Brunschvicg Poincare Philosophe

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  • 5/20/2018 Brunschvicg Poincare Philosophe

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    Kev. Meta. T. XXI (a 5-1913). 39

    1.

    vil jul"' ut-i.iiii.iiw cin u ui an o a. ua icgiciiiUl ict l a Ul l U UU L IC l a. val

    rdig ou le plan que j'avais adopt (ibid., p. 139).

    Revue de^ne 21

    1913Numro 5

    llllllllllll

    1 1 1 4 1

    L'OEUVRE D'HENRI POINCAR

    LE PHILOSOPHE

    Henri Poincar disait, avec la simplicit qui lui tait habituelle Si bien dou que l'on soit, on ne fait rien de grand sans travailceux qui ont reu du ciel l'tincelle sacre, n'en sont pas exemptsplus que les autres; leur gnie mme ne fait que leur tailler de labesogne' 1.Docile l'appel de son gnie, Poincar ne s'est pas con-tent d'embrasser dans son uvre proprement technique l'ensembledes problmes mathmatiques et physiques qui se sont poss auxsavants de sa gnration; il a encore voulu tirer de cette uvre unemoralit capable d'clairer l'esprit public, en lui donnant un sensplus dlicat, plus exact, des conditions vritables et des rsultats

    de la recherche scientifique. Dans les occasions les plus diverses,jusqu'aux derniers jours de sa vie, il a repris cette mme tche,avec une inlassable gnrosit, avec le souci constant d'agrandir lecercle de ses proccupations 2, insensible d'ailleurs l'admirationuniverselle et toujours incompltement satisfait de lui-mme 3.L'en-treprise le captivait de plus en plus, parce qu'il la jugeait utile

    pour le bien gnral, et sans doute aussi cause de son extrmedifficult.

    t. Page iv de VIntroductioncompose pour le recueil des notices biogra-phiquesintitul Savants et crivains. Nousdsignerons ce recueil parS. E.Nous indiquerons de la manire suivante nos rfrences aux recueils de laBibliothque de philosophie scientifique La Science et l'hypothse S.II.;La valeur de la science V.S.; Scienceetmthode S.M.; Demires Pen-ses D. P.

    2. H semble bien que Poincarsongeait lui-mmelorsque dans sa noticesur Halphen, il parlede ces mathmaticiens uniquement curieux d'tendretoujours plus loin les frontires de la Science, [s' empressant]pour courir denouvelles conqutes, de laisser l unproblme ds qu'ils sont srs de pouvoirle rsoudre (S. E., p. 135).

    3. Jen'ai jamais termin un travail sansregretter la faon dontje l'avaisrdiguu leplan quej'avais adopt (ibid., p.139).

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    586 REVUE D Ev MTAPHYSIQUEET 7B:M0RAtB.

    I

    II ya quelques annes, au dbut d'une tude sur l'volution des:

    mathmatiques pures, M. Pierre Boutroux crivait Ne cherchons

    pas a nous dissimuler que, l'ge d'or des mathmatiques est

    aujourd'hui pass1 1. L'ge d'or, c'tait assurment la priodeo Descartes et Fermt, Leibniz et Newton, craient des

    mthodes qui semblaient rvler tout d'un coup les vritablesformes et les vritables puissances de l'esprit humain, o l'tablis-

    sement d'une simple relation mathmatique suffisait pour fonder lascience de la lumire, mieux encore, pour ramener l'unit d'une-mme thorie les phnomnes de la.pesanteur terrestre et les mou-vements du systme solaire. L'ge d'or se prolongeait encore

    l'poque oLagrange et Laplace, rduisant au minimum les postu-lats de l'analyse ou de la mcanique^ poursuivant dans larigueurdu dtail les consquences des formules initiales, donnaient la

    mathmatique l'aspect d'un difice, qui n'tait peut-tre pas gale-ment achev en toutes ses parties, mais dont les lignes essentielles.du moins paraissaient fixes d'une faon dfinitive.

    L'uvre qui, aprs ces matres, s'offrait l'effort scientifique nedevait pas tre moins ardue, puisqu'il s'agissait d'aborder et de

    rsoudre les problmes qu'ils avaient laisss en souffrance; maiselle devait paratre d'une porte plus restreinte on ne pouvaitplus esprer les ruptions soudaines qui transformaient le sol de-la science; il fallait explorer ce sol afin d'en scruter la solidit, afind'en dterminer l'exacte configuration, d'en dlimiter les frontires.Dcouvrir les cas singuliers, les anomalies et les exceptions quimettent en droute les liaisons d'ides trop facilement admises et

    obligent la revision des notions fondamentales; gnraliser, ouencore particulariser, telprocd d'analyse inventer les mthodes

    qui permettront d'tudier une fonction dans un domaine plustendu, ou fourniront une meilleure approximation au calcul d'une'

    intgrale dterminer, dans telle ou telle circonstance donne, lecoefficient de probabilit que comportent les conditions du pro-

    blme comparer les consquences mathmatiques d'une thoriea vec les rsultats de plus en plus prcis de l'exprience, et faire la

    1. Rivista diScienza,t.XI, p. 1.

    -s

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    L. BRUNSCHVICG. HENRI POIiCAR LE PHILOSOPHE. 587

    .L .J. W_L.m_ 1 n r_ 1part des erreurs d'observation, corriger les formules pour tenir

    compte d'une dcimale de plus; soumettre ainsi une sorte d'en-

    qute perptuelle les lois qui ont la forme la plus simple ou quiparaissent le mieux fondes, la loi de Mariotte par exemple, ou laloi de Newton, telles sont les lches qui sont chues aux gnrationsdu temps prsent. La dpense de gnie n'a pas t pas moindre

    qu'aux xviie ou xvnf sicles; l'exemple de Poincar suffirait prouver qu'il s'y manifeste la mme puissance cratrice, capable derenouveler certaines questions par de larges vues d'ensemble sur lascience, par la dcouverte de connexions inattendues entre lesdomaines en apparence les plus loigns. L'oeuvre, dans sa sphre

    propre, n'a pas brill d'un clat moins vif; il est invitable pourtantque, si l'on passe du point de vue technique au point de vue philo-sophique, le rayonnement s'en tende moins loin; il est invitable,en tout cas, qu' l'apparition de cette science du second degr, quivenait se greffer sur la science du premier degr pour en contrleret en prolonger les rsultats, correspondit une rvolution dans la

    faon dont les mathmaticiens prsentaient au public les ides

    gnrales de leur science.

    Jusqu' la fin du xixc sicle, lorsqu'il arrivait aux savants dedlaisser le domaine des recherches spciales pour aborder les

    problmes d'ordre purement philosophique, ils se proposaient de

    prciser et de consolider l'ide commune qu'on se faisait alors de lacertitude. Ils dfinissaient les oprations de l'arithmtique ou lesfondements de la gomtrie, ils expliquaient les notions d'atome oude force, avec la mme srnit doctrinale, avec la mme quitudedogmatique, qu'ils avaient prouves en exposant la dmonstrationde tel ou tel thorme mathmatique, ou en dcrivant les synthsesconstitutives de tel ou tel corps chimique. De la rgion des principes la rgion des applications pratiques, la science se dveloppait ense maintenant sur un mme plan le plan de la vrit. Il semblait

    que laraison apportt d'elle-mme les cadres destins recevoir,

    capter l'exprience la clart des notions initiales faisait pressentirle succs que manifestait ensuite la rencontre avec le rel.

    Pour cequi concerne les mathmatiques enparticulier, la concep-tion classique de la vrit avait pour base la notion d'intuition,grce laquelle on avait cru pouvoir joindre, et fondre dans unesorte d'unit, la partie abstraite et la partie concrte de la science.

    L'analyse paraissait lie la notion rationnelle de continuit telle

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    ggg REVUE DE MTAPHYSTQDE ETv DE BIORALE.588 REVUE DIS MlliAi-tiiaiyur. ai Lu umiii.

    qu'on la trouve encore yhez. Cou_r_n_o.t',tandis que la gomtrie

    empruntait sa rigueur et, sarationalit, l'ide' d'un espace homo-

    gne. Kant avait scellle pacte en rattachant, la structure originelle,

    de l'esprit humain, comme'deux formes, parallles et complmen-

    taires, l'intuition a priori du 'nombre- et l'intuition a priori de -

    l'espace. Mais voici que les savants.Helmhqltz .au premier rang d'entre eux,

    essaient de rtablir le contact entre la.spculation des philosophes

    et le progrs accompli par la science au cour.s:du xixe sicle ils

    s'aperoivent que lathorikantienae,. sur laquelle ont roul jusque'-

    l les controverses philosophiques, est dpourvue de fondement

    positif. L'appui de l'intuition simple, susceptible d'tre rige en

    forme a priori, manque aussi bien TanaJyse qu' la gomtrie.Le mouvement de l'ana.lyse,- partir de. Cauchy, consiste

    dissocier de la reprsentation Imaginative la pure intelligence des- `

    symboles: la continuit; la limite, l'irrationnel, sont dfinis- d'une

    faon abstraite en termes de nombres; et le respect profess pour

    la rigueur formelle du raisonnenient, loin de striliser la science, ;

    ainsi que le voudrait le ;prjug anti-intellectualiste, a t: en fait

    l'occasion d'un renouvellement .Lyr,table^ Poincar, comme Flix

    Klein, aimait insister sur la belle dcouverte pressentie par Rie-

    mann, accomplie par Weirstrass; ^gnralise par Darboux, des

    fonctions continues' qui nont de drives pour aucune des valeursde la variable. Une telle, dcouverte jley ait, en effet, obliger les.

