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LES SAMEDI 24 ET DIMANCHE 25 MARS 2018 Enjeux numériques CAHIER SPÉCIAL D Ludification Jouer pour comprendre la société D 2 Les bénéfices des jeux vidéo sont-ils sous- estimés? D 3 Fortement représentée dans les domaines du jeu vidéo, de la réalité virtuelle et augmentée, des arts numériques, des effets visuels, de l’intelligence ar- tificielle et des textiles intelligents, Montréal abrite l’un des plus riches écosystèmes de créati- vité numérique au monde. L’événement Printemps numérique, dont la cinquième édition bat actuelle- ment son plein, témoigne d’ailleurs de cette effer- vescence. Mais avant de pouvoir se targuer d’avoir assis durablement son leadership international en la matière, la communauté montréalaise a encore quelques enjeux à concilier. EMILIE CORRIVEAU Collaboration spéciale A rtiste, cofondatrice et vice-présidente du la- boratoire d’écritures numériques TOPO, ainsi que consultante en développement cul- turel, Eva Quintas connaît très bien l’écosys- tème montréalais de la créativité numérique. En 2016, avec l’appui du programme Accélération de l’organisme Mitacs et des professeurs Laurent Simon et Serge Poisson-de Haro (HEC Montréal), elle a réa- lisé une recherche pour le compte de l’organisme Prin- temps numérique. Ayant pour mission de développer et de promouvoir la créativité numérique à travers dif- férentes activités de production événementielle, de communication, de veille, de maillage et de médiation, ce dernier a mandaté M me Quintas pour cartographier l’écosystème de la créativité numérique montréalaise afin d’en mesurer la portée et de clarifier les conditions nécessaires à son plein essor. Intitulée Comprendre et valoriser l’écosystème mont- réalais de la créativité numérique : un levier pour le dé- veloppement local et le rayonnement international de la métropole, l’étude propose un état des lieux très éclai- rant de la créativité numérique montréalaise et recense les défis auxquels font face les acteurs du milieu. « On est partis de l’hypothèse que Montréal pouvait être la capitale mondiale de la créativité numérique, in- dique M me Quintas. La question qu’on s’est posée, c’est “qu’est-ce qui manque à Montréal pour avoir un vrai leadership international ?”. Ce dont on s’est rendu compte, c’est que les sous-secteurs rayonnent, mais que, si on voulait réussir une vraie projection interna- tionale, il fallait surtout affermir la solidarité et la concertation locale. » L’étude met également en lumière le fait que les mi- lieux des arts numériques perçoivent un manque de re- connaissance de leur discipline de la part du grand pu- blic et de certains décideurs, ce qui contribue à alimen- ter leur méfiance envers l’industrie. « Plusieurs des intervenants ont parlé de la nécessité de multiplier les espaces de visibilité médiatiques et événementiels. […] Beaucoup ont suggéré la création Créativité numérique: la richesse de Montréal La métropole s’efforce de devenir la capitale mondiale de la créativité numérique VOIR PAGE D 2 : MONTRÉAL JEAN-MICHAEL SEMINARO

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LES SAMEDI 24 ET DIMANCHE 25 MARS 2018

Enjeux numériques

CAHIER SPÉCIAL D

Ludification

Jouer pourcomprendre la société D 2

Les bénéficesdes jeux vidéosont-ils sous-estimés? D 3

Fortement représentée dans les domaines du jeu

vidéo, de la réalité virtuelle et augmentée, des arts

numériques, des effets visuels, de l’intelligence ar-

tificielle et des textiles intelligents, Montréal

abrite l’un des plus riches écosystèmes de créati-

vité numérique au monde. L’événement Printemps

numérique, dont la cinquième édition bat actuelle-

ment son plein, témoigne d’ailleurs de cette effer-

vescence. Mais avant de pouvoir se targuer d’avoir

assis durablement son leadership international en

la matière, la communauté montréalaise a encore

quelques enjeux à concilier.

E M I L I E C O R R I V E A U

Collaboration spéciale

Artiste, cofondatrice et vice-présidente du la-boratoire d’écritures numériques TOPO,ainsi que consultante en développement cul-turel, Eva Quintas connaît très bien l’écosys-

tème montréalais de la créativité numérique.En 2016, avec l’appui du programme Accélération de

l’organisme Mitacs et des professeurs Laurent Simonet Serge Poisson-de Haro (HEC Montréal), elle a réa-lisé une recherche pour le compte de l’organisme Prin-temps numérique. Ayant pour mission de développeret de promouvoir la créativité numérique à travers dif-férentes activités de production événementielle, decommunication, de veille, de maillage et de médiation,ce dernier a mandaté Mme Quintas pour cartographierl’écosystème de la créativité numérique montréalaiseafin d’en mesurer la portée et de clarifier les conditionsnécessaires à son plein essor.

Intitulée Comprendre et valoriser l’écosystème mont-réalais de la créativité numérique : un levier pour le dé-veloppement local et le rayonnement international de lamétropole, l’étude propose un état des lieux très éclai-rant de la créativité numérique montréalaise et recenseles défis auxquels font face les acteurs du milieu.

