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affaires CONTRATS 111 Concurrence La protection du secret des affaires devant le Conseil de la concurrence : une évolution bienvenue La protection du secret des affaires devant les autorités de concurrence nécessite une subtile conciliation entre le droit au secret, les droits de la défense et l'efficacité des procédures de concurrence. En France, le dispositif de protection du secret des affaires devant le Conseil de la concurrence, issu de l'ordonnance du 1" décembre 1986, a, dès l'origine, suscité critiques et interrogations. Le débat fut relancé à l'occasion de l'entrée en vigueur, le ler mai 2004, du règlement no 112003 mettant notamment en place le « Réseau européen de concurrence ». Sous l'influence de la modernisation du cadre communautaire, les autorités françaises ont décidé de revoir en profondeur le dispositif national en mettant en place une procédure plus claire pour les entreprises et plus protectrice du secret des affaires. 1 - Secret professionnel, secret médical, secret bancaire, secret de l'instruction, secret des affaires ... voilà bien des concepts difficiles à concilier avec les exigences de la société de l'information et de la globalisation. Et pourtant, la confrontation entre le secret et la trans- parence n'est pas nouvelle 2. Le droit a d'ailleurs « toujours entretenu des rapports complexes avec le secret » 3. Cela est peut-être plus vrai encore en droit de la concurrence. Si l'on s'intéresse plus spécialement au droit français de la concur- rence, tel qu'il résulte de l'ordonnance du 1" décembre 1986, une contradiction étonne. En effet, comme cela a été justement relevé, « pour préserver le fonctionnement concurrentiel de notre écono- mie, ce droit interdit aux entreprises d'échanger entre elles des infor- mations commerciales, mais permet une transparence quasi totale lorsque ces mêmes entreprises sont impliquées dans une procédure 1. Les opinions exprimées ici le sont à titre personnel et n'engagent nullement le Conseil de la concurrence. 2. V. not. sur ce sujet, B. Lasserre, N. Lenoir, B. Stirn, La transparence adminis- trative : PUE 1987. 3. L. Idot, Quelques réf2exions sur la confidentialité en droit de la concurrence : à propos des secrets d'affaires et du secret professionnel in : Aspects contempo- rains du droit de la distribution et de la concurrence: Montchrestien, 1996, p. 109. devant le Conseil de la concurrence. Il y a là quelque contradiction ! » 4. 2 - Comme nous le verrons, la protection du secret des affaires devant les autorités de concurrence nécessite une subtile conciliation entre le droit au secret, les droits de la défense, et en particulier le respect du principe du contradictoire, et l'efficacité des procédures de concurrence. Par ailleurs, les évolutions de la matière rendent cette protection toujours plus indispensable. En effet, le constat a déjà été fait il y a quelques années de ce qu'un grand nombre de procédures engagées par les autorités de concurrence trouvent leur origine dans une plainte d'un tiers concurrent et de ce que celles-ci impliquent fré- quemment plusieurs entreprises 5. Plus récemment,la question apris une nouvelle dimension avec l'entrée en vigueur le le' mai 2004 du nouveau règlement de mise en ceuvre des articles 8 1 et 82 CE (ci-après le « règlement no 112003 ») qui permet notamment à la Commis- - 4. M.-C. Boutard-Labarde, Le secret des affaires devant le Conserl de la concurrence : une surprenante négligence : Gaz. Pal. 1992, doctr. p. 1. 5. Sur ce constat, v. L. Idot, préc. note 3. 6. V. le règlement (CE) no 112003du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité : JOCE no L 1, 4 janv. 2003, p. 1. JCP / LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION EkTREPRISE ET AFFAIRES ND 4. 26 JANVIER 2006 191

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affaires CONTRATS 111

Concurrence

La protection du secret des affaires devant le Conseil de la concurrence : une évolution bienvenue

La protection du secret des affaires devant les autorités de concurrence nécessite une subtile conciliation entre le droit au secret, les droits de la défense et l'efficacité des procédures de concurrence. En France, le dispositif de protection du secret des affaires devant le Conseil de la concurrence, issu de l'ordonnance du 1" décembre 1986, a, dès l'origine, suscité critiques et interrogations. Le débat fut relancé à l'occasion de l'entrée en vigueur, le ler mai 2004, du règlement no 112003 mettant notamment en place le « Réseau européen de concurrence ». Sous l'influence de la modernisation du cadre communautaire, les autorités françaises ont décidé de revoir en profondeur le dispositif national en mettant en place une procédure plus claire pour les entreprises et plus protectrice du secret des affaires.

1 - Secret professionnel, secret médical, secret bancaire, secret de l'instruction, secret des affaires ... voilà bien des concepts difficiles à concilier avec les exigences de la société de l'information et de la globalisation. Et pourtant, la confrontation entre le secret et la trans- parence n'est pas nouvelle 2. Le droit a d'ailleurs « toujours entretenu des rapports complexes avec le secret » 3. Cela est peut-être plus vrai encore en droit de la concurrence.

Si l'on s'intéresse plus spécialement au droit français de la concur- rence, tel qu'il résulte de l'ordonnance du 1" décembre 1986, une contradiction étonne. En effet, comme cela a été justement relevé, « pour préserver le fonctionnement concurrentiel de notre écono- mie, ce droit interdit aux entreprises d'échanger entre elles des infor- mations commerciales, mais permet une transparence quasi totale lorsque ces mêmes entreprises sont impliquées dans une procédure

1. Les opinions exprimées ici le sont à titre personnel et n'engagent nullement le Conseil de la concurrence.

2. V. not. sur ce sujet, B. Lasserre, N. Lenoir, B. Stirn, La transparence adminis- trative : PUE 1987.

3. L. Idot, Quelques réf2exions sur la confidentialité en droit de la concurrence : à propos des secrets d'affaires et du secret professionnel in : Aspects contempo- rains du droit de la distribution et de la concurrence: Montchrestien, 1996, p. 109.

devant le Conseil de la concurrence. Il y a là quelque contradiction ! » 4.

2 - Comme nous le verrons, la protection du secret des affaires devant les autorités de concurrence nécessite une subtile conciliation entre le droit au secret, les droits de la défense, et en particulier le respect du principe du contradictoire, et l'efficacité des procédures de concurrence.

Par ailleurs, les évolutions de la matière rendent cette protection toujours plus indispensable. En effet, le constat a déjà été fait il y a quelques années de ce qu'un grand nombre de procédures engagées par les autorités de concurrence trouvent leur origine dans une plainte d'un tiers concurrent et de ce que celles-ci impliquent fré- quemment plusieurs entreprises 5. Plus récemment,la question apris une nouvelle dimension avec l'entrée en vigueur le le' mai 2004 du nouveau règlement de mise en ceuvre des articles 8 1 et 82 CE (ci-après le « règlement no 112003 ») qui permet notamment à la Commis-

-

4. M.-C. Boutard-Labarde, Le secret des affaires devant le Conserl de la concurrence : une surprenante négligence : Gaz. Pal. 1992, doctr. p. 1.

5 . Sur ce constat, v. L. Idot, préc. note 3.

6. V. le règlement (CE) no 112003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité : JOCE no L 1, 4 janv. 2003, p. 1.

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Droit des affaires CONTRATS

sion et auxautorités nationales de concurrence de se communiquer et d'utiliser comment moyen de preuve tout élément de fait ou de droit, y compris des informations confidentielles.

3 - On observera encore que la question de la confidentialité est plus que jamais d'actualité dans la jurisprudence communautaire, comme en témoignent les contentieuxrelatifs, d'une part, à la protec- tion de la correspondance entre un avocat - extérieur ou enlployé de façon permanente par une entreprise - et son client, illustré par l'af- faire Akzo ', et, d'autre part, aux conditions dans lesquelles la Com- mission doit répondre à une demande d'accès au dossier constitué pour sanctionner une entente, envue d'utiliser les informations qu'il contient à l'occasion d'une action en dommages-intérêts, illustré par l'affaire dite (( Club Lombard )) relative à un cartel dans le secteur bancaire autrichien '.

4 - En France, l'ordonnance du 4 novembre 2004 avait annoncé une réformedela protection du secret des affaires devant le Conseilde la concurrence. Celle-ci vient à présent de voir le jour avec l'entrée en vigueur du décret no 2005- 1668 du 27 décembre 2005 'O. La réforme ne visant que les pratiques anticoncurrentielles, nous limiterons nos développements à cette branche du droit de la concurrence ll .

5 - Avant d'examiner cette réforme, il importe de préciser ce que l'on entend par secret des affaires. On observera à titre liminaire que, si des textes font directement référence à cette notion, ils se gardent bien de la définir. Cela n'a rien de choquant. Vouloir figer dans un texte une définition du secret des affaires peut en effet s'avérer délicat. On court le risque d'avoir une définition soit trop générale, laissant place à toutes les interprétations, soit trop précise, susceptible de se révéler rapidement inappropriée. En pratique, les contours de cette notion ont été dessinés par la jurisprudence 12.

