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Débordant de certitudes et bardé de diplômes, Benjamin sort

d’une grande école de commerce avec tout pour réussir sa vie.

Sauf que les lois du marketing ne servent à rien quand il s’agit

de séduire Astrid, la fille la plus convoitée du campus. Tout se

complique encore pour lui quand, du jour au lendemain, ses

parents lui coupent les vivres ! Avec l’aide de son coach, Adam

Thims, il se lance à la recherche d’un emploi. Du rayon poisson-

nerie de l’hypermarché voisin aux usines de baskets en Chine,

à dos de chameau dans le désert ou dans une chambre d’hôtel

avec Astrid, le jeune homme découvre la dure réalité du monde.

Si seulement il n’était pas aussi naïf !

Dans Tout va pour le mieux ! , Alain Monnier transpose les

aventures du Candide de Voltaire à notre époque. Le résultat :

une description au vitriol de la société contemporaine, doublée

d’un récit d’apprentissage désopilant.

Flammarion Flammarion12-IV

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Alain Monnier

Alain Monnier

d un récit d apprent

LYCÉEPrix France : 4,90 € ISBN : 978-2-0812-7212-5

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Du même auteur

Signé Parpot, Climats, 1994 ; Pocket 2000.Un amour de Parpot, Climats, 1996 ; Pocket, 2000.Côté jardin, Climats, 1998 ; Pocket, 2002.Les Ombres d’Hannah, Climats, 1999 ; Pocket, 2002.L’Insoluble Problème de la présence sur terre, Climats, 2000.Survivance, Climats, 2002.Parpot le bienheureux, Climats, 2004 ; Pocket, 2006.Givrée, Flammarion, 2006 ; J’ai Lu, 2009.Notre Seconde Vie, Flammarion, 2007.Rivesaltes : un camp en France, Éditions de la Louve, 2008.Je vous raconterai, Flammarion, 2009.Place de la Trinité, Flammarion, 2012.

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ALAIN MONNIER

Tout va pour le mieux !

Illustrations par Isabelle Maroger

Flammarion

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© Éditions Flammarion, 2012.« Étonnantissimes », une série

de la collection « Étonnants Classiques »ISBN : 978-2-0812-7212-5

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Ingénieur en énergie solaire, Alain Monnier travaille dans lesecteur des technologies innovantes. En 1994, il publie SignéParpot, une œuvre qui suscite l’enthousiasme de la critique etdu public. Partageant son temps entre Toulouse et les Corbières,il a depuis écrit de nombreux autres romans, parus chez Climatset Flammarion, dont Givrée (2006), Je vous raconterai (2009)et Place de la Trinité (2012) – textes dans lesquels il explore,souvent avec humour, la condition humaine et les travers de lasociété moderne. Il a également rédigé des scénarios de docu-mentaires ainsi que des chroniques journalistiques, notammentpour le site Internet du magazine Marianne.

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À Jean-Claude Michéa,dont les lumineux décryptages

et les brillantes mises en perspectivem’ont permis d’écrire ce récit

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Chapitre 1Où Benjamin se retrouve chassé

du paradis universitaire

Aux dires de ses camarades de l’Institut des hautesétudes de commerce, Benjamin Dedican est un jeunehomme sérieux et travailleur, mais pas toujours drôle.Son visage poupin et son sourire de chérubin luidonnent l’air un peu naïf, ce qu’il n’est peut-être pas. Ilfaut se méfier des opinions à l’emporte-pièce, surtoutlorsqu’elles émanent de jeunes gens qui excellent prin-cipalement dans le dénigrement et les beuveries dujeudi. Ce qui est sûr, comme son dossier scolairel’atteste – ce n’est donc pas discutable –, c’est que Dedi-can a un bon caractère, une nature obéissante et unetotale confiance dans l’enseignement de ses professeurs,qui le lui rendent bien. À vingt-quatre ans, il a déjà undiplôme d’une école de gestion, un master de Marke-ting et Communication, un autre de Commerce interna-tional obtenu à l’université de Brighton. Il en termineun troisième de Finance. Il parle couramment l’anglaiset se débrouille en espagnol.

