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–Cettefois,lesnounouchons,c’estlacata!Armelle fixait l’écran de son ordinateur, sur lequel la page Word

qu’elleavaitouverteuneheureetdemieplustôtrestaitd’unblancpresqueéblouissantdanslalumièredumatin.Cen’étaitpasqu’ellenetrouvaitpasles mots, mais toutes les phrases qu’elle avait tapées jusque-là avaientterminéleurexistencevirtuelledanslanonmoinsvirtuellepoubelledesonPC.

Les nounouchons ne daignèrent pas ouvrir l’œil en signe decompassion, encore moins relever le museau. Tout juste s’ils lui firentl’aumôned’unfrémissementdemoustache.

–Jenesuispascertainequevoussaisissiezbientoutel’urgencedelasituation.Si c’était le cas, vous vous affoleriez unpeuplus que ça, grosmalins!

Elle gratta distraitement le crâne d’Euripide – dont les pattes avantdébordaient d’un côté de ses genoux, raides commedes baguettes, et lespattesarrièrependaientmollementdel’autre–,toutencalculantletempsqu’illuirestait.

Lacata,oui…C’estriendeledire!Abandonnantlatêted’Euripide,ellerepoussaSophoclededeuxmains

impatientes : consentant enfin à manifester un peu d’intérêt pour sonproblème, ilvenaitdeposersonderrièresur leclavierensignedebonnevolonté… Si tant est qu’« aaazzzzqsdwww » puisse constituer une

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suggestion satisfaisante pour le début d’un compte rendu de pièce dethéâtre.

Car elle avait à rédiger le compte rendu d’Une maison de poupéed’Ibsen, vue l’avant-veille au TNP, le Théâtre national populaire deVilleurbanne ; compte rendu qu’elle devait impérativement mailer avant15heuresaunouveau rédacteurenchefdeVivreàLyon, l’hebdomadairepourlequelelletravaillait.Etellen’enavaitpasécritlepremiermot!Elledétestaittravaillerdansl’urgence,maisenmêmetemps,sansqu’ellepuisses’expliquercommentellesedébrouillait,elleseretrouvaittoujoursaupieddu mur, à devoir taper comme une folle furieuse sur le clavier de sonordinateurpourrendresesarticlesàtemps.

Etcejeudi-là–9mai,9h47–n’échappaitpasàlarègle.Leproblème,c’est qu’elle n’avait pas du tout aimé lamise en scène et qu’elle séchaitcomplètement !Etcommesicen’étaitpasdéjàassezdifficilecommeça,quelqu’un,dansl’immeuble,avaitpersonnellementdécidédeluigâcherlamatinée;quelqu’unavaitdécrétéqu’ellenel’écriraitpas,cefichucompterendu…Avec un bel acharnement en plus ! Ça avait commencé par desébranlements sporadiques de la pauvre vieille rambarde de bois vers septheuresetdemiedumatin,ébranlementsquiavaient résonnédans toute lacage d’escalier. Étaient venus ensuite pendant une bonne heure desahanements entrecoupés de brèves suppliques ou directives – « Pose !Pose ! Je lâche ! » ; « Fais basculer… À droite… À DROITE ! Là…OK… » –, suivis de cavalcades sur les marches de bois cirées, à sedemander comment il n’y avait pas eu de chute. Puis y avait succédé,pendant cinq bonnesminutes, unmartellement sourd derrière elle, sur lemurcontrelequelsachaisedebureauétaitappuyée.Lesvibrationsquecescoupsavaient imprimées à la cloison s’étaient répercutées jusquedans lastructuremétalliquedesonsiège.

Pas besoin d’avoir fait Saint-Cyr pour deviner qu’il s’agissait d’unemménagement ;maisquelle idéedelefairece jour-là,alorsqu’elleétaitaffreusement en retard dans son travail, que les phrases renâclaient às’aligner,etqu’undébutdemaldetêtecommençaitàluivrillerlestempes!

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Est-cequelesgensnormauxn’emménageaientpasplutôtlesamedi,quandleursfutursvoisinssontpartisenweek-endà lacampagneouen traindepetit-déjeuneraulit,vers15heures,15h30,enécoutantlaradio?

Exaspérée, à deux doigts de sortir sur le palier faire sa mégère, ellerefermalapageetselevadansunesalvedemiaulementsindignés.Ellealladanslacuisinepouravaleruncachetd’ibuprofèneavecunverred’eau.

Entraversantsonpetitsalon,ellejetauncoupd’œilparlafenêtre.Unemménagement, oui, c’était bien ça. Une camionnette de location étaitgarée juste devant l’entrée de l’immeuble, et un garçon et une filles’échinaient à soulever unmatelas dans le but évident,mais encore loind’êtreatteint,delefairepasserparlesdoublesportesgrandesouvertesduhall.

Armelle ne put réprimer un ricanement de satisfaction. Ah, quandmême!Ilyavaitunejustice!Ramezbien,mescocos,çavousapprendraàfairedubruitpendantquej’essaiedebosser!

Elle avait toujours trouvé comique le spectaclededeuxpersonnes entrain d’essayer de transporter un matelas. C’est bien la chose la plusencombrante et la moins maniable qu’on ait à déplacer au cours d’undéménagement.Quoique lescartonsde livresnesoientpasmalnonplus.La terreur des amis que vous embauchez pour vous aider. Elle entendaitencorelescrisd’horreurdesasœuretdesonbeau-frèredevantlesdizaineset les dizaines de cartons dans lesquels elle avait empaqueté sabibliothèque.Parcequ’ellen’étaitpasdugenreà jeternià revendre.Lessites de vente de bouquins d’occasion feraient faillite, s’ils devaientuniquement compter sur des gens comme elle !Elle possédait encore leslivres qu’elle avait lus dans le cadre de l’école primaire, du collège, dulycée,de la fac, auxquels il fallait ajouter ceuxqu’elle achetait pour sonplaisiret tous lesservicesdepressequ’elle recevaitpourson travail.Lescris d’horreur dataient de… eh bien, de trois ans maintenant, calcula-t-elle… Dire que son emménagement dans ce petit appartement quisurplombaitlaSaônenedevaitêtrequetransitoire…Ellel’avaitchoisiàlava-vite, justeaprèssaséparationd’avecSylvain.«Choisi»n’étaitpas le

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mot d’ailleurs. Elle avait pris le premier qu’elle avait visité, juste parcequ’il fallait qu’elle pose ses affaires quelque part ; l’appartement danslequel ils avaient vécu ensemble appartenait à la famille de Sylvain. Parchance, l’endroit était propreetdans sonbudget.Elle étaitbiendécidée,alors,ànepasyfairedevieuxos,àrebondirleplusvitepossibleetsurtoutleplusloindeLyon.Maisleschosesnes’étaientpaspasséescommeellel’avaitenvisagé.

Pourcommencer,cetappartementancien,avecses troispetitespiècesbiscornuesetsonchauffe-eauqui la lâchaitauxpiresmoments,avait trèsvite exercé sur elleuncharme inattendu.Des fenêtresde son séjour, elleavait une vue sans cesse renouvelée sur la Saône et ses eaux aux refletschangeants,surlestoitsdelapresqu’îleet,ensepenchantunpeu,surunepartiedespentesdelaCroix-Rousse.

Lapiècequi luiservaitdebureaudonnaitsur l’arrièredel’immeuble,surunepetitecourattenanteàl’appartementdurez-de-chausséeoccupéparunevieilledameauxpoucesverts.Auxbeauxjours, lorsqu’elletravaillaitla fenêtre ouverte, l’air soulevait jusqu’à son quatrième étage sansascenseur le parfum d’un jasmin étoilé à la floraison aussi abondante etodorantequesurprenantedansunendroitaussiconfiné.Etlesdeuxcanariset la perruche en cage que la vieille dame installait au milieu de cettefloraisonmiraculeuseoccupaientalorstantSophocleetEuripidequ’ilsenoubliaientl’unsesgenouxetl’autresonordinateur.

Elle aimait aussi les plafonds hauts,moulurés, qui faisaient une partbelleà la lumière, lesparquetsblondsquicraquaient,et les lourdsvoletsintérieurs qui s’assujettissaient avec une crémone. Avant qu’elle necomprennecequi luiarrivait,elles’étaitcréé toutun tasdepetits rituelsagréables et douillets chez elle et dans le quartier, avait acheté chez unbrocanteurunesériedemeublesdisparatesauxquelselleavaitinventéunehistoire, et l’appartement ne lui avait plus paru si biscornu que ça, ni siprovisoire.

Sanscompterquesesprospectionspourtrouverunposteéquivalentàcelui qu’elle occupait à Vivre à Lyon dans une autre ville – n’importe

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laquellepourvuqu’ellesoit:1/loindeLyon,2/dotéed’unthéâtre,3/d’unopéra, 4/ de cinémas dont un d’art et d’essai, 5/ d’aumoins une bonnelibrairie– luiavaientvite fait comprendreque lechangementne se feraitpasaussifacilementqu’ellelepensait.Comme«untiensvautmieuxquedeuxtul’auras»,elleavaitfiniparabandonnersesrecherches,conscientequ’elle tenait, avec la double page hebdomadaire de sa rubrique« Littérature et Culture » et les excellentes relations de travail qu’elleentretenaitavecLionelJasper,sonrédacteurenchef,unespacedelibertéetdeconfortauquelilauraitétéfinalementbienimprudentderenoncer.

Carellen’auraitpurêvermeilleurpostequece jobquialliait toutcequ’elleaimaitfaire:écrire,lire,voirdesfilmsetassisteràdesspectacles.Elle s’estimait des plus chanceuses de pouvoir gagner sa vie en passantjusqu’àquatresoiréesparsemaineauthéâtre,aucinémaouàl’opéra,etlestroisautressoussacouetteavecunepiledeservicesdepresseàdévoreretsesdeuxchatsétalésentraversdulit…

Unautredesavantagesdecetemploiétaitqu’ellepouvait travailler laplupartdesontempsàdomicileplutôtquedansl’openspaceassezbruyantdujournal,oùelledevaitcependantfairesonapparition,uneoudeuxfoispar semaine. Chez elle, au moins, personne ne trouvait à redire au faitqu’ellegagnaitsavieenpyjamaetengrosseschaussettesàbouclettes–satenuepréféréepourrédigersesarticlesquelquesoitlemoment–,EuripidelovésurelleetSophocle,engrosselimaceparesseuse,étalésursonbureau,colléàlaventilationdesonordinateur.

ElleétaitdoncrestéeàLyon,rasantlesmurs,lespremiersmois,danslacrainte de croiser Sylvain, évitant les endroits qu’ils avaient fréquentésensemble, n’osant plus faire ces longues promenades au parc de la Têted’Or qu’elle aimait tant… Et puis elle s’était rendu compte qu’elle nesouffraitpastantqueça.Qu’elleavaitprispourduchagrincequin’étaitau fond que la mortification et la colère d’avoir été la dernière de leurgroupe d’« amis » à apprendre que Sylvain entretenait depuis plusieursmoisuneliaisonavecunenouvellecollèguedebureau.Unscénariod’unegrandebanalité…

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Ettroisansplustard,lamêmeaumêmeendroit,toujoursàécrireseschroniquesenpyjamaetgrosseschaussettesàbouclettes…

Ellesortitunverredesonplacard, fitcouler l’eaudu robinetpour lalaissertiédir–elledétestaitboiredel’eautropfroide–etavalasoncachet.Lematelasétaitmaintenantentraindeparvenirpéniblementauquatrièmeétage,sielleencroyaitlesbruitsetlessoupirsqu’elleentendait.Lesriresaussi…Desriresjoyeux,francs,entrecoupésdecommentairesétouffésquidéclenchaientdenouveauxrires…

Un regret douçâtre lui serra alors le cœur.Depuis combien de tempsn’avait-elle pas ri ? Oh ! Il y avait à Vivre à Lyon quelques espritscaustiques à la langue bien pendue qui savaient épingler avec humourcertains événements d’actualité ou certains personnages en vue… Maisdepuis combien de temps n’avait-elle pas ri vraiment ? N’avait-elle paséprouvéavecquelqu’uncettecomplicitétendre,profonde,qu’elledevinaitentrelegarçonetlafille?Unjeunecoupleprobablement.Sansdouteétait-cemême leur premier emménagement en amoureux…Elle n’avait pas vuleursvisages,par la fenêtre,maisà leurallure, elle lesdevinaitdansunevingtaineencoreintactedesvicissitudesdel’existence.

Elle retourna dans son bureau, s’installa de nouveau devant sonordinateur,etrouvritunepageWord,décidéeànepaslaissersesnouveauxvoisinsouvrirlaporteauxmauvaissouvenirsetluisaperlemoral.Etpuis,ilfallaitbienqu’ellel’écrive,cefichuarticle!

***

Elle renonçaune foisencore,unpeuavantmidi.Riennevenait.Elledécida donc de prendre sa pause-déjeuner, même si, objectivement, ellen’enavaitpasvraimentletemps.C’étaitsouventlorsqu’elleétaitabsorbéepar des tâches matérielles que les idées surgissaient. Peut-être qu’en secoupantdeuxtomatesenrondellesetenyajoutantuneboîtedemaïs,elleaurait une illumination. Peut-être qu’elle verrait enfin par quel bout leprendre,cecompterendu!

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Elleenétaitàfairecoulerunfiletd’huiled’olivesursasaladequandonsonnaàsaporte.

Elle alla ouvrir. C’était sa nouvelle voisine. C’est du moins cequ’Armelle supposa, étant donné qu’elle n’avait fait que l’apercevoirdepuis la fenêtredesonsalon,plus tôtdans lamatinée.Mais laportedel’appartement juste à côté du sien était entrouverte : la conclusions’imposait.

La lumièrequiprovenait dupuitsde jourde la caged’escalier, assezcrueàcetteheure,donnaitauvisagedelajeunefemmeunepâleurétrange.Mais peut-être cette pâleur était-elle réelle et due à la fatigue dudéménagement ? Quoi qu’il en soit, ellemettait en valeur le vert de sesyeux.Unverttrèsclair,commeuneeaupure,quidonnaitàlavoisineunairde candeur, d’innocence, renforcé par la blondeur de chérubin de sescheveux.

Armellefutalorssubitementprojetéeseizeoudix-septansenarrière,auxannéesfragilesdesonadolescence,quandellefaisaitdelonguesposesdevant les miroirs, le buste torturé par le corset destiné à corriger sascoliose, étudiant son visage trop mince et trop long, ses cheveux tropplats…Quandelle regrettait denepas êtreLolitaPerez,denepas avoirson nez retroussé, ses yeux bleus, ses taches de rousseur et son formatminiature.Rienquesonprénom,Lolita,c’étaitdéjàtoutunprogramme…Çavousposaitunpersonnagemieuxqu’ArmelleouLucile,franchement;ça vous avait quelque chose de romanesque et de sulfureux, propre àenflammerl’imaginationdéjàhyperinflammabledesgarçons.Etquandtoutle physique suivait, comme c’était le cas pour Lolita, il y avait de quoidevenirhargneusedejalousie.Pourtant,aulycée,ellel’aimaitbien,Lolita.Unefillesimple,finalement,presqueencombréedetantdebeauté…

Elle,elleavaitcompristrèstôtquerienneluiseraitdonnédanslaviesurlafoid’unjoliminois,pourlabonneraisonque«joliminois»n’étaitpasl’expressionlaplusappropriéepourqualifiersonsinguliervisage.Nonqu’ellefûtaffubléed’unedisgrâceparticulière,maiselleavaitparfaitementconsciencedenepas être de ces jeunes femmesdont le charme saisit au

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premier regard. Pas plus qu’elle n’avait été de ces bébés qui engendrentl’attendrissementspontanédespassantsdanslarue,oudecesfillettesdonton prédit en s’extasiant qu’elles deviendront plus tard « de véritablesbeautés».Ellesavaitqu’enlavoyantpourlapremièrefois,laplupartdesgens avaient du mal à déterminer s’ils devaient la trouver belle ouquelconque.

Elle en avait souffert durant son adolescence.Elle avait bien souventenvié la rousseur ou le bleu des yeux de certaines de ses camarades declasse, leur petite taille, leur teint rose ou leurs joues pleines qui leurdonnaient l’air de charmantes poupées. Jamais cependant au point de sedésespérerdesonapparence.Etpuis,aufildesannées,elleavaitacceptéde n’être jamais celle qu’on remarque d’emblée dans les soirées, lesréunions,sanspourautantqueçalablesse.

Saufquandellesetrouvaitfaceàquelqu’undevraimenttrèsbeau,quece soit un homme, une femme ou un enfant… À quelqu’un qui avait,commeLolitaPerez,cequ’elleappelait« labeautéabsolue»,commeonparle en musique « d’oreille absolue ». Et cette beauté la frappait alorsd’unebrèvemaislancinantedouleur.

Ehbien, ilyavaitquelquechosedeLolitadans levisagede la jeunevoisine,etArmellesesentitsaisied’unesortedemélancoliedouloureuseenlaregardant.

–Bonjour…Excusez-moidevousdéranger…Armelle mit un peu de temps à se rendre compte que sa scrutation

silencieusepouvaitêtregênante.Est-cequ’ellefixaitlajeunefemmeavecdesyeuxdemerlanfritdepuislongtemps?Elleavaittellementl’habituded’êtreseuleavecsespensées,depuistroisans,qu’elleenperdaitparfoislanotiondutempsetlesensdesconvenances.

– Euh… Bonjour…, fit-elle avec un petit sourire qu’elle espéraitavenant.

Lavoisineluisouritàsontour.Unsourirejeune,frais,direct.–On se demandait si vous pouviez nous prêter un ouvre-boîte et un

tire-bouchon…

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Ellesetournaàdemi,désignantd’ungestevaguelecôtédupalieroùlaporteétaitentrouverte,etajouta:

–C’estunsacrébazar,là-dedans!Onneretrouverien.–Oui…Pasdeproblème!Attendez…Lorsqu’Armellerevintdesacuisine,lesustensilesàlamain,laportede

l’autre appartement était grande ouverte. La silhouette d’un homme s’yencadrait. Après la nouvelle voisine, le nouveau voisin… Normal… Sapremièrepenséefutqu’ilparaissaitplusâgéqu’ellene l’avait imaginéenl’entendantparleretriredanslesescaliers.

Elle tendit le tire-bouchonet l’ouvre-boîteà lavoisinesansquitter lenouveauvoisindesyeuxet sanspenser à le saluer. Il sedégageait de luiquelque chose de magnétique et elle n’arrivait pas à ne pas le regarder.Difficilededirecequec’étaitexactement.Peut-êtreunmélangedeforceetde calme, une détermination, tranquille mais inébranlable…Difficile dedireaussiqu’ilétaitbeau,carsestraitsprésentaientunelignedeforceauniveaudelamâchoirequiluidonnaitl’airunpeudur–nonpascegenrededureté qui provient d’un caractère peu amène, devinait Armelle,mais decellequeconfère,souventmalgrésoi,uneviechaotique.Maispeut-êtresetrompait-elledutoutautout.Peut-êtrebâtissait-elleunscénarioquin’avaitrienàvoiraveclaréalité,commesouventcesdernierstemps.Quoiqu’ilensoit,cethommeavait«unegueule»,commeonleditdecertainsacteursdecinéma, une gueule qui ne la laissait pas indifférente. Il était blond, luiaussi, mais d’un blond plus foncé que celui de sa compagne, et elle nevoyait pas bien la couleur de ses yeux. Très grand – une des premièreschosesqu’onremarquechezunhommequandon fait soi-mêmeunmètrequatre-vingt-deux–, le corpsmince et ferme, sans être celui d’un sportifassidu.

Maissurtout,ellesentaitchezluiunedensitéquiavaitallumécommeunsignalenelle,ouvertunchampd’attraction.Parcequ’elleétaitdecespersonnes dont le pouvoir de séduction ne s’exerce pas d’emblée par lephysique, elle avait développé une aptitude à voir les autres au-delà desapparences.

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Luilasaluad’unsignedetêteàpeinemarqué, toutenluirendantunlong,trèèèèslongregardappuyé.Elleenfuttroublée,n’osantcroirequ’elleaitpuretenirsivitesonattention;ellesesentitmêmelégèrementflattéeetsoncœursemitàbattreplusfort.

Puiselleserappelabrusquement…Elleserappelaqu’ellen’avaitpasmislenezdehorsdelamatinée,pas

même pour aller s’acheter du pain frais. Elle se rappela qu’elle avaitcomplètementoubliéde…

Ohnon!Pitié!Dites-moiqueçanem’arrivepas!Elle se visualisa dans son pyjama de pilou bleu marine parsemé de

canards,unrubanrougeautourducol,etdansseschaussettesviolettesàbouclettes.Ellesevisualisaavecsatressequidataitdelaveilleausoiretavaitsubilesoutragesdelanuit…

Non…Non…Non…Cen’estpasvrai!Si,c’étaitvrai…La voisine attrapa les ustensiles et la gratifia de nouveau d’un joli

sourire.–Merci!C’estvraimentsympa…Sionvouslesrapportedansl’après-

midiouendébutdesoirée,çaira?–Oui…Pasdeproblème…Volte-face charmante, geste aérien de la main, puis disparition dans

l’appartementd’àcôté.Pasdeproblème…Son dictionnaire électronique interne avait bugué sur la lettre P ou

quoi?Pasdeproblème…Bravo la conversation !Non, aucunproblème,vraiment,puisquelebeaugosse,àcôté,avaitdéjàsabellegosse.Etmêmes’ilnel’avaitpas,mêmesi«célibataireàcueillird’urgence»s’étaitaffichéen rouge clignotant sur son front, les hommes comme ça, c’était à desLolitaPerezqu’ilss’intéressaient,pasàdesArmelleDécourtenpyjama…

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–Unpeuzarb,tanouvellevoisine,non?–Pourquoi?Parcequ’elleestencoreenpyjamaàmidi?–Cen’estpastantlefaitd’êtreenpyjamaàl’heureoùlesautresvivent

leurvraieviequelepyjamalui-même.J’enaieuundanslegenre,situtesouviens…Maismoi,j’avais4ansquandj’étaisdedans…

Maxence eut un sourire attendri. « Vivre sa vraie vie », c’étaitl’expressionfavoritedeMiaencemoment.Sansdouteparcequ’elleétaitamoureuse.Elleenavaitdepuisl’époquedupyjamableumarineavecdescanards–ouvertsapinavecdespoussins,peuimporte–,desexpressionsdoctoralesetcomiquesauxquelleselles’accrochaitquelquessemaines,lesemployantàtouteslessaucesoupresque,avantdelesoublier.Unemaniequi lui avait valu de la part de leur père le sobriquet de « missraisonneuse»etquiexpliquaitpeut-êtrelalicencedephiloqu’elleétaitentraindepréparer.«Vivresavraievie»,pourelle,c’étaitsortirtouslessoirsoupresqueavecsabanded’amis,refairelemondedanslescafésetsurtout,surtout, partager de longs tête-à-tête avec Florian dans le studio qu’elleoccupaitaveclui,àl’insudeleursparents.

Quand, au dernier Noël, au milieu du traditionnel rassemblementfamilial, il avait annoncé qu’il quittait Grenoble pour s’installer à Lyon,Mia l’avait pris à part entre la dinde et la bûche pour lemettre dans lesecret.Elleavaitrencontréungarçon«génial».Ilétaitenphiloavecelle,logeaiten théoriechezsonparrainaufinfondd’Oullins,maisprenaiten

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réalitépresquetouslessoirset touslesweek-endssesquartiersdanssonstudioàelle,GrandeRuedelaCroix-Rousse.

–Oullins, c’est vraiment pas cool pour lui,Maxou, tu comprends…C’est un peu comme si toi, tu avais habité Anthony au lieu de la rueOberkampf,quandtuétaisauCoursFlorent…

Elleluiavaitfaitjurerdenepasvendrelamèche,enluipromettantdeluiprésenterFloriandèsqu’ilseraitinstalléàLyon,afinqu’ilconstateparlui-mêmequec’étaitungarçonbienetqu’iln’yavaitpasd’inquiétudeàavoir. Aucune raison, donc, d’alerter leurs parents à propos de cettecohabitation«secrète»etderisqueraveceuxl’incidentdiplomatique.

Il avait juré, tout en se promettant de garder un œil sur elle et des’assurerquecette«vraievie»,vécuedanslafièvred’unpremieramouretl’ivressedeses20anstoutneufs,negâcheraitpaslasuivante,cellequ’onappelle généralement « l’avenir », et à laquelle elle était supposée seprépareraussi,enpassantquelquesexamens…

Il avait eu une partie de la matinée pour constater – avec plaisir etsoulagement–queFlorianétaiteneffetungarçonbien,dotédesurcroîtdequelques muscles, ce qui lui avait été d’une grande utilité. Ils avaientterminédeviderlacamionnettedelocationversdixheuresetdemieetMiaétaitpartieaccompagnerFlorianàlagare.IlétaitattenduchezsesparentsàChalon-sur-Saône pour ce long pont du 8mai et de l’Ascension,mais ilavaittenuàdifférersondépartpourlesaider.Maxenceavaitprévudelesinviteraurestaurantpourlesremercier,unsoirprochain.

–ÀlaBrasserieGeorges,avaitdécrétéMia,fièredejouerlesmentorsavecluipourunefois.Tuverras,Maxou,c’estunevéritableinstitution,àLyon!

Pendant ce temps, il était allé rendre la camionnette quelque part auboutdeVilleurbanne,puisilétaitrevenuenmétro.Àsonretour,Miaétaitdenouveauchez lui. Ilsavaientdécidédese laisser réciproquement leursclés, « au cas où…».Elle tenait absolument à leur concocter un pique-niquedansl’appartement,etpourcefaire,avaitachetéàlapetiteépicerie

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du coin de la rue du pain, du jambon, du saucisson, du fromage, destranchesd’ananasenboîteetunebouteilledebordeauxrouge.

Ils auraient très bien pu aller grignoter quelque chose dans l’une desnombreuses gargotes du quartier, mais Mia faisait du pique-nique post-déménagementunrituelincontournable.Elleavaitaussi,eninsistantpourlepique-nique,uneidéederrièrelatêtequ’ilcomprittroptard.Avantmêmequ’ilne s’attaqueauxcartonsestampillés«cuisine»pour sortirdequoiouvrir la boîte d’ananas et déboucher la bouteille de vin, elle avait filésonneràl’unedesdeuxautresportesdupalier.

Lorsque Florian et elle l’avaient rejoint vers sept heures et demie dumatinpour l’aider à décharger ses affaires, elle avait longuement spéculésur les plaques des deux autres portes : « A. Décourt » et « J. etL.Champierre».PourJ.etL.–uncouple,selontoutevraisemblance–sonintérêt était très vite retombé. Mais pour A… Est-ce que c’était unhomme?Unefemme?Etsic’étaitunefemme,quelgenredefemme?

Ilétaitentrédanssonjeu:–AcommeAngèle…Unevieilledamecharmante,quis’estvouéeàla

couleurlavandedepuislamortdesonmari,capitainedecorvette,etquiestraidedinguedesonchihuahuanomméAmiral-Nelson.

– Et moi, je dis A comme Alexia, jeune et jolie célibataire,infographistedansuneagencedepublicité,etaccroausurfdesneiges!

–OuAcommeAlberte,avait-ilrenchéri,uneveuved’âgemûr,engagéedans les activités paroissiales et qui confectionne des fleurs en papiercrépon bleues et blanches dont elle fleurit tous les bancs de l’église àchaqueAssomption.

–OuAline,unemèredefamilletrentenaireetdivorcée,Maxou…– Une mère de famille trentenaire et divorcée, pourquoi pas…mais

affubléedecinqenfantsdontdestripléscaractériels,unadoquiapprendàjouerde labatterie façonheavymetaletunepetite fillequicommence leviolon…

–Onlesauraitentendus,avaitobjectéMia,pragmatique.Jecroisquejepréfèremajeuneetjolieinfographiste…

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Ils avaient bien ri, puis cette conversation leur était sortie de la tête,jusqu’àcequeMiasaisisselepremierprétextepoursefaireuneidéesurcemystérieuxvoisinage.Ehbien,commeça,aumoins,ilsétaientfixés!

Il retint à grand-peine un petit rire au souvenir de la dégaine de sanouvellevoisine.Nivieilledamelavande,niveuvefolledepapiercrépon,ni mère courage équipée vingt-quatre heures sur vingt-quatre de boulesQuies. Jeune et jolie infographiste ? Jeune, incontestablement…Le resteétaitencoreàdéterminer.Éberluéparsagrandetailleetsatenue,iln’avaitpasvraimentfaitattentionàsonvisage.

–Tupensesquetuserasbien,ici,Maxou?Bien…Rien n’était moins sûr…Mais commeMia le fixait avec de

grandsyeuxinquiets,ilseforçaàluisourireetluiassuraqueoui,pasdedoute, ilseraitbiendanscetappartement.Etdanscettevilleoùiln’avaitpas choisi de vivre, ajouta-t-il in petto, mais où une femme qu’il avaitbeaucoupaiméeàuneépoqueavaitemmenéavecelletoutcequirestaitdunaufragedeleurmariage:unpetitLouisde7ans.

Carpourunnaufrage,c’enétaitunbeau!LacatastropheduTitanic,àcôté,c’étaitunebonneblague!Marylènel’avaitquittésansqu’iln’aitrienvu venir. Le divorce s’était cependant fait à l’amiable, mais elle avaitobtenu la garde de Louis, arguant qu’avec son métier – professeur dephysique-chimie–,elleétaitbienplusàmêmed’assureràunenfantenbasâgeuneviestableetmatériellementconfortablequ’undirecteurdetroupede théâtre minuscule, fauché de manière chronique et dont l’emploi dutempsétaitdesplusfantaisistes.

Pendanttroisans,ilavaitdoncétélepapad’un-week-end-sur-deuxetde moitiés de vacances, confiant Louis à ses propres parents bien plussouventqu’il ne l’aurait souhaité, quand lesdatesdes représentationsoudestournéesdesapetitetroupeneluipermettaientpasd’êtrechezluipouryaccueillirsonfils.

À la rentrée des classes précédente, Marylène avait obtenu unemutation pour un lycée deLyon afin de suivre son nouveaumari, promului-mêmeenrégionlyonnaisedansunefilialedesonentreprise.S’occuper

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deLouisétaitalorsdevenuplusdifficileencore,mêmesiLyonetGrenoblene sont pas aux antipodes. Il avait dû se livrer à un grand écartinconfortable,résoluànepasselaisserréduireaurôledefigurantdanslaviedesonfils.

Ce grand écart, intenable sur la durée, l’avait bien vite conduit àprendreunedécisionplusquedifficile:ilavaitrenoncéàladirectiondelapetite troupequ’il avait crééedouzeansauparavant avecdeuxamis, toustrois fraîchement diplômés du Cours Florent, pour s’installer à Lyon luiaussi.

Pourunefois,lachanceavaitjouéensafaveur:ilavaitsaisiauvoluneopportunité à l’Esat – l’École supérieure des arts du théâtre –, ungroupement d’heures à titre de remplaçant, comme professeur d’artdramatique. Charge à lui de terminer l’année avec la promotion despremièresannées,demeneràbienl’undesAteliersquiseraitjouéfinjuindans les locaux de l’école, puis à la Cartoucherie de Vincennes, et deprouverainsiqu’ilétaittoutdésignépouroccuperunposteàtempspleinetàtitredéfinitif,àlarentréesuivante.

– Ilestpasmal,cetappart,Maxou…Mieuxagencéqueceluique tuavaisàGrenoble…

–Oui,ilestpasmal…Mieuxquepasmalmême…Inespéré…Làaumoins,ilpouvaitrépondreàMiasansluimentir.Ilvoulaitvoir,

tant dans le job que dans cet appartement loué pas très cher à unparticulier, un double signe augurant le meilleur pour sa nouvelle vie.Nouvelleviequ’ilcommençaità reculons, il fallaitbien ledire,n’étaientles espoirs qu’il fondait sur la disponibilité plusgrandequ’elle allait luioffriretqu’ilconsacreraittoutàsonfils.

–Unhommenedevraitpasavoiràchoisirentrelapassiondetoutesavieetsonenfant,dit-ilsombrement,toutenregrettantaussitôtsesparolesdevantleregardpleindedésarroiqueluilançasasœur.

Elleétaitsicontentequ’ilviennevivreàLyon…Iln’avaitpasledroitdelachargerdesesétatsd’âme,pasplusqu’ilnedevaitétablirunliendecauseàeffetentreLouiset le faitqu’ilavaitdû laisser ladirectionde la

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compagnie théâtrale.Mêmes’ilavaiteu,en le faisant, lemêmesentimentd’arrachementque lorsque le jugementconcernant lagardedeLouisétaittombé.

–Non…Oubliecequejeviensdedire,Mia…C’étaitidiot.Personnen’adit que jenedevaisplus jamais fairedemise en scènepourCour&Jardin.

–Oui,n’est-cepas?Tuvas lesrevoir, tous…Cen’estpascommesivousétiezfâchés…Oucommesituétaispartiàl’autreboutdumonde.Tumonterasd’autrespiècesaveceux…Peut-êtrepastoutdesuite,mais…

Ellelefixadenouveauavecsesgrandsyeuxclairs,lecouvantcettefoisdecemêmeregarddeconfianceetd’attentedontellelecouvaitpetite,lui,lefrèreadorédequatorzeanssonaîné.Sonprénom,c’étaitluiquienavaiteul’idée.Ilnesavaittoujourspasd’oùilluiétaitvenu.Leursparentsluiavaientdemandésonavisetilsétaientrestésuninstantinterloquésdevantce«Mia»quiavaitfusédeseslèvres.Ilss’attendaientprobablementàunCamille,HéloïseouChloé,plusconformesàlamodedumoment.Puisleurmèreavaitdit :«Mia?Jen’yauraispaspensé…Mia…Pourquoipas?C’estbeau…C’estdoux…»

Mia aussi était belle et douce. Comme son prénom. Et il ne voulaitsurtout pas la peiner en s’appesantissant sur ses problèmesd’adulte, ellequiétaitencore,partantdecôtés,d’unefraîcheuretd’unecandeurpresqueenfantines.

–Etpuis,jenesaispassituasvu,Maxou,maisilyaunpetitsquarejusteàcôtédetonimmeubleavecdesbalançoires,pourLouis…EtpuislaMaison de Guignol n’est pas très loin, tu sais… Et le parc de la Têted’Or…Tuvasvoirceparc !Tout simplementgrandiose !Età l’automneprochain, il y aura la Vogue des marrons, sur le plateau de la Croix-Rousse…Louis va a-do-rer !Vous serez bien, à Lyon, tous les deux, tuverras…

C’étaitjustementpourçaqu’ilétaitlà.Pourquel’expression«touslesdeux»,enparlantdesonfilsetlui,prenneenfintoutsonsens.

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***

L’articlequ’Armelleavaitenvoyéaujournalà14h57luiétaitrestésurl’estomaccommeunplatdecrevettespasfraîches.Etencoremaintenant,àprès de 11heures du soir, elle se sentaitmal.Àmoins que ce ne soit lesouvenirhumiliantdesonentréeenmatièreavecsesnouveauxvoisins.Unmélangedesdeux,probablement…

ElleavaiteuleplusgrandmalànepasdescendreenflèchelaMaisonde poupée du TNP. Elle gardait encore en tête la mise en scène de LeeBreuerquil’avaitbouleverséeen2005.Notammentlascènefinale,lorsquela comédienne qui jouait Nora apparaissait devant les spectateursentièrementnueet lecrânerasé,pourmarquerlaradicalitédeladécisiondu personnage, sa détermination à se dépouiller de tout ce qui avait faitd’elle, jusque-là justement, cette poupée. Une image forte et émouvante,qui l’avait saisie par sa puissance symbolique et lui avait fait venir leslarmes aux yeux. La mise en scène qu’elle avait vue l’avant-veille étaitd’unegrandemièvrerieàcôté,sansaucunsouffle,sansinspiration.

Du temps de Lionel Jasper, cela n’aurait posé aucun problème. Elleauraitécritleschosescommeellelessentait.Aveclui,lalibertédetonétaitdemise.Il l’encourageaitmême.MaisLionelvenaitdeprendresaretraiteetelles’entendaitbeaucoupmoinsbienaveclenouveaurédacteurenchef,dont les idées sur ce qui faisait une bonne critique artistique étaient desplusflouesetlespositionsàlatêtedel’équipedesplusmolles.Bref,celafaisait quatre mois maintenant qu’elle émoussait sa plume au profitd’articlesfadesàforcedesevouloirconsensuels.D’oùsonblocagesurlecompterendudelapièced’Ibsen…Ellen’avaitpasenviedementirsursonressenti,pasenviedejouerlesflagorneusespourunemiseenscènequ’ellene trouvait vraiment pas à la hauteur du texte du dramaturge, mais ellesavaitquesielleneparvenaitpasàproduireunarticleédulcoré, il seraitretoqué.

Presséeparletemps,elleavaitfiniparpondreuncommentairevagueetsirupeux,essayantdemettrel’accentsurcequiluiavaitsemblémalgrétoutassez réussi, le décor, qui revisitait de façon très originale la notion de

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«maison de poupée ». Dommage que le metteur en scène n’ait pas faitpreuvedelamêmeinventivitéquesonscénographe!

Elleavaitenvoyésachronique, saisieune foisdeplusparcemalaisediffusqui laprenaitdeplusenplussouventdepuisquatremoisetpar ladétestableétiquettede lâchetéqu’elleavaitenviedesecollersur le frontchaquefoisqu’elleédulcoraitunecritique.Heureusement, tous les livres,touslesfilmsoutouslesspectaclesdontelledevaitrendrecomptepourlejournalnegénéraientpaslemêmedilemme.Certainssuscitaientenelleunvéritable enthousiasme qu’elle se faisait un plaisir de partager avec leslecteursdesarubrique.

La difficulté, c’était quand elle n’aimait pas. Forcément…Mais elleavaitvite appris commentcontourner l’obstacle, enrober ses articlesd’unpeudepoudreauxyeux,deformulationsquiimpressionnaientsansvouloirdire grand-chose de précis. Elle n’en était pas très fière. Elle avaitl’impressiondesetrahir.

Elle sedemandacombiende tempselleallaitencore tenir,à fairecescompromis qui heurtaient sa conscience professionnelle. Car autant elleavaitvouluchangerde travailetpartir loin, troisansauparavant,autantàprésent,elleavaitenviederesterdanscevieuxquartierqu’elleaimait,avecses rues étroites et pavées, ses immeubles anciens, les gargouillesaccrochées aux fenêtres à meneaux, ses petits restaurants typiques, sonanimation à toute heure du jour et de la nuit, à tous les moments del’année.Lasolitudeysemblaittellementmoinspesante…

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3

Chat échaudé craint l’eau froide… Pas question de risquer denouveauleridicule!

Armellequitta sonappartement le lendemainmatinpour se rendreaujournalvêtued’unerobedemousselinebeigeàfleursstyliséesécrues,dontlafluiditéépousaitchacundesesmouvements,lespiedschaussésdefinessandales crème à talons. Avec ces chaussures, elle culminait à un mètrequatre-vingt-sept ou huit et avait l’impression, en marchant dans la rue,d’être Gulliver chez les Lilliputiens ; mais elle aimait les chaussures àtalons, qu’elle trouvait d’une façon générale bien plus élégantes. Elles’étaitelle-mêmecondamnéedurantdenombreusesannéesauxballerinesetauxbottinesplates,pourfinirparserendrecomptequeçanechangeaitpasfondamentalementsonproblème.Elleenavaitdoncprissonparti:elleétait grande, et alors ?Elle avait bien trouvéSylvain. Il n’y avait pas deraisonpourqu’ellenetrouvepasunjourunautrehommedesataillequiluiplaise…

Elle avait relevé ses longs cheveux châtain clair en un chignonfaussement négligé d’où s’échappaient desmèches tout aussi faussementfolles, parce que judicieusement disposées, au contraire, autour de sonvisage. Elle était bien décidée à effacer de la mémoire de son nouveauvoisinlavisiond’horreurqu’ilavaitforcémentemportéed’ellelaveille…si elle le croisait dans les escaliers, bien entendu. Et pour aucune autreraison d’ailleurs que sa propre dignité…Car au fond, que lui importait

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l’opinionde cethomme?Cen’était pas commes’il avait été célibataire,n’est-cepas?

Lorsqu’ellesortitsur lequaiFulchiron–sansavoircroiséquiquecesoit–,undouxsoleil lacueillitetelledécida,pourmieuxenprofiter,demarchertranquillementjusqu’àlarueduPlat,del’autrecôtédelaSaône,oùsetrouvaientleslocauxdeVivreàLyon.

Tandis qu’elle traversait le pont Bonaparte, elle sentit son téléphoneportablevibrerdanssonsacdetoile.Ellel’attrapaprestementetreconnutsur l’écran le numéro de son amie Nasrin. Nasrin Kemal travaillait elleaussiàVivreàLyon;elleyétaitchargéedetoutcequitouchaitausocialetàl’éducation.

–Est-cequejesuisenretard?demanda-t-ellesanspréambule,alarméesoudain à l’idée d’avoir mis plus de temps qu’elle ne le pensait àl’élaborationdesonchignon.

Elle détestait être en retard. Tout comme elle détestait attendrequelqu’unquiétaitenretard.

–C’estpourçaquetum’appelles,Nas?–Non,non,pasdutout…C’étaitjustepourteprévenird’untrucavant

quetun’arrivesaubureau…–Tum’inquiètes…J.-Jaencoreeuunedesesinitiativesfumeuses?Iln’yavaitpasqu’entreelleetlenouveaurédac’chefquelerelationnel

étaittendu.LedépartenretraitedeLionelavaitétéuncrève-cœurpourtoutle monde, et le moins qu’on puisse dire, c’est que Jean-JacquesMartinn’avaitpaséblouiparsaforcedecaractèreetsadétermination,niparsontalentdedirectiond’équipe.

–Pas du tout, heureusement !C’est à propos de Joël…Tu en es oùaveclui?Euh…non…cen’estpascequejevoulaisdire…Jesaisbienoùtuenes.Tun’aspaschangéd’avis?

–Bennon…Pourquoitumedemandesça?–Dansquinzejours,c’estsonanniversaireetilaréservéungrandgîte

dans le Beaujolais sur un week-end pour faire la fête. Je suis déjà au

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bureau, là, et il vient dem’inviter discrètement. Je crois qu’il en a aussiparléàEmmanueletAnne-Marie.

–Et?–Etcommej’imaginequ’ilvat’enparleraussi,jevoulaisteprévenir,

au cas où tu aurais envie de t’inventer un empêchement… Tu pourraism’annoncerparexempleenarrivant,etassezfortpourqu’ilentende,quetasœurt’ademandédeluigardersesfillesceweek-end-là…Onsaittrèsbiencommentçapeutfinir,cegenredeplanweek-end…Portéeparl’ambianceetquelquesfondsdebouteilles,tupourraistelaisserpiéger…

Armelle voyait très bien ce queNasrin voulait dire,mais elle doutaitque cette sorte de stratagème fasse partie de la panoplie de séducteur deJoëlBéranger,l’undeleurscollèguesaujournal,quidissimulaitdemoinsenmoinslebéguinqu’ilavaitpourelle.

–Onvoit toutdesuiteque tuesunehabituéedecegenredeparade,dis-moi!

–Quandonestunefillequipréfère lesfilles,mabelle,onmetassezviteaupointdeuxoutroisstratégiespourfairecomprendreàcesmessieursque,week-end festif ou pas, on n’est pas prête à leur ouvrir la porte denotrechambre!

–C’estsûr,vucommeça…C’estàquelledate,exactement,cettefête?–Ehbien,çasera…les18et19mai,simescalculssontbons…–Alors je n’aurai pas à luimentir, parce que je garde réellement les

jumellesàcemoment-là.Direlavérité,c’esttoujoursplussimple,çaéviteles problèmes de raccord. Mais merci quand même de m’avoir avertie.J’arrive,là…jesuisàdeuxminutes.Àtoutdesuite.

–Àtoutdesuite…Lapremièrefoisqu’Armelles’étaitprésentéeau32de la rueduPlat,

fraîchement lestée de son DEA de lettres modernes – elle avait travaillésur:«Théâtre:esthétiqueetpouvoir»–,lestrottoirsétaientdétrempésdeneigefondue.C’étaitun23novembre,7heuresdumatin,etelleavaitlespieds gelés dans ses bottines d’avoir simplementmarché de la sortie dumétrojusque-là.Sesdoigtsétaientsigourds,malgrésesgants,qu’elleavait

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dûs’yprendreàtroisfoispourappuyerconvenablementsurleboutonquiactionnaitl’ouvertureautomatiquedelaportedel’immeuble.

Lionel Jasper était un lève-tôt, et il n’était pas rare qu’il soit à piedd’œuvreàVivreàLyondeux,voire troisheuresavant lerestedel’équipederédaction.Elleavaitcomprisquelaconvoquersi tôtpourunentretiend’embauchefaisaitaussipartiedutest,testqu’elleavaitpasséavecsuccès,non pas en vertu de ses talents de journaliste – elle n’avait reçu aucuneformation spécifique–maisparcequ’ils avaient parlépendantuneheureduthéâtredeBrechtdontilétaitgrandamateur.Ilavaittrouvésespropos,luiavait-ilditplus tard,«pleinsde justesseetdeconviction,sansniaisecomplaisance ni dénigrement arbitraire ». Les ingrédients indispensables,selonlui,pourécriredebonnescritiquesartistiques.

Pendanthuitansensuite,elleavaitfranchiuneàdeuxfoisparsemainel’entrée de l’immeuble avec un allant, un plaisir toujours intacts, maisdepuisquatremois,ellesefaisaittropsouventl’effetd’unemauvaiseélèvequi renâcle à entrer dans la salle de cours parce qu’elle n’a pas fait sesdevoirs.Lionelavaitétéunesortedementorpourelle,encourageantdanssesarticlesuncertainespritdeliberté,maisluiapprenantaussil’exigence,legoûtdutravailbienfait.

Commetouslesvendredismatin,elletrouval’équipeaugrandcompletpourlaréunionderédactionhebdomadaire.Jean-JacquesMartinbiensûr,PierreSoupaultenchargedetoutcequiétaitmunicipalitéetviepolitique,Anne-MarieRaffretpourlarubrique«Artdevivre»quiincluaitaussilacritiquegastronomiqueetlepassageaucribledesrestaurantsdelarégion,Emmanuel Janson pour le sport, Francine Obadia, la secrétaire derédaction,quis’occupaitaussidesabonnementsetdelaventedesespacespublicitaires, Joël Béranger, donc, pour l’urbanisme et l’écologie, etNasrin.

Ils étaient agglutinés autour de l’ordinateur de Francine et desgloussements,desremarquesamuséesfusaientdeleurpetitgroupe.

–Armelle,tutombesbien,tiens!Viensvoir…

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Joël se déplaça légèrement pour qu’elle puisse s’approcher et voirl’écran. Elle reconnut immédiatement la page d’accueil de Sans faux-fuyants, le blog qui constituait le pendant sur Internet de sa rubrique àVivreàLyon,etelleeutdumalànepassourire.Lepostaffichéàl’écran,datédelaveille22heures,étaituncompterendud’Unemaisondepoupée.

– Décidément, j’adore ce blog ! C’est vraiment bien torché, commed’habitude…Envoilàunouunequiaencoremoinsaiméquetoilamiseen scène et qui ne se prive pas de le dire ! commentaFrancinequi avaitreçuencopiel’articlequ’elleavaitmailélaveilleàJean-Jacques.

– C’est vrai que le post ne manque pas de piquant, ajouta Nasrin,comme Jean-Jacques les invitait à le rejoindre à l’autre bout de l’openspace, autour de la grande table de réunion. Causticité mais pertinence,c’est cequi en fait toute la force…Et cet art de la formule…Unevraiegourmandise ! La personne qui se cache derrière ce blog sait de touteévidencedequoielleparle.

– Ça en a l’air en tout cas, se contenta de répondre Armelle enl’enjoignantd’unsignedetêteàsedirigeravecelleverslatable.

Sanssurprise,Joëlvints’asseoiràcôtéd’elle.Ilétaitdelavieilleécoleet lui faisait une cour discrète, sans se montrer pressant ni brutalementdirect, c’est pourquoi, à trois ou quatre reprises, ces dernières semaines,elleavait acceptéde l’accompagneràuneexpositionouaucinéma. Il luiavaitproposéplusrécemmentd’allervoiravecluiuneexpositionauGrandPalais, sur unweek-end,mais elle avait décliné sousunprétexte àpeinecrédible,nesouhaitantpasqueseposel’embarrassantequestiondelanuitd’hôtel à Paris. L’une de ces stratégies dont parlait Nasrin pour fairecomprendreàunhommequel’onnesouhaitaitpas–oupasencore–luiouvrirlaportedesachambre…S’iln’avaitpasétéuncollèguedetravail,elleauraitpeut-êtreacceptéd’allerplusloinaveclui,toutensachantqu’iln’auraitpus’agir,encequilaconcernait,qued’uneaventurebrèveetsansengagement. Mais parce qu’il était un collègue, elle ne souhaitait pasrisquerdeleblessernidemettreenpérillabelleententequirégnaitauseindeleurpetiteéquipe.

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Joël avait une quarantaine d’années ; il était divorcé, père de deuxadolescents qui vivaient en Normandie avec leurmère et qu’il ne voyaitqu’auxvacances.Ilavaituncertaincharme,uncôtéchicetsoigné,etellel’aimait bien ; sa culture et son savoir-vivre rendaient sa compagnieagréable…Mais… Mais elle l’estimait trop pour lui laisser espérer deschosesquinepouvaientpasêtre.L’amour,çanesecommandepas!

– J’ai 45 ansdansquelques jours, lui dit-il en finde réunion, tandisqu’ilsrassemblaienttousleursfeuillesdenotesetselevaient,etjepensaisfaire une fête, pas ce week-end mais le suivant, dans le Beaujolais. Laplupart demes invités sont extérieurs au journal, mais il y aura Nasrin,Emmanuel,Anne-Marieetleursconjoints.Tuseraislibre,toiaussi?

–Malheureusementnon,Joël…Ellefutcontentedepouvoirluirépondreenleregardantdroitdansles

yeux,sansrougirdedevoirluimentir.–Çafaitdéjàlongtempsquejemesuisengagéeàgardermesniècesce

week-end-là.Ma sœur etmonbeau-frère s’offrent unepetite croisière enamoureuxpour leursdixansdemariage…C’est lagrand-mèrepaternellequi aura les petites dans la semaine et qui gérera l’école, et moi, je lesprendslesvendredisoir,samedietdimanche…

Ladéceptionqu’ellelutdanssesyeuxluifitmalaucœur.– Je comprends…,dit-il.C’estdommage…Çam’aurait vraiment fait

plaisirquetupuissesvenir.Ilétaitplusquedéçu.Affecté.Or,ellenesupportaitpasdefairedela

peineauxgensqu’elleappréciait,mêmesic’étaitinvolontaire.– Tu sais quoi ? lança-t-elle alors sur une impulsion. Pour me faire

pardonner,jet’inviteaurestauundecessoirs…D’accord?–D’accord!Tandisqu’ill’enveloppaitd’unregardpleindechaleur,oùsemêlaient

la surprise et la joie, Armelle eut subitement la désagréable impressionqu’unetrappeserefermaitsurelle.Elleregrettaitdéjàsaproposition.

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Il était 16heures, cemêmevendredi, lorsqueMaxence finitde rincerrouleauxetpinceauxetqu’ilreplia,pourlajeter,lafinebâcheenplastiquedont il avait recouvert le plancher de la chambre de Louis. Il contemplaavec satisfaction son œuvre : trois des murs étaient recouverts d’unlumineuxjaunepailledestinéàdonneràlapièceuneimpressiond’espaceetdesoleil,etlequatrième,surlequelsetrouvaitlafenêtre,d’unaubergineprofond.

Il s’attarda un moment, la bâche dans les bras, s’interrogeant sur lamanièrelaplusjudicieused’aménagerlachambre,defaçonàcequeLouisait le plus de place possible pour y jouer, réfléchit à l’éclairage, auxendroitsoùilpourraitaccrocherdesétagères…Ilfondaitdegrandsespoirssurcedéménagement–pointdedépartd’unenouvellevie–etvoulaitquesonfilssesentebiendanscenouveaulieu.

Ilavaitencorelesmeublesàmonteretlescartonsdelivresetdejouetsàdéballer,maisilenavaitassezfaitpourlajournée.Louisétaitenweek-end prolongé avec sa mère, il ne découvrirait pas sa chambre avant unepetitedizainedejours.Iln’yavaitdoncpaslefeu…

Commeilfaisaitbeau, ildécidaqu’ilallaitenprofiterpourdécouvrirlesenvirons.

Le quartier Saint-Georges, où se trouvait son immeuble, était avec lequartier Saint-Jean situé dans son prolongement parmi les plus vieuxendroitsdeLyon,luiavaitexpliquéMia.Illuisuffitdeposerlesyeuxunpeu partout, lorsqu’il se trouva dehors, pour s’en convaincre. Immeublesanciens, fenêtres à meneaux surmontées de gargouilles, tourelles àencorbellement, cours intérieures, portes cloutées, plein cintre roman…Une architecture médiévale et Renaissance parfaitement conservée àcertains endroits et qui produisait un effet de dépaysement total, surtoutpourluiquiavaithabitédansunquartierultramodernedeGrenoble.

Le charme opéra immédiatement et au fur et à mesure de sadéambulation,Maxencesentaitsoninquiétudequantàl’avenirs’estomper.Peut-être bien qu’il allait trouver ses marques plus rapidement qu’il nel’avaitescompté…Peut-êtrebienqu’ilallaitaimervivreàLyonaprèstout,

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malgré ce qu’il avait laissé au pied des Alpes, même si les collines deFourvière et de la Croix-Rousse n’avaient rien de commun avec lessommetsdelaChartreuseouduVercorsqu’ilavaitl’habitudedevoirtouslesmatinsdelapetiteterrassedesonancienappartement…

Il nota la présence d’unmusée desMarionnettes, hôtelGadagne, unancien hôtel particulier ayant appartenu auXVIe siècle à une famille demarchands florentins, comme le lui apprit un panonceau reconstituantl’histoiredubâtiment.Ilenregistralesheuresd’ouvertureetsepromitd’yreveniravecLouisdèsquepossible. Il se souvintqueMia luiavaitparléd’unthéâtredeGuignoletinscrivitenmémosursontéléphoneportabledeserenseignersursaprogrammation,ainsiquesurcelledesautresthéâtres:dansunevillecommeLyon,sûrquelesspectaclesjeunepublicnedevaientpas manquer ! Puisqu’il n’était plus un saltimbanque fauché et sanshoraires, mais un professeur doté d’un emploi du temps et d’un salaireréguliers, il allait pouvoir organiser désormais ses week-ends et sesvacances à l’avance, et offrir à Louis une présence de bien meilleurequalité.

Son espoir secret, c’était d’être si disponible, si bien organisé et«sédentaire»,queMarylènenepourraitpasrefuserdeluilaisserleurfilsplussouvent.Etquisait,peut-êtremêmeconsentirait-elleparlasuiteàcequ’ilsmettent en place une véritable garde alternée ?Mais pour cela, ildevaitd’abordasseoirsolidementsonnouveaustatutprofessionnel,réussircettefind’annéeàl’Esat,mêmesicen’étaitpasconfortabledereprendreaupiedlevéletravaildequelqu’und’autre–surtoutpourlamiseenscènede l’Atelier – et assurer ainsi la pérennité de ce nouveau travail. Alorsseulement,ilpourraitentamerladiscussionavecMarylène.

Il passa devant les vitrines d’une galerie d’art et s’arrêta pourcontempler les œuvres exposées. Il s’agissait de sculptures animalièrescrééesavecdevieuxoutilsdefermeoudesobjetsduquotidien:emboutsde pelles, de pioches, de râteaux, vieilles boules de pétanque, ressorts,poulies,fourchettes,décapsuleurs,ouvre-boî…

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Bon sang ! Il avait complètement oublié de rendre à Miss Pyjama-ridicule-et-tresse-de-travers l’ouvre-boîte et le tire-bouchon que Mia luiavaitempruntés!

Ilconsultasamontreetfitaussitôtdemi-tour.17h30…Uneheuretoutàfaitdécente,encore,pourallerfrapperchezunevoisine…

***

– Sophocle ! Tu sais que tu es pénible à la fin ! Et quand je dis«pénible»,jepèsemesmots!Tun’entendspasmonordiquifaitunbruitdemachineàlaver?Poussetongrosderrièreduventilateur!

Une queue nonchalante vint balayer le clavier, dessina une ou deuxarabesques dans l’air, puis alla se repositionner le long de deux pattesarrièreétaléessurunbloc-notes,lescoussinetsenéventail.

–Tu ne vas pas t’en sortir comme ça, tu sais ? Pas la peine de faireceluiquinem’entendpas!Allez,zou!Filedelà…

Comme le chat ne bougeait pas,Armelle le saisit à deuxmains et leposa par terre. Ce faisant, elle dérangea Euripide, installé commed’habitudesursesgenoux.Ilrelevasatêteébourifféed’angoracroiséchatdegouttièreetaplatitlesoreillesenarrière,signechezluid’unetrèsfortecontrariété.

–Oh!Çava!J’ai ledroitdebougerquandmême!Aprèstout,c’estmoiquibosse,ici,pourpayerlescroquettes!

Le«ette»de«croquettes»parutrésonnerdanslesilencedubureau.MapauvreArmelle!Maisregarde-toi!Unevraiecaricatureavectes

chats…Tuferaispeut-êtrebiend’accepterlesavancesdeceuxquetun’aspas encore découragés, avant de devenir une vieille fille totalementirrécupérable…

Le pluriel était excessif… Seul Joël lui avait manifesté de l’intérêtdepuis ces derniersmois.Enfin, le genre d’intérêt sérieuxqu’une femmeseuleetquin’apasenviedeleresterattenddel’hommequ’elleconvoite.Sauf qu’elle ne convoitait pas Joël. Dans l’absolu, même s’il était

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charmant, intelligent et tout et tout, ce n’était pas un homme comme luiqu’ellerêvaitd’avoirpourcompagnon.Celadit,sielleseretrouvaitseuleavecluisuruneîledéserte,ceneseraitpasnonplusl’horreurabsolue.

Il fallaitdireaussiqu’ellene faisait rien,depuis sa séparationd’avecSylvain,pourrencontrerdenouvellestêtes.Pasenviedeselier,etlesamisdu tempsde savieencoupleavaientdéménagépourcertains, choisi leurcamp pour d’autres, et ce n’était pas le sien…Heureusement, elle avaitNasrin.MaislesamismasculinsdeNasrinétaienttousgays.Quandellesedécidaitàsortir–cequin’arrivaitpastrèssouventendehorsdesspectaclesouducinémapourleboulot–ellepassaitdetrèsbonsmomentsaveceux,mais à présent que la pilule Sylvain était digérée, elle se sentait prête àpasseràautrechose.

Le problème, c’était : à quoi et avec qui ? Joël ? Elle n’en était pasamoureuse.Ellel’aimaitbien,maisdevait-ellepourautantfairedeluicettefameuse « relation transitoire » qui se met souvent en place après uneséparation?Sitantestqu’auboutdetroisanselleaitbesoind’unerelationtransitoire pour se reconstruire. Et quid de l’après ? Car il y auraitforcément un après. Joël n’était pas l’homme de sa vie, pas plus queSylvainnel’avaitété,finalement.Saufque,cettefois,ladonnen’étaitpaslamêmedepartetd’autre,etellenevoulaitpasdonnerdefaussesidéesàun homme quiméritait de trouver une compagne enmesure de lui offrirautrechosequedel’amitié.

Etpuis,elle,cedontelleavaitenvie,maintenant,cen’étaitpasd’unepromenadetranquille,d’uncabotagepépèreenborduredecôte,maisd’unvoyageaulongcourssurl’océan,danslecalmeet labourrasque,parcielclairoutourmenté.Bref,quelquechosequidécoiffe,quiaffole,quiétonne,quiexalte…

Saufquecegenredesensations,cegenred’émotions,çanesedécidaitpas. Ça vous prenait sans que vous ayez votremot à dire et ça ne vouslâchaitplus.

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4

Alors?PyjamaoujeanetT-shirt?Lesparissontouverts…JeanetT-shirt,probablement…L’insoliteA.Décourtnepassaitpeut-

être pas sa vie en pyjama, n’en déplaise à Mia, et il était près de18heures…

Maxencesonna,etattenditqu’onvienneluiouvrir, l’ouvre-boîteet letire-bouchonàlamain,aveclamêmeconcentrationquecelledontilfaisaitmontrejusteavantuneentréeenscène.Ilsecomposaunvisageimpassiblemaispasfermé,toutenimaginantlesmotifslesplusfarfelussusceptiblesdesetrouversurunpyjamaouunechemisedenuit,histoireden’êtrepasprisaudépourvucettefois,aucasoù…Ilavaitbienconsciencedenepass’êtremontré très cordial, la veille,mais vraiment, il ne s’attendait pas àtomber sur une grande bringue hirsute en pyjama en plein milieu de lajournée ! Heureusement, Mia avait assuré. Il avait d’ailleurs admiré samaîtrise de soi, elle qui avait pourtant lamanie de s’esclaffer sur tout etn’importeoù.

Laportes’ouvritsurunvisageauxproportionsassezpeuacadémiques–étroit,allongé,soulignéd’uneboucheunpeutropgrandeetdedeuxyeuxnoisette, vifs et ronds. Visage qu’il trouva cependant non dépourvud’intérêt, lui qui n’avait jamais été très sensible aux beautésconventionnelles–lespoupéesBarbie,trèspeupourlui!–,etdontl’œildemetteurenscènecherchaitavant toutdans les traitsdesessemblableslessignesdeleurpersonnalitéetdeleursingularité.

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L’image de la grande bringue échevelée ne collait pas vraiment à cequ’ilvoyaitet ileutun instantdedoute.Est-cequ’ilavait frappéaubonendroit ? Question idiote. Bien sûr que oui : il y avait le fameux«A.Décourt»souslasonnette!Seulement,laveille,lepyjamaetlatresseen déroute l’avaient tellement surpris, qu’il n’avait pas vraiment faitattention au reste. Il avait juste remarqué que sa nouvelle voisine étaitgrande.Or,ilsetrouvaitquelajeunefemmequivenaitdeluiouvrirétaitparticulièrement grande et que, statistiquement, il y avait peu de chancesquedeuxvoisinesdepalier fassentchacune leurbonmètrequatre-vingts,commeil l’estimarapidementenregarddesonpropremètrequatre-vingt-dix.

Du visage, il passa à la robe – une robe d’été en mousseline d’unecouleur sobre et douce –, puis de la robe il revint au visage qui avaitlégèrementrosi.Sansdouteàcausedecetexamencomplètementdéplacé.Ilsesentitconfus:qu’est-cequiluiprenait?Onnedétaillaitpaslesgensainsi,avantmêmede lesavoir salués.Surtout lesdames, aurait ajouté sagrand-mèreavecsagrossevoixetsonaccentberrichon…

– Bonjour ! Maxence Boyer, se présenta-t-il alors en lui tendant samainlibre,jesuisvotrenouveauvoisin.Ons’estaperçushiermidi…

Àcettemention, le rosequiétaitmontéaux jouesde lavoisineparuts’accentuer.Ellemitunpeudetempsàréagir,etilenfutdéconcerté.Ilsesentitridicule,lamaintendueauboutdesonbrasensuspension.C’estunesituation d’improvisation classique au théâtre – quoi faire de cettemainpournepasavoirl’aird’unimbécile,commentembrayersurunautregesteavecleplusdenaturelpossible–saufquelà,pour lapremièrefois, ilsetrouvasansinspiration.

Heureusement,ellesedécidaenfinetpritcettemainquis’ankylosait.–ArmelleDécourt,enchantée…–Désolé, j’ai complètement oublié devous les rapporter hier comme

promis,expliqua-t-ilentendantcettefoisl’ouvre-boîteetletire-bouchon.J’espèrequ’ilsnevousontpasfaitdéfaut?

–Non,pasdutout…Merci…

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Enrèglegénérale,songea-t-il,c’estmaintenantqu’unangepasse…Làencore,unesituationd’improvisationbienclassique.

Ellesaisit lesustensileset lesgardamachinalementserréscontreelle,comme une bonne sœur serre son crucifix, offrant ainsi une image deferveurincongrueettouchantequilefitsourire.Elleluisouritalorsàsontour et son sourire la métamorphosa. Il y avait quelque chosed’incroyablement généreux dans ce sourire, d’incroyablement sincère etdépourvud’artifice.Sonvisageen rayonna tellementqu’il en éprouvaunpetitchoc.

Enfait,elleestbelle,quandsafigures’anime…–Vousvenezdeloin?demanda-t-elle.Elleavaituntimbredevoixpeuhabituelpourunefemme,assezgrave

etlégèrementéraillé,maisquiportaitbienetquiétaitagréableàentendre.Unevoixparticulière,commesonvisage,commesonsourire.

–DeGrenoble…Changementd’emploi, ajouta-t-il tout en se traitantintérieurementdecrétinpouravoirlancéladiscussionsurceterrain.

Il était peu désireux d’évoquer Cour & Jardin et les raisons quil’avaient conduit à changer d’activité professionnelle. Même s’il étaitpersuadéd’avoirprislabonnedécisionparrapportàLouis,illuifaudraitdutempspourpenseràsacompagniethéâtralesansdouleur,commeàunpan de son passé révolu… Car contrairement à Mia, il doutait d’enreprendreunjourladirectionetdemeneravecelledenouveauxprojets.

Heureusement,lavoisinenecherchapasàensavoirplusetpartitsurunautresujet:

–C’estunimmeubletrèscalme,vousverrez…Nosvoisinscommuns–elledésignad’unpetitgestelatroisièmeportepalière–sontdesretraitésqui vivent la majeure partie de l’année dans le Sud. Dans l’arrière-paysniçois,ilmesemble…VousconnaissiezLyon,déjà?

–LequartierdelaCroix-Rousse,unpeu,répondit-il,maislerestedelavillepasdutout.Etvous,vousvivezicidepuislongtemps?

–Danscetimmeuble,depuistroisans,maisàLyondepuispasmaldetemps,oui.J’ysuisvenueà18anspourfairemesétudessupérieures…

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–Ah…Uncourtsilences’établit,entrecoupéseulementparleronflementd’un

aspirateur à l’étage au-dessus.Maxence avait envie de l’entendre encore.Savoixétaitvraimentspécialeetilnes’enlassaitpas–encorelemetteurenscène,lethéâtreuxquiparlaitenlui.Ilsongeaàluidemandercequ’elleavaitfaitcommeétudes,puisjugeaquec’étaitsemontrerbiencurieuxpourunediscussion à peine ébauchée et qui ne servait, au fond, qu’à enroberd’unpeudepolitesselarestitutiond’unouvre-boîteetd’untire-bouchon.

Ils’apprêtaitdoncàprendrecongélorsqu’ellereprit:– Au cas où le théâtre vous intéresserait, il y a dans la rue Saint-

Georges – c’est la rue juste derrière l’immeuble – une salle à laprogrammation vraiment originale… La jauge doit être de quarantepersonnes,pasplus, et c’estunepetite compagniequiy est en résidencedepuistroisans,maisjetrouvequ’ilsontunpositionnementparrapportaujeuetaupublicvraimentinédit.PasdutoutlegenreàjouerduFeydeau.Jen’airiencontreFeydeauoulethéâtredeboulevard,notez…Cequejeveuxdire,c’estquecette troupe,par seschoixde textesetdemisesenscène,questionne nos préjugés, nos représentations sociales, notre relation àl’Autreetquedansl’im…

–Çaal’airintéressant,eneffet,lacoupa-t-il,lagorgeserrée.S’ilyavaitbienunechosedontiln’avaitpasenvied’entendreparleren

ce moment, c’était d’une salle de théâtre animée par une « petitecompagnie » ! Encore moins pour qu’on en vante la créativité ! Il futcependantagréablementsurprisdetrouverenellequelqu’unquiavaitl’airdes’intéressersincèrementauthéâtreetdes’yconnaître.Lesformulationsqu’elleavaitemployéesn’étaientpasanodinesetnecollaientpasdu toutavecl’idéequ’ilsefaisaitdequelqu’unquin’hésitepasàouvrirsaporteàdesinconnusenpyjama.

***

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Maisqu’est-cequiluiprenait?Qu’est-cequec’étaitquecettediarrhéeverbale ? Qu’est-ce que c’étaient que ces formulations pompeuses ?Pourquoiest-cequ’elleassommaitcommeçauntypequ’elleneconnaissaitpas, en pontifiant commeun cacique d’université ? «Un positionnementvraiiiment étonnant… Des choix qui questionnent nos préjugés, nosreprésentationssociaaales,notrerelationàl’Auuutre…»L’archétypedelapauvrefilleintelloquin’avraimentriend’autreàquoiseraccrocherdanslavie!

Il n’y avait d’ailleurs qu’à regarder la tête qu’il faisait, tout à coup,pour comprendre qu’il la trouvait stupide et rasoir au possible,contrairementàcequ’ilvenaitpolimentdeluidire.

Armelle Décourt, mesdames-messieurs, ou l’Art de scier la branchesurlaquelleonestassise,etdesecasserlagueuleenbeauté!

Lamentable…Nulle…Grotesque…Enrevenantdujournal,ellenes’étaitpaschangéeetelleavaittravaillé

toutlerestedel’après-mididevantsonordinateurenrobedemousseline,prenantgardedenepasgâtersonchignonenfourrageantdanssescheveuxcomme elle le faisait parfois sans même s’en rendre compte quand elleréfléchissait. Elle avait gardé en permanence à l’esprit la probabilité quel’un de ses nouveaux voisins passe lui rendre son tire-bouchon et sonouvre-boîte, puisqu’ils avaient oublié de le faire la veille. Elle voulaitvraimenteffacerlapremièreimpression–calamiteuse,forcément–qu’elleleuravait faite.Et lorsqueçaarrivait,quec’était lui quipassait, enplus,voilàqu’elleserépandaitenconsidérationsimbéciles!

Maispourquoiest-cequ’ellesesouciaitàcepointdecequ’ilpouvaitpenser d’elle, après tout ? Ça n’avait aucune importance : il n’était paslibre!Etiln’étaitpasquestionqu’elleseretrouveàjouerlesbriseusesdeménage.

Les briseuses de ménage ! N’importe quoi ! Comme si c’étaitd’actualité…

Mêmes’ilavaitétélibre,cegenred’homme,çanedevaitpasmanquerd’opportunités et ce n’était certainement pas à des femmes insignifiantes

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commeellequ’ils’intéressait.Alors,arrêteunpeudefairedel’autoallumage,s’ilteplaît…– Excusez-moi…, reprit-elle. Je joue les pédantes et je vous ennuie

certainementavecmesconsidérations…Vousdevezavoirbeaucoupàfaire,encore,pourvousinstaller…

–Vousnem’ennuyezpasdutout.Aucontraire…C’estjusteque…Il s’interrompit, comme s’il avait retenu de justesse une information

qu’iljugeaitunpeutroppersonnelle.–En fait, reprit-il aussitôt, je suispreneurde toutes les informations

quevouspourrezmedonnersurlequart…–Sophocle!Non!Uneflèchenoirevenaitdefilerdevantelledanslesescaliers.Armelle

se rendit compte alors qu’en s’avançant sur le palier pour discuter, elleavaitoubliéderefermerlaportederrièreelle.Plantantlàsonvoisin,elleseprécipitaderrièresonchatcommeunefurie,l’appelantenhurlantdanslesescaliers, encombrée de son ouvre-boîte et de son tire-bouchon. Elleespérait que personne n’avait eu la mauvaise idée de laisser la porte del’immeuble ouverte. Sophocle méritait pleinement son surnom de grosselimace paresseuse, sauf quand elle baissait la garde avec la porte, ce quin’arrivait pas souvent, heureusement. Saisi d’une énergie subite, il filaitjusqu’enbas à toutespattes.Cen’était jamais vers les étages supérieurs.Toujoursverslasortie.Versledanger.

La plupart du temps, elle le récupérait avant la catastrophe,mais pardeuxfois,ilavaitpuseglisseràl’extérieuretelleavaiteulafrayeurdesavie.LequaiFulchironn’étaitpascequ’onpouvaitappelerunepetiteruetranquille.Lesvoituresycirculaientenpermanence,etassezvite.

Par bonheur, la porte était fermée. Sophocle eut encore une ou deuxminutesderébellion,luiéchappantcommeuneanguillechaquefoisqu’elleétait sur lepointdemettre lamainsur lui.Après luiavoir fait fairecinqfoisletourdupetithalld’entrée,ilconsentitenfinàselaisserattraperetelle remonta ses quatre étages, serrant contre elle six kilos de poils, deronronnementsetd’ustensilesdecuisine.

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Levoisinétaitrentréchezlui.Eh bien, comme ça, aumoins, lamesse est dite ! S’il s’interrogeait

encoresurlefaitd’avoirounonunevoisinefolle,maintenant,iln’aplusaucundoute…

***

Stupéfiante!UnfilmdeBlakeEdwardsàelletouteseule,cettefille!Maxence était resté quelques minutes sur le palier, tendant l’oreille

pour suivre le dénouement de l’affaire, hésitant entre fou rire etcompassion. Il avait parfaitement compris la raison de l’affolement de lajeunefemme:Miaavaitperducommeçaunchatquandelleétaitpetite,etelleenétaitrestéeinconsolablependantdessemainesetdessemaines.Elleassuraitàquivoulaitl’entendrequ’ilétaitinutiledeluienoffrirunautre,que son cœur était brisé, qu’elle ne pourrait plus jamais aimer aucunanimal,chat,chienoulapinnain.

Tip-Tops’étaitglisséhorsdel’appartement,puisdel’immeubleetavaitfini sous un autobus. Mia avait 5 ans et lui était déjà à Paris, à cetteépoque,enpremièreannéeduCoursFlorent. Il se trouvaitavecdesamisdansuncaféquandilavaitreçul’appeldesasœurluiannonçantledrame.

–Plusjamais,Maxou!Plusjamais…Lavieesttellementincertaine…Elle s’était accrochée un bon bout de temps à l’expression, qu’elle

accompagnait d’une mimique dramatique, mais lorsqu’aux vacances dePâques de cette année-là, il était rentré à Grenoble avec une minusculebouledepoilsachetéequaidelaMégisserie, leplusjamaisavaitviteétéoubliéetlecaractèreimprévisibledelavieavaitretrouvédetoutsonattrait.

Heureusement,songea-t-il.Heureusementquele tempsfaitsonœuvred’apaisementquellequesoitlablessure,mêmes’ilneprocurepasl’oubli.

Ill’avaitfaitpourMarylène,quis’étaittrouvéunnouveaucompagnondevie.Unjour,sansdoute, leferait-ilaussipour lui.Maiscen’étaitpasencorelemoment.Plusimportantqueledésertdesaviesentimentale,ilyavaitLouis,cetemménagementàLyonetsonnouveauboulot.Biensûr,il

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n’était pas resté chaste, ces dernières années. Deux rencontres, sansvéritable suite, ni véritable importance d’ailleurs, pendant et à l’issue detournées de la compagnie… Il ne souhaitait pas s’engager sérieusementpour l’instant. Pas avec un divorce derrière lui et un petit garçonhypersensiblequiapprenaitencoreàvivreavecdesparentsséparés…

Pourenreveniràsavoisine,ilnesavaitquepenserd’elle.IlluitrouvaituncôtégrandeDuducheunpeuridicule,maisilsentaitbienqu’ilnefallaitpas s’y arrêter. Elle était attendrissante aussi, même s’il n’aurait su direprécisémentcequiavaitsuscitéenlui,presqued’instinct,cettesympathieunpeuprotectricedèsqu’elleavaitouvertlaporte.Non…Quandelleavaitsouri… Et puis quelque chose lui disait qu’ils avaient certainement desgoûtscommuns,dumoinsenmatièrede théâtre,carcombiende femmes,dans le monde, sont capables de vous parler avec enthousiasme de« positionnement de jeu inédit par rapport au public » et de «mises enscène qui questionnent nos préjugés et notre relation à l’Autre », quandvous venez simplement leur rendre un tire-bouchon et un ouvre-boîte ?Peut-être venait-il de rencontrer la première future amie de sa nouvellevie…

Bref, ilétaitdécidéàpoireautersur lepalierpouravoir le finmotdel’histoire, compatir au besoin, s’il y avait eu fugue du félin, mais sontéléphoneportableavaitsonnédanssapocheet ilétait rentréchez luiau«coucou,monpapa»deLouis.Ilvoulaitêtredansl’intimitépourraconteràsonfilssonemménagement,lestravauxdepeinturedesachambreetlesprojetsqu’ilavaitpourtouslesdeux.

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5

Dans une comédie romantique américaine, une de ces comédiesconvenues mais charmantes comme Vous avez un mess@ge, ou TheHoliday,leschosesseseraientpasséestrèsdifféremment.Pourcommencer,le voisin aurait emménagé seul. Ensuite, Sophocle serait resté biensagementvautrésurlebureau,lederrièrecolléauventilateur,etmêmes’ilenavaitfaitcramerl’ordinateur,lejeuenauraitvalulachandelle.Lecoupde l’ouvre-boîte et du tire-bouchon qu’on emprunte et qu’on rapporte,pourquoipas…Saufqu’elleauraitditdeschosessubtiles,originales,etlevoisin, au lieu de profiter lâchement de la fuite d’un chat pour battre enretraitedanssonappartement,enauraitétéintriguéetséduit.Ilauraitvuenelle une personne à part, et il aurait été saisi d’une furieuse envie de laconnaîtremieux.S’en serait alors suivieune sériede rencontres fortuitesou habilement provoquées, qui les aurait entraînés doucement dans unehistoired’amour.

Maisellen’étaitpasdansunecomédieromantiqueaméricaine,songeaArmelleenseplantantdevantlemiroirdesaminusculeentrée,contemplantson visage dans la lumière descendante de la fin d’après-midi. Elle étaitdans lavraievie,etdans lavraievie,avecelleen têteducasting, le filmfaisait«flop»avantmêmelafindugénériquededépart!Dommage…

C’étaitdansdesmomentscommecelui-làqu’elleauraitaiméêtreLolitaPerez, même si elle avait surmonté depuis longtemps les doutes de sonadolescence…Avoir labeautéabsolue,êtresûredesonphysique,deson

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pouvoir de séduction,même si elle savait parfaitement que tout ce qu’ilpourrait jamaisyavoir,entrecethommeetelle,c’étaientdesrelationsdebonvoisinage,voireunpeud’amitié…

Bizarre, sa réaction… Elle se sentait triste à la pensée qu’il étaitcomme un fruit défendu pour elle. Triste et frustrée…Qu’est-ce que çaveutdire?