6 - Ainsi, en droit communautaire, l'article 287 CE relatif au se- cret pïofessionnel fait implicitement référence aux secrets d'affaires en précisant que le secret professionnel couvre « notamment les ren- seignements relatifs aux entreprises et concernant leurs relations com- merciales ou les éléments de leur prix de revient)). Le secret professionnel englobe donc le secret des affaires. On retrouve égale- ment cette notion à plusieurs reprises dans le règlement no 112003 ou dans son règlement d'application 13. Ces textes rappellent aussi la nécessité pour la Commission de respecter l'intérêt légitime des en- treprises à ce que leurs secrets d'affaires ne soient pas divulgués.

Dans son arrêt Postbankde 1996, le TPI a précisé les contours de la notion en jugeant que les « secrets d'affaires sont des informations dont non seulement la divulgation au public mais également la sim- ple transmission à un sujet de droit différent de celui qui a fourni

V. TPI, ord. 30 oct. 2003, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Cherniculs/ Commrssion, T-125/03 R et T-253/03 R. - CJCE, ord. 27sept. 2004, Conzmzssion/Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals, C-7/04 P(RJ, non encore publiées au recueil. TPI, 13 avr. 2005, Verein für Konsumenteninformation/Commissiotz, T-2/03, non encore publié au recueil.

Ord. rio 2004.1 173,4 nov. 2004 portant adaptation de certaines dispositions du Code de commerce au droit communautaire de la concurrence : JO 3 m i . 2004.

1'. D. no 2005-1668, 27 déc. 2005 portant modification D. no 2002-689, 30 am-. 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence : JO 29 déc. 2005.

Iviéme si, on le sait, le sujet est aussi très important dans le cadre du contrôle des concentrations ou encore des aides d'État. Pour une étude plus générale, v. not. B. Geneste, Le secret d'affaires en droit communautaire et français de la comurrence : D. aif, 1997, p. 1271-1276et 1309-1313 ; L. Idot, préc. note 3.

Sur cette notion, v. not. B. Geneste, préc. note I l .

Lr. le règlement no 112003 précité, et en particulier le considérant 32 et les articles 27,28 et 30, et le règlement (CE) no 77312004 de la Commission du 7 avril 2004 relatif aux procédures de mises en œuvre par la Commission en applicatioii des articles 81 et 82 du traité CE : JOUE no L 123, 27 avr. 2004, P. 18, en particulier les considerants 8, 13, 14 et les articles 6,8, 14,$ 6 et 8, 15, S 2, et 16.

l'information peut gravement léser les intérêts de celui-ci n 14. Les documents couverts par le secret des affaires appartiennent donc à la catégorie des informations confidentielles dont l'accès est étroite- ment encadré 15.

7 - En droit français 16, la notion est évoquée explicitement par le Code de commerce à l'article L. 463-4. Bien que non défini par la loi, un examen de la pratique du Conseil de la concurrence en la matière permet de considérer que, à l'instar du droit communautaire, les in- formations relevant du secret des affaires sont celles dont la divulga- tion ou la transmission à un tiers peut gravement léser les intérêts de l'entreprise qu'elles concernent.

En général, il s'agit d'informations commerciales, stratégiques ou de savoir-faire sensibles, telles que certaines informations tenant à la rentabilité de l'entreprise, à sa clientèle, à ses pratiques commerciales, à la structure de ses coûts, à ses prix, à ses secrets et procédés de fabrication et de distribution, à ses sources d'approvisionnement, ainsi qu'à certaines données sensibles d'ordre commercial 17.

Qu'il s'agisse du droit communa~itaire ou du droit français, pour qu'une information soit qualifiée de secret d'affaires et bénéficie à ce titre d'une protection, il ne suffit pas qu'elle soit relative à l'un des domaines précédemment mentionnés. Il faut aussi qu'elle n'ait pas déjà été rendue publique - son caractère secret ferait alors défaut - et que le temps ne lui ait pas fait perdre son importance commerciale 18.

8 - Si depuis l'origine le droit communautaire et le droit français de la concurrence se rejoignent sur la définition des concepts, la convergence n'allait guère au-delà. En effet, avant la réforme, les mé- canismes de protection du secret des affaires différaient sensible- ment.

En droit communautaire, la protection du secret des affaires cons- titue un principe général qui s'applique de l'ouverture de la procé- dure devant la Commission à la publication des arrêts de la Cour de justice 19. Des dispositions spécifiques précisent comment identifier les informations à protéger. De même, une distinction claire entre le

14. V. TPI, 18 sept. 1996, Postbank/Cornmission : Rec. CJCE 1996,11, p. 921, spéc. pt 87.

15. V. TPI, 17 déc. 1992, Hercules, T-7/89 : Rec. CJCE 1992, 11, p. 171 1, pt 54. Conformément à la jurisprudence, la con~munication de la Commission sur l'accès au dossier de 1997 distinguait trois catégories de documents non communicables : les secrets d'affaires, les documents confidentiels et les documents internes de la Commission. V. la communication de la Com- mission du 23 janvier 1997 relative aux règles de procédure interne pour le traitement des demandes d'accès au dossier dans les cas d'application des articles 85 et 86 du traité CE, des articles 65 et 66 du traité CECA et du règlement d'application no 4064189 du Conseil : JOCE no C 23, 23 janv. 1997, p. 3. Dans sa nouvelle communication révisant la communication de 1997, la Commission reprend en substance ces éléments mais en réduisant le nombre de catégories des documents non accessibles à deux, d'une part, les documents internes et, d'autre part, les documents confidentiels, catégorie à laquelle appartiennent les secrets d'affaires. V. la communica- tion de la Commission relative à l'accès au dossier de la Commission dans les affaires relevant des articles 81 et 82 du traité CE, des articles 53,54 et 57 de l'Accord EEE et du règlement (CE) no 13912004 du Conseil : JOUE no C 325, 22 déc. 2005, p. 7.

16. Pour une étude générale de la notion, v. B. Bouloc, Le secret des nffaires: DPCI 1990, tome 16, no 1, p. 6.

17. V. not. pour une illustration en droit français, Cons. conc., déc. no 91 -0-50, 13 nov. 1991, relative au fonctionnement de la concurrence dans le secteur des petits appareils électroménagers : BOCCRF 1991, p. 336. - CA Paris, 27 mai 1992 : BOCCRF 1992, p. 201.

18. V. Communication Commission, 22 déc. 2005, précitée, not. point23.V. aussi TPI, ord. 15 nov. 1990, Rhône-Poulenc/Commission, T-1/39 : Rec. CJCE 1990, II, p. 867.Adde, B. Gene5te, préc. note I l , spéc. p. 1274.

19. En ce sens, v. CJCE, 24 juin 1986, Akzo Chimie BV/Commission, C-53/85 : Rec. CJCE 1986, 1, p. 1965, spéc. pt 28. - CJCE, 6 avr. 1995, BPB Industries C-310/93 : Rec. CJCE 1995, 1, p. 865. Adde, J. Bianiareili, Le principe de la protection du secret professionnel et du secret des ajjflires: RSCDPC 1986, p. 446 ;A. Potocki, Brèves observations sur la protection des secrets d'affaires dans l'ordonnance du 1" décenibre 1986 : Gaz. Pal. 13 fevr, 1997, p. 268.

J1' , L - SEl\,l4iNE JURID!QUE - ÉDITION ENTREPRISE ET AFFAIRES N" 4. 26 JANVIER 2006

plaignant et les entreprises poursuivies s'opère au stade de l'accès au dossier, le premier ne pouvant avoir accès aux secrets d'affaires, sans que cela ne prive par ailleurs laCommission du droit d'utiliser la pièce considérée. Enfin, les décisions relatives au secret des affaires font l'objet d'un recours indépendant de la décision de fond.

En droit français, en revanche, les textes n'avaient pas mis en place un cadre approprié pour identifier les secrets d'affaires. De plus, aucune distinction n'était opérée entre les parties à la procédure, conduisant à un système du « tout ou rien )) : ou bien toutes les parties avaient accès aux informations, fussent-elles des secrets d'affaires, ou bien personne n'y avait accès et le Conseil ne pouvait s'en servir dans la procédure. L'intérêt des entreprises n'était pas davantage pris en compte au stade de la publication des décisions du Conseil. Enfin, les décisions du président relatives au secret des affaires ne font pas l'ob- jet d'un contentieux autonome et ne sont soumises au contrôle de la cour d'appel qu'avec la décision de fond.

9 - On l'aura compris, la réforme était donc nécessaire et souhai- table (1). Bien qu'elle ne conduise pas à un rapprochement total entre le droit communautaire et le droit français, la convergence est mani- feste. La réforme renforce la protection du secret des affaires (2).

n. La nécessité de la réforme 10 - Il a fallu attendre près de vingt ans après l'adoption de l'or-

donnance du 1" décembre 1986 pour que la protection du secret des affaires en droit français évolue substantiellement. Les difficultés liées au dispositif originel avaient pourtant très tôt été identifiées (A) . Mais ce ne sontfinalement que les événements récents qui ont rendu la nécessité d'une telle révision si impérieuse (B).

