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Été 2009 l’Etrange Histoire De BENJAMIN BUTTON Hors Série Revue de cinéma intéractive

Acmé Hors Série "L'Etrange Histoire de Benjamin Button"

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Hors Série de la revue Acmé consacré au film de David Fincher "L'Etrange histoire de Benjamin Button"

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Page 1: Acmé Hors Série "L'Etrange Histoire de Benjamin Button"

été 2009

l’Etrange Histoire DeBENJAMIN BUTTON

Hors Série

Revue de cinéma intéractive

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Revue de cinéma interactive

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Acmeété 2009 - Hors Série

Rédacteur en chef du Hors Série : Vincent Baticle([email protected])

Secrétaire de rédaction :Anaïs Kompf

Rédacteurs : Pierre Bas,Vincent Baticle, Ornella Lantier-Delmastro,Anouchka Walewyk.

Maquette revue numérique : Pascale Dufour

Webmestre et graphisme du site : Vincent Baticle

Directeur de la publication : Danilo Zecevic([email protected])

Remerciements : Pierre Berthomieu, Pier Paolo Crobeddu, Jessy Gaudin, Florian de Gesincourt, Hervé Joubert-Laurencin, Ana Otasevic, Alexandre Roy, Hélène Thoron, Vojislav Zecevic.

Rédaction et Edition :Association Acme4, rue Pierre Midrin92310 SèvresMail : [email protected]

L’iconographie est issue de photos d’exploitations ou de capture de DVD édités par Warner Home Video. Tous droits réservés.© Les auteurs, Acmé, 2009. Tous droits réservés pour tous pays. Toute reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon. Les textes n’engagent que leurs auteurs.

l’Etrange Histoire DeBENJAMIN BUTTON

En attendant la prochaine sortie du numéro 3 d’Acmé et à l’occasion de la sortie en dvd de l’Etrange histoire de Benjamin Button, nous vous proposons un dossier spécial consacré au film de David Fincher. Quatre études complémentaires (les fidèles lecteurs d’Acmé y reconnaîtront les habituelles chroniques consacrées à l’analyse filmique, l’adaptation littéraire et la musique) destinées à accompagner votre découverte, ou votre redécouverte, de l’un des film-évènements de 2008. Quatre textes qui construisent une analyse progressive et raisonnée. Mais, à l’instar du héros du film, libre à vous de commencer par la fin…

p.4 Il était une fois... mais ne sera plus jamais

p.8 Avec le temps... ou de l’usage du fond enchaîné

p.12 Quand la miniature devient fresque...

p.16 Symphonie d’un temps à rebours

SommAIRe

SommAIRe

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Passionné par les effets spéciaux, David Fincher débute sa carrière cinématographique au sein d’Industrial Light & Magic, où il travaille sur les effets visuels

du Retour du Jedi et d’Indiana Jones et le temple maudit. Réalisateur de clips musicaux et de publicités (deux activités qu’il exerce toujours), il se voit confier, après Ridley Scott et James Cameron, le troisième volet de la saga Alien. Il réalise ensuite Seven, The Game, puis se révèle véritablement aux yeux du grand public avec Fight club. Suivent Panic room et Zodiac. Adaptation d’une courte nouvelle de Francis Scott Fitzgerald, L’Etrange histoire de Benjamin Button se livre telle une fable merveilleuse et est a priori relativement éloigné de la violence et la noirceur des précédents projets de Fincher. Mais les apparences sont souvent trompeuses…

Il était une fois… mais ne sera plus jamais

VIncent BAtIcLe

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Un merveilleUx conte à reboUrs

The Game et Fight Club proposent des histoires proprement extra-ordinaires mais leur donnent in fine une explication rationnelle, s’intéressant dans le même temps aux pouvoirs de l’artifice cinématographique. Ainsi, en révélant que la machination qui s’abat sur le héros n’est en fait qu’une gigantesque mise en scène live, The Game renvoie à son spectateur la puissance de conviction des effets spéciaux (qui se trouvent être diégétisés). Magie du cinéma, cette lecture - particulièrement évidente à la faveur d’une seconde vision informée - n’empêche pourtant pas de céder sous le poids de la fiction.L’Etrange histoire de Benjamin Button ne vise pas à la logique et n’expliquera jamais les raisons du rajeunissement du héros. Au mieux est-il, lui aussi, associé aux forces du cinéma. Lié au fonctionnement à rebours de l’horloge de Mr. Gâteau (dont les engrenages peuvent évoquer le mécanisme du projecteur – on le sait depuis Les Temps modernes), le défilement en arrière de la vie de Benjamin est tel cet effet de projection inversée qu’utilise Fincher pour faire renaître les soldats morts au combat. Par ailleurs, de même que Benjamin meurt nouveau-né, la naissance de l’image cinématographique correspond avec la mort de l’événement réel. C’est d’ailleurs la mort annoncée de Daisy qui constitue la condition d’existence du film.