« On est partis de l’hypothèse que Montréal pouvaitêtre la capitale mondiale de la créativité numérique, in-dique Mme Quintas. La question qu’on s’est posée, c’est“qu’est-ce qui manque à Montréal pour avoir un vraileadership international ?”. Ce dont on s’est renducompte, c’est que les sous-secteurs rayonnent, maisque, si on voulait réussir une vraie projection interna-tionale, il fallait sur tout af fermir la solidarité et laconcertation locale. »

L’étude met également en lumière le fait que les mi-lieux des arts numériques perçoivent un manque de re-connaissance de leur discipline de la part du grand pu-blic et de certains décideurs, ce qui contribue à alimen-ter leur méfiance envers l’industrie.

«Plusieurs des intervenants ont parlé de la nécessitéde multiplier les espaces de visibilité médiatiques etévénementiels. […] Beaucoup ont suggéré la création

Créativité numérique:

la richesse de MontréalLa métropole s’efforce dedevenir la capitale mondiale de la créativité numérique

VOIR PAGE D 2 : MONTRÉAL

JEAN-M

ICHAEL SEM

INARO

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E N J E U X N U M É R I Q U E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 4 E T D I M A N C H E 2 5 M A R S 2 0 1 8D 2

DATE LIMITE D’INSCRIPTIONProgramme Médias interactifs et jeux vidéoMercredi 16 mai 2018

Cinéma - Télévision - Médias interactifs

JEUX SÉRIEUX ET LUDIFICATION

Jouer pour comprendre la sociétéAu-delà du divertissement, les jeux permettent de mieux comprendre le monde

A L I C E M A R I E T T E

Collaboration spéciale

«J e pense que les jeux sontune bonne façon de com-

prendre de nombreux pro-blèmes qui font de la sociétémoderne ce qu’elle est», lanceRilla Khaled, professeure agré-gée au Département de designet d’arts numériques de l’Uni-

versité Concordia et membredu laboratoire Technoculture,Art and Games (TAG). Pourelle et ses collègues, les jeuxne sont pas uniquement uneexpérience où celui qui parti-cipe est censé gagner, perdre,ou tenter de cumuler le plusde points possible. « Nousconsidérons les jeux commeun véhicule pour une expé-rience créative, interactive, lapossibilité de créer un monde,décrit-elle. Nous voyons lesjeux comme ayant la capacitéde jouer le même rôle quel’art, pour nous aider à imagi-ner un monde différent. »

Celle qui est détentrice d’undoctorat en informatique del’Université Victoria de Wel-lington, en Nouvelle-Zélande,

étudie le rôle du jeu dans la viedes gens et s’intéresse à la lu-dification ou gamification,terme qui renvoie à l’adapta-tion des codes et mécaniquesdu jeu (donner des missions,attribuer un score, utiliser unavatar…) dans un domaine quin’est pas ludique. Ses re-cher ches se por tent , parexemple, sur la conception de

jeux sérieux et persua-sifs, ainsi que sur lesjeux de spéculation,les interactions entreles jeux, la ludificationet la culture, la concep-tion de jeux participa-tifs, l a c o n c e p t i o nde jeux, ainsi que l’in-telligence ar tificielle.

« Nous ne cherchons pas spé-cialement à créer des jeuxpour changer les esprits, nousé t u d i o n s p l u t ô t l ’ i m p a c tqu’ont les jeux sur la société »,précise-t-elle.

Les jeux sérieux comme solution?

Pour autant, peut-on direque les jeux sérieux peuventêtre une solution à plusieursproblèmes de société ? PourRilla Khaled, il faut bien nuan-cer la réponse. « Il y a dix ans,j’aurais probablement réponduoui, c’est une partie de la solu-tion, mais maintenant, je pensequ’i l y a beaucoup de pro-blèmes qui ne peuvent pas êtrerésolus à travers les jeux », es-time la professeure. Elle prend

l’exemple de la dépression oudu racisme. « Il nous est possi-ble de concevoir des jeux pouraider les gens à faire l’expé-rience des facteurs qui entrenten jeu, mais en fait, je diraisque l’approche que nous adop-tons est que nous voyons le jeucomme un prisme pour com-prendre la vie moderne», croit-elle. Dans le même sens, elleajoute que les jeux permettentde réfléchir à des questionstelles que l’interactivité et lerôle de la technologie dans lavie de tous les jours.

En outre, la professeure s’in-téresse à la façon dont la ludifi-

cation peut et doit être adaptéeà dif férents contextes cultu-rels. Par exemple, un certainnombre de jeux se concen-t r en t sur l a compét i t ion .« C’est très bien dans les paysoù être le meilleur est très im-por tant, mais ce n’est pas lecas partout. Je vivais au Dane-mark, et l’idée d’être meilleurque ton collègue n’est pasquelque chose que les gens ai-ment», relève-t-elle.

