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 Dans l'ancien récit - mais q lli écri t ancien " , s il n'est difjeré le récit ~ s t n c i e n ~ perm.' dans une his  oire l'ombre . Ze c e ~ s e de <élar Jr (fonctzon mythzque) zgnorant la SClcnce nouvelle qUI differe le recit _ Dans l'ancien récit jam ais lu, lisibl e p01lrtant dans son rapport au récit différé, les corps tombent p arce que la terre les attire. Mais qui lit (lie ) le mouvement et la vitcsse d e s C01pS dans l'ancim récit? M. P. ECRITURE, FICTION, IDÉOLOGIE CENSURE ET IDÉOLOGIE. L'écriture est de la part de la société l'objet d'un interdit qui se dédouble selon qu'elle met en jeu des œuvres de fiction qui renou vellent et contestent le système formel jusque-là admis, ou qu'elle œlève d'une activité théorique qui a pour fonction de penser à la fois le sy stème de langage, le reIai d'informations par lequel cette société se parle et se vit et les nouveaux systèmes formels qui viennent à apparaître. Nous assistons actuellement à un déséqui libre croissant de la pression qu i pèse s ur ces deux champs d'activité. La condamnation frappe de moins en moi ns telle ou telle pratique littérai re ou artistique dans sa produ ction co ncrète et semble au contraire se concentrer sur la pensée de ce tte pratique, sur la théo rie qui est liée à cette pratique. En fa it, la société admet et récupère toute s les" révolutions" e n art  , àcondition que celles-ci conser vent à l'objet de la production littérair e ou pic tu r ale son caractère artistique, c'est-à-dire le reverse immédiatem ent dans un circuit de conso mmation. La double valeur des œu vres - artistique et finan cièr e - dépend parad oxa le m e nt de la gr atu ité de leur pro ductio n. Injustifiables, injustifi ées, elles se mbl e nt contester les formes, elles ne contestent pas le sys tèm e. L a liberté" garantit a souveraineté du système, tandis que le système à tous ses niveaux et d'abord économique) réclame le camo uflage de son procès de p'roduction. Aussi les mécanismes de d éfense de ce système scront  l s d'abord dirigés contre les activités qui visent à rendre mani f ~ t e le procès de product ion des objets - que ceux-ci appar Uennent à la sphère de la production industrielle ou à ce lle de la Production du sens" - , contre ceux qui font œuvre criti(lue et ~ r i q u 1 et nt sur de 1. La psychanalyse, dans le champ qui est le sien, est un exemple t ou t fait frappant ce part a ge entre théori e et p rat i que. En tant qu epratique clinique, eUe e st devenue 12 7 In Théorie d'ensemble, Coll. "Tel Quel",Seuil, 1968, p.127-147.

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Dans l'ancien récit - mais qlli écri t " ancien ", s'il n'est difjeré le

récit ~ s t a n c i e n ~ perm.' dans une his!oire où l'ombre .1Ze c e ~ s e de <élar!Jr(fonctzon mythzque) zgnorant la SClcnce nouvelle qUI differe le recit _Dans l'ancien récit jamais lu, lisible p01lrtant dans son rapport au récitdifféré, les corps tombent p arce que la terre les attire. Mais qui li t (lie)le mouvement et la vitcsse des C01pS dans l'ancim récit?

M. P.

ECRITURE, FICTION, IDÉOLOGIE

CENSURE ET IDÉOLOGIE.

L'écriture est de la part de la société l'objet d'un interdit qui sedédouble selon qu'elle met en jeu des œuvres de fiction qui renouvellent et contestent le système formel jusque-là admis, ou qu'elleœlève d 'une activité théorique qui a pour fonction de penser à lafois le système de langage, le reIai d'informations par lequel cettesociété se parle et se vit et les nouveaux systèmes formels quiviennent à apparaître. Nous assistons actuellement à un déséqui

libre croissant de la pression qui pèse sur ces deux champs d'activité.La condamnation frappe de moins en moins telle ou telle pratiquelittéraire ou artistique dans sa production concrète et semble aucontraire se concentrer sur la pensée de cette pratique, sur la théorie qui est liée à cette pratique. En fa it, la société admet et récupèretoutes les" révolutions" en " art " , à condition que celles-ci conservent à l'objet de la production littéraire ou pic tu rale son caractèreartistique, c'est-à-dire le reverse immédiatement dans un circuitde consommation. La double valeur des œuvres - artistique etfinancière - dépend paradoxalement de la gratu ité de leur production. Injustifiables, injustifiées, elles semblent contester lesformes, elles ne contestent pas le sys tème. La " liberté" garantit]a souveraineté du système, tandis que le système à tous ses niveaux(et d'abord économique) réclame le camouflage de son procès dep'roduction. Aussi les mécanismes de défense de ce système scrontils d'abord dirigés contre les activités qui visent à rendre manif ~ t e le procès de production des objets - que ceux-ci apparUennent à la sphère de la production industrielle ou à ce lle de laProduction du " sens" - , contre ceux qui font œuvre criti(lue et~ r i q u e 1 et principalement contre ceux qui travaillent sur les

de1. La psychanalyse, dans le champ qui est le sien, est un exemple tout ~ fait frappantce partage entre théorie et prat ique. En tant que pratique clinique, eUe est devenue

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In Théorie d'ensemble, Coll. "TelQuel",Seuil, 1968, p.127-147.

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deux axes de l'écriture, se livrant à la pratique concrète de l'écriture - la fiction - et pensant la théorie de cette pratique.

Bien sûr, le dévoilement du système, le parti pris d'exposer lesprésupposés formels, fait courir un risque évident, mortel, à l'idéo.logie que véhicule et qui justifie la " littérature". Prise comme ellel'est dans le système économique de la consommation, la " litt6.

rature" supporte mal qu'on mette en question les principes,car

elle a partie liée avec toutes les formes de l'idéologie: religion,morale, etc. De cette idéologie dépend le statut privilégié de" l'écrivain ", apparenté comme" créateur" à Dieu, comme instrument du " verbe" au prêtre, et, comme garant du bon usage de la

grammaire et de la légalité de la langue, au magistrat .. Prétendœque la littérature repos e sur un système, essayer d'analyser et deformaliser ce système, revient à mettre à nu l'idéologie que ces

" œuvres " recouvrent. En montrant que l'idéologie est fonctiond'un système, que le système se rt l'idéologie, on en dénonce laprésomption, à savoi r le caractère nécessaire, absolument vital pourelle, d'universalité. La do mination de l'idéologie dépend de l'illu-

sion qu'elle donne de l'universalité 2 du corps de pensée qui estpris en elle. I l n'est pas admis, il ne peut pas l'être, que les "œuvres"historiquement datées, reposent sur un système formel analysable,relatif, et par conséquent, susceptible d'être remplacé par d'autres.On ne peut pas reconnaître qu 'une" œuvre" est à la fois marqu6epar le réseau idéologique et solidaire de lui. " Une idéologie,écrit Althusser, est un système (possédant sa logique et sa rigueur

une institution sociale. Cette institution donne lieu à une littérature qui pourra avoirun certain air de science sans en avoir nécessairement le statut. C'est à cet écart. l ce

faux air de science que l'on reconnaîtra principalement la marque de l'idéologie. CUen définitive, il n'est pas adrtÙs que l'on veuille, comme Lacan le fait, élaborer Ilthéorie de cette pratique si une telle entreprise théorique a pour résultat de mettrC