A. - Les difficultés liées au dispositif originel

11 - Qu'il s'agisse du droit français ou du droit communautaire, les difficultés relatives à la protection du secret des affaires ne relèvent pas des relations entre les agents des autorités et les entreprises impli- quées dans une procédure devant elles, le secret ne leur étant pas opposable. De même, on rappellera également qu'en droit français la divulgation par l'une des parties des informations concernant une autre partie ou un tiers et dont elle n'a pu avoir connaissance qu'à la suite des communications ou consultations auxquelles il a été pro- cédé constitue une infraction pénale ( C . com., art. L. 463-6).

Les difficultés tiennent davantage aux relations entre les parties à la procédure. Dans ce cadre, le mécanisme de protection du secret des affaires était insuffisant (1') et la conciliation entre l'obligation de respecter les droits de la défense et celle de protéger les informations confidentielles trop rigide (2').

1" Une protection insuffisante du secret des affaires

12 - Les dispositions relatives à la protection du secret des affaires étaient à l'origine très limitées. En effet, seul l'article 23 de l'ordon- nance du le' décembre 1986 y faisait référence. Celui-ci disposait que « Leprésident d u Conseil de la concurrencepeut refuser la comrnunica- tion depièces mettant en jeu le secret des affaires, sauf dans les cas où la communication ou la consultation de ces documents est nécessaire à la procédure ou à l'exercice des droits des parties. Les pièces considéréessont retlrées d u dossier ».

Assezrapidement, des critiques ont été adressées au mécanisme de protection du secret des affaires institué par l'ordonnance. Celles-ci ont depuis été constamment reprises et portent principalement sur trois points.

13 - En premier lieu, le dispositif pouvait générer des difficultés pour identifier les informations constituant des secrets d'affaires.

14 - En effet, on observe tout d'abord que les dispositions de l'or- donnance ne précisaient pas qui devait être à l'origine de la demande. Logiquement, ce devait êtrel'entreprise qui souhaitait bénéficier de la

protection. Mais encore fallait-il pour cela qu'elle connaisse l'exis- tence de la procédure ou des informations concernées, ce qui n'était pas nécessairement évident, comme nous le verrons. 11 est vrai qu'en pratique, dans le silence des textes, le président du Conseil pouvait se saisir d'office de cette question 20. ais dès lors que les dispositions de l'ordonnance n'avaient pas créé une obligation de protéger les secrets d'affaires, cette solution n'avait pas un caractère systématique.

15 - Quand les informations contenant des secrets d'affaires avaient été saisies chez l'entreprise souhaitant bénéficier de la confi- dentialité ou transmises par elle, il lui revenait de formuler une de- mande auprès du président du Conseil. Cette hypothèse, apparemment simple, pouvait se con~pliquer quand les pièces avaient été saisies par la DGCCRF avant saisine du Conseil. En effet, l'entre- prise concernée ne connaissait pas nécessairement l'issue del'enquête et pouvait dès lors ignorer que les pièces avaient été transmises au Conseil.

16 - Par ailleurs, les parties à la procédure n'ont accès au dossier devant le Conseil qu'à l'issue de la notification des griefs 21. Or celles- cine connaissent pas nécessairement avant cette date le contenu dudit dossier et peuvent donc ignorer qu'y figurent des informations sus- ceptibles de constituer pour elles des secrets d'affaires. De plus, c'est aussi à cemoment là qu'elles savent exactement quelles sont les autres parties à la procédure, vis-à-vis desquelles la confidentialité pourrait être nécessaire 22.

17 - Cette situation pouvait poser des difficultés quand l'affaire avait pour origine une plainte d'un tiers concurrent ou encore quand l'affaire impliquait plusieurs entreprises concurrentes. Certes, la de- mande de secret des affaires pouvait théoriquement intervenir à tout moment de la procédure, c'est-à-dire y compris après la notification des griefs, mais on comprend aisément que l'intérêt de la protection devenait bien faible quand l'information avait déjà été rendue acces- sible. Nous avons vu que cette question pouvait se poser quand les informations étaient transmises àl'occasion d'une saisine de la DGC- CRF. Mais le problème était encore plus vrai quand les informations avaient été transmises ou découvertes chez des tiers, clients, fournis- seurs ou concurrents par exemple, même si, comme nous le verrons plus tard, on peut se demander si, dans cette situation, les informa- tions sont toujours susceptibles de constituer des secrets d'affaires 23.

18 - En outre, les problèmes pouvaient se poser en des termes dif- férents selon les procédures concernées. On a vu précédemment les difficultés susceptibles de survenir lorsque la procédure conduisait à une notification des griefs. Quand la procédure devait aboutir à un rejet ou à une irrecevabilité, il n'y avait en principe pas de problème dans ka mesure où ne figurent généralement au dossier que les infor- mations transmises par le requérant. La question est en revanche plus délicate dans l'hypothèse d'un non-lieu. En effet, à la différence du rejet, le non-lieu résulte d'une instruction approfondie du rappor- teur, qui a pu mettre en œuvre tous ses pouvoirs d'enquête, mais qui arrive à la conclusion que les faits exposés ne sont pas susceptibles d'être qualifiés d'entente ou d'abus de position dominante. Théori- quement, à l'issue de cet examen, le rapporteur n'est tenu d'informer que l'entreprise saisissante,qui a seule la faculté de consulter l'ensem- ble des pièces du dossier. Les entreprises mises en cause restent donc en dehors de la procédure.

19 - Endeuxièmelie~~,l'ordonnancedu le' décembre 1986 n'avait prévu aucun mécanisme permettant d'assurer la protection du secret

20. V. Cons. conc., déc. no 89-0-08, relative à des pratique' corzstatées sur le marché de la levure depanification : BOCCRF22 avr. 1989. Sur ce point, v. B. Geneste, préc. note 11 ; A. Potocki, préc. tiote 19.

21. V. not. CA Paris, 11 oct. 1989, Bureau Veritas: BOCCRF 18 oct. 1989.

22. M.-Ch. Boutard-Labarde et Guy Cailivet, Drottfiançais de la concurrence : LGDJ, 1994, spéc. no 349.

23. V. infra no 52.

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Droit des affaires CONTRATS

des affaires au moment de la publication de la décision du Conseil. II est vrai que s'écoule un délai parfois long entre la saisine du Conseil et la publication de la décision au fond. Dans certains cas, l'écoulement du temps fera donc perdre aux informations considérées leur sensibi- lité commerciale. Pour autant, cela n'est pas toujours vrai pour les procédures traditionnelles, qui tendent d'ailleurs à se raccourcir pro- gressivement, etl'est encoremoins dans le cadre d'unesaisine assortie d'une demande de mesures conservatoires. On observera également que la protection n'est pas davantage assurée devant la cour d'appel de Paris dont les décisions sont publiées dans leur intégralité 24.

20 - On relèvera encore que si les décisions sont intégralement publiées, en revanche les séances devant le Conseil ne sont pas publi- ques, ce qui préserve une forme de confidentialité 25. Pour autant, ces séances peuvent poser les mêmes questions que celles relevées au moment de l'accès au dossier. En effet, dans une procédure ayant conduit à la notification de griefs, tous les éléments du dossier peu- vent y être débattus en présence de l'ensemble des parties, plai- gnan t (~) et entreprise(s) poursuivie(s). Par ailleurs, dans le cadre d'une procédure conduisant à une proposition de non-lieu, seul le plaignant participe à la séance et non les entreprises mises en cause.

21 - Enfin, si le système mis en place a conduit à conférer au prési- dent du Conseil un pouvoir propre pour statuer sur les demandes de secret des affaires, aucun recours autonome n'a été institué 26. Ainsi, les décisions relatives au secret des affaires prises par le président ne peuvent faire l'objet d'un recours qu'avec la décision sur le fond " et, pour établir une violation du secret des affaires, la cour d'appel exige de l'entreprise qu'elle démontre en quoi la communication des pièces en cause a « en quelque manière affecté la décision prise par le Conseil sur le fond de la saisine » Cette situation a souvent été contestée en raison de l'inefficacité d'un tel recours qui intervient nécessairement trop tard 29.

2" Une primauté sans nuance du principe du contradictoire

22 - Si le dispositif de protection du secret des affaires était criti- quable,le système mis en place avait aussi consacré une primauté sans nuance du principe du contradictoire. En effet, l'ordonnance avait posé un principe clair aux termes duquel « l'instruction e t laprocédure devant le Conseil de la concurrencesontpleinernentcontradictoires D 30.

Ce principe ne souffrait aucune exception. De ce principe découlait deux conséquences.

23 - D'une part, quand le président du Conseil faisait droit à une demande de secret des affaires, à l'origine, les pièces considérées étaient retirées du dossier. Ainsi, le rapporteur ne pouvait les utiliser lors de l'instruction, ni le Conseil fonder dessus sa décision. Cette solution était particulièrement extrême. En effet, elle conduisait à écarter l'intégralité de la pièce et non les seules mentions contenant des secrets d'affaires. En outre, elle interdisait au Conseil d'utiliser les informations contre toute entreprise, y compris contre celle qui les avait fournies, vis-à-vis de laquelle elles n'étaient pourtant pas secrè- tes.

24. V. A. Potocki, préc. note 19.

25. Pour une confirmation récente de la compatibilité des règles de procédure mec la Convention européenne des droits de l'homme, v. Cass. corn., 28 juin 2005, Novartis Pharma, pourvoi no C 04-1 3.910 :]irris-Data no 70055029184 ; JCP E 2005,1374.

