes ont une portée quant à la sensibilisa-tion, à la promotion et à promotion, mais cela nefait pas parti explicitement de leur mandat. C’estune tâche souvent attribuée aux organismescommunautaires d’après les documents consultéspour notre recherche. Une réflexion mérite d’être

1 Ibid. p. 5.2 Ibid. p. 16.3 Ibid. p. 25.

faite quant à la définition de ce mandat — quel’on pourrait résumer dans le terme sensibilisa-tion ? — et ses possibilités d’action, qui influenceles données quant au nombre d’organismes yoeuvrant.

Expériences novatrices

Les données que nous avons recueillies à l’aidedes entrevues nous confirment de la pertinencedes expériences novatrices en sensibilisation, in-formation et en promotion en santé mentale. Lesorganismes affirment qu’ils font preuved’innovation, par l’art, l’humour, le lieu parexemple et les participants appuient cette façonde faire. Ils vantent tous l’innovation qui attire etrassemble les gens, qui transmet l’informationplus facilement et de façon intéressante, diffé-rente, humaine, nouvelle.

Pour ce qui est la littérature, ce fut plus difficilede trouver de l’information. Lorsqu’il est ques-tion de l’importance d’innover, le domaine précisd’activité n’est pas toujours spécifié. Il nous estcependant permis de supposer que la sensibilisa-tion, l’information et la promotion sont inclusesdans les souhaits de nouveauté. Voici un exemplede l’information que nous avons pu trouver : « …il me semble que tous ceux qui ont à cœur lesproblèmes individuels et collectifs de santé men-tale ont la responsabilité d’en arriver à desconsensus dont le but doit être de mieux se com-prendre entre eux, de mieux comprendrel’expérience de la folie, de favoriser les innova-tions, de mieux intervenir sur le terrain et demieux soutenir politiquement leur cause4 ».

Les personnes interrogées nous donnent desexemples d’expériences novatrices réalisées auQuébec, mais nous constatons que la liste n’estpas bien longue. Elles parlent surtout de docu-mentaires, mais aussi d’un spectacle et d’une ex-périence in situ. Suite à une autre question, laplupart des personnes interrogées affirment qu’iln’existe pas d’innovation dans le domaine étudié,sauf deux organismes qui mentionnent que l’onen retrouve un peu à la télévision. Il serait inno-vateur d’aborder le sujet à travers un mode detransmission qui rejoint beaucoup de monde,alors que la maladie mentale est encore tabou. Deplus, le sujet est développé différemment.

Dans une situation idéale, la question de la diffu-sion massive revient. L’idée du vécu est aussi

4 Paradis, 1996, p. 33.

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Section « Rapports de recherche »

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présente à ce niveau : un participant souhaite queles personnalités connues parlent de leur propreexpérience de la santé/maladie mentale. Nousavons aussi trouvé ce vœu dans nos lectures. Ils’agit en fait du commentaire d’un organisme lorsdu « focus-group » dont nous avons parlé précé-demment : « Mon rêve, ce serait que Jean-LucMongrain fasse une petite dépression et qu’il enparle. Je pense à tous ceux qui l’écoutent. Quelimpact de sensibilisation ça aurait ? Bien sûr, onserait là pour l’aider à s’en remettre1 ».

L’innovation en sensibilisation, information etpromotion en santé mentale devrait être organi-sée par des groupes communautaires avec debons moyens financiers et ainsi plus de tempspourrait être consacré à des activités. Une situa-tion idéale souhaitée depuis longtemps pourtant !Nous avons présenté plus tôt dans ce travail lesintentions du gouvernement de décentraliser etdiversifier les offres de services en santé mentale.Espérons que le financement dans les années fu-tures ne se concentrera pas que sur les hôpitaux.

Toujours dans une situation idéale, les organis-mes souhaiteraient des projets avec un côté émo-tif et sensible, une approche humaniste. Ils per-mettraient aux gens non seulement de participerà une activité mais de vivre des expériences, quiinformeraient et seraient accrocheuses. Dans lecahier souvenir du 20e anniversaire de la revueSanté mentale au Québec, nous avons trouvétexte qui abordait cette conception de l’approcheà avoir dans le domaine de la santé mentale : « …dans ce domaine, trop de savoir obscurcit la pen-sée, trop d’informations peut détourner d’uneconnaissance vraie, […] dans toutes les cultures,la folie et les problèmes émotionnels question-nent, interrogent, dérangent et il est essentiel,lorsque l’on veut en traiter et les traiter, de pou-voir se déstabiliser, remettre en cause, toucher etébranler quant à ce qu’il en est du monde quinous entoure, de notre humanité et des limitesinhérentes au projet de maîtrise qui nous ha-bite2 ».

Également, un organisme rencontré suggérait laprésence de petits ateliers sur la santé mentaledonnés par des conférenciers de façon ponctuellepour les employés de grandes entreprises. Dansle même ordre d’idées, l’Hôpital Louis H. Lafon-taine veut faire participer et créer des liens avec

1 Paradis, p. 18.2 Corin, 1996, p. 91.

les gens des milieux professionnels (gensd’affaires). Parce que, bien souvent, on retrouveplusieurs problèmes de santé mentale en milieude travail. En effet, dans les grandes entreprises,le niveau de stress est bien élevé. Voici un exem-ple de projet de l’hôpital psychiatrique:« L’engagement des gens d’affaires et de chefsd’entreprise qui ont une conscience sociale dansla promotion de la santé mentale et la préventionde certains troubles, notamment ceux qui occa-sionnent un fort taux d’absentéisme3 ».

Évaluation et impact

Les personnes interrogées ne parlent que depoints positifs. D’après celles-ci, les activités no-vatrices en sensibilisation, information et promo-tion en santé mentale suscitent des émotions etallègent le climat.

Nous voulions savoir comment les participantsréagissent face à de telles expériences. Nousavons eu le même type de réponse à la fois ducôté des organismes et du côté des participantsGénéralement, les commentaires du public sontbons, cependant, on retrouve toutes sortes de ré-actions. Certaines réactions, moins fréquentent,sont négatives – peut-être parce que les expérien-ces novatrices surprennent et présentent ce quiest tabou. Tout ceci peut porter au changementdes mentalités.

Les expériences novatrices nous confrontent etnous permettent d’apprendre sur des sujets diffé-rents ou nous amènent simplement à les voir sousun autre angle. En d’autres mots, l’apport del’innovation, c’est de favoriser une vision diffé-rente et par conséquent, une meilleure intégrationde l’information et une compréhension plus glo-bale des problématiques de notre société.

Réflexion critique

Dans cette partie du travail, nous présentons no-tre réflexion par rapport à notre expérience face àce travail, face à ce processus. À l’instant, nouspouvons affirmer que nous avons travaillé durpour la réussite de toutes les étapes du travail.Tout d’abord, l’élaboration de notre question derecherche a été ardue, peut-être même trop diffi-cile. Ensuite, la recherche des organismes répon-dant à nos critères était laborieuse. D’autre part,la quantité de documents concernant les expé-riences novatrices et la sensibilisation,

3 Planification stratégique 2002-2007, juin 2002, p. 32.

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Expériences novatrices en sensibilisation, information et promotion en santé mentale : rapport de recherchepar Maud BERGERON, Lucie COUILLARD et Marie-Ève OUELLET

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l’information et la promotion étaient limitées. Fi-nalement, l’analyse de nos données recueilliess’est avérée beaucoup moins simple que nous nel’aurions cru.

Parce que chacune des membres de l’équipeportait un intérêt particulier concernant les pro-blèmes en santé mentale, d’emblée nous étionstoutes d’accord sur le sujet de la santé mentale.Nous souhaitions connaître ce qui se faisait pourinformer les gens qui ont une bonne santé men-tale sur ce que vivent les personnes ayant desproblèmes en santé mentale. Nous avons donctenté de former une question complète et quipourrait nous donner des informations intéres-santes. Mais notre confusion est apparue lors quenous avons tenté d’expliquer notre question derecherche. Tout nous paraissait simple mais lesorganismes ont eu du mal à comprendre la ques-tion. Nous avons donc constaté que la questionétait trop complexe et que nous aurions dû utili-ser d’autres mots. Mais, au moment où nous ré-alisons ce problème, peut-on changer certainsmots de la question de recherche ? À quel mo-ment devons-nous cesser de changer la questionde recherche ?

Par la suite, nous avons tenté de sélectionner desorganismes qui offraient des expériences novatri-ces en sensibilisation, information et promotionen santé mentale. Au tout début, nous ne vou-lions pas interroger des organismes qui travail-laient seulement auprès des personnes ayant desproblèmes en santé mentale, nous étions davan-tage axées sur les expériences novatrices. Au dé-part, ce critère réduisait le nombre d’organismes.Également, nous ne voulions pas interroger desgens ayant des troubles en santé mentale, nousétions intéressées par la sensibilisation,l’information et la promotion et surtoutl’expérience. Finalement, nous avons constaté queles organismes oeuvrant auprès des personnesatteintes de troubles en santé mentale faisaientdans leur intervention de la sensibilisation, del’information et de la promotion au grand public.Heureusement que les organismes que nousavons contactés ont été généreux de leur temps etde leurs connaissances.

Ensuite, nous avons rencontré un autre obstacle(plus majeur que les autres) qui est la documen-tation de notre recherche. En premier lieu, nousavons découvert beaucoup de littérature concer-nant la santé mentale. Nous avons fait des sélec-tions et nous avons gardé les documents portant

sur la sensibilisation, l’information et la promo-tion en santé mentale. Nous avons trouvé trèspeu d’information sur les expériences novatriceset de ce fait nous avons laissé de côté ce thèmeprimordial pour consacrer nos recherches docu-mentaires au thème de la santé mentale qui in-cluait davantage la prévention de la santé men-tale. Dans notre question, il n’était pas fait men-tion de prévention. Peut-être aurions-nous dûchanger aussi les mots sensibilisation, informa-tion et promotion pour prévention/promotionpuisqu’il s’agit du terme le plus souvent retrouvédans nos lectures ? Après réflexion, ne pouvons-nous pas dire que le terme sensibilisation, trèscommun et plutôt explicite, englobe tous ces ter-mes ?