Un laboratoire de créativité

Rilla Khaled est codirectricedu laboratoire TAG, un centre

interdisciplinaire de rechercheet création en études et concep-tion de jeux, culture numériqueet art interactif. Elle souligne lecôté unique et spécial de ce lieu,où se rassemblent chercheurs,ar tistes, concepteurs, ingé-nieurs et étudiants de tous lesdépartements de l’UniversitéConcordia. Des par ticipantsd’autres universités, des indus-tries du jeu et des arts média-tiques, ainsi que des groupescommunautaires sont aussi ré-gulièrement invités. «Au TAG,nous avons des approches di-verses, des recherches variéeset différents bagages que l’onemmène dans le jeu, je croisque c’est ce qui nous permetd’avoir des possibilités particu-lières », raconte-t-elle. Elleajoute que les possibilités sonttrès larges.

Elle mentionne par exem-p l e s o n c o l l è g u e M a r t i nFrench, professeur adjoint auDépartement de sociologie etd’anthropologie de l’Univer-sité Concordia, qui s’intéresselui à ce que l ’on appelle la« gamblification » (en réfé-rence aux jeux d’argent) et àla mécanique de rétention ad-dictive. « Ce qui est intéres-sant est qu’il s’agit d’un mo-dèle où le design pousse lesgens à payer sans avoir l’at-tente de recevoir plus d’ar-gent », explique-t-elle.

Une infinité de possibilités

Un autre exemple, celui deThe Initiative for IndigenousFutures (IIF), mis sur piedgrâce à Jason Edward Lewis,professeur en design et ar tsnumériques à l’Université

Concordia. Cette initiative, àlaquelle Rilla Khaled participe,explore notamment la possibi-lité d’utiliser de nouveaux mé-dias numériques comme plate-forme pour les jeunes autoch-tones afin de raconter leur pro-pre histoire. « Nous avonsconstaté que peu de jeux sontdéveloppés avec la perspectiveautochtone », explique la pro-fesseure. Les membres de IIFse déplacent donc partout auCanada, mais aussi à Hawaï,en vue d’enseigner des compé-tences liées aux jeux. « Nousvoulons améliorer les compé-tences des jeunes en matièrede jeux et de nouveaux médiasafin qu’ils aient un autre véhi-cule pour exprimer leur iden-tité, raconter leur histoire etles représenter», ajoute-t-elle.

En outre, au sein du labora-toire de nombreux projets sonten cours. Un des étudiants audoctorat et assistant de re-cherches de Mme Khaled tra-vaille par exemple sur un jeunommé Cook Your Way. Celui-ci construit des contrôleurs al-ternatifs — autre que la souriset le clavier standard — poursimuler l’action de cuisiner. Unautre s’est intéressé à la dé-pression et à l’isolement. « Laplupart des gens utilisent desjeux en 3D, mais celui-ci utilisedes fonctionnalités 3D, maisavec des objets 2D, commedes caricatures, pour exprimerce que vous ressentez, quetout le monde est loin », ex-plique la professeure. Elle ré-pète que le but du jeu n’est pasde donner une solution à la dé-pression. « Je dirais qu’il s’agitd’essayer d’évoquer ce quel’on ressent», précise-t-elle.

Jeux sérieux, persuasifs, de réflexion… Les jeux vidéo ne

sont pas seulement des divertissements. Pour la cher-

cheuse Rilla Khaled, il s’agit d’un prisme qui permet de

mieux appréhender le monde actuel.

PEDRO RUIZ LE DEVOIR

Rilla Khaled, professeure agrégée au Département de design et d’artsnumériques de l’Université Concordia et membre du laboratoireTechnoculture, Art and Games (TAG), s’intéresse à la façon dont laludification peut et doit être adaptée à différents contextes culturels.

Les jeux permettent de réfléchir à des questions telles quel’interactivité et le rôle de la technologie dans la vie de tous les jours

d’une maison pour les arts et la créativité où onaurait, comme on le voit en Europe par exem-

ple, un espace mixte hybride où il pourrait yavoir de la recherche, de l’événementiel et desactivités grand public destinées notamment à lajeunesse. Ça faciliterait la concertation, la re-connaissance, l’affirmation du secteur et le dé-veloppement de la coopération », af firmeMme Quintas.

L’étude fait également ressortir que l’accèsau financement, particulièrement pour les ar-tistes, les compagnies artistiques et les petitesentreprises œuvrant dans le domaine de lacréativité numérique, reste un enjeu.

« À Montréal, on se débrouille toujours pourfaire des choses qui sont tripantes avec peu demoyens, relève à ce sujet Mehdi Ben-boubakeur, directeur général de Prin-temps numérique. C’est une marqued’ici ! Mais en même temps, si on veutasseoir durablement la position deMontréal comme capitale de la créati-vité numérique, il faut améliorer le fi-nancement du secteur. Il faut commen-cer à considérer ces milieux-là commedes leviers potentiellement importantsde développement économique.»

La capacité de commercialisation,l’accès à la main-d’œuvre spécialisée, de mêmeque la formation de la relève sont aussi des en-jeux cités dans l’étude comme étant préoccu-pants pour les acteurs du milieu.