« Ces trois masters couvrent les plus nobles savoirsqui soient », lui répète Adam Thims, son professeur

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référent à l’IHEC. Son coach, dit-on aujourd’hui. C’estun homme petit, teigneux, sûr de lui, qui détient lavérité. Il assomme Benjamin de conseils et de travauxpour ses propres recherches, mais le jeune homme,allez savoir pourquoi, l’admire. Thims professe que seulle profit bien compris peut conduire le monde, que lebonheur des hommes passe par un Grand Marché quiassure le libre-échange, et par de bonnes lois qui fontrespecter les contrats et les intérêts privés de chaqueindividu. Bref, qu’il n’existe aucune Vérité ni aucuneMorale, en dehors de l’intérêt individuel bien compris,pour assurer la cohabitation pacifique des hommes.Quoi de plus beau, dès lors, que la Finance, le Marke-ting, la Communication, ou le Commerce internationalpour se débrouiller dans la vie, c’est-à-dire pour menerune carrière aussi lucrative que lucrative.

D’après coach Adam, une année supplémentaire deDroit des affaires ne pourrait que bonifier le parcoursde Benjamin, car le beau profit et le doux égoïsme ontbesoin des Lois et des Juges. Sans eux, rien n’est pos-sible. Mieux vaut donc nouer des liens qui servironttoujours. Benjamin a déniché un cursus intéressant àl’université de Rome, qui va par ailleurs lui permettrede suivre la jolie Astrid en partance pour Florence. Éras-mus oblige ! Astrid est ravissante, blonde avec des che-veux courts, l’air mutin, c’est la plus jolie étudiante ducampus, elle a été par deux fois élue « Miss IHEC ». Elleest aussi la plus courtisée. Benjamin lui donne des

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cours particuliers depuis des semaines, des cours demathématiques appliquées et de statistique. Riend’autre ! Il en est amoureux, ce n’est pas réciproque. Illui a frôlé la main à plusieurs reprises, mais il n’a hélasaucun savoir-faire avec les filles. Il en a parlé à soncoach qui lui a servi en retour une théorie plutôt maladaptée à son cas : Thims lui a en effet expliqué quechaque membre d’un couple doit évaluer les bénéficeset les pertes liés à leur union, faire un bilan précis desactifs et des passifs de chacun, prendre en compte lescoûts de logement, de chauffage, les impôts locaux,intégrer la loi de finance, et mettre en face le coûthoraire d’une escort girl ou d’un gigolo de luxe. C’esttrès bien, pense Benjamin, sauf que ça ne me dit pascomment m’y prendre !

Astrid est dégourdie, voire franchement délurée, elletrouve Benjamin différent des autres garçons mais lejuge trop niais pour en faire un amant, même de pas-sage. Comme il lui donne des cours gratuits, elle luipose un bref baiser du bout des lèvres au moment oùil part et c’est tout. Elle préfère garder des cartoucheset se contente de minauder, de battre ses longs cils etde rougir lorsqu’il lui effleure la main. C’est un talentsingulier et bien utile de savoir rougir ou pleurer à lacommande, quand on est une jeune fille.

En ce mois de mai, alors qu’il fait des démarchespour s’inscrire à l’université de Rome et trouver une

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coloc, Benjamin reçoit un courrier postal, dans sa boîteaux lettres, avec une vraie enveloppe de papier et untimbre. Il reconnaît l’écriture de son père, ce qui le sur-prend car ils se voient deux fois par mois, et rien nenécessite un courrier à l’heure du sms et du mail.

Il ouvre la lettre sans hâte, et sans appréhension,tant la bonté et le dévouement de ses vieux parents sontgrands. D’ailleurs ça commence par « Mon cher fils »,avec de belles lettres majuscules rondement formées.Mais finalement les nouvelles ne sont pas bonnes car ilest dit assez crûment que, avec un diplôme de l’IHECet trois masters, on pense que ça commence à suffirepour trouver un travail, qu’ils ont des frais pour sajeune sœur, que le centre de désintoxication et legramme de cocaïne coûtent de plus en plus cher, queles impôts locaux ont augmenté et la mutuelle aussi,que la retraite a baissé, que sa mère n’a plus toute satête et qu’il faut en permanence quelqu’un pour l’empê-cher de fuguer, bref on ne lui paiera pas une annéed’études supplémentaire ! Ni à Rome ni ailleurs ! Ni lalocation d’un appartement. À vingt-quatre ans, il estplus que temps, bardé de diplômes comme il l’est, dese mettre au turbin et de gagner des brouzoufs. S’ensuitun paragraphe de lamentations pour lui dire que, si lesconditions avaient été autres, on aurait été heureux delui offrir une rallonge, mais que non ! Il doit quitter lecocon de l’université et des douces études, et se coltinerce monde qu’il théorise avec un brio à force un peu

