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secrets de la mémoire paysanne M arie- P aule N ègre P ierre G uicheney À la Folie

À LA FOLIE

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Secrets de la mémoire paysanne, texte et photographies.

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Nuit de veillée au lieu-dit la Folie, un repli moussu du bocage

mayennais. Thérèse, Pierre, Henri et Denise, paysans, Hirsute,

insoumis hospitalier, Angèle et Maurice, guérisseurs, nous

entraînent dans l'intimité d'une campagne française qu'on

pourrait croire passéiste, alors qu'elle est tout simplement,

légitimement, soucieuse de son âme et de sa mémoire. Rituel

de la tuerie du cochon, chasse aux taupes, pêches miraculeuses,

choc de la dernière guerre (celle d'Algérie), secrets des guéris-

seurs, échanges généreux et goûteux de nourritures et d'his-

toires, souci de transmission brossent le portrait d'une France

paysanne où la pensée magique est encore pleinement agis-

sante... et passera le millénaire. Le regard intimiste de la grande

photographe Marie-Paule Nègre a épousé l'esprit profondément

original du travail d'auto-anthropologie mené depuis cinq ans

par Pierre Guicheney et ses compagnons de route dans son bocage

natal. Paroles et images expriment ici, en totale harmonie,

l'essentiel.

Texte Pierre GuicheneyPhotographies Marie-Paule Nègre

s e c re t s d e l a mémo i re p ay s anne

Mar ie-Pau le Nèg re

P ie r re Guicheney

À la Folie

ISBN 2-84231-135-3/130F/19,82€

Pier

reG

uich

eney

Mar

ie-P

aule

Nèg

reÀ

laF

oli

e Pierre GuicheneyParticipe dans les années soixante-dix et

quatre-vingt aux recherches théâtrales de

Jerzy Grotowski, membre du Collège de

France, personnalité phare du théâtre du XXe

siècle, qu'il accompagne en Pologne, aux

Indes et en Italie (Théâtre des Sources). Il tra-

vaille ensuite une dizaine d'années à Rome

pour le cinéma et la télévision. Il y publie son

premier roman, La Storia di Bilal (Sensibili

alle Foglie ed., Roma, 1992), inspiré par sa

rencontre avec une confrérie de musiciens

guérisseurs africains, les Gnawa. De passage

dans sa terre natale , la Mayenne, pour

quelques années, il écoute, filme, écrit et

continue de voyager à travers le monde pour

poursuivre la recherche commencée en

Pologne. Pierre Guicheney est l'auteur de On

se meurt apprenti, roman et photographies

(Terre de Brume, Rennes, 1997).

Marie-Paule NègrePrix Niepce 1995, membre de la Fondation

Leica, Marie-Paule Nègre travaille pour de

nombreux magazines et revues du monde

entier. Au cours des dix dernières années, elle

s’est affirmée comme l’une des (très) rares

artistes photographes françaises qui aient eu

la constance de mener des travaux de longue

haleine sur les réalités sociales ou humaines

les plus difficiles d’approche. Élégance et com-

plicité du regard, savants déséquilibres de

compositions sobres sont les constantes

d’une œuvre sensible, toujours proche des

êtres. Respectueuse.

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Pierre GuicheneyParticipe dans les années soixante-dix et qua-

tre-vingt aux recherches théâtrales de Jerzy

Grotowski, membre du Collège de France, per-

sonnalité phare du théâtre du XXe siècle, qu'il

accompagne en Pologne, aux Indes et en Ita-

lie (Théâtre des Sources). Il travaille ensuite

une dizaine d'années à Rome pour le cinéma

et la télévision. Il y publie son premier roman,

La Storia di Bilal (Sensibili alle Foglie ed.,

Roma, 1992), inspiré par sa rencontre avec

une confrérie de musiciens guérisseurs afri-

cains, les Gnawa. De passage dans sa terre na-

tale, la Mayenne, pour quelques années, il

écoute, filme, écrit et continue de voyager à

travers le monde pour poursuivre la recherche

commencée en Pologne. Pierre Guicheney est

l'auteur de On se meurt apprenti, roman et

photographies (Terre de Brume, Rennes, 1997).

Marie-Paule NègrePrix Niepce 1995, membre de la Fondation

Leica, Marie-Paule Nègre travaille pour de

nombreux magazines et revues du monde en-

tier. Au cours des dix dernières années, elle

s’est affirmée comme l’une des (très) rares ar-

tistes photographes françaises qui aient eu la

constance de mener des travaux de longue ha-

leine sur les réalités sociales ou humaines les

plus difficiles d’approche. Élégance et compli-

cité du regard, savants déséquilibres de com-

positions sobres sont les constantes d’une

œuvre sensible, toujours proche des êtres.

Respectueuse.

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22, rue du Jeu-de-Paume53000 LAVAL

18, rue des Carmélites44000 NANTES

© Siloë 2000ISBN 2-84231-135-3

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s e c re t s d e l a mémo i re p ay s anne

À la Folie

Mar ie-Pau le Nèg re

Pier re Guicheney

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C'est un héritage de nous tous les êtres humains.

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À la Folie, un soir de novembre, chez Hirsute. Nous nous sommesassemblés pour nous raconter des histoires. La plupart, nous les connais-sons déjà, elles parlent des ancêtres, de leurs fétiches, de leurs croyances,de leurs heurs et malheurs. Elles ont été rassemblées dans un livre,On semeurt apprenti, composé à partir des souvenirs des anciens des villages denotre canton, le pays de Loiron, aux marches de Bretagne, en Mayenne.Des extraits choisis et interprétés par mes sept compagnons et moi-même ont alimenté des soirées de veillées données à travers tout ledépartement durant les deux derniers hivers.Nous espérons tous, confusément, une autre histoire à vivre et à

raconter, nouvelle, qui batte aux rythmes de notre cœur et de notrecolonne vertébrale, à fleur de peau aussi, et dehors de nous. Une histoirequi charrie des mondes, celle d'une vie tellement ancienne et souterrainequ'elle glisse silencieusement d'une génération à l'autre et restera tou-jours présente... tant que durera la vie.

À la Folie,

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Présente, la guerre,cette éternelle, la dernière,celle d'Algérie.Henri,pay-san, nous parlera d'une photographie qu'il a conservée de son passage là-bas.Présente encore, déterminante même, la dernière guerre, dans la vie

de Pierre et de ses enfants. Pierre vient de prendre sa retraite d'agricul-teur. Pierre fait du yoga. Il milite à la Confédération paysanne.Présent, pour tous, le travail de la terre, le rituel de la tuerie de

cochon, l'apparent désenchantement du monde, l'élevage, la basse-cour ;pour quelques uns, la chasse, la lutte contre les nuisibles ou supposés tels.La chasseresse en chef est Thérèse. Ses armes : pièges et panse.Thérèse,cinquante-neuf ans, taupière...

Denise rêve. Depuis si longtemps. Elle rêve aux formules secrèteséchangées par les lignées de passeurs de maux, de conjureux, de tou-cheux qui cernent le mal avec leurs mains et leurs prières inaudibles.Encore plus haut, elle s'émerveille des pouvoirs de ceux qui se fontappeler maintenant magnétiseurs, les chamans venus tout droit de lavieille France païenne, les hommes qui ont « la main chaude ». Denisese murmure aujourd'hui qu'avec le temps libre laissé par sa retraite ellepeut enfin tenter de percer ces mystères. Avant, elle n'avait pas pu yréfléchir, trop prise qu'elle était par son ouvrage et la survie de la ferme.La preuve que sa réflexion avance, c'est que l'été dernier, elle s'est elle-même fait passer le feu.

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Hirsute, notre hôte, ressemble à ce que certaines tribus indiennesappelaient un « contraire », des types qui répondaient au revoir lors-qu'on leur disait bonjour, disaient oui pour non et non pour oui,mon-taient à cheval à l'envers ou s'habillaient comme des squaws, desgêneurs sacrés qu'on aurait dit destinés à asticoter les autres.Avant lui,son grand-père avait habité la Folie. L'année dernière, son père Josepha pêché dans l'étang un brochet de quinze livres et une anguille longued'un mètre cinquante. Joseph faisait du vélo avec mon père. Lesanguilles traversent le pré qui sépare la rivière de l'étang en rampantsur l'herbe mouillée.

Hirsute a refusé de faire son service militaire, ne mange que des pro-duits bios, ou presque, se baigne nu dans son étang, est contre les pincesà linge (à cause des marques qu'elles laissent sur les chemises), connaîttous les métiers du bâtiment ou peu s'en faut, a peu de goût pour le tra-vail salarié, écoute France Culture, lit Le Monde, pratique l'économied'échange, provoque des discussions énervées à propos de tout et den'importe quoi, milite à travers la France contre le tunnel du Somport,le T.G.V., pour la défense des forêts.À La Rochelle, il a réalisé son chef-d'œuvre de charpentier : un pon-

ton destiné à la pêche au carrelet qui avance sur quarante mètres dansl'Océan. Le pré où paissent son bœuf et sa jeune vache rousse jouxte

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le verger de Thérèse et de son mari Gilbert. Hirsute aime d'amourtoutes ses bêtes, sa minette en premier, qui le suit partout. Il brosse unefois par jour sa Limousine, lui caresse les pis pour qu'elle se prépare à latraite, regrette Zoé, sa chienne morte de vieillesse l'hiver dernier. Parfois,comme sur un coup de tête, il saigne, plume, puis cuisine un poulet :« T'es pris, t'es mort ! »Et puis, il y a Daniel. Enfants, nous étions rivaux. Et Laurence,

ouvrière.Alfred etYvette qui se sont connus il y a plus de cinquante ansà la fonderie de Port-Brillet,Angèle qui passe les infections et le feu, carelle n'a pas connu son père, Maurice, homme de secrets, les étangsqu'on vide tous les trois ou quatre ans pour des pêches miraculeuses,les pommes à cidre que plus grand monde ramasse, le calva dont on nesentira bientôt plus les effluves mêlés de café car le droit de bouillir nese transmet pas.Il y a l'étang et le petit arpent du Bon Dieu qui l'entoure, la Folie, le

Vicoin qui serpente, les pommiers centenaires. La première fois que j'ysuis venu, j'avais cinq ans, je crois. C'était au printemps. J'ai retrouvé laFolie à mon retour en Mayenne, il y a sept ans. Elle n'avait pas changé.La Folie, une anfractuosité moussue, secrète, du bocage. Lieu de cache

et lieu de passe : beaucoup de monde passe par là. Ceux qui viennentchez Thérèse pour acheter des œufs ou de la volaille, ou, plus rarement,pour commander des dents de taupes. Ceux qui rendent visite à Hirsute,lorsqu'on tue le cochon, qu'on débite son bœuf, qu'on fait le cidre ou,comme l'été dernier, les jeunes des villages alentour pour une nuit de rave.La Folie, un drôle de toponyme. Fouillis ? forge ? brousse feuillue et

sauvage ? caprice d'aristocrate ? maison de rendez-vous ? L'impertinenced'Hirsute a sa place en un lieu si gentiment nommé. La bonhomie de laThérèse aussi.C'est chez Hirsute que j'ai découvert ses talents de conteuse, une

après-midi de printemps, retour de son premier voyage hors du dépar-tement, un pèlerinage à Lourdes agrémenté d'une courte excursion enEspagne. Le voyage avait été offert par une dame à qui elle avait rendude grands services.Thérèse brûlait d'en faire le récit à un auditoire atten-tif et bientôt soumis à son humour irrésistible et au pouvoir de sa voixtonitruante. Elle a réveillé en moi le désir du théâtre et de la représen-tation, le désir d'échanges chauds. Grâce à elle, donc, est né le petitgroupe de conteurs rassemblé ce soir de novembre chez Hirsute. Nousnous connaissons bien. À la Folie.