Ainsi, dans notre analyse, lorsque nous sommesretournées à notre question de recherche, qui est :quel est l’apport de la sensibilisation,l’information, la promotion en santé mentalenous avons constaté que nous avions accumulébeaucoup d’informations concernant la santémentale et sur la prévention et la promotion maistrès peu sur les autres thèmes. Évidemment, lesliens que nous avons pu faire sur ce domaine etce type d’activité étaient intéressants et nécessai-res, mais moins pertinents quant à notre questionde recherche, à savoir l’apport des expériencesnovatrices. Nous avons constaté que, si nousavions élaboré une liste de mots-clés dès le débutde notre recherche, nous aurions davantage trou-vé de l’information sur les thèmes plus difficiles.

Finalement, ce travail était un travail d’éternelquestionnement. Heureusement, nous avons faitdes constats qui nous permettront, la prochainefois, de réaliser une enquête avec beaucoup plusde confiance et d’organisation. L’expérimentationnous a permis de mieux comprendre les lectureset la théorie. Maintenant que nous avons vécu leprocessus de recherche de la méthodologie qua-litative, lorsque nous prendrons contact avec desrecherches et des questionnaires d’entrevue, nousen prendrons bonne note car nous en saisironsdavantage la démarche et la valeur.

Conclusion

Dans cette recherche, nous nous sommes deman-dé quels sont la prémisse, les valeurs, les constatsqui soutiennent le choix de certains acteurs dansle domaine de la santé mentale d’emprunter desvoies novatrices pour parvenir à leurs fins. Ilsemble que ce choix est d’abord motivé par le de-

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Section « Rapports de recherche »

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voir de combler des besoins importants. Puisquel’on entend peu parler de la santé mentale, il fautaller de l’avant et innover pour se faire entendre.La tendance est à se détacher des sciences« exactes », de la médecine et de ses théories etméthodes pour faire autrement : des activités àcharge émotive. Il ne s’agit pas pour la plupartd’une opposition, mais plutôt de tenir le rôle né-cessaire d’un certain contre-poids. Les organis-mes communautaires rencontrés prônent de va-leurs humaines et c’est pourquoi ils conçoiventleurs activités différemment.

Devrions-nous reconsidérer l’orientation desprojets de sensibilisation, d’information et depromotion en santé mentale ? Nous croyons, à lasuite de cette recherche, que l’orientation hu-maine, « expérimentale », émotive est une voienovatrice intéressante pour le développementfutur des projets de sensibilisation de la popula-tion à la santé mentale.

Pour certains la nouveauté fait peur, pourd’autres elle est attirante mais pour tous elle estessentielle. C’est pourquoi dans tous les domai-nes nous devons faire preuve à la fois de créati-vité et faire preuve de courage pour participer àdes expériences qui peuvent nous déstabiliser.Quoi de mieux que des expériences novatricespour nous faire réaliser la situation d’un phéno-mène social qui ordinairement ne nous atteintpas ?

Des définitions plus précises quant aux possibi-lités d’intervention dans ce domaine seraientsouhaitables. Une compréhension plus grande endécoulerait et favoriserait peut-être une meilleurereconnaissance de l’innovation en matière de sen-sibilisation de la population dans le domaine dela santé mentale.

En somme, les expériences novatrices en sensibi-lisation, information et promotion en santé men-tale sont ingénieuses et nécessaires à la commu-nauté. Osez et tentez l’expérience !!! Vous n’endeviendrez pas plus fou.

Bibliographie

Documents officielsMONTRÉAL, Direction de la santé publique, Régie ré-

gionale de la santé et des services sociaux de Mon-tréal-Centre. Rapport annuel 2001 sur la santé de la po-pulation, Garder notre monde en santé, un nouvel éclai-rage sur la santé mentale des adultes montréalais, Qué-bec, Éditeur officiel, 2001.

Gouvernement du Québec, Ministère de la santé et desservices sociaux. Direction des Communications, Lapromotion de la Santé Mentale, Santé Société collectionpromotion de la santé no 5, 1990, 57 pages.

Gouvernement du Québec, Ministère de la Santé et desServices sociaux, Direction de la planification et del’évaluation, Plan d’action pour la transformation desservices Sociaux, Québec, 46 pages.

Planification stratégique 2002-2007, Un établissementuniversitaire dédié à la santé mentale au service de la per-sonne et de la communauté, Hôpital Louis-H Lafon-taine, juin 2002

FRÉCHETTE, Lucie. La prévention / promotion : une ave-nue incontournable en intervention sociale, GÉRIS(groupe d’étude et de recherche en intervention so-ciale, octobre 1998, 34 pages.

PARADIS, Marguerite. Santé mentale, prévention etgroupe communautaires de la vertu à la rue, Montréal,janvier 1995, 42 pages.

LivresBLANCHETTE, L., et M.C Laurendeau. La prévention et

la promotion en santé mentale, Préparer l’avenir , Le Co-mité de la santé mentale du Québec, 1992, 138 pages.

LECOMPTE, Yves. 20 ans de Santé mentale au Québec,Regards critiques des acteurs et collaborateurs, RevueSanté mentale au Québec, Montréal, 1996, 100 pages.

PAQUET, Roger. Prévention et santé mentale, La préven-tion, ça commence dans ma cours, actes du colloque du 5mai 1994, Montréal, Association canadienne pour lasanté mentale Filiale de Montréal, 1994, p.37, 190 pa-ges.

Sites InternetFolie culture, www.folieculture.orgL’Autre Montréal, www.cam/org~autrmtl/Farine Orpheline cherche Ailleurs Meilleur,

www.farineorpheline.qc.caHôpital Louis-H. Lafontaine, www.hlhl.qc.caLes Impatients, www.artbrut.qc.ca/impatients/

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Les artistes pour la paix : rapport de recherchepar Ilia CASTRO

Cahiers de l’action culturelle, Vol. 2, no 1 33

Les artistes pour la paix : rap-port de recherchepar Ilia CASTRO 1

Introduction

Dans un cours de sociologie du programme debaccalauréat en Animation et recherche culturel-les sur les « Mouvements sociaux contemporains auQuébec : leurs orientation et signification culturelle »,nous avons eu à en choisir un pour l’étudier. Dif-ficile tâche dans la conjoncture actuelle !

Suite à de grands débats internes, je décide deplonger dans le mouvement pacifiste, que jenommerai dorénavant, mouvement pour le dé-sarmement et la paix. Dès mes premières lectures,je me suis senti une néophyte absolue et cettesensation de vertige me rendait insécure. Par ail-leurs, ce sujet m’intéressait trop pour m’en reti-rer.

En cherchant à toucher un terrain plus ferme, jedécide de contacter une personne des Artistespour la Paix, l’organisme choisi. Après quelquesessais, on réussit à se rejoindre, se donner rendez-vous et se rencontrer. J’ai eu le plaisir de partagerune heure avec M. Pierre Jasmin, professeur àl’UQAM et ex-président (1990-1997) des Artistespour la Paix. Cette rencontre a été marquante pourmoi. Je ne me souviens pas avoir jamais reçu au-tant d’information, et avec une telle intensité,dans un si court laps de temps. C’était comme unvolcan en éruption, une éruption pleine de pas-sion, d’engagement, de conviction. J’étais bouchebée, je suis sortie bouleversée et fascinée !

À travers quelques documents que Pierre Jasminm’a donnés et d’autres qu’il m’a suggéré de meprocurer, un autre échange téléphonique avec lui,et surtout mon entrevue avec Paul Klopstock,l’actuel président des Artistes pour la Paix, j’ai pumieux comprendre le fonctionnement del’organisme, ses luttes et revendications. C’est àtravers cette documentation et ces informationsque j’essaierai d’exposer leur précieux et incom-mensurable travail.

1 Ilia CASTRO est étudiante au baccalauréat du programme

d’Animation et recherche culturelles.

Mouvement québécois pour le désarmement etla paix

Le mouvement québécois pour la paix a eu deshauts et des bas selon les différents moments del’histoire. La première vague de ce mouvementtire ses origines à la fin du XIXe siècle, quand lesQuébécois s’opposent à la participation cana-dienne dans l’armée britannique lors de la guerrede Boers (1899-1902) en Afrique du Sud. Ensuite,au long des différents conflits mondiaux, ils ré-sisteront aussi à la conscription.

Mais les enjeux changent profondément en 1945,à la fin de la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945), avec les bombardements de Hiroshima etNagasaki. La deuxième vague s’amorce avec lalutte anti-bombe, contre l’utilisation des armesatomiques et les essais atomiques dansl’atmosphère. Cette lutte commencera à se déve-lopper au Québec au milieu de la décennie, ré-unissant des intellectuels, des femmes, des étu-diants et un peu les syndicats.

Dans les années soixante, après la signature dutraité d’interdiction d’essais atomiques, le mou-vement s’est un peu désamorcé. Il reprendra sonenvol pendant la guerre (1964-1973) contrel’intervention des États-Unis au Vietnam. Cemouvement touchait des groupes venant de dif-férents horizons politiques mais, à la fin de laguerre, plusieurs militants se recycleront dansdes luttes sociales et politiques menées par lagauche. Ces militants étaient différenciés pardeux tendances : une, la plus politique, visait laprise du pouvoir pour amener le changement etl’autre, issue des nouveaux mouvements sociaux,était alternative et contre-culturelle. Cette der-nière refusait la société industrielle de consom-mation et voulait participer à la constructiond’une société alternative. D’autres militants sesont impliqués dans des mouvements sociauxcomme l’écologique et le mouvement antinu-cléaire. Selon l’équipe d’Alain Touraine (Z. He-gedus, M. Wieviorka et F. Dubet, La Prophétie an-tinucléaire, 1979), ces mouvements sont annon-ciateurs des nouveaux conflits sociaux propres àla société programmée aussi, ces mouvements se-ront au centre de la formation d’un vaste mou-vement social anti-technocratique que prendraitla relève du mouvement social anticapitaliste2.

En 1979, l’Organisation du traité de l’Atlantique duNord (OTAN) planifie la modernisation des armes

2 Babin et Vaillancourt, 1984.

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Section « Rapports de recherche »

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nucléaires déployées en Europe, les Russes enva-hissent l’Afghanistan et en 1981, Ronald Reagandevient Président des États-Unis.

Il y a eu un événement qui a fait naître une nou-velle lutte pour la paix. C’est en 1981, quand Rea-gan déclare son intention de se servir des missilespour envahir l’Europe en cas de menace soviéti-que, brisant ainsi le contrat de non-utilisation desarmes nucléaires. Ceci a fait prendre conscience àbien des gens du danger d’une guerre nucléaire.