    savants choisir entre l'analyse et l'intuition; or, dit Poincar,

    comme l'analyse doit rester impeccable, c'est l'intuition que l'on

    a donn tort' Mais par l m..mela^question se pose, qui-est dci-

    sive pour l'orientation de la .philosophie mathmatique Com-

    ment l'intuition peut-elle nous tromper ce :point?;a

    D'autre part le dveloppement de la gomtrie moderne montre

    qu'il n'est plus possible de tirer de. rintuitian spatiale une forme

    capable de communiquer la gomtrie :une. certitude apodictique,exclusive de toute dtermination ^diffrente. Ala gomtrie eucli-

    dienne qui, de Descartes Auguste Comte,avait fourni aux philo--

    sophes leur base de rfrence,: Lo.batschewsky ajuxtapos une go-

    1.Voici l'article d'Henri Ppipcar,:'Coltrnotet les principes, ducalculinfinit-simal Revue deMlaphysiqe~elde~l)!:.lr,H)05,.p;30x):

    2. S. ., p. 't3. a_ 3. V. S., p. n-. '"r ';W '^j:1 .: - "-''

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    mtrie qui, comme Beltrami l'a fait voir, se rattache la premirepar un lien de correspondance tel que la non-contradiction de l'une

    entrane la non-contradiction de l'autre. Sophus Lie, enfin, parl'tude systmatique des groupes de transformation, a permis de

    dterminer les types de combinaison entre lments spatiaux quisont compatibles avec la libre mobilit d'un point, et qui, par suite,

    permettent l'dification d'un systme gomtrique. Lagomtrien'a pas pour unique raison d'tre la description immdiate des corps

    qui tombent sous nos sens, elje est avant tout l'tude analytique

    d'un groupe1. Par suite, si l'on regarde au point de dpart del'arithmtique ou

    de lagomtrie, on trouve des dfinitions qui sont poses librement

    par les mathmaticiens. Il leur a convenu de donner une limite

    une srie de nombres rationnels, alors mme qu'il n'y a pas de

    nombre rationnel vers lequel tende cette srie; il leur a convenu

    d'tudier le type particulier de liaison spatiale qui comporte la

    similitude des figures. Sans doute, celui qui s'enquiert de la vrit

    de la science voudrait savoir si les conventions qui prsident au

    choix des dfinitions initiales sont elles-mmes vraies. Mais laques-tion a-t-elle bien un sens? On pourra dire sans doute que certaines

    dfinitions sont intrinsquement fausses en ce sens qu'elles ren-

    ferment une contradiction et que, par suite, l'objet en est impossible.Mais si, une fois qu'on a puis le recours au critrium de la con-

    tradiction, on reste en prsence de diverses formes de nombres, ou

    de divers systmes d'espace, qui ont tous satisfait ce critrium, il

    n'y aura plus de discernement faire du point de vue de la vrit;il yaura plusieurs types d'espace galement lgitimes, comme ilya

    plusieurs systmes de coordonnes gomtriques ou de calculs alg-

    briques.La conclusion paradoxale laquelle la considration des go-

    mtries non-euclidiennes conduit la philosophie s'est fortifie,et en un sens s'est prcise, par l'tude de la 'physique thorique

    laquelle Poincar devait consacrer une part de plus en plus impor-tante de son uvre mathmatique et critique.

    Ici encore, l'accord de la raison et de l'exprience semblaitse faire naturellement sur la base de l'intuition. L'espace parais-sait tre un objet d'intuition auquel nous appliquons des pro-

    1. Poincar,Journal de l'EcolePolytechnique,1895,p. 1. Cf. S.H., p.63.

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    590 REVUE DE MTAPHYSIQUE" ET ,DE 5I0RALE..SUU KEVUE DE MKTAPitSlUUE El ,DE J1UK&LE.

    cds intuitifs demesure; cesprocds, nous les transportons spon-tanment au temps, de sorte que nous croyons mesurer le temps

    r

    aussi objectivement que L'espace. -Nous nous faisons unereprsen-tation de la matire pondrable que, directement ou indirectemen t,,nous considrons comme accessible aux se'ns; et nous tendons nos

    habitudes de reprsentation pour donner /une. ralit objective

    l'imagination de l'ther. Aux mouvements que nous saisissons parnos yeux, nous adjoignons, pour eh interprter les modalits,, les

    notions de force, de travail,. d'nergie, suggres du moins dans

    leur dnomination par de vagues analogies avec les-sensations.tac-tilo-musculaires, et nous faisons participer la ralit de ces notions

    la ralit immdiatement donne du mouvement lui-mme.

    Ainsi s'est constitu un difice" dont l'ampleur et la simplicitavaient longtemps assur le crdit. L'astronomie, en particulieret la grandeur de l'astronomie aiinspir . Poincar des pagesdestines demeurer au premier rang d cette littrature scienti-

    fique qui est l 'une des parties les plus originales de notre patri-moine national l'astronomie. n^ousiafait une me capable de com-

    prendre la nature > il s'explique donc que les savants, du commen-

    cement du xixe sicle, depuis Laplace jusqu' auchy, aient eupourambition de donner la physique-tout entire- 1& mmeprcision

    qu' la mcanique cleste2. La thorie. des forces centrales rendait >

    compte des phnomnes de capillarit, des lois de l'optique, desmouvements des molcules gazeus.es, moyennant parfois unchange-ment dans la valeur numrique del'exposant 5.

    Or, il est arriv que les progrs..mm.es des spculations physi-

    ques ont remis en question J'quilibre et l'har,monie,.de l'difice.

    Ainsi. la mesure de la vitesse des .courants lectriques amne

    Maxwell faire la synthse 'de la, scieiicgjde la lumire et de la

    science de l'lectricit; l'optique: qui, avec Fresnel, para i ssait avoir

    atteint sa forme dfinitive, satisfaisant tout la fois aux exigencesdu calcul et au dsir de reprsentation proprement mcanique,devient une province d'une thorie- plus gnrale o l'explicationde type mcanique deviendra beaucoup plus difficile saisir et .

    fixer. Tandis que le systme des quations diffrentielles demeurehomogne, le mcanisme; ne peut plus:lui faire correspondre que>

    1.v. S., p. 163. \i > ,2. S.H., p.248. : :s^y-. 3. V. S., p. i"3. I

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    L. BRUNSCHVICG. HENRI POINCAR LE PHILOSOPHE. 591

    1 4 t -F ~l 1 m"14:1nr ,7;n.n.,tn.n., nn..4nn l:n_ des tentatives partielles, multiples, divergentes, sinon contradic-

    toires. Ds lors, une sparation se manifeste entre deux ordres de

    notions que les thoriciens de la physique mathmatique avaient

    jusque-l tendu considrer comme solidaires l 'un de l'autre

    d'une part les formules analytiques, d'autre part les explicationsmcanistes.

    Sans doute, il aurait pu se faire qu' l'esprit de tous les physi-ciens s'impost une reprsentation uniforme, soit des lments

    matriels, soit des fluides impondrables qu'il a paru ncessaire

    .d'y adjoindre, avec une conception uniforme de leurs propritsfondamentales et de leurs mouvements initiaux alors l'explication

    mcaniste, tant unique, serait la -vrit mme1. Mais il se trouve

    que la complication des phnomnes, croissant avec l'exactitude

    des observations et la puissance des instruments, a suggr une

    multiplicit d'explications entre lesquelles il est impossible de

    choisir, qu'il est ncessaire parfois de retenir toutes ensemble en

    dpit de leur diversit. Il faut donc savoir profiter de l'avertisse-

    ment. L'explication mcaniste ne consiste qu'en images; ces

    images ne sauraient se substituer la ralit matrielle dont nos

    sens nous donnent la perception, puisqu'en dernire analyse elles

    sont empruntes la perception sensible. L o nous voudrions

    saisir un modle, nous ne possdons en fait qu'une copie; les

    images qui soutiennent la thorie proprement m caniste intres-sent moins la structure propre de la science que lapsychologie du

    savant. Elles traduisent d'une faon concrte les rsultats auxquels il

    est arriv; elles illustrent les points d'appui sur lesquels ilpeut faire

    fonds dans une recherche ultrieure. Elles mettent ainsi, dans la

    monotonie des formules abstraites, une sorte de couleur qui faci-

    lite le mouvement de la pense et rend plus claire la conscience

    des progrs accomplis. Bref, ce sont des schmes commodes, d'une

    commodit relative l'individu qui les manie. Parmi les physiciens,il y en a qui ont besoin d'puiser en quelque sorte l'ide de la

    matire sur laquelle ils travaillent, et qui n'y parviennent

    qu'en la dcomposant en lments, sinon indivisibles, du moins

    nettement spars des lments voisins; d'autres pour quil'ide d'une ralit discontinue brise l 'unit de la pure intuition

    1.Cf., en particulier, La thorie de Maxwell et tes oscillationshertziennes,Coll.Scientia, p.3.