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Hirsute dans le bois.

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Hirsute se baigne nu.

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La maison d’Hirsute.

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Thérèse fait des crêpes. Les premières, ratées, les galichons, sont pourelle. À notre menu, en sus, des beignets aux pommes préparés l'après-midi par Céline, une amie d'Hirsute, des galettes de sarrasin, une quichelorraine cuisinée par Yvette, deux tartes aux pommes respectivementsignées Denise et Annick, l'épouse d'Henri, du cidre doux d'Hirsute, duvin de Chinon offert par Titi, un autre ami d'Hirsute qui est vigneronlà-bas. Plus tard, on fera griller des châtaignes dans la cheminée. Ici ondit greler.Thérèse se fait prier pour commencer la première histoire, celle de la

naissance et des rites anciens entourant l'accouchement et l'apprentissa-ge de la marche.À la cinquante-troisième crêpe, elle se décide enfin.Elleest sans doute enfin satisfaite du degré de réchauffement des humeurs.

Thérèse

Solaire, Thérèse fait merveille.

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On apprend grâce à Thérèse qu'autrefois les délivrances de l'accou-chement, c'est-à-dire le placenta et le cordon ombilical, étaient enter-rées au pied d'un arbre par le père, comme en Afrique. Que les famillesdes bébés qui souffraient d'eczéma purulent, appelé ici rifle, les emme-naient dans la forêt de Mayenne à la chapelle de saint Riflard.Un « saint »qui n'a rien d'apostolique, ni de romain. Que pour les enfants quiavaient du mal à marcher, on faisait appel à un autre « saint » très local,saint Arrotin, ou qu'on les emmenait sur la tombe d'un bon curé, ou surles marches d'une petite chapelle. Bref, que « chaque village a sa méthode,pas trop raisonnable, faut l'admettre, mais ça soulageait bien ! » Çacontinue, d'ailleurs, à soulager certains...

Ce soir, nous nous faisons à nous-mêmes notre propre théâtre.Chacun en est à la fois ou tour à tour l'acteur et le spectateur. C'est libre :l'avantage, c'est que ça laisse la place aux surprises... qui ne manquerontpas de se produire. L'échange de boissons et de nourritures, fruits dulabeur ou des cueillettes de chacun, nous fait communiquer par la panseautant que par le cœur. Sa dernière tirade achevée, Thérèse se rassoitdevant le fourneau pour faire sauter, encore, d'autres crêpes. « Sucre ouconfiture ? ». Une pointe de calva dans la pâte l'agrémente d'un arômeléger de vieille pomme... mayennaise.La porte de la maison deThérèse est toujours ouverte, hiver comme

été, sauf gros temps. Elle aime le grand air. En 84, vingt ans au moinsaprès la généralisation de l'usage des moissonneuses-batteuses,Thérèse

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et Gilbert ont été parmi les derniers paysans de la Mayenne à battreleur blé dans la cour de leur ferme. Si Gilbert avait partagé son incli-nation, Thérèse aurait « bricolé » sa vie durant, ça veut dire braconner.De temps en temps, elle descend un voleur de cerises à la carabine,mais elle a surtout rabattu ses instincts de chasseresse vers le piégeagedes taupes, un métier qu'elle apprit, enfant, de son père. Pour lesbaiser (piéger), Thérèse refuse d'utiliser du poison : ça pourrait tuerd'autres bêtes.« Gamine, je me faisais des pratiques en dépouillant les taupes et en

préparant leurs peaux pour les manteaux et les chapeaux bon marchéqui se portaient à l'époque. Je me suis mariée avec les pratiques de mestaupes. J'avais pas de salaire, puisque je travaillais à la ferme pour aidermon père, rien que des petits sous.« Les taupes, ça pourrit vite, c'est de la saloperie. Elles sont bonnes à

ramasser dès le printemps ou en juillet, après les foins. La taupe, elle resteau sec l'hiver dans les talus ou dans les bois. C'est là qu'elle est le plusfacile à baiser. L'été, elle se met au frais dans de la terre un peu humide.Il faut des fois quinze jours de guet pour en prendre une. »Thérèse ne chasse pas les taupes seulement parce qu'elles sont nui-

sibles, elle reconnaît d'ailleurs que la taupe fait du bien à la terre en l'aé-rant. Pas seulement, non plus, pour le plaisir de la traque. Une pratiqueancienne veut que les dents de taupe fassent passer la douleur provoquéepar la poussée des dents de lait. Il faut attraper une bête, découper unfragment de sa mâchoire et le musser dans un petit sachet qu'onaccroche sur la chemisette de l'enfant. Ça marche.Tant que l'on ne perdpas le minuscule pocheton.Ce qui arriva il y a quelque temps à un gosse qui dormait enfin tran-

quille après une semaine de nuits agitées, pour lui et ses parents.Distraite, la maman avait passé chemisette et sachet à la machine à laver.Le sachet avait disparu et bébé était reparti à pleurer. Au lendemaind'une nouvelle nuit d'insomnie, le père appela Thérèse qui s'empressad'aller piéger une taupe et de confectionner un nouveau pocheton.Le soir même, bébé dormit comme un ange...Thérèse aurait sans doute pu, depuis longtemps, me parler de cette

activité un peu cachée, mais, dame ! comment ne pas passer pour unpaysan crédule, ce qu'elle n'est pas, quand on avoue de telles pratiques ?Les esprits forts, laïques ou obligatoires, ont tôt fait de se gausser. Elleavait donc préféré se taire, jusqu'à ce qu'elle se décide à me livrer l'his-toire, l'été dernier. Elle avait le même air gourmand que la première foisque nous nous étions rencontrés, il y a quatre ans, lorsqu'elle m'avaitsorti une à une les photographies anciennes qu'elle conservait au-dessusd'une armoire. Révélation et partage de secrets.

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La chasse aux taupes avec Maia et Gipsie.

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Mais comment a-t-elle appris l'existence de cette faculté attribuéeaux dents de taupes ? Quelqu'un lui en parlé un jour, mais elle est inca-pable de se souvenir qui précisément. Dubitative, elle a quand mêmeessayé la recette sur ses enfants, avec succès. Par la suite, neveux, nièceset petits-enfants ont profité des chasses de Thérèse quand le besoin s'enest fait sentir. Récemment, un magnifique bouquet de fleurs trônait surla table de cuisine du Clos-Ligeard. C'était l'expression de la gratituded'une Parisienne d'origine mayennaise à qui Thérèse avait fait don d'unpocheton pour son bébé. Les dents de sa terre voyagent plus queThérèse. La force de son amour pour les enfants aussi.

Le pocheton qui est parti à Paris.

Je me suis mariée avec les pratiques de mes taupes.

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Un jour, j'ai débarqué au Clos-Ligeard alors que Thérèse venait detuer un lapin gras. Les avant-bras maculés de sang séché, Thérèse adélaissé son ouvrage pour m'offrir le rituel café-calva.Maia et Gipsie, sesdeux chiennes, lapaient le sang encore chaud en compagnie de deuxpoules. Dès qu'elles voient Thérèse s'emparer de « l'assassin » (son canif),elles bondissent vers le pas de porte de la resserre contre lequel lapatronne tue. Elles savent qu'il va y avoir des friandises pour elles, sangou entrailles de lapin, canard, poulet, pigeon ou faisan. Gilbert possèdelui aussi un canif dont il ne se sépare jamais. Il a plus de lames que celuide Thérèse, mais ce n'est pas un assassin.Au Clos-Ligeard, comme danspresque toutes les autres fermes, c'est la patronne qui tue la volaille et leslapins. Pour le cochon, on fait venir un tueur expert.Respirer, marcher, tuer, cueillir, labourer, moissonner, jardiner, nour-

rir, tuer, se nourrir, respirer... et protéger ses fleurs et sa vigne des déjec-tions de la cinquantaine d'hirondelles qui reviennent chaque printempss'installer sous l'avant-toit de sa maison et dans l'ancienne étable.Malgréles déjections, elles sont les bienvenues, les fiancées des beaux jours.Thérèse a donc fixé au mur des planchettes autour desquelles lesmaçonnes ailées façonnent leurs nids de boue. Une place pour chacun.

Le sang du lapin

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Chasse à la panse

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La chasseresse lève d'autres lapins, incidemment, et comme par hasard,mais sans véritable innocence. Ce temps-là (celui de la naïveté) appar-tient au passé. Je me demande même s'il a jamais existé ici. Elle sait queje suis friand des vieilles choses précieuses de sa terre, et me distille uneà une des révélations goûteuses qu'elle aimerait voir écrites. Ainsi fut-ildes dents de taupe. Et de la chasse au lapin, à pied, ou plutôt, à panse.Chasse au lapin « à la panse » : technologie unique, sans doute jamais

répétée, une création.Thérèse, jeune paysanne gironde, repique des betteraves dans un

champ avec papa. Un lapin fuit à leur approche.Thérèse suit sa fuite desyeux, repère la zone où le petit cul blanc est disparu de son champ devision. Elle s'en approche à pas feutrés, devine le trou où Jeannot Lapincertainement s'est réfugié. L'organe s'adapte à la fonction :Thérèse s'al-longe de tout son rond sur la terre meuble. Après quelques minutes,Jeannot éprouve quelques difficultés respiratoires et gratte la panse deThérèse.De sa main gourmande enfilée précautionneusement entre elle et la

terre,Thérèse le saisit par les oreilles. L'autre main est déjà prête, tendue.Jeannot a droit au – bon sang ne ment pas – coup du lapin. « L'assassin »,toujours en éveil dans la poche de la blouse, lui arrache l'œil. Saignée.Jeannot devint, pour une mémorable apothéose de sa courte carrière delongues oreilles-cul blanc, civet démocratique. Démocratique, car, jusqu'àil y a peu, la chasse était interdite aux métayers et réservée aux « maîtres »(les nobles). Carotter et « bricoler », c'était aussi de la vengeance.

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Dimanche, volée de canards

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Le petit monde de Thérèse est heureux.Il résiste, sans clameur ni trompette.

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Dimanche,

canard tué,

canard plumé,

prêt à enfourner.

Thérèse chante à l'église,

le canard cuit.

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Thérèse : « Tout ce qui rentre ici est mort ! »

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Lundi, Thérèse tue un lapin.

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Mardi, Thérèse coupe les cheveux de Gilbert.

C'est pour ses enfants que Thérèse a d'abord fait office de coiffeuse.

Plus tard, elle a eu un client, le père Michineau : « C'était pas trop difficile,

il n'avait que trois poils sur le haut du crâne. »

Mercredi, j'ai un début d'angine. je vais chez Angèle.

Elle me passe les mains sur le cou.

Jeudi, je ne tousse plus,

le lapin non plus.

Vendredi, samedi...

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Voisin, voisine.

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La terre, elle doit mourir une fois l'an.

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Henri se lève, il va nous parler de son père, des mesquineries desmaîtres qui exploitaient sans vergogne les métayers, des curés quiépaulaient les propriétaires en assurant le contrôle des âmes ou, plutôt,de la morale publique. Un système pervers qui contraignait les paysansà passer outre le deuxième commandement : « Ils carottaient sur tout »,par vengeance, comme on a dit, mais aussi par intérêt et par goût.

Henri continue à tuer le cochon chez lui, une ou deux fois l'an, pourlui-même et pour les familles de ses enfants. Les petits-enfants assistentà la deuxième partie de la tuerie, lorsqu'on débite la viande : ils saurontce qui nourrit l'homme. Papi leur offre parfois un voyage en calèche ouen bétaillère, à l'aller ou au retour de l'école. Sept juments broutent surses pâtures. Elles font belle figure dans les comices. Une activité à perte,du côté du gousset, mais pas de celui des sentiments. Henri est unhomme de mémoire. Il veut connaître et transmettre ce qui l'a fait telqu'il est et ce qui a fait ses ancêtres. D'où son acceptation du rôle deconteur que je lui ai proposé.

