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André Burguière La centralisation monarchique et la naissance des sciences sociales. Voyageurs et statisticiens à la recherche de la France à la fin du XVIIIe siècle In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 55e année, N. 1, 2000. pp. 199-218. Abstract The building of a centralized State and the making of Social Sciences in France. Travellers and statisticians in late 18th century. A. Burguière. A new kind of French travellers appears at the eve of the Revolution of 1789 recording their journey in the French countryside in an ethnographical way. This ethnographical insight in the cultural diversity of French peasantry grew up during the Revolution and the Empire but turned, with the scholarly activities of the Académie Celtique, into a reductionnist explanation by a Celtic background. By emphasizing the vestiges of a very old Celtic culture (older than the Greek or the Roman one) instead of the national character inherited from their Gallic ancestors, they expressed their preference for an universalist conception of Culture. This preference that can be explained by centralized structure of the State in France and its unitarian conception of society, oriented the development of a scientifical insight in French society toward a quantitative and sociological approach instead of an anthropological one. Citer ce document / Cite this document : Burguière André. La centralisation monarchique et la naissance des sciences sociales. Voyageurs et statisticiens à la recherche de la France à la fin du XVIIIe siècle. In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 55e année, N. 1, 2000. pp. 199-218. doi : 10.3406/ahess.2000.279839 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_2000_num_55_1_279839

A. Burguiere - Inventarea Științelor Sociale (Articol in Anale)

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Articol din Annales despre apariția științelor sociale și centralismul francez

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  • Andr Burguire

    La centralisation monarchique et la naissance des sciencessociales. Voyageurs et statisticiens la recherche de la France la fin du XVIIIe sicleIn: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 55e anne, N. 1, 2000. pp. 199-218.

    AbstractThe building of a centralized State and the making of Social Sciences in France. Travellers and statisticians in late 18th century.A. Burguire.

    A new kind of French travellers appears at the eve of the Revolution of 1789 recording their journey in the French countryside inan ethnographical way. This ethnographical insight in the cultural diversity of French peasantry grew up during the Revolutionand the Empire but turned, with the scholarly activities of the Acadmie Celtique, into a reductionnist explanation by a Celticbackground. By emphasizing the vestiges of a very old Celtic culture (older than the Greek or the Roman one) instead of thenational character inherited from their Gallic ancestors, they expressed their preference for an universalist conception of Culture.This preference that can be explained by centralized structure of the State in France and its unitarian conception of society,oriented the development of a scientifical insight in French society toward a quantitative and sociological approach instead of ananthropological one.

    Citer ce document / Cite this document :

    Burguire Andr. La centralisation monarchique et la naissance des sciences sociales. Voyageurs et statisticiens la recherchede la France la fin du XVIIIe sicle. In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 55e anne, N. 1, 2000. pp. 199-218.

    doi : 10.3406/ahess.2000.279839

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_2000_num_55_1_279839

  • ENQUETES ET ETHNOGRAPHIE

    FRANCE ET RUSSIE

    FIN SAFIN 196 SI CLES

    LA CENTRALISATION MONARCHIQUE

    ET LA NAISSANCE DES SCIENCES SOCIALES

    Voyageurs et statisticiens la recherche de la France

    la du 18e sicle

    Andr BURGUI RE

    Dans le chapitre du livre de Ancien Rgime et la Rvolution intitul Que la France tait le pays o les hommes taient devenus le plus semblables entre eux Tocqueville dveloppe une des ides les plus fortes de son analyse du remodelage de la socit fran aise par la monarchie durant les deux derniers sicles de Ancien Rgime

    La similitude il voque peut se comprendre de deux manires une part comme un mouvement gnral uniformisation qui rsulterait de effort de tat monarchique pour vider de leur substance les pouvoirs locaux et pour liminer les particularismes rgionaux Mme si on peut discuter ou nuancer la pertinence du diagnostic en particulier quand Toc queville voque appauvrissement de la noblesse il souligne un effet indniable de la dynamique centralisatrice de tat

    Dans la pense de auteur cette dynamique aboutissait la veille de la Rvolution un ddoublement de architecture sociale gnrateur de tensions et de frustrations analogue au ddoublement de architecture politique dcrit dans les chapitres prcdents Tout en prservant la fa ade de difice ancien la diversit des institutions provinciales ou municipales avec leurs particularismes et leurs privilges la monarchie avait construit en sous- uvre une structure de gouvernement homogne et fortement centralise

    Les tensions issues de uniformisation des manires de vivre et de penser tenaient au contraste que la France instruite ressentait entre homo gnisation des niveaux de vie des gots des pratiques culturelles et ingalit des droits des statuts laquelle elle demeurait soumise Les Fran ais qui partageaient dsormais les mmes habitudes et les mmes ides taient nanmoins habits par un inextinguible dsir unit et galit

    199 Annales HSS janvier-fvrier 2000 no pp 199-218

  • ENQU TE ET ETHNOGRAPHIE

    Mais autre part cette uniformisation concerne spcifiquement les mentalits ou comme on dirait hui les reprsentations Car pour Tocqueville dont la pense sociologique dlaisse puis redcouverte par les sciences sociales en France rencontre le retour actuel une conception intellectuelle du lien social une philosophie morale comme certains prfrent appeler ce sont les reprsentations qui structurent la socit et commandent sa transformation Dans le mme temps o la centralisation monarchique uniformisait les ides et les gots par les institutions et le modle ducation elle encourageait mais aussi par le modle de mobilit elle proposait elle inspirait une conception unitaire de la socit est--dire la conviction que le fonctionnement de celle-ci obit

    quelques principes simples et rationnels est propos des rapports que cette configuration ides et de formes

    de raisonnement entretient avec les structures de pouvoir de la monarchie que aimerais rflchir en attachant un problme histoire intellec tuelle celui de mergence en France une curiosit ethnographique nouvelle pour la culture paysanne qui se manifeste dans les deux dernires dcennies de Ancien Rgime par la publication un certain nombre de rcits de voyages effectus de prfrence dans des contres montagneuses ou priphriques rputes sauvages comme les Pyrnes les monts Au vergne etc.1 Elle amplifie sous la Rvolution et imprgne certains volumes de la Statistique dpartementale ce grand inventaire de tat de la France entrepris la demande du Directoire et publi par les prfets de Napolon2 Elle aboutit enfin la cration une socit savante Acadmie celtique o on retrouve bien des auteurs des publications susmentionnes

    Cette acadmie qui est attache travers les dbats et les mmoires elle publie retrouver dans les manifestations les plus exotiques de la culture paysanne la survivance une archo-civilisation celtique disparat avant la fin de Empire On peut interprter cette disparition prcoce comme chec un projet intellectuel qui aboutit une impasse Confronts tranget des usages paysans longtemps ignors ou mpriss et soudaine

    ment crdits une signification culturelle particulire les dcouvreurs ethnographes des campagnes fran aises de la fin de Ancien Rgime ont t tents abord de voir dans leur diversit effet un dterminisme rgional

    Mais en comparant les pratiques paysannes une rgion autre nos ethnographes repraient tant de similitudes ils taient amens faire hypothse une culture paysanne unique mais en mme temps radicale ment trangre la culture lettre est--dire la civilisation o