L’Etrange histoire de Benjamin Button est tout particulièrement proche de Forrest Gump1, premier très grand succès du scénariste Eric Roth. Les deux films partagent un éloge de la différence. Un individu aux caractéristiques physiques extra-ordinaires (Forrest possède un quotient intellectuel très faible mais est terriblement

rapide) évolue au contact de personnages qui, d’un film à l’autre, se répondent : mère protectrice au bon sens inébranlable («Le destin réserve bien des surprises » / « La vie c’est comme une boîte de chocolat, on ne sait jamais sur quoi on va tomber »), mentor aux mœurs particulières (Capitaine Mike/Lieutenant Dan) et amour d’enfance inaccessible que le héros retrouve au crépuscule de sa vie (Daisy/Jenny). La fin du film, qui fait réapparaître chacun des êtres humains ayant compté pour Benjamin, insiste sur le moteur essentiel et irremplaçable que représente la rencontre de l’autre. Ainsi, comme chez Zemeckis, les incroyables trucages visuels, loin de n’être que le vain affichage d’une parfaite maîtrise technique, servent avant tout le récit et l’évolution des personnages.

1. Voir le dossier consacré à Robert Zemeckis dans le premier numéro d’Acmé

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l’horrible fUite en avantdU temps

Forrest Gump participe, sans toutefois en être pleinement conscient, aux plus importants évènements de l’histoire américaine de la seconde moitié du vingtième siècle. Ici, les personnages ne sont guère partie prenante des mutations de la société. Seule Daisy, en évoquant les innovations de la danse moderne, semble attester de l’évolution des temps. Benjamin parcourt un monde quasi intemporel fait de représentations stéréotypées, d’images carte-postales aux tons sépias, à la lumière douce et aux couleurs désaturées. Le film décrit des morceaux de vie humaine et non des moments d’Histoire.

Ainsi la seconde guerre mondiale, vécue sur un chalutier au large des côtes soviétiques, est-elle découverte de manière détournée, personnelle et poétique. Mais, sous l’universalité de l’histoire se cache le terrible constat de l’inadéquation entre l’humain et le monde dans lequel il vit.L’Etrange histoire de Benjamin Button se révèle alors très proche du pessimisme des précédents films de David Fincher. Leur style urbain et froid accompagne en effet une vive critique de la société contemporaine, vision désabusée qui trouve son point culminant dans le nihilisme technologique de Fight club. Bien qu’amorçant un premier virage visuel, Zodiac suit un journaliste sur la piste d’un tueur en série et ne soulève guère plus d’espoir. La fable de son dernier film

ne sait alors cacher sous ses aspects merveilleux la profonde noirceur de son cinéma - noirceur qui touche d’ailleurs ici l’image elle-même, notamment partagée entre teintes bleutées et scènes nocturnes.

Par trois fois, le film est ponctué par l’apparition de l’horloge de Mr. Gateau. Le premier récit-dans-le-récit concerne son inauguration et le fol espoir de son concepteur de voir un jour

Sous la fable merveilleuse, la profonde noirceur du

cinéma de Fincher

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le temps inverser son cours et son fils mort à la guerre revenir à la vie. Peu avant sa mort, Daisy évoque son remplacement (qu’elle associe avec le décès de Benjamin) par une horloge numérique à défilement ordinaire. La technologique moderne fait son apparition. Un austère bloc électronique relègue au rang d’antiquité la mécanique de précision et le splendide ornement du travail de l’horloger. Le nouveau dispositif égrène un temps subi auquel il n’est plus question de tenter d’échapper. Le film fini, il reprend sa fuite en avant désespérée.Le dernier plan du film montre l’horloge de Mr. Gateau entreposée dans un obscur sous-sol et recouverte par les flots. Noyée dans la plus totale indifférence, tout comme le fut le peuple noir de la Nouvelle-Orléans (une société d’exclus, à l’image de ceux qui recueillent et élèvent Benjamin) abandonné à son sort après le passage de l’ouragan Katrina. En 1918, le Teddy Roosevelt du film assistait à l’inauguration de l’horloge magique. En 2005, George Bush ne se déplacera que tardivement sur les lieux de la catastrophe, contraint d’y reconnaître sa calamiteuse gestion. Le rêve de Mr. Gateau n’est plus qu’un souvenir dans la mémoire d’une mourante.