Henri est un personnage important de Beaulieu-sur-Oudon, unleader, ou plutôt, comme on dit par chez nous, un chef-chef. Il y a plusde vingt ans, il a créé avec quelques amis la « fête de la Moisson »qui se tient le premier dimanche d'août et dont le succès ne se démentpas. On y célèbre les techniques paysannes anciennes. C'est un peunostalgique, un peu folklorique. Ça commence par une messe en pleinair suivie d'un défilé, puis on assiste aux travaux des champs comme ilsse faisaient dans le temps. Batteuses à vapeur ou à traction animale,brabants et faucheuses tirés par des bœufs ou des juments, lavandièreshabillées de noir, cerclage de roues : les vieux paysans se donnent enspectacle pour les jeunes générations. Il fait toujours grand soleil, çadonne soif. Alors, la fête se termine immanquablement en rigoladeset en chansons.

Henri

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Les chevaux, c’est une affaire de sentiment.

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Le chef-chef est toujours en déplacement, pour une vente auxenchères de bestiaux ou de matériel agricole ancien, une réunion detelle ou telle association, une sépulture, un banquet, une commémora-tion. « Je peux circuler dans tout le département. Où que j'aille, je trou-verai toujours une assiette de soupe et une paillasse. » C'est vrai, Henriest connu en grand. Sa fête de la moisson réunit les bonnes volontésd'un peu tout le département. Beaucoup l'ont aidé aussi pour créer la« Maison de la moisson » de Beaulieu où sont exposées des machinesagricoles anciennes soigneusement restaurées. Henri a même réalisé unfilm sur l'histoire de la moisson qui est projeté aux visiteurs. Le chef-chef a commencé à sillonner le département et la région dès la fin desannées cinquante. À l'époque, il s'engage dans le syndicalisme agricole,crée avec d'autres jeunes agriculteurs la première coopérative mayen-naise d'utilisation de matériel agricole en commun, est actif au sein demutuelles bancaires ou d'assurances. Sa plante fétiche est, bien sûr, le blé.Il en a fait son signe. Lorsqu'il doit accompagner un mort, il commandeparfois une couronne. Il prend toujours soin d'y piquer quelques épis deblés. Henri connaît et observe scrupuleusement les rites de la vie pay-sanne. Il est pour moi une mine de renseignements... et de chaleureuseamitié.

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L'hiver dernier, comme tous les ans, Henri a tué le cochon avec safemme, son fils, sa fille, ses petits-enfants, un tueur-boucher et trois assis-tants, dont Christian, l'homme aux lunettes. C'est Christian qui prépa-re et goûte le boudin avant cuisson.Tous les matins, il livre Ouest-Francechez Henri et boit en sa compagnie un café-calva. C'est un vieuxgarçon qui a de petits problèmes de santé, il est serveur chez Chantal, lecafé-épicerie-tabacs-journaux du village, rend de menus ou de grandsservices à droite et à gauche. Christian ne pourrait pas vivre ailleurs qu'àBeaulieu. Sans lui, la tribu d'Henri ne serait pas au complet. La tribud'Henri est un vieux bateau, une arche.

La tuerie, c'est un sacrifice. Et le sacrifice, c'est une introduction, icicomme ailleurs. De l'autre côté de la Méditerranée, le mouton, ici, lecochon. Certaines différences rapprochent. Tuer l'animal, le déshabillerde ses soies, le découper, le partager, le cuire, le manger ensemble, çarapproche aussi.

La tuerie

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Henri, au tueur : « Te trompe pas de cochon, quand même ! »

Maurice, le tueur : « Attention qu'y t'embrasse pas ! »

Christian, l'assistant : « Il est beau, hein ? »

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Le tueur connaît tellement son affaire que parfois l'animal

aux fesses de tendron ne pousse qu'un cri, le dernier.

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Thérèse : « Ce salaud au père Rivière, qu'aimait faire des conneries,

un jour, j'étais petite, on tuait le cochon – nous, les gosses, on tenait la queue, à l'époque –,

il m'a demandé mon canif et il l'a enfilé dans le trou du c... du cochon. J'étais dégoûtée!

Après, j'ai jamais pu me servir de ce canif-là. »

Aujourd'hui, les enfants ne tiennent plus la queue du cochon,

ils n'arrivent qu'après la tuerie.

Pichot, tueur : « Je fais le plus beau métier du monde : là où je vais,

personne s'engueule jamais. Logique, quand on tue le pourceau,

c'est fête, tout le monde est sûr de bien manger. »

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Pourquoi en parler ? Parce que Henri et Pierre ont passé chacundeux ans de guerre en Algérie, comme tous les hommes de leur géné-ration. Et qu'ils n'oublient pas,même s'il est pénible pour eux d'évoquercette période. Parce que, en France, on évite trop souvent le sujet. Parpudeur ? par honte ? à cause de l'amertume de la défaite et du sentiment,ancré chez beaucoup, d'avoir été bernés par des pouvoirs indifférents oucyniques ? Parce que cette guerre qui a déplacé une masse de jeunespaysans de l'autre côté de la Méditerranée a coïncidé avec l'avènementde l'agriculture intensive et spécialisée. Ici, la dernière guerre, ce n'est pas39-45, c'est l'Algérie.

Depuis 1997, Henri et ses anciens camarades de régiment ont décidéde se réunir une fois l'an pour un week-end, en compagnie de leursépouses. Ils causent, entre autres, de leur mission de « maintien de l'ordre »là-bas. Lors de leur dernière rencontre, Henri a osé un parallèle provo-cateur avec laYougoslavie : « Ce qu'on a fait là-bas, quand on déplaçaitles populations, c'est un peu pareil que ce que les Serbes ont fait auKosovo. » Tout le monde n'a pas été d'accord, ou pas entièrement, bienentendu...

Un jour, à la Papinière, Henri m'invita à une projection de diaposi-tives qu'il avait prises en Algérie. Nous étions seuls. Les sujets photogra-phiés étaient, hors les hélicoptères et les camarades de régiment... le bat-tage du blé à la manière kabyle. Un peu plus tard, à nuit tombée, Henrisortit du tiroir d'une commode un album vert en maroquinerie. Sur lacouverture, maladroitement dessinés, deux palmiers, un camp nomade,un fellah juché sur un bourricot et trois autres personnages vêtus dedjellabas. En haut de la couverture, à gauche, rajouté, je pense, parHenri, écrit à la plume : « Souvenir d'Algérie ». Je feuilletai l'album. J'ydécouvris successivement des portraits des gars de sa section, des vuesdu Djurdjura, la rade d'Alger, des fellahs pacifiques, un groupe defemmes et d'enfants kabyles photographiés lors d'une opération derecensement, des remises de décoration, la construction d'un camp, unméchoui, la corvée d'eau, un troufion hilare coupant les cheveux d'un

La dernière guerre

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autre devant la « popote » et, en dernière page, une photo d'un grouped'Algériens aux uniformes dépareillés, ainsi que quatre clichés d'un sol-dat arabe armé d'un pistolet mitrailleur.« C'était aussi un copain de régiment ?– Non.– Un harki ?– Non plus.– Un fellaga, alors ?– Oui.– Vous l'aviez fait prisonnier et vous l'avez fait poser après avoir déchargéson arme ?– Non. C'est une photo qui doit dater de mai ou juin 58. Ma compa-gnie avait été envoyée du côté de Bir Rabalou pour une opération deratissage.On a pris en embuscade des fellagas et ils y sont tous restés.Ona fouillé les morts et, dans le treillis de l'un d'entre eux, j'ai trouvé unappareil photo chargé. J'ai rembobiné la pellicule et je l'ai vite serréede côté. Deux mois plus tard, je suis rentré à Beaulieu, j'ai fait dévelop-per la pellicule et voilà ce qu'il y avait dessus.

– Donc, c'est sans doute la dernière photo de ce gars-là avant sa mort ?– Certainement, oui. »

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« J'avais vingt ans. » Pierre aurait bien aimé faire quelques mois deservice en France,mais il est parti directement pour l'Algérie. Le premiermai 1958, il est à Oran.Comme pas mal de Français, il pensait qu'on avaitsans doute colonisé l'Algérie contre la volonté des Algériens, mais qu'onleur avait apporté beaucoup de choses. Dans les casernes, pendant lesclasses, les appelés étaient abreuvés de propagande sur le rôle civilisateurde la France. « Les officiers nous ont emmenés assister à une manifesta-tion ou des pieds-noirs et des Algériens criaient des slogans pour l'Algé-rie française. Des femmes enlevaient leurs voiles, criaient qu'elles vou-laient être françaises. » Dans la section de Pierre, il y avait des gars de laJ.A.C. (Jeunesse agricole chrétienne) et de la J.O.C. (Jeunesse ouvrièrechrétienne) avec qui il pouvait discuter. Mais, même si dans les groupesde J.A.C., en Mayenne et ailleurs, les jeunes agriculteurs réfléchissaientsur leurs relations avec les parents, sur la modernisation de l'agriculture,et qu'ils essayaient d'appliquer le slogan de la J.A.C. : « Voir, juger, agir »,même avec cette habitude de réfléchir et de discuter, Pierre penseaujourd'hui qu'ils n'étaient pas assez conscients de l’influence de la poli-tique sur leur vie, en particulier pour la question de l'Algérie.

Tout a basculé lorsque Pierre s'est retrouvé en Petite Kabylie, dans larégion d'Aumale, à deux cents kilomètres d'Alger. Trois événementsl'ont définitivement fait changer d'opinion.

« Le premier, c'est que, régulièrement, on entendait les cris desfellagas qui étaient torturés dans un bâtiment à côté de la prison. Onne pouvait pas ne pas les entendre. Parfois, après avoir été interrogés,ils étaient emmenés dans un coin derrière la caserne pour la « corvéede bois », ça veut dire pour être fusillés. Parmi les gars qui faisaient cetravail-là, il y avait quelques appelés volontaires. Je me rappelle trèsprécisément l'un d'entre eux, un pied-noir dont les parents avaient ététués par les fellagas. Les fellagas n'y allaient pas de main morte. En plus,souvent, ils mutilaient les cadavres. Le pied-noir voulait sans doute sevenger d'eux, ça devait être plus fort que lui, on peut comprendre.Mais quelques mois plus tard, il m'a confié qu'il ne pouvait plus aller à

Pierre

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confesse après ce qu'il avait fait. Son visage était ravagé. Ce qu'il essayaitde me dire, en quelque sorte, c'était “ ma vie est bousillée après tout ceque j'ai fait ”. Ça m'a beaucoup fait réfléchir.

« Le deuxième fait s'est produit au cours d'une opération où des fellagasprisonniers avaient été réquisitionnés pour porter notre matériel radio quiétait très lourd. Arrivés sur les lieux de l'opération, un officier a dit auxprisonniers :“ Vous pouvez partir, vous êtes libres. ”Quelques minutes plustard, ils étaient tous allongés dans la poussière avec un balle dans le dos.

« Le troisième fait est survenu alors que ma section encerclait un villagequ'une autre section “ nettoyait ”. Pendant une heure, on a entendu deshurlements et des pleurs de femmes.Tu imagines ce qu'on leur faisait...