26. V. 19. no 87-849, 19 oct. 1957, art. 19 :JO 21 oct. 1987, p. 12273.

27. V. not. Cons. conc., déc. no 89-D-08, relative à des pratiques constatées sur le marché de la levure de panification, précitée.

28. CA Paris, 27 mai 1992, Moulinex : BOCCRF 16 juin 1992.

29. V. not. pour une critique de l'inefficacité du dispositif, M.-C. Boirtard- Labarrie, préc Ilote 4 ; L. Vogel, Traité de droit commercial, Tome 1, vol. 1 : LGDJ, 1 FIS' Éd., spic no 995.

30. V. Ord. 1" déc. 1986, art. 18.

24 - D'autre part, quand le président du Conseil refusait une de- mande de secret des affaires, les pièces considérées étaient intégrale- ment maintenues au dossier. Ainsi, non seulement le rapporteur pouvait les utiliser lors de l'instruction et le Conseil fonder dessus sa décision, mais en plus toutes les parties y avaient accès. Une fois en- core, cette solution était particulièrement extrême. En effet, elle ne permettait pas de distinguer, entre les parties à la procédure, celles vis-à-vis desquelles la pièce devait être considérée comme confiden- tielle et celles vis-à-vis desquelles elle ne l'était pas. En outre, elle ne permettait pas de distinguer au sein d'une pièce les informations qui étaient susceptibles de constituer des secrets d'affaires, et dont le rap- porteur et le Conseil n'avaient pas nécessairement besoin, de celles qui ne pouvaient en être.

25 - Si les critiques adressées au système français sont parfaite- ment fondées, il importe aussi de préciser que la pratique a permis d'en nuancer les conséquences. On relèvera à cet égard que le conten- tieux relatif au secret des affaires porté devant la cour d'appel de Paris est relativement limité. Or le faible nombre de recours sur ce point ne s'explique pas seulement par son manque d'efficacité. Il tient aussi à l'action du président du Conseil et des rapporteurs qui, en pratique, ont toujours été soucieux de préserver le secret des affaires.

Mais quoi qu'il en soit, cette situation n'était pas satisfaisante et il paraissait nécessaire de réviser le dispositif originel.

B. - La nécessaire révision du dispositif originel

26 - Bien qu'il ait fallu attendre 2005 pour que le dispositif origi- nel soit modifié en profondeur, une première évolution était déjà intervenue en 2001 avec l'adoption de la loi sur les nouvelles régula- tions économiques (ci-après la « loi NRE ») 31. Mais sa portée était limitée (1'). C'est finalement l'entrée en vigueur du règlement no 11 2003 et l'appartenance du Conseil de la concurrence au réseau euro- péen de concurrence qui allaient relancer le débat (2").

1" Une première évolution limitée

27 - Si une première évolution a été consacrée par la loi NRE, la pratique du Conseil a permis d'en accroître les bénéfices.

28 - Tout d'abord, l'adoption de la loi NRE a été l'occasion d'as- souplir les règles relatives au refus de communication de pièces au cours de la procédure devant le Conseil. Si le cadre général n'a pas évolué, deuxmodifications ont été apportées àl'article 23 de l'ordon- nance du 1" décembre 1986, devenu article L. 463-4 du Code de commerce après codification.

29 - Le premier amendement a donné au président du Conseil la possibilité de limiter le refus de communication à certaines mentions seulement des piècesvisées et non plus, comme c'était le cas jusque là, àl'intégralité des pièces. Dès lors, les pièces considérées n'étaient plus nécessairement retirées du dossier. Certaines de leurs mentions pou- vaient simplement être occultées. Laloi avait donc tiré les conséquen- ces de l'expérience acquise par le Conseil qui montrait qu'il était parfois suffisant de masquer certains passages sans extraire du dossier l'intégralité de la pièce pour protéger les secrets d'affaires tout en préservant un maximum d'efficacité à la procédure.

30 - Le second amendement a permis au président du Conseil de déléguer à un vice-président la décision de refuser la communication d'une pièce. Celui-ci était motivé par des raisons qui n'avaient pas seulement trait à la protection des secrets d'affaires. En effet, les rap- ports parlementaires présentés à l'occasion du débat de la loi NRE indiquaient en ces termes l'objet de cette mesure : G toujours dans le souci de sécuriser la procédure a u regard des exigences de la Convention européenne desauvegarde des droits de l'homme, cette faculté de déléga-

31. L. no 2001-420, 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économi- ques : JO 16 mai 2001, p. 7776.

194 JCP / LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION ENTREPRISE ET AFFNRES No 4. 26 JANVIER 2 0 0 6

es affaires CONTRATS

tion permet de diflérencier l'autorité qui a pris la décision de refus de communication, de celle qui présidera la formation du Conseil qui exa- minera au fond l'affaire » 32.

31 - Au-delà des modifications textuelles, les conditions de mise en œuvre des dispositions du Code de commerce par le Conseil ont permis d'améliorer la conciliation entre la nécessité de protéger les secrets d'affaires et l'efficacité de la procédure. Deux pratiques illus- trent ce constat.

32 - D'une part, il pouvait arriver dans un dossier qu'une pièce contenant des informations très précises, susceptibles d'être quali- fiées de secrets d'affaires, soit nécessaire à la procédure sans que pour autant le Conseil ait besoin d'un aussi haut niveau de précision pour fonder sa décision. Dans ce contexte, le Code de commerce n'offrait en apparence que deux solutions : soit maintenir la pièce avec les informations considérées au dossier, soit la supprimer, ou à tout le moins occulter les mentions en cause. Pour éviter les conséquences néfastes - pour l'entreprise ou la procédure selon le cas - de l'une de ces solutions, le rapporteur et la partie concernée ont proposé au président une solution médiane qu'il a approuvée. En effet, consta- tant que les éléments en question étaient nécessaires à la procédure mais que leur maintien au dossier était aussi susceptible de porter atteinte aux intérêts de la partie en cause, le rapporteur a établi une note présentant ces éléments de manière synthétique. L'entreprise a, par courrier, certifié que cette note était conforme aux éléments aux- quels elle visait à se substituer. Dans ces conditions, le président du Conseil a accepté le retrait du dossier des pièces considérées et leur remplacement par la note établie par le rapporteur en accord avec l'entreprise en cause.

33 - D'autre part, il pouvait arriver qu'une saisine du Conseil vise en même temps plusieurs entreprises pour des pratiques similaires. Or une telle procédure risquait d'impliquer dans un même dossier, outre le plaignant, plusieurs parties mises en cause concurrentes entre elles. Tel fut le cas, par exemple, avec la saisine du Syndicat des professionnels européens de l'automobile (SPEA) dénonçant des pratiques mises en œuvre par les constructeurs automobiles, les concessionnaires, leurs groupements et leurs organisations profes- sionnelles dans le secteur automobile. Dans ce contexte, pour éviter que des informations ne deviennent accessibles à leurs concurrents, certaines parties avaient demandé la protection de leurs secrets d'af- faires ou, si les dispositions du Code de commerce ne le permettaient pas, une disjonction de la saisine initiale. Compte tenu des circons- tances de l'espèce, le rapporteur général avait fait droit à cette de- mande de disjonction pour préserver la confidentialité des informations en cause ". La saisine a donc été scindée en trois dos- siers distincts, concernant respectivenlent les faits reprochés à chacun des deux constructeurs et à leurs concessionnaires, et à ceux concer- nant le Conseil national des professions automobiles (CNPA) 34. De-

32. V. P. Marini, Rapport stir le projet de loi relatif aux tiouvelles régulations économiques fait au nom de la Cotnrnission des finances, Sénat, 2000-2001, no 5, 4 oct. 2000. Dans le même sens, v. E. Besson, Rapport sur le projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques fait au nom de la Conimission des finances, de l'écoriomiegénérale et du plan :AN no 2250, 6 avr. 2000.

33. Disjonction intervenue sur la base de l'article 31 du décret no 2002-689 du 30 avril 2002 fxant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce : JO 3 mai 2002, p. 8055.

34. V. Cons. conc., déc. no 03-0-66, 23 dÉc. 2003 relative aux pratiques mises en œuvre par la société Renault et le Groupement des Concessionnaires Renault (GCR) dans le secteur de la distribution automobile ;-Cons. conc., déc. no 03-0-67, 23 déc. 2003 relative aux pratiques mises en œuvre par Peugeot et le Groupement des Concessionnaires Automobiles Peugeot (GCAP) dans le secteur de la distribution automobile ; - Cons. conc., déc. no 03-D-68,23 déc. 2003 relative aux pratiques mises en œuvre par le Centre National des Professions de l'Automobile (CNPA) dans le secteur de la distribution a~itomobile, disponibles sur le site Internet du Conseil de la concurrence (tuww.consei1-concurrence.fr).

vant la cour d'appel de Paris, le plaignant avait contesté la décision du rapporteur général considérant qu'elle avait conduit à « désarticuler » le dossier. La cour d'appel a écarté l'ensemble des moyens du requérant au motif, d'une part, que la décision de disjonc- tion ne constituait pas un acte susceptible de recours, d'autre part, que cette décision avait été prise à la demande de l'une des parties, elle-même fondée sur des considérations de confidentialité, et n'avait fait l'objet d'aucune contestation des autres parties à la procédure et, enfin, qu'elle ne portait pas atteinte au principe d'impartialité inscrit à l'article 6 1 de la Convention européenne des droits de l'homme dans la mesure où le requérant n'apportait aucun élément permet- tant d'étayer l'existence d'une action concertée de Peugeot, Renault, leurs concessionnaires et du CNPA ou d'une domination conjointe exercée par les deux constructeurs 35. Cette solution a été confirmée récemment par la Cour de cassation 3fi.