Une volonté de plus en plus affirméeDepuis la publication de l’étude, les interven-

tions visant à renforcer le positionnement deMontréal comme capitale mondiale de la créati-vité numérique se sont multipliées. «Par exem-ple, la Ville a adopté sa politique de développe-ment culturel cet été, et la question de la créati-vité numérique y est prédominante », observeMme Quintas.

Notamment, celle-ci stipule clairement la vo-lonté de la métropole de « confirmer d’ici 2020le positionnement de Montréal comme l’un desleaders mondiaux de la créativité numérique »et établit diverses priorités pour y parvenir.

La commission numérique de Culture Mont-réal a aussi fait paraître à l’automne 2017 unedéclaration intitulée Montréal, capitale mon-diale de l’art et de la créativité numériques. Ap-puyée par de nombreux acteurs du milieu, dontMme Quintas et M. Benboubakeur, celle-ci apour objectif de soutenir et d’améliorer la pro-jection locale et internationale de la créativiténumérique montréalaise.

«D’ici la fin de l’année 2018, après avoir tenuquatre rendez-vous sur la question, la commis-sion numérique proposera un plan d’actionconcret», souligne Mme Quintas.

Celui-ci pourrait aller jusqu’à la création d’unegrappe des arts et de la créativité numériques.

Le Printemps numérique en actionDe son côté, au cours des derniers mois, le

Printemps numérique a beaucoup travaillé à dé-velopper dif férents outils et mécanismes de

maillage pour favoriser le rapprochement entreles citoyens, les artistes, les institutions, les en-treprises et les industries.

«On a par exemple lancé la série événemen-tielle #intersections qui vise à rassembler curieuxet passionnés autour d’enjeux de transformationsnumériques», indique M. Benboubakeur.

L’organisme a aussi développé, en col-laboration avec le Secrétariat à la jeu-nesse du Québec, le projet Jeunesse QC2030. «C’est un projet qui vise, par le dé-ploiement de différentes activités, à aug-menter les compétences numériquesdes jeunes. L’idée, c’est de favoriser lapleine conscience de la citoyenneté nu-mérique chez les jeunes, peu importe lemilieu d’où ils viennent. C’est aussi depréparer la relève », souligne le direc-teur général du Printemps numérique.

En ce moment, l’organisme œuvre aussi à lamise sur pied d’un réseau intersectoriel autourde la littératie numérique rassemblant entre-prises, groupes de recherches et organismespublics et privés.

Il continue également à chapeauter son événe-ment phare, aussi nommé Printemps numérique,qui se tient chaque année à Montréal du 21 marsau 21 juin et se déploie sous la forme d’une richeprogrammation de plus de 300 activités.

«Notre secteur de la créativité numérique seporte très bien; on a tous les éléments qu’il fautpour se prévaloir du titre de capitale mondiale dela créativité numérique, assure M. Benbouba-keur. Mais il ne faut pas que nous nous asseyionssur nos lauriers, sinon nous allons perdre notreavance. Pour continuer d’occuper une place dechoix parmi les meneurs, il ne faut pas que nousarrêtions de nous remettre en question.»

SUITE DE LA PAGE D 1

MONTRÉAL

MehdiBenboubakeur

Notre secteur de lacréativité numérique se portetrès bien; on a tous leséléments qu’il faut pour seprévaloir du titre de capitalemondiale de la créativiténumériqueMehdi Benboubakeur, directeur général de Printemps numérique

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E N J E U X N U M É R I Q U E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 4 E T D I M A N C H E 2 5 M A R S 2 0 1 8 D 3

Ce cahier spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, grâce au soutien des annonceurs qui y figurent. Ces derniers n’ont cependant pas de droit de regard sur les textes. Pour toute information sur le contenu, vous pouvez contacter Aude Marie Marcoux, directrice des publications spéciales, à [email protected].

Pour vos projets de cahier ou toute autre information au sujet de la publicité, contacter [email protected].

M A R T I N E L E T A R T E

Collaboration spéciale

M usitechnic, un établisse-ment privé de formation

collégiale qui forme des étu-diants en production audio,célèbre son 30e anniversaire.En trois décennies, le pro-gramme a dû être complète-ment refait plusieurs foisalors que le monde de la so-norisation a entièrement étérévolutionné avec le passagede l ’analogique au numé-rique. Les perspectives d’em-ploi pour les étudiants ontaussi été bonifiées avec l’es-sor de l’industrie des jeux vi-déo à Montréal. Entrevueavec Luc Lafontaine, direc-teur de Musitechnic et di -plômé de 1994.

Les premiers diplômés deMusitechnic, en 1989, ne sereconnaîtraient pas s’ils remet-taient les pieds chez leur almamater. Si, à sa création, l’écolea adopté le MIDI (Musical Ins-trument Digital Interface), unlangage de communication en-tre les différents appareils demusique encore utilisé au-jourd’hui, l’ordinateur n’avaitévidemment pas la place qu’ila aujourd’hui.

« On était avant Windows95, avant l’interface graphiqueavec la souris, avant Internet :on remonte à loin, se souvientLuc Lafontaine. Mais, avec l’ar-rivée du MIDI en 1983, nousavons eu un aperçu du futuroù tout passerait par l’ordina-teur. C’est pour cette raison enfait que l’école est née.»