« Alors, pour soulager notre conscience, on a tenté de faire des petitsgestes en faveur des Algériens. Les gens de la montagne avaient tous étéramenés près des casernes, pour qu'on puisse mieux isoler et repérer lesfellagas et les arroser au napalm. La nôtre était entourée de guitounes etde gourbis où s'entassaient les familles de paysans. Nous, on faisait venirdes vêtements de France et on allait leur porter discrètement. C'était unpetit geste. »

De retour en France, Pierre travaille dans l'exploitation de son père.« J'avais vingt-deux ans et je me trouvais jeune pour reprendre uneexploitation. C'était difficile d'en trouver une de libre, et il fallait êtremarié aussi. » Il continue à militer à la J.A.C., malgré l'opposition vio-lente de son père qui craint l'opinion des voisins. « Tu comprends, onétait considérés comme presque communistes, alors qu'on était chré-tiens ! Les jacistes étaient très mal vus. » Pierre passe outre. Il est élu pré-sident départemental de la J.A.C.

Dès 1960, la J.A.C. algérienne avait organisé la venue en France d'unepoignée de jeunes Algériens diplômés, pour des stages d'été d'un moisdans des fermes.Quelques stagiaires avaient demandé que la J.A.C. fran-çaise les aide à susciter un mouvement semblable en Algérie. C'est ainsiqu'au mois de mai 1963, après des semaines d'altercations avec son père,Pierre est reparti vers l'Afrique du Nord, pour deux ans.

« Ce qui m'a frappé, quand je suis arrivé, c'était l'absence de rancuneenvers les Français, du moment qu'on n'était pas pied-noir. La premièrequestion qu'on me posait, c'était : “ Vous êtes pied-noir ou français demétropole ? ” Un jour, j'étais en tournée, on a rencontré un anciencamarade de régiment, Aïssa. Mon accompagnateur lui a tout de suitedemandé, en arabe, comment je m'étais comporté pendant la guerre.Aïssa lui a dit que je faisais partie de ceux qui avaient donné des vêtementsaux familles déplacées. Ça m'a aidé à travailler dans un bon climat. »

Pierre participe à quelques expériences d'exploitation collectivede potagers ou de petits élevages. Elles mobilisent des unités de trois àquatre familles, pas plus. « Comme les Arabes sont fatalistes, c'était difficilede faire comprendre la nécessité de prévoir et de programmer.Mon travail

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de coopération a dû toucher trois cents personnes. C'était modeste. »D'autant que ces actions « à taille humaine » s'opposent aux principesdes plans socialistes et autoritaires promus par les cadres du F.L.N.

Un beau jour, Pierre rencontre Madeleine, une jeune fille des Deux-Sèvres envoyée elle aussi en Algérie par la J.A.C.. Ils se plaisent. Moni-trice dans une « maison familiale », elle donne des notions de couture,de puériculture, de gestion ménagère aux jeunes filles algériennes. Ellefait aussi de l'alphabétisation. Le travail de Madeleine est gratifiant : lesjeunes filles ont soif d'apprendre et la maison familiale leur offre uneoccasion inespérée de sortir de leurs douars. Elles arrivent souvent uneheure avant le début des cours...

À son retour en Mayenne, Pierre aide son père pendant un an.Sa mère est décédée. Il tient la maison. Madeleine rentre d'Algérie, ilsse marient. Elle continue son travail de monitrice, puis elle devientsecrétaire dans un cabinet médical, emploi qu'elle a conservé jusqu'àaujourd'hui. Pierre s'installe en G.A.E.C. (Groupement agricole d'ex-ploitation en commun) avec deux camarades de la J.A.C. Il y resterajusqu'à sa préretraite, il y a deux ans.

Des vétérans de Port-Brillet, son village, sont venus voir Pierre pourqu'il entre à l'association des anciens d'A.F.N.Pierre leur a dit qu'il com-prenait qu'il faille défendre les gars qui avaient perdu une partie de leursanté ou les veuves des soldats morts là-bas, les victimes de la guerred'Algérie, mais qu'il ne voulait pas participer aux banquets une fois paran. « J'ai une autre image de l'Algérie que celle de la guerre. » Ils ont faità sa place les démarches pour qu'il obtienne la carte de combattant.Ainsi, il touchera une petite pension après ses soixante-cinq ans, maisPierre n'a pas voulu demander la médaille du maintien de l'ordre enAlgérie. « Je n'ai jamais essayé de revoir mes anciens camarades derégiment. Certains m'ont rendu visite ici, j'ai été content de discuterun moment avec eux, mais je n'ai pas repris contact ; j'ai même perdumon carnet d'adresses de l'époque. Je me demande si ce n'était pasun peu volontaire. »

En 1978, Pierre et Madeleine décident de retourner en Algérie avecleurs quatre enfants, pour les vacances. Comme ils n'ont pas pu embar-quer leur voiture sur le bateau, ils voyagent en car. Ils font la tournée desgens rencontrés au cours de leur période de coopération. Chaque visiteest l'occasion d'une fête. Les gosses s'en souviendront toute leur vie.

Quelques années plus tard, leur fils Noël se marie avec Fadila, unejeuneAlgérienne rencontrée en Mayenne.Elle y était venue en vacancesdeux années de suite. Ça n'a pas été sans poser de gros problèmes avecsa famille là-bas, mais, le temps aidant, les angles se sont arrondis.Les petits-enfants de Pierre s'appellent Mehdi et Ismaël. Fadila est édu-catrice. Ils habitent Barbès. Elle a su se faire accepter par toute la famille.Le père de Fadila est décédé. Son Ancien, aujourd'hui, c'est Pierre.

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Près de chez Denise, la vidée de l'Étang-Neuf. Brochets, carpes etanguilles y ont prospéré pendant quatre ans. L'attente est parfois longue,jusqu'à plusieurs jours, avant que l'étang ne se vide et que le poissonchute dans les bassins construits au pied de la retenue. On le recueille àl'épuisette. Certaines carpes pèsent plus de trente kilos.

Une pêche miraculeuse

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Il pleut, l’étang se vide, soleil, arc-en-ciel.

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Ce jour-là, Denise a acheté un brochet en prévision du réveillon

du jour de l'an. Un goût tout en finesse, celui du brochet d'étang.

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Denise

C'est au tour de Denise. Elle nous cause des soirées de veillées où l'onse peletonnait autour de la cheminée pour lire à haute voix des passagesde Michel Strogoff, du père qui fabriquait des paniers, du petit Racine quiétait tombé dans le feu la tête la première et qu'on avait emmené dare-dare, en pleine nuit, chez la mère Gautier pour qu'elle lui fasse passer lamorsure du feu avec l'une de ses formules secrètes, dans le silence...

De telles soirées, l'accident du petit Racine en moins, Denise lesa connues dans son enfance. Et en conserve la nostalgie. Elle aime tou-jours la lecture et les livres. Elle en emprunte régulièrement à la biblio-thèque du village. J'ai retrouvé dans mon grenier une édition Hetzelde Michel Strogoff que je lui ai confiée comme accessoire de « scène ».Auprintemps dernier, à la fin de notre tournée, elle a voulu me la restituer.Mais elle n'avait pas fini de relire le roman. Je le lui ai donc à nouveaulaissé en dépôt. Elle ne le finira pas de si tôt : le livre nous lie.

Denise a oublié son texte.

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À l'école, Denise était la première de sa classe. Elle aurait bien aimépoursuivre ses études après le certificat.Avant l'examen, pour qu'elle aitplus de facilités, sa mère lui avait offert un petit Larousse à couverturebleue qu'elle utilise encore. « Le plus beau cadeau que j'aie reçu danstoute ma vie. » Elle était consciente de l'énorme sacrifice que l'achat dudictionnaire avait dû représenter pour sa mère : l'année précédente,Denise et ses frères avaient fini le troisième trimestre avec un uniquecrayon à se partager. Coupé en trois, et en faisant des économies d'écri-ture, il avait tenu jusqu'à la mi-juin.

Mais il fallait que la ferme tourne ; c'était la guerre, son père était pri-sonnier, il est resté cinq ans en Allemagne. Denise dut renoncer auxétudes. « Il a bien fallu se débrouiller.On était des petits, petits. » Elle ditde ce temps-là qu'elle ne comprend pas comment elle a pu résister à lamasse de travail qui lui incombait chaque jour. Elle dit aussi, lorsqu'ellevoit des documentaires sur les pays du tiers-monde, que « notre enfance,c'était pareil. Nous aussi, on courait pieds nus dans la campagne, pourne pas user les sabots ».

Denise habite le village voisin du mien, à la Haute-Maison, un lieubattu par les vents. Elle s'y est installée avec Arsène en 67. Denise a troischats blancs et un chat noir qui paressent sur le pas de sa porte dès qu'ily a un peu de soleil. Chaque fois que nous passons au carrefour avec laroute deVitré, elle me montre « la maison malheureuse ». En 39, un garsy habitait qui est mort jeune à la guerre. Après, c'est un couple quil'a louée. Ils faisaient bistrot. La femme s'est mise à boire. « Elle était lapremière cliente. » Lui était désespéré, il est mort de maladie « par avoireu le moral à zéro » pendant trop longtemps.Après, « ça y a été la déca-dence » jusqu'à ce que la femme parte et se fasse bonne de ferme. Loinde la maison du carrefour, elle s'est remise. Depuis, d'autres malheursse sont succédés dans la maison, accidents, suicides...

Denise rêve, mais ses rêves ne sont pas la simple expression d'uneimagination solitaire, ils sont ancrés dans une réalité longtemps tenuesecrète par les habitants du bocage, une réalité présente depuis l'aube destemps, sous toutes les latitudes, celle des pouvoirs invisibles prêtés auxlieux et aux hommes. Elle est heureuse qu'aujourd'hui on puisse parlerplus librement du monde des guérisseurs. À tort ou à raison, on a beau-coup moins peur des sorciers et des malfaisants qu'il y a quelquesannées, mais le malheur, lui, guette toujours. Et il faut s'en préserver.Soucieuse de satisfaire ma curiosité sur le sujet, Denise m'a contéles aventures et mésaventures de sa plus chère amie et confidente, Ger-maine.

En bas de chez Denise, son mari Arsène.

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Comme Denise, Germaine est à la retraite. Peu de temps après leurmariage,Germaine s'est installée avec son épouxAlfred sur une modesteferme de seize hectares. La ferme n'était pas d'un grand rapport.Alfredtrouva à s'employer comme facteur auxiliaire. Si le temps libre laissé parles tournées lui permettait de prendre en charge les travaux les pluslourds, comme le labourage, Germaine devait tout pareil assurer desjournées de quatorze à seize heures. Un petit poulain était né. Sa venteau marché deVitré allait à coup sûr autoriser l'achat d'une machine agri-cole qui allégerait le labeur de Germaine.Mais le poulain dépérissait dejour en jour. Le vétérinaire prescrivit quelques injections, en vain, puisil baissa les bras.

Électrisée par l'énergie du désespoir, Germaine réussit à convaincreAlfred de faire appel à un guérisseur dont le cabinet était éloigné d'unecentaine de kilomètres. Sa réputation s'étendait, et s'étend toujours, surplusieurs départements. C'est par cars entiers ou en taxi collectif qu'onse rendait chez monsieur Garcia. Je l'ai rencontré. Nous avons échangéquelques plaisanteries en espagnol. Un échange qui nous a rapprochés.Il m'a autorisé à assister à quelques-unes de ses consultations. Cela m'apermis de compléter le témoignage de Germaine. Monsieur Garcia estde ces rares personnes rencontrées au cours de ma vie qui me remémo-rent l'histoire de Diogène cherchant en plein jour, avec sa lanterne, unhomme. Monsieur Garcia est un homme.