2" L'appartenance au réseau européen de concurrence renouvelle le débat

34 - Bien que le règlement no 112003 n'ait pas pour objetl'harmo- nisation des règles procédurales nationales 37, c'est bien sous son in- fluence que le dispositif de protection du secret des affaires allait connaître sa principale évolution depuis près de vingt ans.

35 - À titre liminaire, sans entrer dans le détail, on rappellera que, bien avant l'entrée en vigueur du règlement no 112003, l'on a pu s'in- terroger sur les moyens de faire évoluer le dispositif national par l'ap- plication des principes de primauté et d'effet utile du droit communautaire. En effet, dans son arrêt ~ostbank' ' , le TPI a notam- ment jugé que si une entreprise demande des informations contenant des secrets d'affaires àla Commission en vue deles utiliser devant une juridiction nationale,la Commission n'est pas obligée d'interdire aux entreprises de produire les documents pour protéger leur confidenti- alité. En effet, selon le TPI, « lorsque ces documents de la procédure administrative sont produits dans une procédure nationale, les juges nationaux sont censés garantir la protection des informations confi- dentielles, notamment des secrets d'affaires, dans la mesure ou, pour assurer le plein effet des normes de droit communautaire en vertu du principe de coopération énoncé à l'article 5 du traité, ces autorités sont tenues de protéger les droits que ces normes confèrent au particulier n 39. Analysant cette solution au regard de l'ordonnance du 1" décembre 1986, le juge Potocki s'interrogeait en ces termes : « poussant plus loinle raisonnement, on peut se demander sin'existe pas le risque que les modalités procédurales applicables en France soient analysées comme rendant « en pratique impossible » l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire 40. Dans ces conditions, le droit communautaire - en l'occurrence le principe gé- néral de protection des secrets d'affaires - ne s'opposerait-il pas à l'application d'une règle de procédure nationale qui ne permet pas au juge national d'assurer la protection des secrets d'affaires ? )) 41. h4ais cette question n'a en pratique jamais été débattue.

36 - Quoi qu'il en soit, c'est véritablement l'adoption du règle- ment no 112003 qui a permis de renouveler le débat au niveau natio-

35. V. CA Paris, 29 juin 2004, SPEA/Renault et GCR ; - CA Paris, 71 sept. 2004, SPEA/GCAP et Peugeot, disponibles sur le site Internet du Conseil de la concurrence (www.conseil-concurrence,,fr).

36. Cass. corn., 12jui11. 2005, no 04-16.896 et 04-16.933 ( Juris-Data no 2005- 29493 ; lCP E 2005,1451), sur les pourvois formés par le SPEA et le CNPA.

37. Pour une présentation générale du règlement no 112003, v. not. L. Idot, Droit communautaire de la concurrence. Le nouveau système cornniunautaire de mise en œuvre des articles 81 et 82 CE : Bruylant, 2004.

38. V. TPI, 18 sept. 1996, Postbai~k/Commisstoiz, précité note 14.

39. Ibid. spéc. pr 69.

40. CJCE, 14 déc. 1995, Peterbroeck, C-312/93 : Rec. CJCE 1995,1, p.4599

41. A. Potocki, op. crt. note 19.

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Droit des affaires CONTRATS

nal, dans la mesure où les règles relatives au secret des affaires étaient susceptibles de poser certaines difficultés.

37 - En effet, depuis le 1" mai 2004, les autorités nationales de concurrence et la Commission forment un réseau européen de concurrence. Dans ce cadre, en application de l'article 12 du règle- ment no 112003, elles peuvent notamment se communiquer et utiliser comment moyen de preuve tout élément de fait ou de droit, y compris des informations confidentielles. Par ailleurs, toutes les autorités de concurrence sont tenues de respecter les exigences de l'article 28 du même règlement relatif au secret professionnel. Toutefois, cette obli- gation est « sans préjudice de l'échange et de l'utilisation des informa- tionsprévus auxarticles 11 , 12, 14,15 e t27 » 42. Pour la mise en œuvre de ces dispositions, plusieurs questions peuvent être distinguées.

38 - Tout d'abord, la question se pose de savoir qui décide, de l'autorité qui transmet ou de celle qui reçoit des informations, si celles-ci constituent des secrets d'affaires.

S'agissant des échanges entre autorités nationales, rien n'indique dans le règlement no 112003 que l'autorité qui reçoit des informa- tions, considérées comme des secrets d'affaires par l'autorité qui les transfère, soit tenue de respecter cette qualification, quand bien même d'ailleurs elle aurait fait l'objet d'une prise de position d'une juridiction nationale.

La situation est vraisemblablement différente pour les échanges entre la Commission et les autorités nationales. En effet, dans les cas, assez exceptionnels, où la Commission a pris une décision formelle sur la confidentialité d'une information, en application du principe de primauté cette décision devrait lier les autorités nationales en cas de transfert d'informations. Toutefois, cela ne signifie pas pour autant que l'information ne peut pas être utilisée par l'autorité natio- nale qui la reçoit.

39 - Ensuite, il importe de savoir si des informations échangées entre autorités de concurrence au sein du réseau sur la base du règle- ment no 112003 peuvent être utilisées pour prouver une infraction. Dans ce cadre, l'article 28 semble clair puisqu'il indique que les ga- ranties du secret professionnel sont « sanspréjudice de l'échange et de l'utilisation des informationsprévus aux articles 11, 12, 14, 15 et 27 n. Dès lors, des informations échangées en application du règlement no 112003, fussent-elles des secrets d'affaires, peuvent être utilisées contre une ou plusieurs entreprises pour établir l'existence d'une in- fraction. Il en résulte donc que les entreprises à l'égard desquelles elles sont utilisées doivent pouvoir y accéder pour se défendre.

En revanche, la question est plus délicate s'agissant dela révélation d'informations couvertes par le secret professionnel, et en particulier les informations contenant des secrets d'affaires,à d'autres personnes que les entreprises poursuivies, et tout spécialement au plaignant. On le sait, la situation des plaignants peut varier considérablement d'une autorité à l'autre au sein du réseau. Ainsi, par exemple, en droit fran- $ais le plaignant avait jusqu'à la réforme un accès au dossier équiva- lant à celui accordé à l'entreprise poursuivie. En revanche, en droit communautaire, les droits du plaignant sont beaucoup plus limités. Cela s'explique principalement par la nature de la procédure. Dans le cadre d'une procédure administrative, les plaignants sont dans une situation distincte de celle des entreprises poursuivies. L'accès au dos- sier répond bien davantage à la nécessité de garantir que leur plainte sera effectivement traitée, qu'à celle de respecter leurs droits de la défense. Cela explique que la Commission n'est pas autorisée à révéler au plaignant des informations contenant des secrets d'affaires ou d'autres informations confidentielles. La décision de révéler ou non de telles informations étant d'ailleurs susceptible de recours devant les juridictions communautaires, indépendamment d'un éventuel recours au fond.

42. 1'. Kègl. pzo 1/2003, art. 12, 5 2

Or, dans un cas où, par exemple, la Commission aurait refusé l'accès à un plaignant à des informations contenant des secrets d'af- faires, on pourrait se demander quelle est la portée d'une telle déci- sion sur les autorités nationales à qui ces informations auraient été transférées sur la base de l'article 12 du règlement no 112003. De même, dès lors que l'article 28 pose un principe applicable aux auto- rités nationales de concurrence - le respect du secret professionnel - et que l'article 12 y figure comme une exception, celle-ci doit être d'interprétation stricte. Or l'article 12 autorise les échanges d'infor- mations et leur utilisation « comme moyen de preuve ». Dès lors, on pourrait aussi se demander s'il ne serait pas possible de refuser au plaignant l'accès aux informations considérées au motif qu'elles ne sont pas utilisées comme moyen de preuve à son égard.

40 - En tout état de cause, même en l'absence de décision de la Commission et quelle que soit l'autorité avec laquelle les informa- tions sont échangées, cette situation était susceptible de poser des difficultés. En effet, en ne donnant pas la possibilité au Conseil de la concurrence de respecter les décisions relatives à la protection des secrets d'affaires des autres membres du réseau, les dispositions du Code de commerce, si elles ne contredisaient peut-être pas directe- ment le règlement no 112003, risquaient d'en entraver le bon fonc- tionnement. L'échange d'informations entre autorités de concurrence s'opérant sur une base volontaire, il est très vraisembla- ble que les autorités ayant un système qui permet de mieux protéger les secrets d'affaires, notamment vis-à-vis des plaignants, comme c'est le cas pour la Commission, auraient été réticentes à transmettre au Conseil de la concurrence des informations dès lors que celui-ci n'aurait pas été en mesure d'en garantir la confidentialité vis-à-vis des entreprises autres que celles poursuivies. Le Conseil de la concurrence aurait pu être privé, en partie au moins, de la possibilité d'utiliser les informations échangées au sein du réseau dans les affaires qu'il traite. Cette situation risquait donc de priver d'effet utile l'une des principa- les dispositions du règlement no 112003.