    Par exemple J.-B LEGRAND AussY Voyage fait en 1787 et 1788 dans la ci-devant Haute et Basse-Auvergne Paris an III vols RAMOND DE CARBONNI RES Observations faites dans les Pyrnes pour servir de suite des observations sur les Alpes Paris 1789 DUSSAULX Voyage Barge et dans les Hautes Pyrnes fait en 1788 Pans 1826 CAMBRY Voyage en Finistre fait en 1795] Paris-Genve rditions Slatkine 1979

    Marie-Nolle BOURGUET Dchiffrer la France la statistique dpartementale poque napolonienne Paris ditions des Archives contemporaines 1988

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  • BURGUI RE VOYAGEURS ET STATISTICIENS EN FRANCE

    venait-elle Au lieu reconnatre une culture naturelle ou plutt une culture nationale des origines comme en avaient esquiss hypothse au 16e sicle les tenants de histoire parfaite tels Etienne Pasquier ou Jean Bodin3 ou comme le suggrait outre-Rhin le courant herdrien du Volkgeist Acadmie celtique voulu retrouver les vestiges une culture universelle des origines celle de la sagesse des druides apporte en Gaule par les Celtes au lendemain du Dluge

    Il convient de se demander pourquoi la dcouverte de la singularit de la culture populaire pas fait natre ide une culture nationale enchs se dans les habitudes paysannes et pourquoi ni Legrand Aussy ni Dulaure ni Cambry ni Lenoir ont t des Herder fran ais Pourquoi en autres termes ide de la singularit culturelle comme manire de penser les pratiques sociales t trs vite remplace chez les observateurs de la socit par la mesure des carts du dveloppement conomique et moral Par cette fausse entre approche ethnologique de la diversit culturelle de la France laissait le champ libre une vision unifiante et dynamique de la socit une sociologie de la France

    Le dpaysement de ces voyages au fond de la France ne peut se comparer celui des voyages lointains chez les peuples primitifs On connat le clbre passage de Essai sur origine des langues chap de J.-J Rousseau que Lvi-Strauss considre comme la dfinition fonda trice de ethnologie gnrale Quand on veut tudier les hommes il faut regarder prs de soi mais pour tudier homme il faut apprendre porter sa vue au loin il faut abord observer les diffrences pour dcouvrir les proprits Il agissait aller au bout du monde pour atteindre les limites de espce humaine et par exprience de la variabilit droutante des carac tres humains apprhender dans toute son tendue la notion humanit

    En revanche dans ces voyages en France qui restent des explorations du proche mme quand on choisit des contres rputes isoles tranget doit tre construite avant tre interroge Cette construction fait tout intrt du parcours thorique effectu par cette littrature entre la fin de Ancien Rgime et la fin du Premier Empire

    La rgion synthse des particularits

    Dcrire les pratiques paysannes des diffrentes rgions de la France la fin du 18e sicle est dsigner quelque chose l o on ne voyait rien ou plutt dcouvrir une ralit on avait pris habitude de regarder sans la voir Les guides descriptifs destins aussi bien au marchand au touriste dont les Voyages en France de Merlin commencs en 1775 maintiennent la tradition les descriptions gographiques comme la Nou velle description de la France de Piganiol de La Force priodiquement

    HUPPERT ide histoire pm faite Paris Flammarion 1973 VIVANTI Les recherches de la France tienne Pasquier invention des Gaulois dans Les lieux de mmoire NORA dir.) II La nation vol Paris 1986 pp 215-245

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  • ENQU TE ET ETHNOGRAPHIE

    rdite de 1718 1754 La gographie ou la description gnrale du royaume de Dumoulin 1754) nourries des compilations celles de Boulain- villiers Saugrain etc. qui avaient utilis les enqutes commandes aux intendants par la royaut toutes ces descriptions conduisent le lecteur de ville en ville pour en dcrire les monuments les institutions ventuellement les ressources comme si les villes avaient t spares que par des dserts4

    Le paysan est largement prsent dans imaginaire thtral pictural musical du monde lettr par la pastorale ou la bergeronnette mais il devient invisible ds il agit de lui reconnatre une autonomie culturelle Les campagnes sont hors de histoire et de la civilisation car restes cart de la culture crite elles offrent ni mdailles ni monuments qui seuls aux yeux du voyageur antiquaire ou curieux donnent sens et intrt

    un lieu Le renversement de valeurs qui conduit leur prter une attention spcifique la fin de Ancien Rgime oblige leur appliquer la grille de lecture con ue un bon demi-sicle plus tt pour dcrire les populations sauvages des contres lointaines Ces populations ayant aucun monument

    nous prsenter qui ait gard la trace de leur culture est sur leur corps il faut dchiffrer leur culture par leur manire de se parer de se coiffer de se vtir et dans leurs usages concernant la vie de famille les rapports entre gnrations entre sexes enfin dans les ftes et croyances qui manifestent le poids de imagination dans leur vie mentale

    On repre aisment certaines filiations qui traversent le sicle et qui sont plus directement lies au dchiffrement de la France en retiendrai deux une approche synthtique qui recherche intrieur un territoire limit des correspondances entre le milieu naturel et le milieu humain une tradition antiquaire qui apprhende la singularit de histoire locale

    partir de tmoignages archologiques philologiques ou ecclsiastiques approche synthtique inspire les Histoires naturelles comme celles

    Astruc sur le Languedoc Alleon-Dulac sur le Lyonnais de Darluc sur la Provence ou encore tude du glaciologue Horace de Saussure sur les Alpes5 On la retrouve aussi dans les topographies mdicales dont la mode

    est tude de ce parcours que je tais attach dans le cadre un sminaire de EHESS avec plusieurs collgues en particulier Mona Ozouf et Marie-Nolle Bourguet avec lesquelles avais publi en 1977 une premire esquisse programmatique Naissance une ethnographie de la France au XVIIIe sicle dans Objets et mthodes de histoire de la culture Paris ditions du CNRS-Budapest Akademiai Kiado 1982

    Depuis Mona OZOUF publi plusieurs tudes sur la dcouverte de la France des rgions sous la Rvolution et sur le projet ethnographique de Acadmie celtique reprises pour certaines dans son livre cole de la France essais sur la Rvolution utopie enseigne ment Paris Gallimard 1984 Marie-Nolle BOURGUET consacr sa thse de doctorat tude de la Statistique des prfets et en tir un livre important Dchiffrer la France... op cit Je suis heureux un colloque en honneur de mon ami David Bien ait donn occasion de rouvrir mes dossiers laisss en suspens et ajouter ma propre contribution un balisage qui avait peut-tre dj dit essentiel

    Cf ASTRUC Mmoire pour histoire naturelle du Languedoc 1737 ALLEON-DULAC Mmoire pour servir histoire naturelle des provinces du Lyonnais Forez Beaujolais 1765 DARLUC Histoire naturelle de la Provence 1782 de SAUSSURE Voyages dans les Alpes 1779

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  • BURGUI RE VOYAGEURS ET STATISTICIENS EN FRANCE

    se dveloppe dans le dernier tiers du sicle Cette approche appuie sur les conceptions aristes de la tradition no-hippocratique qui font dpendre les comportements humains des conditions climatiques Largement utilis par Montesquieu dans esprit des lois pour expliquer la diversit des socits le dterminisme climatique devient bientt une sorte de vulgate de la description gographique