D’abord, une explosion de manifestations débuteen Hollande pour se poursuivre partout en Eu-rope, des centaines des milliers de manifestantsprotesteront contre le déploiement des nouvellesfusées. Ce mouvement n’est ni anti-bombe nianti-guerre, cette protestation n’est pas enferméedans une conduite de réponse (Zsuzsa Hegedus). Cenouveau mouvement arrivera en Amérique duNord où des manifestations ont lieu à Seattle,Chicago et Vancouver mais c’est New York quivivra la plus grande manifestation de son histoirele 12 juin 1982.

Ce jour, les chefs d’État du monde entier étaientréunis à l’ONU pour la seconde réunion pour ledésarmement, mais un million de manifestantsles ont interpellés directement en exigeant l’arrêtde la course aux armements et le gel des arsenauxnucléaires comme condition indispensable à toutepolitique de sécurité responsable à l’égard dumonde actuel et des générations futures. Pour lapremière fois, ces dirigeants vont se voir dépos-sédés de leur monopole d’initiative dans le do-maine de la sécurité. Les gens criaient : For ourchildren, for your children, for their children, Stop themadness ! Reverse the armsrace !

Cette protestation démontre une exigence auto-nome face aux politiques de sécurité et affirme sapotentialité de mettre en cause une politique der-rière les armes et de questionner sa finalité. Cemouvement prendra une dimension transnatio-nale, tant dans les pays menacés que dans lespays éloignés.

Lors de ces manifestations massives organiséesautour d’objectifs précis et limités, on trouveraune population hétérogène composée de fémi-nistes, d’archevêques, d’écologistes, de scientifi-ques, d’artistes, de gens de gauche comme dedroite. Ces rassemblements ne seront que lesmoments forts et visibles mais ces centaines desmilliers de grass root groups (Zsuzsa Hegedus) se-ront coordonnés dans un énorme système infor-mel de réseaux multiples et multiformes non hié-

rarchisés. C’est un nouveau tissu social qui seconstituera et articulera une nouvelle lutte. Cenouveau tissu social comprend toute la popula-tion dans son ensemble et dans sa diversité. Cesmouvements se caractérisent, et cela partout dansle monde, par un mode d’organisation et d’actionnon hiérarchique et basiste dans sa structure, nonviolente et expressive dans ses moyens. Leurs ty-pes d’action s’affirment dans leur volonté deprise sur l’avenir en cherchant à saisir et prendreen charge le problème.

Le 12 juin 1982 à New York est une journée sym-bolique qui a eu comme effet l’ouverture d’unimmense débat, l’ouverture de la démocratie,l’ouverture d’un nouvel espace public enlevantainsi le monopole des décisions aux États.

Gerry Pascal, lors de ma visite au Centre de Res-sources sur la non-violence, m’a partagé son expé-rience. Ici au Québec, des organismes non gou-vernementaux promouvaient cette manifestationoffrant des autobus à tarif réduit, d’autres per-sonnes s’y rendaient à bicyclette et d’autres àpied ; c’était une marche pour la paix. Un millionde manifestants au Central Park, dont mille cinqcents Québécois. C’était une expérience forte,extraordinaire ! C’est cet événement qui a déclen-ché le nouveau mouvement pour la paix au Qué-bec, me confirme-t-il. Une fois de retour au Qué-bec, les gens étaient très stimulés et spontané-ment, ils se demandaient ce qu’ils pouvaientfaire, des dizaines des groupes pour la paix sontnés ou ont été ranimés par cette mobilisation.

Au Québec, cette troisième vague dure environdix ans et atteint son apogée entre 1982 et 1986,comme partout en Occident. Dans le mouvement,se formeront des coalitions, des alliances et lesgroupes organiseront des manifestations et desactions qui auront un impact important dans lepublic et influenceront, d’une certaine manière,les dirigeants politiques. Il y eut la résurgence degroupes pour la paix comme le Projet Ploughsha-res, la Voix des femmes, le Conseil québécois de la paixet la constitution de nouveaux groupes tels quel’Union des pacifistes du Québec, les Groupes univer-sitaires pour le désarmement, les Professionnels de lasanté pour une responsabilité nucléaire, les Artistespour la Paix, le Réseau québécois pour le désarmementet plusieurs d’autres. Les syndicats se sont jointsaussi à cette nouvelle vague. La participationmassive dans les manifestations est due, entreautres, au nouveau dynamisme apporté par lesnouvelles aspirations des groupes d’écologistes,

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Les artistes pour la paix : rapport de recherchepar Ilia CASTRO

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de femmes et de solidarité internationale. Ce quiest à remarquer est l’hétérogénéité des militantsde ces groupes ainsi que la diversité des objectifspour résoudre les problèmes.

Les revendications de ce nouveau mouvementpour la paix étaient plus nombreuses, plus va-riées, plus globalisantes et plus développéescomparativement aux mouvements anti-bombedes années cinquante et anti-guerre des annéessoixante. Même si les principales préoccupationsdans les années quatre-vingts sont la course auxarmements entre les deux puissances, le dangerlatent du conflit nucléaire et la sécurité, d’autresquestions mobilisaient les militants : la démilita-risation, la promotion de la justice sociale etdroits de la personne, la défense alternative, lesactions multilatérales et les actions unilatérales,l’action directe non violente, la désobéissance ci-vile, la pression politique, etc.

Les différences idéologiques ainsi que la diversitédes objectifs des participants provoquent certai-nes difficultés à réconcilier les philosophies, lesstratégies et les priorités. Le principal clivage étaitentre les groupes « non alignés » provenant ducourant contre-culturel et alternatif et les groupes« alignés » prosoviétiques issus du courant pluspolitique.

Les non-alignés se situent entre les deux super-puissances, ils sont indépendants, pour échapperà la logique géopolitique des blocs. Ils veulentélaborer et construire une société alternative quisoit progressiste et démocratique. Ce groupe estcomposé des jeunes, des artistes, des étudiants,des socialistes, des progressistes, des religieux,des anarchistes, des écolos, etc. Leur organisationest souple, non hiérarchisée, non violente etpragmatique dans leurs actions, ils prônent plutôtune démocratie participative. Leurs revendica-tions sont très larges : non seulement ils luttentpour le désarmement, contre le commerce desarmes, les budgets militaires mais ils se préoccu-pent aussi de l’environnement, de la défense desdroits de la personne et du Tiers-Monde. Ils fontnaturellement le lien entre le désarmement et lapaix et les luttes féministes, écologistes, et duTiers-Monde. Ils appuient, coûte que coûte,l’émergence de mouvements pacifistes indépen-dants en URSS et en Europe de l’Est parce qu’ilscroient au dialogue, à l’engagement pour les po-pulations plutôt que pour les États qui les tien-nent en otage. Les deux groupes les plus impor-tants et actifs à ce moment-là et qui existent en-

core aujourd’hui sont les Artistes pour la Paix et leCentre de ressources sur la non violence (CRNV). LeCRNV publie un bulletin qui propose une ana-lyse très intéressante sur les conséquences néfas-tes du militaire sur l’environnement, surl’économie, et sur le social. Le groupe Option-Paixpublie une revue qui a une vision du côté des nonalignés jusque dans les années 90, où elle a prisune orientation plutôt trotskiste et a cessé deparaître il y a quelques années.

Le groupe des alignés représente une tendanceproche du Parti communiste du Québec, les mili-tants proviennent plutôt du parti ouvrier et il es-saie de rallier les syndicats. Ils sont moins nom-breux mais persévérants et très bien organisés. Ilssont liés au Conseil québécois pour la paix qui estassez proche du programme du Comité soviétiquepour la paix. Alors, ce groupe vise à assurer laprotection des Soviétiques. Avec l’Alliance pour lapaix du Québec, ils publient des bulletins et avec leConseil mondial de la paix d’Helsinski, une revue:Zone Libre.

Les différents groupes des deux tendances vontse regrouper pour organiser deux manifestationsdistinctes la même journée en octobre 1983. Ceuxappartenant aux non-alignés formeront la Coali-tion québécoise pour le désarmement et la paix(CQDP) et leur manifestation se fera sous lethème « Pour un Québec démilitarisé » tandis queles alignés feront la campagne de la Caravane de lapétition pour la paix. En 1984, lors d’autres mani-festations, on notera la distance qui sépare cesdeux tendances et leurs agendas par leurs slo-gans : « Désarmer pour développer autrement »de la part de non alignées et « Je marche pour lapaix et la vie » des alignés.

Durant cette journée de manifestation, les syndi-cats, appuyés par divers organismes, dont les Ar-tistes pour la Paix, ont organisé la campagne UnF18 pour la paix. Un F18 est un avion d’une valeurde 36 millions de dollars. L’objectif était d’investirce montant d’argent pour la paix tout en dénon-çant le coût excessif des dépenses militaires.

J’exposerai un extrait de la plate-forme de la Coa-lition québécoise pour le désarmement et la paix oùs’exprime leur objectif qui est de « favoriserl’émergence d’un vaste mouvement social anti-guerre oeuvrant, par la multiplicité et la diversitéde ses actions, à la construction d’une alternativeviable en faveur de la paix mondiale et du déve-loppement des peuples ainsi qu’à la transforma-tion en profondeur de notre société. »

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À la fin de la Guerre froide et avec l’entrée de ladémocratie en Europe de l’Est, le mouvementpour la paix s’est dilué quelque peu. L’année in-ternationale pour la paix s’est institutionnaliséeen 1986. Le mouvement ayant obtenu quelquesvictoires, quelques-uns de ses militants ont chan-gé de voie. Les problèmes environnementaux ontcommencé à faire surface en 1987 et ils se mon-traient aussi menaçants pour la vie que la guerrenucléaire. Les militants, voyant clairement lesliens entre la crise de l’environnement, le déve-loppement du Tiers monde et la course aux ar-mements, se sont investis dans les groupes envi-ronnementalistes. Des groupes comme Greenpeaceet les Ami-e-s de la Terre qui relient les problèmesd’environnement avec le développement et le dé-sarmement, ont pris beaucoup d’expansion cesdernières années. Plusieurs autres groupes etcoalitions ont vu le jour aussi et tous vont dans lesens du rapport de la Commission BrundtlandNotre avenir à tous, publié en 1987, qui préconisele développement durable.

L’invasion du Koweït et la guerre du Golfe ontranimé à nouveau le mouvement pour la paixquébécois. Deux coalitions se sont formées. Lapremière s’appelle Échec à la guerre formée par lesArtistes pour la Paix, trois centrales syndicales etdiverses personnalités comme Pierre Dansereau,un écologiste, leur porte-parole qui, le 17 novem-bre prochain, organise une marche pour la Paix etl’autre coalition était formée par des étudiantsd’université, de cégeps, de gens de gauche, quiont pris une position plus radicale, plus anti-américaine.

