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Langue(s). Langage(s). Histoire(s). édité par Ekaterina VELMEZOVA Cahiers de l’ILSL, 31, 2011

Cahiers 31

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  • Langue(s). Langage(s). Histoire(s).

    dit par Ekaterina VELMEZOVA

    Cahiers de lILSL, 31, 2011

  • Langue(s). Langage(s). Histoire(s).

    Cahiers de l'ILSL No 31, 2011 Ldition de ce recueil a t rendue possible grce laide financire de la Facult des Lettres de lUniversit de Lausanne

  • Ont dj paru dans cette srie :

    Cahiers de l'ILSL

    L'Ecole de Prague : l'apport pistmologique (1994, n 5)

    Fondements de la recherche linguistique :

    perspectives pistmologiques (1996, n 6)

    Formes linguistiques et dynamiques interactionnelles (1995, n 7)

    Langues et nations en Europe centrale et orientale (1996, n 8)

    [puis]

    Jakobson entre l'Est et l'Ouest, 1915-1939 (1997, n 9)

    Le travail du chercheur sur le terrain (1998, n 10)

    Mlanges en hommage M.Mahmoudian (1999, n 11)

    Le paradoxe du sujet : les propositions impersonnelles

    dans les langues slaves et romanes (2000, n 12)

    Descriptions grammaticales et enseignement de la grammaire

    en franais langue trangre (2002, n 13)

    Le discours sur la langue en URSS l'poque stalinienne

    (2003, n 14)

    Pratiques et reprsentations linguistiques au Niger (2004, n 15)

    Le discours sur la langue sous les pouvoirs autoritaires (2004, n 17)

    Travaux de linguistique. Claude Sandoz (2005, n 19)

    Un paradigme perdu : la linguistique marriste (2005, n 20)

    La belle et la bte : jugements esthtiques en Suisse romande et

    almanique sur les langues (2006, n 21)

    Etudes linguistiques kabyles (2007, n 22)

    Langues en contexte et en contact (2007, n 23)

    Langage et pense : Union Sovitique, annes 1920-30 (2008, n 24)

    Structure de la proposition (histoire d'un mtalangage) (2008, n 25)

    Discours sur les langues et rves identitaires (2009, n 26)

    Les Cahiers de l'ILSL peuvent tre commands l'adresse suivante

    CLSL, Facult des Lettres, Anthropole

    CH-1015 LAUSANNE

    renseignements :

    http://www.unil.ch/clsl

  • Langue(s). Langage(s). Histoire(s).

    Centre de linguistique et des sciences du langage

    numro dit par Ekaterina VELMEZOVA

    Illustration de couverture: dessin-collage dE. Velmezova Lettres (2009)

    Cahiers de lILSL, 31, 2011

  • Les Cahiers de l'ILSL (ISSN 1019-9446)

    sont une publication du Centre de Linguistique et des Sciences du

    Langage de l'Universit de Lausanne (Suisse)

    Linguistique et sciences du langage Quartier UNIL-Dorigny, Btiment

    Anthropole CH-1015 Lausanne

  • Cahiers de lILSL, 31, 2011, p. 1-4

    Prsentation

    Ekaterina VELMEZOVA

    Ce recueil devait lorigine prsenter les actes dune seule cole doctorale en histoire des thories linguistiques1, mais ce livre a vite dpass ce cadre thmatique puisque nous publions ici les articles de chercheurs qui ont particip dautres coles doctorales et / ou qui sont venus lUniversit de Lausanne dans le cadre de leurs recherches ou pour enseigner (cours universitaires, sminaires de 3me cycle, colloques et confrences, projets de recherche, etc.). Les auteurs des articles publis ci-aprs viennent de Suisse et de France, dEstonie et du Brsil, de Russie, dItalie et des tats-Unis Leur participation na pu que contribuer la diversit thmatique des sujets prsents dans ce recueil. Nanmoins, la thmatique commune qui runit toutes ces contributions reste toujours la mme: il sagit de lhistoire des ides linguistiques.

    Les coles doctorales lausannoises en histoire des thories linguisti-ques et les recueils de leurs actes sont organiss par les slavisants de lUniversit de Lausanne; par consquent dans la plupart des contributions prsentes dans ce recueil il sera question de lhistoire de la linguistique slave ou, plutt, russe. Ainsi, plusieurs chercheurs lausannois abordent dans leurs articles diffrents sujets de la linguistique sovitique des annes 1920-1930. Le large spectre des thmes qui y sont abords tmoigne du caractre intellectuellement diversifi de cette poque en URSS. Margarita Schoe-nenberger (Lausanne) tudie en dtail lhritage intellectuel de Boris Alek-sandrovi Larin2 (1893-1964) dans le contexte historique et acadmique gnral des annes 1920-1930. La chercheuse insiste sur le caractre trs particulier des convictions thoriques de Larin, en comparaison avec les positions de nombreux autres linguistes sovitiques: Larin prconisait une

    1 Il sagit de lcole doctorale lmanique en histoire des thories linguistiques qui a t orga-

    nise par lUniversit de Lausanne (Section de langues et civilisations slaves / CRCLECO) Crt-Brard en octobre 2009 (http://www2.unil.ch/slav/ling/colloques/09ECDOC/09Ecdoct. html). 2 quelques exceptions prs (dues aux normes typographiques des Cahiers de lILSL), dans

    ce recueil est adopt le systme de translittration internationale ou des slavistes (cf. Asla-noff Serge [Aslanov Sergej], Manuel typographique du russiste. Paris: Institut dtudes slaves, 1986, p. 38). Nanmoins, la translittration traditionnelle sera utilise pour certains noms propres de non linguistes principalement qui sont dj entrs dans lusage francophone (comme par exemple Pouchkine) malgr une part darbitraire dans ce choix.

  • 2 Cahiers de lILSL, 31, 2011

    mthode inductive dans la recherche linguistique, en mettant en garde contre les postulats prconus qui pouvaient influencer le travail des lin-guistes. La recherche dInna Tylkowski (Lausanne) est consacre un autre pisode de la linguistique sovitique de ces mmes annes 1920-1930, savoir le livre Marxisme et philosophie du langage (1929) de Valentin Nikolaevi Voloinov (1895-1936) et sa rception par Rozalija Osipovna or (1894-1939). Mme si, conformment lesprit intellectuel gnral de ce temps, les deux chercheurs aspiraient crer une science du langage marxiste, leurs points de vue taient parfois opposs, ce qui se manifeste, entre autres, dans leurs interprtations diffrentes des ides saussuriennes. Ekaterina Alekseeva (Lausanne Saratov) touche plusieurs notions et catgories smiotiques et philosophiques propres au courant de la Glorifi-cation du nom [Imjaslavie], en rappelant que les intrts intellectuels des reprsentants principaux de ce courant (Sergej Nikolaevi Bulgakov [1871-1944], Aleksej Fedorovi Losev [1893-1988], Pavel Aleksandrovi Flo-renskij [1882-1937]) taient concentrs, en grande partie, sur des questions de philosophie du langage, comme larbitraire du signe linguistique, lon-tologie de la langue et du nom, etc.

    Larticle de Patrick Sriot (Lausanne) est consacr une poque plus rcente de lhistoire de la linguistique sovitique: y sont analyss les fon-dements pistmologiques du discours sur la langue en URSS des annes 1960-1980. Cette tude sur la glottognse dans la linguistique historiciste en URSS a t publie pour la premire fois il y a dj 25 ans, et pour les historiens des thories linguistiques il sera sans doute intressant de compa-rer les ides-cls de ce travail avec les thses majeures quon trouve dans les recherches ultrieures de P. Sriot. De plus, certaines ides centrales de cet article ont t par la suite dveloppes en dtail dans les tudes de ses tudiants et doctorants.

    Enfin, cest lhistoire vivante de la linguistique russe qui est pr-sente dans linterview de Vjaeslav Vsevolodovi Ivanov (Moscou Los-Angeles), connu, en particulier, comme lun des fondateurs et lun des principaux protagonistes de lcole smiotique de Moscou-Tartu. Ralise par Kalevi Kull (Tartu) et Ekaterina Velmezova (Lausanne) en 2010, cette interview est consacre aux problmes smiotiques et linguistiques: Vja.Vs. Ivanov y rpond des questions sur plusieurs chercheurs qui ont marqu lhistoire des ides en URSS et ailleurs (Roman Osipovi Jakobson [1896-1982], Nikolaj Jakovlevi Marr [1864/1865-1934], Mikhal Mikha-lovitch Bakhtine [1895-1975], etc.); il rflchit sur ltat actuel et sur les perspectives de dveloppement des sciences du langage en gnral, en revenant en mme temps sur plusieurs textes-cls de la smiotique russe entre autres, sur son clbre livre Le pair et limpair [et i neet] (1978).

    La question (linguistique) russe / sovitique est implicitement pr-sente galement dans les contributions o sont abords des problmes concernant dautres langues ou dautres traditions linguistiques. Ainsi, Roger Comtet (Toulouse) tudie la cyrillisation du polonais selon le Lin-

  • E. Velmezova: Prsentation 3

    guarum totius orbis vocabularia comparativa de Peter Simon Pallas (1741-1811) dont la premire dition parut Saint-Ptersbourg en 1787. Les mots de diffrentes langues (y compris le polonais) sont prsents dans cet ou-vrage dans une transcription cyrillique. Daprs R. Comtet, le dictionnaire de Pallas annonce toute une srie de tentatives de cyrilliser lalphabet latin du polonais dans la Russie du XIXme sicle, derrire lesquelles on peut facilement discerner le but politique dassimiler une nation polonaise refu-sant de perdre son identit aprs la liquidation dfinitive de la Rzecz Pospo-lita. Sans tenir compte de linfluence sovitique non seulement intellec-tuelle, mais aussi politique il est impossible dtudier lhistoire du struc-turalisme pragois, ce que nous rappelle Kateina Chobotov (Lausanne) en analysant les critiques adresses aux membres du Cercle linguistique de Prague aprs le putsch communiste de 1948 en Tchcoslovaquie. En URSS, le marrisme restait encore cette poque le courant linguistique principal, ce qui a dtermin le caractre mme de certains des reproches adresss aux linguistes pragois (leur intrt pour la synchronie par excellence, lanalyse des langues en dtachement de ltude de la pense et de la socit, etc.). Lune des consquences malheureuses de cette critique publi-que fut la dissolution du Cercle. Enfin, dans le compte rendu (rdig par E. Velmezova) du livre de Christina Strantchevska-Andrieu (1967-2010) La dcouverte de la langue bulgare par les linguistes russes au XIXe sicle (2011), il sagit de prsenter un ouvrage consacr la premire grammaire et au premier dictionnaire bulgares rdigs en Russie, respectivement par Jurij Ivanovi Venelin (1802-1839) et par Aleksandr Lvovi Djuvernua (1838-1886).

