Auguste Maquet - La Belle Gabrielle, Vol. 2

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  • La belle Gabrielle, vol. 2Auguste Maquet

  • Table of ContentsLa belle Gabrielle, vol. 2.....................................................................................................................................1

    Auguste Maquet.......................................................................................................................................1I. L'ABJURATION..................................................................................................................................2II. O LE ROI VENGE HENRI..............................................................................................................8III. COUPS DE THATRE...................................................................................................................16IV. CHIEN ET LOUP............................................................................................................................29V. LES BILLETS D'ABSOLUTION....................................................................................................37V. LES BILLETS D'ABSOLUTION....................................................................................................45VI. LA PATROUILLE BOURGEOISE................................................................................................54VII. LA PORTE NEUVE......................................................................................................................62VIII. L'CHANCE..............................................................................................................................71IX. A PROPOS D'UNE GRATIGNURE............................................................................................79X. COMMENT ESPRANCE EUT PIGNON SUR RUE....................................................................88XI. JOIE ET FESTINS..........................................................................................................................98XII. LE RENDEZVOUS...................................................................................................................107XIII. COEURS TENDRES, COEURS PERCS................................................................................117XIV. BATAILLE GAGNE...............................................................................................................123XV. BATAILLE PERDUE..................................................................................................................130XVI. L'HRITIER DES VALOIS.......................................................................................................136XVII. AMBASSADES........................................................................................................................143XVIII. AU LOUVRE, LE 27 DCEMBRE 1594...............................................................................152XIX. PARADE ET RIPOSTE.............................................................................................................159XX. O CRILLON FUT INCRDULE COMME THOMAS...........................................................165XXI. O LE ROI S'ENDORT, O GABRIELLE SE SOUVIENT...................................................171XXII. LE PRISONNIER DU ROI.......................................................................................................178XXIII. UN DES MILLE COUPLETS DE LA CHANSON DU COEUR...........................................185XXIV. DROIT DE CHASSE...............................................................................................................194XXV. INTRIGUES DE BAL ET AUTRES........................................................................................200XXVI. FAIS CE QUE DOIS, ADVIENNE QUE POURRA..............................................................208XXVII. ULYSSE ET DIOMDE........................................................................................................217

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  • La belle Gabrielle, vol. 2Auguste Maquet

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    I. L'ABJURATION II. O LE ROI VENGE HENRI III. COUPS DE THATRE IV. CHIEN ET LOUP V. LES BILLETS D'ABSOLUTION V. LES BILLETS D'ABSOLUTION VI. LA PATROUILLE BOURGEOISE VII. LA PORTE NEUVE VIII. L'CHANCE IX. A PROPOS D'UNE GRATIGNURE X. COMMENT ESPRANCE EUT PIGNON SUR RUE XI. JOIE ET FESTINS XII. LE RENDEZVOUS XIII. COEURS TENDRES, COEURS PERCS XIV. BATAILLE GAGNE XV. BATAILLE PERDUE XVI. L'HRITIER DES VALOIS. XVII. AMBASSADES XVIII. AU LOUVRE, LE 27 DCEMBRE 1594 XIX. PARADE ET RIPOSTE XX. O CRILLON FUT INCRDULE COMME THOMAS XXI. O LE ROI S'ENDORT, O GABRIELLE SE SOUVIENT XXII. LE PRISONNIER DU ROI XXIII. UN DES MILLE COUPLETS DE LA CHANSON DU COEUR XXIV. DROIT DE CHASSE XXV. INTRIGUES DE BAL ET AUTRES XXVI. FAIS CE QUE DOIS, ADVIENNE QUE POURRA XXVII. ULYSSE ET DIOMDE

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    LA BELLE GABRIELLE

    PAR

    AUGUSTE MAQUET

    II

    La belle Gabrielle, vol. 2 1

  • 1891

    I. L'ABJURATION

    Le dimanche 25 juillet 1593 fut un grand jour pour la France.

    Ds l'aube, on entendait au loin dans la campagne les voles mugissantes des cloches de SaintDenis quivibraient en passant sur chaque clocher de village, et allaient, jointes au bruit du canon, solliciter Paris et sesfaubourgs dfiants et silencieux.

    Des courriers cheval se croisant sur toutes les routes, traversant les hameaux et semant des billets aux portesmme de Paris, avertissaient le peuple de la conversion du roi et invitaient chacun, de la part de Sa Majest, venir assister dans SaintDenis cette crmonie, sans passeports ni formalits aucunes, garantissant touslibert et scurit.

    Aussi fallaitil voir l'empressement, la surprise, la joie de ceux qui avaient trouv des billets ou entendu lerapport des courriers royaux.

    A Paris, un ordre de Mme de Montpensier avait fait fermer les portes et dfendre tout Parisien, quelqu'il ft,de sortir et d'aller SaintDenis, sous les peines les plus rigoureuses. Cependant bon nombre de cesaudacieux volontaires, qui ne risquent rien et ne craignent rien, pas mme la potence, lorsqu'il s'agit d'uncurieux spectacle, s'taient dtermins franchir les murs par les brches, en sorte qu'on voyait courir dans lacampagne, de tous les points de l'immense ville, des bandes d'hommes et de femmes qui, une fois dehors,riaient, chantaient, sautaient de joie et narguaient par leur nombre les soldats espagnols et les bourgeoisligueurs qui les regardaient avec rage du haut des murs.

    Si l'ardeur d'assister la crmonie tenait ainsi les gens de Paris SaintDenis, elle n'tait pas moindre dans lerayon de pays libre qui s'tendait de SaintGermain et Pontoise l'abbaye de Dagobert. Partout, invits par leroi et le soleil du plus beau mois de l'anne, les hommes et les femmes, en habits de fte, tranant les enfantssur des nes ou dans des chariots, dsertaient les bourgs, les villages et par tous les sentiers de leurscampagnes s'avanaient au milieu des bls murs, comme des fleurs mouvantes qui diapraient de blanc, de vert,de rouge et de bleu ces immenses tapis d'un jaune d'or.

    Au chteau d'Ormesson, chez les Entragues, ds six heures du matin, les chevaux attendaient, sells etharnachs dans la grande cour; ils semblaient regarder avec ddain un cheval suant et poudreux qui venaitd'arriver et soufflait encore. Pages et valets, richement vtus donnaient les derniers soins leur minutieusetoilette. On n'attendait plus pour partir que la chtelaine encore enferme, dans son cabinet, avec trois femmesacharnes contre les quarantecinq ans de la matresse.

    M. d'Entragues, radieux comme un soleil, descend de chez lui le premier pour donner le coup d'oeil du matreaux quipages. Il fut satisfait; sa maison devait fournir de lui bonne ide SaintDenis. Alors il se tourna versle pavillon des marronniers, pour savoir s'il y avait lieu d'tre aussi satisfait de sa fille.

    Chemin faisant, sous les arbres, dix pas du pavillon d'Henriette, il se trouva face face avec la Rame enhabit de chasseurvoyageur, comme toujours. Le jeune homme, plus ple et plus farouche que d'ordinaire,salua M. d'Entragues sans le regarder.

    Eh! bonjour la Rame, dit le pre d'Henriette. Vous voil si matin Ormesson! Vous tes donc convertiaussi, vous, ligueur enrag, puisque vous venez voir la conversion du roi?

    La Rame pina ses lvres minces.

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    I. L'ABJURATION 2

  • Je ne suis pas converti le moins du monde, rponditil, et je ne dsire point assister cette conversion dontvous me faites l'honneur de me parler. Mme d'Entragues m'a charg de lui porter des nouvelles de mon pre,et je lui en apporte. J'ignorais absolument que vous allassiez voir la crmonie du rengat SaintDenis.

    coutez, la Rame, dit M. d'Entragues avec colre, vous tes de nos amis cause de votre pre que mafemme et moi nous aimons, mais je vous prviens que vos expressions sentent le paen et le ligueur d'unefaon insupportable.

    J'ai cru, dit la Rame, verdissant de dpit, que M. d'Entragues tait ligueur aussi il y a quinze jours.

    Si je l'tais il y a quinze jours, cela ne vous regarde pas. Toujours estil que je ne le suis plus aujourd'hui.J'aime mon pays, moi, et je sers mon Dieu. L'opposition que j'ai pu faire un prince hrtique, je n'ai plus ledroit d'en accabler un roi catholique. Maintenant, libre vous de vous liguer et religuer, mais ne m'en rompezpoint les oreilles, et ne compromettez pas ma maison par vos blasphmes.

    La Rame s'inclina tremblant de rage; ses yeux eussent poignard M. d'Entragues, si le mpris assassinait.

    Celuici continuait marcher vers l'escalier d'Henriette.

    Puisque vous cherchez Mme d'Entragues, ditil la Rame, ce n'est point ici que vous la trouverez.

    Je l'ai crue chez Mlle Henriette, murmura la Rame, pardon.

    Et il se retournait pour partir lorsque parut Henriette en haut de l'escalier.

    Bonjour, mon pre, ditelle en descendant avec prcaution pour ne pas s'embarrasser dans les plis de salongue robe de cheval que soutenait un page et une femme de chambre.

    Au son de cette voix, la Rame resta clou sur le sol, et tous les Entragues du monde, avec leurs injures et leurprofession de foi, n'eussent pas russi le faire reculer d'une semelle.

    Henriette tait resplendissante de toilette et de beaut. Sa robe de satin gris perle, brode d'or, un petit toquetde velours rouge, duquel jaillissait une fine aigrette blanche, et le pied cambr dans sa bottine de satin rouge,et le bas de sa jambe ferme et ronde qui se trahissait chaque pas dans l'escalier, firent pousser un petit cri desatisfaction au pre et un rugissement sourd d'admiration idoltre la Rame.

    Tu es belle, trsbelle, Henriette, dit M. d'Entragues; la bonne heure, ce corsage est galant, penche un peula coiffure, cela donne aux yeux plus de vivacit. Je te trouve ple.

    Henriette venait d'apercevoir la Rame. Toute gaiet disparut de sa physionomie. Elle adressa un long regardet un grave salut au jeune homme, dont l'obsession avide mendiait ce salut et ce regard.

    Ta mre doit tre prte, allons la chercher, dit M. d'Entragues qui, tout en marchant, surveillait le jeu desplis et chaque dtail de la toilette, ce point qu'il redressa sur l'paule de sa fille les torsades d'une aiguillettequi s'tait embrouille dans une aiguillette voisine.

    Quant la Rame, il tait oubli. Henriette marchait, inonde de soleil, enivre d'orgueil, respirant avec l'airembaum des lis et des jasmins les murmures d'admiration qui clataient sur son passage dans les rangspresss des villageois et des serviteurs accourus pour jouir du spectacle.

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  • M. d'Entragues quitta un moment sa fille pour aller s'informer de la mre. La Rame profita de ce momentpour s'approcher d'Henriette et lui dire:

    Vous ne m'attendiez pas aujourd'hui, je crois?

    Elle rougit. Le dpit et l'impatience plissrent son front.

    Pourquoi vous eussje attendu? ditelle.

    Peuttre etil t charitable de m'avertir. Je me fusse prpar, j'eusse tch de ne pas dparer votrecavalcade.

    Je n'ai pu croire qu'un ligueur convaincu comme vous l'tes, se ft dcid venir SaintDenis aujourd'hui.

    Vous savez bien, dit la Rame avec affectation, que pour vous, Henriette, je me dcide toujours tout.

    Ces mots furent souligns avec tant de volont, qu'ils redoublrent la pleur d'Henriette.

    Silence, ditelle, voici mon pre et ma mre.

    La Rame recula lentement d'un pas.