Après la guerre du Golfe, les luttes se sont centrésur les dépenses militaires, le commerce etl’industrie des armes, les budgets militaires,l’objection de conscience et sur la militarisationde la culture. Ces luttes étaient menées par desgroupes comme les Artistes pour la Paix, la Coa-lition pour l’abolition de l’armée, le groupe Nosimpôts pour la paix, le CRNV, le collectif Pacijou,la Coalition contre l’OTAN au Nitassinan, la Coali-tion des femmes pour la Paix et d’autres.

Ces dernières années, d’autres groupes pour lapaix, liés à des problématiques actuelles, se sontdéveloppés au Québec. Entre eux , Objection deconscience/Voices of Conscience (OCVC) et Palesti-niens et Juifs Unis (PAJU). Objection de consciencelutte pour arrêter l’embargo imposé à l’Irak de-puis dix ans ; et PAJU pour le retrait des territoi-res occupés par Israël.

Actuellement, la menace de la guerre en Irak tientle monde entier en haleine. Nous avons vu diver-ses manifestations spontanées et imposantes im-plorant « la paix » en Europe et aux États-Unis,comme on n’avait pas vu depuis des décennies.

Artistes pour la paix

Description de l’organisme

La naissance de cet organisme a eu lieu au prin-temps de 1983, lors de la guerre froide. Ungroupe d’artistes québécois de diverses discipli-nes artistiques ayant comme désir de « contribuerà l’épanouissement d’une paix durable par le dé-sarmement et la justice sociale1 » fondent les Ar-tistes pour la Paix. Gilles Vigneault, membre fon-dateur avec Dolorès Duquette, assumera la prési-dence la première année. Ce regroupement ferapartie d’une organisation internationale présidéepar Harry Belafonte et Liv Ullman. Aujourd’hui,de ce grand regroupement international, seule-ment les Artistes pour la Paix du Québec reste ac-tif. Cela est étonnant mais démontre fermementleur persévérance et la conviction profonde deleurs luttes et revendications. « Drôlement, laproblématique qui au début était l’armement nu-cléaire est encore une problématique aujourd’hui.Quant à moi, c’est la plus grande menace aumonde2 ». Ici au Québec, les Artistes pour la Paixsont reconnus pour être l’organisme le plus im-portant du Mouvement pour le désarmement et lapaix.

Les Artistes pour la Paix est un organisme sans butlucratif et non subventionné qui fonctionne grâceaux cotisations de son membership. Au niveaudes infrastructures, la situation est plutôt pré-caire. Cet organisme est régi démocratiquementpar une assemblée générale souveraine qui élit lesmembres du conseil d’administration. La quantitéde membres de cet organisme varie selon les an-nées, mais compte présentement 300 artistesmembres qui soutiennent, animent et donnent lemandat de parler et agir en leur nom. On trouve-ra des artistes de toutes les disciplines, des musi-ciens, des compositeurs, des comédiens, desphotographes, des danseurs, des peintres, dessculpteurs, des chanteurs, des réalisateurs, desgraphistes, des illustrateurs et des animateurs,des mimes ainsi que des gens du cirque. Il existe

1 Tiré d’un dépliant de promotion des Artistes pour la Paix.2 Lors de l’entrevue avec Paul Klopstock, actuel président

des Artistes pour la Paix.

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aussi une catégorie pour les sympathisants, ap-pelée les Amis des Artistes pour la Paix.

Au long de ces vingt ans d’engagement et mili-tance, plusieurs artistes d’envergure ont assuméla présidence des Artistes pour la Paix. Après Gil-les Vigneault en 1983, il y a eu de 1984 à 1988,Jean-Louis Roux, un homme de théâtre ; de 1988à 1990, l’écrivaine Antonine Maillet ; de 1990 à1997, le pianiste Pierre Jasmin ; ensuite le comé-dien Jacques Lussier de 1997 à 1999 et depuis, lepianiste Paul Klopstock.

Les Artistes pour la Paix assurent la communica-tion entre ses membres par un bulletin trimes-triel. C’est le président qui le rédige informant lesmembres des actions concrètes effectuées, despréoccupations de l’actualité, des dossiers traités,des différents types d’interventions faites ou ap-puyées ainsi que des textes, des lettres, pétitionset articles pertinents à leur cause. Nous remar-querons le caractère militant, l’éveil et la proxi-mité avec laquelle ils suivent l’actualité. Engagésdans leurs causes, ils suivent tout ce qui concerneleur agenda et leur présence se fait sentir dansdifférentes sphères chaque fois que leurs idéauxrisquent de se faire bousculer. Évidemment,« idéaux » c’est un grand mot mais je veux souli-gner la justesse de leurs actions et l’influencequ’ils réussissent à exercer face à leurs préoccu-pations.

Les Artistes pour la Paix

« partagent une même vision pour un monde de justice, res-pectueux de l’environnement où les humains peuvent vivreen santé, en liberté et en sécurité. Cette vision… pourraitservir comme une définition de la paix. Mais pour y arriver,cela demandera bien sûr une grande maturité et de laconfiance de la part de toutes les parties. Nous sommes doncloin de réaliser cette définition, mais il faut commencer à tra-cer le chemin et ce chemin doit être basé sur l’établissementde la sécurité. Par sécurité je ne veux pas dire armure. Nistockage. Ni bouclier anti-missile. Ni défense. Ni exclusi-visme et surtout pas exploitation. Par sécurité je veux direl’abolition des armes nucléaires, la prévention de conflits,l’accès à l’eau potable, l’éducation, les médicaments et auxterres agricoles, etc.1 ».

Les Artistes pour la Paix ont organisé une« Enquête populaire sur la paix et la sécurité »avec l’Alliance canadienne pour la Paix. Cette en-quête a permis de mieux définir le concept de sé-

1 Paul Klopstock, président. Présentation devant le Comité

permanent des affaires étrangères et du commerce inter-national de la Chambre de communes du Gouvernementdu Canada, Montréal, 2002.

curité nationale tel qu’ils l’ont élaboré et rédigédans le rapport « À l’heure de grands changementsdans le monde : pour une nouvelle conception de la sé-curité », publié en 1992.

Idéologie

Les Artistes pour la Paix se définissent par leursactions concrètes à travers lesquelles transparais-sent leur idéologie. Cette idéologie va dans lesens de grands rapports internationaux commecelui de la commission Brundtland Notre avenir àtous mentionné auparavant, le Rapport Thorsson,qui traite de la relation entre le désarmement et ledéveloppement, le Rapport de Lisbonne (Limites à lacompétitivité), la Commission sur la Gouvernanceglobale de Nelson Mandela (Afrique du Sud) et GroBrundtland (Norvège), des objectifs de l’UNESCOet du Bureau de la Paix à Genève. Cette idéologies’inspire de grands sages comme Gandhi et despenseurs et acteurs contemporains comme NoamChomsky, le philosophe Bertrand Russell,l’écologiste Pierre Dansereau, Simonne Monet-Chartrand, Maryvonne Kendergi, Françoise Da-vid et d’autres.

« L’engagement démocratique des artistes doit contrer, parson influence, les manœuvres en coulisse des riches armées,qui abusent de leurs pouvoirs, et valoriser les autres plus dé-sarmés : les pauvres, les femmes, les autochtones, les jeunes,le Tiers-Monde et les artistes2 ».

Leurs revendications

Les Artistes pour la Paix soulignent souvent cequ’écrivait Claude Gauvreau : « La rébellion et larévolte sont des droits sacrés que l’on mérite parla richesse de son désir, la qualité de sa nature etla rigueur de son comportement. »

Je trouve pertinent de vous partager une partiedu discours, qu’au nom des Artistes pour la Paix,Pierre Jasmin a prononcé en octobre 2001 lorsd’une manifestation suite aux bombardements enAfghanistan, parce que, tout en clamant leurs re-vendications, ce discours nous dévoile le carac-tère de cet organisme, le ton avec lequel ils peu-vent agir de même que la clarté et la précision del’information livrée qui ne peut faire autrementque toucher, conscientiser et mobiliser tous euxqui écoutent.

1) Arrêtez de subventionner la guerre avec des milliardsde dollars qui contribuent à la promotion, à la rechercheet au développement des armes technologiques meur-trières. Arrêtez de grossir les 800 milliards de dollars

2 Tiré du projet de livre de Pierre JASMIN, L’an 2000 n’est

plus une utopie : Les Artistes de la Paix.

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consacrés annuellement aux dépenses d’armement dansle monde.

2) 90 % de nos exportations d’armes vont vers les États-Unis, mais la liste est tenue secrète : est-ce que nousnous débarrassons de nos vieilles mines anti-personnelde Terrebonne ? Est-ce que nous leur livrons du napalmde McMasterville, comme au temps de la guerre duVietnam ? Est-ce que nos laboratoires de Suffiel en Al-berta leur livrent des armes chimiques ou biologiques ?Ce sont des questions, non des insinuations…

3) Le Canada est maintenant au 6e rang mondial des paysexportateurs d’armes au Tiers-Monde, à des régimesfragiles au bord de la guerre civile. Affirmons haut etfort notre opposition à une telle irresponsabilité.

4) Le Canada vient de lever les sanctions économiques mi-ses en place à la suite des essais nucléaires du Pakistan,lui donnant désormais un statut privilégié en tantqu’acheteur – acheteur de quoi ? Allons-nous les équi-per de missiles, comme la CIA l’a fait avec les Tali-bans ?

5) Le ministre des Affaires étrangères canadien vient dese déclarer favorable à une augmentation spectaculairedu budget de l’armement, alors qu’il était embarrasséavant-hier par les accusations de l’organisme Déve-loppement et Paix selon lesquelles la contribution ca-nadienne à l’aide internationale civile a régressé à unquart d’un pour cent du produit intérieur brut (PIB),notre plus bas niveau depuis trente ans et cela aprèsune période de prospérité sans précédent pour notrepays.

6) Et dernier point. Il y a deux semaines, M. Kofi Annan,secrétaire général de l’organisation des Nations Uniesqui a reçu le prix Nobel de la paix avant-hier, a dit : « Ilest difficile d’imaginer comment la tragédie du 11 sep-tembre aurait pu être pire. Mais il reste qu’une seule at-taque impliquant une arme nucléaire aurait pu tuer desmillions de gens ». Nous vous demandons donc que leCanada déclare une fois pour toutes son appui àl’abolition des armes nucléaires, ce qu’il n’a jamais faitdepuis l’époque courageuse de Lester B. Pearson1.