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    spatiale, qui ont besoin,, pour que leur pense se meuve aismentet naturellement, de combler les hiatus et de rtablir partout lacontinuit. Suivant une suggestion] profonde dePoincar, l'oscilla-tion perptuelle de la physique entre les doctrines atomiques et lesdoctrines du continu traduirait, ; travers l'antagonisme perptueldes savants, l'opposition de deux besoins inconciliables de l'esprithumain, dont cet esprit ne sauraitsie dpouiller sans cesser d'trecelui de comprendre, et nous ne" pouvons: comprendre que le fini,et celui de voir, et nous ne pouvons voir que l'tendue qui estinfinie' .

    Une fois les images rejetes .dans le plan de la subjectivit,que reste-t-il de la science elle-mme? des formules analytiques.Les physiciens anglais, tels que Maxwell ou Lord Kelvin, ne sau-raient sedispenser de raliser ,7i'est--dire de dfinir en termesde sensibilit, l'objet sur lequel ils travaillent; leurs contemporainsfranais contrairement d'ailleurs leurs compatriotes des gnra-tions prcdentes, peut-tre aussi des gnrations suivantes esti-ment que toute hypothse relative la reprsentation de lamatireest indiffrente la science proprement dite2.: Pour eux, il y amme une inconsciente contradiction vouloir rapprocher. delamatire vulgaire cette matire que l'on dit vritable prcismentparce qu'elle est derrire la matire qu'atteignent nos sens et quel'exprience nous fait connatre , prcisment parce qu'elle n'a quedes qualits gomtriques, et que les atomes s'en ramnent despoints mathmatiques soumis aux seules formules de la dyna-mique' . Ils rduisent ce qu'il ya.de solide et d'objectif dans lascience un ensemble d'quations diffrentielles; et -en cela nesont-ils pas les plus fidles l'inspiration de Newton lui-mme quinous a montr qu'une loi n'est qu'une relation ncessaire entrel'tat prcdent du monde et sontat immdiatement postrieur?'-

    actuel conceptionsnouvelles de la (ImarS im ?PUd Le^rialismeacluel, 1913,p.67.1. S. H., p. 481,?' i'u V'US' Comparers: E., p. ?Que dire de l'ther? En'Franceou en Allcmagne, ce n'est gure qu'un

    systme d'quations diffrentielles;pourvu que cesquationsn'impliquent pas contradiction et rendent .compte(lesfaitsobservs, on nes'inquitera passi l'image qu'elles suggrentestplusou moins trange cherche tout desuite quelle est la matire connue qui ressemble 1 plus l'ther; ilparat

    uneespce,depoix trs dure. 4. V.S., p. 163.

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    Ainsi, aprs que se sont croules les thories reprsentatives,hypothses issues de l'imagination et qui ne sont que pour l'ima-

    gination, les rapports demeurent qui sont purement intellectuels, etles rapports constituent la science. Cette conception domine laphi-losophie scientifique de Poincar par elle s'expliquent les merveil-leux services dont la science de la nature est redevable la mthodemoderne de l'interprtation mathmatique. Qu'est-ce qui a appris connatre les analogies vritables, profondes, celles que les yeuxne voient pas et que la raison devine? c'est l'esprit mathmatique

    qui ddaigne la matire pour ne s'attacher qu' la forme pure' .Mais, une fois que le savant apris conscience de l'idalisme math-

    matique qui est immanent la science moderne, il ne pourra plusparler le langage pais et naf du sens commun. Les lois, conuescomme formules analytiques, ne sont plus immdiatement liesaux donnes de fait, elles ne peuvent plus tre poses comme desralits objectives. C'est ce que Poincar fera voir clairement en

    prenant l'exemple le plus simple qui soit, l'exemple du mouvementterrestre. Le soleil tourne autour de la terre, voil le fait quiexiste pour le sens commun, le fait que les hommes pendant dessicles ont cru avoir vu, de leurs propres yeux vu. La sciencemoderne rsiste l'affirmation de ce fait parce que dans l'apparencede l'intuition immdiate elle retrouve un postulat implicite, savoir

    que le mouvement des astres doit tre rapport l'observateur sup-pos immobile. Ce postulat avait permis Ptolme de coordonnerles phnomnes clestes dans un systme, qui n'tait pas contradic-toire sans doute, mais auquel des complications sans cesse crois-santes finissaient par donner une physionomie artificielle et

    baroque. Or, puisque l'espace n'est pas une ralit absolue nousavons le droit de choisir un autre systme de points de repre pourla mesure du mouvement, par exemple de prendre le centre de gra-vit du systme solaire et des axes passant par les toiles fixes;grce ce choix, on explique d'une faon plus simple et plusharmonieuse, liminant toute concidence fortuite, l'ensemble desmouvements clestes. Ds lors, on doit dire, avec Copernic et Galile,

    que la terre tourne autour du soleil. Maisil faut s'entendre est-cequ'en parlant ainsi on substitue un fait un autre fait? une intui-tion une autre intuition? Pas le moins du monde si la vrit con-

    1. V. S., p. 142.

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    siste dans V intuition immdiate durel il n'ya pas mme lieu deposer `-la question de la vrit du mouvement terrestre. Dire que la terretourne autour du soleil, c'est adopter un langage qui nous met enmesure de classer les phnomnes, de constituer des synthses par-tielles et de les faire rentrer aisment leur tour dans une synthsetotale; mais ce langage a pour condition la conception d'un prin-cipe abstrait et universel ter que la relativit de. Vespape or ce

    principe est indpendant, par son jiniversalit mme, des faits quiont pu le suggrer, et dont il facilite la coordination.-

    Tandis que les thories represenlativ.es, auxquelles appartiennentles hypothses mcanistes, ne sont. que des appuis extrinsquespour la dcouverte des loisr Poincare montre "combien il importe de

    considrer et de retenir, titre, deconditions intrinsques pour la

    dtermination des lois, des principes comme les principes de la

    mcanique classique. Par-xemple, pour exprimer l'aide de for-mules analytiques les phnomnes de l'astronomie ou de la phy-sique, il a fallu poser en principe que l'acclration d'un corps ne

    dpend que de la position de ce corps et des corps voisins, et de

    leurs vitesses. Les mathmaticiens diraient que les mouvements detoutes les molcules matrielles de l'univers dpendent d'quationsdiffrentielles du second ordrez . Telle est la formule la plus pr-cise que l'on peut donner

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    L. BRUNSCHVICG. HENRI POINCAK LE PHILOSOPHE. y95

    nous empchera de supposer que cette autre chose est la position ou

    la vitesse d'autres molcules dont nous n'avions pas jusque-l soup-

    onn la prsence. La loi se trouvera sauvegarde.Qu'on me permette et il est ncessaire de citer cette page afin

    de donner la conception de Poincar toute- sa prcision d'em-

    ployer un instant le langage mathmatique pour exprimer la mme

    pense sous une autre forme. Je suppose que nous observions n

    molcules, et que nous constations que leurs 3 n coordonnes

    satisfont un systme de 3 n quations diffrentielles du quatrime

    ordre (et non du deuxime ordre, comme l'exigerait la loid'inertie). Nous savons qu'en introduisant 3 n variables auxiliaires,un systme de 3 n quations du quatrime ordre peut tre ramen

    un systme de 6 quations du deuxime ordre. Si alors nous

    supposons que ces 3 n variables auxiliaires reprsentent les coor-donnes de n molcules invisibles, le rsultat est de nouveau con-

    forme la loi d'inertie. Enrsum, cette loi, vrifie exprimenta-lement dans quelques cas particuliers, peut tre tendue sans

    crainte aux cas les plus gnraux, l'exprience ne peut plus ni la

    confirmer, ni la contredire1 1. On comprend donc dans quel sens

    on a pu tre amen dire que le principe dsormais cristallis,

    pour ainsi dire, n'est plus soumis au contrle de l'exprience. Iln'est pas vrai ou faux, il est commode .

    Cette analyse des principes de la mcanique permet d'interprter,sans crainte d'quivoque, les formules analogues que dj, dans un

    mmoire qui remonte 1887 3, Poincar avait appliques la go-mtrie. Ici, nous l'avons vu, nous n'avons pas non plus le droit de

    parler de vrit. Non seulement depuis les travaux de Sophus Lienous savons que la dduction appuye sur le seul principe de contra-

    diction ne nous fournit pas le moyen de dcider entre les divers

    systmes de la gomtrie; mais, en dpit des esprances de Lobats-

    chewsky, et comme Lot/.e l'avait fortement montr, nous devons

    renoncer tout crilerium exprimental. Il est impossible d'expri-menter sur des droites ou sur des figures abstraites une expriencene peut porter que sur des corps matriels. Ds lors, si on opre

    sur des corps solides, on fait une exprience de mcanique; si on

    1. 5. p. 118-119.2. V. S., p.23a.3.Sur leshypothses fondamentales de lagomtrie, Bulletin de la Socit

    mathmatiquedeFrance,t. XV, p.215.

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    596 REVUE DE .MTAPHYSIQUE ET D MORALE.

    opre sur des rayons lumineux, on.fait une exprience d'optique;mais on n'aura jamais fait uneexprience de gomtrie.