    Les sujets de plusieurs contributions de ce recueil dpassent les fron-tires du monde intellectuel slave tout comme la vie et le destin intel-lectuel du personnage central de larticle de Malinka Pila (Padoue), Serge (Sergej Osipovi) Karcevski(j) (1884-1955), et cest la raison pour laquelle les historiens des ides classent Karcevskij parmi les reprsentants tantt de lcole de Moscou, tantt du Cercle linguistique de Prague, tantt encore de lcole de Genve. La chercheuse italienne, elle, propose ses lecteurs de repenser la thse de Karcevskij sur le dualisme asymtrique du signe linguistique. Yana Grinshpun (Paris) aborde dans sa contribution la pro-blmatique des discours constituants, qui na t initie par Dominique Maingueneau et Frdric Cossutta que dans les annes 1990 or, la cher-cheuse lillustre par des exemples tels que la langue (et le langage) de la philosophie au XVIIme sicle ou encore la traduction de la Bible en fran-ais et les discours concerns par le statut de la langue dans le contexte religieux de cette mme poque. Dans larticle dEni Orlandi (Campinas) le discours sur la langue au Brsil est tudi partir des grammaires compo-ses par des auteurs brsiliens et cest le sujet de la colonisation du Brsil qui passe, tel un fil rouge, par cette analyse dtaille. Larticle de Sbastien Moret traite aussi de sujets linguistiques travers le contexte politique dune poque particulire: daprs Antoine Meillet (1866-1936), la dmo-

  • 4 Cahiers de lILSL, 31, 2011

    cratie europenne laquelle ce savant aspirait supposait ncessairement une composante linguistique, et, sous ce rapport, la notion de langues dmo-cratiques est discute dans le travail du chercheur lausannois.

    Enfin, dans la contribution dE. Velmezova, il sagit de lenseigne-ment de lhistoire des ides linguistiques luniversit. Plus prcisment, une technique particulire y est propose, qui consiste sappuyer sur la littrature.

    La diversit des sujets prsents dans ce recueil reflte toute la ri-chesse actuelle dans le domaine de lhistoire de la linguistique, partout dans le monde. Esprons que nos prochains recueils de travaux sur lhistoire des thories linguistiques garderont toujours cet aspect.

    P.S. Je remercie Sbastien Moret pour toutes ses remarques critiques et pour son aide prcieuse dans le travail avec les textes runis dans ce re-cueil.

  • Cahiers de lILSL, 31, 2011, p. 5-24

    La cyrillisation du polonais selon le Linguarum totius orbis vocabularia comparativa

    de Pallas (1787)

    Roger COMTET

    Universit de Toulouse

    Rsum: La premire dition du dictionnaire plurilingue de Pallas parue Saint-Ptersbourg en 1787 proposait la traduction dune srie de substantifs en pas moins de 200 langues diffrentes selon une transcription cyrillique. Le polonais occupait la di-xime place au sein du groupe des langues slaves plac en tte de louvrage. On se propose, partir du premier volume qui regroupe 130 vocables, dtudier la cyrilli-sation du polonais en relation avec la phonologie et la graphie de cette langue et celles du russe, qui apparat comme une sorte de langue cible de lopration, tout cela dans le contexte de lpoque. On essaiera ce faisant de dterminer ce qui la emport dune simple translittration ou dune transcription phontique; sur le point trait, le dictionnaire de Pallas annonce une srie de tentatives menes en Russie au XIXme sicle pour cyrilliser lalphabet latin du polonais dans le but das-similer une nation polonaise qui refusait obstinment de perdre son identit aprs les partages de la Pologne. La comparaison met en valeur les mrites du diction-naire de Pallas qui, dans ce cas prcis, et compte tenu des contraintes initiales qui interdisaient lusage de signes diacritiques non cyrilliques, a su raliser une syn-thse astucieuse et qui ne mrite pas les critiques adresses en gnral au diction-naire pris dans son ensemble.

    Mots-cls: translittration et transcription, XVIIIme sicle, phonologie du polonais, graphie du polonais, phonologie du russe, graphie du russe, cyrillisation, P.S. Pal-las, interculturalit, changes russo-polonais

  • 6 Cahiers de lILSL, 31, 2011

    1. PRSENTATION

    Le premier volume du fameux dictionnaire plurilingue de Pallas dont le titre pourrait tre rendu en franais par Vocabulaire comparatif des langues du monde entier a t publi en 1787 Saint-Ptersbourg; il comprenait un rpertoire de 130 mots russes tabli par Catherine II qui tait lorigine du projet1; ces 130 mots taient prsents selon un ordre apparemment ala-toire2, et traduits en 200 langues diffrentes (sans compter le russe); lintroduction et les explications finales sur lusage des lettres russes figu-raient, selon les volumes, en russe ou en latin; la seconde partie, parue en 1789, comprenait 143 autres vocables ainsi que les numraux de 1 10, 100 et 1000. La ralisation de ce premier projet fut confie lacadmicien allemand Peter Simon Pallas (1741-1811), naturaliste mais aussi esprit encyclopdique, qui avait fait carrire en Russie; une seconde dition en 4 volumes fut ralise sous la houlette de Fedor Jankovi de Mirievo, pda-gogue serbe au service de Catherine II, et parut en 1791; on y suivait d-sormais lordre alphabtique des vocables trangers avec leur traduction russe: le signifiant lemportait sur le signifi; le rpertoire senrichissait par ailleurs en faisant appel de nouvelles langues, 30 africaines et 23 amrin-diennes. Le but poursuivi par limpratrice tait dajouter sa pierre la qute des origines des langues qui tait dactualit, et qui venait dtre illustre par les travaux dAntoine Court de Gbelin3 visant prouver que toutes les langues pouvaient tre ramenes des racines communes; mais il sagissait aussi de prouver luniversalit et la supriorit de la science russe travers un alphabet cyrillique apte transcrire toutes les langues du monde. tait ainsi complte une dmonstration de la prminence univer-selle de la langue russe qui avait dj t illustre par la Grammaire rus-sienne de Mikhal Lomonossov de 1755, btie sur les principes de la grammaire gnrale, et par toutes les tentatives de Catherine II et des sa-vants russes (Vasilij Trediakovskij en premier) pour prouver lorigine slave de la toponymie europenne, et donc la slavit de lEurope date ancienne, et du coup lantriorit [pervenstvo] des Slaves par rapport aux Germains, les ternels rivaux, limpratrice se confiait ainsi Friedrich Melchior Grimm dans une lettre du 9 septembre 1784 souvent cite: Jai ramass des connaissances en quantit sur les anciens Slavons et je pourrai sous peu dmontrer quils ont donn les noms la plupart des rivires, montagnes, valles et cercles et contres de la France, Espagne, cosse et

    1 On pense quelle a pu sinspirer de la liste des capital words tablie par James Burnett

    Monboddo (1773-1792) et du plan de vocabulaire de Court de Gbelin. 2 Mme si lordonnancement de la Gense sy laisse deviner en filigrane.

    3 Court de Gbelin 1773-1781.

  • R. Comtet: La cyrillisation du polonais selon Pallas 7

    autres lieux []4. On neut de cesse galement de vouloir prouver que la langue russe est synthtique et rassemble les qualits des autres grandes langues de culture5.

    En nous basant sur le premier volume du dictionnaire de 1787 dont plusieurs ditions numriques sont dsormais disponibles6, nous avons dj tudi les principes gnraux de la transposition opre par le dictionnaire partir de lallemand, de langlais, de lespagnol et du franais dans un article datant de 20107. Nous nous proposons ici dtudier la transcription du polonais, sujet sensible une poque qui voit saccomplir de 1773 1797 la liquidation dfinitive de la Rzecz Pospolita, au grand profit de lEmpire russe, et sinstaurer une incomprhension durable entre le peuple polonais et le peuple russe. Et nous verrons qu la transposition du polo-nais par Pallas vont succder au cours du XIXme sicle divers projets de cyrillisation du polonais qui visaient lassimilation de la nation polonaise par lEmpire russe, et auxquels le tsar Nicolas Ier en personne prit une part active8.

    Avant danalyser en dtail les principes pallassiens de transposition du polonais, on rappellera que, dans lordre des langues illustres par le dictionnaire, le polonais occupe la 10me place qui est aussi celle quil oc-cupe parmi les autres langues slaves puisque cest ce groupe linguistique qui est plac en tte de chaque rubrique; on a ainsi la suite 1. slave [po slavjanski]; 2. slavo-hongrois [po slavjano-vengerski]; 3. illyrien [po illi-rijski]; 4. tchque [po bogemski]; 5. serbe [po serbski]; 6. wende [po vend-ski]; 7. sorabe [po sorabski]; 8. polabe [po polabski]; 9. kachoube [po ka-ubski]; 10. polonais [po polski]; 11. petit russien [po malorossyjski]; 12. souzdalien [po suzdalski].

    Dans cette numration, le slave correspond au slavon, le slavo-hongrois au slovaque, lillyrien au croate, le wende au haut-sorabe, le sorabe au bas-sorabe, le petit russien lukrainien, cependant que le souzdalien dsigne en fait largot traditionnel des colporteurs russes. On notera lattention porte aux petites langues slaves de la Baltique, dj menaces par lexpansion germanique, attention qui ne se dmentira plus par la suite en Russie9, et le polonais, langue lchitique, semble tout natu-rellement trouver sa place dans ce sous-ensemble.

    4 Cette lettre est souvent cite mais sans que lon en indique les rfrences; la publication

    venir de la correspondance de Grimm par Aleksandr Stroev lAcadmie des Sciences de Russie devrait combler cette lacune (communication de Jean Breuillard). 5 Breuillard 1999, p. 93. Jean Breuillard ajoute ici: Cette ide sera reprise par les slavophiles

    du XIXme sicle (Konstantin Aksakov) et prfigure lide romantique des philosophes selon laquelle la mission de la Russie est la synthse des cultures. 6 Nous avons utilis la version suivante: http://www.archive.org/stream/sravnitelnyeslo00cath

    goog#page/n7/mode/2up/. 7 Comtet 2010.

    8 Uspenskij 2004.

    9 Cest surtout le fait des slavophiles dans la seconde moiti du XIXme sicle, comme

    A. Hilferding (cf. Comtet 2005, p. 319-321 et 2008, p. 95).

  • 8 Cahiers de lILSL, 31, 2011

    Pour analyser la transposition du polonais en cyrillique dans le dic-tionnaire, nous commencerons par rappeler le tableau des phonmes polo-nais, tableau dj fix par la norme de lpoque, suite au travail de normali-sation et de promotion linguistique effectu par la Commission de lduca-tion nationale institue par Stanisaw Poniatowski; nous esquisserons en-suite la transcription cyrillique terme terme de cette configuration telle quelle se prsente dans le dictionnaire; nous commenterons et analyserons enfin cette transposition et tenterons de la replacer dans lhistoire des diver-ses tentatives de cyrillisation de la langue polonaise dans ce qui se prsen-tait ds lors comme une guerre des alphabets.