Dans ce discours, sont mises en évidence quel-ques-unes mais des plus actuelles causes que lesArtistes pour la Paix défendent, soit les dépensesmilitaires, le commerce de produits militaires, ledésarmement nucléaire et tout ce qui concerne lesarmes nucléaires.

Les Artistes pour la Paix, au long de ces vingt der-nières années, sont intervenus surl’antimilitarisme, le désarmement collectif, le dé-sarmement individuel, les peuples autochtones,les jeunes, la question nationale, l’action interna-

1 Pierre Jasmin, Discours du 16 octobre 2001, à 14 h, à la

Place d’Armes, Montréal, 2001.

tionale, les féministes contre l’intolérance et iné-vitablement, l’écologie.

Leurs actions

Les Artistes pour la Paix font un rigoureux travailde sensibilisation qui s’organise essentiellementen trois volets : la sensibilisation auprès du pu-blic, la sensibilisation dans le milieu del’éducation et la sensibilisation auprès des politi-ciens2.

Depuis que l’organisme existe, leurs actions, quidémontrent leur profond engagement, sontconstantes et d’une grande importance. Leur tra-vail est considérable et d’une grande richesse,travail que je ne pourrais pas couvrir en entiercomme il le mérite.

Ils collaborent aussi avec des collègues d’autresgroupes pour former des mouvements et c’estainsi qu’ils appuient des causes auxquelles ilssont sensibles mais dont ils ne s’occupent pas di-rectement. Quelques-uns de ces groupes sont :Amnistie internationale, l’AQOCI, Solidarité popu-laire Québec, Comité Canada 21, la Ligue des droits etlibertés, Greenpeace, les Professionnels de la santépour la survie mondiale, ATD-Quart-Monde, Méde-cins sans Frontières, l’Alliance canadienne pour laPaix, le Centre de ressources sur la non-violence, laFédération des femmes du Québec, la CSN, la FTQ, laCEQ, l’Alliance des Professeurs de Montréal, Objec-tion Conscience/Voices of conscience, et plusieursautres.

Sensibilisation auprès du public

Leur façon d’agir auprès du public est de fairedes spectacles, des démonstrations, des manifes-tations et comme nous avons vu précédemment,en prononçant des discours. J’amènerai seule-ment quelques exemples :

§ Depuis 1988, le 14 février de chaque année,les Artistes pour la Paix organisent un grandévénement dans lequel ils honorent un artistepour son engagement et sa contribution à lapaix. Il sera nommé l’Artiste pour la Paix del’année. Quelques-uns des artistes qui ont étéhonorés avec cette nomination sont : RichardSéguin en 1990, Simone Monet-Chartrand en1991, Clowns sans frontières en 1997 et MarcelleFerron en 2000. C’est un spectacle qui est trèscouvert par les médias.

2 Tiré de l’entrevue à Paul Klopstock, actuel président des

Artistes pour la Paix.

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§ Lors du Sommet des Amériques en avril 2001,les Artistes pour la Paix ont été invités par unetable de convergence composée, entre autres,de Opération SalAMI, la Fédération des infirmiè-res et infirmiers du Québec et la Fédérationd’étudiants universitaires du Québec pour parti-ciper à un campement qui avait comme butde rassembler des groupes et individus ensolidarité pour une mondialisation alterna-tive.

§ En 1999, ils ont parrainé un de ses membresorganisant un spectacle-bénéfice pour les vic-times de la guerre dans les Balkans. En 1997,il y a eu une participation massive des Artistespour la Paix au spectacle contre la privatisa-tion de l’eau. Ils ont aussi participé, invitéspar la Fédération des femmes du Québec, auxmarches Du pain et des roses.

§ En 1993, les Artistes pour la Paix organisent unencan-spectacle au profit des femmes réfu-giées croates et bosniaques. En 1991, ils ontco-organisé la plus grande manifestationcontre la guerre du Golfe, lors de laquelle Mi-chel Rivard lira un discours-poème.

§ Également, à tous les ans, le président des Ar-tistes pour la Paix prononce un discours lorsde la Cérémonie en commémoration des bombar-dements atomiques de Hiroshima et Nagasaki etcela, en tant que représentant d’un mouve-ment pacifiste.

Sensibilisation dans le milieu de l’Éducation

À ce niveau, le vice-président des Artistes pour laPaix, Maurice Lwambwa Tshany, maintenantdisparu, allait dans les écoles et donnait des ate-liers aux jeunes. Tout en exerçant son métier, illeur parlait de la paix. Il travaillait pareillementdans plusieurs communautés.

Les Artistes pour la Paix maintiennent un bon lienavec la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) etpeuvent s’adresser au monde de l’éducationcomme quand ils ont conçu le spectacle de leurCongrès il y a deux ans.

Il reste qu’au niveau scolaire, ils voudraient éla-borer d’une manière plus formelle des program-mes pour continuer d’aller dans les écoles.

Sensibilisation auprès des politiciens

Le travail des Artistes pour la Paix auprès despoliticiens sera de faire du lobbying.

« Le mouvement pacifiste a compris il y a quelques annéesque la meilleure approche avec nos politiciens ce n’était pasd’aller chialer mais de dire : nous pensons ainsi, nous som-

mes là pour vous aider » m’a dit Paul Klopstock, lors de no-tre rencontre.

Certains exemples peuvent clarifier leur typed’intervention : présenter des mémoires, écriredes lettres bien informées et étoffées à certainsdéputés ou aux premiers ministres, faire des ren-contres avec des députés pour parler de certainsdossiers comme le bouclier antimissile, les armesnucléaires ou la défense, aller aux consultationspubliques et, entre autres, faire des activités avecd’autres groupes avec lesquels ils ont créé des al-liances.

Lors de la Marche mondiale des femmes, les Ar-tistes pour la Paix ont fait circuler et signer unepétition qui a été présentée à l’Assemblée natio-nale du Québec. On y demandait de :

1) cesser immédiatement de contribuer financiè-rement à l’industrie de l’armement ;

2) engager ces sommes dans le développementd’une société québécoise qui respecterait lesdroits fondamentaux et les besoins essentielsdes femmes québécoises.

En novembre 2000, Paul Klopstock, au nom desArtistes pour la Paix, a participé à un jeûne en so-lidarité avec les personnes en Irak, organisé par leregroupement Objection de Conscience (OCVC).Cet organisme revendique l’arrêt complet del’embargo imposé à l’Irak.

En août 2000, les Artistes pour la Paix ont envoyéune lettre à Transport Canada faisant référenceau transport du plutonium vers nos réacteurs.« Pour exprimer notre désaccord avec le programmedu transport du plutonium en forme de combustible(MOX) proposé par le gouvernement du Canada1 ».Ils considèrent que cette proposition va àl’encontre de la contribution au désarment nu-cléaire, que ce serait une menace à la santé de lapopulation canadienne, que cela permettrait quele Canada devienne le dépotoir mondial du plu-tonium usé et que cela contribuera à la proliféra-tion nucléaire.

Je voudrais souligner deux dossiers ponctuels quim’ont marquée en entendant M. Pierre Jasmin meraconter certains moments de sa militance. Lepremier est le « Sabotage » qu’ils ont réussi à faireà l’aéroport de Mirabel face à une simulation debombardement par un B-52 américain qui allait sepasser à l’Air Show de Mirabel. Grâce à leur mani-

1 Paul Klopstock, président, Bulletin, Les Artistes pour la

Paix, Montréal, automne 2000.

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festation appuyée d’une lettre et des pressionssur un commanditaire important, cet essai n’a paseu lieu.

Le deuxième dossier traite des dépenses militai-res. Il s’agit plus précisément de l’achatd’hélicoptères EH-101. Dès 1993, les Artistes pourla Paix avec d’autres groupes pacifistes sont in-tervenus à plusieurs reprises contre cet achat « …avec mille fois moins d’argent, on pourrait financer à 5millions de dollars le réseau de refuges pour femmesbattues, assurant ainsi le sauvetage de plus d’êtreshumains en un an que nos hélicoptères n’en sauverontdans toute leur vie utile », argumente Pierre Jasmin.Ces interventions ont influencé la prise de déci-sion du gouvernement de M. Chrétien provo-quant ainsi des économies de plusieurs milliardsde dollars et cela, pour le Canada seulement. LeCanada est le premier pays de G8 à s’être sorti dudéficit. On saura plus tard que le secrétaire géné-ral de l’OTAN, le ministre belge Claes, qui exi-geait cette contribution, sera condamné pouravoir reçu des pots de vin de la compagnie fabri-quant ces hélicoptères.

La saga des hélicoptères n’a pas été publiée paraucun journal. Même si elle a été dénoncée parles Artistes pour la Paix . Dans les échanges que j’aieu le privilège d’avoir avec Pierre Jasmin, il mepartageait la marginalisation que les Artistes pourla Paix vivent parce que, comme ils ne font paspartie d’aucun agenda ni de gauche ni de droite,cela ne fait pas l’affaire d’aucun lobby. Ce qui estsurtout grave est qu’ils sont oubliés. Ils cherchentune troisième voie qui rejoigne plutôt celle queles gens recherchent avec le mouvement alter-mondialisation ou avec le combat pourl’environnement. Il donnait comme exemples lespartis Verts en Allemagne et en France.

Cette position non définie ni de gauche ni dedroite, ni souverainiste, ni fédéraliste, (ce qui neveut pas dire que chaque artiste n’ait pas uneprise de position mais l’organisme en soi est ou-vert là-dessus et son moteur, ce sont ses revendi-cations), les pénalise à l’heure de chercher desappuis financiers. Les grandes corporations netrouvent pas d’intérêt ou ne veulent pas risquerde faire de la place à un organisme qui pourraitfroisser des commanditaires importants. Leur re-cours financier est mince et cela leur provoqueune certaine difficulté à trouver des appuis.

Propositions nouvelles

L’armée canadienne fait toujours des vastes cam-pagnes pour aider et protéger les citoyens maismoins de 10 % du budget militaire est alloué pourle garde-paix. Le 90 % restant est utilisé pourl’entraînement à la guerre, pour une question desouveraineté et pour la protection des frontières.