    On vit descendre alors, majestueuse comme une reine, blouissante comme un reliquaire, la noble damed'Entragues, dont le costume flottait entre les souvenirs de son cher printemps et les exigences de sonautomne. Elle n'avait pu sacrifier tout fait le vertugadin de 1573 aux jupes moins incommodes, mais moinssolennelles de 1593, et malgr cette hsitation entre le jeune et le vieux, elle tait encore assez belle pour quesa fille, en la voyant, oublit la Rame, tout le monde, et redevint une femme occupe de trouver le ct faibled'une toilette de femme. M. d'Entragues enchant put se croire un instant roi de France par la grce de cettedivinit.

    La dame chtelaine fut moins ddaigneuse qu'Henriette pour la Rame. Du plus loin qu'elle l'aperut, elle luisourit et l'appela.

    Qu'on amne les chevaux! ditelle, tandis que je vais entretenir M. de la Rame.

    Tout le monde s'empressa d'obir, M. d'Entragues le premier, qui dirigea luimme les cuyers et les pages.

    Marie Touchet resta seule avec la Rame.

    Votre pre, ditelle, sa sant?

    Le mdecin m'a prvenu, madame, qu'il ne passerait pas le mois.

    Oh! pauvre gentilhomme, dit Marie Touchet; mais si vous perdez votre pre, il vous restera des amis.

    La Rame s'inclina lgrement en regardant Henriette qui s'apprtait monter cheval.

    Quoi de nouveau sur le bless? dit vivement Marie Touchet en lui frappant sur l'paule de sa main gante.

    Rien, madame. J'ai eu beau, depuis ce jour, chercher, m'enqurir assidment, je n'ai rien trouv. Les tracesde sang avaient t, comme vous savez, interrompues par la rivire, et je me suis aperu qu' force de

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    I. L'ABJURATION 4

  • questionner sur un bless, sur un garde du roi, je devenais suspect. On me l'a fait sentir en deux ou troisendroits. Une fois, j'avais rencontr un meunier qui paraissait avoir en connaissance de l'vnement. Il avait,dans un cabaret de Marly, parl d'un jeune homme bless, de M. de Crillon, d'un cheval boiteux; mais lorsquej'ai voulu faire parler cet homme, il m'a regard si trangement et s'est tenu avec tant de dfiance sur larserve, il a mme rompu l'entretien si brusquement, que je l'ai souponn d'aller chercher mainforte pourm'arrter. J'ai craint de vous compromettre en me compromettant moimme, et j'ai retourn au galop chezmoi.

    Vous m'avez rendue bien inquite!

    Vous comprenez ma situation, madame: impossible d'crire, impossible de quitter mon pre, impossible devenir ici, o l'on ne m'appelait pas... car on ne m'appelait pas, et j'avoue que j'tais surpris.

    Marie Touchet embarrasse:

    On tait bien occup ici, ditelle. Et puis, il nous faut prendre grand soin de n'veiller aucun soupon:l'affaire a transpir, malgr toutes mes prcautions.

    Oh! cela ne devait pas empcher Mlle Henriette d'tre un peu plus affable envers moi, ajouta la Rame avecune sombre douleur.

    Pardonnezlui, 'a t un grand choc pour l'esprit d'une jeune fille.

    Non, je ne lui pardonne pas, rpliquatil d'un ton presque menaant. Certains vnements lient jamaisl'un l'autre ceux qui s'en sont rendus complices.

    Marie Touchet frissonna de peur.

    Prenez garde, ditelle, voici qu'on vient nous.

    M. d'Entragues s'approchait en effet, un peu surpris de voir ainsi se prolonger l'entretien de la Rame avec safemme.

    Quant Henriette, dans sa fbrile impatience, elle torturait sa monture pour l'obliger faire face aux deuxinterlocuteurs, dont elle surveillait ardemment la conversation.

    Je demandais M. la Rame, se hta de dire Marie Touchet, pourquoi il ne nous accompagne point SaintDenis.

    Bah! monsieur veut faire le ligueur! s'cria M. d'Entragues. D'ailleurs, il est en habits de voyage, et lorsqu'ils'agit d'assister une crmonie, l'usage veut qu'on prenne des habits de crmonie.

    La Rame s'approcha du cheval d'Henriette, comme pour rattacher la boucle d'un trier.

    Vous voyez qu'on me chasse, ditil tout bas; mais moi je veux rester!

    Et il s'loigna sans affectation, aprs avoir rendu son service.

    Henriette hsita un moment, elle avait rougi de fureur l'nonc si clair de cette volont insultante. Mais unregard de la mre qui avait tout compris, la fora de rompre le silence.

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  • Monsieur la Rame, ditelle avec effort, peut trsbien nous escorter jusqu' SaintDenis sans pour cela yentrer ni assister a la crmonie.

    Assurment, rpliquatil avec une satisfaction hautaine.

    Comme vous voudrez, dit M. d'Entragues. Mais partons, mesdames. M. le comte d'Auvergne vous a dit,souvenezvousen, qu'il fallait, pour tre bien placs, que nous fussions avant sept heures et demie devantl'glise.

    Toute la cavalcade se mit en marche avec un bruit imposant. Les chiens s'lancrent, les chevaux piaffrentsous la porte, pages et cuyers demeurrent l'arriregarde, deux coureurs gagnrent les devants.

    Henriette, par une manoeuvre habile, se plaa au centre, ayant sa mre droite, son pre gauche, de tellefaon que, pendant la route, la Rame, qui suivait, ne put changer avec elle que des mots sans importance.

    De temps en temps, elle se retournait comme pour ne pas dsesprer tout fait sa victime, qui, se rongeant etcontenant sa bile, voulut cent fois s'enfuir travers champs, et cent fois fut ramen par un fatal amour sur lespas de cette femme qui semblait tirer elle ce misrable coeur par une chane invisible.

    A SaintDenis, il fut laiss de ct pendant que les dames places par les soins du comte d'Auvergnepntraient dans la cathdrale. Il et d partir. Il resta lchement perdu dans la foule.

    A huit heures sonnant, au son des cloches et du canon, parut le roi vtu d'un pourpoint de satin blanc, dechausses de soie blanche, portant le manteau noir, le chapeau de la mme couleur avec des plumes blanches.Toute sa noblesse fidle le suivait, il avait Crillon sa gauche comme une pe, les princes sa droite. Sesgardes cossais et franais le prcdaient, prcds euxmmes des gardes suisses. Douze trompettessonnaient, et par les rues tapisses et jonches de fleurs, un peuple immense se pressait pour voir Henri IV, etcriait avec enthousiasme: Vive le roi!

    L'archevque de Bourges officiait. Il attendait le roi dans l'glise, assist du cardinal de Bourbon, des vqueset de tous les religieux de SaintDenis qui portaient la croix, le livre des vangiles et l'eau bnite.

    Un silence solennel teignit dans la vaste basilique tous les frissons et tous les murmures quand l'archevquede Bourges allant au roi lui demanda:

    Qui tesvous?

    Je suis le roi! rpondit Henri IV.

    Que demandezvous? dit l'archevque.

    Je demande tre reu au giron de l'glise catholique, apostolique et romaine.

    Le voulezvous sincrement?

    Oui, je le veux et le dsire, dit le roi qui, s'agenouillant aussitt, rcita d'une voix haute, vibrante, et quirsonna sous les arceaux de la nef immense, sa profession de foi qu'il livra crite et signe l'archevque.

    Un long bruit d'applaudissements et de vivat clata malgr la saintet du lieu, et, perant les murs de l'glise,se rpandit au dehors comme une trane de poudre, enflammant partout la joie et la reconnaissance de lafoule. Dsormais rien ne sparait plus le peuple de son roi; rien, que les murs de Paris.

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  • Le reste de la crmonie s'acheva dans le plus bel ordre, avec la mme majest simple et touchante.

    Le roi sa sortie de l'glise, aprs la messe, fut assailli par le peuple qui s'agenouillait et tendait les bras surson passage, les uns lui criant: joie et sant! les autres criant: bas la ligue et mort l'Espagnol! A tous,surtout aux derniers, le roi souriait.

    Crillon, les larmes aux yeux, l'embrassa sous le portique de la cathdrale.

    Harnibieu! ditil, nous pourrons donc dsormais ne nous quitter plus! Autrefois quand j'allais l'glisevous alliez au prche, c'tait du temps perdu!... Vive le roi!

    Et la foule non plus de rpter, mais de hurler: vive le roi! faire mourir de rage les Espagnols et les ligueursqui durent en recevoir l'cho.

    Tout coup, quand le roi rentrait son logis, envahi par les plus avides de contempler une dernire fois leurprince, Crillon, qui gardait la porte, aperut le comte d'Auvergne fendant la foule et cherchant entrer.

    Crillon, de son oeil d'aigle, aperut en mme temps Marie Touchet, sa fille et M. d'Entragues qui dominaientla foule du haut d'un perron o les avait placs le comte d'Auvergne pour qu'ils vissent mieux ou fussentmieux vus.

    Monsieur, dit le comte Crillon, je suis bien heureux de vous rencontrer; j'ai l deux dames fort impatientesde prsenter au roi leurs respects et leurs remercments. Elles sont trop bonnes catholiques pour ne pas treadmises des premires fliciter Sa Majest.

    Harnibieu! pensa Crillon qui savait bien de quelles dames le comte voulait parler, les pcores enragesveulent dj manger du catholique! attends, attends!

    Monsieur le comte, ditil au jeune homme, le roi m'a mis sa porte pour empcher qu'on n'entre.

    C'est ma mre et ma soeur....

    Je suis au dsespoir, monsieur, mais la consigne est pour Crillon ce qu'elle serait pour vous. Si j'tais dehorset vous dedans, vous me refuseriez, je vous refuse.

    Des dames....

    Et d'illustres dames, je le sais, je dirai mme de fort belles dames, mais c'est impossible.

    Plus tard, monsieur, vous m'accorderez bien....

    Vous perdriez le temps de ces dames. Plus tard je serai parti, car j'ai une affaire importante, et le roi partaussi.

    Le comte d'Auvergne comprit qu'il chouerait en face de Crillon. Il salua donc et se retira dpit, mais cachantsoigneusement sa mauvaise humeur.

    Comme il rejoignait les dames fort inquites du rsultat de ces pourparlers, il se heurta la Varenne.

    Estil donc vrai, demandatil, que le roi parte sitt qu'on ne puisse l'aller saluer?

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  • Aussitt qu'il sera bott, monsieur le comte.

    Et l'escorte?... Aton des ordres?

    Sa Majest ne prend pas d'escorte et n'en veut pas prendre.

    C'est dangereux. O donc va le roi?

    Faire une tourne dans les couvents voisins.

    Il n'y a pas d'indiscrtion savoir lesquels?

    Nullement. Sa Majest commence par les gnovfains de Bezons. Puis nous irons ....

    Merci, dit le comte.

    Et il s'empressa de rejoindre les dames.

    Nous avons t expulss par M. de Crillon, ditil. C'est un brutal, un sauvage qui, je ne sais pourquoi, nousen veut tout bas. Mais raison de plus pour voir le roi aujourd'hui mme. Ne manifestons rien. Venez vousreposer quelques moments mon logis, et quand la chaleur sera passe, je vous conduirai en un endroit onous verrons Sa Majest tout fait l'aise. Venez, mesdames, au frais et l'ombre, pour mnager vostoilettes,

    Ce Crillon est jaloux! murmura M. d'Entragues.

    Jaloux o non, dit le cynique jeune homme, il n'empchera pas le roi de voir Henriette, qui n'a jamais t sibelle qu'aujourd'hui.

    La Rame s'tait gliss de nouveau derrire les dames, comme un chien battu qui boude, mais revient. Ilentendit ces paroles.

    Ah! je comprends, murmuratil tout ple, pourquoi on a men Henriette SaintDenis! Eh bien! moiaussi j'irai chez les gnovfains de Bezons, et nous verrons!