en question le statut de psychanalyste garant de la normalité sociale - c'est-à-diredu psychanalyste en tant qu'instrument inconscient de l'idéologie. •2 . .. On pourra alors dire, par exemple, qu'au temps où l'aristocratie r é ~

c'était le règne des concepts d'honneur, de fidélité, etc., ct qu'au temps où régnait Ilbourgeoisie, c'était le règne des concepts de liberté, d'égalité, etc. C'est ce que s · ~ gine la classe dominante elle-même dans son ensemble. Cette conception de l'histoJlCcommune à tous les historiens, tout spécialement depuis le XVIIIe siècle, se heurtednécessairement à cc phénom ène que les pensées régnant es seront de plus en plus ..,..traites; c'est-à-dire qu'elles affectent de plus en plus la forme d'universalite:. En dfet,chaque nouvell e classe qui prend la place de ccl le qui dortÙnait avant elle, est oblig6lone fût-cc que pour parvenir à ses fins, de représenter son intérC:t comme l ' i n t ~ commun de tous les membres de la société ou, pour exprimer les choses sur le p ~ des idées : cette classe est oblig6e de donner à ses pensées la forme de l'univer saliti.de les représenter comme étant les seules raisonnables, les seules universellementV1llables. " Marx, Idiologie alltmandt .

ÉCRITURE, FICTION, IDÉOLOGIE

propre) de représentations (images, mythes, idées ou conceptsselon les cas) doué d'une existence et d'un rôle historique au seind'une société donnée ... L' idéologie es t bien un système de représentations, mais ces représentations n'ont rien à voir avec la conscience. " La " littérature" est un des champs privilégiés de l'idéologie daus la mesure où, travaillant la langue, elle apporte le sys tème

de langage (qui doit évidemment rester inconscient) dans lequelchacun est amené à se représenter. Par là même, elle forme un deschamps privilég iés de la lutte idéologique. S'il est indispensable,pour prendre un exemple banal, de préserver absolument la présence du personnage dans le roman, c'est qu'ilyvadela représentation de l'homme, de la conception de la « nature humaine", de la" substance " de l'individu qui sont nécessaires à la dominationidéologique et au bon fonctionnement économique de 1 . société.Le roman sera donc défini comme le " genre" littéraire dont l'essence appartient de toute éternité au personnage.

On voit pourquoi} à un premier niveau, l'activité théorique peutêtre l'ob jet de la censure: c'est que l'activité théorique a justement

pour fonction de rendre conscient le système qui, pour obtenir sonuniversalité, c'est-à-dire satisfaire au rôle que la société veut luifaire tenir, doit demeurer inconscient 3. Aussi est-ce bien à partirde la conscience textuelle, à partir de la dénonciation manifestéepar sa forme même, mais surtout par la pensée de cette forme, qu'unécrit pourra} vis-à-vis de l'idéologie, se montrer ou non transgressif.

E CRITURE 1LECTURE.

. Mais il faut aller plus loin et trouver au refus de l'activité théot l ~ u e une autre raison, ce qu'on pourrait appeler une surdétertnlnation historique. Si l'activité théorique consiste à saisir lesmécanismes en œuvre dans tout écrit, elle fonde cet écrit dans sonCJtistence textuelle pour une lecture qui a ceci de subversif qu'ellenéglige le caractère d'expressivité et de représentation de cet écritau bénéfice du texte lui-même (en tant qu'il peut être d'ailleurs

. 3. C'est pourquoi il est si important qu'Althusser pose la question épistémolol ~ e de la scientificité de la science, du caractère différentiel de la science, puisque~ I ~ c e et idéologie prétendent j'une et l'autre à l'universalité, bien que n'y ayant

V1demment pas les mêmes droits.128 129

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lieu de recoupements d'autres textes). Elle est lecture d'uneécriture mais aussi écriture d'une lecture, elle lie à toute écritureune lecture et à toute lecture une écriture. Or cette pratique théo-rique qui fonde un champ de lecture et s'inscrit comme écriturede ce propre champ est celle-là même qui durant la secondemoitié du XIXe siècle, dans un geste dont on n'a pas mesuré encoretoutes les implications, dont on commence seulement à aperce-voir l'unité, a ébranlé à la fois le système économique de la s o c i ~ capitaliste et les cadres de son savoir. Si l'on peut réunir les noms deMarx, Nietzsche et Freud, si l'on saisit mieux ce qui les rapprochede Mallarmé, de Lautréamont', c'est en fonction de ce geste radical, équivalent chez tous qui a fondé dans une écriture un certainordre de la lecture, qui s'est d'abord présenté comme une méthodede lecture dont on pourrait distinguer sommairement troismoments:

10 Position de l'objet à étudier comme élément signifiant d'untexte qui plutôt qu'il n'est à déchiffrer demeure lacunaire. Ce serala marchandise dans le livre l du Capital, le " Bien et le Mal ",

par exemple, dans la première dissertation de la Généalogie, le textemanifeste du rêve dans la Traumdeuttmg. Son chiffre est sa lacune.Cet effet de lacune est justement l'œuvre de l'intérêt idéologiqueen jeu: effet de la classe dominante, effet du " préjugé démocratique", effet du refoulement.

20 Recherche de la syntaxe - du 1;rocessus - qui a donné icet élément signifiant cette forme-cl (mécanisme du caractèrefétiche de la marchandise; la fabrication de l'idéal; le travail durêve: déplacement et condensation).

30 Reconstitution / déchiffrement du texte dans son ensemble.Ce déchiffrement coïncide en fait avec la totalité du texte écrit.Le premier texte, le texte chiffré, n'existant que par la lecture que

l'écriture propose.Cette nouvelle façon de lier écriture et lecture, ce nouveau rap

port du texte au texte vont entraîner une transformation radicale dela conception de la dualité. Ca r il ne s'agira plus d'évoquer u ~ e parole retenue et toujours reculée par rapport au texte qui la ~ · feste et la trahit, mais de faire apparaître par l'écriture ce qui étaitdéjà là, évident mais aveuglé dans la matérialité du texte. Ce que la

marchandise cache, c'est ce qu'elle expose en tant que marchandise:du travail dépensé. Ce que le discours cache, c'est sa propre ques·

4. Voir à ce sujet pour Mallarmé, " Littérature ct totalité .. de Philippe Sollett.Logiqtl4 r, et pour Lautréamont, lej livre fondamental de Marcelin Pleynet daIlJ

la collection" Écrivains de toujours ".

13°

ÉCRITURE, FICTION, IDÉOLOGIE

tiao, la question que Nietzsche pose et dévoile dans les effets dudiscours, le " qu'est-ce qui parle? " relatif de chaque discours où'la sombrer la vérité. Ce que le texte manifeste du rêve dissimule,c'est d'abord le travail de dissimulation qui a pour but de le faireapparaître comme un phénomène superflu, inutile et illisible.Mai s la décision de lire révèle une écriture, une marque déjà portée,un texte déjà proposé, une inscription. Inscription non lisible tantqu'une écriture, par un redoublement de l'inscription, ne la donnepas à lire. Lire apparaîtra donc comme un acte d'écriture et pareillement écrire se révélera être un acte de lecture - écrire et liren'étant que les moments simultanés d'une même production.

L'ESPACE HIÉROGLYPHIQUE.