    Nous ne saurions donc escompter tt: profit dela gomtrie eucli-dienne une vrit qui serait exclusive.de la vrit de tout, autre

    systme; mais ildemeure permis deparler le langage de la commo-

    dit, et de distinguer entre les diffrents types de gomtrie, commeentre les diffrentes thories de laphysique.. De ce point de vue,,nous dirons que la gomtrie euclidienne est et qu'elle restera la

    plus commode. En effet, cinous considrons; le ct logique, elle estla

    plus commode, parce qu'elle est la plus -simple..Et elle n'est

    pas.telle seulement par suite de.nos habitudes d'esprit, ou de je ne sais.

    quelle intuition directe quenous aurions de l'espace euclidien, elleest la plus simple en soi de mme qu'un polynme du premierdegr est plus simple qu'un polynme du second degr K D'autre

    part, regardant du ct de l'exprience, nous aurons une seconderaison de regarder la gomtrie euclidienne comme la plus com-mode; c'est qu'elle s'accorde assez bien avec la proprit des.solides naturels2 . Or, remarque, Poincar, les diffrentes parties.de notre corps, notre il, nos membres jouissent prcisment des

    proprits des corps solides. A ce compte, nos expriences fonda-mentales sont avant tout des expriences dephysiologie qui portent,non sur l'espace qui est l'objet que doit tudier le gomtre, mais

    sur son corps, c'est--dire sur l'instrument dont il doit se servirpour cette tude .

    "

    Par l Poincar fait voir sur quelles bases et dans quelles limitesest fonde l'assimilation des principes de la.gomtrie euclidienneaux principes de la mcanique. Les principes de lamcanique sontdes conventions et des dfinitions dguises4 ; nanmoins, ils

    rsultent directement des exprience^ propres cette science; et,quoiqu'ils n'aient gure craindre les dmentis de l'exprience, ilssont placs sur le terrain de Pexp"rience la mcanique demeureune science exprimentale.. Dans le cas de la gomtrie, au con-traire, nous sommes en prsence d'uns suggestion indirecte qui,remontant de la physiologie oude la physique jusqu' la gomtrie,sort du

    plan de

    l'exprience, et.

    qui, par suite, permet de

    donner

    1.S. II., p.67. .2. Ibicl. =- ' "W--3. S.H., p. 164. ~"J'-

    `

    i. S. IL, p. 165. ' v jr :

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    L. BRUNSGHVICG. HENRI P OINCAR LE P HILOS OPHE. 397

    aux dmonstrations de la gomtrie l'allure d'une dduction toute

    rationnelle et tout a priori. Nanmoins, ici comme l, il demeure

    que la science ne parvient pas s'appuyer sur des vrits d'intui-

    tion. Elle est suspendue des principes qui sont des formules con-

    ventionnelles, choisies parce qu'elles prsentaient le plus de

    commodit pour concilier les exigences intellectuelles de lasimpli-cit et lareprsentation approximative des donnes sensibles.

    En substituant l'ide commune de commodit la notion classiquede vrit, Poincar semblait avoir ruin l'objectivit de la gomtrie

    et de la physique rationnelle, par l rejoint la tradition de l'empirismeenominaliste. Il s'exposait ce que son autorit incomparable de

    savant fut invoque dans les polmiques diriges dans les derniresannes du xixe sicle contre la valeur des spculations intellec-

    tuelles. La tendance devint invincible, lorsque, en 1902, ses

    premiers articles et mmoires d'intrt gnral furent runis, sousle titre de la Science et l'Hypothse, dans laBibliothque de Phi lo-

    sophie scientifique, qui tait destine devenir rapidement populaire.C'est que, sans doute, au sommet de la rflexion thorique comme

    au sommet de la viemorale, la difficult est moins de donner, quede rencontrer qui mrite de recevoir'.

    Assurment, l 'auteur de la Science et l'Hypothse gotait les

    expressions fortes,

    d'apparence dconcertante, et

    qui secouent t

    l'esprit engourdi. Chez la masse de ses lecteurs, faute de l'attention

    et du dsintressement intellectuel qui auraient permis de sa isir

    une pense aussi concise et aussi concentre que la sienne, les

    expressions paradoxales se transformaient en paradoxes quimettaient l'intelligence en fuite, et ne faisaient que rveiller des

    projugs sculaires. Poincar avait voulu gurir de l'illusion du

    savoir automatique qui se droulerait suivant des lois ternelles

    sans rclamer chaque moment l'intervention d'une critique

    scrupuleuse et dfiante. Ne sparant pas l'esprit scientifique de

    l'indpendance spirituelle, il tendait, pour reprendre une expres-sion fameuse, rtablir en mathmatique, en mcanique, en astro-

    nomie, en physique, la libert de conscience. Par l'effet d'une

    1. Danslediscours prononcauxfunrailles d'Henri Poincar,M. Lippmanndisait Sa philosophie, qui implique uneprofonde connaissance de la mca-niqueet de la physique mathmatique, qui est une des plus abstruses et desplus inaccessibles qu'on puisse trouver, est par surcroit devenue populaire;cequi montre combienelle est difficile comprendre.

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    S08 RIVBEDEMTPHYSlgUE.E DE MORALE.

    lgende spontane et indracinable, il apparut tout coup comme1:l'auxiliaire inattendu de^ce pragmatisme dont Brunetire avait eul'honneur de marquer, avec sa loyaut brutale, la vritable origineet le but vritable fonder sur la faillite de la science ce rgne del'autorit qu'Auguste Comte avait vainement attendu de la connais-sance positive.

    '" w

    Qu'on lui ft dire que la science tait indiffrente la recherchede la vrit, et qu'on s'autorist de cette prtendue indiffrence

    pour transporter ailleurs le centre des proccupations humaines,pour lever au-dessus de la science un je ne sais quoi qu'on appel-

    lerait encore la vrit, et dont le propre caractre serait de nejamais sevrifier, cela, Poincar ne l'admettait pas. Pour son espritdroit, il yavait quelque chose d'insupportable dans le spectacle dontle succs de la Science et l 'Hypothse avait t l'occasion on seservait du scrupule scientifique qui lui avait interdit de prononcerle mot de vrit, commerd'un prtexte pour se. dbarrasser de toutscrupule intellectuel, et pour,proclamer, cette; fois en plein arbi-traire, la suprmatie des inspirations subjectives ou des rvlationsextrieures. Je commence, crit-il dans le Bulletin de. la Socit

    franaise d'Astronomie tre un peu agac de tout lebruit qu'unepartie de la presse fait autour de quelques phrases tires d'un demes ouvrages, et des opinions ridicules qu'elle meprte. Revenant t

    sur cette question du mouvement de la terre, qui avait donn lieuaux fantaisies de quelques journalistes; il rappelle que si la relati-vit de l'espace exclut l'intuition directe d'un tel mouvement, elle?

    n'empche pas de dcider entrer le,, systme de Ptolme et le

    systme de Copernic. La concordance des priodes astronomiques.est, dans le premier, l'effet d'un pur^Jiasard; dans le second, l.rsultat d'un lien direct, entre les dplacements des astres dans

    l'espace. Or, l'limination du hasard donne ces liaisons scienti-

    tiques l'universalit, qui quivaut l'objectivit.- Sans doute, les

    rapports scientifiques ne peuvent' tre indpendants de l'esprit quiles constate et qui les affirme; ils n'en .sont pas moins objectifs,'

    puisqu'ils sont, deviendront ou resteront communs tous les tres

    pensants2. La critique dePoinear fait justice du prjug raliste

    qui avait impos au sens commun la notion du vrai entendu commerel donn dans

    V intuition immdiate; elle permet .donc quel'on rin-

    1. Mai1904,p.216. - 2. V. S., p. 271.

    ' i. -

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    L. BRUNSCHVICG. HENRI POINCAR LE PHILOSOPHE. 599

    troduise dans la science, pour dsigner cette universalit dans lacommodit mme, l'ide et le mot mme de vrit. Les rapportsintimes que la mcanique cleste nous rvle entre tous les phno-mnes clestes sont des rapports vrais; affirmer l'immobilit de la

    Terre, ce serait nier ces rapports, ce serait donc se tromper. La

    vrit, pour laquelle Galile a souffert, reste donc la vrit, encore

    qu'elle n'ait pas tout fait le mme sens que pour le vulgaire, et

    que son vrai sens soit bien plus subtil, plus profond et plus riche

    Capable de mettre au-dessus de toute contestation. les tho-rmes de mathmatiques et les lois nonces par les physiciens2,d'tablir son objectivit, tant par le succs de ses prvisionsque par l'accord qu'elle assure entre les esprits, la science gardetoute sa valeur. Il faut dire plus elle enseigne l'homme la plusgrande des valeurs humaines, qui est l'amour de la vrit, et, parl, elle permet un jugement dcisif des mes. A coup sr, Poincarne s'elfrayait pas des mots; dans ses dernires controverses avecles cantoriens, il acceptait pour son compte l'pithte de Pragma-tisle3. Pourtant le mot le plus dur qui ait t dit sur lepragmatisme,celui qui remonte, comme le voulait Pascal, de l'infirmit de l'intel-

    ligence l'infirmit du cur, c'est Poincar qui l'a prononc, sansviser la doctrine, par une expression naturelle de sa conscience

    scientifique. Parlant, aux tudiants de l'Universit de Paris, de la

    Vrit scientifique et de la Vritmorale, il les avertissait que ceuxqui ont peur de l'une auront peur aussi de l'autre, car ce sont ceuxqui. en toutes choses, se proccupent avant tout desconsquences* .Et la signification de cette parole est souligne par le langage qu'ilavait tenu dans cette mme anne 1903, en prsidant une sance

    gnrale de l'alssociation amicale des anciens lves de V cole

    Polytechnique: N'imitons pas les auteurs des trop clbres pro-grammes de 1850, qui ont voulu nous infliger dix annes de pesanteobscurit. Ceshommes, dont quelques-uns taient minents, savaientbien ce qu'ils faisaient. S'ils avaient peur de la pense dsintresse,c'est qu'ils savaient qu'elle est libratrice s.