Les logiciels commençaient àsortir. Il y avait des synthéti-seurs, mais ils étaient physiquesbien sûr, pas virtuels. Il n’y avaitpas non plus d’enregistrementaudio dans l’ordinateur.

« Il fallait avoir autant desynthétiseurs que de sonsqu’on voulait , se souvientM. Lafontaine. Ça prenait dela place et ça coûtait de l’ar-gent. Il fallait en plus mixeren temps réel sur une consoleet enregistrer sur un rubananalogique ! »

Avec l’arrivée d’Internet etle développement des ordina-teurs, Musitechnic a com-mencé au début des années

2000 à les utiliser pour rempla-cer l’équipement physique.

La production audiodémocratisée

Cette transformation techno-logique est venue changer laréalité de la production audio.

« L’informatique est venuedémocratiser la création et laproduction d’albums pour les

Musitechnic célèbre ses 30 ansFormer des étudiants en pleine révolution numérique

M A R T I N E L E T A R T E

Collaboration spéciale

L es jeux vidéo prennent de plus en plus deplace dans la vie des gens, et bien des en-

seignants tentent de les intégrer à leurs straté-gies pédagogiques afin de rendre les appren-tissages plus ludiques. Si certains peuvent sequestionner sur l’utilité de ces heures inves-ties dans les jeux vidéo, d’autres, comme Ga-brielle Trépanier-Jobin, professeure à l’Écoledes médias de l’UQAM, y voient des avan-tages. Entrevue.

« Bien sûr qu’il ne faut pas passer tropd’heures au quotidien devant les écrans et qu’ilfaut réguler le temps durant lequel les enfants ysont rivés, mais les jeux vidéo n’ont pas que demauvais côtés : ils permettent aussi de dévelop-per plusieurs connaissances et compétences »,affirme Gabrielle Trépanier-Jobin qui s’est inté-ressée à l’univers du cinéma avant de bifurquervers les jeux vidéo.

Il existe une foule de jeux «sérieux», dont lafonction première est d’inculquer des connais-sances, mais même les jeux de divertissementpeuvent avoir des retombées positives. Parexemple, ils peuvent faciliter l’apprentissaged’une nouvelle langue.

« Bien des jeunes Québécois francophonespar exemple se sont grandement améliorés enanglais parce qu’ils devaient communiqueravec leurs coéquipiers en jouant à des jeux enligne massivement multijoueurs », af firme laprofesseure et chercheuse.

Les jeux vidéo de divertissement peuventaussi permettre d’améliorer sa coordinationmain-œil, ses réflexes, sa coordination spatiale,puis sa capacité à gérer des ressources et à ré-soudre des problèmes.

Gabrielle Trépanier-Jobin, qui était unejoueuse lorsqu’elle était enfant, donne l’exem-ple du jeu d’arène de bataille en ligne multi-joueurs DOTA. Le joueur doit apprendre à coo-pérer avec les gens de son équipe qui ont descompétences différentes pour développer desstratégies afin de détruire la base de l’autreéquipe. On est loin de regarder passivement latélévision ! Mais même de petits jeux tout sim-ples peuvent avoir des retombées positives.

« Je pense aux personnes âgées par exemple,qui doivent continuer à solliciter leurs fonctionscognitives et leur mémoire, affirme Mme Trépa-nier-Jobin. Des jeux sont spécialement crééspour ces gens.»

Qui joue?Le joueur n’a d’ailleurs très souvent plus le

profil stéréotypé de l’adolescent isolé qui jouesur une console dans son sous-sol. Le jeu vidéose démocratise et séduit maintenant un largepan de la société.

D’après l’Association canadienne du logicielde divertissement, plus de la moitié de la popu-

lation canadienne joue à des jeux vidéo. C’est lerésultat obtenu lors d’un sondage réalisé auprintemps 2016 auprès de 3000 Canadiens de 6à 64 ans. Pas moins de 52% d’entre eux avaientjoué à un jeu vidéo dans les quatre dernières

semaines. Près de la moitié de ces gens étaitdes femmes et la moyenne d’âge était de36 ans. En moyenne, ils passaient 11 heures parsemaine à jouer. De plus, 37 % des Canadiens sedéfinissent eux-mêmes comme des joueurs.

« C’est énorme, s’exclame Gabrielle Trépa-nier-Jobin. Les jeux vidéo ne sont donc plusl’apanage des jeunes. Le phénomène intéresseaussi les adultes, notamment les retraités, quiont plus de temps libres. Parce que jouer à desjeux vidéo est aussi une question de temps.C’est certain que les parents d’enfants en basâge dans la trentaine et la quarantaine jouentmoins, mais après 50 ans, il y a une hausse.»

Les grandes entreprises se lancent dans les jeux éducatifs

Les jeux sérieux étaient traditionnellementconçus par des entreprises spécialisées dans

des domaines comme les simulateurs de vol,les formations pour les entreprises et les jeuxéducatifs pour enfants.