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agaçant ! C’est le seul reproche que ce père admirableose adresser à son fils – pourtant, l’éloge du commerceet du chacun pour soi reste dur à avaler pour un anciencommuniste. Pendant des années, sa femme l’a suppliéde se taire, parfois avec de grands coups de pied sousla table, alors que leur fils unique pérorait sur la gran-deur du profit. À s’en mordre les joues ! Maintenantc’est différent, sa femme perd la mémoire et lui laretrouve. Il se rappelle avec ravissement le temps desamours avec de jolies militantes du Parti, et il ne voitpas pourquoi il ne dirait pas ses quatre vérités à sonfils adoré.

Benjamin doit s’asseoir sur un banc. Il est effondré.D’autant qu’un post-scriptum assez rude lui signifieque les subsides paternels s’arrêtent ce même mois,ainsi que le versement automatique de son loyer, de sonabonnement téléphonique, de sa connexion Internet…Il lui reste exactement 432,20 €.

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Chapitre 2Ce que devient Benjamin

dans l’hypermarché

Abattu par ce terrible coup du sort, Benjamin foncedans le bureau d’Adam Thims. Il ne doute pas que soncoach va trouver une solution et le sortir de cet embar-ras. Loin de la compassion et de la main tendue espé-rées, coach Adam lui assène qu’à toute chose malheurest bon, que les épreuves forgent le caractère et surtout,qu’il est hors de question qu’il lui prête le moindre cen-time. Pourquoi ? s’étonne Benjamin. Mais parce qu’iln’y voit aucun avantage pécuniaire et que le risque dene pas rentrer dans ses fonds lui semble colossal. Unposte d’assistant peut-être ? Ils sont tous pourvus et detoute façon réservés aux étudiantes qui lui apportentdes services qu’il ne serait pas à même de lui prodiguer.Puis, songeant soudain que Benjamin doit lui rédigerun article important et qu’il serait malencontreux de sefâcher avec lui, Thims lui glisse un numéro de télé-phone à appeler de sa part. Il ajoute que l’hypermarchéest une belle école de vie, que c’est un excellent champd’application de tout ce qu’il a appris, qu’il devra faireses preuves, and so on.

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Le directeur de Clerfour est un homme peu causant.Il écoute silencieusement Benjamin énumérer la liste deses diplômes et des mentions attenantes, puis il se raclela gorge et lui fixe un rendez-vous. Il a peut-être uneopportunité. Un de ses cadres vient d’entrer en dépres-sion et, par la même occasion, au Pôle emploi,puisqu’on n’a pas à s’encombrer de chochottes. Benja-min l’approuve, il trouve tout à fait normal que l’enca-drement montre l’exemple.

« Je reconnais bien là les étudiants formés par ce bonThims, dit le directeur en souriant. Je suis sûr que vousallez faire l’affaire. »

Tout à sa joie, Benjamin n’ose pas demander quelsera son poste, persuadé qu’avec ses trois beaux mas-ters ce sera forcément un travail à haute responsabilitéet à forte valeur ajoutée, ce qui est le cas puisqu’il seretrouve nommé chef de rayon. Plus précisément durayon poissonnerie. Momentanément, en attendant detrouver un poissonnier, lui a-t-on soufflé quand on a vusa mine dépitée. Chef de rayon, ça consiste à se lever àtrois heures du matin pour aller acheter du poisson àla criée, à le faire charger et à le rapporter pour ensuitele faire décharger, et à l’installer dans les rayons. Onl’appelle chef mais il est hors de question qu’il ne fassepas ce que tous font. Par exemple, décharger les caissesdu camion. C’est à lui de prendre la première et dedonner le rythme tel un capitaine qui montre l’exempleà son escouade. Clerfour marche comme ça, lui dit-on.