41 - Des questions identiques auraient pu se poser plus en aval de la procédure, au moment de la publication des décisions. En effet, les dispositions du code de commerce antérieures à la réforme ne per- mettaient pas de masquer les données confidentielles, à la différence d'autres droits, et notamment du droit communautaire, qui pré- voient expressément que la publication des décisions doit tenir compte de l'intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d'af- faires ne soient pas divulgués 43.

42 - Dans ce contexte, les autorités françaises ont décidé de réfor- mer le dispositif national de protection du secret des affaires non seulement en modifiant les dispositions de l'article L. 463-4 du Code de commerce mais aussi en renvoyant à un décret en Conseil d'État le soin d'en préciser les conditions d'application. C'est à la lumière de ces nouveauxtextes qu'il convient d'apprécier la portée de la réforme.

2. La portée de la reforme 43 - Début 2004, quelques mois à peine avant l'entrée en vigueur

du règlement no 112003, le gouvernement avait été habilité à transpo- ser par ordonnance des directives communautaires et à mettre en ceuvre certaines dispositions du droit communautaire, dont le règle- ment no 112003 44. Il a ensuite fallu attendre le 4 novembre 2004 pour que l'ordonnance soit adoptée 45. Celle-ci a conduit à une modifica- tion de l'article L. 463-4 du Code de commerce. Si les dispositions antérieures subsistent largement, leur domaine d'application n'est plus le même. En effet, un nouveau régime a été mis en place pour les cas où la communication ou la consultation de documents qui, bien

43. V. not. Règl. no 1/2003, art 30.

44. V. L. no 2004-237, 18 mars 2004 :JO 19 mars 2004, p. 5311.

45. V. Ord. no 2004-1 173, 4 nov. 2004précitée.

JCF ; L4 SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION EIgTREPRISE ET AFFAIRES N" 4. 26 JANVIER 2006

es affaires CONTRATS

que mettant en jeu le secret des affaires, sont nécessaires à la procé- dure et à l'exercice des droits des parties. L'article L. 463-4 dispose dorénavant :

« Sauf dans les cas où la communication ou la consultation de ces documents est nécessaire a laprocédure ou a l'exercice de leurs droitspar la ou lesparties mises en cause, leprésident d u Conseil de la concurrence, ou UIZ vice-président délégué par lui, peut refuser la communication ou la consultation depièces ou de certains éléments contenus dans cespièces mettant en jeu lesecret des affaires. Les pièces considéréessontretirées d u dossier ou certaines de leurs mentions sont occultées.

Dans les cas où la communication ou la consultation de ces docu- ments, bien que mettant en jeu le secret des affaires, est nécessaire a la procédure ou a l'exercicedesdroits d 'une ou plusieurs desparties, ilssont versés en annexe confidentielle au dossieretnesontcommuniqués qu'au commissairedu Gouvernementetà la ou auxparties mises en causepour lesquelles ces pièces ou éléments sont nécessaires a l'exercice de leurs droits.

Un décret e n Conseil d'Étatprécise en tan t que de besoin les condi- tions d'application d u présent article D.

44 - Par ailleurs, l'ordonnance du 4 novembre 2004 a également modifié, d'une part, l'article L. 463-1 du Code de commerce afin de nuancer la portée du principe du contradictoire devant le Conseil et, d'autre part, l'article L. 464-8 afin de tenir compte de l'intérêt Iégi- time des parties àce que leurs secrets d'affaires ne soient pas divulgués au moment de la publication des décisions du Conseil.

45 - Si les modifications du Code de commerce ont fxé le cadre et l'orientation de la réforme, c'est l'adoption du décret du 27 décembre 2005 46 portant modification du décret du 30 avril 2002 47 qui a per- mis d'en préciser plus avant la portée. Le nouveau dispositif mis en place est à la fois plus clair pour les entreprises (A) et plus protecteur du secret des affaires (B).

A. - Une procédure plus claire pour les entreprises

46 - L'on a vu précédemment que l'une des critiques adressées au système français concernait l'identification des secrets d'affaires. Le nouveau dispositif apporte une solution à ce problème en instaurant un mécanisme d'identification des secrets d'affaires (1") et en créant une annexe confidentielle au dossier (2'). Sa mise en ceuvre conduit à faire peser de nouvelles obligations sur les entreprises souhaitant bé- néficier de la protection de leurs secrets d'affaires. Le nouveau dispo- sitif français se rapproche ainsi sensiblement de celui applicable au niveau con~munautaire.

1" L'identification des secrets d'affaires

47 - Pour l'identification des secrets d'affaires, quelle que soit la procédure en cours devant le Conseil de la concurrence, le décret distingue en pratique deux situations.

48 - La première est celle dans laquelle les informations suscepti- bles de contenir des secrets d'affaires sont transmises au Conseil de la concurrence directement par la personne qui en revendique la pro- tection. Tel peut être le cas, par exemple, quand l'entreprise mise en cause répond à une demande d'un rapporteur au cours de l'instruc- tion du dossier ou quand elle transmet spontanément des informa- tions au Conseil. La catégorie des entités pouvant demander le bénéfice du secret des affaires est très large puisquele décret vise toute « personne ». Ainsi, des tiers sollicités pendant l'enquête pourront demander la protection de leurs secrets d'affaires. En théorie, le texte n'exclut pas que cette demande puisse émaner aussi d'un plaignant. Toutefois, une telle demande, que le Conseil a déjà eu à traiter dans le cadre du système antérieur, laisse perplexe. En effet, si le plaignant

veut être certain que les informations jointes à sa plainte ne seront pas portées àla connaissance des autres parties à la procédure, il est préfé- rable qu'il ne les transmette pas au Conseil. S'il décide de les verser au dossier, et qu'elles sont jugées nécessaires à la procédure et utilisées par le Conseil, elles devront être accessibles aux entreprises à l'encon- tre desquelles les poursuites sont dirigées.

49 - Dans ce cadre, le 1 de l'article 36-1 du décret du 30 avril 2002 modifié (ci-aprèsle « décret ») préciseque « pourl'application del'ar- ticle L. 463-4 d u Code de commerce, lorsqu'unepersonne sepréi,aut d u secretdesaffaires, ellesignalepar lettre, à l'occasion de leurcommitrzica- tion a u Conseil de la concurrence, les informations, documents oupar- ties de document regardés par elle comme mettant en jeu le secret des affaires e t demande, pour des motifs qu'elleprécisepour chacun d'eux, leur classement en annexe confidentielle ». La qualification de ce qui relève du secret des affaires et l'obligation d'en signaler l'existence au moment de la transmission au Conseil des documents ou informa- tions concernés appartiennent donc à la personne qui en revendique la protection. Cette situation n'est finalement pas très différente de cellequiprévalaitjusquelà,puisquelesentreprises qui demandaient à bénéficier du secret des affaires devaient aussi préciser quelles étaient les informations concernées. La nouveauté est en fait ailleurs.

Tout d'abord, elle tient àce quela demande del'entreprise doit être motivée. La motivation devra être précise. Elle devra en effet porter sur chaque information, document ou partie de document regardé par l'entreprise comme mettant en jeu le secret des affaires.

Ensuite, la demande de protection de certaines pièces devra en principe être formulée « à l'occasion de leur transmission au Conseil de la concurrence ».Il paraît donc exclu apriorique cette demande puisse intervenir à un stade ultérieur.

En outre, aux termes du décret,l'entreprise devra également four- nir « séparément une version non confidentielle de ces documents ainsi qu'un résumé des éléments dont elle demande le classement » 48.

Comme nous le verrons ultérieurement, ces documents non confi- dentiels auront une utilité bien précise dans la procédure, en particu- lier vis-à-vis des parties qui n'auront pas accès aux documents confidentiels.

Enfin, la personne qui demande le classement désignera, le cas échéant, « les entreprises a l'égard desquelles le secret des affaires serait susceptible de s'appliquer » 49. Le degré de précision avec lequel le de- mandeur définira le cercle des entreprises vis-à-vis desquelles le se- cret des affaires est susceptible de s'appliquer variera en pratique. En effet, au moment où elles transmettent ces informations au Conseil, les entreprises concernées ne connaissent pas nécessairement les autres parties àla procédure. Le problème ne se pose pas tant vis-à-vis du plaignant, qui devrait être connu, quevis-à-vis des autres entrepri- ses poursuivies, qui ne le sont pas nécessairement. En indiquant que cette désignation intervient « le cas échéant »,le décret permet de faire une application souple de ces dispositions.