L’ETRANGE HISTOIRE DE BENJAMIN BUTTON

Date(s) de Sortie(s) : USA : 2 mai 2008 / France : 30 avril 2008

Réalisé par : David Fincher

Avec : Brad Pitt, Cate Blanchett, Julia Ormond, Taraji P. Henson,

Jason Flemyng, …

Distributeur : Paramount / Warner Bros.

Pays : USA

Durée : 2h46

Titre original : The Curious Case of Benjamin Button

Scénario : Eric Roth, d’après une nouvelle de Francis Scott

Fitzgerald

Photographie : Claudio Miranda

Montage : Kirk Baxter, Angus Wall

Musique : Alexandre Desplat

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L ’Etrange histoire de Benjamin Button s’ouvre (de façon littérale puisqu’il s’agit d’un fondu) sur l’image d’une vieille femme mourante allongée

sur un lit d’hôpital. Avant tout dialogue, la bande son est envahie par le bruit d’un respirateur artificiel et la voix d’un présentateur télé annonçant l’ouragan Katrina. Les pulsations de l’appareil nous rappellent que le temps nous est compté. Daisy agonise. Elle ne va survivre que le temps d’un récit. Le temps de présenter un père disparu à sa fille Caroline. « J’ai de plus en plus de mal à garder les yeux ouverts » avoue-t-elle. Mais fermer les yeux, c’est justement se souvenir, faire abstraction du présent et revivre le passé.

il noUs reste des soUvenirs

Il faut pour déclencher l’histoire du héros que Caroline aille chercher sur les ordres de sa mère le « testament » de Benjamin. Testament que la vieille femme a apporté avec elle mais qu’elle n’arrive pas à lire. Caroline sera alors les yeux et la voix de sa mère. Le récit trouve ensuite un nouveau narrateur dans un fondu enchaîné aussi bien visuel que sonore. La voix de Caroline fait place à celle de Benjamin. Deux images et

Avec le temps… ou de l’usage du fondu enchaîné

PIeRRe BAS

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deux voix sont simultanément présentes à l’écran : celles d’une femme et d’un père que celle-ci n’a jamais connu. Le spectateur est ensuite entraîné vers un autre espace. Mais d’où proviennent ces images ? Images objectives capturées à une époque où le cinéma était encore muet ? Images mentales de Caroline, Daisy ou Benjamin ? Aucun de ces personnages n’était pourtant un être conscient en 1918. Souvenir et imaginaire ont tous deux la particularité d’être une construction cinématographique de la pensée. Se souvenir, c’est monter un film dans la cabine très privée de notre esprit. Un film que l’on ne pourra jamais partager avec d’autres spectateurs. L’invention de la projection cinématographique est une démocratisation des souvenirs, rendus « objectifs » et « collectifs ». Ce sont ainsi les souvenirs de Benjamin et Daisy qui constituent le tissu même du film de David Fincher. A la superposition de deux voix va succéder la superposition de deux mémoires. Deux trajectoires opposées : Benjamin qui rajeunit à mesure que le temps passe et Daisy qui vieillit comme tout un chacun. Il y aura, c’est inévitable, un moment où ces trajectoires se superposent. Une image s’estompe là où l’autre débute. C’est l’art du fondu !

Le fondu enchaîné n’est pas uniquement une figure de style qu’utilise Fincher. Il est un schéma qui se répète tout au long du film : un homme meurt, un enfant naît. « Le Seigneur donne la vie, il la prend aussi. » La mère de Benjamin meurt à sa naissance. Le pasteur meurt lorsque Benjamin arrive enfin à marcher. Dans la maison de retraite qui a recueilli Benjamin au début de sa vie, un pensionnaire meurt, un autre arrive. Ce qui intéresse le cinéaste, c’est l’instant où le vieillard et l’enfant sont tous

les deux vivants (on pense alors à L’heure du loup, celle des morts et des naissances). « Personne ne sait s’il vaut mieux rester ou partir. […] Mon père a attendu quatre heures l’arrivée de mon frère. Il ne pouvait pas mourir sans l’avoir vu », confiera ainsi une infirmière à Caroline. La petite enfance des héros n’est pas montrée. Daisy apparaît en 1930 alors que Benjamin a douze ans. Le film parle alors d’une

romance entre un vieillard et une fillette ! Pour eux, rien de plus naturel, mais Mme Fuller, la grand-mère de Daisy voit l’affaire d’un autre œil1 ! Les deux personnages sont surpris à minuit : l’heure du passage du jour au lendemain, moment symbolique

1.Lorsque dix ans après, Daisy s’offre à Benjamin, elle ne cesse de lui répéter : « Je suis grande maintenant ».