    2. PHONOLOGIE DU POLONAIS

    2.1. PHONOLOGIE ET GRAPHIE DES VOYELLES

    Le systme vocalique est relativement simple, avec 7 units, ce qui rappro-che le polonais du russe qui possde 5 voyelles10.

    2.1.1. VOYELLES ORALES

    Les voyelles orales constituent un ensemble de cinq units: /a/ (voir dar le don); /e/ (voir len le lin); /i/ (voir nitka le fil et syn le fils); /o/ (voir okno la fentre); /u/ (voir buk le htre et dwr le chteau).

    On relve une double graphie pour /u / = u et ainsi que pour /i/ = i ou y. La graphie est tymologique et idographique dans la mesure o elle prserve pour lil lunit de certains paradigmes flexion-nels, voir nominatif singulier grd alternant avec instrumental singulier grodem, locatif singulier grodzie Le problme est plus complexe pour la notation de /i/ du fait que certains linguistes accordent au son not par y le statut dun phonme part entire distinct de /i/11; en fait, comme lavait dj suggr Jan Baudouin de Courtenay dans sa dmonstration sur le i mutabile qui tenait compte aussi du i et du y russes12, il convient de considrer la ralisation [i]13 comme une variante combinatoire de /i/ aprs consonne dure, ce qui est aisment vrifiable: by tre qui note /bi/ tre avec /b/ dur vs bi /bi/ battre avec /b/ mou. Meillet relevait lui aussi que la diffrence est uniquement graphique14. Largumentation peut

    10 Les langues slaves sont devenues historiquement de plus en plus consonantiques (loi dite

    de Baudouin de Courtenay): 5 voyelles et 34 consonnes en russe, 10 voyelles et 23 consonnes en tchque, 6 voyelles et 38 consonnes en bulgare 11

    Cf., par exemple, Paulsson 1969, p. 216-219. 12

    Bodun de Kurten 1909 [2004, p. 108]. 13

    Son intermdiaire entre les voyelles franaises ferm (bb) et i (bibi) (Decaux 1984, p. 133). 14

    Meillet, Willman-Grabowska 1921, p. 5; cf. aussi Trager 1939, p. 187-188.

  • R. Comtet: La cyrillisation du polonais selon Pallas 9

    dailleurs galement faire appel la diachronie: Les voyelles i et y sont complmentaires, et il faut y voir deux variantes dun mme phonme [y]; un ancien y passe i aprs molle, un ancien i y aprs dure15.

    2.1.2. VOYELLES NASALES

    Loriginalit de la prononciation polonaise est lemploi des deux voyelles nasales et = o et e mises avec le voile du palais abaiss16.

    Sopposent ainsi: // antrieur (voir miso la viande) et // post-rieur (voir zb la dent).

    2.2. PHONOLOGIE ET GRAPHIE DES CONSONNES

    Nous prsenterons les consonnes polonaises en fonction du point darticula-tion, des paires de corrlation dure / molle, selon que la consonne est rali-se en abaissant la langue ou, au contraire, en levant le dos de la langue vers le palais.

    Par convention on note par le signe mis en exposant la duret des consonnes et par lapostrophe galement mise en exposant la mollesse des consonnes quand ces traits sont distinctifs (ce qui ne concerne donc pas les consonnes hors couple de ce point de vue17). Le polonais possde 31 consonnes (il y en a 33 en russe).

    2.2.1. CONSONNES OCCLUSIVES

    Labiales: /p/ (voir pole le champ); /p/ (voir pies le chien); /b/ (voir byk le tau-reau); /b/ (voir bieg la course). Vlaires: /k/ (voir kot le chat; kiedy quand); /g/ (voir grd la ville; giermek lcuyer).

    Pour la srie des vlaires, la duret ou la mollesse est positionnelle: dures devant les voyelles postrieures, molles devant les voyelles antrieu-res /i/ ou /e/ (pour /e/, les emprunts constituent un sous-systme o la v-laire est ralise dure, voir genera le gnral, kelner le garon de caf).

    2.2.2. CONSONNES FRICATIVES

    /f/ (voir fakt le fait); /f/ (voir fiok le pompon); /v/ (voir wojna la guerre); /v/ (voir wiatr le vent). /s/ (voir sad le verger); /z/ (voir zajc le livre). // (voir szary gris); // (voir nieg la neige; sierpie aot).

    15 Decaux 1984, p. 34.

    16 Meillet, Willman-Grabovska 1921, p. 6.

    17 Cf. Comtet 2002, p. 36.

  • 10 Cahiers de lILSL, 31, 2011

    // (voir ona la femme; rzeka la rivire); // (voir ziemia la terre; renica la pupille). /x/ (voir herbata le th; chop le paysan).

    2.2.3. CONSONNES AFFRIQUES

    /c/ (voir cena le prix); /dz/ (voir dzwon la cloche). // (voir czapka le bonnet); // (voir wiczenie lexercice, ciec cou-ler). /d/ (voir duma la peste); /d/ (voir dwik le son; dzi aujourdhui).

    2.2.4. CONSONNES NASALES

    /m/ (voir most le pont); /m/ (voir miara la mesure); /n/ (voir noga la jambe, le pied); /n/ (voir niaka la bonne denfant, la nounou).

    2.2.5. CONSONNES LIQUIDES

    /l/ (voir lew le lion); /r/ (voir rka le bras, la main).

    2.2.6. SEMI-CONSONNES

    /j/ yod (voir jabko la pomme); /w/ (voir awa le banc).

    2.3. LES RAPPORTS ENTRE SYSTME PHONMATIQUE ET GRA-PHIE

    On relve pour les voyelles lutilisation de signes diacritiques: un accent aigu () et une cdille ouverte vers la droite (ogonek petite queue) sous a et e pour noter les deux voyelles nasales.

    Pour les consonnes, on retrouve des diacritiques (accent aigu, point suscrit, barre transversale pour ), et des digraphes (par exemple cz ou sz ou rz) et lon fera un sort particulier lutilisation de {lettre consonne + i} pour noter la mollesse de certaines consonnes devant voyelle.

    Il y a des graphies doubles comme nous lavons dj relev pour les voyelles; pour les consonnes on peut citer /rz, ch/h, cependant que les molles de couple se distinguent par deux graphies selon que la consonne est suivie ou non dune voyelle, comme dans ziemia / renica pour noter //.

  • R. Comtet: La cyrillisation du polonais selon Pallas 11

    3. TABLE DE LA CYRILLISATION PALLASSIENNE

    Pour tudier la transcription du dictionnaire de Pallas, nous avons, dans un souci de commodit, prsent les diffrents phonmes par ordre alphabti-que lintrieur de chaque rubrique. Chaque exemple sera accompagn de son numro dordre dans le rpertoire du dictionnaire. Nous avons signal par un point dinterrogation entre parenthses les quivalences attendues par analogie mais non attestes dans le corpus.

    3.1. VOYELLES ORALES

    /a/ = a (voir grad = 83. ). Nous avons dj relev que la combinaison {consonne molle de

    couple + voyelle} se notait en polonais par {lettre consonne + i + lettre voyelle}, comme dans gwiazda o wia note /v + a/. Le dictionnaire applique pour cette position de /a/ le principe de la graphie russe o les mmes combinaisons sont notes par lusage de lettres voyelles dites de seconde srie; ces graphmes e (ventuellement , mais ce caractre ne devait tre introduit par Nikola Karamzine quen 1794), , , auxquels on ajoutera lpoque de Pallas le jat notent donc la fois la mollesse de la consonne qui prcde et le timbre de la voyelle qui suit18. Pour la position envisage, on a donc la correspondance: /a/ = (voir gwiazda = 77. ; wiatr = 79. ; piasek = 102. ). /e/ = e (voir krew = 45. ).

    Selon le mme principe que nous venons dexposer, la mollesse de la consonne prcdente sera indique par lusage de . /e/ = (voir niebo = 2. ). /i/ = pour i, pour y (voir sia = 64. ; syn = 5. ). /o/ = o (voir sowo = 58. ).

    Pour la combinaison dune consonne molle de couple + /o/, faute de disposer encore dune lettre voyelle correspondante de seconde srie, le dictionnaire recourt une translittration formelle o i est rendu par . /o/ = o (voir siostra = 8. ; zioa = 130. ). /u/ = (voir cudo = 125. ; crka = ); (voir gra = 106. ), mais il sagit plutt dun accent diffrentiel, comme nous lexposerons plus loin propos de lemploi de laccent graphique; o (voir Bg = 1. ; ld = 86. ).

    On note ici une hsitation entre la notation phonique de par et la translitration par ou tout simplement o.

    18 Cf. Comtet 2002, p. 37.

  • 12 Cahiers de lILSL, 31, 2011

    Dans le cas de ld, le dictionnaire est tout fait consquent; le l polonais est interprt comme la molle du /l/ dur not par et lon re-trouve donc la notation o. /u/ = (voir dziura = 118. ).

    3.2. VOYELLES NASALES

    // = (voir gba = 27. ; rka = 35. ). // = (voir imi = 54. ). On retrouve ici le mme cas de figure quavec les voyelles orales postposes une consonne molle de couple. // = o (voir zb = ; gorco = 113. ).

    3.3. CONSONNES

    /b/ = (voir Bg = 1. ). /b/ = (?) b + lettre-voyelle de seconde srie ou j + o selon le modle dj expos propos des voyelles. /c/ = (voir crka = 6. ). // = (voir czowiek = 14. ). // = (voir mier = 71. ). /d/ = (voir duch = 70. ). /dz/ = (voir wadza = 66. ). /d/ = ou pour drz (voir drzewo = 128. ). /d/ = + lettre-voyelle de seconde srie ou + o (voir dzieci = 13. ). /f/ = (?) . /f/ = + lettre-voyelle de seconde srie ou + o. /g/ = (voir Bg = 1. ). /j/ = (voir ojciec = 3. ) ou lettre-voyelle de seconde srie pour noter /j/ + voyelle linitiale de mot, conformment lusage du russe (voir jutro = 89. ; jzyk = 30. ). /k/ = k (voir oko = 120. oo). /l/ = + lettre voyelle de seconde srie, l tant interprt par une oreille russe comme un /l/ mou, symtrique dun /l/ dur not (voir las = 126. et plus haut le traitement de ld). /m/ = (voir mleko = 47. ). /m/ = + lettre voyelle de seconde srie ou + suivi de o (voir imi = 54. ; miesic = 76. ). /n/ = (voir nos = 1. ). /n/ = , quivalence systmatique pour en dpit de la mollesse de la consonne (voir ogie = 112. ); pour /n/ + voyelle (= ni + lettre voyelle), on retrouve + lettre voyelle de seconde srie (voir widzenie = 49. ). Il ny a pas dexemple attest de la combinaison (?) + suivi de o. /p/ = (voir panna = 11. ).