Elleserepassaitenbouclelascènedupalier.Soncoupaucœur,quandelleavaitouvertlaporteetconstatéquec’étaitluiquivenaitluirendresesustensiles et non sa blonde et jolie compagne.Cettemontée d’allégressesubite, comme si sa vie entière venait de s’éclairer d’un coup. C’étaitidiot… Elle avait réagi comme si elle attendait quelque chose de cetterencontre,decehasardquiavaitplacécethommesursonchemin.Etcettefébrilitéstupide,ensuite,quiluiavaitfaitperdrelespédales!Aulieudesemontrer naturelle, simple, cordiale, elle était partie dans un bavardageinsipide et ennuyeux. Et pour finir… Le clou ! Une folle furieuse quivocifèrederrièreunchatdansunevoléed’escaliers!Ça,ajoutéàl’épisodedupyjama…

Elleenauraitpleuré…Cen’étaitpourtantpaslavietrépidantequ’ellemenait,depuissaséparationd’avecSylvain…Pourunefoisqu’ilauraitpusepasserquelquechosed’unpeuexcitant…Quelquechosequiluiauraitdonné un peu d’espoir, qui aurait mis un peu de perspective dans sesjournées…

Turéagispresquecommesi tuavaiseu lecoupde foudrepour lui !Maistun’asplus15ans,tuenas34.Tun’esplusaulycée,àerrerdanslescouloirspouressayerdecroiserungarçondeterminaleaperçudanslegarageàvélosetquit’atapédansl’œil…

Etpourtant…Ilyavaitunpeudeça.Sansqu’ellese l’explique,ellevoulait intéressercethomme.Ellevoulait qu’il la considère.Ellevoulaitcompterpourlui…

Allez,arrête…Çavaudramieux…Vadonct’occuperdetonblog,aumoinsaveclui,tusaisàquoit’attendre…

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Elle alla s’installer à son bureau et se connecta àSans faux-fuyants,son petit jardin secret. Ellemit en ligne deux comptes rendus de lectureenthousiastes, celuid’un recueildenouvellesd’unauteurquin’avaitpasles honneurs de la presse nationale, parce qu’édité chez un tout petitéditeur,maisdontl’écriturepromettaitbeaucoup,àsonavis,etceluid’unessai sur le théâtre engagé après Brecht, thème qui lui tenaitparticulièrementàcœur.

Elle en était venue tout à fait par hasard à l’idée de tenir un blogsecrètement et parallèlement à sa rubrique papier pourVivre à Lyon. Unjourqu’ellevisitait le siteofficiel d’unbarytonqu’ellevenait d’entendredansunopéra,uneannoncepouruneplateformed’hébergementdeblogss’étaitmise à clignoter en haut de son écran. Elle avait cliqué dessus etparcourudistraitementledéroulédel’annonce.

La marche à suivre avait l’air simple. Elle avait regardé ladémonstration,puis,commeellesesentaitd’humeurmoroseàcaused’unarticle fadasse qu’elle venait d’envoyer à Jean-JacquesMartin, elle avaitfaitdéfilerlesdifférentsmodèlesproposés,pourpasserletemps,incapabledesedécideràouvrirunlivreousortirfaireuntour.

L’idéeluiétaitalorsvenued’uncoup,etelles’étaitétonnéedenepasl’avoireueplustôt.

Elle avait passé le reste de la journée à mettre en page son blog,retrouvant peu à peu sa bonne humeur, se familiarisant avec lescommandes,trèssimplesheureusement,essayanttouslesfonds,touteslespolicesdecaractère,pours’arrêterfinalementsurunemiseenpagessimpleetsobre.

Trouver le titre dublog lui avait pris plus longtemps.Elle voulait unnom qui donne d’emblée le ton et l’esprit du contenu. Elle avait tournéplusieursformulesdanstouslessens,uninstantcontentedesatrouvaille,l’instantd’aprèslajugeanttropattendueouloufoque.Commepourlamiseenpages,elleavaitoptéendernier lieupourune relativesobriété :aprèstout,silecontenuplaisait,ceseraitluiquiferaitrevenirleslecteurs,non

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pas un jeu demots discutable flottant en gros caractères sur le bandeaud’en-tête.

Le succèsdublogavait trèsvitedépassé ses espérances.En fait, ellen’en attendait pas grand-chose – il y avait tant de gens déjà qui seproposaient de parler sur Internet de livres, de pièces de théâtre, defilms ! – et surtout pas une quelconque notoriété.D’abord parce qu’ellesignaittoujours«Sansfaux-fuyants»etnecomptaitpasenrevendiquerlamaternitéauprèsdesesconnaissances,ensuiteparcequ’ellel’avaitcrééunpeu comme on tape sur un punching-ball, pour se défouler. C’était pourelleunespacedelibertéabsolue;elleyfaisaitparaîtresescritiquessansretenirsaplumenisonjugement,sansautreambitionquedonnerunavistout personnel parmi lesmilliers d’avis personnels qui circulaient sur leNet.C’étaitjustesonpetitmomentdebonheur,dejubilationquotidien.

Parmi les gadgets proposés pour la mise en pages, il y avait uncompteurdevisites.Elleenavaitdoncinstalléun,parcuriosité,justepoursavoirsionlalirait.Ils’étaitmisàtournerenquelquessemainesàpeineàunevitesse impressionnante.Trèsviteaussi,commeelleavait laisséàseslecteurs éventuels la possibilité de faire des commentaires, s’était établieentre elle et eux une véritable correspondance, car elle avait à cœur derépondreàchacun.

Etdepuisunmoismaintenant,ellerecevaitsurl’adressee-mailqu’elleavaitadjointeaublogdesdemandestrèsdirectesd’éditeursoud’attachésdepressequiluiproposaientunerémunérationpourécriredesarticlessurleurs nouveautés littéraires et les faire paraître sur son blog. Elle s’yrefusait absolumentetn’avait jamaisvoulucommuniquerni sonvéritablenom,ni sonadressepostale.Sans faux-fuyants était le lieu où elle ne sebridait pas, et le libre choixdesœuvresoudes spectacles chroniqués, lalibertéde tonetd’opinionqu’elle s’yautorisait, étaient justementcequicontrebalançait et apaisait lemalaisequ’elle ressentaitparmomentsdansl’exercicedesontravailrémunéré.

Une fois ses deux comptes rendus mis en ligne, elle entreprit derépondreauxcommentairesqui faisaient suite à sa chroniquede lapièce

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d’Ibsen.Ce qui lui réchauffait le cœur par-dessus tout, c’était quand sesarticlesincitaientlesgensàliretellivreouàallervoirtelspectacle,surtoutquandelleavaitcontribuéparsespostsàmettreuninstantenlumièreceuxetcellesquelagrossemachinemédiatiquelaissaitdansl’ombre.

Enfin,elleréponditfavorablementàuneclassedel’Esat,quil’invitaitàvenir assister à la présentation de leur Atelier. Cette présentation étaitpublique et attirait apparemment dumonde, ce qui lui permettrait de s’yrendresansavoiràdéclinerson identité : l’anonymatdecellequisignait«Sansfaux-fuyants»seraitdoncpréservé.

***

Eh bien, voilà qui explique pas mal de choses…, songea Maxence.Ainsi,sadrôledevoisineétaitjournaliste,spécialiséedansledomainedela culture, et elle travaillait pour un hebdomadaire lyonnais ? D’où sonengouementpourcepetitthéâtreetcettetroupeenrésidence…

Il l’avait interrompue – un peu abruptement d’ailleurs, et il leregrettait–quandelleavaitcommencéàluienparler,surlepalier,maisiln’avaitpuensuiterésisteràlatentationd’allervoirdequoiils’agissaitsurInternet. Il avait trouvé rapidement le site de la compagnie enquestion–LesBaladinsduTempsprésent–etilétaittombésurtroisarticlesscannésdumagazineVivreàLyon que la compagnie avaitmis en ligne. Tous lestrois étaient signés Armelle Décourt. Le dernier, tout récent, lui laissaitpenser que l’emploi était toujours d’actualité. Les articles concernaienttroisspectaclesdifférents.

Illeslutd’unboutàl’autreattentivementetlestrouvafinsetfouillés.Ilsdénotaientunebonneconnaissancedel’universduthéâtre,tantdanslescontraintesetlesplaisirsdujeuetdelamiseenscène,quedanslestextes.Ycomprispourlespiècesd’auteurstrèscontemporains.

Pour le peu qu’il avait vu d’elle, cette Armelle Décourt paraissaitdécidément bien étrange… Pas facile à cerner… Il se demanda ce quepouvaitêtresavie.Elledevaitlireénormément,sortirbeaucoupaucinéma,

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àl’opéra,authéâtre,en«servicecommandé».Avecquiyallait-elle?Sonnom figurait seul sous la sonnette ; elle ne vivait doncpas avec unpetitami…Cequinevoulaitpasdirequ’ellen’enavaitpas.Ellel’intriguait.Illasentaitassezpeuconventionnelleetenmêmetempspassûred’elle,cequilarendaitsympathique.Maisilsefaisaitpeut-êtredesidées.Cen’étaitpas parce qu’elle savait parler théâtre qu’il devait projeter sur elle desattentes en lien avec sa propre situation. Si elle vivait àLyondepuis ses18 ans – et elle en avait quoi… trente-deux, trente-trois ? –, elle devaitavoirdestasd’amis,unevieprivéeoverbookée,cequinelaissaitguèredeplaceauxnouvelles têtes.Ellen’avait clairementpasbesoinde lui, alorsque lui-même, fraîchement débarqué dans cette ville où il n’avait jamaissongéàvivre,étaitendemandederelationssociales,voired’amitiés.

Désireuxd’enlireplusd’elle,ileffectuaalorsunerechercheentapantson nom en mot-clé. Il arriva aussitôt sur le site deVivre à Lyon, pourconstaterque,commepourlaplupartdesjournaux,lesarticlesnerestaientenlignequ’unjouroudeux,puispassaientensuiteenaccèspayant.Iln’yavaitdesavoisinequelecompterendud’Unemaisondepoupéed’Ibsen,pièce qu’il avait vue àParis quatremois plus tôt, dans lamêmemise enscène. Il n’avait pas aimédu tout et plongea dans l’article sans attendre,curieuxdesavoircequ’Armelleenavaitpensé.

Ilfutdéçuparsalecture.Lachroniqueétaitvagueetrestaitauborddel’analyse.On ne sentait pasArmelle très enthousiasmée par le spectacle,maisellen’yallaitpasfranchement,n’assumaitpassonopinionnégative.Elle s’était focalisée du coup sur le décor, qui était certes innovant,audacieux même, mais loin de sauver l’ensemble. Il ressentit cepositionnementcommeunepetitelâcheté,cequiluigâchaunpeuleplaisirqu’il avait eu en découvrant ses trois articles sur le travail de la petitecompagnie.

Allez… Arrête un peu de faire ton censeur, tu veux bien ? Avec lenombre de comptes rendus qu’elle doit fournir par semaine, c’est biennormalquecertainssoientmoinsbonsqued’autresouqu’ellen’aitpastoujoursletempsdepeaufinersaformulation…

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IlaffichadenouveaulapageduPetitThéâtredelarueSaint-Georges,etcliquasurquelquesliensversdesblogsafind’avoirplusieursavissurlespectacle en cours. Il comptait occuper son week-end à terminerl’installationdelachambredeLouis,àprendrelamesuredesonquartieret, pourquoi pas, à découvrir par lui-même si cette compagnie était aussiintéressantedanssafaçonde«questionnerlespréjugés,lesreprésentationssocialesetlarelationàl’Autre»quesavoisineledisait.Ilnotasurunboutdepapierleshorairesdusamedisoiretdudimanche,puisconsultadiversposts.C’estainsiqu’ilarrivasurunblogdontl’unedesdernièresentréesconcernaitUnemaisondepoupée.

Décidément…L’auteurs’y lâchaitcomplètementetnemâchaitpassesmots.Mais il

n’yavaitrien,dansl’article,quinesoit,àsonavis,vraietjudicieusementanalysé.Leblogportaitbiensonnom,songea-t-il:Sansfaux-fuyants.

Ilnelefaisaitjamaisd’ordinaire,maisillaissauncommentaire.Ilavaitenvie demanifester son approbation : c’était si rare de lire de véritablesarticlessurunblog,devéritablesanalyses.Laplupartdes«chroniqueurs»secontentaientleplussouventderaconterlelivre,oulefilm,oulapièce,etpastoujoursdansunfrançaisdesplusfluides.

Cecifait,ilselançadansleremontagedel’armoireetdulitdeLouis.

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6

Armelleaimaitbien lepublicdudimancheen journée,dans lespetitsthéâtres.C’étaitunpublicassezéclectique,qu’elleavaittoujoursbeaucoupdeplaisiràobserveravantleleverderideau:vieillesdamesseulesenbleupâle, familles au grand complet les jours de mauvais temps, étudiantssolitaires,troupesbruyantesetenthousiastesvenuessoutenirunamijeunecomédiendans sonpremieroneman show…Un public très différent deceluiqu’ellecôtoyaitdanslesthéâtresplusenvue,àlaprogrammationplusspectaculaire et dans lesquels apparaissaient des comédiens plusmédiatisés…

Elle arrivait toujours en avance, pour avoir le temps de humerl’atmosphère, de regarder les gens entrer et s’installer peu à peu. Elleaimaitcebourdonnementquienflaitdanslasalleaufuretàmesurequelessiègesseremplissaient,puislesilencequis’abattaitd’uncoup,lorsquelepremiercomédien faisait sonentréeenscène. Ilyavaitquelquechosedemoinsformeldanslespetitessalles,demoinsguindé,peut-êtreàcausedupeu de moyens des troupes qui s’y produisaient, du décor bien souventsommaire…Quelquechosedepluschaleureuxaussi…

Ce dimanche-là ne dérogeait pas à la règle. Elle était arrivée dèsl’ouverturedesportes auPetitThéâtre–celuidont elle avaitparlé à sonnouveau voisin avec cet enthousiasme intempestif et regrettable,justement–, et s’était installée audernier rangdesgradins,dansuncoinpeu éclairé. Les Baladins du Temps présent, la troupe qui y était en

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résidence,avaientcetteparticularitédeconcevoirlesdécorsdetoutesleurspiècesàl’aidedecubespeintsdontilsmodulaientl’agencementendirectsur scène, au fur et àmesuredesbesoins.Unparti prisdont ils jouaientavec un naturel et une inventivité qui laissaient toujours Armelleadmirative.

Aprèsunrapidecoupd’œilàlascène,hérisséecettefoisdecubesgrisponctués de carrés jaunes, empilés haut pour figurer une ville – probablement la Grosse Pomme, car la pièce était une adaptation de laTrilogienew-yorkaisedePaulAuster–,ellese livraàsonpetitplaisiretreportasonattentionsurlesgensquientraient.

Lasalleétaitdéjàpresquepleinelorsqu’elleaperçutMaxenceBoyer.Ilétaitpostédansl’encadrementdelaporteàdoublebattantquiséparait lasalle de spectacle du petit hall d’entrée et de la billetterie, et il balayaitl’espace du regard, comme s’il cherchait quelqu’un. Durant un instantd’une joie quasi sauvage,Armelle eut la conviction que c’était elle qu’ilcherchaitetsoncœurfitunbondénormedanssapoitrine.Cen’étaitpassisurprenant…Après tout, c’était elle qui lui avait signalé l’endroit et quiavait parlé de la troupe avec tant de chaleur…Unevague d’allégresse lasoulevaà l’idéequenonseulement il l’avaitécoutée,maisqu’ilavait faitcasdesonopinion.Elleavaiteul’impressiondel’agacer,l’avant-veille;detouteévidence,elles’étaittrompée.Elleavaitréussiàl’intéresserauPetitThéâtre… Peut-être même avait-elle réussi à l’intéresser un peu à elleaussi… Il était donc plausible qu’il pense la trouver dans la salle. Saufqu’ilnerisquaitpasdelavoir,embusquéequ’elleétait,del’autrecôtédelacabinedemixage!Tandisqu’elle,ellepouvaitl’observertoutàloisir.Etcefaisant,elleressentitdenouveaucettepetitedouleur,entrefrustrationetregret, ce tiraillement au niveau du ventre, à l’idée qu’elle n’avait rien àespérer de ce voisinage qu’un échange de menus services, un embryond’amitiétoutauplus…

Elleauraitaimépouvoirselever,descendrelesgradinspouralleràsarencontre et le voir accueillir son apparition avecun sourire heureuxquiaurait signifié : « Je n’osais l’espérer, mais c’est exactement ce que

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j’escomptaisenvenantici:tombersurvous.»Elleauraitaiméqu’ilglissealorssonbrassous lesienavecunedoucepossessivitéetqu’il l’entraînedans la travée centrale en disant : « J’arrive un peu tard pour que nousayonslesmeilleuresplaces,maisjevoislà-hautunpetitcoinparfaitpourbavardersansdérangerpersonne.»Elleauraitaimés’installeràcôtédeluidanscepetitcoin,sentirsongrandcorpstoutprèsdusien,sachaleur,sonodeur,tandisqu’illuiauraitmurmurétoutessortesdechosesanodinesoudrôles, prétextes à se pencher sur elle, à l’effleurer, l’air de ne pas ypenser…Ilnel’auraitpasembrassée,biensûr,pascettefois,pasencore,mais ils auraient su tous les deux que ce n’était que partie remise. Quecetteconversationunpeu loufoquedans l’obscuritéde la sallene servaitqu’àprolonger l’attente…Etque l’attenteestsidouce,sidélicieusementexcitante,quandelles’accompagned’unsentimentd’évidence…

Quelquechosedetrèssensuelsedégageaitdelui.Quelquechosedansson allure à la fois négligée et virile. Quelque chose dans son visage, àl’expressionpourtantunpeudure.Sabouche,peut-être,oulafaçondontsesyeuxs’enfonçaientlégèrementdansleursorbitesetluidonnaientl’airténébreux en dépit de sa blondeur.Dans sesmains, aussi, sesmains auxdoigtslongsqu’ellenesentiraitjamaissurelle…

Sonregardrevintàsabouche,pleine.Unebouchedontondevaittrèsbien sentir la chaleur, la pulpe, la pression sur la peau. Elle essayad’imaginer la sensation de cette bouche dans le creux de son cou, à lajonction de son épaule, sur ses seins… Elle fut secouée d’un frissonfulgurant, commeune décharge électrique…Elle essaya de deviner, soussonT-shirt,sontorse,ledessindesesmuscles–cedevaitêtrebond’êtreblottie contre ce torse-là –, puis son regard descendit au niveau de sonventreets’égaraplusbas,souslaceinturedesonjean.

La plupart des hommes ne lui inspiraient rien, en tout cas aucunepensée de la nature de celles qui la traversaient tandis qu’elle observaitMaxence et qui faisaient naître en elle ce tiraillement délicieux quil’amollissait,ceplaisirdoux,àleregarderainsi,toutàsonaise,chosequejamaisellen’auraitoséfaire,sielles’étaittrouvéeenfacedelui.

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Enfait,tuledésires!Commentappelercequeturessenssinon?Elles’arrêtauninstantàcette idée,étonnée.Était-cepossible?Est-cequ’elledésiraitvraimentcethommequ’elleconnaissaitàpeine?Elleavaitassezpeud’expérienceenlamatièreenfindecompte,–ouplusexactementuneexpérienceassezpeudiversifiée–,ayanteupeud’amants.Unpetitcopainaulycéeetunebrèveaventuredevacancesl’annéedubac,si tantestquel’onpuisseappeler«amants»lecamaradedepremièrepresséetmaladroitavecquionaperdusavirginitéetlegarçonrencontréauborddelamer,lapremière foisqu’onestpartieenvacancesavecdescopines.Ensuite,elleavait rencontré Sylvain, et durant les nombreuses années de leur viecommune,ellen’avaitregardéaucunautrehomme…

Dudésir…Voilàautrechose…Rienquinepuissesesurmonteràcestade,heureusement, songea-t-elle,parceque ledésir,quand ilestà sensunique, c’est comme la douleur, il ne faut surtout pas le laissers’installer…Çafaitvraimenttropmalsinon.

Alors n’y pense plus, Armelle…Ne rêve pas.N’imagine rien. Parceque,dansl’histoire,ilyaaussiunevoisine.Tuvoisdequijeparle,biensûr ?Uneblonde ravissante, unpeu enfantine et pas très grande– pasune gigue d’un mètre quatre-vingt-deux, mais le genre de petite chosefragilequeleshommesadorentprotéger…Deshommescommeletypequisetientdansl’entréeetquibloquelepassageàtoutlemonde…

Unevoisinequ’elles’attendaitàvoirapparaîtred’uninstantàl’autreàcôté de Maxence. C’était probablement pour l’attendre qu’il restait àl’entréedelasalle.Pasdutoutpourlachercher,elle.Encoreunscénariostupide qu’elle avait échafaudé à partir de rien, si ce n’est sa propresolitude ! Oui, sans doute qu’elle vivait seule depuis trop longtemps,qu’elleétaittropenferméedansleslivres,lesfilms,etqu’elleperdaitpeuàpeulamesuredelaréalité…Carenfin,pourquoiserait-ilvenuauthéâtredansl’intentiondelarencontrer?Ellen’avaitfaitqueluiprêterunouvre-boîteetuntire-bouchon…Pasdequoialimentersixcentspagesderoman,franchement!

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Ilsedécidaàavanceretallas’installerautroisièmerang,oùilrestaitencoredeuxplaces–deuxplaces,Armelle…–,etpuislenoirsefitdanslasalle.Durant lespremièresminutesde lapièce, elle jeta encorequelquescoups d’œil chaque fois que la porte s’ouvrait pour laisser entrer unretardataire.Maislavoisinerestaitinvisible:ilsemblaitbienqueMaxenceBoyerétaitvenuseul.

Quandlalumièreserallumadanslasalle,aumomentdel’entracte,leregard d’Armelle alla directement chercher du côté du troisième rang,tandisquesoncerveauélaboraitdéjàtouteunestratégiepourlarencontrequinemanqueraitpasdeseproduire.Pasdepyjama.Pasdechatfugueur.Elleétaitbiendécidéeàapparaîtresoussonmeilleurprofil,cettefois!

Maislevoisinn’étaitpluslà.

***

Finalement,ças’étaitplutôtbienpassé,cepremierlundidecours…Iln’enavaitpasdormidelanuit,maislavingtained’élèvesquiconstituaientsa classe lui avait réservé un accueil chaleureux. Maxence leur avaitannoncéd’embléequec’était lepremiercoursde théâtrequ’ildonnaitdesa vie, mais il avait aussitôt contrebalancé cette annonce inquiétante endéclinantsonpedigree,etlesréactionsdesélèvesavaientététrèspositives.Ilsl’avaientquestionnésurCour&Jardin,luiavaientdemandéquelgenrede pièces ou de spectacles il mettait en scène, s’ils avaient déjà étéprogrammésaufestivald’Avignon…Toutessortesdequestionsquiavaientdétendu l’atmosphère, les avaient rassurés sur sa capacité à les conduirejusqu’àleurexamendefind’année.Ilsavaientensuitepartagélerestedel’après-midientredesexercicesde lectureetdes jeuxd’improvisation,cequi leur avait permis de finir de s’apprivoiser. Le problème, c’était qued’évoquer si longuement Cour & Jardin avait ravivé en lui une douleursourdequinel’avaitplusquittédepuis.

Déjàlaveille,auPetitThéâtre,ilétaitpartiauboutd’unedemi-heureàpeine.Nonquel’adaptationdelaTrilogienew-yorkaisefûtmauvaise,mais

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elle avait provoqué lemêmephénomènequ’avec les élèves : unedouleursourdeettenace,virantàl’oppression,l’avaitsaisi,àcausedesnombreuxparallèlesqu’iln’avaitpus’empêcherdefaire.

Sanscompterunepetitedéconvenuequinemanquaitpasdel’étonner:ilavaitvaguementespérérencontrersanouvellevoisineauthéâtreetnel’yvoyantpas,ilavaitétédéçu.Cequiétaitcomplètementidiot.Lapièceétaità l’affiche depuis plusieurs jours et le resterait un mois encore. Quelleprobabilité y avait-il, dans ces conditions, pour qu’elle choisisseprécisémentcejour-làpourvenir?Àsupposer,enplus,qu’elleaitsouhaitévoir la pièce… Quelle probabilité y avait-il, d’une façon générale, pourqu’une jeune femme qui devait avoir des tas d’amis et crouler sous lesinvitations, compte tenu de son métier, passe son dimanche après-miditouteseuledansunepetitesalledequartier?Lacoïncidenceauraitrelevéd’un sacrécoupdechance.Etquelquechose luidisaitqu’il avait épuisétoutsoncréditd’uncoup,endécrochantleremplacementàl’Esat.

Enfin,l’undansl’autre,ilavaitquittélePetitThéâtreavantl’entracte,marché un moment le long des quais pour essayer de faire passer sonmalaise,puis ilétait rentréchez lui.Là, ilavaitappeléundesesanciensprofesseursduCoursFlorent,avecquiilétaitrestéencontact,pouravoirson avis sur les différents points qu’il comptait aborder avec ses futursélèves.

Entoutefind’après-midi,ilavaitentendusavoisinerentrerchezelle.Ill’avait entendue parler à ses chats tandis qu’elle déverrouillait sa porte,commeonparleàunpetitenfant,etilavaitconstatéunefoisencoreàquelpointiltrouvaitsavoixagréable.Plusqu’agréablemême.Ilauraitbiendit«envoûtante»,siçan’étaitpasridiculeetgrandiloquent.Ils’étaitdemandéquelle était sa vie, comment elle occupait ses journées, à quelsmomentsellerédigeaitsesarticles,sielleavaitquelqu’un.Etils’étaitétonnédelaplacequ’elleavaitprisedanssespenséesenl’espacedequatrejours,alorsqu’il ne l’avait vue que deux fois et dans des circonstances des plusbanales…

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Àlafoisdésœuvréettendu,ilétaitensuitealléfaireuntoursurlesitedelaVilledeLyon,etavaitconsultélonguementlarubrique«Lesloisirspour les juniors», enprévisionde sesmoments avecLouis.Puis il avaitterminéparunpetitcoupd’œil sur leblogSans faux-fuyants, qu’il avaitentrédanssesfavoris.Cequ’ilenpicoranefitqueconfirmerl’excellenteimpressionqu’ilenavaiteue lapremière foiset lapersonnequi le tenaitavaitréponduparunmessagetrèssympathiqueaucommentairequ’ilavaitlaisséàproposd’Unemaisondepoupée.Vusonmétier,ArmelleDécourtdevait forcément connaître ce blog ; il se promit néanmoins de le luisignaler à la première occasion : un bon prétexte pour engager laconversationetentendredenouveausavoix…

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7

–Les filles, vous ne traversez pas toutes seules !Vousm’attendez…Romane?Tuasentendu?

–Romane,onattend,elleadit,tatie!–C’estcequej’allaisfaire!Arrêtedemecommander!–Ettoi,recule!Yatonpiedquidépassedutrottoir!–C’estmêmepasvrai!–Si,c’estvrai!Alorsturecules!Tatiiiie!Elleaunpiedquidépasse!–Bon,Margaux,n’en faispas trop,nonplus…Maintenant,donnez-

moilamaintouteslesdeux.Onyva…Sesniècesseressemblaientcommedeuxgouttesd’eau,pasmoyende

ledireautrement–mêmecorpsfluetmaisvigoureux,mêmechâtainauburntirantsurleroux,yeuxvertspresquedelamêmenuance–,pourtant,iln’yavaitpaspetitesfillesplusdissemblablesdecomportement.Maistoutaussiparadoxalement,lecomportementétaitétroitementliéchezelles,encesensqu’ellesévoluaientdemanièreopposée,maistoujoursenréactionl’uneparrapportàl’autre.Depuisquelquessemaines,àl’espritfrondeurdeRomane,Margaux répondait par un respect presque excessif des règles. L’annéeprécédente, tandis que Romane avait eu dumal à apprendre à nager parpeurdel’eau,Margauxavaitbuplusd’unetasseàforcedefairelafolleàlapiscineetdeselivreràtoutessortesd’expériences.

CetteévolutionenmiroirfascinaitArmelle,ellequiavaitgrandidanslaplusparfaiteindépendancevis-à-visdesasœur.Maislesdonnéesn’étaient

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paslesmêmes,puisqueLucileavaithuitansdeplusqu’elle.Unécartd’âgequi avait beaucoup compté durant son enfance et que son entrée dansl’adolescence avait réduit. Il était insensible à présent, n’étaient leurssituationsrespectives:l’unevivaitseule,l’autreétaitaccaparéeparunmarietdesjumellesde7ans.

Armelleadoraits’occuperd’ellesetadoraittoutautantlesvoirrepartir.Elle les appelait ses« chicouf» : chic, je les ai pourmoi toute seule ceweek-end!Ouf!Enfinseule!PourSophocleetEuripideaussi,RomaneetMargauxétaientdeschicouf–peut-êtremêmejustedes«ouf».Lucilenemettait plus de poupées dans leur sac de week-end : les deux chats lesremplaçaient avantageusement. Sauf que, depuis quelque temps, ilsparaissaientmoinssupporterlesrobesetlesbonnetsdontlesjumelleslesaffublaient,Euripide surtout.Cequioccasionnait desquerelles, lesdeuxfillessedisputantlacomplaisanteplaciditédeSophocle.

Elles arrivèrent dans le petit square qui se trouvait juste derrièrel’immeuble d’Armelle et cette dernière leur lâcha la main. Romane etMargauxconnaissaientlesconsignes.Ellespouvaientfairetoutcequ’ellesvoulaient :du toboggan,desbalançoires,de lacageàécureuil,sevautrerdans lebacà sable,maisenaucuncas,ellesnedevaientquitter l’airedejeu,mêmesileurballonroulaitdel’autrecôtédesbarrières.

Ellesseprécipitèrentsurlacageàécureuil,etbientôt,Romanefuttouten haut, tandis que Margaux faisait le cochon pendu, sous les yeuxécarquillés d’un petit garçon, que leur gémellité et leurs prouessessemblaientémerveiller.Dèsqu’elless’enaperçurent,ellesselancèrentdansunenchaînementd’acrobaties,rivalisantd’audace,toutenguettantducoinde l’œil l’effet produit. Trouvant sans doute que l’admiration du garçonn’était pas à la hauteur de leurs efforts, elles abandonnèrent la cage àécureuilpourlabalançoire.

Armelle, qui avait suivi leur petit manège, inquiète, et leur avaitrecommandé laprudenceàplusieurs reprises,allas’installersurunbanc,rassurée.Encesamedimatin, iln’yavaitpasgrandmondeetelle jetauncoupd’œilmachinal aux autres personnes qui se trouvaient là.Unvieux

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monsieur lisait son journal ; deuxdames faisaient visiblement une pausepapotageenrevenantdumarché,commeentémoignaientleurscaddiesdecourses remplis, et, en face d’elle, de l’autre côté du square, un homme,penché en avant, fouillait dans un sac à dos. Le père du petit garçon,songea-t-elle.

Ilseredressaetleursregardssecroisèrent.MaxenceBoyer!Lecœurd’Armellefitunbondénormedanssapoitrine.Iln’avaitpas

quittésespenséesdetoutelasemaine,maisdepuisqu’ellel’avaitaperçuauthéâtre,ledimancheprécédent,ellenel’avaitpascroiséuneseulefois,nidans les escaliers, nidans lequartier.Laveille, versmidi, en rentrantdeVivreàLyon,elleavaitrencontrésanouvellevoisine,enrevanche.Lajeunefemmeétaitentraind’ouvrirsaporte,deuxsacsdesupermarchéaccrochésàunbras.

Quand elle l’avait vue, elle s’était dépêchée de poser ses sacs et luiavaittendulamain.

–Mia Boyer, avait-elle dit avec un grand sourire. Pardon de ne pasm’êtreprésentéel’autrejour…Vousavezdûmetrouverbienimpolie!

–Non,pasdu tout.Moi-même, j’aioubliéde le faire…Jem’appelleArmelleDécourt.

Mia…Quelbeauprénom!avait-ellealorspensé.Cettefilleavraimenttoutpourelle!Boyer,enplus…Ilssontdoncmariés…

– On dirait qu’on vous attend avec impatience… Vous en avezcombien?

Des miaulements tour à tour impérieux et suppliants s’étaient faitentendrederrièrelaporte,dèsqu’elless’étaientmisesàparler.

–Deux…SophocleetEuripide…Deuxmatousquinesontplusdelapremièrejeunesse…

L’annoncedesnomsdeseschatsavaitfaitglousserlavoisine,etellesétaientrestéesquelquessecondesencorefaceàface,àsesourire.PuisMiaBoyeravaitpriscongéen lui souhaitantunbonweek-endetétait rentréechezelle.

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Àaucunmoment,depuisleuremménagement,Armellen’avaitperdudevue le fait queMaxence n’habitait pas seul,même s’il avait tenu le rôlemasculin principal dans quelques histoires qu’elle s’était racontées avantdes’endormir.Maistombersurelle,sesdeuxsacsdecoursesaubras,avaitdonnéàcette réalitéun reliefnouveau.C’était commesi l’inaccessibilitédesonvoisins’étaitsubitementmatérialiséedanslepaquetdecéréalesauchocolatquidépassaitdel’undessacsetdanslesachetdepetitspainsaulaitquidépassaitdel’autre.

Elle lesavaitvus alors, tous lesdeux, attabléspour lepetitdéjeuner,dans la complicité et l’intimité du matin, quand les draps sont encorechaudsdescorpsquiontfaitl’amour…Etcetteimageluiavaitfaitmal.Enmêmetemps,elleavaitparfaitementconsciencedel’inanitédesaréaction.Ilyavaitdesmilliersd’hommeslibresàLyon,ellen’allaitquandmêmepastomber amoureuse de celui-là ! Ou alors ce serait vraiment trop bête…Heureusement,ellen’avaitpaseuletempsdes’yattarder,carelleavaiteubeaucoupàfaire,ensuite,pourpréparerlavenuedesjumellesquelamèred’Yvan,sonbeau-frère,luiavaitamenéesvers18heures.

MaxenceBoyerparuttrèsétonnédelavoiretsonregardnaviguaavecinsistancedeMargauxetRomaneàelle.Puisilluifitunpetitsignedelamain, auquel elle répondit, le cœur dans la gorge, et elle crut défaillirquandellelevitseleverettraverserlesquarepourvenirverselle.

Ils’arrêtaencheminauprèsdupetitgarçon,luiditquelquechosetoutendésignantdudoigtlebancsurlequelellesetrouvait,puisillarejoignit.

–Bonjour !Quellesurprisedevousvoir ici ! fit-ildansunsouriresichaleureux qu’Armelle sentit le rose lui monter aux joues. Je ne vousimaginaispasdutoutmèredefamille!

– Je ne le suis pas, ce sont mes nièces… Les filles de ma sœur…,s’empressa-t-elle de le détromper, tout en songeant que ce qu’il pouvaitcroire d’elle et de sa situation familiale n’avait vraiment aucuneimportance, étant donné qu’elle n’avait rien à attendre de son apparitiondanssavie.

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–Etvous…Lepetitgarçon?demanda-t-elle,maiselleconnaissaitdéjàlaréponse.

–C’estLouis,monfils.Mariéetpèredefamille…Doublehandicap.Paspourlui,évidemment.

Justepourlesvieillesfillesdontl’imaginationatendanceàs’emballer.Joue-lasympaetdétachée…C’esttoutcequ’ilteresteàfaire…Fais

la tata cool qui a arraché de haute lutte un week-end à un emploi dutempsarchi-rempli,etquipeutbienseconsacreràsesniècesdetempsentemps parce qu’elle n’a pas –mais vraiment pas – un vide abyssal enguisedeviesentimentale!

–Quelâgeila?–Septans.–CommeRomaneetMargaux…–Jepeux?demanda-t-ilenmontrantlebanc.–Biensûr…Elles’étaitinstalléeaumilieuetsepoussalégèrementsurlecôté,pour

nepasobligerMaxenceàs’asseoir tropprèsd’elle.Elleauraitbienaimépourtant !Mais il fallait qu’elle coupe court à toute fantasmagorie : cethommen’étaitpaslibre;iln’étaitpaspourelle.

La veille, au journal, après la réunion de rédaction, Joël lui avaitdiscrètement rappelé sa promesse de l’inviter au restaurant, puisqu’ellen’étaitpas,encemomentmême,àsafêted’anniversaire.Ilavaitsuggéréunsoir de la semaine suivante, et elle avait accepté, pressée alors de sedébarrasserdecetengagementqu’elleregrettait.

Mais à présent, elle se disait que le béguin de Joël pour elle n’étaitpeut-êtrepasunesimauvaisechose.Rienn’avaitchangédesoncôté;elleleconsidéraittoujourscommeunboncopaindeboulotavecquielleavaitfaitquelquessortiessympas,maisàlalumièredesrécentsévénements,ellesentait qu’elle ferait peut-être bien de reconsidérer sa position. En dixmalheureuxpetitsjours,etsansmêmequ’ilsesoitpasséquelquechosedevéritablementnotoire,MaxenceBoyeravaitétabliunvéritablesiègedesonesprit–pournepasdiredesoncœur–,etsiellenevoulaitpascapituler

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lamentablementcommelesEspagnolsàArras,ilfallaitabsolumentqu’ellese lesortede la tête.Car,enfin,ellen’allait toutdemêmepaspasser lessemainesetlesmoisàveniràrêversecrètementàunhommemarié,installédans sa gentille petite vie de famille ! Un homme, en plus, qui n’étaitcertainement pas en quête d’aventure, pas avec une compagne aussiravissante…Sanscompterquecen’étaitpascequ’elle-mêmerecherchait.Lesexede5à7avecquelqu’unquimèneunedoublevie,nonmerci!

Voilà pourquoi il était urgentissime qu’elle effectue un virage à centquatre-vingtsdegréspourarrêterdepenseràluisansarrêt,etJoëlpourraitalors s’avérer le dérivatif parfait…Après tout, lui aussi était un hommeséduisant. Pas du tout à la manière décontractée, un peu brute dedécoffrage–etterriblementmâle,àvraidire!–,deMaxence,maissoncôtéprécieux,élégant,sonsavoir-vivrenemanquaientpasdecharme.Biensûr,elle n’oubliait pas toutes les raisons qu’elle avait énumérées à Nasrin,qu’elle s’était énuméréesàelle-même,pour sepersuaderqueçane seraitpasunebonneidéed’avoiruneliaisonavecuncollèguedetravail…Maisqui sait comment les choses pouvaient tourner, quelles surprises luiréservaitencorel’existence…

Le hic, c’était qu’elle ne le désirait pas. Elle l’appréciait, elle avaitbeaucoupdesympathiepourlui.Objectivement,ilétaitbelhomme:grand,mince, les traits finset réguliers.Mais,autant ledireclairement, toutesapersonnenesuscitaitaucunémoisexuelenelle.

Elle se demanda si, malgré cela, elle serait capable de faire l’amouraveclui.Elleessayades’imaginerentraindel’embrasser…Elleessayades’imaginernueaveclui,lesmainsdeJoëlsurelle,sabouchesursapeau…Rien, pas d’image… Écran vide… Certes, il y avait la mécanique descorps… Sans doute que les caresses de Joël sauraient éveiller ses sens,l’exciter aumoment voulu…D’autant qu’elle n’avait pas eu de relationssexuellesdepuistroisans!Uneabstinencequ’elleavaitvécuesanstropdefrustration,cequiétaitassezsurprenantd’ailleurs,carlesexeavecSylvain,elleavaitbienaimé.

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Unechoseétaitsûreentoutcas:laproximitédeJoëlnel’avaitjamaismisedanslestransesquil’agitaientencetinstant.Maxences’étaitassisàcôté d’elle et il n’aurait eu qu’un mot à dire pour qu’elle tombe, toutefrémissante,contresabouche.Maiscemot,hélas,ilnelediraitpas…

–J’aitoujourstrouvélagémellitéfascinante,reprit-ilendésignantlesjumellesdumenton.Maisj’imaginequepourvous,commepourtousleursproches, ça ne veut rien dire et qu’elles sontRomane etMargaux, pointfinal…

– Non, ne croyez pas ça. Leur gémellité me fascine aussi. Surtoutquandlaressemblanceatteintcedegré.Ellesontunefaçond’êtreensembleet de se comporter l’une par rapport à l’autre très particulière, et je nepense pas qu’on trouve un phénomène analogue dans une fratrieordinaire…Jeveuxdirequandonn’anijumeaunijumelle…

– J’imagine… En fait, non, je n’imagine pas, justement, d’où macuriosité…

Un court silence s’installa, pendant lequel ils suivirent des yeux lestentativesd’approchedeLouis.RomaneetMargauxétaient revenuesà lacageàécureuiletc’étaitLouis,àprésent,quimontraitcequ’ilsavaitfaire.C’était drôle, cette confrontation symbolique, songeaArmelle.Comme siles deux parties en présence devaient passer une sorte de test pour sereconnaîtresemblablesets’adresserenfinlaparole.

–C’estunpetitgarçonbiencalme,votrefils,dit-elle,soucieusedenepaslaisserretomberlaconversation.Jenel’aipasentenducettesemaine…Encequi concerne les jumelles, j’aipeurquevous les entendiezunpeutropceweek-end!

–C’estnormalquevousnel’ayezpasentendu.Iln’étaitpasavecmoi.Chez les grands-parents, sans doute, le temps qu’ils déballent les

cartonsetaménagentsachambre…–JesuisalléauPetitThéâtre,dimanchedernier,voussavez?enchaîna-

t-il. Vous avez réussi à piquer ma curiosité. Les Baladins du Tempsprésent…Déjàlenom,c’esttoutunprogramme!

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Ainsi son petit discours avait fait son chemin, finalement… Elle enéprouvaunejoieparfaitementdisproportionnée.

–Etcommentvouslesaveztrouvés?Elle était curieuse d’entendre ce qu’il allait dire pour expliquer son

départavantl’entracte.– En fait, je ne suis pas resté très longtemps. Ça nem’arrive jamais

d’habitude,maislà,j’aiquittélasalleauboutd’unedemi-heure.–Vousn’avezpasaimé?–Non…Enfinsi…maispeu importe…Ceque jevoulaisdire,c’est

quejesuisalléfaireuntoursurleursite.J’ailulesarticlesquevousavezécritssurleursprécédentescréationset…

Il s’était complètement tourné vers elle et avait étendu avecnonchalance le bras sur le dossier du banc, si près d’elle que les deuxfemmesquipapotaientau-dessusdeleurscaddiesauraientpucroirequ’illatenaitparlesépaules.

–…j’aibeaucoupaimélafaçondontvousenavezparlé.Ilavaitprononcésadernièrephrased’unemanièrepresquetendre,enla

regardant dans les yeux, et durant une fraction de seconde, Armelle seperditentièrementdansceregardaubleuincertain,tirantsurlegris;elleeut l’impressiond’êtreprisonnièredu ressac,entraînée,ballottéedansunmélangedesableetd’eau.

–Oh…Ehbien,je…–Papa!J’aifaim!– Déjà, mon bonhomme ?Mais ce n’est pas encore l’heure du petit

goûterdumatin!Maxencesortitsontéléphoneportabledelapochearrièredesonjean

etconsultal’écran.–Ah,si…Ehbien,vachercherlesacàdos…Louis traversa le square en bondissant commeun cabri et revint près

d’euxàpaspluslents,traînantlesacderrièrelui.–Merci,champion!

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Maxence lui ébouriffa les cheveux – presque blancs à force d’êtreblonds – avec une douceur et un naturel qu’Armelle trouva craquants.Louis leva en retour sur lui ses yeux très noirs, et le père et le filséchangèrentunsourirecomplice.

Mêmeenpèredefamille,ilestsexy!Ilouvritlesacàdosetensortitunsachetdepetitspainsaulaitetune

tablettedechocolat.Lespainsaulaitquidépassaientdusacdecoursesdelavoisine…Lefilmqu’elles’étaitfaitdeleursmatinschangeasoudaindescénario.

Pourtant,ellenevoyaitpasdutoutsavoisineenmèred’unenfantde7ans.Elleavaitl’airsijeune!Unepetitevingtained’annéestoutauplus.Çanecollaitpas…

–…leurenproposer?–Pardon?–Vosnièces…Est-cequejepeuxleurproposerungoûter?–Oh…euh…Ellen’avaitmêmepasvuqueRomaneetMargauxavaientabandonnéla

cage à écureuil et qu’elles se tenaient debout devant le banc, fixant lespainsd’unœilgourmand.

–J’aiprisdesbiscuitspourelles,mais si ellespréfèrent…Qu’est-cequevousendites,lesfilles?Biscuitsoupainaulaitetchocolat?

–Pain-au-lait-et-chocolat!répondirent-ellesavecunensembleparfait.TandisqueMaxencelesservaittouràtour,RomanedemandaàLouis:–T’esenquelleclasse?–CE1.–Commenous!s’exclamaMargaux.Ettuvasoù,àl’école?–ÀJeanRostand…–C’estuneécoleprivée?demandaArmelleàMaxence.–Non,publique.–Ahbon?Jenevoispasdutoutoùelleestsituéedanslequartier.–C’estparcequ’ellen’estpasdanslequartier…–Elleestàcôtédechezmamaman,précisaLouis.

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Oh…?!–LamamandeLouisetmoisommesdivorcés,ajoutaalorsMaxence,

del’airdeceluiqu’onaforcéauxconfidences.–Ah…C’est…Je…Serait-il possible que les choses ne soient finalement pas ce qu’elle

avaitimaginé?Allez,vas-y,Armelle,aupointoùtuenes,autantenavoirlecœurnet!–Pourtoutvousdire,fit-ellealorsd’unevoixqu’ellevoulaitdétachée

maisqu’elleplaçatrophautetquisonnafaux,jetrouvaisvotrecompagnebienjeunepourêtrelamamand’unenfantde7ans…

–Macompagne?répéta-t-il.Illafixaitavecdesyeuxahuris,commesiellevenaitdes’adresseràlui

endialectenordiqueduhautMoyenÂge.Lecœur aux tempes,Armelle se repassa alors en accéléré le filmdes

derniers jours, cherchant frénétiquement à quel moment elle s’étaittrompée.Maisnon,pourtant…Lajolieblondequisonnechezellepourluiemprunter un tire-bouchon et un ouvre-boîte. « C’est un sacré bazar, là-dedans…Onneretrouverien…»Lajolieblondequirentredescoursesetquiouvrelaporteavecsesclés…«MiaBoyer…Pardondenepasm’êtreprésentéel’autrejour…»

Ellen’ycomprenaitplusrien!–Oh…,fit-ilauboutdequelquesinstants.VousvoulezparlerdeMia?Oui,c’estexactementça,MaxenceBoyer:jeveuxparlerdeMia…–C’estmasœur!–Ah,c’estv…Hop!Hop!Hop!Onsecalme,Armelle!ON-SE-CAL-ME…Trop tard. Les coins de sa bouche avaient déjà atteint le lobe de ses

oreilles.

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8

Ils s’étaientdonné rendez-vous relativement tôt,cemercredi soir,à laBrasserieGeorges;pourtant,lorsqueMaxenceyarriva,lerestaurantétaitdéjàpleindemonde. Il avançadequelquespasdans la travéecentraleetfouillalagrandesalleduregard,jusqu’àcequ’unetêteblondeémergedederrièreunebanquetteetqu’unemainfines’agitedanssadirection.

–Maxou!Maxenceindiquad’undiscrethochementdetêteàsasœurqu’ill’avait

vue et entreprit de les rejoindre, Florian et elle, en slalomant entre lesserveurs qui couraient d’une table à l’autre, les bras chargés de plateauximmenses.Ilss’étaientinstallésdanslefonddelasalle,où,heureusement,constata Maxence, les tables de part et d’autre de la leur n’étaient pasoccupées.

Il avait euun après-midi difficile et aurait préféré rentrer directementchez lui en sortant de l’Esat,mais il avait promis àMia et Florian cetteinvitationetilnevoulaitpasladifférerpluslongtemps.

Lerestaurantnemanquaitpasdecharme,ilfallaitlereconnaître,avecsonstyleArtsdéco,sesbanquettesdecuirquicompartimentaientlasalle,ses grands miroirs et son exposition d’anciennes cuves de brasserierutilantes. Mia lui avait parlé de l’endroit comme d’une « véritableinstitution»;ilcomprenaitmieuxpourquoi.

Lorsqu’il arriva près d’eux, Florian se leva pour lui serrer la main.Maxenceconstataunefoisencorequ’ilavaitunepoignefrancheetsolide,

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signe selon lui d’un tempérament tout aussi franc et solide. Ce qu’iltrouvaitrassurant.Miaavaitbeauallersurses21ans,ellerestaittoujourslapetitesœuretluilegrandfrèrequisedevaitdeveillersurelle.

–Salut,Maxence…–Salut,Florian.Çava?– Figure-toi que cette brasserie détient le record mondial de la plus

grossechoucrouteservieenuneseulefois:unetonneetdemie!luiappritMiaenguisedebonjour,toutenluienvoyantunbaiserduboutdesdoigts.Tuimagines,Maxou?HomologuéeauGuinnessdesrecords,s’ilteplaît…

Sonairextatique,tandisqu’elleannonçaitça,auraitpulaisserpenseràtoutautrequeluiqu’elleétaitpersonnellementimpliquéedanscetexploit.Il se mit à rire. C’était tellement Mia ! Elle mémorisait, il ne savaitcomment, une quantité impressionnante d’informations parfaitementinutiles,dontlui-mêmen’auraitjamaiseul’idéedes’encombrerlacervelle.

–Etdevinequoi?Onestàlatable35!Elle passa les mains sur la nappe blanche, la caressant avec ferveur,

puisselaissaallercontreledossierdelabanquetteavecunlongsoupirdecontentement.

–Table35…,répétaMaxence.Waouh…Chouette…–Sartreamangéàcettetable,Maxou!Là!Qu’est-cequ’ildisait!–Et…?–Etrien.Ilyamangé,c’esttout.Çanetefaitpasquelquechosedele

savoir?Siontedisait…jenesaispas,moi,queDullinouJouvetsesontassissurlesiègeoùtuvast’asseoir,tuneseraispasému?

–Bof…,lataquina-t-il.– Oh, tu m’agaces, tiens ! Allez, installe-toi donc et raconte-nous

tout…Commentças’estpassé,ceweek-end,avecLouis?Maxence allait répondre, mais un serveur s’approcha d’eux et leur

tendit des cartes. Ils s’yplongèrent aussitôt tous les trois, puis, aprèsunlongmoment,optèrentsimplementpour lasuggestiondelasemaine:deschoucroutesroyalesaccompagnéesd’unebouteillederiesling.

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– Alors ? Comment il a trouvé sa chambre ? insistaMia lorsque leserveureutprisleurcommande.

–Bien…Bien…Ilenesttrèscontent…Ettonidéedepeindrelaporteavec une peinture pour tableau noir… géniale, vraiment ! On a joué àPictomaniadessus.

Mia afficha un air triomphant de petite fille qui a réussi tous lesenchaînementsàlacordeàsauter.

– Je t’avais dit que ça lui plairait ! J’en étais sûre ! EtMarylène…qu’est-cequ’elleapensédel’appart?

–Commeprévu,elleaouverttouteslesportesetregardédanstouslesplacards!Heureusementquetuaspumefairelescourses,vendredi,avantqu’ellearrive ! Je lesaurais faitesaprèsavecLouis,de toute façon,maiscommeça,elleapuconstaterqu’ilavaitsescéréalespréférées,sesyaourts,sespetitspainsaulaitpoursongoû…

– Pardon, messieurs-dame… Attention, les assiettes sont trèschaudes…

LeserveurposadeuxénormesassiettesdevantFlorianetMiaquijetaunregardexorbitésurlamontagnedesaucisses,dechouetdepommesdeterrequifumaitdevantelle,ens’écriantqu’elleneréussiraitjamaisàtoutmanger. Mais comme d’habitude, elle mangerait tout. À croire qu’ellebrûlaitlescaloriesavantmêmequelanourritureneparvienneàsabouche!

– Enfin, bref, conclutMaxence lorsque le serveur fut revenu avec ladernièreassiettepuisreparti,elleatrouvél’apparttrèssympa,trèsclair,etavec le coup des placards pleins, je pense que j’ai marqué pas mal depoints.

–EllevatelaisserLouisplussouventalors?–Cen’estpasencorefait,Mia,maisj’ytravaille…–Çavamarcher,Maxou!Tuverras…Il aurait aimé avoir la même certitude, mais il comprenaitMarylène.

Malgré tout l’amour qu’il avait pourLouis, il était conscient d’avoir faitpasserdenombreuses foisCour&Jardinavant lui, sachantqu’ilpouvaitcomptersursesparents.Etauboutducompte,illeleuravaitconfiébien

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plus souvent et plus longtemps qu’il n’aurait dû. Louis n’était pasmalheureuxchezsesgrands-parents,celadit,maisMaxencereconnaissaitque,vudel’extérieur–afortioriàtraverslesyeuxd’uneex-femmequesesmultiplesabsencesavaientconduiteàseconsolerailleurs–,çanedonnaitpasdeluil’imaged’unpèretrèsassidu.

–Etvous,lescours,çava?demanda-t-ilunpeuabruptement,désireuxquelaconversations’engagesurunautreterrainquesavieprivée.Enpleinexamen,non?

Florian avait beau être un garçon sympathique, ils se connaissaient àpeine, et Maxence n’avait pas envie d’étaler devant lui ses déboiresconjugaux, ni les relations tendues qu’il entretenait avec Marylène dèsqu’il s’agissait de Louis. Mia parut le comprendre et, gênée sans douted’avoirlancélesujet,luiadressaunpetitsourirecontrit.

–Oui,onadéjàpasséphilogénérale,morale etpolitique, anglais…,répondit Florian, qui n’avait guère pu parler jusque-là. Il nous resteesthétique,philoantiqueetleprojetperso…

–Etças’estbienpassé?Posant la question, Maxence se rendit compte que dans les jours

précédents,iln’avaitàaucunmomentquestionnéMiasursesrévisionsnisur sesépreuvesécrites,obnubiléqu’il étaitpar leschangementsdans sapropre vie. Il se sentit coupable, d’autant que Mia lui avait consacrébeaucoupdetempsdepuisqu’ilavaitemménagé.

–Pas tropmal pourmoi, réponditMia en attaquant gaillardement sachoucroute.Saufpeut-êtreenmoraleetpolitique…

–Ettoi,Flor…La sonnerie du portable de Florian l’interrompit. Ce dernier sortit

prestement son téléphone de la poche de son jean, consulta l’identité desoncorrespondantetseleva.

–Excusez-moi,maisilfautquejeprennecetappel…– Son père s’est fait opérer d’une hernie discale aujourd’hui, lui

expliquaMiaensuivantFlorianduregard,tandisqu’ilgagnaitlaportedurestaurant.

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–Ah…–Ettescours,Maxou?Toujourscontent?Ooooh!C’estunetuerie,

despommesdeterreaussifondantes!Commentçasefaitquelesmiennessoienttoujourstropduresouexploséesenpurée?

– Question de cuisson, indiqua Maxence tout en triant dans sonassiette les pommes de terre et les saucisses d’un côté, le chou – qu’iln’aimaitpas–del’autre.

Ce faisant, il se demandait s’il devait lui parler de son après-midi. Ilavaitjusqu’alorsfaittravaillersesélèvessurdesexercices,deslectures,desimprovisations et quelques courtes scènes d’auteurs classiques etcontemporains, mais ce jour-là, il s’était assis côté public et leur avaitdemandédeluimontreroùilsenétaientdeleurAtelier.Ilvoulaitserendrecomptedelamiseenscène,decequ’ilsavaienteuletempsdefaireavecson prédécesseur. Comme comédien et metteur en scène, il était plutôtadepte d’un jeu sobre et naturaliste, façon Actors Studio, alors que soncollègueavaitorientélesélèvesducôtédujeudemasque:déplacements,gestes et postures outrés, soulignant inutilement le texte, le desservantmêmeparinstants.Ilenavaitétéatterré.

Il décida finalement de taire sa déconvenue et l’inquiétude qui lerongeaitdepuisqu’ilétaitsortidecours:iln’étaitpascertaindepouvoirdirigerefficacementsesélèvesensuivantleschoixdemiseenscènedeleurprécédentprofesseur.Or,laréussiteàl’examendefind’annéedesaclasseétait primordiale s’il voulait prouver qu’il avait sa place en tantqu’enseignantauseindel’Esat.

– Les cours, ça va…, répondit-il à Mia dont le petit visage était sifamilièrementtenduverslui.

Elleattendaitvisiblementqu’ildéveloppe,safourchetteenl’air,maisiln’enavaitpasenvie.Endireplusl’auraitobligéàdétaillerlesenjeuxdecenouveautravailetàrevenirsurlesraisonsquil’avaientconduitàchangerde vie, et il ne sentait pas qu’il pourrait le faire sereinement. Cetterenonciation à dirigerCour& jardin,même si elle s’accompagnait d’une

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contrepartie qu’il espérait positive, resterait encore longtemps une plaiesuppurante.

–Tun’espastrèsloquace,disdonc!–C’estjustequejesuisfatigué…Il but une longue gorgée de vin et reprit, changeant de nouveau de

sujet:–Devinequoi…J’airencontrémanouvellevoisineausquare,samedi

matin.J’yétaisavecLouisetelleavecsesnièces.Desjumelles.DumêmeâgequeLouis.

–Cool!Etalors?–Alors,onaunpeudiscuté.C’étaitsympa.Rienàvoiraveclagrande

Duducheenpyjamaquinousaouvertlepremierjour…Ellecroyaitquetuétaismacompagne!

–Humpff…, fitMia en s’étouffant à demi avec son riesling. Tu l’asdétrompée,j’espère?Jel’aicroisée,vendredimidi,quandjeterapportaislescourses…Pasmal,enfait…

–Leriesling,c’estunpeuquitteoudouble,maisjesuisd’accordavectoi,celui-cin’estpasmal.

–Jeparlaisdetavoisine,Maxou!Jetrouvequesanspyjamaetaveclescheveux coiffés, elle est plutôt jolie finalement. Et elle a un très beausourire,cequinegâterien…

–Unsouriremagnifiquemême!C’estd’ailleursétonnantàquelpointçalatransforme.Nonqu’ellesoitlaidesinon,mais…

–Nonqu’ellesoitlaide,eneffet, lesingeaMia,appuyantsesparolesd’unregardmalicieux.

– Je connais ce regard ! Mais ne va pas t’imaginer des choses ! laprévint-il.

– Je n’imagine rien, j’écoute seulement ce que tu me dis…, ledétrompa-t-elle en le gratifiant d’un regard faussement candide quisignifiaitqu’aucontraire,sonimaginationtraversaitdéjàlesplainesduFarWestaugrandgalop.

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–Non,non,non…Çanemarchepascommeça,Mia.J’aiétablilalistedemesprioritéspourmanouvellevielyonnaise,etdraguermavoisinen’enfaitpaspartie…Iln’yapasdeplacepouruneliaisondansmonemploidutemps. Pas avant longtemps du moins… La partie à jouer est bien tropserrée,entreMarylèneetl’Esat.J’auraistropàperdresinon.

–Maisqui teparlede liaison?Toutde suite lesgrandsmots ! Je teparledebonvoisinage,decopinage…Elleadesniècesdel’âgedeLouis,tudis?

–Oui,etj’aicrucomprendrequ’ellelesgardeassezsouvent.–Ehbien,voilà!–Voilàquoi?–Dis,Maxou,netefaispasplusconquetun’es,tuveuxbien?Tuas

Louisunweek-endsurdeux,ellesesnièces,souventàcequetumedis,eton va vers l’été… Vous pourriez les emmener au parc ensemble, pourcommencer…Ilyadesmanèges,delapêcheàlaligne,desjeux…Etpuis,vouspourriezypique-niquerdetempsentempsaussi…

– Pour commencer ? souligna Maxence, amusé. Et pour finir, tuenvisagesleschosescomment?

–Oh,çava!Jedisjustequetuesseul,elleaussi…–Ça,onn’ensaitrien.Cen’estpasparcequ’iln’yaqu’unseulnom

sursaporte…–D’accord…D’accord…Riennenousditqu’ellen’apasunpetitami

quelque part, en effet. Mais tant que tu n’as pas la réponse, rien net’empêchedeluiproposerquelquessorties,envoisins…Tuserasvitefixé,detoutefaçon.Etsielles’avèrecélibataire,poursuivit-elleavecunsourirede provocation, rien ne vous empêchera, plus tard, « entre adultesconsentants»commeondit,nonpasd’avoiruneliaison,maisdepasserunpeudebontempsensemble…

–Tunetrouvespasquetuvasunpeuviteenbesogne,là?Qu’est-cequitefaiscroirequ’ellem’intéresse,ouquemoi,jel’intéresse?

–Ellet’intéresse,Maxou?

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– Jene saispas encore…C’est vrai que c’était très sympa, ceweek-end,parcequ’ilyauntrucquejenet’aipasencoredit…Aprèslamatinéeausquare,onajustementdécid…

–Excusez-moiencore,lecoupaFlorian,quirevenaitetseglissaitàsaplace,maismonpères’estfaitopéreraujourd’huiet…

–Oui,Miam’aexpliqué.Ilvabien?–Commeonpeutalleraprèsuneanesthésiegénérale,maisoui…– Ta choucroute doit être froide. On va demander qu’ils te la

réchauffent…Tandis qu’elle interpellait un serveur, Maxence repensa au sourire

qu’Armelleavait euquand il luiavait apprisqueMiaétait sa sœur.Àcesourire transporté – oui, véritablement transporté – qu’elle n’avait puretenir et qu’il avait lui-même reçu en pleine figure comme une violentebouffée de gaz euphorisant. Quatre jours après, il en était encore toutretourné.Mais il refusait de s’y attarder, demettre desmots sur ce qu’ilavaitressenti.S’enteniràsespriorités.Pointbarre.

Plusfacileàdirequ’àfairecependant,alorsqueLouisn’avaitcessédeparlerdesjumelleslorsqu’ilss’étaientretrouvésentêteàtêtetouslesdeux,etqu’illuienparlaitdepuischaquefoisqu’ill’avaitautéléphone.Detouteévidence, elles lui avaient fait grande impression. Louis n’était passpécialementtimidenirenfermé,maisilfallaitreconnaîtrequeledivorce,ajoutéàsonemménagementàLyonavecMarylène,auchangementd’écoleetaufaitqu’ilnevoyaitplusautantsesgrands-parentspaternelsl’avaientbeaucoup perturbé. Il était devenu plus secret, parlait moins. AussiMaxenceavait-il étéheureuxdeconstater,après legoûterpartagé,que laglace s’était brisée sans problème entre Louis et les jumelles et que lamatinéeausquares’étaitterminéedansdesriressurletoboggan.

Devant une si belle entente, il avait proposé qu’ils se retrouvent lelendemain après-midi aumusée desMarionnettes.Armelle ne s’était pasfaitprierpouraccepter,etmêmes’ilsavaientassezpeuparléentreeux,toutoccupésqu’ils étaient à répondre auxquestions et aux«Regarde !Maisregaaarde!»despetits,ilsavaientpasséuneheuredesplusagréablesetil

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était rentré chez lui le moral gonflé à bloc, tout à fait certain d’avoirrencontré en la personne de sa singulière voisine une future amie dequalité.Etdenouveauxamis,àLyon,ilenavaitcruellementbesoin.AlorsMiaavaitpeut-êtreraison:quelquessorties,envoisins,pourquoipas.

Il s’empressa de faire taire dans sa tête la petite voix facétieuse quiajoutait:pourcommencer…

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9

–Jesuiscomplètemententraindecraquersurlui,Nas!Etencore,jedis«craquer»pournepasdirequej’aieulecoupdefoudre!

–Etalors?Oùestleproblème?LeschosesétaienttoujourssisimplesavecNasrin!Àcroirequ’ellene

vivaitpasdanslamêmegalaxie.–Oùestleproblème?Ehbien,danslefaitqu’ilaemménagéenface

dechezmoiilyaàpeinedixjours,pourcommencer,etquejenel’aivuque quatre fois en tout et pour tout ! Et il faut voir les quatre fois enquestion!Lesdeuxpremières, jemesuisridiculisée ; lesautres,onétaittouslesdeuxdéguisés,luiengentilpapa,moiengentilletata…

–Jerépète:oùestleproblème?Nasrin l’avait trouvée tellement abattue au téléphone qu’elle était

aussitôt passée chez elle et l’avait traînée par la peau du cou dans unhammam,endécrétantqu’unbonbaindevapeuretungommagedepeauenrègle dans des senteurs de rose et de jasmin lui videraient la tête etremplaceraient ses idées noires par des rêves colorés de jardins arabo-andalousetdebeauxténébreux,princesdudésert.

Enfait,debeauxténébreux,àpeines’étaient-ellesretrouvéesenpetitesculottesdanslagrandesallequ’elles’étaitrépandueenconfidencessursesémois et ses doutes depuis que son blond voisin avait emménagé. Et çaduraitdepuisuneheuremaintenant.

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Aprèsle«C’estmasœur»deMaxenceausquare,elleavaitpassé leresteduweek-endavecl’impressiondeflotteràcinquantecentimètresdusol.Uneboufféed’allégressephénoménales’étaitemparéed’elleetl’avaittenueenapesanteur,commemontéesurcoussinsd’air.Lesdouzetravauxd’Herculen’étaientrien–absolumentrien–encomparaisondecequ’elleaurait été capable d’entreprendre, tant elle se sentait d’énergie, de forcementale, d’espoir diffus en un avenir dont les contours restaient encoreindéterminés, mais auréolés de petites nuées bleues et roses. SurtoutlorsqueMaxenceavaitproposéqu’ilsseretrouventledimancheaumuséedesMarionnettesaveclesenfants.

Oh,ilnes’étaitrienpassédefondamentaldurantcetaprès-midi-là,carchacun d’eux était dans son rôle « de gentil papa et de gentille tata »commeellevenaitdeledireàNasrin,etilsn’avaientguèrepudiscuterdemanièreàmieuxseconnaître.Maiselleavaitbienconsciencequesanslaprésencedesjumellesetsonrôlede«gentilletata»,riendecequis’étaitpasséceweek-endneseraitadvenu.MaxenceBoyerenseraitresté,pourdenombreuses semaines encore, voire pour toujours, à : « Ma voisine estcarrémentjetée.»

Etpuislasemaineavaitreprissoncoursordinaire,etsesvieuxdémonsl’avaientrattrapée.Ilyavaitlongtemps,pourtant,qu’ilsn’étaientpasvenusla tirer par les pieds.Même quand Sylvain lui avait annoncé qu’il avaitquelqu’und’autre,elleyavaitéchappé.Elleétaittropencolère,alors,pourleur laisser lamoindre prise sur elle.Mais cette fois, sans qu’elle sachepourquoi, toutes les Lolita Perez de par le monde, toutes les poupéescharmantes et fragiles au regard papillonnant s’étaient liguées pour venirlui chuchoter à l’oreillequ’avecunhommecommeMaxence, ellen’avaitaucunechance.Oh,ça…Pourquelqu’unquivenaitd’emménagerdansunegrandevilleoùiln’avaitaucuneattacheàpartsapetitesœuretsonfilsunweek-endsurdeux,sûrqu’unevoisineimplantéeàLyondepuislongtemps,dotée de surcroît de deux nièces du même âge que le fils en question,faisait une connaissance – voire une amie – bienvenue dans les premiers

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temps…Mais après ?Quand il aurait trouvé sesmarques ?Quand il seseraitcréésonpropreréseauderelations?

Plus lasemaineavaitavancé,pluscedernierscénario luiétaitapparucommeleplusprobable,etlorsqueNasrinl’avaitappelée,unpeuplustôtcemercredi,ellel’avaittrouvéeaucreuxdelavague.

Ilyavaittrèspeudefemmesàcetteheure,etellesavaientpus’installersousunearcade,àl’abridesoreillesindiscrètes.

– Tu sais ce que je crois, Nas ? C’est qu’au bout de trois ansd’abstinence,jesuisbienplusenmanquequejenelecrois,etquejefaisune fixette sur lepremier typeunpeumignonqui semontre sympaavecmoi,alorsquesiçasetrouve,luiouunautre…

–Faux !Sicen’étaitqu’unequestionde ramonagede fondement, tun’auraispastenuJoëlàdistance.

–Tuesd’humeurbienpoétiquece soir, dis-moi !C’est l’endroitquit’inspirecesmétaphoressidélicates?

Nasrinretintunsourire.–Cequejeveuxdire,c’estqueMaxenceteplaîtpourcequ’ilest,pas

pourunehistoired’abstinenceprolongée.Maisunefoisencore,où-est-le-pro-blè-me-A-rmelle?J’entendsqueturedeviensvivanteet jedisbravo!Enplus,lajolieblondequetuprenaispoursafemmeserévèleêtresasœur.Quedemandelepeuple,bonsang?Tuasl’impressionqu’ilaquelqu’un?

Il y avait quelque chose d’incongru àmener cette discussion dans cedécor desmille et une nuits de film de série B. Et pourtant,Armelle sesentaitbiendanscetteambiancefeutrée,cettehumiditétièdeetparfumée,avec, en fond sonore, le clapotisde l’eauqui coulaitdes fontaineset lesmurmures qui fusaient à travers la vapeur. C’était rassurant, cetteatmosphèreexclusivementféminine,oùlesvoixétaientbasses,posées,lesgesteslentsetgracieux.Oùunrire,parfois,fusait…

– Aucune idée…, répondit-elle en faisant couler lentement unecoupelled’eauchaudesursesépaules.PasàLyonentoutcas.Jepensequeje l’auraisvue, sinon.Mais çaneveutpasdirequ’il n’apersonne.C’est

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peut-êtrequelqu’unqu’ilvoitpeu,ouquiestendéplacementprofessionnelencemoment…

– Ben voyons ! C’est peut-être aussi une astronaute qui suit unprogrammeintensifpourallersur la lune,cequiexpliquepourquoi tunel’aspasencorecroiséesurlepalier!

Il y avait beaucoupde chosesqu’elle appréciait chezNasrin,mais cequ’elleaimaittoutparticulièrement,c’étaitsafaçondediresansdétourcequ’ellepensaitetlamanièreaffectueuse–maissansconcession–dontellela houspillait, quand son moral avait la fâcheuse tendance à foncer enpiqué,droitsurseschaussettes.

–Arrêteunpeu,Armelle, tuveuxbien?Neteposedoncpas tantdequestions, fonce!Ce type teplaît?Teste le terrain, l’airderien…Jenesais pas, moi… Tu as toujours des invits pour deux avec le boulot.Propose-luidet’accompagnerquelquepart…Tuasquoienmagasinencemoment?

–Ben,j’ail’expo«Métissages»,aumuséeSaint-Pierre…LamimiqueaveclaquelleNasrinaccueillitsaréponsefutéloquente.–Expo,pleinjour,debout…Laissetomber…Tun’aspasunthéâtreou

unconcert?Untrucavecdunoiretdesfauteuilsmoelleux?Armelleneputretenirungloussementquiparutrésonnerdanslasalle.

Gênée, elle jeta un coup d’œil à la ronde pour s’assurer que personnen’avaitlesyeuxbraquéssurelles.

–Sérieusement,Nas…,reprit-elleenbaissantlégèrementlavoix.C’estun père de famille, pas un ado boutonneux qui emmène sa copine aucinémapourpouvoirlapelotertranquillementdanslenoir!

–Çaresteunmec…Nouveaugloussement.Nouveauregardalentour.–Qu’est-cequetuconnaisauxmecs,toiquipréfèreslesfilles?–Questionsexe,tuveuxdire?Rien,jetel’accorde,maisjeterappelle

quej’aigrandiavecquatrefrangins…Jeteconseillejustedebienchoisirlescirconstancesdevotreprochain tête-à-tête.S’iln’estpas intéresséau-

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delàd’unerelationdebonvoisinage,tusaurastrèsviteàquoit’entenir…Ets’ilestintéressé,tuluifaciliteraslamiseenœuvre.

–Arrête!J’ai l’impressionqu’onestdeuxfillesdetroisièmeentraindepisterungarçondanslescouloirsducollège!Jevaispasserpourquoi,moi,àavoirl’aird’attendrequ’ilm’embrassedansunesallenoire,commesionavait14ans!

–Ouais, bon…Tuaspeut-être raison…Une expo, c’estmieuxpourcommencer,c’estmoinsambigu…Maisparpitié,trouved’autrestrucsquele square et le musée des Marionnettes ! Parce que jouer aux nounousensemble,c’estpeut-êtresympa,maisçalimitesacrémentlespossibilités,tu en conviendras…Et puis, il ne faudrait pas que ça vire au syndromeArlingtonPark,votreaffaire…

–Arlingtonquoi?–ArlingtonPark.C’estletitred’unbouquinquiracontelequotidien

de mères au foyer mariées avec des cadres super-supérieurs et quis’emmerdentàlongueurdejournéeautourderelationssocialescodifiéesetentretenuesuniquementparcequelesenfantssontensembleàl’école…

–Hum!Çafaitenvie!–Onestbiend’accord…Tiens, jevoisque laplaceest librepour le

gommage…Vas-ylapremière…Armelleselevaetsedirigeaversunealcôveouvertesurlagrandesalle.

Là, une dame assez âgée, le visage et les mains entièrement recouvertsd’arabesquesdessinéesauhenné,l’accueillitavecunchaleureuxsourireetlui fit signede s’étendreau sol surunmatelas.S’asseyantprèsd’elleentailleur,elleentrepritalorsdeluifrotterlecorpsàl’aided’unepâteépaisseet fortement parfumée, avec une énergie surprenante pour son âge et songabarit.

Enquelquesminutes,Armelleseretrouvalapeaucuisante,écarlateetparseméedepetitesboulettesdesquamesgrisâtres,commesiellenes’étaitpaslavéedepuisdixans.C’étaitlapremièrefoisqu’ellevenaitauhammamet il y avait quelque chose d’un peu traumatisant dans cette séance derécurageenpublicouquasi.Maislesfemmesquisetrouvaientàproximité

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luiaccordaientsipeud’importanceetavaientl’air,surtout,detrouvercettepratiquesianodineetnaturellequ’Armellefinitparneplusysonger.Elleferma les yeux et s’abandonna entièrement aux mains vigoureuses quis’appliquaientàluifaireunepeautoutepureettoutedouce.

Ce qu’elle retenait de sa conversation un peu infantile avec Nasrin,c’étaitqu’ellen’étaitplusuneenfant, justement,etque lespetits jeuxdecache-cacheetlesstratégiesadolescentesn’étaientplusdemiseàsonâgeni à celui de son voisin. Cela dit, elle n’était pas non plus une bimbodébordant de confiance en elle pour se livrer à des petits tests deséduction ; alors autant ne pas créer de situations tendancieuses. Ça luiéviteraitunatterrissagedouloureux.

LesjumellesetLouiss’entendaientbien?Qu’àcelanetienne…Elleallait réfléchir à quelques sorties et activités possibles pour le prochainweek-endoùMaxenceauraitsonfils,toutens’arrangeantpouravoirelle-même Romane et Margaux sur une journée au moins, et elle leurproposerait de se joindre à elles. N’en déplaise à Nasrin, le syndromeArlingtonParkleuravaitassezbienréussileweek-endprécédentet,pourlemoment, ellene se sentaitpasassez sûred’ellenidecequeMaxencepensait d’elle pouroser autre chose.Autre chosedeplusdirect.Deplusexplicite.

Saséancedegommageterminée,elleallas’installersurundestransatsdelasallederelaxationpouryattendreNasrin.

Oui,nerienprécipiter…Ellevoyaitdeuxavantagesàcela:siMaxencene s’intéressait pas à elle, du moins pas comme elle aimerait qu’ils’intéresseàelle,elleéviteraitainsil’humiliationdedévoilersesbatteriessans réciprocité. Et s’il en venait peu à peu à s’intéresser à elle, en laconnaissantmieux,c’étaittoutaussibien.Oui,elleaimaitbienl’idéequeles choses se fassent progressivement, à petites avancées qui donnentd’excitantscoupsaucœuretfontmonterlapressionendouceur.

Alors inviter de temps en tempsLouis à jouer avec les jumelles chezelleoulesinvitertouslesdeuxàpartagercertainesdeleurssorties,surtoutavec les beaux jours qui s’installaient durablement, c’était une bonne

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techniquedecamouflage,unefaçondesefamiliariserl’unavecl’autre,decréerunlien–quelqu’ilsoitdansunpremiertemps…Ellesavaitquesesatouts,entantquefemme,n’étaientpasflagrantsaupremierabord.Qu’elle«gagnait à être connue», commeondit, n’ayant pas cette aisance, cetteassurance avec les hommes qu’ont souvent les femmes très belles, ni lemoindresavoir-faireenmatièredeséductionprogrammée…

***

Dans la série « le hasard fait bien les choses », le surlendemain, enarrivantàVivreàLyonpourlaréunionderédactionhebdomadaire,Armelletrouva sur son bureau deux invitations pour deux personnes d’une petitesalleduquartierSaint-Jeanquiconsacraitsaprogrammationauxspectaclespour enfants. C’était une salle qu’elle connaissait bien, dont elle avaitchroniqué favorablement plusieurs créations. Depuis que le directeur l’yavait vue avecRomane etMargaux, il était attentif à lui faire parvenir, àchaque changement d’affiche, non pas une mais deux invitations pourdeux,afinqu’ellepuissevenirauxpremièresaccompagnéedesesniècessiellelesouhaitait.

Ils’agissait,cettefois,decontesamérindiensmisenvoixetenespaceparuneconteuse,unecomédienneetunmusicien.

Parfait!Elle appela aussitôt pour confirmer sa présence le dimanche de la

semaine suivante et réserver une place supplémentaire, qu’elle paierait,précisa-t-elle. On lui répondit qu’il n’en était pas question et qu’on seferaitunplaisirdeluioffrirégalementcettecinquièmeplace.

Elle n’était pas du tout certaine que Maxence et Louis seraientdisponibles,maisellepréféraits’assurerdesréservations,quitteàn’yvenirqu’avec les jumelles plutôt que de voir le projet faire un flop pour unemalheureuseplacemanquante.

Elle passa la réunion sur un petit nuage, ignorant délibérément lesregards goguenards que lui lançait Nasrin, qui avait suivi de loin ses

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tractations au téléphone. Le spectacle débutant à 15 heures et durantquatre-vingt-dixminutes,ellesevoyaitdéjàinstalléeàlaterrassed’uncaféensuite. Les enfantsmangeraient une glace en bavardant bruyamment, etMaxenceetellesiroteraientunjusdefruitsenparlantdetoutetderien,lavéritablecommunications’établissantdanslenon-verbal:lessourires,lesregardsquis’accrochentuninstant,sedétournent,puissereprennent, lesfrôlementspeut-être…

Elleserenditcompteunpeutardqu’elleaffichaitunsourirebéatdansle vide, sourire que Joël eut malheureusement l’air de prendre pour lui.Commelaréunionseterminait,ils’empressadequittersaplaceautourdelagrandetableetdelarejoindre,puisillaraccompagnaàsonbureauenlaserrantd’unpeutropprèsàsongoût.

–Commentonfait,alors,pourcesoir?luidemanda-t-iltandisqu’ellerassemblaitsesaffairespourpartir.

Cesoir…?!Qu’est-cequ’ilya,ceso…?Oh,meeerde!Elleavaitcomplètementzappél’invitationpoursonanniversaire…Le

blanctotal.Maxenceavaittellementaccaparésespenséesetlesévénementsduweek-endl’avaienttellementchambouléequelepauvreJoëlétaitpasséàlatrappesansautreformedeprocès!

– Tu veux que je passe te chercher chez toi ou tu préfères qu’on sedonnerendez-vousquelquepart?demanda-t-ilencore.