    Ces conceptions alimentent doses variables le raisonnement de nos voyageurs ethnographes Sous leur forme la plus rudimentaire elles servent de support une caractriologie qui relie les tempraments psychologiques aux conditions de air et donc aussi de altitude) opposant la mollesse des gens des plaines la rudesse des montagnards En Auvergne comme ailleurs crit Legrand Aussy le montagnard est plus grand plus robuste et mme plus sain que homme des plaines et ces avantages que attribue pour Auvergnat non seulement air plus lastique et plus pur mais encore une nourriture plus salubre et des ressources de subsistance plus multiplies au pain il mange il ajoute les laitages de ses trou peaux qui presque partout manquent habitant des plaines

    Le mme dterminisme climatique permet opposer les populations du littoral celles de intrieur

    Le climat est moins rude intrieur des terres crit Cambry propos de la Bretagne dans un espace de trois lieues vous apercevez une diffrence trs prononce dans habitude du corps dans la manire tre dans les traits des habitants du mme pays homme des terres le teint frais de la mollesse dans la dmarche une langue douce et sonore Armoricain

    la voix dure le regard per ant et assur son front ses joues sont sillonns ds la jeunesse sa barbe est rude et son teint olivtre Ces hommes cependant sont frres vivent sous les mmes lois ont les mmes usages une diffrence presque nulle de la position sur le globe produit cette trange variation7

    Les ides aristes ne servent bien souvent donner un habillage scientifique une vieille caractriologie par la physionomie utilise depuis la Renaissance pour attribuer un temprament national ou municipal partir de allure extrieure On retrouve ce mode de raisonnement uvre dans les enqutes administratives commandes par le pouvoir royal en France partir de la fin du 17e sicle pour dcider que dans telle province les paysans sont laborieux ou paresseux vifs ou lourds que les femmes ont une physionomie ingrate ou gracieuse

    Sous sa forme plus labore approche synthtique appuie sur la notion de rgion qui assure unit sur un espace dlimit une srie de dterminations naturelles Cette notion apparat chez plusieurs de nos voyageurs ethnographes de la fin du 18e sicle pour rendre compte de la diversit culturelle du monde paysan qui oppose unit et universalit de la civilisation citadine Si le costume mais aussi habitat accent la

    LEGRAND AUSSY Voyage fait en 1787 et 1788... op cit CAMBRY Voyage en Finistre... op cit

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  • ENQU TE ET ETHNOGRAPHIE

    codification des rapports entre hommes et femmes les pratiques festi ves varient un pays autre comme Legrand Aussy observe entre la haute et la basse Auvergne ou Cambry dans les diffrentes parties du Finistre est un mme facteur celui du cadre gographique com mande leur variabilit

    La notion de rgion t enrichie et active sous la Rvolution par les dlibrations prparatoires la dlimitation des dpartements qui efforcent de remplacer le dcoupage politique artificiel et despotique de Ancien Rgime par un dcoupage naturel Elle triomphe chez les prfets du Consulat et de Empire rdacteurs des Statistiques dpartementales qui utilisent non pour justifier la configuration du dpartement mais pour faire ressortir son articulation naturelle Elle est reprise enfin par les idologues et les fondateurs de la Socit des observateurs de homme qui veulent donner enqute rgionale comme inventaire des relations locales entre traits naturels et traits moraux un statut scientifique8

    ide un dterminisme rgional command par le climat est critique par certains en particulier par Ramond de Carbonnires auteur un Voyage dans les Pyrnes au nom une approche scientifique de la variabilit des socits

    observation reflchie des urs crit-il du caractre de la stature de la physionomie du langage de chacun de ces peuples runie celle des situations o ils se trouvent et jointe tude de leur histoire fournira des faits bien importants et bien dcisifs quiconque veut assurer combien on exagr le pouvoir des climats sur les hommes9

    La notion de milieu et celle une philogense de la particularit anthropologique chelle de la rgion sont juges par lui illusoires car fondes sur une fausse dtermination Il leur prfre la notion de race et ide une ontogense des caractres culturels

    ai t tent de croire ajoute-t-il que les races taient dans histoire de homme une donne primitive que les climats ont eu sur elles depuis les temps historiques que des effets peu sensibles en comparaison de ceux du mlange et que ces mlanges ont cr les races intermdiaires

    Encore naissant et vague le concept de race est promis une grande fortune dans anthropologie fran aise du 19e sicle con ue avant tout comme anthropologie physique Mais gardons-nous apprcier son irrup tion la lumire de ce il deviendra plus tard Il rpond pour le moment au dsir expliquer la diversit de la culture paysanne en lui restituant son histoire au lieu de enfermer dans le raisonnement tautologique une explication des caractres locaux par leur localit

    Sur Volney et la Socit des observateurs de homme cf en particulier MIN Naissance de observation anthropologique la Socit des observateurs de homme 1799-

    1805 Cahiers internationaux de Sociologie vol LXVII 1979 RAMOND DE CARBONNI RES Observations faites dans les Pyrnes... op cit

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    Une histoire sans traces

    explication par histoire est pas une innovation la fin du 18e sicle est mme la fa on la plus rpandue de rendre compte de la diversit des usages Elle appartient la tradition antiquaire qui est que la forme vulgarise des procdures de histoire savante forges par les moines bollandistes la fin du 17e sicle partir de rudition ecclsiastique Elle se traduit par une curiosit dsordonne thymologique archologique folklorique pour les traces un pass lointain

    Cette curiosit retrouve en le scularisant un autre secteur de la culture ecclsiastique attention aux superstitions dont la thorie originellement formule par saint Augustin t largement remanie et amplifie par les rformes religieuses des 16e et 17e sicles Luther et Calvin ont t selon Van Gennep les premiers ethnographes Leur lutte contre le culte des saints et les mauvaises croyances isole dans les pratiques religieuses une sphre usages qui sont bannir parce ils relvent de la pense magique et non rationnelle La doctrine catholique ajoute la notion de survivance les superstitions sont des vestiges des croyances paennes manipules par le Malin

    Engage dans une Jlutte gnralise contre les anciennes formes de la dvotion populaire Eglise post-tridentine dnonce dsormais non seule ment leur irrationalit mais leur caractre indcent Tout ce que la culture populaire pouvait avoir de festif et de factieux est ainsi mis index Mais dans leur zle dbusquer et inventorier par une observation minutieuse les pratiques dlictueuses les clercs censeurs de la religiosit populaire se transforment en enquteurs de terrain Un ouvrage tel que le Trait des superstitions concernant les sacrements de abb Thiers peut tre considr comme le premier manuel du folklore fran ais

    Une inversion gnrale des valeurs accompagne au cours du 18e sicle chez les lites lettres le dclin de attachement religieux Les usages paysans suscitent intrt pour leur bizarrerie et leur sotrisme parce ils avaient suscit la rprobation de Eglise mais surtout parce ils avaient t taxs de survivances paennes La culture paysanne est pas une culture autre est la culture hier submerge par les invasions successives de la romanit et du christianisme o sa fragmentation actuelle Ces fragments sont les vestiges un pass dtruit

    est dans les rgions protges par des obstacles naturels donc les plus isoles que ces vestiges se sont le mieux conservs Pour retrouver la culture paysanne nos voyageurs ethnographes la fin de Ancien Rgime choisissent de prfrence les rgions montagneuses comme Au vergne les Pyrnes les Alpes ou priphriques comme la Bretagne Mais ce sont les les qui sont les meilleurs conservatoires de cette culture abolie comme tente de nous en persuader la Description gnrale de la France de Piganiol de La Force Ses rditions successives tout au long du sicle nous permettent de suivre la progression de cette curiosit antiquaire et bientt ethnographique par augmentation rgulire des notations sur la bizarrerie des coutumes locales