Mais on a vu apparaître un nouveau phéno-mène récemment : de grandes compagnies de

jeux vidéo produisent mainte-nant des versions éducativesde leurs jeux particulièrementpopulaires. Par exemple, c’estce qu’a fait Ubisoft avec Assas-sin’s Creed Origins, lancé l’au-tomne dernier. On y a retirél’objectif initial du jeu qui se dé-

roule dans l’Égypte ancienne, afin de l’axer surl’acquisition de connaissances.

« C’est intéressant parce que, lorsque degrandes entreprises comme Ubisoft se lancent

dans ce genre de projets, elles ont déjà en mainle graphisme qui coûte une fortune à réaliser,explique Gabrielle Trépanier-Jobin. Puis, ellesvont chercher des spécialistes dans différentesdisciplines, comme l’histoire, afin de s’assurerque tous les faits sont véridiques.»

En 2016, le jeu extrêmement populaire Mine-craft a aussi été décliné en version éducativepensée cette fois-ci particulièrement pour lesenseignants.

« Le jeu éducatif est accompagné d’une foulede scénarios pédagogiques afin qu’on puissel’intégrer dans les cours, que ce soit en mathé-matiques, en sciences et technologies, enarts, etc., affirme la professeure. C’est certainque, si un enseignant dit à ses élèves que cesoir, leur devoir est de jouer à Minecraft, il y ade bonnes chances qu’ils trouvent ça le fun ! »

Virage inévitable pour les enseignants?Les enseignants doivent-ils donc se mettre à

tout prix à la recherche des meilleurs jeux vi-déo pour transmettre des connaissances à leursélèves s’ils veulent susciter leur enthousiasme?

« On ne peut pas forcer les enseignants à in-tégrer des jeux vidéo dans les apprentissages,mais c’est certain qu’ils sont un facteur de moti-vation important pour les jeunes, constate Ga-brielle Trépanier-Jobin. Puis, lorsque les élèvesvivent des expériences à travers leurs appren-tissages, ils retiennent souvent davantage àlong terme les connaissances que lorsqu’ilssont face à un enseignement magistral. »

De plus, dans les universités, les étudiantssont déjà rivés devant leurs écrans en classe.Souvent pour clavarder avec des amis ou regar-der leur fil de nouvelles Facebook davantageque pour prendre des notes !

« Dans ce contexte, ce n’est pas toujours fa-cile d’avoir leur attention comme professeure,affirme Mme Trépanier-Jobin. La ludification desapprentissages change la dynamique de laclasse, ravive l’intérêt des étudiants et les metdans une position active qui facilite la rétentiondes connaissances à long terme. Les jeux vidéorenferment une foule de possibilités en matièred’éducation et je crois qu’il est intéressant deles explorer. »

Sous-estime-t-on les bénéfices des jeux vidéo?Plus de la moitié des Canadiens de 6 à 64 ans s’adonnent à ce loisir

ISTOCK

Environ 37 % des Canadiens se définissent eux-mêmes comme des joueurs.

«On ne peut pas forcer les enseignants à intégrer des jeux vidéo dans les apprentissages, mais c’estcertain qu’ils sont un facteur de motivation importantpour les jeunes»

VOIR PAGE D 4 : MUSIQUE

MUSITECHNIC

L’arrivée des ordinateurs et d’Internet a changé la réalité de laproduction audio.

Pas moins de 55% de la formation est pratique, et c’est important que les étudiants aient aussi du temps librependant cette année d’études afin des’investir dans leurs projets personnelsLuc Lafontaine, directeur de Musitechnic et diplômé de 1994

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E N J E U X N U M É R I Q U E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 4 E T D I M A N C H E 2 5 M A R S 2 0 1 8D 4

artistes, constate Luc Lafon-taine. L’autoproduction a vrai-ment pris son envol. L’indus-trie de la distribution — phy-sique — a pratiquement dis-par u avec les plateformescomme iTunes. L’avantagepour les artistes, c’est que çane coûte presque plus rien defaire ses chansons et de les of-frir en ligne aux côtés decelles de Céline Dion !»

Par contre, cette nouvelleréalité exige que les artistesdéveloppent dif férentes com-pétences. « Les compagniesvont souvent décider d’ac-compagner des ar tistes quiont déjà créé un buzz autourd’eux, explique Luc Lafon-taine. Elles les aideront à ter-miner leur album, à faire lapromotion ou à organiser unetournée. On s’attend donc au-jourd’hui à ce qu’un auteur-compositeur-interprète fasseune bonne par tie d’autopro-duction, qu’il fasse des petitsspectacles, qu’il se crée unebase de fans. Les artistes doi-vent vraiment être de plus enplus autonomes. »

Au départ, le programme deMusitechnic avait été penséd’ailleurs pour les musiciensqui voulaient s’autoproduire.Puis, avec les années, les pers-pectives ont été élargies.L’école s’est mise aussi à for-mer des techniciens de sonpour toutes les sphères du do-maine, que ce soit le spectacle,la télévision, le cinéma. Puis,plus récemment, le jeu vidéos’est ajouté.