La proposition pacifiste est de participer dans lacommunauté internationale. S’il faut une armée,que ce soit une coalition sous l’égide de l’ONU, etnon de l’OTAN. Le Canada serait beaucoup plusutile à fournir des savoirs. Par exemple, investirplutôt dans la formation de Casques blancs (desingénieurs, des médecins et d’autres gens) quipuissent aider à reconstruire les pays pour ne pasles laisser tomber dans l’anarchie. Le « Peace Buil-ding », c’est un terme qui circule depuis quatre oucinq ans et cela signifie la reconstruction aprèsune guerre. Les Artistes pour la Paix et le mouve-ment pacifiste voudraient bien que « Peace Buil-ding » signifie plutôt comment éviter le conflit1.

Perspective démocratique

Dans le document « Un pays pour la paix » conçuen prévision d’un Québec indépendant, nouspouvons observer, entre autres, ce que les Artistespour la Paix prônent comme valeurs.

« En tant qu’État indépendant, un pays pacifistecultiverait avant tout les valeurs essentielles propices àl’épanouissement individuel et collectif, car la paix estune intelligence profonde du monde, de soi etd’autrui. »

Ces valeurs, ce sont la liberté, l’équité et la solida-rité. Ce document exprime que la paix se base sur« l’État de droit » par lequel la démocratie et ledroit sont plus importants que la force, soulevantaussi le droit à la dissidence. Ils expriment com-ment la domination d’un groupe sur un autrecède devant la démocratie. Dans ce projet depays, l’idée est d’investir dans l’éducation, la re-cherche scientifique et la résolution pacifique desconflits qui serait une activité rentable tant àcourt qu’à long terme. En ce qui concernel’équité, le statut équivalent des personnes quiparticipent à l’État de droit est essentiel. La dis-tinction entre équité et égalité est remarquée,mettant en valeur celle d’équité parce qu’ellelaisse la place à la diversité des êtres. La solidaritépermettra de construire un mode de fonctionne-

1 Tiré des échanges avec Pierre Jasmin et Paul Klopstock

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ment interpersonnel, social et culturel à la fois ef-ficace et inspirant. Il promeut la coopération etconcertation entre nations. Cette concertation se-rait « le seul moyen pacifique de rompre le cercle vi-cieux de l’opposition droits humains/échanges com-merciaux ».

Ce document incite aussi à mettre l’imaginationau pouvoir. D’abord, il met en valeur tous les ac-teurs qui ont contribué à construire le Québecmoderne, symboliquement ouvert au monde àl’EXPO ‘67. Entre eux, les signataires du RefusGlobal jusqu’aux « globe-trotters culturels »d’aujourd’hui qui pourraient bien être placés aucentre de l’épanouissement de notre pays. « Laculture, cet art de vivre évolutif, loin d’illustrer lafrange fantaisiste d’un peuple, en est le cœur im-mense ».

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JASMIN, Pierre, Murmure pour la paix, discours, Mon-tréal, 2001, 5 pages.

JASMIN, Pierre, Présentation des Artistes pour la Paixdevant le comité spécial sur la politique de défensedu Canada, Montréal, 1994, 7 p.

JASMIN, Pierre, « Un Québec démocratique sera démilita-risé (et vice-versa) », revue Option-Paix, Hull, octobre1996, 8 p.

JASMIN, Pierre, Discours suite aux bombardements del’Afghanistan. Montréal, Place d’Armes, 16 octobre2001, 4 p.

JASMIN, Pierre et GARNEAU, Jean-François, « Un payspour la paix », autour de 1995, 14 p.

JASMIN, Pierre, L’an 2000 n’est plus une utopie : les Ar-tistes pour la Paix, Document-projet de livre des Artis-tes pour la Paix, Montréal, 8 p.

KLOPSTOCK, Paul, Discours lors de l’anniversaire desbombardements d’Hiroshima et de Nagasaki, Mon-tréal, 2002, 2 p.

KLOPSTOCK, Paul, Présentation devant le Comitépermanent des affaires étrangères et du commerceinternational de la Chambre de communes du gou-vernement du Canada, Montréal, 28 février 2002, 4 p.

Bulletin des Artistes pour la PaixKLOPSTOCK, Paul, « Réclamons la poésie », Montréal,

hiver 2001, 8 p.KLOPSTOCK, Paul,

« Mondialisation = Militarisation », automne 2000,4 p.

KLOPSTOCK, Paul, « Céline… Artiste pour la Paix? »,hiver 2000, 4 p.

KLOPSTOCK, Paul, « Dernière heure : Kosovo »,Montréal, hiver-printemps 1999, 10 p.

LUSSIER, Jacques , « Un dernier mot du président, Jac-ques Lussier », Montréal, automne 1999, 6 p.

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Section « Entrevues »

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Entrevues

Entrevue avec PaulKLOPSTOCKpar Ilia CASTRO

Jeudi, le 31 octobre 2002, au Byblos, à Montréal,j’ai eu le grand plaisir de rencontrer etd’interviewer Paul Klopstock, président des Ar-tistes pour la Paix et coprésident de l’Alliance cana-dienne pour la paix, un militant engagé.

Je savais qu’il venait d’arriver d’une réunionpour la paix à Ottawa. Cette proximité des cir-constances me faisait sentir qu’il y avait quelquechose de tout chaud à découvrir et, en effet ! Celam’a permis de comprendre concrètement leurmanière de contribuer à la cause, qui n’est rien demoins que LA PAIX.

Mais, qu’est-ce que la paix ? Paul Klopstock medit que :

« la paix… est vaste, trop vaste !…La paix c’est non juste…armes, la paix est équité sociale, protection del’environnement. Nous ne pouvons pas traiter de tout cela,on reste dans le domaine de dépenses militaires, pacifisme denon-violence. Il y a une phrase qu’un collègue utilise sou-vent : si la guerre est une institution, nous avons le devoird’institutionnaliser la paix ».

J’amène à ce moment-là une phrase que j’avaislue dans leur bulletin d’hiver 2001, qui m’avaitmarquée « Il n’a pas de chemin vers la paix ;plutôt la paix est le chemin » de Abraham Johan-nes Muste. « La paix est une façon d’être. C’est untravail énorme. Il faut changer la mentalité de nosgouvernements mais aussi de la société. Il y a uneresponsabilité personnelle… donc, c’est vaste ! »,me dit-il.

Revenons à sa journée à Ottawa. Paul Klopstockavait participé, en tant que représentant des Artis-tes pour la Paix et coprésident de l’Alliance cana-dienne pour la Paix - secteur Québec, à une réuniondu Réseau canadien pour l’abolition des armes nu-cléaires. Ce réseau regroupe des organismes telsque : les Avocats pour la responsabilité sociale (Cal-gary), les Physiciens pour la survie globale (Ottawa),le Centre pour la responsabilité nucléaire (Montréal),Science for peace (Toronto) et plusieurs genres degroupes pacifistes qui travaillent spécifiquementsur le désarmement nucléaire. Ces réunions ont

lieu deux fois par année à Ottawa et elles ont unedurée de deux jours. Dans ces rencontres, il estquestion des stratégies, et « de mettre nos têtesensemble pour trouver une manière d’avancerl’agenda sur le désarmement nucléaire chez legouvernement et aussi, côté sensibilisation, au-près du public », me dit-il.

À cette réunion, ils reçoivent aussi la visite dudépartement des Affaires étrangères d’un spécia-liste dans le désarmement nucléaire. Cette per-sonne les informe de la politique qui est en traind’être élaborée.

Dans ces rencontres, il est toujours questiond’actualité. Par exemple, ils ont appris que, de-puis très récemment le Canada a l’intention, pourla première fois, de voter OUI sur une résolutionpour le désarmement aux Nations Unies. La si-tuation est très complexe parce que même si leCanada se dit pour le désarmement et qu’il n’estpas une puissance nucléaire, étant membre del’OTAN, il est obligé de suivre leur politique.Cette politique n’est pas appréciée au Canada,alors ces groupes pour la paix essaient de briserce traité. Ils aimeraient que tous les pays del’OTAN qui ont signé pour la non-proliférationprennent action quant à l’obligation de ces traités.

Je trouve intéressant d’exposer ce problème parcequ’il nous met en contexte dans un des volets surlesquels les Artistes pour la Paix agissent, il nouspermet également de clarifier la situation danslaquelle on se trouve aujourd’hui, tout en mettanten lumière un des enjeux de l’actualité au sein dumouvement pour le désarmement et la paix.

Ce traité de non-prolifération a été signé par en-viron 180 pays. C’est une entente entre les puis-sances nucléaires et les pays qui n’ont pasd’armes nucléaires. L’entente est parfaite, ceuxqui n’ont pas d’armes nucléaires ne s’en procure-ront pas et ceux qui en ont vont désarmer. Leproblème est que la date d’échéance de cette en-tente, actuellement, est indéfinie. Ceci permet auxpuissances militaires de ne pas se presser à dé-sarmer et cette situation provoque un« développement horrible », s’exclame PaulKlopstock… Les pays armés et ceux qui ne le sontpas n’arrivent plus à un consensus et le résultatsaute aux yeux.

« L’Inde et le Pakistan n’ont jamais signé ce traité, n’ont pasvoulu parce que c’est un Pacte du diable, disent-ils, parceque c’est entre ceux qui en ont et ceux qui en ont pas. Tantqu’il n’y aura pas de preuves que les puissances nucléairesvont passer à l’acte, ils ne peuvent pas signer et encourager

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Entrevue avec Paul KLOPSTOCKpar Ilia CASTRO

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ça. Mais, entre temps, ils ont développé leurs propres armes.Israël n’a pas signé ce traité non plus et c’est connu, même sice n’est pas officiel, qu’il a des armes nucléaires. C’est diffi-cile mais c’est ce qu’on a, alors… il faut travailler avec ça »,me dit-il dans un ton inquiétant.

À chaque année, il y a une résolution du Groupedes Nations disant qu’on veut le désarmement nu-cléaire. Les pays de l’OTAN votent selon la poli-tique qui les régit et qui dit qu’ils ne peuvent pasêtre d’accord avec cette résolution. Mais depuisquatre ou cinq ans, le Canada et quelques pays del’OTAN, comme l’Allemagne et quelques paysnordiques, qui sont à faveur de la résolution, ontdécidé de s’abstenir de voter. À l’époque, c’étaitdéjà un grand pas mais maintenant, pour la pre-mière fois, le Canada a l’intention de voter OUI etc’est le seul pays de l’OTAN qui va à l’encontrede leur politique. « Ça promet beaucoup ! »,s’exclame-t-il encouragé.