Le travail qui consiste à isoler un texte pour en proposer une

lecture a été comparé au déchiffrement des hiéroglyphes et l'élément signifiant lui-même à un hiéroglyphe. Le mot se retrouve chezMarx 5, chez Freud 6, chez Mallarmé (" le nom de danse, lequelest si l'on veut hiéroglyphe ") , chez Lautréamont (" Lis, sur monfront, mon nom écrit en signes hiéroglyphiques ") , il sera plus tardau centre de la conception du langage d'Artaud tel qu'il le pensepour l'espace scénique. Mais cette métaphore de l'espace hiéroglyphique, il faut aussi la développer dans le sens des caractères propresqui définissent l'écriture monumentale de l'ancienne Égypte, àsavoir dans la pluralité des fonctions dont elle est affectée.

Comme idéogramme d'abord , et nous pouvons à ce sujet évoquerla relation de l'écriture à un référent qu'il ne faut bien entendu pas

ramener à un signifié, à un sens dernier, mais à la possibilité même?e l'écriture en tant que texte à inscrire et dont toute inscriptionJoue, c'est-à-dire en tant que l'écriture s'établit dans une différence

5· te La valeur ne porte pas Icri! sur le front ce qu'elle est, elle fait bien plutôt dechaque produit du travail un hiéroglyphe. Ce n'est qu'avec le temps que l'homme~ c r C h e à déchiffrer le sens du hiéroglyphe, à pénétrer les secrets de l'œuvre socialed laquelle il contribue, et la transformation des objets utiles en valeurs est un produit

e la société tout aussi bien que le langage. " (C'est nous qui soulignons.)6. " Si l'on réfléchit que les moyens de la ITÙse en scène dans les rêves sont princi

fal cment des images visuelles et no n des mots, il nous paraît plus juste de comparere rêve à un système d'écriture qu'à une langue. En fait l'interprétation des rêves est:e p ~ en part analogue à une écriture figurative de l'antiqu ité comme les hiéroglyphes

gy"ptiens. "

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et un rap por t au réel, en tant (IU'il est nécessaire d'affirmer pouréviter t oute position idéaliste de l'écriture, une dualité écriture / référent 7.

Comme signifiant phonétique ensuite. L'écriture égyp tienne USantde la parenté phonétique existant entre les mots, de leur homophonie,pour inscrire un mo t dans le corps d'un autre. Si l'écriture durêve ne fait pas autre chose, si l' " inconscient " se ser t fréquemmentde tels déplacements, et l'œuvre de Freud en donne mille exemples,on sait aussi que cette fonction a été déce lée par Saussure dans sesanagrammes.

Comme déterminatif enfin, un signifiant s'ajoutant à un autresignifiant à valeur phonétique afin de parer à l'ambiguïté du phonétisme. Ce déterminati f qui reprend la forme de l' idéogramme,semble avoir pour fonction spécifique de souligner le caractèreécrit du signifiant phonétique, c'est-à-dire de le réintroduire dansla dimension de l'écriture à laquelle il appartient pu isque éc ri t,mais qu'on pourrait oublier puisqu 'i l utilise pour être écrit descaractéristiques qui n 'appartiennent pas en propre à l'écriture

mais à la VOL"'(. Des écritu res comme le chinois qui ne font pas directement appel au phonétisme, qui ne cherchent pas :il. transmettrefidèlement la sono rité des mots, uti lisent aussi les déterminatifscomme si de telles écritu res, déjà indépendantes, voulaient marquerle caractère fondamental de l'écriture, de l'écriture écrite: à savoirqu'il n'y a d'écriture que redollblée. C'est ce que nous laissions entendre lorsque nous disions que l'espace de lecture inaugurée parMarx, Nietzsche, Freud, n'existait que par une écriture qui le lit,l'interprète, l'écrit, le redouble. .

L'espace hiéroglyphique, en tant qu 'i l faut voir ia matérialitédu texte, en tant qu'il accentue, insiste sur la corporéité du matéridsignifiant, en tant qu'il reverse le signifiant phonétique dans la dimen

7. On peut etre tenté d 'assirrùler l'idéogramme à une représentation de l'objet,mais on verra que dans la troisième fonc tion, la fo nction déterrrùnative, il sc produitun glissement qui laisse pressentir le rapport de l'écriture au référent, en tant que ce

rapport pourrait se comprendre comme redoublement de l'écriture par elle-même.En fait, ce rappo rt est consta mment esquivé, soit que le référent est réduit au rôle designifié, - et l'écriture est aussitôt déterrrùnée comme expressivité, - soit qu'ildemeure le terme en quelque sorte transparent d'une dialectique dont le langage estle second terme, condamné dès lors à flo tter librement sur cette transparence. Si 1'00fait du référent la réalité, il faut reprendre ks termes de l'opposition sur laqudleinsiste Althusser: objet réel et objet de connaissance, et comprendre que tout ce quenous pourrons dire du référent ou rejoindra les concepts scientifiques et rentretSdans le cadre de l'objet de connaissance, ou relèvera du discours idéologique. On nepeut que signaler pour l'instant les termes de ce rapport, en soulignant en outre ce

que ce rapport peut avoir de douteux.

ÉCRITURE, FICTION , IDÉOLOGIE

sion de l'écriture, modifie le rapport du sens au texte, bouleverseradicalement des données de la représentation et de l'expressivité.Si l'on veut bien considérer l'immédiateté de l'écriture textuelle,on comprend que le " sens " n'est évidemment pas extérieur àelle, elle ne l'exprinle pas. Le " sens" est dans le texte comme lavie dans le corps, dans la cellule 8. Vouloir dégager la vie, l'abstraire de la matière vivante, en faire un " principe " , c'est penser

comme dans toute l'histoire de la métaphysique occidentale " àl'envers". Si le monde est bien" signes", " symptômes " , " hiéroO"lyphes ", c'est qu'il se donne d'abord comme un texte, un textequi n'a ni commencement ni fin et dont le déchiffrement consisteà tirer, à accrocher des signifiants (" de la pensée accrochant lapensée et tirant ", dit Rimbaud), à les redoubler. C'est un tel redoublement que Ducasse dans les Poésies pose explicitement en lesinscrivant à la fois par rapport à l'espace textuel des moralistesclassiques et par rapport aux Chants de lvlaldoror. Le but de ceredoublement est évidemment de faire apparaître le texte commetexte, l'écriture comme écriture et de dénoncer, comme l'a montré

Pleynet, toute lecture expressive tendue vers un signifié. Ce redoublement, l'effet de ce redoublement, la façon dont le texte retourneau texte et propose une nouvelle lecture, une nouvelle écrituredans le mouvement d'un circuit incessant, il faut le comprendreaussi comme l' inscription du texte dans l'histoire (comme l'inscription par exemple du texte de Marx qui a eu dans l'histoire les effetsque l'on sait).

LE MAS QUE.

La fonction de la lecture comme écriture qui transforme le texteet donne à lire un autre texte aura pour conséquence la suppressiond:un espace à trois dimensions: si tout est texte, la profondeurdisparaît, tout devient surface, mais cette surface est elle-même leproduit d'un espace à n dimensions: écriture / lecture d'une écriture / lecture, etc.

8. Et ce rapprochement est au mo ins significatif de la question que pose l'effetde sens d 'un texte comme l'effet de vie de la matière. Il y a une analogie entre les recher'tes des linguistes qui essaient de capter le surgissement du sens à partir des analyses~ langage considéré comme signifiant et celles des biologistes qui tentent de déter

Itliner la fonction de vic i\ partir de l'analyse physico<himique de la matière vivante.