    L'accent de telles paroles ne pouvait manquer de frapper les

    1. V. S., p.274.2. D. P., p.223.3. D.P., p. 146.4. V. S., p.3.5. S.E., p.278.

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    000 REVUEDE, MTAPHYSIQUEET DEMORALE.

    'auditeurs de Poincar. Quelques-uns ont conclu un changementdans l'orientation de saphilosophie. L'examen des dates ne confirme

    pas semblable supposition.Poincar, certes, aurait-pu, sans Sedmentir, rectifier des expres-

    sions dont on avait forc le sens, et qui avaient conduit une

    interprtation inexacte de sa pense; mais il s'est trouv, en fait,

    qu'entrans par des associations 'verbales, la plupart de ses

    commentateurs lui avaient prte des formules qu'il n'avait pas effec-tivement employes'. De ceque Poincar avait rduit les principesde la science n'tre que des conventions, on a conclu qu'il les

    regardait comme arbitraires, et ceux mmes' de ses interprtes quel'on pourrait le moins souponner d'arrire-pense tendancieuse,ont dit et rpt qu'il avait insiste sur le caractre arbitraire de la

    mathmatique et de la physique. Or, dj dans son Mmoire de 1900sur les Principes de la mcanique, Poincar avait -pris soin de

    distinguer convention et arbitraire. La loi. del'acclration, la rglede la composition des forces, ne sont-elles donc que des conventionsarbitraires? Conventions? oui; arbitraires, non; elles le seraient sion perdait de vue les expriences qui ont conduit les fondateurs dela science les adopter et qui, si imparfaites qu'elles soient, suffi-sent pour les justifier. Il est bon que, de temps en temps, onramne notre attention sur l'origine exprimentale de ces conven-

    tions-. 'Et deux ans plus tard, averti du danger par les articles de

    M. Edouard LeRoydans la Revue.de Mtaphysiqueet de Morale,il avait, trois reprises, au cours de Y Introduction qu'il crivit pour la Scienceet r Hypothse, mis son lecteur en garde contre l'interprtation quicommenait serpandre de sa pense Dans les mathmatiqueset dans les sciences qui ytouchent, la dduction s'appuie sur les

    conventions, et ces conventions sont l'oeuvre de la libre activit denotre esprit qui, dans cedomaine, ne reconnat pas d'obtacleCes dcrets, pourtant, sont-ils arbitraires? Non, rpond Poincar,car sans cela, ils seraient striles3. Quelques lignes plus loin il

    reproche aux nominalistes comme M.Le Roy, d'avoir oubli que la

    1. M. Milhaud a signal ici mme, ds 1903(n de novembre, p. TO)lesexagrations et les malentends_auxquels les crits,philosophiquesdePoincar avaient donn lieu. Voir dans le mme.sens Rage.ot,.Lessavants et laphilosophie, p. 89 et suiv.

    2. y. p. 133. > --- .-3. 8. p.3.

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    L. BRUNSCHVICG. HENRI POINCAR LE PHILOSOPHE. 601

    Rev. M ta. T. XXl (n 5-1913). 40

    libert n'est pas l'arbitraire; et il rpte encore, avant de terminercette trs courte Introduction, que si les principes de la gomtriene sont que des conventions, ils ne sont pas arbitraires' . L'exp-rience, avait-il dit dj en 1893, et c'est une ide sur laquelleil n'a gure manqu l'occasion de revenir, nous guide dans cechoix qu'elle ne nous impose pas2 .

    II

    Cequi, ds la premire heure, a fait le caractre positif et con-stitu l'originalit de la pense de Poincar, on se condamne donc le laisser chapper, tant qu'on se borne retenir les expressionsqui ont paru autoriser un retour, sinon au scepticisme, du moinsau nominalisme. Pour Poincar, la commodit n'est pas simplementet uniquement la simplicit logique; elle est aussi ce qui donne

    l'intelligence prise sur les choses elles-mmes. Naturellement, si oncommence par dissocier ces deux aspects de la commodit, on nesera plus en prsence que d'une adaptation subjective et arbitraire;mais, aux yeux de Poincar, les deux aspects de la commodit nese supplent pas l'un l'autre; il ne faut pas dire non plus qu'ils nefont

    que s'ajouter du dehors il

    ya entre eux une liaison intime et

    profonde. Sans doute il sera d'autant plus difficile de dterminerles circonstances et les conditions de cette liaison qu'elles ne ren-trent pas dans les cadres rigides des doctrines, qu'elles nese laissent

    pas rsumer en formules. Dans son dernier article de Scientia,revenant sur la constitution de notre gomtrie, Poincar parlaitd'une sorte de cote mal taille entre notre amour de la simplicit etnotre dsir de ne pas nous carter de ce que nous apprennent nosinstruments 3.

    Mais, c'est la difficult mme de la tche qu'on en mesurera le

    prix. Aussi Poincar s'attache-t-il . suivre dans la complexitsinueuse et inattendue de son dveloppement cet esprit dont lanature a provoqu l'activit, qu'elle acontraint, presque malgr lui,

    a rvler sapuissance cratrice 4. Procdant parfois par approxima-

    1. s . p. 5.

    2. S. H.,p. 91.1.3. L'Espaceet le Temps,Scientia,septembred9l2, n25, p. 162,et 75. p 41.4. Cf. S'. p.43.

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    602 REVUE DE METAPHYSIQUE ET DE MORALE..

    v .1 1 -'1- _f _'17__ 1_t.tions etpar retouches successives_qui laissent devant elles le champouvert une infinit de rflexions, il introduit son lecteur au cur

    de la ralit mathmatique et physique. Pour, dcrire la richesse

    croissante et la beaut de la-science, il parle un langage qui ne con-

    tredit les thories de la Critique.de laRaison pure que pour -mieuxrevenir l'inspiration qui dictait Kant la Critique de la facult de

    juger; il fait entendre enfui ia.sejji :ouya7 lesens profond de la [

    vrit scientifique. J~ - "- "'T

    Si nous voulons donner de la pense philosophique de Poincar

    une ide complte

    et fidle,

    il convient donc que

    nous corrigionspar des analyses dedtail les 'gnralits tropextrieures auxquelles

    ses premiers commentateurs s'taient arrts; et pour cela .il faut

    que nous reprenions la science sa base, par-la considration de

    la mathmatique abstraite..L'arithmtisation de l'analyse a consacr la dfaite de l'intuitio-

    nisme classique. Il n'y a de vrit dan_s, l'analyse qu'autant qu'il y a-

    de rigueur; et il n'y a de rigueur qu'autant que tous les. raisonne-

    ments se rduisent des galits ou des ingalits entre nombres

    entiers. Est-ce dire que les oprations de l'analyse se rduisent t

    des oprations logiques? Sans doute, une proprit relative un

    nombre entier, si grand qu'il soit, peut se dmontrer par rcur-

    rence, l'aide d'un nombre fini dfcsyllogismes ou de raisonnements

    analogues des syllogismes. Mais jjlors nous nesommes enprsenceque de vrifications particulires i.JPour obtenir une dmonstration

    gnrale, portant sur la suite illimite desnombres naturels, il faut

    pouvoir passer du fini l'infini; et.ce passagerend leraisonnement

    mathmatique irrductible, aux formes purement analytiques de la

    dduction. Le raisonnement mathmatique est une induction, mais

    une induction complte; par cela mme.qu'il fait entrer dans l'unit

    d'une formule une infinit de syllogismes, il dpasse l'tendue

    de l'exprience, comme il dpassait le principe de contradiction '2.

    Un ne saurait, d'autre part, remarque Poincar, songer y voir

    une convention, comme pour quelques-uns des postulats de la

    gomtrie 2, Ici, en effet, l'esprit ne se trouve pas en prsence,d'une

    pluralit de

    procds ou

    de, systmes

    entre lesquels il peutexercer la libert de son choix. Le principe de l'induction complteest le vritable type dujugement synthtique a priori; il a pour lui

    i. S.H., p.12. e2. S. H.,p.23. -

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    L. BRUNSCHVICG. HENRI POINCAR LE PHILOSOPHE. 603

    la force d'une irrsistible vidence ; et cette force n'est autre que l'affirmation de la puissance de l'esprit qui se sait capablede concevoir la rptition indfinie d'un mme acte ds que cetacte est une fois possible. L'esprit., ajoute Poincar, a de cette puis-sance une intuition directe1.