Des voisins de monsieur et madame Garcia m'en ont dit grand bien :« Ceux qui sont vraiment dans le besoin, il ne les fait pas payer. Il paraîtqu'il est cousin d'un pape. Il a fait de la résistance dans les F.F.I. C'est unhomme bon. Il est très croyant,même s'il n'aime pas aller à l'église, parceque, quand son père y était allé la première fois, les gens avaient tous desplaces réservées et ils ne voulaient pas de lui sur leurs bancs. Il avait dûsuivre la messe debout. Il avait bien compris que c'était parce qu'il étaitétranger et il avait dit que c'était pas la peine d'être chrétiens commeeux qui faisaient le contraire de Jésus-Christ. Les Garcia se sont instal-lés chez nous. En Espagne, le grand-père Garcia avait des pouvoirs lui

Germaine, la belle-mèreet monsieur Garcia

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aussi.Y a un grand portrait de lui dans son bureau. Aujourd'hui, mon-sieur Garcia est au conseil municipal du bourg. C'est des gens qui vou-laient faire une nouvelle liste qui lui ont demandé. Ils étaient sûrs queleur liste gagnerait, avec lui et le docteur : tous les gens du village leursont passés par les mains. »

À l'époque où Germaine s'est adressée à lui, vers la fin des années cin-quante, on hésitait moins qu'avant à faire appel aux services des grandsguérisseurs. Quelques procès intentés par l'ordre des médecins avaienteu l'effet inverse de celui recherché : ils avaient accru leur crédibilitéet l'attente de miracles chez les malades pour lesquels la médecinene pouvait rien. Chez nous, on hésitait moins, aussi parce qu'avec lesautomobiles il était possible de se déplacer plus loin et plus facilement.Ça évitait de se retrouver nez à nez avec un voisin dans l'antichambred'un guérisseur. Malgré tout, des relents de soufre flottaient encoreautour des pouvoirs mystér ieux des hommes à la main chaude :« Celui qui peut faire le bien, il peut faire le mal. » Et celui qui faitappel à eux...

Avant de quitter la ferme confiée à la garde d'un voisin, Germainecoupa quelques poils à la crinière du poulain. Elle les fit glisser dans uneenveloppe, sans les toucher : monsieur Garcia a la réputation de soignercertains maux à distance. Pour ce faire, il se concentre sur une mèchede cheveux, des poils ou une date de naissance, comme beaucoupde ses collègues. Pour monsieur Garcia, « le temps et la distance n'exis-tent pas. »

Après de nombreuses heures d'attente, le « guérit-tout », comme il sequalifie lui-même avec humour, les reçut enfin. Un léger parfum à l'ac-cent oriental et l'atmosphère surchauffée du cabinet mettaient tout desuite à l'aise. Monsieur Garcia invita les deux époux à s'installer dans deconfortables fauteuils de cuir.

Bien campé face à Germaine, monsieur Garcia semblait absorbé parune profonde réflexion. Un mètre à peine les séparait. Germaine n'arri-vait pas à détacher son regard de la magnifique cravate à fleurs qui ajou-tait une note fantasque au costume italien et aux bottines de chevreauportés par celui qu'elle considérait déjà comme un mage. Il n'avait pasd'accent, mais il se dégageait du bonhomme quelque chose de profon-dément étranger, d'extraterrestre. Et quelles manières ! Urbaines à l'ex-trême, mais aucunement pointues, contrairement à l'habitude des « gensde ville » lorsqu'ils s'adressent aux campagnards.Costume, donc, et décor :une grande cheminée, du doré partout, des livres sacrés et sans douteprécieux, un gros dictionnaire de médicaments, une grosse chevalière enor, une montre d'or qui doit peser son poids, des lithographies de pay-sages espagnols, le portrait d'un vieillard vêtu de bure, le grand-pèreGarcia. Un cabinet d'alchimiste.

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Monsieur Garcia émergea de l'abîme de réflexions où il venait devoyager. « Vous avez une tache au poumon gauche... Vous avez dûcontracter une pneumonie à l'âge de huit ans... » C'était vrai. Germaineen fut soufflée. Puis, ce fut le tour d'Alfred : « Vous souffrez d'une hernieinguinale, depuis une année. Elle partira au bout du même temps, maisce jour-là, ça vous fera mal. » Prédiction qui se vérifia, au grand damd'Alfred « qui ne croyait pas en ça ». La voix de l'homme était envelop-pante, passant tour à tour du murmure de la révélation au ton réconfor-tant du thérapeute sûr de son fait. Monsieur Garcia usait, et use encoredu pouvoir de la parole, en toute connaissance de cause et d'effets.« Madame, quelque chose d'autre vous inquiète, n'est-ce-pas ? Ça a unrapport avec vos bêtes ? C'est cela ? » Germaine raconta le drame dupoulain.

Monsieur Garcia se replaça face à elle, ferma les yeux, et, le coccyxappuyé sur un angle de son large bureau, fit la « chiffe molle », c'est-à-direqu'il relâcha toutes ses tensions musculaires. Seule sa colonne vertébraleétait érigée, bien droite, les battements de son cœur imprimant un légermouvement circulaire à ses bras ballants. En phase avec le rythme premier,il se rapprocha de Germaine et passa lentement, à plusieurs reprises,la main droite devant son visage et son torse, de haut en bas, comme s'illa massait, mais à quelques centimètres de son corps. L'extrême concen-tration et l'intensité de la gestuelle du guérisseur impressionnèrent autantGermaine que son don de double-vue. La séance ne dura que quelquesminutes. Engourdis, légèrement hébétés, les époux se levèrent, se confon-dirent en remerciements, payèrent, prirent congé.

De retour à la ferme, Germaine et Alfred retrouvèrent un voisin sur-excité. « C'est incroyable, venez voir vot' poulain.Vers les trois heures,y s'a mis à tourner et à se rouler par terre qu'on aurait dit qu'il allaitcrever. Et y gueulait ! Pis, y s'est relevé, tout vaillant, et il est allétaquiner la jument. » Le lundi suivant, le poulain était vendu pour unbon prix à la foire deVitré.

Mais Germaine devait encore affronter d'autres épreuves. Leur ori-gine avait un nom : belle-maman. Pour une raison qu'elle ignorait, Ger-maine avait été prise en grippe par sa belle-mère dès son mariage.Toutce que Germaine faisait était mal fait, elle était « pas courageuse » au tra-vail, menteuse, exploitait Alfred, lui faisait manger n'importe quoi, ourien. Elle allait sûrement le faire mourir. Elle se levait tard, profitait destournées du mari pour boire en cachette. C'était une saoularde. Si leurpremier enfant était mort, c'était parce que Germaine ne travaillait pas,elle ne faisait pas d'exercice, elle n'était pas forte assez pour faire desenfants sains. La belle-mère lui reprochait aussi de trop dépenser envêtements et en coquetteries inutiles.

L’œil du sorcier.

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Pourtant, par souci d'économie, Germaine, qui portait alors le deuilde son père et celui de sa fille, avait teint en noir tous ses vêtements, ycompris le beau manteau jaune qu'elle s'était acheté avec les économiesréalisées avant son mariage sur ses gages de bonne à tout faire. La belle-mère avait comploté pour que la famille n'invite pas Germaine et Alfredaux banquets de communion ou aux mariages. « Soi-disant que je lesmettais mal à l'aise. C'est sûr que j'étais pas drôle à l'époque, j'avais pasenvie de faire la java. Je venais de perdre mon père et mon enfant,j'étais prête à me détruire. Des fois, je devais même me tenir auxmeubles pour marcher. »

La mégère fit tant et si bien pour isoler Germaine, avec l'aide dequelques commères confites en dévotion comme elle, qu'elle réussità retourner le village contre sa belle-fille. Du jour au lendemain, pluspersonne ne lui adressa la parole.Tant de cruauté lui fit perdre le som-meil. Quand elle reprenait son ouvrage, le matin, elle était secouéede sanglots au moins une heure de rang. Une boule dans sa poitrinel'oppressait. Elle avait peur de mourir.Alfred, qui avait enfin compris lesmanœuvres de sa mère, permit un jour à Germaine d'écouter uneconversation téléphonique avec l'épouse de son frère.

La belle-sœur égraina les habituelles accusations estampillées belle-maman, et en ajouta une autre, plus grave encore : Germaine était unesorcière. « Quelqu'un » était venu chez eux qui avait dit que la cause dela mort récente de quatre vaches, c'était elle. « Quelqu'un de Laval, quisait de quoi il cause... » Quelques jours plus tard, Germaine rencontraau village la belle-mère qui réitéra l'accusation : « T'es qu'une bon dioude sorcière ! C'est quelqu'un de Laval qui s'y connaît qui me l'a dit. »Dans ce temps-là, pas si lointain, lorsqu'une personne vous soupçonnaitde lui faire du mal, elle pouvait décider d'agir ou de faire agir « quel-qu'un » pour retourner le mal et vous anéantir. L'issue de ces combatsde titans étant souvent fatale.

À Laval, tous les samedis, jour de marché, un « magnétiseur-radies-thésiste » officiait dans l'arrière-salle d'un café. Il n'avait, disait-on, passon pareil pour les désenvoûtements. Mais c'était cher. En désespoir decause, Germaine lui rendit visite. Lorsqu'il la reçut, le magnétiseur luidemanda comment elle s'appelait. « Madame L. » « Ah, oui, ça me ditquelque chose ... », répondit l'homme qui l'avait à peine regardée, « vousêtes déjà venue, non ? » Puis il fouilla dans ses papiers et retrouva sansdoute une fiche où était inscrit le même nom, celui qu'avaient encommun Germaine, Alfred et la belle-mère. Le magnétiseur bredouillaun prétexte pour éconduire Germaine.

Pour elle, ce fut une révélation : « S'il ne pouvait rien pour moi,c'est que, déjà, il travaillait contre moi. Et sur la demande de qui ? Pasdifficile à deviner. C'était lui qui avait dit aux autres que je leur faisais

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du mal. Et, à tous les coups, ma belle-mère était venu le voir avec unephoto de moi pour qu'il me travaille, j'en suis sûre. Elle en avait !C'est pour ça qu'il avait un papier avec notre nom de famille ! »

La santé de Germaine s'améliora quelque temps - le sorcier ne pou-vait plus la travailler, vu qu'elle l'avait démasqué - puis ça recommença.Insomnies, crises de pleurs, boule dans la poitrine,Thémesta, anxioly-tiques... Elle retourna voir monsieur Garcia. La séance ressemblait entous points à la précédente, mais monsieur Garcia ne voulut pasentendre parler d'envoûtement. Ni de désenvoûtement. Il ne mange pasde ce pain-là. Il prévint simplement Germaine qu'il travaillerait pourelle, à distance, les jours suivants, qu'il lui « ferait des misères. » Deuxjours plus tard, en plein après-midi, Germaine fut prise comme sonpoulain. « Je croyais que j'allais crever. Ça me travaillait de partout, sur-tout dans la poitrine, je me suis roulée par terre, ça me faisait mal, ça mefaisait mal, je hurlais. Et d'un seul coup, c'est parti. C'était fini. »

« Après Monsieur Garcia, je suis allé voir une dame, à Châteaubriant.J'avais des coliques néphrétiques et cette boule dans la poitrine qui reve-nait. On m'avait dit que monsieur Garcia était tombé malade et qu'iln'exerçait plus. C'était une menterie. Ça devait être des jaloux quiavaient fait courir le bruit. Dans ce métier-là aussi, ils ont de la concur-rence. Elle faisait pareil que lui, avec les mains, et elle me prescrivait del'homéopathie. C'était peut-être psychologique, mais ça me faisaitdu bien, ça a permis de prévenir d'autres maladies. Ça coûtait cher, etc'était loin, ça prenait presque une journée.Mais je n'ai jamais mis monouvrage en retard pour aller la voir, quitte à me lever dès les trois heuresdu matin. Ça m' a permis de survivre... Oui, ça m'a vraiment permis desurvivre. »

Germaine n'a jamais parlé de sa belle-mère à monsieur Garcia ni à ladame de Châteaubriant. Elle ne s'était pas encore liée d'amitié avecDenise et ne pouvait se confier qu'à des cousins qui l'écoutaient et lalaissaient pleurer tout son soûl. C'était mieux que rien. « Pourtant,aujourd'hui encore, ça me fait du bien d'en parler. J'ai eu trente-cinq ansde ma vie foutus par la méchanceté de cette femme. Il y a quinze ans,j'ai commencé à écrire mon histoire sur un cahier. Et puis j'ai aban-donné : j'étais trop prise par mon ouvrage. Ça me faisait pourtantdu bien d'écrire ce brouillon. Le temps que j'écrivais, je me vengeais,je me vengeais ! Après je me sentais mieux. Je faisais ça toute seule.Alfred ne savait pas. »

Germaine n'a définitivement et pleinement récupéré le sommeil etne souffre plus de ses sensations d'oppression que depuis que la belle-mère est morte et enterrée.