  • R. Comtet: La cyrillisation du polonais selon Pallas 13

    /p/ = + lettre voyelle de seconde srie ou (?) + suivi de o (voir piasek = 102. ). /r/ = (voir rok = 95. ). /s/ = (voir syn = 5. ). // = (voir szyja = 32. ). // = c pour (voir mier = 71. ) et c + pour si (?). /t/ = (voir zoto = 122. ). /v/ = (voir woda = 98. ). /v/ = + lettre voyelle de seconde srie ou + + o (voir powieka = 22. ; wiosna = 92. ). /w/ = (voir wos = 25. ). /x/ = x (voir ucho = 23. xo), pas de graphie h atteste pour le polo-nais. /z/ = (voir zoto = 122. ). // = pour et pour rz (voir ona = 10. ; twarz = 17. ). // = + lettre voyelle de seconde srie ou + + o (voir ludzie = 15. ; zioa = 130. ).

    4. COMMENTAIRES

    4.1. UNE TRANSCRIPTION MAILLE DERREURS

    On trouve un nombre relativement lev derreurs manifestes, de ngligen-ces ou doublis; nous en avons dnombr une bonne quinzaine, ce qui est notoirement plus important que ce que nous avons pu relever par ailleurs pour dautres langues comme lallemand (3), langlais (4), le franais (4) ou mme lespagnol (8). Cest ainsi que le polonais, pourtant parl dans une contre limitrophe, donne limpression dtre une langue encore moins familire que lespagnol pour les auteurs du dictionnaire. La plupart de ces erreurs peuvent sexpliquer par le parasitage dautres langues. Il y a, bien sr, en premier lieu, le russe en raison de sa proximit gntique avec le polonais. On peut expliquer ainsi 102. au lieu de pour pia-sek par le russe ; 47. au lieu de pour mleko par lhomonyme russe ; 63. au lieu de pour robota sur le modle de ; 37. au lieu de pour paznokie partir de ; 28. au lieu de pour gardo sous linfluence du russe ; 82. au lieu de pour deszcz, peut-tre en raison de la ralisation possible en russe de comme [do].

    On trouve galement des contaminations dues dautres langues. Citons 120. au lieu de pour fosa rattacher au latin fossa ou au franais fosse (bien que la forme latine ait pu avoir cours alors en Polo-gne, tant la place du latin y tait importante); 38. au lieu de pour brzuch par croisement avec lallemand Bauch (?); on relve aussi la

  • 14 Cahiers de lILSL, 31, 2011

    transcription de z par dz ou c sous linfluence possible de lallemand dans 94. au lieu de pour zima et 30. au lieu de pour jzyk.

    On relvera enfin des mots polonais non attests comme 24. * (prsent comme quivalent de czoo) ou 28. * quivalent de gordo ou 52. * prsent comme quivalent du russe . len-tre 57. on trouve la transcription russe sans quivalent polo-nais; linverse, en 93., cest jesie quon a oubli de transcrire. La forme errone 99. pour morze, quant elle, sexplique par la transcription de la forme du pluriel, et on retrouve le mme cas de figure avec 36. , pluriel quon fait correspondre palec.

    4.2. LUSAGE DES ACCENTS GRAPHIQUES

    Nous ne mentionnerons que pour mmoire lutilisation dun unique accent circonflexe sur le de 15. pour ludzie; on le trouve ailleurs dans le dictionnaire surtout pour le turc o il sert noter parfois // ou // (voir 87. = gn, avec laccent circonflexe sur ). Le signe tait encore utilis dans la graphie russe, suscrit au digraphe o avant que celui-ci ne soit vinc par . Comme dautres dtails, cette graphie isole suggre plusieurs sources ou transcripteurs.

    Par contre, lusage de laccent aigu est frquent, mais pas l o on pourrait lattendre, cest--dire pour transcrire le polonais qui est sys-tmatiquement rendu par un simple o (voir Bg = 1. ) ou pour tra-duire les consonnes molles notes par , , , , d. Notons que ce nest pas laccent grave qui est utilis, contrairement aux habitudes russes de lpoque. On trouve cet accent aigu dans 20 occurrences. Comment lexpli-quer?

    Il semble que dans la plupart des cas on lait utilis pour bien mar-quer la diffrence daccent avec des substantifs russes paronymes; par exemple, le dictionnaire spcifie bien 106. = gora (notation de laccent sur la pnultime des mots polonais) par opposition laccent russe final de . On peut ainsi rendre compte, selon lordre alphabtique cyrillique, des accents suivants: 109. = way vs russe . 98. = woda vs russe . 116. = wysoko vs russe (?). 77. = gwiazda vs russe . 114. = glboko vs russe (?). 106. = gora vs russe . 19. = nozdrze vs russe . 35. = rka vs russe . 123. = srebro vs russe . 24. = czoo vs russe . 116. = szeroko vs russe (?).

  • R. Comtet: La cyrillisation du polonais selon Pallas 15

    Mais l encore cette graphie intressante nest pas systmatique puisquelle laisse de ct des occurrences qui correspondent: soit labsence daccent pour une srie de paronymes russes termins par /a/ accentu, au contraire du substantif polonais correspondant: 92. = wiosna (russe ). 27. / = gba / usta (russe / ). 16. = gowa (russe ). 10. = ona (russe ). 94. = zima (russe ). 97. = ziemia (russe ). 40. = noga (russe ). 100. = rzeka (russe ). 8. = siostra (russe ). 127. = trawa (russe ), soit quelques substantifs isols o laccent est indiqu alors quil se trouve sur la mme syllabe que dans le paronyme russe correspondant: 111. = vapor (russe ). 41. = kolano (russe avec accent sur le ). 74. = kula (russe ). 58. = sowo (russe ).

    Il demeure le cas part de 42. = skra ( russe ) et 184. = sl qui pourrait sexpliquer par la transposition pure et simple de laccent polonais.

    Ces discordances suggrent une fois de plus plusieurs collaborateurs et un manque flagrant de concertation entre eux.

    4.3. LUSAGE DU JAT

    Nous avons vu que la transcription par de ie ou i nadmettait pas dexception (sinon pour 47. = mleko qui est une interfrence de la forme crite russe). Pourquoi ne pas avoir choisi e? La graphie renvoie au statut phontique / phonologique du son ainsi not; il y a les linguistes qui en font encore pour lpoque considre un phonme part, soit une diphtongue /ie/ (= /i/ bref + /e/), et ceux qui y voient une simple survivance orthographique, les deux graphmes et e en tant venus correspondre une mme ralisation. Mixail Panov rsume bien les don-nes du problme en suivant pas pas les argumentations dveloppes, et conclut, pour sa part, au statut phonmatique du son ainsi not dans le style de prononciation lev de lpoque19; Panov rappelle au passage que Tre-diakovskij tablissait lquivalence de ce son avec le ie polonais et le ie allemand20, bien que cette dernire graphie note en fait un /i/ long. On peut relever dailleurs que le dictionnaire de Pallas enregistre cette ralisa-

    19 Panov 1990, p. 338-359; cf. aussi Fodor 1975, p. 33 pour un point sur la question.

    20 Panov 1990, p. 354.

  • 16 Cahiers de lILSL, 31, 2011

    tion: Tiefe = 114. ; mais dans les mots tchques, note qui transcrit la mollesse de la consonne prcdente + /e/, voir lovk = 13. . Si on a en mmoire que larticulation molle de la consonne saccompagne, lors de llvation de la langue vers le palais, de lajout dun lment transitoire vocalique ultra-bref (russe prizvuk) [e], on est proche de lquivalence de et donc avec une diphtongue /e/; le dictionnaire de Pallas apporte donc de leau au moulin de ceux qui font de /e/ cette poque la transcription dun phonme part entire en russe. La tradition pallassienne perdure jusqu la fin du XIXme sicle puisque le dictionnaire encyclopdique de Brockhaus et Efron recommande de rendre j polo-nais par 21.

    4.4. LA NOTATION DE LA MOLLESSE DES CONSONNES DE COU-PLE (SYNTHSE)

    Rappelons que le polonais utilise ici deux procds, selon la position de la consonne concerne: un graphme spcifique devant ou consonne, toujours indiqu par un accent suscrit, voir par exemple dans mier (voir aussi , , , d); devant voyelle, i + {a, e, o, u, , }. La lettre voyelle i utilise sans tre suivie dune autre lettre voyelle note la fois la mollesse de la consonne prcdente et la voyelle /i/.

    La transcription pallassienne use ici de trois procds: pour les graphmes spcifiques, des concordances avec des lettres consonnes cyrilliques (voir 44. ko = ) qui ont en fait une double valeur et ne tiennent pas compte de la spcificit de ces consonnes molles (voir ainsi 6. crka = , avec un /c/ dur alors que note // mou dans lexemple prcdent); pour i + lettre voyelle, le russe use, conformment ses habitudes graphiques de notation de la mollesse en cette position, des lettres voyelles de seconde srie (=/a/), (=/e/), (=/i/), (=/u/), (=//); quand la voyelle en question est /o/ ou //, le russe utilise le digraphe o, conformment la notation io surmonte dun accent circonflexe qui fut en usage dans lorthographe russe dans la seconde moiti du XVIIIme sicle et qui correspondait lactuel introduit par Karamzine en 1794 (voir ici = 130. zioa).

    On se doit de souligner que le dictionnaire a parfaitement interprt la valeur de {lettre consonne + i + lettre voyelle} en polonais comme notation de la mollesse de la consonne et a trouv son quivalent exact dans la graphie russe avec la srie des lettres voyelles de seconde srie, hors de toute considration sur de prtendues voyelles mouilles. On aurait pu tre tent effectivement dutiliser ici la graphie + lettre voyelle comme

    21 Arsenev, Petruevskij (ds), 1895, annexe, p. 2.

  • R. Comtet: La cyrillisation du polonais selon Pallas 17

    dans les transcriptions du franais (voir rivire = 100. , 40. pied = etc.), mais dans ce cas on note un yod prcdant la consonne.

    4.5. LA NOTATION DE LA DURET DES CONSONNES

    Pour les phonmes hors couple, la duret nest note que devant voyelle par lusage dune lettre voyelle de premire srie sur le modle russe; voir par exemple syn = 5. . Dans les autres positions, il y a ambigut, le gra-phme pouvant aussi bien noter une molle; il y aussi le problme de la transcription de cz notant // dur par qui note une consonne molle en russe, voir wieczr = 90. .