Une rencontre aussi brève que celle de deux images

lors d’un fondu

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pour un fondu entre crépuscule et aurore. Le plan où Daisy, douze ans à peine, touche le visage de Benjamin vieillard renvoie d’ailleurs à celui où, grand-mère, elle porte Benjamin nouveau-né. Le premier souvenir de Daisy (alors interprétée pour la première fois par une Kate Blanchett non grimée2), celui de son embauche comme danseuse, n’inclut pas Benjamin. Leur romance connaîtra trois faux départs et devra se terminer précocement à cause de la naissance de Caroline. Finalement, leur rencontre est aussi brève que celle de deux images lors d’un fondu.

la vie de benjamin ne dUre qUe deUx heUres qUarante cinq

Le fondu enchaîné a une autre utilité : comprimer le temps. Ainsi toute une vie peut tenir en un (très) long métrage. Il en est fait cet usage caractéristique lors d’une séquence en Russie, où Benjamin passe pour la première fois une nuit avec Elisabeth Abbott. N’arrivant pas à dormir, il descend dans l’entrée de l’hôtel et découvre sa future partenaire. On assiste alors aux préliminaires de leur conversation dans leur durée réelle. Benjamin propose un thé à Elisabeth. En omettant de le faire infuser, il trahit sa précocité, son envie de vieillard/adolescent que tout aille vite. Elisabeth va faire son éducation. Si elle a physiquement l’air plus jeune, elle possède en revanche beaucoup plus d’expérience que Benjamin. Puis tout à coup le rythme s’accélère. On passe de la coupe aux

fondus enchaînés. Sept fondus enchaînés en l’espace d’une trentaine de secondes. C’est l’art de l’ellipse. Au cinéma, une nuit peut durer trente secondes. Cette séquence annonce par ailleurs le dîner de retrouvailles entre Benjamin et Daisy, traité de manière similaire. Le fondu suivant a une autre utilité. Il entraîne le spectateur sur le remorqueur Chelsea qui tangue. L’image, qui évoque le bercement de la nuit, n’a aucune légitimité narrative. Elle est gratuite, poétique. Mais l’effet de montage permet de la lier avec le reste du film. Un nouveau fondu ouvre sur le soir suivant et permet d’évoquer la répétition. Un autre permet une divagation vers la réception de l’hôtel où est disposé le courrier. Les quatre fondus enchaînés qui suivent permettent de s’attacher à des détails : une sonnette, une souris, un radiateur,

2.On peut vieillir les acteurs mais rarement les rajeunir (c’est uniquement le cas de Brad Pitt adolescent). Les enfants sont donc joué par d’autres acteurs.

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un rideau. Si ces plans se succédaient en cut, le spectateur n’y verrait qu’une banale succession de détails. En se superposant de manière fluide, ils constituent un véritable tableau. De la même manière se trouvent liées quatre personnes chères à Benjamin (le Pigmée, Queenie, son conjoint et Daisy) en train de dormir. Ces trois plans n’en font qu’un, un plan-séquence qui représente la musique de la nuit. Par la suite, David Fincher lie deux séquences par un nouvel effet de fondu. Son emploi n’est plus circonscrit à un même espace. Il lie l’Amérique et la Russie, la déception amoureuse de Daisy et la naissance du couple Benjamin-Elisabeth. L’élément narratif qui lie ces deux séquences est une carte postale que Benjamin envoie à Daisy pour lui apprendre qu’il est tombé amoureux. Soixante ans après, la missive a traversé le temps et Caroline peut la lire à sa mère. A nouveau les temporalités se rejoignent.

Un fondu enchaîné peut représenter une vanité, au sens pictural du terme. Ainsi cohabitent deux plans : Thomas Button en train de mourir et une poignée de boutons renversés sur une

table blanche. De la superposition de ces deux images en naît une troisième : « une vie humaine est quelque chose de bien dérisoire ! ». Alors, que reste-il au final ? Certains disent que le temps détruit tout. Elisabeth tempère cette affirmation : « ça ne se rattrape pas le temps perdu. » A la fin du film, il reste un morceau de musique. Benjamin ne se rappelle pas du nom de la femme qui le lui a appris. De toute façon, il est mort. Fondu au noir.