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Il a quelques doutes mais préfère se plier aux usagescar si, par malheur, les rayons ne sont pas garnis àl’ouverture, quand les fous furieux, Caddie en main, seprécipitent dans les allées en quête de nourriture, çabarde ! Les retenues de salaire pleuvent. On lui citemême le cas d’un chef de rayon de produits frais quidevait de l’argent à Clerfour à la fin d’un mois d’été.

Lorsqu’il reçoit sa première paye, le smic diminué detrois retenues, Benjamin va demander s’il n’y a pas uneerreur. On lui dit que non, et la secrétaire lui confirmeque tous les employés jusqu’au chef de rayon comprissont payés au Smic, ce qui évite les inégalités et lesjalousies. « Mais cela va à l’encontre du mérite et del’effort individuel ! » fait remarquer Benjamin. Oui,mais l’école de la vie, c’est comme ça !

Le soir, il rentre exténué et se couche tôt. Par le vasis-tas de sa petite chambre, il aperçoit au loin les lumièresdu campus et souvent il a envie de pleurer. Certes, il sedit que ses efforts seront forcément récompensés, qu’ilobtiendra un haut poste et accédera à une situationenviable… Et, dans cet avenir radieux, se dresse tou-jours à son côté, bien droite dans une longue robeblanche, la belle Astrid… qui, depuis belle lurette, nerépond plus à ses mails. Il l’avait croisée une fois dansla rue, elle lui avait dit qu’elle était pressée et qu’il sen-tait le poisson, ce qui l’avait déprimé.

Après quelques semaines pourtant, les poissons sontinstallés quand il faut, ils changent de place toutes les

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heures, au fil des sondages clients, comme s’ils étaientencore en pleine mer. À dix heures, le premier sondagedans le magasin montre que le saumon arrive en têtedes intentions d’achat, et le banc de saumon est ramenédare-dare en tête de gondole. À onze heures, un son-dage sur RTL fait état de la préférence des Françaispour les maquereaux, qui viennent aussitôt frétillantsprendre la meilleure place sur les bacs de glace. À peineplus tard, à cause d’un sujet du JT de treize heures, cesont les crevettes de Madagascar qui leur volent lavedette. Elles rayonnent aussitôt tandis que les maque-reaux gisent sur le sol de l’arrière-frigo en attendant leurretour en grâce.

Benjamin est épuisé, mais il tient le coup. Il déchargeles caisses, guide les équipes, organise, manage, il n’estplus convoqué chez le chef du département. Il file droit,il entonne l’hymne de Clerfour, à la cafétéria, lors dubanquet mensuel obligatoire où sont recyclés les inven-dus. Ces repas remplacent les primes, le vin coule àflots, il est de bon ton de se mettre debout sur leschaises pour chanter en chœur. C’est indispensablepour souder les équipes.

Le soir du banquet de son cinquième mois, il recon-naît un lot de soles qui a été oublié en plein soleil surle parking à côté de la palette de yaourts, mais il ne ditrien. Il évite seulement d’en manger. Il prend de ladinde qui n’est guère plus gaillarde, Noël est si loin,mais il n’en sait rien. Puis il vomit de longues heures,

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plié en deux, appuyé au mur de l’entrepôt, à côté duchef du personnel qui a repris deux fois de la sole. Pasde chance ! On se passe les bouteilles d’eau, des Klee-nex pour s’éponger et ôter les éclaboussures sur leschaussures.

Entre deux hoquets, on s’assied par terre. On discuteun peu pour passer le temps. On essaie de récupérer.Ça crée des liens. Le chef du personnel le questionne,se gratte la tête, s’étonne de ses diplômes, de l’aisanceavec laquelle il s’exprime et de ses propos avisés sur lecommerce. Il fait bon, la nuit est tiède. On finit parrejoindre les voitures.

Quelques jours plus tard, Benjamin est convoquépar ce même chef du personnel qui lui explique docte-ment que Clerfour sait faire émerger les jeunes talentset former les managers de demain. Pour cela, il fautsuivre un plan de carrière précis. Commencer par lesrayons et ensuite passer aux achats.

