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par Charlotte Garson LYCÉENS ET APPRENTIS AU CINÉMA ADIEU PHILIPPINE JACQUES ROZIER

Adieu Philippines de Jacques Rozier

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Page 1: Adieu Philippines de Jacques Rozier

par Charlotte Garson

LYCÉENSET APPRENTIS

AU CINÉMA

ADIEUPHILIPPINE

JACQUES ROZIER

Page 2: Adieu Philippines de Jacques Rozier

ÉDITORIAL

Premier long-métrage et chef-d’œuvre d’uncinéaste rare, Adieu Philippine tient une place àpart dans ce qu’on appelle déjà la Nouvelle Vague.D’abord parce qu’il a été tourné en pleine guerred’Algérie – son acteur principal, Jean-ClaudeAimini, devait d’ailleurs y partir peu après. Par-delà les flirts au café et la liberté des corps ado-lescents sous le soleil corse, ce film témoigne d’unfossé flagrant, dans la France gaulliste, entre lesjeunes gens de vingt ans et les autres, qui dès

1963 (quand sortira le film), auront déjà oublié la guerre d’Algérie. Adieu Philippine brille aussi d’un éclat singulier dû à deux qualités de son auteur : savirtuosité de monteur, à l’image et au son, qui rapproche le film de son projet ini-tial de comédie musicale ; et son expérience d’assistant aux studios de la Radio-Télévision Française à la grande époque du direct, qui l’engage à mêler subtilementdocumentaire et fiction. Les trois longues années qui séparent le tournage de la sor-tie auront au moins permis à Rozier de forger son art poétique : « Un artiste, c’est quel-qu’un qui se bat avec des images, des sons, des bruits ».

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Directeur de publication : Véronique Cayla. Propriété : CNC (12, rue de Lübeck - 75784 Paris Cedex 16 - Tél.: 01 44 34 36 95 - www.cnc.fr).Rédacteur en chef : Stéphane Delorme. Conception graphique : Thierry Célestine. Révision : SophieCharlin. Rédactrice du dossier : Charlotte Garson. Rédacteur pédagogique : Simon Gilardi.Remerciements à Sarah Godeau.Conception et réalisation : Cahiers du cinéma (9, passage de la Boule-Blanche - 75012 Paris - Tél.: 01 53 44 75 75 - Fax. : 01 53 44 75 75 - www.cahiersducinema.com).

Les textes sont la propriété du CNC. Dossier maître et fiche élève sont disponibles sur le site du CNC, rubrique Publications :www.cnc.fr.

Synopsis & fiche technique 1

Réalisateur 2

Genèse & document 3

Découpage séquentiel 4

Analyse du récit 5

Point de vue 6Le monde sur un plateau

Contexte 8Rozier et la Nouvelle Vague

Mise en scène 10Un montage guidé par le son

Analyse de séquence 12Chorégraphie de la séduction

Enchaînement 14On se dit tout ?

Point technique 15Le jump-cut

Figure 16Le regard-caméra

Filiation 17Iles, idylles

Passages du cinéma 18La guerre d’Algérie, nulle part, partout

Lecture critique 19Une idée du monde

Atelier pédagogique 20Un film à écouter

Sélection bibliographique & vidéo

Page 3: Adieu Philippines de Jacques Rozier

SYNOPSIS

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Ce livret est découpé en deux niveaux :un texte principal et des ouverturespédagogiques.Le texte principal a pour visée de fournirles informations nécessaires (biogra-phiques, techniques, historiques) à l’ap-proche du film. Il propose ensuite desréflexions d’ensemble et des analyses dedétail afin de donner à comprendre la por-tée (dans l’histoire du cinéma, ou d’ungenre) et la singularité de l’œuvre étu-diée. Une première partie privilégie lestextes de fond sur double page, ponc-tués par une analyse de séquence quidonne une illustration précise à l’analyseplus globale du film ; une deuxième par-tie multiplie les entrées pour offrir à l’en-seignant divers angles d’étude.Les ouvertures grisées en marge ontpour visée de prolonger la réflexion selonun angle pragmatique. Rédigées par unautre rédacteur que celui du texte prin-cipal, elles s’adressent directement à l’en-seignant en lui proposant des exemplesde travail concrets, en lui livrant des outilsou en lui fournissant d’autres pistes.L’idée générale est de repartir de l’im-pression que les élèves ont pu avoir, d’in-terroger leur vision du film. Un atelierpédagogique en fin de dossier vient ponc-tuer ce parcours.

MODED'EMPLOI

Adieu PhilippineFrance, Italie 1961

Réalisation : Jacques RozierScénario : Jacques Rozier, Michèle O'GlorImage : René MathelinCadreur : Jean BoffertySon : Maurice Laroche, Jean-Michel PouduboisMontage : J. Rozier, Monique Bonnot, Claude DurandMusique : Jacques Denjean, Maxime Saury, Paul MatteiProduction : Georges de Beauregard, Alpha Productions,

Euro-International-Films, Rome-Paris-Films (Carlo Ponti).

Distribution : Antinéa Production ; Action cinéma/Théâtre du Temple.

Durée : 1 h 43Format : 35mm, noir et blanc, 1:66Sortie française : 25 septembre 1963

Interprétation

Michel : Jean-Claude Aimini Liliane : Yveline CéryJuliette : Stéfania Sabatini (voix : Annie Markhan)Pachala : Vittorio CaprioliHoracio : Davide TonelliAmi de Michel : Daniel DescampsRégnier de l'Isle : André TarrouxLa mère : Arlette GilbertLa voisine : Jeanne PérezLe père : Maurice GarrelLe voisin : Charles Lavialle

Dans leurs propres rôles (télévision) : Jean-Christophe Averty, StellioLorenzi, Maxime Saury, Jean-Claude Brialy, Robert Hirsch, Michel Piccoli,Michèle O’Glor.

Paris, 1960. Michel, machiniste à la télévision, rencontre Juliette et Liliane. Ilsort alternativement avec elles deux ; les « inséparables » se racontent tout.Dans deux mois, il doit partir faire son service, en pleine guerre d'Algérie.Espérant l'aider à différer l'appel, les filles lui présentent un producteur véreuxet un « ami » influent. Mécontent de leurs combines, il quitte son travail pourla Corse. Mais les filles le rejoignent au Club Méditerranée et prennent la routeavec lui à la recherche du producteur, qui leur doit de l'argent. La rivalité crois-sante entre elles est brisée net quand arrive la feuille de route de Michel. Duport de Calvi, il embarque pour le continent. Elles lui font de grands signesdepuis la jetée.©

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RÉALISATEUR

Né le 10 novembre 1926 à Paris, Jacques Rozier, fils d'inventeur, est d'abord fasciné par les appareils. Près du lycée Condorcet, il acquiert sa première caméraPathé Baby ainsi qu'un projecteur qui lui permet de découvrir Napoléon d'AbelGance (1927). Il « s'égare » quelques années dans des études de pharmacie puisde droit avant qu'un ami lui parle de l'Institut des hautes études cinématogra-phiques (Idhec), dont il intègre la cinquième promotion en 1949. A sa sortie,il s'improvise stagiaire sur French Cancan (1954) de son maître Jean Renoir, eten prend de la graine : « Une scène surtout m'a marqué, où Maria Félix devait sebrosser les cheveux. Renoir ne lui donnait aucune indication au début, notait un geste,partait sans idée préconçue et quand l'acteur construisait, il encourageait à refaire telou tel mouvement, modulait. Cette méthode, je me la suis appropriée. » Assistant aux studios de télévision des Buttes-Chaumont « à l'époque héroïque »,Rozier y rencontre son épouse et coscénariste Michèle O'Glor, scripte du réali-sateur Stellio Lorenzi (on les aperçoit en régie dans Adieu Philippine lors du tour-nage de Montserrat). Ensemble, ils se lancent en 1955 dans le cinéma avecRentrée des classes. Un écolier part repêcher son cartable qu'un camarade a jetéau ruisseau ; au son de Mozart et de Darius Milhaud, il s'aventure tout habilléau fil de l'eau. Le parcours buissonnier, la saveur des accents (varois ici, italiendans Adieu Philippine, patois vendéen dans Maine Océan) et la liberté du mon-tage visuel et sonore définissent le style de Rozier, dans le sillon de Jean Vigo –à qui il consacre en 1964 un portrait dans l'émission Cinéastes de notre temps. Blue Jeans, autoproduit en 1958, ébauche Adieu Philippine. Comme ses films sui-vants (Du côté d'Orouët sur la côte vendéenne, Les Naufragés de l'île de la Tortueen Guadeloupe et en Dominique, Maine Océan sur l'Ile d'Yeu...), il part d'un désirde décors extérieurs, en l'occurrence les baraques à chichis de la Croisette can-noise que deux dragueurs impénitents longent pour y « lever des filles » à la sil-houette BB. Projeté au festival de Tours, ce court métrage ravit les critiques desCahiers du cinéma.

Dérapage contrôléL'aventure chaotique d'Adieu Philippine (cf. Genèse) vaut à Rozier un accueil critiqueadmiratif d'un « néo-réalisme » qui mêle fiction et documentaire, mais elle lui tailledans la profession une réputation de dépensier imprévisible. Il revendique dès 1962son goût pour les aléas, garant d'un processus de création toujours en mouvement :« pourquoi gâcher de la pellicule à tourner un film que l'on voit si bien sur le papier ? ».Dans les années 1960, Rozier plie les commandes à sa fantaisie avec des courtsmétrages comme Dans le vent, sur la mode des capes, et un making of du Méprisde Jean-Luc Godard, Le Parti des choses, assorti de son contrechamp, Paparazzi, surles photographes qui mitraillent Michel Piccoli et Brigitte Bardot sur le tournage. Ce n'est qu'en 1973 que sort Du côté d'Orouët, son film le plus long, tourné enson direct et en 16 millimètres en 1969. Lieu unique, extérieurs marins et dia-logues improvisés, les vacances d'un employé empoté avec trois filles qui le narguentrévèlent le potentiel comique du débutant Bernard Menez. Rozier lui confieensuite le rôle du contrôleur SNCF tatillon dans Maine Océan. Ce délirant vo-yage au bout de la nuit avec Luis Rego et Yves Afonso est achevé en 1985 aprèsbien des difficultés. Il clôt avec Fifi Martingale (2001), fiction grinçante jamaisdistribuée, sur un acteur de théâtre vieillissant, une œuvre et une carrière mar-quées par la dérive, parfois la déroute. Elles sont au cœur même des Naufragés de l'île de la Tortue (1976), sorti 30 ansaprès sa réalisation. « Pour 3000 francs, vous n'êtes assurés de rien » : le produitd'appel d'un voyagiste nommé Bonaventure (Pierre Richard), consiste à emme-ner les vacanciers sur une île soi-disant déserte. D'un tournage fou qui allie songoût des îles et de l'improvisation, Pierre Richard dira : « Jacques finissait toujoursles magasins de pellicule et, à la fin de chaque prise, n'entendant pas 'coupez', on devaitmeubler les silences. » Et de conclure, d'une phrase qui pourrait définir Rozier :« Il aime les points de suspension ».

Citations extraites de Emmanuel Burdeau (dir.), Jacques Rozier. Le funambule, Cahiers du cinéma, coll.Auteurs, 2001 ; Jacques Rozier, « Adieu Philippine est un film au présent », Arts, 16/10/1962 ; Jean-PhilippeTessé, « La bonne aventure », entretien avec Pierre Richard, Cahiers du cinéma, n°592, juillet-août 2004.

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Jacques Rozier, itinéraires bis

Jacques RozierFilmographie complète

Cinéma1955 Rentrée des classes (CM)1958 Blue Jeans (CM)1961 Adieu Philippine1962 Dans le vent (CM)1963 Le Parti des choses : (CM)1963 Paparazzi (CM)1966 Roméos & jupettes (CM)1969 Du côté d'Orouët1976 Les Naufragés de l'île de

la Tortue1985 Maine Océan2001 Fifi Martingale

Télévision1964 Cinéastes de notre temps :

Jean Vigo1965 Ni figue ni raisin n°5 (CM)1965 Ni figue ni raisin n°8

(de Corinthe) (CM)1967 Dim Dam Dom n°261968 Gérard Souzay1972 Film publicitaire Zip Inox (CM)1972 Film publicitaire Lesieur (CM)1972 Vive le cinéma / Jeanne Moreau

(CM)1975 Nono Nénesse (CM inachevé)1978 Marketing Mix (CM)1979 La Casa de Pepe Tortilla (CM)1983 « Les Estivants » de Gorki à

la Comédie française (CM)1983 Lettre de la Sierra Morena /

Lettre d'un cinéaste (CM)1984 Oh, oh, oh, jolie tournée ! (CM)1989 L'Opéra du Roi (CM)1990 Joséphine en tournée

(feuilleton en 4 épisodes)1992 Revenez plaisirs exilés ! (CM)1995 Comment devenir cinéaste sans

se prendre la tête (CM)

Jacques Rozier à l’époque de Maine Océan – DR.

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GENÈSE

Récurrente dans Adieu Philippine à travers Pachala, Horatio et la nationalité deStéfania Sabatini (Juliette), l’italianité en était aussi le point de départ. Jeunehomme, Jacques Rozier est transporté par Primavera de Renato Castellani(1949), satire sociale sur un militaire libertin qui parcourt la péninsule au gréde ses conquêtes. L’ébauche de scénario dont il parle à François Truffaut, ren-contré dans le Midi à l’été 1959, s’en inspire : Les Dernières Semaines, co-écritavec son épouse Michèle O’Glor, raconte les vacances d’un futur conscrit enAlgérie et son arrivée à la caserne. Mais devant les difficultés de censure pres-senties, cette première version est mise de côté. Fin 1959, Jean-Luc Godard, qui a aimé Blue Jeans au festival de Tours, présente àRozier le producteur d’A bout de souffle, Georges de Beauregard, à la recherchede films « sur la jeunesse ». Il signe un contrat en mars 1960 pour… un mari-vaudage musical à trois ; Embrassez-nous ce soir devra être achevé mi-avril 1961.Mais Rozier revient à son idée initiale en faisant du garçon un appelé en Algérie.Adieu Philippine est né. Pour trouver Michel, « trois équipes constituées chacune d’un photographe et d’uneaguichante enquêtrice » écument métro, piscines, cafés, bals et fêtes foraines etrepèrent parmi 500 garçons Jean-Claude Aimini, employé de banque aux fauxairs de Johnny Hallyday. « J’avais décidé que le texte du film ne serait pas écrit, sinonen style indirect. » : pour préserver sa gouaille, Rozier lui donnera un canevas,quitte à faire plusieurs prises pour retenir le meilleur texte improvisé. YvelineCéry a été approchée au Drugstore des Champs-Elysées. En Italie, Rozier, aidépar le producteur Carlo Ponti, trouve en l’acteur Vittorio Caprioli son Pachalaet choisit sur photo Stéfania Sabatini ; cette « miss » d’un quartier romain de 15ans et demi ne parle pas français, elle sera doublée. Adieu Philippine n’a pas été tourné dans l’ordre chronologique. En août et sep-tembre 1960, direction la Corse. Rozier a d’emblée pour projet d’« appliquer laméthode des moyens ultra-légers à un long métrage » mais il souffre des restrictionsque lui impose Beauregard : ni ingénieur du son, ni régisseur, ni directeur de pro-duction. A l’automne, la maigre équipe tourne en un mois les séquences parisiennes.