Elletâchadesecomposerunvisageavenant,voireenthousiaste.– Euh… On peut se retrouver devant la cathédrale Saint-Jean à

20heures.J’airéservédansunpetitrestauduquartier…–Super!Çamarche…Àcesoir!–Oui,c’estça,àcesoir…Merde,merde,merde!Ellen’avaitabsolumentrienréservéetcroisalesdoigtspourtrouverun

restaurantdontlecarnetderéservationsnesoitpasdéjàsaturéunvendredisoirdumoisdemai.

Arrivée chez elle, elle s’empressa de téléphoner à la petite gargotesympathique où sa sœur,Yvan et elle aimaient bienmanger de temps en

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temps.Ouf…Illeurrestaitunetable…Puis elle s’attela à ce qu’elle avait eu hâte de faire durant toute la

matinée:envoyerunSMSàMaxencepourqu’ilfixeleprogrammedesonprochaindimancheavecLouisengardanten têtesapropositiondesortieaveclesjumelles.AprèsleurvisiteaumuséedesMarionnettes,ilss’étaientéchangéleursnumérosdeportableafin«d’organiseràl’occasionuntrucpourquelesenfantsserevoient».

Elles’appliquaàrédigerunmessagefactueletpastropenthousiaste– elle ne voulait surtout pas avoir l’air d’une groupie ! –, en s’autorisanttoutefoisàlafinun:«J’espèresincèrementquevousserezlibres,touslesdeux. Romane et Margaux se réjouissent déjà à l’idée de revoir Louisbientôt!»

Menteuse!C’esttoiquiteréjouisàl’idéederevoirbientôtlepère!Etmaintenant,ellen’avaitplusqu’àappelerLucile,enespérantquesa

sœur et son beau-frère n’aient pas prévu, ceweek-end-là, d’emmener lesfillesàDisneyland!

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10

La soirée était très douce. En sortant de l’Esat, vers 20 heures,Maxenceeutenviedeprofiterdecettedouceuretentrepritderedescendreàpied vers la Saône. Tout le temps de sa descente, il bénéficia d’une vueimpressionnantesurLyon. Iln’yavaitpasàdire,c’étaitunebelleville…Rien à voir avec Grenoble, engoncée dans sa cuvette, corsetée par sesmontagnes…

Il était 20 h 30 à peine quand il arriva quai Fulchiron.Trouvant quec’étaitunpeu tôtpour rentrerchez lui,unvendredi soirquiplusétait, illongea le quai jusqu’au pont Bonaparte, traversa, puis remonta la rueÉdouard-Herriotjusqu’àlaplacedesTerreaux.Là,ils’installaàlaterrassed’uncaféetcommandaunebière.

Laplaceétaitnoiredemondeetbourdonnaitcommeuneruchedubruitde toutes les conversations.Des enfants s’ébattaient en riant et criant aumilieu des jets d’eau qui s’élevaient, s’abaissaient, disparaissaient uninstant,puissurgissaientdeplusbelle,pourleurplusgrandamusement.

Enfacedelui,leséclairagesdefaçadedumuséeSaint-Pierrecassaientlasymétrie–horriblementXVIIesiècle,songeaMaxence–despilastresetfrontons classiques du bâtiment, insufflant un peu de « baroque » et demystère àune architecture conçuepour évoquer au contraire l’ordre et laraison.

Il se sentait bien, euphorique presque… Son coup de panique del’avant-veille,àproposdel’Atelierdesaclasse,étaitpassé.Ilavaiteutout

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le jeudi pour y réfléchir et la séance suivante, celle dont il sortaitjustement, s’était très biendéroulée. Il avait pu expliquer à ses élèves cequilegênaitdansletravailqu’ilsavaienteffectuéjusque-là,s’appliquantàne pas dénigrer son prédécesseur et à bien situer son discours dans lerapport– telqu’il leconcevait,dumoins,en tantquemetteurenscène–entre le texte et le jeu du comédien. Une sorte de brainstorming trèsconstructif s’en était suivi, et ils étaient tombés d’accord sur uneréorientationdutravail,dontlamiseenœuvredevaitpouvoirsefairesanstropdedommage,endépitdupeudetempsquileurrestait.

Il était sorti de son cours galvanisé et la suite des choses luiapparaissait à présent d’une grande simplicité. De toutes les choses…Cette installation à Lyon, finalement, s’annonçait sous de bienmeilleursauspicesqu’ilnel’avaitpensé!

LorsqueMarylèneluiavaitamenéLouis,lepremiervendredi,ill’avaittrouvée bien moins crispée que lors de leurs dernières rencontres. Sonappartementavaiteul’airdeluiplaireetelleavaitfaitd’elle-mêmeallusionàunarrangementplussoupleauniveaudesgardes,«maintenantqu’ilétaitàLyonluiaussi».Oh,riendeprécisencore,aucunprojetarrêté,maissesparolesn’étaientpastombéesdansl’oreilled’unsourd!

Etpuis…etpuis…ceriseinattenduesurlegâteau,cettevoisineunpeuspéciale mais attachante et ses nièces, qui leur offraient, autant à Louisqu’àlui-même,lachaleurd’uneamitiéendevenir…IlavaitréponduàsonSMSun«oui» enthousiaste.Laperspectived’unautredimancheaprès-midiensacompagnieetcelledesjumellesluifaisaitsincèrementplaisir.Ilsn’avaient pas vraiment pu parler, le week-end précédent, à cause desenfants,mais ilsentaitdéjàqu’au-delàd’unecertainespontanéitépour lemoins burlesque, elle possédait une sensibilité et une façon de voir leschoses qui faisaient écho en lui. Il ne lui avait pas encore appris à quelpointleursdomainesdecompétencesprofessionnellesétaientproches,nonqu’il ait voulu le lui cacher,mais elle n’avait riendemandé et l’occasionpourluid’enparlernes’étaittoutsimplementpasprésentée.

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Ilavaittoujourstrouvéaffreusementinquisitoirele«Etvous,qu’est-cequevousfaitesdans lavie?»quelaplupartdesgensvousenvoientà lafigure à peine vous ont-ils été présentés, ou déplaisants ceux qui vousbalancent avec arrogance leur pedigree, comme si votre profession vousdéfinissaittoutentieroucommesilasommeaubasdevotrefichedepaiepouvaitàelleseulevouscaractériser!Quoique,danssoncas,saprofessionledéfinissaitbeletbien,safichedepaieaussi!Unpassionnédethéâtre,créatif, entreprenant, effervescent même… et éternellement fauché… Cedernieraspect,heureusement,étaitenbonnevoiedes’amender.Quantauxautres,ehbien,l’avenirdiraitcequ’ilenadviendrait.

Mais pour en revenir à Armelle Décourt, si la raison lui conseillaitprudemmentdesongeràelleentermes«d’amieendevenir»,forceluiétaitdereconnaîtrequ’ilavaitmentiàMiaquandil luiavait réponduqu’ilnesavait pas si elle l’intéressait. Disons qu’elle l’intriguait. Elle avait uncharmebien à elle, qui n’opérait peut-être pas d’emblée, à la façond’unraz-de-marée, mais qui s’insinuait, comme un filet d’eau se faufile,s’infiltre…Déjààcausedecemagnifique,decetextraordinairesourire…Et de son côté « burlesque » justement, sous lequel il devinait unepersonnalitépeuordinaire…

Bref, il n’avait pas été saisi, en lavoyantpour lapremière fois, d’unappeldelachairàtoutrenversersursonpassage–quoiquesavoixchaudeetlégèrementérailléenemanquâtpasdesex-appeal–,maisplusilsongeaità elle, plus il éprouvait une sympathie teintéede tendresse, l’enviede setrouver en sa compagnie, de lui parler, de compter pour elle. Étrangemélangequibousculaitsesbellesrésolutions,sesdéclarationsdeprincipeencequiconcernaitsa«nouvellevie».

***

Armellenes’étaitpaschangéeenprévisionde lasoiréenimaquillée.Délibérément.Elleavaitgardé le jeanet la tuniqueunpeuamplequ’elleportait pour la réunion de rédaction, attrapant juste une étole en coton

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épaisqu’elle fourradanssongrandsac,pour lecasoù il feraitplus fraisquand elle rentrerait. Elle s’était contentée également de refaire sonchignonbanane–riendeplussophistiqué–etavaitchoisidessandalettesà talons, certes, mais elle avait sélectionné la paire la plus banale et lamoinsfémininequ’ellepossédait.

Un message subtil, mais suffisamment explicite, espérait-elle, àl’intention de Joël :Tu vois, je neme suis pas « faite belle » pour toi,parce que c’est en camarade que j’ai l’intention de passer cette soiréeavectoi.

Ilss’étaientretrouvéscommeconvenudevantlacathédraleSaint-Jean.Joël,enrevanche,s’étaitchangé,cequ’Armelleremarquaavecunecertainecontrariété,mêmesielledevaitadmettrequ’ilportaitfabuleusementbienlecostumeetquebonnombredefemmesseretournaientsursonpassage.

Lerestaurantoùelleavaitréservéétaitundecesbouchonstypiquesdelagastronomie lyonnaisequigardait encoreunecertaine simplicité, doncunecertaineauthenticité.Ellel’avaitchoisidansl’urgenceetparcequ’ellele connaissait,maispas seulement…Il y avait unepart de stratégiedanssonchoix:lasalleétaittoutepetiteetlestables,serréeslesunescontrelesautres, ne laissaient pas beaucoup d’intimité aux dîneurs. Or, elle savaitJoël trop discret et trop bien élevé pour se laisser aller à des proposintimistesàproximitédegensqu’ilneconnaissaitpas.

Ellenes’étaitpastrompée…Laconversations’engageasurletondelacamaraderie, dans une atmosphère détendue. Ils parlèrent de livres qu’ilsavaientlus,defilmsqu’ilsavaientvus.Beaucoup.Ilsdéversèrentleurbilesurledosdeleurnouveaurédacteurenchef.Unpeu.PuisJoëlluiraconta,avecbeaucoupdeverve, leséjouràLondresqu’ilavait faitauxdernièresgrandes vacances avec ses deux adolescents de fils et la difficulté qu’ilavait eue à les intéresser auBritishMuseumou à laTate, quand tout cequ’ils voulaient, c’était écumer les pubs et les clubs hype, découvrir leLondresunderground.Touteschosespourlesquellesletrèsclassiqueguidetouristiquequ’ilavaitemporténeprocuraitpasvraimentdeclés…

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C’étaitlapremièrefoisqu’ilspassaientdutempsensemblequinesoitpas du temps de travail ou la petite demi-heure de discussion à bâtonsrompusautourd’uneexpooud’unciné,oùilss’étaientretrouvésàtroisouquatrereprises.Untête-à-têtevéritable,propiceàselivrermutuellement.

Elle savait qu’il était divorcé et qu’il avait deux fils qui vivaient enNormandieavecleurmère,maisellenel’avaitjamaisvraimentimaginéenpère de famille. En fait, d’une façon générale, elle ne l’avait jamaisvraimentimaginédanssavieprivée,danssesloisirs,danssasolitudeaussi,carcen’étaitunsecretpourpersonne,aujournal,qu’ilvivaitseul.

Unefoisdeplus,ellesefit la réflexionquec’étaitbiendommage,cebéguinpersistantqu’ilavaitpourelle,carilauraitfaituntrèsboncopain,un«pote»desortiesoudevoyagesdesplusagréables…

Etpuisbrusquement,alorsquelestables,autourd’eux,commençaientàsevider,Joëlsetutetquelquechosechangeadanssonregard.Illafixaintensément,etelledevinaque laconversationallaitquitter le registredel’anecdote.

–Armelle…Non,Joël…Ellen’aimaitpasdutoutcetairsolennel,cetongravequ’ilavaitpris.–Ilyaquelquechosequejeveuxtedemanderdepuisunboutdetemps

déjà…Joël,s’ilteplaît,nedisrien…Nedisrien!Ellefituneffortpournepasdétourner lesyeux,pournepasprendre

l’air grave, elle aussi. Si elle conservait une apparence détachée,l’apparence de celle qui ne s’attend absolument pas à recevoir unedéclaration d’amour, peut-être qu’il comprendrait que sa tentative étaitvouéeàl’échec?Peut-êtrequ’ilsetairait?

–Dis-moi…Sansfaux-fuyants,c’esttoi,pasvrai?Oh…C’étaitça,laquestion?Ellefaillitéclaterderiredesoulagementfaceàsapropreprésomption.–Ehbien…

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Ellenecherchapasàretenirunpetitsouriredefierté.Elleétaitflattéequ’ilaitdeviné,aufond,qu’ilaitreconnusapattederrièrel’anonymatdublog.

–Oui,c’estmoi,reconnut-elle,contentequ’unepersonneaumoinssoitdanslesecret,unepersonnecapable,quiplusétait,d’apprécieràsajustevaleur le sérieux et le professionnalisme avec lesquels elle rédigeait sesarticlesenligne…Commenttuasdeviné?

– Je t’ai lue suffisamment, du temps de Lionel, pour reconnaître tonstyle«sansfaux-fuyants»del’époque.

–J’aimel’ironiedouçâtredeton«del’époque»…–Ce n’est pas une critique. On est plusieurs àmettre de l’eau dans

notrevindepuisquatremois…Maisça,c’estunautredébat!–Commetudis…Pourenreveniraublog,est-cequejepeuxcompter

sur ta discrétion ? J’ai besoin de cet anonymat pour me faire plaisir etécrirecequejeveux,tucomprends?

–Maisoui,tupeux…J’espèrequetun’endoutespas.Celadit,jenesuiscertainementpasleseulàavoirdeviné…

–J’imagine…Maistueslepremieràm’enparler.MêmeNasrinn’yajamaisfaitallusion…

– En tout cas, ne t’inquiète pas pour moi, reprit Joël. Je serai muetcommeunetombe.Çaseranotrepetitsecret…

Tantquecen’estqueça,notre secret, songea-t-elle en lui faisant unpetitsourirecomplice.

***

Maxence quitta la place des Terreaux vers 22 heures et décida derentreràpied,cettefoisencore,maisenpassantparlepontdelaFeuilléepuislesvieuxquartiers.LarueSaint-Jeannemanqueraitpasd’animation,encoreàcetteheure,etilavaitenvied’yflânerunpeu…Ilsesentaittendu,maisd’une tensionpositive,commehabitéparunélan,unespoirunpeuabsurdedanslamesureoùiln’étaitassociéàaucunévénementparticulier.

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Àmoinsquecenesoitlapropositiond’Armellequilemettedanscetétatdebien-êtrediffus?

Intéressant…,songea-t-ilensourianttoutseul,sefaisantl’effetd’êtredanslemêmetempsl’entomologisteetlepapillonclouésurlaplanche.

Quoiqu’ilensoit,cettepropositionconfirmaitcequ’ilavaitsubodoré:ellen’avaitpersonnedanssavieencemoment.Car,enfin,sielleavaiteuun petit ami, elle n’aurait pas été à ce point disponible le week-endprécédent.Sanscompterquedepuisdixjoursqu’ilavaitemménagéenfacede chez elle, il n’aurait pasmanqué de l’apercevoir à unmoment ou unautre,cetype,oudumoinsl’aurait-ilentenduquelquefoisrentreravecelle.Ça résonnait assez dans la cage d’escaliers ! Or, chaque fois, elle étaitseule, et l’unique conversation qu’il avait surprise, c’était celle qu’elleavaitavecseschats,avantmêmed’ouvrirsaporte…

Bizarre cette satisfaction qu’il ressentait à l’idée qu’elle n’avaitpersonne,alorsqu’iln’étaitpasspécialementattiréparellephysiquement.Non, ce n’était pas exact, pas aussi dichotomique que ça…Elle n’avaitcertes pas ce genre de beauté évidente, presque agressive, de certainesfemmes,beautéqu’aucunhomme,ycompris leplusfidèledesamants,nepouvait pas ne pas remarquer.Mais elle avait d’autres atouts.Une façond’être qu’il trouvait délicieusement atypique. À commencer par uneabsence totale de coquetterie vis-à-vis de lui, comme si le jeu de laséduction était un jeu qui ne l’intéressait pas. À moins que ce ne soitbeaucoupplusbêtequeça…Etqu’ilnel’intéressepas,toutsimplement…Non. Ilne s’était jamaisconsidérécommeunhomme irrésistible,mais lesourire qu’elle avait eu, en apprenant que Mia était sa sœur et non sacompagne, ne trompait pas. Elle avait été soulagée et heureuse del’apprendre.C’étaitdoncqu’ilneluiétaitpasindifférent…Quantàsavoirde quelle manière il devait interpréter cette non-indifférence, c’était uneautrehistoire…

Il trouva les rues Lainerie puis Saint-Jean exactement comme ill’espérait : éclairées, animées, leurs cafés et restaurants déversant sur lespavés toute une foule bariolée dont il saisissait au vol des bribes de

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conversations en français, en anglais, en espagnol, en japonais… Desgrappes de jeunes gens chahutaient bruyamment avec cette joie encore sientière,sipure,deceuxquiontlaviedevanteuxetl’illusionqueriendemauvaisnepourrajamaislesatteindre.

Ils’arrêtadevantlavitrined’unmagasindemarionnettesetdejouetsenboisetadmiralonguementuncasteletquidevaitfaire,estima-t-il,lataillede Louis ou un peu plus. Il était peint en rouge vif et décoré demotifsdorés, comme un théâtre à l’italienne ; ses rideaux, rouges également,étaient retenus sur les côtés et laissaientvoir la toilede fondd’undécormarin.Ilvenaitdetrouverlecadeaud’anniversairequ’ilferaitàsonfils.IlsavaitqueLouisenrêvait, toutcommeilsavaitqueMarylènenevoudraitjamaisluienoffrirun,peudésireused’avoirsouslesyeuxtouslesjoursunjouetquiluirappelaittropcemétierquiavaitfaitécrandansleurcoupleetfiniparlesséparer.

Alorsqu’ilallaitseremettreenmarche,ilaperçut,danslerefletdelavitrine, une femme en train de sortir d’un restaurant, dont la taille etl’alluregénéraleluirappelèrentArmelle.Ilneseretournapas,maisregardamieux.Oui,c’étaitbienelle.

Ilpivotaalorssur lui-mêmeetallait traverser laruepour larejoindre,quand il s’avisaqu’elleétaitaccompagnée…Unhomme,qui lui tenait laporte,comprit-il,sortitjustederrièreelle.

Ils stationnèrentun instantdevant le restaurantetArmelle tiradesonsacuneétole.Maisalorsqu’elleamorçaitlegestedelaplacerautourdesesépaules, l’hommelaluipritdesmainset l’enenveloppadélicatementlui-même. Puis il se servit des pans qu’il n’avait pas lâchés pour attirerArmelleàluietl’embrasser.Àpleinebouche.Unbaiserd’amant,profond,auquelArmellesemblarépondreavecardeur.

Iln’enregardapasplus. Il s’éloignaàgrandspasetse fonditdans lafouledes flâneurs avec l’impressionque la foudrevenait de s’abattre surlui.

Arrivé au niveau de la cathédrale Saint-Jean, il ralentit le pas, puisfinalement s’assit sur les marches, les jambes sciées, stupéfait par

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l’intensitédesaréaction.Ilnecomprenaitpaspourquoiilréagissaitainsi,maiscequiétaitcertain,c’estquelavisiond’Armelleentraind’embrassercethommeneluiétaitpas,maisalorsvraimentpasagréable!

Ilauraitpourtantjuréqu’ellen’avaitpersonnedanssavie…Enmêmetemps, il avait peut-être cru ce qu’il voulait croire… L’argument dont ils’était servi pour se convaincre pouvait être interprété exactement àl’opposé.Cen’étaitpasparcequ’iln’avaitvupersonneavecelleenquinzejoursqueçasignifiaitqu’elleétaitlibre.Lapreuve!

Ilyadestasdefaçonsd’êtreencouple…OnentendaitassezparlerdufameuxTogether/Apartencemoment,commedelaréférencemoderneenmatière de vie à deux… Peut-être qu’il n’avait pas vu ni entendu cethomme parce qu’il ne vivait pas à Lyon ou qu’il n’y était pas durant lasemaine…Peut-êtrequeleweek-endprécédent,siArmelleavaitpuêtreàce point disponible, c’était parce que le type était en déplacementprofessionnel, ou encore qu’il était à l’enterrement de sa grand-tante audiablevauvert!

Voilàquichangeaitpasmalleschoses…

***

Ah ça ! Si elle s’attendait à pareille attaque-surprise !Armelle fut sisaisiepar l’audace soudainede Joëlqu’ellene songeapasà le repousserlorsqu’il commença à l’embrasser. Pire ! Elle entrouvrit les lèvres !Instinctivement.GestequeJoël interprétacommeunencouragement,bienentendu. La pression de sa bouche se fit plus appuyée et sa langue vintchercherlasienne.EllesesentitdevenirtoutemolleetsiJoëln’avaitpasglisséunbrasautourdesataille,peut-êtrebienqu’elleseseraitaffaissée,commeuntasdevêtementssubitementprivésducorpsquileshabite.Elleauraitpourtantjuréquejamaisdelavieellen’auraiteuenvied’embrasserJoël,maislacaressedoucedesalangue,sonsoufflechaudquisemêlaitausienlamaintenaientcolléeàlui,malgrélagrosselumièrerougequiétaiten

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train de clignoter dans sa tête : Arrête ça tout de suite ! Mets finimmédiatementàcemalentendu!

Saufqu’elleétaitbeletbienentraindel’embrasser,etpasseulementdu bout des lèvres. Elle l’embrassait avec sa langue, avec son corps, siétroitementplaquéecontre luiqu’ellenepouvaitprétendre ignorercequisepassaitau-dessousdelaceinturedecuirvernideJoël.

Mauditstroisansd’abstinence!Elle se reprit enfin et, les mains à plat sur son torse, le repoussa

doucement. Certes, elle avait envisagé un bref instant, au square, unerelation avec lui.Mais c’était avant queMaxence lui apprenne queMiaétaitsasœur.Certes,elles’étaitdemandéalorscequesoncorpsluidiraitetelleavaitundébutderéponse.Maiselleenrevenaitcesoiràsapositioninitiale : une porte semblait s’entrouvrir côté nouveau voisin, et Joëlméritaitmieuxqued’êtreinstrumentalisé.

–Joël…Cen’estpasunebonneidée…–Pourquoi?– Parce que je ne peux pas te donner ce que tu sembles attendre de

moi…–Alors donne-moi ce que tu peux, Armelle, et laisse-moi décider si

c’est ce que j’attends ou non… Je sais que tu n’as personne depuisSylvain…

–Ehbien,enfait…–Enfait,ilyaquelqu’un?Ellesentitl’emprisedesonbrassursatailleserelâcherinsensiblement

etelleenprofitapour faireunpasenarrière.Ellesesentait les jouesenfeu. Elle était arrivée exactement là où elle ne voulait pas être, dans lasituation qu’elle s’efforçait d’esquiver depuis des semaines et dessemaines.

–Ouietnon…Disonsque…– Qu’il n’y a encore personne, continua-t-il à sa place, mais tu as

quelqu’unentête…–Oui…

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Rien – absolument rien – ne lui permettait de penser que l’intérêtqu’elle portait à Maxence était réciproque, mais le délicieux piment dudoute,lapalpitationdel’espoir,ellevoulaitlesvivre,selaisserhabiterpareuxsansqueriennipersonnen’interfère.

Joëldétournauninstantlesyeux,puislesreposasurelle.–Est-cequ’aumoinsjepeuxcompterquenotreamitiésurvivraà…?–Évidemment!Cen’estpasunmalheureuxbais…Elleneterminapassaphrase.Passimalheureuxqueça,enfait…En

une fractionde seconde, elleenentrevit lesconséquences : lagêneentreeux, palpable, à leur prochaine rencontre, la bonne humeur, la cordialitésurjouées, dans les locaux deVivre à Lyon, pour donner le change auxcollègues,lesregardsdérobésdeJoëlsurelle,pesantdetoutlepoidsdesadéception,desafrustration,etcebaiser,commeunmurinvisibledésormaisdresséentreeux.

–Jeteraccompagne?–Non,jeteremercie,maisjenesuisvraimentpasloin,etpuis,ilya

encorepleindemondedanslesrues…–OK.Il n’insista pas, ce dont elle lui sut gré. Il leva lamain et lui caressa

doucement la joued’undoigt, avecundemi-sourireemplidemélancolie,puislaissaretomberlourdementsonbras.

–Bonweek-end,Armelle…Elleretintdejustesseun«toiaussi»machinalquiauraitétédesplus

malvenusetsecontentad’unhochementdetête.PuiselleemboîtalepasàunflotdeJaponaisàlatêteduquelunguidebrandissaitledrapeaunationalblancetrouge,presséededisparaîtreduchampdevisiondeJoël,dontellecroyaitsentirleregardaigudanssondos.

Toutenessayantd’accélérerlepasetdesefaufilertantbienquemalaumilieudesmembresdececlubdutroisièmeâgenipponquioccupaientlaruecommes’ilsétaientseulsdanslaville,ellepestaitcontreelle-mêmeden’avoir pas essayé de réserver dans un autre endroit. Il y avait de forteschances que le souvenir de la scène qui venait de se passer lui gâche le

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plaisirderevenirdanslepetitbouchonavecLucileetYvanpendantunbonboutdetemps.

Lorsqu’ellearrivarueduDoyenné, il luisemblareconnaîtreMaxencequimarchait sur le trottoir, à bonne distance devant elle. Elle fut tentéed’accélérerlepaspourlerattraper–àsupposerquecesoitlui,biensûr–,maisrenonçaviteàcetteidée.Lerattraperpourquoi faire?Luiproposerdeboireunverrequelquepart?ÀmoinsderetournerrueSaint-Jean–etdeprendrelerisquedetombersurJoëlquis’yétaitpeut-êtreattardé–,iln’yavaitplusguèredepetitscaféssympasd’ouvertsàcetteheure.L’inviterchezelle?À11heuresdusoiroupasloin?Autantluidemandercarréments’ilavaitenviedecoucheravecelle!

Non…Mauvaiseidée…Etpuis,l’airderien,«l’incident»avecJoëll’avaitsecouée,etellenesesentaitpaslaforcedesemontrerconviviale,charmante,drôle,brefdeseprésentersoussonmeilleurjouràMaxence.

Soudain, un soupçonhorrible la traversa.Et siMaxence venait de larue Saint-Jean, lui aussi ? Et s’il était passé devant le restaurant pile aumomentoùJoëletelleenétaientsortis?Ets’illesavaitvuss’embrasser?Qu’est-cequ’ilallaitcroire?

Quand même pas… Pile au moment où… ? Non, la probabilité estinfime…Oualors,ceneseraitvraimentpasdechance!

Elle essaya d’évaluer le temps qui s’était écoulé depuis le… le…dérapage malencontreux… Le baiser lui-même, qui avait duré un peu,certes,maispasnonplus…Lapetitediscussionquis’enétaitsuivie…Letrajet du restaurant jusqu’à l’endroit où elle se trouvait, après plusieursmètresàpiétinerderrièrelesJaponais…Allez,quoi?Dix,douzeminutes?AlorsMaxence–sic’étaitbienlui,encoreunefois–nepouvaitpasêtrepassédevantlebouchonaumomentfatidique!

Ouf!Oufoufouf!Un petit rire de soulagement lui échappa. Dix minutes, c’était

largementplusqu’iln’enfallaitpourfranchirladistanceentrelerestauetleniveaude la rueoù il se trouvait. Il nevenait doncpasdeSaint-Jean,

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sinon il ne serait pas en train demarcher devant elle, il serait déjà quaiFulchiron,horsdesavue…

Rassurée,elleaccéléralepas.Elleavaithâtedemettrefinàcettesoiréeetdechasserparunebonnenuit–sansrêves,sipossible–lesouvenirdecebaiseretdel’embarrasdanslequelill’avaitplongée.Heureusement,ellenereverraitpasJoëlavantlevendredimatinsuivant.Ilauraitletemps,d’icilà, de digérer sa déception, et elle de réfléchir à la meilleure attitude àadopteraveclui.Sanscompterqu’ilsseraientenréuniond’équipe,pasentêteàtête.

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11

–Rappelle-moicequevousallezvoircetaprès-midi,Louis?–Deshistoiresdepastèquesavecunedamequivadansl’espaceetun

monsieurquifaitdelamusiqueavecsavoix…Mia éclata d’un rire frénétique, qui tenait plus du hennissement de

cheval quede lamélodie cristallinequ’on était endroit d’attendred’ellequand on voyait la délicatesse de son apparence. Encore une chose quil’avait toujours étonné chez elle, ce rire tonitruant, si peu féminin, toutcommesapropensionàmémorisertoutetn’importequoi…Çafaisaittroisfoisdéjàqu’elleposaitlaquestionàLouiset,visiblement,elleneselassaitpasdesaréponse.

IlsétaientinstalléssurlaseulepelouseduparcdelaTêted’Oroùlespromeneurs avaient le droit de marcher et de « s’ébattre » commel’indiquaitsonnom:lapelousedesÉbats.Etilsn’étaientpaslesseulsàypique-niquer ce dimanchemidi.Une idée deMia qui était tombée à pic,apportant undérivatif bienvenuà lamorositéqui ne l’avait pasquitté detoutelasemaine,mêmesilejambondessandwichstranspiraitunpeuetsil’eaudelabouteilleenplastiqueétaittiède.

– Tu me téléphoneras, ce soir, pour me raconter comment c’était ?demanda-t-elleencoreàLouis.EttumedirasaussisiRomaneetMargauxontaimé…Est-cequ’ellesseressemblentvraimentbeaucoup?Tuarrivesàlesreconnaître?

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Louislessurpritenaffirmantquenon,lesjumellesneseressemblaientpasbeaucoupetqu’illesdifférenciaitsansproblème.

–Àquoitulesreconnaisalors?luidemandaMaxence.–Eh ben,Romane, elle a les yeux verts-verts, etMargaux, elle a les

yeuxvertsavecdudorédedans.–Etquandellessontloinouquetunevoispasleursyeux?–Ellesmarchentpaspareil…Etellesontpresquelamêmevoix,mais

unpeudifférentequandmême.Maxence fixa son fils, épaté. Alors qu’il avait eu l’impression de se

trouver faceàdeuxfois lamêmepetite fille–hormis lesvêtements,biensûr, qu’il s’était efforcé demémoriser pour chacune des jumelles afin depouvoir les nommer sans se tromper une fois le premier indice fourni –,Louis avait saisi chez elles des différences fondamentales. Les yeux. Lamusiqueduphrasé.Lafaçondesemouvoir.IlneluienpardonnaitqueplusvolontierslesAztèquesdevenusdesfruitsinsipidesetgorgésd’eau,lamiseenorbitedelacomédienneetlemixentrelemusicienetlaconteuse.

–Et leur tatie? repritMia, lançantun regardmalicieuxpar-dessus latêtedeLouis.Commenttulatrouves?

–Gentille…,réponditLouissobrement.Maxencenejugeapasutiled’apprendreàMiaqu’Armelleavaitunami,

pas plus qu’il ne lui dit que s’il n’avait pas prévenu Louis de cetteinvitationàpeinel’avait-ilreçue,ilauraitannuléleurrendez-voussousunprétexte quelconque. Il avait quasiment fui son appartement depuis qu’ilétait allé chercher Louis chezMarylène vendredi soir, souhaitant, autantquefairesepeut,éviterArmelleetsonsourire.

Une réaction stupideet infantile,mais il se sentait commeunboxeurenvoyéautapisparundirectenpleinefigureetquiabesoindetempspourrécupérer.Encequileconcernait,lasemaineentièren’yavaitpassuffietc’étaitbiencequilesurprenaitdanscetteaffaire.Cequiluifaisaitprendrelamesure,également,delaplacequ’Armelles’étaitmisàoccuperdanssespensées.De touteévidence, la réflexiondeMiaà laBrasserieGeorges à

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proposdecequ’ilspourraientenvisager«entreadultesconsentants»avaittraîtreusementfaitsoncheminenlui…

Leurs sandwichs avalés, Louis et lui se firent quelques passes deballon. Plus exactement, il parcourut la pelouse en long, en large et entravers, pour récupérer le ballon queLouis envoyait partout sauf dans sadirection,plusdoué,apparemment,pourremarquerlessubtilesnuancesdecouleurdanslesyeuxdesfillesquepourjoueraufoot.Puisilsregagnèrentlemétropourretournerdanslesvieuxquartiers,tandisqueMias’attardaitauparcoùFloriandevaitlarejoindre.

***

Armelleavaitproposéqu’ilsseretrouventdirectementdevantl’Atelier-Mozémerveilles,unquartd’heureavantledébutduspectacle.Ilsarrivèrentunpeuàlabourre,essoufflésd’avoircourudepuislapasserelledupalaisdejustice.

Tandis qu’ils approchaient de la salle, devant l’entrée de laquelle sepressaientdéjàadultesetenfants,deuxpetitsbolidesvertpommeetorangésedésolidarisèrentdelafouleetfoncèrentsureuxavecforcegesticulationsetcris.

–Louis!Louiiiis!Les jumelles les avaient aperçus les premières. Sans doute les

guettaient-ellesdepuisunmomentdéjà.Ellesavaient troqué les shorts etlesT-shirtsqu’ellesportaientladernièrefoisqu’illesavaitvuescontredesrobes très fifilles à manches ballon. Une tenue qui dénotait avec ladélicatesse de bulldozer avec laquelle elles fondirent sur Louis. Leurscheveux étaient remontés en couettes hautes, retenus par des rubans, etavaient sous le soleil des reflets cuivrés qui faisaient paraître les deuxfillettespresquerousses.L’uned’elles–MargauxouRomane?–arrivaàleurniveaul’unedescouettesenberne,cequiluidonnaitl’aird’unchiotjoueuretfougueux.

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EllespilèrentjustedevantLouisetsemirentàluiparlertouteslesdeuxenmêmetemps,luiposantdesquestionsenrafales,sansmêmeattendresesréponses.Maxenceneputretenirunpetitriredevantl’airabasourdidesonfils,visiblementdépassépartoutecetteénergieetceflotdeparolesquisedéversaientsurluid’uncoup.

Laissant les enfants reprendre contact et se raconter ce qu’ils avaientfaitdepuisleurdernièrerencontre,Maxencerelevalatêteetsonregardallachercherunpeuplusloindevantlui,surletrottoir.Armelles’avançaitverseuxd’unpasplusmesuréque ses nièces, et il fut frappépar la grâcedeliane que lui donnaient sa grande taille et saminceur. Une grande taillequ’elleassumaitpleinement,s’ilencroyaitlesescarpinsdécoupésàhautstalonsquilachaussaientetmettaientparticulièrementenvaleurlegalbedesesjambes.

Elleportaitunerobenoire,courte, toutesimplemaistrèsseyante,seslongscheveuxlâchés,etilsongeaqu’elleétaitloinlagrandeDuducheenpyjama du premier jour, avec sa tresse de travers. Avait-elle d’ailleursseulement existé ou bien était-ce lui qui s’était montré aveugle ? Quin’avait su reconnaître, sous les hardes de Cendrillon, la charmanteinconnuerencontréeaubal?

Unevaguededésirbruts’emparadelui.Comments’était-ildébrouillépourn’avoirpasvutoutdesuiteàquelpointtout,enelle,étaitbeau?

Elles’arrêtaàpetitedistancedeluietluioffritl’undesesmagnifiquessourires, tandis qu’une bouffée de son parfum lui parvenait. Il reçut lesdeux avec un coup au cœur semblable à une petite décharge électrique,maisl’imaged’Armelleetdel’inconnupressésl’uncontrel’autredevantlaportedurestaurants’imposaalorsàsonesprit,assombrissantleplaisirdecesretrouvailles,commesiunnuageemplidepluies’étaitarrêtéjusteau-dessus de sa tête. Il répondit à son sourire par un sourire contraint,incapabledefairemieux,jalouxsoudaindel’hommequiavaitleprivilègedelaserrercontrelui,delatoucher,del’embrasser,deluifairel’amour.

Armelle se pencha et plaqua sur la joue de Louis un baiser sonore.Lorsqu’elle se redressa, elle resta une demi-seconde face à lui, hésitant

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visiblementquantàlamanièredelesaluer.Ilposaalorsunemainsursonépaule que la bretelle de sa robe dénudait partiellement, appréciant aupassagelegrainfinetlatiédeurdesapeau,puisilapprochasonvisagedusien et lui fit la bise. Une première, mais cette petite avancée dans lafamiliariténeluiprocuraaucunejoie.

Il fut surpris de constater qu’elle rosissait légèrement. S’il ne l’avaitpasvueaveccetautrehomme,ilauraitjuréquececontactl’avaittroublée.

–Salut…Çava?demanda-t-il.–Ouietvous-toi?Jenesaisplussionsetutoieounon…–Oui,oui,tutoyons-nous,sansproblème…Çava,merci…–RomaneetMargauxsontvraimentcontentesderevoirLouis…Elles

m’onttéléphonépresquetouslesjours,cettesemaine,poursavoirsic’étaittoujoursbonpourcetaprès-midi…

Elledésignad’ungestelestroisenfantss’éloignantdevanteux,Louisflanqué de part et d’autre des jumelles qui le serraient de près,l’enveloppaient de grands gestes, l’inondaient de mots – et de bonbonsapparemment.Puiselleplantadanslesiensonregardmordoréetajouta:

–Moiaussi,jesuiscontentedetevoir…Elle l’avait dit très vite, rosissant encore, comme si l’aveu en avait

coûtéàsapudeur,puiselle legratifiad’unnouveausourireet il fut,unefoisdeplus,complètementdéstabilisé.Ilétaitmanifestequ’illatroublait,tout comme elle-même le troublait, et ça ne collait pas du tout avecl’attituded’unefemmeengagéeailleurs.

Était-ilpossiblequ’ellenesoitpaslapersonnequ’ilavaitvuedevantlerestaurant?ElleluiavaitditausquarequeRomaneetMargauxétaientlesfillesdesasœur…Desjumelles…Ilavaitsouvententendudirequedansunemêmefamillelagémellitéseretrouvaitàchaquegénérationoupresque,comme si elle était héréditaire.Sepouvait-il alors qu’Armelle et sa sœursoient elles-mêmes jumelles ?Se pouvait-il que, par un de ces tours quejouelehasard,cesoientcettesœuretlepèredeRomaneetMargauxqu’ilaitsurprisentraindes’embrasser?

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Maistuvasoù,là,Maxence?Arrêteunpeutesdélires,tuveuxbien?Il n’y a pas de sœur jumelle qui tienne. C’était Armelle, point barre…Celadit,tunesaisriendesonhistoireaveccetype…Tunesaisriennonplusdelasignificationexactedecequetuasvu.Alors…

Alors,décida-t-ilsoudaindansunregaind’optimisme,ilallaitjouerlapartiecommes’iln’avait rienvu.Commesi lechampétait libre.Armellelui plaisait indiscutablement et il aurait bien tort de ne pas tenter sachance !Après tout,quesait-onde laviedesgens,a fortiori de leurvieamoureuse?Leschosessontrarementtellesqu’onlesimaginelorsqu’onseplace en observateur extérieur… Oui, songea-t-il en l’enveloppant d’unregard gourmand, le chemin qu’il allait suivre était très simple : tantqu’Armelleneferaitpasallusionàcethomme,qu’ellenefixeraitpaselle-mêmelalimite,tantqu’ellelegratifierait,lui,decessouriresmerveilleuxetqu’elle rosirait comme une adolescente parce qu’il lui faisait la bise ouposaitunemainsursonépaule,ilagiraitcommesielleétaitlibre.

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12

–Maxence?Lasalleestpleine?– Oui, elle est même archi-pleine, mais ce n’est pas ça le plus

important…Leplusimportant,c’estquevousdonniezlemeilleurdevous-mêmes,quelquesoitlenombredespectateurs.Gardezbiençaentête.Laperformanced’uncomédiennedoitjamaiss’effectuerauproratadessiègesoccupés. Soyez professionnels dès ce soir et soyez-le toujours, que vousayezdeuxspectateursoudeuxmilleenfacedevous…

Dans l’effervescencede la logecollectiveoùsesélèvessepréparaientpour leurAtelier,Maxenceretrouvaitavecbonheur la fièvreet l’agitationquiprécèdentlesleversderideau.C’étaitcommel’odeurfamilièrequivoussaisitenouvrantlaported’unemaisond’enfanceoucelled’unjardindanslequel, petit, vous avez beaucoup joué… L’impression d’être en paysconnu,aimé,protégé,invulnérable…

Mais ce soir, il découvrait des émotions nouvelles aux côtés de sesélèves, des émotions qu’il n’avait jamais ressenties avec les comédiensqu’ildirigeaitpourCour&Jardin.De la reconnaissance, faceà touscesvisagestendusparletrac,cesjeunesgensetjeunesfillessuspendusàseslèvres, avides de ses conseils… Confiants en lui… Il éprouvait aussi lafierté de leur transmettre le savoir et le savoir-faire que de nombreusesannéesdepratiquedujeuetdelamiseenscèneluiavaientconférés.

–L’important,continua-t-il,c’estquevoussoyezcontentsdevous,devotrejeu,etquevousneperdiezjamaisdevuevospartenairessurscène.Il

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nes’agitpasdebrillerseul,maisdefaireensorte,ensemble,quelamagieduspectacleopèresurlepublic.Vousêtesresponsables,collectivement,lesunsdesautres.Vousêtesresponsables,collectivement,dutroudemémoiredePierre, de l’erreur de déplacement dePaul.Ça vous arrivera à tous etplusd’unefoisdansunecarrière,vouspouvezmecroire!

Il lesdévisageait, un àun, attendri, concernépar chacund’entre eux,mêmes’iln’avaitfinalementpasséaveceuxquequelquessemaines.

– Aidez le camarade défaillant, adaptez vos répliques, votredéplacement,votrejeu,improvisezaubesoin.Lesspectateursnedoiventyvoirquedufeu!Vousn’êtesplusdes individussurscène,vousêtesuneéquipequiœuvredeconservepourlaréussitedelapièce…

Il se sentait galvanisé, autant que ses élèves dont les yeux brillaientd’excitation. Il entrevoyait à quoi pourrait ressembler son avenir deprofesseurd’artdramatique,etcetavenirneluiparutsoudainplusunpis-aller,maisunprojetàsaisiràpleinesmains,àconstruire,unprojetdanslequelilpourraitbiensereconnaître,toutautantqu’entantquefondateuretdirecteurdeCour&Jardin.

Etcetterévélationlesoulevacommeunelamedefond.– Bon, c’est à vous maintenant… Je serai au fond de la salle et je

resterai debout pour faire le sémaphore si vous avez besoin d’uneindicationdiscrète…Allez,jevousdis«merde»,commeilsedoit!

Illeslaissasedirigerseulsverslescoulissesetgagnalasalle.Ilfitunpetitsigneaurégisseursonetlumièrepourluidonnerletopdedépart,puisallas’appuyersurlemurdufond,derrièreladernièrerangéedesièges.Leslampes côté spectateurs s’éteignirent. Une découpe éclaira le centre descène.Lamusiquesur laquelledevaiententrer lespremiersélèvess’élevadeshaut-parleurs.

Maxencepritalorsunelongueinspirationetattendit,lecœurbattant.

***

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Ilss’étaientdébrouilléscommedespros,tousautantqu’ilsétaient!Ilsavaient bien géré le stress de l’examen cumulé à celui du jeu devant unpublic etMaxence était vraiment très content d’eux. Ils n’avaient pas eubeaucoup de temps pour reprendre la mise en scène, mais tous avaienttravaillé d’arrache-pied pour la mémoriser et le résultat était vraimentbon…

Alors qu’il s’apprêtait à retourner dans la loge collective pour lesféliciter chaleureusement, une silhouette devenuemaintenant familière sedépliaaumilieud’unerangéedesièges.

Armelle?Il s’approcha. Regarda mieux, à travers la masse des gens qui se

levaientenmêmetempsetquittaientleurplace.Oui,c’étaitbienelle.–Armelle!Elle tourna la tête en entendant son prénom et lorsqu’elle le vit, le

sourire radieux qu’elle lui offrit le cloua sur place. Le même sourireexactementque lorsqu’il luiavaitapprisqueMiaétait sa sœur.Lemêmequeceuxdontelleavaitétéprodiguelorsqu’aprèslescontesamérindiens,ilss’étaientinstalléstouslescinqàlaterrassed’unglacier,faceàlaSaône.

Unsouvenir trèsdouxquecemomentpasséavecelle,délicieusementexcitant aussi étant donné les signaux favorables, quoique très discrets,presquetimides,qu’elle luiavaitenvoyésenréponseàsonflirtàfleuretsmouchetés,àcausedesenfants.L’hommedurestaurants’étaitplusencoreperdudanslesbrumesdel’insignifiance.Tantqu’elle-mêmenefixeraitpaslalimite,avait-ildécidé.

Il remonta péniblement le flot qui se dirigeait vers la sortie et larejoignit.

–Çaalors!Jenem’attendaispasdutoutàtevoirici!JenepensaispasqueVivreàLyons’intéressaitauxAteliersdel’Esat…

–VivreàLyonn’arienàvoiravecmaprésenceici.Cesontlesélèvesquim’ontinvitéedirectement,viamon…

–Tuveuxbienm’excuserquelquesminutes? l’interrompit-il,partagéentredeuxurgences:celledelareteniretcelledeparleràsesélèvesavant

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qu’ilsnequittent l’école. Il fautabsolumentque jevoiemesélèvesavantqu’ilsnes’éparpillentdanslanature.Maistum’attends,d’accord?

–Tesélèves?Tuesprofici?–Oui…Tum’attendsalors?–Jet’attends.–Onseretrouvedansdixminutesdevantl’entrée,çateva?–OK.Iln’étaitpasencore20heures.La soiréeétait loind’être terminée. Il

allaitluiproposerderedescendreensemble,àpied,verslesvieuxquartiers– si elle n’avait pas eu lamauvaise idée de venir en voiture –, et d’allerensuiteprendreunverredanscepetitbarsympathiquequ’ilavaitrepéréaucoursd’unede sespromenadesen solitaire.Pasde fiston,pasdenièces,cettefois,pourinterféreretaccaparerleurattention.

Etaprès?Aprèsappartenaitàl’inconnu.

***

– Alors, tu es prof de théâtre…, répéta Armelle lorsqueMaxence larejoignitsurlapetiteplacedevantl’Esat.

Cen’étaitplusunequestioncettefois.–Benoui…Ilsprirentlaruedel’AntiquailleendirectiondelaplacedesMinimes.

Lasoiréeavaitlégèrementfraîchietlebleuduciels’étaitvoilé.–C’estdrôle…Çanem’étonnepas.–Ahbon?Pourquoiça?–Jenesaispas…TonintérêtpourlePetitThéâtre…Lefaitquetusois

allésurInternetpourterenseignersurlesBaladinsduTempsprésent…QuandMaxenceluiavaitproposéqu’ilsrentrentensembleàpied,elle

avaitacceptésanshésitation,heureusedepouvoirenfinpasserunpeudetempsentêteàtêteaveclui.LesyndromeArlingtonParkavaiteusaraisond’être;ilavaitfaitsonœuvreetl’avaitbienfait,enleurpermettantàtouslesdeuxd’avanceràcouverttoutens’envoyantquantitédepetitsmessages

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non verbaux qui racontaient une tout autre histoire que la conversationanodine qu’ils menaient devant les enfants. Il ne lui avait pas fallu trèslongtemps, alors, pour renvoyer ses vieux démons en enfer, reprenantconfiance en elle sous les regards appuyés, explicites et rassurants deMaxence.

Maisauvudesnuagespluslourdsquis’amoncelaientau-dessusdelabasilique de Fourvière, il n’était pas certain qu’ils puissent rejoindre lequartier Saint-Georges par les petits chemins qui sillonnaient la colline,commeprévuinitialement.

–Etçafaitlongtempsquetuenseignesàl’Esat?–Quelquessemainesseulement…J’airemplacéunprofesseuraupied

levé.– Oh… Et avant ? Tu faisais quoi ? Si ce n’est pas indiscret de

demander,biensûr…Ilne lui réponditpas toutde suiteetArmelle sentitqu’ellevenaitde

poser la mauvaise question. Non seulement c’était indiscret, mais çaparaissait aussi douloureux. Il lui vint trop tard l’idée que ça avaitprobablementàvoiravecLouisetsondivorce.Elleseseraitgifléed’avoirainsiravivéunmauvaissouvenir.Parcequepasserlerestedelasoiréeentriadeavec le spectrede sonex-femmen’étaitpas cequ’elle avait espérépourlasuite.Maisalorspasdutout!

–Non,cen’estpasindiscret,lâcha-t-ilenfinavecunelenteurpleinederéticence qui affirmait le contraire. Avant, j’étais directeur d’une petitetroupedethéâtre.ÀGrenoble.

C’étaitbiencequ’ellepensait…Elleavaitfoutuson40fillettedansleplat!

–J’étais?souligna-t-ellemalgrétout.Autantboirelecalicejusqu’àlaliemaintenant…Detoutefaçon,lecharmeétaitrompu.Saufqueparundecesmiraclesquinevousviennentenaidequ’une

fois ou deuxdans la vie, l’orage éclata d’un coup, alors qu’ils arrivaientplacedesMinimes.Undecesoragesd’étésurvenantunpeuavantl’heure,

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qui fit tomber sur eux de grosses gouttes plates et tièdes, très espacéesd’abord, puis qui resserrèrent leurs rangs en quelques secondes, jusqu’àdevenirunrideauobstruanttoutdevanteux.

Sans se concerter et oubliant tout de la conversation en cours, ils seprécipitèrent au même instant sous un abribus. Tandis qu’elle arrivaitdessousavecunpetit rirenerveux,ArmelleenregistramachinalementquelafigureduCheétaittaguéeàintervallesréguliers,etdansunlargeéventaildecoloris,surlesparoisdeverre.

ElleseretournaaumomentoùMaxences’engouffraitàsontoursousl’abri. La force de son élan le jeta presque contre elle et elle esquiva lechocenserencognantentrelebancenferetl’angledel’abri.Laproximitéde leurs corps était telle qu’elle se sentit rougir violemment.Maxence lafixa, lebleudesesyeuxassombrisoudaincommeuncielde traîne.Puissonregarddescenditlentementjusqu’àsabouche.Armellesentitalorssoncœur se mettre à battre à coups précipités. Est-ce que Maxence allaitl’embrasser?Est-cequec’étaitmaintenantqueçaallaitarriver?

Desadolescentesfirentbruyammentirruptionàcôtéd’eux,gloussantets’ébrouant. Maxence s’éloigna alors d’elle d’un pas, se retourna et, lesmains derrière le dos, s’absorba dans l’examen de la place, sur laquellequelquespromeneurscouraientencoreversl’entréedumétro.

La pluie se calma aussi vite qu’elle était arrivée, en deux ou troisminutesàpeine.Soncrépitementsurledessusdel’abricessad’uncoup,leciel se dégagea tout aussi brusquement, lâchant cette fois sur eux unelumièred’unetransparenceetd’uneintensitéextraordinaires.

–Oncontinueàpied,aurisquedeprendreuneautresaucée?demandaMaxence.Ouenmétro?

–On continue à pied, tranchaArmelle, peudésireuse de se retrouverdansune ramequi sentait poétiquement le chienmouillé, àpartager avecunedizainedevoyageursouplus laprésencedeMaxencequ’ellevoulaitpourelleseule.

Ils sortirent de l’abribus et trouvèrent bientôt entre deux bâtimentsétroits ledébutdusentierquidescendaitvers laSaône. Ilscheminaientà

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couvert sous lesarbres,maispar instants,une trouée leuroffraitunevuemagnifiquesurlaville,encontrebas.

Soudain, un arc-en-ciel illumina le paysage et Armelle s’arrêta pourmieuxleregarder.Maxences’arrêtajustederrièreelle.Siprèsqu’ellesentitsonsoufflechaudsouleverlesmèchesfinesquis’étaientéchappéesdesonchignonetluibalayaientlecou.Ellenebougeapas,feignantden’avoirpasremarqué qu’il était entré dans son espace vital. Ce n’était pas parinadvertance qu’il s’était arrêté aussi près d’elle, elle le devinait,mais àdessein,parcequequelquechoseallaitsuivre…Bientôt…Quelquechosequ’ilallaitinitieretcettecertitudefitnaîtreenelleunevagued’excitation.Il ne paraissait pas pressé de le faire cependant.Et il avait raison. Ils setenaienttouslesdeuxenéquilibresurunefrontière.

Elle qui était plus grande que tout le monde, y compris la bonnemajorité des hommes, elle trouvait extrêmement plaisant, extrêmementtroublant de se sentir dominée par la silhouette de Maxence. Pas debeaucoup,certes,maissuffisammentpouravoirlasensationdélicieuse–sirare–d’êtrelapluspetiteetdevinerqu’elletiendraittoutentièredanssesbras,quandildécideraitdelesrefermersurelle.

Elle mourait d’envie de faire le pas en arrière qui aurait suffi à laplaquercontrelui…Ellelaissacependantlessecondess’égrener,dansunétatdetensionàlafoisinsupportableetdivin.L’odeurdelaterremouilléemontait jusqu’àelle,commeportéeparunebriselégère.Maisiln’yavaitpas de brise, juste l’attente qui s’étirait et la conscience, exacerbée, ducorpsdeMaxencejustederrièreelle.

Il posa doucement sesmains sur ses épaules et elle sentit ses lèvreschaudes dans son cou. Un baiser si fugace qu’elle crut d’abord l’avoirimaginé,puisunautrevint,plusappuyé,pluslong…Elleseretournapourlui faire face. Il n’avait pas lâché ses épaules, sesbras avaient seulementaccompagné son mouvement, puis l’avaient enveloppée. Les yeux deMaxence avaient l’exacte couleur du ciel quelques minutes plus tôt, auplusfortdel’orage,unbleuminéralchargédedésir.Ilsepenchaverselleet elle inclina doucement la tête en arrière, tandis que la bouche de

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Maxences’approchaitdelasienne.Lesyeuxmi-clos,lecœurbattant,elleaccueillit sonbaisercommes’ilsétaient lepremierhommeet lapremièrefemmeàs’embrassersurterre.

Il promena ses lèvres sur les siennes lentement, sans fougue niprécipitation,etc’étaitexactementcommeellel’avaitimaginé.Leurpulpetiède,soyeuse,luidonnaenviedelemordredoucement.Cequ’ellefit,duboutdesdents,effaçantaussitôtsamorsured’unpetitcoupde langue,etbientôt,ellesentitlesouriredeMaxencesedessinercontresabouche.

Puis sa languevint chercher la sienne, et de joueur, leurbaiser se fitplusprofond,plusimpérieux.Maxenceresserrasonétreinteetsamainluiagrippa la nuque, comme pour l’immobiliser, lui signifier qu’à présentc’étaitluiquimenaitlejeu.Ilprittoutsontemps,l’embrassanttouràtouravectendresseetviolence,suivantparmomentsledessindeseslèvresaveclapointedelalangue,luiécrasantlaboucheàd’autres,lafouillant,mêlantson souffle au sien comme s’il voulait la dévorer ou lui imprimer samarque.

Elle prenait tout, la douceur et la force, la caresse et la dévoration,presqueterrasséeparl’intensitédecequ’elleressentait.Ilyavaitleplaisir,biensûr,leplaisirdecebaiseretdespromessesqu’ilrenfermait,maisilyavaitaussil’incrédulitéetl’émerveillementdevoirarriverceque,quelquesjoursauparavant,ellejugeaitencoreimpossible.

Maxence interrompit leur baiser et elle appuya son front contre sonépaule,prised’unetimiditésoudaine,n’osantpasleregarder.Ilresserrasesbrasautourd’elle,latintcontreluiunlongmoment,silencieux,labouchecontre sa tempe.Puis ilbougea.Sedétacha lentementd’elle, lui saisit lementonpourluifairereleverlatêteetposaunbaiserlégersursabouche.

– On continue ? proposa-t-il tout en faisant glisser sa main dans lasienneetenl’entraînantdoucementsurlesentier.

Elleacquiesçad’unhochementdetête,tropémuepourparler.Ilsfirentlerestedutrajetensilence,unsilencequin’avaitriendelourd,quin’étaitenrienchargédegêne,aucontraire.Ilvibraitd’attente,d’anticipation.Ellen’étaitplusreliéeàMaxencequeparlachaleurdeleursdeuxpaumes,mais

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le désir les enveloppait d’une aura qui crépitait comme un champmagnétique.

IlsdébouchèrentsurlarueSaint-Georgesaubasd’unevoléed’escaliersparticulièrement abrupte.Maxence s’arrêta, se tournavers elle et, portantsamainàseslèvres,ydéposaunbaiser.

–Est-cequetuveuxqu’onailleprendreunverre?luidemanda-t-il.Oubien…

Le second terme de l’alternative resta en suspens et c’est lui qu’ellechoisit,sanshésitation.

–Oubien,répondit-elleavecunpetitrireembarrassé.Ilétouffasonrireenluiécrasantlabouched’unbaiserardent.Tout, oui…Elle prendrait tout de lui, la douceur et la fougue, aussi

longtempsqu’ilvoudraitlesluidonner.

***

Lemomentétaitarrivé…Cemoment,surlefildecrête,quichangeraittout.

Lecœurd’Armellecognaitàcoupssourdsdanssapoitrine;sesmainstremblaient légèrement. Maxence l’avait conduite d’office chez lui etautourd’elle,lesalonétaitcommeundécorirréel,flottant.Ellefermalesyeux.Cequiallaitsepasserentreeuxmaintenantnesereproduiraitjamaisplus. Jamaisplusellene ressentirait l’émouvanteet intimidantemagiedecettepremièrefois. Ilyenauraitd’autres,sûrement–beaucoupd’autres,espérait-elle–,maisjamaispluscelle-ci…Celledescorpsquisedénudentet se touchent pour la première fois ; des mains, des bouches qui sedécouvrent;celledupremierembrasement,dupremierorgasmepartagé…

Maxences’assitsurlebordducanapé,luiattrapalesmainsetl’attiradoucementàlui,l’emprisonnantentresesjambes.Puisillevalesyeuxverselle, la fixant d’un regard solennel, tout chargé de désir. Comme s’ilattendaitd’ellelesignalpourcontinuer.Cesignal,elleleluidonna,posant

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ses doigts sur sa joue. Il tourna la tête et ses lèvres vinrent chercher samain.Ellesentitdanssapaumelachaleurdesonsouffle.

Illuisaisitleshancheset,d’unepressionlégère,lafits’asseoiràcôtédelui.Duboutdesdoigts,illuicaressaleslèvres,puispritfiévreusementsabouche,tandisquesamaindescendaitlelongdesoncou,sursagorge,s’insinuait dans l’échancrure de son chemisier. Un frisson la secoualorsqu’elle sentit cettemainenvelopper l’unde ses seins, enparcourir sarondeur, et un soupir de plaisir lui échappa, queMaxence accueillit enconcentrantsacaressesurson téton,à travers le tissufindesonsoutien-gorge.Refermantsurluisonpouceetsonindex,iljouaavec,s’amusantàlefairedurcir.Sonautremainvintcherchersanuquepourmieuxlasouderà lui avecuneassurance simâleet sipossessivequ’uneondededésir latraversa.LabouchedeMaxencedévoraitlasienne.Salangueneluilaissaitaucunrépit.Ohoui…Êtreàcethomme…Toutentière!S’abandonneràsabouche,àsesmains.

ElleglissaàsontourunemainsoussonT-shirt,explorantduboutdesdoigts sa peau, le dessin de ses muscles, le duvet fin et doux de sonabdomenqu’ellesentaitdisparaîtresurlecuirdesaceinture.Elleremontalelongdesontorse,s’attardasurlesbattementsdesoncœur,devinantsontrouble,àluiaussi,l’affolementdesondésir,etcelaluidonnalecouragedesemontrerplusaudacieuse.Revenantàsaceinture,ellelaissasamaindescendre plus bas, effleurant le renflement dur de son jean. Maxencegrognacontresabouche,puis,dansunmêmegeste,se levaducanapé, lasoulevadanssesbrasetlaconduisitdanssachambre.

Il la déposa doucement sur le lit et s’allongea à côté d’elle, laparcourant du plat de sesmains aux longs doigts fins, cesmêmes doigtsqu’elle désespérait de sentir un jour sur elle. Ces doigts quidéboutonnaient à présent son chemisier, dénudant sa gorge, dévoilant ladentellede son soutien-gorge.Tandisqu’il posait ses lèvres sur son cou,puisdescendaitplusbas,explorantduboutdelalanguelapeaufinedanslesillonentresesseins,samainrevintàsescuisses,ensuivit lefuselage

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jusqu’à ses genoux, atteignit l’ourlet de sa jupe envoile et fit le chemininverse,àmêmesapeaucettefois.

Unenouvelle secoussededésir la traversa lorsqu’il arriva enhaut, etelle écarta légèrement les jambes pour lui permettre de poursuivre sonexploration.Sonsexepalpitait, touthumidedéjà,avidedecaresses.MaisMaxenceavaitvisiblementenviedelafairelanguir,carauderniermomentsamainbifurquasurl’intérieurdesescuissesetellepoussaungrognementde frustration. Ileutunpetit rirequivibracontresapeau. Il revintàsonchemisier,finitdeledéboutonner,puislafits’asseoirafindepouvoirleluienleverdélicatement.Toutaussidélicatement,ildégrafasonsoutien-gorgeetleluiôta,regardantlongtempssesseins,puislesprenantencoupe,lespressant,abandonnantunpeudesadélicatessesousl’aiguillondudésir.Ilse pencha et en lécha la pointe, lui arrachant des gémissements. Ilrecommença, plusieurs fois, avant d’en prendre un dans sa bouche, d’ensucer lemamelon,et elle redécouvrit soudaincecheminsecretqui reliaitdirectementsesaréolesàsonsexe.Ellerevintàsonjean,aurenflementdurdesonpénis,défitenaveuglelaboucledelaceinture,fitsauterleboutondupantalon,dedeuxdoigtsfiévreuxfitdescendrelafermetureÉclairdelabraguetteetplongealamaindedans.Desapaumeelleenveloppasonsexe,enexploralalongueur,larigidité,tandisquesonpropredésirbrûlaitentresescuisses.ElleétaitplusqueprêteàaccueillirMaxenceenelle.

Ellesentitqu’ilfaisaitglissersajupeetellesoulevaleshanchespourluifaciliterlatâche.Ellefitdemêmelorsqu’ilentrepritdeluiôtersapetiteculotte.Elle-mêmes’empressaalorsdefairepasser leT-shirtdeMaxencepar-dessussatête,ets’attaquaensuiteàsonjeanetàsoncaleçon.

Ils se rallongèrent tous les deux, sans se toucher d’abord, observantleurnuditédanslalumièredéclinantedusoirquiavançait.Puisleursmainssecherchèrentdenouveau.Leursbouches…Pressésl’uncontrel’autre,ilss’affamaientdedésir.N’enpouvantplusd’attendre,Armellesaisitlamainde Maxence et la fit glisser entre ses cuisses ouvertes en une demandemuette. Elle crut mourir lorsqu’elle sentit ses doigts caresser sa chair

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humideetchaude.Ilenexploralonguementlesreplis,lamettantàl’agonie,toujoursplusofferte.

Enfin,ilseredressalégèrement,étenditlebrasversletiroirdesatabledechevetetellel’entenditfouillerdedans.Lebruitd’unemballagequisedéchire, une attente de quelques secondes, insupportables, et Maxences’allongeasurelle,enappuisuruncoudepournepaspeser,tandisquedel’autre,ilseguidaitenelle.Il lapénétrapetitàpetit,enprenanttoutsontemps, comme si lui aussi avait la conscience aiguë qu’ils ne revivraientplusjamaiscemomentaveclamêmeémotion.Etcettelenteurdélibéréeluifitpresquevenirleslarmesauxyeux.C’étaitsiagréableetsiintenseàlafois.Toussesnerfsétaienttendus,toutessessensationsconvergeaientverslecentredesoncorps.Elleauraitvouluquecemomentnes’arrêtejamais,que cette première fois qu’il entrait en elle devienne un point immobiledans le temps, mais elle sentait aussi monter l’impérieuse envie qu’ill’emplissetoute,lapossèdepleinement.Elleavaitenviedeperdrepied,des’offriraussicomplètementà luiquepossible,avecsoncorps,sonesprit,soncœur…Peuàpeu,ilvintentièrementenelleetellenefutplusqu’uneboule de sensations, bouleversée de le sentir palpiter dans son corps,soudéeàluiparcesexedouxetconquérantàlafois.

Maxencesemitàbouger,d’abordlentement,puisplusvite,plusloin,avec des coups de reins de plus en plus marqués, tandis que leursrespirations se faisaient plus pressantes, plus haletantes. Elle arquait lebassin pour s’offrir plus complètement à lui, l’esprit aussi exalté que lecorps à l’idée qu’elle était en train de vivre avec lui ce que deux êtrespeuventvivredeplusintime,deplusengageantetdeplusinsaisissable.

Puis elle ne pensa plus rien. Elle n’était plus que bouillonnement,affolement, vertige. Le plaisirmontait par vagues successives, colonisantchaque parcelle de son corps. Elle reconnaissait les sensations, cettetensionviolenteetdélicieuse,etdanslemêmetemps,c’étaitcommesielleladécouvraitpourlapremièrefois.Sesmainsavaientempoignélesfessesde Maxence et elle poussait elle aussi, le poussait en elle. Elle sentitl’orgasme arriver avec une joie presque sauvage ; une série de spasmes

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l’agitèrentavecune telleviolencequ’elleencriacomme jamaiselleavaitcriépendantl’amour.Maxencedonnaencorequelquespousséesetjouitàson tour dans une longue expiration, un gémissement retenu. Puis il selaissaretombersurelle.Elleseserraalorscontre lui, l’écrasantcontresapoitrinedansunélanfrénétique.

À partir de maintenant, quoi qu’il puisse advenir, songea-t-elle, cemomentaexisté.Etilnousliecommeunsecret.

Cetteidée,plusqueleplaisirpeut-être,laplongeadansunenivrementqu’ellen’avaitencorejamaisressenti.

***

Le matin les surprit, emberlificotés tous les deux dans les draps.Armelle ouvrit les yeux la première et, constatant queMaxence dormaitencore, elle se dégagea précautionneusement, ramassa ses vêtements etquittalachambre.Elles’habilladanslesalon,qu’elleputobserverplusàloisir que la veille. Elle le trouva un peu austère dans sa décoration,n’étaientlespetitesvoituresabandonnéessuruncircuitdelivres.L’Artduprésentd’ArianeMnouchkine,LaFormationde l’acteurdeStanislavski,ainsiqued’autresouvragesde référencesur le théâtrequ’elle-mêmeavaitdans sa bibliothèque. Elle sourit en imaginant Louis à quatre pattes parterreentraindefaireroulersespetitesvoituresdessus.

–Armelle?Elleretournadanslachambre.Maxenceétaitentraindes’étirer,dans

toutelabeautédesanudité.Quandillavitentrer,illagratifiad’unsourirepleindenaturel,commesisaprésence,danssachambre,étaitdéjàdevenueuneévidence.

Etcethomme-là,songea-t-elle,lagorgeserréed’émotion,cethomme-là… La fin de sa pensée se perdit dans le flot d’images qui surgit, ausouvenir de la nuit qu’ils venaient de passer. La première fois, lessuivantes,lesommeil,ensuite,quilesavaitemportés…

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Elleallaserallongercontre lui.Bientôt, lamaindeMaxencecherchasapeau, sous sa jupe. Il finit par la retrousser, dénudant ses cuisses, surlesquellesilfittomberunepluiedepetitsbaisers.

Unrayondesoleilpassaitentredeuxlamellesdistenduesdustorequioccultait la fenêtre, éclairant la pièce d’une lumière déjà intense. Unelumièrequiauguraitlemeilleurpourlasaisonàvenir.

Oui,l’étéseraitchaud,assurément!

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1

Lalunesedétachaitdansleciel,presquepleine,etsaclartéunpeuirréelleredessinaitlepaysage,soulignantcertainscontours,enestompantd’autres.Faisait saillirunearête, lacime isoléed’unsapin,atténuaitd’unelueurbleutéel’éclatmiroitantdelapoudreuse.Lescrêtesscintillaient,tandisquelebasdesmontagnes sedissolvait enunemasseplus sombrequi englobait dans lemême flou les remontéesmécaniquesetlespetitesbaraquesdeboisàl’arrivéedespistes.

Armelle avait beau ne pas aimer spécialement les sommets, elle devait reconnaître qu’il y avaitquelquechosedegrandioseetd’impressionnantdanscepaysagesaisientrechienetloup–demagiquepresque. Pour un peu, elle se serait prise pour la Reine des neiges contemplant son royaume encoreendormi.Elles’étaitglisséeentrelafenêtreetl’épaisrideaudevelours,enrouléedansunplaiddelainepolaire.Sonsoufflelaissaitsurlavitred’éphémèrescerclesdebuée.Elles’essayaàtracerduboutdel’indexunMetunAentrelacés,toutensemoquantdecetenfantillage,maisquellequesoitlaméthodeutilisée,leMdisparaissaitavantqu’elleaitterminéleA,ouinversement.

Derrièreelle,larespirationampleetpaisibledeMaxenceoccupaittoutelapetitechambre,etellesavaitqu’enretournantprèsdelui,elleletrouveraitdanslamêmepositionquelorsqu’ils’étaitendormi:sur le dos, le torse découvert, les bras repliés sous la tête. Il dormait exactement comme il se seraitallongésurunechaiselongue,etellenecessaitdes’étonnerdesacapacitéàpasserlanuitd’unetraite,sansbougeroupresque.Pourelle,lesommeilétaituncombatdepuissilongtempsqu’elleenavaitoubliéàquelmomentdesavie les insomniesétaientdevenuesunehabitudeniquellesituationparticulièreenétaitàl’origine.

Ledeux-piècesminusculequ’ilsavaient louésesituaitdans lapartiemodernede lastation,celledesbarresd’immeubles,desparkingsetdesmagasinsdelocationdematériel.Unechambred’hôtesdanslevieuxvillageauraitmieuxconvenuàArmelle,maisMaxence,enamoureuxdelaneigeetdetoutcequipermet de glisser dessus, n’envisageait pas de se trouver à plus de cinq minutes à pied du premierremonte-pente.Unepassionqu’elleétaitloindepartager,maisilsnepassaientpastantdetempsquecelaensemblepourqu’ellenégligecetteoccasionderesterunesemaineentièreseuleaveclui.

Elleauraitpréféréunedestinationplusexotique–pluschaude,enfait…beaucouppluschaude!–,mêmesilelooketlesmœursdesfondusdeskialpinconstituaientdéjàpourelleundépaysementcertain.Elleseseraitbienvuemarcherlespiedsdansl’eaulelongd’uneplagedesablefin,ceinted’unparéoaulieudedevoirs’engoncerdanstroisouquatreépaisseursdevêtements,puisrêveràsonavenirdanslabrise tiède du soir en sirotant un Sex on the beach ou un Nuit de folie, avant de passer aux travauxpratiques.Maispourquelqu’uncommeMaxence,quiavaitgrandiàGrenoble, faceauVercorsetàLaChartreuse,etquiavaitpassélaplupartdesesweek-ends,entredécembreetmars,àfaireduski,choisirlesoleiletlamerpourlesvacancesd’hiverrelevaitdel’hérésiepureetsimple.Ellen’avaitmêmepas

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cherché à fairevaloir sonpoint devue ; elle avait déjà eu assezdemal àobtenir ses congéspour lasemaineoùLouisétaitenvacancesavecsamère.LapartiegagnéeducôtédeVivreàLyon,SophocleetEuripideconfiésauxbonssoinsdeNasrin,ellen’avaitpaseulecouraged’entameruneautrebataille.Sadeuxièmeétoiledataitdelaclassedeneigequ’elleavaitfaiteenCM1,maiselleétaitpartieduprincipequeleski,c’étaitcommelevélo,çanes’oubliaitpas ;principequel’ecchymosecouleurfoiegras luicouvrantlehautdelacuissetendaitàdémentir.

Ilsétaientarrivésl’avant-veilleenfind’après-mididanscettestationfamilialedesAlpes-de-Haute-Provence.UnchoixdeMaxence,parcequ’ellesesituaitàproximitéduDomaineduHaut-Thorenc,oùilemmenaitLouisensafaritraîneauaumilieudesbisons,lasemainesuivante.Laveille,pourleurpremierjourdeski,ill’avaitentraînéed’embléesurunepisterouge,arguantquedanscegenredepetitestation,les pistes étaient surclassées, que le rouge, ici, correspondait au bleu de stations comme Chamonix,CourchevelouLesArcs.Pourquelleraisonaurait-ellemisendoute laparoled’unspécialiste?Bilandes courses : elle s’était retrouvée au sommet d’une pente vertigineuse hérissée de bosses aussirapprochées que les picots d’une brosse anticapitons. Après deux faux départs, puis la descente dupremiertiersdepisteautantparterrequesurlesskis(d’oùlebleusurlacuisse),elleavaitdéchausséetterminéleparcourslesskissurl’épaule,auborddelapistepournepasgênerlesautres,s’enfonçantàchaquepasdanslapoudreuseetmaudissantMaxence.

Parorgueil,elleavaitpersévéréuneheureenvironsurlesdeuxpistesbleuesdelastation,jusqu’àenconnaîtreparcœurlesmoindrespetitsreliefs.Puiselleavaitpassélerestedelajournéeausoleil,àla terrassed’uncafé,hésitantentre lacrisedenerfset l’euphorieà laperspectivedecettesemaineentête-à-têteavecMaxence.Ilsn’étaientpassinombreux,cesmoments,depuisqu’ilavaitobtenulagardealternéedesonfilsetqu’ils’occupaitentièrementdeluiunesemainesurdeux.Iln’enattendaitpasmoinsavecbeaucoupd’impatience lesvacancesscolaires,durant lesquelles il s’ingéniaitàproposeràLouislesactivitéslesplusinsolitesquisoient.

Il luiavaitassezpeuparléde la troupede théâtrequ’ilavaitquittéepours’installeràLyonetserapprocherdesonfils,maisellesentaitbienqu’ilyavaitlàunnœud,uncentredouloureuxqu’iltentaitde circonvenir en surinvestissant sa relation avec son enfant. C’était elle qui le formulait ainsi. PourMaxence,cetempsetcetteattentionqu’ilconsacraitàLouisn’étaientquelajusteréparationdesannéesoùiln’avaitpasétéprésent,tropaccaparéparsonactivitédemetteurenscèneetdedirecteurdeCour&Jardin.Conséquence:iln’avaittoujourspasannoncéàLouisqu’ilssortaientensemble.Ellerestaitpourlepetitgarçonunevoisinedepaliersympathique,dotéededeuxniècesrigolotesavecquiilaimaitbienjouer.Ellecomprenaitsesarguments,biensûr,dumoinslesavait-ellecomprisetacceptésaudébut:nepasbrusquerLouis;nepascontrarierMarylène,afinqu’elleconsenteauchangementdemodedegarde.Maiscelafaisaitneufmoisqu’ilsétaientensemble,àprésent!Cinqqu’ilavaitobtenulagardealternée…Le traumatisme ne serait donc pas si grand, d’autant que Marylène s’était remariée de son côté, etattendaitunbébé.

Lejourcommençaitàseleveràprésent,etlastationavaitl’aird’undécordevieuxfilmennoiret

blanc, illuminéçàet làpar lespremières lampesalluméesderrière lesfenêtres.Le télésiègesemitenroutedansunronflementsourd,etunhommeentrepritdedébarrasseràgrandscoupsdebalailessiègesdelaneigequilesrecouvrait,aufuretàmesurequ’ilspassaientprèsdelui.Lapoudreusevoletaittoutautour,etArmellesongeaavecamusementqu’ilnemanquaitplusqueleglobedeverreetquelquepartdanslepaysagel’écriteau«souvenirdevacances».

Elles’extirpadederrièrelesrideaux,retournaseglisserdanslelitetseblottitcontreMaxence,latêtesursonépaule.Ill’attrapaaussitôt,sansseréveiller,l’enlaçantdesesdeuxbras,etlaplaquaplusétroitementcontre lui.Elleeutunsourireattendri.Elleaimait l’idéequemêmeendormi, ilgardaituneformedeconsciencedesaprésenceprèsdelui,qu’elleétaitbieninstalléedansuncoindesatêteetde

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son cœur,malgré les délais qu’il lui réclamait sans cesse, dès qu’elle essayait d’aborder avec lui laquestiondeleurrelationetlefaitdel’annonceràLouis.Ellesesentaitprêteàpasseràl’étapesuivante,prêteàs’engagerdenouveau,etlanuit,nichéecommeencemomentmêmedanssachaleuretsonodeur,dans la douceur de son étreinte, elle laissait venir à elle des images d’une véritable vie à deux. Unappartementcommun,despetitsdéjeunersjoyeuxetbruyants,leweek-end,autourd’unegrandetabledecuisine,Maxencebeurrantunemontagnedetartinespoureux,pourLouis,parfoisRomaneetMargaux,etellequilesregardait,appuyéecontrelechambranle,caressantsonventrerond…Était-ceparcequ’elleavaitlargemententamélatrentaine?Sonhorlogebiologiqueserappelait-elleàsonbonsouvenir?Ellesongeaitsouventàunbébé,depuisquelquetemps…

Maisilsn’enétaientpasencorelà.Loins’enfallait!Destabléesanimées,ilsenavaient,certainssamedisoudimanches,quandellegardaitsesniècespoursoulagersasœuretsonbeau-frère,enpleinecréationd’entreprise.Despique-niquesauparcdelaTêted’Oraussi,desmomentsdanslepetitsquareen bas de leur immeuble, quelques après-midi à la piscine… Ce que Nasrin appelait encore, en semoquant gentiment, leur « syndrome Arlington Park ». Mais Maxence et elle devaient surveillerconstammentleursparoles,leursgestes,leursregards,selivreràunesortedejeuformeld’invitationsetdefaussescoïncidencesdevantLouis,pourjustifierqu’ilspassentdutempstousensemble.Laprésencede Romane et Margaux était la pièce maîtresse de ces petites mises en scène, car les trois enfantss’entendaientàmerveille,maisleplussouvent,quandLouisétaitchezsonpèreetqu’ellenegardaitpasles jumelles,Maxence et elle ne faisaient que se croiser, passantmême parfois la semaine entière oupresquesanssevoir.Or,elleenavaitassezdecetexerciced’équilibriste,amanteunesemaine,étrangèreoupresquecelled’après ; assezde secontraindre,devivreàmi-tempsseulement–etencore !–unehistoirequipourraitleurapportertellementplusdesatisfactions.

Elle espérait beaucoup de ces quelques jours loin de Lyon, du travail, du rythme quotidien, etcomptaitabordersérieusementavecluilaquestiondeleuravenir.

Lamain deMaxence glissa sur sa hanche en une légère caresse, puis Armelle sentit sa bouchechaudecherchersatempe.

–Bonjour…Elleseredressa,prenantappuisursonavant-bras,etleregardaàtraverslerideaudesescheveux,

quiluirecouvraientàmoitiélevisage.–Bonjour…Quelquesoitlemomentdelajournéeoulescirconstances,elleletrouvaittoujoursaussicraquant.