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Denise et Germaine, et un peu tout le monde ici, se demandentce qui peut bien donner leurs pouvoirs aux guérisseurs. On se douteque ça doit avoir un rapport avec la concentration, comme le yoga.Monsieur Garcia, quand il fait la « chiffe molle », ça ressemble à unesorte de yoga, non ? Denise, qui m'avait parlé la première de l'insensibi-lité à la douleur d'un pêcheur originaire de la Réunion qui s'étaitenfoncé un hameçon dans le doigt et l'avait retiré sans souffrir grâceà des exercices de respiration, Denise, en tout cas, fait le parallèle.Elle a même réussi à se faire elle-même passer le feu, l'été dernier. Invo-lontairement.

« J'étais en train de faire gratiner un plat au four et, en voulant leretirer, j'ai touché la résistance avec le dos de la main. J'ai vite passé lamain sous l'eau froide, ça m'a un peu soulagée,mais c'est reparti presquetoute de suite. Ça me faisait mal, c'était terrible.Y avait qu'une solu-tion, c'était d'aller chez Annie. »

Annie, fermière blondinette d'une quarantaine d'années, passe le feuen touchant les brûlures, sans secret, car son don vient de sa date de nais-sance. Elle est née le 10 août, jour de la Saint-Laurent, martyr exécutépar le préfet de Rome qui l'avait fait étendre sur un gril de fer rougi aufeu. Du coup, c'est logique, tous les natifs de la Saint-Laurent passent lefeu. Annie a un élevage moderne, elle exerce son don à son corpsdéfendant et n'en retire aucun avantage pécuniaire. Elle avait déjà passéle feu au petit-fils de Denise qui s'était brûlé sur un fer à repasser.

« Je pensais dans Annie, et mon frère avait déjà sorti la voiture quand,d'un coup, ça m'a travaillé. J'ai senti comme une autre température, unvide d'air qui montait dans mon corps par les jambes et qu'est arrivéjusqu'au bout des doigts de la main. Ça n'a pas duré longtemps. J'ai pluseu mal du tout... et je n'ai pas de marque. Comment ça peut se faire ? »

Denise se fait passer le feu

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Un rêve qui lui serait venu dans un demi-sommeil, un matin d'hiveroù nous avons accompagné son mari Arsène au marché aux veaux deChâteau-Gontier. Tous les jeudis, toute l'année, Arsène se lève à cinqheures pour s'y rendre en compagnie d'un marchand de bestiaux.À chaque marché, le maquignon négocie en moyenne vingt à trenteveaux avec des grossistes provenant d'un peu partout, même d'Espagne.

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Un rêve de Denise

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Denise nous a servi le café. Elle se recouche après notre départ. Ellen'est pas vraiment éveillée, mais elle ne se rendort pas vraiment nonplus. Elle est au chaud. Elle a des fourmis dans les jambes.

« Et si j'étais malade ? Si je souffrais d'un mal que les docteurs nesavent pas soigner, que je ne puisse plus marcher ? Qu'est-ce que jeferais ? Mon arrière-arrière-grand-mère serait d'abord allée à la sourcedu bois, peut-être, celle dont on dit que les lavandières y lavaient le lingedes morts. Elle s'y serait plongée le temps d'une prière.

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« Ou bien, mais ça, même ma mère l'aurait fait, même moi : j'irais enpélerinage à Saulges et je tremperais mes pieds dans le bassin du “ petit-saint-qui-pisse ”, le bon saint Céneré. Il soigne les bêtes et les animaux.Avant qu'il ne s'installe là pour prier et méditer, les païens de la régionpensaient déjà que la source était pour guérir. Des gens de Saulges mel'ont dit. C'était avant le VIIe siècle, avant le temps des chrétiens.C'est deschoses qui durent, les sources.

« Je pourrais aussi demander à madameTrique de m'enchaîner à saintLéonard. Elle dit que la chaîne à saint Léonard, c'est l'arme avec laquelleil a été tué, entre la chapelle et la source. Ce n'est peut-être pas saintLéonard lui-même qui a été tué (il vivait du temps de Clovis et il avaitfait libérer les esclaves de leurs chaînes), mais plutôt un ermite qu'étaitpareil à Léonard.MadameTrique s'est installée en 48 ou 49 dans la toutepetite ferme à côté de la chapelle. Ils avaient une vache et cinq hectaresde terre : des petits, petits, encore plus que moi et Germaine. Les gensdu coin amenaient parfois des malades à saint Léonard, mais surtout lesenfants qui tardaient à marcher, pour les enchaîner. On amène encoredes gosses, assez souvent. MadameTrique est devenue pour ainsi dire laprêtresse à saint Léonard, même si elle n'habite plus là. Elle sait com-ment il faut faire : enchaîner les chevilles, la taille, les épaules, puis fairebaiser la croix au bout de la chaîne.Alors, les gens lui demandent de lesaider. Elle leur rend ce service. »

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Mais si c'était très grave,

j'irais sûrement voir monsieur Garcia.

Il est fort, lui... vraiment fort.

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Hirsute ne raconte pas d'histoire. Il écoute. Hirsute sait quand exercersa fonction de contraire et quand se taire. Il respecte, profondément, lesvieux savoirs paysans.Tout en posant des limites : « Les vieux,y disent aussipas mal de conneries. » Il est un drôle de trait d'union entre l'antique ter-ritoire de campagne profonde que représentent les conteurs et son réseauécolo-marginal-sincère. Un jour que j'avais mal au dos et que j'évoquaisl'éventualité du recours à un kiné, Hirsute m'apostropha : « Tu nous bas-sines avec tes guérisseurs et tu ne vas même pas les voir quand tu as unproblème.C'est pas logique. » Je dus admettre qu'il avait raison.Une heureaprès, j'étais chez Maurice qui cerna mon mal de dos. Qui passa...Attentif aux détails, comme toujours,Hirsute vérifie que l'abondance

de la bombance soit équitablement répartie : « Qui veut une galette ?Pierre, sert donc un coup de calva au père Racine ! »Tout le monde est à sa place. Pendant que Nioule racontait la tuerie

de cochon, tout à l'heure, Thérèse ne le regardait même pas. Elle luitournait le dos en faisant sauter ses crêpes.Mais elle était avec lui.Marie-Paule aussi est en place, avec ses deux appareils et son silence : on nel'entend pas, on ne la voit pas.Nous sommes venus avec des nourritures, avec les ancêtres, avec l'at-

tention et la chaleur nécessaires pour que chacun puisse, s'il le veut,dévoiler ses richesses cachées – et qu'elles soient appréciées. Commecela arrive souvent en Afrique, la nuit. Là-bas, on dit que c'est un travailalchimique. J'aime bien le terme. Il suggère la lenteur nécessaire pourrecueillir les matières, la patience de les trier, la constance de les travailleret de les assembler en se fiant à son intuition, la fièvre de la passion, lavigilance et l'attente de l'infime réactif qui transformera tout. Les pay-sans anciens sont des alchimistes, parfois.

La veillée

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Hirsute : partageur et contraire.

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Deux personnes des secrets se sont jointes à nous, donc : Angèle etMaurice.Tous deux conjureurs, ils sont, comme dit Denise, « de l'ancientestament », ça veut dire faits à l'ancienne mode. C'est Denise qui m'aaccompagné la première fois chez Angèle. Et c'est Thérèse qui m'aconseillé de rencontrer Maurice.Angèle est née sans avoir connu son père, décédé avant que sa mère

n'accouche. À l'âge de six ans, une bonne sœur infirmière lui révèle ledon qu'elle possède par le malheur d'être orpheline de naissance. « Y atrès longtemps que c'est connu. » Dans les années qui suivent, la petiteAngèle est sollicitée de temps à autre pour toucher les malades, hommeset bêtes. Sans excès. Elle agit sans formule secrète, ni effort de volonté :elle passe, par simple imposition, « tout ce qui pourrit », herpès,phlegmons, panar is, angines, bref, les infections, et le feu, tousles feux, de soleil, d'eau bouillante, de brûlures, de zonas. Elle se les passeaussi à elle-même. « Un jour, je me suis brûlée la jambe avec du beurrefondu. Ça ne m'a rien fait. »« Je sais que ça fait du bien et ça ne me fatigue pas. Je me suis posé

la question de pourquoi ça marchait. Je ne me la pose plus. De toutefaçon, je ne peux rien dire là-dessus. »Angèle est un esprit libre. Elle trouve qu'aujourd'hui elle est plus

sollicitée que dans le temps. Elle ne refuse son aide à personne, mais çane l'empêche pas de désapprouver le comportement de certains grosfermiers qui laissent leurs bêtes les pattes dans la boue l'hiver durant.Quelques-uns d'entre eux l'appellent pour conjurer les panar isqu'inévitablement leurs animaux contractent. « Ils élèvent leurs bêtes,ça fait peine à voir. Y en a qui ont des gros élevages de cochonsnourris avec les farines industrielles, mais celui qu'ils bouffent, ils le fontengraisser par un petit paysan. Ceux qui font du poulet hors-sol, ilsse gardent bien d'en manger. Les leurs sont nourris à part. »

Ceux des secrets

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Angèle maugrée contre les agriculteurs qui ont perdu jusqu'ausavoir-vivre d'offrir à boire aux ouvriers, aux maçons, et qui n'aidentmême pas les livreurs d'engrais à décharger leurs camions. Elle remarqueque tuer son cochon, ça revient, bien que beaucoup disent que ça prendtrop de temps. « Nous, on n’avait pas cette notion-là du temps. Eux,ils prennent le temps que pour les loisirs, ils y courent. Ils n'ont plus dejardin pour les légumes, c'est la pelouse. On m'a dit que je devraisgoudronner ma cour et mettre un bout de pelouse, pour “ faire pluspropre ”. Moi, je déteste la pelouse et je ne veux pas d'allée en cimentdans mon potager, que j'ai répondu. J'aime mieux voir de l'herbepousser que votre béton et vos saloperies. »Angèle est de l'ancien testament, donc. Elle connaît bien les vieilles

croyances paysannes. Côté sorciers, par chez elle, à une certaine époque,on ne s'ennuyait pas. Y avait un jeune gars de là-bas qui s'amusait àendormir les gens sur place dans les bals. Depuis, il s'est un peu assagi.Guérisseur réputé, héritier de sept générations d'hommes à la mainchaude, il ne fait plus trop de ces tours-là, sauf, paraît-il, lors d'un voyage« d'études auprès de ses collègues » au Sénégal. Des prêtres du culte depossession ndœpe l'avaient saoulé avec les récits de leurs exploitsmagiques. Il a répliqué en les endormant. Douze sorciers africains ter-rassés d'un coup ! Humour mainiau.