Fin novembre, Rozier commence à monter les 40 000 mètres de pellicule : beau-coup trop, s’indigne Beauregard, habitué à un Godard parcimonieux (10 000mètres) et convaincu que le tournage à plusieurs caméras, comme pour le repasde famille, l’arrivée au Club Med et l’embarquement, est inutilement dispen-dieux. Les difficultés sonores sèment définitivement la discorde. Devant undialogue à moitié inaudible, Rozier passe cinq mois à lire sur les lèvres de sesacteurs. Instaurant une atmosphère détendue pour la post-synchronisation grâceaux pitreries d’Aimini qui pousse des cris d’animaux, il obtient des acteurs la« simplicité » recherchée, bafouillage compris. Mais le retard s’est accumulé. Ledistributeur résilie son contrat et en mai 1961, Beauregard ordonne des coupes.Rozier fait racheter les droits du film par son ami Alain Raygot et par Carlo Ponti.Le budget prévu, 45 millions d’anciens francs, a presque doublé. Montré une pre-mière fois en projection privée à l’automne 1961, le « premier film néo-réaliste quenous ait offert le cinéma français » enthousiasme notamment le quotidien Combat.Rozier élague pourtant largement (l’entreprise de « photo-stop » de Michel, les méga-lomanies de Pachala) puis tourne des raccords en plein hiver en Haute-Provencepour certaines scènes de la partie corse (dont celle où Juliette tient la carte rou-tière à l’envers). En mars 1962, la guerre d’Algérie s’achève ; le film est resitué àla date de son tournage, été 1960, par un carton inaugural.Sélectionné à la Semaine de la critique de Cannes en avril 1962, Adieu Philippiney séduit public et paparazzi (même si aucun des trois jeunes ne fera carrière), maispas les distributeurs. Il ne sort dans deux salles parisiennes que le 25 septembre1963, après 18 mois de travail et 21 de latence. Pris pour une bluette érotique enItalie (où il est retitré Désirs au soleil), il marque jusque dans ses mésaventures lesadieux d’une époque à une autre : non seulement il sort après la bataille, mais ilconfirme le ressac de la Nouvelle Vague – ses « dernières semaines ».

Citations de Pierre Marcabru, « De la réalité à la vérité », Combat 28/10/1961 ; J. Rozier, « Adieu Philippineest un film au présent », op.cit. ; Nicole Zand, « Le dossier Philippine », Cahiers du cinéma, n° 148,octobre 1963.

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Trois ans et trois mois

D o c u m e n t

DR

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Honneur à Adieu Philippine pour ornerla couverture triomphante du Numérospécial « Nouvelle Vague » des Cahiersdu cinéma (n°138, décembre 1962).C’est dire la place que tient alors dans lejeune cinéma français ce film (non encoresorti !) de Jacques Rozier. Il symbolise lafraîcheur, la spontanéité, le tournage enextérieurs, le cinéma comme aventure permanente, mais aussi simplement, leplaisir de filmer de jolies jeunes filles,souvent au principe de la NouvelleVague. Après coup, au seuil de 1963,Adieu Philippine sonne pourtant déjàcomme « Adieu Nouvelle Vague ».

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DÉCOUPAGE SÉQUENTIEL

Note : pour se repérer, sont indiqués entre paren-thèses le minutage et le chapitrage de l’éditionDVD Potemkine/Agnès b.

1. Générique (début-00:05:20 ; chapitre 1)« 1960. Sixième année de guerre en Algérie. ». Aprèsce carton, tournage d’une émission de jazz dans lesstudios de la télévision. Un garçon s’exécute indo-lemment quand l’opérateur l’envoie en régie, oùrègne l’ambiance fébrile du direct. Générique ensurimpression. A la porte du studio, le garçonrepère deux filles fascinées par le tournage. Il lesfait entrer. Un rendez-vous est pris.

2. Un coca et trois pailles (00:05:20-00:07:33 ; chapitre 2)Au café, sur un air de rock, le garçon épate les deux« inséparables » en leur expliquant son métier. Undeuxième rendez-vous à trois est pris.

3. Ligne de vie (00:07:33 -00:09:21 ; chapitre 2)Sur une piste d’aviation amateur, les deux filleslisent au garçon ses lignes de la main. Il leurannonce qu’il part « au service » dans deux mois etdemi.

4. Quatre hommes et une voiture (00:09:21-00:13:49 ; chapitre 3)Le garçon et ses amis découvrent la Renault frégatequ’ils ont achetée collectivement et l’essaient sur desroutes campagnardes. Rigolade et drague. Après lavirée, le garçon retrouve Dédé, rentré après 27 moisde service.

5. Repas de famille (00:13:49-00:19:14 ; chapitre 4)Le garçon, prénommé Michel, scandalise sesparents en leur annonçant qu’il a co-acheté la voi-ture au lieu de leur verser son écot mensuel.Autour d’un pâté de tête, la famille échange deslieux communs sur le consumérisme des jeunes, latélévision, les médecins, les Chinois. Dédé, lui, n’a« rien » à raconter.

6. Les rushes (00:19:14-00:26:46 ; chapitre 5)Les deux filles assistent à la projection des rushesd’un film publicitaire dans lequel elles ont joué.

Leur contre-performance navre le client et le pro-ducteur-réalisateur, Pachala. Celui-ci raccompagnepourtant l’une des deux filles, d’abord dans sa voi-ture microscopique, qui tombe en panne, puis entaxi, où il pérore. La fille en profite pour lui parlerde Michel, qu’elle veut lui présenter.

7. Coups de téléphone (00:26:46-00:34:20 ; chapitres 5 et 6)Juliette étant injoignable au téléphone, Micheldonne rendez-vous à Liliane. Long travelling sur lesinséparables marchant sur les boulevards. Lilianeraconte son rendez-vous. Un pari est lancé : « unpoint à chaque fois qu’on sort avec Michel ». D’unecabine, elles lui téléphonent au studio, prennentrendez-vous. Pachala convie Michel au même lieude rendez-vous.

8. Brainstorming à la Maison du café (00:34:20-00:37:23 ; chapitre 6)Pachala, flagorneur, propose d’embaucher Michelet son collègue comme opérateurs. Soi-disantdésintéressé, il leur soutire une idée pour le spotqu’il prépare.

9. Grand Nord (00:37:23-00:40:52 ; chapitre 7)Tournage dudit spot, avec décors et costumes eski-mo ridicules. Après le tournage, Michel lui réclamesa paie au téléphone. Il fait dire qu’il est absent.

10. Bonjour Philippine ! (00:40:52-00:45 :17 ; chapitre 8)Dans sa chambre avec Juliette, Liliane lui avouequ’elle est sortie avec Michel à son insu. Flash-back. Juliette est d’abord furieuse mais « dans deuxmois on sera d’accord, quand il partira au service ».Discussion sur des chaussures que Juliette a obtenuesen sortant avec un fabricant. Trouvant une amandedouble, les amies décident de « faire philippine » le lendemain : la gagnante aura le plus de chanceavec Michel. Au réveil, elles le disent en mêmetemps.

11. Cha-cha contre charleston (00:45:17-00:54:15 ; chapitres 8 et 9)Juliette pense éviter à Michel de partir au service enlui présentant un ami influent de son père : elle

emmène le « vieux » danser au Calypso où elle ren-contre Liliane et Michel « par hasard ». Jeu deregards rivaux entre les deux filles et les deuxhommes. Michel, mis au courant après-coup dustratagème, repart furieux.

12. Montserrat (00:54:15-01:00:34 ; chapitre 10)Au studio, Michel passe dans le champ de la camé-ra par inadvertance, en plein feuilleton historique.Insolent avec son chef, il démissionne pour partirau Club Méditerranée.

13. Tourisme de masse (01:00:34-01:08:01 ; chapitres 11 et 12)Au Club, en Corse, les garçons devisent mollementde leurs flirts locaux. A leur (mauvaise) surprise,Juliette et Liliane débarquent, sous le prétexte d’in-former Michel de la présence sur l’île de son créan-cier, Pachala. Le trio part en voiture réclamer son dû.

14. Nuit d’amour (01:08:01-01:11:05 ; chapitre 13)Nuit de bivouac sur une crique. Juliette se glisseauprès de Michel à l’insu, croit-elle, de Liliane.

15. La guêpe (01:11:05-01:15:27 ; chapitre 14)Lors d’un pique-nique gâché par une guêpe,Liliane, à bout de nerfs, impose de lever le camp.

16. Double panne (01:15:27-01:19:54 ; chapitres 14 et 15) Panne. Michel part avec Juliette chercher de l’eau.Liliane les attend une heure. Un homme-grenouilleen panne de bateau, Horatio, surgit et lui chanteune sérénade italienne. Ils dansent au clair de lune.Les quatre reprennent la route.

17. Mieux à trois (01:19:54-01:23:26 ; chapitre 15)Jaloux du transistor portatif qu’est l’Italien chan-tant, Michel l’abandonne sur la route au grand amu-sement des filles. Le trio prend le bateau, Lilianes’assoit sur les genoux du marin pour économiser lebillet. Cabotage idyllique sur un air corse.

18. Le mépris (01:23:26-01:25:50 ; chapitre 16)Pachala tourne un roman-photo en costumes.Grogne de l’équipe, qu’il exploite sans vergogne.

19. Nuit d’amour (01:25:50-01:29:02 ; chapitre 16)Bivouac sur la plage. Michel revient bredouille deson explication avec Pachala. Juliette s’enquiertd’aller réclamer l’argent. Liliane et Michel la laissentpartir devant et se retrouvent dans la soirée. Noir.A son retour, Juliette soupçonne quelque chose.

20. Double danse (01:29:02-01:36:18 ; chapitres 16 et 17)Pachala a pris la fuite, Michel renonce à le pour-suivre. En route vers Ajaccio, Juliette boude. Lesoir, elle danse un cha-cha aguicheur puis un slowavec Michel. Liliane danse seule face caméra, leregard langoureux, et dans les bras de Michel, elleprovoque sa rivale du regard. Dispute des fillesdans la voiture.

21. Je pars demain pour longtemps (01:36:18-01:39:31 ; chapitre 17) A la Poste d’Ajaccio, Michel reçoit sa feuille d’appel.Les bateaux pour la Côte d’Azur étant pleins, le trioroule vers Calvi. Les filles se réconcilient. Michels’énerve : « y a quand même des choses plus impor-tantes » que leurs histoires de « midinettes ».

22. Embarquement (01:39:31-01:41:26 ; chapitre 18)A Calvi, Michel embarque sur le Cyrnos. Les fillesl’embrassent, l’air contrit. Elles continuent de luifaire signe quand le bateau s’éloigne, sur la jetéepuis du haut d’une tour. Fin.

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ANALYSE DU RÉCIT

Inscrit sous le signe du dédoublement comme l’amande bifide du jeude son titre, Adieu Philippine se divise géographiquement de part etd’autre de sa première heure. Ce sont d’abord, inaugurés par le jazzsyncopé de Maxime Saury, le travail, le camion de régie en pleincoup de feu du direct, les virées en Frégate, le café, l’aérodrome et ladiscothèque. Puis le soleil de Corse,où le trio circule entre Porto-Vecchio,Restonica, la Balagne, Calvi, l’île-Rousse, Ajaccio, Portofino et denouveau Calvi. A partir du moment où Michel ren-contre deux amies « philippines »,la première partie se distribue augré du partage des sentiments, desboissons, des moyens de transport :un coca et trois pailles (séquence 2),une voiture pour quatre (s. 4), plu-sieurs prises pour une scène (s. 6),deux filles autour d’un téléphone(s. 7, s. 11), un rendez-vous à la foisprofessionnel et amoureux (s. 8), deux « vieux » (Pachala et Régnier)présentés à Michel par ses amies. Cette logique du « et… et… »constitue l’une des nouveautés formelles d’un film dont l’unité nar-rative n’est ni le plan (souvent fragmenté par l’utilisation d’angles mul-tiples et interrompu brutalement) ni la séquence (rares sont les « petitstouts » bien délimités) mais une unité d’action ou de conversation pluslâche, répartie sur plusieurs lieux. Deux exemples : à la gare (s. 2), quand Michel demande aux filles quelest leur genre de garçons, une coupe téléporte la réponse dans un

autre lieu, au bord d’une route de campagne. A la s. 4, les essais dela nouvelle voiture forment une seule unité même s’ils ont lieu au café,au garage et sur différentes routes ; les plans sont « coupés court »,passant de la liesse de la conduite au conciliabule de la réparation,comme si les garçons, par leur jubilation débordante, brisaient leur

nouveau jouet. Tantôt Rozier utilisel’ellipse comme ressort comique (lecut entre la voiture Velam et le taxi,s.6, implique que la caisse à savonde Pachala est tombée en panne),tantôt il étire une scène, préférant letemps faible au temps fort commeplusieurs de ses confrères de laNouvelle Vague (s. 5, 6, 8, 16).