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En fait la relation du texte au texte va bouleverser " la théOriede la connaissance" dans ce qu'on pourrait penser comme la fone.tion du masque. Car pour la pensée théologique, i l y a certes un

masque, une surface opaque posée devant les choses, et c'est ellequ'il faudra lever pour avoir accès à la profondeur qu'elle cache :la surface est signe de la profondeur (et avec ce mo t on aperçoitbien toute la série théologique qui lui est liée: la cause, dieu, le

sujet, l'intériorité, etc.). L'aspect n'est qu'apparence, résidu, cro\Ît;eexterne d'une essence. C'est elle qu'il faut atteindre, au-delà. Telleest la duplicité du masque, l'illusion qu'il sert et qui sera dénoncéepar la volonté de ne s'en tenir qu'à la lecture même des" signes "qui se proposent (et il faudrait faire le recensement de tout le vocabulaire de la surface, de tout le vocabulaire du corps que l'on trouvechez Marx, Nietzsche, Freud - ce corps de la lettre auquel ilssont tous si at tentifs et qui donne à ce vocabulaire son doubleaspect médical et littéraire). Car s'il y a bien un masque, il n'y arien derrière lui; surface qui ne cache rien sinon elle-même, surfacequi, en tant qu 'elle suppose un derrière elle, empêche qu'on la

considère comme surface. Le masque laisse croire àune

profondeur,mais ce qu'il masque, c'est lui-même: i l simule la dissimulationpour dissimuler qu'il n'est que simulation. " Qu'est pour moil'apparence! écrit N ietzsche. Certainement pas le contraire d'unêtre ; .. Que saurais-je dire de quelque être que ce fût, si ce ne sontles attributs de son apparence! Certainement pas un masqueinanimé que l'on peut mettre ou enlever à un X inconnu! L'apparence est pour moi la vie et l'action même, la vie qui se moqueassez de soi pour me faire sentir qu'il n'y a qu'apparence. " Sil'on veut une fois de plus insister sur la parenté entre Marx, Nietzsche et Freud et qui rend indispensable de lire chacun dans la lectuteque l'on fait des autres 9, on reconnaîtra l'importance qu'ils

accordent au déguisement, au travestissement, à la falsification,

9. Contrdrement à ce qui a eu lieu jusqu'à ces dernières années. L'exclusion por*=contre tel ou tcl ne produit en définitive qu'un détournement de la pensée de celaiqu'on veut éclairer ou défendre. Sans doute une meilleure lecture de Marx, une meil-leure compréhension des rapports de production et de !curs effets éviterait-elle à Ilgrande majorité des psychanalystes de prendre la fiction du sujet pour une réalité t:!-la scène pour l'auteur (même si à cet auteur on donne le nom d'inconscient), et faut-illeur rappeler que pour Freud .. la base sur laquelle repose la société humaine est, filMm;", analyse, économique " (nous soulignons); comme sans doute une meillcutCcompréhension de Freud, permettrait d'éviter les déviations humanistes du ~ Ce qui est déjà sûr pour Marx et Freud, l'est encore davantage pour Niettsche dOl!'

les attaques contre l'idéologie si elles ne sont pas soutenues par le discours scienti-fique de Marx et Freud, sont neutralisées par l' idéologie dont elles restent i m p r ~ i d o

ÉCRITURE, FICTION, IDÉOLOGIE

à l'illusion} comme si, en apparaissant autre qu'elle n'est, i l y avaitdans toute surface une sorte de pli, un miroitement d'ombre quilaisse croire à un jeu de la profondeur, alors qu'il n'est que le symptôme d'un repliement de la surface sur elle-même - non pasmys tère, mais énigme dont on sait que contrairement au mystère,suppo rt d'une cause hors de portée, elle demande à être déchiffrée.

On assiste donc à un renversement du modèle imaginaire de laconnaissance. Alors que pour toute la pensée métaphysique lasurface cache la profondeur, la profondeur ne sera plus qu'un effetd'illusion de la surface qui interdit de la considérer pour ellemême. On peut donner de cette mutation qu'apporte dans l'ordrede la connaissance le recours à une surface textuelle comprise commeécritu re / lecture, une figuration géométrique approximative.Pour la pensée métaphysique de l'occident le modèle de la connaissance serait semblable à un cône dont la base, comme surfacelimitée, serait seule visible. Tous les poin ts de cette base sont reliésà un point unique, invisible, le sommet, situé là-bas, à l'infini.L'infini est extérieur à la surface, au-delà d'elle. Chaque point de la

surface limitée est la projection sur cette base du sommet. C'estainsi que Sollers pourra parler de maître-mot - le sommet - etde lexique fini - la base. Connaître, ce sera essayer de parcourirles lignes qui unissent le sommet aux points de la base. Ce parcourspar lui-même est pointillé, c'est-à-dire qu'il n'intervient que commesuppor t de l'intuition. Il n'a pas par lui-même d'importance. Iln'est que l'image de la remontée tâtonnante des trajets qui continuellement descendraient du sommet vers la base (informationdivine), ligne par elle-même négligeable dont le rôle est de servird'intermédiaire, d'instrument d'eÀ-pression à l'appropriation de la" vérité ". Tandis que l'espace textuel de lecture, d'écriture, dedéchiffrement, d'interprétation (mais ce mo t semble définitivement

marqué par l'herméneutique et la limite imposée à l'interprétationpar le symbole) que nous essayons de définir, aurait pour modèleune surface à laquelle il serait impossible d'assigner une limite surface non clôturée -, tout énoncé, tout texte, se comprenantpar les relations qu'il entretient avec les autres énoncés, avec lesautres textes, et apparaissant ainsi comme l'extension de la surface,chargé lui-même de tous les énoncés qui peuvent le recouper 10 .

10 . La disparition de la profondeur dans la surface et l'apparition, l'inscription de~ ~ d ' a c e comme telle sont !cs moments décisifs du mouvement de la pcinture depuis~ e . Pleynet a d'ailleurs montré que la mise en question de la profondeur parsurface changeait radicalement notre rapport à la peinture. Parce qu'elle n' a plus

Pour fon ction de représenter et de reproduire un monde déjà construit par la pensée

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Un tel. espace n 'a évidemment ni :ucc, ni cen tre. C'est un espacede consumation. Chaque énoncé est effacé, brû lé pa r les énonœsqu'il produit, bien qu' il puisse subsister comme inscription (aussibien que comme lieu de culture), suscept ible toujours d'êtreréinvesti dans de nouveaux énoncés. Da ns l'espace ainsi défini,le signifié en tant qu'il soutiendrait un signifiant disparaît, l'effetde signification ne relevant que des rapports qui se créent entre leséléments signifiants distribués sur la même surtace, de leurs combinaisons plus ou moins apparentes et en tou t cas non dénombrables. Tout écrit, tout texte, ne peut plus être pensé commeexpression d'un spectacle, d'un champ de réalité extérieur à lui,mais comme partie et partie agissante de l'ensemble du texte quin'arrête pas de s'écrire. Selon une telle vue, les catégories anciennesde notre savoir, même si nous so mmes bien obligés d'y faire appelà certains moments de no tre effort théor ique, ne possèdent plusune fonction détettninante et contraignante : les dualismes extérieur/ intérieur, corps / pensée, créateur / créature, etc., en tantqu 'ils renverraient à une unité, ne forment plus que les résidus de

notre histoire et n 'exp riment plus que les questions qu'elle nous pose.

L'ÉCRITURE A-CAUSA LE .