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Angèle est venue à la Folie

Angèle est venue à la Folie un mois avant la veillée, pour que Marie-Paule puisse prendre une photo d'elle en train de conjurer la petitevache rousse d'Hirsute. Ce matin-là,Thérèse et Gilbert gaulaient leurspommes à cidre. Gilbert avait de vilaines blessures purulentes sur levisage.Angèle lui a passé les mains. Le lendemain, tout était sec. « Ça ya marché. »Angèle a été séduite par la Folie. C'est ce bocage-là qu'elle aime. Il

n'existe plus par chez elle où tout a été remembré depuis longtemps.Qu'un « jeune » ait fait le choix de vivre dans l'inconfort relatif desvieux bâtiments de la Folie et s'en arrange si bien, ça l'a surprise etémue. Et ça lui a donné à réfléchir. Le midi,Hirsute nous a invités à par-tager un pot-au-feu préparé avec la viande de son bœuf et les légumesde son jardin. Marie-Paule en a repris. Pour désoiffer son monde, il aservi du cidre doux de ses pommiers.Angèle en a repris.Angèle n'est pas rétrograde. CommeThérèse qui ne supporte pas les

bougies, « sauf à l'église », elle sait apprécier les bienfaits de l'électricité,de la machine à laver, du téléphone et... de la bagnole. En campagne,l'automobile a apporté beaucoup, à tous. On n'est plus tout le tempssous la surveillance de voisins pas forcément bienveillants.Ceux qui sontà la retraite profitent de la bagnole pour se balader et se créer de nou-velles amitiés. Et voir du pays. L'été dernier,Angèle a visité les Pays-Basen car. C'était sa deuxième sortie des frontières de l'Hexagone.Avec sescompagnons, tous membres d'un club d'aînés ruraux, elle avait été cho-quée par la quasi-absence de personnes âgées dans les rues des villes hol-landaises. « Qu'est-ce qu'ils en font ? Ils les cachent ? Ils les tuent ? » « Tuvois, les vieux, ils vont là-bas pour comparer, pas pour se balader dansun aquarium, ils remarquent les différences », m'a dit Hirsute lorsque jelui ai rapporté cette conversation.Vrai.

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Après la veillée,Angèle me confiera que des soirées comme ça, c'esttrop rare, qu'il faudrait en organiser plus souvent.Maurice, lui aussi, étaitravi. Nous ne verrons pas de photographie de son visage aux yeuxpétillants de malice et de bonté. Ancien membre du conseil municipalde son village, actif dans plusieurs associations, il est connu en grand,presque autant qu'Henri. Avec tous les secrets qu'il a appris, il n'auraitplus un instant de tranquillité. Il n'était pas venu à la veillée que nousavions donnée dans son bourg. Ce n'est pas l'envie qui lui manquait,mais il savait de quoi nous causions et ne voulait pas que tout le mondele regarde au moment où nous évoquions ceux qui cernent le feu. C'estqu'il en a touchés des gens du village, et de plus loin... « Moi, je caressetout le monde. » Maurice est né dans une famille nombreuse. « Je suisparti domestique de ferme à treize ans, en 1939, pour remplacer un garsqu'avait été fait prisonnier. À l'époque, on était nourri, logé, et ontouchait ses premiers sous au bout d'un an. Et il fallait attendre encoreun an pour toucher la paye suivante. »Plus tard,Maurice s'est installé à son compte sur une exploitation de

dix hectares, mais la ferme était malheureuse, les bêtes tombaientmalades ou crevaient. Il a repris une autre exploitation, plus grande, ettout a bien marché. « Je ne crois pas à la sorcellerie, mais je pourrais ycroire quand même. »Il y a vingt-six ans,Maurice s'est retrouvé chez une dame de ses voi-

sines pour la veillée mortuaire du mari. Cet homme-là avait rendubeaucoup de « services » au cours de sa vie : il conjurait les maux. Il avaitserré dans une enveloppe les formules secrètes et les instructions pourcerner le mal comme il convient. La dame ne voulait pas s'en servir. « Sivous voulez, je vous passe ça. »Le mari était souvent venu chez Maurice.Une fois, il avait guéri une de

ses vaches qui était tombée et ne pouvait plus bouger. Elle a échappé àl'équarrisseur. Une autre fois, Maurice s'était retourné un pouce, le voisinle lui avait remis en le cernant, sans manipulation. Le pouvoir de guérir...

Maurice

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Maurice a pris les secrets.Au début, il n'en parlait à personne, il ne s'occupait que de ses bêtes

quand elles avaient un problème.Ça marchait. Et puis, un jour, un gars deLoiron s'est fait une entorse devant lui.Maurice a cerné l'entorse (tant defois dans un sens, tant de fois dans l'autre) en disant intérieurement lesecret pour les foulures et « ça y a marché. » Le gars lui a envoyé quel-qu'un d'autre qui lui a envoyé quelqu'un d'autre qui... « Les gens arriventen boitant et repartent sur deux pieds. »À la différence d'Angèle, et comme la plupart de ceux qui travaillent

par secrets, Maurice a parfois des suées lorsqu'il cerne. « Ça me chauffedans la tête. » D'autres fois, au moment où il récite la formule pour lefeu, ses mains deviennent toutes froides. « Après, la main se reréchauffe,une fois que je suis quitte. » Ça ne le travaille pas beaucoup plus que ça.Lorsqu'il les touche, certaines personnes sentent une chaleur qui leurdescend dans le ventre. Il est toujours très concentré. Ça fait du silence,comme une aspiration.Pour les verrues, il cerne directement sur le corps puis il coupe une

mèche de cheveux si c'est un homme, ou de poils, s'il s'agit d'une bête.Il les retravaille dans les jours qui suivent.Ça renforce l'effet des caresses.Un radiesthésiste de passage chez Maurice pour le repérage d'une

source lui a révélé que s'il voulait, il pourrait s'installer comme magné-tiseur, qu'il avait un don. « Certainement pas », a répondu Maurice, quirefuse de faire commerce de ses secrets et ne désire surtout pas s'embar-quer dans une aventure où il y a pas mal de coups à prendre. « Faut pasgarder ce qui vous appartient pas.Y avait des miracles sous le Christ,ça c'en est peut-être. D'ailleurs les secrets, c'est très ancien, ça date peut-être du temps du Christ, faut pas gagner de sous avec ça. » Et quanddes gens persistent à vouloir lui donner de l'argent, il le transmet auxbonnes œuvres. Le jour où je lui ai fait cadeau d'une bouteille de bonvin pour le remercier d'un petit service qu'il m'avait rendu, il m'a offerten retour un litre de son pommeau. Le don du don.La liste des maux que passe Maurice est longue : le feu, les zonas, les

entorses, les verrues, les sciatiques, les déchirures musculaires, les plaiesinfectées, les phlegmons, les panaris, l'herpès et les kystes secs. Maiscomment ça marche ? « Faut pas chercher à comprendre. Y a rien àcomprendre. » Pourquoi ? Quel est le sens de tout ça ? Colette m'a donnéune piste, quelques jours plus tard, dans les allées du supermarché.Coletteet son époux sont des paysans « éclairés », parmi les premiers, dans lesannées soixante, à avoir rationalisé leur production et pratiqué la mono-culture intensive sur l'une des plus belles exploitations du village.Nous échangeons quelques réflexions sur le porc à six francs le kilo,

une cote catastrophique, la mondialisation de l'économie, José Bové,l'impossibilité pour Colette de poursuivre ses études lorsqu'elle avaitquatorze ans et le handicap qu'elle ressent à cause de son manque de

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connaissances face aux problèmes qui se posent aujourd'hui aux agri-culteurs. Colette a voulu que ses filles aient au moins le bac.Tout de go, la conversation dévie sur les guérisseurs. Colette lève les

bras au ciel : « Heureusement que nous avons nos croyances avec lesconjureurs.On a besoin de croire en quelque chose qui est plus fort quenous. Les gens, ça leur fait du bien de croire à ces choses-là qui vien-nent de loin, ça leur rend service. J'ai amené ma fille se faire passer desverrures plantaires chez la mère Delhommel. Ça y a marché. J'y ai étépour moi aussi, je croyais avoir une verrure, mais c'était un fibrome.Eh bien, ça n'a rien fait. C'est donc qu'il y a quelque chose... Mais, il nefaut pas aller trop loin, comme certains qui finissent par s'enfermer dansdes histoires de fous. »Colette est pratiquante,mais les croyances, c'est autrement plus solide,

peut-être, que la foi et la morale. Les croyances, ça tient au corps. Il s'agitde se faire du bien, de se passer des bienfaits légués par les ancêtres, entrehumbles. Il s'agit, pour le conjureur, d'être impeccable dans la réalisationde son action, de ne refuser à personne ses services, d'observer scrupu-leusement l'antique rituel de guérison, de se brancher sur un temps cos-mique hors du temps de la routine. Il s'agit d'espérer et de savoir rece-voir, pour celui qui souffre. C'est une forteresse gnostique qui a résistéà l'usure des siècles, aux assauts de l'Église des princes et desprocès en sorcellerie, qui a résisté à l'inquisition scientiste. Ce n'est pasà vendre, c'est transmis. C'est un trésor.

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Retour à la Folie. Le dernier récit de la veillée est interprété parThé-rèse. Avant, Pierre a raconté les processions de la Fête-Dieu, abandon-nées depuis une trentaine d'années et Laurence a parlé de sa grand-mèrepolonaise et d'un soldat russe de la guerre 14 qui avait épousé une filled'ici. Moi, j'ai rappelé comment la sorcellerie tuait les bêtes et terrori-sait les hommes après qu'Alfred nous ait décrit le monde de la fonderiede Port-Brillet où il est rentré apprenti-mouleur à treize ans.Un mondeplein de ferraille et de bruit, de poussières, de chaud brûlant, de froidglacial. Un monde, aussi, où il a rencontré l'amour.Yvette, son épouse,est à chaque fois émue par le récit (un peu romancé) de leur rencontre.Ces deux-là sont des inséparables.Alors,Yvette a été promue au rang desouffleuse en chef lors de nos tournées de veillées. Elle n'a pas raté unesoirée.Thérèse évoque les représentations de La Passion au Bourgneuf, dans

les années cinquante et soixante. Le spectacle était organisé et interprétépar tout le village. À la fin, le gars qui faisait le Christ s'élevait dans lescintres frisés de nuages, grâce à un système à crémaillère cachéderrière un arbre. « Un p'tit miracle de théâtre. » Pour conclure, elleparle des temps modernes : « La plupart, y ne savent trop quoi dire, yrêvent à un monde qui soit pas désenchanté comme le moderne il estdevenu pour beaucoup, un monde où que,même un petit paysan d'Oli-vet, y pourrait monter au ciel ! »Quelques crêpes et petits verres plus tard, je m'assois face à Maurice.