« C’est important les achats, dit le chef du personnel,parce que c’est le gisement de nos bénéfices ! Ensuitele marketing, la communication, le contrôle de gestionet le middle management. Dans six ou sept ans, vouspouvez intégrer le high level. Mais on n’y est pas !D’abord les achats, faut faire ses preuves aux achats ! »

Benjamin le remercie, et appelle son coach pour luidécrire la voie royale qui s’ouvre devant lui dans

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l’hypermarché et dans le beau monde des affaires.Thims s’étonne, félicite puis pontifie :

« L’Achat et la Vente, voilà en effet les deux beauxfleurons de l’humanité, aussi indissociables que le yinet le yang, et que l’envers et l’endroit… mais il ne fautpas pour autant négliger le Marketing ! »

Puis il lui rappelle subrepticement que c’est grâce àlui s’il embrasse une si belle carrière et lui demande s’ilne pourrait pas mettre en forme une enquête croiséesur le crédit revolving, car ses jeunes étudiants – desincapables ! – calent lamentablement dessus. C’estd’accord. Coach Adam lui envoie tout de suite les don-nées de l’enquête. Oui, ça presse un peu ! Benjamin ritde contentement, il trouve que le Marché est vraimentune belle chose pour les âmes courageuses etvolontaires.

Plus tard dans la soirée, il téléphone à Astrid qui nefond pas d’enthousiasme en l’entendant. Elle luiannonce qu’elle a décroché un stage dans le top mana-gement de L’Yséal à 2 000 € par mois et qu’elle espèrebien y faire son trou. Benjamin, qui ne connaît pas cetteexpression, s’étonne et Astrid hausse les épaules, excé-dée, mais au téléphone, ça ne se voit pas.

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Chapitre 3Comment Benjamin découvre la dure

réalité des achats

Le lendemain, Benjamin s’installe dans un bureauau premier étage du magasin et son nouveau chef luiconfie le dossier « charcuterie ». Il épluche les cours duporc, en baisse constante depuis trente-huit mois, lademande des ménages, les délibérations de la Chambred’agriculture et divers courriers de désespérés quimenacent de se pendre. Benjamin écrit un rapportbrillant à son chef qui lui rétorque qu’il n’a que fairedes rapports brillants, qu’il est temps de passer auxactes et de mettre les éleveurs face aux réalités duMarché, et donc de faire comprendre à ces abrutis leslois de l’offre et de la demande. Benjamin l’approuveet ajoute qu’au final ce sera une bonne chose pour lespaysans. L’autre le regarde, perplexe, il le soupçonneun instant de se payer sa tête, mais il doit vite convenirde la sincérité de Benjamin et reconnaître secrètementque, des oiseaux pareils, on n’en croise pas tous lesmatins. Aussi n’hésite-t-il plus à l’envoyer faire la tour-née des porcheries bretonnes en commençant par leur

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plus gros fournisseur, les Porcs du père Lafon, qui vontdevoir baisser leur prix de 8 % immédiatement.

« N’est-ce pas beaucoup en une seule fois ?s’enquiert Benjamin qui revoit ses courbes, ces gens ontdéjà perdu 4 % depuis le début de l’année.

— C’est ça, ou on se fournit directement en Grèce !Et fini les Porcs du père Lafon ! »

Benjamin prend le train à six heures du matin gareMontparnasse. Il croise Astrid qui part dans le nouveaucentre de thalassothérapie du groupe L’Yséal, pour letester incognito et rédiger un « Mainstream conso »avant que son patron ne vienne la rejoindre, lui aussiincognito, pour valider son rapport. Elle voyage en pre-mière, lui en seconde. Désolée, ce sera pour une pro-chaine fois ! Il lui glisse que pour sa part il va négocierun gros contrat pour Clerfour, mais oublie de préciserlequel parce qu’il n’est pas tout à fait sûr de l’effet queça produirait.

Arrivé à Rennes, une voiture de location l’attend.Elle est petite, blanche, pas toute neuve mais elle roule.Deux heures plus tard, Benjamin entre dans la cour dela ferme où Raymond Lafon et son fils l’attendent. Lesformules de politesse sont rapidement expédiées, Ben-jamin a peu de temps, il doit voir deux autres produc-teurs avant midi, les Lafon père et fils se méfient de cejeunot et n’estiment pas nécessaire de le faire entrerdans leur maison. Donc ça va vite et Benjamin en vient

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aux faits, un peu brutalement pour qui sait ce que négo-cier veut dire. Donc les faits : 8 % de baisse dès lasemaine prochaine ! L’autre s’étouffe, se crispe, rougit,tandis que son fils, ulcéré, préfère s’éclipser. Benjaminn’y prête pas attention, il poursuit sur le Marché, lalogique de la demande, la mondialisation, la solvabilitéde la classe moyenne…

« Vous ne pouvez pas, vous ne pouvez pas… »,s’étrangle le paysan.