    II. O LE ROI VENGE HENRILe roi, accompagn seulement de la Varenne et de quelques serviteurs privilgis, parcourait rapidement laroute de SaintDenis Bezons. Las d'avoir travaill pour la couronne, il voulait consacrer le reste du jour son ami Henri.

    Il respirait, le digne prince; aprs tant de professions de foi et de crmonies, tant de plainchant et declameurs assourdissantes, il se reposait. Tout en lui se reposait, hors le coeur. Ce tendre coeur, panoui dejoie, volait audevant de Gabrielle, et devanait l'arabe lger que son escorte avait peine suivre.

    Cependant un peu d'inquitude se mlait son bonheur. Chemin faisant, Henri s'tonnait de l'attitudetrangement hostile de M. d'Estres, qui osait improviser ainsi un mari, brusquer si rudement des accordailles,pouvanter une pauvre fille jusqu' la forcer d'appeler au secours! En effet, le roi avait reu la veille lemessage apport par Pontis et rpondu surlechamp par le mme courrier, qu'il arriverait le lendemain aprsson abjuration, que Gabrielle pouvait bien tenir ferme, jusquel et qu'on verrait.

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    II. O LE ROI VENGE HENRI 8

  • Pontis, selon le calcul du roi, avait d revenir au couvent dans l'aprsdner. Gabrielle, forte du secourspromis, aurait rsist, ne se serait pas marie. Rien n'tait perdu, et l'arrive d'Henri allait changer la face deschoses, sans compter l'appui secret du mystrieux ami le frre parleur.

    Telles taient les chimres dont le pauvre amant se repaissait en poussant son cheval vers Bezons.Certainement l'absence de M. d'Estres la crmonie de SaintDenis, celle plus douloureuse de Gabrielle,que les yeux du roi avait partout cherche, n'taient point des indices rassurants; mais comme tout peuts'expliquer, le roi s'expliquait facilement la conduite d'un pre rigoureux qui ne veut pas rapprocher sa fille del'amant qu'il redoute pour elle. Ces diffrentes alternatives de tant mieux et de tant pis conduisirent Henrijusqu'au couvent dans une situation d'esprit assez tranquille.

    Comme il arrivait sous le porche, la premire personne laquelle il se heurta fut M. d'Estres luimme, quipour la dixime fois, depuis la veille, sortait pour aller s'enqurir de son gendre disparu. Le comte fut sitroubl par l'aspect du roi, qu'il demeura bant, immobile, sans un mot de compliments, lorsque tout le mondes'empressait de saluer et fliciter le prince.

    Henri sauta bas de son cheval avec la lgret d'un jeune homme, et de son air affable, tempr par un secretdplaisir, il aborda le comte d'Estres.

    Comment se faitil, monsieur notre ami, ditil, en lui touchant familirement l'paule, que seul de tous messerviteurs et allis, vous ayez manqu aujourd'hui au rendezvous que je donnais ce matin tout bon sujet duroi de France?

    Le comte, ple et glac, ne trouva point une parole. Il voulait rpondre sans colre et la rancune bouillonnaitau fond de son coeur.

    Que vous ayez perdu ce beau spectacle, ajouta le roi, c'est d'un ami tide; mais que vous en ayez priv Mlled'Estres, ce n'est pas d'un bon pre.

    Sire, dit le comte avec effort, j'aime mieux vous dire la vrit. Mon absence avait une cause lgitime.

    Ah! laquelle? je serais curieux de vous l'entendre articuler tout haut, rpondit le roi pour forcer le comte quelque maladresse.

    J'tais inquiet de mon gendre, sire, et je le cherchais.

    Votre gendre! s'cria Henri avec un soupir ironique, voil un mot bien press de passer par vos lvres.Gendre s'appelle celui qui a pous notre fille. Or, ajoutatil en riant tout fait, la vtre n'est pas encoremarie, je suppose?

    Le comte rpondit en rassemblant toutes ses forces:

    Je vous demande pardon, sire, Mlle d'Estres est marie depuis hier.

    Le roi plit en ne voyant aucune dngation sur le visage des assistants.

    Marie hier!... murmuratil le coeur bris.

    midi prcis, rpliqua froidement le comte.

    Aussitt le roi entra dans la salle, d'o tout le monde, sur un geste qu'il fit, s'carta respectueusement.

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    II. O LE ROI VENGE HENRI 9

  • Approchez, monsieur d'Estres, ditil au comte avec une solennit qui fit perdre, ce dernier, le peud'assurance qu'il avait eu tant de peine conserver.

    Henri fit quelques pas dans la salle, et en proie une agitation effrayante pour l'interlocuteur, si au lieu des'appeler Henri, le roi se ft appel Charles IX ou mme Henri III, il s'arrta tout coup en face du comte.

    Ainsi, Mlle d'Estres est marie, ditil d'une voix brve, et c'est n'y plus revenir.

    M. d'Estres s'inclina sans rpondre.

    Le procd est trangement sauvage, dit le roi, et je n'y croirais point si vos yeux incertains et votre voixtremblante ne me l'eussent deux fois rpt. Vous tes un mchant homme, monsieur.

    Sire, j'ai voulu garder mon honneur.

    Et vous avez touch celui du roi! s'cria Henri. De quel droit? monsieur.

    Mais, sire... Il me semble qu'en disposant de ma fille je n'offense pas Sa Majest.

    Vrai Dieu! dit Henri sans donner dans le pige, allezvous jouer aux fins avec moi, par hasard? Quoi, jevous ai fait l'honneur de vous visiter chez vous, de vous nommer mon ami, et vous mariez votre fille sansmme m'en donner avis! Depuis quand, en France, n'eston plus honor d'inviter le roi ses noces?

    Sire....

    Vous tes un mchant homme ou un rustre, monsieur, choisissez.

    L'irritation mme de Votre Majest me prouve....

    Que vous prouvetelle, sinon que j'ai t dlicat lorsque vous tiez grossier, patient quand vous tiezfroce, observateur des lois de mon royaume, quand vous violiez toutes les lois de la politesse et del'humanit. Ah! vous aviez peur que je ne vous prisse votre fille! Ce sont des terreurs de croquant, mais nondes scrupules de gentilhomme. Que ne me disiezvous franchement: Sire, veuillez me conserver ma fille.Croyezvous que je vous eusse pass sur le corps pour la prendre! Suisje un Tarquin, un Hliogabale? maisnon vous m'avez trait comme on traite un larron; s'il vient, on cache la vaisselle d'argent ou on la passe chezle voisin. Ventre saint gris! monsieur d'Estres, je crois que mon honneur vaut bien le vtre.

    Sire, balbutia le comte perdu, coutezmoi!...

    Qu'avezvous me dire de plus? Vous avez sournoisement mari votre fille, ajouterezvous qu'elle vous ya forc?

    Comprenez les devoirs d'un pre.

    Comprenez les devoirs d'un sujet envers son prince. Ce n'est point franais, c'est espagnol ce que vous avezfait l. Pousser, le poignard sur la gorge, une jeune fille pour qu'elle aille l'autel, profiter de l'absence du roique cette jeune fille pouvait appeler l'aide.... Monsieur d'Estres, vous tes pre, c'est bien; moi, je suis roi,et je me souviendrai!

    Aprs ces mots, entrecoups de gestes furieux, Henri reprit sa promenade agite dans la salle.

    La belle Gabrielle, vol. 2

    II. O LE ROI VENGE HENRI 10

  • Le comte, la tte baisse, le visage livide, la sueur au front, s'appuyait l'un des piliers de la porte, honteux devoir dans le vestibule grossir le nombre des tmoins de cette scne, tmoins bien instruits dsormais, tant leroi avait parl haut dans la salle sonore.

    Tout coup, Henri, dont la vhmente colre avait cd quelque rflexion, aborda brusquement le comte parces mots:

    O est votre fille?

    Sire....

    Vous m'avez entendu, je pense?

    Ma fille est chez elle, c'estdire....

    Vous tes bien libre de la marier, mais je suis libre d'aller lui en faire mes compliments de condolances.Allons, monsieur, o estelle?

    Le comte se redressant.

    J'aurai l'honneur, ditil, de diriger Votre Majest.

    Soit. Vous voulez entendre ce que je vais dire la pauvre enfant? Eh bien! j'aime autant que vousl'entendiez. Montrezmoi la route.

    M. d'Estres, les dents serres, les jambes tremblantes, s'inclina et passa devant pour ouvrir les portes. Ilconduisit Henri du cot du btiment neuf.

    Prvenez le rvrend prieur, dit Henri des religieux groups sur son passage, que je lui rendrai ma visitetout l'heure.

    Gabrielle, depuis les terribles motions de la veille, avait gard la chambre, veille par Gratienne, qui luirendait compte exactement du moindre bruit, de la moindre nouvelle. C'est par Gratienne qu'elle avait reu larponse du roi, apporte deux heures aprs le mariage par Pontis, et plus que jamais elle avait dplor sadfaite en voyant le roi si tranquille sur sa fidlit. Maintenant, il ne s'agissait plus que de lutter pour demeurerchez les gnovfains, au lieu de retourner, soit chez son pre, soit chez son mari. En cela elle avait reconnu lasecrte coopration du frre parleur. M. d'Armeval disparu, rien ne la forait plus d'aller Bougival, toutl'engageait rester au couvent, autour duquel M. d'Estres, effar, cherchait son gendre, dont il attribuaitl'trange absence quelque pige tendu par le roi.

    Gabrielle ressemblait au patient dont le bourreau ne se retrouve pas l'heure du supplice. Leve avant le jour,habille depuis la veille, elle s'tait mise la fentre et interrogeait avec anxit, tantt la route pour voir sison pre ramnerait le mari perdu, tantt les jardins pour recueillir les signaux ou les messages que pourraientlui envoyer ses nouveaux amis.

    L'agitation de Gabrielle envahissait par contrecoup la chambre d'Esprance. Pontis avait trouv son blessdans un tat de surexcitation si incroyable, qu'il ne voulait pas croire que le mariage improvis d'une filleinconnue avec un bossu pt amener de pareilles perturbations dans le cerveau d'un homme raisonnable. Ilassemblait les plus bizarres combinaisons pour dcouvrir la vrit. On le voyait, sautant et ressautant par lafentre, courir en qute d'un claircissement, comme un renard en chasse; et son ami, au contraire, restaitcouch, la tte ensevelie sous les oreillers, comme pour touffer une secrte douleur.

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    II. O LE ROI VENGE HENRI 11

  • Ce fut Pontis qui, au point du jour, apprit Esprance que le petit mari n'tait pas encore retrouv.

    Pourquoi Esprance se redressatil avec une joie manifeste? pourquoi, ranim par cette nouvelle, selevatil allgre, souriant? pourquoi accablatil de sarcasmes et de bouffonnes maldictions le seigneurNicolas, indigne pourtant de sa colre? c'est ce que Pontis chercha vainement deviner. Esprance y etpeuttre t fort embarrass luimme.

    En attendant, les deux amis, aprs leur repas, s'allrent installer sous les arbres de la fontaine, o Esprancesous prtexte de faire une plus heureuse digestion, se plongea dans l'engourdissement d'une rveriemlancolique, tandis que Pontis, taillant des pousses de tilleuls, s'en confectionnait des petits sifflets destins,disaitil, fter le retour de M. de Liancourt.

    Sans doute, la nuit, cette mre fconde des songes, avait souffl sur Esprance et Gabrielle quelquesuns deces rves qui, lorsqu'ils closent simultanment sur deux mes, les font soeurs et amies malgr elles, par lamystrieuse intimit d'un commerce invisible. Car pendant toute cette matine, Esprance regarda par uneclaircie des arbres la fentre de Mlle d'Estres, et son regard eut la force d'attirer l Gabrielle, qui, partir dece moment, ne dtourna plus les yeux de la fontaine.