Compte à reboursDans cette première partie virevol-tante, les transitions ne sont pastoujours de l’ordre du récit. QuandMichel se vante « Si je me trompe,

l’émission s’arrête », la musique cesse tandis qu’on le voit en flash-backsur le plateau de télévision, l’air absent pendant un enregistrement.Quand Liliane avoue à Juliette qu’elle est sortie en cachette avecMichel (s. 10), le flash-back illustre si platement ses propos que parsa redondance même, il fait du récit de la cachoterie le prétexte àremuer sadiquement le couteau dans la plaie. Dans la seconde partie, une fois la mer traversée dans une collure cut(s. 13), l’échelle des plans s’élargit, les vues aériennes de la voiture quiserpente dans les montagnes ponctuent le voyage. Bien que corse, le

Club Méditerranée, artefact de nature avec ses colliers de faussesfleurs, fait charnière avec Paris : les touristes massés sous l’auvent oucontre les portes du car ont le comportement grégaire des foules dumétro, et Michel drague comme à la ville. La précipitation desséquences urbaines cède le pas à une lenteur relativisée par la mollepoursuite de Pachala, que Liliane, telle la guêpe chassant les pique-niqueurs, aiguillonne à nouveau par sa saute d’humeur (s. 15). Mais le décor sec et escarpé, anticipant sur le Capri du Mépris (1963),s’offre aussi en théâtre antique. Comiques dans la première partie, lesellipses désormais nocturnes soulignées par des fondus au noir recèlentl’abandon physique de Juliette (s. 14) puis de Liliane (s. 19). Oubliées,les scories du bavardage urbain qui perçaient encore dans l’horoscopelu à « une affreuse chose blonde » du Club Med (s. 13), écho trivial auxlignes de la main de la s. 3. Désormais les dialogues s’amoindrissentjusqu’aux regards et aux rires du dernier trajet en voiture (s. 21). L’échéance approchant, le rythme effréné de la première partie appa-raît donc comme une tentative de repousser le moment fatidique endiffractant l’instant présent. La drague rythmait déjà Blue Jeans : « Çan’avait pas marché ce soir-là. … Eh bien, ça marcherait mieux demain ».Mais la feuille de route reçue, impossible de raisonner ainsi. Déjà leClub, avec ses jeux stupides (« Où vous avez fait vot’service ? » demandel’animateur, s. 13), anticipe sur les brimades du régiment, et lescontorsions des touristes, sur les tortures à venir. Le ver est dans lefruit, la guerre dans les vacances, l’adieu dans « Bonjour Philippine ! »et la mort, dans le rire des midinettes.

Regarder le soleil en face

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POINT DE VUE

Bien plus qu’un prétexte à l’exploration documentaire des studios de la Radio-Télévision Française (RTF) que connaissait bien Jacques Rozier pour y avoir tra-vaillé, Adieu Philippine pose les méthodes du petit écran comme autant d’anti-dotes à la sclérose du cinéma. La sclérose en question prend les traits de Pachala,magnat de pacotille dont le nom à voyelle unique rappelle celui du patronvéreux du Crime de Monsieur Lange (1935)de Jean Renoir, Batala. En 1960, commentva le cinéma ? Voyez séquence 6 : dans unappartement-bureau encombré de boîtesde films vides et de vaisselle sale, le pro-ducteur croit à peine les flatteries de sonépouse-femme-de-ménage-secrétaire quitrouve son métier « beaucoup trop dange-reux ». Périlleux, le plateau du film publi-citaire qu’il tourne avec Michel et ses amisne l’est que parce qu’il a trop peu débour-sé pour construire l’igloo de fortune quis’écroule lamentablement (s. 9). Même surle terrain, en extérieur, Pachala joue lesbureaucrates tatillons pour mieux escro-quer les figurants (s. 18). A ces pratiques de production confinées et avares, Rozier offre en images uncontrepied, changeant sans cesse de décor comme s’il disposait d’un vaste bud-get (même au Club Méditerranée, par exemple, il alterne entre l’auvent, le bar,le parking et les douches de la plage). Tournant parfois en caméra portée, il faitd’Adieu Philippine un quasi-reportage. Sonore, dabord : un spectateur des années2000 y trouve en effet, selon les mots de Rozier en 1962, « un documentaire surune certaine façon imparfaite mais authentique de s’exprimer », chez les jeunes (s. 4), les ouvriers de banlieue (s. 5) et les provinciaux locuteurs d’une languerégionale (Lulu le marin corse, s. 17). En fait, ce volet documenté comprend

aussi les habitudes vestimentaires (les essais de tenue de Liliane devant sa mère,s. 7, les « chaussures fines », s. 10, celles de Michel, s. 11) et chorégraphiques(cha-cha, s. 11, mambo, s. 20, danse pseudo-tahitienne, s. 13) des jeunes ainsique des touristes. Mais ce tableau de la société de consommation naissante est dépourvu de

condamnation idéologique : décidémentau-dessus du commentaire, le film n’en-dosse pas le jugement des parents et desvoisins de Michel, véritables machines àfabriquer des clichés (s. 5). L’emploi dedeux caméras pour la séquence du repasde famille multiplie les angles de prise devues (le père est d’abord à l’arrière-plangauche, puis au premier plan droit, puis àl’arrière-plan droit), diffractant les pointsde vue, tandis que dans les dialogues, lechevauchement délibéré des voix tend,comme le dira Rozier, à « briser […] le côtéélaboré de la phrase écrite ». L’arrivée du carau Club Méditerranée et le départ dubateau à Calvi, filmés à trois caméras, sont

les séquences les plus proches du reportage, avec leur différentiel de lumière trèsmarqué, leurs plans d’échelle variable et leurs angles multiples qui font primerles mouvements de foule au détriment du repérage des protagonistes.

Qu’est-ce que la télévision ?Omniprésente dans l’image (s. 1, 6, 7 et 12), la télévision encombre autant qu’unéléphant dans un salon : postée au cœur d’un film de cinéma, elle prête à tousles discours, à tous les malentendus. Est-ce un loisir à basse plus-value cultu-relle (« les programmes, tintin ! » dit le voisin, s. 5) ? Un lupanar du show-biz (la

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Le monde sur un plateau

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voisine, l’œil lubrique, s’imagine que Michel travaille avec « des artistes, des p’titesdanseuses ») ? Un meuble traître qui a trahi la star de cinéma Cary Grant en divul-guant son reflet au péril de sa vie dans une scène célèbre de La Mort aux troussesd’Alfred Hitchcock (sorti en France en octobre 1959) ? Un cinéma du pauvre,comme vient de le prouver le même Hitchcock en tournant le fracassant Psychosefin 1959, début 1960 avec une équipe et un budget de télévision ? Ou encoreun artisanat revendiqué comme tel et qui se targue de « travaille[r] vite – pascomme ces cons du cinéma », comme le disent Michel et son collègue à Pachala(s. 8) et comme le confirme Stellio Lorenzi, le réalisateur de Montserrat (s. 12),qui ne disposait que d’une journée de préparation pour mettre en place une dra-matique comprenant 300 ou 400 plans ? En se faisant l’écho, par la bouche desmachinistes, des querelles corporatistes, Rozier parle en agent double, à la foiscinéaste et assistant à la télévision : « venant de l’Idhec, je passais mon temps à répéter qu’un jour, toutes ces techniques finiraient par s’harmoniser. Je pense avoir été prémonitoire ».

Magie du directUn an avant le tournage d’Adieu Philippine, Jean Renoir, le maître de Rozier, adéjà expérimenté dans cette direction : le prologue du Testament du docteurCordelier (tourné en 1959, distribué en 1961) montre Renoir entrant aux stu-dios de la RTF puis apparaissant sur un moniteur de contrôle, et au début duDéjeuner sur l’herbe (tourné et distribué en 1959), c’est en duplex télévisé quele professeur Alexis fait sa demande en mariage à sa fiancée. Le projet duTestament était de simuler un tournage en direct pour en conserver l’urgence :« Je voudrais qu’on ne tourne qu’une fois, dit Renoir à André Bazin et RobertoRossellini en octobre 1958, et que les acteurs se figurent que chaque fois qu’ils tournent, le public enregistre directement leurs dialogues et leurs gestes. »Rozier partage avec Renoir une passion de l’enregistrement-diffusion en direct– même si à l’époque, le direct n’était pas un choix mais une contrainte tech-nique. « Il n’y avait pas de système d’enregistrement, donc pas d'autre solution, en cas

de pépin, que de faire le noir à l’antenne », se souvient Rozier. D’où l’importance dumétier qu’exerce Michel, fût-il peu qualifié. « Si je me trompe, l’émission s’arrête »,dit-il aux filles, certes pour se faire mousser. Si Rozier coupe l’herbe sous le piedde ses vantardises en le montrant oisif (s. 2), auparavant (s. 1), il l’a aussi montréeffectivement utile : avec son gros gant, le cableman veille à ce que lors des dépla-cements des grosses caméras, les câbles ne s’emmêlent pas. « C’était un métierspectaculaire, note encore Rozier : chaque câble devait faire trois centimètres de sec-tion, il fallait foncer au signal vers le décor, il y avait parfois deux assistants par camé-ra ». Calme jusqu’à l’indolence, Michel continuera en vacances à démêler lesécheveaux, prenant un rendez-vous après l’autre au téléphone malgré le brou-haha de la cabine de régie (s. 7), redressant les comptes frauduleux de Pachala(« j’vais y mett’ une claque dans l’dos, i lui restera qu’les chaussettes », s. 13), ouréconciliant les amies brouillées (s. 20).S’il n’a pas été tourné dans les conditions d’une dramatique télévisée, AdieuPhilippine conserve de cette tradition du direct un sentiment d’urgence diffus.« J’ai vu des paniques noires… un peu l’impression de piloter un Boeing », se souvientRozier. L’absence de « cyclo » (séparation entre coulisses et décor) imposait unediscipline et un respect des marques des plus stricts. L’entrée de Michel dans lecadre en plein direct fait l’objet d’une saynète comique (« virez-moi ce con ! », s. 12), mais elle anticipe aussi sur sa future « sortie de champ » vers le régiment.En régie, l’excitation tyrannique de Jean-Christophe Averty (s. 1, s. 7) et de StellioLorenzi (s.12) métaphorise certes la place de Rozier (lorsque, s. 1, Averty s’agace« Ah, bougez pas derrière moi ! », c’est à la caméra portée qu’il s’adresse). Mais ellepréfigure aussi celle de la guerre, qui accélère le destin de Michel – sera-t-il lesouverain ou le condamné de Montserrat qui, dans le finale de l’épisode tournés. 12, supplie son roi qu’il lui laisse la vie sauve ?

J. Rozier, Arts, op. cit. ; Jacques Rozier. Le funambule, op. cit. ; André Bazin, « Cinéma et télévision », entre-tien avec Jean Renoir et Roberto Rossellini, France Observateur, n° 442, octobre 1958, repris dansRossellini, le cinéma révélé, Alain Bergala (dir.), Flammarion, Champs, 1984.

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O u v e r t u r eP é d a g o g i q u eUN AUTRE BURLESQUELes scènes d'enregistrement et de tour-nage participent à la fois de l'aspectdocumentaire d'Adieu Philippine, maisaussi de son aspect comique. Car malgréson titre qui laisse présager un mélodra-me et son carton initial rappelant lecontexte de la guerre d'Algérie, le film estaussi une comédie, souvent burlesque.- Personnages caricaturés : Pachala etHoratio sont réduits à une caractéristiqueunique (producteur raté pour l'un, italienchantant pour l'autre) et ridiculisés parleurs vêtements qui s'adaptent mal à leurcorps (le déguisement de Pachala, lacombinaison d'Horatio). Les deux sontmis en situation gaguesque d'échec pro-fessionnel ou sentimental.- Confrontation des corps et des décors :on peut penser à Pachala dans sonbureau étroit et surchargé ; au directeurdu grand magasin qui s'écroule sur unigloo de fortune ; à Michel sur le plateaude l'émission en direct.- Sens du timing : on peut noter l'accé-lération de la bande-son lors des rushesde la publicité, ou à l’inverse l'étirementde certaines scènes dignes de Jerry Lewis(les rushes de la pub).- Bruitage : comme Tati, Rozier utilise lepotentiel comique du bruitage. Le frein àmain en Corse, l'ouverture du sac decouchage sont ainsi bruités de façonincongrue.

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Equipe légère, goût des extérieurs, improvisation avec des acteurs en grande par-tie non-professionnels, insolente jeunesse des personnages, montage truffé defaux raccords : Adieu Philippine possède bon nombre des traits du cinéma« Nouvelle Vague ». L’expression, employée par Françoise Giroud dans L’Expressdu 3 octobre 1957 à propos des jeunes Français en général, est appliquée enfévrier 1958 au jeune cinéma français parle critique Pierre Billard. Il conclut unarticle mi-figue mi-raisin sur une généra-tion (trop ?) prolifique en saluant « Rivette,Truffaut, Chabrol, et leurs tentatives de pro-ductions indépendantes qui risquent d’aboutirà d’intéressantes révélations ». Comme Jean-Luc Godard et Eric Rohmer,ces trois réalisateurs sont critiques auxCahiers du cinéma, où ils ont désigné JeanRenoir comme leur « Patron » et rejetéviolemment, dans le sillon de l’article polé-mique de François Truffaut « Une certainetendance du cinéma français » (Cahiers ducinéma n° 31, 1954), les films de « la tra-dition de qualité » tournés par leurs aînés,Jean Delannoy, René Clément, Yves Allégret ou Claude Autant-Lara, et écrits parun duo de scénaristes, Jean Aurenche et Pierre Bost, qui selon Truffaut sontavant tout des littérateurs sous-estimant les pouvoirs du cinéma. Les « jeunes Turcs » des Cahiers passés à la réalisation hors des studios ont pourambition d’être en prise directe sur leur temps. Les Mistons, premier courtmétrage de Truffaut tourné en 1957, s’embarrasse à peine d’un récit ; tourné fin57, début 58 et sorti en février 1959, Le Beau Serge de Claude Chabrol marquela percée médiatique de la Nouvelle Vague, renforcée par la sortie seulement unmois plus tard d’un deuxième long métrage du même Chabrol, Les Cousins. Les400 Coups de Truffaut remporte le Prix de la mise en scène au festival de Cannes

1959 – une victoire sur les cinéastes « qualité française », que Jean-Luc Godardinvective dans Arts : « Nous ne pouvons pas vous pardonner de n’avoir jamais filmédes filles comme nous les aimons, des garçons comme nous les croisons tous les jours,des parents comme nous les méprisons ou les admirons, des enfants comme ils nousétonnent ou nous laissent indifférents, bref, les choses telles qu’elles sont. »

Rozier et VardaCet été-là, Jacques Rozier, encouragé par lesuccès de Blue Jeans, discute projets de longmétrage avec François Truffaut. Auréolé desa gloire cannoise, Truffaut vient de pré-senter Georges de Beauregard à Jean-LucGodard, donc de sauver le premier de lafaillite en leur offrant l’idée de ce qui devien-dra A bout de souffle (1960). Le producteurd’Adieu Philippine s’impose en quelques moiscomme l’interlocuteur financier majeur des« jeunes Turcs » des Cahiers, mais aussi dedébutants recommandés par Godardcomme Jacques Demy (qui réalise Lola en1960), Jacques Rozier et Agnès Varda.