D’undoigt,ellesuivit ledessindesa jouequipiquaitunpeu,s’attardasur la fossettequesonsourirecreusait, puis caressa ses lèvres.Alors qu’elle sepenchait pour l’embrasser, il l’attrapadansunpetitéclatderire,etl’allongeasouslui.Salonguemainlaparcourut,possessive;lecou,lagorge,lesseins,le ventre… Remonta. Redescendit. Remonta encore, s’arrêta sur un sein qui pointait déjà… Puis sabouchepritlaplacedesamain.Armellefermalesyeuxpourmieuxsentirlacaressehumideetchaudedesalangue,l’onded’excitationquisourdaitaucreuxdesonventreetirradiaitlentement.Serait-elleunjourrassasiéedelui?Desesmainssurelle?Desesbaisers?

LeslèvresdeMaxencequittèrentsonsein,glissèrentlentementlelongdesoncou,sursamâchoire,trouvèrentsabouche…

–Merde!Ilseredressabrusquementetattrapasonportablequisonnaitsurlatabledenuit.Inutiled’espérer

qu’il l’oublie quand Louis n’était pas avec lui. La liste des raisons pour lesquelles on pourrait luitéléphonerenurgenceétaitdigned’unconcoursdescénariosdefilmscatastrophe!Armelles’enétaitfaituneraison.Sansdouteagirait-elledemême,sielleavaitunenfant.

–C’estMarylène…,déclaraMaxenceaprèsuncoupd’œilàl’écran.Désolé,Armelle,ilfautquejeréponde…

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Ilsetournaetpritl’appel.Elletrouvasongestetouchantdedélicatesse,mêmes’ilétaitparfaitementinutile.Cen’étaitpasparcequ’ellenevoyaitplussonvisagequ’ellenel’entendaitpas.

–Oui,Marylène?–…–Oh…Bonjour,Jean-Paul…IlsedrapaaussitôtdanslacouetteaveclagrâcedelaSuzanneaubaindeHayez,l’airsurprisen

plus,commesisoninterlocuteurpouvaitlevoirentenued’Adam.Armellenota,avecunpeud’aigreur,quecetélandepudeurnes’étaitpasmanifestétantqu’ilavaitcrurépondreàMarylène.

–…–Non,non,vousnemedérangezpas…Ilaccompagnasaréponsed’unemimiqueintriguéeàsonintention:«Qu’est-cequelenouveaumari

demonex-femmepeutbienmevouloir?»Ellesortitdulit,attrapasesvêtementsdelaveilleetlesenfilaàlahâte,comptantquitterlapièce

sanstarder.Ellen’aimaitpasresteràproximitédeMaxencelorsqu’ilétaitautéléphoneavecMarylèneouquiconqueenrelationavecelle.

–Quand?LavoixdeMaxenceétaitmontéed’unton.Ilrejetalacouette,fitminedeselever,puissuspendit

songesteet resta enéquilibreauborddumatelas,unpieden l’air.Plus rienàvoir avecSuzanne ; ilfaisait plutôt penser à un zani sur le point de se livrer à quelque lazzi. Elle en aurait souri, son petitmouvementd’humeurenvolé,s’iln’avaitdemandédefaçonpressante:

–EtLouis?Oh…Oh…L’undesscénarioscatastropheserait-ildevenuréalité?Elle tendit l’oreille, inquiète

soudain,essayantdecomprendredequoiilétaitquestion.–Mia?Ahbon,trèsbien…Oui,oui,c’estcequ’ilfallaitfaire…Ilparutsedétendre.Cen’étaitpeut-êtrepassigrave…–Non,ellenem’apasencoreappelé…Nousprenonslerelais,nevousinquiétezpas…Vousdirez

àMarylènequejesuisnavré,sincèrement,etquejepenseàelle…–…–Oui…Prenezbiensoind’elle…Aurevoir.Ilcoupalacommunicationetreposaletéléphonesurlechevet.–Marylènea faitunefaussecouchedans lanuit,annonça-t-ilalors.Jean-Paulm’aappelédeson

portableàelleparcequ’iln’avaitpasmescoordonnées…–Qu’est-cequis’estpassé?–Unehistoired’infectionetdetauxdeCPquelquechosetropélevé…–CRP?–Peut-être,oui,répondit-ilensortantdesouslacouetteetens’étirant.Armellel’enveloppad’unregardtroublé.Etdirequecethomme,cesibelhomme,l’avaitchoisie,

elle!Parmoments,elleavaitencoredumalàycroire.–Elleenétaitàcombien?demanda-t-elle.–Quatreoucinqmois,jecrois.–C’estmoche…Ellevacomment?–Pasbien…commetut’endoutes.–EtLouis?–IlestavecMia.Jean-Paull’aappeléepourqu’elleviennelechercherjusteavantqueleSAMU

n’emmèneMarylèneauxurgences.Unechance,ilsétaientàLyon.Enfin,unechance,sionveut…CommeMarylènenesesentaitpasbien,ilsontannuléleurdépartenvacances.Tuimagines,s’ilsétaientpartisauMaroc,commeprévu,lebordelpourrécupérerLouis!Ilfautquej’appellemasœur…

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–Oui.Jedescendschercherdescroissantsetunebaguette.Ondiscuteradetoutçatranquillementenprenantlepetitdéj’…

***

La nouvelle de cette fausse couche mettait Armelle dans un état bizarre, une espèce d’agitationfébrileetambiguë.D’uncôté,elleétaitsincèrementdésoléepourMarylène.C’étaittoutjustesiellen’enavaitpasmalauventre,silevidetragiquequecettefemmedevaitressentirauplusprofondd’elle,elleneleressentaitpaselleaussi.Del’autre,ellenepouvaits’empêcherd’yvoiruneaubainepoursapropresituation.Elleenavaitunpeuhonte,mais…lemalheurdesuns,commeondit…

EllenesavaitpasencorecequeMaxenceallaitdécider,maiscommeauxdernièresnouvelles,Miadevaitcravacherpour rendreunmémoire, il étaitpeuprobablequ’elle seproposepour faire lababy-sitter durant le reste de leur séjour au ski.La seule solution était queMaxence aille chercherLouis àLyon,puisqu’ilsparticipaientensuiteàcesafaritraîneau,etqu’ilsterminentlasemaineicitouslestrois.Ilétaitencoretrèstôtetl’aller-retourluiprendraitlajournéeàpeine.Ilslaisseraientlachambreaupetitetdormiraientdansleconvertibledusalon.

Maxencenepourraitplusreculer;ilfaudraitbienqu’ilparleàsonfils…Ellen’avaitpasvraimentdedoutequantàlaréactiondeLouis.Leremariagedesamèreluiavait

déjàpermisdefaireduchemin.Iln’attendaitplusquesesparentsreprennentlaviecommuneetsemblaitavoiracceptél’irréversibilitédeleurséparation.Etpuis,ellesavaitqu’ill’aimaitbien.Ellenecomptaitplus ses manifestations d’affection. À huit ans, il était rare qu’un enfant feigne des sentiments qu’iln’éprouvaitpas.

En sortant de la résidence où se trouvait leur appartement, elle décida de pousser jusqu’à laboulangerieduvieuxvillage,plutôtqued’achetersonpainetsescroissantsdanscelledelamini-zonecommerciale de la station. Lorsqu’ils étaient arrivés, l’avant-veille, ils s’étaient promenés dans lesruelles,avaientflânédevantlesvitrinesdespetitesboutiquesetilluiavaitsemblévoirsurl’uned’ellesl’annonced’unspectacledemarionnettespour lesenfants.Ellevoulaitvérifier.Parailleurs, levillageétaitdotéd’unepetitebibliothèque,etellefitlecrochetpourennoterleshoraires.L’officedutourismeneseraitpasencoreouvert,àcetteheurematinale,maiselleréglasonalarmedeportablepourpenseràs’y rendre plus tard dans la journée : les environs offraient certainement une ou deux destinationsludiquespourlesplusjeunes…Auminimum,unesalledecinéma.Si,commeellelepensait,MaxenceretournaitàLyonchercherLouis,elleauraitlajournéeouquasimentpourorganiserlasuitedeleurséjourenfonctiondupetitgarçon:elleavaitl’habitudeaveclesjumelles!

Sescoursesetsesvérificationsfaitesauvillage,ellepritencoreletempsdepasserparlelocaldel’école de ski pour s’assurer d’une dernière chose.Entre sa redescente à pied de la piste rouge et lemomentoùMaxencel’avaitrejointeàlaterrasseducafé,laveille,elleavaiteuletempsd’explorerlastation et avait enregistré, entre autres informations qui lui avaient paru inutiles sur le moment, quel’écoledeskiproposaitbiensûrdescours–dontLouisn’avaitcertainementpasbesoinaveclepèrefoudeglissequ’ilavait–,maiségalementunclub« loisirsneige».Elleconstataavecsatisfactionque lepetit garçon entrait dans la tranche d’âge à laquelle s’adressaient les activités proposées.De quoi seménageravecMaxencedespetitsmomentsd’intimité,sanspourautantqueLouisnesesentedélaissé!

***

Maxenceavaitdressélatabledupetitdéjeuner,préparélacafetièreélectrique,sortilebeurreetlesconfituresdufrigo,etill’attendait,rongeantmanifestementsonfrein.Sontourluiavaitcertesprisplusde

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tempsqueprévu,maisc’étaitpourlabonnecause!–Alors ?demanda-t-elle enposant lepain et les croissants sur la table, puis en sedébarrassant

prestementdesesgantsetdesadoudoune.TuaspujoindreMia?–Oui.Jeluiaiditquejerentraisaujourd’hui.–Queturentrais?TuveuxdirequetuvaschercherLouis…Maxences’approchaduplandetravailetpressasurleboutonpourmettrelacafetièreenroute.Ily

eutuninstantdesilenceabsolu,puisuncrachotementsefitentendre.Undeuxième,untroisième,etlecafécommençaàcoulerdanslaverseuse.

Ilseretourna.–Non,jerentre,Armelle…–Çaveutdirequoi?Quelesvacancesauskisontterminées?Il revint à la table, remit enplace lesbolsquin’enavaientpasbesoinet sortit lescroissantsdu

sachetenpapier.–Pourmoi,oui.Toi,tupeuxrester…Ellelaissaéchapperunpetitcridestupéfaction.–Touteseule?Àfairetroisfoischaquepistebleue,puisàtournerenrondlerestedelajournée?

C’estquoi,ceplan,Maxence?–Tulesaisbien…Évidemment qu’elle le savait. Combien de fois déjà en étaient-ils arrivés là ? Seulement, elle

commençaitàêtrefatiguéedecesdiscussionsquiaboutissaienttoutesàlamêmeimpasse.– Je suis désoléede cequi arrive àMarylène, sincèrement, reprit-elle, en contenant l’agacement

qu’ellesentaitmonter,maisjecroisquec’estl’occasiondeparlerenfindenousàLouis.–Encescirconstancesencoremoinsqu’end’autres,aucontraire!–Tum’expliques?–Est-cevraimentutile?Onadéjàeucetteconversationunecentainedefois…–Oui,ehbien,c’étaitquatre-vingt-dix-neufdetrop!–Armelle,s’ilteplaît…,fit-ilavecunsoupirdelassitudequil’exaspérad’autantplusqu’elleavait

imaginéune toutautrediscussionàsonretour.Louisaétéréveilléenpleinenuit.Aumieux, ilavusamèrepartirà l’hôpital surunecivière.Aupire, jen’ose imaginerceàquoi ilapeut-êtreassisté…EtJean-Paull’afourguéàMiacommeunpaquet…Jenepensepasqu’unchocsupplémentairesoitindiqué!

Unchoc!Cen’étaitquandmêmepaselle,lechoc?Si?EtpourquoipaslamarâtredeCendrillon,pendantqu’ilyest!

Lacolère lui fit battre le cœurplusvite et elle sentit lemalde têtepoindre, commechaque foisqu’elles’énervait,maiselles’efforçadereprendreposément:

–Tutetrompes,situveuxmonavis…Jepensequeçaluiferaitdubiendesavoir,pournousdeux.Çarééquilibreraitleschosesdanssatête,lerassureraitd’unecertainemanière…Ilm’aimebeaucoup;ilaimeaussiénormémentRomaneetMargaux.Ceseraitplutôtréconfortantpourluidesedirequ’ilconnaîtdéjàlachériedesonpère.Jesuisd’ailleursprêteàparierqu’ilacompris.Alorstonhistoiredechoc…Laisse-moirire!

Ellen’avaitpasenviederireenréalité,etleslarmesn’étaientpasloin.Ellelessentaitdansletrèslégertremblementdesavoix.

–JeneveuxpasparleràLouisdanslaprécipitation.Laisse-moidutemps,Armelle,d’accord?«Laisse-moidutemps»…Saréponseinvariable…–Jet’aidéjàlaisséneufmois!Tupensesqu’ilt’enfaudraencorecombien?Illevaverselledesyeuxégarésetellesefitl’effetdeleharceler,d’êtrevraiment,pourlecoup,la

sorcièredel’histoire.

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Ilcontournalatableetl’attiraàlui.Ellesongeauninstantàlerepousser,puisseditqu’elleseraitpuérile de jeter de l’huile sur le feu. Ils n’étaient pas ennemis, juste en désaccord sur lemême pointdepuisdesmois.Ilposaunbaiserlégersursonfront,puisyappuyalajoue,refermantsesgrandsbrassurelle.Unefoisencore,elleéprouvacesentimentsidouxdesesentirenveloppée,protégée,petite,presquefragile à côté de lui, elle en qui l’on voyait toujours une femme forte, indestructible, parce qu’ellemesuraitunmètrequatre-vingt-deux.

– Je sais que je t’en demande beaucoup, reprit-il, mais je te promets qu’après les vacancesscolaires,onreparlerasérieusementdetoutça…

Ellenesavaitrienluirefuser.Enquelquesphrases,quelquesgestestendres,quelquesbaisers,illarendaitplusfaiblequ’unnouveau-né.

–D’accord,onneditrienàLouiscettefoisencore.Maisc’estmoiquivaisrentrer.–Non!Pourquoi?Tunevaspasenplustepriverde…–Çanemepriverapas,Maxence.Laneige,cen’estpasvraimentmontruc,oualorsenphotosur

unecartepostale…Vacherchertonfils.Vousserezbien,ici,touslesdeux.Ilyapleindechosesàfaireavecdesenfants…

–Tuessûre?–Sûre…Allez,rappelleMiaetannonceàLouisquetuarrives…Çaluichangeralesidéesdevenir

ici.–Enfait,avantquejeluidisequejerentraisàLyon,Mias’étaitproposédeconduireLouisicipour

faired’unepierredeuxcoups:elleaàmeparlerdequelquechosed’important,paraît-il,quinepeutpasattendreetqu’elletientabsolumentàm’annoncerdevivevoix.

–Parfait,alors!ditArmelle,ens’asseyantsurunechaisepourretirersesboots.Onprendlepetitdéjeuneretj’organisemonretour.

–Tuvasrentrercomment?IlsétaientvenusaveclavoituredeMaxence,etiln’étaitpasquestionqu’ellelaluiemprunteetle

laissesansvéhiculeaveclepetit.–Net’inquiètepas.Untaximeconduiraàlagarelaplusproche.Aprèsjemedébrouillerai.–C’estmoiquiferailetaxi…Mianevapasdébarquerdansl’heure.–Non,Maxence.Untaxiiratrèsbien,jet’assure…

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2

–Bravo,Louis!–Super,mongrand!Triomphantsurlemanègeetdépassantàmi-corpsd’uncombiVolkswagenjaunecriardarborantun

«Peace & Love » aux couleurs de l’arc-en-ciel, Louis brandissait le pompon si convoité. Maxencepréféranepaspenserauniddebactériesquedevaitêtrecetteespècedetressedelainequipassaitdemain enmain, traînait à l’occasion sous les chaussures, récoltait bave de joie, sécrétions de rhinites,bronchites,bronchiolitesetautresjoyeusetésen«ite».

Unjeuneforainsautasurlemanègeencoreenmarche,sedirigeaversLouisetéchangealepomponcontreunticketgratuit.Louisserassitalorsdanslecombi,et,saisissantlevolantàpleinesmains–làencore, gras de beignet, colorant de barbe à papa, coulures de chocolat, particules de guimauveprémâchée…–,s’absorbadans laconduitedesonvéhiculeavec l’air faussementdétachédeceluiquifeintdenepasvoirqu’ilestlacibledetouslesregardsenvieux.

–Est-cequ’onpeutenparlermaintenant,Maxou?«En»:ledépartd’Armelle.–Est-cevraimentnécessaire?LouisetMiaétaientarrivésvers17heuresseulement.Tropagité, trop inquietpoursamèreet le

bébé,Louisn’avaitpaspuserendormir,quandellel’avaitramenéchezelle, luiavaitexpliquéMiaautéléphone.IlsavaientalorsregardétouslesdeuxLes101dalmatiensdeWaltDisney,qu’elleavaitétébien inspirée de fourrer dans le sac d’affaires qu’elle avait préparé à la va-vite chez Jean-Paul etMarylène.Ils’étaitrendormidanslamatinéeetellenel’avaitréveilléqueleplustardpossibleavantdeprendrelaroute.

Maxenceluiavaitditqu’ellenetrouveraitpasArmelleàl’appartement,etavaitcoupécourtàsesquestionsd’un« je t’expliquerai». Ilespérait lâchementque laprésencedeLouis ladissuaderait,unefoissurplace,depoursuivresesinvestigations.Illaconnaissait,pourtant!

–Pourquoiest-cequ’Armelleestpartie,Maxou?Vousvousêtesdisputésàcausedel’arrivéedeLouis?

–Pasdutout!C’estjustequ’aprèscequis’estpassélanuitdernière,j’aiestiméqueLouisavaiteusadose.Tuconnaissonémotivité.Tuasbienvu,d’ailleurs…Jenepensepasquec’estlemomentdeluiannoncerenplusqu’ilyaunefemmedansmavie.

–Pas«unefemme».Armelle…Louislaco…–Papa!Jevaisdanslafusée,maintenant!Tuasvu?C’estcelledeTintin!Le manège s’était arrêté et une nuée d’enfants se précipitait qui sur le camion de pompiers, la

voituredecourseoul’hélicoptère,quisurlamoto…Louispritd’assautlafusée,toisantungarçonnetqui

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faisaitmine de lui souffler la place avec une assurance qui étonnaMaxence et lui fit enmême tempsplaisir.Cen’étaitpasplusmalqueLouiss’affirmeunpeuplus.Ilavaittroptendanceàresterenretrait,àcéderfacilementduterrain.UntraitdecaractèredontMaxencenepouvaits’empêcherdepenserqu’ilenétaitresponsable.Peut-êtreques’ilavaitétéplusprésent,s’ilavaitjouéplussouventavecluiaufootouà n’importe quel autre jeu nécessitant un peu de confrontation, il en aurait fait un enfant plus aguerri,moinsrapidementdéstabilisé.

–Oui,oui,monchéri.Onteregarde!– Il connaît bien Armelle, repritMia, puis, désignant à Louis le haut de la fusée, tandis que le

manègeredémarrait :Tuasvuqu’ilyaMilou,derrière lehublotduhaut?Jecroisque tu te trompes,Maxou…Enne lui disant rien, tu penses le protéger de je ne sais quel choc émotionnel, alors que lavéritéluiferaitdubien,aucontraire…Ellelerééquilibrerait.

–C’estmarrant,Armellem’aditlamêmechosepresquemotpourmot,cematin…–Ehbien,peut-êtrequetudevraist’yarrêter…–Disdonc,c’estpsychoquetuauraisdûfaire,pasphilo!Mialegratifiad’unsourireétrange,commesisaremarquelamettaitmalàl’aise.–Qu’est-cequ’elleenadit,Armelle,quetuluidemandesdeviderleslieux?–«Viderleslieux»?Commetuyvas!Onadiscutédelasituationetcommeellen’estpasfande

neigenidesportsd’hiver,elleaproposédepartir.Mialuilançaunregardsceptique,commes’ilétaitentendupourellequ’illuiracontaitdesbobards.

Ceenquoiellenesetrompaitpastoutàfait.Ilenfutcependantaffecté,etdemanièredisproportionnée…Peut-êtreparcequec’étaitlapremièrefoisqu’ellenebuvaitpassesparoles,enpetitesœuradmirativedequatorzeans sacadette,maisqu’elle semblaitprendre fait et causepourArmelleapriori, envertud’unesolidaritéfémininedontellen’étaitprobablementpasconsciente.

–Enfait,tesprojetsavecelle,c’estquoi?Houhou,Louis!LafuséepassaitdevanteuxetLouislesfixaitdesonregardlunaire,attendantmanifestementdeles

trouverlesyeuxbraquéssurlui.Maxenceagitalesmainsetluifitungrandsourire.–Mesprojets?Genreons’installeensembleetonfaitdesbébés?–Genre…Illaissaéchapperunpetitrire.Surcepoint,aumoins,ilpouvaitluirépondresanssetromper.–Onn’enestlànil’unnil’autre,Mia!Ons’aimebien.Onpassedebonsmomentsensemble,en

tête-à-têteouaveclesgossesquandellegardesesnièces…Questionplumard,c’estsuper…Maisçanevapasplusloin.

–Sexfriends,quoi…– On peut dire ça comme ça. C’est toi qui en as parlé la première, à la Brasserie Georges :

«Qu’est-cequivousempêchedepasserdebonsmomentsentreadultesconsentants?»,tutesouviens?Il aurait eudumal à expliquer cequ’il ressentait pourArmelle, si on le lui avait demandé. Il la

trouvait belle, d’une beauté baroque, inattendue. Il n’était pas sensible aux visages classiques, auxharmoniescalmes…Illadésirait.Beaucoup.L’effetdecettebeautéparticulière,sansdoute.Elleexerçaitsur lui une attraction qui l’étonnait encore après tous ces mois. Il n’avait jamais été un dragueur, uncollectionneur, avait eu peu de liaisons, avant et après son mariage, mais il devait reconnaître laparticularitédulienphysiquequilesunissait.Ilaimaitaussisadétermination,appréciaitquesaculture,son goût du théâtre, les connaissances qu’elle en avait fassent écho à sa propre passion. Et ellel’attendrissaitaussi,parbiendesmanières.Alors,«sexfriends»?Oui,c’étaitlebonmot.Desamis,descomplices,quimenaientchacunleurvieetpartageaientrégulièrementunlit,unenuit.

–Ettuessûrqueçaluiconvient?–Pourquoiest-cequeçaneluiconviendraitpas?C’estuneindépendantedansl’âme,quelqu’unqui

nelâcheriensurrien.

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–Etd’aprèstoi,indépendanceetvieàdeuxsontincompatibles?–Non,cen’estpascequejedis,Mia.MaisArmelleesttrèspriseparsonjob.Demoncôté,c’est

assezchargéaussi.Entresonblogquiadeplusenplusdevisites,sessortiesauspectacleouaucinémalesoirpourseschroniques,lesSPqu’elledoitavaler,mescours,Louisetlesdeuxélèvesdel’andernierquejecoachepourleduocomiquequ’ilsontmonté,jenevoisvraimentpasoùoncaseraitunepetitevieàdeuxbiendouillette!Sanscompterquecen’estpasdutoutd’actualité.

–Sansparlerdepetitevieàdeuxbiendouillette,vouspourriezcommenc…–Çanepeutpasêtretoiàtouslescoups,mongrand!LafuséedeTintinavaitperdusoudaintoutsonattraitetLouiscontemplait,auborddeslarmes,une

fillettequivenaitdedécrocherleniddebactériesdansunpiaulementdevictoireauquelunefemme–samèreselontoutevraisemblance–fitaussitôtécho.

–Vouspourriez déjà officialiser le fait quevous êtes ensemble, repritMia, qui tenait du roquet,quandelleavaituneidéedanslatête.Vis-à-visdeLouis,jeveuxdire.Vousauriezplusdelatitude…

Illafixaetlaissafuserunpetitriretendre.–Missraisonneuse…Lesannéespassent,maiscertaineschosesnechangeront jamais !Cen’est

paslemomentpourLouis,jeviensdet’expliquerpourquoi.–PourLouis,oupourtoi?La question lui fit l’effet d’une gifle. Il ne répondit pas. Le manège commençait à ralentir et il

s’approchadelaplate-formemétalliquedontdeuxoutroisenfantsessayaientdéjàdedescendre.–Attendsqu’ilsoitàl’arrêtcomplet,dit-ilàLouisquidemandaitdéjààfaireunautretour.Non,

monchéri,c’estfinipouraujourd’hui.Louislesrejoignit,lamoueboudeuse,traînantlespieds.–Onvaàlacrêperie,maintenant.Onenaparlé…tusais?Celleoùilyaunepiscineàboules…LevisagedeLouiss’illuminadenouveau.Oubliélemanège.Ilentamaautourd’euxunedansedela

pluie.–Lapiscineàboules!Lapiscineàboules!

***

–J’aimemieuxlevoircommeça…MiadésignadumentonLouisquidisparaissait presque sous lesballesmulticolores, criant à une

petitefillequ’ilétaituncrocodileetqu’ilallaitl’attraper.Lafillettesemblaitravieàcetteperspective,toutens’acharnantàlefuirencriant,dansunremarquableexercicedesurplace,desballesjusquesouslesaisselles.

–Oucommetoutàl’heureavecsonpomponsurlemanège…Ilm’aposébeaucoupdequestionssurlebébé,pendantletrajet.Cen’estpasfaciledeparlerdelamortàunpetitgarçondehuitans.Encoremoinsdelamortd’unbébéqu’iln’afaitqu’imaginer.

–Jeregrettequeleschosessesoientpasséescommeça,maisjesuissûrquetuluiasrépondupourlemieux,Mia.

Ilsavaientdînétôt.Quandilsétaientarrivés,uneseuleautretableétaitoccupée,celledelapetitefilleetdesesparents.Maisdepuisunedizainedeminutes,lesclientsaffluaientetlevolumesonoredelasallederestaurantaugmentaitsensiblement.

Ilsattendaientleurcafé.–Ilauraitbienfalluluienparleràunmomentouàunautre,commentaMia.Luiexpliquerpourquoi

iln’aurafinalementpasdepetitesœuroudepetitfrère…Dumoins,pasdansl’immédiat.– Bien sûr. Je dis juste que j’aurais aimé qu’il l’apprenne autrement que dans l’urgence et

l’agitation.J’auraisvoululeprépareràcettenouvelle…

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–Lamanièredouceestde loinpréférable,évidemment,mais tusaisbienqu’iln’estpas toujourspossibled’édulcorerlaréalité…Etàcepropos,Maxou…

Ellesuivitdesyeuxuncouplequitraversaitlasalleetvints’installeràlatablejusteàcôtéd’eux.Maxencedevinaitquecen’étaitpasparcuriositénidistraction.Elle luiavaitdit au téléphonequ’elleavait quelque chose à lui annoncer, et qu’elle voulait le faire de vive voix. Le moment était venu,semblait-il,etelleprenaitsonélan.

Elleposasurluisesgrandsyeuxclairs,l’airsoudaintrèssolennel.–J’arrêtelafac.–C’est-à-dire?–JeparsauPéroucommevolontaire,dansunvillaged’accueild’enfantsetd’adolescents.–Mais…Commentça,tuarrêtes?Tuveuxdirequetuabandonnestesétudes?–Pasexactement…Disonsquej’endiffèrelasuite,pouruneduréeencoreindéterminée.Cen’étaitpasdu tout ceàquoi il s’attendait ! Il avait songéàplusieurschoses :qu’ellequittait

Florianouqu’aucontraire,ilss’étaientmariésensecret,qu’elleallaitavoirunenfant,ouqu’elleavaitavorté,qu’ellenepayaitplussonloyerdepuisdesmoispouruneraisonmystérieuseetqu’ellevoulaitluiemprunterdel’argent…Maisça!Ça,ilétaitloindel’avoirvuvenir!

–D’oùçasort,cettehistoiredePérou?–Tudisçacommes’ils’agissaitd’unelubieoud’uncapricedegamine!–Pasdutout!Jeveuxjustecomprendre.–C’estsimple…Lapremièrechosedontondébat,quandoncommenceunelicencedephilo,c’est:

«Laphilo,àquoiçasert?»L’unedesréponses,c’estqu’ellesertàquestionnerlemonde,ànepassecontenterdesapparences,maisàchercherlaraisonprofondedeschoses;àréfléchiraussiàcequifaitqu’unhommeestunhomme,unhumain,jeveuxdire.Auxrelationsentrelesêtres.Àcequiestjuste.Etmoi, j’ajoutequ’ellenedoitpassimplementserviràpenser…Àsegargariser l’espritavecdegrandsprincipes.

Ses joues avaient rosi, l’enthousiasme avait rendu ses yeuxplus brillants, et tout en parlant, elletraçaitdansl’air,desesmains,desarabesquesdontledessinsuivaitlerythmedesesphrases.

– À quoi ça sert de réfléchir, si la réflexion n’engendre pas l’action ? poursuivit-elle. Si nousestimonsquequelquechoseestmauvais,injusteousourcedesouffrance,sitelleoutellesituation,danslemonde,peutêtreaméliorée,silavied’enfantspeutêtreaméliorée,alorslaphilodoitaussinouspousseràagir.Ànousengager!Jeveuxfairequelquechosequisoitenprisesurlavie,Maxou,quisoitutile…

Encetinstant,ellen’avaitplusriendelajeunefillecandide,unpeuenfantinequ’elleétaitencorequelquesmoisauparavant.Maxenceavait l’impressiontrèsperturbantedesetenirdevantuneinconnuequiauraitempruntélestraitsdesasœur.Uneinconnuequiparaissaitsavoirexactementoùelleallait,cequ’ellevoulait.Aprèsunetelletirade,lui,enrevanche,nesavaitplusquelrôleendosser;celuidugrandfrèreprotecteurnesemblaitplusdu toutapproprié.Miaétaitdevenueunefemme,et iln’avait rienvu,rienperçudecettemétamorphose.

Tandisqu’il la contemplait, abasourdi,desgrognements,descris extatiques,des imprécations luiparvinrentenfondsonore.Iljetauncoupd’œilducôtédelapiscineàboules.Lecrocodileavaitfiniparrattrapersaproieetfaisaitsemblantdeluidévorerlebras.

Miasuivitsonregard.–Toiquimedisaisquej’auraismieuxfaitdefairepsycho,toutàl’heure…JesuissûrequeFreud

auraitanalysécettedévorationfictivecommeunemanifestationbalbutiantedudésirsexuel!commenta-t-elleavecungloussement.

Maxenceaccueillitsaremarqueavecunsourirequidisparutaussivitequ’ilétaitvenu.–Sérieux,Mia?–Maisoui!ReliscebonvieuxSigmund.

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–Jeparledetadécision…Ils’agitdetonavenir!–Justement.C’estàl’âgequej’aiqu’ilfautseregarderenface,sedemanderquionestvraimentet

àquoionaimeraitquesavieressemble.Elleavaitl’airsimûretoutàcoup,sidéterminée,qu’ilnetrouvariend’autreàdirequ’unbanal:–Papaetmamansontaucourant?–Non,etjecomptesurtoipourmesoutenir,quandjeleleurannoncerai.Ah…Lapetitesœurn’avaitpascomplètementdisparu!L’étédesesquinzeans,elleavaitdécidé

d’arrêterlaflûtetraversière,etcommeellenesavaitpascommentl’annonceràleursparents,ellel’avaitsuppliédevenirundimanche,pourlasoutenir.Ilsavaientpasséunmomentdanssachambreàpeaufinerlesargumentsetàmettreaupointunpetitcanevasd’improvisation, selon la réactionqu’auraient leursparents,leurmère,surtout,lamusiciennedelafamille.

–Tuasbienréfléchi,jesuppose?–Oui.–C’estinutilequej’essaiedetefairechangerd’avis?–Inutile,eneffet.–EtFlorian?–Nouspartonsensemble.–Parcequeluiaussi…Ilhochalatête,tropsonnépourentamerundébatdefond.D’ailleurs,qu’aurait-ilpuavancercomme

argumentpourlequelMian’auraitpasdéjàuneréfutation?Ellevoulaitfairesauterlescadres,éprouverles effets de l’expérience, se confronter à une certaine réalité dumondedans l’espoir de contribuer àl’améliorer…Etpourquoipas?Quelleplusbellemanièredeseconstruire,quandonavingtans?

Unserveurvintleurapporterleurscafés.Tandisqu’ilsplongeaientleurmorceaudesucredanslecaféetmélangeaientavecunesynchronisationqui les fit sourire,Maxenceneputs’empêcherde tenterunedernièredissuasion.

–Est-cequetunepourraispasfairelesdeux?Continuerlafac,etparticiperentantquebénévoleàdesmissionsdurantlesgrandesvacances?Çatepermettraitdetesterlasoliditédetamotivation.

–C’est toutdesuitequecetteONGabesoindevolontaires,Maxou,etdesvolontairesdelonguedurée…Pas d’un saupoudrage par-ci, par-là, à la convenance de chacun, entre un bain demer et unejournéeàDisneyland!

Ditcommeça,évidemment…–Nouspartonsdanstroissemaines…Sivite!C’étaitcomplètementfou!Est-cequec’étaitbiensapetitesœurquisetenaitdevantlui?

Qui parlait avec cette voix pleine d’assurance et de maturité ? Est-ce qu’il n’avait pas plutôt dormipendantcentansetvenaitàpeinedeseréveiller?

–Jevoudraisêtresûrquetuneparspaspourdemauvaisesraisons,Mia…Elleeutuncharmantsourireet,durantunefractiondeseconde,ilrevitlafillettequilevaitverslui

un visage plein d’attente et de joie, quand il était encore étudiant et qu’il rentrait chez eux pour lesvacancesetlesfêtesdefind’année.

–Jeneparspaspourdemauvaisesraisons…–Tum’appelleras?Souvent?–Souvent…–Jeveuxtoutsavoir:oùtuseras,cequetuferas…–On a décidé de tenir un blog avecFlorian. Pour que la famille et les amis gardent unœil sur

nous…–C’estbienqu’ilvienneavectoi.Çamerassuredesavoirquetuneseraspasseuleàl’autrebout

dumonde…

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Elleposasurluiunregardpleind’unetendresseamusée.–Tusais,àl’autreboutdumonde,ilyaaussideshommes,desfemmesetdesenfants…Jen’yserai

passeule.Pourquoiavait-ill’impression,toutàcoup,quec’étaitelle,lagrandesœur?

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Armellen’étaitpasencolère,dumoinsnel’était-elleplus;elleétaittriste.Tristeetblesséed’êtreunefoisdeplustenueàl’écart.EllenecomprenaitpascequibloquaitMaxenceencoremaintenant.Ouplutôt,elleavaitpeurde tropbiencomprendrecequece refusde l’associerouvertementàsavieauxyeuxdesonfilsrévélaitdelui.Lespremièressemaines,lespremiersmois,sesraisonsluiavaientparutoutàfaitvalables.Elle-mêmen’envisageaitpasuneviecommuneimmédiate.Elleaussiavaitbesoindetemps pourmieux le connaître, être à l’écoute d’elle-même, de ses sentiments.Mais chaque jour, elleprogressait,acquéraitdescertitudes.Elleavaitcruquedesoncôté,ilprogressaitaussi.Or,iln’enétaitrien. De toute évidence, il en était exactement au même point que ce soir de mai, lorsqu’ils étaientdescendusdelaplacedesMinimesversSaint-Georgesàtraverslesarbres,etqu’ilss’étaientembrasséspourlapremièrefoissurcecheminquisentaitbonla terremouilléeet ledébutdel’été.Il luiarrivaitmêmeparfoisdepenserque loind’apprivoiser l’idéed’unaveniravecelle, ils’efforçaitde la teniràdistance. Puis elle se remémorait les moments qu’ils passaient ensemble, la façon entière, fiévreuse,emportéedontilluifaisaitl’amouretelleserassurait:non,ilnelatenaitpasàdistance;c’étaitellequisemontraittropimpatiente;riennepressait;ellepouvaitbienattendreencoreunpeu.Etpuis,danslarue,danslemétro,ellevoyaitunejeunefemmeavecunenfant.Alors,toutseprécipitaitdenouveaudanssonesprit.Toutdevenaiturgent.Auxquestionnementssurl’attitudedeMaxencesemêlaitlespectredelaquarantaine,lecompteàrebourspourlamaternité…

La vérité, c’était qu’elle ne savait plus bien où ils en étaient, ce qu’elle devait penser de lui,d’eux…Elleauraiteuterriblementbesoinqu’illarassure.Aulieudequoi…

Untaxiétaitvenulacherchervers10heuresdumatinet l’avaitconduiteà lagaredeGrasse.Untrajetlonguetettoutenvirages,pendantlequelelleavaiteuletempsderuminer,puisdesecalmer.Àcemoment-là,elleavaitencorel’intentionderentreràLyon.

Arrivée à la gare, elle avait acheté ses billets, après avoir passé quinze bonnesminutes avec lejeunehommederrièreleguichetàchoisirunhoraireetunitinérairequinel’obligeraientpasàtropdecorrespondances et d’attente dans les courants d’air. Puis son portable avait sonné. L’alarme de sonportable.Elleavaitoubliéqu’ellel’avaitrégléepourpasseràl’officedutourisme.Elleavaitalorseuunsursautderévolteetd’indignation.Elleétaitdécidémenttropbêtederentrerchezellecommeunbonpetitsoldat,aprèsavoirétépriéeplusoumoinsouvertementdedébarrasserleplancher!Etpourfairequoi,jevous prie ?Attendre bien sagement chez elle que la semaine se passe avant de reprendre le boulot ?Certes,SophocleetEuripideseraientravisderetrouverplustôtqueprévuleurspetiteshabitudes,maiselleavaitbeauadorerseschats,ilsn’étaientpasmalheureuxavecNasrin,etellen’allaitquandmêmepassepriverdessixjoursdevacancesquiluirestaient!

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Elleétait retournéeauguichet aupasdechargeet avaitdemandéau jeunehommes’ilyavait enville une agence de location de voitures. Quand il lui eut répondu que oui, elle avait demandé leremboursement de ses billets. Une demi-heure après, elle quittait Grasse au volant d’une petite Clioblanchetroisportes,dontl’habitaclesentaitcurieusementlafraisedesbois.

LapenséederepartiràlastationetdeforcerlamainàMaxenceendébarquantàl’appartementsansprévenir l’effleura, mais elle y renonça aussitôt. Pour le coup, ce serait elle qui serait en tort, sanscompterl’inéléganceduprocédé!

Àlaplace,elleluiavaitenvoyéuntextopourl’informerdesonchangementdeprogramme:ellenerentraitplus,maisallaitmettreàprofitcessixjourspourfaireuntoursurlacôte.Ilyavaitdesannéesetdesannéesqu’ellen’étaitpasretournéeauborddelaMéditerranéeetelleavaitsoudaindesenviesdestationsbalnéairesdésertées,deplagesvides,devaguesgrisesfouettantdes jetéesdepierre,decieuxbrouilléstraversésçàetlàd’unvoldemouette…

ElleespéraitmalgrétoutqueMaxencereviendraitsursadécisionavantlafindelajournée.Ilavaitle tempsde réfléchir,d’ici l’arrivéedeLouisetMia,d’envisager leschosesdemanièreplus sereine.Apprenant qu’elle s’était procuré une voiture et ne comptait plus rentrer à Lyon, qui sait s’il nel’inviteraitpasàterminerlasemaineaveceux?

Elleavaittoutdemêmemislecappleinsudetlongeaitàprésentunepetiteroutequisurplombaitlelittoral, quelque part entre Antibes et Nice. La bruine l’accompagnait depuis Valbonne. Rien de bienméchantcependant;rienquipuisseluigâcherlepaysage.

Avisant une aire de stationnement avec point de vue, elle s’y arrêta. Elle avait besoin de sedégourdir les jambes et de respirer une grande goulée d’air frais. Elle ne voyait rien desmaisons encontrebas,lesdevinaitseulement,nichéesdanslavégétation,maiselleavaitunevuedégagéesurl’autrecôtédelabaie.LaPointeBacon,peut-être?Àmoinsquecenesoituntoutautreendroit…Sonsensdel’orientationlaissaitàdésirer…Danslalumièretombantedelafind’après-midi,denombreuseslampesétaientdéjàallumées,nimbantlacôted’unhalodoré,etdeslampadairesdessinaientaurasdel’eauuneligneserpentine :unepromenade le longd’uneplage,peut-être.Àl’unedesextrémitésde labaie,desbateauxdeplaisancebâchésetamarrésdansunemarinaflottaientmollementaugrédesvagues.

Uneodeurdefeudeboismontajusqu’àelle,semêlantàlafragrancedespinsquiimprégnaitl’airfroid.Ellesongeaalorsquec’étaitlapremièrefoisdesaviequ’ellesetrouvaitenborddemerenhiver.Elle conservait un souvenir assez vague d’un camping, du côté deBormes-les-Mimosas, où elle étaitalléeplusieursétésdesuite,petite,avecsasœuretsesgrands-parents.Ellen’avaitplusensuitefréquentéquedesplagesbretonnesavecsesparents,aucoursdevacancesassezmornes.Lucille,dehuitanssonaînée,avaitassezvitecessédelesaccompagnerpourpartirenvacancesdesoncôtéavecdesamispuisdespetitsamis.Delongsétésd’ennuipourelle,quinesavaitquefairedesagrandetaille,desonvisageunpeutroplong,etpassaitdesheures,àmaréebasse,àarpenterleszonesd’enrochementàlarecherchedecrustacés.Ellesecontentaitdelesdénicheretdelesobserver,danslefondd’unseaugarnid’eaudemer,avantdelesrejeterdanslespochesd’eauquisubsistaientautourdesrochers,aupointquesonpèreavaitpréditpourelleunecarrièredebiologistemarin.Ilauraitaussibienpuluiprédireunecarrièredeprofesseurdefrançaisoud’écrivain,étantdonnéquel’autremoitiédutemps,elletrompaitsonennuiendévorantdeslivres.Ilseraittombémoinsloin!

Alors qu’elle s’apprêtait à remonter en voiture, projetant de faire étape à Cagnes-sur-Mer et degarder la visite deNice et de ses environspour le lendemain, unediscrète sonnerie l’informaqu’elleavaitreçuuntexto.Ellesortitfébrilementsonportabledelapochedesadoudoune,espérantencoreunmessagedeMaxence,mêmeàcetteheureunpeutardive.

C’étaitunmessagedeJoël,sonanciencollèguedeVivreàLyon.

Alors,cetterepriseduski?Pastropdebleussurlesfesses?

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Surlesfesses,non,Joël,maisàl’âme,c’estuneautrehistoire…JoëlavaitquittélejournaletLyonl’étéprécédent,pourrejoindreàMonacol’équiped’unenouvelle

chaîne de télé privée.Officiellement, il s’agissait pour lui d’une opportunité professionnelle à ne pasmanquer – ce qu’elle était véritablement –,mais officieusement,Armelle restait persuadéeque si elleavaitencouragésesavances,aucunepromotionnel’auraitdécidéàs’éloignerd’elle.Joëlavaitsaisilapremièreoccasiondemettredeladistanceentreeuxpoursurmontersadéceptionamoureuse.

Iln’avaitcependantpascoupélesponts,etluiavaitenvoyétoutaulongdel’étéunSMSpar-ci,une-mailpar-là.Despetitsmessagesrigolos,sympathiques,insolites.Elleluiavaitréponduchaquefois,età partir de l’automne, une correspondance plus régulière et plus fournie s’était établie. Rien de trèsintime,rienderelatifàleurvieprivée,saufunefois,unpeuavantNoël:Joëlluiavaitlaisséentendrequ’ilavaitrencontréquelqu’un.Elleenétaitraviepourlui.Ellen’avaitjamaisaimél’idéedeluifairedumal,même involontairement. Ils échangeaient leurs impressions sur un film, un livre, un événement…JoëlcommentaitcertainsdespostsdeSansfaux-fuyants,leblogd’Armellequ’ilsuivaitdeprès.

Ellel’avaittoujoursapprécié,etvoulaitcroirequ’aprèscesquelquesmois,ilnepensaitplusàelleautrementqu’àuneamie.Elleaimaitàsedirequec’étaitcequ’ilsétaientdenouveau,desamis.Ellen’enavaitpastantquecela…Certainssoirs,quandelleétaitseulechezelleetqu’elleentendaitMaxenceetLouisparlerourireàtraverslacloisonquiséparaitsonbureaudusalondeMaxence,elleseprenaitàattendreavecplusd’impatiencequed’habitudeunmessagedeJoëlouunSMS.

Elleauraitpuluirépondrequetoutallaitpourlemieuxdanslameilleuredesneiges,maisquelquechoselapoussaàjouercartessurtable.Aussirépondit-elle:

Changementdeprogramme:jenesuisplusauski,maisengoguette,seulesurlacôte.

Lemessagen’étaitpasplutôtpartiqueJoëll’appelait.Puisqu’elleneconnaissaitpaslaprincipautéetqu’elleétaitsiprès,ellenepouvaitpasnepaspasserlevoir!

Ellenepouvaitpas,eneffet,età19h53trèsexactement,ellesonnaitchezlui.

***

–Armelle…IlyavaitunsouriretrèsdouxsurlevisagedeJoël.Ilouvritgrandlaporteets’effaça.–Entre.Çamefaitvraimentplaisirdetevoir!–Moiaussi,çamefaittrèsplaisir,Joël.C’était vrai. Elle avait eu un courtmoment de doute, arrivée au bas de son immeuble, craignant

d’avoir accepté un peu trop vite son invitation, d’avoir effacé un peu trop vite de son esprit lescirconstancesquiavaientprésidéaudépartdeJoël.Mêmes’ilss’étaientenvoyérégulièrementdespetitsmessagesamicaux,celafaisaitplusdesixmoisqu’ilsnes’étaientpasvus.

Ellefitquelquespasdansl’entrée,etôtasesgantsqu’elleglissadanslapochedesadoudoune,touten jetant un coup d’œil dans le salon, dont la double porte vitrée était ouverte. Desmurs beiges, uncanapéetdeuxfauteuilsclubsencuirhavane,descoussinsàcarreaux,unetablebassedeverrefumé,unebibliothèquequioccupaittoutunpandemuretdesreproductionsdetableauxnonfiguratifsdonnaientàl’ensemblelamêmedistinction,éléganteetsobre,quiavaittoujourscaractériséJoël.

Illuiavaitouvertenjeanetpolo,maismêmeainsi,ilconservaitcecôtédandy,cecharmedécaléqu’elle avait trouvé plaisant, avant de prendre conscience du béguin qu’il avait pour elle et que leurcamaraderienes’entrouvefaussée.

–C’estsympa,cheztoi…

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C’étaitplusquesympa,même.Assezdépouillé,trèsmasculindanslesformesetlescouleurs,maisd’unordreapaisant.Etaprèslajournéequ’ellevenaitdepasser,elleavaitbesoind’êtreapaisée!

–Donne-moitadoudoune…Ellel’enlevaetlaluitendit,sefaisantlaréflexionqu’avecsongrospullcôteléquipeluchaitunpeu

et sesboots fourrées, elle faisaitbibendumàcôtéde lui. Il fallaitdire aussique sonprojetdedépartn’étaitpasdejouerlesstarlettessurlaCroisetteoudevantlepalaisdesprinces,àMonaco!

–J’aipeurdefairetache,àcôtédetoi,questionélégance,dit-elle,unpeugênée.Il ne releva pas, mais l’enveloppa d’un regard si plein de chaleur qu’elle en fut un instant

déstabilisée.Elleavançadanslesalonpoursesoustraireàceregardetcherchaaussitôtdesindicesquitémoigneraient qu’une femme passait du temps là, cette amie dont Joël lui avait parlé et qu’il avaitrencontréelorsd’unesoiréechezl’undesjournalistesdelachaîne.Rien.Pasuneétole,pasunmagazineféminin,pasunbijounetraînait.

Avisantplusieurscadressurlesétagèresdelabibliothèque,elles’approcha,sedisantqu’elleauraitpeut-êtreplusdechance.Maisseulsdeuxadolescentsfiguraientsurlesphotos.

–Tesfils,j’imagine?Joëllarejoignitetsaisitl’undesclichés.Lesdeuxgarçonsétaientsuruneplage,departetd’autre

d’un filet de volley-ball.L’un d’eux attendait, solidement campé sur ses jambes, lesmains tendues encoupe, prêt à réceptionner le ballon que l’autre venait de lancer. Une petite gerbe de sable s’élevaitderrièrecedernier,soulignantlemouvement.

–Lui, c’estArthur, annonça Joël en désignant du doigt le garçon qui attendait le ballon. Il vientd’avoirseizeans…

Ildésignal’autre.–Etlui,c’estClément.Ilauradix-huitanslemoisprochain.IlpréparemollementunbacES,bien

plus occupé par une certaineMarjorie apparemment, ajouta-t-il avec un petit rire tendre, reposant lecadresurl’étagère.

–Ilssontbeaux…Ilsressemblaientàleurpère.Lamêmesilhouetteélancée,nerveuse.Lamêmefinessedetraits,les

mêmescheveuxnoirs,unpeudrus,coupéscourt.LestempesdeJoëlcommençaientàblanchiretçaluiallaitbien.Elleespéraitvraimentpourluiqu’ilyavaitunefemmedanssonpaysage.Ceseraitdugâchis,sinon!

–Cen’estpasmoiquivaistedirelecontraire!Laphotodatedel’étédernier.Ilsontpassélemoisd’aoûtici,justeaprèsmonemménagement.J’avaiscalculémoncouppourprendremonnouveauposteàla toute fin du mois et on a pu passer beaucoup de temps ensemble. C’était bien…On s’est un peuretrouvés.

ÀVivreàLyon,Joëls’étaittoujoursmontrétrèsdiscretsursavieprivée,afortiorisavieavantsondivorce.Laplupartdesmembresdeleurpetiteéquipesavaientqu’ilavaitdeuxgarçons,qu’ilsvivaienten Normandie avec leur mère, et si Joël mentionnait les moments qu’il passait avec eux durant lesvacances, lesvoyagesqu’ils faisaient tous les trois,c’était toujours incidemment.Uneseulefois, il luiavaitlonguementparléd’unséjouràLondresaveceux,aucoursd’unrepasdansunrestaurant,maiselleavaitencorebeaucoupdemalàévoquerenpenséecettesoirée,sachantcommentelles’étaitterminéeetcequis’enétaitsuivi.

–Maisjecause,jecause,etjeneteproposerienàboire!Tuaimeraisquoi?Duchaud?Dufrais?Del’alcoolisé?J’aiunchablisaufrais.

–Vapour le chablis, dit-elle en s’installant sur l’undes fauteuils.C’est la bonneheure pour ça,non?

–Oui…C’estlabonneheure…Etpourlasuite:pizzas,çateva?J’enaifaittoutunstockpourlesgarçons,àNoël,etilm’enreste…Enfait,c’estunequestionpurementrhétorique,parcequejen’aipas

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grand-chosed’autreàteproposer.Jeferaimieuxdemain.–Despizzas,c’esttrèsbien…Tuasbesoind’aide?–Çavaêtredurdelessortirducongeletdelesmettreaufour,maisj’adoreleschallenges!Il la gratifia d’un sourire canaille et disparut à l’autre bout de l’appartement. Dans la cuisine,

devina-t-elle.Bon…Lasoiréenes’annonçaitpas tropmal.Plutôtconviviale.Elleavaitcraintdelagênedela

partdeJoël,etsadécontractionlarassurait.DanslessemainesquiavaientprécédésondépartàMonaco,leurs échanges s’étaient réduits au strictminimum,maismême ainsi, le baiser qu’il lui avait volé ensortantdecefameuxrestaurant,cebaiserauquelellen’avaitpassumettrefinassezvite,et lamiseaupoint qu’elle avait dû faire ensuite avaient tant pesé sur leurs relations de travail, les avaient tantempoisonnées, que Joël avait fini par annoncer son départ du journal. Elle n’en était certes pas seuleresponsable–sitantestqu’onsoitresponsabledel’amourqu’oninspireàautrui–;Jean-JacquesMartin,leurrédacteurenchef,n’yétaitpasnonplusétranger.Ilsétaientpeunombreuxàlesupporter,etJoëlétaitde ceux qu’il irritait le plus. Elle-même arrivait assez vite derrière, mais contrairement à Joël, ellen’avaitpaseul’opportunitédeluiclaquerlaporteaunez.Ellen’avaitpasvraimentcherché,nonplus.Sansfaux-fuyantsluioffraitjusqu’àprésentunexutoiresuffisant.

Bref,elleredoutaitdel’embarraspourcesretrouvaillesetelleétaitcontentedeconstaterqu’iln’enétait rien. Ilssemblaientavoir retrouvé toutnaturellement le tonde l’amitiéquiétait le leur,avantqueJoëlnes’avisedelaregarderautrement.

***

Deux heures plus tard, les pizzas englouties et la bouteille de chablis presque vide, ils étaienttoujoursentraindeparleretdeplaisanter.Armelleavaitdonnédesnouvellesdetoutlemonde,àVivreàLyon, et Joël lui avait longuement expliqué son nouveau travail et les orientations de TV RéalitésNouvelles, la chaîne pour laquelle il travaillait. Il y était chargé d’une émission bimensuelle surl’écologieettouteslesdéclinaisonsgrandpublicquiserattachaientàcettenotion.Ilavaitàcœurd’enfaireuneémissiondequalité, émissionqui comprenaitdes reportages sur le terrain etdes interviews,qu’ileffectuaitlui-mêmeaccompagnéd’uncadreuretd’unpreneurdeson,ainsiqued’unepartiedébatenstudio, qu’il animait également. La dimension télévisuelle de ce travail, lui expliqua-t-il, avaitconsidérablement renouvelé son intérêt pour le sujet, sans compter qu’elle offrait une multitude devariationsquen’offraitpaslapresseécrite.Armellevoulaitbienlecroire.

–Tuveuxpeut-êtreallertecoucher?luidemanda-t-ilsoudain,alorsqu’elleétouffaitunbâillement–pasaussidiscrètementqu’ellel’auraitvoulu,manifestement.

Elle lui fut reconnaissante de cette attention. Elle avait eu une petite nuit et la conduite l’avaitfatiguée.

–J’aimeraisbien,oui…–Tudormirasdanslachambredesgarçons.Lesdeuxlitssontfaits.Prendsceluiquetuveux.–Merci!Pourdemain,faiscommed’habitude.Jemedébrouillerai,dit-elleenselevant.–Demain,onpartengoguette.J’aiprismajournée.Commeellelefixait,interloquée,ilreprit:–«Jesuisengoguettesurlacôte.»C’estbiencequetuasécritdanstonSMS?Jenevoudraispas

queturenoncesàcausedemoiàunprogrammeformuléd’unemanièresijolimentdésuète!–Fous-toidemoi!–Non,jet’assure…jetrouveçacharmant!Depuis son arrivée, il avait soigneusement évité de la questionner sur les raisons qui avaient

transformésontête-à-têteamoureuxàlaneigeenuneescapadeensolitaireauborddelaMéditerranée,et

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elleluiensavaitgré.Sansdouteaborderait-ellelaquestionavecluiàunmomentouunautre,maiselleavaitbesoinqu’unenuit,aumoins,passesursatristesseetsadéception:Maxenceluiavaitenvoyéenfind’après-midi un petitmessage plein de tendresse,mais il n’avait pasmentionné la possibilité qu’ellerevienneterminerlasemaineaveceux.

–Jetemontretesappartements?Ellehochalatêteetlesuivitdanslecouloir.Ellefutsurprisedeletrouverpeintenrougebasque,

une couleur qui tranchait, par sa vivacité, avec les demi-teintes de l’entrée et du salon, mais mettaitparfaitementenvaleuruneséried’estampesorientalesdans le styled’HokusaïetdeBuson. Joëlavaitévité la fameuseVague, vue et réinterprétée à l’infini, au profit de délicats motifs végétaux dans lescrèmes et roses poudrés – pommiers et cerisiers en fleurs –, de paysages doucement vallonnés oùdominaientlesvertstendres.

Aprèslenonfiguratifdusalon,cetteconcentrationd’artjaponaisdessièclespassésavaitdequoisurprendre. Mais Armelle se dit que cet éclectisme reflétait peut-être de la personnalité de Joël :moderne,élégantàl’extérieur,exotiqueetsecretàl’intérieur.

–Tout lemondedort /Rienentre la lune /Etmoi, récita-t-elledoucement, lesyeuxfixéssurunereproductionoùunefemmeenkimono,tenantàpleinesmainssalourdechevelurenoire,figuraitseuleaumilieud’unpont,souslalune,dansunecampagnestyliséeàl’extrême.

–EnomotoSeifu-jo.C’estaussicehaïkuquim’estvenu,quandj’aivuletableau.Lesdeuxréunisferaientunjolihaïga.

–Quelqu’unadéjàdûypenser.Entoutcas,c’estunebellecollectionquetuaslà…Il s’était rapproché, tandisqu’ilsparlaient,pourexaminer lui aussi la reproduction, etun silence

gênétombasureuxlorsqu’ilsprirentconscience,enmêmetemps,deleurproximité.Joëlreculaaussitôtdequelquespasetouvritl’unedesportesducouloir.–Voilàtachambre…Attention!Chocdescultures!laprévint-ilenriant.Ce n’était rien de le dire… La pièce présentait un grand mur peint en noir, sur lequel se

superposaient,telungigantesquecollage,despostersdemusiciensetdechanteurséchevelés,lemicrooulaguitareàlamain,luisantdesueuretsaisisdansdeslumièrescruesdescène.Surunautre,c’étaientdesaffiches de cinéma –Taken 1 et 2,X-Men,Captain America et autres blockbusters. Aumilieu, deuxintruses:lesaffichesdePrincesseMononokéetduChâteauambulant.

–Passichoquéesqueça,lescultures!fit-elle,amusée.Ilspasserontpeut-êtreunjourdeMiyazakiàBashô!Laisse-leurletemps!

Ellen’avaitpasplutôtprononcéladernièrephrasequesonhumeurs’assombrit.Laisse-leurletemps.Laisse-moiletemps.Durantlesdernièresheures,elleavaitpresqueoubliélaraisonpourlaquelleellesetrouvaitchez

Joël,etellevenait,touteseulecommeunegrande,deselarappeler.Auplusmauvaismoment,enplus:justeavantdesecoucher,histoired’avoirtoutelanuitpourruminer!

–Bon…Ehbien,jetelaisse…Bonnenuit,Armelle.–Bonnenuit,Joël.J’aipasséunesoiréetrèsagréable.Elleajoutaaprèsuntemps:–J’enavaisbesoin…Ilsecontentadeluifaireunpetitsourirecompréhensif,puisquittalachambreetrefermadoucement

laportederrièrelui.

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4

– Et maintenant, direction San Remo ! annonça Joël, tout en ouvrant à Armelle la portière côtépassager.

D’unecontorsion,ellefitglissersadoudounedesesépaules,etmontadanslavoiture.Joëlrefermalaportière,puispritplacederrièrelevolant.

– Tu connaissais déjà la région avant d’emménager à Monaco ? demanda-t-elle en jetant sonvêtementsurlesiègearrière.

–Non.EndigneoriginairedeCabourg,jeneconnaissaisetnevoulaisconnaîtrequelamerduNordet la côteatlantique, à conditionqu’elle s’arrêteàLaRochelle !Maisonabeaucoupbougé, avec lesgarçons,l’étédernier…Ilsgrandissentetcommencentàapprécierdeschosesauxquellesjedésespéraisdelesintéresser!OnapassépasmaldetempssurlaRiviera,côtéItalie,etj’aiétéséduit!

Ilavaitencoreleplusgrandmalàsedirequec’étaitArmellequisetrouvaitlà,aveclui,alorsquenepluslavoirl’avaittantfaitsouffrircessixderniersmois,mêmes’ilavaitquittéLyonvolontairementets’ilsétaient restésencontact.Àprésent,alorsqu’il l’avaitpour luiseuldepuisunepetitevingtained’heures, il n’osait exulter, de peur qu’elle ne soit qu’un rêve, une illusion qu’une manifestation debonheurtropsoulignéeferaits’évanouir.

IlavaitessayéderesteràVivreàLyon,aprèscettesoiréequiluiavaitmislecœuretlessensenmorceaux.Essayéderesterdanslesillaged’Armelleaujournal,fauted’occuperdanssavieuneautreplacequecelledecollèguedetravail.Desnuitsetdesnuitsdurant,ils’étaitpasséenboucleleurbaiser,endonnantàlascèneunetoutautrefin.Maislafrustration,insupportable,l’avaitconduitàunchoixplusradical.

Durantlafêtedelamusique,enjuin,ill’avaitaperçueaumilieudelafouleavecsonheureuxrival.Ilauraitaiméletrouverlaid,quelconque,vulgairemême,maisiln’enétaitrien.L’hommeàquiArmellel’avaitpréféréétaitdugenrebaroudeurouartiste,trèsdifférentdelui-même,etdotéd’unebeautémâleetsensuelleàlaquelle,illedevinait,peudefemmesdevaientresterinsensibles.C’étaitterribledel’avoirvu,parcequ’iln’avaitcessé,ensuite,d’imaginerArmelledanslesbrasdecethomme,l’embrassant,lecaressant,faisantl’amouraveclui.

C’étaitàcemoment-làqu’ils’étaitrésoluàquitterLyon.Iln’yavaitaucuneattache.Seullehasardl’yavaitconduitaprèssondivorce.Iln’yregretteraitriennipersonne,àpartArmelle,maiss’éloignerd’elleétaitpourluilaseulefaçondecesserdesouffrir.Cenouveaujob,àMonaco,étaitvraimenttombéduciel!

Ils’étaitditquepourrepartiràzéro,ildevaitcouperlespontsnonseulementavecArmelle,maisavectoussescollèguesdeVivreàLyon.Ilyétaitparvenuavectous,saufavecelle…Etlorsqu’ilavait

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reçusonmessage, iln’avaitpashésitéun instant : ilavait sautésur l’occasionde la revoir,depasserquelquesheuresavecelle,sanstropcroireàsachance…jusqu’àcequ’ellesonneàsaporte.

Ils avaient quitté Monaco vers 10 heures du matin, et avaient tranquillement longé la côte endirectiondeMenton,puisilsétaientpassésenItalie.Ilsvenaientdedéjeunerdansunpetitvillagesituédanslesterres.IlvoulaitàprésentluifairedécouvrirSanRemo,lavilleenelle-même,sesjardins,maisaussisonmarché,qu’ilpréféraitàceluideVintimille :pluspetit,pluspittoresque,si l’onexceptait laventedecontrefaçons.

Le tempsétait sec,ensoleillé, idéalpourdécouvrirLaPigna, lecentrehistoriquede laville, sesmaisonsaccrochéesaupromontoireetdominéesparl’églisedelaMadone-de-la-Côte,sesruellesd’unautre temps, ses façades colorées, et ses terrasses qui offraient une vue époustouflante sur laMéditerranée.

Ilvoulaitluimontrerdebelleschosespourluidonnerenviederevenir…Ilvoulaitaussilaplacerdanscelieu,cepaysagedontilétaittombéamoureux,pourlesassocieràjamais,créerlesouvenird’unejournéequin’appartiendraitqu’àeux.Etplustard,quandelleseraitrepartie,ilreviendraitetsedirait:J’étaislà,avecelle…

–Tut’entendsbienavectesfils?–Oui.Notrerelationestentraindechangeretçameplaît…Elleprendunedimensionàlafoisplus

intime et plusmature.À l’âge qu’ils ont, il y a certaines questions qu’ils préfèrent aborder avecmoiplutôtqu’avecleurmèreetçanousdonneunecompliciténouvelle.Jecommenceàavoirauprèsd’euxuneplacequimeconvientmieux…

–C’estbien.–Ettoi,avectesnièces?Toujourslegrandamour?–Plusquejamais!Masœuretmonbeau-frèreontcrééuneentreprise,ilsontdutravailpar-dessus

latête,etj’aiassezsouventlesjumellesencemoment!Maisjenem’enplainspas.–Ellesontquelâge,maintenant?Ellene réponditpas toutdesuite.Sonregards’étaitaccrochéàunechapelle,dresséeausommet

d’unpetitpromontoirerocheux,àunecentainedemètressurleurdroite.Elleétaitentretenue,commeentémoignaitl’enduit,trèsblanc,trèspropre,quilarecouvrait,etl’étatdusentierquiymenait.Ils’étonnadenel’avoirjamaisremarquée.Ilsepromenaitpourtantsouventdanslarégion.

–Ellesauronthuitansenavril,dit-elleenfin.Onpeuts’arrêter?Jeferaisbienquelquesphotos.–Vosdésirssontdesordres,madame!Ilralentit,puissegaraàl’entréeduchemindeterre.Armellefouilladanssonsacàmain,poséàsespieds,ensortitunNikoncompact,puisdescenditde

voiture.– Il doit y avoir unevuemagnifique sur lamer, de l’autre côté !Tu fermes la voiture ? Je peux

laissermonsacdedans?Elle n’attendit pas sa réponse et s’élança sur le sentier. Une fois encore, Joël admira la façon

gracieuse de se mouvoir qu’elle devait à sa grande taille. C’était cela, autant que sa beauté trèsparticulière,quil’avaitséduit.Etbiend’autreschosesencore…

Il verrouilla son véhicule à distance, d’un « tioup, tioup » automatique, et pressa le pas pour larattraper.Ilsparcoururentlespremiersmètresdel’étroitchemincôteàcôte,sansunmot.

–Tusens?demandasoudainArmelleens’arrêtant,lesnarinesfrémissantes.Ils’arrêtaàsontour.–Qu’est-cequejedevraissentir?–Leprintemps!Ilarrive…Tunelesenspasdansl’air?C’était bien elle, ça ! Il eut un petit rire attendri et huma alors l’air de février, décelant en effet

quelques notes florales et sucrées… dont il identifia assez vite l’origine : ce qu’il sentait, c’était le

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parfumd’Armelle,pasleprintemps!–Ahoui,fit-ilcependant.–C’estténuetenmêmetempssicaractéristique,tunetrouvespas?demanda-t-elle,seremettantà

marcher.–Si…Lorsqu’ilsarrivèrentàlachapelle,Armelleenouvritgrandlaporteafindefaireentrerlalumière

et,duseuil,contemplal’intérieur.Par-dessussonépaule,Joëlaperçutdenombreuxex-votoposésaupieddelastatuedelaViergequisetrouvaitenfaced’eux,aufond,dansunenichedeboispolychrome.

Ils s’en approchèrent. Il y avait de tout : desmédailles, desmoulages en plâtre représentant despieds,desbras,desmains,desmessagesécritssurdesfeuillesdepapier,desplaquescommémoratives,desdessinsd’enfants…Ilyavaitmêmeunbraceletàpendeloquesetunchapeletdebois,dontchaqueperlesemblaitgravéed’unmotifdifférent.

–Est-cequecetteViergeestcenséeaccomplirdesmiracles?fitArmelleense tournantvers lui.Qu’est-cequetucroisquelesgensdemandent?

–Jen’ensaisrien.Onpeuttoujoursfaireunvœu…Çanemangepasdepain!–AlorsjefaislevœuqueJ.-J.Martinsedécouvreunepassionpourlaméditationtranscendantaleet

qu’ilseretiredansunmonastèrebouddhiste,aufinfonddel’UttarPradesh!–Çanevapasmieux,aveclui?Jen’osaispasteposerlaquestionquifâche,maispuisquetuen

parles…Elle sortit de la chapelle, fit quelques pas et prit place sur un banc tourné vers le panorama.Le

soleil,àl’aplombau-dessusd’eux,étaitlégèrementvoilé;iln’enfaisaitpasmoinsmiroiteruneeaud’unvertargentéquecouronnaitçàetlàunemoussed’écume.

–Ilestégalàlui-même,répondit-elle,etjelesupportedemoinsenmoins.Onlesupportedemoinsenmoinstous,enfait,et j’imaginequ’ils’enrendcompte…Maisçanelefaitpasbougerpourautant.Pire qu’unemoule sur une planche pourrie ! Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il en tire une satisfactionmalsaine,maispasloin…

–Àfairelamoule?Ellegloussaetilfutbêtementheureuxdelafairerire.–Àêtredétestéetàavoirunpouvoirhiérarchiquesurceuxquiledétestent.–Tun’aspassongéàquitterlejournal?demanda-t-ilalors,envenantprendreplaceàcôtéd’elle.–Pourquoid’autre?dit-elle,sansquitterdesyeuxl’étenduemarine.–Pleindechoses,ilmesemble…–Pastantqueça.Çaaétéfacilepourtoidechanger,parcequetuasuneformationdejournalisteet

lediplômeadhoc.Sanscomptertesprécédentsemplois…Moi,jesuisarrivéeaujournaldirectementensortant de la fac, parce que Lionel était du genre à la jouer à l’américaine : « Tu dis que tu en escapable?OK.Montre-moi!»Maisilssontcombien,lesgenscommelui?

Ilobservauninstantsonprofilensilence.Iln’osaitpaslaregardertropdirectement,oudefaçontropinsistante,decraintedelamettremalàl’aise.Ilnesavaittoujourspaspourquoielleétaitlà,aveclui,faceàlaMéditerranée,plutôtqu’enmontagneavecsonMaxence,maislefaitqu’elleysoittenaitdumiracleoudumirageetilnevoulaitpasymettrefinparmaladresse,enluilaissantvoiràquelpointellecomptaitencorepourlui.

–Tuoubliesl’expérience,reprit-il.Ilarriveunmoment,dansunecarrière,oùellecompteaumoinsautant,sinonplus,quelesdiplômes.Etpuis,tuoubliesSansfaux-fuyants…

Ellehaussalesépaules.–Offf…–Non,pas«offf»…J’enaiparléàdeuxoutroiscollèguesdelachaîne.Ilssontallésvoirtonblog

etletrouventpasmaldutout!

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Ellesetournaversluietsondasonregard.–C’estvrai?– Vrai. Tu as une approche originale, un ton bien à toi ; tu déniches des pièces ou des livres

intéressantsdontpersonneneparleailleurs,etquandils’agitdespectaclesoudepersonnesquetoutlemondeporteaupinacle,tunecrainspasdepointerleshypocrisiesetlesavisdecomplaisance:tuosesproclamerque l’empereurestnu,quand lesautress’extasientsurunhabitqu’ilsnevoientpas,commel’enfantduconte!

–Çaresteunblog…–Ilyablogetblog,etlesprofessionnelsdel’infoetdelawebosphèrenes’ytrompentpas,tule

saiscommemoi.–Oui,mais…–Iln’yapasde«mais»!TufaisdutrèsbontravailavecSansfaux-fuyantsetc’estpeut-êtrelui,

plutôtquetonjobàVivreàLyon,quit’ouvriradesportes.Quisait?Ellehaussalesépaules.Ilnel’avaitpasconvaincue,manifestement.Unlégercoupdeventchassale

voileténudenuages,etlesoleilfitsoudainbrillersescheveuxchâtainclair,soulignantparendroitsleurnuance vieil or. Une fine mèche s’accrocha au coin de sa bouche et Joël se retint in extremis de laremettreenplaceetd’enprofiterpour luicaresser la joue, lacommissuredes lèvres.S’il restaitprèsd’elleuneminutedeplus,ilauraitdumalànepaslatoucher.

–Onreprendlaroute?suggéra-t-ilenselevantbrusquement.SionveutvoirSanRemodejour,ilnefautpastroptarder.

Pourtouteréponse,elleselevaetluisourit.Oh,cesourire!Elleauraitputoutobtenirdelui,quandelleluisouriaitcommeça!

***

LaVillaOrmonddeSanRemoetsonparcétaientmagnifiques.Etencore,onn’estqu’enfévrier,songeaArmelle.Qu’est-cequeçadoitêtreenjuin!Lapropriété,luiavaitexpliquéJoël,avaitétéachetéeauXIXesiècleparMichelLouisOrmond,un

négociantentabac,poursonépouseMarie-Marguerite,unefemmeréputéepoursagrandebeauté.Elleyavaitvécuretirée,occupéeàtransformerleparc,àl’origineplantéd’oliviers,enjardinanglais.Aprèssondécès,lamunicipalitéavaitrachetél’ensemble.

Ilstraversèrentrapidementlaroseraie.Àcetteépoquedel’année,elleoffraitassezpeud’intérêt.Ilss’attardèrentenrevanchedanslejardinjaponais,assezincongrudansceparcquifaisaitlapartbelleauxpalmiers,cédratiersetautresessencesméditerranéennes,observantensilencelesplantesnaines,happésparl’espritdulieu.

–C’estsiétrange,ledestindesgens…,ditArmelleauboutd’unmoment.Regardecettefemme…Cette Marie-Marguerite Ormond. Elle a vécu dans cet endroit magique, sans aucun souci matériel,protégée,choyée.Maisqu’est-cequ’elleafaitpourça?Qu’est-cequ’elleavaitdeplusquelesautresfemmes, pour qu’on lui offre tout ça ?Rien ! Elle était belle, d’accord…Mais il y a dans lemondequantitédefemmesbelles,etintelligentesdesurcroît,quicroupissentdansdesgeôlesparcequ’ellesontluttécontredesdictatures,sesontdresséescontredestyranspourréclamerlalibertédetoutunpeuple…

–Tusemblespartirduprincipequeleschosesdoiventêtrejustes,équitables…Ouqu’ondoitlesmériter,d’unefaçonoud’uneautre.Maisdansl’existence,çamarcherarementcommeça…

–Jelesaisbien!Seulement,parmoments,j’auraisenvie,moiaussi,qu’unhommem’aimeaupointdevouloirfairedemavieunpetitparadissurTerre…Qu’ilm’offrecepetitparadissurTerre!ajouta-t-elleendésignantd’ungesteampleunealléedepalmiersquiconduisaitàunbassinornéd’unefontaine.

–Serions-nousenvieuse,mademoiselleDécourt?

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–Pasenvieuse,justeperplexe…Etsifatiguéeparfoisd’êtreseule!Ellelesentittressailliràcesderniersmots.Ilralentitlepasetluijetauncoupd’œilsurpris.–Jecroyais…–Non,cen’estpascequejevoulaisdire…Etvoilà,onyétait.EllenesavaitpassielleavaitenviedeparlerounondeMaxence,incapablede

déterminersividersonsacluiferaitdubienougâcheraitaucontrairelafind’unejournéejusque-làtrèsagréable.ElleavaitretrouvédurantcesdernièresheuresleJoëldespremierstemps,attentionné,cultivé,drôle,etc’étaitsurcetteréconciliationqu’ellevoulaitrester,mêmesileurcorrespondanceélectroniqueenavaitdéjàposélesjalons.

Elle en avait cependant un peu trop dit et ne pouvait faire l’impasse sur une rapide explication.Aussireprit-elleauboutdequelquesminutes:

–Pourfairecourt,ilaunpetitgarçonqu’ilcroitprotégerdeje-ne-sais-quoienrefusantdeluiparlerdenous.Cequifaitque,depuisneufmois,noussommesensemblesansl’êtrevéritablement.Audébut,jetrouvaisnormalqu’ilveuilleattendre.C’étaitmêmepréférable,comptetenudecertainsenjeux…Maislefaitestquelasituationestbloquéeetj’aibienpeurqu’elleleresteunmomentencore.

–Jevois…Ilfitquelquespasensilence,puisreprit:–Certainessituationsnesontpeut-êtrepasfaitespourévoluer.–Jenesuispascertained’avoirenvied’entendreça,Joël!Ellel’avaitditd’untonqu’ellevoulaitdésinvolte,maissagorgeseserra.Maxence,Maxence!Sijesavaiscequisepasseexactementdanstatête!–OK, parlons d’autre chose, alors.On bifurque ? proposa-t-il, luimontrant sur leur gauche une

petite allée qui s’enfonçait à travers d’énormesmassifs de rhododendrons, dont certains fleurissaientdéjà.

Elle comprit que c’était pour éviter la grappe d’adolescents bruyants qui faisaient mine de sepousserdanslebassin,encouragésencelapartroisjeunesfillesquigloussaientsurunbanc.

–Tuveuxtoujoursrepartirdemainmatin?–C’estmieux,non?Tutravailles…Jenevoudraispasquemaprésencet’occasionne…–Enfait,lacoupa-t-il,situacceptaisderesterunjourdeplus,j’aimeraisquetum’accompagnesà

unesoirée…–Quellesoirée?Elle cueillitmachinalementune fleurde rhododendronet laporta à sonnez : ellen’avait aucune

odeur.–Lachaînefêtesapremièreannéed’existenceetlefaitquesadiffusionvabientôtdevenirnationale

dans tous lespays francophonesd’Europe.Alorsgrand raoutavec lesponteset les financeurs, invitésd’honneur,discours,autocongratulations,musiquedechambreetbuffet.

–Oh…Cegenredesoirée…Exactement le type de manifestation qui la mettait affreusement mal à l’aise et lui donnait

l’impressiond’êtrelafillelaplusstupidedumonde,àtenterd’avoirl’airdanssonélément,uneflûtedechampagneàlamain, toutenfeignantdenepasremarquerlesregardsappuyésdesinvitéssur laseulefemmedel’assembléequidépassaittouteslesautres–etunebonnemoitiédeshommes–d’unetêteoudeux.

–Jenesaispassi…–S’ilteplaît!–Enfait,c’estsurtoutque…Elleeutunpetitrired’autodérision.

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–Jenepensaispasquejediraisunjourcettephrase,mais jen’airienàmemettre!J’aifaitmavalisepourpasserunesemaineauxsportsd’hiver,paspourcourirlessoiréesmondaines!J’imaginequecen’estpaslegenrederéceptionoùonpeutarriverenjean,vieuxpulletbottesfourrées!

–Non,eneffet!Maisleproblèmepeutseréglertrèsfacilement.Anna…c’estl’amiedontjet’aiparlédansundemesmails…AnnatientuneboutiquedevêtementsàNice.Jesuissûrqu’elletetrouveraquelquechosedetrèssympa…

–Pourquoicen’estpasàellequetudemandesdet’accompagner?Illafixaavecunemouemi-embarrassée,mi-amusée.–Parceque,dansmoncasaussi,c’estcompliqué.C’estunehistoire…sporadiqueetquin’arien

d’officiel. Jene saisd’ailleurspas sionpeut appeler«histoire»cequi sepasseentrenous.Annaaperdusonmaridansunaccidentdevoitureilyadix-huitmois;sesenfantssontencorejeunes,fragilisésparlamortdeleurpère,etelleneveutpasleurprésenterquiquecesoitavantd’êtrecertained’avoirtrouvélabonnepersonne…

Ilmarquaunepause,etrepritavecunpetitsouriresansjoie:–Or,noussavonstouslesdeuxquenousnesommespaslabonnepersonnepourl’autre.–C’estdommage.–Non…C’est comme ça, voilà tout.On se voit de temps en temps.C’est plus une camaraderie

tendrequ’uneliaisonàproprementparler.Ellen’estpasencoreprêteàs’attacherdenouveau,etmoi…Illaissasaphraseensuspens,leregardfuyant,etArmelleeutl’intuitionsoudainequ’ilneseraitpas

prudentdesapartd’insisterpourqu’illatermine.

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«Jesuissûrqu’Annatetrouveraquelquechosedetrèssympa…»Certes,saufqueJoëlavaitoubliédeluisignalerundétail.Oh,untoutpetitdétail…Annatenaiten

effetuneboutiquedevêtementsfémininsetd’accessoiresàNice,maisc’étaituneboutiquedeluxe,situéesur laCroisette.SansdouteJoëln’yavait-il jamaisvéritablementmis lespieds,oun’avait-ilpas faitattention aux étiquettes, ou encore avait-il pris pour d’élégantes crottes demouches les zéros alignésderrièreleschiffres…Toujoursest-ilquelarobedusoir,leboléroassorti–pasquestiondepasserlasoiréeavecunedoudounedeskinégligemmentposéesurlesépaules,n’est-cepas?–,lesescarpins,lapochetteetlependentif-goutteencristalSwarovskiavaientcoûtéunœilàArmelle,plusprécisémentunmoisdesalaireplussonautorisationdedécouvertbancaire.Elleauraitpuopérerunreplistratégiquedèsqu’elleavaiteu lamesuredesprix,biensûr,maiselleavaiteusoudain l’enviedese lâcher.De fairequelquechosedepasraisonnabledutout,pourunefois.