Dans cette perspective, le sujet, cause de l'écriture, s'évanouitet l'auteur, l' " éc rivain " , avec lui 11 . L 'écriture ne " représente ..

idéologique, au lieu, pourrait-on dire, de donner à voir, la peinture prise dans un espaced'écriture, dans .. l'articulation fo rme/couleur", " fait alors appel à un mode de percep

tion absolument dépsychologisé qui es t celui d'une lecture " , (in lesLettresfrallfairll).I I . S'il fallait une dernière fois et par dérision le faire intervenb: dans la probléma

tique aristotélicienne du sujet et du prédicat, ou pourrait en donner la formule sui

vante: S ~ ct non PE S. On voit alors que si P le prédicat, défini par la totalïœ

des énoncés, tend bien vers 00 , le sujet lui, tend vers o. En fait Freud ne dit pas auUCchose lorsqu'il remarque que l'inconscient ignore les contradictions (" cc n'est qu'unecontradiction logique, ce qui n'est pas grand-chose ") . Le sujet d'ailleurs en tant quemoi, que substance, est la figure marquante, exemplaire de la propriété. En ce sens.il s'avère que la névrose, manifestation de défe nse contre une dépense qui menacel'intégrité du " sujet ", est profondément solidaire d'un système social fondé sU! lapropriété privée. On sait que pour Freud c'est le passage - inévi table - du processuspri maire de décharge imm':diate, de dépense, au processus secondaire de déchargedilférée et d'investissement quiJconstituCl les conditions nécessaires de la formation

des névroses.

ÉCRITURE, FICTION, IDÉOLOGIE

r as la " création" d'un individu isolé; elle ne peut pas être consiaérée comme sa propriété, mais bien au contraire à travers unoom qui n'est déjà que fragment textuel, elle apparaît comme unedes manifestations particulières de l'écriture générale. Déjà lepseudonyme est le phénomène daté de l'effacement de l'écrivainen tant qu'il est créateur et propriétaire de son" œuvre ". Pleynetl'a bien montré à propos de Lautréamont, ce n'est pas un " auteur"qui signe une " œuvre " , mais tllZ texte qui signe tm nom. Sans doutedans un système économique marqué par la propriété privée, unoom doit bien figurer comme auteur, mais au même titre que celuide l'éditeur. Ce nom e::-..-prime à la fois la marque d'un produit etla responsabilité sociale de ce produit dans un système juridiquedéterminé. Mais il ne peut désigner la " substance" créatrice de ceproduit. Dans la Pensée chinoise, Granet reconnaît que pour lesChinois l'aménagement de l'univers ne suppose pas un " auteur"mais " une sorte de régent responsable, lequel appartient au mondehumain ". C'est ainsi qu'il faut comprendre le rapport du texte aunom qui le signe. Ce nom fait partie du texte en s'en portant responsable, inscrit ce texte sous le mode qui lui est propre et dans des

relations particulières (d'approbation, de défense, d'inconscience,d'opposition ou de subversion) avec le corps social.

On serait de la sorte amené à définir une écriture a-causale caractérisée d'abord par la disparition d'un signifié qui en serait à la foisl'origine (l'auteur comme cause) et le but (la vérité, la loi, l'expressivité). Ayant perdu ses appuis, n'étant plus, comme le dit Derrida,assujet tie, dépendante et seconde par rapport au Logos, l'écriture,au lieu d'être l'instrument de la représentation, devient elle-mêmele lieu d'une action qu'on ne peut nommer représentation si riend'extérieur à elle ne s'y représente - à la fois scène et spectacle,acteur et spectateur, jeu tel qu'il s'exprime dans la dimension" dionysiaque" de" l'existence et de la pensée". Et sans doute doit

on mettre en relation les attaques incessantes, violentes et décisivesportées par Nietzsche contre l'idée de cause, contre tous les proc ~ s s u s de pensée liés à la causalité et la connaissance tout à faitSngulière qu'il montre pour le caractère textuel et fragmentaire del'univers (" l'œuvre d'art quand elle apparaît sans auteur .. L'univers, œuvre d'art qui s'engendre de soi-même ") . Il a pensé au plusprès ce qui fait de cette activité, de cette auto-génération, un jeu,mais un jeu constitué par et constituant ses propres limites, " laplus grande splendeur de la mor t devrait être de nous faire passerdans un autre monde, de nous faire prendre plaisir à tout le devenir,donc aussi à notre propre disparition", d'un jeu donc qui prend en

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charge le tragique - en " rit", et se reproduit dans une perpétuelleaffirmation, dans un geste renouvelé, dans un " oui" sans réplique,qui loin de con tenir sa négation, se redouble au contraire dansl'ironie. Est-ce assez dire, soulignant le risque qu'elle comporteque nous n'entendons pas par écriture a-causale une activité gra:tuite - indépendante du texte général, du contexte - qui ne fe raitque rejoindre la conception de la création artistique imposée par

l'idéologie, mais qu'elle est au contraire, en raison de l'absence delimites qu'elle découvre et reconnaît dans le jeu, dans la mainindéfiniment neuve des surfaces intertextuelles, la fracture et la subversion portées à l'intérieur d'une idéologie théologique réduisantles textes à n'être que les résidus rejetés d'un centre souverain etcondamnés à graviter autour de lui. Car il s'agit d'abord de tirer lesconséquences qui s'imposent de la mort de Dieu (de la mort dusujet), car il s'agit d'obliger l'écriture à un déplacement tel que cequi était attribué à la cause se révèle être le texte qu'elle était déjàet de comprendre ~ u e cette expérience, si difficilement pensable,si difficilement réalisable pour nous, est celle même qui est jOlll,

dans l'écriture. Penser l'écriture en termes de représentation, ceserait croire, si l'écriture est bien ce signe qui s'efface, cette viemourante, que l'on peut assister à sa mort comme à un spectacle.Sans doute, puisque dans la mort il s'agit de la mort des autreS,avons-nous là l'ultime fantasme, le plus profond, celui de mouriren vivant, de vivre notre mor t 12. C'est en ce point du fantasme quese construit le modèle que nous nous faisons de l'écriture en tantque représentation, comme si effectivement nous assistions àl'écriture. Une telle mise en jeu de l'écriture, refoulée par la conception classique, est affirmée par Lautréamont et Rimbaud, parMallarmé, Artaud, Bataille; elle est celle qui dans son procèsd'affirmation, de reprise, d'effacement, se voit chez Ponge dans les

textes duquel on peut à loisir méditer ce qui sépare l'écriture enacte de la représentation.

LA FICTION.

Une semblable expérience de l'écriture en ce qu'elle touche a.U

plus près la disparition de la cause et le redoublement du texte, oD

12 . " Tout vivant en effet qui se représente son corps, déchiré après la mort patdes oiseaux de proie et les bêtes sauvages se prend en pitié; car il ne parvient pas l