C’est sans doute avec la seule figure féminine de la Nouvelle Vague que le ciné-ma de Rozier entretient le plus de points communs. Produit un an avant Rentréedes classes (le court métrage de Rozier dans lequel l’accent varois coule avec lamême fluidité que le ruisseau dans lequel s’aventure un écolier), La Pointe courted’Agnès Varda (1954) ancre lui aussi son récit (la séparation d’un couple) dansun sens du lieu et du paysage (un quartier de pêcheurs de Sète, ville natale dela cinéaste). Autre coïncidence, Cléo de 5 à 7 (tourné en 1961) s’articule commeAdieu Philippine autour d’un compte à rebours : l’angoisse de son héroïne, quiattend des résultats d’analyses médicales, se développe sur fond d’angoissenationale quant à la guerre d’Algérie.

CONTEXTE

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Rozier et la Nouvelle Vague

Chronologie

1958Moi, un Noir, Jean RouchLes Mistons, François Truffaut (CM)Véronique et son cancre, Eric Rohmer (CM)Une histoire d’eau, Jean-Luc Godard etFrançois Truffaut

1959Le Beau Serge, Claude ChabrolLes Cousins, Claude ChabrolLes 400 Coups, François TruffautCharlotte et Véronique ou Tous les garçonss’appellent Patrick, Jean-Luc Godard (CM)

1960A bout de souffle, Jean-Luc GodardLes Bonnes femmes, Claude ChabrolTirez sur le pianiste, François Truffaut

1961Paris nous appartient, Jacques RivetteLola, Jacques DemyUne femme est une femme, Jean-Luc GodardChronique d’un été, Jean Rouch et Edgar Morin

1962Vivre sa vie, Jean-Luc GodardJules et Jim, François TruffautLe Signe du lion, Eric RohmerCléo de 5 à 7, Agnès Varda

A bout de souffle – collection Cahiers du cinéma/DR.

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Rozier et GodardOutre sa subversion du découpage classique qui lui fait volontiers supprimer lesscènes de transition, Adieu Philippine a en commun avec le film emblématiquede la Nouvelle Vague, A bout de souffle, la fébrilité parisienne de sa première par-tie – coca, juke-box, Frégate et drague, soit le quotidien de la nouvelle généra-tion dont l’article de Giroud circonscrivait les habitus. Comme Poiccard, lefugitif d’A bout de souffle, Michel n’a plus grand-chose à perdre : « dans deux moisj’pourrai plus l’ouvrir comme ça », confie-t-il après avoir manqué de respect à sonchef de plateau. La deuxième partie d’Adieu Philippine, s’éloignant du Paris de la Nouvelle Vague,effectue davantage qu’un changement de décor : son horizon marin ouvreMichel à de discrets sauts dans le temps, vers l’âge adulte (il couche successi-vement avec Juliette et Liliane sur la plage) comme vers l’enfance (il patauge dansles vagues, s. 15). Insulaire et rocailleuse, la Corse de Rozier a peut-être inspiréGodard plus tard – que l’on songe aux falaises ensoleillées du Mépris (1963), dontRozier tournera un making of, et à l’île cul-de-sac de Pierrot le fou (1965), oùMarianne (Anna Karina) porte la même casquette de marin que Juliette (s.21). Mais, grande différence avec le cinéma de l’ex-critique des Cahiers, nulle tracedans Adieu Philippine des genres du cinéma classique et de la série B, alors qu’About de souffle, hommage insolent aux films de gangsters, cite entre autres LaGrande Evasion de Raoul Walsh. Ce n’est pas un hasard si les jeunes de Rozier nevont pas au cinéma, ni si Michel et son collègue dénigrent « ces cons du cinéma »auprès de Pachala – un producteur, justement, chargé jusqu’à la caricature. AdieuPhilippine, pas cinéphile pour deux sous, puise plutôt dans la télévision l’élandu direct pour le transposer au-dehors (cf. Point de vue).

Rozier et RouchFinalement, cette envie de « partir filmer la réalité », Rozier la partage davantageavec l’« oncle » de la Nouvelle Vague, Jean Rouch, qui tourne en même tempsque lui à l’été 1960 Chronique d’un été, au carrefour de l’ethnologie (que Rouchpratique en tournant des films en 16mm depuis la fin des années 1940) et de

la « sociologie du présent » d’Edgar Morin, coréalisateur. Rozier reconnaît lui-même la parenté en employant l’expression que Morin a empruntée à DzigaVertov : « [j’ai voulu] utiliser cette méthode du cinéma-vérité sur un scénario bienprécis, pour un cinéma de fiction ». Rouch, Prix Louis-Delluc en 1959 pour Moi, un Noir, dans lequel il enjoint sonprotagoniste de commenter/affabuler le film à la première personne, est désignédans les Cahiers comme un précurseur : « C’est fichu comme l’as de pique, écritGodard de Moi, un Noir, mais d’une logique à toute épreuve, car c’est le film d’unhomme libre ». D’autant plus libre que contrairement aux « jeunes Turcs » et àRozier, Rouch ne tient pas à tourner dans le format commercial standard (le35mm), si bien que pour Chronique d’un été, il inaugure une caméra-prototype16 mm qui, reliée à un magnétophone, autorise un enregistrement du sondirect et synchrone. En décembre 1962, quand Liliane et Juliette, debout en bikini sur le pont (cf.Document), ornent fièrement la couverture du n° 138 des Cahiers du cinéma,spécial « Nouvelle Vague », la Nouvelle Vague a subi tant d’attaques et d’insuccèsqu’elle meurt en tant que mouvement, même si les « jeunes Turcs » poursuiventbrillamment des trajectoires individuelles. Adieu Philippine sort en 1963, maisce savant dosage de documentaire et de fiction, de légèreté et de gravité, est perçurétrospectivement comme ce qui a manqué à certains de ses confrères : « Il infligeune bonne leçon à l’ex-« Nouvelle Vague » : celle qui n’a réussi qu’à s'embourgeoiser ! »,applaudit L’Humanité. « Grâce à » ses mésaventures de production, AdieuPhilippine n’a pas eu le temps de vieillir.

Citations extraites de A. de Baecque, La Nouvelle Vague, portrait d'une jeunesse, Flammarion, 1998 ; Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, t. 1 (1985), Cahiers du cinéma, 1998 ; Jacques Rozier. Le funambule, op.cit. ; Nicole Zand, « Entretien avec Jacques Rozier », Le Monde, 26/09/63 ; Samuel Lachize, L'Humanité,25/09/63.

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O u v e r t u r eP é d a g o g i q u eINSOLENTE JEUNESSELa Nouvelle Vague est avant tout un mou-vement de jeunes cinéastes désirant fil-mer des gens de leur âge. Dans AdieuPhilippine, le conflit de générations esttrès présent. Comment les adultes sont-ilsreprésentés ? Pachala rate tout ce qu'il entreprend,parents et voisins de Michel débitent desbanalités, le producteur de Montserratn'est « pas le mauvais mec », mais lataille et l'aplomb de Michel font de lui unroquet risible.Comment se manifeste l'incompréhen-sion entre les générations ?La mère de Liliane : « Moi à ton âge, jene sortais pas. » ; la mère de Michel :« Ton père aussi depuis l'âge de 13 ans,il travaille, il aurait voulu s'acheter unevoiture. [...] J'aime mieux pas discuteravec toi. »Il s'agit ici de disputes liées à l'évolutiondes mœurs, mais le film insiste surtout surla différence du rythme auquel vivent lesdeux générations.Michel et l'opérateur : « - T'affole pas, ya pas l'feu ! - Grouille-toi ! » ; le voisin :« On va pas les attendre, les jeunes ilsvivent à l'envers. »C'est surtout la capacité des jeunes àchanger de tempo ou de direction, àl'image des garçons dans leur Frégate,qui les distingue des adultes. On noteratout ce qui fait passer l'exaltation de lajeunesse : débrouillardise (achat de lavoiture ; départ improvisé en Corse), sen-sualité (les gestes désinvoltes ; les scènesde danse), nonchalance et insolence.

Chronique d’un été de Jean Rouch – collection Cahiers du cinéma/DR. Le Mépris – collection Cahiers du cinéma/DR.

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MISE EN SCÈNE

Avant Adieu Philippine, Jacques Rozier avait accordé une place prépondérante auxvoix et à la musique dans ses deux courts métrages : Rentrée des classes mêle auxaccents provençaux des protagonistes les compositions de Mozart, Corelli etDarius Milhaud, et Blue Jeans s’ouvre sur 3 minutes 30 de variété latine inin-terrompue. Mais c’est en se battant avec le surplus de pellicule tourné pour sonpremier long métrage qu’il s’aperçoit,comme il le confie à Arts au sortir du mon-tage, « qu’un film, c’[est] beaucoup plus duson que des images ». Aussi a-t-il « souventmonté l’image en fonction du son et non lecontraire ». Plus qu’une simple remarquetechnique sur sa méthode de travail, cettedécouverte empirique se révèle principeorganisateur. La séquence du générique et celle du caféimpriment dans la mémoire auditive deuxairs entêtants (jazz, rock’n’roll). Elles ontvaleur de programme : apparaissant « pourla première fois à l’écran » sur un moniteurde contrôle et un accord de trompette,Jean-Claude Aimini/Michel sort du stu-dio face aux jeunes filles au moment où le morceau de jazz de Maxime Sauryentame un solo de banjo. Singularisé par cet instrument, Michel vient de mau-gréer au caméraman « t’affole pas, y a pas l’feu », exécutant son ordre sans accé-lérer. Au café (s. 2), sa main pressant les boutons du juke-box fait écho à savolonté de se faire passer « au moins pour le réalisateur » de l’émission auprès desfilles ; rattrapant par la manche le serveur agacé, il lui lance « t’affole pas Loulouc’est un tango ». Il n’a peut-être pas menti tout à fait aux filles : réalisateur dans l’âme, il règle letempo. S’il ralentit la précipitation ambiante, c’est sans doute pour différer le

moment fatidique de son départ au service. Il sera toujours temps, à la caserne,de se laisser dicter un rythme, un emploi du temps ; en attendant, les hurlementsd’adjudant de Jean-Christophe Averty, le réalisateur de ZZ memories, l’émissionenregistrée au début, le laissent de marbre. Quand il rencontre les filles, Michelne dévie guère de sa trajectoire (plateau-régie-plateau), de même qu’au Club

Méditerranée (s. 13), il stationne au bar oucircule posément parmi une foule de dan-seurs agités.

Une comédie musicale ?A ces déplacements linéaires et modéréss’oppose le papillonnage de Liliane etJuliette, démultiplié par les nombreuxjump-cuts de la s. 7, long travelling latéralsur les Grands Boulevards jusqu’à une ca-bine téléphonique (cf. Point technique).Le tango entendu off n’est pas plaqué après-coup sur leurs pas, c’est un processusinverse qui a présidé au montage : si l’on encroit Jean-Luc Godard, les actrices avaientpour consigne de se déplacer au rythme

d’un tango1. Peu importe, à vrai dire, que le tempo ait été décidé au tournageou au montage. Tournées sans son direct, ces images s’offrent à Rozier commeune matière à malaxer, si bien que le dialogue post-synchronisé, dépourvu desons d’ambiance (ils réapparaissent quand finit le morceau et qu’elles entrentdans la cabine), acquiert le même statut off que la musique. C’est alors que l’ex-pression « bande-son » prend tout son sens, voix et musique ainsi mises sur lemême plan comme un continuum qui musicalise la vie même. Déjà, sur le mode comique, montage-son et montage-image se combinaientauparavant pour matérialiser par un changement de plan l’ellipse d’un mot

Un montage guidé par le son

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(« merde ») dans la chanson des quatre lascars en voiture (s. 4) : « Ah, quel déses-poir, ma grand-mère est tombée dans la… ». Ce pied de nez à la censure (la coupevisuelle est doublée d’une coupe sonore qui souligne en creux le mot omis) rap-pelle, comme la séquence du tango marché, que Rozier songeait initialement àune comédie musicale. L’omniprésence de la musique (de Saury mais aussi deJacques Denjean, arrangeur qui fut un temps membre du sextet vocal Les DoubleSix, et de Paul Mattei pour le rock’n’roll) se poursuit dans la deuxième partie,où elle s’infléchit en coulées mélodiques, les chants corses prenant le relais destubes (s. 17, s. 22).

La mélodie de la langueMais même avant ce crescendo lyrique où la voix de la chanteuse surgit commeun cri, les dialogues contribuent de part en part d’Adieu Philippine à une mélo-die de la langue, à un tempo générationnel. Il y a bien sûr Horacio, l’Italien chan-tant qui fait office de « transistor » sur la route (s. 17), au point que, d’interneau récit, sa mélodie sirupeuse, « Io, solo io », est reprise en musique de fosse (s.16). Mais même lorsque les personnages ne chantent pas, leur « parlure » esttraitée musicalement, tel l’accent de Pachala qui contamine lieux et personnages(Maison du café, Boulevard des Italiens, discussion sur la pizza, homme-gre-nouille italien…). Quand les quatre amis, au Café des Sports (s. 4), surenché-rissent d’onomatopées, leur conversation s’apparente à un « bœuf » quepratiqueraient des musiciens de jazz : « Oh ! – Ah ! Toi, quand tu t’y mets ! – Oh !Tu peux y aller, toi. Oh dis donc, toi, alors, quoi ! ». Plus tard, « Michto ! », l’ex-pression d’origine rom qu’emploient Michel et son collègue ravis de partir envacances (s. 12), sert d’envoi à toute la première partie parisienne. Comme leslieux communs débités entre la poire et le fromage entre parents et voisins (s.5), l’argot des jeunes fait état du présent de la langue française à l’été 1960 ;« j’vais m’scier la guitoune » (s. 1) résonne comme un écho à « ça m’scie les gui-tares » (s. 19) alors que ces expressions n’ont rien de commun du point de vuedu sens.2

Prises et reprisesC’est, plus encore qu’au jeu de ses acteurs, à ce traitement du montage orientépar le son qu’Adieu Philippine tient son « naturel » remarqué par le critique deCombat dès une première projection en version longue à l’automne 1961.Equivoque, l’adjectif déjà galvaudé désigne non pas une imitation vériste maisune broderie de mots et de notes, sur laquelle le film lui-même fait retour plu-sieurs fois en la redoublant. Rozier truffe en effet le montage de boucles, dereprises. Autant de raturages qui évoquent le processus même du montage :drague par Michel de deux autres filles à la porte du studio après Liliane etJuliette (s. 1), commande passée puis corrigée au café (s. 2), reprise en jump-cutde la marche arrière en Frégate (s. 4, 00:10:57), projection des différentes prisesde la publicité pour « Au poil 54 » (s. 6), reprise enfin, en off et avec une voixféminine, de la mélodie corse que crache le haut-parleur de la Transatlantique(s. 22). Auto-réflexif, le film intègre le point d’exaspération de sa propre logique de mon-tage, comme si le triangle amoureux, au bord de la destruction, mettait en périll’œuvre elle-même : « J’en ai marre de t’entendre parler, chanter, parler, chantercomme ça sans arrêt ! » s’écrie Juliette à bout de nerfs (s. 20). Seul le départ dupaquebot, qui n’a pas été loué pour l’occasion mais filmé de manière docu-mentaire, ne peut faire l’objet d’une seconde prise : même si l’image reste trèsdécoupée, le nappé musical recouvre sous les aigus le babil des jeunes filles, arti-culant l’émotion qu’elles cachent – l’adieu du titre, absent des dialogues.