    Pour les consonnes dures de couple en position prvocalique, la du-ret est note sur le modle du russe, cest--dire en les faisant suivre dune lettre voyelle de premire srie.

    noter que la liquide note en polonais par l est traite comme un /l/ mou (ce que nous avons dj not propos de ld), avec une correspon-dance implicite avec le l barr ralis majoritairement comme la semi-consonne /w/ mais galement comme un /l/ dur proche de son homologue russe dans les confins orientaux. partir de l, le dictionnaire traite comme /l/ dur et lui applique les mmes rgles que pour les autres conson-nes de couple en le faisant suivre dune lettre voyelle de premire srie (voir gowa = 16. ).

    4.6. LUTILISATION DE ( )

    Hormis dans le digraphe o qui note {consonne molle + /o/ ou //} on le trouve trs peu reprsent avec seulement 2 occurrences qui sont: 52. *. szyja = 32. .

    On peut ngliger le premier mot, non attest en polonais et qui r-sulte dune erreur manifeste; le second ne fait quappliquer les rgles de lorthographe russe: y devrait tre transcrit par , mais un attendu passe automatiquement en russe aprs chuintante (y compris les dures notes par et , souvenir de leur mollesse ancienne); ja (/j/ + /a/) est not par , comme en russe; par ailleurs, i devant lettre voyelle tait automatiquement not par . On aboutit donc la forme qui rsulte en fait de tout un algorithme complexe dadaptations successives.

  • 18 Cahiers de lILSL, 31, 2011

    4.7. LUTILISATION DES JERS ( ET )

    Les jers ne sont attests quen fin de mot, toujours aprs consonne, confor-mment aux usages du russe; en gnral, cest le jer dur qui est utilis aprs la consonne finale des mots, que celle-ci soit dure ou molle (voir ojciec = 3. aprs //, ct de mier = 71. aprs //), comme le prcise lexplicatio litterarum alphabeti rossici place la fin de ldition de 1787: [] character in fine verborum adhiberi folitus, pro indicanda fortiore pronuntiatione ultimae consonantis22.

    On trouve cependant une srie de 5 exceptions avec jer mou la fi-nale; il sagit de: okie = 34. . bl = 61. . moc = 65. . noc = 88. . sl = 124. c.

    Comme pour lutilisation de laccent, on a l certainement une inter-frence du russe o tous les mots paronymiques correspondants se termi-nent par un signe mou (, , , , ).

    4.8. LABSENCE DE PRISE EN COMPTE DES DIACRITIQUES POLO-NAIS

    Il sagit des accents qui permettent dattribuer une valeur spcifique o, c, s, n, dz tout en prservant le lien tymologique entre les sons ainsi dsigns. La transcription pallassienne les ignore, ce qui fait que Bg est transcrit par 1. , mier par 71. , dzie par 87. . Comme nous lavons dj relev, cela aboutit traiter les consonnes molles concernes comme des dures. Le dictionnaire de Pallas a pourtant su utili-ser au moins un diacritique dans le cdill destin transcrire le h aspir (franais, espagnol, allemand, anglais) en le distinguant de occlusif.

    4.9. LA GRAPHIE

    La graphie adapte le rz polonais ralis comme [] en tmoignant dune astuce certaine puisque la prononciation relle est indique par le cependant que lorthographe dorigine (tymologique) est suggre par llment qui prsente nanmoins linconvnient dajouter [r] la pro-nonciation. On a donc, par exemple, 99. pour morze ou 107. pour brzeg. Le lien tymologique et drivationnel est bien prserv dans le cas prsent avec morski. On relvera que, pour le tchque, le dictionnaire se contente de transcrire par p sans autre forme de

    22 Pallas 1787, p. 457.

  • R. Comtet: La cyrillisation du polonais selon Pallas 19

    procs: kik = 55. , bouka = 81. , eka = 100. . On sait que Nicolas Ier avait rejet la proposition de transcrire rz par un p russe surmont dun haek en proposant lui aussi la graphie 23.

    4.10. LES DIGRAPHES

    Ils ne concernent, mis part , que et qui transcrivent les diphtongues nasales notes par et . On peut faire ici la comparaison avec le traitement de ces diphtongues pour le franais o le dictionnaire a ajout en gnral llment un final, peut-tre sous linfluence de la consonne anglaise // (voir spring), ou encore de la ralisation de ces voyelles en franais mridional, voir: enfant = 13. , main = 35. et avec un cdill dans seulement deux occurrences. Pour le portugais, le dictionnaire semble avoir systmatiquement rendu o par o, voir mo = 35. (pour la main).

    4.11. LABSENCE DE RVERSIBILIT OU SES DIFFICULTS

    Le problme de la transcription pallassienne est quelle nest pas bijective, du fait que souvent elle peut renvoyer deux graphmes polonais; par exemple, correspond la fois c et , c s ou , i ou ie, o o ou etc. Il faudrait la limite dj connatre le polo-nais pour pouvoir identifier correctement ses formes dans le sens graphie cyrillique > graphie latine.

    5. CONCLUSION

    Il est vident que Pallas nous propose, comme pour toutes les langues trai-tes, une translittration plutt quune transcription base phontique du polonais; par la suite, lusus tendra en russe privilgier plutt la pronon-ciation que la forme crite des vocables trangers soumis la cyrillisation.

    Les jugements posthumes ports sur le dictionnaire de Pallas sont souvent svres, tout en lui concdant le mrite davoir fait progresser le comparatisme linguistique et davoir consign des premiers tmoignages sur des langues encore inconnues lpoque24. En ce qui concerne le polo-nais, le jugement port par Stanisaw Prdota semble sans appel:

    On peut galement observer de nombreuses inconsquences, insuffisances et erreurs manifestes dans la translittration applique aux quivalents polonais des mots dappel russes. Ils diminuent dautant la crdibilit de lensemble et sa valeur scientifique. Et pourtant, suite aux partages successifs de la Pologne op-

    23 Uspenskij 2004, p. 131.

    24 There are extinct languages and dialects about which we know solely thanks to this book

    (Ariste 1979, p. 145).

  • 20 Cahiers de lILSL, 31, 2011

    rs linitiative de Catherine II, ctaient des millions de polonophones qui vi-vaient dsormais dans les rgions orientales annexes par la Russie. Les rdac-teurs du dictionnaire auraient pu aisment sadresser eux afin de vrifier la prononciation des vocables polonais25.

    Doit-on totalement adhrer ces critiques? Nous serions plutt port une certaine indulgence. Il faut en effet tenir compte de lpoque, o lon faisait encore mal la diffrence entre la lettre [bukva] et le son quelle reprsentait, et aussi du carcan cyrillique unique impos ds le dpart et qui prohibait de fait lusage de signes diacritiques qui auraient affin la transcription26. Le rsultat est somme toute honorable, dautant plus que si Pallas, le rdacteur final27, tait polyglotte, matrisant 6 grandes langues (allemand, franais28, latin, grec, anglais et russe), il ne semble pas avoir eu de comptences quel-conques en polonais. Le point faible de la transcription est surtout le trai-tement des chuintantes molles, confondues avec les consonnes auxquelles celles-ci ajoutent dans lcriture polonaise le signe diacritique de laccent aigu, ce qui marque un attachement aux formes crites caractristique de lpoque.

    On sait que par la suite il y eut diverses tentatives de cyrillisation de lalphabet polonais participant dsormais dune politique dassimilation larve qui se prvalait du panslavisme29. Mme si, dans le dictionnaire, le polonais nest quun lment parmi dautres du grandiose plan de cyrillisa-tion de toutes les langues de lunivers conu par Catherine II, on peut considrer quil constitue aussi le prlude cette guerre des alphabets qui na cess de svir en Europe centrale et orientale jusqu nos jours (on sait dailleurs quil y eut en parallle des projets polonais de latinisation de lukrainien et du bilorussien au XIXme sicle30). Les cyrillisations du polonais proposes dans cet esprit ne devaient gure faire mieux que celle de Pallas; on connat, entre autres, celle de lAlphabet panslave dAlek-sandr Hilferding31. Hilferding faisait limpasse sur ces fameuses chuintantes et affriques molles en les ignorant dans son tableau de cyrillisation du polonais32 et les dfauts de son systme sont loin de se limiter cela,

    25 Prdota 2004, p. 59.

    26 La vraie prononciation des mots sera exprime avec la plus scrupuleuse exactitude par une

    orthographe uniforme et dtermine (Avis au public du 22 mai 1785 o Pallas prsentait en franais et allemand le projet du dictionnaire [Pallas 1785 (1996, p. 473)]). 27

    Cest Hartwig Ludwig Bacmeister (1730-1806) qui avait rassembl les matriaux des 47 premires langues, toutes europennes, qui prcdaient les langues asiatiques mais, tout en tant polyglotte (neuf langues), il ne connaissait pas plus le polonais (cf. Fodor 1975, p. 22-24). 28

    Par sa mre appartenant la deuxime gnration dune famille huguenote rfugie Berlin. 29

    Cf. Uspenskij 2004. 30

    Cf. Dulienko 2001, p. 172-173. 31

    Gilferding 1871. 32

    Ibid., p. 9-10.

  • R. Comtet: La cyrillisation du polonais selon Pallas 21

    comme nous lavons dj soulign33. La situation na gure chang si on considre les usages actuels de transcription du polonais en russe34, mme si on y trouve le souci phontique de calquer le mieux possible la pronon-ciation; des erreurs consacres par la tradition et quon trouvait dj chez Pallas, sy perptuent, entre autres les correspondances des chuintantes notes de la manire suivante: = c ou c, = , = ou , d = ou . Il existe pourtant dsormais des exemples de transcription cyrillique du polonais qui en traduisent rigoureusement la prononciation et sont infiniment plus satisfaisants35.

    Le mrite de la transcription pallassienne du polonais demeure donc entier, celle-ci a vraiment fait uvre pionnire une poque o la tradition de transcription dans les emprunts polonais (les plus nombreux en russe pour le domaine slave36) tait hsitante et contradictoire; cest que ceux-ci dataient pour la plupart du sicle prcdent, dune poque o lcrit ntait pas encore bien fix en Russie et o les emprunts sopraient surtout sur le mode oral, bien moins propice la normalisation, avec le parasitage fr-quent des tymologies populaires et les mfaits du crible phonologique. De plus, le fait que le polonais a bien souvent alors servi de relais aux em-prunts germaniques en les filtrant na pu quajouter la confusion; on re-trouve tout cela dans des adaptations approximatives telles que chory > , miasteczko > , rejtuzy > , zbroja > , etc.37 Pallas oprait donc sur un domaine encore vierge, ce qui ne peut que souligner les mrites de son travail qui demeure la premire transcription systmatique du polonais dans lalphabet cyrillique russe; en mme temps, Pallas nous livre ici un tmoignage linguistique intressant sur le russe de la fin du XVIIIme sicle, ses usages graphiques et sa phonologie (voir par exemple la valeur attribue au son not par ).