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  • ENQUETE ET ETHNOGRAPHIE

    Or est pour les les que ces notations sont les plus nombreuses afin de souligner archasme et exotisme des usages auteur les dcrit comme inverse des ntres Ainsi propos de le de Groix voquant le rituel de la demande en mariage il dcrit la fille venant faire sa demande au domicile de son galant demande que celui-ci coute peu virilement allong sur un lit de repos inversion des usages et mme ici des rles sexuels cre tranget et suggre anciennet

    idalisation du pass devient dans la seconde moiti du sicle sous influence du primitivisme rousseauiste nostalgie des origines voquant la singularit des communauts familiales de basse Auvergne dans le chapitre il consacre aux Guittard-Pinon Legrand Aussy les dfinit comme des rpubliques familiales vestiges de organisation harmo nieuse des socits antiques10 Et comme la culture paysanne semble restituer

    ces observateurs lettrs image brouille de enfance du monde ils associent naturellement au monde de enfance voquant les paysans de Plougasnou une commune du Finistre il visite pendant la convention thermidorienne Cambry crit

    Les urs de ces peuplades sont celles de la nature dans toute sa simplicit imagination les domine leur langage est figur rempli de mtaphores et de hardiesse ... la posie naquit avant la prose Elle est expression ardente des motions de terreur tonnement admiration ou amour que homme de la nature prouve avec un sentiment plus vif que homme civilis11

    Mais la distance entre monde paysan et monde civilis ne peut expli quer en termes strictement chronologiques comme opposition entre un pass balbutiant et un prsent accompli De la diversit des usages paysans mane une puissance symbolique qui laisse soup onner une cohsion sous- jacente venue de loin non pas une culture mais pour reprendre le terme qui revient souvent sous la plume de nos voyageurs une sagesse antique celle des Celtes plus ancienne encore que celle des Grecs ou des Romains et qui trouv en France sa terre lection est ainsi que partis la dcouverte de la France paysanne ces voyageurs ethnographes rencontrent le problme des origines gauloises

    Gaulois ou Francs aux origines de la France

    Le thme des origines gauloises fait plusieurs entres dans imaginaire national Il apparat au dbut de la Renaissance avec Lemaire des Belges comme version fran aise du retour la culture antique bientt relay par les tenants de histoire parfaite tels La Popeliniere Pasquier Bodin qui en font la base une vritable thorie de la culture nationale associe

    10 LEGRAND AUSSY Les Guittard-Pinon dans Voyage/ait en 1787 et 1788... op cit

    11 CAMBRY Voyage en Finistre op cit

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    aux usages paysans12 le folklore les dialectes le droit coutumier ils opposent au droit romain import proviennent tous du fonds gaulois qui constitue le naturel est--dire le gnie national du peuple fran ais Occult au 17e sicle par une ridentification du peuple ses rois leur gloire et la splendeur de leur patronage des Lettres et des Arts le thme gaulois rapparat la fin du rgne de Louis XIV en contrepoint du dbat politique sur les origines de la monarchie Les partisans des origines tranques comme Boulainvilliers font provenir la monarchie de la conqute qui donn la terre et la population gallo-romaine vaincue aux guerriers francs en mme temps elle donnait la couronne leur chef La noblesse fran aise qui descend des conqurants hrit lgitimement de ses anctres la proprit de la terre et des paysans eux-mmes descendants des Gallo- Romains vaincus La monarchie des Bourbons en revanche prive du droit que le roi franc reconnaissait ses preux de assister par leurs conseils13

    Les romanistes comme abb Dubos et les historiens savants de Saint-Maur rcusent ide de conqute franque14 Les Francs qui avaient dj combattu aux cts de arme romaine taient partiellement intgrs au monde romain En prenant le pouvoir les rois francs continuent Empire romain Les Gallo-Romains ne furent ni vaincus ni asservis et conservrent leurs proprits Les assembles tranques sont territoriales Elles rassem blent des notables non des guerriers compagnons du roi Une telle interpr tation pouvait apporter de eau au moulin de absolutisme Mais elle avait aussi une porte antinobiliaire en rcusant ide une conqute franque elle privait la noblesse et ses droits fodaux une lgitimit originelle

    Le courant anti-absolutiste travers le 18e sicle en subissant divers inflchissements Il nourri aussi bien imagination protestataire des parlementaires qui se voyaient volontiers hritiers des plaids et autres conseils des rois des premires races que les ides dmocratiques prrvolu tionnaires un Mably Il mme travers le 19e sicle inspirant le roman tisme libral des historiens des annes 1820 en particulier Augustin Thierry et Guizot15

    Il faudra attendre les recherches de fin de vie de Fustel de Coulanges sur Les institutions de ancienne France pour que la thse romaniste plus conforme aux donnes de rudition reprenne consistance Entre temps celle des origines tranques servi toutes les causes aristocratique dmocra tique et mme rvolutionnaire elle permis de faire de la lutte des classes le rcitatif de histoire de France Fonde sur ide affrontement

    12 DUBOIS Celtes et Gaulois au XVF sicle le dveloppement littraire un mythe nationaliste Paris Vrin 1973

    13 FURET OZOUF Deux lgitimations historiques de la socit fran aise du XVIIP sicle Mably et Boulainvilliers Annales ESC 1979 no pp 438-450

    14 ARRET-KRIEGEL Les historiens et la monarchie Les acadmies et histoire Ir partie chap Paris PUF 1988

    15 GAUCHET Les lettres sur histoire de France Augustin Thierry dans Les lieux de mmoire op cit. II La nation vol pp 247-316

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  • ENQU TE ET ETHNOGRAPHIE

    et non de mlange la these tranque se prtait plus aisment aux manipulations idologiques Son succs au 18e sicle scelle ce que Blandine Barret-Kriegel appelle la dfaite de rudition

    Le courant philosophique et encyclopdiste est assez peu intress ce dbat Ce il demande histoire instar de la formation re ue dans les collges des jsuites relve plus de dification morale que de identification fantasmatique une origine commune est pourquoi il se rfre plus volontiers histoire antique grecque et surtout romaine histoire nationale Une rfrence qui deviendra omniprsente dans la rhtorique et esthtique rvolutionnaires

    Mais au-del de son usage idologique le thme des origines tranques sollicite imagination Chez les antiquaires et dans le monde lettr il suscite une curiosit romanesque pour un pass lointain mi-antique mi- mdieval qui prpare engouement romantique pour le Moyen Age On le voit aux choix un collectionneur comme le marquis de Paulmy qui rassemble dans sa demeure une des plus riches bibliothques prives de Paris la veille de la Rvolution aux nombreux manuscrits mdivaux dont son bibliothcaire Legrand Aussy futur voyageur ethnographe publie plusieurs compilations consacres la posie des troubadours ou aux fabliaux