Citations extraites de J. Rozier, « Adieu Philippine est un film au présent », op.cit. ; Pierre Marcabru, « Dela réalité à la vérité », op.cit.1) « Et c’est ainsi que le son, qui dans un autre film n’aurait été qu’une banale illustration musicale, est deve-nu ici la substance même de l’image. » J.-L. Godard, Les Lettres françaises, 24/05/1962.2) Synonymes d’autres expressions argotiques : « tu vas m’casser la baraque » et « ça m’coupe les guibolles ».

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O u v e r t u r eP é d a g o g i q u eEFFET DE REEL« Après ce film, tous les autres paraissentfaux, et l'on conçoit mal que la recherchedu naturel puisse être poussée plus loin. »est-il dit dans les Cahiers du Cinéma,numéro spécial « Nouvelle Vague »,1962, à propos d'Adieu Philippine.Demandons aux élèves de distinguer cequi fait vrai (éléments documentaires oupris sur le vif) de ce qui ressort de la fic-tion ou de la recréation du réel.- Les regards-caméra des passants sontdes greffes documentaires accidentellessur un tournage de fiction en décorsréels.- Les scènes d'enregistrement de « ZZMemories », de la réalisation deMontserrat, ou du Club Med, sont docu-mentaires. Mais le son (musique off, crisdes réalisateurs qui paraissent surjoués)et la présence des comédiens du filmsont du côté de la fiction.- Les dialogues paraissent souvent spon-tanés, mais certaines répliques sont écrites(la scène avec l'ami du père de Juliette ;les phrases reprises successivement par lesdeux filles).- L'enregistrement des dialogues aprèstournage paraît contraire à la sponta-néité mais permet plus d'improvisationaux acteurs lors des prises de vues.- Les faux-raccords participent de l'as-pect pris sur le vif, mais répétés, ils témoi-gnent de cette « recherche du naturel ».Le naturel est-il donc une construction, unartifice ?

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ANALYSE DE SÉQUENCE

Séquence 20, chapitres 16 et 17 du DVD, de 01:30:28 à 01:36:18Dans la séquence précédente, Liliane et Michel ont laissé Juliette par-tir seule à la recherche de Pachala. Leur étreinte, pudiquement dissi-mulée dans un fondu au noir, n’a pas échappé à leur amie,soupçonneuse à son retour. Tout au long du trajet en voiture versAjaccio puis à l’arrêt au bar-discothèque, l’insolent bonheur chanté deLiliane accroît la jalousie de son amie. En des plans qui s’autonomi-sent du récit, chacune danse face caméra une parade amoureuse quimine la symétrie entre les « philippines ».

1 à 4. Alternant les plans fixes pris du siège arrière et d’un point sur-élevé qui permet de cadrer le véhicule en plan large (4), cette premièresérie pose Juliette en chef de bord à casquette (1). Contrairement àses amis qui folâtraient le soir précédent, elle connaît la destinationde Pachala et mène donc la poursuite.

5 à 13. Dans une suite de plans pris du capot avant et du siège ar-rière, Juliette perd la main : Michel, grand seigneur (5), décide d’aban-donner la poursuite de Pachala suite aux indications fautives de saco-pilote, qui fait bientôt l’objet d’une amicale mise en boîte (7) : elletenait la carte routière à l’envers, donc « tout ce qui est à gauche passeà droite » – un peu comme dans l’alternance de ces plans tournés dederrière puis de devant (10). Cette inversion de perspective traduitun retournement dans le triangle amoureux : première des deux àavoir passé la nuit auprès de Michel (s. 14), Juliette a cédé malgré ellesa place à Liliane (s. 19).

13. Plan rapproché sur Michel qui conduit. Assise au milieu, Juliette,hors champ, reste présente par sa main posée sur le siège du conduc-teur – ébauche d’un enlacement que Michel rejette sous prétexted’instructions de navigation (« si tu tenais la carte à deux mains ça seraitbeaucoup plus facile »). La tension monte d’un cran. Juliette, cadréeauparavant avec Michel dans les plans pris de l’arrière, le sera désor-mais uniquement avec Liliane. L’exclusion est consommée dans lecadre.

14 à 18. Gaîté effrontée de Liliane, qui, en plan rapproché, entonneun tube espagnol romantique (14). Mordillant sa médaille, elle lancedes regards coquins à Michel et se contente de rire quand Juliette excé-dée lui abandonne la carte routière (18).

19 à 21. Le duel entre les deux filles se joue à armes inégales : du côtéde Juliette, les mots (elle a « des raisons » d’être de mauvaise humeur) ;du côté de Liliane, d’abord un sourire, dans le plus gros plan qui luisoit consacré dans tout le film (19). A la fois enjôleur (pour Michel)et cruel (envers Juliette), il interrompt la série qui précède par sonangle inattendu. Même quand le regard rieur se fait plus sombredans le champ-contrechamp dialogué (« peut-être »), il reste expres-sif et séducteur, tandis que Juliette, à qui une larme échappe (20), n’aque ses yeux, pas de regard. Fondu au noir sur l’expression énigma-tique de Liliane, le plan 21 anticipe musicalement sur le suivant : ledéfi de la danse est lancé, sur le même air que celui du juke-box acti-vé au café par Michel (s. 2).

22 à 25. A l’image de la chorégraphie avant-arrière du mambo, lacaméra portée s’approche puis s’éloigne en travelling de Juliette quidanse avec Michel (on ne voit pas le contrechamp). Le montage esten boucle : le plan 23 attaque sur une nouvelle mesure du morceau,le même travelling avant-arrière reprend encore au plan 24 commesi, de la danse, Rozier avait conservé les pas et les expressions qui l’in-téressaient le plus. Les mouvements maîtrisés et sexy de Juliette rap-pellent le mambo animal d’une autre Juliette : Brigitte Bardot dans EtDieu créa la femme de Roger Vadim (1956). Souriante en minishort ettongs à petits talons, elle semble très à l’aise sur la piste. Comme avecle « vieux » au Calypso (s. 11), elle semble donner des instructionssur les pas à Michel, qui pataud, s’énerve et saisit les poignets de sapartenaire avant d’abandonner la danse (25).

26. Fin de la première manche : avant un fondu au noir, Juliette danseplus lentement avec Michel, en plan-séquence pris de profil. Le dia-logue à peine audible trahit une dispute.

27. Au son d’un rock scandé par une voix aiguë, Liliane, assise prèsdes musiciens, se lève et ondule sensuellement, les mains à plat surles cuisses (27a). Elle s’approche de la caméra qui, comme troublée,ne fait pas immédiatement le point et reste en contre-plongée quelquessecondes avant de « se lever » pour un angle cette fois légèrementplongeant (27b). Est-ce Michel qui s’est levé pour danser avec elle ?L’hypothèse d’un usage subjectif de la caméra comme relais d’unMichel subjugué convainc, étant donné le regard charmeur de Liliane.Mais ce regard-caméra qui s’approche jusqu’au quasi-gros plan (27c)

détache aussi cet instant du récit pour s’adresser directement au spectateur.

28. Echo au 26 : plan rapproché de profil sur Liliane dansant dansles bras de Michel. Mais le raccord sonore (le même air que la danseprécédente) et le regard-caméra persistant lient 28 à 27 : l’hypnose aopéré, Michel ne converse pas avec elle comme il le faisait avecJuliette, il se contente de l’enlacer. Le versant du dialogue et de la cho-régraphie (Juliette) a perdu contre le regard et le sourire (Liliane), etsurtout contre sa gestuelle sans code – un ondoiement d’autant plussensuel qu’il n’est répertorié dans aucun manuel de danse de salon.

29. Travelling avant sur le contrechamp du couple enlacé : Juliette,mal éclairée dans la nuit, semble pleurer. Seule à la table où les deuxautres verres figurent les fantômes transparents du couple absent, elleest entourée d’une pénombre qui la menace comme un gouffre.

30-31. Plan fixe de profil sur la voiture, arrêtée à la station-service.A droite, à l’extérieur, Liliane poursuit sur sa lancée de la danse du bar,se trémoussant au son d’un petit transistor. Tentative dérisoire deJuliette de reprendre la main en jouant les « disc jockey » rabat-joie,ou les monteurs-son : elle arrête le transistor comme on ferme uneboîte à musique en espérant écraser la figurine de la danseuse...Michel arrive au milieu du plan 30, spectateur silencieux derrière lafenêtre du siège arrière. La dispute qui suit rejoue l’exclusion duplan 15, même si c’est Juliette qui sort d’elle-même du véhicule, sui-vie en panoramique. Mal éclairée, la route noire ne la mènerait nullepart. Au plan 31, Michel la ramène en la réprimandant comme uneenfant. Quand il démarre (difficilement), le cycle nocturne d’AdieuPhilippine est achevé : les deux « philippines » qui se « dis[ai]enttout » (s. 2) sont devenues des rivales. Le garçon a divisé pour mieuxrégner. En une séquence autonome, la double danse a refiguré la riva-lité mise en place dans le récit précédemment. Une réplique du« vieux », l’ami influent du père de Juliette, revient à l’esprit : « Je consi-dère ces danses brutales comme l’expression parfaite de la sécheresse decœur de la jeunesse actuelle » (s. 11). Ce propos réactionnaire prend untour nouveau pour qui a vu en face le regard-caméra de Liliane.

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Chorégraphie de la séduction

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O u v e r t u r eP é d a g o g i q u eINDECISION ET LIBERTEComme Michel hésitant entre Liliane etJuliette, le film hésite entre plusieursdirections. - Légèreté ou gravité : le carton initial(« 1960. Sixième année de guerre enAlgérie ») inscrit l'histoire dans un con-texte grave, contrebalancé par les pre-miers mots « un, deux, un, deux, trois »et le charleston léger qui ouvrent le film.A l'inverse, la relation entre Michel et lesfilles, d'abord badine, devient plus graveau fil du film. Mais les filles hésitent jus-qu'au bout entre sérieux et rire, commelors de la dernière scène en voiture.- Rapidité ou lenteur : le tempo, commela bande-son, varie sans cesse. On seretrouve en Corse en deux plans, maisdès le suivant on voit Michel s'ennuyer.A l'inverse, la scène finale s'éternise,mais le mot « Fin » disparaît aussi vitequ'il apparaît.D'autres éléments, plus anecdotiques maisnombreux, illustrent cette indécision : laFrégate considérée comme « pourrie »puis admirée ; Pachala proposant àLiliane un couscous, puis une pizza, puisune choucroute... La moustache intermittente de Michel faitalors figure de symbole dans ce filmchangeant. Le voisin dirait que c'est àl'image de la France, « la pagaille », etque les personnages et le réalisateur sontcomme les Français, « indisciplinés ».Mais cette indécision n'est-elle pas aussiune liberté ?

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O u v e r t u r eP é d a g o g i q u eLES AMANDES PHILIPPINESDeux amandes trouvées dans la mêmecoquille sont appelées « philippines », pardéformation de l'allemand Vielliebchen,« bien-aimé ». Une coutume expliquéepar Liliane veut que deux personnesayant trouvé ces amandes se lancent unpari, gagné par celle qui dira en premier« Bonjour Philippine » après minuit. Les filles, comparées aux amandes, sontperçues comme inséparables. Le titre,au singulier, les assimile même à uneseule personne. Comment le film confirme-t-il cette métaphore ?- La relation avec Michel : chacune a droità une sortie cachée à son amie, une nuitd'amour, une scène de jalousie, deuxdanses (une à Paris, une en Corse). A lafin, Michel moque leur côté « midinettes »et repousse son choix à plus tard. Matchnul.- Les dialogues : les mêmes phrases pas-sent de l'une à l'autre. « On est amies,on se dit tout » ; « J'aime bien les che-veux blancs, pas ici, mais là »... - L'apparence : même soin apporté auxcheveux, même maillot une pièce queJuliette va vite enfiler après avoir vu Michelregarder Liliane, mêmes costumes d'es-quimaudes et de ménagères.L'égal traitement des deux filles parRozier se fait jusque dans les trois plansde miroirs (avant les rushes de la pub ;dans les toilettes du Calypso ; au ClubMed) : on voit d'abord le reflet deJuliette, puis celui de Liliane, puis lesdeux ensemble.