    Roger Comtet

    33 Cf. Comtet 2008, p. 99.

    34 Cf. Giljarevskij, Starostin 1986, p. 146-153.

    35 Cf. par exemple le systme exemplaire appliqu dans Karolak, Wasilewska 1962.

    36 Among the modern Slavonic languages, the most generous contributor to the Russian

    word-stock has been Polish, whose Golden age in this respect was the seventeenth century, a period when political, military and cultural contacts between Russia and Poland flourished as never before (Ward 1981, p. 6). On a pu relever que les traductions parues en russe lont t surtout du latin et du polonais jusqu 1730 environ (an 1978, p. 65) et on connat laphorisme de Vasilij Kljuevskij ce sujet: La civilisation occidentale est arrive Mos-cou revue en Pologne et dans lhabit dun gentilhomme polonais (Kljuevskij 1904-1910 [1958, p. 275]); cf. aussi Sobik 1969. 37

    On ne trouve curieusement pas de listes systmatiques des emprunts polonais en russe et nous avons d utiliser celle, incomplte, propose par Bulaxovskij 1952, p. 92-93.

  • 22 Cahiers de lILSL, 31, 2011

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  • Cahiers de lILSL, 31, 2011, p. 25-60

    La notion de langue nationale: o la thorie manque et la langue dborde

    Eni ORLANDI

    Universit de Campinas

    Rsum: Nous tudions le discours sur la langue au Brsil partir des grammaires produites par des grammairiens brsiliens, en considrant le fait que le Brsil est un pays qui a subi le processus de colonisation. Jlio Ribeiro (1881), Joo Ribeiro (1887), M. Pacheco da Silva (1878), M. Pacheco da Silva et B. Lameira de Andrade (1887), sont des grammairiens brsiliens qui crivent des grammaires au Brsil pour des Brsiliens et qui, entre autres, participent la construction de ltat brsi-lien, dans son unit et dans son identit (Langue / Nation / tat). Le processus de grammatisation brsilienne du portugais constitue un savoir sur la langue et ses singularits et il contribue lhistoricisation de la langue sur le territoire national brsilien. Par ailleurs, des disciplines de la linguistique comme le comparatisme, la dialectologie, la sociolinguistique variationniste ont fourni dimportantes con-tributions pour lanalyse et la comprhension des relations entre langues dans dautres contextes historico-politiques. Ces thories et leur terminologie permettent de montrer le changement entre une forme latine et la forme dune langue romane. Cela devient plus complexe nanmoins lorsquil sagit du rapport entre les formes de langues de colonisation (portugais / brsilien; espagnol / hispano-amricain, etc.). Des notions trs productives dans dautres situations linguistiques que celles de la colonisation comme changement, dialecte, par exemple sont assez polmi-ques quand il sagit du rapport entre les langues du colonisateur et du colonis. Lusage de ces notions ne donne aucune visibilit des faits de langage rsultant de heurts propres au processus de colonisation. Le cas brsilien met spcifiquement en jeu le rapport de la langue portugaise des centaines de langues indignes, aux langues africaines, celles de limmigration, partir du XIXme sicle, et celles des frontires.

    Mots-cls: discours sur la langue, langue brsilienne, langue portugaise, langue(s) et nation(s), langue nationale, colonisation, changement linguistique, vices de langage

  • 26 Cahiers de lILSL, 31, 2011

    Changer un de nos vocables, une de nos inflexions, pour un autre de Coimbra, cest altrer la valeur des deux, au prix duniformits pleines dartifices et trompeuses.

    (Ribeiro [Joo] 1933, p. 9)

    INTRODUCTION

    Dans cet article nous nous proposons de comprendre le statut de la notion de changement quand il sagit de lhistoire dune langue de colonisation, comme lest le portugais, en prenant en compte lhistoire des ides linguis-tiques au Brsil, par rapport au Portugal.

    Nous pourrions commencer cet article de bien des manires. En nous rfrant la linguistique historique qui ds la fin du XVIIIme sicle, en observant que les langues se transforment avec le temps histoire et chronologie tant lies , considrait que le changement des langues nest pas seulement d la volont consciente des hommes, mais galement une ncessit interne (cf. la diffrence entre emprunt et hritage), et que le changement linguistique est rgulier et respecte lorganisation interne des langues (A.R.J. Turgot et J.C. Adelung). Cest seulement si la diffrence est rgulire quon la considre comme un changement. On cherche la rgulari-t parmi les composantes grammaticales, mais on prend en compte gale-ment les composantes phontiques. Le succs le plus important de la lin-guistique historique est dailleurs d ltablissement des lois phonti-ques. Comme nous le savons, on considre luvre de F. Bopp (1816) Systme de conjugaison en sanscrit compar avec celui des langues grec-que, latine, persane et germanique comme lacte de naissance de la linguis-tique historique. Les tudes qui sont ici en jeu ont pour nom tudes de grammaire historique compare, ou comparatisme. Sen distinguent les frres F. et A. Schlegel, J. Grimm, A. Schleicher, R. Rask et bien dautres. La mthode comparative lest dans le sens o elle tablit une comparaison entre des langues pour retracer leur parent, prsentant les ressemblances comme des transformations naturelles dune mme langue mre. Cest une comparaison dlments grammaticaux.

    Il nest pas sans intrt dobserver la thse du dclin des langues. Le pessimisme dont font preuve les comparatistes vient du fait que les lois phontiques dtruisent progressivement lorganisation grammaticale de la langue. Ltat le plus ancien est le vritable tat, du point de vue grammati-cal, par rapport au nouveau. Ce qui nous conduit dire que lon a soit lordre, cest--dire, la langue, soit le chaos. Les comparatistes ne pouvant pas penser que les langues, en se transformant, crent de nouvelles organi-sations. Dun point de vue thorique, cela vient du fait quils considrent la

  • E. Orlandi: La notion de langue nationale 27

    langue comme un instrument de communication. Selon O. Ducrot et T. To-dorov1, les lois phontiques auraient justement pour cause la tendance au moindre effort, qui sacrifie lorganisation grammaticale au dsir dune communication simplifie.

    Un autre aspect auquel il convient de nous intresser est le fait que lon tudiait des changements que lon expliquait non pas par les dtails, mais en traant les grandes lignes de lvolution.

    Au milieu du XIXme sicle apparaissent les no-grammairiens, qui cherchent introduire dans la linguistique les principes positivistes, les-quels vont avoir beaucoup de succs dans la science et dans la philosophie contemporaines: la grammaire doit tre explicative (elle doit non seulement dcrire, mais trouver des causes); lexplication doit tre de type positif: on se mfie prsent des grandes explications philosophiques, on leur prfre des causes vrifiables dans lattitude des sujets parlants qui transforment la langue en lutilisant; on tudie les changements sur des priodes de courte dure; les causes sont articulatoires (physiologiques), psychologiques (ana-logie); lexplication ne peut tre quhistorique (volution). Les thoriciens appartenant cette tendance sont G. Curtius, H. Paul, ainsi que K. Brug-mann.

    1. LA SOCIOLINGUISTIQUE Venons-en au XXme sicle, des auteurs comme U. Weinreich, W. Labov et M.J. Herzog et leurs Fondements empiriques pour une thorie du chan-gement linguistique2.

    premire vue, ce qui ressort est que les tudes des changements concernent ici des socits complexes, autrement dit, ces tudes se basent sur des situations que lon observe dans les groupes urbains. Ce travail rsulte de la confluence des recherches empiriques de trois auteurs: tudes linguistiques du contact en situation de bilinguisme (Weinreich), dinterac-tion dialectale (Herzog), et dinvestigations de la ralit sociolinguistique urbaine (Labov).

    Comme on pouvait sy attendre, en sociolinguistique, et sans grande nouveaut puisque ceci tait dj pris en compte par les no-grammairiens, les auteurs vont considrer que le changement linguistique nadvient pas seulement cause de facteurs internes, mais comporte galement une moti-vation sociale. Rompant avec la posture thorique des no-grammairiens, fonde sur lhomognit, la langue apparat comme un phnomne (un fait?) caractris par lhtrognit ordonne. La langue est une ralit intrinsquement variable. Ce qui signifie quil faut accepter que la matrise des structures htrognes des locuteurs na rien voir avec le multidialec-

    1 Ducrot, Todorov 1972.

    2 Weinreich, Labov, Herzog 1968.

  • 28 Cahiers de lILSL, 31, 2011

    tisme, ni avec la simple performance: lhtrognit ordonne est cons-titutive de la comptence linguistique monolingue. Nous voudrions ici arrter notre attention sur le fait que la notion dhtrognit ordonne est lie la notion de comptence.

    La systmaticit du changement se retrouve dans de nombreuses thories.

    Quelque chose nous parat cependant digne dtre soulign. Les au-teurs se demandent toujours comment comprendre la mise en uvre des changements, bien quils partent, comme ils disent, de phnomnes vrifia-bles, empiriquement vrifiables. Empiriquement vrifiables, aprs que ledit fait a t suffisamment caractris dans le schma thorique quils cons-truisent, et dans lequel lhtrognit ordonne de la comptence, dans le cas de Weinreich, Labov et Herzog, constitue la priorit absolue. Ce qui nous permet de penser quil y a surdtermination de la comptence par rapport au social. Et lhistoire, lorsquelle apparat, est une histoire chrono-logique, volutive. Dune faon gnrale, nous pouvons dire que ces au-teurs de sociolinguistique sinscrivent dans les grandes lignes des thories, ou de la thorie dominante de lpoque: le gnrativisme. Ils se proccu-pent des universaux, visent lexplication et pas seulement la description, ltude de modles productifs en conflit. Ils tudient la coexistence de sys-tmes dans une mme communaut et lintrieur dun mme individu, autant dans la perspective synchronique (alternance de styles) que diachro-nique (concurrence entre les formes). Le changement a lieu dans la mesure o un locuteur apprend une forme alternative, dans le temps o deux for-mes sont en contact lintrieur de sa comptence, et lorsque lune delles devient obsolte. Les facteurs linguistiques et sociaux apparaissent dans cette thorie intimement entrelacs dans le dveloppement du changement linguistique. Ils font galement rfrence plusieurs styles. Toujours selon ces auteurs, la structure linguistique en mutation est elle-mme en-chsse dans le contexte plus large de la communaut de parole, de sorte que les variations sociales et gographiques sont des lments intrinsques la structure. Allons plus loin encore: dans le dveloppement du change-ment linguistique, nous rencontrons des structures linguistiques ingale-ment enchsses dans la structure sociale; et dans les tapes initiales et finales du changement, il peut y avoir trs peu de corrlation avec des fac-teurs sociaux.