    Cette curiosit adresse aussi bien aux conqurants francs anctres de la chevalerie aux Gaulois conquis tous embrums dans un pass lgen daire Influencs par le renouveau une celtomanie tendances sotriques nos voyageurs ethnographes fidles en cela la thse de Boulainvilliers ont abord le monde paysan comme hritier et le dernier dpositaire du gnie gaulois tranget une culture longtemps rpute vaine ind cente voire inexistante qui les place dans tat esprit du questionnement ethnologique hritage celtique ajoute les promesses un exotisme myst rieux qui les en loigne

    Des Gaulois aux Celtes itinraire exemplaire de Cambry

    itinraire intellectuel un Cambry illustre cette contradiction Charg enquter aprs thermidor sur le vandalisme rvolutionnaire en Finistre cet administrateur conventionnel repenti lui-mme originaire de la rgion applique sa description la double grille de hippocratisme ariste et de la celtomanie antiquaire Il insiste longuement avec un rel talent littraire sur la beaut sauvage du paysage naturel et invente la plupart des strotypes de la Bretagne pittoresque qui vont tre rutiliss au cours du 19e sicle16 Il souligne en outre le particularisme de chaque micro-rgion qui se manifeste dans la langue le vtement les usages les croyances et le temprament psychologique

    16 BERTHO invention de la Bretagne gense sociale un strotype Actes de la recherche en sciences sociales 1980 no 35 pp 45-62

    208

  • BURGUIERE VOYAGEURS ET STATISTICIENS EN FRANCE

    Mais la Bretagne est surtout pour lui la terre lection des Celtes qui sont rests prsents par la langue tranget des urs et des croyances

    paysannes loquence potique que on per oit dans les chansons comme dans les simples formules adresse attestent la prgnance particulire de ce pass enseveli Pourtant puisant dans sa solide connaissance de la littrature de voyages comme lecteur et comme auteur il crit un Voyage en Suisse et en Italie) Cambry note bien des similitudes avec des usages observs ailleurs

    Devenu prfet de Oise sous le Consulat il rdige la Statistique du dpartement sur le modle de son Voyage en Finistre en accordant une large place aux aspects ethnographiques et retrouve chez ses administrs bien des coutumes et pratiques festives dj observes en Bretagne ai retrouv dans ces contres crit-il les restes un usage qui tait tabli dans les Gaules et dont on voit encore les traces dans les Etats vnitiens il tenait aux mystres de la religion druidique mais ce est un jeu dans cette partie de la Picardie On le nomme sol ou choules ai fait connatre dans le Voyage en Finistre origine et le sens de cette fte dgnre qui rappelle la marche des mondes uf des druides la prudence ordinatrice de univers comme le menuet danse jadis sacre reprsentait les positions du soleil et de la lune ... Les prtres catholiques avilirent les ftes de la sol en appliquant au mardi-gras 17

    Mieux conserv en Bretagne ailleurs le celtisme constitue en fait le soubassement de toute la culture paysanne qui reprsente elle-mme face la civilisation du monde citadin et lettr une culture des origines celle qui produit le caractre national Par cette identification du national au populaire est--dire au paysan Cambry retrouve la premire rsurrec tion des Gaulois opre au 16e sicle par les historiens de histoire parfaite pour qui hritage linguistique juridique festif des Gaulois encore prsent dans les usages populaires constituait les bases de identit nationale Pourquoi ne est-il pas arrt cette conception confondant me du peuple le Volkgeist allemand et le gnie national Pourquoi est-il pas devenu le Herder fran ais

    Influenc par la celtomanie sotrique de son poque Cambry ne voit pas les Gaulois comme les anctres des Fran ais mais comme les reprsentants du monde celte porteurs une des grandes civilisations de Antiquit aussi grande que la grecque ou la romaine et plus ancienne elles puisque les Celtes sont censs tre installs en Gaule juste aprs le Dluge Notre voyageur reste visiblement attach la culture historique dominante qui ne con oit histoire mmorable que de Anti quit modle indpassable fondement de la civilisation Le seul moyen pour rendre histoire des Gaulois digne intrt est de la faire entrer dans le cercle magique du monde grco-romain Et ils ne nous sont connus que par les textes latins de la conqute en particulier la guerre des Gaules de Jules Csar comme le peuple qui tait dj l la culture

    17 CAMBRY Statistique de Oise Paris an VIII

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  • ENQU TE ET ETHNOGRAPHIE

    celte est antrieure celle des Grecs et des Romains elle est la mre des grandes civilisations antiques

    Les paysans sont les dpositaires actuels de cette sagesse antique comme atteste archasme de leurs usages et leur tour esprit particulier domin par imagination et le got du symbolisme Mais ce dpt est pas une simple survivance Il recle un message universel qui su rsister aux assauts de intolrance Les prtres catholiques crit Cambry dans la Statistique de Oise propos des ftes que les villageois clbrent au pied des chnes ont pu dtruire ancien respect de nos anctres pour cet arbre religieux Il tait emblme de la force de la dure de Etre suprme

    Cette vocation comme celle des origines de la sol analysent avec finesse la folklorisation de la religion populaire ses croyances se sont rfugies dans le festif ou le factieux pour rsister la rpression et au dnigrement de glise et de la culture dominante leur encontre Cambry

    rvle galement ambivalence de son attitude qui est celle du monde lettr gard de la socit paysanne Mme si sa curiosit et sa sympathie pour les particularits de la culture paysanne procdent un renversement de la vieille notion ecclsiastique de superstition il en conserve les prjugs Les croyances les pratiques festives ou langagires des paysans sont pour lui les dbris survivants de ancienne sagesse des druides mais elles ont aussi toujours quelque chose absurde et de naf

    La rsistance que les paysans ont su opposer la rpression du catholi cisme valorise leur culture en ajoutant une dimension hroque mais elle peut exprimer galement enttement voire aveuglement de ignorance Donner au particularisme culturel des paysans une assignation purement nationale qui les enferme dans une culture des origines est les condamner au rle de survivants incarnant une sorte enfance prolonge et donc rgressive de humanit Cambry sent on ne pourra pleinement rhabili ter la culture paysanne si on ne lui permet pas de dpasser horizon strictement national pour apparatre porteuse un message universel celui de la sagesse druidique

    Entre ethnologie et celtomanie la brve histoire de Acadm celtique

    Cette ambivalence perceptible chez les voyageurs ethnographes qui se lancent la dcouverte de la France dans la dernire dcennie de Ancien Rgime ne disparat pas avec la Rvolution Elle exaspre au contraire comme en tmoigne enqute sur les patois confie abb Grgoire Il agit de faire inventaire des dialectes rgionaux encore parls pour mieux les combattre et hter unification linguistique de la France Mais il agit aussi de collectionner ces vestiges un pass qui fait partie du patrimoine national18 Au plus fort de la dictature montagnarde en lutte contre la

    18 DECERTEAU REVEL JULIA Une politique de la langue La Rvolution fran aise et les patois Pans Gallimard 1973

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    dissidence vendenne Barere dnonce dans les patois les refuges de obscu rantisme et de la contre-rvolution Mais ds thermidor la rsistance que les paysans ont oppose la fureur montagnarde est assimile celle ils opposaient nagure au catholicisme et mise au crdit une fidlit leurs traditions ancestrales