    Une telle intuition, qui est d'ordre dynamique et idaliste, ne

    peut pas se transformer en l'intuition directe d'un donn au sensraliste du mot. Il n'y a donc pas d'infini actuel si l'on veut fairede l'infini un objet de reprsentation; et c'est cequi va nous expli-

    quer la

    rsistance oppose par Poincar aux doctrines mtaphy-siques auxquelles la thorie des ensembles a donn occasion. Aprsles travaux de Cantor, la logique qui, chez Ilelmholtz, apparaissaiten de du pouvoir effectif de l'esprit, s'est trouve tout coup audel; elle a franchi la suite illimite des nombres; elle a envisagdes propositions telles qu'il faudrait, pour les vrifier, se rendre

    capable d'une infinit de choix arbitraires successifs. Or, la logique,ainsi comprise, n'est en tat de manier que des concepts verbaux;la satisfaction qu'elle ytrouve ne s'explique que par un parti prisde ralisme scolastique Un des traits caractristiques du canto-risme, c'est qu'au lieu de s'lever au gnral en btissant des cons-tructions de plus en plus compliques et de dfinir par constructionil part du genus supremum et ne dfinit, comme auraient dit les

    scolastiques, que per genus proximum et differentiam specificam i. Du reste les contradictions de fait auxquelles s'est heurt le canto-risme entendu en ce sens, ont mis suffisamment en lumire lecaractre illusoire de pareils procds. Elles ont engag les math-maticiens se maintenir dans la sphre des oprations effectives,oit l'intelligence se manifeste comme puissance concrte, selimitantpar sa ralit mme.

    Ainsi la rflexion sur la mathmatique pure montre que dj lascience se droule sur un plan intermdiaire entre la logique formelleet l'intuition proprement dite. Elle fait comprendre en quels termesse pose, pour Poincar, le problme philosophique de la gomtrie.

    L'espace du gomtre est, ses yeux, essentiellement relatif; il

    ne peut yavoir intuition directe ni de la droite, ni de la distance,ni de quelque grandeur que ce soit 3. Pourtant, il ne s'ensuit pas

    t. S. p.24.2.S. M., p.il.t.a. S. ;W.,p. 102et 10t.

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    COi REVUE DE MAPISIftTJE .E.PE- -MORALE."

    qu'il soit possible d'puiser l'espace gomtrique au moyen de

    notions purement abstraites. Hilbrt, dans un travail clbre sur

    lequel Poincar avait t ds premiers attirer, l'attention S a mis

    sous forme logique les diverses relations qui sont la base de la

    gomtrie; mais, parmi ces relations', n'y en a-t-il pas que l'on ne

    peut rduire des dfinitions i dguises o des conventions,

    mme justifies, o l'on, serait tent de .reconnatre une qualit ,

    propre l'intuition spatiale? Tels seront, par exemple, les axiomesdel'ordre, qui portent sur la, relation d'entre A est entre Bet C.

    Sur de tels axiomes, rendus, indpendants de toutes les autresconceptions quivenaient s'y ajouter dans le systme dela>gomtrie

    classique, s'est constitue l'analysis situs, ou gomtrie de situation,

    laquelle, aprs Riemann, Poincar a donn une part deson gnie.

    Or, crivait-il dans un mmoire, qui paraissait ici. mmequelques

    jours aprs samort, la proposition fondamentale del'analysis situs,

    c'est que l'espace est un continu itros dimensions^ . Et il faisait

    un effort nouveau pour dterminer la porte, exacte de cette pro-r

    position. . -' 'Le continu mathmatique Poincar l'avait expliqu dans l'ar-

    ticle qu'il voulut bien crire pour, le. premier numrod&la Revue de

    Mtaphysique et de Morale. est une cration de l'intelligence

    provoque par les contradictions auxquelles conduit l'tude du

    continu physique. Supposons, en effet, que A et B soient deuxsensations entre lesquelles,nous:remar_quons une diffrence d'inten-

    sit. Fechner a montr qu'il tait.possible d'insrer entre A et B un

    degr intermdiaire C, tel quela diffrence; entre et C,entre C et

    B soit insensible. Ds lors, la traduction immdiate d l'expriencedonne lieu une sorte d'antinp.mi_j__

    G==.A,t:G=.B;A>B.

    Mais l'esprit, qui n'use de: sapuissance cratrice que quand l'exp-;rience lui en impose la ncessit ^conoit .alors- le continu. math-

    matique, grce auquel il a..le moyen de lever cette contradiction

    apparente; on sait d'ailleurs vpomme.ntl'effort des mathmaticiens

    modernes, depuis Cauchy jusqu'vKronecker, a su ramener le con-tinu un systme rigoureux d'ingalits,

    1. Journal desSavants, mai.l.?02,o '2. Revuede Mtaphysiqueet.de. Morale,1912,p.. 485;etD. P., p. 61.3. S. p.43. ' -_

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    L. BRUNSCHVICG. HliNIU ['01MCAR LE PHILOSOPHE. 605

    Mais, se demande maintenant Poincar, comment ce continuabstrait peut-on attribuer un certain nombre de dimensions? Suffit-il de dire qu'il est un ensemble de coordonnes, c'est--dire de

    quantits susceptibles de varier indpendamment l'une de l'autre,

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    606 REVUE DE MTPHY.SJQ.UE ET DE MORALE,

    i__ a_cm.. ~f.a. a~le mouvement ncessairejpour amener les doigts au contact d'un

    objet loign; il nous manquerait une -donne, qui est la distance

    de cet objet; il faut que la vue s'xer e distance, etc'est pour cette

    raison qu'il nous est commode,d'attribuer l'espace trois dimensions.

    Mais ce mot de commode, ajoute. Poincar, n'est peut-tre pasici assez fort. Un tre qui auraitaitribu: l'espace- deux ou quatredimensions se serait trouv, dans un monde fait comme le ntre,en tat d'infriorit dans la lutte pour la vie'. D'une part, en

    attribuant deux dimensions l'espace, on serait expos ;substituer.

    aux mouvements qui russissent pour la correction des changements.externes, des mouvements qui ne russiraient pas. D'autre part, en

    lui en attribuant quatre, on1se priverait, de la possibilit de substi-

    tuer certains mouvements d'autres mouvements qui russiraient

    tout aussi bien, et qui pourraient prsenter, dans certaines cir-

    constances, des avantages particuliers.Ainsi, mesure que Poincar,sexre deplus prs le problme, tout

    en maintenant les termes-dans lesquels il l'avait pos ds le dbut,

    on voit que son nominalisme apparent s'inflchit dans le sens d'une,

    pntration intime, d'une .harmonie crpissante, ..entre Uesprit et les

    choses. L'impression sera la, mme, elle s'accentuera encore,

    lorsqu'on se transportera surle terrain de la physique o, d'ailleurs,'et c'est Poincar qui lefaitremarquer, si loin quel'on veuille.pousser

    lenominalisme, on en rencontre invitablement la limite.Laphysique, comme toute,_science, est constitue par l'intelligence

    la science, par dfinition, sera intellectualiste ou elle ne. sera pas 2.

    Mais il est clair que, sans l'exprience, la physique n'aurait pas eu:

    de raison de se constituer; ce so*nt les relations invariantes entre

    faits bruts ,qui fournissent leur. base au systme des lois. Peut-

    tre mme est-ce pour avoir trop escompt la facilit avec. laquellelaphysique classique russissait g.rentrer les faits bruts dans

    le cadre des lois, que lon a, cru pouvoir ramener les principes n'tre que des dfinitions dguises ; d'o quelques penseursont tir argument contrla valeur objective et la ncessit de la

    science. Or, avec les progrs, accomplis par la. physique dans les pre-

    mires annes du sicle, ona t oblig de reconnatre que les faitsavaient une limite de plasticit. Us. ontmontr, qu'ils possdaient,

    1.Loc.cit., p. 498 et D.F.p. 85/2. V.S., p. '217. ^- ' -

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    L. BRUNSCHVICG. HENRI POINCAR LE PHILOSOPHE. 607

    si l'on nous permet l'expression, un plus mauvais caractre qu'on ne

    pensait. Ils ont remis en question la validit de principes que l'on

    avait poss comme indfiniment lastiques et, par l mme, l'abri

    de toute contradiction exprimentale.Devant la rsistance de l'exprience aux coups de pouce trop

    commodes que la physique thorique est si souvent tente de

    donner, nul plus que Poincar ne montra cette bonne humeur,cette docilit d'esprit, cette jeunesse intellectuelle, dont il fait, dans

    son loge de Lord Kelvin les privilges du vrai savant. Sans ce

    lest, crivait Poincar, en se flicitant du dveloppement de

    l'industrie et des forces colossales dont elle offre au savant le

    spectacle comme dans un immense champ d 'expriences, quisait s'il ne quitterait pas la terre, sduit par le mirage de quelque

    scolastique, ou s'il ne dsesprerait pas, en croyant qu'il n'a fait

    qu'un rve'-? Les expriences dlicates et brillantes qui se sont

    poursuivies dans le domaine de l'lectro-optique ont eu un rsultat

    analogue elles ont marqu le retour du rve la ralit. En se

    heurtant aux faits, la physique mathmatique a t oblige de

    redescendre sur terre, de reprendre contact avec les choses, de

    vivre avecelles.Sans doute, laphysique des principes n'a passuccomb. Il n'est

    pas interdit de soutenir que l'exprience est incapable de lui infli-

    ger un dmenti formel; par exemple, il sera toujours loisible ausavant, pour maintenir leprincipe de la conservation de l'nergie,de faire surgir de son imagination un type nouveau d'nergie, d'en

    calculer l'expression de telle faon qu'il retrouve dans ses formules

    l'galit dsire. Mais Poincar avait prvu le moment ou cet effort

    d'imagination serait inutile, parce qu'alors le principe, ne traduisant

    que l'enttement du physicien dfendre ses cadres analytiques,n'aurait plus de prise sur les choses, et s'vanouirait par sa stri-

    lit 3.