A VOIR...

Editeur: Warner Bros. France

Langue : Anglais, Français

Sous-titrage : Anglais, Français

Image et son : Couleur/Dolby Digital 5.1

Sortie DVD et Blu Ray France : 5 Août

2009. Disponible en édition collector

2-DVD

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Surprise et plaisir. L’Etrange histoire de Benjamin Button est une œuvre qui tout en réinventant complètement son modèle littéraire incite à le

redécouvrir. Le cinéma a souvent pour habitude de condenser en deux heures des romans riches et denses. C’est précisément l’inverse qui se produit ici. Le texte est sublimé et amplifié, autant du point de vue de l’histoire et des personnages que de la tonalité et des thèmes esquissés. Au regard de la nouvelle, sans vouloir vous offenser Mr. Fitzgerald, l’adaptation de L’Etrange histoire de Benjamin Button est sans aucun doute l’une des plus audacieuses de l’histoire du Septième Art. Le cynisme devient lyrisme, le cas individuel devient universel, la vie et la mort se conjuguent au plus-que-parfait. Rarement le bigger than life hollywoodien ne prit autant son sens.

Quand la miniaturedevient fresque…

AnoucHkA WALeWYk

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hollywood & cie

Le texte de Francis Scott Fitzgerald apparaît comme l’ébauche du film de David Fincher. On pourrait presque parler de synopsis si les différences entre la nouvelle et le scénario d’Eric Roth n’étaient pas aussi riches et nombreuses. La longue genèse du film débute en 1987 lorsque Universal achète les droits de la nouvelle extraite du recueil Les Enfants du jazz (Tales of the Jazz Age) paru en 1922. Jusqu’en 1999, la scénariste Robin Swicord écrira sept versions avant que le projet ne soit remis entre les mains d’Eric Roth en 2001. Steven Spielberg, Ron Howard, Spike Jonze vont tour à tour abandonner le projet, considéré par beaucoup comme irréalisable, avant que David Fincher, cinéaste des plus inattendus pour ce sujet, n’en reprenne les rênes. Eric Roth va abandonner de nombreux partis pris des premières versions, plus fidèles au récit de Fitzgerald et à la fameuse « ère du jazz » caractéristique de l’univers de l’auteur. L’histoire va changer d’époque et de lieu. Du XIXème on passe au XXème siècle, de Baltimore on se déplace vers la Nouvelle-Orléans. On peut d’ailleurs se demander pourquoi les auteurs ont choisi de conserver la référence puisqu’ils ne conservent in fine que le nom du héros et la trame narrative principale. Fitzgerald serait-il vraiment

le seul écrivain à avoir décrit le processus d’une existence à rebours ? Il semblerait que oui. Si les fantasmes d’un retour à l’innocence juvénile et les similitudes entre l’enfance et la sénilité sont loin d’être l’apanage de Fitzgerald et Fincher (on pense bien sûr à Faust, au Portrait de Dorian Gray), ils sont pourtant les seuls à avoir appliqué cette fantaisie surnaturelle à la lettre, et à l’écran.

Fitzgerald et le cinéma ont rarement fait bon ménage. Une véritable attraction-répulsion lie l’auteur à l’industrie cinématographique hollywoodienne. Il lui dédie pourtant son ultime roman inachevé, Le Dernier Nabab. L’expérience de l’écrivain comme scénariste à Hollywood fut aussi douloureuse que celle, plus célèbre, de William Faulkner (dont les frères Coen se sont notamment inspirés pour Barton Fink). Si

Fitzgerald participa à des projets d’envergure comme Autant en emporte le vent ou Women, son nom ne sera presque jamais mentionné au générique, à l’exception des Trois camarades de Borzage, d’après Erich Maria Remarque. L’industrie cinématographique semble finalement l’intéresser davantage pour le faste et le luxe qu’elle incarne. Le biopic d’Henry King1 de 1959, Un Matin comme les autres, inspiré des dernières années de Fitzgerald, avec Gregory Peck et Deborah Kerr, est très explicite à cet égard. De même, les tentatives d’adapter les œuvres de Fitzgerald au cinéma ont rarement été des réussites tant l’œuvre romanesque de celui-ci est subjective et introspective. Les deux adaptations les plus connus, Gatsby le magnifique, scénarisé par Coppola et mis en scène par Jack Clayton en 1974, et Le Dernier Nabab d’Elia Kazan (1976), souffrent toutes deux, malgré des qualités cinématographiques certaines, de cette impossibilité de rendre visuel le contenu sous-jacent des romans, la tragédie de l’individu enfouie sous les paillettes et le glamour, celui de la high society des années folles ou celui d’Hollywood.En choisissant une nouvelle avant tout visuelle qui repose es-sentiellement sur l’aspect physique d’un individu, le film de