    Ainsi, la tche du linguiste nest pas tant de dmontrer la motivation sociale dun changement que de dterminer le degr de corrlation sociale qui existe et de montrer comment cette corrlation pse sur le systme linguistique abstrait.

    Il nous faut en arriver F. Tarallo3 pour lire en toutes lettres quaucune langue nest statique et quon ne peut pas sparer diachronie et synchronie. Il fait lexercice daller du prsent vers le pass, et vice versa.

    3 Tarallo 1990. F. Tarallo est un des plus importants sociolinguistes du Brsil, disciple de

    Labov.

  • E. Orlandi: La notion de langue nationale 29

    Et mme si Tarallo4 affirme que Labov et alii ont laiss de ct le dilemme entre penser la linguistique historique au sens fort (selon lequel on vise prdire le changement) ou au sens faible (se borner affirmer quil y a toujours des altrations), il nous semble que ce que dit Labov signale toujours le dsir qua le linguiste de prdire le changement:

    Ainsi, un tableau comme celui que Labov prsente la page 303 de larticle nous indique quand nous devrons attendre, avec une plus grande prcision, avec un certain degr dassurance et de certitude, la manire dont le systme phonologique se comportera durant son propre changement5.

    Nous ne pouvons ici nous empcher de rappeler le texte de M. Pcheux6 o il est dit que la rupture, pour devenir relle, dpend de sa rsonance dans lhistoire. Et qui peut garantir cela?

    De plus, si lon reprend un texte qui se rpte sans cesse ce qui pour nous est un argument en faveur de la variation et au dtriment du changement on peut lire: En fin de compte, si une langue doit tre struc-ture pour fonctionner efficacement, comment les gens peuvent-ils conti-nuer parler alors que la langue passe par des priodes de moindre syst-maticit?7

    On ne peut manquer dobserver que, dans lautre perspective, la perspective discursive, il ny a pas de priodes de moindre systmaticit. La langue est tout le temps sujette failles, quivoque. Encore selon P-cheux8, il y a des noncs logiquement stabiliss et il y a des noncs sujets quivoque. Et la relation quils entretiennent nest pas une relation de stricte sparation.

    Mais laissons un temps la rflexion avant de parler de la perspec-tive de lanalyse du discours et sa dfinition de la langue, de lhistoricit, de la mmoire, de la polysmie. Observons pour le moment quelques auteurs brsiliens qui parlent de la langue, de la grammaire, des curiosits, des difficults, des vices du langage, des brsilianismes.

    4 Tarallo 1990, p. 58.

    5 Ibid., p. 74.

    6 Pcheux 1982.

    7 Weinreich, Labov, Herzog 1968, p. 87.

    8 Pcheux 1990a et 1990b. Ce texte a t publi dabord au Brsil (Pcheux 1990a) dans sa

    traduction Discurso: estrutura ou acontecimento? (Campinas: Pontes). La mme anne, il a t publi dans le livre de D. Maldidier Linquitude du discours textes de Michel Pcheux (Pcheux 1990b).

  • 30 Cahiers de lILSL, 31, 2011

    2. NOS AUTEURS ET LA LINGUISTIQUE HISTORIQUE

    Nous prendrons seulement quelques-uns de nos auteurs brsiliens: M. Pacheco da Silva Jr.9 et B.P. Lameira de Andrade10, J. Ribeiro11, E.C. Pereira12. Les trois premiers sont des auteurs du XIXme sicle, mo-ment dcisif de la grammatisation de la langue que lon parle au Brsil. Cest un moment de production de grammaires par des Brsiliens pour des Brsiliens, construction dun savoir linguistique qui nest pas le seul reflet du savoir grammatical portugais:

    Avec lindpendance du pays et la proclamation de la Rpublique, il ne suffit pas que le Brsilien sache sa langue, il faut quil en prenne conscience et se re-prsente ce savoir. La grammaire est le lieu o ce savoir socialement lgitim est rendu visible. Par le geste de dplacer vers le territoire brsilien le processus de grammatisation mme si la grammaire continue de sappeler grammaire portugaise (et non brsilienne) le grammairien brsilien dplace lautorit de dire comment est cette langue13.

    Le dernier auteur cit plus haut, Eduardo Carlos Pereira (sa Gramatica Expositiva14, publie 1904, a eu 102 ditions) nous sera surtout utile pour faire quelques observations relatives la question de lenseignement et de la place de la grammaire historique.

    2.1. PACHECO DA SILVA ET SA GRAMMAIRE HISTORIQUE

    Pour commencer, prenons Pacheco da Silva (1842-1899) et sa Grammaire historique de la langue portugaise [Grammatica Historica da Lingua Por-tugueza], publie Rio de Janeiro en 1878. Il est en outre indiqu quelle fut publie lusage des lves de 7me anne du collge imprial de Pedro II, des coles normales, et de tous ceux qui tudient la langue nationale. Une pigraphe ne saurait manquer dattirer notre attention: Pour bien connatre lorganisme, force est de connatre lorigine et la transformation de ses lments15.

    9 Pacheco da Silva 1878.

    10 Pacheco da Silva, Lameira de Andrade 1887.

    11 Ribeiro (Joo) 1921 et 1927.

    12 Pereira 1907.

    13 Auroux, Orlandi, Mazire 1998, p. 5.

    14 Pereira dfinit comme suit la grammaire expositive (explicative) portugaise: cest une

    exposition mthodique des rgles concernant lusage correcte de la langue portugaise, tandis que la grammaire expositive (explicative), descriptive ou pratique est celle qui expose ou dcrit mthodiquement les faits actuels dune langue dtermine (Pereira 1907, p. 20). Cette grammaire de Pereira tait destine lcole (cf. Orlandi 2002). 15

    Il sagit de lpigraphe de son livre Grammaire historique de la langue portugaise (Pache-co da Silva 1878).

  • E. Orlandi: La notion de langue nationale 31

    Comme on peut dj le lire ici, lauteur dira que la science du lan-gage fait partie de lhistoire naturelle: cest un ensemble organique dont ltude appartient aux sciences biologiques, et en particulier lanthropolo-gie. Et elle se centre sur ltude de la vie du langage16.

    Lexplication du langage appartient la nature et non lhistoire. Suivant dans cette ligne le discours gnral de lpoque, il parlera

    daltration, dvolution, de la distinction entre le populaire et lrudit (tant donn que plus proche de lorigine signifie plus pur, plus parfait)17.

    Lauteur dit ainsi que le mot peut non seulement changer de forme sans changer de sens, mais aussi changer de sens tout en conservant sa forme. Ces laborations continues, dit-il18, constituent le dveloppement19 dune langue. En outre, lauteur considre quautant laltration phontique que la rgnration des dialectes concourent ce dveloppement20.

    Natura non facit saltus, la rapidit ou la lenteur dans lvolution lin-guistique doivent tre attribues lingalit des types crbraux, dit lauteur21.

    Mais que les lecteurs ne sy trompent pas. Lauteur pourra donner dautres raisons pour expliquer cette marche des langues partir du mo-ment o, comme il le dit, nous ne croyons pas que le cheminement plus ou moins rapide du langage soit subordonn seulement la sensibilit et la forme encphalique22. Et cest parce que

    [t]out dpend des circonstances externes et accessoires influence climatique, souverainet politique, supriorit sociale, raffinement de la civilisation; elles seules dcident aussi laquelle des deux socits qui cohabitent ou se confondent doit oblitrer la langue de lautre, ou se superposer elle23.

    Lauteur ne manquera pas non plus de faire rfrence la civilisation: Malgr les opinions contraires, on ne peut nier que la civilisation facilite beaucoup le mlange des races, lequel introduit son tour, en gnral, de grandes modifications dans la langue24.

    Il convient cependant de remarquer, dit-il, que le langage nest pas la caractristique distinctive des races25. Des races et des peuples compl-tement spars peuvent parler une seule et mme langue, de mme quune seule race peut parler de nombreuses langues diffrentes. De notre point de vue, ce qui nous intresse est que cest prcisment ici que nous, peuples

    16 Pacheco da Silva 1878, p. III.

    17 Ibid., p. VIII-IX.

    18 Ibid., p. XI.

    19 Il faut ici remarquer quil dit dveloppement et non changement.

    20 Pacheco da Silva 1878, p. XII.

    21 Ibid., p. XVII.

    22 Ibid.; lauteur souligne.

    23 Ibid., p. XVII-XVIII.

    24 Ibid., p. XVIII.

    25 Ibid.

  • 32 Cahiers de lILSL, 31, 2011

    coloniss, apparaissons en tant quexemple: les populations htrognes des tats-Unis parlent anglais; celles du Brsil parlent portugais, et il en est de mme dans certaines possessions dAfrique et dAsie.

    Comme nous le voyons, et cela est frquent chez nombre de nos au-teurs, la relation de la science du langage qui est faite au Brsil avec celle de lextrieur nest pas faite de pure et simple rception dune thorie. Les thories sont, pour ainsi dire, utilises, pour reprendre les mots de nos au-teurs. Elles sont avances comme des arguments favorables leurs points de vue et ce, trs souvent, de faon ce que se mlangent des principes thoriques des unes et des autres.

    Dautre part, nous ne pouvons pas manquer dobserver quici dans largumentation apparat, comme chez de nombreux auteurs, limportance de ltude de la grammaire historique dans lenseignement de la langue.

    Sensuit une longue considration propos du peu dintrt des Br-siliens lgard de lenseignement de la langue, ce quil regrettait car, au Portugal, il y avait dj un sicle, Nunes de Leo, dit-il, crivait que lexacte connaissance de la philologie de la langue patrie26 tait pour tous indispensable, affirmant que la conviction gnrale tait la suivante, parce que tous les hommes doctes avouaient cordialement que personne ne pour-rait avancer dans les sciences sublimes sans unir son instruction les connaissances philologiques des langues, et plus que tout celle de la langue patrie27.

    Non seulement chez cet auteur, mais aussi chez dautres auteurs br-siliens du XIXme sicle, nous verrons que la rfrence lenseignement de la langue patrie est llment moteur qui justifie non seulement lapparition des enseignements de langues les plus modernes, mais aussi la ncessit denseignements grammaticaux plus en accord avec cet enseignement de la langue patrie.

    Ensuite, lauteur entre dans des considrations sur lhistoire de la langue portugaise, et il se servira de diffrents auteurs europens pas seulement dauteurs portugais , mais sans trop sloigner de ce qui consti-tue ce moment-l la grammaire historique et compare.

    Dans le dveloppement de sa rflexion, on remarque une constante rfrence des dialectes, des altrations, des corruptions, et au rapport la langue littraire. Avant lexistence de la langue nationale, il y a toujours eu de nombreux dialectes et patois dans les districts, les provinces, les villes, les villages et les tribus. Personne nchappe linfluence des parti-cularits locales et personnelles de la prononciation et de la phrasologie, qui, lorsquelles se propagent et deviennent beaucoup plus parles, pren-nent la dnomination de dialectes []28.