Etlerésultatétait…magique!Enentrantdanscepalacehuitoudixétoilestoutilluminé,unpeuendehorsdeMonaco,elles’était

sentiecommeCendrillonarrivantpourlapremièrefoisaubal.EtJoël,danslerôleduprince,n’étaitpasmalnonplus.IlportaitsoncostumeArmanimieuxqueGeorgeClooneylejourdesonmariageavecAmalAlamuddin.

Ellen’avaitplusl’impressiond’êtrelagrandeaspergedeservice,maisunmannequindechezDiorouYvesSaintLaurent,culminantsanscomplexessursestalonsaiguillesàplusd’unmètrequatre-vingt-dix, sa robedemousselinevert saugemarquant sa taillepuis s’évasant enunemultitudede longsplissouples,sondécolletéglamoursoulignanttrèsjolimentlanaissancedesesseins.Etc’étaitcommesisatenueluiinspiraitl’attitudeidoine.Elles’étaitattendueàsesentirgauche,pasdutoutàsaplace,unpeucommeHarrietSmithdevantsescouvertslapremièrefoisqu’elledîneàHartfield,maisiln’enétaitrien.

Elle avait parfaitement conscience, cependant, d’avoir pénétré une sorte de seconde dimension,maisilyadesoccasionsquineseprésententqu’unefoisdanslavieetlorsqu’ellessontlà,ilfautjouerses cartes à fondou se coucher,mais nepas faire les choses àmoitié ni ergoter sur lamise.Or, ellen’étaitpasuneergoteuse…Etelleétaitbiendécidéeàprofiteraumaximumdecetteplongée–inéditepourelle–danslepetitluxedelasoirée.

SamétamorphosedevaittoutàAnna-la-fée-marraine,quiavaitsulaconseilleretsurtoutluidonnerconfiance en elle : si Armelle ne boudait pas les petites robes d’été vaporeuses, jamais encore ellen’avaitassistéàunemanifestationquinécessitaitlapanopliecomplètedelajeunefilledebonnefamilleaubaldesdébutantes,oudelastardecinémasurlesmarchesauFestivaldeCannes,etpluselleessayaitde tenues dans la boutique, moins elle se sentait légitime pour les porter. Anna lui avait proposé endernierressortcetterobeàlacoupeàlafoissimpleettrèscouture.Là,enfin,elles’étaitsentieàl’aise

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avec.Pourlacoiffure,elleavaitoptéégalementpourlasimplicité:elleavaitlaissésescheveuxflotterlibrementsursesépaules.

Anna était une belle femmed’une quarantaine d’années, et elle aurait été plus belle encore si latristesse n’avait terni l’éclat de son regard et rendu ses souriresmélancoliques. Durant tout le tempsqu’avaientdurésesessayages,Armellen’avaitcessédepenseràcequeJoël luiavaitconfiédans lesjardinsdelaVillaOrmond,etdes’endésoler.Ilsauraientfaitunbeaucouple,touslesdeux,etméritaientautantl’unquel’autrederetrouverlebonheur.

Mais pour l’heure, le bal battait son plein et Cendrillon était toute à son affaire… Ou plus

exactement, les discours battaient leur plein et Cendrillon s’ennuyait ferme.Heureusement, le pensumtouchaitàsa fin.Ledirecteurgénéraldesprogrammes–dernierorateurd’unesérie impressionnante–était en train de conclure son intervention en évoquant les perspectives de la chaîne : la ruée vers lechampagneetlebuffetn’allaitplustarder!

Eneffet,moinsdecinqminutesplustard,l’attachéedepresserepritbrièvementlaparolepouruneultimesalvederemerciements,puisinvital’assembléeàsediriger«verslessalonsGraceetRainierdeMonaco,oùunbuffetvousseraproposé,enlacompagniedeBrahms,SchubertetRossini…»Lorsqu’ilsétaientarrivés,uneheureetdemieplustôt,Joëlluiavaitprésentéquelquescollègues;elle-mêmeavaitreconnudespersonnalitésdelatélévision,delapresseécriteetdushow-biz,maisc’étaitmaintenantquelevéritablejeumondainallaitdébuter.

Desraclementsdechaisessefirententendre,puisunelamedefondhumainesedéportasurladroite.ArmelleetJoëlsuivirentlemouvementetarrivèrentàl’entréedelapremièrededeuxsallesenenfilade,dontlesdoublesportesétaientouvertes.

Aufonddelapiècesetrouvaituneestrade,surlaquellequatremusiciensaccordaientensourdineleursinstruments,troisfemmesetunhomme,assezjeunes,quiparaissaientunpeuempruntésdansleurshabits noirs. Sur tout un côté était dressé un imposant buffet, derrière lequel se tenaient des serveursgantés,engiletsàrayures.

Lesinvitéssemblaientavoirdécidédes’enteniràcepremiersalon,sibienquelaprised’assautdubuffetrisquaitdeserévélersanglante.Nesouhaitantpaslaisserdanslabatailleuntalonaiguille(dontelleestimaitlavaleuràunesoixantained’euros,comptetenuduprixdelapairedechaussures)ouunepartiedesamousselinevertsauge,ArmellefitsigneàJoëldelasuivreetentrepritdegagnerlasecondepièce.

Une quinzaine de personnes seulement s’y trouvaient ; on y respirait beaucoupmieux…Certainsavaientdéjàunverreàlamain.

–Champagne?proposaJoël.–Etcomment!Ellelesuivitjusqu’ausecondbuffet,curieused’admirerdeprèslesassortimentsdemignardisesqui

lecomposaientavantqu’ilnesoitdévasté.C’étaitimpressionnant!Ellen’étaitpasCosetteetavaitdéjàété invitée à des cocktails, ne serait-ce que pour le mariage de sa sœur, mais là, on jouaitindiscutablementdanslacatégoriesupérieure.Fontainesdechampagne,depunch,jusdefruits,verrines,cuillèresgarnies,toasts,croustades,plateauxdecharcuterie,pains-surprise,piècesmontéesdechoux,demacarons,corbeillesdefruitsconfits,petitsgâteaux,letoutdisposébienentendudelaplusartistiquedesmanières…

Ellefutalorsprised’unfourirenerveux–qu’elleeutleplusgrandmalàcontenir–enrepensantaux apéritifs organisés àVivre à Lyon : vin rouge, vin blanc premier prix ou peu s’en fallait, chips,cacahuètes,assortimentsdebiscuitssalésBelinservisdansleuremballageenplastiquecompartimenté,etl’incontournableetplâtreuxhoumousdeFrancineObadia…

–Voilà…

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Joëlluitendituneflûte.–Merci…–Jenecroispast’avoirprésentéMichelFerenzi,toutàl’heure…Armelle se tourna vers celui qui l’accompagnait. Elle le toisa, plutôt ; impossible de faire

autrement.C’étaitunhommed’unecinquantained’années,barbu,souriant,repletetpastrèsgrand.ExitCendrillon reine du bal ; elle eut cette fois l’impression d’être Blanche-Neige sur le point de tancerJoyeux.Ellecamouflaenunepetitetouxsonrestedefourire,quimenaçaitdereprendredelavigueur.

–Michelestuncollègue.Ils’occuped’uneémissionsurlesphénomènesdesociété,précisaJoël.ArmelleDécourt…quitravaillaitavecmoiàVivreàLyon.Quiytravailletoujours,d’ailleurs…

Ilséchangèrentun«enchanté(e)»synchronisé,puisMichelFerenzil’observauninstant,commes’illajaugeait.

–C’estdoncvousquivouscachezderrièreSansfaux-fuyants…Cen’étaitpasunequestionetArmellesecontentad’acquiescer,unpeudésarçonnéeparcetteentrée

enmatière.–Jel’aiparcouru…Vousyavezuneapprochedelachroniqueassezsurprenante…Il ladévisagea, la tête légèrementpenchéeenarrière,etelle sedemandasicecommentaireétait

pourelleuneinvitationàdéveloppercetteapprocheouunesimpleformuledepolitesse.Elleseditaussique,vraiment,ilneluimanquaitquelebonnetrougeetpointu,etlegiletvert!

–Vousm’intéressezbeaucoup,voussavez? reprit-il avecuneassurancequ’elleauraitplutôtvuechezuncapitained’industrie,belhommedesurcroît.Lebloggingestlethèmed’unedemesprochainesémissions,etjesuisentraindeconstituermonplateaud’invités.

–Oh!fit-elle,tandisquesoncœursemettaitàbattreplusvite.Cepréambule signifiait-ilqu’il songeaità laconvierà sonémission?Subitement, ilne luiparut

plusnisipetit,nisireplet,nisicomique,etelleregrettasespenséesirrévérencieuses,toutensemoquantd’elle-mêmeetduchangementderegardquivenaitdes’opérerenelle.

–Etvous…quelestl’angled’approchedevotreémission?demanda-t-ellepournepasavoirl’aird’attendreuneproposition,maissurtoutpourseplacersurunpiedd’égalitéaveclui,enprofessionnelle.

–Ilpeutvarierlégèrementd’unsujetàl’autre,maislabaserestelamême:présentationduthèmeàpartird’unreportagedecinqminutesmaxi,puisrencontre-débat,confrontationdepointsdevue,réponsesauxquestionsdestéléspectateurs…

–C’estuneformulequia fait sespreuves,commentaArmelle.Lebloggingestunphénomènequiprésentede trèsfortesramifications.Vouspensezqu’uneseuleémissionsuffirapourfaire le tourde laquestion?

EllesurpritunpetitsouriresatisfaitsurlevisagedeJoël.Ilsemblaitseteniràdesseinendehorsdela conversation, comme s’il souhaitait lui laisser toute la place, ne pas lui faire d’ombre afin qu’elledonnesamesure.

Messagereçu,Joël!– Cette émission est un point de départ qui pourra peut-être déboucher sur un rendez-vous plus

régulier…, reprit Michel Ferenzi. L’idée, c’est d’indiquer dans un premier temps des chiffres –70millionsdeblogsdans lemonde,quandmême!–,demontrer ladiversité, l’aspectphénomènedemasse…

– D’expliquer aussi en quoi il constitue « le cinquième pouvoir », peut-être ? le coupa-t-ellefébrilement,histoiredeluimontrerqu’ellenesecontentaitpasdetenirunblog,maisqu’elleavaitaussiuneanalyseplusgénéraledelachose.Deplusenplusd’entreprisess’enemparent,ledétournentdesavocationpremièrequiestl’expressionlibred’uneindividualité,oudumoinstententdelefaire.Sincéritéd’un côté, instrumentalisation de l’autre… Professionnalisation de certains blogueurs… Refus, chezd’autres,detouteformed’ingérenceoudecontrôleducontenu…

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–Ouiii!approuvaMichelFerenzidansuncridesouris.Et j’enreviensàmonpointdedépart…Entre ce que j’ai vu deSans faux-fuyants et ce que Joëlm’a dit de vous, votre profil de blogueusem’intéressevraimentbeaucoup.J’aimeraisquevousfassiezpartiedemesinvités.

Armelle se sentit aussitôt emportée par une vague d’allégresse. Elle avait l’impression qu’ellevenaitdedécrocherlegroslot.L’étatd’excitationetdejoiedanslequelcetteinvitationlamettaitauraitméritéqu’elle s’y arrête et qu’elley réfléchisse,maisdes accords s’élevèrent dans le salond’à côté,annonçantquetouteleurattentionseraitbientôtpriseparleconcertdemusiquedechambre.

– Si toutefois vous êtes d’accord pour lever l’anonymat du blog…, ajoutaMichel à voix basse,tandis que le volume des conversations allait decrescendo autour d’eux. Parce que je ne vois pascommentl’éviter.

Ah…C’estqu’elleytenaitbeaucoup,àcetanonymat…–J’enserairavie,s’entendit-ellecependantrépondre,avantmêmed’avoirenvisagédelefaire.Etlesourirequiaccompagnasaréponseétaitbienplusgrandetbienmoinsprofessionnelqu’ellene

l’auraitvoulu.–Onenreparletrèsvite…Vousavezunecarte?OualorsJoëlmedonneravoscoordonnées…–Non,j’ai…Parquelmiracleelleavaitemportélepetitétuidemétaldanslequelellerangeaitsescartesalors

qu’ellepartaitfaireduski,ça,ellenelesauraitjamais,maisellesefélicitaitdel’intuitionquileluiavaitfaitglisserdanssapochettedesoirée.

Elleluitenditdoncsacarte,qu’ilplaçadanslapochedesaveste.Le silence s’était fait dans les deux salles, à présent, et tous trois se rapprochèrent de la double

porteouvertepourmieuxentendrelesmusiciens.

***

Plustard,bienplustard,cettenuit-là,Armelleeut leplusgrandmalàs’endormir.D’abordparcequ’elle avait parlé avec beaucoup de monde, et que des bribes de toutes les conversations setélescopaientdanssatête.Peut-êtreavait-elleaussiabuséduchampagne,était-elleexcitéed’avoircôtoyédescélébritésdugrandetdupetitécran,desjournalistesdontelleadmiraitdepuislongtempsletravail.

Elleétaitsurtoutcomplètementretournéeparl’invitationdeMichelFerenzi.Objectivement, iln’yavaitpasdequoi,dumoinspasaupointdenepastrouverlesommeil.Maisquelaqualitédesonblogetl’originalité de son approche aient été remarquées par un professionnel de l’information lui faisait unbien incroyable, en une période où elle avait l’impression que plus grand-chose de solide sur quois’appuyer ne subsistait autour d’elle. Son avenir avecMaxence flottait devant elle, incertain, et elledoutaitdeparvenirunjouràl’arrimerfermement.Elleavaitperdutoutplaisiroupresqueàtravailleraujournal,mais,persuadéequ’ellenetrouveraitriend’autreàLyon,elles’étaitrésignée.

SadiscussiondelaveilleavecJoëlluiavaitaussiremontélemoral.Ilavaitentrouvertuneportequ’elles’était jusque-là interditd’ouvrir, laissants’insinuer l’espoird’unchangementpossible,commeunfraiscourantdeprintemps.Elleavaitbeauserappeleràlaraison,àlamesure,satêtetricotaitdepuisdesscénariosaussiextravagantslesunsquelesautres.

Pournerienarranger,duranttoutelasoirée,lesgensdeTVRéalitésNouvellesaveclesquelselleavait discuté avaient achevé de la déstabiliser et de l’étourdir, en lui parlant de la façon dont ilstravaillaient, des gens qu’ils rencontraient, recevaient, interviewaient, des déplacements qu’ils étaientamenésàfaireetdelagrandediversitédemoyensqu’offraitlemédiatélévisuel,parrapportaumédiapapier. C’était un peu comme s’ils avaient ouvert devant elle la boîte de Pandore, de laquelle ne seseraientpaséchappéstouslesmauxdelaTerre,maisaucontrairetoutessesdélices.Etil luisemblait

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quel’invitationdeMichelFerenziétaitunencouragementàlessaisir,unpeucommes’il luiavaitdit :«Vas-y,sers-toi,tuyasdroit,toiaussi…»

Durantneufans,elleavaitétéheureusedetravailleràVivreàLyon.Heureused’apprendrelemétierauxcôtésdeLionelJasper,jusqu’àcequ’ilprennesaretraite,l’annéeprécédente.Elleaimaitbeaucoupla petite équipe de l’hebdomadaire,même si elle ne les voyait pas tous les jours.Elle adorait ce quifaisait lecœurdeson job :allerau théâtre,à l’opéra,aucinéma,dévorer lesnouveautés littérairesetfairepartagerensuiteauxlecteurssesenthousiasmes,sesdéceptions,sesagacementsparfois.Elleaimaitjouer les chercheurs d’or et dénicher des pépites : la troupe inconnue, l’auteur dont on ne parle pasencore,unesalledespectaclenouvelle…

Mais cette soirée lui avait fait prendre conscience, avec une douloureuse acuité, de l’extrêmesolitudedanslaquelle,professionnellement,elleévoluait.Mêmeaumilieudesspectateursauthéâtreouàl’opéra,mêmedansunesalledecinémapleineàcraquer,elleétaitseule…Etunefoisrentréechezelle,danssonbureau,devantsonordinateur,c’étaitseuleencorequ’ellerédigeaitsesarticles.Sontravailneconsistait pas à rencontrer et interviewer les écrivains, cinéastes, metteurs en scène ou comédiens àl’originemêmedumatériausurlequelelleœuvrait.Encoremoinsàconcevoirlecontenud’uneémission,puisàl’animer.

Et la lentemaiscertainedégradationdesesrelationsavecJean-JacquesMartinnel’incitaitpasàavancer la tête rentréedans lesépaulesenattendant la finde l’orage :elle savait, toutau fondd’elle,qu’ellenesedirigeaitpasversl’accalmie,maislatempête.

Peut-êtreétait-ellemûrepourunchangementprofessionnel,finalement.Peut-êtreétait-ceverscetteprisedeconsciencequeledestin–sitantestqu’ilenexisteunetquelaviedechacunysoitsoumise–laconduisait,enayantfaitdévierlaroutedesesvacances.

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6

ElleétaitrentréeàLyonlesurlendemaindelasoirée,laissantsavoituredelocationàlaPart-Dieu,dansuneagencerelais.IlluirestaitencoretroisjoursdevacancesaprèssonséjourchezJoël,maisflânerseulesurlacôteneluidisaitplusrien.Ellevoulaitrevenirchezelle;elleavaitbesoindeseretrouverdanssonenvironnementfamilierpourréfléchirauxévénementsdesderniersjours.Lesassimiler.Prendrele reculnécessairepour lespeser,une fois apaisées les émotionsqui l’avaient secouée : la colère, latristesse,l’enthousiasme,l’exaltation.

Elleavaitl’impressionqu’aprèsdesmoisd’immobilisme,toutseremettaitenmarchedanssatêteetdanssavie.Commesil’existenceétaitrythméedecyclesdontonignoraitàl’avanceledébutetlafin.Onne pouvait que prendre acte du mouvement qui s’opérait dans une direction nouvelle, sans avoir lapossibilitéd’anticiper.C’étaitàlafoisexcitantetangoissant.Maisc’étaitcelaaussivivre.Etilsemblaitjustement qu’un nouveau cycle était en train de commencer pour elle. Elle n’en pouvait plus del’attentisme,descompromis.Ilétaittempsqu’elles’écoute,qu’ellefasseensortequesonexistenceetsesaspirationssoientunpeuplusenconformité.

Ducoup, elle avait repris le travail au journal avecundétachement reposant.Durant l’annéequivenaitdes’écouler,ellen’avaitproduitqueduconsensuel,réservantàSansfaux-fuyantsleschroniquesetarticlesvéritablementenphaseavecelle-même,avecsonressenti.Elleavaitdécidéquecettepériodeétaitterminée.Plusdefadeur,plusd’élusion…Entréeenvigueurimmédiateetadviennequepourra!

Elle venait de terminer, entre autres articles, la présentation de deux spectacles qu’il lui tenaitparticulièrementàcœurde faireconnaître, etpour lesquelselleespéraitdrainerdupublic, tantpar lejournalqueleblog:unfestivald’improvisationthéâtralequis’adressaitauxenfantsetquiallaitdébuterdansleweek-end,etunone-womanshowmilitantmais trèsdrôlequ’elleavaitvuàNiceavecJoël laveilledesondépart,etquiallaitêtredonnédeuxsoirsdesuite,lasemainesuivante,dansunpetitthéâtredelaCroix-Rousse.

Exactementlegenred’événementsquin’intéressaientpaslespageslyonnaisesdecertainsjournauxàdiffusionnationale– tournésversdesproductionsplus importantesetdesnomsplusconnus–ni lesencarts « culture » des quotidiens – à la recherche demanifestations plus grand public. Et c’était là,justement,qu’àsonavis,unhebdomadairetelqueVivreàLyon justifiait toutesaraisond’être : rendrevisible–avecuneffetdeloupe,même,sipossible–lepluspetitetlemoinsconnu,susciterlacuriositépour l’inhabituel, le peu familier.Élargir le champ…Oser exprimer les déceptions aussi, quand ellesétaient là. Bref, renouer avec tout ce que Lionel lui avait appris à ses débuts, tout ce qu’il avaitencouragé.

C’étaitincroyablel’effetquelasoiréeTVRéalitésNouvellesluiavaitfait!SesdiscussionsavecJoëlégalement.Undéclics’étaitproduit.Elleretrouvaituncouragequ’elleavaitperdu,unefoienses

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capacités, son avenir professionnel. Oui, elle allait chercher et trouver un autre job… Mais sansprécipitation. En réfléchissant à ce qu’elle souhaitait vraiment, en cernant ses atouts comme sesfaiblesses, en s’appuyant sur le succès deSans faux-fuyants, qui comptait certains jours jusqu’à troismillevisiteurs.Ellenesedonneraitpasdedélai;peuimportesiçaluiprenaitsixmois,unanouplus.Elle chercherait dans la presse, mais aussi dans la communication. L’important, c’était qu’elle avaitfranchiuncap:ellevoulaitbiencroireàprésentquesescompétences–toutessescompétences–étaienttransposables,adaptables.

Lesportesd’unchangementsalutairepouvaients’ouvrirdevantelle:elleétaitprêteàlesfranchir…

***

–Armelle?Jepeuxtevoiruninstant?Jean-Jacques lui fit signede l’accompagnerdans lecubevitréqui lui servaitdebureau.Armelle

levalesyeuxaucielàl’intentiondeNasrinquisedirigeaitd’unpasnonchalantverslagrandetable,àunbout de l’open space, avec toute l’équipe. La réunion de rédaction hebdomadaire allait bientôtcommencer.

À l’autreboutde lapièce,quatrebureaux,disparaissant sousdespilesdedossiersetde feuillesvolantes,sefaisaientfacedeuxàdeux.Ilsétaienthuitàtravaillerdansceslocaux–sixjournalistes,J.-J.MartinetFrancineObadia, lasecrétaire–,maisàpartcesdeuxderniers, ilétait rarequelesautressoientaujournaltousenmêmetemps,ouqu’ilsyrestentlajournéeentière.Jean-JacquesdisposaitdesonaquariumprivéetFrancined’unetablespacieuseprèsdel’entrée,surlaquelleétaientinstallés,outreunordinateuravecuntrèsgrandécran,lestandardtéléphoniqueetuneimprimante.Lesautresjouaientauxchaisesmusicales,lorsqu’ilsétaientplusdequatreàavoirbesoind’unbureau.Troisfenêtresoccupaientl’un des murs, les autres étaient recouverts de photos, de pages de couverture du journal, de pense-bêtes… C’était à peine si on voyait que la peinture datait de la fondation de Lugdunum par LuciusMunatiusPlancus.

–Qu’est-cequetuveuxquejefoutedeça?demandaJJ,unefoisqu’ilsfurentàl’intérieurducube,brandissantsouslenezd’Armelleunepoignéedefeuilletsimprimés.

«Ça»,elle ledevinait,c’étaient lesfameuxdeuxarticlesqu’elle luiavait transmispare-mail laveilleetqu’ellecomptaitfairepasserdurantlaréunion.

–Quetulespublies…,répondit-elle,sanschercheràcachersonagacement.C’estquandmêmeunpeupourçaquejelesaiécrits.

–Deuxfoistroismillesignespourlematchd’improetlananaseuleenscène?Maisturêves,là!Depuis quelques semaines, il n’était plus seulement incompétent en tant que directeur d’équipe,

dépourvudelapsychologielaplusélémentaire,etpusillanimeenmatièredepolitiqueéditoriale;ilétaitdevenudésagréableetcondescendant,pournepasdireinsultant.Ilyavaitcertainementuneraisonàcela–raisonquipouvaitpeut-êtreluivaloirlescirconstancesatténuantes–,maisArmellen’avaitpasenviedelaconnaître.

Iljetalesfeuillessurlatabledansungesteunpeuthéâtral.Celledudessuspoursuivitsonchemin,flottauninstantdansl’air,puisglissasurleplancherdansun«fffush»qui,pourlégerqu’ilsoit,crevalesilencetenduquis’étaitaccrochéau«Maisturêves,là!».

–Unebrèvepasseencore,maistroismillesignes!reprit-ilenlevantlesbras.Etpourqui?MarcieCalvados!QuiestMarcieCalvados,jeteledemande?

–Lismonarticleettulesauras,répondit-ellesèchement.–Oh!pasd’ironie,s’ilteplaît!Tuastrèsbiencompriscequejeveuxdire.Ilsecoualatêteetpoussaunsoupirdedérision.

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–Marcie Calvados, franchement… Et quid de l’adaptation très attendue desPetits chevaux deTarquinia à La Criée ? Tu comptes en dire deux mots dans ta double page, ou ce n’est pas assezconfidentielpourtoi?

Ledédainaveclequelilappuyasur«confidentiel»lahérissa.Fortedesesnouvellesrésolutions,ellenelaissapaspasser.

–OnvitàLyon,Jean-Jacques,pasàMarseille.Etlejournals’appelleVivreàLyon,aucasoùtul’auraisoublié…PasLaRevuedesdeuxmondes!

–Çanenousempêchepasderelayerlesévénementsculturelsmajeurs.Etvoilà!Sonleitmotiv.Leurpierred’achoppement.–Majeurs,c’esttoiquiledis!Sa voix était montée d’un ton et elle surprit, de l’autre côté de la vitre, le regard intrigué et

légèrementinquietdeNasrin.Quantauxautres,ilsdiscutaiententreeux,maisArmellesavaitquemêmes’ils l’avaient voulu, ils n’auraient pu faire abstraction de ce qui se passait dans l’aquarium : nonseulementJJetelleétaientàlavuedetous,maislesimplevitragefaisaitqueriendeleuréchangeneleuréchappait.

–Jenesuispasleseulàledire,repritJJ.LisTélérama,L’Obs,LesInrocksetj’enpasse…–Puisquecesmagazinesenparlentdéjà,jenevoisvraimentpascequ’unarticledansVivreàLyon

pourraitapporterdeplusàcegenredegrossesmachines!–Laréponseestcontenuedanstesparoles:toutlemondeenparle,justement.Iln’enfallutpasplusàArmellepourenfourchersonchevaldebataille.Etpasquestiondeluitenir

labridecourte!Finidefaireprofilbasdevantcettechiffemollequin’étaitpascapabledesepositionnerdemanièreindépendanteparrapportauxmédiasnationaux,etsurtout,quioubliaitunpeutropsouventlavocationd’informationdeproximitédujournal!

–Etc’estcequ’onest supposés faire ici?demanda-t-elle, lavoix tendue, luttantpourgarderunsemblant de maîtrise, mais bien décidée à vider la querelle. Répéter ce qui se dit ou s’écrit desspectaclesdéjàhyper-médiatisésetdesblockbusters?

–VivreàLyon n’est pas réservé auxdeuxpelés et aux trois tondusqui sont fans, comme toi, depiècesdethéâtreabsconsesouderétrospectivesdeLarsvonTrier!

Toutdesuitelespectrecaricaturaldel’élitisme!–N’importequoi!Laquestionn’estpasdechoisirentreMelancholiaetFuckingtheCops,maisde

présenterunpanoramaaussicompletquepossiblede l’offreculturelleàLyon!ÀLyon, Jean-Jacques,pasailleurs!

Elle avait crié ladernièrephrase.Lespommettesde Jean-Jacques s’étaient couvertesdeplaquesrougesetilrespiraitparsaccades.Elle-mêmeavaitlecœurquicognaitfollementdanslapoitrine.Elleavaitconsciencequelasituationétaitentraindedéraper,maislechevaldesonras-le-bols’étaitemballéetellen’avaitaucuneidéedel’endroitoùils’arrêteraitnisielleallaittenirenselleencorelongtemps.

–Etdeleprésenter,cepanorama,enchaîna-t-elle,sansluilaisserlapossibilitéd’intervenir,avecunangled’attaquequisoitpropreaujournal!Un ton…Unepetitemusiquereconnaissable…C’estçaquifaitlaforce,l’originalitéd’unmagazine!Maistuasdûoublierdemettretonréveil,lejouroùcettepartieaététraitéeencours,quandtufaisaistesétudesdejournalisme!

L’altercationétaiten trainde laisser loinderrièreelle laquestiondes troismille signesdédiésàMarcieCalvados,maisJean-Jacquesl’énervaitvraimenttrop.

–Lesuccèsdetonblogtemonteàlatête,ouquoi?Tuteprendspourqui,àmedonnerdesleçons?Jusqu’àpreuveducontraire,c’estmoilerédacteurenchef,ici…Ettantqueceseralecas,onferaleschosesàmamanière!

–Alorsceserasansmoi!

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Cen’étaitpascequ’ellevoulaitdire,maisc’étaitcequ’elleavaitdit,etelleserenditcomptetroptarddelaportéedesesparolesetdeleursconséquences.Jean-JacquesMartinlafixaquelquessecondessansriendire,unelueurdetriomphedansleregard.Puisilrepritd’unevoixdoucereuse:

–Maispasdeproblème,Armelle,laporteestgrandeouverte…Etpourleluiprouver,ilallaouvrir,avecunempressementexagéré,laportedel’aquarium.Ellen’eutd’autre choixquede sortir.Ellepassadevant lui, raide, sonexaltation retombéeaussi

soudainementqu’unsoufflératé.Elleétaitéberluéeparlafaçondontleschosess’étaientenchaînées,etàpart en lui présentant des excuses immédiates – mais pour quoi exactement ? –, elle ne voyait pascommentrattraperlasituation.Àsupposerqu’elleveuillelarattraper,évidemment…

Alorsqu’elleavançait,l’espritenproieàlaconfusion,Jean-Jacques,quiavaitrejointlesautresàlagrandetable,ajouta:

–Jemetiensàtadisposition,cetaprès-midi,pourquenousdiscutionstouslesdeuxdesmodalitésdetondépart.

Elleattrapasonsacetsonmanteau,qu’ellen’enfilapas,puistraversalasallesoudainplongéedansunsilencedemort.

Ehbien,lechangementallaitarriverbienplustôtqueprévu,finalement…

***

–Armelle!ReconnaissantlavoixdeNasrin,Armelles’arrêtaetseretourna,sonmanteautoujourssurlebras,

malgrélaneigelégèrequitombait.Nasrinétaitàquelquesmètresàpeine,sanssonsempiternelblousonencuirnisonécharpe;elleavaitdûluiemboîterlepassansdemandersonreste.

–Çavaaller,Nas…Retourneàlaréunion.NetemetspasJean-Jacquesàdos,toiaussi.–Pasquestion!Jenetelaissepastouteseuleaprèscequivientdesepasser.Nasrinlapritparlebrasetl’entraînaverslepetitcaféoùellesdéjeunaientsouventsurlepouce,le

vendredi,aprèslaréunionderédaction.–Onvacommencerparboireuncafé.Onyverraplusclairaprès…Elless’installèrentàleurtablepréférée,situéeunpeuàl’écart,derrièreunpilier.–Vousêtesenavance,aujourd’hui!s’exclamalapatronnequis’étaitapprochéepourdébarrasser

leurtableetchasserd’unrapidecoupdechiffondesmiettesdecroissantlaisséesparleclientprécédent.–Onsèche lescours,maisne leditesàpersonne! réponditNasrinensouriant.Onprendradeux

cafésallongés.–Çamarche!–Disdonc!reprit-elle,quandlapatronnesefutéloignée,tunefaispasleschosesàmoitié,toi!La

grandescènedel’acteII,direct!Ilsensontencoresurlecul,là-haut…Armellelaissafuserunpetitrire.–Oui,direct.Sansfiletnirépétition.Etleplusdrôle,c’estqueletonestmontéàcausedufestival

d’improetd’unone-womanshow!–Onpeutdirequetuaslesensdelasituation!Plussérieusement…Qu’est-cequetuvasfaire,tout

àl’heure,quandtuverrasJJ?Tucroisquec’estrattrapable?–J’imaginequeçal’est,saufquejenerattraperaipas.–Oh?!–Jevais laisser larouetourner,Nas…J’aienviedechangement.Desang-froid, jeneseraispas

partieavantd’avoirtrouvéautrechose,maispuisquej’ensuislà,andiamo…J’enaivraimenttropmarre.Pendantcesquelques joursdevacances, ils’estpasséplusieurschosesquim’ontunpeu…secouée…

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Rien de grave, s’empressa-t-elle de la rassurer, voyant son visage s’assombrir. Il y a eu une sorte dedéclic…Unpeucommesij’étaissortied’unelongueléthargie.

–Léthargie?répétaNasrin,perplexe.–Oui…AprèsmaruptureavecSylvain, j’aienvisagédequitterLyon,tutesouviens?Jevoulais

tournerledosàtout,repartiràzéro…Etpuisj’airenoncé,parcequejemesuisrenducomptequ’ilmeseraitdifficilederetrouverunboulotquimelaisseraitautantdelatitude.J’aicomprisaussiquejen’étaispasassezfortepourmebattresurtouslesfrontsàlafois,etquemonjobétaitfinalementtrèsconfortable,une enclave de paix dans ma vie bouleversée, pour filer la métaphore. Ce qui m’a aidée, en fin decompte,àfai…

Elles’interrompitetplaqualedoscontresonsiège,pourlaisserlapatronneleurservirleurscafés.– Les viennoiseries, c’est cadeau, leur dit cette dernière, en ajoutant sur la table une corbeille

contenantdeuxminipainsauchocolatetdeuxminipainsauxraisins.–Wahou!C’estNoël!Merci,ditNasrin.–Merci,répétamollementArmelle.Ellen’étaitpasàlafête,maispasautrente-sixièmedessousnonplus,commeelleleconstataitavec

un certain étonnement. La dispute avec Jean-Jacques Martin l’avait ébranlée par sa soudaineté et lavitesseàlaquelleleschosess’étaientenvenimées,maisellen’étaitpasabattue.Sielleétaitsincèreavecelle-même,elledevaitreconnaîtrequ’elleétaitmêmesoulagéedecequis’étaitpassé:ellenepouvaitqu’allerdel’avant,maintenant.Elleavaitmisdutempsàs’enrendrecompte,maisc’étaitexactementceàquoielleaspirait:queleschosesbougent,évoluent.

–Cequim’a aidée à faire le deuil dema relation avecSylvain, reprit-elle au bout de quelquessecondes. Il me restait quelque chose de stable et d’agréable : le boulot… Mais outre le fait quel’atmosphèreabeaucoupchangéaujournaldepuisledépartdeLionel,j’aiprisconscience,cesderniersjours,d’uncertainnombredechosesquejen’avaispasvuesjusque-là,ouplutôtquej’avaisvues,quimeconvenaient,etquinemeconviennentplus:l’aspectnonévolutifdemontravail,laroutineàlaquelle,ducoup,çam’aconduite,sansparlerdel’isolement…Àpartl’équipe,jenecôtoieabsolumentpersonne,professionnellementparlant…

–Ouh là !Grande remiseàplat, alors? fitNasrin, tout enmastiquant assezpeuélégammentunebouchéedesonpainauxraisins.

–Granderemiseàplat,oui…OnabeaucoupdiscutéavecJoël,lasemainedernière,etilm’aaidéeà envisager mon parcours différemment. C’est fou comme on peut être enfermé dans une vision deschoses,etcommetoutprenduneautredimension,quandonparvientàmodifiersonangledevue!Celadit,jenesaispasencorequeltypedejobjepourrairetrouver,maisjeprendslerisqueduchangement.

–«Prenezlerisqueduchangement!»Ondiraitleslogand’uncoachendéveloppementpersonnel.TuvascherchersurLyonuniquement,outuenvisagesaussilapossibilitédechangerderégion?

Armellepritletempsdeboireplusieursgorgéesdesoncaféetd’entamerl’undespetitspainsauchocolatavantderépondre.

–Lyon…Enfin,Lyon et la proche banlieue. Je ne vais pas partir à l’autre bout de la France aumomentoùleschosesvontpeut-êtreenfinévolueravecMaxence.

–Vousavezparlé?–Pasencore.Maisilm’apromisqu’ondiscuteraitsérieusementdèssonretour…–Et…?–Etrien.–Jesuissûrequesi.Tuasl’airaussijoyeusequesitum’annonçaislamortd’undeteschats.Armellesoupira.Parmoments,elledétestaitqueNasrinlaconnaisseaussibien.Maisc’étaitaussi

le signe de la profondeur de son amitié. Colette qualifiait certains de ses chats de « chats de grandequalité».Nasrin,elle,étaituneamie«degrandequalité»,commeonenavaitpeudansuneexistence…

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–Enfait,jenesaisplusquoipenserdesonattitude…J’ail’impressionquetoutluiestprétextepourdifférerlemomentoùilparleraàsonfils.Ettantqu’ilneluiaurapasparlé…

–Vousnepourrezpasenvisagerdevousinstallerensemble.Armelleacquiesça.–Audébut,c’étaitjustifié.Moi-même,jen’auraispasvouluqueleschosesaillenttropvite.Mais

çafaitneufmois,maintenant!Jenecomprendspaspourquoiiltardetantàsedécider.–Tunecomprendspas,outupréfèresnepastropcreuser?Armellerassemblapensivementautourdesatasselesmiettesqu’elleavaitfaitesavecleminipain

auchocolat.–J’aienviequemaviechange,Nasrin.Jemesensprêtepourlaviedefamille.Louism’aimebien.

Jen’auraipas le rôlede l’abominablemarâtre, siMaxenceetmoi,on s’installe ensemble.Etpuis, jevoudraisunenfant.

Nasrinsourit.–Jel’attendaisunpeu,celle-là.–J’auraitrente-sixansenseptembreprochain.Lesaiguillestournent…–J’ensaisquelquechose.Saufquepourtoi,laquestionducommentestmoinscruciale.–Jen’aipasl’intentiondeluiforcerlamainenarrêtantdeprendrelapilulesanssonaccord.–Évidemment!Cen’estpascequejesuggérais…Ilrentrequand?–Demaindanslajournée,etilraccompagnedirectementLouischezsamère.J’aicraintunmoment

qu’aveccettehistoiredefaussecoucheetd’hospitalisation, ilnedoive legarderplus longtemps,maisnon.Ilsreprennentlerythmehabituel.

–Oh,oh!Week-endentête-à-tête,alors?–Oui!–Yes I knowwhat’s on yourmind /when you say« staywithme tonight », semit à fredonner

Nasrinavecuneminedecroonerquifits’esclafferArmelle.Àcetinstant,sontéléphonevibrasurlatable.Ellejetauncoupd’œilàl’écranetnereconnutpasle

numéro.–C’estpeut-êtreletypedeTVRéalitésNouvelles…,dit-elle,prenantlacommunication.ElleavaitracontéàNasrinsa«soiréedecontedefées»,commeellel’appelait.Elleavaitattendu

l’appelducollèguedeJoëltoutelasemaineetcommençaitàsedirequ’ilavaitchangéd’avisàsonsujet.–Allô…–Armelle?C’estMichelFerenzi.EllefitleVdelavictoire.–BonjourMichel.Vousallezbien?–Oui,merci…Dites-moi,Armelle,c’esttoujoursd’accord,pourmonémission?–Biensûr…–Onenregistresamedienquinze.L’émissionpasseendifféré,est-cequejevousl’aidit?Rendez-

vousà13h30dansleslocauxdelatélé.Onprendraunedemi-heurepourfaireconnaissanceetparlerdelamanièredontçasepassera.Vousserezcinqinvités.Onverraaussicejour-làpourlesautorisationsdediffusiondespagesdevosblogs.Vosfraisdedéplacementetd’hébergementserontprisencharge,bienentendu.Voilà…Jevousaifaitpartdel’essentiel…Unecollaboratricereprendracontactavecvousd’iciquelquesjourspourlesmodalitéspratiques.

–Trèsbien…Elle aurait vouludire autre chose, semontrer unpeuplus réactive,mais tout cela était tellement

nouveaupourelle…–Jevousdisdoncàtrèsbientôt,Armelle.–Àtrèsbientôt,Michel.Aurevoir…

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Ellereposasonportablesurlatabled’unemainlégèrementtremblante.Soncœurfaisaitdesbondsdanssapoitrine.

–Jenesaispaspourquoiçam’emballeautant,cetteparticipationàl’émission…C’estpourtantloind’êtrelePulitzer!

–C’estsûr.Iln’empêche…Çafaittoujoursdubienàl’egoqu’onnousdisequ’onestbondanssapartie.

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7

Lesamedi,Armelleavaittournéenrondtoutelajournée.EllesavaitqueMaxenceneseraitpasderetouravantlemilieudel’après-midi,maisellel’attendaitdepuissonréveil.SophocleetEuripideaussitournaientenrond,ouplutôt,ilsluitournaientautour,étonnésqu’ellenesoitpasdevantsonordinateur,etplusd’unefois,elleavaitfaillitrébuchersureux.

Laveille,sonentretienavecJean-JacquesMartinavaitétédesplusbref.Ilattendaitmanifestementqu’elleseconfondeenexcuses,s’humiliedevant luipourconserversonposte,et ilavaitété tellementsouffléparsadéterminationàquitterlejournal,qu’ilavaitacceptésansbronchersalettrededemandederupturedecontratconventionnelle.Ilss’étaientensuitemisd’accordsurlesmodalitésdesondépart:pasd’indemnitésdelicenciement–ellen’enespéraitpas–,maisunedispensedepréavis:l’effetétaitdoncimmédiat. En vingt minutes à peine, elle était passée du statut de salariée à celui de demandeused’emploi.

Elles’étaitretrouvéedanslaruetoujoursaussiabasourdieparlarapiditéaveclaquelleleschosess’étaientenchaînées,maisivreaussidespossiblesquis’offraient–théoriquement–àelle.Biensûr,soncœur s’était serré, tandis qu’elle regardait une dernière fois la façade de l’immeuble, les garde-fousouvragésdesfenêtresdontlapeintures’écaillaitendenombreuxendroits.

Neufansauparavant,unejeunefemmeavaitlonguementscrutécettemêmefaçade,cesmêmesgarde-fous,maisdansuntoutautreétatd’esprit.Ellevenaitdedécrochersonpremierjobetelleétaitsortiedecet immeuble gonflée de bonheur et de fierté. Elle était repartie vers le petit appartement qu’ellepartageait avec son compagnon de l’époque, habitée d’un appétit à dévorer le monde. Ce qu’elle nesavaitpas,c’étaitque l’avenirallait sechargerde lui rogner lesdents,petitàpetit, sibienqu’elleneprendraitpasconsciencequecetappétitd’ogredeviendraitceluid’unesouris.Maisleschosesétaientsurlepointdechanger,ellelesentait!Uneénergienouvellesoufflaitenelle.Etpuis,Maxencen’allaitplustarder,ilsparleraientetelleespéraitvraimentquel’horizons’ouvriraitdececôté-làaussi.

Troiscoupsdiscretsàsaporteluiindiquèrentbientôtqu’ilétaitderetour.Enfin!Elle courut lui ouvrir et se jeta dans ses bras. Il la souleva avec un rire jeune et joyeux, la fit

tournoyer à demi sur le palier puis entra, la tenant toujours dans ses bras, et repoussa derrière lui lebattantaveclepied.Sansunmot,illaplaquacontrelemurdelapetiteentrée,glissalesdoigtsdanssescheveux,etplongeasonregarddanslesien.Touteslesphrasesqu’elleavaitpréparéespoursonretourfurentaussitôtengloutiesdansceregard.Quandelleétaitsiprèsdelui,danssachaleur,danssonodeur,elleperdait lecontactaveclaréalité.Ellen’étaitquevibration,attentedesesmains,desabouchesurelle…

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Maxencepritsonvisageencoupe,etsonregardsefitbrûlant,lebleudesesyeuxdevenupresqueardoise,cield’orage,detempête…Elleconnaissaitbien,maintenant,lasignificationdecettecouleur:c’étaitcelledudésir.Ilsepenchaverselleavecunelenteurqu’elletrouvainsupportable.Leurssouffleschaudssemêlèrentavantqueleurslèvresnesetouchent,puisleursbouchessetrouvèrentenfin,seprirentenunbaiserdévorant.IlsemblaitàArmellequecebaisern’auraitjamaisdefin.Ellenevoulaitpasqu’ilenait.Rester souderà lui.Sentir indéfiniment soncœurbattreviolemmentcontre le sien.L’embrasserjusqu’àoubliertoutcequin’étaitpaslui.Elleenroulalesbrasautourdesoncou,sepressaplusencorecontrelui,commepoursefondreenlui.

Ilmitfinàleurbaiserets’écartalégèrementd’ellepourlaregarderdenouveau.Ilneluiavaitpaslâchélevisageet,desespouces,luicaressaleslèvres.D’unepetitepression,illesluientrouvritetendessinalescontoursdelapointedelalangue.Enexploralapulpe,lamordilla,cherchasalanguepourl’abandonner aussitôt, prit sa bouche pour la laisser, dans un ballet aussi excitant que frustrant pourArmelle.N’ytenantplus,elleresserrasonétreinteautourdesoncou,luiimmobilisantlatête,pressasabouchecontrelasienne.Elleenroulasajambeautourdesahanchepourmieuxseplaquercontrelui.Sexecontresexe.CeluideMaxenceétaitdéjàdur;lesienpalpitait,inondédedésir.

La faimqu’elle avaitde lui,de sescaresses,de sesbaisers l’étonnait.Lepouvoirqu’il avaitdel’embraserd’unseuldesesregardsauxnuanceschangeantes,d’unseuldesessourires…LesexeavecSylvainavaitétéplaisant,léger;avecMaxence,ilconfinaitaumystique.Lessensationsqu’elleéprouvaitallaientbienau-delàdel’exultationdessens,delajouissancephysique.Elleseperdaitquandellefaisaitl’amouraveclui.Etelleadoraitseperdre!

–Tum’asmanquéàunpointquetun’imaginespas,dit-ellecontresabouche.–Toiaussi,tum’asmanqué…LesmainsdeMaxences’égarèrentsursoncorps,par-dessusletissudesarobe,puissousletissude

sa robe. Sa bouche chercha son cou, la naissance de son épaule, et elle sentit des frissons de plaisirl’envahir,annihilantpeuàpeusavolonté.Ellesecambra,fermalesyeux,laissantvenirlessensations.

Il lapritalorsdanssesbraset laporta jusqu’àlachambre.Armelle l’avaitpréparéecommeellel’aimaitpourl’intimitéaveclui: lesrideauxtiréssurlejourfinissant, lapetitelampesurlacommodeseule allumée, diffusant une lumière douce qui faisait danser leurs ombres sur les murs, un bâtonnetd’encensauxsenteurslourdes,orientales,achevantdebrûlersurlereborddelafenêtre.

Il laposasur le litet,dans lemêmemouvementoupresque, luiôtasarobede jersey, la laissantdans ses sous-vêtements de dentelle beige poudré et sa paire deDimUp. Il l’enveloppa d’un regardappuyé,gourmand,tandisqu’unlentsourireétiraitseslèvres.Cesourire,ellel’avaitattenduplusdedixjours.Ilsuivitduboutdel’indexlafinedentellequibordaitsonsoutien-gorge,s’attardaentresesseinsetremontadel’autrecôté,puisfitdemêmeaveclalangue,embrassantlecreuxdesoncou,àl’endroitoùsonpoulsbattait–trèsvite,trèsfort–,commepourmesurerlapuissancedesondésirpourlui.Mêmesielle le savait impatient de lapénétrer, tout commeelle était impatientequ’il la pénètre, s’ils aimaientaussil’amoursanspréambule,sedonnerl’unàl’autredansl’urgence,lafurtivitépresque,cen’étaitpascequ’ellesouhaitaitcesoir-làpourleursretrouvailles.Maxencenonplusvisiblement.Ilvoulaitmenerleschoseslentement,sensuellement,afinqu’ellesavourechaquesensation,anticipechaquecaresse…

Il fit jaillir de la dentelle un de ses seins et le prit dans sa bouche. Armelle sentit aussitôt sonextrémitédurcirsouslalanguedeMaxence,etleplaisirpulsajusqu’àsonventre.Elleserenditcomptequ’ellepoussaitdespetitsgémissements,etqu’elleluiavaitagrippélescheveuxpourluimaintenirlatêteplaquéecontreelle. Ilavaitempaumésonautreseinet lecaressaitdoucement, faisant roulersapointesoussonpouce.

Ellecherchasapeau,soussonpulletsonT-Shirt,parcourutfébrilementsontorse,sonventre,sondos.Maxencese redressaalors,afinqu’ellepuisse ledéshabiller.Elle s’empressade fairepasser lesvêtementspar-dessussatête,puis,lerepoussantpourqu’ils’allongesurlelit,semaunepluiedebaisers

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sur son ventre, tandis que sesmains défaisaient la ceinture de son jean, le bouton, en descendaient lafermetureéclair.Elleremontalelongdesontorse,trouvasabouchepourunbaiserlent,patient,etglissalamaindanssabraguetteouverte.Ellecaressasonsexepar-dessussoncaleçon.Elleaimaitlesentirdursoussesdoigts,imaginantlemomentoùcettevigueur,cetteforceseraitenelle,oùellelesentiraitalleretvenir,l’emplirtoute.

Elle fit glisser le jean le longde ses jambesetMaxence finitde s’endébarrasserd’uneoudeuxtorsions.Ilseredressaalorsetluienlevasonsoutien-gorgeetsonshortydedentelle,neluilaissantquesesbas.Puisillafits’allongeretlaregardalongtemps,sondoigtmatérialisantsursapeaulechemindesesyeux.Sabouche.Sonmenton.Soncou.Lesillonentresesseins.Sonventre.Sonsexe.Lecreuxentreses cuisses serrées. Elle les entrouvrit, lui laissant le passage. Il lui semblait que tout son être seconcentraitlà,maintenant,danscettepartiehumide,chaude,palpitantedesoncorps.

Il lui écarta doucement les cuisses, posa les lèvres sur son sexe et la caressa à petits coups delangue, s’insinuant chaque fois un peu plus en elle.À chaque coup de langue, l’impatience d’Armelleaugmentait;ellevoulaits’ouvrirplusencore,s’ouvrirtoute…Ellesefitcependantviolencepournepasjouirtropvite,maisprofiterdecettelentemontéeduplaisirquivenaitparvaguesdeplusenplusamples,deplusenplusfortes.Bientôtellen’ytintplus.Ellesecambra,poussalebassinenavant,s’offritautantqu’elleleput,etl’orgasmevint,sipuissantqu’elleencria.Ellevoulutselaisserretombersurlematelas,maisMaxenceluisaisitleshanchesetcontinuasescaresses,déterminéàprolongerenellelessensationsaussi longtemps que possible.Des spasmes la secouaient. Elle s’entendit crier encore, puis gémir, setordit jusqu’auxdernièressalvesduplaisir.AlorsseulementMaxenceconsentità la lâcher,maiscefutpourenleversoncaleçonetreveniraussitôtseplacerentresescuisses.

Illapénétrad’uncoupdereinspuissant,presqueviolent.Ellefermalesyeux,éperdue,pantelante,si bouleversée, comme chaque fois qu’il entrait en elle, qu’elle en laissa échapper un sanglot. Ilcommençaàalleretvenirenelle,d’abordlentement,puisdeplusenplusfort,deplusenplusloin,tandisqu’ellel’accompagnait,poussantleshanchesàsarencontre,accrochéeàsesépaules,lecœurbattantparsaccades, ouverte, toujours plus ouverte pour l’inviter à la posséder totalement. Elle était au-delà duplaisirphysique.Sentirsonsexebougerenelleavecunefrénésiecroissante,sentirsonpoidssurelle,l’odeurdesapeau,deleurplaisirmêlé,latransportaientau-delàdesmots.

Bientôt,unnouvelorgasmelasecouaetMaxencelarejoignitdansunedernièrepoussée,avantdes’écrouler sur elle. Ils restèrent ainsi un petitmoment, puis il roula sur le dos. Elle se nicha aussitôtcontrelui,lamainposéeàplatsursonabdomen,accordantsarespirationàlasienne.

Ilss’étaienttéléphonébrièvementlaveille,maiselleneluiavaitpasannoncéqu’ellenetravaillaitplusàVivreàLyon.Cen’étaitpasleplusurgent.Encetinstant,ellebrûlaitsurtoutdeluidemanders’ilavaitréfléchiàeuxdurantcesdixjours,commentilenvisageaitlasuite.Maisunetimiditéstupides’étaitemparée d’elle, et la question refusait de franchir ses lèvres. La timidité ?Ou la crainte de ce qu’ilpourrait lui répondre ? Et puis, n’était-ce pas à lui,maintenant, de prendre la parole, sans qu’elle lesolliciteunefoisencore,sansqu’ellesefasse,unefoisencore,l’effetd’êtrecellequiquémande,insiste,harcèle?

–Quelleheureilest?demanda-t-ilauboutd’unmoment.Elleattrapasonréveil,surlatabledenuit,etyjetauncoupd’œil.–18h15.–Déjà!Ilfautquej’yaille…Elle se redressa,commepiquéeparunaiguillon,et sescheveuxdétachésbalayèrent leventrede

Maxence.Ellelesrejetaenarrièred’ungesteimpatient.–Quetuaillesoù?Tuviensderentrer.–C’estvraiqu’onn’apasbeaucoupparlédepuisquej’aifrappéàtaporte…Ileutunpetitriresensuel.

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–…Mesdeuxanciensélèvesm’ontappelé,hier.Tusais,ceuxquej’aidepourleurduocomique.Jet’en ai parlé. Ils voudraient que j’assiste à leur répétition, ce soir. Ils jouent demain enmatinée et ensoirée.

–Mais…Jepensaisqu’onpasseraitlasoiréeensemble.J’avaisprévuundîner…Unsouperfin,même,qu’elleavaitcommandéchezuntraiteur.Etunpouillyfuméattendaitaufrais

depuislafindelamatinée.–C’estimportantpoureuxquej’ysois,Armelle…–Et c’est importantpourmoique tu sois là.Onvientdepasserquinze joursoupresque sans se

voir!Oh!commeelledétestaitcettevoixgeignarde!Maisaussi,pourquoifallait-ilque toutsoitaussi

volatilaveclui?Parmoments,ellen’étaitpasloindecomprendreMarylène,quis’étaitlasséed’avoirunmariaussiinsaisissable.

Ilfitcourirdeuxdoigtssursapeau,lesourirecoquin,leregardcâlin.–Etsituvenaisavecmoi?Jesuissûrquetonavisleurapporteraitbeaucoup.Lesdeuxdoigtseffleurèrentsesseins,s’attardèrentsurleurpointe.Aussitôt,uncourantlaparcourut,

reliantdirectementsesseinsàsonsexe.– Et on reporte le dîner à demain soir…, continua-t-il, traçant avec son souffle des cercles

concentriquesautourdesonnombril.Comment lui dire non, quand il jouait d’elle comme cela ?Elle était comme une harpe éolienne

vibrantaumoindrezéphyr.Illesavaitets’enservait,exactementcommeilétaitentraindelefaireencetinstant,pourdésamorcerlespetitsconflitsnaissants.

Leurgrosconflitlatentaussi,sielleyréfléchissaitbien…Celuiquicouvaitdepuisplusieursmois,mêmesiellerefusaitd’ysongercommeàunproblèmemajeur.Qu’avait-ilfait,chaquefoisqu’elleavaitessayé d’évoquer avec lui un avenir commun, sinon éluder, envelopper de tendresse son invariable« laisse-moi un peu de temps » pour mieux obtenir son assentiment, affaiblir sa combativité par sesbaisers,sescaresses?Àsaquestion«quand?»–«quandest-cequetuparlerasàLouis?»,«quandest-cequenousparleronsdenous?»–,ilrépondaitparlasensualité,luimontranttoutledésirqu’ilavaitd’elle,maispassonenvied’unevieavecelle.

Cetteprisedeconsciencel’ébranla.Non…Ellesetrompait.Ill’aimait.Ilneleluiavaitjamaisditouvertement,mais…

–Maxence…Dis-moiquetum’aimes.Dis-moiquejecomptepourtoi,quetuneveuxpasmeperdre.–Oui?–Non,rien…Onyva?

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8

Lasallesesituaitdanslesous-sold’unbaràtapas,dansSaint-Jean.Uneanciennecavevoûtée,àlaquelle on accédait par un escalier à vis assez glissant, non dépourvu de caractère avec son axe enpierres taillées et sculptées à lamanière des chapiteaux d’église.Un détail pour lemoins incongru,songeaArmelle,saufsicettecaven’étaitpasunecaveaumomentdelaconstructiondel’immeuble.IldataitdumilieuduXVIIIesiècle,commel’indiquaitunepetiteplaqueenfaçade,dontl’objetétaitsurtoutd’attirerl’attentiondespromeneurssurlagaleriecouvertequicouraitsurtoutledernierétage.

Unplateau,étroitetlong,occupaittoutlemurdufond,tendud’unrideaudescènenoir.–Ilsontcalculéleursmarques,leursdéplacementsetleséclairagesdansl’idéequ’ilsévolueraient

surunescèneauxproportionsplusclassiques…,expliquaMaxence.Ilsontpaniqué,hier,quandilsontvucommentcelle-ciétaitfoutue…Ilfauttoutrevoir.

Un second rideau noir masquait l’entrée d’une autre pièce qui faisait probablement office decoulisses, de loged’artiste et d’entrepôt dematériel.La jauge était d’une trentainedeplaces à peine,matérialiséespardeschaisespliantesenplastiquetransparent.

Des endroits comme celui-ci, il y en avait des dizaines à Lyon.Armelle les connaissait tous oupresque.Ilsaccueillaientsurtout,comptetenudeleurpetitetaille,desone-manshows,desnumérosdestand-up,desmisesenvoixetenespacedetextes,trèsrarementdespiècesdethéâtre,etcelui-ciencoremoinsqued’autres,comptetenudelaconfigurationtrèsparticulièredelascène.

Un jeune homme était en train de régler l’un des deux projecteurs qui flanquaient chacune desextrémitésduplateau.Unegrossevalise,ouvertedevantlapremièrerangéedechaises,laissaitvoircequidevaitêtreunerobeàpois,uneperruqueboucléeetunsacencuirusé.

–Salut,Max!lança-t-ilenlevoyant.Mercid’êtrevenu,vraiment.Tunoussauveslavie!Bonjour,ajouta-t-ilàl’intentiond’Armelle.

–Salut,Quentin.VoiciArmelle,uneamie.–Tuveuxbienresteroùtues,s’teplaît,etmediresiladécoupeestàpeuprèsauxdeuxtiersdela

scène…Armellefutsurpriseparletutoiement–maisaprèstout,ceQuentinétaitunancienélève–,parle

diminutif,etcontrariéed’avoirétéprésentéecommeuneamie.Pourquoipasmonamie?Macompagneétaitcertesprématuré,maisuneamielareléguaitdanslamasseindistinctedesesconnaissances.Or,elleespéraitbienêtreunpeuplusquecela!QuantàMax…Jamaisellenel’avaitappeléainsi.Pourelle,ilétait toujoursMaxence,commeilétaitMaxoupourMia,et l’entendreappelerautrement,c’étaitunpeucommes’ildevenaitsoudainuneautrepersonne.

Maxenceenlevasaparkaet laposadistraitementsurunechaise,puis il fitquelquespasdecôté,pourseplacerfaceàlascène.

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–Unchouiaàgauche,Quentin…Encore…Hop!Parfait!Quentindésignaalorslacroiséed’ogivesquiconstituaitleplafond.–Commeyapasmoyendesuspendrelabouleàfacettes,pourlascènedelaboîtedenuit,jeme

demandais s’il ne fallait pas prévoir un second projo de ce côté avec une gélatine rouge, histoire demarquerlechangementdelieu.

Maxencesecoualatête,etfitunemouesceptique.–Àtester…,dit-il.Lecomiquereposeessentiellementsurlesmimiquesd’Anaïs,àcemoment-là.

L’éclairagedoitsoulignersonjeu,pasl’estomper.–Onparledemoi?Armelleseretourna.Unejeunefillevenaitd’entrer,vêtueetmaquilléedefaçonsivoyantequ’elle

nepouvaitêtrequ’encostume.–Salut,Max…Elle passa familièrement le bras autour des épaules deMaxence et lui fit deux baisers sonores,

laissant l’empreintedesaboucheenrosefuchsiasurses joues.Puisellese tournaversArmelleet luitenditlamain.

–Bonjour…Quentinsautasouplementdelascèneetlesrejoignit.– Je me souviens de vous, leur dit Armelle aimablement. J’ai assisté à votre atelier, l’année

dernière.–Etvousavezaimé?–Oui,beaucoup.J’aimêmeécritunarticle.–Dansqueljournal?–Surunblog,enfait.Sansfaux-fuyants.Votreclassem’avaitinvitéeàvenirvoirvotretravail…Puisqu’elle allait apparaître à visage découvert pour l’émission de Michel Ferenzi, autant

commencer à s’yhabituer !Elle était déjà démasquée àVivreàLyon, non que Joël ait trahi le secretqu’elleluiavaitdemandédegarder,maisàcaused’uneimprudencedesapart.Elleavaitfaitcequ’ellene faisaitpourtant jamais : elle avaitutilisé sur leblogetdans le journal lamême formulepercutantecommechapôpourlesdeuxarticlesqu’elleavaitécritssurlarentréelittéraire.Jean-Jacquesétaittrèsaufait de ce qui se passait sur Internet – on pouvait au moins lui accorder cela – et avec son succèsgrandissant,Sansfaux-fuyantsn’avaitpaséchappéàsaveillenumérique.Iln’avaitpaseudemalàfairelerapprochement.

–Sansfaux-fuyants,c’estvous,alors?demandaAnaïs,puiselleajouta,setournantversMaxence:tunousavaiscachéça!

–Enmaidernier, jeconnaissaisàpeineArmelle.J’ignoraisencorequec’étaitellequisecachaitderrière.

Ils avaient joué à un petit jeu de cache-cache assez drôle, d’ailleurs. Enfin, elle avait joué…Pendantplusieurssemaines,elleneluiavaitriendit,maisavaitréponduavecunsointoutparticulierauxcommentairesqu’illaissaitsurleblog.IlsignaitMaxou2406.Puisaucoursdel’été,elleavaitcommencéàsemerdes indicesdanssesmessages,unmot,unephrasequ’ilavaitditedans lavieréelleàproposd’unfilm,d’unbouquinoudetoutautrechose,jusqu’àcequ’ilcomprenne.

–Bon,allez…Enscène,maintenant…, lespressaMaxence.Revoyonsd’abord lesdéplacements.Onreprendral’éclairagequandilsserontfixés.

Armelles’installasurunechaise,etpendantplusdedeuxheures,ensuite,ellevitMaxencecommeelle ne l’avait encore jamais vu et comme elle ne pensait pas le voir un jour : en metteur en scèneprofessionnel. Il commentait, montait sur le plateau pour mimer, corriger une attitude, montrer undéplacement,prendre laplaced’undesdeuxcomédiensafinquel’autre jugede l’effetdepuis lasalle,suggéraitunegestuelle,modifiaitladispositiondesquelquesaccessoiresetpiècesdedécor…Cen’était

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plusdutoutl’hommequ’elleconnaissait.Ilétaittransfiguré.Mêmelorsqu’ilétaitavecLouis,iln’avaitpas cette lumière au fonddes yeux, ce dynamisme, cette ferveur qui semblait sourdre de son être toutentier.Cen’étaitpascetteforcequil’emportait,lesoulevait,quandilsfaisaientl’amour…Iln’étaitplusseulementbeau,charmant:ilétaitcharismatique.

Et c’était extrêmement troublant pour elle d’en prendre conscience. Elle qui s’était beaucoupprojetée enpenséedansunevie future avec lui, durant les derniers jours, forte de sapromessequ’ilsparleraient d’eux à son retour, elle contemplait, sidérée, cet homme qui allait et venait dans la salle,occupaitl’espacedesesgestes,desesmots.Cethommequi,àaucunmoment,neluiavaitjetéunregard,avait guetté son approbation, cherché à connaître son opinion sur les sketchs comiques qu’Anaïs etQuentinrépétaient,affinaientdevantelle.Plusrienn’existaitpourluiquecequisepassaitsurlascène;plus rien ne comptait qu’approcher au plus près la justesse du jeu, du ton, des expressions, desmouvements.Sesélèvesl’adoraient:elleencomprenaitàprésentlaraisonprofonde,quin’avaitrienàvoir avec une quelconque compétence pédagogique ou la gentillesse : Maxence n’enseignait pas lethéâtre,illevivait,lerespirait!

***

Ilsavaientterminélarépétitionvers22h30.Ilss’étaientensuiteattardésàl’étage,discutantthéâtreencore,toutengrignotantdestapasetenbuvantunverredevinblanc.AnaïsetQuentinavaientévoquéleursprojets, lamanièredontilsenvisageaientleuravenir,qu’ilsentendaientdédieràleurpassiondesplanches.Armelles’étonnaalorsdedécouvrirqu’ilsn’étaientpasuncoupledanslavieréelle.Justedeuxtoutjeunescomédiensquiselançaientdansunpremierspectacleprofessionnel,mêmes’ilsn’avaientpasencoreterminéleurformationàl’ESAT.Puisellesesurpritdes’êtreétonnée,d’avoirétébernéeparcequiétaitladéfinitionmêmedelascène:l’illusion.SonDEAportaitsurlethéâtre,pourtant!Cen’étaitpasparcequ’AnaïsetQuentin incarnaientdans leurssketchsdeux«adulescents»quis’installaientencoupleetfaisaientl’expériencedesaffresetbonheursdelavie«desgrands»,qu’ilsvivaientforcémentensemble.

Ils avaient également questionnéMaxence sur l’aventure deCour& Jardin, voulant tout savoir :comment leprojetétaitné,comment,des troiscopainsqu’ilsétaientaudépart, ilsavaientconstitué lapetitetroupepermanente,commentlui-mêmeavaitconjuguésesfonctionsdecomédien,metteurenscèneetmanager, les spectaclesqu’ilsavaientmontés, les tournées…Et tandisqueMaxence leur répondait,Armelleavaitpris toute lamesuredecequ’il avait abandonné.Ellen’avait jamaisosé lequestionnercommeAnaïs etQuentin osaient le faire, parce que, contrairement à eux, elle connaissait l’envers dumiroir, le père qui surinvestissait sa relation avec son enfant parce que tout ce qu’il leur racontait,justement,l’avaittroplongtempstenuéloignédelui.Maxencenes’étaitjamaisconfiéàelle;iln’avaitlâchédesonpasséquelestrictminimum.

Ilsavaientquittélebarversminuitetdemi.Commelanuitétaitdouceetclaire,ilsavaientdécidédenepasrentrertoutdesuite,maisdeflânerunpeu.

IlsremontaientàprésentlarueJuiverieàpaslents,endirectiondelagareSaint-Paul.Maxencene

disait rien, prisonnier de pensées qu’Armelle devinaitmoroses.Nul doute que la discussion avec sesanciens élèves avait remué des souvenirs, des émotions qu’il aurait préféré laisser dormir dans lesprofondeursoù,depuisprèsd’unan,illesavaitrelégués.

N’osantbriserlesilence,decraintequesesparolesneluisemblentdérisoiresounel’agacent,elles’absorbadans lacontemplationduLyonsecretquineserévélaitque lanuit.Depuisque lavilleétaitinscriteaupatrimoinemondialdel’Unesco,lesdispositifsd’éclairages’étaientmultipliésdansleVieux-Lyon, afin demettre en valeur les particularités architecturales des immeubles anciens, si nombreuses

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dans le quartier. Les gargouilles, qu’on remarquait à peine dans la journée, surgissaient des façades,comme avides de vivre des heures qui leur étaient comptées. Des cariatides, de fragiles déesses auxtressesentrelacéesdefeuillagerevendiquaientledroitdes’extrairedel’immobilitédepierreàlaquellel’agitationdespassants,lebruitdesvoitures,l’activitédesboutiqueslescontraignaientlejour.

Lorsqu’ils s’engagèrent sur le pont de la Feuillée, en direction de la presqu’île, elle s’arrêta uninstant.LavillesereflétaitdansleseauxmouvantesdelaSaônequiétiraientlesbâtiments,déformaientles toitures, transformaient les lumièresdes lampes,derrière lesfenêtres,enfeuxfolletsdansantà leursurface.Ledécortoutentierprenaitvie,animéd’unefrénésiebaroque.

Maxencevintseplaceràcôtéd’elle,et,s’appuyantauparapet,contemplaluiaussilarivière,grosanimal bigarré dont la respiration liquidemontait jusqu’à eux.Desgensdiscutaient, enbas, au ras del’eau,sur lapromenade.Leursmurmures leurparvenaientpar intermittence.Étaient-cedespromeneursquiavaientstoppéuninstantleurdéambulationpours’imprégner,commeeux,delapulsationnocturnedelaville,oudesSDFinstallantleurcampementéphémèrepourdormir?

–Jen’yarrivepas,tusais…,dit-ilsubitement.Il laissa passer un temps, et le silence les enveloppa de nouveau. Quelqu’un, au-dessous d’eux,

cria:–Ilestlà,Jo.Ils’étaitfourrédansuncarton!Puislejappementd’unchiotsefitentendre.DesSDF,donc…,songeaArmelle.Elleglissasonbras

sousceluideMaxenceetappuyasajouecontresonépaule.Ellesentaitqu’ellenedevaitpasparler,maisellevoulaitqu’ilsachequ’elleétaitattentive.

–Àlaisser toutçaderrièremoi…J’aiessayé…L’annéedernière,quandmesélèvesontprésentéleuratelier,j’aimêmeressentiquelquechosedetrèsfort.Ilsm’ontattendri,tous,suspendusàmeslèvres,attendantmesderniersconseils,alorsqueleurcœurbattaitdecetteémotionsiparticulièrequiprécèdeuneentréeenscène.J’aicruquej’avais trouvémaplace,manouvelleplace…Nonplusdanslefaire,maisdanslatransmissiond’unsavoir-faire…J’aicruqueçamesuffirait…

–…Mais çane te suffit pas, termina-t-elle doucement, pourbien luimontrer qu’elle était à sonécoute.

–Non.Jamais encore elle ne lui avait vu ce visage, fermé, dur, comme s’il s’arc-boutait intérieurement

contre une souffrance dont il savait qu’elle finiraitmalgré tout par le submerger. C’était la raison, lavolontéderéparationvis-à-visdeLouisquiavaitdictésonchoixdequitterGrenobleetlatroupe,nonsoncœur.Soncœur,ellel’avaitcomprisenl’entendantparleràAnaïsetQuentin,l’avaitconstatédesesyeuxenlevoyantlesdiriger,sienthousiaste,sivivant,appartenaittoujourstoutentieràCour&Jardin,àlabohème,àlachaleurdesprojecteurs,l’effervescencedujeu,l’exaltationquirestaitencore,desheuresaprèsletomberdurideau…

–Jemesensperdu,Armelle.J’ail’impressiondemetromperdevieetjenesaispluscequejedoisfaire…Jen’arrivepasàaccepter l’idéequemavievaêtresemblable,pourdesannéesetdesannéesencore,àcellequejemènedepuisunan.

Ellereçutcetaveudouloureuxcommeuncoupdepoignarddans leventre.Etelle,dans toutça?Est-ce qu’elle faisait aussi partie de l’erreur ?De cette vie qu’il avait endossée indûment, commeonendosse,ensortantd’unrestaurant,lepardessusd’unautre,piochéparinadvertancedanslevestiaire?

Pourtant,malgrécesparolesquiluifaisaientdumal,elleauraitvoululerassurer,affirmerquelesmois,lesannéesàvenirluiseraientplusdouces,qu’ilfiniraitpartrouverunéquilibre.Elleauraitaussivoulus’enpersuaderelle-même.Maislavérité,c’étaitquel’alternativequ’ils’étaitimposée–sonfilsoulapassiondetoutesonexistence–leconsumaitàpetitfeu,leprivaitdesonaxevital.Ilyavaitdespertes,cellesquitouchaientàl’essencedel’être,dontonneguérissaitjamais.EtcequeMaxenceavaitperduétaitdecetordre-là.

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Alorselleneditrien.Àquoibon?Elleavaitdésormaislaréponseàlaquestionquilataraudait.TantquelecœuretlaraisondeMaxenceneseraientpasenphase,tantquelaréalitédesesjoursseraitàl’opposé de la seulemanière de vivre qui faisait sens pour lui, qui était pour lui le selmême d’uneexistenceaccomplie,ilresteraitincapabledeseprojeterdansunaveniravecelle,encoremoinsdansuneviedefamille,avecd’autresenfants…

Plustard,chezelle,illuifitl’amouravecrage,ettandisqu’ils’endormait,elleattenditenvainlesommeil,lesyeuxgrandsouvertsdanslenoir,écraséeparlepoidsdecetteévidence:ellen’avaitaucunaveniraveclui.

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9

Le tapis avalait les bagages avec la régularité d’un monstre affamé mais tranquille : les deuxénormesvalises, identiques,queMiaetFlorians’étaientachetéesspécialementpourleurdépart,et lesdeuxsacsdevoyageentoilesiremplisqueMaxencesedemandaitsilesfermetureséclairnelâcheraientpasavantlafindutrajet.Lorsqu’ilseurententièrementdisparuderrièrelerideaudecaoutchouc,dûmentmunis de leurs étiquettes et codes autocollants, l’hôtesse tendit àMia leurs cartes d’embarquement etleurs passeports, en leur souhaitant bon voyage.Mia les saisit, et les serra sur son cœur comme s’ils’agissaitdetalismans.Puistoustroiss’éloignèrentpourlaisserlaplaceauxsuivants.Ilsdurentbataillerentre les valises, les sacs, les chariots et la foule compacte qui se pressait aux guichets en filesirrégulièrespourgagnerunezoneplusdégagée.

LedépartdeMiabouleversaitMaxence.Nonpasparcequ’ilétaitinquietdelavoirpartir.Ilétaitbiensûrunpeusoucieuxdecequil’attendaitauboutduvoyage,impatientd’avoirdesdétailssurcequeserait sa vie durant l’année à venir, de voir les premières photos pour s’en faire une représentationconcrète,maiscen’étaitpascelaqui leremuait tant.Lesnombreuxrenseignementsqu’ilavaitprissurl’ONG que Florian etMia rejoignaient à TingoMaria, dans la province de Leoncio Prado, l’avaientrassuré.C’étaituneassociationquivenaitenaideàdesenfantsetdesadolescentsensituationdifficileviadesvillagesd’accueiletdescentresd’enseignement.Elleétaitdéclaréed’intérêtgénéralenFranceetinscriteàl’Agencepéruviennedecoopérationinternationale:unedoubleaccréditationquitémoignaitdesonsérieuxetdesalégitimité.

Non, ce n’était pas cela qui l’agitait intérieurement, le blessait…C’était ce que ce départ disaitd’elle, de son état d’esprit, de l’énergie qu’elle jetait devant elle comme un feu d’artifice, et ce quedisaient de lui sespropres choix. Ils étaient le positif et le négatif de lamêmephoto argentique, elle,colorée, lumineuse, contrastée, lui, fait de gris éteints. Exactement comme quinze jours auparavant, ils’était senti le négatif d’Anaïs et Quentin. Mia était habitée d’une fougue, d’un appétit de vivre etd’entreprendrequ’ilavaitéprouvésluiaussi,d’uneflammequil’avaitanimédelamêmemanière,etsurlaquelleilavaitsoufflé,lejouroùilavaitchoisidemenercetteexistencecalmeetrangéed’enseignant,afindelaisseràLouislaplacequ’ilétaitendroitderéclamerdanssavie.Ilavaitvouludevenirunpèreirréprochable.L’avaitvoulusincèrement.Levoulaitencore.Maiscefaisant,ilavaitrompuaveclapartlaplusvivantedelui-même.Ilavaitcrusecaparaçonnercontrelessouvenirs,lesregrets.SadiscussionavecAnaïsetQuentinluiavaitprouvéqu’iln’enétaitrien.LedépartdeMianefaisaitqu’attaquerplusencoresonarmure.Etqu’ilsesoitenoutreautoriséàparlerdesonmalaiseàArmelle,qu’ill’aitparlàmêmenommé,lerendaittoutàfaitréelmaintenant.

IlétaittrèsfierdeMia,celadit,desonaudace,dugenredejeunefemmequ’elleétaitentraindedevenir.Lepremiermomentdesurprisepassé, ilavait longuementreparléavecelledeceprojet,et il

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étaitpersuadéquecetteexpérienceluiapporteraiténormémentsurleplanintellectueletaffectif.Ilétaitégalementpersuadéqu’elle-mêmesauraitapporterbeaucoupauxenfantsdontelleallaits’occuper.

–Ilrestevingtminutesavantledébutdel’embarquement.Onseboitunpetitcafé?proposaFlorian,désignantunetablelibreàproximitéd’unkiosquequivendaitdessandwichsetdesboissons.

–Bonneidée,réponditMia,filantsanslesattendres’installeràlatable,depeursansdoutequ’ilsnesefassentsoufflerlaplace.

Ledécollageétaitprévuà17heuresetilsn’arrivaientqu’à10heuresdumatin,lelendemain.–Redonne-moiledétaildutrajet,demandaMaxenceens’asseyantenfaced’elle,tandisqueFlorian

leurfaisaitsignequ’ils’arrêtaitaukiosqueàjournaux.Commeça,jepourraivoussuivreenpensée.Ilavaittenuàlesaccompagnerjusqu’àOrly.IlnepouvaitsecontenterdedireaurevoiràMiasur

unquaidelagaredelaPart-Dieu,commesiellepartaitsimplementpourunesemainedevacances.Cedépart était trop important pour qu’il ne s’accompagne pas, de sa part, d’une manifestation qui ensoulignaitlasolennité.

Miasortitunpetitporte-documentsdesonsacàdos.–ArrivéeàMadridà19h05.Puiscinqheuresd’attente.DépartpourLimaàminuittrente-cinqet

arrivée demainmatin, à 7 heures, heure locale. Encore deux heures d’attente, puis départ pour TingoMaria.Arrivée,10heuresdumatin…

ElleénuméraitlenomdesdestinationsetleshorairesavecunairsigourmandqueMaxencesemitàrire.

–Jet’envie,tusais…–Dequoi?Onyvapourtravailler.Paspourpasserdesvacances!–Jelesaisbien,Mia.Etcen’estpaspourçaquejet’envie.–Pourquoi,alors?–Pourcettepossibilitéquetuasdepartir,dujouraulendemain,surunautrecontinent…Pourcette

libertédedisposerentièrementdetavie…–Toutlemondel’a,non?Ileutunsourireunpeutriste.Souslajeunefemmeenpleinemutation,ilrestaitencoreparmoments

unpeudel’adolescentepourquic’étaittoutourien.Privilègedel’inexpérience…–Ilarriveunâgeoùçadevientunpeupluscompliqué.–Passûr…–Si,Mia…Biensûrquesi!TuasdelachancequeFlorianparteavectoi.Qu’est-cequetuaurais

fait,s’ilavaiteuunautreprojetqueletien,ous’ilavaiteudescontraintesd’unequelconquenature?Elleprit letempsderangersonporte-documentsdanssonsac,puis,relevantlatête, ledévisagea

longuement.– Des contraintes, on en a tous,Maxou, tu ne crois pas ? De nature certes différente selon les

personnesetlescirconstances…Et,jesuisd’accordavectoi,ilenexisteaveclesquellesonpeutmoinscomposer.Celadit,onn’aqu’unevie!