1. Fidèle à l’auteur, le cinéaste adaptera Tendre est la nuit trois ans plus tard, avec Jennifer Jones.

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Fincher apparaît à ce jour comme l’adaptation la plus abou-tie d’une œuvre de Fitzgerald. Le perfectionnisme de la mise en scène et des effets spéciaux est d’ailleurs principalement orienté vers les personnages. Le soin qui leur est accordé assu-re au film sa vraisemblance (Brad Pitt et Cate Blanchett jouant le même personnage de l’adolescence à la mort) et le cinéaste peut ainsi se permettre une stylisation des décors et un certain onirisme dans le traitement visuel des situations. Les nouvelles fantastiques de Fitzgerald (Un Diamant gros comme le Ritz pourrait également faire l’objet d’une belle adaptation) se prê-tent finalement davantage à un traitement cinématographique que ses romans, plus psychologiques et introspectifs.

bUtton & cie

« J’ai «voulu savoir pourquoi F. Scott Fitzgerald l’avait écrite. Je n’avais pas envie de salir sa mémoire. J’ai même vérifié auprès de personnes qui sont spécialistes de Fitzgerald. Tout ce qu’elles m’ont dit, c’est que c’était une toquade […] un petit caprice. […] A part ça, je ne trouvais pas le récit intéressant, […] le ton ne collait pas à l’histoire. »2 , explique Eric Roth. C’est effectivement le changement de ton qui, au-delà des modifications narratives, surprend le plus. La trame de fond reste quant à elle inchangée. Les principaux âges de la vie de Benjamin décrits dans la nouvelle sont respectés (la naissance, l’enfance, le premier amour, l’âge adulte, la vieillesse et finalement la mort du vieillard-bébé). De même, on retrouve la voix-je du texte dans le film, à la différence qu’il ne s’agit plus de l’auteur prenant à partie son lecteur (« Je vais vous dire ce qu’il s’est passé et vous laisserai seuls juges » annonce-t-il au

début) mais des personnages, Benjamin et Daisy qui racontent l’histoire au spectateur. A la haute société huppée de Baltimore, le film préfère un hospice modeste de la Nouvelle-Orléans ; à l’éducation stricte et préoccupée du qu’en-dira-t-on des parents de Benjamin, il choisit l’abandon inaugural du « bébé » recueilli par une femme aimante ; à l’entreprise paternelle Roger Button & Cie, grossiste en quincaillerie, le scénario opte pour un jeu de mots mis en abyme dès l’apparition du logo Warner sur lequel déferle des boutons. Le sujet n’est donc plus de savoir comment le héros va parvenir à s’intégrer dans la société et à se faire accepter des autres, préoccupation principale de la nouvelle. Elle est au contraire éludée d’emblée par le film, comme en témoigne la scène où l’enfant est présenté aux hôtes de la maison tenue par Queenie : « Dieu du ciel ! On dirait le portrait de feu mon mari » s’exclame une vieille dame sans se préoccuper outre mesure de la condition extraordinaire de l’enfant. Benjamin sera adopté et aimé de façon inconditionnelle tout au long du film alors qu’il était chez Fitzgerald une créature monstrueuse et rejetée par son entourage.

En abandonnant l’« âge du jazz », le film ne cède pas à la caricature d’une époque fastueuse. Benjamin devient une figure universelle sans commune mesure avec l’individu relativement frivole, vénal et finalement peu aimable de la nouvelle. Chez Fitzgerald, le ton est acerbe, cynique, parfois grotesque. Le bébé d’un mètre soixante-dix parle dès la naissance et on lui fait porter un déguisement ridicule. Le scénario d’Eric Roth et la mise en scène de Fincher vont véritablement créer un conte