    Elle y tait encore, pensive et larmoyante, pareille la fille de Jepht, quand un bruit de voix dans l'alleprincipale changea tout coup l'attitude des jeunes gens sous le berceau. Ils se levrent avec des marques desurprise et de respect qui furent aperues de Gabrielle; et au mme moment Gratienne accourut en s'criant;

    Le roi!

    Gabrielle vit dans le parterre M. d'Estres qui s'avanait lentement; le roi venait sa suite, et derrire eux,quelques religieux et les serviteurs de Henri formaient un groupe, discrtement cart d'environ trente pas.

    La jeune fille, oubliant tout, se prcipita par les degrs, et vint, folle d'motion, jusqu' la sparation des deuxjardins. L, elle tomba agenouille aux pieds d'Henri, en s'criant avec un torrent de larmes:

    Oh! mon cher sire!...

    Le roi si tendre et si afflig ne put tenir un pareil spectacle, il releva Gabrielle en larmoyant luimme etmurmura:

    C'en est donc fait!

    Qu'on se figure l'attitude de M. d'Estres pendant ces lamentations. Il en mordait de rage ses gants et sonchapeau.

    Mademoiselle, dit le roi, voil donc pourquoi vous n'tes pas venue SaintDenis aujourd'hui, joindre vosprires celles de tous mes amis!

    Mon coeur a dit ces prires, sire, rpliqua Gabrielle, et nul en votre royaume ne les a prononces plussincres pour votre bonheur.

    Pendant que vous tiez malheureuse! car vous l'tes, n'estce pas, du mariage que l'on vous a fait faire.

    J'ai d obir mon pre, sire, rpliqua Gabrielle en redoublant de soupirs et de larmes.

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    II. O LE ROI VENGE HENRI 12

  • Un roi, reprit Henri d'un air courrouc, ne violente pas les pres de famille dans l'exercice de leurs droits.Mais quand les femmes sont malheureuses et qu'elles se viennent plaindre lui, le roi est matre d'y porterremde. Adressezmoi vos plaintes, mademoiselle. Hlas! je dois dire madame... mais telle a t l'incivilit decette maison que j'ignore jusqu'au nom de votre mari.

    M. d'Estres crut devoir intervenir.

    C'est un loyal gentilhomme, serviteur dvou de sa Majest. D'ailleurs, je crois pouvoir hasarder que vousle connaissez maintenant, sire.

    Je ne vous comprends pas, monsieur, dit le roi avec hauteur.

    Mon pre veut dire que M. de Liancourt a disparu depuis le mariage, s'cria Gabrielle, dont l'excellentcoeur voulait la fois rassurer l'amant et protger le pre.

    Disparu! dit le roi charm.

    Et monsieur d'Estres, ajouta Gabrielle avec un malicieux sourire, semble supposer que Votre Majestpourrait en savoir quelque chose.

    Qu'estce dire? demanda Henri.

    Le roi sait toujours tout, dit M. d'Estres, fort gn.

    Quand je sais les choses, monsieur, je ne les demande pas. A prsent, grce madame, je sais que son maris'appelle Liancourt, qui est, si je ne me trompe, une maison picarde.

    Oui, sire, dit M. d'Estres.

    Mais le seul Liancourt que je connaisse est bossu.

    Prcisment, s'cria Gabrielle.

    Je m'en attriste, dit Henri, cachant mal sa mauvaise humeur; mais ce dont je me rjouis, c'est qu'il ait eu lebon got de disparatre pour ne point gter, papillon difforme, une si frache et si noble fleur.

    M. d'Estres grinant des dents:

    J'oserais pourtant, ditil, supplier Votre Majest de donner des ordres pour que monsieur de Liancourt soitretrouv. Une pareille disparition, si elle vient d'un crime, intresse le roi, puisque la victime est un de sessujets; si elle n'est que le rsultat d'une plaisanterie, comme cela peut tre, la plaisanterie trouble et affligetoute une famille; elle porte atteinte la considration d'une jeune femme. C'est donc encore au roi de la fairecesser.

    Ah, par exemple! s'cria Henri, vous me la baillez belle, monsieur. Que je m'inquite, moi, des marisperdus, des bossus gars!... Dieu m'est tmoin qu'en un jour de bataille je cherche moimme, bien bascourb, bien palpitant, mes pauvres sujets, couchs blesss ou morts sur la plaine. Et je ne m'y pargne pasplus que le moindre valet d'arme. Mais, quand vous avez mari votre fille sans dire gare, me forcer fouillerle pays pour retrouver votre gendre, moi qui suis enchant de le savoir tous les diables, ventresaintgris,vous me prenez pour un roi de paille, monsieur d'Estres. Si je savais o est votre favori, je ne vous le diraispas; ainsi, allumez toutes vos chandelles, bonhomme, et cherchez!

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    II. O LE ROI VENGE HENRI 13

  • Gabrielle et Gratienne, entranes par cette verve irrsistible, ne purent s'empcher, l'une de sourire, l'autre derire immodrment. M. d'Estres, plus ple et plus furieux que jamais:

    Si c'est l, ditil, une rponse digne de mes services, de ceux de mon fils et de notre infatigabledvouement, si c'est l ce que je dois rapporter tous mes amis qui attendent dans ma maison, o je n'oseretourner de peur des railleries....

    Si l'on vous raille, monsieur, rpliqua le roi d'un ton de matre irrit par ces imprudentes paroles, vousn'aurez que ce que vous mritez, vous qui vous tes dfi du roi de France, d'un gentilhomme sans tache nitare! Quant vos services, que vous me reprochez, c'est bien, gardezles! A partir de ce moment, je n'en veuxplus! Demeurez chez vous; je vous enverrai demain votre fils, le marquis de Coeuvres, qui pourtant est unhonnte homme, et que j'aimais comme un frre, tant cause de son mrite, que par amiti pour sa soeur.Restez tous ensemble, monsieur, vous, votre fils et votre gendre. Je suis n roi de Navarre sans vous, devenuroi de France sans vous ni les vtres, et je saurai m'asseoir sur mon trne en mon Louvre, sans votre service simesquinement reproch.

    Sire! s'cria M. d'Estres en se prosternant perdu, car il voyait s'crouler, ruins jamais, la fortune etl'avenir de sa maison, vous m'accablez!...

    ! dit le roi, livrezmoi passage. C'est rompu entre nous, monsieur.

    Le comte s'loigna suffoqu par la honte et la douleur.

    Et entre nous? demanda plus bas Henri Gabrielle.

    Loyal vous avez t sire, dit la ple jeune femme; loyale je serai. Vous avez tenu votre parole, et vous voilcatholique; je tiendrai la mienne, je suis vtre; seulement, gardez votre bien.

    Oh! gardezlemoi, vous! s'cria Henri avec les transports d'un amour passionn. Jurezmoi encorefidlit, en notre commun malheur! Si votre mari se retrouve, ne m'oubliez pas!

    Je me souviendrai que j'appartiens un autre matre. Mais abrgez mon supplice, sire!

    Soyez bnie pour cette parole.... Votre main.

    Gabrielle tendit sa douce main, que le roi caressa d'un baiser respectueux.

    Je pars cette nuit mme pour entreprendre contre Paris, dit le roi; avant peu vous aurez de mes nouvelles.Mais comment avezvous pu me donner des vtres, et par un de mes gardes encore?

    C'est l'un des deux jeunes gens logs au couvent, dit Gabrielle, deux coeurs gnreux, deux amis pleins decourage et d'esprit.

    Ah! oui. L'un d'eux est ce bless amen par Crillon, un beau garon dont j'aime tant la figure!

    Gabrielle rougit. Esprance, debout, devant une touffe de sureaux, la regardait de loin, immobile et ple, unbras pass autour du col de Pontis.

    Le roi se retourna pour suivre le regard de Gabrielle, et apercevant les jeunes gens:

    Je les remercierais moimme, ditil, si ce n'tait vous trahir. Remerciezles bien pour moi.

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    II. O LE ROI VENGE HENRI 14

  • Et il fit un petit signe amical Pontis dont le coeur tressaillit de joie.

    Sire, dit Gabrielle, autant par compassion pour son pre que pour dtourner l'attention du roi, dont un motde plus sur Esprance l'et peuttre embarrasse, vous ne partirez point sans pardonner mon pauvre pre.Hlas! il a t dur pour moi, mais c'est un honnte et fidle serviteur. Et mon frre! souffriraitil aussi de monmalheur? Le priveriezvous de servir son roi?

    Vous tes une bonne me, Gabrielle, dit Henri, et je ne suis point vindicatif. Je pardonnerai votre pred'autant plus volontiers que le mari est plus ridicule. Mais je veux qu'il vous doive mon pardon, et que cepardon nous profite. Laissonslui croire jusqu' nouvel ordre que j'ai conserv mon ressentiment. D'ailleurs,j'en ai, du ressentiment. Le coup vibre encore dans mon coeur.

    Ce sera vous honorer aussi, continua la jeune femme, que de ne point faire de mal ce pauvre disgraci,mon mari. Continuez le retenir loin de moi sans qu'il souffre autrement, n'estce pas?...

    Mais ce n'est pas de mon fait qu'il est absent! s'cria le roi, j'ai cru que vous lui aviez jou ce tour.

    Vraiment? dit Gabrielle, j'en suis innocente; que lui estil donc arriv alors?

    Elle fut interrompue par l'arrive de frre Robert qui, pour venir la rencontre du roi, avait laiss quelquespersonnes qu'on apercevait de loin sous le grand vestibule du couvent.

    Il est bien triste, dit le roi, d'tre forc de partir jeun lorsqu'on venait dner chez des amis.

    Le rvrend prieur, rpliqua frre Robert, a prpar une collation pour Votre Majest. Aije eu raison de lafaire servir sous le bel ombrage de la fontaine?

    Ah, oui! s'cria Henri, en plein air, sous le ciel! On se voit mieux, les yeux sont plus sincres, les coeursplus lgers. Vous me ferez les honneurs de cette collation, n'estce pas, madame, ce sera votre premier acte delibert.

    Permettez, sire, ajouta Gabrielle, que j'aille un peu consoler mon pre.

    Bien peu!... revenez vite, car mes instants sont compts.

    Gabrielle partit. On vit des religieux dresser une table sous le berceau, d'o Esprance et Pontis s'taitdiscrtement loigns leur approche.

    Le roi s'avana vers le moine et le regarda d'un air d'affectueux reproche.

    Voil donc, murmuratil en dsignant du doigt Gabrielle, comment l'on m'aime et l'on me sert en cettemaison! J'avais un trsor prcieux, on le livre autrui! oh! frre Robert, j'ai dcidment ici des ennemis!

    Sire, rpliqua le moine, voici ce que rpondrait notre prieur Votre Majest:C'est un crime odieuxd'enlever une jeune fille son pre. C'est seulement un pch d'enlever sa femme un mari; et lorsque lafemme t marie par force, le pch diminue.

    Alors, tout pch misricorde, rpliqua le roi en soupirant; mais en attendant, Gabrielle est marie.

    Votre Majest ne l'estelle pas?

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    II. O LE ROI VENGE HENRI 15

  • Oh! mais moi, je ferai rompre quelque jour mon mariage avec madame Marguerite.

    Si vous en avez le pouvoir sur une grande princesse soutenue par le pape, plus forte raison pourrezvousrompre l'union de madame Gabrielle avec un petit gentilhomme. Jusquel, tout est pour le mieux.

    Si ce n'est qu'un mari est un mari, c'estdire un danger pour sa femme.

    Prsent, c'est possible, mais absent?

    Oh! celuil reviendra.