Unefoisencore,ileutl’impressiontrèstroublantequec’étaitellel’aînéedesdeux.– Il y a unmoment, reprit-elle, où il faut se demander ce qu’on veut vraiment. Libre à chacun,

ensuite, d’y consacrer ou non la plus grande partpossible de sa vie, compte tenu de ses contraintes.Alors,oui,c’estvrai,avecunjeuneenfant,tun’espasaussidisponiblequejelesuis,maiscen’estpaspourautantquetudoist’oublier.Jesaisquelejeuetlamiseenscènetemanquenténormément.Jesaisaussiqu’enseignertefrustreplusqueçanet’épanouit,quoiquetuendises…MaisLouisneserapasplusheureuxauprèsd’unpèrequiluiasacrifiécequ’ilestvéritablementqu’avecunpèretoujoursabsent…

Maxence ne trouva rien à répondre, parce que les paroles deMia n’appelaient aucune réponse.Ellesétaientjustes,pondérées.Lumineuses.Etilsutalorscequ’ildevaitfaire.

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–J’aiprisunGéo,lesInrocks,LeMondediplomatiqueetça…,annonçaFlorianquivenaitdelesrejoindre.

Ilfitglissersurlatable,endirectiondeMia,unerevuesurlapetiteenfance.–Jemesuisditqueçapourraitt’intéresser…Vousavezcommandé?–Non,ont’attendait,réponditMia.Maisjecroisqu’onn’aplusletemps.Florianconsultasonportable.–Eneffet…Désolé,jen’auraispasdûm’arrêterauxjournaux.–Çanefaitrien,ditMaxenceenselevant.L’heuredelagrandeaventureasonné!Il les accompagna aussi loin qu’il le put, puis les suivit des yeux, ensuite, à travers les grandes

vitres,tandisqu’ilspassaientleportiquedeladouaneetsedirigeaientverslapasserellecouverte.Justeaumomentdedisparaître,Miaseretournaetluifitdegrandssignes.Illuisourit,agitalamain,luiaussi,submergéd’émotionetl’œilhumide.

***

Lewagonétaitplongédanslapénombre.C’étaitàpeinesiArmelledistinguaitlesautresvoyageurs.Enfaced’elle,unejeunefilledormait.Sarespiration,légèrementsifflante,troublaitseulelesilence.Elleavait rarement voyagé dans une ambiance aussi calme. Heureusement… Ce soir, elle n’aurait passupporté ce qui rend si pénibles les voyages en train de façon générale : les sonneries de portablesintempestives,lesconversationssansintérêtdonttoutlemondeprofite,lesenfantsbraillards,lesbruitsdesconsolesdejeuxportables…Elleavaitunemigraineatroce–résultatdesdeuxheuresqu’elleavaitpasséessur leplateaud’enregistrementde l’émission, sous la lumièreblancheetvivedesprojecteurs,puisdeladiscussionqu’elleavaiteueensuiteavecMichelFerenzi.Elleappuyasonfrontcontrelavitreoùperlaitdelabuée,dansl’espoirdesoulagerladouleur.

Aprèsl’enregistrement,Michelavait tenuàl’accompagnerenvoiturejusqu’àNice,oùelledevaitprendre sonTGV. Ils étaientenavanceetMichel, au lieude ladéposer simplement, lui avaitproposéd’allerprendreuncafédansunpetitbistrotprèsde lagare.Là, il luiavaitproposéunecollaborationdurable : TV Réalités Nouvelles avait en projet deux programmes courts – deux fois trois minutesd’antenne–,dontl’unseraitunesortedesatellitedesonémissionsurlesphénomènesdesociété.Ilavaitcarte blanche pour la forme et les thèmes, et cherchait quelqu’un pour travailler avec lui à cetinterprogramme,quelqu’unquiconcevraitlecontenu,puisleprésenterait.Ilvoulaitcommencerparunesériesurleblogging,sujetquiluitenaitàcœur,etilavaitsongéàelle.

–JesaisparJoëlquevousnetravaillezpluspourVivreàLyon,maisvousyaurieztravailléquejevousauraisfaitlapropositionquandmême.Ils’agiraitdetracerunecartographiedelablogosphère,dansle prolongement de l’émission que nous venons d’enregistrer. Un blog par jour. Cinq jours sur sept.Toutes thématiques confondues. Blogs professionnels ou non. Y compris le phénomène des chaînesprivéesdeYouTubeouDailymotion.

Elleluiavaitdemandéquelquesjoursdedélaipourluidonneruneréponse.RéponsequidépendraitentièrementdecequeMaxenceseraitenmesureounondeluioffrircommeperspectivesd’avenir.Lefaitqu’ellesetrouvaitenrecherched’emploietqu’onvenaitdeluienserviruntoutcuitsurunplateau–etquelemploi!–lesmettaitaupieddumur.Elleétaitprêteàlaisserfilercetteopportunitéinespérée,sidesoncôté,ilmanifestaitlavolontédes’investirplusqu’ilnel’avaitfaitjusque-làdansleurrelation.Ellevoulaitbienrenonceràunjobexcitant,prendrelerisquederesterdesmoisetdesmoisauchômage,si,de l’autre côté de la balance, il y avait un homme qui l’aimait, le désir réciproque d’un enfant, unevéritableviede famille…Maisellenepouvaitpas renoncerà toutpourquelqu’unqui la laissaità lapériphériedesavie.

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Celadit,elleavaitpeud’espoir.Elles’attendaitplusàuneconfirmationdecequ’elleavaitentrevule soir de la répétition, qu’à la promesse d’un avenir radieux. Depuis ce soir-là, les choses avaientcommencé à se déliter entre eux. Ils s’étaient assez peu vus,mêmedurant la semaine queLouis avaitpassée chez sa mère. Maxence avait justifié son indisponibilité par la reprise des cours et unecommissionà laquelleon lui avaitdemandédeparticiper,mais lavérité, c’étaitque sesaveux, sur lepont,avaientmisenrouteunprocessusinsidieuxquileséloignaitl’undel’autre.Ilfallaitqu’elleenaitlecœurnet,queMaxencesedécideenfinàluidireclairementleschoses.

***

Maxenceluiavaitditqu’ilpasseraitlavoirledimanchedansl’après-midi,àsonretourdeParis,oùilavaitaccompagnéMiaetFlorian.IlavaitdûattraperunTGVplustôt,carilfrappaàsaporteentoutefindematinée.Pasaumeilleurmomentpourelle :elles’apprêtaitàdonnerdessoinsàSophocle,quiavaitdepuisquelquesjoursunvilainabcèssurleventre.EllesoupçonnaitEuripided’yêtrepourquelquechose.Unpetitcoupdegriffesournois,peut-être,pendantquel’autreseprélassait,lespattesenl’airetlatêtecolléeauventilateurdesonordinateur.Petitcoupdegriffequiluiavaitjusqu’àprésentcoûtéunpeuplusde100eurosenhospitalisationvétérinaire,gaze,sparadrapetantibiotiques,sanscompterl’achatdelacorolleenplastiquequiluientouraitlatêtepourl’empêcherdeselécheretd’arracherlepansement,etluidonnaitl’aird’unebonnesœurencornette.

Elle l’avait hissé sur la table de la cuisine, mais il avait profité de ce qu’elle allait ouvrir àMaxence pour se carapater. Il titubait à présent dans le salon, se cognant auxmeubles, incapable des’orienteretdeprendreencomptelanouvellelargeurdesatête.Sonavancéeerratiquedanslapièceeutl’avantagedelesfairerireetdedissiperlalégèretensionquiavaitimmédiatementsuccédéàl’entréedeMaxence.

Cedernierselançaaussitôtàlapoursuitedufuyardetleramenamanumilitaridanslacuisine,oùArmelleattendaitavecuncarrédecotonimbibédedésinfectant.

–Monpauvrevieux!Tuesmalbarré,aveccetruc!Ilestvraimentobligédeporterça?– Oui, il est obligé, répondit-elle. Si sa plaie s’infecte, il peut y rester. Il a une déficience

immunitaireetcomptetenudesonâge…MaxencetournaalorsSophocleversluietletintàboutdebras,commes’ilattendaitdesapartune

confirmation.Lechat le fixadesesyeux jaunes,amorphe, lespattespendantes,unboutde languerosesortantdesagueule.

–Immunodépressif?Sansblague?–Ilvaavoirvingtansauprintemps,précisaArmelle.C’estcanonique,pourunchat!Elle avait parfaitement conscience que ce petit jeu autour de l’animal ne faisait que retarder le

momentoùilleurfaudraitentrerdanslevifdusujet.Maxenceaussi,sansdoute.–Tu peux le poser sur ses pattes arrière et le tenir, pendant que je désinfecte ? demanda-t-elle,

désignantlatable.–Sansproblème…Mais lorsqu’elle approcha le cotonde sonventre, Sophocle semit à gesticuler commeun fou et

échappaàl’emprisedeMaxence.Ilsautadenouveaudelatableets’engouffracettefoisdanslachambred’Armelle,secognantcommeunmalheureuxauxétagèresquigarnissaientlepetitcouloir.

–Oups!Désolé…,s’excusaMaxence.Jenem’attendaispasàça.Armellehaussalesépaules.–Cen’estpasgrave.Onvalelaissersecalmer…Vienst’asseoirenattendant.Ellel’entraînadanslesalonets’installadansunfauteuil,àdessein,pournepasl’avoirtropprès

d’elle.Ellepourraitmanquerdecouragesinon.

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–Alors,ledépartdeMiaetFlorian?demanda-t-elle.Commenttulesastrouvés?–Radieux!répondit-ilenselaissanttomberlourdementsurlecanapé.–C’estunebelleaventurepoureux…–C’estsûr.Onpourralessuivrevialeblogqu’ilsontcréétoutspécialement.–Oui,jesais.Miam’aenvoyéune-mail,avant-hier,avecl’adresse.–Ettoi,l’émission?Çayest,ilsyétaient…Àpartirdemaintenant,théoriquement,saviepouvaitprendrel’unoul’autre

dedeuxcheminsdiamétralementopposés.Maisaufondd’elle,ellesavaitquelesjeuxétaientdéjàfaits.–Bien…Bien…Ils’estpasséquelquechosed’assezfou,aprèsl’enregistrement.Onm’aproposé

unjob…–Unjob?!Là-bas?Dansuneautrevieouend’autrescirconstances,elleauraitexulté,flottéàunbondemi-mètredusol,

mais dans cette vie-là, il n’en était rien.Elle était bien trop en attente de ce qu’il allait lui dire pourressentirlamoindrejoie.

–Oui.Troisminutesd’interprogramme,touslesjoursdelasemaine.Jen’aipasencoredonnémaréponse.Jevoulaisqu’onparled’abord.

Maxence fit une légère grimace, comme s’il avalait unmédicament qui avaitmauvais goût, puisl’enveloppad’unlongregardmélancolique.

–C’estlemoment,alors?dit-ilenfin.–Oui,répondit-ellevaillamment,c’estlemoment…Elle attendit quelques secondes, espérant qu’il enchaînerait, puis, comme il ne disait rien, elle

reprit:–Cejobmetente.Ilmetentemêmeénormément,mais ilestmoins importantquetoiàmesyeux.

Quenous…–Armelle…Ilpoussaunlongsoupir.–Jenecroispasqu’ilyauravraimentde«nous».Pascommetulevoudrais,entoutcas.Voilà.C’étaitdit…–Ilyaplusieurschosesquej’aicomprises,cesderniersjours,enlienaveccequejet’aiditsurle

pont,l’autresoir.Etilenressortquejenesuispasprêtàm’engager.Non,quejeneveuxpas.Uneviedecoupleclassique…Desenfants…Jesaisquec’estàçaque tuaspires.Etc’estnormal.Maiscen’estpluspourmoi.

Elle hocha la tête. Elle savait bien que ça se passerait comme ça. Et le pire, c’était qu’ellecomprenait. Quel être humain, souffrant déjà de se sentir prisonnier dans un style de vie qui ne luiconvenaitpas,sepasseraitvolontairementdeschaînessupplémentairesauxchevilles?

Ellelesavait,maisconservaitencoreuntoutpetitespoirdes’êtretrompée.–AlorsjevaisaccepterlapropositiondeTVRéalitésNouvelles.Jenepeuxpasperdresurtousles

tableaux.–Non,biensûr…–Toi, tuasLouis.Maismoi, jen’aipersonneet jeveuxmedonnerunechanced’avoirunenfant

avantqu’ilnesoittroptard.Iltenditlamainverselle,puislalaissaretomber.–Alorsc’estfini,nousdeux?–Tuvoisunautrescénariopossible?–Non.Ilcommenceraitquand,cetravail?–Quinzejours,troissemaines,unmois…Quandjesuisprête…–Et…commenttuvoisleschoses,jusqu’àtondépart?Jeveuxdire…

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Ildésigna laported’entréed’ungestevague.Ellecompritqu’ilvoulaitparlerde leurproximité.Difficiled’imaginereneffetqu’ilsnesecroiseraientpasuneseulefoisdansl’immeubleoulequartierd’icisondéménagement.

–Jenesaispas,Maxence.–Est-cequetuveuxbienquejeteserredansmesbras?J’aimeraisjustetetenircontremoi.Elleacceptad’unpetithochementdetête.Ilsrestèrentalorsenlacés.Longtemps.

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10

Sixmoisplustard

DepuissonemménagementàMonaco,Armellefaisaitsouventlemêmerêve.Elleétaitdansunhallimmense,celuid’unegarepeut-être,ouceluidusiègedeTVRéalitésNouvelles.Ellesedirigeaitverslasortiepourrentrerchezelle.C’étaitunefind’après-midid’hiver.Ilfaisaitdéjànuit,maisdel’autrecôtédesportesvitrées, les lampadaireséclairaient la rueet ellevoyait lespassantscommesi elleétait enplein jour. Tout à coup, elle apercevaitMaxence qui traversait la chaussée d’un pas souple, presquedansant.Ilavaittoujourscettealluredécontractéemaissisensuellequilalaissaitsubjuguée,sansplusdevolontéquecelledeseblottirdanssesbras…Cetairténébreux,malgrésablondeur.Ceslèvrespleinesdont elle connaissait par cœur le dessin, la texture. Elle voulait courir, se précipiter à l’extérieur etl’appeler,maissonpasàelledevenaitsubitementlourd,silourdqu’ellen’avançaitplus.Elleessayaitdesepresser,ymettaittoutessesforces,toutesonénergie,maisellerestaitimmobile,commechausséedeplomb.Mêmedanssonsommeil,elle ressentait l’effort, la tensionde toutsoncorpspourfaireunpas,tandisquel’affolementetledésespoirs’emparaientd’elle.Maxenceallaitbientôtdisparaîtredesavue,desavie,sanssavoirqu’elleétaitlà,toutprès,qu’ellevoulaitlerejoindre…

Elleseréveillaitalors lecœurprisdansl’étaud’unetristessesansnom.Elleflottaitdansunétatsecond, le corps et l’esprit éparpillés, le cœur en charpie. Il lui fallait plusieurs secondes pourrassemblerlesmorceauxd’elle-même,sesouvenirdel’endroitoùelleétait.Danssanouvellechambre.Sonnouvelappartement.Sanouvellevie.Sesyeuxfinissaientparreconnaîtrelesmursblancs–qu’ellenes’étaitpasencoredécidéeàdécorer,pasplusqu’ellen’avaitaccrochéderideauxauxfenêtres–,lescartonsdelingequ’ellen’avaitpasentièrementvidés,lescadres,posésparterre,entasséslesunscontreles autres.Cequi était devenu, au fil desmois, son environnement familier –dépouillémais familier.Pourtant, malgré son réveil, le sentiment d’un immense gâchis, d’une injustice phénoménale, d’unecatastropheabsoluenelalâchaitpas.Lerêvecontinuaitàexisterenelle,refusantdecéderlaplaceàlaréalité des choses ; il continuait à la tarauder, à entretenir en elle le stress épouvantable qu’il avaitgénéré. Pourquoi ne parvenait-elle pas à rattraper Maxence ? Il le fallait ! Sa vie, son bonheur endépendaient!

Puislemalaisesedissipaitetelleselevait.C’étaitleplussouventautourde5,6heuresdumatin.Ellefuyaitdanslesalon,lapiècedejour,celledelaconscience,del’espritquel’onpouvaitdominer…Elleprenaitunlivreauhasarddanslescartonsqu’ellen’avaitpasdéfaitslànonplus,sedisantpourlaénièmefoisqu’ilseraittempsqu’ellesedécideàremontersesétagères,etsejetaitdanslalecturecommeelleseseraitjetéedansunbaind’oubli.Lelivre,sonefficaceetfidèlecompagnondetoujours…

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Maiscettenuit-là,lafindurêveétaitdifférente.Maxencetraversaitlarue,aumêmeendroit,delamêmemanière.Elle le voyait, avait consciencedu laps de temps très court dont elle disposait si ellevoulait semontrerà lui, l’interpeller, et c’étaitvolontairement,cette fois,qu’ellenebougeaitpas. Ilyavaittoujourslatristesse,unetristesseplusdoucecependant,etmoinsd’affolement,moinsd’agitation.Àlaplace,laconvictionqueleschosesétaienttellesqu’ellesdevaientêtre,mêmesic’étaitencoredifficilede l’admettre. Peut-être arrivait-elle enfin à cemoment de bascule où la douleur de la perte devientnostalgied’untempsrévolu?

Iln’étaitpasloinde6heuresdumatin.Parlafenêtreentrouvertesurlafindel’été,elleentendaitlesvoixdedeuxfemmesquipassaientdanslarueetleclaquementsonoredeleurstalonssurletrottoir.Elleseleva,sepréparaunthéléger,qu’elleallasiroterdevantsonordinateur.Elleavaitprogrammésonécrand’accueilpourqu’apparaissentà tourderôleetdemanièrealéatoire lesphotosqu’elleavaitdeMaxence.Ellesétaientassezpeunombreuses.Ellen’étaitpasaccroàl’appareilphotoetpuis,elleavaitcru surtout qu’elle aurait la vie entière pour en faire avec lui. Il y en avait une qu’elle aimaitparticulièrement.ElleavaitétépriseparMia,unsoirdelafindumoisd’août.Pileunanauparavant.Ilsétaientallésboireunverretouslestrois,placedesTerreaux.Maxencelatenaitparlesépaules;derrièreeux,lesfontainesdeBurenjaillissaient.Maislecadrageétaittelqu’onnevoyaitqu’eux,enportrait,unhalodegouttelettesnimbantleursdeuxtêtesrapprochées.Cequiluiplaisaittant,c’étaientcetteabsencede décor à l’arrière-plan et les gouttes qui semblaient les placer dans un ailleurs intemporel, uneparenthèsedeviependant laquelleelles’étaitcrueaimée.Laphoto témoignaitd’unmomentparfait,etellenevoulaitpasl’oublier.Ellenevoulaitpasquelaconclusiondeleurhistoireternisselesémotionsqui l’avaient portée pendant dix mois ; l’allégresse, l’embrasement des sens, tous ces sommets quil’avaientfaitsesentirsivivante.Ilsfaisaientpartied’elle;elledevaitlesconserverintacts.

Etpourcela,ilétaittempsd’abandonnercequidevaitl’être…Attendrequeletempspassecommeun courant d’eau fraîche sur une plaie qu’on ne cesse de gratter n’était plus suffisant. Elle était ici etmaintenant;elledevaitcomposeravecpouravancer…Ellesentaitqu’elleenavaitdésormaislaforce.

Ellesupprimalediaporamaetchoisitàlaplaceunedesphotosqu’elleavaitfaitesdeLaPignadeSanRemo.Unearcheàtraverslaquelleonvoyaituneruellequidescendaitverslamer.Quelquechosed’intimisteetd’ouvertenmêmetempssuruninfini.ElleavaitdemandéàMaxencedenepasl’appeler,denepas lui écrire, luidisantquece serait ellequi reprendrait contact avec luiplus tard,quandelleserait prête à entendre de nouveau sa voix. Il avait respecté sa demande, si bien qu’elle n’avait plusaucunenouvelledelui.Certainsjours,elleenvenaitmêmeàsedemandersicetépisodedesavieavaitétéréel.Puisellesesouvenait,avecunecomplaisancepresquemasochiste,desmomentsqu’ilsavaientpassés ensemble et Maxence reprenait alors une réalité douloureuse… Le manque creusait sa chair,vrillaitsonventre…Oui,ilétaittemps,plusquetemps…Ilfallaitqu’ellepasseàautrechose…

Elle consacra tout son dimanche à finir de s’installer. Elle déballa son linge demaison, qu’elle

rangeadanslegrandplacarddel’entrée;elleexhumadescartonssesvêtementsd’hiver,dontellen’avaitpaseubesoinenarrivantsurlacôteenpleinprintemps,etleslava;ellesortitdespiècesdevaissellequ’ellen’utilisaitqu’occasionnellement,etleurtrouvauneplacetoutenhautdesesmeublesdecuisine…Puisellepassaensuiteunegrosseheureàremontersesétagères,puisdeuxautresàyrangerseslivres.

Elleauraitpuouvrirunebibliothèquedeprêt,tantelleenavait!NasrinetPatricia–sacompagne–,Emmanuel,uncollèguedeVivreàLyon,etsafemmeavaientpoussédescrisd’orfraieenvoyantlespilesdecartonsétiquetés«bouquins»quisedressaientaumilieudesonsalonlorsqu’ilsétaientvenusl’aideràdéménager.LatourdeBabel,pourlemoins…Elleavaitpourtantprévudespetitscontenants,maislestransporterdesonquatrièmeétagesansascenseur jusqu’à lacamionnettequ’elleavait louée leuravaitsciélesbras.

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LorsquetoutesavieàLyonn’avaitplustenuquedanslesneufmètrescubesdel’utilitaire,elleavaitfaitunedernièrefoisletourdesestroispiècesvides.Ellel’avaitaimé,cetappartementtoutbiscornu,avecsesvieuxparquetsquigrinçaient, l’archequipartageaitendeuxzonessonsalon,sonpetitbureaudonnantsurlacourettepleinedeplantesetdetrillesd’oiseaux,savuesurlaSaône…Ellenel’avaitpasvraimentchoisiaudépart,maisavaitfiniparl’adoptertoutàfait,et…oui,ellepouvaitl’affirmer,elleyavait été heureuse. Pas tout de suite, pas juste après sa rupture avec Sylvain, mais pas non plusuniquement après l’arrivée de Maxence dans l’appartement d’à côté. Bien sûr, elle n’imaginait pasqu’ellelequitteraitàcaused’uneautrerupture.Elleyavaittrouvésesmarques,avaitinstaurédespetitsrituelsquiavaientenveloppésonquotidiendedouceur.

L’appartement qu’elle louait à Monaco était très différent. Situé dans un immeuble récent, pourcommencer.Etiln’avaitriendebiscornu.Uneentréecarréeassezspacieuse,quidesservaittroispiècesclaires, propres et sans fioritures.Tous les sols étaient recouverts de coco, sauf celui de la cuisine àl’américaine,quiprésentaitdesdallesplastifiées.Unemodernitébanale,desmatériauxbonmarché,maislesloyersétaienttrèschersetelleétaitdéjàcontented’avoirpus’offrirunF3,ellequiavaitbesoind’unevéritablepiècebureau.Cequil’avaitséduite,c’étaitlebalcon.Ungrandbalconquicouraitsurlesdeuxpiècescôtérue,illuminédesoleildurantpresquetoutelajournée,etduquelellevoyaitlamer.

NasrinetPatriciaavaientfaitlarouteavecelle,lejourdudéménagement,pourl’aideràviderlacamionnettesurplace,maissurtoutpournepaslalaisserruminersesidéesnoires.Pourtant,ç’avaientétésixheuresetdemied’untrajetmorne,aucoursdesquellesellen’avaitpasditplusdedixmots.PatriciaetNasrinavaientfaittoutl’effortdelaconversation,neracontantquedesanecdotesliéesàdesgensqu’elleneconnaissaitpasouàpeine,soucieusesd’évitertoutsujetquipourraitlaramener,deprèsoudeloin,àMaxence.

Joël les attendait à l’entrée de la résidence, quand elles étaient arrivées. Nasrin et lui s’étaientretrouvésavecunplaisirmanifesteetlabonnehumeurdecesretrouvaillesavaitétécontagieuse.Armelles’étaitsentiemoinsaccablée.Maispeut-êtreétait-ceaussilechangementdelieuquiagissaitsursonétatd’âme : sondépartdeLyonmarquait la findes espoirsqui l’avaientportée,de l’idéed’une famille àconstruire;sonarrivéeàMonacoouvraitsonhorizonsurunchallengeprofessionnel,unenvironnementnouveauàdécouvrir.Unrenoncementquineseferaitpassansdouleurd’uncôté,uneappropriationquineseraitpassansmomentsdedoutesdel’autre,maislesbeauxjours,lachaleur,lespaysagesmaritimeslaporteraient…Dumoinsycomptait-elle…

Sonderniercartondelivresvidé,Armelles’avisaquelesmursdel’appartementétaientenbriquesetqu’il luiétait impossibled’yplanterdesclouspoursescadresavecsonpetitmarteau. Il fallaituneperceuse.Demêmepourlestringlesàrideauxqu’elleavaitrachetéespourlesportes-fenêtresdubureauetdusalon.

ElleappelaalorsJoëlàlarescousse.Illuiavaitproposéàdenombreusesreprisesdel’aider.Ilvintvers18heures.À19heures, toutétaitenplace: lesrideaux, lescadres.Il luiavaitmême

montéunpetitmeubleàtiroirsenkitpoursasalledebains.–Ehbien,voilàquiressembleenfinàunappartementhabité!déclara-t-ilenselaissanttombersur

le canapé, après avoir jetéun regardcirculaire satisfait au salon.Et sionallaitmanger chezScipion,pourfêterça?Jet’invite…

–Ceseraitplutôtàmoidelefaire,non?Jet’aitoutdemêmeobligéàtravaillerundimanche.–Situveux.Jenediscuteraipascepointhautementdélicatdudroitdutravail!«Manger»chezScipionétaitunbiengrandmot.Pasdetables,dechaisesnid’assiettes,pasnon

plusdecarte,d’ailleurs.L’hommetenaitunebaraqueàfritessurunepetiteplagesituéeàproximitéduCap-d’Ail, plage qu’ils avaient découverte un après-midi de début juillet, lorsque Nasrin et Patriciaétaient revenuespourquelques joursdevacances.Onymangeaitunegénéreuseportiondefrites,assis

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parterre,faceàlamer.ScipionavaitfaitsesclassesdansundesfritkotslesplusréputésdeBruxelles,ce dont il n’était pas peu fier, et ses frites – qu’il servait dans un cornet en papier – étaientincomparables.

Armelle et Joël avaient pris l’habitude, depuis, d’y venir un ou deux soirs par semaine, pour leplaisirdepasserunmomentensembleetderegarderlesoleilsecouchersurl’horizon.«EtsionallaitmangerchezScipionpourfêterça?»étaitdevenuunephraserituelle.Touteslesraisonsde«fêterça»étaientbonnes,ycomprislesplusincongrues.Unpetitjeuentreeux.

***

Ce soir-là encore, ils passèrent un longmoment à regarder le soleil descendre sur lamer, puisdisparaîtredansunimmensehalodepourpreetd’orangé.Puis,alorsquelanuittombait,ilstraversèrentdenouveau lapetiteplagepour regagner lavoitured’Armelle.Leclapotisdesvaguesprenait dans lapénombreunerésonanceparticulière.

Ilsétaientpresquearrivéssurlazonepavéequimenaitauparking,quandJoëls’arrêtademarcher,etsetournaverselle.

–Armelle…Jevoulaistedire…Elledistinguaitàpeinesestraits,àprésent,maisàsavoix,elleledevinaittendu.Lesbattementsde

soncœurs’accélérèrentetelleeutl’impressiond’êtreprojetéeplusd’unanenarrière,uncertainsoirdemai, à la sortie d’un restaurant deSaint-Jean.Sauf quebiendes choses s’étaient produites depuis.Ladonnen’étaitpluslamême…

–Jevoulaistedirequetupouvaistoutmedemander.–Jesaisquejepeuxcomptersurtoipourmedonneruncoupdemainpar-ci,par-là,Joël,répondit-

elleavecunenjouementexagéré,etc’estprécieux,vraiment!Elle savait que ce n’était pas à des interventions de bricolage qu’il faisait allusion, mais elle

souhaitait lui laisser uneporte de sortie, l’occasionde s’emparer du fauxmalentendupour renoncer àl’aveuqu’ils’apprêtaitàluifaire.Carils’apprêtaitàluidirequ’ill’aimait,elleenavaitlaconviction.Tout,danssonattitude,sesregards,sessourires tendres, lesmilleetuneattentionsqu’il luiprodiguaitdepuis qu’elle vivait à Monaco et travaillait à TV Réalités Nouvelles, le lui montrait. Mais elle nevoulaitpasquedesmotsdonnentuneréalitéàcetamour.Qu’enaurait-ellefait?Ellenesesentaitpascapabledeluidonnerlemêmeamourenretour.

–Non,tun’aspascompris,reprit-ilâprement.Il fit unpasvers elle, entrantdans le cerclede sonespacevital, et plongea sesyeux sombres et

fiévreuxdanslessiens.–Tupeuxtoutmedemander,Armelle,absolumenttoutcequetuveux…Ellesecoualatête.–Joël,jenesaispassi…–Écoute-moi,s’ilteplaît…Jesaiscequetuastraversé,jeneleperdspasdevue,etjemedoute

quetuesencoretrèsfragilisée,quetavisibilitéquantàl’aveniresttrèsréduite.Illuipritdoucementlamain,encaressaledosavecsonpouce,etellelelaissafaire.–JesaisaussiquecejobàTVRéalitésNouvelles,tunel’auraisjamaisacceptési…ehbien,siles

chosess’étaientpasséescommetul’espéraisàLyon.–LapropositiondeMichel est arrivée aubonmoment,mais c’est vrai qu’ellen’aurait paspesé

lourddanslabalance,s’ilyavaiteudel’autrecôté…S’ilyavaiteudel’autrecôtél’amourdeMaxence.S’ils’étaitmontrédisposéàmelaisserune

véritableplacedanssavie.

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Elleneleditpas;laconclusionflottacependantplusieurssecondesentreeux,épaisse,tranchante.ElleavaitconsciencedefairedumalàJoëlenluiconfirmantquesavenueàMonacoétaitunchoixpardéfaut,enrientournéversluimalgrél’affectionqu’elleluiportait,maispuisqu’ilsemblaitdécidécesoiràjoueraujeudelavérité,elleneluiferaitpasl’injured’encontournerlesrègles.

–Celadit,letravailmeplaîtbeaucoup,reprit-elle.Tulesensbien,non?–Oui.EtMichelaussi.Ilesttrèscontentdevotrecollaboration.Moi,jesuisheureuxquesurleplan

professionnel,aumoins,tutrouvesuneformed’accomplissement.–Oui.C’estdéjàça,commenta-t-elleavecunfaiblesourire.–C’estdéjàça,répéta-t-il,ladévisageantaveccettetendressemélancoliquequilaremuaittantetla

faisaitaussiculpabiliser.L’air avait fraîchi. Elle frissonna, incapable de déterminer si c’était l’humidité de la nuit ou la

lassitude.Lassituded’êtreseule,encoreettoujours.Debalayerlesmorceauxdesesrêves.Lassitudedeportersavieàboutdebras,sanspersonnesurquisereposerparmoments.Sanspersonnequilaplaceraitaucentredesavie.

–Jet’aime,Armelle.Tulesais,n’est-cepas?Laphrase,toutesimple,l’enveloppacommelacaressesucréed’unventd’été.–Joël,jen…Ilposaleboutdesesdoigtssursabouche.–Chut…Chut…Laisse-moi terminer… Je t’aime depuis que je suis arrivé à Lyon.Quand nous

avonsdivorcé,monex-femmeetmoiavionscessédenousaimerdepuislongtempsdéjà.Moncœurs’estempli de toi immédiatement…Mais tu vivais avec Sylvain et je ne voulais pas prendre le risque degâchernotreamitiénaissanteent’encombrantdemessentiments.J’aiessayédeneplust’aimer.Mêmesivousn’enavezriensuaujournal,jesuissortiavecquelquesfemmes,espérantquejetomberaisamoureuxdel’uned’elles.Maisnon.C’étaittoietencoretoiquej’aimais.Toietencoretoiquejevoulais…Quandvousavezrompu,j’aicommencépeuàpeuàtelaisservoirl’attirancequej’avaispourtoi.J’aimêmecruunmomentquej’avaismachance…

Ilfitentendreunpetitrirerauque,chargéd’autodérision.–Jemesuistrompé.Etdanslesgrandeslargeurs,encore!Oh!pourquoin’était-cepasdecethommequ’elleétaittombéeamoureuse?Toutseraitsisimple…–Joël,si tusavaiscommetoutçamenavreetmedonnel’impressiond’ungâchisinsupportable!

J’aitellementd’affectionetd’estimepourtoi!Jeneveuxpasquetusouffresàcausedemoi.J’espèrequetumecrois,parcequec’estlavérité.Maisjetel’aidéjàdit:cequetuattendsdemoi,jenepeuxpasteledonner.

–Etmoi,jeterépondscequejet’aidéjàrépondu:donne-moicequetupeux,etlaisse-moidécidersiçamesuffitounon…Laisse-moiprendresoindetoi,Armelle.Tuméritesquequelqu’untechérisseettegâte.

Ces derniers mots eurent sur elle l’effet d’un raz-de-marée. Elle éclata en sanglots. Elle avaitl’impressionquesonêtretoutentiersedéversaitendehorsd’elle,enmêmetempsqueseslarmes.Toutela tensionaccumuléedepuisdesmois, tousleseffortspour tenir têteà ladouleur,audécouragement,àl’effroid’unavenirdesolitudes’écoulaientd’elleenunflotpurifiant.Tantd’amour!Tantdegénérosité!C’étaitsibon,sidoux!

Joël laprit dans sesbras etguida sa tête aucreuxde soncou.Elle sentait contre elle soncorpsfermeetchaud.Unrempartcontreledésarroi.Uneprotection.Unaxe.

–Laisse-moit’aimer,Armelle,souffla-t-ilcontresatempe,s’ilteplaît,laisse-moit’aimer…Sessanglotsredoublèrentetilluifallutunlongmomentpoursecalmer.Ellefinitparsereprendre,

essuyasesjouesruisselantesduplatdesmains,etsedégageadesonétreinte.

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–Jevoudraistantt’aimercommetum’aimes,Joël!Toiaussi,tulemérites.Maisjepeuxjustetepromettred’essayer.Çaprendracertainementdutemps.Jenesaismêmepassij’yarriverai…

Illarepritcontreluidansunélandegratitude.Ellelevalatête,etluioffritseslèvres,qu’ileffleurad’unbaiserléger.

–Prendstoutletempsqu’iltefaudra,monamour,jesuisunhommepatient.

Àsuivre…

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–Non,non,non,madame…Pasparlà!Onferme!L’homme, entre deux âges, s’était planté au milieu du couloir. Il écartait les bras et les jambes

commes’ils’apprêtaitàaffronteruntirdeZlatanIbrahimovićenpleineCoupedelaLigue,oucommesisonambition,danslavie,serésumaitàcamperl’HommedeVitruve,lanuditéenmoins,devantlaportevitréeetmarquetéequimenaitauxjardins.

–Ilmemanqueunedernièreprisedevue.Deuxminutes,justedeux!plaida-t-elledanssonanglaispresquesansaccent,luimontrantlecaméscopenumériquequ’elleutilisaitpoursesrepérages.

Il luienfallaitplutôtdixquedeux,enréalité,mais l’important,dansunpremier temps,c’étaitdepasser.Ellen’étaitplusqu’àdeuxmètresde luietcontinuaitd’avancerd’unpasmartial, lementonuntantinetagressif.UnetechniquequeluiavaitappriseMarcusSpringberg,legrandreporterauprèsdequielleavaitfaitsesarmesenIrlandeduNord,quatreansauparavant.Techniquequesataille,trèsau-dessusdelamoyennepourunefemme,rendaitd’autantplusefficace;sielleavaitcroisédixhommesqu’ellenedépassaitpasd’unedemi-tête aumoins, c’était leboutdumonde.Et celui-cin’appartenaitpas à cettecatégorie.

–Madame,s’ilvousplaît!Lesvisitesseterminentà18heures.Et ilétait…coupd’œilà lapetitehorlogevictoriennesoussonglobedeverresoufflé,poséesur

uneconsole…17h56.Il changea soudain de tactique :moulinets avec les bras – genre « circulez, y a rien à voir » –,

roulementsd’yeuxquisevoulaientmenaçants…Quicroyait-ildoncimpressionner,avecsespetitsbicepsetsonairdemajordomecoincé?Certainementpasunedocumentaristequis’étaitaventuréedanslaValedoJavariets’yétaitfaitboufferparles«bourachoudes»,cesespècesdemoustiquesmicroscopiquesetinsupportables,amateursdechairfraîche!

–Non,madame,jevousaidem…Troispas.Deux.Un.–Mad…Glissadesurleparquet,feinteàdroite,revirementàgauche,plongéesousl’aisselle…BUUUT!Elleétaitpassée.Armelle sedépêchadedisparaîtredansunealléequi s’enfonçait aumilieud’un foisonnementde

fuchsiascommeonn’envoyaitqu’ici,enIrlande,ouàBagatelle.Ellenetardapasàatteindrelejardinalpestre.AvecsavueplongeantesurlabaiedeSligo,ilétaitàcouperlesouffle!Difficiledecroirequ’ilétait resté soixante ans à l’abandon, jungle de frênes, de saules et de sycomores, enchevêtrement deronces,deliserons,delierres…

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Ellejetauncoupd’œilderrièreellepourvérifierquel’hommen’étaitpassursestalons,posasasacochedansl’herbeet,mettantenroutesoncaméscope,s’approchaauplusprèsdel’à-pic.Puisellefitlentement un tour complet sur elle-même, partant du jardin avec Lissadell House en arrière-plan,embrassantlabaie,l’étenduemarinesurplombéedenuages,etrevenantsurlejardin.Elleterminaparunplan fixe sur un énorme sycomore. Quand viendrait le moment, elle demanderait à un cadreurprofessionneldefilmerexactementlamêmeséquence.Aumontage,elleenchaîneraitplanfixeetfonduaunoirsurunriredefilletteouunecomptinepoursauteràlacorde.Quelquechosequiévoquaitl’enfance,quoiqu’ilensoit.

Biensûr,lorsqueConstanceyvivait,l’endroitneressemblaitpasdutoutàcequ’ilétaitaujourd’hui,maiselleferaitdéfilerenincrustationsaubasdel’écranquelquesphotosdatantdudébutduXXe sièclepourdonnerune idéedes transformations.Lespropriétairesavaientpromisde luien fournirquelques-unes.L’idée,c’étaitdefairecontraste,demontreràquelpointConstancen’étaitpasnéepourledestinqu’elles’étaitchoisi.

Leparcoursdeviedesgens…Intéressantsujetd’étudeetderéflexion.Devenait-oncequ’ilétaitécritqu’ondevaitêtre,quellequesoitlarouteempruntée?Oubienétions-nouscommeunvoyageursansdestinationprécise,traçantsoncheminaugrédupaysage,desopportunités,desesenvies?Choisissions-nous véritablement à chaque croisement ? Nous forgions-nous un destin au fur et à mesure, laissantderrière nous autant de moi potentiels, d’existences possibles que de directions abandonnées ? Elle-même…Combiendevies,depuislajeunediplôméedeLettresmodernesquiavaitpoussélesportesdeVivreàLyon,unmatindenovembre?

–Madame!Ah ! Jeeves,Alfred Pennyworth, EugeneAllen ou quel que soit son nom, lemajordome était de

retour.–Nem’obligezpasàappelerlasécurité!Toutdesuitelesgrandsmots!–J’aiterminé,jem’envais…Elle rabattit l’écrand’uncoup sec, rangea soncaméscopedans sonétui, etglissa le toutdans sa

sacoche.L’hommeavaitmaintenant lespoingssurleshanchesfaçonIelosubmarinederrièresonétaldepoissons,etluibarraitl’accèsausentierquimenaitàlamaison.Armelles’éloignaalorsenlongeantunhaut mur de pierre sur plusieurs dizaines de mètres, puis suivit une allée de gravillons bordée demargueritesqui l’amenaà l’entréedu salonde thé.Çaaussi, çan’existaitpas, lorsqueConstance, sonfrèreetsasœurjouaientdanslacourd’honneurdecette«oldgreymansion»commel’appelaitlepoèteYeats.

Elle jeta un dernier coup d’œil à l’immense bâtisse qui aurait pu, tout autant que le château deHighclere,servirdedécoràDowntonAbbey.Elles’étaitconcentréecejour-làsurlesjardins–letempss’yprêtaitmerveilleusement–,maisilluifaudraitrevenirunautrejourpourlesintérieurs.Onluiavaitproposédeluiouvrirlesportesduchâteauendehorsdeshorairesdupublic,privilègedontellecomptaitbienprofiter.Maispouroptimisercettefutureséancedetravail,elledevaitd’abordavoiruneidéedecequ’ellevoulaitfilmer.C’estpourquoielles’étaitfaitunepremièreimpressionensuivant,lematinmême,unevisiteguidée.Mauvaisepioche:elleétaittombéeaumilieud’ungroupedematronesquiavaientdûparieràcellequiavanceraitlemoinsvitetoutenoccupantleplusd’espace,etquiposeraitlemaximumdequestionsidiotes!

Ellesedécidaenfinàpartiretrepritsavoituresurleparking.Unedizainedeminutesplustard,ellesegaraitdevantleravissantcottagedeJulietteetMark,àqui

ellelouaitunechambred’hôte.ElletrouvaJuliettedanslejardin,àcroupetonssouslafenêtredesacuisine,entraindesarclerson

carréd’herbesaromatiques.Elleadmiralastabilitédesaposition;elle,elleauraitfaitàtouslescoups

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leculbuto.–Alors?Lapêcheauximagesaétébonne?–Trèsbonne!Etj’aibénéficiédelacompagnied’unvieuxjardinieradorablequim’atoutraconté,

enparticuliercequelejardinalpestredevaitàsirJosslynGore-Booth,lefrèredeConstanceMarkievicz.–Ahoui…BradaighÓDónaill!Fascinantcommebonhomme,hein?Onleconnaîtbien…Market

sonfilssontamisd’enfance.Vouspourriezmefairepasserlepiochon,s’ilvousplaît?Armelle se retourna, et, suivant le geste indicatif de Juliette, ramassa l’outil dont lemanchevert

disparaissaitpresquecomplètementsouslefeuillaged’unpiedderhubarbe.L’avant-veilleencore,elleauraitétéincapabled’enreconnaîtreun,maisJuliette,originairedelaDrôme,tropheureused’avoirunecompatriotesousson toitetdepouvoirparler français, l’avaitentraînéedansunevisiteguidéedesonjardinetdesonpotagerlelendemaindesonarrivée.

Ellefitquelquespas,tenditlepiochonàJuliette,froissaunefeuilledementheentresesdoigtsetlaporta à ses narines. Elle en avait cultivé dans un pot, sur sa terrasse, à Monaco, l’été de sonemménagement. La plante avait quand même survécu un peu plus de quinze jours à ses velléités dejardinage.Heureusementqu’elles’étaitmontréepluscompétentedansl’utilisationd’unecaméraetd’unlogicieldemontage!

– En fait, Bradaigh ne travaille plus à Lissadell House depuis unmoment, reprit Juliette, en serelevant. Il est à la retraite,maintenant,mais il a consacré tant d’années de sa vie à en entretenir lesextérieursque lesnouveauxpropriétaires le laissentalleretvenir à saguise. Il fait leguidebénévolepourceuxquiveulentbienl’écouter.

–Etillefaitbien!Ilsaitparlerdecequ’ilaimeetcommuniquersonenthousiasme,commetouslesgenspassionnés…

– Je vous offre à boire, Armelle ? demanda Juliette, tout en secouant énergiquement son grandtablierpourenfairetomberlaterreetquelquesbrinsd’herbe.C’estencoreunpeutôtpourunwhiskeyouunstout,maisqu’est-cequevousdiriezd’uncidrebienfraisoud’unegrenadine?

–Uncidre…Volontiers…–Ehbien,tenez,allezdoncvousasseoirsousletilleul,jevousapporteça…Armelle la regarda s’éloigner et gagner lamaison. Juliette était un petit gabarit équipé de piles

autorechargeables.Pluselles’agitait,plusellesemblaitaccumulerd’énergie,etpluselleétaitàmêmed’endépenser.Elleluidonnaitunepetitequarantained’années,commeelle.EtMark,sonmari,devaitenavoirautant.Elleétaitarrivéechezeuxquatrejoursseulementauparavant,maiselleavaitl’impressionde les connaîtredepuisbienplus longtemps.Nonpasparcequ’elle en avait appris beaucoup sur eux,maisparcequ’ilsavaientsulamettreàl’aiseparleurfaçond’être,simpleetchaleureuse.

Juliette réapparut à l’angle de la maison, portant un plateau chargé de deux verres et de deuxbouteilles.Elle était suiviede sesdeux chiens, un colley racéqui s’allongea aussitôt sous la table enrotin,etunénormebobtailqui,s’il s’étaitdéplacéuniquementsursespattesarrière,auraitdépassésamaîtressed’unevingtainedecentimètres.Ilvintbaveravecaffectionsur lesgenouxd’Armelle, toutenfrétillantduderrière.Elleluitapotamachinalementlatête,repensantàseschats.Ellen’yavaitpassongébeaucoup, ces dernières années, sauf pour les inclure dans le compte de ce qu’elle avait perdu.Maisdepuisqu’elleétaitchezJulietteetMark,l’omniprésencedeschiensetdestroischatsàdemisauvagesquivivaientdanslejardinetlaremiseavaitfaitrevenirenforcelesouvenirdeSophocleetd’Euripide.

Sophocle, sa grosse limace paresseuse, étaitmort très peu de temps après son emménagement àMonaco. Cela faisait un peu plus de huit ansmaintenant. Son grand âge et sa déficience immunitaireavaienteuraisondelui.QuantàEuripide,ilavaitdisparudeuxansplustard,unweek-endqueJoëletelleétaientpartisenItalie,etl’avaientlaisséàlagarded’unevoisine.Elleavaitpassédesmois,aprèssadisparition,àl’attendre,espérantlevoirsurgirdansleurjardincommedansceshistoiresd’animauxperdusquiparcourentunpaysentierpourretrouverleurmaîtreouleurmaîtresse,mêmesiçaleurprend

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des années.Mais il n’avait pas reparu.Après…elle avait eu cet immense chagrin.Et plus jamais dechats.

–Commentvous est venue l’idéede faireundocumentaire surConstanceMarkievicz ?demandaJuliette.Nous,onlaconnaît,ici,c’estnotregloirelocale,maisjamaisjen’enaientenduparlerquandjevivaisenFrance.

–Ehbien,c’est justementça,monbuten tantquedocumentariste : faireconnaîtredesfemmesaudestinparticulierdontpersonneoupresquen’aentenduparler.Surtoutsirien,dansleurenfanceouleurmilieud’origine,nelaisseprésagercequ’ellesvontaccomplir.

Letrajetdeviedesgens,oui,vraiment,elleaimaits’ycoller…Lejeudu«Etsi…»EtsielleétaitrestéeenSuisse,aulieudepartirauMaroc…EtsielleavaitacceptélademandeenmariagedeMachinau lieud’entrerdans lesordres…Et si elle étaitmontéedanscewagonplutôtquecet autre…Destintracé?Hasard?Ellenerépondaitjamaisàcesquestionsdanssesdocumentaires,biensûr.Commentlepourrait-elle?Maiselleaimaitmettreenlumièretouteslespistesetlessuivreaussiloinquepossible.Ilyavaitdanscetravail,parallèlementàl’Histoire,auxfaitssurlesquelstoutjournalistedignedecenomdoit s’appuyer,unepartde fictionpar laquelleelle renouaitavec l’étudiantedeLettresd’autrefois.Ladévoreusederomans.

Juliettelafixait,lamainetleverreenl’air,dansunrareinstantd’immobilité,etArmellesouritenl’imaginantenfant,immobiledelamêmemanière,tandisqu’unadulteluiracontaitunehistoire.

– J’ai travaillé sur Isabelle Eberhardt, reprit-elle, cette jeune femme qui a trouvé le moyen demourirnoyéedansledésert…OuSœurAlicia,unesortedeMèreTeresamoinsconnue,quiaconsacréune grande partie de sa vie aux Indiens de la Vale do Javari. J’ai aussi suivi pendant trois mois lequotidiend’ungroupedefemmesdesquartierspauvresdeBelfast.Etmaintenant,Constance…

–J’imaginequeçavousfaitbeaucoupvoyager?–Pendantlespériodesderepérageetdetournage,oui…Ellesuivitd’undoigtdistraitunegouttedecidrequicoulaitlelongdesonverre,etlasaveurdouce-

amèredeceluiqu’elleavaitbuavecMarcusSpringberg,danscettebrasseriesombredeSandyRow,lorsdesonpremierséjouràBelfast, luirevintàlabouche.C’étaitpeudetempsaprèssadémissiondeTVRéalitésNouvelleset le reste… Il fallait qu’elle parte, alors.Qu’elle s’éloigneun tempsdeMonaco.Celan’avaitserviàrien,biensûr.Oùquel’onaille,onemporteavecsoisoncœur,sessouvenirs,sesblessures…Maiselleaimaitcesmomentsderecherches,dedécouverte.Parcequ’ilsl’entraînaientloinde laCôted’Azur, sanspourautant l’obligeràen resteréloignée très longtemps.Elle revenaitchaquefois.C’étaitainsidésormais,etçaleseraittoujours…Quelqu’unl’attendaitlà-bas.Quelqu’unàquielledevaitassurer,àchacundesesretours,qu’ellenel’oubliaitpas.

Elle se sentit dériver lentement vers ces abysses qui l’engloutissaient encore parfois, et elles’efforçade se visualiser enpleine séancedemontagepour nepas tomber dans le piègedu trounoirfamilier.

–Après,poursuivit-elle,c’estuntravaild’atelierenquelquesorte,etplutôtsolitaireencequimeconcerne:sélectiondesrushes,montage,écrituredescommentaires…

–Isleenaimeraits’orienterversunmétierducinéma…Côtéréalisation,pascôtéjeu,etjenevouscachepasqueçanousfaitunpeupeur,àMarketmoi.C’estunmilieusiéloignédenotreunivers!

Juliette désigna d’un geste circulaire le cottage coquet, son jardin minutieusement entretenu, lepaysagedecampagneau-delà.

– Mark travaille dans un magasin d’outillage agricole, et depuis que nous sommes mariés, jem’occupedeschambresd’hôtes.C’estdiresilemilieudel’audiovisuel,c’estdujavanaispournous…

–Jepourraisenparleravecelle,sivousvoulez…MaisjenesuispastrèsaucourantdesécolesetdesfilièresquiexistentenGrande-Bretagne.

LevisagedeJuliettes’illuminad’unsourirereconnaissant.

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–C’estvrai?Ceseraittrèssympa!Jevoudraism’assurerqu’ellen’apasunevisionfausséedecemilieuetqu’ellenecourtpasau-devantdedéceptions.

–Ilyatoujoursunepartdedéceptionquandonpassedelareprésentationqu’onsefaitd’unechoseoud’unesituationàsaréalité.Maisc’estlavie,non?Jepourrailuiparlerdecequejefaisetconnais,mêmesicen’estpasexhaustif…

–Ceseradéjàundébut.Lagrilledujardingrinça.Juliettesepenchapourvoirquientrait.–Tiens…Quandonparleduloup…Isleen,jesuislà!Elleselevaetrassemblasurleplateauleursdeuxverresvidesetlesbouteilles.–Jevouslaisse,Armelle,excusez-moi…Maisledevoirm’appelle!Voussavezcequec’est…Non,ellenesavaitpas,justement.Isleen,uneadolescenteblondetoutenlongueuretnonchalance,tenaitdesonpèrepourlasilhouette,

maiselleavait lesmêmesyeuxvertprofondqueJulietteet lesmêmespommetteshautes.Elleluifitunpetitsignedelamainavantdesuivresamèreàl’intérieurdelamaison.

Armelle s’attarda sous le tilleulunquartd’heure,vingtminutes,profitantde ladouceurde la find’après-midi,puiselleremontadanssachambrepoursechangeravantd’allerdîner.

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2

–Margaux?Onfaitéquipepourlestomates?Encorelui?Pitié!Non!Ilétaitrestél’oreillecolléeàlaportedesdouchesdesfilles,ouquoi,pourluisauterdessuscomme

ça,sansmêmeluilaisserletempsderapportersatrousseetsaserviettedetoiletteàlatente?Ilfallaitqu’elle le luidiseenquelle langue,bonsang?Enklingon? Il étaitmignon,maisqu’est-cequ’il étaitniais !Legenrepremierde laclassequiapasséplusde tempsà résoudredeséquationsdu troisièmedegré,qu’àlirelemoded’emploid’unefille.Commequoi:

1/lespremiersdelaclassen’étaientpastousdesthonsàlunettes;2/lesmathsétaientpeut-êtrelavoieroyale,maisenmatièrededrague,ellesétaientsurtoutunevoie

degarageroyale!Ellepassadevantluienévitantdeleregarder.Cestypes,c’étaientcommeceschiensattachiants:

mieuxvalaitnepaslesencouragerduregard,sinonvousenaviezpouruneheureàvousdébarrasserdeleursmanifestationsd’affectionintempestives.

–Jemesuisdéjàinscritepourlesvinaigrettesavecmasœur.Désolée!–Ahbon?Alorspourquoi jeviensde lavoirpartiravecLouis ramasserduboispour le feude

camp?Illuiemboîtalepasjusqu’auxtentes–ces2secondseasypourlemontage,deux-millénaires-pour-

le-repliage-et-bonjour-le-transport-dans-le-métro-aux-heures-de-pointe–,dontilsétaienttouséquipés.RomaneetLouis?Ramasserdubois?Ensemble?L’informationdéclenchaaussitôtunesirèned’alarmedanssoncerveau.Ellebalayad’uncoupd’œil

circulairelesinstallations:lecoinoùilsprenaientleursrepas,lesblocssanitaires,et,unpeuplusloinsurleplateau,l’entréedusitemédiéval,maisellen’aperçutnil’unnil’autre.

–Pourlestomates,alors,tudisquoi?Jepeuxaussifairelesvinaigrettesavectoi,situveux…Situsavaisoùtupeuxtelesmettre,testomates!Etlavinaigretteavec!–Excuse-moi,Bastien,maisilfautquejevérifieuntruc…–OK,pasdeproblème!Jecommenceettumerejoins?–C’estça,commence…Soudain très oppressée, Margaux s’élança en direction de la futaie qui longeait l’ancien mur

d’enceinte du château. Des blocs de pierre s’étaient détachés çà et là, notamment à proximité d’unepoterne, et des piquets de fer et du ruban de chantier en interdisaient l’accès. Le soleil amorçait sadescenteau-dessusde lamer,éclaboussant lecielet l’eaud’orangésetdepourpres sansconcessions.Tournantledosauxfalaises,ellesuivitlecheminquelespromeneursavaienttracéàforcedemarcheraumêmeendroit,usantl’herberasejusqu’àlafairedisparaître.

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Deséclatsderirel’arrêtèrentàl’oréedubois.Elletenditl’oreille.C’étaitbienRomane.Elleauraitreconnu son rire parmi unmillion d’autres, tout comme elle aurait reconnu son souffle, sonombre.EtLouisétaitavecelle.Sonrireàluiaussi,ellel’auraitidentifiéparmiunmilliond’autres,mêmesiçanefaisaitquequatrejoursqu’elleleconnaissait.Enfin,quatrejours…Ellenes’étaitpassouvenuedelui,lepremiermatin,même si elle l’avait tout de suite remarqué, aumilieu des autres garçons. Grand, trèsblond, des yeux noirs électrisants, bordés de longs cils. Une musculature tout en finesse, mais bienprésente.Ildevaitfairedel’escrimeoudelacourseàpied.Etunsourire!Romanenonplusn’avaitpastilté,maisluisi.Toutdesuite,paraît-il.

–Des jumelles roussesauxyeuxvertsqui s’appellentRomaneetMargaux, avait-il affirmé, c’estrarequ’onencroiseplusieurspairesdansunemêmevie!

Il leur avait rappeléqu’ils jouaient ensemblequand ils étaient petits.Des flashs lui étaient alorsrevenus.C’étaitavantqueleurtantenechangedeboulotetnequitteLyon.Louisétaitlefilsduvoisindepalier d’Armelle, mais il habitait chez sa mère, dans un autre quartier. Elle revoyait vaguementl’immeuble, lesalondesa tante, lacuisine,unsquareavecdesbalançoiresetunecageàécureuils.Etpuis,ArmelleavaitdéménagéàMonacoetellesn’avaientplusjamaisrevuLouis.

Elles’approchaenfaisantunlégerdétourpouréviterunejonchéedepetitesbranchesquiauraitpurévéler sa présence. Elle les voyait, à présent. Elle fit encore quelques pas et s’arrêta, se cachantvaguementderrièreunbuisson.Ilsluitournaientledos.IlsavaientdéjàrassembléunfagotqueLouisétaitentraindelieravecunecordelette.Plusloin,deuxautresgroupess’affairaienteuxaussiàrassemblerduboismort.

Ilsparlaientdelafêtequisepréparait,etLouisditqu’ilproposeraitlaplaylistdesoniPodparcequ’ilavaitdegrosdoutessurcequelesresponsablesavaientprévucommemusiquepourdanser.

–C’estsûrqueçarisquedecraindre,sinon,approuvaRomane.Ils reprirent leur tâche. Ils se penchèrent soudain avec un bel ensemble et se relevèrent, tenant

chacunparuneextrémité lemêmeboutdebois. Ilss’esclaffèrentetMargauxreçut leurhilaritécommeune paire de gifles. Puis le rire de Romane se transforma en ce roucoulement caractéristique qu’ellelaissaitfuseruniquementlorsqu’elleétaitenmodeséduction.

–Ondiraitlascènedurestaurant,dansLaBelleetleClochard!s’écria-t-elle.Tusais,quandilsmangentlemêmespaghettisanss’enapercevoir!

Puissonriremourutsurseslèvresetilséchangèrentunlongregard.Commedansledessinanimé,leursvisagesserapprochèrentlentementetilss’embrassèrent.Leboutdeboistomba;RomaneglissalesbrasautourducoudeLouis,etilluienserralatailledansungestequeMargauxtrouvatrèssûr,trèsmâle.Leursdeuxcorpsserapprochèrent.Secollèrentl’unàl’autre.

IlsemblaalorsàMargauxquetouslesoiseaux,touslespetitsanimauxdelafutaieavaientcesséderemuer,derespirer,carilyeutpendantplusieurssecondesunsilenceabsolu.

***

ArmelleétaitalléedînerdanslepetitpubdeDrumcliff,prèsdel’égliseSaint-Columba,commeellele faisait tous les soirs depuis son arrivée. Si on l’avait discrètement observée la première fois, ilsemblaitqu’elleaitacquisdepuis le statutd’habituée.Elleseplaçaitdans lemêmecoin, sur lemêmebout debanquette au cuir râpeux et craquelé.Tout engrignotant trois frites et un assortiment depetitssandwichsauxgarnitureslesplusinattendues,elleselaissaitporterparl’atmosphèrepresquefamilialede l’endroit. Les clients semblaient tous se connaître et le pub était, comme bien souvent, un lieu desocialisationoùlesgenspassaientunmomentensembleaprèsleurjournéedetravail,échangeaientdesnouvelles,faisaientlepleind’amitié…

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Laveille,quelquespersonnesavaient jouéde lamusiqueetelle s’étaitattardéepour lesécouter.Commechaque foisqu’elle séjournaitquelquepart, elle s’étaitdemandéquelétait lequotidiendecesgens,cequeçaferaitdevivrelà,desentirquel’onappartenaitàcevillage,àcettecampagne.

Mais ce soir-là, pas d’animation aupub, et sitôt son repas terminé, elle retourna à sa voiture enlongeantlemuretdepierreducimetière; la tourrondeprèsdelaquellereposaitYeatspointaitverslecielclair.Unpeuplusloin,leBenBulben,gigantesquecuestacalcaire,sedressaitfaceàl’océan.Endestemps immémoriaux, ilavaitété le théâtredesamours tragiquesdeDiarmuid, soldatdugrandguerrierFinnconstructeurlégendairedelaChausséedesGéants,etdelabelleGráinne,filleduhautroid’Irlande,épouse en secondes noces de Finn. Sorte de Lancelot et Guenièvre plus aventureux, les amoureuxs’étaientenfuisetavaientmenédurantseizeannéesunevied’errance…

Le cottage de Juliette etMark se situait un peu en dehors du village, et la route suivait pendantquelquescentainesdemètresunruisseaubordédesaulestortueux.Petitboutdepaysagedelégende,horsdutemps…Iln’ymanquaitplusqu’unleprechauncomptantsespiècesd’or,lespiedsdansl’eau.

Lorsqu’ellearriva,lafamilleReillyfinissaitdedînersurlaterrasse,etJulietteinsistapourqu’ellesejoigneàeuxpourlecafé.Ilsdiscutèrentensuiteunbonmomentet…

… Armelle constata en regagnant sa chambre qu’il était 21 heures passées. Elle alluma sonordinateurportableetyreliasacaméranumériquepourchargersesprisesdevuesdel’après-midisursonlogicieldemontage.PuisellelaissadéfilerdeboutenboutlesimagesdeLissadellHouseetdesesenvirons immédiats, tout en notant le timecode des passages qui lui paraissaient particulièrementintéressantsàconserverouaucontraireàsupprimer.Cepremiervisionnageluipritunpeumoinsd’uneheure.Aufinal,laprésentationdel’endroitoùConstanceavaitpassésonenfanceoccuperaitcinqàhuitminutesd’undocumentairequienferaitcinquante.Commeellel’avaitexpliquébrièvementàJulietteunpeuplustôt,sonsujetdeprédilectionétaitlesfemmesaudestinexceptionnel,etsonangled’attaquelecontrasteentrecequiauraitpugénérerchezellesunfortdéterminismesociocultureletlamanièredontellesenavaientjoué,avaientluttécontre,s’enétaientéloignéespoursesingulariseretprendreuneplacedans la petite ou la grande histoire. Que leur milieu initial ait été celui de l’aristocratie, commeConstance,oupopulaire,commelesfemmesdeBelfastdesonpremierdocumentaire.

La présentation de Lissadell House et de ses jardins prendrait donc dans ce contexte toute sonimportance, et poserait la question fondamentale : « Comment la fille d’un baronnet, élevée dans unchâteaudecontesdeféesetplustardépoused’uncomtepolonais,est-elledevenueunerévolutionnairesocialiste qui a consacré sa vie à défendre la cause des pauvres et lutter pour l’indépendance del’Irlande?»

Quandelleeut terminésonvisionnageetajoutéquelquesnotessur leprécieuxpetitcarnetqui luiservait autant de journal personnel que de support de travail, elle fit un tour sur sa boîte mail. Elleréponditàdeuxmessagesprofessionnels,puisdécidadesefairecoulerunbain.Alorsqu’elleselevaitdesachaise,letintementd’uneclochetteluiannonçal’arrivéed’unSMS.

Dispopourunebonnenouvelle?

***

Depuisqu’ellesétaientaulycée,Romaneavaitbeaucoupplusdesuccèsqu’elleauprèsdesgarçons,mêmesi,jusqu’àlatroisième,leurscoreétaitrestéidentique:troispartout.Maisaussi,àcemoment-là,«sortiravecungarçon»signifiaitsurtoutsetenirparlamain,etseroulerdespellesn’enfinissantpasdevantlescopinesquifeignaientuneindifférenced’initiées,style«oui,jesais,moiaussi,j’aifaitçatoutl’étéavecmonpetitcopaindevacances;depuisons’inondedeSMS,onseskype,c’estgénial,etonvaserevoiràToussaint»,alorsqu’enréalité,ellescrevaientdejalousie.

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C’estàpartirdelasecondequeleschosesavaientchangé.Ouplutôtelles:ellesavaientchangé.Romaneétaitdevenueplushardie,plusséductrice,collectionneuse.Elles’étaitfaitcouperlescheveux,unecoupedéstructuréequ’elletravaillaitavecdugeltouslesmatinsetquiluidonnaitl’aird’unehéroïnedemanga.Ilfallaitcroirequ’unetêteàlaSakurafaisaitmoinspeurqu’unefilleauxcheveuxlongsetaulookunpeuromantique!

Àlafindelaseconde,Romanel’avaitfaitavecunélèvedeterminale.Etpuisellel’avaitfaitdenouveaudansl’étéavecunParisienquiparticipaitaumêmestagequ’elles.Àlarentréedepremière,ças’était su – pourquoi ? comment ?mystère…–, et les garçons avaient commencé à lui tourner autourcommedesmouchesavecunpotdemiel.Cequis’étaitsuaussi,c’estqu’elle-mêmenefonctionnaitpasdelamêmemanière.S’embrasser,secaresserunpeu,d’accord,maispourlereste,pasquestion;pourunepremièreexpériencesexuelle,ellevoulaitêtrevraimentamoureuse…Çaenavaitrefroidiplusd’un,forcément…

Romaneprenait la pilule depuis plusieursmois.Encore toute une histoire à lamaison, ça !Leurmèren’avaitpasvouluenentendreparler,quandRomaneavaitabordélesujet.

–Seizeans,c’esttropjeune.Heureusement,Armelles’enétaitmêlée.–Tu raisonnesà l’envers,Lucille.Laquestion,cen’estpasdesavoir sic’est trop jeuneounon,

maissic’estnécessaireounon,àmoinsquetutiennesàcequel’unedetesfillesperdeleseauxenpleinbacdefrançais!

L’argumentquitue!Mercitatie!C’étaitleseulpointsurlequelellesn’étaientpasd’accord:avecquilefairepourlapremièrefois

etpourquoi?Romanel’avaitfaitparcuriosité,etilavaitsuffiquelegarçonsoitmignon.Elle,illuienfaudraitbeaucoupplus.C’estpourquoilessuccèsdeRomaneneladérangeaientpas.S’ilyavaitbienunechosequ’elleneconnaissaitpas,c’étaitlajalousie.ToutcequirendaitRomaneheureuseétaitunbonheurpourelleaussi.ToutcequifaisaitdelapeineàRomanelablessait.Etinversement.Lebon,commelemauvais,quiatteignaitl’unetouchaitl’autreaveclamêmeintensité.

Elless’étaientrarementtrouvéesséparées;ellesavaientpucependanttesterlavéracitédecequisedisaitàproposdesjumeauxetdesjumelles:qu’ilspouvaientressentiràdistance,aumêmemomentetaumêmeendroit du corps, ladouleurde l’autre…Quandelledisait « tester», lemot exact serait plutôt«éprouver» : elleavait éprouvédans sachair,depuis le jourde sanaissance, toutes lesdouleursdeRomane,commeRomaneavaitéprouvélessiennes.Demêmequ’enayantsansraisonl’enviedesourireoude rire, elles savaientqu’aumême instant, dansuneautrepiècede lamaison,de l’école,ouàdeskilomètresdelà,l’autrevivaitunmomentdejoieourecevaitunebonnenouvelle.Ellesétaientplusquedessœurs,ellesétaientdesjumelles:unétatdefaitquiexpliquaittout.

Qui l’expliquait du moins jusqu’à ce qu’elles arrivent sur le site de ce chantier de jeunesseinternational.Parcequelà,brouillagecompletdesondes.SOSlaTerre:lalunenerépondplus!

RomaneauraitdûsavoirqueLouis luiplaisait,pourtant !Elleauraitdûpercevoir son émotion,chaquefoisqu’ellelevoyait,luiparlait!Aulieudeça,sasœur,sajumelle,setenaitàquelquesmètresd’elleetellel’embrassait.

Margaux avait l’impression qu’un projectile lui avait troué le ventre et qu’elle se vidait de sasubstancevitale.Laveilleausoir,elleavaitfaillienparleràRomane,luidirequepourlapremièrefoisdesavie,elleétaitamoureuse.Vraimentamoureuse.Qu’avecLouis,ellepourraitbienlefaire,elleaussi.Qu’elleaimeraitlefairependantletempsquedureraitlechantier.Pourquoin’avait-elleriendit?C’étaittroptard,maintenant.RomaneavaitembrasséLouis,etmêmesielle luiassurait, toutà l’heure,queçan’iraitpasplusloin,queLouisnecomptaitpasplusqueçapourelle,toutétaitgâché!

Ellerepartitàpaslentsverslecampqu’elletrouvaenpleineeffervescencepourlapréparationdelasoirée:ungroupedélimitaitavecdegrossespierresl’emplacementdufeudecamp,unautrepréparait

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les tables pour le repas, un troisième – dont Bastien – s’affairait à la préparation des salades, unquatrième enveloppait des pommes de terre dans de l’aluminium pour les faire cuire à la cendre enchantantàtue-têteuntubestupideàlamode.Deuxdesadultesquilesencadraientsurveillaientdeleurcôtél’étatdesbraisesdansl’énormebarbecue.

Un petit feu d’artifice serait tiré à la nuit tombée, 14 Juillet oblige, même si cette date necorrespondait à rien chez la plupart des bénévoles – Romane, Louis, Bastien et elle étaient les seulsFrançais.Desguirlandeslumineusestenduesentrelesarbresdélimitaientunepistededanseimprovisée,etledirecteurduchantierétaitentrainderéglerlasono.

Margaux trouva soudain toute cette joie vulgaire, cette ambiance fébrile digne d’une colonie devacancespourmaternelles.Ellen’avaitplusenviedes’amuser,plusenviederire,plusenviededanser.Elle ne souhaitait qu’une chose, se glisser sous sa tente et dormir pour ne plus entendre l’agitationambianteetsurtoutnepluspenser.Elleavaittantespérédecettesoirée!Imaginétantdechoses…Deschoses avecLouis.Mais elle n’était pas aussi rapide queRomane avec les garçons.Ni aussi directe.Pourtant, elle avait cru qu’elle avait toutes ses chances. Que cette fois, de blanc bonnet aux cheveuxcourtsetbonnetblancauxcheveuxlongs,ceseraitbonnetblancquiremporteraitlamise.Lespremiersjours,Louisavaitparus’intéresseràelle, rechercher saprésenceplutôtquecelledeRomane. Il avaitl’airdifférent.Unpeuromantique,luiaussi.Maisaufond,ilétaitcommelesautres.

Lorsqu’ellearrivaàproximitédes tentes,ellevitBérénicequisedirigeaitvers leblocsanitaire,unepetitetrousserosesouslebras.

–Jevaismemaquiller!Tuveuxquejetecoiffeetquejetemaquilleaussi,après?Margaux lui fit signe que non, et la rattrapa. Bérénice était bruxelloise et faisait une école de

coiffureetd’esthétique.Ellevoulaittravaillerdanslamodeetlahautecouture,côtécoulisses.Depuisledébutduchantier,touteslesfillesluiservaientdemannequins,etilétaitàparierqu’aucundesartisansquiassuraientlapartietechniquedeleurencadrementn’avaitencorevud’ouvrièrespréparerdesenduitsà la chaux ou curer des fossés coiffées comme Mylène Farmer en concert et le regard smoky étiréjusqu’auhautdesoreilles.

Margauxluiannonçaqu’elleallaits’allongerparcequ’elleavaitmalàlatête,etluidemandad’eninformerlesresponsables,sionlacherchait.

–Maistureviendraspourlerepasetlafête?–Jen’ensaisrien,Bérénice.Disjustequejesuissousmatente,sionveutsavoiroùjesuis.Bérénice la dévisagea, interloquée. Margaux comprenait sa perplexité : elles avaient travaillé

ensembledurantl’après-midi,etn’avaientfaitqueparlerdecettesoiréeoupresque.–Tuveuxbien?–D’accord.Sijenetevoispasrevenir,jet’apporteuntrucàmanger?–Non.C’estgentil,maisj’aivraimentbesoinderesterseule.Elleporta lamainàsonfrontet fitunepetitegrimacededouleur,histoirederendresonprétexte

pluscrédible.–OK.J’insistepas,alors…Ilfaisaittrèschaudsouslatente,etsiellen’avaitpasencoremalàlatête,sûrquedanslademi-

heureçaviendrait.Elleauraitpumaintenirlaporteouvertepourprofiterdel’airdusoiretdelabrisefraîchequin’allaitpas tarderàmonterde lamer,maisdes fillesnecessaientd’alleretvenirpour sepréparerenvuedelafête,etellenevoulaitpasencouragerl’uned’ellesàs’arrêterpourluiparler.

Desriresluiparvenaient.Desinterpellationsjoyeuses.Desplaisanteries.Quelqu’uncria:–Alors,ceboispourlefeu,ilarrive?ElleentenditLouisrépondrequelquechose.Çayest,ilsrevenaient,touslesdeux.Elles’allongea

sursonmatelas,setournasurleventre,etseplaqual’oreillersurlatête.

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3

LeSMSprovenaitdeJoël.Armellesavaitdequellebonnenouvelleils’agissait,etmêmesielleenredoutaitunpeul’effetdélétèresurelle,elleréponditbravement:

Complètementdispo!

Sonportablesonnaaussitôt.–Alors?Filleougarçon?demanda-t-elled’emblée,enprenantl’appel.–Garçon!Heureusement.Ellen’auraitpassupportéquecesoitunefille.–Ehbien,tevoilàpromugrand-père!Félicitations!Commentils’appelle,ceboutdechou?Sonportablecolléà l’oreille,ellepassadans la salledebainsetcommençaà fairecouler l’eau

poursonbain.Labaignoireétaitunebaignoirebalnéoetelleseditqu’elleallaits’offrirlatotale,parcequ’ellelevalaitbien:jetsdemassage,chromothérapie,etmusiqueenprime.ElleavaitsursonordilesSuitespourvioloncelledeBach,toutàfaitappropriéespoursedétendre,mieuxqueLaChevauchéedesWalkyries…

–Jiao,réponditJoëld’unevoixchantante.Ilparaîtqueçaveutdire«séduisant»,enchinois.Ilaaussiunprénomfrançais:Amalric.

Clément, son fils aîné, avait suivi la filièredoublediplôme desArts etMétiers, et avait fait sesétudesà laNorthwesternPolytechnicalUniversitydeXi’An, l’anciennecapitaledelaChine.Ilyavaittrouvéunpremieremploietyétaitresté.Ils’étaitmariécinqmoisauparavant,parcequesapetiteamie–condiscipledel’université–étaitenceinte.

–Jiao,c’estjoli…HuiLingvabien?–Oui.Pourunpremier,elleaaccouchéassezviteapparemment.Mais je t’avoueque jen’aipas

demandélesdétails.–J’imagine…Ellereprit,s’efforçantd’adopteruntonenjoué:–Tuasvulebébé?–Pasencore.Clémentm’ajustetéléphonévers16heurespourm’annoncerlanaissance.Maisonse

skypedemain,à9heuresdumatinpourmoi,15heurespoureux.–Parfait…Ilétaitcontent,c’étaitbiennormal.Ellenepouvaitpasluienvouloir.–Ettoi,Armelle?Commentçava,lesrepérages?J’aivuquetuavaisbeautempspourlesprises

enextérieur.Jesurveillelamétéotouslesjours,figure-toi!

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–C’estgentil.Toutvabien,ici.Lesgenschezquijelogesontvraimentcharmantsetj’aidéjàpasmaldematériausurl’enfancedeConstance…Çaseprésenteplutôtbien.

Contente de son réglage de température, elle ferma la bonde, puis laissa sa main libre sous lerobinet,écartantlesdoigts,fixantsanslesvoirlesfiletsd’eauquis’enéchappaient.

–Tantmieux…TurestesencorecombiendetempsenIrlande?–À peu près une semaine. J’ai encore les repérages à Dublin, et j’ai les jumelles aussi… J’ai

promis àma sœur que jem’occuperai d’elles en juillet. C’est la seule façon que j’ai trouvée de lespousser,Ivanetelle,àprendreenfindesvacancesetàs’offrirletrekauNépaldontilsrêventdepuiscinqans!

Joëlfitentendreunlongsifflement.–AuNépal?Waou!Lesfillesfontlesrepéragesavectoi,alors?–Non.Ellesavaientenvied’expérimenterlebénévolatsurunchantierdejeunesseinternationalet,

coupdebol,jeleurenaitrouvéunenIrlande.J’aidonccalquémonséjoursurlesdatesduchantier.EllessontàquelqueskilomètresdeDrumcliff,oùjesuisactuellement.

–Etçaleurplaît?– Je pense. Ça ne fait que quatre jours qu’elles y sont, mais j’ai déjà reçu plusieurs SMS

enthousiastesdesdeux.–Ellesyfontquoi,exactement?–EllesdégagentetnettoientlesabordsdeFinneganCastle,unsitemédiévalencoursd’inscription

au patrimoine historique ou ce qui en est l’équivalent ici, et elles participent au début de sareconstruction.

–Tul’asvu,cesite?– Oui, quand je les ai accompagnées, le premier jour, répondit-elle, testant la commande des

lumières.L’eauseteintasuccessivementdebleulagon,delavande,devertsauge,dejauneetdemagenta.– En fait, ils n’ont pas le droit d’approcher du château lui-même, qui est assez décrépit et fera

l’objetd’unerestaurationdansquelquesannéesseulement,sij’aibiencompris.Lebutduchantier,c’estdecommenceràs’occuperdelapartieannexedusite,quicomprendunechapelleetd’anciensateliers.Ils sont une vingtaine d’adolescents venus de différents pays d’Europe. Ils sont encadrés par desmoniteurspourlapartieviecollectiveetdesartisanspourlapartierestauration.

–Çaal’airsympa…Jepensequeçam’auraitplu,quandj’avaisleurâge,maisjenesavaispasqueçaexistait.Armelle…

–Oui?–Je t’aiappeléepour t’annoncer lanaissancedeJiao,mais jevoulaisaussi teparlerd’uneautre

chose…Letonétaitdevenuplusgrave.Elleenfutintriguée.–Jet’écoute.–Annaetmoi…onaimeraitsemarier…–Supernouvelle,Joël!Ilvafalloirqu’ondivorce,alors?–C’estcequ’ons’étaitdit,non?Cettedemande,ilssavaientqu’elleviendraitunjour;ilsignoraientsimplementlequeldesdeuxla

formuleraitlepremier.–Oui,c’estcequ’ons’étaitdit,etc’estcequ’onvafaire.Net’inquiètepas…–Jenem’inquiètepas,Armelle.Etçanechangerarienpournous,tulesais.Cequejeveuxdire…Ellenelelaissapaspoursuivre.–Jesaiscequetuveuxdire.