    Do laffirmation que toutes les langues sont des dialectes. Surgit alors

    26 Ibid., p. XXV.

    27 Ibid.; lauteur souligne.

    28 Ibid., p. 23.

  • E. Orlandi: La notion de langue nationale 33

    [] despace en espace, par la force des vnements, sous la force de lois la fois naturelles et historiques, une langue souveraine, centrale, absorbante, qui, son tour, de grandes commotions lui tant faites, va donner naissance de nou-veaux dialectes frres, vous au mme destin, au mme germe de vie29.

    Dans les pages qui suivent, il critique svrement ce qui se passe au Portu-gal aux XVIme, XVIIme, et XVIIIme sicles, notamment la dfaite dAlca-cer-Kebir et la domination espagnole:

    La libre raison tait touffe, la pense et lintelligence se sont rendues escla-ves, le fanatisme aveugle qui tait apparu au Portugal au XVme sicle, avait progress lombre dune civilisation aveugle, stupide et froce au long du XVIme sicle et stendait encore au XVIIme sicle30.

    Toujours selon Pacheco, le Portugal a perdu son indpendance et son esprit national. Le portugais tait rput pour tre une langue grossire, propre au peuple seulement, et les crivains succombaient linfluence du gongo-risme et du marinisme qui abtardissaient la langue et rendaient le style turgide, pdant, ampoul31.

    Au XVIIIme sicle,

    [] la civilisation et les Lumires qui lui ont donn naissance se sont ten-dues du Nord au Sud, qui fut le berceau des Lumires europennes. Le com-merce a solidaris les nations, ltude des langues sest gnralise. Le Portugal [] a retrouv lempire de la raison et du got de la littrature, ainsi que lusage de la langue vernaculaire, qui aujourdhui encore se ressent dans le cultisme32.

    R. Bluteau publie son Vocabulaire portugais33. A. de Mello Fonseca crit son Antidote de la langue portugaise34, proposant la rforme officielle de la langue patrie. F.J. Freire tudie la langue partir des monuments crits et publie ses Rflexions sur la langue portugaise35, M.J. Paiva crit un livre curieux qui relate les dires communs de la plbe36, Maladies de la langue et art o lon enseigne de se taire pour lamliorer. Le marquis de Pombal expulse les jsuites et scularise linstruction publique, rendant celle-ci

    29 Ibid., p. 24.

    30 Ibid., p. 59.

    31 Ibid. Le gongorisme renvoie un baroque exagr (ce substantif est driv du nom de

    lcrivain espagnol Luiz de Gngora); le marinisme en Italie correspond au cultisme au Portugal et la prciosit en France. 32

    Pacheco da Silva 1878, p. 61; lauteur souligne. Sur le mot cultisme, cf. la note prcdente. 33

    Ibid. Cf. Bluteau 1712. R. Bluteau avait un sobriquet (Candido Lusitano); il a crit dautres ouvrages (Bluteau 1756 et 1786) qui avaient une finalit pratique, utilitaire. 34

    Pacheco da Silva 1878, p. 62. Cf. Melo da Fonseca 1710. 35

    Pacheco da Silva 1878, p. 62. Cf. Freire 1842. 36

    Pacheco da Silva 1878, p. 62. Cf. Paiva 1759.

  • 34 Cahiers de lILSL, 31, 2011

    officielle (1759). Lisbonne est fonde lAcadmie Royale des Sciences (1779).

    Mais, selon Pacheco, apparat un grand mal dun genre nouveau, et cest en reprenant les mots de Garret37 quil lexplicite:

    Ce grand mal fut la gallomanie, qui en plus de pervertir le caractre de la na-tion, a tout perdu, et a achev un langage qui tait dj fbrile; phrases barbares qui rpugnent la nature de la langue, termes hybrides, locutions tranan-tes38

    Nous en arrivons enfin son sicle, le XIXme. Selon lui, les nologismes se font plus nombreux, la langue grecque prend part la formation des voca-bles, la phrase est plus concise, la priode est moins tire, lordre direct est prfr, les gallicismes entachent la langue, donnant naissance plusieurs imperfections et impurets de langage. De quel portugais parle-t-on ici? Du portugais du Portugal? Parle-t-on toujours du Portugal? Il nous semble que le Brsil entre ici en considration: Et la grammaire philosophique de J. Soares Barbosa est encore le moule dans lequel se coulent toutes nos grammaires!39

    Il en revient au Portugal pour faire lloge de ses auteurs et de ses philologues: F.E. Leoni, A. Herculano, J.F. de Castilho, L. Coelho, Th. Braga. Et il cite finalement les auteurs brsiliens pour les critiquer tout en plaidant, en mme temps, en faveur du changement:

    En 1876, certains Brsiliens, dont la comptence en matire de critique et de vernacularit est bien connue de tous, fondrent une socit philologique Rio de Janeiro, dans le but de fixer la langue, ou de la faire revenir au XVIme si-cle, par limitation des beaux modles de cet ge dor. Les langues ne se fixent pas, elles sont des fleuves qui tendent toujours grossir mesure quils sloignent de la matrice: comme tout ce qui appartient au monde organique, elles cheminent sans cesse et rgulirement, indpendamment de toute volont humaine. La socit philologique est donc mort-ne40.

    Lauteur reviendra sur la langue au Brsil lorsquil voquera les dialectes, provincialismes et brsilianismes41.

    Il dfinit ainsi le dialecte: Un dialecte est la langue particulire dune province, dune ville ou dun tat, langue altre par rapport la langue dont elle provient, dans la prononciation, laccentuation, les dsi-nences, le vocabulaire42. Mais les causes quil regroupe sont diverses:

    37 Joo Baptista da Silva Leito de Almeida Garret (1799-1854) est connu comme lun des

    premiers crivains du romantisme portugais. 38

    Pacheco da Silva 1878, p. 62; lauteur souligne. 39

    Ibid., p. 63; lauteur souligne. 40

    Ibid. 41

    Ibid., p. 137-150. 42

    Ibid., p. 137.

  • E. Orlandi: La notion de langue nationale 35

    linfluence climatique ( laquelle il attribue une valeur norme), les cata-clysmes des races et des socits, le degr de culture littraire des langues (et travers la littrature, le sentiment national). Lauteur considre alors que le portugais na que trois dialectes: le galicien, lindo-portugais et le suajo. Il ne considre pas le portugais parl au Brsil comme un dialecte puisquil crit que les diffrences, par exemple, entre la langue parle au Brsil et celle que lon parle Lisbonne, sont quivalentes celles qui existent entre Lisbonne et Coimbra, Porto, les les, etc. Il ajoute que ces altrations ne se limitent pas la phontique, mais stendent la gram-maire et la morphologie, et que cela constituerait un bon sujet pour un travail curieux et pertinent. Il termine sur ces mots: Dialecte et langue, donc, expriment la mme chose pour le glossologue; les diffrentes accep-tions sont utiles seulement dans le langage ordinaire pour distinguer la langue littraire dun pays de ses formes infrieures43.

    Comme cest le cas des productions qui font rfrence aux diffren-ces (changements) entre le Brsil et le Portugal, lauteur parlera de vices de langage: Tous ces vices sont dus cependant la tradition et sa persis-tance, au manque de culture intellectuelle44. Il considre galement quil y a des mots qui existent au Brsil et non au Portugal, et il attribue cette dif-frence laction du climat (le plus puissant des lments de lenvironne-ment), linfluence indigne, aux nouveaux usages et modes de vie45, et ces mots nous donnons le nom de brsilianismes, dont le trait caractristi-que consiste aussi donner des mots connus un sens diffrent46.

    Lauteur voque le fait que de nombreux brsilianismes sont utiliss seulement par le peuple, et ne sont pas employs dans la littrature, excep-ts ceux que lusage a sanctionns et qui sont ncessaires. Devant linsistance de certains usages par le peuple, les classes cultives sont sou-vent obliges de les prendre en considration elles aussi. Il termine ainsi: [] cest le peuple qui reprsente les forces libres et spontanes de lhu-manit47.

    Chez Pacheco da Silva, les raisons, les causes, les diffrentes pers-pectives thoriques saccumulent. De notre point de vue, il en est ainsi parce que, premirement, lauteur pense lenseignement de la langue nationale, et ensuite, parce quau moment o il crit sa Grammaire histori-que de la langue portugaise (1878), il nexiste aucune grammaire brsi-lienne disponible. Cest seulement plus tard, en 1881, quapparatra celle de Jlio Ribeiro48, suivie en 1887 de sa propre grammaire49, et celle de Joo

    43 Ibid., p. 138.

    44 Ibid., p. 140.

    45 Ibid., p. 141.

    46 Ibid.

    47 Ibid., p. 150.

    48 Ribeiro (Jlio) 1881.

    49 Pacheco da Silva, Lameira de Andrade 1887.

  • 36 Cahiers de lILSL, 31, 2011

    Ribeiro et A. Gomes50. Jusquici, ctait surtout des spcialistes en dialecto-logie qui prdominaient au Brsil.

    2.2. JOO RIBEIRO: LA GRAMMAIRE LMENTAIRE EXPLICATIVE, LA LANGUE NATIONALE ET LES CURIOSITS VERBALES

    Joo Ribeiro (1860-1934) est historien, journaliste, spcialiste du langage, grammairien. Il apporte un renouveau aux tudes historiques au Brsil51, imprime une nouvelle orientation mthodologique et ralise une nouvelle synthse de lhistoire du Brsil. Il est considr comme le plus grand histo-rien brsilien de synthse, tout comme J. Capistrano de Abreu est le plus grand historien brsilien danalyse. Avec Ribeiro, notre histoire (celle du Brsil) cesse dtre lhistoire de ceux qui gouvernent pour devenir celle du peuple brsilien. Son uvre serait un chef-duvre de vernacularit. Il nous faut signaler un autre changement. En tant quhistorien, Ribeiro reprsente au Brsil un changement dans la forme de lhistoriographie: celle-ci se dplace de la tradition lusitano-brsilienne (Pero de Magalhes Gandavo, F.V. de Salvador, Sebastio da Rocha Pita, M. Aires do Casal) vers la tra-dition germanique, qui lui donnera ce sens de lobjectivit qui caractrise C.F.P. von Martius, E. Halderman, F.A. de Varnhagen, mais aussi R. Sou-they et J. Armitage. Sans scarter de la filiation germanique, il ralise n-anmoins en histoire ce que les autres ralisent en littrature et en philoso-phie. Il sinscrit dans le mouvement rnovateur de la Kulturgeschichte, qui, comme nous le savons, cesse de restreindre le concept dhistoire aux v-nements politiques et administratifs, lhistoire embrassant ds lors toutes les formes de culture.

    Mais laissons de