    Croyezvous, sire? Moi je ne le crois pas.

    La raison?

    Votre Majest est trop en colre, et si ce malheureux se prsentait il sait bien qu'il serait perdu.

    Il se cache, s'cria le roi dans un lan de gasconne. O cela? dis.

    Ouais!... dclama le moine avec un srieux comique, pour que je le livre votre vengeance, n'estce pas?C'est l une question de tyran. Mais j'ai promis de sauver la victime, et je la sauverai, dussiezvous medemander ma tte!

    En disant ces mots avec majest, il remuait un formidable trousseau de cls sa ceinture.

    Oh! frre Robert! que vous tes bien toujours le mme! murmura le roi, riant et s'attendrissant la fois.

    J'oubliais d'annoncer Votre Majest, interrompit le moine, que M. le comte d'Auvergne attend votre bonplaisir avec des dames et des cavaliers....

    Le comte d'Auvergne, que me veutil? demanda le roi surpris.

    Il vous le dira sans doute, sire, car le voil qui vient avec sa compagnie.

    III. COUPS DE THATRESur un signe du frre parleur, les dames qui accompagnaient M. d'Auvergne s'avancrent. Dieu sait la joie;elles taient au comble de leurs dsirs.

    Henri se sentait trop heureux pour ne pas faire bon visage. Il accueillit gracieusement le comte d'Auvergne etsalua les dames par un: Voil de bien aimables dames! qui acheva de lui conqurir M. d'Entragues, dj fortdispos au royalisme le plus ardent.

    J'ai l'honneur de prsenter Votre Majest madame ma mre, ajouta le comte en dsignant Marie Touchet.

    Le roi connaissait l'illustre personne, il salua en homme qui sait pardonner.

    Mon beaupre, M. le comte d'Entragues, poursuivit le jeune homme.

    Le beaupre se courba en deux parties gales.

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    III. COUPS DE THATRE 16

  • Et mademoiselle d'Entragues, ma soeur, acheva le comte en prenant par la main Henriette, toute frmissantesous l'oeil attentif du roi.

    Une personne accomplie, murmura Henri, qui parcourut en connaisseur la toilette et les charmes de la jeunefille.

    M. le comte d'Auvergne se rapprochant du roi avec un sourire:

    Votre Majest, ditil, la reconnatelle?

    Non, je n'avais jamais vu tant de grces.

    Le comte se pencha l'oreille d'Henri, et lui dit tout bas:

    Votre Majest ne se souvient donc pas du bac de Pontoise et de cette jolie jambe qui nous occupa silongtemps.

    Si, pardieu! s'cria le roi, voil que je me rappelle. Eh bien, estce que cette charmante jambe....

    Ce jourl, sire, Mlle d'Entragues, revenant de Normandie, eut l'honneur de se rencontrer Pontoise sur lechemin de Votre Majest.

    Vous ne me l'avez pas dit, d'Auvergne.

    Je ne connaissais point encore ma soeur.

    Pendant toute cette conversation, pour le moins singulire, Henriette, les yeux baisss, rougissait comme unefraise. M. d'Entragues faisait la roue, et Marie Touchet, dans sa gravit majestueuse, feignait de ne rienentendre, pour tre moins gne et n'tre pas gnante.

    Le roi, que deux beaux yeux enivraient toujours, comme certains vins capiteux qu'on fuit et qu'on aime,s'cria:

    Vous avez bien fait, d'Auvergne, de ne pas tre avare de vos trsors de famille; d'autant mieux que laprsence de ces dames ici dment certains bruits de ligue mal sonnants avec les noms d'Entragues et deTouchet.

    Ce fut au tour des grands parents rougir.

    Sire, balbutia M. d'Entragues, Votre Majest pourraitelle souponner un seul instant notre respectueusefidlit?

    Eh! eh!... en temps de guerre civile, dit le roi avec un sourire, qui peut rpondre de soi?

    Sire, rpondit Marie Touchet solennellement, le roi catholique est le roi de tous les bons Franais, et nousavons fait quatre lieues cheval pour venir le dclarer Votre Majest.

    Eh bien, s'cria gaiement Henri, la bonne heure; j'aime cette rponse, elle est franche. Hier, je n'tais pasbon jeter aux Espagnols; aujourd'hui, Vive le roi! Ventre saintgris! vous avez raison, madame; et monabjuration, ne m'etelle valu que d'tre reconnu et salu des belles dames, je m'en rjouirais encore. Allons,allons, aujourd'hui n'est plus hier; enterrons hier, puisqu'il ne plaisait point mes belles sujettes.

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    III. COUPS DE THATRE 17

  • Vive le roi! s'cria M. d'Entragues en dlire.

    Oh! le roi, d'un seul mot, gagne les coeurs, dit Marie Touchet d'un air prcieux qui et donn de la jalousie Charles IX, et contraria Henriette.

    Mademoiselle ne parle pas, fit remarquer le roi.

    Je pense beaucoup, sire, rpliqua la jeune fille avec un regard prs duquel ceux de sa mre n'taient quefeux follets.

    Le roi, que toutes ces escarmouches galantes transportaient d'aise, remercia Henriette par un salut plus quecourtois.

    Il me semble que nous allons bien, murmura le comte d'Auvergne l'oreille de M. d'Entragues.

    Frre Robert, qui pendant cette scne avait tout vu sans paratre rien voir, dtacha un des religieux pourannoncer au roi que le couvert tait mis.

    C'est vrai; j'oubliais la faim dit Henri avec une galanterie double adresse. La collation attend; venezmesdames; la route doit vous avoir bien disposes. Nous goterons le vin du couvent.

    Cette invitation faillit suffoquer les Entragues. L'orgueil, l'avarice et la luxure se regardrent radieux suant lajoie par tous les pores. Dj ils se croyaient couronns.

    Et voici une charmante htesse qui nous en fera les honneurs, continua Henri en dsignant Gabrielle qu'onvoyait s'avancer splendidement belle sous l'alle ruisselante d'un soleil qu'elle effaait.

    La scne changea, les Entragues plirent; Henriette fit un pas involontairement, comme pour combattre cetterivale qui arrivait. Elle en dvora les traits, le maintien, la taille, les mains, les pieds, la parure en un seul coupd'oeil, empreint de toute sa haine intelligente et, de ple qu'elle tait, Henriette devint livide, car tout ce qu'ellevenait de voir tait incomparable, inattaquable, parfait.

    M. d'Entragues, effray, dit tout bas son beaufils:

    Qui est cellel?

    J'ai bien peur que ce ne soit la nouvelle passion du roi, dit le comte, cette d'Estres dont je vous parlais.

    Elle est bien aussi, murmura M. d'Entragues, n'estce pas, madame?

    Elle est blonde rpliqua Marie Touchet avec un ddain qui ne rassura pas ces messieurs.

    Le roi tait all prendre la main de Gabrielle et l'avait amene table. Les dames frissonnrent de rage lorsqueHenri, au lieu de leur prsenter Gabrielle, les prsenta ellesmmes la jeune femme, qui salua la compagnieavec une grce modeste et une scurit plus dsesprante encore que sa beaut.

    Le roi s'assit, plaant Gabrielle sa droite, Marie Touchet sa gauche. Henriette s'alla mettre en face, entreson pre et son frre. Elle avait la ressource de plonger ses regards comme des coups d'pe dans l'me decette inconnue, qui venait lui voler sa place la droite du roi.

    Henri, s'tant fait verser a boire:

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    III. COUPS DE THATRE 18

  • Je bois, ditil d'abord, au bonheur de la nouvelle marquise de Liancourt, qui s'appelait hier mademoiselled'Estres.

    Chacun dut imiter le roi; mais Henriette ne toucha pas mme son verre de ses lvres.

    Il va falloir draciner cette fleur avant qu'elle n'ait pris croissance, murmura le comte d'Auvergne bas samre, tandis que le roi souriait Gabrielle, brusquez, et tranchez!

    Sire, dit Marie Touchet, notre visite avait un double but. Il s'agissait nonseulement de prsenter noshumbles flicitations Sa Majest,c'tait l nous obliger nousmmes,mais d'offrir au roi nos services aumoment de la campagne qui va s'ouvrir. Il se rpand partout que Votre Majest marche contre Paris, or le roin'a ni camp form, ni quartier gnral digne d'un si grand prince.

    C'est vrai, dit Henri, sans comprendre encore le but de ce discours.

    J'ai souvent ou dire, poursuivit Marie Touchet, des hommes expriments dans la guerre, qu'une desmeilleures positions autour de Paris est l'espace compris entre la route de SaintDenis et Pontoise.

    C'est encore vrai, madame.

    Nous y avons une maison assez simple, mais commode et fortifie naturellement, l'abri de toute insulte.Quel honneur pour nous si Sa Majest daignait la choisir pour asile!

    Ormesson, je crois? dit Henri.

    Oui, sire. Comblez de joie toute notre famille en acceptant. C'est une maison historique, sire: le feu roiCharles IX s'y plut quelquefois, et bon nombre d'arbres ont t plants de ses mains royales.... Dtes un mot,sire, et cette maison sera jamais illustre.

    Henri regardait les yeux ardents de mademoiselle d'Entragues, qui le fascinaient sous prtexte de le supplier.

    De l, s'cria M. d'Entragues, pour dcider le roi, on a le pied sur toutes les routes.

    On vient mme ici en une heure et demie, ajouta le comte d'Auvergne.

    Sans compter que le roi tant chez lui, s'il daigne accepter, reprit Marie Touchet, trouvera des appartements Ormesson pour toutes les personnes qu'il y voudra loger.

    Cette dernire phrase contenait tant de choses! Elle promettait si poliment une complaisance que rclamenttrop souvent les fausses positions amoureuses, que dj Henri flottait, en interrogeant du regard Gabrielle.

    Soudain il vit derrire Henriette, quelques pas, osciller lentement le capuchon du frre parleur, comme si cetriangle de laine grise et dit: Non! non! non!

    Il regarda plus fixement, comme pour interroger le moine, et le capuchon rpta: Non! non! non!

    Chicot ne veut pas que j'aille Ormesson, se dit Henri avec surprise. Il doit avoir ses raisons.

    Impossible, madame, rpliquatil avec un gracieux sourire. L'ordre de mes plans ne me permet point defaire ce que vous dsirez. Je n'en reste pas moins votre oblig.

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    III. COUPS DE THATRE 19

  • Bien, fit le capuchon en s'inclinant de haut en bas jusque sur la poitrine du moine.

    Allons, se dit le roi avec un sourire que nul ne put comprendre, me voil rduit au rle du prieur Gorenflot,avec cette diffrence que je parle pour le frre parleur.

    Le dsappointement qui se peignit sur tous les visages et pu montrer Henri combien tait avanc djl'difice que son refus venait de faire crouler.

    Encore battus cette fois; nous chercherons autre chose, se dit le comte d'Auvergne.

    Gabrielle promenait autour d'elle, dans sa nave innocence, des regards affables, caressants, qui eussent adoucide leur seul reflet tous ces fauves coups d'oeil de tigres. Henriette allait se dcider battre en brche l'esprit duroi puisque rien ne pouvait branler son coeur.

    Et dj elle commenait un de ces entretiens tout saccads, o son gnie brillant de malice et d'audace allaitlui conqurir un triomphe. Dj le roi, plus attentif, ripostait ce bombardement, lorsque le frre parleur,s'approchant d'Henriette, lui dit avec bonhomie:

    N'estce point vous, madame, qui auriez perdu quelque chose?

    Moi? s'cria Henriette surprise.

    En route... un joyau.

    Mon bracelet peuttre. Mais qu'importe?

    Il vous est rapport par un gentilhomme qui l'a trouv.

    Un gentilhomme? demanda le roi.