En pratique, si la réforme fait peser de nouvelles exigences sur les entreprises,elleneles surprendra pasvraiment, en tout cas pour celles qui ont déjà eu affaire avec la Commission européenne. En effet, sur ce point,le rapprochement entrele droit français et le droit communau- taire est manifeste 'O.

50 - Mais comme nous l'avons vu précédemment, les difficultés sont plus importantes encore quand les informations ne sont pas communiquées directement par l'entreprise souhaitant bénéficier de la protection du secret des affaires. Tel est le cas dans deux hypothèses.

51 - La première est celle dans laquelle les informations sont transmises au Conseil par la DGCCRF. Cette hypothèse couvre en pratique deux scénarios. Le premier est celui où les informations sont

46. V. D. 11" 2005-1 668, 27 déc. 2005, précité.

47. D. rio 2002-689, 30 avr. 2002, précité.

48. V. D. 30 aiw. 2002, modifié, art. 36-1, 1.

49. Ibid.

50. V. not. Règl. no 773/2004 Commission, 7 avr. 2004, art. 16.

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transmises à la suite d'une enquéte réalisée à la demande du Conseil. Le second est celui où elles sont transmises à la suite d'une enquête de la DGCCRF débouchant sur une saisine du Conseil. En dehors des mesures que la DGCCRF est susceptible de mettre en place de sa propre initiative, et l'on sait que les entreprises n'hésitent pas à signa- ler l'existence de secrets d'affaires au moment des inspections, le dé- cret a prévu que « lorsque les informations, documents ou parties de documents susceptibles de mettre en jeu le secret des affaires ne sontpas communiqués a u Conseil de la concurrence par lapersonne susceptible de seprévaloir de ce secret et que celle-ci n 'apas formé de demande de classement, le rapporteur général l'invite àprésenter, si elle le souhaite, une demande de classement en annexe confidentielle conforinémentaux prescriptions d u premier alinéa » ".Ainsi, si de nouvelles obligations pèsent sur les entreprises,le nouveau dispositif crée aussi de nouvelles exigences pour les services d'instruction du Conseil. En effet, àl'occa- sion de la réception des pièces, il appartiendra au rapporteur et au rapporteur général en charge du dossier devérifier siles informations ou documents reçus sont susceptibles de contenir des secrets d'affai- res. Dans l'affirmative, le rapporteur général devra inviter lapersonne concernée à se conformer aux exigences présentées précédemment et ce dans un délai qu'il fmera afin de ne pas rallonger inutilement la procédure. On observera que l'obligation faite au rapporteur général d'inviter les entreprises à formuler une demande de classement en annexe confidentielle ne s'impose que si celles-ci n'ont pas déjà formé une telle demande. En effet, même quand l'entreprise ne communi- que pas directement les informations au Conseil, elle connaît généra- lement, au moins dans les deux scénarios décrits précédemment, l'existence des pièces considérées puisqu'elles auront été recueillies auprès d'elle au cours de l'enquête. Dans ces conditions, sans attendre la sollicitation du rapporteur général, les entreprises pourront adres- ser au Conseil une demande de classement conformément aux pres- criptions du premier alinéa.

52 - La seconde hypothèse est celle dans laquelle les documents ont été transmis par un tiers ou découverts chez ce dernier. Tel peut être le cas, par exemple, de documents découverts ou transmis par un client, un fournisseur, un concurrent ou encore par une association à laquelle elle appartient. La question qui se pose dans ce cadre est celle de savoir si des informations qui sont déjà connues en dehors de l'entreprise ou du groupe qui en revendique la confidentialité sont susceptiblesde constituer des secrets des affaires. De son côté,la Com- mission européenne tend à considérer que « les demandes de confi- dentialité ne peuvent normalement viser que les informations recueillies par [elle] auprès de la même personne ou entreprise et non les renseignements provenant d'autres sources »et que « les informa- tions relatives à une entreprise, mais qui sont déjà connues en dehors de celle-ci [...] ou en dehors de l'association à laquelle elles ont été communiquées par cette entreprise, ne sont normalement pas consi- dérées comme confidentielles » 52. Dès lors, à l'exception des secrets d'affaires communiqués à une association professionnelle qui, en ap- plication de la jurisprudence communautaire 53, peuvent bénéficier de la confidentialité, les informations provenant de tiers ne sont

normalement » plus confidentielles. Une distinction mériterait peut-être d'être opérée entre les informations découvertes chez des concurrents, pour lesquelles le caractère « secret » est effectivement douteux, et celles découvertes ou transmises par des clients ou four- nisseurs. En droit français cette situation n'a, à notre connaissance, jamais été tranchée. Le décret permet d'envisager plusieurs hypothè- ses et il faudra attendre des précisions sur la pratique du président du Conseil pour voir comment il sera interprété.

51. \- D. 30 avr. ZOO2 modifié, art. 36-1,1, al. 2.

52. 1'. Conzniuiîicarion Commission, 22 déc. 2005, préc. pts 22 et 23.

53. V. CJCE, 29 oct. 1980, Fedetab, 209 à 215 et 218/78: Rec. CJCE 1980, 1, p. 3125. spCi. pt 46.

53 - Quelle que soit la situation considérée, le fait de ne pas pré- senter une demande de classement en annexe confidentielle n'rst pas sans conséquence pour les entreprises. En effet, aux termes du II de l'article 36-1 du décret, « les infirmations, documents ou parties de documents pour lesquelles une demande de classement n'a pas étépré- sentée sont réputés nepas mettre en jeu le secret des afaires ». Dès lors que la possibilité a été offerte auxentreprises de demander le bénéfice de la protection de leurs secrets d'affaires et qu'elles ne l'ont pas exer- cée, il parait logique qu'elle ne puisse ensuite reprocher au Conseil de ne pas en avoir garantila confidentialité. Cette règle est d'ailleurs, une fois encore, très proche de celle que l'on connaît en droit communautaire 54.

2" Le classement dans une annexe confidentielle

54 - Une fois la demande de classement en annexe confidentielle formulée dans les conditions mentionnées précédemment, il appar- tient au président du Conseil ou au vice-président délégué par lui de l'examiner. Aux termes de l'alinéa 2, du II de l'article 36-1 du décret, une telle demande est susceptible de recevoir deux types de réponse.

55 - En premier lieu, le président du Conseil ou le vice-président délégué donne acte à la personne concernée du classement en annexe confidentielle des informations, documents ou partie de documents regardés par elle comme mettant enjeule secret des affaires.Ainsi, dès lors que l'entreprise s'est conformée aux exigences du décret men- tionnées précédemment, les informations ou documents concernés seront placés dans une nouvelle partie du dossier, ((l'annexe confidentielle ». Ce classement garantit à l'entreprise, à ce stade, la confidentialité des informations en cause. La question qui se posera ensuite sera celle de savoir si cette confidentialité fait obstacle àl'utili- sation de la pièce ou à sa communication à une autre partie. Ce débat interviendra ultérieurement. Par ailleurs, si les informations confi- dentielles sont protégées, la version non confidentielle des docu- ments et leur résumé sontversés au dossier.

56 - En second lieu, le président du Conseil ou le vice-président délégué peut refuser, en tout ou en partie, le classement en annexe confidentielle si la demande n'apas été présentée conformément aux exigences précédemment évoquées ou l'a été au-delà des délais im- partis par le rapporteur général, ou si elle est manifestement infon- dée. Les motifs d'un refus de classement sont donc étroitement circonscrits par le décret. En effet, celui-ci peut d'abord intervenir si l'entreprise n'a pas respecté les prescriptions de forme visées par le 1 de l'article 36- 1 du décret. On l'aura compris, le président ne tranche pas icila question de savoir si les informations encause constituent ou non des secrets d'affaires. Il doit donner acte du classement si i'en- semble des exigences du décret, au nombre desquelles figure la moti- vation, sont respectées. Si ces exigences sont respectées, ce n'est que dans le cas où une demande est manifestement infondée que le décret prévoit que le président peut en refuser le classement en annexe confi- dentielle. Cettedispositionvise principalement à éviter que desentre- prises ne formulent des demandes sur des informations qui à l'évidence ne sont pas susceptibles de constituer des secrets d'affaires, parce que,par exemple, elles ont déjàun caractère public ou parce que l'entreprise a de fucto renoncé au secret en les communiquant ou en les révélant à des tiers. On observera également que le décret précise que le président « peut » refuser le classement. Ainsi, le refus n'a pas de caractère automatique. Il appartient donc en pratique au président d'évaluer au cas par cas les conséquences qu'il entend tirer d'une demande formulée sans respecter les prescriptions de forme visées par le 1 del'article 36- 1 du décret, en offrant par exemple àl'entreprise concernée la possibilité de rectifier sa demande.

57 - On remarquera encore que le décret ne mentionne plus les hypothèses de retrait et d'occultation du dossier qui figurent pour-

54. V. not. Ripl. no 773/2004 Coinmission, 7 avr. 2004, art. 16, § 4.

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Droit des affaires CONTRATS

qué précédemment l'a montré 57. Ce n'est donc que dans des situa- tions tout à fait exceptionnelles qu'une dissociation de l'accès au dossier entre les entreprises poursuivies devrait être possible.