00:40:52 – 00:42:08Au café lors de la première sortie à trois (s. 2), Juliette, assise à côté de Lilianeface à Michel, a posé fermement la préséance de l’amitié sur l’amour : « Ah maisnous on est amies, hein ! On s’fait jamais d’vacheries, jamais. Unies quoi qu’il advienne !Les hommes c’est tous des salauds ! » Par la suite, l’inévitable compétition entre lesfilles prend une forme ludique qui maintient l’exigence de transparence : « unpoint à chaque fois qu’on sort avec Michel » (s. 7). Mais alors qu’elle a invitéJuliette dans l’espace le plus intime qui soit (sa chambre à coucher), Liliane luiavoue une première cachoterie. Le jeu peut-il continuer ? 1. Aveu en musique : assise au pied de son lit à une place jonché de disques,Liliane commence une confession à Juliette (00:40:52). Quelques secondesplus tard, elle met un disque de cha-cha sur son électrophone. Son geste brisela solennité de l’instant, dans l’espoir, peut-être, d’atténuer la gravité de l’aveu.Juliette, quasiment par réflexe, se lève et danse dès que la musique commence. Lacaméra, en légère plongée, tient désormais son visage hors champ ; elle panote versla gauche, suivant les pas de danse. Jambes et pieds nus en pyjama-short,Juliette se sèche les cheveux avec une serviette. La révélation de Liliane (« j’avaisrendez-vous après avec Michel ») n’interrompt pas son cha-cha. D’ailleurs, sou-haite-t-elle vraiment l’entendre ? 2, 3, 4, 5, 6. Flash-back lancé par le récit de Liliane : « on avait combiné l’coup »(00’41’19). Une série de plans très brefs résume la machination. 2 : Juliette selève d’une tablée où l’on aperçoit Liliane, Michel, son collègue et Pachala. 3 : enplan rapproché, Michel murmure à l’oreille de Liliane qui rit, visiblement exci-tée par ce rendez-vous clandestin. 4 : fondu enchaîné sur le hall d’une stationde métro où Liliane rejoint Michel et lui raconte son mensonge. 5 : en plan rap-proché de profil, Liliane ajoute à l’excitation du secret par une confidence intime :elle s’est fait « pincer les fesses » dans le métro – habile transition pour révéler à

Michel (6) qu’elle sait qu’il est sorti en tête à tête avec Juliette. Liliane jubile dese poser en maîtresse des secrets : celui de ce soir, qui exclut Juliette, et celuide l’autre soir, qui excluait Michel. 7a. Retour à la chambre : le commentaire indigné de Juliette ramène au présentdu récit et pose au spectateur la question de la nécessité dans le film de ce flash-back illustratif : il n’existe que pour que la narratrice savoure sa tromperie. Enle stoppant, Juliette évite aussi que la conversation ne passe de l’égoïsme deLiliane au sien propre (la fois où elle était sortie seule avec Michel). Toujours enlégère plongée, le cadrage permet désormais de voir le visage de Juliette mais plusses pieds. Elle a cessé de danser même si le disque tourne toujours. Elle énonceune réalité de la guerre des sexes qui rend Liliane sérieuse : « Si on commence às’cacher des trucs, c’est lui qui va nous m’ner par le bout du nez. » Alors que Lilianese décrivait volontiers dans son récit en « garce » (elle accueillait ce mot en riantde la part de Michel au plan 4), Juliette lui renvoie une tout autre image d’elle-même, celle de la fille manipulée. C’est au garçon que profitent leurs secrets. Lepacte répété par Liliane à Michel (« On est amies, on s’dit tout ») au moment mêmeoù elle était en train de cacher quelque chose à Juliette vient d’être ébranlé. Mais contre toute attente, au spectre de la domination masculine succède unequestion pratique : où est le séchoir ? Un panoramique latéral puis verticalmontre les filles s’éloignant vers la chambre des parents. Il découvre une photod’Elvis Presley au mur avant que Liliane s’effeuille ostensiblement pour le spec-tateur (7b). La superficialité des « midinettes » (s. 21) maintient une forme desolidarité féminine. Pour combien de temps ? La prochaine fois que Juliette dan-sera le cha-cha, la pyjama party se transformera en duel (s. 20, cf. Analyse deséquence).

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On se dit tout ?

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ENCHAÎNEMENT

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Anomalie dans la continuité d’une séquence, le faux-raccord, brise l’illusion decohésion spatiale et temporelle propre au montage classique : il suffit d’un objetdifférent ou d’une saute d’image pour rappeler au spectateur la matérialité ducinéma. Le jump-cut, type particulier et délibéré de faux-raccord, consiste à sup-primer un certain nombre d’images sans changer l’axe de la caméra. Il opère enpassant d’un plan à l’autre une légère rupture spatiale et temporelle, une saute.Jean-Luc Godard multiplie les jump-cuts dans A bout de souffle (1960) : face auxexpressions du visage d’une actrice ou à une scène d’action, la discontinuitédérange le spectateur dans ses habitudes, déconstruisant la psychologie et lessituations en renvoyant à leur fabrication. Dans Adieu Philippine, Rozier n’utilise pas le jump-cut comme un procédé auto-réfléxif destiné à subvertir les conventions narratives. Le long travelling de laséquence 7 sur les Grands Boulevards en fait un usage rythmique virtuose à rap-procher plutôt du travail d’un John Cassavetes dans Shadows (1959), danslequel le jump-cut, figure de montage de la fragmentation familiale, s’accorde autempo syncopé d’un morceau de jazz. La marche dans Paris de Liliane et Julietteau rythme d’un tango est précédée d’un prélude (00:28:59) : sur un carton noir,on entend l’introduction du morceau. La préséance de la musique de fosseainsi posée, les images qui suivent (00:29:06) apparaissent comme une pure cho-régraphie. Aucun son d’ambiance réaliste, aucun brouhaha ou vrombissementde voiture n’est ajouté lors de la post-synchronisation. Quant au dialogue, ils’immisce entre les coupes, toléré comme une scansion et d’autant plus homo-gène avec la partition qu’il n’est pas enregistré en son direct. La première coupe, qui intervient 31 secondes plus tard (00:29:37), n’apparaîtguère comme une saute car elle se cale sur un changement de mesure de lamusique. Après elle seulement commence le dialogue. En revanche, les deuxièmeet troisième coupes sont beaucoup plus proches, à 5 secondes d’intervalle(00:29:42 et 00:29:47). Le tempo soutenu laisse dans une ellipse la réponse àla question intime de Juliette : « Il embrasse bien ? », puisque c’est encore Juliettequi pose une question au plan suivant. Les coupes se succèdent, intervenant le

plus souvent au moment où la caméra en mouvement passe devant un troncd’arbre, un poteau ou une auto, flous au premier plan. Le cinéaste prend un plaisir évident à faire défiler ainsi le paysage comme unpanorama urbain peuplé de badauds (un homme blanc au bras d’une femmenoire) et balisé d’enseignes (musée, cinéma, pharmacie…). Le travelling « jump-cutté » s’offre en machine à glaner les visages, les signes, les accrocs. Hasard oumalice ? Sur une colonne Morris on reconnaît une affiche du Balcon de JeanGenet (pièce dans laquelle la société est dépeinte comme un lupanar de luxe),et sur la partie gauche de la colonne, le visage photographié d’une femme rap-pelle celui de Juliette. Autant de coupes, autant de surprises, comme lorsque lesfilles sont abordées par un homme juste après que le champ a été obstrué parune voiture garée (00:29:48) ; un raccord dans l’axe en plan plus large (00:29:57)souligne ses assauts répétés. Tantôt ces rencontres forment des embryons de récittantôt les coupes sont purement musicales (fin d’une mesure du tango puis débutde la suivante, 00:30:07 et 00:30:10). Plus qu’un geste théorique, on voit que le jump-cut en mouvement restitue lavitesse enjouée de ses jeunes héroïnes, dont les rapports ont l’immédiateté d’uncoup de fil (et si on appelait Michel ?). La boulimie de plans du jump-cut ôte audialogue toute gravité : prise en pleine rue, la décision de se partager Michel sousla forme d’un concours aura plus tard des accents plus féroces, nocturnes et nonplus diurnes. Pour l’heure, Paris est à portée de main, comme la cabine télé-phonique qui permet aux marcheuses de relancer le récit.

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Le “jump-cut”

O u v e r t u r eP é d a g o g i q u eRACCORDSSelon les codes du cinéma classique, lepassage d'un plan à un autre doit êtreinsensible. Ici il est ostensible et produitdivers effets. Avant la séance, on pourrademander aux élèves d'être attentifs auxraccords et d'en mémoriser un, dont ilsdécriront l'effet. Par exemple :- Départ en Corse (entre s. 12 et 13) : latransition entre les deux parties se fait endeux plans montés sans marque de ponc-tuation (un fondu aurait signifié le pas-sage du temps). Il n'avait pas été questionde la Corse avant le premier plan, ledeuxième nous installe au milieu des tou-ristes, sans passer par un plan d'en-semble. Ellipse, accélération du récit.- Liliane se prépare pour sortir avecMichel (s. 7) : elle se regarde devant laglace. Fondu au noir. Liliane et Juliettemarchent dans la rue. Nouvelle ellipse,mais figurée par un fondu au noir. Pouraccentuer le secret de Liliane ?- Michel prend rendez-vous avec Pachala(s. 7) : gros plan sur le producteur autéléphone qui répond à la proposition deMichel de le retrouver à son bureau.« Ici ? Non ». Cut. Plan d'ensemble surle bureau de Pachala exigu et désor-donné. « Je préfère se voir ailleurs. »Effet comique.On pourra revoir la scène d'ouverturepour l'effet produit par les faux-raccords.S'agit-il de donner un aspect « pris sur le vif », d'imprimer un rythme particulier, de bousculer les repères spatiaux du spectateur ?

POINT TECHNIQUE

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Juillet 1958 : Jean-Luc Godard revient dans Arts sur « l’événement cinématogra-phique de l’année », la reprise en salles de Monika d’Ingmar Bergman (1953). Surle point de tromper son mari avec un garçon qui lui allume sa cigarette, Monikas’est tournée vers l’objectif et, toutes lumières éteintes, a tourné ses yeux versla caméra. Voici le spectateur pris à témoin du « mépris qu’elle a d’elle-même d’op-ter involontairement pour l’enfer contre le ciel1 », moralise Godard, qui doit pour-tant percevoir l’impudeur de cette adresse. Se détournant du garçon, Monika s’estaussi exclue momentanément de la fiction pour établir un contact intime avecchacun des spectateurs, dérangé dans sa propre tentation de la juger. De ce geste fondateur du cinéma moderne, François Truffaut fait une interro-gation politique à la fin des 400 Coups (1959), lorsque la course d’AntoineDoinel (Jean-Pierre Léaud), échappé de maison de correction, se fige en un arrêtsur image. Comment osez-vous me juger ?, semble demander le garçon, préfi-gurant le regard-caméra de Geneviève dans Les Parapluies de Cherbourg (JacquesDemy, 1964) : enceinte de Guy parti à la guerre d’Algérie, elle vient d’accepterla demande en mariage d’un autre homme. Son regard-caméra transformerétrospectivement en rêve de jeunesse les scènes d’amour qui précèdent, avecleurs murs colorés et leurs travellings glissants. Godard n’est pas en reste deregards-caméra dans A bout de souffle. Mais quand Michel Poiccard filant en voi-ture lance au spectateur « Si vous n’aimez pas la mer… si vous n’aimez pas la mon-tagne… si vous n’aimez pas la ville… allez vous faire foutre ! », cet aparté contrele cinéma de studio manque d’ambiguïté pour semer le même trouble que leregard-caméra.

« Les yeux dans la caméra »Avril 1962 : en présentant Adieu Philippine à Cannes, Godard déclare : « Quiconquen’aura pas vu Yveline Céry danser les yeux dans la caméra ne pourra plus se permettrede parler cinéma ». De Monika, Jacques Rozier a semble-t-il en effet saisi toutela charge sexuelle.Lorsque Liliane, au milieu de la séquence 20 (01:33:51), se lève pour danser,

elle fixe d’emblée l’objectif. Celui-ci épouse-t-il le point de vue de Michel ? Laplace du plan dans le récit entre la danse Michel-Juliette et la danse Michel-Liliane, rend l’hypothèse plausible : Liliane, par sa danse enjôleuse, réussit à le« voler » à sa rivale, qui l’avait charmé par son jeu de jambes (01:32:10). Unefois proche de la caméra, qu’elle oblige à refaire le point (bref moment de flouà 01:34:03), la jeune fille semble avoir « accroché » celui qu’elle regarde. Ellepeut reculer, il la suit, comme « mené par le bout du nez » (c’était l’expressionqu’employait Juliette pour parler de la manipulation de Michel, s. 10).Le regard-caméra marque une rupture dans la façon dont les échanges entre lesfilles et le garçon sont filmés jusqu’alors. En effet, ceux-ci n’ont presque jamaisfait l’objet d’un champ-contrechamp : au café, à l’aérodrome, au restaurant, auClub ou sur la plage, les personnages sont cadrés dans le même plan ; plus tard,l’étreinte est cachée dans le pli d’une ellipse, et ses prémices nocturnes, fran-chement sous-exposées (s. 14, 19). Or si l’usage de la « caméra subjective » estplausible, il faut souligner le choix de ne pas faire apparaître le garçon à l’image,même en amorce. Le regard d’Yveline Céry inclut et dépasse la psychologie, lerécit. Preuve en est le deuxième regard-caméra, au plan suivant, tandis qu’elle dansedans les bras de Michel : l’ébauche de sourire ne s’adresse pas seulement àJuliette, c’est aussi une adresse au cinéaste et au spectateur, comme pour véri-fier que sa victoire est dûment enregistrée. Mais en plus de l’appétit sexuel et dusadisme envers la rivale, le regard « par en-dessous » de Liliane recèle la mélan-colie d’une perte à venir. Bien que tenu entre ses bras, le jeune homme, « appelé »par d’autres sirènes, belliqueuses celles-là, lui a déjà échappé. La sensualité cruequi se lit dans les yeux de la fille de vingt ans s’adresse aussi à la génération des« vieux » : si je me jette sur lui, c’est parce que vous me l’enlevez.

1) Repris dans Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, op. cit., p. 137.

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Le regard-caméraMonika – Les Grands Films classiques.

FIGURE

Les 400 coups – MK2 vidéo.

A bout de souffle – Studio Canal.

Les Parapluies de Cherbourg – Ciné-Tamaris.