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Ilsétaientliésdelaplusmerveilleuseetdelapluscruelledesfaçons,etjusqu’àprésent,bienqu’ilsneviventplusensembledepuisplusdetroisans,ilsn’avaientpuserésoudreàdivorcer.Mêmesic’étaitellequiavaitsouhaitéprendresesdistances,illuisemblaitquetantqu’ilsgardaientencorecela,celienquiavaitsymboliséàunmomentl’espoird’uneviesidifférente,ellen’auraitpasencoretoutperdu.Cequiétaitégoïstedesapart,elleenavaitbienconscience,toutcommeelleavaitconsciencequeleschosesdevaientaussiévoluerpourelle.Ellesévoluaientd’ailleursdéjà.Heureusement…

–Toutvabien,poursuivit-elle.C’estunebonnechosequetuaillesdel’avant.Et jesuiscontentequecesoitavecAnna,jetel’aidéjàditquandtum’asannoncéquevousaviezrenoué.

–Armelle…J’auraistellementaiméqu…–Non!cria-t-ellepresquedansl’appareil.Neledispas,s’ilteplaît…Ils’estpassécequis’est

passé,etnousn’ypouvonsrien.Çafaitpartiedenous,maintenant,etçaenferatoujourspartie,alors…ouonessaied’avancer,ou…

Savoixmourutdansunsoupir.Ouquoi?Rien.Juste:«onessaied’avancer».Etc’étaitceàquoielles’employaitdepuisquatreans.Lechemindelarésiliencen’étaitpasfacile,maisellemettaitchaquejour,résolument,unpieddevantl’autre,etchaquejour,elleallaitunpeumieux.Elleallaitmêmebien,dumoinslaplupartdutemps.Commel’huître,elleavaitfaitsapetiteperledenacreautourdugraindesablequis’étaitfourrédanslesrouagesdesavie,etc’étaitexactementcommeellevenaitdeledireàJoël:c’étaitlà,enelle,etçaleresterait,maisc’étaitdésormaisquelquechosed’apprivoisé,detransformé.

Ellefermaprécipitammentlerobinet,constatanttoutàcoupqu’elleavaittroplaissél’eaucouleretqu’Archimèdeallaitdevoirsortirlaserpillière,sielleseglissaitdanslebainsansenavoird’abordfaitbaisserleniveau.

–Vousl’envisageriezàquelmoment,cemariage?–L’étéprochain.Çanouslaisseraletempsdefairelesdémarchespourledivorce,etpuis,Jiaoaura

unan,levoyageenavionseraenvisageablepourluietHuiLingpourraveniraussi.–Tuméritesdesannéespaisibles,Joël,etl’amourtoutaussipaisibled’unefemmeauquotidien.Je

suissincèrementheureusepourtoiqu’Annapuisset’offrirtoutça.Savuesebrouilla.Elleallaitbienlaplupartdutemps.–Tu sais quelle place particulière tu as dansmon cœur,Armelle. Je veux être certain que tu ne

l’oublierasjamais.Ilsenavaientdéjàtantparlé.Ilsavaientdéjàtantpleuré.–Sois-encertain.Etsoisaussicertaindelaréciproque.Carellel’aimait,oui,d’unamourfaitd’uneinfinietendresseetd’uneinfiniereconnaissance.–Tum’appellesdèsquetuesderetouràMonaco?–PromisJoël.–Bonsoir…–Bonsoir.«Tupeuxtoutmedemander,absolumenttout»,luiavait-ilaffirmé,huitansauparavant.Alors,elleluiavaitdemandéunenfant.

***

Margauxseréveillaensursaut.Ilfaisaitcomplètementnoirsouslatenteetàl’extérieur,toutétaitcalme.Ellenepercevaitaucunmouvement,n’entendaitaucunmurmuredeconversation.Lafêtesemblaitterminéedepuisunmoment.

Elle tâtonnaàcôtéd’elle.Laplaceétaitvideet le sacdecouchagebienàplatetzippé jusqu’enhaut :Romanen’étaitpasvenuesecoucher.Cetteconstatationl’éveilla toutàfaitetsoncœursemitàbattreplusfort,sousl’effetd’uneexcitationmalsaineetdouloureuse.SiRomanen’étaitpasallongéeà

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côté d’elle en cet instant, en train de dormir comme un bébé, elle ne pouvait être qu’à un seul autreendroit:souslatentedeLouis.AvecLouis.

Elleattrapasonportableetregardal’heure:4h43dumatin.Ellesecontorsionnapourenfilerunjean,passaunsweatsurleT-shirtdanslequelelleavaitdormi,etmitsestennis.Puisellesortit,muniedesa lampe de poche. Elle balaya rapidement le camp de son faisceau lumineux, sans s’attarder sur lestoilespourneréveillerpersonne,puiss’approchadel’endroitoùlefeuavaitétéallumé.Iln’yavaitpluspersonne.Quelquesbraisesrougeoyaientdanslefoyeretcertainesdespierresquiledélimitaientétaientencoretièdes.

Elleétaitrestéelongtempslesyeuxouverts,durantlasoirée,dansl’impossibilitéd’échapperàlaprésence des autres autour des tentes, où les allées et venues s’étaient poursuivies jusqu’à l’heure durepas,àlamusique,auxconversations.Tousavaientl’airdebeaucoups’amuser,etcetteconstatation,aulieudel’inciteràlesrejoindre,n’avaitfaitquerenforcersondésirdelesfuir.Detempsentemps,unecourtephrase,jetéedansunéclatderire,sedétachaitdubrouhahagénéraletl’atteignait,horscontexte,incongrue, soulignant sa solitude, exacerbant sa détresse. Puis elle avait entendu le directeur du campdécréterl’extinctiondesfeux.Dumouvements’étaitalorsfaitdenouveauautourdestentesetelleavaitattenduRomaneavecappréhension,incapablededécidercequ’elledevaitluidireetsurquelton.Sanscompter qu’elle lui en voulait de n’êtremêmepas venue prendre de ses nouvelles, alors qu’elle étaitcenséeavoirunviolentmaldetête.Elleavaitdûs’endormiràforcedel’attendre.

EllesedirigeaverslatentedeLouis,lefaisceaudesalampepointébasverslesolpourplusdediscrétion,puis, arrivée àproximité, elle l’éteignit.Elle fit encorequelquespas, s’approchant auplusprès. Elle tendit l’oreille. Rien. Dans une tente voisine, en revanche, un garçon ronflait légèrement.Quelqu’un remua dans une autre et Margaux entendit le crissement du matelas pneumatique sur leplastiquedusol.MaisdelatentedeLouisneluiparvenaitquelesilence.

CommentsavoirsiRomaneétaitaveclui?Etsiellen’yétaitpas,oùétait-ellealléedormir?Iln’yavaitqu’unechoseàfaire:regarderàl’intérieur…

Elle s’accroupit devant l’entrée, et entreprit d’ouvrir tout doucement le zip de la toile.Un légerchuintement se fit entendre. Elle s’interrompit quelques secondes, tendit l’oreille, puis comme rien nebougeait,poursuivitparà-coupsjusqu’àcequ’ellepuisseécarterlepanarrondidel’ouverture.

Iln’yavaitpersonne.Elletâtaprudemmentpours’enassurer.LesacdecouchagedeLouis,toutcommeceluideRomane,

n’avaitmanifestementpasétéutilisédelanuit.Perplexe,Margauxrefermalatente.Oùpouvaient-ilsbienêtre?Est-cequ’ilsétaientensemble, seulement?Elleauraitbienaimécroirequenon.Maiscommentexpliqueralorscettedoubleabsence?

Commeelleallaitseredresser,un«scrouitch,scrouitch»desemellesencaoutchoucsefitentendre,àquelquesmètresd’elle.Elles’immobilisa,retenantsonsouffle,espérantqu’onnelaremarqueraitpas.Hélas,un faisceau lumineux luibalayasansménagement levisageetelle leva lamaindevant lesyeuxpournepasêtrecomplètementéblouie.

–Margaux?!Qu’est-cequetufaislà?Bastien…Elleétaitmaudite,cen’étaitpaspossibleautrement!–Ettoi?demanda-t-elleavecbrusquerie.Etarrêtedem’envoyercettelumièreenpleinefigure!Ilbaissaaussitôtsalampequiéclairaseschaussuresauxlacetsdéfaits.Ellenotamachinalementque

c’étaientdesChucks.Commequoi:3/lespremiersdelaclasseneportaientpastousdesmocassinsàpompons.–Jesuisallépisser.J’ailedroit,non?LanuitcommençaitàblanchirimperceptiblementetMargauxdistinguaitlamassehauteetsombredu

château qui se dressait au bord de la falaise. Elle ne voyait cependant pas distinctement les traits deBastien,maissentaitsonregardpesersurelle.

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–C’estlatentedeLouis…,dit-ild’untonsuspicieux.–Jesaisbienquec’estlatentedeLouis!Jecherchemasœur,figure-toi!Puisqu’illesavaitvuspartirensemblechercherdubois,etpeut-êtrefaireDieusaitquoiaucoursde

lafête,autantjouerfranc-jeuaveclui.Enfin,jusqu’àuncertainpoint.–Ellen’apasdormidansnotretenteetjemesuisdit…–Qu’elleétaitavecLouis?terminaBastien.–Oui,maisilsnesontpaslà…–Ilsontpeut-êtredécidédedormiràlabelleétoile?–Àmêmelesoletsanssacsdecouchage?Ilsavaienteuquatrebellesjournées,ensoleilléesmaispastropchaudespourtravaillerenpleinair.

Enrevanche,lesnuitsétaientfraîches,pournepasdirefroides.–OK…OK…Admettonsquejen’aieriendit!Tuveuxqu’onfasseletourducamp,pourvoirsion

lestrouve?Elleaccepta,étonnéedusoulagementqueluiprocuraitsaproposition.Ilspassèrent lademi-heure

suivanteàparcourirlesdifférenteszonesducampement,duchantier,poussantjusqu’auxabordsduboispuisdelafalaise,maisRomaneetLouisdemeuraientintrouvables.

– Qu’est-ce qu’on fait ? On prévient le directeur ? demandaMargaux, que l’inquiétude gagnaitvéritablement,malgrésarancœur.

–À5 heures et demie dumatin ? Je ne suis pas sûr qu’il va apprécier ! Ils sont peut-être allésdormirdansuneautretente?

–Ellessonttoutesoccupées,Bastien!Etpuis,pourquoiilsauraientfaitça?Çanemeplaîtpasdutout,cettehistoire…Tulesasvus,hiersoir?Ilssontrestésjusqu’àlafindelafête?

–Aucuneidée…–Oui,ehbienmoi, jedisquecen’estpasnormal!Alors5heuresdumat’oupas, jeréveille le

directeur.S’ilyaunproblème,j’aimeautantqu’onn’attendepastroisheuresdepluspourlesignaler!

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4

Lasalleetleplateauétaientplongésdansunnoirqueseuleslesveilleusesdesécuritéempêchaientd’être complet. L’alignement des sièges se devinait aux taches régulières et claires que jetaient dansl’obscurité leurs assises blanches. Les hauts panneaux symbolisant les immeubles du Chicago desannées 1940 occupaient le fond de la scène sans rideau ; une table et deux chaises enmeublaient lecentre, unmatelas était posé sur le sol côté cour.Une figurationde l’appartementdeNelsonAlgren àl’époqueoùsesromansluiavaientvalud’êtrefichéauFBI.Lemêmedénuementoupresque.

Maxence aimait ce moment entre deux, lorsque le décor était installé, mais la premièrereprésentationencoreàvenir.Àchaquenouvellecréationounouvellevilledetournée,ilprenaittoujoursunmomentpours’asseoirseulsur leborddelascène,quellequesoit l’heuredujouroudelanuit,etpour apprivoiser l’espace. Le faire sien par la pensée. Projeter les voix, les mouvements, lesdéplacements.Lessilences.Imaginerlapalpitationdesspectateurs.Anticiperlessouffles,lessouriresoularéserve,toutecettecommunicationnonverbalesiimportantepourlecomédien,lemetteurenscène,carc’estellequitransmettraounonl’énergie.Leprofanenesaurajamaisàquelpointceluiquiestsurscènesenourritdecetteinteractionaveclasalle,àquelpointilestportéparelleetpeutdonner,enretour,lemeilleurdelui-même.

Dansquelquesheuresàpeine,sescomédiens,commeilaimaitàledireavecaffection,donneraientcorpsà l’écrivainaméricain,pouruneévocationdesavie,deses rencontres,desesamours.Un textequ’ilavaitécrit lui-même.Lepremier.Uneenviequi luiétaitvenuesur le tard.Lorsqu’ilavaitdébutéavecCour&Jardin,sapremièrecompagnie,lejeu,l’émotiondelascèneétaientalorsprimordiaux,etillaissait volontiers le texte aux dramaturges. Avec la direction d’acteurs, il avait pratiqué quelquefoisl’adaptation,puisdurantsesdeuxannéesentantqueprofesseurdethéâtre,ilavaitcruqu’ilpourraittoutlaisser derrière lui pour ne faire que transmettre un savoir et un savoir-faire acquis au cours d’unevingtaine d’années passées sur les planches. Une erreur qui lui avait coûté plus qu’il n’avait gagné.Tellementplus!

Àprésent,ilnejouaitplusdutout.IlavaitcrééCarambole,unenouvellecompagnie,prèsdeseptansauparavant,etavecelle,ils’étaitconsacréàlamiseenscène.Etsicettepiècequ’ilavaitentièrementconçueetcomposéenefaisaitpasunfour,sonprojetétaitdecontinueràécrirepourlethéâtre.Ilsavaientdécrochésix joursde représentationsau festivald’Avignon,unebelleconsécrationpour son travail etceluidescinqcomédienspermanentsdesatroupe.

Consécration qui avait failli tourner court, la veille, alors que Jeff, son régisseur lumière etingénieurduson,etluieffectuaientletrajetLyon-Avignonencamionnetteaveccostumesetdécors,tandisquelesautresvoyageaientparle train.Ilsavaientenchaînélesgalèressurlaroute,faisantàrépétition

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l’expériencede lafameuse loideMurphy, la loide l’emmerdementmaximum:«Siquelquechoseestsusceptibledetournermal,soyezcertainqueçatourneramal!»

D’abord, ils avaient étéprisdansun embouteillagemonstrueux juste après lepéagedeChanas àcaused’un accident. «Si unpoids lourd est susceptible de se renverser sur l’autoroute, soyez certainqu’illeferadelapiremanière,histoiredebienbloquerletrafic.»Comme,mêmeenempruntantlavoied’urgence, les dépanneuses ne pouvaient circuler à cause des voitures qui se touchaient toutes, lesgendarmesavaientfaitsortirparunaccèsréservéauserviceunequinzainedevoiturespourlibérerdel’espace.Parbonheur,ilsavaientfaitpartiedecelotdebienheureux.Parmalheur,ilss’étaientretrouvéssurune routede rasecampagne,alorsque levann’avaitpasdeGPS,que les téléphonesportablesnecaptaientaucunréseauetque,bienentendu,l’atlasroutierétaitrestésurlatabledesonsalon!

Ils avaient fini par revenir sur l’autoroute… pour crever au bout de cinquante kilomètres, et serappelerqu’ilsavaientdéjàcrevéquelquesmoisauparavant,maispas fait réparer la rouedesecours.Bilandescourses : trois rouesvalidesetdeuxàplatpourunecamionnettequin’avait jamaisapprisàrouleràcloche-pied…«Sil’undevospneusestsusceptibledevouslâcher,soyezcertainqu’illeferaaupire moment pour vous. » Marche sous le cagnard jusqu’à une borne d’appel d’urgence, attente dudépanneurdansunravissantgiletjaunefluo,120eurosd’intervention,140depneuneuf.

Et, cerise sur le gâteau, en arrivant en fin d’après-midi, ils avaient découvert qu’un bug s’étaitproduitdansleurréservationd’hébergement.Ilsétaientdouzeàsedisputerlemêmegîtecharmantunpeuàl’écartdelaville:Caramboleaugrandcompletainsiqu’uncoupleavectroisenfantsenbasâge,dontunbébéhurlantdefatigue.Lapropriétaire,quihabitaitjusteàcôté,paraissaitdépassée.Ellenecessaitderépéterqu’ellenecomprenaitpas,qu’ellen’avaitpourtant jamaiseudeproblèmejusque-làaveclacentralederéservationetcomme-c’est-ennuyeux-que-mon-mari-ne-soit-pas-là.«Sivousêtessusceptibledehurlerderas-le-bol,soyezcertainqu’unbébéhurleraplusfortquevous.»

Ilsn’avaientpaseulecœurderefuseruntoitbienméritéàunbébéàlalimitedel’épuisementetàdesparentsauborddelacrisedenerfs.Ilss’étaientrabattussurcequ’ilsavaientpuencettepériodeoùtoutlocalpouvantaccueillirunmatelasétaitloué:troischambresàsepartagerdansunhôtelPremièreclasse,danslazoneindustriellenordd’Avignon.Ladénomination«premièreclasse»étant,danscecas,austandinghôteliercequelaClairettedeDieestàunDomRuinart1996.Ilsavaientensuiteinstallélesdécorsavecquatreheuresderetardsurleurplanning,àl’arraché,etleventrevide.

LoideMurphy!Maistoutétaitbienquifinissaitbien.Lesmauvaisesondesdataientdelaveilleausoir,reléguées

dansunpasséétiqueté«àoublierauplusvite».Mêmes’ilavaittrèsmaldormi,Maxenceconstataitunefoisdeplus,danscettesalleencorevideetcesilenceapaisant,encetteheurematinalerichedetouteslespromessesdujour,àquelpointilaimaitlaviequ’ilmenait,àquelpointellelenourrissait,étaitsoneau,sonair…

Alorsqu’ilsedécidaitàbouger,afinderejoindrelesautrespourlepetit-déjeunerdansuncafédelavieilleville,sontéléphoneportablesonna.LenumérodeMarylèneapparutsurl’écran;ilpritl’appelaussitôt.S’ilétaitvraiqu’onnecessait jamaisd’être lepèredesonenfant,onnecessaitpasnonplusd’êtreassocié–pournepasdire«enchaîné»–àlamèredesonenfant.Etce,malgréundivorce.

–Oui,Marylène?–Maxence…Louisadisparu!Iln’estplusaucamp!Ellecriaitetpleuraitdansl’appareil.–Quoi?!Maisqu…?–Iln’estplusaucamp!répéta-t-elled’unevoixégarée.Personneneletrouvenullepart!Ilfautque

tuyailles.Toutdesuite!–Attends…Calme-toi…Quit’aappelée?

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–LapolicedeSligo,puisledirecteurducamp.Jesuisàl’hôpitalavecAntoinedepuishiersoir,ils’estcassélajambe,etJean-Paulestendéplacementàl’étranger.JesuiscoincéeàLyon.Tudoisyaller!

Dans l’année qui avait suivi sa fausse couche,Marylène avait eu un petit garçon. Antoine avaitmaintenantsixans.Louisluienparlaitsouvent.

–OK.OK.Jenesaispasencorecommentjevaisfaire,maisjeteprometsquejeseraienIrlandecesoir. Je ne pense pas pouvoir fairemieux que ça. Et je te rappelle dès que j’ai du nouveau. Je gère,Marylène,d’accord?

Ilneparlaitpasunmotd’anglaisàpartyes,no,hello,mind thegap, I feelgood, et I love you,encoremoins le gaélique,mais il aurait tout le temps du trajet pour réfléchir à lamanière dont il sedébrouilleraitsurplace.Ilsavaitqueledirecteurduchantierdejeunesseparlaitunpeufrançais.C’étaitdéjàça.

IlfitalorsrépéteràMarylènetouteslesinformationsqu’elleavaiteues,luidemandadeluienvoyerpar SMS le nom et le numéro de téléphone de son contact au commissariat de Sligo, puis termina lacommunication en la rassurant encore une fois sur le fait qu’il prenait les choses enmain et qu’il latiendraitaucourantquartd’heureparquartd’heures’illefallait.

Oubliantlepetit-déjeuner,ilfonçaàl’hôtel,sautasursonordinateuretquaranteminutesplustard,untaxivenaitlechercherpourleconduireàl’aéroportd’Avignon-Provence.Sonitinéraireétaittracé;ilne lui restait plus qu’à espérer qu’il aurait des places sur les deux vols qu’il lui fallait prendre pourarriveràdestination.Avignon,Birmingham,Shannon,Sligo,puisFinneganCastle…Taxi,avions,bus,etstoppour terminer, probablement…Avecunpeude chance, il éviterait le pédalo.Maisde la chance,depuisvingt-quatreheures,iln’enavaitapparemmentpasàrevendre.

***

–Onn’yarriverajamais!s’écriaRomanedansunsanglot.C’esttropdifficile!Cetasdepierresestsansfin!

Elle essuya une larme d’un revers demain terreuse, ce qui laissa sur sa joue une longue traînéenoire.Louisn’étaitpasloindepartagersondésespoir.Ilsétaientépuisésetaffamés.Çafaisaitdesheuresqu’ilsétaientdanscetrou,etqu’ilsn’avaientrienavalé!Leursdeuxportablesétaientarrivésauboutdeleursbatteriesilyavaitunmomentdéjà.

Ilfitcependantuneffortpoursemontreroptimiste.–Maissi,onyarrivera!Regarde…Ilyadeplusenplusdelumièrequipasse.–Parcequelejourselève!Pasparcequ’onavance!–Dis-toiquelesautresontdûs’apercevoirdenotredisparition,àl’heurequ’ilest,etqu’ilsnous

cherchent.Ilfautjusteatteindreunendroitoùonpourranousentendre.Ilsavaientassezviterenoncéàessayerdegrimperpourressortirparoùilsétaienttombés.D’abord,

parcequ’ilfaisaitnoirdecheznoir.Ensuite,parcequelasurfacedespierresétaittroplisse,ladistancetrop longue, et que même en tenant leur téléphone dans la bouche, pour espérer trouver malgré toutquelquesprises,l’appareilrepassaitassezviteenveille,etqu’ilsavaientbesoindeleursdeuxmains.

Ils avaient renoncé à crier et à appeler, aussi. Compte tenu de la durée de leur chute, ils setrouvaienttrèsau-dessousdelasurfacedusolethorsdeportéedevoixducamp.Leurpremierréflexe,après avoir constaté l’un l’autre qu’ils n’étaient pas blessés, avait été d’utiliser leurs téléphones,évidemment.Mais ilsn’avaient capté aucun réseau.Malgré les recommandationsque les responsablesleur avaient faites, lepremier jour, ils s’étaientglissés laveille au soirdans lepérimètre sécurisédeFinneganCastle,pendantquelesautreschantaientautourdufeu.Toutàcoup,ilsétaienttombés.Lesolavaitlâchésouseux,etilsavaienteul’impressiondefairedutoboggan.Àaucunmoment,ilsn’avaientfaitdechutelibre;ilsavaientjusteglissésurcequisemblaitunmurdepierreenpenteassezraide.

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En tout cas, où qu’ils se trouvent à présent, pour que quelqu’un les entende appeler à l’aide, ilfaudraitqu’ilaitfaitcommeeux:outrepasserl’interdictiond’entrersurlesiteduchâteaului-même.Cequiétaitassezpeuprobable,caràparteux,quipourraitêtreassezstupidepourfaireça?

Les blocs n’étaient pas lourds, heureusement, mais il y en avait des tonnes, enchevêtrés à desracines,àdepetitesplantes.Sanscompterqu’ilyavaittrèspeudeplacepourlesstocker,unefoisqu’ilslesavaientdéplacés.Unpointplusclair était apparudans leurprisonau toutpetitmatin, leur laissantpenserqu’unespaceàcielouvertouquasisetrouvaitjustederrièrel’éboulis.

Depuis, ils déblayaient…Le jour s’était levé peu à peu, transformant le point plus clair en uneflèchelumineusequitraversaitlespierres,confirmantleuranalyse.

MaisRomaneavaitraison,celaparaissaitsansfin.–S’ilyatoutescesherbesetcesracines,c’estquel’airetlesoleilpassentabondamment,luifit-il

remarquer, dans l’espoirde lui redonner, autantqu’à lui-même, lemoral et un regaind’énergie.Alorsnousaussi,onpassera!

–Saufqu’onestunpeuplusvolumineuxqu’unegraine!Ilsavaientbénéficiéd’unpeud’éclairagepoursefaireuneidéedel’endroitoùilsétaient,avantque

lesbatteriesdesportablesnesevidententièrement,leslaissantdanslenoircomplet.Louispensaitqu’ilsavaientglissédanslaglacièreoulaciterneduchâteau.Etsic’étaitlaglacière–lechâteaudataitcertesdelafinduXIIIe-débutduXIVesièclepoursespartieslesplusanciennes,maisdesadjonctionsavaientétéfaitesdurantlesdeuxsièclessuivants–,elleavaitforcémentunaccès.C’étaitl’avantage.L’inconvénient,c’est que pour que l’eaugèle au fond, oudumoins cristallise et se transforme enneige, les glacièresétaientcreusées trèsprofondémentdans lesol,aunord,et leursmursconçus très, trèsépais.Mais,si,commeillecroyait,l’arrivéedejourcorrespondaitàl’ancienaccèseffondré,leurdélivranceétaitjustedel’autrecôtédeceputaindetasdeputaindepierres!

Sa terreur, mais il n’avait pas osé en parler à Romane : qu’ils ne soient pas tombés dans uneglacière, mais au fond d’une oubliette, endroit sans issue par définition. Il avait du mal,rétrospectivement,àévaluer laduréede leurchute. Ilessayaitdese la remémorer,mais la surpriseetl’affolementavaientététels…Non,c’étaituneglacière,forcément…Lesmursétaientenpente,formantuncôneinversé.Ilavaitdéjàvucegenred’architectureailleurs:laglacièreprésentaituneentréeenhaut,pourlaisserpasserlapluie,ettoutenbas,unaccèspourquelesserviteurspuissentpréleverlaglaceoulaneige.

Il y faisait très froid, forcément, et lorsqu’ils avaient constaté qu’il n’y avait rien à faire, sinonattendre le lendemain matin pour espérer y voir quelque chose ou pour que des recherches soiententreprises,ilss’étaientblottisl’uncontrel’autrepoursetenirchaud.

Ah, ça lui avait calmé les ardeurs, cette histoire, c’est le moins qu’on puisse dire ! Ça luiapprendrait à se laissermener par les hormones !Lepire, c’est qu’audépart, c’étaitMargauxqui luiplaisait.Maislaveille,Romanes’étaitmiseàavoirdesattentionspourluitoutaulongdelajournée.Enfind’après-midi,elles’étaitproposéepourallerramasserduboisaveclui,et là, toutàcoup,çaavaitdérapé.Ellel’avaitembrassé.Oubienc’étaitlui?Ilnesesouvenaitplustrèsbiencommentleschosess’étaientemmanchées.Quoiqu’ilensoit,ilss’étaientembrassés,etRomanelefaisaitsacrémentbien!Àpartirdelà,quelquechoses’étaitdéconnectédanssoncerveau;iln’avaitplusfonctionnéqu’endessousdelaceinture.Etquand,aprèslerepasdusoir,aumomentoùtouslesautresserassemblaientautourdufeuouallaientdanser,Romaneluiavaitproposéqu’ilssetrouventuncoindiscretàl’écart,pournepasêtredérangés…

La suite n’avait pas été,mais alors pas du tout, ce qu’il s’était imaginé !Bien fait pour lui… Iln’avaitqu’ànepasêtreaussicon!

–Louis,jecroisqu’onyest!

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Romanevenaitdedéplacerunmorceaudepierre taillée,probablementunboutde linteau. Ilvintl’aideràendéplacerunautrebout,pluslongetpluslourd,finissantainsidedégagerunespacesuffisantpourqu’ilspuissents’yglisser.

Ils arrivèrent dans une toute petite salle à ciel ouvert dont lesmurs dépassaient les sept ou huitmètresdehaut.Ellen’avaitpasd’issue:unautreéboulementenbarraitcequiavaitdûêtreuneentrée.Unevoléedemarchesenpierres,trèsétroite,couraitcependantsurl’undesmurs.Ellearrivaitàpeuprèsàmi-hauteur,auniveaudecequiavaitétéjadisunétage,etpassaitdevantunemeurtrière.

–Jevaismontervoir,annonça-t-il.–Faisbienattention!–Net’inquiètepas.Ilgravitl’escalier,plaquécontrelespierres,ettenditlatêteversl’ouverture.Ilyavaitbeaucoup

d’agitationautourducampetauborddelafalaise.Ilaperçutplusieursvoituresdepolice.–Ho,hé!cria-t-il.Vousm’entendez?Ho,hé!Quelqu’untournalatêteendirectionduchâteau.–Onestlà!Ho,hé!Ho,hé!Ilpassaprécipitammentlamainparl’étroiteouverture,serâpantaupassageàl’angledelapierre,

etagitafrénétiquementlebras.–Onestlà!Ho,hé!–Oui!entendit-ilalors.Nevousdéplacezpas,onarrive!Enfin…

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5

Laveille,Armelleavaitpassélapirejournéequisoitdepuiscesquatredernièresannées.Elleavaitreçuunappeldudirecteurduchantierdejeunesseà6heuresdumatin.Saisieenpleinsommeil,elleavaittoutd’abordcruquec’étaitl’alarmedesonportablequisonnaitetelleavaitbatailléplusieurssecondespourl’éteindre,avantdecomprendrequec’étaitlasonneriedutéléphone.Etpuiselleavaitentenducesmotsterribles:Romaneavaitdisparuducamp.Ellen’avaitpasdormidanssatente.

Armelleavait senti le sol s’ouvrir sous sespieds.Pasd’autresmotspossiblespourdécrirecetteimpressiondepertebrutalederepèresquise traduitavant toutechoseparunesensationphysique.Lesémotionsviennentensuite.L’espritn’analysequ’entroisièmeinstance.

L’esprit toutembrouillédesommeiletenproieà l’affolement leplusviolent,elleavaitécouté ledirecteur lui résumer le peu de choses qu’il savait. Plusieurs émotions avaient alors afflué. La peurviscérale,primale,delaperte,quiavaitravivélesouvenirtranchantd’uneautreperte.Lacompassion:oùqu’ellesoit,Romaneavaitpeut-êtrepeuroumal.Laculpabilité:sasœurluiavaitconfiésesfilles,elleenavait la responsabilitéetelleavait failli.Enfin la raisonavait repris ledessus :est-cequ’elledevaitappelerLucilletoutdesuite,alorsquecettedernièreétaitàdesmilliersdekilomètresetqu’enlaprévenant,elleluiferaitseulementmesurerl’étenduedesonimpuissance?Elleavaitfinalementdécidéd’attendreunpeu.Quoiqu’ilsesoitpassé,c’étaitfaitmaintenant,etc’étaitenlocalqu’ilfallaitagirenpriorité.

Elleétaitarrivéesurlesiteà6h45.Ungrandbranle-basdecombats’ytenaitdéjà.Lapoliceétaitsur place. Tous les adolescents étaient réveillés et parlaient bruyamment entre eux, dans un mélanged’anglais,defrançais,d’italienetd’espagnol.Deuxadultesessayaientdelescanaliserverslazonerepasetlepetit-déjeuner.Margauxs’étaitjetéedanssesbrasenpleurant.Puislasituations’étaitdénouéetouteseule,etsivitequ’ilsenétaienttousrestésabasourdisdesoulagementetdestupéfaction:unbrass’étaitagitéparlafenteétroited’unemeurtrière.

Romaneetlejeunegarçonavecquiellesetrouvaitavaientétéemmenésàl’hôpitaldeSligo.Elleavait suivi l’ambulance en voiture. Le directeur du camp aussi, pour s’occuper du garçon jusqu’àl’arrivéedesparentsquisedémenaientpourarriverauplusvitedeFrance.

Romaneétaitrestéeenobservationjusqu’à6heuresdusoir.Elleavaitpassédesradios,unscannerdelatête.Ellen’avaitrien,àpartquelqueségratignuresetquelquesbleusjugéssansgravité.Pasd’oscassésnifêlés,aucuneplaie,aucuneséquelled’hypothermie–unmiracle,comptetenudelachutequ’elleavaitfaiteetdelatempératurequ’ildevaityavoiraufonddecetteancienneglacière!

Rassuréesursonétatdesanté,Armelles’étaitalorsdemandésiellenedevaitpasmettrefinàleurséjouretretourneràLyon,maispourlemédecinquis’étaitoccupédeRomane,iln’yavaitaucuneraisonmédicaledenepas la laisser terminer lechantier.Romane,desoncôté,avait insistépoury retourner.

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Aprèsavoirbeaucoupnettoyéetcuré,montédesmurets, tâchesrépétitivesetpeugratifiantes,mêmesielle savait qu’elles faisaient partie intégrante du processus demise à jour et de restauration d’un sitehistorique,elletenaitàparticiperàl’initiationauxtechniquesd’archéologiequiallaitleurêtreproposéedanslesdeuxderniersjours.Ilsallaienttravaillergrandeurnature,surlesvestigesd’unoratoire.

Armelles’étaitdoncrésolueàlaraccompagneraucamp,àlasortiedel’hôpital.Elleétaittellementtendue, malgré le dénouement heureux de l’affaire, qu’elle n’en avait pas dîné. Elle était rentréedirectementchezJulietteetMark,ets’étaitenferméedanssachambre.Elleavaittravailléjusqu’à1heuredumatinsurlapréparationdesaséancedeprisesdevuesdesintérieursdeLissadellHouse.Elleavaittrouvé en rentrant unmessage du propriétaire qui lui confirmait l’heure à laquelle on lui ouvrirait defaçonprivativelesportesduchâteau,lelendemainmatin.

–Quellehistoire!Maisquellehistoire!répétaJuliettepourladixièmefoisaumoins.Elleavaitappriscequis’étaitpasséàFinneganCastle,etcommeellesavaitquelesjumelless’y

trouvaient, Armelle s’était vue bombarder de commentaires, dès qu’elle était entrée dans la salle àmanger.Elle s’était alors sentie obligée de préciser que la protagoniste de l’affaire était l’une de sesnièces. Elle avait aussi rendu à l’événement ses justes proportions, dans l’espoir que Juliette,l’imagination ramenée à un petit trot raisonnable, quitterait la pièce et la laisserait prendre enfin sonpetit-déjeunerdanslecalmeetlesilence.

MaisJuliettecontinuaitàs’agiterautourdelatable,déplaçaitetreplaçaitlespotsdeconfiture,lesucrier, le beurrier, époussetait unemiette de pain imaginaire,manifestement peu décidée à la laissertranquille.

–C’estunechancequ’ilsn’aientpasétéblessés!Armelleapprouvad’unmurmure,avantd’avalersabouchée.–Çaauraitpu trèsmal se terminer.Quelle idée,aussi,de laisserévoluerdes jeunesàproximité

d’unendroitaussidangereux!–L’accèsestprotégéet clairement interdit aupublic, indiquaArmelle.Maintenant, c’est aussi le

principedecegenredeprojet…Sensibiliserdesadolescentsautravaildelarestaurationhistoriquesurunpetitchantier,enpériphéried’unsiteplusimportant…

Juliettehochalatête.–C’estvrai…C’estvrai…Ilfautbienapprendre…Jevousrapportedestoasts?Armelle faillit accepter, juste pour les cinq minutes de répit que cela lui procurerait, mais elle

songeaqu’elledevraitlesmanger.Or,elleenavaitdéjàavalétrois,etunfonddestressluinouaitencoreunpeul’estomac,malgrélesSMSrassurantsqu’elleavaitreçusauréveil.

CeluideMargaux.

ToutestOK

Etlatentatived’humourdeRomane.

Latente,c’estfinalementplusconfortablequ’unevieilleglacière!

–Non,merci,répondit-elleavecunsourirecontraint.–Unpeudecafé?–Non…Julietteétaitvraimentquelqu’undetrèssympathiqueetdetrèsprévenant,maisArmelleauraitbien

aiméqu’elle sente son envie de rester seule.Elle avait besoin de fonctionner unmoment sur lemode«économie»,pourrassemblersesidéesetêtreopérationnelleàLissadellHouse.Ellen’auraitpastropdel’heurequ’onluioffraitpouryfairetoutcequ’ellevoulait.

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Aulieudes’enaller,Juliettefinitpars’installercarrémentàsa tableet,posant lescoudessur lanappe,ellesepenchaenavant,l’airnavré.

–Maisqu’est-cequileuraprisd’allersefourrerlà-bas?–Jen’ensaisrien.Armelle n’avait pas envie de revenir sur le sujet. Mais il en fallait manifestement plus pour

satisfairelacuriositédeJuliette.–Qu’est-cequevousallezfaire,maintenant?– Continuer, comme prévu, répondit-elle, espérant cette fois couper court à la discussion, étant

donnéqu’elleavaitdéjàeul’occasiondeluiparlerdesontravailetdesonplanningderepérage.Ellessouhaitenttouteslesdeuxpoursuivrelechantier.Illeurresteencorequelquesjours.Etdemoncôté,j’aiencoreàeffectuertousmesrepéragesàDublin.

Lebruitd’uneportequis’ouvreetserefermesefitentendreàl’étage.Julietteseredressaaussitôtetsautasursespieds.

–Ah,voilàvotrenouveauvoisin,ondirait!Jevaisremettredestoastsàgriller.–Monnouveauvoisin?–Oui, lepèredugarçon…Ilestarrivéaprès labataille, lepauvre! Ilavoyagé toute la journée

depuisAvignon. Il était fourbu ! Je l’ai installédans lachambreen facede lavôtre.Vousn’avez rienentendu?

–Non.–Tantmieux!Commeilétaittrèstard,j’avaispeurqu’onvousréveille.C’estlefilsdeBradaigh,

voussavez, l’ancien jardinierdeLissadellHouse,quim’aappelée,hier soir. Ilvoulait savoir s’ilmerestaitunechambre.C’estluilecuisinierduchantier.C’estparluiquej’aisutoutel’histoire.

Juliette disparut dans la cuisine. Armelle entendit un bruissement de papier cellophane, puis lecliquetisdugrille-painqu’onenclenche.

Son « nouveau voisin » descendit l’escalier, puis ses pas se rapprochèrent dans le couloir quimenaitàlasalleàmanger,enmêmetempsquedesfrottementssefaisaiententendresurlesol.Armellereconnut lebruitdespattesdubobtailsur leparquet.Le«nouveauvoisin»mettaitsansdoute tropdetempsàsongoûtpourarriveràlaporte,carl’animalgrattaaubattant,etpoussaunjappement.

–Maisoui,mongros,jevaist’ouvrir…Deuxsecondes,entendit-ellealors.Non…?Cen’étaitpas…Çanepouv…La porte s’ouvrit, et la haute silhouette deMaxence se découpa dans l’encadrement. Le bobtail

fonditsurelleetvintfourrersatêtesursesgenoux,faisantvibrerlatableaupassage.Latasseetlasous-tasses’entrechoquèrent,etlepetit«tinc»pritsoudainuneampleurinsoupçonnée.

–Bonjour !Bonjour !gazouilla Juliettepresqueaumêmemoment, réapparaissantpar laportedecommunicationaveclacuisine,unplateausurlesbras.

–Armelle?!Maxencelafixait,médusé,lamainsurlapoignée.–Quoi?C’estLouis,legarçonquiétaitavecRomane?!Ellenes’étaitpassouciéedeconnaîtrel’identitédel’adolescent,obnubiléeparl’inquiétudeet le

stress. Ensuite, à l’hôpital, elle n’avait pas voulu presser Romane de questions. Sa nièce allait bien,c’étaittoutcequicomptaitsurl’instant.

Ilsortitdesasidérationetentratoutàfaitdanslapièce,laissantlaporteouverte.–Tuveuxdirequelafille,c’est…?Ilneterminapasetrestalesbrasballants,àdeuxmètresd’elle.–Oh…Vousvousconnaissez?demandaJuliette,posantsonplateausurlatable.MaxenceetArmellerépondirentun«oui»étrangléavecuntrèslégerdécalage.

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–Çaalors!Maisnerestezpasdebout!Venezvousinstaller,jevousenprie!dit-elleàMaxence.Elle disposa rapidement à la droite d’Armelle un couvert pour lui : tasse, sous-tasse, cuillère et

couteau,verredejusd’orange,assiettedetoastsrecouverted’unepetiteservietteblanchemonogramméepourlesmaintenirauchaud.

–Thé?Café?–Café,merci,répondit-il.–Etvous,Armelle?Toujoursrien?–Jecroisquejereprendraiunpeudecafé,finalement.Elleavaitsurtoutenviedeprendrelafuite,maisilsemblaitqueparunemystérieuseopérationde

transmutation,sesfessessesoientsoudéesàsachaise,laquelles’étaittransforméeenplomb.Maxencepritplaceàtable.Julietteplaçalespotsdeconfitures,lebeurreetlesucrierenarc-en-ciel

autourdesatasse,etlesconsidératouràtour.– Vous vous connaissez…, répéta-t-elle. C’est donc pour ça que les enfants sont ensemble au

camp…–Pasdutout,enfait,c’estunhasard,corrigeaArmelle.Àpartpourdire«café,merci»,Maxencen’avaitpasencoreouvertlabouche.Armellesentaitson

regardposésurelle,maisellen’osaitpastournerlatête,depeurd’ylirel’indifférenceaprèslasurprise.Elle, soncœurs’étaitmisàbattresi fort,quand ilétaitentré,qu’elleavait l’impressionqu’il luiétaitremontédanslagorge.L’effetdesurprise…Lesaisissementdesonapparition,alorsqu’elleétaitencoretoutesecouéeparcequis’étaitpassélaveilleaucamp.Maislesbattementsauraientdûconsidérablementralentir,àprésent.

–Jevaischercherlacafetière,annonçaJuliette.Allez,BigGeorge,viens!Elledisparutdanslacuisine,lebobtailsurlestalons.LesilenceretombaetArmellesemitàtremblerlégèrement.Elleétaitsitenduequ’elleenavaitdes

sifflementsdanslesoreilles.– Eh bien, dit enfinMaxence avec un petit rire sans joie, nous voilà en pleine pièce de théâtre

classique.Laconfidentesort,appeléeailleursparundevoirquelconque, laissant lesdeuxpersonnagesprincipauxfaceàfacepourlerebondissementdel’acteIV.

–Sacrérebondissement,commenta-t-elle,lagorgesèche.Elleportasatasseàsabouche,maisneputyfairecoulerqu’unegouttedecaféfroid.– Oui, « sacré rebondissement », répéta Maxence, et sa voix parut s’étrangler sur la dernière

syllabe.–Juliettem’adittoutàl’heurequetuétaisarrivétrèstard.TuasquandmêmepuvoirLouis,hier

soir?Ilvabien?–Ilvabien,oui.–J’avouequejen’aipaspenséàdemanderdesesnouvellesaudirecteurducamp.J’avaistropà

faireaveclesjumelles,enchaîna-t-elle,pournepaslaisserunautresilences’installerentreeux.–Ilétaitdéjàrevenudel’hôpital,quandjesuisarrivé.Jesuisrestéavecluiaucampjusqu’àminuit

passé.Julietteaeulagentillessedem’attendre.Ilsneseregardaientpas.Toutenluiparlant,Maxencesebeurraitunetartine,exactementdelamême

manière que lorsqu’ils étaient encore ensemble, avec une rigueurmathématique qu’elle avait toujourstrouvéeencomplètecontradictionavecsanatured’artiste.Etcegeste,anodin,ouvritunevanneoubliéeau fond de son âme. Elle sentit que les souvenirs, les émotions allaient déferler, et elle s’arc-boutamentalement contre, comme on se place dos à un vent violent, les épaules rentrées, pour lui offrir lemoinsdeprisepossible.

–Etvoilàlecafé!

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Juliette à nouveau. Elle posa une cafetière remplie sur la table. Cette fois, Armelle lui futreconnaissantedesaprésence.

–Quelestvotreprogramme,aujourd’hui,Armelle?–LissadellHouse.L’intérieur,cettefois.Etdemain,départpourDublin,commeprévu.–Lissadell?C’estquoi?demandaMaxence.–Lechâteauoù l’unedenoshéroïnesnationalesapassésonenfance, réponditJulietteà laplace

d’Armelle.Maisaprèstout,onpouvaitconsidérerquelaquestiondeMaxences’adressaitàlacantonade.–Armelleprépareundocumentairesurelle.Là,elleendisaittrop.–«Undocumentaire»?répétaMaxenceenlaregardantvéritablementpourlapremièrefoisdepuis

qu’ilavaitprisplaceàcôtéd’elle.Ellereçutlegris-bleudesesyeuxcommelaclaqued’unevaguequiseraitarrivéetropvitesurelle.

Elledétournalatête,essuyantmachinalementunepetitetachedeconfituresurlanappeavecsaservietteenpapier.

–Oui,jesuisdevenuedocumentariste,maisceseraitunpeulongàt’expliquermaintenant,éluda-t-elle.

Elleconsultasonportablepoursavoirl’heurequ’ilétait.Illuirestaittroisquartsd’heureavantsonrendez-vousàLissadellHouse.

Elleseleva.–Ilfautquej’yaille…–Vousnereprenezpasdecafé,ducoup?s’enquitJuliette.–Non.Désolée.Jenem’étaispasrenducomptedel’heure…Ellesortitdelasalleàmangerd’unpasunpeuraide,persuadéedesentirleregardtempétueuxde

Maxencesursanuque.Elleavaituneidéetrèsprécisedecequ’ellevoulaitfaireetdel’effetqu’ellevoulaitobtenir.Pour

la présentation de l’intérieur du château, elle adopterait le point de vue d’un enfant. Les différentsendroits seraient filmés à hauteur d’yeux d’un petit de six ou sept ans. Les proportions en seraientforcémentfaussées;lesobjets,lesmeubles,lestableauxapparaîtraientsousunangletoutautrequesurlesdépliantstouristiquesoulesphotosdusiteinternetquifixaientLissadellHousedansunemajestéunpeu empesée. Les focus se feraient sur des détails, et pas les plus signifiants ; les perspectivess’organiseraientdifféremment.Et lacaméra serait toujoursenmouvement, commesidepetites jambesparcouraient inlassablement les pièces et les couloirs. Pour Constance fillette, le château n’avaitcertainementjamaisétéunindicateurdenoblesse,ouunpatrimoineàpréserverettransmettre.C’étaitunterraindejeu.Armellevoulaitlibérersonregarddesconventionsesthétiquesoudescodes,etsuggérerlenaturelenfantin.

Tandisqu’ellegaraitsavoituresur leparking,elleaperçutBradaighÓDónaillassissurunbancdevant lesalondethéencoreferméàcetteheure,commelereste.Il fumait, levisagerenversévers leciel,tirantlonguementsursapipe,puisl’éloignantdelabouchedansunamplemouvementdubras,avantderecracheravecapplicationdesanneauxdefumée.

Elles’approcha.–Jecroyaisqueçan’existaitquedanslesdessinsanimés!Il sursauta. Elle venait de toute évidence de le tirer d’une rêverie profonde. Elle s’en voulut de

l’avoirinterpellé.Iltournaverselleunregardinterrogateur.Ellerépétaalors:–Lesrondsdefumée…

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Etcommeelleavaitundoutesurcequiluisemblaitunetraductiontroplittérale,smokerings,elledésignalesvolutesquifinissaientdes’évaporerdansl’air.

–Jecroyaisqueçan’existaitquedanslesdessinsanimés.Popeye,voussavez?Ilsemitàrireensilenceouquasiment.Sesépaulessesoulevaientetredescendaient,tandisqu’un

grincementsortaitdesagorge.–Çan’ouvrequedansuneheureetdemie,dit-il.–Jesais…Elle leva l’étui rouge compact de sa petite caméranumérique, puis se dit que ce n’était pas très

explicite. Elle aurait aussi bien pu lui montrer une trousse de soins de première urgence pourrandonneurs.

–J’aiuneautorisationspécialepour filmerendehorsdeshorairesdupublic,précisa-t-elle.Vousvoussouvenezdemoi?J’aifilmélesjardins,ilyadeuxjours.Vousm’avezracontépleindechoses…

–Biensûr.LapetiteFrançaise…Lequalificatiflafitsourire,étantdonnéqu’ilneluidépassaitpasl’épaule.–Ah, jecroisqu’onvousouvre,dit-ilencore,avecungestede lamainendirectiond’unepetite

portequin’étaitpaslagrandeentréepourlesvisiteurs.UnedamefitsigneàArmelled’approcher.Pendantplusd’uneheure,ensuite,elleeutLissadellHousepourelleseule.Elleputainsiprendre

sontempspourfairedestests,essayerplusieursanglesdevue,semettreàplatventreousurledospourchercherl’insolitesansqu’unguideouunvisiteurnecrieàlafollefurieuse.Maisrien,absolumentriendecequ’ellefilmaneluiconvint,sibienqu’ellesemitauboutd’unmomentàdouterdubien-fondédesonparti pris.Elle était certainepourtant que l’idée était bonne !Mais elle avait perdu sa capacité àprendrelereculhabituelsursespropresimages.

EllefaisaitdetelseffortspournepaspenseràMaxence,pournepasruminersurlescirconstancesqui lesavaient fait se revoiraussibrutalement, sansaucunepréparationpsychologique,qu’ellen’avaitpluslesidéesclairespourautrechose.Ellesavaitquec’étaituntort.Pluselleessayaitdechassersonimagedesonesprit,pluscelle-ci revenaiten force.Quelchoc,quandsahautesilhouetteétaitapparuedans l’encadrement de la porte ! Elle n’avait pas eu besoin de le regarder en détail pour savoir quec’étaitlui.Soncorpsl’avaitsenti.Unphénomènesubsensoriel.Unesorted’empreinte-mémoire.L’actiond’unsonar…Depuis,elleétaitdansunétatsecond.Illuifaudraitpourtantbienensortiràunmomentouàunautre,etaffrontercetterencontreaveclaraison,enfairequelquechosedelisse,defacileàdigérer.

Ellepersistadurantladernièredemi-heurequiluiétaitallouée,fitencoredenombreusesprisesdevues en espérant qu’une fois son esprit revenu à plus de perspicacité, elle en trouverait certainessuffisammentsatisfaisantespourservirsonprojet.

Quandelleregagnasavoiture,elletrouvaMaxenceappuyécontre.–J’aimeraisqu’onparle,Armelle…Ellenes’enquitpasdelamanièredontilétaitarrivéjusque-là,etacquiesçaàsademanded’unpetit

hochementdetête.Ellen’étaitpasstupide:ellen’éviteraitpaséternellementuneconversationavecluienl’ayantcommevoisindechambrechezlesReilly.Iln’allaitcertainementpasrepartirenFrancedanslamatinée.Quantàelle,elleavaitsesaffairesàpréparerpoursesdeuxjoursdetravailàDublinetunpetitaller-retouràeffectueràFinneganCastlepourvoirlesjumelles.Ellen’allaitpass’amuserenplusàjoueràcache-cacheavecluijusqu’aulendemainmatin.Ilsn’étaientplusdesadolescents!

–Jesaisqu’ilyauncheminquimèneàunepetiteplage,parlà,dit-elle.Auboutduparc…Ceseraplussympaqu’unparking.

Illuisourit.–Jel’aidéjàrepéré!

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Lesentierdescendaitenpentedouce.Lesoleilétaitloind’avoiratteintsonzénith;ilfaisaitencorefrais, de cette fraîcheurmatinale très agréable et annonciatriced’unebelle journée.L’air charriait desembruns auxquels se mêlait une note légèrement acidulée. Peut-être l’odeur des baies trop mûreséclatéessurlesbuissons,songeaArmelle.Ellenes’yarrêtapasplusquecelacependant.LaprésencedeMaxence,siprèsd’ellequ’elleentendaitlebruitdesarespiration,absorbaittoutesacapacitéd’attention.Elleenavaituneconsciencephysiqueaiguë, retrouvant,dans laproximitéde sahauteet largestature,cette sensation si rarepour elled’êtrepetite, dominée,protégée. Joël lui avait offert biendes choses,durant le temps qu’avait duré leur vie commune, mais pas cela.Même s’il était également grand, safinesseetsonélégancededandyn’avaientjamaissuscitéenelleunetelleimpression.

Ils marchaient sans un mot. Seul le bruit des cailloux qui roulaient parfois sous leurs pasaccompagnaitleurdescente.Ilsavaientétésisaisis,aupetit-déjeuner,etJulietteavaittellementbrouilléles ondes avec son babil, que c’était comme si cette remise en présence l’un de l’autre n’avait pasvraimentexisté.Commes’ilsn’avaientétéquedesétrangerssecroisantauhasardd’uneréservation,desgens qui ne s’étaient jamais rencontrés auparavant, n’avaient pas partagé, durant plusieurs mois, desbaisers,descaresses,descorpsàcorpsenfiévrés.

Maisàprésent,plus rienne faisaitécranauxsouvenirs.Alors ils revenaienten force, impérieux,troublants,bloquantchezelletoutepenséeclaire.Ellejetauncoupd’œilàMaxence.Ilavait l’air toutaussiabsorbéqu’elle,levisagefermé,lesyeuxrivésausol.Est-cequ’ilsserepassaienttouslesdeuxlemême film ? Est-ce que lesmêmes images les hantaient ? Des éclats de rire. Des corps nus dans lachaleurd’unechambre.Unemainquiremontelelongd’unehanche.Lanuitquitombesuruneterrassedecafé en été. Desmots qui tremblent, au bord des lèvres. Un rayon de soleil sur un bol de café. Dessoufflesemmêlés.

Ilnefallaitpas.Ilsnedevaientpasselaisserguiderparlesréminiscencesd’unpassévieuxdehuitans.Iln’estpastoujoursbonderemuerlapoussièrequis’estdéposéesurleschosesanciennes.Elleasaraisond’être.

Elle avait déployé tant d’énergie, les premiersmois, àMonaco, pour tourner la page, surmontercetteimpressiond’ungâchisaussiterriblequ’injuste!Heureusement,sonnouveaujobl’avaitbeaucoupaidée.Elles’yétaitdonnéeàfond;elleavaittoutunenvironnementprofessionnelàdécouvrir,lemondedel’audiovisuel,sescollègues…Desmilliersdeblogsàexplorer…Ellen’avaitpascomptésesheures,etdurantseslonguesjournéesàTVRéalitésNouvelles,elleenétaitarrivéeànepresquepluspenseràlui.

Lanuit,biensûr,c’étaitdifférent.Lanuit,onesttellementplusfragile!Mêmeleschoseslesplusanodinesprennenttoutdesuiteuneampleurtragiqueourocambolesque.Alorsleschosesimportantes…Ily avait eu ce rêve, revenu longtemps… Puis, peu à peu, l’apaisement doux-amer, la nostalgie desmomentsrévolus.

EtJoël.Pasdemaelström.Pasd’affolementducœur,aveclui.Despetitsglissementssuccessifs.Despetits

rituels qui la rassuraient, l’installaient peu à peu dans un cocon de douceur, de familiarité. Il était sicharmant,sipleind’attentions!Illatraitaitentrésorprécieux.Comparéaulentdélitementdesonhistoireavec Maxence, à ce dialogue qui n’arrivait pas à s’instaurer entre eux, à cette esquive permanentelorsqu’il s’agissait d’évoquer l’avenir, l’amour de Joël avait été pour elle un cordial, une protectioncontrelasolitude,unesourcededécouvertes,aussi.Sesavoiraiméeinconditionnellement…Elles’étaitinstallée chez lui, dans samaison, peu à peu, presque sans y penser.Dans ses bras aussi, elle s’étaitlaisséealler,peuàpeu,presquesansypenser.Ilavaitétésonhavre.

Durant les premiers mois de leur vie commune, ils avaient beaucoup voyagé. Elle avait alors,chevilléeenelle, lavolonté farouched’êtreheureuse.D’honorer lapromessequ’elle luiavait faiteunsoirsur laplageetde lui rendre,unjour,sonamour.Unamourvéritable.L’amourqu’ilméritaitd’une

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femme.Elleavait,toutaussichevilléeenelle,lavolontédeneprendrequelemeilleurdelavie,d’êtredans le mouvement et de ne plus jamais en sortir, après avoir passé ce qui lui semblait des annéesd’immobilisme.MêmelesmoispassésavecMaxencesefondaientdanslemêmesentimentuniformedestagnation.Car,qu’avaitétéleurhistoire,pourelle,sinonuneinsupportableattente?

Ellen’avaitmalheureusementpasréussiàdonneràJoëlautrechosequ’unetrèsgrandetendresse,maiscen’étaitnisafautenicelledeJoël.

Elleavaitétéfauchéedanssonélan,maiscelaaussi,cen’étaitnisafautenicelledeJoël.Audétourd’unfourré,ilsdébouchèrentenfinsurlaplage.Unepetiteansedesablefin.Labaiede

Sligos’étendaitdevanteux,avecseseauxd’unbleusombreetprofond.Commelesentierseterminaitparquelquesmarchesinégalesfaitesdepierresplates,Maxenceluitenditlamainpourl’aideràlespasser.Elle hésita une fraction de seconde à la prendre. Elle croisa alors son regard, un regard douloureux,commes’ilavaitperçusonhésitationetqu’elleluifaisaitmal.Puiselletenditlamainàsontouretillaguida,neluitenantqueleboutdesdoigts.Illarelâchaaussitôtqu’ellefutsurlesable.

Uncontactsibref,qu’ilavaitparusipresséderompre…Ellesedemandasiellen’avaitpasrêvéceregard.Siellen’étaitpasentraindetournertouteseulelefilmdelanostalgiedesretrouvailles.Aprèstout,quesavait-ellede laviedeMaxence,depuishuitans?Absolument rien ! Ilavait sansdouteunecompagne, peut-être même d’autres enfants. Il n’était venu en urgence à Drumcliff qu’à cause del’imprudence de deux adolescents. Cette remise en présence l’un de l’autre ? Une simple facétie duhasard.Uneerreur.Unbugdansleprogramme.Rienquiaitlemoindrerapportavecelle-même.

Ilyavaitunpeuplusd’air,àrasdel’eau.Unairpresquefroid,chargéd’iodeetd’humidité.Maislepaysageétaitgrandiose.

Commeilsn’avaienttoujourséchangéaucuneparole,ellesedécida.–C’estlapresqu’îledeMullaghmorequ’onaperçoitlà-bas,dit-elle,désignantunpointàl’extrême

gauchedel’anse.Si le silence pouvait se justifier tandis qu’ils parcouraient le sentier, regardant surtout où ils

posaientlespieds,ilsnepouvaientplussetaireàprésent.Etpuis,n’était-cepasluiquil’avaitrejointeàLissadellHouse?Elleneluiavaitriendemandé!Qu’est-cequ’ilattendaitpourparler?

Maxencesuivitduregardladirectiondesonbras,ethochalatête.– L’endroit est magnifique, paraît-il, et du port, on atteint l’île d’Inishmurray, sur laquelle se

trouventlestrèsbeauxrestesd’unmonastèreduVIesiècle.Etlà…Elleluimontraitàprésentladirectionopposée.–…Situregardesbien,tupeuxapercevoirlesiteduchantierdejeunesse.Elle avait parfaitement conscience de meubler le silence de manière un peu compulsive, mais

pourquoinedisait-ilrien,bonsang?–C’estunendroitvraimentsauvage, ici, tune trouvespas?SionoubliequeLissadellHousese

trouvejusteau-dessusdenous,biensûr…–Armelle…Ilavaitditsonprénomdansunsouffle,d’unemanièretrèsdouce,trèsintime,quiprovoquachezelle

unedrôledecontractionaucreuxduventre.–TutiensabsolumentàmeréciterLeGuideMichelin?–Non,maistum’annoncesquetuveuxmeparleretçafaitunquartd’heurequetunedisrien!–J’avaisenviedetevoirunmomentseule.Juliettenousatellementétourdis,toutàl’heure…Elleneputs’empêcherdesourire.C’estvraiquecettedernièreavaitétéparticulièrementagaçante,

maisàsadécharge,ellen’avaiteuqu’untoutpetitaperçudeleurhistoire.–Jevoudraisqu’onparleunpeudenous…–Maisjen’aipasdutoutenviequ’onparledenous,Maxence!

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–Non…Jeveuxdirequ’onsedonneréciproquementdesnouvelles.J’aimeraissavoircequetuesdevenue,cequetuasfait,depuishuitans.

Il accompagna sa dernière phrase d’un petit geste de la main et elle remarqua qu’il tremblaitlégèrement.Ellecontinuaitàfixer,sanslavoirvraiment, lasilhouettelointaineetmassivedeFinneganCastlequisedécoupaitsurleciel,semblantaccrocheràleurpassagedefinsfilamentsdenuages.Ellenevoulaitpasleverlesyeuxverslui,pournepasrencontrerlebleuardoisedesonregard.Ellesentaitquece regard-là pouvait encore avoir un effet sur elle. Tout comme la proximité de son corps, lorsqu’ilsétaientsurlesentier,lamodulationdesavoix,quandilavaitprononcésonprénom.Etcetteconstatationl’affolait.Ellenevoulaitpasêtrebousculéedansl’équilibrequ’elleétaitparvenueàsereconstitueraufildecesquatredernièresannées.

Illafixait,attendantmanifestementqu’ellel’encourageàpoursuivred’unregardoud’unmot.Elleétaitincapablededéterminersielleenavaitenvieounon.

Auboutdequelquessecondes,ilreprit:–Puisquelehasardouquoiquecesoit,nousaremisenprésencel’undel’autre,etmaintenantque

jesuisrassurésurlesortdeLouis,jen’aipasenviederepartiràtoutevitesseàAvignonenmedisantsimplement:«C’estdrôled’avoircroiséArmelleenIrlande!»

Ilcherchasonregard,etelledécidacettefoisdenepasleluirefuser.–Hiermatin, j’étais dans une petite salle de spectacle, tout fébrile, tout excité à l’idée demon

nouveau spectacle, parce qu’il a quelque chose de plus que les précédents.Une chose que je croyaisjusque-làfondamentale:monpremiertexte,donnépourlapremièrefoisenpublic.Ettrente-sixheuresplustard,jemesenscomplètementdétaché.Indifférent.Parcequejet’airevue.

–Non,Maxence,çan’a rienàvoiravecmoi.Tuaseu trèspeurpour ton fils,et tuenesencorebouleversé.Maisquandl’inquiétudeseratoutàfaittombée,tuconstaterasquecenouveauspectacle,tontexteretrouveronttouteleurimportance.

Ilfitnondelatête.–Jenecroispas,Armelle…Tunetrouvespasquec’estcomplètementfou,cettehistoire?Combien

dechancespourqueLouisetlesjumelleschoisissentcemêmecampsispécifiqueenIrlande,alorsqu’enneufans,ilsnesesontpasuneseulefoisrecroisésàLyon?EtAntoinequisecasselajambe…

Lecœurd’Armellebonditdanssapoitrine,puissemitàbattretrèsvite.–«Antoine»?–LepetitfrèredeLouis.–Ah,tuasunautr…Ill’interrompit:–C’estlefilsdeMarylène.Etpoursuivitsursalancée:– Combien de chances, pour qu’Antoine se casse la jambe au moment où son père est en

déplacementprofessionnel,sibienquec’estmoiquiviensici,aulieudeMarylène?Illafixaavecuneintensitépresquesauvageetrepritd’unevoixplussourde:–Combiendechances, enfin, alorsque ledirecteurducamps’apprêteàmeconduireà l’hôtel à

Sligo, pour que le cuisinier du campme propose de téléphoner à un copain dont la femme tient deschambresd’hôtes toutprèsducamp?Combiendechancespourqu’unechambresoit libre?Combienpour que la personne qui occupe la chambre juste en face de la mienne – ma voisine de palier,Armelle!–cesoittoi?

Ilprituneprofonde inspiration,bloquaunefractiondesecondesarespiration,puis,avec l’airdequelqu’unquisejetteàl’eau,ildemanda:

–Est-cequetumelaisseraist’accompagneràDublin?Juliettem’aditqueturepasseraischezelleensuitepourunedernièrenuit,avantderentrerenFrance.

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Elleleconsidéra,stupéfaite.Ellenes’attendaitpasàça.–Ettescomédiens?Etlefestivald’Avignon?Non,non,non!Cen’étaitpasdutoutainsiqu’elleauraitdûformulersaréponse!Elleavaitl’airde

considérer que le seul problème potentiel se situait du côté de son boulot. Mais le problème étaitailleurs!Etpasseulementpotentiel!

–Ilsn’ontpasvraimentbesoindemoi.Lespectacleestaupoint.Onl’abeaucouptravaillé,etJeff,monrégisseurlumièreetingénieurduson,connaîtparfaitementsonmétier.Alors?

–Jenesaispas,Maxence.Jenecroispasquecesoitunebonneidée.–Pourquoi?Dequoias-tupeur?Noussommesdevieillesconnaissancesquinousretrouvonsaprès

uncertainnombred’années.Quoideplusnaturelquedesaisircetteoccasionpourrenouer,sedonnerdesnouvelles?

Devieillesconnaissances?!–C’estcommeçaquetunousvois?Illuiretournalaquestion.–Ettoi?– Tu veux dire que notre histoire n’a pas eu assez d’impact sur toi pour que je représente plus

qu’uneancienneélèveouuneattachéedepressedefestival?Elle eutungeste las et regretta aussitôt sesparoles.Elle savaitque sa réactionétaitoutrancière.

C’estpourcelaqu’ellehésitaitàluirépondre«oui»pourDublin.Parcequ’ellesavaitqu’àunmomentouunautre,elles’engouffreraitlàoùellenevoulaitpasaller.

CQFD…–Oubliecequejeviensdedire,s’ilteplaît.Maistucomprendspourquoicen’estpasunebonne

idéequetum’accompagnesàDublin?Cen’estpasdutoutcetonaccusateurquej’aienviedeprendreavectoi,surtoutaprèstoutescesannées.Maisjecrainsqu’inévitablement,vienneunmomentoùonvasejeterlesassiettesàlatête.

–Non,pas inévitablement.Etcompte tenude ta réaction, jecroisplutôtqueceseraitunechancepournousdefinirdetournerlapage.

–Passerdeuxjoursensemblepoursequittertoutàfait…Unpeuparadoxal,non?–Notrehistoires’estarrêtéesurunpaquetdenon-ditsquimelaisseencoreungoûtamerdansla

bouche,mêmeaprèstoutescesannées.–Moiaussi,reconnut-elle.–Etceseraitbienqu’on…–Qu’onfinissederompreproprement?–Non… J’aimerais retourner à Lyon enme disant, demanière beaucoup plus positive, que j’ai

passéunmoment,unbonmoment,avecuneamieretrouvée.–«Uneamieretrouvée»…Sagorgeseserrasubitement.Pourquoi,toutàcoup,n’avait-ellepasenvied’êtresimplementcela,

uneamieretrouvée?–Est-cequetuveuxbienqu’onessaie,aumoins?Est-cequ’ellelevoulait?Toutétaitsiconfusdepuiscematin!Etill’avaitcomplètementébranlée

avec sa liste de « combien de chances ». Elle qui se faisait une spécialité des « et si… » dans sesdocumentaires,quijouaitd’unecertainemanièreavecdes«combiendechances»,elleauraitpuêtreencetinstantlesujetmêmedesontravail.Avait-elleenviedejoueràcejeu?EtsiAntoinenes’étaitpascassélajambe?EtsiJulietten’avaitpaseudechambredelibre?

– D’accord, répondit-elle finalement, curieuse de savoir où le jeu la mènerait encore, puisqu’ill’avait déjà menée jusque-là, sur cette petite plage d’Irlande avec Maxence, en dépit de toutes lesprobabilités.Maistudoismepromettre…

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–Toutcequetuveux,fit-ilavecunsouriremalicieuxquilareplongeahuitansenarrière,danslespremierstempsdeleurrelation.

–Tudoismepromettre,reprit-ellefermement,det’enallersijeteledemande,etàl’instantmêmeoùjeteledemanderai.

–C’estpromis.

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6

Ils partirent en début d’après-midi, après un repas rapide au petit pub de Drumcliff. Dans lamatinée, ils étaient retournés àFinneganCastlepour s’assurer, une fois deplus, queRomane etLouisallaientbien,etqu’ilspouvaients’éloignerdeux joursen toutesérénité.Armelleavait trouvéMargauxassezmaussade,maiscelle-ciluiavaitégalementassuréqu’ellepouvaitpartirsanss’inquiéter.

En revenantduchantierde jeunesse,elleavaitdéposéMaxencechezJulietteetMark. Il avaitunrendez-vousSkypeavecsescomédiens.Pendantcetemps,elleétaitalléeàGlencarLake,dansl’idéedefaireunesériedeprisesdevuesdeseschutesd’eauspectaculaires.L’endroitn’étaitpasintimementliéàl’enfancedeConstance,maiselleaimaitbienconsacreruneoudeuxminutes,danssesdocumentaires,àplacerledécorunpeulargement.

Elleavaitmalchoisisonmoment.Uncardetouristeshollandaisavaitinvestilaplace,etelleavaitdû renoncer à filmer.Elle enavaitprofitépour s’allonger sur l’herbe, auborddu lac, à l’ombred’unarbre, et se reposer de sa mauvaise nuit. La demande de Maxence était inattendue, et en dépit del’explication qu’il lui avait donnée, elle n’arrivait pas à comprendre la raison. Il avait employél’expression«tournerlapage».Était-ceàdireque,depuishuitans,ilnel’avaitpastournée?Etqu’est-cequeçasignifiait,encecas?Qu’ilpensaittoujoursàelle?Qu’ilregrettaitleurrupture?Pourquoinepasavoircherchéàlajoindre,alors,àlarevoir?Ellen’avaitpaschangédenumérodeportable.IlauraitpufaireaussideNasrinsamessagère.Au-delàdesesinterrogations,ellenepouvaitnierquesademandelui avait fait plaisir. Elle non plus, elle n’aurait pas aimé quitter l’Irlande en se disant simplement :«C’estdrôled’avoircroiséMaxenceaprèstoutcetemps…»Mais«tournerlapage»…Non,cen’étaitpascequiluivenait,quandellesongeaitàlaperspectivedecesdeuxjoursqu’ilsallaientpasserentêteàtête.

Ilsavaientàpeuprèsdeuxheuresetdemiederoutejusqu’àDublin.L’Irlandeétaituntoutpetitpays.Letempsavaittournéàl’oragetandisqu’ilsdéjeunaient,etlachaleur,àl’extérieur,étaitétouffante.Savoituren’étaitpas équipéede la climatisation, etmêmeenorganisantuncourantd’air avec lesquatrevitresentièrementbaissées,l’airquicirculaitdansl’habitaclerestaitencoretrèschaud.

Elleéprouvalebesoindes’enexcuser.–Maprochainevoiture,jelaprendraiaveclaclim!Pointprincipalsurmalistedeséquipements

incontournables.Surtoutsijepasseunepartiedel’étéprochainenEspagne!Maxencefitentendreungloussementétonné.–Tuplanifiestesvacancesunanàl’avance,toi?–Mesvacances?Non!Mesdocumentaires!–Oh…Etquelenseralesujet,cettefois?

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Elleneréponditpastoutdesuite,occupéeàramenerderrièresonoreilleunemèchequiluibattaitlafigure.Elleavaitàpeinereposélamainsurlevolant,quelamècherevintvirevolterdevantsesyeux.

–Tuveuxquejeremontemavitre?demandaMaxence.–Unpeu,oui,siçanetedérangepas.–Pasdutout.Alors,tonprochainsujet,qu’est-cequec’est?–BeatrizGalindo.–Connaispas.–D’oùl’utilitéd’undocumentairesurelle!Ilsroulèrentquelquesminutesensilence,puisArmellesegarasurlebas-côté.–Lesquatrevitresouvertes,çanevapaslefaire,désolée,j’aibeaucouptropd’air.–Pasdeproblème.Ildescenditdevoiture,ouvritlaportearrièredesoncôtéetremontalavitre,pendantqu’Armelle

faisaitdemêmecôtéconducteur.–Alors?CetteBeatriz?larelança-t-il.Femmedelettres?Femmepolitique?–Çat’intéressevraiment?– Oui. Tout comme ça m’intéresse de savoir comment tu es passée de la critique littéraire et

théâtraleàlaréalisation.Elle lui jeta un coup d’œil circonspect, comme pour s’assurer de sa sincérité, puis ils reprirent

placedanslavoiture.Ellemitsonclignotant,jetauncoupd’œildanslerétroviseur,etattenditd’avoirrecommencéàroulerpourluirépondre.

–Femmedescience.Préceptriced’IsabelledeCastillepuisdesesenfants.Professeuràl’universitédeSalamanque.

–Et?–Commentça,et?Unpeud’admirationetdedéférence,s’ilteplaît!Combiendefemmesétaient

des scientifiques et enseignaient, à la charnière des XVe et XVIe siècles, à ton avis ! L’université deSalamanqueest ladeuxièmeplusancienneuniversitéd’Espagne, fondéeauXIIe siècle, et lacinquièmeplusanciennedetoutel’Europe!

– En ce cas, je dis « respect » ! Et maintenant, tu m’expliques comment tu en es venue audocumentaire?

Elleneréponditpasimmédiatement,cherchantcommentleluidiresansluiparlerdeLudmila.Ellen’avaitenvied’enparleravecpersonne,pasmêmeavecJoël.Ludmilaétaitàlafoissongraindesableetsaperle.

–Ehbien…Ilyaunpeuplusdequatreans,ledirecteurdesprogrammesdeTVRéalitésNouvellesnousafaitsavoirqu’ilyauraitdescoupesbudgétaires.Certainesémissionsseraientsuppriméesetdescollaborateursdevraientquitterlachaîne.Demoncôté,avecmoncréneaudetroisminutesparjour,cinqjourssursept,j’avaisunpeufaitletourdelablogosphère,etjem’essoufflais.

C’étaitunmensonge.TVRéalitésNouvelles luiavaitenfaitproposéde transformersontoutpetitformat en une émission hebdomadaire de trente minutes. Émission qui dresserait le portrait d’unMonégasqueduprésentoudupassé,oud’unepersonneoriginaired’unautreendroit,maisayantpasséuntempssignificatifsurleRocher.Elleavaitdéclinél’offre,parcequ’àcemoment-làdéjà,Ludmilaétaittrèsmalade.Elleavaitaucontraireprisuncongésanssoldepours’occuperd’elleàpleintemps.

Après,biensûr, iln’avaitplusétéquestionqu’elle reprennesimplement leschoses làoùelle lesavait laissées,mais l’idéedecentrerundocumentairesurunepersonnalitéavait faitsonchemin.Ainsiquecelledeselancerdanslaréalisationenfree-lanceetdeproposersesprojetsàdifférenteschaînesdetélévision,pourtrouvercellequilafinancerait.

–J’ainégociémondépart,continua-t-elle.J’avaisenviedenouveauté.Demepousser.D’allerdansunedirectionquim’obligeraitàmedépasser.Lacritique,lesblogs…Çasentaitlafindecycle…

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Cette fois, elle ne mentait pas, mais la négociation avait eu lieu bien plus tard, en réalité.Coïncidence,concoursheureuxdecirconstancesoudestin,c’estàcemoment-làqu’elleavaitrencontréMarcusSpringberg.Uneforcedelanature.Unfou.Foudetravail.Foudepassionpourl’humanité.Foudevoyages.Foud’audace…Ilétaitl’invitéd’unanciencollèguedelachaîneetelleétaitvenueassisteràl’émission,danslepublic.Ellelefaisaitquelquefois.

Elleneconnaissaitriendesontravail,nidesaméthode,maisavaitétésubjuguéeparsoncharisme,laconvictionqu’ilmettaitàexpliquerseschoix,laforcedesesreportages.Oui,Marcusétaitvraimentunêtre à part. Après le tournage, sur l’insistance de Joël, elle avait accompagné la petite équipe del’émissionetquelquesautresaurestaurant.Lehasard–encorelui,maisétait-celehasard?–avaitfaitqu’elle s’était trouvée placée à côté de lui. Elle lui avait parlé avec une certaine naïveté – elle s’enrendaitcompteàprésent–,decequ’elleavaitenviedefaire,etaussiincroyablequecelaparaisse,illuiavait proposéde l’accompagner àBelfast.Troismoisd’immersiondans lesquartierspopulaires.Elles’était intéresséeà laviequotidiennedes femmes, luiàunaspectpluspolitiqueetéconomiquedecesquartiers, et c’était ainsi qu’elle avait appris lemétier, sur le tas, et qu’elle avait signé son premiertravailen tantquedocumentariste.Maisellenepouvait l’expliqueràMaxence.Cela l’auraitobligéeàentrer dans beaucoup trop de détails. Sur sa vie. Sur sa relation avecMarcus que bien peu de gensavaientcomprise,obnubilésqu’ilsétaientdevouloirlafairecolleràunschémaordinaire.Elleétaitfaitede«ni»,cetterelation,leplusfacilepourunedéfinition:ellen’étaitnisamaîtresse,nisonamoureuse,nisonassistante,ni sonélève. Iln’étaitni sonpèred’élection,nisonpygmalion,nisonmodèle.Etsichaquefoisqu’elleterminaitundocumentaire,elleluilaissaitlaprimeurdeladécouverte,cen’étaitnipour quêter son approbation, ni pour qu’il la corrige.Marcus étaitMarcus, elle était elle, et quelquechosecirculaitentreeux,uneconnivence,unfluxdontl’unetl’autretiraientmutuellementdesbénéficessurlesquelsilétaitdifficiledemettredesnoms.Maispourquoivouloirtoujoursnommercequirelielesêtresentreeux?

Ellepréféraorienterlaconversationsurlui.– Tu as certainement ressenti ça ? L’impression d’être au bout de quelque chose…

professionnellement,j’entends.– Je ne formulerais pas les choses de cettemanière, en ce quime concerne.Monpremier grand

virage, je l’ai opéré contraint, pas parce que j’ai ressenti une nécessité intérieure de l’ordre de lalassitudeoudutropvu.

Toutenparlant,illuijetauncoupd’œilgêné.Etpourcause.Sonpremiergrandvirages’étaitopéréaumomentoùils’étaitinstalléàLyonpourêtreplusprèsdesonfils,laissantderrièreluisatroupeetsesamisdejeunesse.Unviragequileuravaitpermisdeserencontrer,maispasdesegarder.

Enposantlaquestion,ellenepensaitpasàquelquechosed’aussiradical.Ellevoulaitsimplementl’orientersurl’évolutiondesaconceptiondumétierdecomédienetdemetteurenscène.

– Je parlais en fait de lamanière d’envisager les choses et de les vivre à l’intérieur d’un cadredonné…

–Oh,d’accord…Ehbien,jesupposequepourmoi,çaaétél’arrêtdujeu.Nonpasqu’ilyaiteuessoufflementàproprementparler.Maisj’aicrééunenouvelletroupedethéâtre,ilyaseptans,aveclaconviction que ma place était désormais à la mise en scène et à l’administration de la troupe, etuniquementlà.Sansdoutequel’intermèdeenseignementduthéâtreacontribuéàcetteévolution.

Illuijetaunnouveaucoupd’œil,guettantsaréactionàcetteévocation,etçalafitsourire.–«Sansdoute»,répéta-t-elle.Onnechangepasparéliminationmaisparadjonction.Noussommes

faitsdecequenousavonsété,quenouslevoulionsounon.–Oh!c’estbeau,ça!Superbephrase!«Noussommesfaitsdecequenousavonsété…»Tupeux

répéter?

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Elle comprenait ce qu’il était en train de faire : casser le tour « confession » que prenait ladiscussion.C’étaitunebonnechose,carellesesentaitglissermentalementdansunedirectionquineluiplaisaitguère.Elleentradoncdanssonjeu.

–Çava…Çava…Jel’admets,c’étaitcomplètementpompeux!Etmaintenantquetuaseutapetitevictoire,est-cequetupourraisattraperlesacenplastiquesurlesiègearrière,s’ilteplaît?