    Aprs les observations provoques par la dcouverte de la Radio-

    Activit, surtout aprs les expriences de Michelson sur la constance

    de la vitesse de la lumire quel que soit le mouvement avec lequel ilaurait sembl

    qu'elle dt se

    composer, ce moment est arriv. Entre

    les principes de la mcanique, il a fallu choisir. Mais le sentiment

    1. S. E., p.215.2. V.S., p. 221.1.:S.V. S.,p.209.

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    :wr >

    608 REVUE DE MTAPHYSIQUE ET. D: MORALE.J.J~-''L"'VU'c-J..I.r.v.

    que les physiciens ont alors prouv n'a plus t l'embarras de se.

    dcider entre diverses hypothses qui, toutes, seraient galementsatisfaisantes. A l'excs de richesse a succd un tat de gne ola ncessit de choisir s'accompagne de sacrifices douloureux. On a

    d se rsigner l'abandon du principe qui paraissait le plus com-

    mode pour l'intelligence de la .nature, qui rpondait le mieux auxformes a priori d'une raison mathmatique le principe de

    Lavoisier, par lequel on pouvait remonter de l'invariabilit de la

    masse, l'indestructibilit de la matire en 1906, Poincar pouvait,dans The Athenum, parler de- la fin de. la matire*. En revanche,

    on a pu sauver le principe de la. Relativit. La nature,,toujours plus

    sage que les esprances des, hommes, semble avoir djou toutes

    les tentatives pour arriver la mesure d'une vitesse absolue; elle.

    laisse ainsi l' impression que leprincipe de relativit est bien uneloignrale de la nature '.

    Ce n'est pas tout. Si l'on suit l'action exerce par l progrs de

    l'exprimentation sur les conceptions thoriques de l'univers et

    Poincar, que l'on a reprsent si souvent- commeun analyste

    ddaigneux du rel, s'est prescrit cette tche jusqu'aux derniers

    jours de sa vie on est oblig d'aller plus loin encore. Par del les

    principes qui soutiennent l'difice scientifique, il y a des formes

    gnrales qui paraissent exprimer, d'une faon plus profonde et plus

    imprieuse, les exigences de- l'esprit dans la. constitution de lascience. Ainsi, plusieurs reprises, Poincar, a insist sur le rle

    jou en physique par l'instrument, en apparence tout subjectif et

    tout artificiel, que l'homme s'est donn lorsqu'il a cr le calcul des

    probabilits. Il a montr que, dans ses dmarches aventureuses

    et paradoxales, le mathmaticien, faisait fonds sur deux formes

    matresses, qui lui paraissaient s'imposer en quelque sorte la

    nature des choses la simplicit etila continuit.Pour prendre un exemple, si nous avions la vue assez perante

    pour suivre dans une masse, gazeuse les mouvements de chacun des =

    1. ApudLematrialisme,actuel,p. 65.2. Article insr dans les ditions rcentes, de laScience etl'Hypothse,p.282

    et suiv.3. S. M., p. 240. Encore.est-il possible, que, pour sauver te.principe derelativit, on soitconduit lui donner, comme le veulent certaines hypothsesrcentes, une forme nouvelle, singulirement subtile et complexe,dont Poin-car a dgaglaporte et l'originalit avec sa lucidit incomparable, D. P.p. 52-53. -

    >

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    L. BRUNSCHVICG. Hli-MU P01NCAR LE PHILOSOPHE. 609

    atomes que nous ne pouvons pas ne pas imaginer comme lmentsconstitutifs de cette masse, nos observations se traduiraient par les

    reprsentations les plus compliques, et nous en serions rduits

    constater l'irrgularit. Mais le grand nombre des molcules nous

    permet de passer par-dessus notre ignorance radicale. Quelle quesoit la singularit des mouvements initiaux, il n'est besoin que dese donner un temps suffisant pour que les effets des singularitss'amortissent, pour que les mouvements irrguliers se neutralisent,

    pour que les accidents rentrent dans l'ordre. De la multiplicit de

    ces mouvements en apparence divergents,

    la thorie cintique

    des

    gaz fera sortir une formule simple comme la loi de Mariotte. Or, de

    quel droit le savant fait-il une vertu de son ignorance ? et d'o lui

    vient sa confiance? C'est qu'en procdant de la sorte, il arrive la

    simplicit. Il faut bien s'arrter quelque part et, pour que la sciencesoit possible, il faut s'arrter quand on a trouv la simplicit l

    Le savant est ainsi tent de transformer la simplicit en criterium

    de la vrit. II y a cinquante ans, crivait Poincar eh 1899, les

    physiciens considraient une loi simple comme plus probable

    qu'une loi complique, toutes choses gales d'ailleurs. Ils invo-

    quaient mme ceprincipe en faveur de la loi de Mariotte, contreles expriences de Regnault2. Ici encore, sous la pression des

    faits, il a bien fallu abandonner les partis pris de systme. Les

    savants n'ont certes pas perdu l'amour de la simplicit; mais, l'cole de l'exprience, ils ont appris qu'il ya dans la recherche duu

    simple une limite qu'ils ne pourraient franchir sans aller contre le

    bon sens. Ils ont fait de la simplicit une notion relative, destine

    paratre toujours se perdre, pour se retrouver toujours, au cours

    d'une volution incessante. L'tude exprimentale des pressions quis'exercent sur une masse gazeuse avait commenc par mettre en

    vidence une relation simple, derrire laquelle se dissimulait la

    complexit des mouvements molculaires qui se produisent au

    sein de la masse gazeuse. Bon gr, mal gr, on a d tenir comptede cette complexit lorsque l'exprimentation s'est faite plus

    prcise, plus minutieuse. Peut-tre un phnomne analogue se

    produira-t-il pour la loi de Newton. Ici les donnes initiales de

    l'observation taient complexes au point de sembler inextricables; la

    1..S'.Il., p. 176.2. S. H., p. 239.

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    11

    v

    610 REVUE DE MTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

    loi s'est rvle d'une merveilleuse simplicit. Il est impossible

    pourtant d'affirmer que cette simplicit n'est pas encore lie au

    caractre approximatif de la loi, et qu'on ne peut pas tre conduit,en serrant de plus prs les conditions duproblme, corriger les

    formules newtoniennes1..La critique ne doit-elle pas tre plus profonde encore? Derrire

    cette croyance la simplicit, queles savants ont rpudie, quoiquebien souvent ils soient obligs d'agir comme- s'ils l'avaient con-

    serve 2, demeure, comme lepostulat ultime de la foi scientifique, la

    croyance la continuit (au sens technique que les mathmaticiens

    donnent ce mot). C'est: parelle que le savant peut arriver tirer

    d'un nombre toujours restreint d'observations isoles une courbe de

    forme rgulire, sans points anguleux, sans inflexions trop accen-

    tues, sans variations brusques du rayon de courbure, de faon,non seulement dterminer les valeurs de la fonction intermdiaires

    entre les points observs,; mais mme rectifier, pour les pointsdirectement observs, les indications. fournies par l'observation.

    Sans cette croyance la continuit, conclut Poincar, l'interpo-lation serait impossible, on ne pourrait dduire une loi d'un nombre

    fini d'observations. La science n'existerait pas3.

    Or. etprcisment en partant de la thorie cintique des gaz, en

    employant le calcul des probabilits pour accorder la thorie avec

    les faits, particulirement avec la_ loi durayonnement noir, et avecla mesure des chaleurs spcifiques des corps solides aux trs basses

    tempratures dans l'air ou dans l'hydrogne liquides, on est arriv mettre en question la forme que la mcanique avait prise depuis

    Newton, et qui paraissait la form dfinitive de la science. On ne se

    demande plus seulement . si les quations diffrentielles de la

    Dynamique doivent tre modifies, mais si les lois du mouvement

    pourront encore tre exprimes par des quations diffrentielles l ,Et l'tude que Poincar, en fvrier 1912, consacrait l'examen de

    l'hypothse des Quanta, formule par Planck, se termine ainsi La

    discontinuit va-t-ell rgner sur l'univers physique et son triompheest-il dfinitif? Ou bien reconnatra-t-on que cette discontinuit n'est

    qu'apparente et dissimule une srie deprocessus continus? Le pre-

    1. s. h., p. -m. - - -.=.2. S. H. , p. 239.3.'.H., p. 239. > :-4.f>. P., p. 166. 'i

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    L. BRUNSCHVICG. HEXRI POINCAR LE PHILOSOPHE. 611

    mio>> r mi o i 'm u n (vhop q c tii nKcAT>\rP T> nn Tihpnomfitlft disconti nu: etmier qui a vu un choc a cru observer un phnomne discontinu; et

    nous savons aujourd'hui qu'il n'a vu que l'effet de changements de

    vitesse trs rapides, mais continus. Chercher ds aujourd'hui

    donner un avis sur ces questions, ce serait perdre son encre l.

    Quelques mois aprs la publication de ces lignes o se trouve

    engage, jusque dans son principe, l'ide moderne de la science,

    brusquement, la mort imposait le repos cette pense qui se

    renouvelait sans cesse dans l'examen des formes nouvelles qu'avaient

    prises les grands problmes des mathmatiques et de laphysique.