« Cette industrie est par ti-cul ièrement dynamique àMontréal et elle a appor tébeaucoup de nouveaux em-plois dans le domaine duson, constate Luc Lafontaine.Les grandes compagnies dejeux vidéo ont toutes des stu-dios à l’interne, mais ils sontsouvent saturés, donc ellesfont aussi af faire avec desstudios indépendants. Il y atout un écosystème présent àMontréal pour nos finissantsqui veulent travailler dans cedomaine. »

Profiter de l’école pour lancer sa carrière

Musitechnic propose l’attes-tation d’études collégiales(AEC) technique de produc-

tion audio qui se fait en 12mois, sur trois sessions. Leprogramme, créé à l’interne, aété complètement changétrois fois en 30 ans. « Chaqueannée, nous faisons une auto-évaluation et nous l’amélio-rons», indique M. Lafontaine.

Il faut payer 16 000 $ pours’y inscrire. « Puisque noussommes un organisme à butnon lucratif, nos étudiants ontaccès aux bourses, en plus desprêts », af firme le directeur,entré en poste il y a cinq ansaprès avoir travaillé dans l’in-dustrie et gravi les échelonsun à un chez Musitechnic.

L’école tente de tout mettreen œuvre pour permettre à ses150 étudiants par année depropulser leur carrière pen-dant leur formation. Notam-ment, en utilisant au maxi-mum ses neuf studios, que cesoit pour des projets scolairesou personnels.

« Pas moins de 55 % de laformation est pratique, et c’estimpor tant que les étudiantsaient aussi du temps libre pen-dant cette année d’études afinde s’investir dans leurs projetspersonnels, af firme Luc La-fontaine. Ils doivent se fairede bonnes démos qu’ils pour-ront faire jouer à leurs futursemployeurs. »

Les professeurs de Musi-technic sont, en grande majo-rité, des gens qui travaillentdans l ’ industrie. « Les étu-diants doivent se constituer unbon réseau pour réussir dansle domaine et nos professeurssont un bon point de départ,affirme Luc Lafontaine. Beau-coup de diplômés aussi nousappellent lorsqu’ils travaillentsur des événements et qu’ilsont besoin de stagiaires, parexemple. Nos étudiants ontavantage à avoir du temps et àvraiment s’investir. »

Musitechnic a aussi créé unfonds d’aide aux projets decarrière pour ses étudiants.

« Nous nous gardons entre20 000 et 30 000 $ chaque an-née pour soutenir les étu-diants qui ont de bons projets,explique M. Lafontaine. Çapeut être très varié comme ini-tiative, du lancement d’un stu-dio à l’enregistrement d’un al-bum, en passant par l’inscrip-tion à une cer tification afind’augmenter leur employabi-lité. Nous leur offrons aussi dumentorat. L’objectif, c’est vrai-ment de permettre aux étu-diants de lancer leur carrièrependant cette année.»

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MUSIQUE

Raconter des histoires à l’ère du numériqueAu-delà de la technologie, pour captiver l’usager, il faut un récit

E M I L I E C O R R I V E A U

Collaboration spéciale

«C ela dépend du public etdes objectifs, indique

d’entrée de jeu Véronique Ma-rino, consultante et directricedu programme Médias interac-tifs à l’Institut national del’image et du son (INIS). Si onest dans une démarche de di-vertissement, dans le jeu vidéopar exemple, c’est clair quel’histoire est quelque chose detrès impor tant parce qu’onveut captiver l’utilisateur ou lespectateur pour pouvoir luifaire vivre quelque chose.»

Mais même lorsqu’il n’estpas question de divertir l’utili-sateur, dans le cas d’applica-tions utilitaires par exemple, lerécit joue un rôle relativementimportant dans la rétention deson intérêt.

« Le récit narratif dans uneinterface qui n’est pas fiction-nelle sert à susciter l’engage-ment, explique Mme Marino.Quand on parle de nouvellestechnologies, le récit nous per-met de recréer une humanitéentre un objet qui est froid etl’utilisateur. L’histoire, c’est lemeilleur moyen pour sortir duclinique. Parce que l’enjeu,c’est ça. Le numérique, c’estdu 0 et du 1. On est en perma-nence en quête de cette cha-leur, de cette fameuse relation,et l’histoire, c’est un moyen dela reproduire. »

« Il y a toujours une histoire,même si elle est mince, notepour sa part Ghassan Fayad,formateur à l’INIS ainsi queprésident fondateur de Kngfu,une entreprise qui produit des

contenus multiplateformes.Par exemple, Airbnb ou Uberont un récit derrière leur ap-plication. Leurs concepteursont bâti un scénario à par tird’un usage ; ils ont donc crééune histoire. »

Les enjeux narratifs desrécits interactifs

Bien que sa grammaire s’ap-parente parfois à celle utiliséeen cinéma ou en télévision, lanarration interactive comporteson lot de difficultés, et ce, no-tamment parce qu’elle n’estpas linéaire.

« Dans l’interactif, il ne fautpas penser le récit comme uneligne, mais comme une galaxie,soutient Mme Marino. Le récitdoit porter en lui des ressortsqui permettent de contrôlerl’enjeu de la navigation non li-néaire. En fait, on a une écri-ture qui est éclatée avec pleinde points d’entrée et qui nousramène vers le centre.»