ÉCRITURE, FICTION, IDÉOLOGIE

en a.pprochera des conditions les plus favorables dans ce qu'il fautreconnaître comme la pratique de la fiction. Si celle-ci est une expérience, on doit l'entendre d'abord au sens d'expérience physique,à savoir la détermination d'un champ privilégié, formel, dans lequelle signifiant soit amené à fonctionner à l'é tat de saturation maxima.Bn proposant une lecture incessante, inachevée, interminable, lafiction doit engager nécessairement à un effort d'écriture. Et sansdo ute une telle expérience serait assez justifiée par le seul fait qu'ellepermettrait de révéler les mécanismes et les effets du langage, et sil'on veu t ses tentations, comme les intérêts qu'il sert et qui s'yinscrivent, c'est-à-dire que s'y trouveraient annoncées et en mêmetemps dénoncées par la relance et l'accélération du signifiant, parses glissements et sa répétition, les illusions qui relèvent du langage lui-même 13. La fiction a pour domaine le corps de la lettreet la mise à jour de sa grammaire comme constitutif de ce corps.On pourrait voir en elle la généralisation du processus à l'œuvredans le rêve et son interprétation s'il est vrai, comme le laisseentendre Preud, que l'interprétation se donne comme du texte

ajouté à du texte, et cela indéfiniment. " Les rêves les mieux interprétés gardent souvent un point obscur: on remarque là un nœudde pensée que l'on ne peut défaire, mais qui par ailleurs n'a rienapporté de plus au contenu du rêve. C'est" l'ombilic" du rêve,le point où il se rattache à l'inconnu. Les pensées du rêve que l'onrencontre pendant l'interprétation n'ont en général pas d'aboutissement et divergent dans tous les sens du réseau complexe de nospensées. " S'il est vrai aussi que c'est ce travail d'interprétation quifait apparaître en y étant lui-même compris la syntaxe du rêve. Dela fiction, il faudrait dire qu'elle est une écriture qui, n'étant passoumise à la loi de la vérité, communique directement avec le fieude la réserve signifiante, qu'elle est la pratique par laquelle l'écri

ture va montrer sa " signifiance ", et c'est parce que le sujet enest absent comme centre et comme recours que s'y révèlent lesopérations qui décident de toutes les significations. Ecriture naisSante ou comme le dit Sollers" génétique H, c'est-à-dire qui saisitau Cours de son procès le mécanisme de sa production: fiction qui

dissocier de cet objet, le cadavre, et croyant que ce corps étendu, c'est lui-même,U ui prê te encore, debout à ses cÔtés, la sensibilité de la vie (LI/frèce). "

13. C'est la raison pour laquelle la fiction a un rôle subversif par rapport au langageCOnsidéré dans sa fonction expressive, dans la constitution d'un sens qui semble lui

extérieur. Nietzsche n' a cessé de dénoncer ces effets d'illusion qui sont toujoursau .8ervice de l'idéologie: .. Ce n'est pas comme on le devine l'opposition sujet-objet~ u t Ille préoccupe en cet instant: j'abandonne cette distinction aux théoriciens de

COtulaissance qui restent encore accroclll!s dans les filets de la grammaire .• "

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en tant qu 'elle part icipe à la n aissance de .C son " écritu re, p roposela fiction de sa propre naissance. D'où les inévitables malen tendusqu'une écriture ainsi définie suscite, si le lecteur, formé par les habi.tudes de lecture" monologique ", au lieu d'assister à la productionde sa prop re lecture, tente d' y découvrir l'en-soi d'une significationindépendante de la lecture qui le " produit".

On comprend dès lors que cette écriture et cette lecture placent

le scripteur et le lecteur devant la question de la lisibilité, de leurpropre lisibilité pour autant que celle-ci est prise dans le désird'atteindre et de posséder une significat ion ultime et im muable. Ausavoir, indice de la lisibilité, l'écriture propose un " non-savoi r ",la chute et l'évanouissement du savoir dans l'accélération du signifiant. " A la base de tout savoir, il y a, di t Bataille, une servilité,l'acceptation d' un mode de vie où chaque moment n'a de sens qu'envue d'un autre ou d'autres qui le suiv ro nt U " . L 'écri ture consacrela mort d'une pensée liée au sens, à la téléologie et , semblable auxcartes constamment redistribuées, aux recoupements et aux superpositions des surfaces textuelles, ou vre dans la dimension du jeusur cette science po ur nou s seulement encore ébauchée que no tre

corps ne cesse pourtan t de désigner 15, mais d'abord sur cettematière, su r cette chair signifiante dont il p ropose et réclame avecinsistance la lecture. L' illisibilité serait donc la qualité particulièred'un texte en regard de l'idéologie quant à lui aveugle. Illisibilité àdifférencier du non-lisible participant en raison de sa pla titude à la

lisibilité courante et de la sorte renvoyée au fond anonyme de " l'universel reportage ". L' illisibilité devient alors le point fort de la

lecture, l'obstacle que celle-ci do it vaincre, la surface résistante surlaquelle vient bu ter et se ma nifester la force inerte de l' idéologie, cequ'une société éparse en chaqu e individu ne do it pas lire, ne peut paslire. C'est ici qu ' il faut comprendre que l' illisible ne peut pas appatai

tr e dans la discursivité qui implique nécessairement un code compréhensif, accessible à chacun, mais se situe obligatoirement dans le

texte de la fiction, c'est-à-dire précisément dans un texte qui faitjouer immédiatement tout ce sur qu oi porte i n o n s c i e m m e ~ t " l'écriture générale ", pa r exemple les articulations des propoSltions, les glissements et les répé titions des mots, tou s ces écartSde langage qui on t été isolés et théo riquement produits par Freudcomme effet de l'inconscient. Ce texte est d'autant plus irr ecevablepar la société, pa r chaque lecteur en lequel vi t inconsciemment les

14· Cf. " Conférenccs sur le non-savoi r " , Tel Quel 10 .

15 · Sur la re.l2. tion corps jsignifiant, vo ir le livre de S. Leclaire, PfYchll/l4/yter, Éd·du Seuil.

ÉCRITURE, FICTION, IDÉOLOGIE

codes de langage qui assurent la domination idéologique d'uneclasse, qu'il désigne l'interdit et montre les limites sans lesquelles lecode ne pourrait pas fonctionner. Aussi est-ce en droit que l'écrit;U1"e de la fiction, sl elle doit s'apparenter à un genre littéraire, relèvedu roman et non de la po és1e . E lle est liée au langage" usuel" parun rapport nécessaire. Si celui-ci se définit comme loi, cette loi,ses règles et ses limites sont intérieures à elle. Autrement di t lafi

ction n'est pas transgression du langage " usuel " , mais elle lecontient. Julia Kristeva a formalisé les termes de ce rapport. " Ce

n'est que dans le langage poétique 16 que se réalise pratiquement la" totalité" ( .. ) dont l'homme dispose. Dans cette perspective, lapratique littéraire se révèle comme exploration et découverte despo ss ibilités du langage; comme activ ité qui affranchit l'homme decertains réseaux linguistiques .. " Parce qu'elle est susceptible d'enêtre la victime, réduite à n'en représenter que le modèle à imitersous la forme des " Belles Lettres " que défendent académies etuniversités, la fiction se trouve nécessairement amenée à dénoncer lecaractère d'instrumentalité du langage usuel et à faire apparaîtreen relief l'idéologie que ce langage a pour mission de masquer. " Si

le romancier ne devient pas l'amant de sa mère dès que celle-cil'a mis au monde, qu'il n'écrive jamais ", dit Sade avec une intui·tion étonnante de ce rapport entre le roman, le geste de l'écriture,et la violence qu'il fait subir à la langue considérée comme corpsmatern el 17 . C'est donc seulement pa r le déplacement, le retournement avoué d'une soi-disant expression à une inscription quel'écriture romanesque se montre transgressive . En montrant commp.un de ses effets une parole qui se voudrait innocente, elle révèlele jeu du désir qui était en elle, la ruse, les détours et le refoulementdu désir dans le système de la loi. Contrairement à une écriture" poét ique" qui, marquée pa r l'idéalisme moral et métaphysique,se présente comme innocente, l 'écriture" romanesque" se veutcoupable, c'est-à-dire inscrite dans la réalité, dans le langage de la

16. " Langage poétique" à différencier naturellement de la " poésie" telle qu'onl'entend dans son acception ordinaire et qu i est tou t entière prise dans l'idéologiedu sens , d e l'inspiration, de la révélation. Il faut lire ou relire le texte de Julia Kristevaoc Pour une sémiologie des paragrammes .. paru dans Te! Quel 29, qui est le seul, ànotre connaissance, à rendre compte d'une faç on satisfaisante du fonctionnementpermuta tionncl de l'écriture contemporaine.