    Je ne sais pas son nom, dit navement frre Robert.

    Eh bien! qu'il entre et rende le bracelet, dit Henri.

    Frre parleur fit un signe au religieux, et l'on vit s'approcher grands pas quelqu'un dont la prsence arracha Henriette et sa mre un mouvement de colre bientt rprim.

    C'tait la Rame, le bracelet la main.

    Qu'a donc cet ternel la Rame, murmura le comte d'Auvergne l'oreille de M. d'Entragues, on dirait unemouche altre qui suit nos chevaux depuis ce matin.

    Voil une mauvaise figure, dit le roi tout bas Gabrielle, en considrant le ple jeune homme. Savezvous qui il ressemble?

    Non, sire.

    Vous allez voir! N'estce pas, madame, ajoute tourdiment Henri s'adressant Marie Touchet, que ce jeunehomme ressemble feu mon beaufrre Charles IX?

    En effet...quelque peu, rpondit Marie Touchet en se pinant les lvres.

    La belle Gabrielle, vol. 2

    III. COUPS DE THATRE 20

  • La Rame ne s'avanait plus; il restait moiti cach par les arbres, tenant toujours le bracelet que Mlled'Entragues ne lui redemandait pas. Ce qu'il avait tant souhait il l'avait enfin! Surveiller Henriette, mmedans l'endroit o elle se ft le moins attendue le voir.

    Et en effet, l'obsession victorieuse de ce gardien infatigable commenait pouvanter la jeune fille, quicherchait du secours dans l'oeil froid et impntrable de sa mre.

    Ce petit malaise passa pourtant inaperu, grce l'habitude de dissimuler qui fait partie de toute ducationmondaine. La Rame remit le joyau Henriette, qui n'eut pas pour lui, mme un remercment. Le rois'entretint encore quelques secondes de la ressemblance du personnage avec le feu roi. Les dames serassurrent, le comte d'Auvergne prit un parti, M. d'Entragues se promit de jeter la porte sans rmission lemalencontreux jeune homme qui se permettait d'avoir avec Charles IX un air, ou mme un faux air de familleet, enfin, la Rame profita de cette pause pour s'loigner de quelques pas, et continuer, sans tre remarqu, sonrle d'observateur.

    Henriette, comme si, en se retirant d'elle, ce mauvais gnie lui et rendu l'esprit et la vie, commena sessaillies; plus hardie parce que le danger tait plus grand, elle dploya tant de finesse et de mchancetdivertissante que le roi, piquant et gascon comme quatre, se mit rire et rendit coup pour coup, pigrammepour pigramme, folie pour folie cette sirne toujours l'oeil alerte, toujours prte la riposte, victorieusesouvent, vaincue jamais, et qui, plus sre de son terrain, commenait, comme tout bon gnral aprs une heured'quilibre dans la bataille, faire charger sa rserve pour relever la position et dloger l'ennemi.

    Gabrielle avait ri d'abord comme tout le monde; elle avait fourni son mot sens, dlicat, tendre laconversation gnrale; mais l'affaire dgnrant en un duel o Henriette et le roi s'engageaient seuls, elle se tutcomme font les esprits doux et graves auxquels le bruit fait peur, elle sourit des lvres, puis ne sourit plus, etse contenta d'couter, blouie, fatigue, gne mme par cet intarissable volcan d'explosions et d'tincelles.

    La blonde est battue, murmura Marie Touchet l'oreille de son fils.

    Tout coup l'ombre du frre parleur s'interposa entre le soleil et Henriette.

    Sire, ditil, ces jeunes gens que vous avez mands sont lbas qui attendent.

    Quels jeunes gens? demanda Henri tout fait distrait par l'enchanteresse, et qui peuttre mme en voulut frre Robert de l'avoir troubl, je n'ai mand personne que je sache.

    Ceux que Votre Majest voulait remercier, continua le frre sans s'effaroucher de l'tonnement du roi.

    Ah! je sais, moi, dit tout bas Gabrielle rougissante l'oreille d'Henri IV, ce garde, son ami....

    Trsbien! trsbien! s'cria Henri, oui, nos amis, appelezles, frre Robert, ils ne sont pas de trop, et je lesverrai volontiers avant mon dpart.

    Un religieux partit au signe du frre parleur.

    Henri se retourna vers Mme d'Entragues et Henriette:

    Je veux que vous les voyiez; l'un d'eux, surtout, ditil; l'autre est dans mes gardes, et n'a rien quetrsordinaire; mais le bless est ce qu'on peut appeler un charmant garon.

    Le bless? dirent la fois plusieurs voix, il est bless?

    La belle Gabrielle, vol. 2

    III. COUPS DE THATRE 21

  • Oui; Crillon qui l'aime et le protge,entre nous, c'est une excellente recommandation,l'a fait conduireici, o ces dignes religieux l'ont guri et rtabli comme par miracle. Et vraiment, c'est une bndiction du cielqu'il ait chapp ainsi la mort, car la blessure tait, diton, affreuse; n'estce pas, frre Robert.

    Un grand coup de couteau dans la poitrine, dit le moine qui, froidement, promena ses regards autour de lui,sans paratre remarquer ni le tressaillement d'Henriette, ni la rougeur de sa mre, ni le soubresaut convulsifque fit la Rame derrire l'arbre qui l'abritait.

    Tenez, mesdames, ajouta le roi, voici ces jeunes gens qui arrivent; jugez vousmmes si celui dont je parlen'est pas d'une beaut rendre les femmes jalouses.

    Voyons cette merveille, dit Marie Touchet.

    Admirons ce phnix, dit Henriette avec enjouement.

    Tout coup Marie Touchet plit et laissa tomber le verre qu'elle tenait la main. Henriette, qui s'taitretourne pour voir plus tt, se leva comme l'aspect d'un danger terrible. Elle poussa un cri, et ses doigtscrisps se cramponnrent convulsivement la table qui retenait tout son corps cambr en arrire.

    Esprance et Pontis, conduits par un servant, dbouchaient de l'alle, et venaient d'entrer sous le berceau.Esprance, qui marchait le premier, s'tait inclin pour saluer son hte illustre. Lorsqu'il se redressa, il vit enface de lui, trois pas, la figure livide d'Henriette, dont la terreur roidissait les lvres et dilatait les yeux. Ilsaisit la main de Pontis et resta clou au sol.

    Au cri de la jeune fille, une rauque exclamation avait rpondu sous les arbres. La Rame aussi venait dereconnatre le fantme d'Esprance et le couvait d'un regard pouvant, comme Macbeth regarde l'ombre deBanquo, comme le remords regarde le chtiment.

    Ni M. d'Entragues, ni M. d'Auvergne ne semblaient rien comprendre cette scne. Quant au roi, aprsquelques mots vagues adresss Esprance, il avait, pour s'instruire, attach ses yeux sur le moine qui, en cemoment, rejeta son capuchon en arrire, pour mieux dvorer chaque dtail du spectacle, et sa physionomiecurieuse et maligne fit dire Henri:

    Il faut qu'il se passe ici quelque chose d'extraordinaire, car notre ancien ami vient d'oublier un instant le rlede frre Robert.

    Henriette, aprs avoir essay vainement de dominer son motion, aprs avoir tent de repousser l'apparitionpar toutes les forces de sa volont, de sa nature nergique, ne rsista plus au feu terrible qui jaillissait desprunelles d'Esprance. Elle chancela, la main qui lui servait d'arcboutant flchit, tout le corps s'affaissa, etsans le secours des deux bras de son pre, elle ft tombe la renverse.

    La pleur de Marie Touchet s'expliqua aussitt par l'tat douloureux de sa fille, et Gabrielle s'tant avec unevive compassion empare de Mlle d'Entragues pour lui faire reprendre connaissance, le comte d'Auvergne nes'occupa plus que de remettre en bonne voie l'esprit du roi qui faisait dj des questions embarrassantes.

    Que peut avoir cette jeune fille? disait Henri en regardant frre Robert. Seraitce la vue de notre Adonis quil'aurait ainsi frue d'amour?

    Mademoiselle a vu sans doute quelque norme araigne, dit tranquillement le moine, ou bien une chenillede celles que nous appelons hirsuta; elles sont communes dans nos jardins.

    La belle Gabrielle, vol. 2

    III. COUPS DE THATRE 22

  • C'est cela, s'cria M. d'Entragues en essayant de redresser sa fille et sa femme, n'estce pas, madame, quec'est cela?

    A la bonne heure! dit le roi de plus en plus dfiant la vue du trouble gnral.

    Marie Touchet balbutia quelques mots sans suite.

    Laissons les dames prendre soin des dames, ajouta Henri. Je vais remonter cheval. Que nul ne se drange.Tout le monde est trop occup ici.

    Nous accompagnerons au moins Votre Majest jusqu'aux portes, dirent le comte et son beaupre en sefaisant force clins d'yeux dsesprs.

    Henri baisa tendrement la main de Gabrielle et se mit en route suivi des deux Entragues et du frre parleur.

    Esprance et Pontis, les bras entrelacs, se montraient l'un l'autre la Rame immobile distance, comme unserpent tenu en arrt par un lion.

    Deux traits de plume suffiront pour expliquer la position de chacun des personnages de ce tableau.

    Gabrielle suivant des yeux le roi, et regardant avec curiosit soit Mlle d'Entragues, soit Esprance; MarieTouchet empresse de faire revenir sa fille; Henriette plus l'aise depuis que le dpart du roi empchait touteexplication.

    Au fond du berceau Esprance et Pontis, et en face d'eux la Rame.

    Voil bien le sclrat, dit Pontis son ami; il nous brave!

    Tu te trompes, rpliqua Esprance; il est moiti mort de peur.

    Il faudrait qu'il ft mort tout fait, M. Esprance.

    Ah! souvienstoi de nos conditions. Pas un mot qui rvle jamais le secret d'Henriette. Vois sa pleur; voiscet vanouissement, et avoue qu'elle m'a pris pour un fantme. Croistu que je me venge!

    Mdiocrement, dit Pontis.

    Cela me suffit, compagnon.

    Pas moi, murmura le garde. En tout cas, si vous n'avez rien demander la demoiselle, j'ai encore uncompte rgler avec le garon. Il a voulu me faire pendre, moi!

    Vous me ferez le plaisir, Pontis, dit svrement Esprance, de laisser votre pe au fourreau! C'est uneaffaire qui me regarde seul. Ah! pas de discussion, pas de coup de tte,l'pe au fourreau!

    Soit, rpliqua Pontis; il sera fait comme vous le dsirez.

    Tu le promets?

    Je le jure!

    La belle Gabrielle, vol. 2

    III. COUPS DE THATRE 23

  • Eh bien! suismoi, nous allons prendre le drle dans quelque coin, je lui dirai deux mots qu'il n'oubliera desa vie.

    Pontis, que les pourparlers impatientaient dans cette circonstance, o les coups lui paraissaient le seuldnoment possible, haussa les paules en grommelant une diatribe contre ces gnreux absurdes qui sontl'ternelle pture des lches et des mchants.

    Esprance lui prit le bras et commena de marcher avec lui vers la Rame, dont les joues devenaient plusples mesure que ses ennemis s'approchaient de lui.

    Mais avant qu'ils se fussent joints, Henriette, qui avait compris sans l'entendre chaque nuance de ce dialogue,s'arracha des bras de sa mre et de Gabrielle. Elle courut Esprance, lui saisit la main et l'entrana, par ungeste rapide comme la pense, hors du berceau o l'intelligente Marie Touchet retint Gabrielle. Le champdemeura libre de cette faon toutes les explications possibles.