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FILIATION

Sur les criques ensoleillées de la partie Corse d’Adieu Philippine planel’ombre du « Patron » de la Nouvelle Vague, Jean Renoir. « Premièregrande passion » de Jacques Rozier, qui fut stagiaire sur French Cancan,il lui a procuré son « grand choc » avec un moyen métrage qu’il lais-sa inachevé et auquel seule la musique de Vladimir Kosma donna uneunité a posteriori : Partie de campagne (1936-1946), « film préféré » deRozier. Mais sur la brève idylle entre Michel et ses deux amies sur l’îlede Beauté souffle aussi le vent de jeunesse et de sensualité nordiquede Monika d’Ingmar Bergman (1953). Dans une séquence célèbredes 400 Coups, Antoine Doinel dérobe un photogramme sexy dans lehall d’un cinéma de l’œuvre qui s’impose comme emblématique dunouveau statut des corps adolescents à l’écran. Les trois idylles commencent avec l’arrachement à la vie urbaine, sespetites habitudes, ses intérieurs étriqués : magasin de la famille Dufourdans Partie de campagne, appartement surpeuplé de la famille deMonika, qui dort sur le canapé, plateau de tournage et cafés pour letrio d’Adieu Philippine. Mais l’ouverture à la nature passe par un filtreprotecteur, un garde-fou à sa sauvagerie. Plutôt que la fausse inver-sion carnavalesque du mode de vie urbain qu’offre le ClubMéditerranée (danses pseudo-tribales des touristes d’Adieu Philippine),rien de tel que l’équivalent d’une cabane, un espace qui recrée l’inti-mité propice à l’échange amoureux, rien de tel qu’une île : du rivageoù accostent les amoureux de Partie de campagne qui s’avère une îleau détour d’une réplique (« Vous ne voulez pas la visiter ? ») à l’îleproche de Stockholm où s’échappent Monika et Harry et à la criqueinsulaire d’Adieu Philippine. A la fois caressés par le soleil et préservés des regards, les corps sedénudent, madame Dufour se fait desserrer le corset par sa filleHenriette, qui se sent « toute drôle », envahie par « une espèce de ten-dresse pour tout […], de désir vague » ; Monika, femme-enfant, arbore

une culotte de maille à taille haute, mi-barboteuse, mi-bikini ; Lilianeet Juliette vont court vêtues à tel point que tout autre tenue que ledeux-pièces cache un message extra-vestimentaire. « Qu’est-cequ’i’t’prend d’mettre ton une-pièce ? Tu vas crever ! », lance Juliette à laboudeuse (s. 15). Eden éphémère, l’espace à la fois ouvert et clos fonctionne comme uneparenthèse loin du temps social. Le temps s’étire, suspendu parl’écoute d’un rossignol (Partie de campagne), le souvenir sautillantdes cris des Indiens dans un western (Monika), les pataugeages enfan-tins dans l’eau (Adieu Philippine), préambules à l’étreinte physique sou-vent sertie dans une ellipse (le très beau rapprochement de Juliettevers la caméra lorsque Michel, s. 19, tire à lui la corde de la barqueoù elle est assise). Mais l’intrus n’est jamais loin. Partie de campagne, dans son inachè-vement même, est tout entier tendu vers la béance de la séparation ;même sans l’incendie de leur bateau, Harry et Monika (enceinte),auraient manqué de vivres et de soins. Chez Rozier, l’ennemi est à lafois moins fortuit et moins incarné : c’est la date-butoir du départ deMichel pour l’Algérie, dont nul ne sait s’il en reviendra physiquementet mentalement intègre. Le cinéaste choisit pourtant de matérialisercette menace. Dans une attaque filmée quasiment en temps réel (s. 15),la guêpe, qui pousse à bout une Liliane déjà « piquée » par la jalou-sie, matérialise l’emprisonnement du trio dans le présent des vacances.Vacances – soudain, la vacuité, un mot de même racine, vient y réson-ner, et l’intimité de la crique se fait carcérale. Est-ce pour cela que leplus récent des trois films, Adieu Philippine confisque au spectateur leplaisir de voir les personnages sceller leur attirance par un baiser ?

Citations extraites de Jacques Rozier. Le funambule, op. cit. ; Aureliano Tonet, entretien avecJ. Rozier, Chronic’art, 30/03/2009.

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Iles, idyllesPartie de campagne – Studio Canal. Monika – Les Grands Films classiques.

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Le paradoxe est cruel : Jacques Rozier, contraint de ne pas faire d’allusion directe à la guerre d’Algérie quand il tourne Adieu Philippine à l’été 1960, res-pecte la censure : Michel part « dans deux mois au service » (s. 3) et Dédé ne pré-cise pas la nature de ses « vingt-sept mois et demi » (s. 4). Mais lorsqu’enfin le filmsort, en septembre 1963, cela fait plus d’un an que le Général de Gaulle areconnu l’Indépendance de l’Algérie (3 juillet 1962) et un an et demi que lesAccords d’Evian ont été signés (16 mars 1962). « En séance privée, il y a deux ans,déplorait Rozier en 1963, il y avait 50 % des spectateurs qui ne voyaient pas l’allu-sion ». Il réintroduit donc un carton : « 1960. Sixième année de guerre en Algérie ». Déjà, dans Le Joli Mai (1962), quand Chris Marker parcourt la capitale avant etaprès les Accords d’Evian, peu de Parisiens mentionnent la guerre. Trop tôt, troptard : entre le tournage et la sortie d’Adieu Philippine, l’imaginaire national estpassé de la censure au tabou. Dès les années 1950, René Vautier signait des docu-mentaires militants (et interdits), Une nation, l’Algérie (1954) et L’Algérie enflammes (1958), préludes à Avoir vingt ans dans les Aurès (1971). Godard (Le PetitSoldat) et Alain Cavalier (L’Insoumis) rencontrent maintes difficultés avec la cen-sure, avec leurs fictions dont les antihéros sont liés à l’OAS.Adieu Philippine est à rapprocher d’autres fictions de la même époque qui,depuis la métropole, évoquent la guerre d’Algérie comme une ombre funeste surl’horizon de la jeunesse. Dans Les Parapluies de Cherbourg, c’est un tue-l’amourpour Geneviève et Guy. « Je ne crois pas pourtant que le danger ici soit grand / maisc’est étrange, le soleil et la mort voyagent ensemble… », écrit l’appelé à sa fiancéeinfidèle. Plus radical, Muriel recèle en son centre une bande 8 mm montée etcommentée par Bernard, cinéaste amateur revenu de la guerre traumatisé par desexactions auxquelles il a participé. La fêlure irradie toutes les autres images dufilm, « vides » parce que celles de l’horreur y manquent.Mais c’est sans doute avec Cléo de 5 à 7 qu’Adieu Philippine entretient le plus depoints communs. Les deux films entrelacent deux pôles temporels : le tempsductile et de l’errance (Cléo a deux heures à tuer, Michel, deux mois) et la butée

du compte à rebours : la jeune Parisienne saura dans deux heures si elle estatteinte d’un cancer ; Michel recevra sa feuille de route. Rencontrant au parcMontsouris un jeune appelé qui doit repartir le lendemain en Algérie, Cléo rela-tivise sa propre angoisse. En même temps, le film l’allégorise en angoisse natio-nale. Varda, novatrice, filme en temps réel l’attente insoutenable de Cléo. Rozier au contraire fait grand usage des ellipses, il propulse son trio de la gareà l’aérodrome en l’espace d’une question-réponse (s. 3) ou lui fait plier bagageà peine le pique-nique sorti (s. 15). Mais la dernière séquence paraît très longue.La caméra s’attarde sur le quai, puis près du panneau « 4e classe », puis au piedde la passerelle, avant une série de plans alternés sur Michel à bord et les fillesà quai. Les adieux semblent bégayer, seule la bande-son marque des change-ments nets : d’abord l’air de rock sur lequel dansait Liliane au bar de la plaged’Ajaccio (s. 20) ; puis un chant traditionnel corse sur le départ d’un enfant aurégiment, entendu depuis un haut-parleur ; puis, lorsque le bateau part, lemême thème en off ; enfin, quand les filles se mettent à courir, sa reprise « enmineur et en récitatif1 ». Les plans soudain très larges rendent à la guerre d’Algérietoute l’ampleur tragique de sa réalité. Prolongés plus que de raison, les adieuxont l’allure d’une conjuration – la vigueur agitée d’un déni. Que disent lesparoles du chant corse ? « Si tu pars au service sans me mettre la bague au doigt,je veux qu’une volée de balles te brûle la cervelle2. »

Citations extraites de N. Zand, « Entretien avec J. Rozier », op. cit. ; J. Rozier, « Adieu Philippine est unfilm au présent », op. cit.1) C’est Rozier qui le précise dans le supplément DVD d’Adieu Philippine, réalisé en 2008.2) Traduction donnée par Rozier à A. de Baecque, L’Histoire-caméra, Gallimard, 2008, p. 189.

La guerre d’Algérie, nulle part, partout

PASSAGES DU CINÉMA

Cléo de 5 à 7 – Ciné-Tamaris.

Chronologie

La guerre d’Algérie dans les fictions desannées 1960

1961 Les Oliviers de la justice, James BlueLe Combat dans l’île, Alain Cavalier

1962Cléo de 5 à 7, Agnès Varda

1963Adieu Philippine, Jacques Rozier (tourné en 1960) La Belle Vie, Robert EnricoLe Petit Soldat, Jean-Luc Godard (tourné en 1960)

1964Muriel, ou le Temps d’un retour, Alain ResnaisLes Parapluies de Cherbourg, Jacques DemyL’Insoumis, Alain Cavalier L’Amour à la mer, Guy Gilles

1966Les Centurions, Mark RobsonLa Bataille d’Alger, Gillo PontecorvoLe Vent des Aurès, Mohammed Lakhdar-Hamina

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Accompagné de François Truffaut et du critique Georges Sadoul,Jean-Luc Godard présente Adieu Philippine lors de sa premièreà la Semaine internationale de la critique, au festival de Cannes1962. « […] Personne n’a encore parlé […] comme on parle dans AdieuPhilippine. Sinon, peut-être autrefois, dans Toni, de Jean Renoir. La véracité de ce dialogue ne vient pas uniquement de sonaspect documentaire. En effet Rozier s’est livré à une longueenquête avant de commencer son tournage. Il a pris des noteset des photographies. Ce dialogue est vrai parce que par-des-sus le documentaire se greffe une idée du monde. Cette idée du monde est très simple. Elle consiste à tâcher de voirles choses de façon juste. Voilà aussi sans doute pourquoi jamaisles paysages n’ont été si émouvants, dans un film, que ceuxd’Adieu Philippine. Rozier ne les a pas traités en tant qu’élémentspittoresques et pas non plus en tant que personnages.Ce qu’Antonioni a cherché sans le trouver dans L’Avventura (cesdeux films sont le jour et la nuit) Rozier l’a trouvé sans le cher-cher dans Adieu Philippine. Peut-être est-il prétentieux de ledire, mais ce que Rozier a trouvé, c’est le rapport de l’hommeet des choses.Dans ce film on voit un paysage et on pense aux hommes qui yvivent. Vice versa, quand on voit des êtres humains, des filles, desgarçons, on pense au monde qui les entoure. En vous disant çaje crois que je n’ai rien fait d’autre que de définir le cinéma (ancienou moderne, je ne sais pas), mais en tout cas le cinéma. »

Transcription publiée dans Les Lettres françaises, 24 mai 1962.

Du festival de Tours 1959, Jean-Luc Godard était revenu conquis parBlue Jeans de Jacques Rozier, « frais, jeune et beau comme les corps devingt ans dont parlait Arthur Rimbaud1 ». Il y avait repéré une capaci-té à nourrir la fiction d’éléments documentaires : « La vérité du docu-ment sait y faire cause commune avec la grâce de la narration. » AdieuPhilippine affine l’intégration du document au récit mais conserve dansles extérieurs tournés parmi les badauds (Champs-Elysées, GrandsBoulevards, Club Méditerranée, port de Calvi) les nombreux coupsd’œil lancés à l’objectif – un choix que Rozier a déjà vu à l’œuvre chezJean Renoir, dans la scène du « suicide » du haut du Pont des Artsde Boudu sauvé des eaux (1932). Mais c’est à un autre film de Renoir que Godard fait ici référence, Toni(1934), tourné en Provence et coproduit par Marcel Pagnol. En pleinemontée des nationalismes européens, Toni, le premier scénario original« au présent » de Renoir, pose le régionalisme comme un rempartcontre la xénophobie : « L’action se situe en pays latin, dit le cartoninaugural, là où la nature, détruisant l’esprit de Babel, sait si bien opérerla fusion des races. » A travers la référence à Toni, Godard soulignequ’Adieu Philippine, au-delà des amours adolescentes de son intrigue,livre un état présent de la langue française, de son vocabulaire (« mich-to ! », « quequ’chose de mignon », « j’peux plus arquer », « tintin ! »... ),de ses accents (l’italien de Pachala et d’Horacio), de ses variationsrégionales (le corse) et de ses torsions ludiques (l’imitation de DarryCowl par Michel, s. 3). Mais Godard précise que l’acuité documentaire de Rozier ne sauraitse limiter à une joliesse naturaliste. Malgré des mots simples, sesexpressions tendent vers la philosophie (« une idée du monde », « lerapport entre l’homme et les choses »). Ce faisant, Godard évoque unaspect assez peu noté d’Adieu Philippine : l’évolution des relations entre

les protagonistes s’y inscrit à même le paysage, au cours d’un trajetqui compte de nombreux changements de lieux. Jean Collet leremarque l’année suivante, soulignant le lyrisme de la deuxième par-tie : « Il suffit de regarder le long plan fixe de la voiture qui serpente dansla montagne corse : avec Rozier, même une route, même les pierres, chan-tent et dansent2 ».Lier justesse linguistique et traitement du paysage permet aussi àGodard de faire la transition entre le cinéma classique (Renoir) et leparangon d’une modernité cinématographique qui attire et rebute àla fois les critiques des Cahiers du cinéma. Celle-ci a pour nomMichelangelo Antonioni. Godard, s’il se contente d’une pique, n’estpas tendre avec lui : L’Avventura (1960), insulaire comme AdieuPhilippine, a laborieusement « cherché sans trouver » ; Rozier, commePicasso, aurait donc trouvé sans chercher. Les longs plans d’Antonioni,chargés d’une incommunicabilité au sein du couple, ne seraient-ilsque pose artiste ? Godard oppose en tout cas à ce cinéma « moderne »le « cinéma » tout court qu’incarnerait la spontanéité d’AdieuPhilippine, fût-elle savamment fabriquée au montage. En fait, le cri-tique qui parle est aussi un cinéaste : en opposant Rozier à Antonioni,Godard songe à l’équilibre qu’il cherche lui-même entre la chair et lastatuaire, la vibration du monde et son architecture. Il est sur lepoint de tourner le fruit de cette recherche, Le Mépris (1963), dontRozier filmera lui-même le tournage (Le Parti des choses, 1963).