    Une hsitation analogue observe dans les volumes de la Statistique dpartementale entre le dsir de fournir un tat des lieux la sortie de Ancien Rgime en faisant inventaire des diversits qui composaient la France et le souci aboutir une vision unifie de la ralit nationale la fois pour marquer la rupture de la Rvolution avec un pass de divisions et pour adapter au point de vue une pense gestionnaire Chez les responsables de entreprise de Fran ois de Neufchateau qui en con le projet Chaptal qui en fix le questionnaire et organis excution est le souci encyclopdique un inventaire des particularits qui domine Celui qui dira le plus de faits positifs est celui qui atteindra le mieux le

    but affirme Chaptal dans une circulaire qui exhorte fournir la fois des tableaux rcapitulatifs et des dtails19

    Mais la ralisation tale sur le Consulat et Empire rvle une grande htrognit inspiration qui tient aux diffrences de temprament des prfets auteurs des ouvrages certains plus strictement administrateurs autres plus lettrs encyclopdistes voire antiquaires Elle tient aussi au statut incertain du savoir que on peut tirer un regard panoptique sur le milieu naturel et humain Faut-il insister sur les survivances Les particula rits du local Sur les changements Et dans ce cas les prfets hsitent entre les effets positifs et ngatifs de la rupture rvolutionnaire Ou bien ne faut-il retenir que ce qui est comparable mesurable et constitutif du dveloppement national

    histoire de Acadmie celtique ses curiosits ses formes interprta tion et sa dissolution prcoce sont particulirement rvlatrices des contra dictions et des impasses de ce regard ethnographique sur la France20 Socit savante voue tude des vestiges de la civilisation celtique en France ses proccupations sont dpourvues ds le dpart un quelconque objectif administratif Mais le tiers de ses correspondants sont des adminis trateurs dont de Neufchateau et Peuchet qui ont jou un rle important dans la conception de la Statistique dpartementale

    Dans la prsentation du questionnaire que Acadmie propose comme guide de recherche aux savants et rudits qui voudront associer ses travaux Dulaure affirme pour expliquer appel la collaboration de correspondants trangers que le monde gaulois est tendu bien au-del des frontires de la France Mais il ajoute non sans un rien de rvrence courtisane pour le nouvel empereur que les frontires actuelles de empire le recouvrent

    19 BOURGUET Dchiffrer la France... op cit 20 Sur Acadmie celtique OZOUF invention de ethnographie de la France le

    questionnaire de Acadmie celtique dans cole de la France... op cit N.BELMONT Aux sources de ethnologie fran aise Acadmie celtique Pans ditions du CTHS 1995

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  • ENQU TE ET ETHNOGRAPHIE

    Acadmie crit-il rsolu associer ses travaux les observateurs les savants nationaux et trangers et de les inviter rpondre aux questions suivantes Elle leur observe que les pratiques qui sont spcifies ont t ou sont encore en usage dans empire fran ais qui par une suite de victoires clatantes repris et au-del toute ancienne tendue des Gaules21

    Dans cette identification problmatique du monde celte une France des origines Johanneau est encore plus formel et se place au plus prs une conception herdrienne de la culture nationale

    Acadmie celtique crit-il est vraiment un tablissement national Elle sera pour notre histoire et notre mythologie ce que Acadmie fran aise est pour notre langue et intrt son accroissement devient une sorte de devoir et de dette patriotiques Le but est illustrer notre berceau en retrouvant nos anctres en leur restituant tout ce dont une superstitieuse admiration fait hommage aux Romains qui les ont vaincus22

    Mais tout se passe comme si le cadre national ne pouvait prendre sens en se dpassant en recouvrant universel Dans le discours prliminaire du premier volume des Mmoires de Acadmie Lv alle rappelle que infiltration des lois des urs des opinions celtiques sont encore sensibles dans les opinions les urs les lois un grand nombre de peuples Mais si histoire des Celtes ne se retrouve pas dans un recueil particulier ainsi que judicieusement remarqu Cambry cette histoire est crite la tte de histoire de tous les peuples ailleurs les principes du druidisme ne furent-ils pas conservs par les disciples des Pythagore des Orphe des Zoroastre 23

    Acadmie celtique qui tenu sa premire sance le germinal an XIII 30 mars 1805 publi entre 1807 et 1812 six volumes de Mmoires Une partie de ses membres se retrouveront plus tard dans la Socit royale des Antiquaires de France Pour le travail de collecte des usages croyances et autres monuments populaires qui manifestent la survivance du monde celtique Acadmie propose ses correspondants un questionnaire distin guant les usages qui rsultent des diverses poques ou saisons de anne les usages relatifs aux principales poques de la vie humaine les croyances et superstitions

    Ce questionnaire enumere la plupart des thmes qui retiendront les folkloristes fran ais partir de la fin du 19e sicle Il est jug excellent par Van Gennep au moment o celui-ci entreprend son Manuel de folklore contemporain encore utilisable pour tout ce qui concerne les crmonies et ce on nommait les traditions En fait ces thmes taient dj prsents dans les traits des superstitions des thologiens de la fin du 17e sicle comme abb Thiers Ils dlimitaient le champ une culture populaire rceptacle erreurs anciennes que la baguette magique du regard

    21 DULAURE Questionnaire Mmoires de Acadmie celtique 1807 22 JOHANNEAU Notice sur des voyages antiquits celtiques et druidiques pendant

    quinze ans Mmoires de Acadmie celtique 1807 23 LAVALLEE Discours prliminaire Mmoires de Acadmie celtique 1807

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    antiquaire ou rousseauiste des Lumires mtamorphos en tabernacle une sagesse ancestrale

    Affichant un assez bel clectisme les travaux de Acadmie portent sur les usages et pratiques de diffrentes rgions fran aises les Landes la Lorraine la Sologne ou trangres comme tude du comte de Sorgo sur la langue et les urs des peuples slaves sur des ftes calendaires des lgendes locales tel le dragon de Metz Mais aussi sur des monuments nigmatiques dont glise octogonale de Montmorillon dans laquelle Johan- neau croit reconnatre un temple druidique ou comme les deux statues gyptiennes dans lesquelles Lenoir le fondateur du muse des Monuments fran ais prtend dchiffrer le message enseveli une gnose druidique

    Les auteurs ne cherchent presque jamais faire la part des ressemblances et des diffrences pour retrouver les traces une histoire qui aurait favoris des interpntrations ou fabriqu des singularits locales La communication de Volney sur uvre du linguiste russe le professeur Pallas Vocabulaires compars des langues de toute la terre il loue pour le caractre systmatique de sa mthode tranche sur les autres par son sens du compara tisme et son attachement laboration une science gnrale de homme ou plutt des socits24

    explication des particularits de la culture paysanne par des origines strictement celtiques qui prsid la fondation de Acadmie reprsente dj un appauvrissement de la pense ethnographique labore par les voyageurs dcouvreurs des campagnes ou par les prfets Empire auteurs des Statistiques dpartementales Elle devient vite dans les dbats de Acadmie un mode explication universelle rductionniste et dogma tique dont ne pouvaient se satisfaire ceux qui taient la recherche une approche scientifique des usages sociaux

    est ce que laisse entendre le porte-parole anonyme du groupe dissident qui dcida assez vite de quitter Acadmie pour fonder la Socit des Anti quaires