    Ellejetait dans le dsarroi ceux pour qui cette critique, qu'aucuneborne ne contenait , tait un lment fondamental de leur conscience

    scientifique. En parlant de Cornu, mort peu prs l'ge o lui-

    mme devait disparatre, Poincar disait Quand la mort nous

    enlve un homme dont la tche est termine, c'est seulement l'ami,le matre ou le conseiller que nous pleurons; mais nous savons queson uvre est accomplie, et, dfaut de sesconseils, ses exemplesnous restent. Combien elle nous semble plus impitoyable quand c'est

    un savant encore tout rempli de vigueur physique, de force morale,

    de jeunesse d'esprit, d'activit fconde, qui soudain disparat; alors

    nos regrets sont sans bornes, car ce que nous perdons, c'est l'in-

    connu, qui par essence est sans limites; ce sont les espoirs infinis,

    les dcouvertes de demain, que celles d'hier semblaient nous pro-mettre. De l, cette motion qui s'est empare du monde savant

    tout entier quand cette nouvelle si imprvue, si foudroyante, est

    venue le frapper2. Il est rare que l'motion dcrite en ces termes

    par Poincar et t aussi universellement, aussi cruellement

    ressentie que devant sa propre tombe; et de toutes parts aussi elle

    a provoqu un effort pour faire surgir, au milieu de notre deuil et

    de notre dsarroi mme, l'ide qui doit exprimer le souvenir spiri-tuel d'Henri Poincar.

    Cette ide, i l es t peine besoin de le redire aprs ce que nous

    venons de rappeler de ses derniers crits, aucune conclusion dogma-

    tique, aucune formule de systme ne la contiendra. Poincar, dfi-

    nitivement, chappe

    ceux qui,

    dfenseurs ou ennemis du savoir

    positif, ,demandent la philosophie scientifique des thses et desmots d'ordre capables de flatter leurs passions, qui ne se tournent

    1. D. P., p. 192.2. S.E., p. 123.

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    612 KEVUE DE MTAPHYSIQUE ET DE MOIU.LE.

    vers elle que pour se dispenser 'de: comprendredu dedans la ralitde la science. Le dveloppement de sa pense demeure une dcep-tion perptuelle pour ceux qui prouvent le besoin d'une ortho^doxie La foi du savant, a-t-il crit, ressemblerait plutt la foi

    inquite de l'hrtique, celle qui cherche toujours et qui n'est

    jamais satisfaite 1. Dans cet -esprit, Poincar faisait honneur

    Joseph Bertrand d'avoir par sa* pntrante critique ramen les

    penseurs de sa gnration ce,demi-scepticisme qui est pour lesavant le commencement de la sagesse a..Dans cet esprit il disait

    que, dans notre monde relatif toute certitude est mensonge

    3 .Mais, nous croyons l'avoir montr, utiliser ces paroles pour en tirerune sorte de profession de.foi contr la science et contre la vrit,ce serait trahir Poincar, ca*r ce serait oublier que chez lui-la qualitdu doute est lie la gualit-du ~avoi~.Gomme leremarquait excel-lemment M. Milhaud dasun article rcent, Poincar, pour avoirvcu au contact des vrits apodictiques de l'analyse abstraite, nereconnat plus nulle part ailleurs, pas. mme dans le monde des

    figures spatiales, une seule vrit ncessaire 4. Aussi celui qui s'estrendu capable de comprendre laphilosophie scientifique d'Henri Poin-

    car, n'y trouvera jamaisp'rtexte cepessimisme intellectuel, ce

    mpris de la pense dsintresse, que l'on a tent de mettre sousson autorit pour les intrts de :1a polmique. Seulement, et sui-

    vant l'expression mme.de Poincar, il ne faut pas croire quel'amour de la vrit se confonde avec l'amour de la certitude 8 ;'l'idole de la certitude doit s'effacer pour que naisse l'intelligencede la vrit, sous la forme oPoincar l'a vue et l'a aime jeu.mouvant, jeu sublime o la nature et l'esprit sont engags pourune lutte sans fin. r ": ""

    Sans doute l'esprit est'libr, et il se sent crateur; mais, - causede cela mme, il est arriv.qu'il s'est enchant des premiers pro-duits de son activit, qu'il s'y esj compluet qu'il s'y est arrt.Parce qu'il suffisait des1,'elation;s' arithmtiques pour. faire appa-ratre les lois de l'astronomie ou de l'acoustique, les Pythagoriciensvoyaient dans le nombre, non seulement la base, mais aussi

    s.j: p. vu. - 2. S. E., p. 159. -+- .;

    m

    3. S. e,, p.vu. "" , " .i. GrandeRevue,10dcembre 1912,. t. LXXVI,p.497.5. S.E., p.vm.

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    L. BRUNSCHVICG. HENRI POIXCAU LE PHILOSOPHE. 613

    limite, du monde intelligible. Cette harmonie, dont l'image flattait

    la pense abstraite, la nature l'a rompue par une sorte de violence;mais elle a ainsi contribu au progrs de lapense. Le seul objetnaturel de la pense mathmatique, c'est le nombre entier; c'est

    le monde extrieur qui nous a impos le continu, que nous avons

    invent, sans doute, mais qu'il nous a forcs inventer' .

    Aprs le succs, qui paraissait dfinitif, de lamcanique classique,une contrainte analogue a dtermin l'volution, merveilleuse-

    ment rapide, de la physique moderne. Quelque varie que soit

    l'imagination de l'homme, la nature est mille fois plus richeencore. Pour la suivre, nous devons prendre des chemins que nous

    avions ngligs, et ces chemins nous conduisent des sommetsd'o nous dcouvrons des paysages nouveaux. Quoi de plus utile 2?

    C'est d'un point de vue toujours plus lev, embrassant un horizondont il n'avait pas d'abord souponn toute l'tendue, que l'esprits 'efforcera de rtablir cette harmonie interne du monde, dontPoincar dit qu'elle est la seule vritable ralit objective 3 , et qu'elle est la source de toute beaut4 . Oblig de dpasser leslimites o il s'tait d'abord enferm, il voudra retrouver, comme

    lui tant parente et assimile, cette harmonie et cette beaut Quand un calcul un peu long nous a conduits quelque rsultat

    simple et frappant, nous ne sommes pas satisfaits tant que nous

    n'avons pas montr que nous aurions pu prvt?1,sinon ce rsultattout entier, du moins ses traits les plus caractristiques .

    L'intrt de cette prvision tient-elle uniquement l'conomiede pense qu'elle nous procure? Poincar sans doute fait observer,

    aprs Mach, que, dans des cas analogues, le long calcul ne pour-rait pas resservir, et qu'il n'en n'est pas de mme arraisonnement demi intuitif, qui aurait pu nous permettre de prvoir 6 . Maisil nous semble qu'il y a pour lui autre chose encore dans cette pr-vision il y a l'empreinte de l'esprit sur la connaissance brute quele rsultat d'un cas particulier ou l'observation d'un phnomnenouveau nous avait acquise. En effet, comme il le remarque cetendroit mme, ce que la science vise, ce n'est pas Tordre

    1. V.S., p.149.2. V.*> p.148.5. V.S., p. 17.4.V.S., p. 10.r>S..V., p.26.6. Ibid.

    P.1

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    614 REVUE DE MAPHSIftUE ET DE MORALE.

    l'ordre pur et simple qui dcoule des dductions logiques, onl'obtiendrait trop bon compte, et l'on ne serait pas effectivementinstruit c'est l'ordre inattendu1 ordre inattendu, mais non

    imprvisible en soi, et Poincar le montrait' dans une de ses der-nires confrences, en rappelant les multiples concordances qui sesonl manifestes grce en particulier auxtravaux de M. Jean Perrin,dans la dtermination du nombre des atomes. La science netriomphe

    jamais mieux, remarquait-il, que quand l'exprience nous rvle,une concidence que l'on atifait puprvoir et qui ne saurait tre dueau hasard, et surtout quand ils'agit d'une concidence numrique2 .

    Si dans un semblable domaine, o. les dcisions, ne dpendent ni

    de conventions, ni d'hypothses, l'esprit s^est rendu ce tmoignage-qu'il aurait pu prvoir, il cesse d'tre du ct- des choses et, en

    quelque sorte, contre soi; il achve l'uvre d'assimilation, il a la

    plnitude de la possession intellectuelle.Alors, on peut dire du.- savant qu'il a vu clair dans son cur. Il

    sait pourquoi il avait assum ure" tche dont aucune satisfactiond'honneur ou d'argent, dont aucune raison d'intrt gnral mme

    ne pourrait jamais compenser, la difficult Le savant, n'tudie

    pas la nature parce que cela est utile; m'tudie parce qu'il y prend

    plaisir, et il y prend plaisir parcerqii' elle est belle3. Il faut ajouter,

    pour marquer toute laporte decelteid, que la beaut scientifique

    de la nature, comme d'ailleurs la beaut proprement artistique, nese dcouvre pas du premier regardj l'initiation raffine qu'elle exigeest lie la culture del'intelligence,' car c'est une beaut intime qui;vient de l'ordre harmonieux de ses-parties et que seule.l'intelligencepure peut saisir Si les Grecs ont triomph des Barbares, et s i

    l'Europe, hritire de la pense des Grecs, domine le monde,c'est parce que les sauvages aimaient les couleurs criardes, et lessons bruyants du tambour qui n'occupaient que leurs sens, tandis

    que les Grecs aimaient labeaut intellectuelle qui se cache sous la

    beaut sensible et que c'est celle-ci qui fait l'intelligence sre etforte'. - -' '

    L'aspiration vers cette beaut d'essence intelligible, la. confiance

    qu'il met en elle dominent les vues philosophiques de Poincar. Par

    1. S.M., p. 27. "-