63 - La seconde hypothèse est celle dans laquelle une partie mise en cause considère qu'une pièce classée en annexe confidentielle est nécessaire à l'exercice de ses droits. En pratique, tel pourrait être le cas d'une information susceptible d'être un élément à décharge pour une entreprise mise en cause ".Dans ce cas, cettedernière peut en deman- der la consultation ou la communication en présentant une requête motivée au rapporteur.

Cette fois encore, le décret a prévu une procédure en deux temps j9. Tout d'abord, le rapporteur doit informer de cette démar- che la personne qui a demandé le classement de cette pièce par lettre reconlmandé avec accusé de réception. Si cette dernière s'oppose, dans le délai qui lui a été imparti par le rapporteur, à ce que cette pièce soit conlmuniquée à la partie qui en fait la demande, elle doit saisir le président du Conseil de la concurrence. Le président ou le vice- président déléguéa alors le choixentre deuxdécisions. Il peut d'abord donner suite à cette opposition, et la pièce sera maintenue dans l'an- nexe confidentielle. En revanche, s'il juge que la pièce considérée est effectivement nécessaire à l'exercice des droits de la partie qui en demande l'accès, il peut autoriser sa communication ou sa consulta- tion. Dans ce cas, le décret précise que la pièce deviendra accessible à cette partie, au commissaire du gouvernement, ainsi que, le cas échéant, aux autres parties mises en cause pour lesquelles la pièce est nécessaire à l'exercice de leurs droits. Comme nous l'indiquions pré- cédemment, la situation sera plus ou moins complexe selon qu'il y a une ou plusieurs entreprises poursuivies et que le président module ou non l'accès à cette pièce entreces parties.

64 - On l'aura compris, la nouvelle procédure, plus complexe, est plus souple. Elle permet de dépasser l'approche du « tout ou rien x

qui prévalait jusque là. Ainsi, une pièce contenant des secrets d'affai- res et classée dans l'annexe confidentielle peut à la fois être utilisée dans la procédure tout en demeurant confidentielle à l'égard de cer- taines parties. Il en résulte une meilleure conciliation entre la protec- tion du secret des affaires et l'efficacité de la procédure devant le Conseil.

2' Une protection accrue pendant toute la procédure

65 - Le nouveau dispositif doit assurer la protection du secret des affaires tout au long de la procédure. Comme cela a été dit précédem- ment, cette protection commence très tôt par le classement des infor- mations considérées comme étant des secrets d'affaires dans une annexe -confidentielle. Ensuite, le décret a fixé des règles précises quant àlapossibilité d'utiliser ces pièces et quant àl'étendue de l'accès qui peut y être donné. La procédure suivie devant le Conseil de la concurrence devra ensuite refléter le sens des décisions adoptées par le président ou le vice-président délégué.

66 - Ainsi, au stade de la notification des griefs, si le rapporteur est autorisé à utiliser, dans les conditions énoncées précédemment, des informations qui ont été classées dansl'annexe confidentielle, il devra préparer en principe deuxversions de ladite notification. Uneversion confidentielle à destination du commissaire du gouvernement et des parties vis-à-vis desquelles la confidentialité a été levée, et une version non confidentielle à l'attention des parties vis-à-vis desquelles la confidentialité demeure. Comme cela a été expliqué précédemment, dans la très grande majorité des cas,les autresparties devraient être les plaignants. Ce n'est que dans des situations exceptionnelles qu'une

dissociation de l'accès au dossier entre les entreprises poursuivies devrait être opérée. La version non confidentielle de la notification des griefs devra contenir laversion non confidentielle et le résumé des éléments supprimés. En principe, à ce stade, il ne devrait plus y avoir de débat sur la confidentialité des informations en cause et l'étendue de l'accès au dossier dans la mesure où ces questions auront dû être réglées en amont dans les conditions examinées antérieurement.

67 - Le rapporteur devra ensuite préparer une version confiden- tielle et une version non confidentielle du rapport afin d'assurer le respect des décisions prises par le président du Conseil. La version non confidentielle devra contenir la version non confidentielle et le résumé des éléments supprimés. Si ces principes rappellent ceux ap- plicables pour l'envoi de la notification des griefs, en revanche l'éten- due de la confidentialité aura pu évoluer. En effet, d'une part, de nouvelles demandes de classement auront pu intervenir avec les ré- ponses à la notification des griefs. D'autre part, les demandes des parties mises en cause qui considèrent qu'une pièce signalée comme mettant en jeu le secret des affaires est nécessaire à l'exercice de ses droits, devrait intervenir après l'envoi des griefs. Ainsi, des docu- ments issus de l'annexe confidentielle mais ne figurant pas dans la notification des griefs pourront être intégrés au rapport s'ils sont utilisés par l'une des parties. Dès lors, le rapporteur devra tenir compte de cette situation en préparant les différentes versions de son rapport.

68 - Des principes équivalents devraient également s'appliquer à l'occasion de l'examen d'une demande de mesures conservatoires. En effet, au moment de la transmission des pièces au Conseil, les entre- prises pourront solliciter la protection de leurs secrets d'affaires. Dans ce cas, le président devra, dans de brefs délais, statuer, d'une part, sur le classement dans l'annexe confidentielle et, d'autre part, sur l'éten- due de la communication des documents en question. Les entreprises vis-à-vis desquelles les pièces considérées demeureront secrètes en recevront une version non confidentielle.

69 - Ensuite, quand interviendra la séance, les mêmes principes devraient selon nous guider le collège. S'il est vrai que les séances ne sont pas publiques, toutes les parties, et en particulier le plaignant, peuvent en principe y participer. Or on comprendrait mal qu'une information protégée pendant la phase écrite perde toute confidenti- alité pendant la phase orale. Même si les textes n'ont pas explicite- ment prévu cette hypothèse, l'article L. 463-4 du Code de commerce indique clairement que l'instruction et la procédure devant le Conseil de la concurrence sont pleinement contradictoires sous réserve des dispositions relatives au secret des affaires. Il appartiendra donc au collège d'en assurer le respect.

70 - Enfin, l'article L. 464-8 du Code de commerce a été modifié afin de tenir compte de l'intérêt légitime des parties à ce que leurs secrets d'affaires ne soient pas divulgués au moment de la publication des décisions du Conseil. Dans ce but, ce dernier pourra prévoir une publication limitée des décisions qu'il adopte. Une fois de plus, la version non confidentielle et le résumé des éléments supprimés pour- ront servir de base à la rédaction des parties non confidentielles de la décision.

71 - On observera encore que la réforme initiée par l'ordonnance du 4 novembre 2004vise seulement la procédure devant le Conseil de la concurrence. Il reviendra ensuite à la cour d'appel de Paris de voir comment, à la lumière de ce nouveau dispositif, il lui sera possible de prolonger la protection du secret des affaires offerte devant le Conseil 60.

57. V. siipra no 33.

58. L'entreprise mise en cause aura eu connaissance de cette information grice i la version non contidentielle et au résumé des éléments supprimés auxquels elle a arcCs.

59. V. D. 30 i i w . 2002 modifie, art. 36-1, III, al. 2.

60. À cet égard, on observera que dans un arrit du 7 janvier 2004 relatif au Conseil des marchés financiers, la Cour de cassation a jugé : « mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel énonce exactement que s'il est de principe que la régularité de la décision du Conseil des marchés financiers s'apprécie au vu des documents examinés par le Conseil, ce principe ne fait pas obstacle à ce que certaines données communiquées au Conseil soient

.?F _A SEIVIAINE :URIDIQUE - ÉDITICN ENTREPRISE ET AFFAIRES Na 4. 26 JANVIER 2006

onclusio 72 - En conclusion, la réforme mise en place par l'ordonnance du

4 novembre 2004 etledkretdu no 2005-1668 du 27 décembre 2005 a modifié les règles relatives au secret des affaires pour en accroître sensil-ilement la ~rotection.À côté des nouveauxpouvoirs et des nou-

veaux défis qui résultent ce l'entrée en vigueur du règlement no 1: 2003 et des nouvelles règles de représentation devant la cour d'appel de Paris ",cette évolution participe àlainodernisation du droit fran-- çais de la concurrence. Elletémoigne aussi d'un nouveau rapproche- ment entre le d ro i t français ct le droit commuiiauiaire en la matière. L'on ne peut que s'en féliciter.

soustraites à l'examen des parties à l'instance dès lors qu'il existe un intérêt légitimc 3 ce que d a informations metlant en jeu le secret des affaires demeurent confidentielles et que la connaissance de celles-ci n'est pas nécessaire à l'excrcics effectif du recours ouvert contre la décision de l'autorité de marché ». V. C m . corn., 7 janv. 2004, Assoriutiori Pour ln défense des actionnaires minoritaires c/ Conscil des marchés financiers, pourvoi i r a 62-14.053.

MOTS-CLÉS : Conctli-rence - Secret de' afiàires - Protection - Procéd~iw révisée

61. V. D. no 2005-1667, 27 déc. 2005 modifiant D. n" 87-849, 19 oct. 1987 relatif aux recours exercés devant la cour d'appel de Paris contre les décisions du Conseil de la concurrence : JO 29 déc. 2005.