    Esprance essaya bien de rsister, mais Henriette, cette fois encore, fut irrsistible. Pontis ne se sentit pas plustt libre, qu'il traversa le jardin la course et disparut dans le rezdechausse du couvent, en se disant avecune sombre ironie:

    J'ai mon ide, Esprance n'aura rien dire et l'pe restera au fourreau!

    Ce qu'il allait faire si vite et si loin, nous le verrons tout l'heure. Il est certain que la Rame ne s'en doutaitpas, et qu'Esprance en le voyant fuir si vite ne s'en fut jamais dout non plus quand mme son attention n'etpas t absorbe tout entire par Henriette. Celleci, une fois hors de la porte des voix, arrta Esprance, et leregardant avec des yeux noys de larmes, qui n'taient pas feintes:

    Pardon! s'criatelle. Oh! pardon, monsieur, vous ne m'accusez point, n'estce pas de l'horrible aventurequi a failli vous coter la vie.

    Je ne vous accuse, assurment, mademoiselle, dit Esprance d'un ton calme, ni de m'avoir assassinvousmme, ni de m'avoir jet sous le couteau.

    De quoi m'accuserezvous alors?

    Mais il me semble que je ne vous ai rien dit, mademoiselle. Je suis en ce couvent pour me rtablir. Je nevous y ai pas appele; vous arrivez par hasard, vous me voyez, c'est tout simple, puisque j'y suis.

    Vivant! Oh! Dieu merci, ce remords va donc cesser d'empoisonner mes nuits.

    Enchant, mademoiselle, d'avoir involontairement contribu vous rendre le sommeil meilleur. Mais,puisque vous tes rassure, et que dsormais vos nuits, comme vous dites, vont devenir charmantes, nousn'avons plus rien nous raconter. Saluonsnous donc poliment. Pour ma part, je vous tire ma rvrence.

    Tenez, voil madame votre mre qui regarde de ce ct comme si elle vous rappelait.

    Ma mre! ma mre! il s'agit bien de ma mre. Elle doit tre trop heureuse que je russisse prs de vous!s'cria Henriette avec furie.

    Comme vous y allez! Une mre si svre, aux yeux de qui vous vous compromettez me parler!

    Cette ironie fit bondir Henriette comme un coup d'peron.

    La belle Gabrielle, vol. 2

    III. COUPS DE THATRE 24

  • Par grce! ditelle, ne m'pargnez point la colre, les reproches, l'insulte mme, cela se pardonne chez unhomme aussi cruellement offens; mais le sarcasme, le mpris...oh! monsieur!

    Et pourquoi donc vous honoreraisje de ma colre? rpliqua Esprance. Jalouse, un poignard la main,vous m'eussiez trou la poitrine, bien, je vous redouterais, je ne vous mpriserais pas. Mais vousrappelezvous cette femme, cette hyne, cette voleuse, qui s'est penche sur mon cadavre? Vous l'avezpeuttre oublie, je m'en souviens toujours. Je ne veux, plus avoir rien de commun avec cette femme. Allezde votre ct, madame, laissezmoi vivre du mien.

    J'ai t lche, j'ai t vile, j'ai eu peur.

    Que m'importe, je ne vous demande point de justification. Ma blessure est cicatrise, ou peu prs; tenez.

    Il ouvrit sa poitrine dont la blanche et douce surface tait sillonne par une cicatrice encore rouge etenflamme.

    Elle frissonna et cacha son visage dans ses mains.

    Vous voyez bien, repritil, que je n'ai plus le droit de garder rancune l'assassin. Souffrance du corps,morsures dvorantes, brlure amre, douze quinze nuits de fivre, de dlire, qu'estce que cela?...c'est lepayement des heures de volupt, d'ivresse, que ma matresse m'avait donnes. Nous sommes quittes. Quant l'me, oh! c'est diffrent. Effaons, effaons.

    Il salua de nouveau et chercha une alle de traverse, elle le retint avidement.

    Et si je vous aime! s'criatelle, si je vous trouve beau, juste, sublime, si je m'humilie, si je me dnonce etque je vous avoue, si toute ma vie est suspendue votre pardon, si, depuis que vous m'avez quitte, oh!quitte, comment, hlas! si depuis le terrible moment o je me suis rveille, quand on n'a plus trouv votrecorps, quand ma mre et ce la Rame maudissaient, menaaient, si, depuis cette infernale nuit, Esprance, jen'ai pas dormi. Riez, riez.... Si je n'ai pens qu' vous retrouver vivant ou mort. Mort, pour aller me rouler deux genoux sur votre tombe et vous jeter mon coeur en expiation; vivant, pour vous prendre les mainscomme je fais et vous dire: Pardonne, j'ai t infme! Pardonne encore, j'ai t ambitieuse, j'ai caress leschimres qui desschent le coeur, pardonne, je suis tantt un dmon, tantt une femme frivole, tantt unecrature capable de tout le bien que ferait un ange. Fais plus que pardonner, Esprance, toi qui n'es pascompos de fiel et de boue comme nous autres, aimemoi encore, et je m'lverai par l'amour une tellehauteur, que de ces sphres nouvelles nous ne verrons plus la terre o j'ai t criminelle, o j'ai failli mriter tahaine et ton mpris. Esprance, je t'en supplie, le moment est solennel! Demain, ni pour toi ni pour moi il neserait plus temps. Oubli, espoir, amour!

    Il tenait ses yeux fixs sur le gazon comme l'ombre de Didon que suppliait Ene.

    Tu rpondras, n'estce pas? ditelle. Tu me fais attendre, tu veux me punir, mais tu rpondras.

    A l'instant, rpliqua le jeune homme d'une voix ferme, et avec un lumineux regard qui effraya Henriette tantil pntrait dans les abmes de sa pense qu'elle venait de lui ouvrir. L'amour que vous me demandez, vous nel'prouvez pas vousmme. Ne m'interrompez point. C'est un reste de jeunesse, un des derniersattendrissements de la fibre que l'ge n'a pas encore eu le temps de ptrifier tout fait. Cet amour n'est autrechose que votre repentir d'avoir caus la mort d'un homme. Cet attendrissement, c'est le rsultat de la peur quevous a cause mon fantme.

    Oh! vous abusez de mon humiliation.

    La belle Gabrielle, vol. 2

    III. COUPS DE THATRE 25

  • Nullement, je vous dis la vrit; c'est un droit que j'ai pay cher. Je n'en profiterais mme pas, croyezlebien, si je n'esprais que le miroir brutalement prsent attirera votre attention sur la ralit dsolante de votreimage, et vos progrs dans le bien, si vous en faites, serviront d'autres, je m'en applaudirai de loin. Quant moi, que vous dites aimer, et que vous sollicitez de vous aimer encore, j'en suis pour le moins aussi incapableque vousmme. Cet amour que j'avais, tait une sve exubrante qui a tari avec mon sang. Peuttre etilsurvcu, si quelque racine en et t plante dans le coeur, mais, je vous le dclare,et cela sans chercher desmots qui vous choquent, je les vite au contraire soigneusement,en appuyant la main sur ce coeur tant defois joint au vtre, je ne sens rien qui batte, rien que le mouvement rgulier et banal d'une vie tenace, il faut lecroire, puisqu'elle a rsist un si rude assaut. Je ne vous aime plus, mademoiselle, et je ne crois pas enconscience que vous soyez fonde me le reprocher.

    Henriette, les sourcils contracts par une souffrance inexprimable, tenta pourtant un dernier effort.

    Au moins, ditelle, puisque vous me rduisez demander l'aumne, au moins fautil que je fasse valoirmes titres votre charit. Tout l'heure vous voquiez des souvenirs qui m'ont fait tressaillir. Ce temps jamais vanoui de l'amour, ces heures d'treintes o votre coeur, glac aujourd'hui, battait si fort, neplaiderontils pas pour moi? Et au lieu de rpter avec moi: Oubli et amour; ne consentirezvous pas metendre la main en rptant: Oubli et amiti!

    Esprance attacha son regard sincre sur l'oeil noir et profond d'Henriette. Il y lut une sorte d'avidit sinistre.Peuttre cette femme taitelle en ce moment sincre comme lui; mais Dieu, qui lui avait donn le pouvoirde brler, d'entraner les coeurs, lui avait refus la douceur qui persuade, le charme qui endort les dfiances. SiEsprance n'et pas t l'esprit noble et choisi par excellence, on et pu croire qu'il ne pardonnait pas Henriette d'avoir tant surfait l'amour pour arriver l'amiti.

    Eh bien, rpliquatil lentement, j'ai le regret de ne pouvoir encore vous satisfaire, je ne suis pas de votreopinion quant aux degrs que vous tablissez; l'amiti vaut mes yeux autant que l'amour, sinon plus; ellen'est pas le reste us, fan, racorni de l'autre. Pour accorder de l'amiti quelqu'un, il faut que je soisabsolument sr de cette personne. Pour aimer d'amour, je ne prends mes informations que dans des yeux, unetaille, un pied, un sein qui me sduisent. Je vous ai aime, je ne m'en repens point, mais je ne serai jamais unami pour vous, n'y pensons pas plus qu' l'autre chose.

    Elle plit et se redressa.

    Cette fois, ditelle, vous ne mnagez mme plus en moi la position ni le sexe. Vous m'insultez comme sij'tais un homme.

    Vous n'en pensez pas un mot. Ma nature n'est ni provocante ni hargneuse, vous le savez.

    En quoi mon amiti peutelle vous nuire?

    En quoi la mienne peutelle vous servir?

    Ne ftce que pour les jours o le hasard nous rapprochera.

    Oh! ces joursl, mademoiselle, deviendront de plus en plus rares. Nos astres ne gravitent pas dans lemme sens. Et puis, c'est chose facile: lorsque nous nous rencontrerons, comme vous savez que je ne suis pasmort, vous n'aurez plus cette motion dsagrable; je n'aurai plus cette premire surprise assez naturelle, nousnous tournerons civilement le dos ou nous nous saluerons plus civilement encore, si vous y tenez.

    La belle Gabrielle, vol. 2

    III. COUPS DE THATRE 26

  • Je n'y tiens pas, si j'y tiens seule, dit Henriette avec une hauteur qui prouva bien vite Esprance que levernis de douceur n'tait point pais sur cette rude corce. Ainsi, je suis refuse, bien refuse, monsieur? |Esprance s'inclina.

    Sur tous les points?

    Il s'inclina encore.

    Il ne nous reste plus, dit Henriette les dents serres, qu' causer d'affaires.

    Il la regarda d'un air surpris.

    Oui, monsieur. Un refus d'amiti signifie promesse de haine. Vous me hassez, soit!

    Je n'ai pas dit cela, mademoiselle, et j'ai dit tout le contraire. Je rpte ma profession de foi: Pas d'amour,pas d'amiti, pas de haine....

    Phrases! subterfuges! subtilits auxquelles je suis intresse ne me pas mprendre. Ne me regardez pas decet oeil tonn. Vous n'tes pas plus tonn que je n'tais amoureuse tout l'heure. Nous jouons une partie,n'estce pas? eh bien, cartes sur table. Puisque vous allez tre libre, puisque je renonce bien compltement vous, votre intention ne saurait tre de me retenir votre esclave?

    Mon esclave?

    Je la suis. Vous tenez un bout de chane qui gnera perptuellement mes allures, ma libert, ma vie, unechane qui me dshonore! Rompezla, monsieur, lchezla!

    Je fais tous mes efforts pour comprendre, dit Esprance, et je n'y parviens pas.

    Je vais vous aider. L'amant qui conserve des gages de sa liaison avec une femme, peut perdre cette femme,n'estce pas?

    Ah! s'cria Esprance, je comprends.

    C'est heureux.

    Votre billet, n'estce pas?

    Vous allez me rpondre que vous ne l'avez pas sur vous.

    D'abord.

    Je le crois. Envoyez quelqu'un Ormesson avec ce billet. Je remettrai en change les diamants que vousavez oublis chez moi.