Benjamin prend cela pour de la résistance ets’empresse d’asséner l’argument massue qu’il gardaiten réserve.

« C’est ça ou l’on sera obligés d’aller s’approvision-ner en Grèce. Les contacts sont pris dans le Pélopon-nèse et, malgré le transport, on sort à moins 3,22 % ducoût actuel… mais Clerfour est un groupe français, ungroupe citoyen et il est dans notre déontologie de vousdonner notre préférence… parce que le groupe Clerfourveut aider les producteurs français et notre charte Qua-lité spécifie que… »

Il n’a pas le temps de terminer sa phrase qu’il se sentsaisi par huit bras vigoureux qui le soulèvent vers leciel… Il ne sait pas ce qui se passe en dessous de lui,mais il prend de la vitesse, et hop ça y est, il vole… etatterrit bien vite dans une large fosse de purin liquide.Benjamin essaie de s’extirper de cet amas puant et col-lant, mais une fourche appuie sur sa tête et le renvoiepar le fond. Le purin entre dans ses narines. Et, à la

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deuxième tentative, alors qu’au bord de l’asphyxie ilsort la tête pour aspirer un grand bol d’air salvateur, ilavale une pleine bouchée et s’évanouit.

Les gendarmes le trouvent quelques heures plus tarddans un champ de purin, la voiture semble avoir faitdeux tonneaux. Visiblement il allait trop vite et il adérapé sur des paquets d’algues vertes tombées d’unecharrette de ramassage. Benjamin tente d’expliquer cequi s’est passé chez les Lafon mais les gendarmes sontpressés, la thèse de l’excès de vitesse du Parisien leurconvient et convient vraiment à tout le monde. Per-sonne ne l’a vu à la porcherie, c’est ce que tous lestémoins ont répondu aux gendarmes, qui n’en deman-daient pas davantage.

On le rapatrie à Paris. Trois jours plus tard, malgréles fumigations, les ablutions et les rinçages des cavitésnasales, il a toujours ce goût de purin dans la bouche,mais pour le reste, ça va. Il a juste une côte cassée quil’empêche de participer aux négos avec les producteursde pommes du Sud-Ouest, des gars costauds d’après cequ’on lui a dit. En retour de son arrêt maladie, il reçoitune lettre de licenciement ! Clerfour ne paie pas lesgens à être malades ! Quant aux accidents du travail,ça n’existe pas. Il est responsable de l’excès de vitessementionné par la gendarmerie. C’est comme ça !

Benjamin trouve la procédure bien sévère même s’iladmet volontiers qu’on ne peut pas être payé à ne rienfaire. Il passe ses journées allongé sur son lit, avec un

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Thermos de thé vert et son ordinateur portable. Sa côtele fait souffrir, mais il profite de ce repos forcé pourtravailler sur l’enquête que son coach lui a confiée. Toutn’irait pas si mal s’il n’y avait son maudit compte enbanque qui ne cessait de toujours se vider.

Quand Adam Thims apprend la mésaventure deBenjamin, il lui téléphone pour s’assurer qu’il ne va pastraîner son ami, le directeur de Clerfour, auxprud’hommes. Benjamin ose avancer que c’est à causede sa mission s’il est dans ce triste état. Coach Adamne l’entend pas ainsi, lance un « tatatatata » méprisantet change de conversation.

« Au fait, Benjamin, où en êtes-vous de notreenquête ?

— J’y travaille, mais ne m’aviez-vous pas promis deme faire embaucher dans un service marketing parceque, les achats, j’en ai plein le dos, et aussi plein le nezsi je peux m’exprimer ainsi. »

Adam Thims est embarrassé. D’une part il a beau-coup moins de relations que ce qu’il veut bien laissercroire et d’autre part il a besoin de Benjamin pourmener à bien cette enquête facturée 25 000 € à laBanque populaire : il a depuis longtemps oublié les for-mules, les écarts types, les points médians et autrespondérations gravitationnelles. Des trucs qui ne serventà rien ! De la pseudo-mathématique, de la pseudo-science, de la pseudo-intelligence… mais de la pseudo

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