17. "Lorsque l'écriture, qui consiste à faire couler d'une plume un liquide sur unefeuille de papier blanc, a pris la signification symbolique du coït ou lorsque la marcheest devenue le substitut de piétinemen t sur le corps de la terre mère, écriture et marche~ o n t tou tes deux abandonnées parce qu'elles reviendraient ~ extcuter l'acte sexuelInterdit. " Freud.

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réalité. Elle ne veut pas être à l'extérieur de la loi, mais Contrela loi, hors la loi, en tant gue celle-ci, au service d'une classedont le système réclame la clôture du sens, a pour but d'orga_niser la répression contre une action portant en elle sa suppression.

LA GRILLE.

Pour briser la clôture du sens et de la représentation, pour sefaire texte, la fiction doit être produite à l'intérieur d'un espaceformel qui ait pour fonction de détruire, au fur et à mesure qu'ilapparaît, le sens où chacun voudrait se ressaisir. Espace formel quipourrait par exemple être figuré par une grille construite de tellesorte que soient rendues manifestes les variations des énoncés,jouant aussi bien de la pluralité des personnes grammaticales, des

pronoms ou des temps du verbe -l 'essentiel étant seulement quela grille soit conçue comme une machine susceptible de fabriqueret d'attirer certaines formes d 'énoncés, autrement dit que le scripteur et le lecteur soient obligés de reconnaître dans ces énoncéstelle ou telle détermination de la langue, le texte apparaissant toujours comme la matière signifiante venant remplir un cadre défini,comme le tissu comblant les espaces fragmentaires délimités parla grille. On substitue alors à la notion de temps, solidaire de lalinéarité de l'écriture, celle d'espace. La grille forme un découpagearbitraire de l'espace, elle constitue une partie détachée de l'espa ceauquel on ne peut assigner ni origine, ni sens. Aussi le texte quivient occuper cette grille est-il libéré d'une soumission au commen

cement et à la fin. " L'objet-livre" dans lequel le texte est proposécontredit de la sorte la conception téléologique de la composition(qui relève de l'idéologie téléologique de la création), infirme l'idéede livre en tant que sa structure linéaire implique nécessairementla notion d'un sens constitué que le langage aurait pour missiond'exprimer et de conquérir. La grille comme champ limité de 1'espace non limité, en faisant agir les structures grammaticales de la

langue permet le fonctionnement d'un texte qui est supposé pa tcette double contrainte d'un espace et d'une structure et, parcequ'il trouve à s'y inclure, manifeste son caractère de non-clôture.L 'arbitraire du choix est garant et confirme l'infinité potentielle(Kristeva) du texte dont ce texte-là n'est qu'un fragment. Le texte,

1 4 ~

ÉCRITURE, FICTION, IDÉOLOGIE

pris comme partie d'un ensemble non fini, sera pensé à partir du

rapport analogique:

fragment grille textegrille = espace = autre texte

OÙ l'on voit que chaque fragment est, par rapport à l'ensemble des

fragments que comporte la grille, dans la même relation que cetensemble fini à l'ensemble textuel infini. C'est la mobilité des surfaces textuelles fragmentaires, le fait que chacune est en relationpar glissement, recoupement, répétition, permutation, avec toutesles autres, qui rend une lecture linéaire à proprement parler impossible, mais c'est aussi cette même mobilité, c'est-à-dire l' impossibilité de les orienter selon un centre défini, unique, qui donne à liredans ce texte sa relation aux autres textes ou comme dirait JuliaKristeva, sa dimension paragrammatique. Dans le rapport desfragments les uns au.'C autres se trouve impliqué le rapport" intertextuel ". Rapport analogique où espace et texte coïncident, lagrille faisant fonction de partie, d'espace clôturé, mais mettant en

jeu, par le recoupement des fragments, la non-clôture du textegénéral.

L' APRÈS-COUP.

Dans la mesure où l'on ne peut assigner un véritable commencement au texte, tout énoncé devient un coup de force, l'expressiond'un arbitraire, un acte auquel est contesté toute signification et parconséquent illisible. Il ne peut y avoir de lecture première. Mais

comme le rêve qui dans son déroulement signifiant n'est pas unelecture mais se constitue pour une lecture possible, chaque énoncéen se proposant comme texte ne peut éviter d'être la relecture de cequi n'a pas pu être lu. Au coup, au jeu arbitraire, va succéder nécessairement un après-coup. C'est en se redoublant dans l'inscriptionque les énoncés non-lus, non-lisibles, rendent possible la lecture.Manifestation d'un écart, d'un espace, d'un blanc entre une prem ~ r e trace et sa répétition - celle-ci devenant à son tour le prenuer terme effacé d'un nouvel écart. L'écriture textuelle seraengagée de la sorte dans une démarche progressive 1régressive\Ters ce qu'on pourrait appeler le point asymptotique de sa propre

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lisibilité. Démarche qui prend l'allure d'une contestation Ïnces .sante de la signification puisque les énoncés Sont constammentneu tralisés par les permutations auxquelles ils sont soumis 18.

LE S PERSONNES .

Pour l'écriture, il n 'y a pas plus de personne qui parle que de

personne à qui l'on parle, il n 'y a pas no n plus de troisième personnequi signalerait celui qui est absent. Ainsi les oppositions qui serventà caractériser les fonctions des trois personnes dans l'acte du dis-

cours parlé tombent d'elles-mêmes. Toutes les personnes employéesdans l'écriture relèvent de la définition de la trois ième personne quedonne Benveniste: " La" 3epersonne" n'est pas une" personne ",c'est même une forme verbale qui a pour fonction d'exprimer la

non-personne. " l i en résulte une conséquence très importante.Benveniste remarque qu ' •• une caractéristique des personnes " je "et " tu " est leur unité spécifique: le " je " qui énonce, le " tu "

auquel" je " s'adresse, sont chaque fois uniques. Mais" il " peutêtre une infinité de sujets ". Dans l'écriture, le " je " et le " tu "peuvent donc être également une infinité de sujets, c'est-à-dire les" je ", les" tu " , les " il " de tous les énoncés possibles. Retournantla formule de Rimbaud, on pourrait dire que l'autre (le texte) est un" je ", un " tu ", un .< il ". Du langage parlé à l'écriture il y auraitdonc une mutation radicale, l'un comportant nécessairement lapersonne qui parle, la personne à qui l'on s'adresse et le " il " de lanon-personne, tandis que l'écriture ne ferait référence en usant despersonnes qu 'aux autres te..'{tes, écrits selon telle ou telle formepersonnelle et accompagnés de tel ou tel effet. Ce qui serait en jeuavec l'emploi nécessai re mais plus ou moins systématique des personnes dans la fiction ce ne serait plus que les jonms possibles q ll lpetIfJent p rendre les én011cés. C'est donc l'emploi de ces différentes

18. Cette démarche est peut-être à rapprocher de la dém arche analytique si l'analyse est bien le re tour ou plutôt la progression vers ce qui a été di t tout au début dela cure, mais n' a pas été entendu par le patient; s i d autre part dans le procès de l' interprétation on assiste bien à la pc rmutation des teones du discours. En fait l'interpré tatio n est sans cesse remise en question pa r les déplacements signifiants et parl'impossibilité de tenir l'extrémité de la chalne puisque chaque chaînon no n seulement accroche:

mais est remplacé par un autre chaînon. On a un exemple frappant de cetteSUbstitu tion /tran sformation où aucun terme n' es t en définitive pr ivilégit!, dans les raiesjaunes de /'Homm, aux 101i1u.