    Inutile, mademoiselle, dit froidement Esprance, je n'enverrai pas chercher ces diamants, jetezles dans larivire, grenezles par les chemins, renvoyezlesmoi pour que je les donne aux pauvres, faitesen ce quebon vous semblera. Quant au billet....

    Eh bien!

    La belle Gabrielle, vol. 2

    III. COUPS DE THATRE 27

  • Vous ne le reverrez jamais. Il me plat non pas de vous tenir esclave, comme vous disiez, ou de vous fairerougir mon passage. Oh! je vous promets, je vous jure de tourner droite quand je vous verrai gauche.Mais, mademoiselle, il me plat de garder contre vous cette arme terrible.

    C'est lche! s'cria Henriette avec, un regard effrayant.

    Si j'en crois vos yeux, c'est plutt tmraire.

    Vous ne voulez pas me rendre ce billet?

    Non.

    Eh bien! je vous le prendrai.

    Tant que vous ne m'aurez pas fait assassiner, tant que je serai debout, tant qu'il me restera une goutte desang pour me dfendre, je vous en dfie.

    Encore une fois, rflchissez! Esprance haussa les paules.

    N'ayez donc pas peur de moi, ditil avec srnit; vous voyez bien que je n'ai pas peur de vous.

    Oh! malheur, murmura la jeune fille avec un geste terrible. Adieu! je ne vous dirai plus qu'un mot.Esprance, je vous hais! prenez garde!

    Vous en avez dit deux de trop, rpondit Esprance, tandis qu'Henriette regagnait rapidement le berceau.

    Elle prit le bras de sa mre, ne salua pas mme Gabrielle qui s'informait de sa sant, et tranant avec unevigueur inoue la majestueuse Marie Touchet la rencontre de M. d'Entragues et du comte d'Auvergne, quirevenaient au berceau aprs avoir assist au dpart de Henri IV, elle rpta plus de dix fois:

    Partons! partons!

    Cependant elle jetait droite et gauche des regards inquiets.

    Que cherchezvous dit le comte d'un ton bourru, estce que votre syncope va vous reprendre?

    Maladroite syncope! murmura M. d'Entragues.

    Je cherche la Rame, dit Henriette d'un ton farouche.

    Il s'agit bien de la Rame, rpondirent les deux courtisans de mauvaise humeur. Demandeznous doncplutt ce qu'a pens le roi de votre vanouissement.

    Le roi, dit vivement Marie Touchet, sait bien qu'une jeune fille peut avoir des crises nerveuses.

    Et d'ailleurs, qu'importe, interrompit fivreusement Henriette. Il me faut la Rame.

    Un jardinier qui travaillait dans le parterre entendit la question. Il avait vu le jeune homme attendre et guetterlongtemps prs du berceau tandis qu'Henriette causait avec Esprance.

    Ne cherchezvous pas le gentilhomme en habit vert qui tait l tout l'heure? ditil.

    La belle Gabrielle, vol. 2

    III. COUPS DE THATRE 28

  • Prcisment.

    C'est qu'on est venu l'appeler voil dix minutes.

    Qui donc?

    M. de Pontis, le garde du roi, qui loge ici.

    Ah! murmura Henriette.

    Oui, le jeune homme ple regardait lbas au fond, du ct du berceau; alors M. de Pontis s'est approch,lui a frapp sur l'paule. L'autre s'est retourn vivement, je ne sais pas ce qu'ils se sont dit, mais ils sont partisensemble et d'un bon pas encore.

    C'est bien, c'est bien, dit Marie Touchet en serrant le bras de sa fille, on le retrouvera. Partons.

    Toute la famille disparut sous le portique.

    Esprance, bout de forces, tait tomb sur un banc.

    Il cherchait des yeux Pontis, car il se sentait dfaillir.

    Gabrielle tait retourne auprs de son pre.

    Soudain, un bruit pareil celui du sanglier qui crase un taillis rveilla le ple jeune homme; il vit ou plutt ildevina Pontis sous les traits d'un fou gar, essouffl, corch, en haillons, tremp de sueur, qui faisaitirruption dans le berceau par la charmille, et qui, l'embrassant l'touffer, lui dit d'une voix rauque:

    Adieu... bientt, mille compliments aux bons frres.

    Et il s'enfuyait. Esprance le saisit par un des lambeaux de son pourpoint et s'cria:

    Au nom du ciel! qu'y atil, et dans quel tat t'estu mis?

    IV. CHIEN ET LOUP

    Voici quoi Pontis avait employ son temps.

    Aprs sa conversation avec Esprance, nous l'avons vu disparatre. Cependant la Rame, d'abord menac parles regards hostiles des deux amis, s'tait trouv tout coup libre et seul, partir du moment o Henrietteavait pris le bras d'Esprance.

    Le jardinier ne s'tait pas tromp. La Rame suivait avec une anxit bien grande chaque mouvement de lajeune fille chaque geste d'Esprance. De quoi pouvaientils parler? Comment s'taitelle si vite remise de sonmotion, elle, une femme, tandis que lui, fort et hardi, tremblait encore l'aspect de sa victime chappe lamort?

    La tte de la Rame se brouillait dans la contexture de toutes ces intrigues. Il ne pouvait suivre la fois ni legnie astucieux des Entragues, ni le gnie primesautier de la turbulente Henriette, et lorsque tout cela secompliquait de la prsence d'Esprance, des serrements de mains que lui prodiguait la jeune fille, de lapatiente complaisance de Marie Touchet, la Rame n'y comprenait plus rien. Le comte d'Auvergne, le roi,

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    IV. CHIEN ET LOUP 29

  • Esprance, Ormesson, SaintDenis, Bezons, dansaient comme des visions de fivre dans son cerveau vide, et,rellement, c'tait trop d'impressions diverses pour la force d'une seule crature. La jalousie, la haine, la peuret le fanatisme religieux eussent suffi isolment tourner quatre cervelles.

    Le jeune homme s'appuyait donc son arbre comme un captif son poteau, et il attendait que le jour et lecalme pntrassent en matres dans son intelligence, dj mme une ide lui apparaissait distincte, celle demarcher vers les deux interlocuteurs, Henriette et Esprance, de ramener cellel prs de sa mre, et d'en finiravec celuici par une explication dcisive. Ce parti souriait ses instincts de brutale domination. Henriette,subjugue par la peur d'un scandale, cderait facilement, elle y serait contrainte par sa mre. Quant Esprance, on lui proposerait d'effacer ce coup de couteau par un coup d'pe lorsqu'il serait tout fait guri.

    Soudain une main s'appuya sur l'paule du jeune homme. Il se retourna et vit un pied de son visage le visagesouriant et narquois de Pontis.

    C'tait la seconde fois qu'il voyait en plein soleil cette ple et bizarre figure. Dans leur rencontre nocturne Ormesson, l'ombre les avait empchs de se bien saisir l'un l'autre. Tout l'heure au bras d'Esprance, Pontisn'avait t aperu qu' travers un rideau de feuillage. Ils ne s'taient donc bien rellement trouvs face facequ'au camp de Vilaines et dans le jardin du couvent des Gnovfains.

    Ce que disait la Rame la figure de Pontis, beaucoup de lignes ne russiraient pas l'exprimer, cependant unseul regard le traduisit.

    La Rame se retourna la main sur la garde de l'pe.

    Je vois, lui dit Pontis, que vous m'avez compris tout de suite: c'est un plaisir d'avoir affaire aux gensd'esprit.

    Monsieur, rpliqua la Rame, je n'ai pas d'esprit du tout, et ne veux pas perdre de temps essayer d'en faire.Vous avez me parler, je suis prt.

    Cette phrase vaut toutes les oraisons et harangue de l'antiquit, dit Pontis.

    Mais, interrompit l'autre, vous ne supposez pas que je vais tirer l'pe comme cela, en plein air, deux pasdes dames.

    Bon! Cela vous gnetil? Monsieur de la Ram, vous seriez donc bien chang depuis le dernier jour onous nous sommes vus. Ce jourl, sans reproche, vous avez tir le couteau dans la poche mme de deuxdames.

    La Rame avec son regard venimeux:

    Criez cela bien haut, ditil, vous me prouverez que vous cherchez tre entendu, pour qu'on nous empchede nous battre.

    Erreur! il ne peut y avoir entre nous de scandale, monsieur; mon ami, qui est lbas, me l'a dfenduabsolument. Il n'y aura qu'une muette explication. Si cependant vous refusiez de me suivre, oh! alors jeprendrais un parti violent.

    Je vous rpte que le lieu est mal choisi.

    A qui le ditesvous. Aussi j'en ai choisi un autre.

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  • La Rame tressaillit.

    Marchons! ditil.

    Puis, se ravisant:

    O allonsnous?

    Vous aurez remarqu, rpliqua Pontis, que tout l'heure, au lieu de venir droit vous, j'ai pris le travers dujardin.

    Je l'ai vu.

    A la faon dont je courais, vous avez d vous dire: que Pontis n'est pas un sot, il va prparer quelque chosepour moi.

    J'ai eu cette ide.

    Je vous rpte que vous tes plein d'esprit. Venez donc sans avoir l'air de rien. Tenez, marchons commedeux amoureux qui devisent; comme les deux amoureux de lbas; chemin faisant, je vous expliquerai mespetites finesses.

    La Rame frissonna d'tre oblig de quitter Henriette dont l'entretien avec Esprance atteignait en ce momentle maximum de l'animation. Mais Pontis le tenait galamment par le bras et le conduisait vers les btiments ducouvent. Il fallait marcher.

    Voyezvous, dit Pontis, j'habite ce couvent depuis assez de temps pour en avoir sond, visit, vent tousles bons coins et les cachettes; je ne saurais vous dtailler tout ce qu'il m'a fallu d'artifices pour me glisser soitdans les offices, soit dans la cuisine, afin de drober, l'insu du frre parleur, les potages, bouillons, cuissesou blancs de volaille, qui m'ont ainsi redress, fortifi, enlumin le pauvre Esprance. Vous lui avez tir tantde sang!

    Vous pourriez bien marcher sans tant de verbiage, grommela la Rame.

    C'est pour que la route vous semble moins longue. Je rponds d'ailleurs votre question: O allonsnous?eh bien, nous allons gagner un petit degr derrire la cuisine, tourner le long de l'office, puis autour de lachapelle, descendre l'tage souterrain o se trouvent les bchers. Rassurezvous, les caves sont plus bas. Lecouvent est suprieurement bti, monsieur; il y a trois tages de caves.

    A ce moment, en effet les deux jeunes gens pntraient dans le corridor o commenait l'escalier annonc parPontis, et que peuttre nos lecteurs se rappelleront pour y avoir vu descendre le frre parleur et M. deLiancourt.

    C'tait, en effet, un endroit dsert, sans communication utile, et qui prenait son jour ou plutt son crpusculepar les soupiraux d'une cour intrieure.

    La Rame s'arrta sur le point de descendre.

    Comme nous n'allons pas sans intention dans cet endroit, monsieur, ditil son guide, comme cesintentions ne sont pas caressantes, vous trouverez bon que je prenne mes prcautions.

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  • Comment donc, monsieur, lesquelles?

    Je tire d'abord mon pe.

    Comme vous voudrez, moi je laisse la mienne au fourreau.

    Ensuite, vous, passez le premier.

    Oh! mais, monsieur, c'est beaucoup exiger, dit Pontis. Car enfin, je suppose que le pied vous manque, etque sans mauvaise volont aucune, vous tombiez sur moi, vous tendrez la main pour vous retenir, et cettediablesse d'pe que vous tenez la main m'entrera dans le corps, ce qui vous chagrinerait et moi aussi. Non,prenons d'autres arrangements.