L’adaptation la plus aboutie d’une œuvre de Fitzgerald

2. The Curious Birth of Benjamin Button, interview extrait du DVD zone 1, The Criterion Collection, 2009.

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de fées, tout en conservant la tonalité grave de la nouvelle. S’il n’est pas explicitement question de mort - si ce n’est celle de Benjamin et de son père - dans le livre, le film lui donne une place primordiale. Le propos est paradoxalement édulcoré, comme en témoignent notamment la relation de Benjamin avec sa fille (un garçon, Roscoe, dans la nouvelle) et surtout avec sa femme Hildegarde, devenant Daisy dans le film. Le choix du prénom de celle-ci est suggestif : en empruntant le prénom de la femme adorée dans Gatsby le magnifique, Fincher reste fidèle à l’œuvre de Fitzgerald dans son ensemble. Le traitement réservé au personnage de Cate Blanchett la sublime de bout en bout et rappelle d’ailleurs celui de Mia Farrow dans le film de Jack Clayton. Dans la nouvelle, Hildegarde est au contraire rejetée par Benjamin dès l’apparition de ses premières rides et n’a en réalité qu’un statut de personnage secondaire. Elle est objet de mépris, voire de dégoût, tandis que dans le film Daisy conserve une aura fascinante. Même âgée et malade, celle-ci reste la trace vivante du secret magnifique.Les principaux ajouts du film restent finalement relativement proches du pessimisme sous-jacent de la nouvelle (on pense notamment à la très belle séquence qui précède l’accident de

Daisy) et de la tragédie muette insufflée par Fitzgerald dans les dernières lignes : « Puis tout devint noir, et son berceau blanc, comme les visages troubles qui s’agitaient au-dessus de lui, et le goût du lait chaud et sucré, disparurent à jamais de son esprit. »

A LIRE...

Editeur : Editions Gallimard

Collection : Folio 2

Langue : Français

103 pages

Sortie le 11 le septembre 2008

ISBN-13: 978-2070356393

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Entre conte merveilleux et drame intimiste, la bande originale d’Alexandre Desplat illustre bien l’entre-deux dans lequel se déroule L’Etrange histoire de

Benjamin Button. Un univers qui n’est pas nouveau pour le compositeur puisque ses autres partitions possèdent déjà cette atmosphère aérienne, enchanteresse et minimaliste. Son écriture s’avère être en parfaite adéquation avec l’univers proposé. Faisant tantôt appel à l’imaginaire enfantin grâce aux sonorités cristallines de la harpe, du piano, du vibraphone et du célesta et tantôt développant des motifs mélodieux caractérisant les personnages du film, sa musique cerne indéniablement les enjeux du film.

la mUsiqUe dU temps

Alexandre Desplat compte à l’heure actuelle plus d’une soixantaine de compositions à son actif. Après des débuts en France, où il travaille notamment avec Audiard et Guédiguian, il rejoint Hollywood et écrit notamment les partitions de Syriana, The Queen, Chéri ou encore La Croisée des mondes. De son expérience française - où la musique est trop souvent considérée comme un contre-point de l’image - il conserve une certaine retenue. Son travail apporte alors un souffle nouveau aux musiques originales de film hollywoodiennes, habituellement amples et symphoniques.

oRneLLA LAntIeR-DeLmAStRo

Symphonie d’un temps à rebours

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Sa rencontre avec David Fincher s’avère être l’une des plus intéressantes. Sa composition pour L’Etrange histoire de Benjamin Button est un discours à part entière. Mais la musique originale d’un film à ceci de particulier qu’elle est composée pour accompagner des images. Le choix du compositeur n’est donc pas aléatoire, bien au contraire. Celui que fait Desplat d’utiliser une musique minimaliste prend tout son sens au regard de l’histoire. Puisque le temps en est le point central, la musique se développe également autour de cette question. La musique minimaliste en général est elle-même un questionnement sur le temps. Ayant vu le jour dans les années soixante aux Etats-Unis, on la nomme musique répétitive en France. Elle se déroule en effet autour de motifs composés de quelques notes qui se trouvent déclinés - et surtout répétés -

tout au long de l’œuvre. Une des caractéristiques de l’emploi du style minimaliste au cinéma est d’être indépendant de l’image. En cela, les points de synchronisation se font rares, contrairement par exemple aux amples compositions de John Williams (pour ne citer que lui). Cette musique bien que discrète, implique le spectateur qui fait le lien entre ce qu’il entend et ce qu’il voit. La correspondance n’est pas directe. La musique minimaliste se développe autour d’elle-même. Ainsi peut-elle prendre un aspect cyclique, héritage de la musique indonésienne qui lui confère un caractère répétitif, que l’on retrouve chez Alexandre Desplat ou Philip Glass1. De la musique sérielle - qu’elle remet également en cause - elle conserve le caractère systématique, presque mathématique. En ce sens la musique minimaliste est cérébrale. Là est le bémol que l’on pourrait noter : la partition d’Alexandre Desplat