ÉCRITURE, FI CTION, IDÉOLOGm

fonnes personnelles dans un système défini qui permettrait d'unepart l'effacement de la référence à un sujet-réalité c'est-à-dire neutralisant par la confrontation des fragments écrits à telle ou tellepetsonne le recours à un personnage réel - et d'autre part laprésence implicite dans un texte de l'autre texte - nous entendonspar là la superposition et le recoupement de toutes les surfacestextuelles. Cet autre texte dont la présence est virtuelle ou plus oumoins signalée par les citations est le foyer nécessaire à l'existence

de ce texte-ci qui le redouble.

LES TH ÈMES.

On sait que pour Freud les différentes formes que peut prendrela paranoïa relèvent des façons diverses de contredire une proposition unique : " Moi, je l'aime. " En fait ces façons diverses affectent l'énoncé se lon qu'elles se portent sur les personnes, sur la vo ixactive ou passive du verbe, sur la forme active ou négative de laproposition. Le délire (le texte) du paranoïaque, les thèmes qui enrésultent, dépendent donc de la manière don t s'établit la forme grammaticale de l'énoncé. On peut imaginer que dans un système d'écriture qui joue à la fois de la permutation des personnes et du recoupement des fragments, les thèmes se trouveront immédiatementimpliqués par la forme grammaticale. Mais contrairement à ce quise passe pour le discours du psychotique don t la logique tient auprivilège d'une forme grammaticale sur toutes les autres et quicherche sans y parvenir (car il manque toujours le signifié ultimequi le bouclerait) à aller jusqu 'à l'épuisement d'lill même thème,ceux-ci, solidaires de la variation et de la permutation, montre

raient leur ambivalence, leur caractère en quelque sorte accidentel.~ i Freud laisse entendre que les perversions voyeurisme / exhibitionnisme, sadisme / masochisme sont des formes opposées d'unemême pulsion, peut-être sommes-nous autor isés à voir en elles lesfaçons diverses de transfonner un même énoncé. L'unité du sadismeet du masochisme relèverait de la prééminence du texte et de lafonc tion grammaticale sur tout ce qui pourrait faire appel à unec, nature ", à une détermination mystérieuse du sujet 19. Il n 'y a

19. Preud paya cette découverte des doutes qu'il cu t su r le bien-fondé de sa méthode thérapeutique et sur la formalisation théorique qu'il en faisait quand il remarquaque la Frequence de la séduction de l 'enfant pa r les adultes dans le discours de ses

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pas de nature sadique ou masochique, i l n'y a que les effets parti.culiers d'un même énoncé dont les termes peuvent s'échanger.C'est dans la suite, dans l'organisation textuelle ultérieure} que separticulariseraient, selon la forme donnée à l'énoncé, les effetspropres au sadisme et au masochisme.

LA PERVERSION GÉNÉRALISÉE.

C'est dire que chacun, s'il accepte de se vivre comme texte, àsavoir s'il ne se saisit que comme l'effet de la forme grammaticale,de la syntaxe des énoncés, verra se transformer en une perversiongénéralisée - l ' éc riture - ce qui n'était qu'énoncé partiel et répétitif de la perversion clinique 20. Le terme de perversion généralisée,se référant au te.'\:te sadien 2\ a pour bu t de souligner que le caractère fondamental de l'écriture, en relation avec la suppression virtuelle des limites dues à l'avènement de la fonction signifiante et à la

disparition de l'espace représentatif, est la possibilité essentielleà elle de " tout dire " , à savoir d'envisager et de dévoiler toutes lespostures et les figures implicites à la langue. C'est en regard decette possibilité, de cet te extension inhérente à l'écriture que tout

patients était invraisemblable. En fait, il s'agissait de la transformation de l'énoncé.. je séduis le père" par " le père me séduit ", dont les autres variations allaient conduire à la découverte de l' Œdipe. Voir à ce sujet toutes les inversions du sujet grammatical qui sc produisent dans le texte du rêve.

20 . Nous touchons là à ee qui semble faire problème pour les analystes qui sententbien que le champ névrotique -l e re foulement, le retrait du signifiant, le choix d'unsignifié - s'oppose à la perversion corrune inscription, mais inscription répétitiv:cdu fait que l'énoncé est partiel, et qui sont obligés d'admettre une parenté entre acn .

viré" artistique" ct perversion. Comment se fait-il, demande l'un d'eux, que cc soient·les pervers qui parlent le mieux de l'amour . On pourrait répondre que le pervers apartiellement accès au texte, que la mise en seèn e de la perversion est déjà mise enscène de l'écriture. Au moment où le pervers aurait la possibilité de se vivre totalement comme texte, il serait immédiatement reversé dans un champ différent _ quenous nommons perversion généralisée, éeriture, qui échappe évidemment aux fonnescliniques répétitives de la perversion. On peut penser, que les difficultés d'interprétation des analystes tiennent au fait qu'ils interposent entre névrose et perversion lelieu de la normali té - qui est en quelque sorte un lieu blanc, excluant, rendant impossible la compréhension de l'individu-pris-dans-Ie_texte, du sujet-de-l'écriture, entant qu'il est situé du côté de la perversion, mais en fait sauter les formes partielles.Ce lieu blanc de la normalité c'est, faut-il le dire une fois de plus, la tache aveuglede la vision idéologique.

21 . Cf Sollers, .. Sade dans le texte", LogiQllu .

ÉCRITURE, FICTION, IDÉOLOGIE

disCOurs fo ndé sur l'expressivité - le discours commun - apparaîtra déterminé et limité par l'ordre de la représentation et de lasorte r elevant de la névrose collective, mais aussi susceptible de selaisser pervertir, d'être toujours pour elle l'objet d'une perversioncomme les Poésies de Ducasse le montrent d'une façon exemplaire.VI résistance à l'écriture signe la résistance de la névrose.

Sans commencement ni fin, sans histoire, sans personnage,décevant toute lecture à la recherche d'un sens fini, la fiction devraitsuspendre le réseau compact des informations qui on t toujourspour but de voiler le lieu où prennent naissance les informations.Ce lieu, qui est lieu d'échanges et de permutations, qui est économique à tous ses niveaux, a toujours été dérobé et sans doute nepeut que le rester, du moins partiellement. Que l'on comprennebien cependant que c'est la même opération de censure qui faitque l'on peut admettre les énoncés sans se poser la question deleur énonciation et consommer des produits sans se poser la question de leur production. Ce serait, du moins, le mérite de l'écriture

envisagée dans la perspective de sa production de donner accèsaux mécanismes de production du texte (de" l'histoire ") . Cetteécriture, lo in de ]?rotéger le lecteur du souci de s'écrire, le replaceraitd'emblée en pOSItion d'exercer pour son propre compte lecture etécriture, l'amenant ainsi à se saisir non comme possesseur, noncomme propriétaire mais comme effet de texte. Au lieu d'offrir un~ o è l e à adopter ainsi que le sont les récits et les romans quiunposent un système de représentations dans lesquelles le lecteurvient s'identifier illusoirement, l'écriture ainsi pratiquée ne ferait queproposer un champ à l'énonciation, dans la réalisation partielled'un texte opérant d'une façon avouée sur les potentialités du texte.

Jean-Louis Baudry.

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