Paul Klopstock et une collègue ont participé àdeux autres activités qui ont eu lieu en parallèle àOttawa. Une des activités a été une session delobbying auprès de Francine Lalonde, députée deMercier, porte-parole du Bloc Québécois et criti-que en matière d’affaires étrangères. FrancineLalonde est fortement au courant des dossiers. LeBloc, en général, fait un travail sérieux et étoffé derecherche.

Paul Klopstock m’expliquait qu’avec FrancineLalonde, le travail n’était pas nécessairement dela renseigner sinon que de partager des informa-tions. Par exemple, eux l’ont informée del’intention du Canada de voter OUI à la résolu-tion sur le désarmement au sein de l’ONU etFrancine Lalonde, étant au courant des affairesdu gouvernement, leur indiquait, quelle était lapersonne idéale pour faire du lobbying cestemps-ci. Il en résulte que c’est John Manley, levice-premier ministre du Canada, l’homme fortdu moment qui négocie avec les États-Unis.

Il me partageait l’importance de ces réunions et ladifférence entre les possibles rencontres. AvecFrancine Lalonde, en partant, ils sont très en ac-cord avec la politique, mais Paul Klopstock et sacollègue étaient là pour dire qu’ils trouvaientqu’en ce moment, le Bloc laisse tomber le dossierdes armes nucléaires. Alors, c’était leur messageen rentrant. Ensemble, ils vont collaborer, ils vontse dire quoi faire, ce que les uns et les autres peu-vent faire et ce qu’ils aimeraient que le Bloc fasse.Le lobbying avec un député libéral qui ne connaîtpas les dossiers, est tout autre ; ils deviendrontprofesseurs. Auprès du député critique en ma-

tière de la défense de l’Alliance canadienne, ilssavent d’abord que leurs points de vue divergent.Alors, ils sont là pour exprimer leur désaccord,cordialement, mais il faut être entendu et faireconnaître que cette position existe.

L’autre activité en parallèle était le Comité mixtesur les affaires étrangères. Ce comité mixte du Sénatet de la Chambre de Communes et Destinatairequi fait partie des affaires étrangères. Ils fusion-neront pour une séance d’étude. Un groupe delobbyistes, Middle Powers Initiative, était présentpour témoigner devant ce comité. Middle PowersInitiative a été fondé par Douglas Roche, sénateurdu Canada, très engagé dans le désarmement. Cegroupe est formé par des personnes de diverspays comme les États-Unis et la Nouvelle-Zélande, entre autres. Ils font du lobbying auprèsdes pays qui ont une certaine influence mais quin’ont pas d’armes nucléaires, commel’Allemagne, les pays Scandinaves, le Mexique,l’Australie et cela, afin de mettre de la pressionsur les superpuissances. Middle Power Initiave aune approche très intéressante ; à cette instance, ilétait représenté par Douglas Roche et KimCampbell, ancienne première ministre du Cana-da, ancienne Ministre de la Défense, actuellementconsule générale à Los Angeles ainsi que quel-ques autres personnes d’influence. Du côté ducomité mixte, il y avait Sven Robinson, députénéo-démocrate de la Colombie-Britannique et an-cien ministre de la défense, Francine Lalonde duBloc Québécois, Stockwell Day, critique en ma-tière étrangère de l’Alliance canadienne etd’autres personnes.

« Juste de voir ces dynamiques…, ces audiences sont publi-ques, c’est très intéressant d’aller au Parlement, ça démysti-fie beaucoup ! Un comité multi-parti qui travaille sur lemême sujet pour le gouvernement consulte le public et, toutd’un coup, tu réalises que, oui, tu as un mot à dire en tantque citoyen, autant que faire du lobbying. Il n’y a rien deplus facile, tu prends un rendez-vous avec ton député, tu disà quel sujet, tu es reçu et tu t’exprimes ! », me dit-il, dou-cement mais convaincu.

C’est autour de cela que s’est déroulée sa journéeà Ottawa. « C’était génial ! » me dit-il. Petite jour-née, n'est-ce pas ?

Mais, qui est cet homme ? Paul Klopstock est unmusicien professionnel, un pianiste. Il a commen-cé à étudier le piano quand il avait 7 ans, sa mèreest pianiste de jazz. C’est en finissant ses étudessecondaires qu’il a décidé de poursuivre en mu-sique classique à l’université. Il a gradué avec unbaccalauréat en musique en interprétation. En-

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suite, il a été engagé pour jouer avec l’ensemblede tango Romulo Larrea et cela depuis 12 ans.

Pendant ses études, il a rencontré Pierre Jasmin,son professeur, qu’il considère comme son maîtrede piano. Pierre Jasmin était président des Artis-tes pour la Paix de 1990 à 1997. C’est par lui quePaul Klopstock a entendu parler de cet organisme« sans qu’il vienne me chercher » prend-il le soinde me dire.

« En 1990, quand l’Irak a envahi le Koweït, j’avais les brastrop bas et c’est là que je me suis dit, c’est trop difficile de nerien faire et regarder ça. Cette sensation que beaucoup demonde dans la société a, cette sensation d’impuissance…C’est à ce moment-là que j’ai commencé à côtoyer les Artis-tes pour la Paix », me raconte-t-il.

Ses premiers pas chez les Artistes pour la Paix ontété au bureau, en les aidant à faire ce qu’il y avaità faire. Ensuite, en allant aux manifestations et enparticipant aux activités. Deux ans plus tard il estdevenu membre de Conseil d’administration etc’est malgré lui qu’il considère être resté tout cetemps. Pendant une année ou deux, il s’est retirédu CA mais ensuite, il y est retourné. Il s’est oc-cupé de la planification des différentes chosesmais il y a en une qui semble l’avoir marqué : le50e anniversaire des bombardements d’Hiroshimaet de Nagasaki. Il s’est impliqué dansl’organisation de ce grand événement. C’était unevigile de 75 heures dans le Vieux Montréal où il yavait des cloches, des lanternes, de la musique.Jour et nuit il y a eu du monde, qui faisait la sen-sibilisation auprès du public en expliquant pour-quoi ils étaient là ; les gens posaient des questionset ils étaient là pour leur répondre.

L’année suivante, il est devenu vice-président parintérim des Artistes pour la Paix et re vice-président. En 1997, il a commencé à s’impliquerdans l’Alliance canadienne pour la Paix comme re-présentant des Artistes pour la Paix. Même s’ilsétaient membres de ce regroupement et aussi duRéseau pour la pollution des armes nucléaires, ilsn’avaient pas de représentants sur leurs CA.Alors, Paul Klopstock a pris ce rôle.

En 1998, il a été élu coprésident pour l’Alliance ca-nadienne, poste qu’il occupe encore aujourd’hui.Depuis 1999, il est aussi président des Artistespour la Paix et tout humblement il me dit :

« Alors, c’est un peu malgré moi. J’avais un peu de volontéet avec le temps, j’ai acquis des connaissances qui ont permisaux membres de me faire confiance et de me demander de de-venir président. Éventuellement, j’ai moi-même senti laconfiance de dire oui ».

En plaçant un peu les points sur les i, il clarifieque, contrairement à ce que le monde croit, lesArtistes pour la Paix n’est pas un groupe qui faitdes spectacles pour chanter la paix ! « Noussommes un groupe un peu plus politisé, je diraiun groupe de lobbying. C’est de cette manièreque je décris le mieux les activités des Artistespour la Paix ».

Paul Klopstock, en tant que président des Artistespour la Paix, se trouve à faire beaucoup de dis-cours en public. Dernièrement, il en a prononcéquelques-uns dans des manifestations après lesattaques du 11 septembre et suite aux bombar-dements entamés en Afghanistan. Le 17 novem-bre passé, il a été ciblé pour être porte-parole de-vant des milliers de personnes. À chaque année, àla cérémonie de Commémoration d’Hiroshima etNagasaki, il fait des discours plus politisés.

« Oui, je suis là pour dire : C’est terrible et il ne faut pas ou-blier ce monde-là, mais ça se n’arrête pas là. Il faut dire enmême temps qu’aujourd’hui nous ne sommes pas sortis dubois et qu’on a du travail à faire parce que la menace que çase répète est très forte ! »

Les armes nucléaires sont un des enjeux majeursà l’heure actuelle. On parle du désarmement maisaussi du transport. Paul Klopstock m’a parlé del’importante menace qui existe d’un possible ac-cident concernant les armes nucléaires ainsi queles dangers du transport du plutonium sousforme de combustible (MOX). Deux sujets surlesquels les Artistes pour la Paix interviennent.

Pendant la Guerre froide, les États-Unis comme laRussie savaient qu’il n’y avait aucune utilité às’en servir des armes nucléaires mais l’utilité enétait une politique de « destruction mutuelle as-surée » par laquelle chacun allait garder la mêmequantité d’armes sans s’en servir ; sauf, si l’autres’en servait. Le problème est qu’il n’y a jamais euune entente qui disait que personne ne s’en servi-rait en premier. Cette situation a permis une es-calade à 75 000 missiles nucléaires. Actuellement,il existe 30 000 armes nucléaires dont 5 000 sontprêtes à être utilisées n’importe quand.« Oublions la terre!! Jusqu’à date, la plus grandemenace avec ces armes, n’est pas une utilisationdélibérée mais un accident et il y a en eu telle-ment… personne n’en entend parler, ça fait bientrop peur mais des exemples… il y en a »,s’exclame-t-il, il m’en racontera plusieurs. À unmoment donné, il exprime « Avec le positionne-ment des pays, avec Bush qui veut la dominationmondiale, c’est pas rose ! … La question du nu-cléaire, c’est une question de puissance, de pro-

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tection et de positionnement ». Par rapport autransport du plutonium des armes nucléairesdémantelées vers nos réacteurs nucléaires, les Ar-tistes pour la Paix sont aussi intervenus.