    Des membres prpondrants crit-il con urent sur les Celtes un systme plus sduisant que solide Pour appuyer ils ne trouvrent point dans les notions que histoire nous fournit sur ce peuple des preuves suffisantes alors ils se jetrent dans le champ illimit des conjectures ... Les Celtes suivant eux taient levs au plus haut degr des sciences des arts et de la civilisation ils soutenaient ce qui est trs douteux que le dialecte des Bas-Bretons tait la langue que parlaient les Celtes Ils garaient dans de fausses routes et avan aient ces paradoxes avec ce ton qui semble prsager au contradicteur une lutte dsagrable ce qui dplut certains membres qui aimrent mieux loigner que combattre

    Le plus significatif pour notre propos est pas que effort pour penser la singularit des usages paysans partir un contexte cologique le milieu rgional ou historique se soit repli sur une explication par origine

    24 VOLNEY Rapport Acadmie sur un ouvrage russe du professeur Pallas vocabulaires compars des langues de toute la terre Mmoires de Acadmie celtique 1807

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  • ENQU TE ET ETHNOGRAPHIE

    ethnique fondement de identit nationale mais que ce repli aboutisse lui-mme une impasse heuristique ide un caractre national dpos dans le particularisme des traditions populaires comme une sorte de gnie naturel hrit un lointain pass gaulois bauchait au 16e sicle dans la vision historico-juridique des tenants de histoire parfaite Elle avorte

    la fin du 18e sicle alors que affirme sur le terrain politique une conscience claire de unit et de la souverainet nationales au moment mme o prend corps de autre ct du Rhin une thorie de la nation celle de Herder plus que celle de Fichte fonde sur hritage de la culture populaire

    Pour reprendre une distinction dont intelligentsia nationaliste alle mande se fait cho la veille de la premire guerre mondiale la culture nationale comme expression une singularit absolue car hrite oppose

    universalit de la civilisation qui incarne la capacit des socits se conformer un idal humanit et enrichir par leurs accomplissements culturels Or nos voyageurs antiquaires qui sont alls la dcouverte de la France paysanne ont pu rsoudre nigme de tranget de ses usages et pour tout dire de son ltente en les rapportant un tat antrieur de la civilisation

    Pour mriter attention du voyageur lettr et accder la dignit de patrimoine culturel les usages paysans ne doivent pas tre imputs unique ment une ascendance gauloise qui les assimilerait hritage ethnique lgu par le premier fonds de peuplement tabli sur le territoire de la France actuelle mais une ascendance celtique est--dire un premier tat de la civilisation et de la sagesse humaine antrieur mme apport du monde grco-romain et qui est diffus sur ensemble de Europe

    Notons que cette dissociation du patrimoine ethnique et du patrimoine culturel opre au moment o prend corps en France plus nettement ailleurs et au sein du milieu lettr qui nous occupe prsentement le concept de race tel que le dveloppera anthropologie physique Les traits physiques sont soumis un principe de variabilit et histoire des espces vivantes un processus de diffrenciation est pourquoi on peut appli quer au genre humain un mode de classement analogue celui en usage pour les autres espces vivantes qui combine le variable volutif et invariant

    La culture en revanche ou plutt la civilisation est une Elle incarne le destin collectif de humanit et la possibilit pour individu de rsumer humaine condition Il donc rien dans la bizarrerie et la particularit des usages populaires qui puisse entrer dans le capital symbolique de la nation si ces usages restent placs sous le signe de la diversit et du morcellement rgional Les constantes renvoyant un soubassement com mun on dcle dans ces usages ne sont gure plus aptes fonder une solidarit nationale tant on les attribue un pass aussi restrictif que celui du peuple gaulois La culture gauloise ne vaut que par ce elle nous transmis de universalit de la sagesse druidique comme la nation fran aise par ce elle apporte ensemble de humanit

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    Comment expliquer cette incapacit la fois idologique et pistmolo- gique penser la particularit du caractre national La premire explica tion qui vient esprit et qui t souvent mise en avant concerne la place de la gense de tat dans histoire de la nation fran aise une des particularits de la France qui la distingue de la plupart des autres nations Europe sauf peut-tre Angleterre tient installation prcoce de tat Ds le sicle avec avnement de la monarchie captienne tablit au centre du territoire qui deviendra la France un pouvoir souverain qui est maintenu sans interruption nos jours Ce pouvoir ne se reconnat pas vassal de empereur mais exerce en revanche en dehors du domaine royal rduit au dbut le-de-France et Orlanais des droits de suzerainet sur la plupart des territoires voisins qui vont progressivement se fondre dans ensemble France

    Par conqutes et autres formes annexions successives dont les plus rcentes se situent au sicle dernier cet tat tabli de longue date fabriqu dans le mme mouvement le territoire national et la nation La nation est une ide neuve et mobilisatrice pour les Fran ais poque de la Rvolution comme le montre la clbre clameur des troupes fran aises Valmy

    Vive la nation Mais est une ralit fixe depuis longtemps sur existence un tat souverain une ralit affective galement que la propagande monarchique largement fa onne La rupture de la Rvolution est oprer au profit des sujets devenus citoyens un transfert de la souverainet dpose alors dans la personne du roi et la continuit de la dynastie

    Rfre un tat souverain identit nationale pas besoin un pass une culture fondatrice ou un hritage ethnique pour tablir sa lgitimit Toute investie dans la forme politique qui modele elle en rvle les tensions et inachvement Et nous pouvons sur ce point nous laisser guider par la pense de Tocqueville ide unit nationale qui impose au moment de la Rvolution exprime le besoin de se rassembler autour une souverainet tutlaire devenue le bien de tous Elle est sous- tendue par un fort dsir galit qui dcoule partiellement de effort de centralisation de la monarchie et de la rhtorique unitaire mise en uvre pour combattre les pouvoirs intermdiaires et locaux

    unit est que la forme administrative de galit et le dsir unit expression du dcalage que les Fran ais ressentent entre la rhtorique egalitaire de la monarchie et la persistance un ordre tabli sur le privilge Fonde sur une construction politique ancienne mais inacheve identit nationale qui rassemble les Fran ais que faire un pass qui la renverrait

    son inachvement Si les traditions populaires ont offrir que leur particularisme et leur diversit rgionale elles mritent tre combattues comme autant obstacles unit dsire Ce est pas sur une diffrence hrite un lointain pass que repose la nation fran aise mais sur un projet unit et galit citoyenne qui dbouche sur universel puisque la France rvolutionnaire offre au monde entier Le seul moyen de se rapproprier le pass de la France comme le tentent nos antiquaires celtomanes est de lui donner galement une porte universelle

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  • ENQUETE ET ETHNOGRAPHIE

    La pense de Tocqueville peut nous aider largir explication quand il relie la figure particulire de homme de lettres dans la vie intellectuelle et politique de la France effort centralisateur de la monarchie Rapprocher la dmarche cartsienne et idal classique de la centralisation monarchique est autant plus tentant que le lien est indmontrable On peut admettre au moins comme un symptme de congruence le paralllisme entre le projet mtaphysique de Descartes le projet esthtique des classiques qui supplante en France beaucoup plus nettement que dans le reste de Europe influence du baroque et la vision centralisatrice de la monarchie Descartes constitue le monde sensible partir de la centralit du sujet comme tre pensant et le constitue comme intgralement pensable en termes mathma tiques esthtique classique lague les dtails les traits de singularit pour restituer une pure du rel