1) « Chacun son Tours », Cahiers du cinéma n° 92, février 1959, repris dans Jean-LucGodard par Jean-Luc Godard, t. 1, op. cit., p. 162.2) « Entre le badinage et le chagrin », L’Avant-scène cinéma, n° 31, 1963, repris dans lerecueil Le Cinéma en question, éditions du Cerf, coll. 7e art, 1972, pp. 11-14.

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Une idée du monde

LECTURE CRITIQUE

Jean-Luc Godard lit le texte d’introduction d’Adieu Philippine à Cannes, sous l’œil deJacques Rozier – DR.

L’Avventura – collection Cahiers du cinéma/DR.

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Dans Adieu Philippine, Rozier propose une bande-son polyphoniquesurchargée. Le son n’est pas simplement au service de l’image, il faitcontrepoint avec elle. C’est donc l'occasion d'analyser les différents élé-ments qui constituent la bande-son et de voir comment Rozier se lesapproprie pour donner du style et du sens au film.

RappelsUne bande-son est composée de dialogues, de bruits et de musique,qui peuvent être enregistrés au moment du tournage (sons directs) ouaprès, en studio (sons post-synchronisés). Une fois le montage desimages effectué, le montage-son consiste à choisir et caler les sons quiaccompagnent les images. Puis le mixage cherche le meilleur équilibreentre le volume des différentes sources sonores. Historiquement, l’objectif du travail sur le son a d’abord consisté à rendre les dialogues audibles et à préserver la cohérence sonore globale.Pour les besoins de l’analyse, on peut distinguer : - les sons in : la source est visible à l’écran :- les sons hors champ : la source n’est pas visible mais fait partie del’action ;- les sons off : la source n’est pas visible et ne fait pas partie de l’ac-tion (exemple : musique d’ambiance, voix-off).

CacophonieAprès le « un, deux, un, deux, trois » qui ouvre Adieu Philippine, les pre-miers mots audibles sont « j’entends rien ». D’où vient cette impres-sion de cacophonie que ressent également le spectateur du film ?- L’effet juke-box : de nombreux courants du jazz, du rock, de la varié-té et des musiques symphoniques s’enchaînent sans transition. Ceschangements de genres accompagnent les ruptures de rythme inces-

santes. Cacophonie rime avec syncope.- La singularité des voix : tous les personnages parlent avec un accenttrès marqué, qu’il soit parisien, corse, italien, aristocrate ou méridio-nal. Le débit de parole souvent rapide et la superposition des voix ren-dent parfois les dialogues inaudibles, comme lorsque les quatre garçonsvont chercher leur voiture. La chorale de titis parisiens se fait alors brui-tiste, la conversation étant réduite à une série d’onomatopées.- Le mélange et le collage des sons : l’équilibre entre musiques, bruitset dialogues se fait parfois au détriment de ces derniers. En Corse, lorsde la danse entre Michel et Juliette, bien qu’il s’agisse d’un plan rap-proché et malgré l’importance dramatique de la scène (Juliettereproche à Michel de l’avoir trahie), Rozier choisit de couvrir com-plètement les dialogues sous la musique. Ailleurs, les bruits ou le silence viennent contrarier les dialogues : quand Michel dit « dans maligne de vie, rien à signaler ? », c’est un moteur d’avion qui répond ;quand les garçons chantent « Ma grand-mère est tombée dans la... », lesilence oblige le spectateur à deviner la suite.

Post-synchronisationLe traitement particulier des dialogues tient aussi à ce que le son directn’a pas pu être utilisé (cf. Genèse). Les voix ont donc été enregistréesaprès le tournage et synchronisées ensuite sur les images. Pour Juliette,le cas est bien particulier puisque Stéfania Sabatini, la comédienne ita-lienne, est doublée par la voix française d’Annie Markhan. En revoyant la séquence 10 (cf. Enchaînement), les élèves remar-queront l’inadéquation entre le son et le mouvement des lèvres, récur-rent dans le film. Mais avaient-ils perçu ce décalage lors de la séance ?Ce n’est pas sûr, tant le charme produit par la proximité des voix post-synchronisées, ainsi que par le langage désinvolte des jeunes filles fontpasser outre ce non-respect du code classique.

On pourra demander quels autres effets produit à leur sens la post-synchronisation. Deux sont au moins à noter : les voix détachées ducorps acquièrent une texture identique à celle d’une musique d’am-biance ; les voix séparées de l’espace diégétique semblent aussi plusproches du spectateur, plus intimes, comme si elles commentaient lesimages en train de défiler.

Ecouter l’ouvertureRozier affirme avoir « souvent monté les images en fonction du son » (cf.Mise en scène). Dès lors, pourquoi ne pas faire écouter un morceaudu film aux élèves sans les images, avant la projection ? La séquenced’ouverture, jusqu’à la fin du générique, est idéale pour les plongerdans l’univers sonore du film. Comment décrivent-ils l’ambiance quis’en dégage ? Parviennent-ils à imaginer certains personnages, cer-taines situations ? Peuvent-ils citer les différents types de son et lesrépartir en sons in et sons off ? En voyant les images, on découvrirale statut complexe de la musique : elle est tantôt in (quand on voit lesmusiciens jouer), tantôt hors champ (quand on ne voit plus les musi-ciens) et bien que sa source soit diégétique puisqu’on filme son enre-gistrement, elle devient off quand les sons d’ambiance disparaissentou qu’elle ne correspond pas à la musique que l’on voit jouer àl'écran. Là encore, Rozier cherche moins à être réaliste en synchronisantl’image des musiciens avec la musique entendue qu’à produire deseffets de rythme et d'ambiance, en cohérence avec les personnages.La relation entre Michel, Liliane et Juliette, entre humour et séduction,n’est-elle pas bien posée par l’alternance entre le vif charleston et lejazz langoureux de cette ouverture ? Par ailleurs, la cacophonie géné-rale du film ne reflète-t-elle pas la difficile communication entre lestrois protagonistes ?

Un film à écouter

ATELIER PÉDAGOGIQUE

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SÉLECTION BIBLIOGRAPHIQUE & VIDÉO

Sélection bibliographique

Sur Jacques Rozier- Emmanuel Burdeau (dir.), Jacques Rozier. Lefunambule, Cahiers du cinéma/Centre Pompidou,coll. Auteurs, 2001.La seule monographie sur le cinéaste, avec une fil-mographie et un long commentaire de Rozier surses films.- Vincent Malausa, « Un chantier fabuleux »,Cahiers du cinéma, n° 639, novembre 2008.Retour sur l’œuvre à l’occasion de la sortie d’uncoffret DVD.

Sur Adieu PhilippineLes textes précédés d’une * sont disponibles àl’impression à la Bibliothèque du Film de laCinémathèque française. Les textes des Cahierssont disponibles sur le site www.cahiersducine-ma.com.

- L’Avant-scène cinéma, n° 31, « Adieu Philippinesuivi de Blue Jeans », novembre 1963. La continuité dialoguée du film, précédée d’unbeau texte de Jean Collet, « Entre le badinage etle chagrin » (repris dans son recueil, Le Cinéma enquestion, éditions du Cerf, coll. 7e art, 1972).- François Truffaut, « Adieu Philippine », 1963,repris dans Les Films de ma vie (1975), 2007,Champs Flammarion. - *Jean-Louis Bory, « Un portrait jeune, vrai, libreet drôle de la jeunesse », Arts, 02/10/1963.- *Jean Collet, « Adieu Philippine », Télérama,14/02/1965.- André S. Labarthe, « Adieu Philippine », Cahiersdu cinéma, n°161, janvier 1965. Analyse de la (mauvaise) réception centrée sur letraitement paradoxal du temps et le montage.- *Jacques Rozier, « Adieu Philippine est un film auprésent », Arts, 16/10/1962.- * Nicole Zand, « Entretien avec Jacques Rozier »,Le Monde, 26/09/63.- Nicole Zand, « Le dossier Philippine », Cahiersdu cinéma, n° 148, octobre 1963.

- Christian Metz, Essais sur la signification au cinéma,Klincksieck (1968-1972), 2002, chapitres 6 et 7. Contient une analyse « syntagmatique » des diffé-rents « segments autonomes » d’Adieu Philippinequi a marqué durablement la sémiologie du cinéma.

Sur la Nouvelle VagueOuvrages et chapitres- Antoine de Baecque, La Nouvelle Vague. Portraitd’une jeunesse, Flammarion, 1998, rééd. 2009.Essai sur la Nouvelle Vague comme phénomènegénérationnel, culturel, cinéphilique, écono-mique. Lire en particulier le chapitre « Unemythologie de la jeunesse ».- Antoine de Baecque, L’Histoire-caméra, Gallimard,Bibliothèque illustrée des histoires, 2008. IIIe partie consacrée à la Nouvelle Vague (dont unesous-partie sur la guerre d’Algérie à l’écran), etétude du « Regard-caméra, forme moderne del’histoire » dans la Ie partie.- Jean Douchet, Nouvelle Vague, Cinémathèquefrançaise / Hazan, 1998. Riche en documents. Organisé par année de 1955à 1964 autour de notions : la rue, le corps, lerécit… Et un « index visuel des films ».- Michel Marie, La Nouvelle Vague. Une école artis-tique, Nathan Université, coll. 128, 2000. - François Truffaut, Les Films de ma vie (1975),Champs Flammarion, 2007. Recueil indispensable à tout cinéphile. Dans « Mescopains de la nouvelle vague », textes sur AdieuPhilippine, La Pointe courte, Le Beau Serge…- François Truffaut, Le Plaisir des yeux. Ecrits sur lecinéma (1987), Petite Bibliothèque des Cahiersdu cinéma, 2000. Recueil comportant des textes polémiques fon-dateurs, dont « Une certaine tendance du cinémafrançais ».

Articles et numéros spéciaux de périodiques- Cahiers du cinéma, « Nouvelle Vague », n° 138,décembre 1962.Numéro collector. Couverture Adieu Philippine.Entretiens avec Chabrol, Godard et Truffaut et

dictionnaire des cinéastes dans lequel, à la notice« ROZIER » abondent les éloges sur Adieu Philippine,pas encore sorti en salles : après ce « parangon dela Nouvelle Vague », « tous les autres [films] paraissentfaux ».- Cahiers du cinéma, hors-série « Nouvelle Vague,une légende en question », 1998. Retour sur l’histoire de la Nouvelle Vague. AlainBergala bat en brèche les idées reçues sur la « révo-lution technique » de la Nouvelle Vague.

Sur la télévision- Thierry Jousse (dir.), Le Goût de la télévision,Cahiers du cinéma/Ina, 2007.Passionnante anthologie de textes parus dans lesCahiers du cinéma depuis les années 50. Permet dese faire une idée des conditions d’enregistrementdes « dramatiques » télévisées comme Montserrat.Lire Claude Vermorel, Stellio Lorenzi et FrançoisRégnault.

En ligne

- Archives InaQuelques documents (pour la plupart gratuits)dans lesquels Rozier est mentionné, dont unentretien avec Stellio Lorenzi sur Montserrat, etune sélection d’émissions sur la Nouvelle Vague. - www.fiflr.org« Jacques Rozier, le maître du temps » : texted’Emile Breton pour le catalogue du festival dufilm de La Rochelle en 1996.- www.persee.fr« Comment parler la bouche pleine ? » : étude desdialogues du repas familial chez les parents deMichel par Michel Marie et Francis Vanoye (texted’abord paru dans Communications, n°38, « Énon-ciation et cinéma », Seuil, 1983).- www.chronicart.com« Jacques Rozier : le naufragé » : long entretienrécent (mars 2009) sur l’ensemble de ses films parAureliano Tonet.

CDNoël Simsolo, La Nouvelle Vague (2CD et unlivret), Ina/Radio France, 2000, rééd. HarmoniaMundi, 2009. Entretiens avec Truffaut, Godard, Chabrol,Resnais, Rohmer…

Sélection vidéo

- Ingmar Bergman, Jeux d’été et Monika, Opening.Le regard-caméra de Monika (Harriet Andersson)a fait couler beaucoup d’encre (cf. Figure). Truffauta décrit Jeux d’été comme « le film de nos vacances,de nos vingt ans, de nos amours débutantes ». - Jacques Demy, Les Parapluies de Cherbourg,Opening.Comme Michel dans Adieu Philippine, Guy doitpartir au service en Algérie. - Jean-Luc Godard, A bout de souffle, Universal/Studio Canal Vidéo.Film-clé de la Nouvelle Vague, truffé de faux- raccords et de références au cinéma américainclassique.- Jean Rouch et Edgar Morin, Chronique d’un été,Arte vidéo.Film fondateur du « cinéma-vérité » qui se pré-sente comme une enquête sur le bonheur, tournéà Paris en même temps qu’Adieu Philippine (été1960) mais en son synchrone.- Jacques Rozier, Coffret, Agnès b DVD/Potemkine. Comprend ses quatre longs métrages ainsi que lescourts métrages Rentrée des classes et Blue Jeans. - Jacques Rozier, Adieu Philippine, Agnès bDVD/Potemkine. Important bonus réalisé par Rozier, centré sur ladernière séquence.- François Truffaut, Les 400 Coups, MK2.Film fondateur de la Nouvelle Vague et début desaventures d’Antoine Doinel. - Agnès Varda, Cléo de 5 à 7, Ciné-Tamaris.Film important de la Nouvelle Vague, proched’Adieu Philippine dans son traitement du temps etsa déambulation parisienne.

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RÉDACTEUR EN CHEFStéphane Delorme

RÉDACTRICE DU DOSSIERCharlotte Garson est rédactrice auxCahiers du cinéma depuis 2001. Elle arécemment publié Amoureux, un essaisur l'amour au cinéma destiné aux ado-lescents (Cinémathèque française/Actessud junior, coll. Atelier cinéma, 2007),Jean Renoir (Le Monde/Cahiers du ciné-ma, 2008) et Le Cinéma hollywoodien(Cahiers du cinéma/CNDP, Les petitsCahiers, 2008). Elle intervient régulière-ment dans les salles et auprès des ensei-gnants autour du dispositif Lycéens etapprentis au cinéma.

RÉDACTEUR PÉDAGOGIQUESimon Gilardi est diplômé de la filièredistribution/exploitation de la Fémis.Depuis 2005, il est coordinateur du dis-positif Lycéens et apprentis au cinéma enrégion Centre.

CONCEPTION GRAPHIQUEThierry Célestine