« C’est une coche au-dessusen matière de complexité,commente M. Fayad en riant.C’est vraiment une écriturequi nécessite d’accepter de nepas avoir le contrôle completsur le récit et sur ce que lesgens vont en faire. Il s’agitplus de placer des morceauxcomme des scénographes etde laisser les gens mener unparcours libre tout en espé-rant induire un cer tain par-cours idéal, mais on ne peutpas l’imposer. »

L’écriture interactive com-mande aussi presque tou-jours un travail collaboratif.D’après Mme Marino, les pro-jets cohérents sont en géné-

ral l’expression de nombreuxesprits.

« Quand vous commencez àconceptualiser une expérience,à définir des inter faces, etc.,vous avez une deuxième écri-ture qui arrive qui est celle dela programmation. Elle va limi-ter des choses et en ouvrir d’au-tres. Ensuite, il y a l’élément fi-nal qui arrive quand tout est ra-massé et que l’expérience sefait, c’est le cosmétique. Il y adonc beaucoup d’écritures quise superposent en mêmetemps, et c’est ce qui en fait labeauté», affirme-t-elle.

L’avenir du récit interactifGrâce au développement de

technologies comme la réalitéaugmentée, la réalité virtuelleet l’intelligence artificielle, denouvelles formes de narra-tions sont en train d’émerger.Pour les auteurs de récits in-teractifs, cela laisse certes en-trevoir d’importants boulever-sements, mais également, degrandes possibilités.

« Dans les prochaines an-nées, on va voir des chosestrès intéressantes, estimeM. Fayad. Cette idée d’immer-sion totale dans une histoire,ça peut être très fort et ça of-fre un potentiel énorme de sto-rytelling. Contrairement à cequ’on a vécu au cours des der-nières années avec la multipli-cation des écrans, la réalitévir tuelle et augmentée vanous permettre à nouveau decapter totalement l’attentiondes utilisateurs, et ce, en utili-sant tous les sens. Pour unconteur d’histoires, c’est unmonde de possibilités ! »

« La dématérialisation desécrans est un des très grandsenjeux, juge pour sa par tMme Marino. On va accéder demoins en moins à ce qu’on ap-pelle un site Web, mais en

même temps, il va falloir quel’information se déploie sous

une forme qui va nous permet-tre d’interagir avec elle. Tout

cela va nécessiter d’impor-tantes réflexions.»

Que ce soit à la télévision, au cinéma ou dans les livres, une

bonne histoire bien racontée est généralement garante de

l’intérêt du public. Mais quand il est question de produc-

tions numériques interactives, à quel point le récit joue-t-il

un rôle important pour captiver l’usager?

Enseignante à l’INIS, Judith Beauregard estégalement productrice exécutive chez Tobo,un studio montréalais spécialisé dans la créa-tion de jeux numériques et d’expériences in-teractives multiplateformes pour les enfantsde trois à quinze ans.D’après cette spécialiste des productions jeu-nesse, même s’il est important, le récit n’oc-cupe pas tout à fait la même place dans lesproduits interactifs destinés aux enfants queceux voués aux adultes.«On essaie d’incorporer le storytelling danspresque tous nos produits parce qu’on saitque c’est quelque chose qui touche les jeunes,confie-t-elle. L’histoire leur donne plus de mo-tivation ; ça leur permet de se reconnaître etde s’impliquer. Cela dit, ce n’est pas nécessai-rement la chose la plus importante pour eux.»Ce qui l’est davantage, c’est la mécanique dejeu (gameplay), c’est-à-dire l’ensemble des

éléments liés à l’interaction entre le joueur etle jeu, dont les règles et les possibilités d’ac-tions. Quand elle est efficace, la mécaniquede jeu tient en éveil l’intérêt de l’utilisateur etcontribue à son plaisir de vivre l’interactivité.«Ce qui est vraiment important quand ons’adresse aux jeunes, c’est de trouver le défi àla hauteur du groupe cible, révèle Mme Beaure-gard. Il ne faut pas que ça soit trop difficile, nitrop facile, sinon, ils décrochent !»La productrice souligne toutefois que les jeuxqui ne s’articulent pas autour d’un récit pré-sentent souvent des limites sur le plan dusoutien de l’intérêt : « Les jeux qui n’ont pasd’histoires, sauf certaines exceptions, ont engénéral un attrait d’une durée limitée ; lesjeunes tendant à s’en lasser rapidement. Unbon jeu pour enfants, c’est donc un jeu quiamalgame un certain storytelling à une supermécanique de jeu. »

Des jeuxet des enjeuxPrendre au sérieux les jeux vidéo en créant une chaire de recherche en ludifi cation ?

Une idée brillante.

ISTOCK

« Quand on parle de nouvelles technologies, le récit nous permet de recréer une humanité entre un objet quiest froid et l’utilisateur », explique Véronique Marino, consultante et directrice du programme Médiasinteractifs à l’Institut national de l’image et du son (INIS).

Les produits jeunesse, un cas particulier