manque d’émotion, elle reste trop en surface, ce qui ne fait que renforcer l’esthétique du film, lisse, froide et plastique. Ce style va d’ailleurs à l’encontre de l’une des leçons du film : « L’important n’est pas de bien jouer, mais de jouer avec son cœur. »La musique devient une façon alternative de raconter l’histoire et non seulement un simple contrepoint de l’image. Ainsi Desplat a-t-il composé le thème de Benjamin de façon symétrique. Celui-ci se joue à la fois dans un sens et dans l’autre. La première partie de l’arpège se développe dans un mode majeur et la seconde en mineur. Autrement dit, ce changement de modalité confère au thème une symétrie qui n’est pas parfaite. L’arpège ainsi composé permet de figurer la vie de Benjamin Button, son ascension et son déclin, ainsi que l’enjeu de transversalité qui parcourt le film.

la mécaniqUe dU temps

Entre l’enfance et la mort s’interpose l’amour. Entre l’éphémère et la fin s’invente l’éternité. Idées que la composition exprime sans retenue. Mais c’est pourtant dans la retenue que toute l’œuvre musicale trouve son équilibre. Aucun épanchement, aucun effet sonore surexposé. L’orchestre devient un atome intime, celui de la musique de chambre. Le vibrato si volontiers employé par les instruments à cordes est banni. Le son brillant des cuivres est atténué par les sourdines. Plutôt que d’utiliser l’orchestre comme une masse sonore potentielle, Alexandre

1. Philip Glass est l’un des pères fondateurs de la musique minimaliste, ainsi qu’un grand compositeur de musique de film (Mishima, Kundun, The Truman Show, The Hours, Le Rêve de Cassandre…)

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Desplat préfère le dialogue timide entre des instruments solistes qui s’extraient de la nappe sonore. On peut relever à cet égard le face-à-face particulièrement représentatif dans Meeting again entre le piano et le saxophone qui s’échange un motif.Le compositeur semble avoir une certaine prédilection pour quelques instruments que l’on retrouve dans beaucoup de ses compositions. Le célesta en particulier, fréquemment utilisé dans les compositions de Ravel (Ma Mère L’Oye), Tchaïkovski (Casse-Noisette) ou Saint-Saëns (L’Aquarium dans Le Carnaval des animaux) n’est pas sans rappeler la sonorité des boîtes à musique de notre enfance : un son mécanique, dépourvu d’harmoniques à la pureté d’un souvenir inégalable. La musique d’Alexandre Desplat se développe sur cette idée, c’est une musique en surface, rythmée, éthérée et mécanique. Elle prend ainsi des allures de ritournelle et parfois même de berceuse. La partition du piano - notamment le thème Benjamin and Daisy - fait directement écho aux Gymnopédies d’Erik Satie (tant dans le rythme syncopé que dans la tonalité du morceau).Tout est question de temps et d’espace. Que devient une note lâchée dans l’espace ? Comme toute chose, elle finit par mourir… mais elle persiste dans le souvenir. Il s’agit également du destin des personnages de L’Etrange histoire de Benjamin Button. Le temps est inexorablement le nœud central du film comme il est celui de la musique. Au cœur des thèmes développés persiste inlassablement sa pulsation qui, tel un métronome, rythme la partition et l’amène toujours au plus près de sa fin. Fil rouge du conte, l’écoulement du temps, est symbolisé par l’horloge de Mr. Gâteau. À son installation à la gare, le silence offre au temps la possibilité de se faire entendre, d’être palpable pour une seconde. Le tic-tac de l’horloge à rebours résonne dans la gare

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puis la musique prend le relais. Ce sont les pizzicati des cordes qui signifient la régularité d’un temps qui avance, même si Mr. Gâteau voulait que chaque seconde nous rapproche toujours plus de notre passé. Seul Benjamin Button voit la vie à l’envers, de la vieillesse à l’enfance. Et pourtant, lui aussi est amené à craindre le temps, non pas pour les rides qu’il impose au visage mais bien pour sa fin, qui comme tout un chacun, est sa mort. Présence éternelle du tic-tac de l’horloge que la musique assure tout au long du film. Le temps d’aimer et le temps de mourir s’affrontent : deux temps à contre-courant, à contre-temps et pourtant, deux temps aux pulsations égales et partagées.

A ECOUTER...

Concord Records

CRE-31231-02

Format : CD

Sortie Etats-Unis : 16.12.2008

Sortie France : 26.01.2009

UPN : 8-8807-23123-1-9

La musique devient une façon alternative de raconter l’histoire

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