Un autre enjeu majeur à l’heure actuelle, c’est laguerre en Irak. En ce moment, au sein au comitéd’administration, il y a une personne qui fait par-tie aussi d’un regroupement qui travaille surl’Irak ; par elle, les Artistes pour la Paix ont la pos-sibilité de partager des informations et de tra-vailler en collaboration. Ils enverront une mise àjour de la situation à leurs membres via leur bul-letin, ils écriront des lettres bien informées et étof-fées au gouvernement, ils se mobiliseront pouracquérir des connaissances auprès du groupeObjection de conscience/Voices of conscience (OCVC)qui lutte contre l’embargo imposé à l’Irak et ils lesappuieront dans leurs actions de façon ponc-tuelle. Tous les groupes qui travaillent sur ceproblème, tant au niveau nationalqu’international, s’uniront pour faire le message« qu’on ne veut pas cette guerre ». Ils trouventque :

« c’est une excuse pour utiliser une meilleure technique mili-taire et faire des commandes aux compagnies qui fabriquentdes équipements militaires. Georges W. Bush et CondoleezzaRice ont de l’argent dans le pétrole, ils ont intérêt à ce que lepétrole soit menacé et qu’il augmente de prix. Richard Che-ney, le vice-président des États-Unis, a des intérêts économi-ques dans la défense. Alors, ils ont intérêt que les États-Unisqu’ils aient à faire des commandes de nouveaux équipements.N’oublions pas que le lendemain des attentats du 11 septem-bre, quand la bourse a été réouverte, tous les domainesavaient chuté sauf les banques et la défense qui ont monté enflèche ! », dénonce Paul Klopstock.

Des actions communes avec des groupes qui re-joignent les revendications des Artistes pour laPaix sont fréquentes. La communication, entre lesorganismes non gouvernementaux (ONG),l’ONU, avec certaines personnes du gouverne-ment, comme Douglas Roche, sénateur du Cana-da qui est un allié formidable, au niveau nationalcomme international, cette communication est ré-ellement étroite. Cela est essentiel pour pouvoirmettre de la pression sur des gouvernements etfaire avancer les causes, par exemple, « dès qu’onsait que le Canada votera OUI, on veut être sûrsque nos collègues en désarmement nucléaire àtravers le monde le sachent pour qu’ils puissentutiliser cela pour faire du lobbying auprès deleurs propres gouvernements », me partage-t-ilavec enthousiasme.

« Je crois qu’un artiste est engagé en soi-même, pas pour lapaix mais… un artiste est engagé point ! Pratiquer un art

est un engagement envers soi. Dans l’histoire, je crois que lesartistes ont été le baromètre de la société et donc, des porte-parole assez privilégiés pour une population et une société,pour être dénonciateurs. Je crois que nous avons un statutprivilégié ».

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Section « Calendrier culturel »

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Calendrier culturel

Les journées de la culture

La culture pour tous… partout au Québec !

Pour une sixième année, les Journées de la cultureconvient la population de tout le Québec à dé-couvrir les mille et un visages de la culture. Pen-dant trois jours, le vendredi 27, samedi 28 et di-manche 29 septembre 2002, tous sont invités àvenir rencontrer les artistes, artisans et travail-leurs culturels

La petite histoire des Journées de la Culture

Printemps 1996

Un groupe d’individus du milieu culturel pro-pose d’inscrire un projet au Sommet sur l’économieet l’emploi afin de mettre en valeur le rôle de laculture dans le développement du Québec.

Août 1996

Le projet s’élabore, soutenu par la majorité desassociations culturelles nationales.

Octobre 1996

Le projet des Journées de la culture est accepté suiteà sa présentation par Madame Nancy Neamtan,présidente du Chantier de l’économie sociale, lors duSommet sur l’économie et l’emploi.

Janvier à avril 1997

Campagne d’information auprès du milieu cultu-rel à travers le Québec : artistes et organismesculturels manifestent leur intention de joindre lesrangs de ce mouvement en faveur de la démo-cratisation de la culture. Un comité organisateur

et un secrétariat permanent sont mis sur pied.

Mai 1997

Le financement des Journées de la culture seconcrétise. Le gouvernement du Québec, des en-treprises et des agences de publicité et de com-munication s’engagent dans l’aventure.

17 juin 1997

L’Assemblée nationale du Québec adopte àl’unanimité une motion spéciale décrétant le der-nier vendredi de septembre et les deux jours sui-vants Journées nationales de la culture.

25, 26, 27 septembre 1997

La première édition des Journées de la culture seréalise et connaît un véritable succès. Plus de 500organismes, artistes et artisans proposent à la po-pulation du Québec plus de 700 activités de sen-sibilisation aux arts et à la culture. Un peu plusde 159 000 personnes y participent.

25, 26 et 27 septembre 1998

Deuxième édition des Journées de la culture. Plusde 650 organismes, artistes et artisans présententquelques 900 activités rejoignant plus de 150 000personnes dans 246 villes et villages du Québec.

12 et 13 avril 1999

Premier forum « La Rencontre » organisé par leSecrétariat des Journées de la culture. 240 personnesdu milieu de la culture prennent part à une ré-flexion sur les enjeux de la démocratisation cultu-relle au Québec et sur les moyens à prendre pourdévelopper l’accès pour tous aux arts et à laculture.

24, 25 et 26 septembre 1999

Troisième édition des Journées de la culture.Quelque 800 organismes culturels, artistes et arti-sans offrent des activités à 200 000 visiteurs.

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Les journées de la culture

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Un sondage Léger et Léger effectué pendantl’événement auprès de 1 014 personnes révèleque plus d’un québécois sur deux (52,7 %)connaît les Journées de la culture et le tiers des gensinterrogés en identifie l’objectif de démocratisa-tion.

2 mai 2000

Deuxième édition du forum « La Rencontre » au-quel participent 220 personnes.

10 septembre 2000

Émission spéciale « Culture en direct » sur lesJournées de la culture, diffusée simultanément surles cinq chaînes de télévision francophone : Ra-dio-Canada, Télé-Québec, TQS, TVA et TV5.

Printemps 2000

Le Secrétariat des Journées de la culture coordonneau Québec « L’Expérience photographique inter-nationale des monuments », projet initié il y aquelques années par la Catalogne et qui s’intègreaux Journées européennes du patrimoine.

29, 30 septembre et 1er octobre 2000

Quatrième édition des Journées de la culture pré-sentant au-delà de 1 000 activités dans tous lescoins du Québec auxquelles participent plus de233 000 personnes, une augmentation de 17 % dela fréquentation par rapport à l’année précédente.

Mars 2001

Le Secrétariat des Journées de la culture devient offi-ciellement une corporation à but non lucratif,alors que l’organisation n’avait existé formelle-ment que sous l’entité juridique du Chantier del’économie sociale.

28, 29, 30 septembre 2001

Cinquième édition des Journées de la culture à la-quelle 237 000 personnes ont participé à quelques1 800 activités.

23 avril 2002

Troisième édition du forum « La Rencontre », surles enjeux de la démocratisation de la culture, au-quel participent près de 200 personnes issues desmilieux de la culture et de l’éducation.

27, 28, 29 septembre 2002

Sixième édition des Journées de la culture à laquelleont pris part plus de 223 000 personnes dans 227municipalités.

Vous désirez organiser une activité lors de la pro-chaine édition des Journées de la culture?

Nous vous invitons à télécharger le Guide et leformulaire :http://www.journeesdelaculture.qc.ca/fr/index.html.

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Section « Cahiers de l’action culturelle »

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Cahiers de l’actionculturelle

Prochain numéroLe numéro 3 des Cahiers de l’action culturelle estsous la responsabilité de Charles Rajotte. Le nu-méro portera sur le thème : Action culturelle etmédias.

La date de parution du prochain numéro est pré-vue pour le début octobre 2003. La date de tom-bée des articles ou des textes est le mercredi 1er

octobre.

Pour soumettre un article, vous pouvez contacterCharles Rajotte par courriel : [email protected].

Normes de production des textes

Les auteur-e-s rédigent leur texte en format stan-dard, à double interligne, et en font parvenirdeux copies imprimées au secrétariatd’Animation et recherche culturelles, accompa-gnées de la copie sur disquette ou d’un envoi dudocument par courrier électronique.

La longueur des articles est liée au thème du nu-méro.

§ Articles de nature éditoriale pour la premièresection : une page à double interligne, Times12, marge 2,50 cm (références incluses).

§ Articles de nature dossier pour la deuxièmesection : de 20 à 30 pages à double interligne,Times 12, marge 2.50 cm (bibliographie noncomprise).

§ Articles de référence pour la troisième sec-tion : de 2 à 15 pages à double interligne, Ti-mes 12, marge 2.50 cm (références incluses).

§ Information pour la quatrième section : de 1 à5 pages à double interligne, Times 12, marge2.50 cm.

La page titre de tout texte soumis à la Revue doitcomprendre le titre de l’article, le nom, l’adresseélectronique et l’attache institutionnelle ou pro-fessionnelle de l’auteur-e ou des auteur-e-s.

Les notes sont numérotées de façon continue enbas de page du texte.

Les références bibliographiques, intégrées autexte, comprennent le nom de famille de l’auteur,l’année de publication et au besoin le(s) numé-ro(s) de page (ex. : Midy, 1996 : 33).

Les tableaux, graphiques et figures sont numéro-tés de façon à ce qu’il soit possible d’y faire réfé-rence dans le texte.

La bibliographie suit l’ordre alphabétique desauteurs et respecte les règles suivantes, selonqu’il s’agit :

§ D’un livre. Nom de l’auteur, prénom. Annéede publication. Titre de l’ouvrage (en itali-ques). Lieu d’édition, nom de l’éditeur.

Ex. THÉRY, Irène. 1993. Le Démariage. Paris, Odile Ja-cob.

§ D’un article de revue. Nom de l’auteur, pré-nom. Année de publication. Titre de l’article(entre guillemets), titre de la revue ou de lapublication (en italiques), volume et numérode la parution, mois ou saison (s’il y a lieu),numéro de la première et de la dernière page.

Ex. PHILLIPS, Ann, et Barbara TAYLOR. 1980. « Sexand skill: Notes towards a feminist economics »,Feminist Review, 6 : 79-88.

§ D’un article de recueil. Nom de l’auteur, pré-nom. Année de publication. Titre de l’article(entre guillemets), préposition « dans », pré-nom et nom du responsable de la publication,suivi de la mention appropriée (éd., dir.,coord.). Titre de l’ouvrage (en italiques). Lieud’édition, nom de l’éditeur, numéro de lapremière et de la dernière page de l’article.

Ex. : LENOËL, P. 1996. « Dire l’enfant dans le Code ci-vil au XIXe siècle », dans M. CHAUVIÈRE,P. LENOËL et E. PIERRE, éd. Protéger l’enfant. Rai-son juridique et pratiques socio-judiciaires XIXe-XXesiècles. Rennes, Presses universitaires de Rennes : 45-56.

Tous les noms de famille d’auteur sont en majus-cules (mettre les accents, s’il y a lieu). Le nomprécède le prénom (ou les initiales) uniquementpour le premier auteur mentionné dans la réfé-rence. S’il y a lieu, le nom et le numéro de collec-tion peuvent être indiqués à la suite du nom del’éditeur.