–Avecplaisir.Ilsecontorsionna,faisantattentiondenepasdonneruncoupdegenoudansle levierdevitesses,

puisrepritsaplace,etposalesacsursescuisses.–Etmaintenant?–Tupourraism’ouvrirlesDragibus?–Quoi?Ilouvritlesacetensortitlepaquetdebonbons,qu’ilagitadevantsonnez.–Tumangesça,toi,maintenant?–Est-cequejetedemandesitagrand-mèrefaitduvélo?Ouvre-leetpose-lelà…Ellelâchalevolant,ettapotadelamainl’espaceentreleursdeuxsièges.–Etsituarrêtesdericaner,tuaurasmêmeledroitd’enmanger.Jusqu’àMullingaroùilsfirentunepause,àpeuprèsauxdeuxtiersduparcours,ilsselivrèrentalors

àdescommentairescomparésdesgoûts,descouleursetde la texturedesbonbons,conscients tous lesdeuxdes’appliqueràéviterlepiègedel’intimeetdessouvenirs.Ilsprofitèrentdecetarrêtpourréglerleproblèmedeleurhébergement.Armelletéléphonaàl’hôteloùelleavaitretenuunechambrepourlesdeuxnuitsàvenir,etenréservauneseconde.

Puisilsreprirentlaroute,etMaxenceproposadeconduire.

***

Ils n’avaient pas fait cinqkilomètresqu’Armelle s’assoupit.Elle retrouvait dans son sommeil unvisage doux, apaisé, alors qu’elle semblait sinon traîner un fond de tristesse et de désenchantement,malgré la passion qu’elle mettait dans ses repérages. Il n’avait pas retrouvé chez elle cette gaieténaturelle,cepetitquelquechosedepétillantquil’animaitenpermanence,avant.Ilcommençaitàsefaireàsoncarrécourt,alorsqu’ilavaittantaimésescheveuxlongs,qu’ilenavaittantjoué,s’étaittellementperdudedans.Peut-êtrelechangementdecoiffurecontribuait-ilàluidonnercetteexpressionplusfermée,plussévèrequ’autrefois,lorsqu’elleadoptaitdeschignonsflous,desqueues-de-chevalfantaisie,etquedes mèches folles s’en échappaient, attirant le regard – son regard d’homme – sur l’arrondi de sesépaules ou la naissance de ses seins. Quoi qu’il en soit, ils avaient l’air toujours aussi soyeux et lalumièredupleinaprès-midifaisaitparaîtresonchâtainclairpresqueblond.

Un très léger sourire flotta soudain sur ses lèvres. Où était-elle, dans son rêve ? Avec qui ? Iln’avaitpasencoreosél’interrogersursavieprivée.Pourtant,ilbrûlaitdesavoirsil’hommedontNasrinKemalluiavaitparlé,unjourqu’ilsétaienttombésl’unsurl’autreaucinéma,avaitréussilàoùilavaitéchoué. Il ne lui avait pas menti, sur la plage, en lui expliquant pourquoi il avait eu envie del’accompagner.Ilgardaitdeleurrelationl’impressionqu’elleétaitrestéeensuspensmalgréleurruptureetlefaitqu’iln’avaitpluseuensuiteaucuncontact.Ilsavaitaussiqu’ilportaitseullaresponsabilitédecetterupture. Ils’était trompésur toute la ligneàcettepériode :sur lanouvelleorientationqu’ilavaitdonnéeàsavieprofessionnelle,surlefaitd’avoirvouluindexertouslesaspectsdesonexistencesurlerythmed’unenfantdeseptans,surlanaturedecequilesliait,Armelleetlui.

Ilyavaituneréplique,dansunfilmdeLauzier,quiluisemblait,rétrospectivement,faitepourlui.MarieGillain,adolescenteà l’époque,ditensubstanceàDepardieuqui jouesonpère,àproposde lafemmeaveclaquelleilsort:«Tutedemandaisàpeinesituallaisl’inviteràdînerqu’ellesavaitdéjà

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quetuétais l’hommedesavie.»Ilavaitd’abordcruqu’Armellenecherchait, toutcommelui,qu’uneaventuresansengagement.Legenrederelationdontonneprendquelesaspectsfacilesetagréables:lesexe,lessorties,lesdiscussions,labonnecompagnie.Quandilavaitcomprisqu’ilsn’étaientpasdutoutsurlamêmelongueurd’onde,iln’avaiteudecessed’éviterunediscussionsérieusesurleuravenir,seservantdesonfilscommeprétexteetcommebouclier.Oui,ilavaitbrandiLouiscommeunbouclier,car,d’une certaine façon, il se sentait menacé. Trop de choses le déstabilisaient. Il avançait dans lebrouillard.

Il ne lui avait pas fallu longtemps pour comprendre qu’il avait fait une erreur monumentale enlaissantCour&Jardin,ets’entenirjouraprèsjouràsadécision,garderlecappourLouis,luiprenaittoute son énergie. Il n’avait pas voulu ajouter ce qu’il qualifiait alors à part soi de contraintesupplémentaire.

Armelle fit un petit bruit dans son sommeil, quelque chose entre le soupir et le gémissementd’abandon,etdes images trèsprécisesdecertainesde leursnuits lui revinrenten force.L’amouravecelleavaitétéplusqu’unesimpleaffaired’alchimiesexuelle.Iln’enavaitjamaiseuconscienceavant,quecesoitavecMarylèneoulesquelquesautresfemmesquiavaienttraversésavie.MaisdepuisArmelle…Depuiselle,ilavaitpumesureràquelpoint«fairel’amour»étaituneexpressionquipouvaitdésignerdes expériences très différentes. Il n’était pas resté abstinent, depuis huit ans, bien sûr. Il avait trouvéd’autresfemmesbelles,désirables.Etillesavaitdésirées–lecorpsasamécanique–,maispascommecellequiétaitendormieàcôtédelui.

Elleluiavaitdemandédenepaschercheràlacontacterjusqu’àcequ’elle-mêmedécidedelefaire.Ilavaitrespectésonsouhait.Pourêtrehonnête,àcemoment-là,iln’étaitmêmepassûrdevouloirqu’ellel’appelle.Ilétaittropdésorienté.CesamedisoiroùilétaitalléassisteràunerétrospectiveKurosawaetoù il s’était retrouvé face à Nasrin dans le hall du cinéma, ils ne s’étaient pas dit grand-chose,suffisamment cependant pour qu’il apprennequ’Armelle venait de semarier.C’était à peine s’il avaitréagi.Est-ce qu’elle l’était encore ?Samain ne le disait pas, en tout cas.Elle ne portait qu’un largeanneaud’argentmarteléàl’annulairedroit.

Ilserenditcomptesoudainqu’ilétaitsurunetoutepetiteroute,etilsedemandacommentils’étaitdébrouillépourquitterlaroutenationalequ’ilssuivaientdepuisKinnegadsanss’enrendrecompteetce,malgréleGPS.

Audétourd’unvirage,ilaperçutunemassesombresurlachaussée,àunecentainedemètresdevantlui.Ilralentit,puisconstatabientôtquel’obstacle…étaitunânetranquillementallongéaumilieudelaroute.L’animaltournaverslavoitureunregardplacide,sansfaireminedebouger.

– Qu’est-ce qui se passe ? demanda Armelle, en ouvrant les yeux. Pourquoi on s’arrête ? Hé !ajouta-t-elleavecunpetitrire,apercevantl’âne,salut,toi!Tun’aspasl’airdevoirpasserdesvoituressouvent…

Puis,serendantcompteàsontourqu’ilsn’étaientpasdutoutoùilsauraientdûêtre:–Qu’est-cequ’onfaitlà?Elleluijetauncoupd’œilmutin.–Tuasl’intentiondemeperdredanslaforêt?Elle attrapa le sachet deDragibus qu’elle avait placé un peu plus tôt dans le petit compartiment

entreleursdeuxsièges.–Aucunechancequeturéussisses.J’aimespetitscaillouxblancs!Ilrit.–Allez,Bourriquet!fit-il,endonnantuncoupdeklaxon.Pousse-toidelà!–«Bourriquet»?–Oui,l’âneenpeluchebleu…LecopaindeWinniel’Ourson…Tuneconnaispas?Touslesgosses

regardentça.

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–Non…si…peut-être…J’ignoraisentoutcasqu’ils’appelaitBourriquet.Elleparuts’éteindre,toutàcoup.Il klaxonna de nouveau. Cria un peu en passant la tête par la vitre ouverte de sa portière,mais

Bourriquetneparaissaitpasplusému,niplusaffoléqueça.–Çasepousse,unâne,tucrois?–Aveclavoiture,tuveuxdire?demandaArmelle,l’airhorrifié.–Maisnon,aveclesmains…–Ilal’aird’avoirunlicol.Onpourraitpeut-êtreletireretlefairebougerjusqu’auchamp.–«Unlicol»?répéta-t-il.Ilnel’avaitpasremarqué.–Oui,unlicol.Tun’asjamaismisenscèneEnattendantGodot?Elle lui coula un regardmalicieux et il fut soulagé de constater qu’elle avait retrouvéune forme

d’espièglerie.–Pourtagouverne,Luckyesttenueenlaisse.Etjesaiscequ’estunlicol.Jem’étonnaisjusteparce

quejenel’avaispasvu.Etmanifestement,jevaisdevoirm’enservir…Il marqua un temps d’arrêt, jaugea la bestiole devant lui, dont la queue battait le bitume. Il se

demanda si unâne, ça fonctionnait comme les chats, et si cemouvement incessant signifiait qu’il étaitcontrarié.

–Tucroisqu’ilvacharger?Armelle fixa ostensiblement l’animal qui saisissait à cet instant, très délicatement et les babines

retroussées jusqu’aux gencives, une touffe d’herbe émergeant d’un nid-de-poule. Il semit ensuite à lamâchonnerpaisiblement.

–Tuesarmé?demanda-t-elleenpouffant,etilfutbêtementheureuxdelafairerire.À partir de là, le comédien refit surface. Il sortit de la voiture et offrit à Armelle sonmeilleur

spectacle d’improvisation, tirant, poussant l’âne avec la gestuelle outrancière d’un personnage de lacommediadell’arte,l’appâtantavecunepoignéed’herbe,faisantsemblantdelagoûterpourengarantirl’innocuité…

Auboutdequelquesminutes,Bourriquet,lassésansdoutedesonagitationautourdelui,sedécidaenfinàseremettresursespattes,ets’éloignaaupetittrotsurunchemindeterre.

Ilsreprirentlaroute.Lorsqu’ilss’engagèrentsurHa’pennyBridge,Armelleriaitencore.

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7

Lelendemainmatin,ilscommencèrentlerepérageparl’AbbeyTheatre,l’undeslieuxdeDublinquiavaientcomptépourConstanceMarkievicz.

Laveilleausoir,tandisqu’ilsprenaientunrepaslégerdansunpetitpubclassémonumenthistoriqueetvieuxdeplusdehuitcentsans,ArmelleavaitlonguementparléàMaxencedeConstance.Ilavaitmieuxcomprispourquoilavieetlapersonnalitédecettefemmel’intéressaientautant.Armellen’avaitjamaisaimé la tiédeur. À samesure et à samanière, elle était elle-même quelqu’un d’entier et d’engagé. Ill’avait tout à fait retrouvée dans ses enthousiasmes et ses indignations d’autrefois. Quand un sujet lapassionnait,elleavaitunefaçond’enparlerquimagnétisait.Littéralement.Ilétaitrestésuspenduàseslèvresetàsesparoles,toutelasoirée.

Examinéeenjournée,d’autantqu’elleétaitorientéenord-ouest,lafaçadeduthéâtrenepayaitpasdemine,maisMaxenceimaginaitsansmalquesesgrandesbaies,illuminéeslesoir,devaientopérercommede grands fanaux qui appelaient les spectateurs. Entièrement détruit en 1951 par un incendie, etreconstruit dans les années 1960, sûr qu’il n’avait plus rien à voir avec le lieu où Constance s’étaitproduite,etoùsoncompatrioteetcontemporain,lepoèteWilliamYeats,avaitfaitjouersespièces!CarConstanceavaitdébutéunecarrièredecomédienneàl’AbbeyTheatre,peudetempsaprèssonmariageaveclecomteCasimirMarkieviczet leurretourdeParis,où ilss’étaientconnusetmariés.Maisc’estsurtoutàl’occasiondecesdébutsthéâtraux–quin’enresteraientqu’àcelad’ailleurs–queConstanceavait rencontréMaudGonne,uneautrecomédienne,personnagedéterminantpour son futurengagementpolitique.Elless’étaientretrouvéessurplusieurspoints,dontl’engagementféministeetsocialiste.

C’étaitétrangeetcaptivantderegarderArmelletravailleràsesrepérages.Elles’yabsorbaittoute,etnesemblaitplusrienvoirdecequin’étaitpasfiltréparl’objectifdelacaméra.Elleluiavaitexpliquécomment elle procédait… Sa façon de venir seule, d’abord, sur les lieux, pour s’imprégner del’atmosphère, tenterdecomprendrecequi,dansunpaysage,uneville,unemaisond’enfance,avaitétéconstitutifdecequelapersonneallaitdevenir.Etlorsqueleslieuxavaientbeaucoupchangé,ellejouaitsur leparallèleprésent/passé, ancien/nouveau,pourne rienperdrede lavibration ténuedecequ’ellenommaitla«permanencedel’invisible».

Il avait été plusque charmé, la veille, lorsqu’elle lui avait expliqué tout cela : il avait aussi étéimpressionnéparsonintelligencedesêtresetdeschoses,parlamanièreàlafoishumbleetéclairéeaveclaquelleelle tentaitde lesappréhender.Elleétaitdéjàunpeu toutcela, lorsqu’ilss’étaient rencontrés,évidemment,et ilnedécouvraitpascesqualitésetcette façond’être.Mais lesannéesquivenaientdepasserlesavaientnourriesetciselées.

La nature généreuse d’Armelle, son esprit vif et brillant lui apparurent soudain comme un fruitmagnifiquequ’ilavaitunjourdédaignéencroyant,pauvrefou,qu’iln’auraitjamaisfaimnisoif.Etcette

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prisedeconsciencelebouleversa.Lorsqu’elle eut terminéau théâtre, ilsmarchèrent auhasarddes rues.Ellevoulait sentirbattre le

pouls de Dublin. Hasard heureux, car leurs pas lesmenèrent dans O’Connell Street, la grande artèrecommerçantedelacapitale.Outrelesboutiques,lescinémas,lessnacksetlespubs,assurantauquartierunevietrépidantedejourcommedenuit,ilstombèrentsurunterre-pleincentralquejalonnaientplusieursstatuesdehérosdelaluttepourl’indépendancenationale.

Armellefitdesplansfixessurtous.–Jelesferaidéfilerencontinudansunbandeau,enbasdel’écran,aumomentoùmondocumentaire

traiteradel’InsurrectiondePâquesde1916.–Àl’issuedelaquelleConstanceaétéarrêtée,etemprisonnéedansje-ne-sais-plus-le-nom-de-la-

prison,devenueàprésentunmuséeoùtuvasdemain.–Bravo!Dixsurdix!Plus loindans la rue, ilsprirentencore le tempsdequelquesprisesdevuesde laGrandePoste,

pointderalliementdesinsurgés.Ilsesentaitléger,àlasuivredanssesinvestigations,àl’écouterluiparlerderushes,demontage,à

élaborer à voix haute les commentaires qui serviraient pour les voix off. Il avait été promu premierscribe,ettandisqu’elleavaitlacaméracolléeàl’œil,elleluidictaitdesnotesqu’ilprenaitsurlecarnetqu’elleluiavaitconfié.

Ilsdécidèrentensuitedes’acheterdessandwichsetd’aller lesmangerauvert,dansStStephen’sGreen.

–MaisonmangeraseulementquandonauratrouvélebustedeConstance!leprévintArmelle.Ilsletrouvèrentenbelleplace,pasloinducentreduparc,prèsdel’airedejeuxpourenfants.Sastatuelareprésentaitaveclestraitsduvisageassezprononcés,sansdouteparcequ’ellen’était

déjàplusdanssapremière jeunesse lorsqu’elleavaitposépour lesculpteur :despommetteshautesetsaillantes,unebouchepleine,lessillonsnasogéniensmarqués.Maiselleposaitsurlesvisiteursunregardpleind’unetranquilleassurance.

Ils s’installèrent au bord du lac, près d’un kiosque d’ornement. L’endroit était charmant, trèsXIXesiècle,toutàfaitpropiceàoublierlebruitdesvoituressurGraftonStreetquicomposaitunarrière-plan sonore anachronique. Une chute d’eau artificielle et une arche végétale qui épousait jolimentl’arrondid’unpontcomplétaientcetableauromantique.Àcetteheuredelajournéeetparlachaleurqu’ilfaisait,ilsyétaientseuls,misàpartquelquescanardsquisortirentdel’eauets’approchèrentd’euxensedandinant.Ilsleurjetèrentdesmiettesdesandwichsquin’eurentaucunsuccès.

Lorsqu’ilseurentterminé,ilss’allongèrentdansl’herbe,côteàcôte,lesbrasderrièrelatête.Maxencesongeaitàl’accélérationqu’avaitpriselecoursdesaviedepuisl’avant-veille.Ilaurait

dûsetrouverencemomentmêmeàAvignon,àdéjeunersurlaterrassed’uncaféavecsatroupeouentraindemodifierun éclairage,un élémentdudécor, avant la représentationde la soirée.Or, il était àDublin,entraindecontemplerlesnuages,écoutantlarespirationd’Armelle,etserepassantenaccélérétouteslesétapesdecestroisjours.

–Tum’impressionnesdepuishiersoir,tusais,dit-ilsoudain.Armelletournalatêteverslui.–Depuishiersoirseulement?demanda-t-elleavecunsourireprovocateur.– C’est que je n’avais pas eu jusqu’à présent l’occasion de te voir en réalisatrice. Tu es…

transformée!Ellerepritsapositioninitiale,laissapasserquelquessecondes,puisdemandaencore:–Etc’estunebonnechose,ouunemauvaise?Iln’avaitfaitqu’exprimeruneconstatation,etsaquestionl’étonna.–Nil’unenil’autre.C’est,toutsimplement.

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CetteconclusionrenvoyaArmelleàcesoird’hiveroùelleavaitassistéàunerépétitiondesdeuxanciensélèvesdeMaxence,dansunetoutepetitecavedeSaint-Jean.Cesdeuxjeunesgensquiavaientmonté un duo comique et qu’il coachait. Elle gardait encore très vive à l’esprit samétamorphose enmetteurenscène,soussesyeuxadmiratifseteffarés.Unerévélationpourellequine l’avait jamaisvudansunrôleprofessionnel.Unerévélationquiluiavaitconfirméqueleurhistoireétaitvouéeàl’échec.Elleauraitpudirealors,elleaussi:«C’est,toutsimplement.»

–Cesdeuxélèvesquetuaidais…,commença-t-elle,cherchantleursprénomsetleursvisages.–AnaïsetQuentin?–Oui,Anaïs etQuentin.Qu’est-ce qu’ils sont devenus ? Je les avais trouvés très courageux. Ils

étaientsijeunes!Ilsetournaverselle,enéquilibresurleflanc,latêteenappuisurlamain,etunsourireéclairason

visage.– Je suis plutôt fier d’eux, je dois dire,même si tout lemérite leur revient…Leur duo n’a pas

vraiment trouvé son public,mais ils n’ont pas baissé les bras pour autant et ils ont su tous les deuxrebondir.Anaïss’esttournéeverslecinéma.Elleadécrochédespetitsrôlesdansdessériestélévisées,pourcommencer,puiselleaeu,ilyatroisans,untrèsbeausecondrôledanslepremierfilmd’unjeuneréalisateur. Ce qui lui a permis d’être remarquée. Bon, elle est un peu abonnée aux seconds rôles,depuis…

– Il y a des tas d’acteurs qui ont fait de très belles carrières avec des seconds rôles, fit-elleremarquer.

Elle chercha quelques noms à lui citer, et comme aucun ne lui vint rapidement à l’esprit, elleconclut:

–Toutdépenddecequ’onrecherche.–C’estvrai.QuantàQuentin,ilfaitpartiedematroupe!Sinousjouionsdespiècesclassiques,il

seraitnotreRodrigueounotreChristian.– Je préfère de loin Rodrigue, il est moins con ! Alors, parle-m’en un peu, justement, de cette

nouvelletroupe.Tuyasfaitallusiondanslavoiture,hier,maisonétaitdanslefeudelaconversationetjen’aipasrelevé.Carambole,c’estça?

–Oui.Elleseredressasurlescoudes,etsecoualatêtepourremettresoncarréenplace.–Pourquoicenom?–Pourlerouge,couleurduthéâtreparexcellence.Pourl’idée«jetetouche,tutouchesquelqu’un,

qui touche quelqu’un à son tour », comme les boules dans une partie de billard.Cour& Jardin étaitdescriptif;ilfaisaitréférenceàlastructured’unescène.Carambole,c’estlemouvement,lecontact!

–Tupétilles,quandtuenparles!–C’esttoiquimefaispétiller,aujourd’hui!Leurs regards s’accrochèrent soudain, s’aspirèrent, et le désir qui crépitait entre eux et qu’ils

avaientrefusédevoirjusque-là,semitàsourdre,libéréparlevoyagedelaveilleetlesheuresqu’ilsvenaientdepasserensemble.

Tandis qu’elle voyait le visage de Maxence se rapprocher d’elle avec une lenteur de ralenticinématographique,Armellesongeaàcequiavaitétélepointdedépartdecevoyageàdeux–hormissontravail,biensûr:ilavaitétéquestiondepagetournéeetd’amieretrouvée.

Or,iln’étaitpascertaindutoutquecesoitlecheminqu’ilsprenaient!

***

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Maxenceinclinalatêteavecunelenteurdélibérée,laissantàArmellelapossibilitédesedétourner,del’arrêterd’ungeste,d’unmot.Maisellen’enfitrien.Ellesecontentadelefixer,jusqu’àcequeseslèvresseposentsurlessiennes.Illuidonnaunbaisertrèsdoux.Àpeineunbaiser,uneffleurement.Ilnevoulaitrienbrusquer,incertaindecequ’ilfaisait,attendantdevoirsileursbouchessereconnaissaient,serépondaientencore.

Armelleneleluirenditpaset,àladéceptionquiluimorditlecœur,Maxencepritconsciencedel’ardeuraveclaquelleilsouhaitaitl’embrasser.L’embrasservraiment.Maisilluiavaitfaitcomprendrequelétaitsondésiretàsupposerquecetteabsencederéactionnesoitpassaréponse,c’étaitàelle,àprésent,d’exprimercequ’ellevoulait.

Ellelevalamainetluicaressalajoue.Unecaresseaussilégère,aussidoucequesonbaiserl’avaitété.Ilcrut liredela tristessedanssonregardquirayonnait tant,quelquesinstantsauparavant,quiriaittant,laveille,quandils’échinaitàfairebougerBourriquetdumilieudelaroute.Ilsedemandaquelleétaitlasignificationdecegeste,s’ildevaitcomprendrequ’ellesouhaitaitenresterlà.Cebaiserfurtifluirappelaqu’iln’avaitjamaisperdulegoûtd’elle,desapeau.

Ilréessaya.Inclinadenouveaulatête.Lapenchaverselle.Ellenesedérobapasplusquelafoisprécédente,maisnefitriendeplusqu’accueillirlecontactdeseslèvres,commesiellehésitaitencore.Illacaressad’unboutdelangue,etretrouva,avecunsentimentdefamiliaritébouleversant,lemodelédesabouche.

Ellelaissaéchapperunfaiblesoupir,unsoupirqu’ilreconnutaussi,cesoupird’autrefoisquidisait«oui,embrasse-moi,j’enaienviemoiaussi».Alorsilaccentualapressiondeseslèvressurlessiennesetquandillasentitlesentrouvrirpourrépondreàsonbaiser,illasoulevadoucementpourl’entourerdeses bras et la serrer contre lui.Elle se laissa aller, abandonnant enfin cette raideur circonspecte aveclaquelleelleavaitaccueillisapremièreapproche.

***

Ellen’avaitplusenviedeseposerdequestions.Plusenviederéfléchir,letempsdecebaiser.Çane voulait rien dire, un baiser, entre anciens amants. Ce n’était pas comme un premier contact, unepremièrecaresse.Desbaisers,ilss’enétaientdonnédesmilliers,etcebaiser-làrejoindraitbientôtleurcohorte,dans laboîteà souvenirs.Alorspourquoinepasenprofiter simplement?Êtredans l’instant,pourunefois,danslasensationpure?

Maxence abandonna sa bouche et glissa dans son cou, sur son épaule que son débardeur laissaitpresquenue,puisilrevintsursagorge,lanaissancedesesseins.Ledésirlasaisitalorsbrusquement,laprenant par surprise.Un désir violent de sentir sesmains sur elle, sa bouche.Un désir d’onduler, degémird’impatiencesoussescaresses.Commeavant…Oubliantoùilssetrouvaient,ellen’avaitqu’uneenvie:qu’ilglisselesdoigtssoussajupeettrouvesapeau.

Desesmains,elleluiemprisonnabrusquementlevisage,etluifitreleverlatêtepourl’embrasserdenouveau.Unbaiseravide,exigeant,qu’illuirendit, tandisqu’ilcherchaitfébrilementsesseinssoussondébardeur.

Cefutledéclicpourelle.Çaallaittroploin!Elleétaitalléetroploin!Elleauraitdûgardersesdistances.Lerepousseraprès

lepremierbaiser.Elleavaitquittécethomme,bonsang!Elle l’avaitquittéparcequ’iln’avaitpassul’aimercommeellevoulaitêtreaimée.

–Maxence…Elleluisaisitlesmainsetremitentreeuxunedistanceraisonnable.–Ilnefautpas…

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Illaconsidérasansriendire,sesyeuxd’ungrisd’orage.Ellen’avaitpasoubliélasignificationdecettecouleur.Àuneépoque,elle laguettait, l’accueillaitcommeunepluied’été.Elleen jouait. Ils enjouaient.Maisjustement,toutétaitdanscesmots:«àuneépoque».Ilyavaitlongtemps.Huitans.Etcesretrouvailles,cetteremiseenprésencel’undel’autre,plutôt,nesignifiaitrienpuisquecen’étaientpaseuxquil’avaientvoulue.Unhasard.Cemêmehasardquilesavaitrendusdeuxfoisvoisins.Decehasard,iln’étaitriensorti,lapremièrefois.Decetteproximité,ilsn’avaientrienconstruit.

Un«détail»qu’ellenedevaitpasoublier.–Osedirequ’encetinstanttunemedésirespasautantquejetedésire,Armelle…–Làn’estpaslaquestion…Ellesoupira,jetaunregardautourd’euxetenregistramachinalementqu’ilsn’étaientplusseuls.Une

vieilledamesetenaitàquelquesmètresd’euxetémiettaitdupainauxcanards.Ilssebousculaientàsespieds.

–…Mais à quoi est-ce que ça va nousmener ?À rien, et tu le sais aussi bien quemoi. CetterencontreenIrlandenesignifierien,Maxence!

–Oupeut-êtrequ’ellesignifiebeaucoup,aucontraire…Ellesecoualatête.–Non…Noussommesémusdenousrevoiretc’estnaturel.Nouslesommesd’autantplusquenous

avons eu très peur pour des gens que nous aimons et notre équilibre émotionnel en est perturbé. Onpourraitregrettercequisepasserait.

–Passilecadreestfixéavant.–Tuveuxdire…siondécidequeçanecomptepas?–Jeneleformuleraispascommeça,maisc’estl’idée.Noussommeslà,touslesdeux,enIrlande,

dansunrythmeetunenvironnementquinesontpaslesnôtres.Etledésirestlà.–Oui,ledésirestlà,chuchota-t-elle.Maisest-cequefixeruncadresuffirait?Sielleenjugeaitparlavitesseàlaquellelaréserveavait

explosé,leplaisiraveclequel,encequilaconcernait,elleavaitaccueillilafamiliaritéretrouvée,fairel’amouraveclui,mêmeuneseulefois,risquaitd’ouvrirlaboîtedePandore.Etquisavaitquelsterriblesmaux il en sortirait pour elle ?Pour eux ?Elle n’avait plus envie d’avoirmal, plus envie de faire lecomptedesespertes.

–Tun’esobligéeàrien,Armelle.Etsurtoutpasàtejustifier.–Jesais.

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8

Lorsqu’ilsseretrouvèrentcommeconvenuà19h30pourallerdîner,Armelleproposalerestaurantdel’hôtel.Elleavaitjetéuncoupd’œilsurlacarteaffichéedanslehall,enrevenantdesonrendez-vousavec le directeur de Kilmainham, l’ancienne prison devenue musée de l’Histoire du nationalismeirlandais. Elle y avait repéré quelques plats susceptibles de leur plaire, pour leur dernière soirée àDublin,etquilachangeraitdessandwichs-fritesqu’ellemangeaitsurlepoucedanslespubs.Elleadoraitl’ambiancedespubs, làn’étaitpaslaquestion,maissonestomacunpeumoinsauboutdepresquedixjoursdecerégime.Etpuis,lelendemain,ilsreprendraientlaroutepourDrumcliff,etlesurlendemain,chacunretourneraitàsavie.

Elleavaitprissadécision.Cettedernièrenuit,ilslapasseraientensemble.Ceseraitlecadre.C’estpourquoielleavait envied’unmomentparticulier.D’unmomentdansundécorunpeuplus

raffiné,uneambiancepluscalme.Unpeuderomantismepeut-être,mêmesic’étaitjusteunjeu,letempsd’un repas. Elle ne pouvait le nier, depuis leur baiser au parc, le désir était bel et bien là entre eux,vibrant,etelleétaitlapremièreàs’enétonner.Elleavaitcrusoncorpsmort.Maisilsemblaitqu’ilsoittoujoursvivant.CestroisjoursavecMaxenceavaientréveilléquelquechoseenelle,etcequelquechoseaspiraittoutàcoup,avecunevigueursurprenante,àécloreaugrandjour.Oui,ilsferaientl’amour,toutàl’heure.EllelelisaitdanslesouriredeMaxence,commeilpouvaitleliredanslesien.Etelleattendaitcemoment. Il serait ce qu’il serait et rien de plus : un épisode de pure passion entre deux corps quis’étaientunis,perdus,etquiseretrouveraientpourunenuit,unenuitseulement.

Duhallde l’hôtel, ilspassèrentdirectementdans lerestaurant.Unejeunefilleen tailleurnoir lesaccueillitetlesinstallaàunetabledansunerotonde,aumilieudeplantesvertesengrandsbacsdeboiscérusé. Les fauteuils étaient en rotin, la nappe blanche retombait très bas. Armelle eut l’impressiond’entrerdansunjardind’hiver.Exactementcommeellel’avaitimaginé.

Lorsquelegarçonvintleurdemanders’ilssouhaitaientunapéritif,Maxencecommandasanshésiterdeuxflûtesdechampagne.

Elleposa lescoudesaubordde la table,appuya lementonsursespaumesouverteset le fixaensouriant.

–Qu’est-cequ’ilya?demanda-t-il.Maislesourirequ’illuirenditdisaitqu’illesavait.Ilyavaitlesouvenirdeleurbaiser.Ilyavaitle

désir.Ilyavaitlapromessedelanuitàvenirquin’appartiendraitqu’àeux.Iltenditlebraspar-dessuslatableetluicaressalajouedureversdelamain.–Jetetrouvetrèsbelle.Ilyaquelquechosedespécialquiirradiedetoi.Elle battit des paupières pour chasser la montée d’émotion soudaine que son compliment avait

provoquée.Heureusement,leserveurrevintàpointnomméavecleursdeuxflûtes.

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–Un«blanquedeblanque»,annonça-t-ilavecunfortaccentetunairdecomponctionquifaillitfaireéclaterderireArmelle.

Ellesesentaitd’humeuràriredetout,cesoir.Lorsqueleserveursefutéloigné,Maxencelevasonverre.– À toi, dit-il. À ConstanceMarkievicz, comtesse sublime, mais pas aussi sublime que toi ! À

l’Irlande,sespubs,sesroutesdecampagneetsesânes!Ilstrinquèrent.–Comments’estpassétonrendez-vous,cetaprès-midi?– Bien. Très bien même. On s’est mis d’accord avec le conservateur : il accepte que je filme

certainsdocumentsrelatifsàl’InsurrectiondePâquesetàl’emprisonnementdeConstance.–Etpourlemuséelui-même?Tuaspufairedesprisesdevuesintéressantes?Lajeunefemmequilesavaitinstallésrevintaveclesmenusetlacartedesvins.–Oui.Sansproblème.DesscènesdufilmMichaelCollinsyontététournées,tusais?–Jel’ignorais.UnrapportavecConstance?–Complètement!Ilyétaitenmêmetempsqu’elle.Ilssesontbattusensembledanslarue!Maislui

aeusonfilm,etàcauseduLiond’oràlaMostradeVenise,toutlemondeconnaîtmaintenantMichaelCollinsetsonengagementpolitique,alorsquepersonneneconnaîtConstanceendehorsdel’Irlande.

–Maisgrâceàtoi,cettelacuneseraréparée!Ilsconsultèrentlesmenusetsedécidèrentpourunplatdepoissonaccompagnédepetitslégumeset

unedemi-bouteilledebourgogneblanc.Dèsqu’ilseurentrefermélesmenus,legarçonvintprendreleurcommande.

–Jen’aipersonne,tusais,ditMaxence,quandilfutreparti.–Jenetedemanderien.Ilcherchasonregard.–Tuneveuxpassavoir?–Est-cequeçachangeraquelquechose?Tuasdéjàdécidédecequ’iladviendracesoir,etmoi

aussi…–Tuneveuxpassavoir,répéta-t-il,laminelégèrementassombrie.–Si,maistun’espasobligé.– J’ai envie que tu saches… Il y a eu des femmes, mais je n’ai rien construit. Je n’ai rien pu

construireaprèstoi.Onleurapportaleursplats.Maxence,quis’étaitpenchéversellesanss’enrendrecompte,dutse

reculerpourque le serveurpuisseposer sonassiettedevant lui.La jeune femmeen tailleur suivaitdeprèsavecunseauàglace.Elleleposasurunsoclequ’elleapprochaensuitedeleurtable.Puiselleleurprésentalabouteilleetlorsqu’ilseurentapprouvé–ArmelleétaitcertainequeMaxencen’avaitpasfaitplus attention qu’elle à l’étiquette –, elle la déboucha et fit le service.Nouvelle cérémonie attendue :Maxencetrempaleslèvresdanslevinetapprouvadenouveau.

–Tunemedemandespaspourquoi?dit-il,lorsqu’ilfutsûrqu’onnelesinterrompraitplus.–Jenesuispascertained’avoirenviedejoueràça,Maxence.C’esttoiquiasparlédecadre,au

parc,tutesouviens?Etlà,tudébordesducadre…–Tun’aspasenviededéborderunpeu,Armelle?Tun’aspasunpeudecuriosité?–Ohsi!Beaucoupmême,maislaviem’aapprisqu’ilfautsavoirseprotéger.–Ettuteprotèges,là?Dequoi?Demoi?Dessouvenirs?Dessentiments?– Tu n’as pas d’autre enfant que Louis ? demanda-t-elle alors, pour diriger de nouveau la

conversationsurlui.–Non,pasd’autreenfant.Dequoituteprotèges?répéta-t-il.Elleneréponditpasàlaquestion,maisdit:

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–Moi,jesuismariée.Elleleditpourleprovoquer,plusqueparsoucideluirendresaconfidence.Ilrestaimpassible.–Jesais.–Comment?–J’airencontréNasrin,unsoir,aucinéma.Ellemel’adit.Ilss’étaientmariésjusteaprèslanaissancedeLudmila.Joëlavaitinsisté.Ilytenaitbeaucoup.Sur

presquetouteslesphotosofficielles,elleavaitlebébédanslesbras.–Nousvivonsséparésdepuisplusieursannées.Ilvoudraitseremarier,alorsonvadivorcer.–C’estdouloureux?–Non.C’estmoiquisuispartie.Ellenevoulait pas endireplus,maisquelquechose lapoussa à continuer.Peut-être lesyeuxde

Maxencedanslesquelsellevoyaitdéfilerlesémotions,lesregretspeut-être.Latentationdu«etsi…».Alorselleinspiraetajoutadansletempsdel’expiration:–J’aiperduunenfant.Leseulenfantquej’aieu.Ça,c’estdouloureux.–Tuveuxenparler?–Iln’yapassilongtempsencore,jenepouvaispas.Maintenantjepeux.Lesigned’uneévolution.Lanacrequisefaisaitplusépaisse.–C’étaitunepetitefille.Ludmila.Elleestnéeavecunemalformationcardiaquenonopérable.Elle

estmortequelquessemainesavantsesdeuxans.Ilyaquatreans.Maxenceluipritlamain,laserrasansriendire.–Çava,net’inquiètepas.Elleestlà…Elleposasamainlibresursoncœur.–…Toutletemps…Unedouleurquejemesuisappropriée,quej’airendueconstitutivedeceque

jesuis.Jesuisprêteàavancerdenouveau…J’aiavancédéjà.J’avance.Touslesjours,j’avance.

***

Lorsqu’ilssortirentdurestaurant,unpeuplustard,Maxencepritlamaind’Armelleet,sansunmot,laconduisità travers lescouloirs jusqu’àsachambre.La tension,entreeux,étaitdifférented’avant lerepas,commeapaisée.Ellen’avaitplusbesoind’écran.

Desamainlibre,ilattrapalacartemagnétiquedanslapochedesachemise,etdéverrouilla.Puis,toujours sans la lâcher, il l’entraînaà l’intérieur.Armelle s’appuyaaussitôt contre laporte etdégageasouplement samain.Ainsiqu’elle l’avait fait àStStephen’sGreen,ellecaressaduboutdesdoigts sajoue, comme si ce geste avait une vertu particulière, ou une signification secrète pour elle. Puis ellerenversalégèrementlatêteenarrière,enuneinvitequ’iltrouvaàlafoisgracieuseetexcitante.Ellenefermapaslesyeuxquandleurslèvresserencontrèrent,etluidonnaunlongbaiser,luiindiquantqu’ellemenaitladanse.Unbaiserdoux,sanseffervescence.Unetranquilleoffrandequiluidisaitbienmieuxquelesmotsqu’ilsavaienttoutelanuitdevanteux.Aucuneurgence.Justeleplaisirdeseredécouvrir,aveclenteur,avecpatience…

Samainavaitquittésajoueetparcouraitàprésentsesbras,sondos.Ilfituneffortpours’accorderàsonrythme,nepaslaplaquertoutdesuitecontrelui,etseconcentrasurlejeudesalangue,sursongoûtqu’ilretrouvait.Illuilaisseraitlesinitiatives,décida-t-il.Cesoir,ilprendraitcequ’ellevoudraitbienluidonner,nedemanderaitriend’autre,etferaittairesonimpatience.

Elles’éloignalégèrementdeluietleconsidéraavecunsouriretendre.–Est-cequetusaisàquelmomentj’aieuenviedetoipourlapremièrefois?dit-elle.Enviedetoi

vraiment…

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Ilfitnon,lagorgeserréepartoutecettedouceurquiluivenaitd’elle,effaréàlapenséedutempsperduparsafaute.

–C’étaitleweek-endquiasuiviceluidetonemménagement.Ledimanche,tuesallévoirunepiècedontjet’avaisparlédanslepetitthéâtredelarueduDoyenné.

–Jem’ensouviens,dit-il.C’étaituneadaptationde laTrilogienew-yorkaisedePaulAuster.UndécorfaitdecubesempiléspourfigurerNewYork…

–J’yétais,moiaussi,maistunem’aspasvue.Ellerepritsabouche,pourunautrebaiserlent,maisprofond.–C’estincroyable!Sijesuisvenu,cejour-là,c’estparcequej’espéraistevoir!–Tuesrestéunmomentprèsdelaportedelasalle,etmoij’étaistoutenhaut.C’estlàquej’aieu

enviedetoi.Envieàenavoirmal,parcequejen’imaginaispasteplaire.Elle saisit le bas de son T-shirt et le lui passa par-dessus la tête. Puis du plat de lamain, elle

parcourut son torse, son ventre, plusieurs fois. Il en ressentit une impression étrange, mélange desoulagementetd’apaisement.Lamêmeimpressionquecellequ’ilavaitpetitgarçon,enouvrantlesyeuxaprèsuncauchemaretendécouvrantqu’ilétaitàlamaison,danssachambre.

–C’estdrôle…,dit-elleavecunpetitrireétonné.–Quoidonc?–Lamémoireducorps…L’espritoublie.Quecetoubli soitvolontaireou inconscient. Ilenfouit,

escamote,transforme,intervertit,maislecorpsn’oubliejamais.–C’estvrai…Ilsaisitsonvisagefinentresespaumes.–Lorsquejeplacemesmainscommeça,mêmelesyeuxfermés,jepourraissavoirquec’esttoi.Je

reconnaislegraindetapeau.Lamanièredonttespommettessaillentlégèrement.Sesdoigtsglissèrentjusqu’àsabouche.–Etteslèvres,jepourraisaussilesreconnaîtresimplementenlestouchant.Jelesreconnaiscomme

ça,aussi…Ils’approchaet,oubliantdéjàsarésolution,l’embrassaavecpossessivité.Sesmainsfirentglisser

lesbretellesdesondébardeur.Ilcaressasapeau,retrouvantlarondeurdesesépaules,lecreuxdesesclavicules. Ildescenditets’attardasur ledébutdurenflementdesesseins. Ilnevoulaitpasaller tropvite,malgrélafaimqu’ilavaitd’elle.Ilsneferaientpeut-êtrel’amourquecettenuit,etilnevoulaitpastoutgâcherparune impatience tropcavalière.Ladernière foisqu’ils s’étaientcaressés,qu’ilsavaientjoui ensemble remontait à huit ans et malgré cette mémoire des corps dont ils s’employaient à fairel’expérience,c’étaitunpeucommes’ilssetrouvaientviergesl’undel’autre.Commes’ilsavaienttoutàdécouvrir.

Par la fenêtre entrouverte montait jusqu’à eux le bruit de Dublin, le bruit de sa vie nocturnesemblableàtouteslesvillesdemoyenneetgrandeimportancedumonde.Maispourlui,cebruit-làseraitassociéàjamaisàcemoment.Quoiqu’ilsepasseensuite,quoiqu’ilsdécident,cettenuitauraitexisté,elleseraitlà,entreeux,poureux…

Armelleréponditàsonbaiseravecfièvre,s’agrippantàsanuquepourmieuxluimaintenirlatête.Sonodeur,celledesescheveux,lanotefleuriedesonparfumquisubsistaitendépitdelajournéepasséeàcourir,latexturedeseslèvres,lachaleurdesabouche,lesbruits,dehors,lesbattementsfousdesoncœur, dedans, tout contribuait à l’affoler.Toutes les perceptions, les sensations prenaient une ampleurdémesurée.Leritueld’unenvoûtementpourlequelilétaitplusqueconsentant.

Ilmitfinàleurbaiser,etlaserrafortcontrelui,oubliantladouceur.Illasoulevadanssesbrasetlaporta jusqu’au lit. Ils ybasculèrent tous les deux si précipitamment, si lourdement, quequelque chosecraquasouseux.Unelattedusommier.Oupeut-êtredeux.

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Il finitde ladéshabiller, sedéshabillaàson tour,et lacontemplasansunmot.Elleétait toujoursaussi fine,seshanches toujoursaussibiendessinées,ses jambes interminables…Elleétait toujourscecurieuxmélangedeforceetdefragilitéphysique,mélangedûàsaminceurconjuguéeàsataille.Ilavaitsouvent pensé à elle comme à une liane, lorsqu’il la regardait marcher ; elle en avait la grâce, lasouplesse.Etc’étaitcequ’elleétaitencore.

Ledésirqu’ilavaitréussiàcontenirjusque-làlesubmergeaalors,irrépressible.Armelles’offraitàlui,etilnerefuseraitpascetteoffrande.Seslèvreslaparcoururenttoute.Exigeantes,avides,attentives.Ellevoulutseredresser,lecaresser,elleaussi,maisillarepoussadoucementsurlematelas.

–Plustard…Laissemabouchetereconnaître.Laisse-lasesouvenir…Alorsellefermalesyeux,unpetitsouriresurseslèvres,ets’abandonnacomplètementàlui.

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9

Il leur restait la journée entière et la nuit à venir, comptabilisaMaxence, tandis qu’ils quittaientDublin, puis la parenthèse se refermerait. Le lendemain, ils iraient chercher Louis et les jumelles aucamp,puisArmelleleconduiraitavecsonfilsàl’aéroportdeShannon.Lesfillesetelletraverseraientalors l’IrlandeendiagonalepouratteindreRosslare,oùellesembarqueraientpourCherbourg.Armelleavait réservé pour la nuit une cabine sur un bateau de la Irish Ferries. De là, cap sur Lyon, où elles’installerait,jusqu’àlafindumoisdejuillet,dansl’appartementdesasœuretdesonbeau-frère,pourgarderunœilsurRomaneetMargaux,jusqu’auretourdeleursparents.

Lui-même y rentrait avec Louis. Et leur retour coïnciderait avec celui de la troupe. Est-cequ’Armelleenvisageaitdelerevoirlà-bas?Est-cequ’ilsjoueraientlesprolongationsàLyondurantlafin dumois de juillet ? Il n’aima pas cemot qui lui était venu. « Prolongations ».C’était unmot quiportaitenluil’idéedelafin,etnondel’avenir.Yavait-ilseulementunavenirpossiblepoureux?Lesouhaitait-il?Oh!oui!Dequellemanière?Laplusentièrepossible.Concrètement…?Concrètement,cela impliquait que l’un des deux doive bouger. Et il avait bien compris pour quelles raisons ce nepouvaitpasêtreArmelle.Ellenesouhaiteraitcertainementpasquitterdéfinitivementlavilleoùsafillereposait.Maissouhaitait-ellequecequiavaitrecommencéparlejeuduhasardsepoursuiveparceluideleursvolontés?Iln’enavaitaucuneidéeetn’osaitpasaborderavecellelaquestion.

Commeelleavaitterminésesrepérages,ilsavaientdécidédefaireunpeudetourisme,etdes’offrirquelquesheures façonchemindes écoliers.Rienne lespressait. Ils n’avaient aucuneobligation, si cen’était celle de se trouver, le soirmêmequelle que soit l’heureou le lendemainmatin auplus tard, àDrumcliff,pourdireaurevoiràJulietteetMark,etallerchercherlesenfants.

LeurprojetétaitdepasseraunorddeDublin,d’allerjusqu’àDundalk,etdelà,roulerpleinouestoupresque jusqu’à Sligo. Armelle avait lu sur son guide « qu’il n’y avait pas meilleure introduction àl’Irlande que la route de Dublin à Newry, pour plonger aux sourcesmêmes de son passé ». Tout unprogrammepourluiquineconnaissaitriendel’îleetpourellequiavaitsurtoutexploréunepartiedelacôteouest.

Ils firent unpremier arrêt àSwords, une ancienne cité épiscopale, et visitèrent les ruinesde sonabbaye.LesiteavaitlaparticularitédeprésenterunehautetourrondedatantdumilieudeMoyenÂge,enassezbonétatdeconservation.ÀLusk,unetrentainedekilomètresplusloin,ilstrouvèrentunetourrondeidentique,faisantpartied’unmonastèrefondéparsaintPatricklui-même.Clochersaudépart,ilsemblaitque ces tours soient devenues des tours de guet destinées à protéger les populations des attaques desVikingsetdespillards.

IlsnefirentquetraverserDrogheda,àl’embouchuredelaBoyne,déçusdeconstaterquesoncœurmédiévalétaitlargementéclipséparl’intenseactivitéindustrielleduportetdelavillecontemporaine.Ils

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s’arrêtèrentquelqueskilomètresplusloinpours’acheterdessandwichsetdel’eaugazeuseencannettesdansunepetiteépicerie.IlsretrouvèrentlesourireenlongeantlavalléedelaBoyne,unerivièrepaisiblequicoulaitaumilieudeprésverdoyants.

Commeilétaitmidipassé,ilsdécidèrentdefaireleurpauserepassursesberges.Ilss’engagèrentsurunchemindeterreetdébouchèrentsurunezoned’herberasetrèsensoleillée,délimitéed’uncôtéparlesblocsdressésd’untumulus,del’autreparungrandsauledontunepartiedesbranchesplongeaitdansl’eau.

–Onsebaigne?demandaArmelle,lorsqu’ilseurentterminédemanger.Ellen’attenditpassaréponse,et,aprèsavoirjetéuncoupd’œilautourd’euxpours’assurerqu’ils

étaientbienseuls,elleôtatoussesvêtements.Nue,songrandcorpsblancsedétachantsurleverttendredesfeuillesdusaule,elleavaitl’aird’uneselkie1toutdroitsortiedel’eau.Illeluidit.

–Tuconnaisquelquechoseaufolkloreirlandais,toi?s’étonna-t-elle.–Quandils’agitdebellesetmystérieusesfemmes,oui!Ellesemitàrire.Ilseprécipitaalorssursesvêtements,lesroulaenbouleetlesfourrasousson

bras.–Qu’est-cequetufais?Elles’étira,offrantsonvisageausoleil,etMaxencelatrouvamerveilleusedenatureletdebeauté.

Elleavaitquaranteanspassés,maisparaissaitencetinstantpresqueunejeunefille.–Jetevoletapeaudephoque,répondit-il,commeça,tunepourrasplusretournerdanslamer.–C’estunlac,luifit-elleremarqueravecunpragmatismequil’amusafollement.–Çamarcheaussiavecleslacs.Tuvasdevoirm’obéirjusqu’àcequejeveuillebientelarendre.

C’est ton accessoiremagique pour te transformer de nouveau et disparaître dans les fondsmarins, nel’oubliepas…

–Situveuxquejet’obéisse,ilvafalloirmesuivredansmonélément!Jesuisuneselkierebelle.Elleavançajusqu’aubordde l’eau,en testa la températureduboutdupied,puiss’élançadedans

d’unseulmouvement.Ellefitquelquesbrasses,puisseretournaverslui.–Elleesttrèsbonne.Tudevraisvenir!L’eau affleurait le haut de sa poitrine, et au gré des vaguelettes qui clapotaient autour d’elle, il

apercevaitl’arrondicrémeuxd’unsein.Ils’approcha.Ellen’avaitpasmislatêtesousl’eau,maisleboutdesesmèchesétaitmouilléetsescheveuxfaisaientdespetitspaquetscomiquesautourdesonvisage,luidonnantl’airàlafoisenfantinetmutin.Ilpensaalorsàcequ’elleluiavaitditdesesdernièresannées,àl’enfantqu’elleavaitperdue,àsafuiteperpétuelle,depuis,etseséternelsretours,commesisavieavaitcesséd’êtrepourelleunelignesurlaquelleavanceretqu’elletournaitenrond.Oui,elleétaitbienuneselkie,unecréaturepleinedegrâceetdemagiequiavaitperdusonaccessoiresecretpourretrouverlechemindel’avenir.

Un immense élan de tendresse s’empara de lui. Une immense envie de prendre soin d’elle, del’aiderà lachercher,cettepeaudephoque,pour la rendreà sonélément.Une immensedouleuraussi,tandisque lecomptede toutescesannéesperduespoureux le traversaitcommeunefulgurance.Sicetenfant, c’était lui qui le lui avait donné huit ans auparavant, comme elle le souhaitait, comme ellel’espérait,serait-ilmortaussi,oubienluiaurait-iloffertleplusbeaucadeauqu’unhommepuissefaireàunefemme:unenfantqu’ellepeutregardervivreetgrandir?

Allons, à quoi bon ressasser ? C’est facile de réécrire l’histoire, quand on a les tenants et lesaboutissants.Lefaitétaitquehuitansauparavant,ilavaitcrufairelebonchoix.Depuisqu’ilavaitrevuArmelle,ilprenaitlamesuredesonerreur.

–Alors?Tuviens?Enguisederéponse,ilsedéshabillaentièrement,etentrad’uncoupdansl’eau.C’estvraiqu’elle

étaitbonne.Justecequ’ilfallaitdefraîcheurpourcemomentlepluschauddelajournée.

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–Bonnedécision,approuva-t-elle,basculantsurledospourfairelaplancheetfermantlesyeux.Incapable de résister à l’appel des bouts roses de ses seins qui pointaient à l’air, durcis, il

s’approchad’elleet,constatantqu’ilavaitpied,pritappuiaufonddelarivière,etlesembrassa.–Hum…,fitArmelleavecunpetitsouriregourmand.Ilrecommença.Puisduboutdel’index,ilsuivitlalignedesescuisses,quiaffleuraient,ellesaussi.

Puissesjambes.Sespieds.Etretour.Ilpoursuivitsursonventre,etpensaunefoisencoreàcetteenfantqu’elleavaitportée.Ilessayadel’imaginerenceinte,puismaman,accompagnantlespremierspasdesafille.

Toutcequ’ellen’avaitpasconnu…Lespremièresgrandesvictoiresetlespremièresconfrontationsavecl’autre.Lapremièrerentréedesclasses,levélosanslesroulettesdestabilisation,lecoupdepellesur la tête dans le bac à sable du jardind’enfants, le premier drame sentimental, les crises bonnet denatation–troptropmoche,lahonte–pourlessortiespiscinesducoursd’EPS…

–J’adoretecaresser.Tuaslapeausidouce…Ilplaça lesmainsàplat souselle,contre sondos,et toutdoucement, laguidavers laberge.Ses

cheveuxflottaientautourdesatête,commeanimésd’uneviepropre.Elledutliredanssespensées,carelleditaumêmemoment,lesyeuxtoujoursfermés:–JedoisressembleràMéduse,non?–Si.–C’estpourçaquejegardelesyeuxfermés.Sijelesouvrais,tuseraischangéenpierre.Etjeme

demandebiencequejeferaisdetoi,alors…Quoique…Samaineffleurasonsexedurci,etelleouvritgrandlesyeux.Ill’entraînaaussitôthorsdel’eau,et,derrièrelerideauvégétalqueformaientlesbranchesdusaule,

ilentrepritdeluimontrercequisepassaitquandlamythologiegrecquerencontraitlalégendeceltique.

***

IlsdînèrentdansunpubdeSligo,ausondesbodhráns,desuilleannpipesetdestinwhistles.Lamusiqueconstituaitunediversionbienvenueàlamorositéquilesavaitsaisisetn’avaitcessédecroître,au furetàmesurequ’ilsapprochaientde leurdestination.Toutcomme ladécorationdes lieux, imitantl’intérieurd’unegrandesalledechâteaufort.Lelustremonumentalvalaitàluiseulledétouretn’auraitpasdépareillédanslesalondeMorticiaetGomezAddams.Dequoigloser,glousserets’extasier,pouréviterlesujetdeconversationquis’imposaitvéritablement.

Ilsreprirentlavoiturevers21h30ettandisqu’ilslaissaientderrièreeuxlasilhouettemassivedeLissadell House, Armelle, qui conduisait, fit brusquement demi-tour, puis bifurqua sur la petite routecôtièrequimenaitàl’anse,encontrebasduchâteau.Uneautrefaçondegagnerceborddemer.

–Siçanet’ennuiepas,dit-elle,alorsqu’ilsavaientdéjàfaitunevingtainedemètressurlaroute.Elle gara la voiture sur un emplacement dégagé et prévu pour le stationnement d’une dizaine de

véhicules.Enquelquesminutes,ilsfurentsurlaplage.Ilss’immobilisèrentàl’entréedel’anse,etregardèrentunlongmomentl’océan.Lesoleilétaitbas

surl’horizon,laissantfilerdesoncentreincandescentdelongsrubansviolinesetpourpresquiteintaientlesvagueset lesnuages.Àproximitédes rochers,en revanche, l’eau restaitgriseet sans reflets.L’airs’étaitrafraîchi;desoiseauxdemerjouaientavecleventléger.Detempsentemps,l’und’euxplongeaitdanslesvaguesetremontaitversleciel,unéclaird’argentdanslebec.

Armelleplaquasesdeuxmainsdepartetd’autredelatête,retenantsoncarrécourtdontlesmèchesvoletaientdevantsesyeux.Ellereviendraitàcetendroit,bientôt,maislesconditionsneseraientpluslesmêmes.Elleseraitaccompagnéed’uncameramanetd’unchefopérateur,etau lieudesapetitecaméranumérique, elle aurait la responsabilitéd’unmatérielde tournageplus sophistiquéetplusencombrant.

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Sonrapportàl’espace,auxbruitsenvironnantsseraitdifférent…Sesindicationsdevraientêtreprécises,les rushesaussibonsquepossible ; iln’yauraitpasde troisièmeséjourdans la région.Paspourdesraisonsprofessionnellesdumoins.

–Onmarcheunpeu?proposaMaxence.Ildésignalabandedesablefinquimenaitverslesrochersetajouta:–Parlà-bas,çateva?–Çaconduitoù?–Aucuneidée,répondit-ildansunsourire.Nullepart…Àl’autreboutdumonde…Onfinirabien

parêtrefixés.C’estjusteunequestiondetemps!Ellelaissaéchapperunpetitrire.Surlesdernièressemainesdeleurhistoire,elleavaitoubliéqu’il

savait être drôle. Peut-être, dans le flou de sa vie, de son avenir, de ses priorités, l’avait-il oubliéégalement. Ces quelques jours passés ensemble lui avaient rappelé à quel point il savait être uncompagnonagréable.ElleavaitretrouvéleMaxencedespremierstemps,celuiquil’avaitséduite.Celuiqu’elleavaitaussitôtaimé…Etlanostalgiedecesmomentsprovoquacommeunebéanceaufonddesonventre.Elleavaittantcruàleurhistoire!Tantespéréunavenirheureuxaveclui!Encetinstant,siprèsdudépartetdelaséparation,ellesepritàespérerdenouveau.Maisc’étaitimpossible.Tropd’obstaclesmatériels,tropàexigerdelui,carpourellel’ancrageétaitinamovible.Ellenepourraitjamaiss’éloignerautrementquetemporairementdeMonaco.Ceseraitsinonuninsupportabledéchirement,l’impressiondeperdreLudmilaunesecondefois.

Illuitenditlamainavectendresse,ettoutaussitendrement,elleyglissalasienne.Ilslongèrentleborddel’eau,làoùlesableétaitassezhumidepourconserver,nettes,lesempreintesdeleurspasjusqu’àceque le reflux lesefface.Est-cequeConstanceetsasœuravaient joué,enfants,avec lesvagues?Est-ce qu’elles avaient écrit des mots destinés à l’éphémère destin de ce qui est construit sur lesable ? Avaient-elles déjà en elles ce quelque chose d’indéfinissable qui les avait conduites àrechercher leurs limites, puis à les repousser, et les repousser encore ? Décidions-nous cela ? Enavions-nous la capacité, ou bien des forces opéraient-elles en nous, à notre insu, des forcesinégalementrépartiesselonlesêtres?

–Àquoiest-cequetupenses?–ÀlaviedeConstanceMarkievicz…Àlavieengénéral.Cequenousenfaisonsetcequ’ellefait

denous.Notrevéritablemargedemanœuvre…–Ouch!Unpeusérieux,toutça,pourunepromenadesurlesableaucoucherdusoleil,non?– Je trouve au contraire que c’est un bon moment. Les beaux paysages exaltent. Et c’est dans

l’exaltation qu’on se sent pleinement vivant, qu’on trouve la force et l’inspiration pour avancer, tu necroispas?

Ils’arrêtademarcheretluifitface,lacontemplantgravement.–Tuesunetrèsbellepersonne,Armelle.Tul’étaisdéjàquandjet’aiconnue,maistuesdevenue…

jenesaismêmepascommentledire…lumineuse,malgrélaperteterriblequetuassubie…émouvanted’intelligenceetdecharisme.Etsigénéreusedetoidanstonrapportauxautres!Jecroisquejen’auraipas assez du reste de ma vie pour regretter de ne pas avoir su regarder au-delà de mes problèmesimmédiats,ilyahuitans.

Illuirepritaussitôtlamainetl’entraînaverslesrochers,commes’ilregrettaitd’enavoirtropditetnevoulaitpasluilaisserletempsderéagir.Maisdesparolesavaientétéprononcées,nianecdotiques,nibanales, et ellesnepouvaient simplement seperdredans l’airdu soir tombant, aumilieudes crisdesmouettesetdesmacareux.

Elle avança sur les rochers inégaux, s’aidantde sesmainspourgrimper sur certainsd’entre eux,puis,avisantunrocherlargeetplat,elles’ydirigeaets’yinstalla, laissantpendresespieds.Maxencevints’asseoiràcôtéd’elle.Leurssemellesaffleuraientencontrebaslesflaquesclaires,prisonnièresdes

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blocsmoussus.Elle s’amusaà faireclapoter l’eauduboutde sachaussure,dérangeantunpetit crabe,jusqu’àcequ’ellecommenceàsentirl’humiditéluigagnerlesdoigtsdepieds.

Elleposalatêtesurl’épauledeMaxenceet il luienserralataillesouplement,sanschercheràlaplaquercontrelui.Ellesentaitjustelachaleurdesamainsursahanche.

Elleétaitarrivéeàuncarrefour.Aucroisementd’unearborescence.EllepouvaitnepasréagirauxdernièresparolesdeMaxenceoubienlesaffronter.Ellelaissaleschosestournerunmomentdanssatête,puisellefitsonchoix.

–Qu’est-cequetuasvouludire,toutàl’heure,àproposdetesregrets?demanda-t-elledoucement.Il ne répondit pas immédiatement. Il resta le regard braqué sur la ligne mouvante de l’eau, la

mâchoirecontractée.–Cequej’essaiedetedire,c’estquej’aiprisconsciencedebeaucoupdechoses,danslesmoisqui

ont suivi ton déménagement.Oh ! pas tout de suite, et pas d’un seul coup… Je reste quelqu’un qui aparfoisbesoinqu’onluimettelespointssurlesiavecunecertaineénergie.Jemesuisrepasséunmillierdefoislacaptationdelapièceenesprit,etj’aipointétoutesmeserreursd’interprétation.J’aiespérétrèsfortquetum’appelles,alors.Tutesouviensquetum’asdemandé…

–…Denepasm’appeler,denepasm’écrire,oui,jemesouviens.Etj’aiajoutéquejereprendraiscontactavectoiplustard,quandjeseraisprêteàentendredenouveautavoix.Tusais,onfaitparfoisdesdemandestoutensouhaitantaufonddesoncœurqu’ellesnesoientpasrespectées…

–J’aimisdutempsàcomprendreàquelpointjetenaisàtoiau-delàdelacomplicitédescorps.Jen’ai pas lesmots pour exprimer à quel point çam’a navré et çame navre encore. J’ai vraiment toutgâché!Maisj’étaistellementobnubiléparLouisetparmavolontéderattrapercequej’estimaisavoirétéunmanquementvis-à-visdelui,quejen’aipasvulesmanquementsvis-à-visdetoi!

Il laissa passer quelques secondes, puis reprit plus bas, chuchotant presque, comme si ce qu’ils’apprêtaitàdireluicoûtaitplusencorequelesaveuxqu’ilvenaitdefaire:

–Ilm’esttoutàfaitinsupportabledemedirequedemaintoutseraterminé,quenousreprendronssimplementnotrevielàoùnousl’avonslaisséeavantdenousretrouvervoisinsdechambreenIrlande,danslemêmeBed&Breakfast.

La tête toujours sur sonépaule,Armelle leva lamainet chercha sonvisage.Elleenparcourut lagéographie du bout des doigts : son front, que sa coupe de cheveux courte faisait paraître plus hautencore,sesyeuxlégèrementenfoncésdansleursorbites,quidonnaientl’impressionqu’ilétaitombrageuxdecaractère, sesmaxillaires carrésquiôtaient toutedouceur à sonvisage,mais accentuaient son côtémâle…

Elleavaitimaginésurcemodèleunpetitgarçonblondàl’airfarouchequiseraitleleur.Elleavaiteuunepetitefilletrèsbrune,auvisagefincommeuneépure…Lepetitgarçonblondn’avaitexistéquedanssesrêves;lapetitefillebrunen’existaitplusquedanssessouvenirs.

Elleenfouitlatêtedanssoncou.Sonodeursemêlaitàcelledusoir,delamer,delamoussesurlesrochers.Est-cequ’ilpouvaityavoirunenouvelleétapedanssavie?Est-cequec’étaitpossible?Est-cequ’elleenavaitenvie?Elleavaiteudéjàtantdechagrins!C’était légitimedeneplusavoirenviedesouffrir,non?Laréalitéétaitlà,pourtant,etl’idéequetoutpourraits’acheversurcetteplagen’étaittoutsimplementpasenvisageable.

–Pourmoiaussi,Maxence,l’idéeestinsupportable.Ilresserralapressiondesonbrasautourdesataille,etposalabouchecontresatempe.–Jet’aime,Armelle,dit-ilcontresapeau.Jecroisbienquejen’aijamaiscessédet’aimer,etje

voudraisquetumelaissesunesecondechance…Ces mots la percutèrent comme un projectile. C’étaient ceux qu’elle avait attendus, huit ans

auparavant.Seulement…deschosesétaientarrivéesdepuis,quiavaientfaitd’elleunefemmedifférente.Unefemmequinesavaitplussielleétaitencorecapabledetoutdonnerd’elle-mêmeàpartàsonmétier.

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Elleseredressaetsetournaàdemipourluifaireface.–Ilyahuitans,jevoulaisunmarietunefamille.Maistun’étaispasenmesuredemelesdonner.

Nousn’avancionspassurlemêmechemin.–Situsavaiscommejem’enveux!Elleaccueillitsoninterruptionavecunpetitsouriretriste.–Laisse-moifinir,s’ilteplaît…Àprésent,cen’estpluscequejeveux.Lanuitcommençaitàtomber,maiselleputtoutdemêmevoirl’éclaird’affolementquitraversason

regard.–Etilyamaintenantdesincontournablesdansmavie.Maissituesprêtàlesaccepter,jeveuxbien

qu’onsedonne,réciproquement,unesecondechance.Jet’aime,Maxence.Moiaussi,jen’aipascessédet’aimer,quoiquej’aiefaitpouressayerdepalliertonabsence.Maisàquarante-quatreans,onn’aimepluscommeàvingtans.J’aibesoindemaliberté.

LevisagedeMaxences’illuminad’uncoup.–Biensûr!Elleposalamainàplatsursontorsecommepourmaintenirsonenthousiasmeàdistance.–Non,tunecomprendspas.J’aibesoind’êtreseule,entièrementseule,parmoments,etc’estlàque

jem’envais,quejeparsfairemesrepérages.Ilposasagrandemainsurlasienne.–D’accord.– Et je ne peux pas envisager de vivre ailleurs qu’à Monaco. Il faut que ça reste ma base, tu

comprends,sinon,j’auraisl’impressiond’abandonnerLudmila.Ilportasamainàseslèvresetluiembrassaleboutdesdoigts.–D’accord.– Ça veut dire qu’il va nous falloir mettre en place une relation à distance ou organiser ton

emménagementàMonaco.Desamainlibre,illuiattrapadoucementlanuque,etl’attiraàlui.Puisilluidonnaunbaiserléger

surlabouche.–D’accord.Ellesourit.–«D’accord»pourquoi?–PourmonemménagementàMonaco.–Ettatroupe?EtLouis?–Louisestgrandmaintenant.Ilsaitprendreuntrainouunaviontoutseul,etl’annéeprochaine,il

terminelelycée.Rienneditqu’ilferasesétudessupérieuresàLyon.EtpourcequiestdeCarambole…Ceseracommetoiavectesrepéragesettestournages.Quandceseranécessaire,jepartirai.

–D’accord,fit-elleavecunpetitrireheureux.–Ilnoussuffirajustedetravaillerlasynchro!–Etlasynchronisation,çameconnaît!Lestimecodesaussi.Lesétalonnages.Lesincrustations…Ilfitminederéfléchir,puisdéclara:–Pour cedernierpoint, je solliciteraipeut-être laprofessionnelle en toi, pourquelques conseils

techniques.Parcequej’aibienl’intentiondem’incruster,cettefois!

1.Lesselkiessontdesjeunesfemmesimaginaires,issuesdufolkloreceltique.Elless’enveloppentd’unepeaudephoqueafindepouvoirsetransformerenanimalmarinetvivredanslamer.Ellesnereviennentsurlaterrefermequelanuit,pourdansersouslalune,aprèsavoirôtéleurpeau.Siunhommeluidérobesapeaudephoque,laselkiedevraluiobéirjusqu’àcequ’ellelaretrouveetpuisseretournerdansl’eau.

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Épilogue

Unanaprès,finjuillet

–Entre,Nasrin!Penchée sur ses orteils grossièrement séparés les uns des autres par une double épaisseur de

mouchoirsenpapierpliésenaccordéon,Armellesepeignaitlesonglesavecapplication.Laportes’ouvritdoucement,etNasrinentra,vêtued’unerobedelinclairtoutesimpleetdebabies

taupe. Depuis qu’elles se connaissaient, c’était peut-être la troisième ou la quatrième fois seulementqu’Armellelavoyait«habilléeenfille»,commeNasrinledisaitelle-mêmeenplaisantant,etelleluifutreconnaissanted’avoirconsentiàabandonnerpourellesonjeanetsonblousonencuir.

–C’estbienlemomentdefaireça!s’écriaNasrinenlavoyant.Tun’auraispaspuypenseravant?Elles’approcha.–Maisqu’est-cequec’estquecettehorreur?!Armelleseredressa.–Quoi?Tun’aimespaslacouleurdemonvernis?Nasrinselaissatombersurlelitàcôtéd’elle.–Tuappellesçaunecouleur?Armelleposaladernièretouchesurledernierorteil,etétenditlesjambesdevantellepourjugerde

l’effet. Le vernis bleu pétrole, de très mauvaise qualité, était impossible à étaler uniformément etl’épaisseur de la couche, inégale, faisait des paquets très sombres par endroits et des stries presquetranslucidesàd’autres.

Lesummumdumauvaisgoût,toutsimplement…–Çajurehorriblementaveclestyledetontailleur,fitremarquerNasrind’untonmondain.Armellereplialesgenouxetposalespiedssurlecouvre-lit.Puiselleattrapalelivreposésursa

tabledechevet,ets’enservitd’éventailpourfaireduventsurlevernis,dansl’espoird’enaccélérerletempsdeséchage.

–J’enaiparfaitementconscience, figure-toi,etc’estpourçaque jenemettraipas lessandalesàtalonsGucciqu’Annaaabsolument tenuàm’offrirpour lacirconstance,maisdesescarpins fermés. Jepensequ’ellecomprendra,quandjeluiexpliquerailepourquoiducomment.

–Àlabonneheure!Moi,j’aimeraiscomprendrelepourquoiducomment…Armelleôtadélicatementlesmouchoirsenpapier,enfituneboule,etlaposasurlatabledenuit.–Jelemetsàcausedesacouleur…–Unbleupétroledesplus…Nasrin fit lagrimaceeténuméra, fronçant lenezcommesiunemauvaiseodeurs’était subitement

glisséedanslapièceparlafenêtreouverte:

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–…Pittoresque?Exotique?Déconcertant?Immonde?–Immondepeut-être,maisdans«bleupétrole»,ilya«bleu»,Nas…–Et?–Etlachosebleuefaitpartiedesquatreobjetsporte-bonheurque la futuremariéedoitavoirsur

elle, le jour de sonmariage.Le bleu, qui symbolise la pureté et la fidélité.C’estRomane quime l’apassé.Ellea faitunmixteentre«objetprêté»et«objetbleu»,d’oùcevernis.Et comme je trouvel’attentionadorable,ceneseraitpasgentildemapartdenepasleporter…

Nasrin fouilladanssabesace–ellen’était toutdemêmepasallée jusqu’àprendreunvrai sacàmain–,etluitenditunpetitécrindeveloursnoir.

–Enparlantdeça,voilàmamaindeFatma.Un«objetprêté»parunefemmeheureuseenmariage,commetumel’asdemandé.

NasrinetPatricias’étaientmariéessixmoisauparavant,aprèsprèsdedixansdeviecommune…–Jeneseraipasvexéesitulaglissessimplementdanslapochedetaveste,ajouta-t-elle.Armelleouvritprécautionneusementl’écrinetsortitlebijouenletenantparlachaîne.Puisellele

levaàhauteurduvisage,pourl’examiner.Lemédaillonétaittrèsouvragéetunpetitrubisfiguraitl’irisdel’œil,aucentredelapaume.

–JesaisNas.Elleesttrèsbelle,mercibeaucoup.L’objetprêtéestgagedebonheur…–EtMargaux,ducoup,ellet’aprêtéquelquechose,elleaussi?–Biensûr!–Nemedis pas que c’est dugloss bleu à paillettes ! s’esclaffaNasrin. Parce que, là, à part le

passe-montagne…Armelleéclataderire.–Non,cen’estpassongenre!C’estunstylo-bille laquébleu,pourque jesigne le registre,à la

mairie.ElleglissadélicatementlamaindeFatmadanssapoche.–Elleseraenbonnecompagnie…Danslemêmemouvement,elleensortitunchaussonblancdebébé.– « L’objet ancien », un élément de la vie passée de la future mariée. Et puis comme ça, j’ai

l’impressionqueLudmilam’approuve.Nasrinhochalatêteetuninfimesilences’installa,letempsquepasseunangeauxcheveuxnoirset

aufinvisage.–Disdonc,fit-elleauboutdequelquessecondes,lesjumellesprennentdrôlementausérieuxleur

rôledetémoinsdelamariée!Mieuxquemoipourtonpremiermariage,mêmesic’étaitinvolontaire!–Pourfairepirequ’arriveraprèslacérémonieetsignerleregistrealorsquetoutlemondeenestà

l’apéro,ilfautseleverdebonneheure…– Causes indépendantes de ma volonté, je te rappelle. Panne historique de TGV. Suffisamment

remarquable–etlong!–pourqu’onenparleaujournalde20heures.Quic’est,leBG,avecRomane,enbas?

–LeBG?–«BG»:BeauGosse…Jesuistombéesureuxdanslacuisine;ilsétaiententraindeselivrerà

uneintenseactivitéd’échangedefluidessalivaires…–Toujoursaussiromantique,Nas…C’estMaël,lefilsaînéd’Anna.–Sérieux?!Vousfaitesdecesmélanges,vous!QueMargauxsorteavecLouisdepuisNoëldernier,

jecomprends,vulerapprochementdesfamilles,maisRomaneetlefilsd’Anna…Remarque,non,çanem’étonnepas.Aprèstout,vousavezdesuperrelations,Anna,Joëlettoi.C’estrare.

– Super, c’est beaucoup dire, mais quand chacun finit par trouver sa chacune, les anciennesblessuress’effacent.Leplusincroyable,c’estqueRomaneetMaëlontfaitconnaissanceindépendamment

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denous,enjuin,àLyon,auxportesouvertesdelaprépaingénieuroùilsironttouslesdeuxàlarentrée.Lehasardcomplet!

–Paslehasard,Armelle, jen’ycroispas,auhasard!Et jenepensepasquetuycroies, toinonplus.

–Peuimporte.Cen’estpaslemomentd’entamerundébatdefond.–Non,c’estsûr!Revenons-enplutôtauxMoonBoots,aupasse-montagneetaureste…Ton«objet

neuf»,c’estquoi?CommeArmelleallaitluirépondre,Maxenceapparutdansl’encadrementdelaporterestéeouverte.–Pourl’objetneuf,changementdeprogramme!annonça-t-il.Nasrinseleva.–Oh!oh…Voicilemomentoùladiscrétioncommandeàlavisiteusedesevolatilisertelunsubtil

courantd’air…Maxenceavançadanslachambre,libérantlepassage.–Àtoutdesuite! lançaalorsNasrin.Jevousrappellejustequevotremariagealieudansmoins

d’uneheure,maintenant.Alors,pasdegalipettes,vousdeux!Lorsqu’ils furent seuls, Maxence tendit à Armelle un petit pochon d’organza. À l’intérieur, elle

devinaitunobjetpliédansdupapierdesoie.–Qu’est-cequec’est?–Ouvre…Tuverrasbien.Armelle desserra les rubans, sortit l’objet et déplia le papier. C’était un Claddagh, ce bijou

traditionnel irlandaisquireprésentedeuxmainstenantuncœursurmontéd’unecouronne.Lecœurétaitunepierrerougetaillée.Ellepassapensivementledoigtdessus.

–C’estungrenat,ditMaxence.Danslasymboliquedespierres,ilestconsidérécommecelledeladévotionpassionnée.

Ilsepenchaetl’embrassa.–Ilvientd’Irlande?–DeDrumcliff.Jel’aiachetélematindenotredépart.–Ettul’asgardécachétoutcetemps?–Oui,j’espéraispouvoirtel’offriràunmomentparticulier,uniquepournous,sicemomentarrivait

unjour.–Cequin’étaitpasforcémentgagné.–Non,c’estvrai…Cen’étaitpasforcémentgagné.Maisaprèscesquatrejoursensembleetnotre

discussionsur laplageen rentrant, jemesuisditque jenepouvaispasquitter l’Irlandesansenavoirachetéunpourtoi.

Ellepassa leCladdaghà l’annulairedroit, le cœur tournévers elle.Laposition signifiait que lapersonnequileportaitavaitdonnésoncœur.Ilsauraientleursalliances,alorsellenepouvaitleporter,commelefaisaientlesgensmariésenIrlande,àl’annulairegauche.

Ellefutsurprisedeletrouverparfaitementàsataille.–Commenttuasfaitpourtomberjuste?Ellesesouvenaitqu’ellen’avaitemportéqu’uneseulebague,unanneaulargeetplatqu’elleavait

rapportéd’Amazonie.Ileutcesourirequilafaisaitfondre.–J’aiprofitédecequetuétaissousladoucheetquetuavaisquittétonanneaupourlepasseràmon

doigt.J’aifaituntraitaustyloàl’endroitoùilm’arrivait…Lebijoutierafaitleresteavecsonbaguier.–Malin…–Qu’est-cequetucrois?

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Elle contempla la bague. La couronne était constituée d’un entrelacs celtique. Une même lignesuivait successivement plusieurs directions, tournait, revenait sur elle-même, repartait, pour aboutirfinalementàquelquechosed’accompli.CommesonhistoireavecMaxence.Elleavaitprisdestoursetdesdétours,paraissants’interrompre,maisnes’interrompantpas.

Est-cequ’ilétaitécritquelquepartqu’ilsseretrouveraient?Est-cequetoutn’avaitétéquelefruitdu hasard ? Quelle était la part de leur volonté ? Elle n’en savait rien, mais ce qu’elle savait, enrevanche, c’est qu’elle allait dire «oui » à cet hommepour le reste de sa vie, et queça, elle l’avaitchoisi.

FIN

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ISBN9782280341004

Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondetoutoupartiedel’ouvrage,sousquelqueformequecesoit.Celivreestpubliéavecl’autorisationdeHARLEQUINBOOKSS.A.Cetteœuvreestuneœuvredefiction.Lesnomspropres,lespersonnages,leslieux,lesintrigues,sontsoitlefruitdel’imaginationde l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des entreprises, desévénementsoudeslieux,seraitunepurecoïncidence.HARLEQUIN,ainsiqueHetlelogoenformedelosange,appartiennentàHarlequinEnterprisesLimitedouàsesfiliales,etsontutiliséspard’autressouslicence.

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