Il me confie qu'il chanterait bien une chanson. C'est La Petite Marie.Angèle, Henri, Alfred et Yvette tentent de l'accompagner, mais lamémoire leur fait défaut. Alors, Maurice nous annonce qu'il va réciterun monologue, « L'enterrement du père Tougourdau », pour lequel il areçu en 1953 le premier prix de la fête de la Joie, à Cuillé (53-Mayenne).Composé en rimes bancales, le monologue a pour argument lesconflits entre un curé autoritaire et une bande de poivrots dont le pluséminent des membres, le père Tougourdau, vient à mourir et fait scan-dale, encore, pendant la cérémonie de funérailles. Maurice reste assis,

La Passion et le charlatan

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il n'a pas beaucoup de voix à cause de son asthme, il déclame à toutevitesse. Il est difficile de saisir le sens de toutes les paroles, mais la petitemusique imprimée au récit nous happe, hypnotique. Et on comprend.La veine est talentueuse. On suit Tougourdau et le père curé au presby-tère, en chaire, sur la place. Le bougre nous tient et ne nous lâchera pasavant la fin hilarante où deux bouteilles de vin placées par les compèresdu poivrot dans son cercueil explosent et répandent leur contenu sur lepavement de l'église.Le délicieux petit bonhomme savoure notre stupeur et enchaîne

coup sur coup deux autres monologues, « L'argot parisien », sur l'argotdes apaches du Paris des années trente, puis « Le charlatan », un avertis-sement pour les trop crédules, doublement drôle quand on sait que celuiqui le déclame est un conjureux...Ces récits, et d'autres, Maurice les a copiés à la plume sergent-major

dans plusieurs cahiers d'écoliers, les fameux cahiers de chansons que l'onétait autrefois priés de réviser avant les noces.« Dame ! on n'avait pas de radio ni de télévision ni de disques, c'était

notre manière de nous amuser. J'ai appris l'accordéon pour accompa-gner les chansons. Je les apprenais vite, en une seule nuit. Faut direque j'étais entraîné. Du lundi au samedi, j'étais seul avec ma jumentà labourer les champs, à semer, à ébarber les haies. On n'avait personneà qui parler tout le long de la semaine, sauf aux heures des repas.Répéter les monologues, ça occupait l'esprit et, après, c'était un plaisirpour les autres.« Mes meilleures histoires, je les tiens d'un ancien prisonnier qui avait

recopié en Allemagne tous les monologues qu'il pouvait auprès de garsvenus de toute la France. Il m'a laissé son cahier. Au fil des années,d'autres me l'ont emprunté pour le copier eux aussi. C'est des histoiresqui continuent à circuler. »... mais qui restent souvent cachées. C'est la surprise que nous avions

presque oublié d'attendre. Un autre trésor. L'ambiance devait êtrepropice.Maurice m'a prêté son cahier, j'ai recopié « Le Charlatan. »

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Le Charlatan

Mesdames et messieurs,

si je viens sur cette place moyenne,

moi, Boniface Crocambule,

grand archevêque de la famille de Globus,

navigateur qui règle le soleil avec une perche, né dans la paroisse

de L'embarras-derrière-les-murs-de-la-semaine-qui-vient...

L'un de mes oncles se maria en l'an mille-huit-cent-trop-tôt

avec l'une de mes tantes

dont les parents connaissent parfaitement bien

le chien du portier de la maison Saint-Jacques en Galilée.

J'ai eu le bonheur de dîner avec Dardanelles,

un personnage très intéressant qui n' se mouche pas du pied

et n' se fait pas la barbe avec un manche à balai.

Et c'est d'après cette géologie

que je vous prie de croire, mesdames et messieurs,

que je n' suis pas le fruit insectueux

d'un merle blanc et d'une carpe frite...

... si je viens sur cette place moyenne,

c'est pour vous prouver que je n' suis pas un charlatan

comme ces marchands d'astuces

qui viennent subtabiliser la bonne foi du monde

et l'humanité souffrante.

Je viens vous apporter ma poudre digestive de l'absinthe.

Elle guérit les vers, les vers ronds, les vers rongeurs,

les vers solitaires et célibataires.

Les vers rongeurs, mesdames et messieurs,

en auriez-vous plein mon chapeau,

je n' demande que cinq minutes

pour les faire vaguer par les voies basses.

J'ai vu le bout du monde.

J'ai été chez les Goths, les Wisigoths,

j'ai appris à parler le grec, le turc,

le persan et le chinois.

J'ai fait quatre cent quatre-vingt-dix-neuf lieues dans la moutarde,

je prenais respiration par le troisième bouton de mes guêtres

et trois pas plus loin, je n' marchais plus sur rien du tout.

J'ai voyagé dans des pays

où les mares sont d' bouillie

pour ceux qui n'ont pas d' dents ;

et les ruisseaux d' vin,

pour ceux qui en ont besoin.

Et vous, mes p'tites dames,

si vous avez des poules qui ne pondent pas,

donnez-en à vos vaches

et vous êtes certaines d'avoir des œufs.

Encore bien plus, mesdames et messieurs :

mon remède a la divinité et la propriété

de rendre l'oreille aux sourds,

la gaieté aux bourrus,

le courage aux poltrons

et aux vieilles femmes... des amants !

Je m'en vais donc partir

et laisser à ce bas monde

la recette qui m'a immortalisé.

Voici la manière de faire mon remède :

vous prenez un énorme chaudron,

vous y mettez trente litres de vents,

du son de cloche,

du jus d'enclume,

la perruque du roi Damoster,

la corde de sa charpe

et la dix-neuvième partie de la virginité d'une jeune fille,

telle que celle de la reine Marguerite.

Vous ajoutez des queues d'agneaux,

des vieux chapeaux,

salez et poivrez.

Vous faites le tout bouillir pendant cent ans

au bout duquel vous le retirez

pour le faire clarifier et le mettre en bouteille,

vous en buvez, vous et votre famille

et je vous assure la vie pour un siècle.

Soyez dans la plus grande génération, mesdames et messieurs,

et c'est ce que je vous souhaite à tous !

Ainsi soit-il.

à la Folie, 31 décembre 1999.

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Les acteurs :

Hirsute

Nioule

Thérèse, Gilbert, Maia, Gipsie

Henri, Annick, Christian

Anaëlle

Pierre

Alfred, Yvette, feu Clovis

Laurence

Denise, Arsène, Mme Trique

Angèle

Paulette

M. Garcia

Maurice

Merci à eux,

merci à tous les autres.

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Ceux qui ont aidé ce projet, par ordre d'entrée en scène :

Gérard Bonal (GÉO)

Sylvie Rebbot (GÉO)

Jean-Luc Marty (GÉO - Jefe)

Eric Pérot (ministère de l'Agriculture et de la Pêche)

Marion Hennebert (Editions de l'Aube)

Frédéric Rossi (Agence Métis)

Anne Duruflé (ministère des Affaires étrangères)

Yves Duruflé (ministère de l'Agriculture et de la Pêche)

Chantal Giteau (Pays de Loiron)

Madeleine Guicheney

Françoise Guicheney

Delphine Goux

Michel Basset

Valérie Gendry (bibliothèque départementale de prêt)

Sylvie Dewulf (bibliothèque départementale de prêt)

Corinne Bonnet (Conseil général de la Mayenne)

Claude Le Feuvre (président du Pays de Loiron)

Marc Bernier (conseiller général de la Mayenne)

Selma Turalic (Pays de Loiron)

Isabelle Lemoine (Pays de Loiron)

Philippe Aubry (bibliothèque départementale de prêt)

M. et Mme Surcouf (archives départementales de la Mayenne)

Laurent Devèze (D.D.A.T. - ministère de la Culture)

Jean-Noël Pancrazi (D.D.A.T. - ministère de la Culture)

Guillaume Garot

Catherine Trautman (ministre de la Culture)

Christophe Léger (Agence Métis)

Chantal Dagault (D.R.A.C. Pays de la Loire - D.D.A.T.)

Pascal Trégan (Conseil général de la Mayenne)

Didier Briand

Evelyn Prawidlo

Maurice Gruau (Appoigny)

Merci à eux,

merci à tous les autres

conseiller scientifique Pascal Dibie

conseiller artistique des veillées Ludwik Flaszen

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143

Cet ouvrage est l’une des créations inscrites dans le programme du projet trien-

nal « Mémoire du bocage ». Pierre Guicheney en est l’initiateur et l’association

« Héritages », présidée par Pascal Dibie, le maître d’œuvre.

Les autres volets de « Mémoire du bocage » sont la tournée de « veillées » réalisée

au cours de l’hiver 1998-1999 en Mayenne, l’exposition « À la Folie », inaugurée le

13 mai 2000 au château de Sainte-Suzanne, en Mayenne, et le roman-photo pay-

san « Thérèse, à la Folie », produit et publié par GÉO magazine en juin 2000. De nom-

breux partenaires se sont associés à « Héritages ». Leur participation financière,

logistique ou scientifique a permis que ce projet voie le jour.

District du Pays de Loiron

Bibliothèque départementale de prêt de la Mayenne

Conseil général de la Mayenne

Région Pays de la Loire (F.R.A.D.I.C.)

Ministère de l'Agriculture et de la Pêche

Ministère de la Culture – D.R.A.C. Pays de la Loire

Ministère de l’Aménagement du territoire (F.N.A.D.T.)

Laboratoire d’anthropologie visuelle et sonore

des mondes contemporains – université Paris VII Denis-Diderot

Agence Métis

GÉO magazine

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Maquette Pierre Guicheney, Christophe Léger

Composition Pat’garet associées

Tirage photos Pascal Xicluna

Achevé en mai 2000 aux Ateliers Kerdoré-Siloë

22, rue du Jeu-de-Paume, 53000 Laval

Imprimé en Europe

N° d’éditeur 53020153

Dépot Légal juin 2000

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Nuit de veillée au lieu-dit la Folie, un repli moussu du bocage

mayennais. Thérèse, Pierre, Henri et Denise, paysans, Hirsute,

insoumis hospitalier, Angèle et Maurice, guérisseurs, nous

entraînent dans l'intimité d'une campagne française qu'on

pourrait croire passéiste, alors qu'elle est tout simplement,

légitimement, soucieuse de son âme et de sa mémoire. Rituel

de la tuerie du cochon, chasse aux taupes, pêches miraculeuses,

choc de la dernière guerre (celle d'Algérie), secrets des guéris-

seurs, échanges généreux et goûteux de nourritures et d'his-

toires, souci de transmission brossent le portrait d'une France

paysanne où la pensée magique est encore pleinement agis-

sante... et passera le millénaire. Le regard intimiste de la grande

photographe Marie-Paule Nègre a épousé l'esprit profondément

original du travail d'auto-anthropologie mené depuis cinq ans

par Pierre Guicheney et ses compagnons de route dans son bocage

natal. Paroles et images expriment ici, en totale harmonie,

l'essentiel.

Texte Pierre GuicheneyPhotographies Marie-Paule Nègre

s e c re t s d e l a mémo i re p ay s anne

Mar ie-Pau le Nèg re

P ie r re Guicheney

À la Folie

ISBN 2-84231-135-3/130F/19,82€

Pier

reG

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eney

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aule

Nèg

reÀ

laF

oli

e Pierre GuicheneyParticipe dans les années soixante-dix et

quatre-vingt aux recherches théâtrales de

Jerzy Grotowski, membre du Collège de

France, personnalité phare du théâtre du XXe

siècle, qu'il accompagne en Pologne, aux

Indes et en Italie (Théâtre des Sources). Il tra-

vaille ensuite une dizaine d'années à Rome

pour le cinéma et la télévision. Il y publie son

premier roman, La Storia di Bilal (Sensibili

alle Foglie ed., Roma, 1992), inspiré par sa

rencontre avec une confrérie de musiciens

guérisseurs africains, les Gnawa. De passage

dans sa terre natale , la Mayenne, pour

quelques années, il écoute, filme, écrit et

continue de voyager à travers le monde pour

poursuivre la recherche commencée en

Pologne. Pierre Guicheney est l'auteur de On

se meurt apprenti, roman et photographies

(Terre de Brume, Rennes, 1997).

Marie-Paule NègrePrix Niepce 1995, membre de la Fondation

Leica, Marie-Paule Nègre travaille pour de

nombreux magazines et revues du monde

entier. Au cours des dix dernières années, elle

s’est affirmée comme l’une des (très) rares

artistes photographes françaises qui aient eu

la constance de mener des travaux de longue

haleine sur les réalités sociales ou humaines

les plus difficiles d’approche. Élégance et com-

plicité du regard, savants déséquilibres de

compositions sobres sont les constantes

d’une œuvre sensible, toujours proche des

êtres. Respectueuse.

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