    Cette tendance abstraction ou du moins au gnralisable consonne avec ce qui est per et requis par la monarchie en particulier dans le fonctionnement de la cour qui incarne du point de vue de la sociabilit la centralit du pouvoir monarchique La capitale qui repose sur le couplage Paris-Versailles attire vers le centre toutes les lites du pays aristocrate qui doit paratre la cour il ne veut pas attirer les soup ons voire animosit du souverain comme homme de lettres ou artiste qui veut se faire connatre doivent faire oublier attachement rgional qui les singularise pour se fondre dans le march concurrentiel des faveurs royales

    Les hommes de la cour et de ses annexes culturelles sinon politiques comme les salons prcieux ne sont pas tous gaux loin de l et rien exprime mieux le sens extrmiste de la hirarchie de la socit de rang que tiquette de cour Mais ils acceptent tous les mmes rgles donc la mme vision du monde Se pensant au centre du monde comme ils sont par le pouvoir de rayonnement de la culture de cour au centre du systme social ils considrent le monde partir de cette centralit o la valori sation dans le tour esprit fran ais tel il panouit ge clas sique comme au sicle des Lumires du sens de abstraction et de la gn ralisation

    Au 18e sicle plusieurs volutions fort bien tudies par Eric Brian25 se sont noues pour orienter tude scientifique des socits vers une vision unitaire et une approche quantitative le dveloppement propre du savoir mathmatique qui se traduit en France comme dans les autres grands foyers scientifiques de Europe par introduction du raisonnement analytique une rflexion qui bauche au sein de Acadmie des sciences sur utilit de institution et sa place dans le systme de gouverne ment de tat absolutiste un dialogue actif entre les services de la monarchie et lite mathmaticienne encyclopdiste pour la mise au point de nouveaux outils valuation de tat du royaume illustr en particulier par des dbats sur extension du calcul des probabilits De cette conjonc tion entre essor de analyse mathmatique du calcul des probabilits et des dnombrements statistiques merge une nouvelle configuration qui

    25 BRIAN La mesure de tat Administrateurs et gomtres au XVIIIe sicle Paris Albin Michel 1994

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  • BURGUIERE VOYAGEURS ET STATISTICIENS EN FRANCE

    la proprit de laisser concevoir la calculabilit et la prvisibilit des phnomnes sociaux

    donc congruence la fin du 18e sicle entre la vision unitaire qui inspire le regard scientifique sur la socit et le dsir unit qui exprime dans les aspirations politiques des Fran ais car les deux provien nent en termes tocquevilliens de la mme matrice la centralisation monarchique comme horizon et comme tension qui est installe dans les esprits avant de inscrire dans les faits Proche du milieu gouvernant par sa formation celle des collges jsuites par sa sociabilit celle des salons hritiers plus ou moins lgitimes de la culture de cour) le milieu savant en partage les valeurs et parfois les objectifs comme le montre le dialogue analys par Eric Brian entre Acadmie des sciences et les ministres de Louis XVI sur la mesurabilit des faits sociaux est parce que le regard du monde savant sur la socit mle projet de rforme et projet de connais sance volont de comprendre et volont de contrler le corps social il con oit celui-ci comme un ensemble continu de dispositions mesu rables explicables car prises dans un champ de dterminations homogne

    La curiosit pour la singularit des usages paysans qui panouit dans les deux dernires dcennies de Ancien Rgime avec la vague rousseauiste du retour la nature avait donc aucune chance acqurir un statut scientifique ni mme une lgitimit intellectuelle durables Aborder les usages par leur tranget pour dresser un inventaire des diffrences dchif frer la signification voire le contenu symbolique des comportements rejoignait le programme intellectuel esquiss la mme poque par Emmanuel Kant dans ses le ons anthropologie pour explorer dans leur variabilit les formes de la vie humaine Cette activit de connaissance fonde sur observation consistait selon lui comprendre le dedans pai le dehors

    Mais de autre ct du Rhin le courant intellectuel dominant prfrait la mesure observation Ce tait pas la signification intrinsque des habitudes il cherchait saisir mais les rapports objectifs entre les hommes sur lesquels reposait la socit Les variations les diffrences intressaient pas en raison de leur opacit ou du moins de leur tranget mais par les carts elles marquaient la norme attendue Seule leur mise en forme statistique qui les pla ait sur une chelle de performances plus ou moins gs plus ou moins laborieux etc. ou de dveloppement plus ou moins instruits plus ou moins industriels etc. pouvait donner sens ces diffrences

    La Rvolution pas interrompu cet intermde ethnologique Elle mme provisoirement amplifi Plusieurs de nos voyageurs ethnographes firent carrire avec elle et aprs elle pour finir prfets Empire Leur qute fantasmatique une culture populaire en forme de monde enchant trouvait dans vnement rvolutionnaire une sorte piphanie Heureuse synthse de ancienne description gographique de Piganiol de La Force et des plus rcents rcits de voyage entreprise de Lavallee prolongeait

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  • ENQUETE ET ETHNOGRAPHIE

    la mtaphore de unit fran aise dans la diversit cre par la fte de la Fdration

    Les dbats suscits par les projets de redcoupage administratif de la France et plus gnralement la naissance une vie politique locale don naient une visibilit sinon une lgitimit nouvelle aux particularismes territoriaux aux langages et aux usages populaires refouls par la culture lgitime La Statistique dpartementale dite des prfets Empire inventaire prodigieux une France en transition peut tre considre par ses hsita tions et ses compromis entre un savoir du nombre et un savoir du sens comme le champ du cygne de ce premier essor une ethnologie de la France

    Mais la solution de continuit souligne par Tocqueville entre Ancien Rgime et la Rvolution qui oriente souterrainement le dveloppement non seulement des institutions mais des mentalits politiques marginalisait cette forme de regard sur la socit Alors que de autre ct du Rhin une communaut culturelle dpourvue inscription politique inventait ide une identit nationale inscrite dans hritage une culture singulire les Fran ais avaient besoin ni un pass ni une singularit pour se runir Ils avaient besoin avenir et galit pour tre la fois eux- mmes et humanit en marche

    La connaissance scientifique de la socit adosse la mise en place de la Statistique gnrale de la France va choisir au 19e sicle la loi du nombre et du dveloppement progressiste comme illustre ouvrage de Charles Dupin inventeur de la ligne de dveloppement Saint-Malo-Genve au titre trangement pr-marxien Les forces productives et commerciales de la France publi en 1827 Mais son disciple Angeville largissant enqute neuf ans plus tard un vritable atlas de gographie morale de la France interroge dj sur le mystre de cette ligne de partage qui pourrait selon lui recouvrir une vritable frontire ethnique irrductible

    un schma analyse strictement socio-conomique Et on serait tent de croire crit-il que deux populations sont venues se heurter de intrieur du territoire national sur la ligne de dmarcation qui joint le port de Saint- Malo la ville de Genve 26

    Andr BURGUI RE EHESS

    26 Adolphe ANGEVILLE Essai sur la statistique de la population fran aise considre sous quelques-uns de ses rapports physiques et moraux Bourg-en-Bresse 1836 rdition La Haye Mouton 1969)

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    InformationsAutres contributions de Andr BurguireCet article est cit par :Chronique des publications, Annales historiques de la Rvolution franaise, 2001, vol. 325, n 1, pp. 105-112.

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    PlanLa rgion, synthse des particularits Une histoire sans traces Gaulois ou Francs aux origines de la France ?Des Gaulois aux Celtes ; l'itinraire exemplaire de J. Cambry Entre ethnologie et celtomanie : la brve histoire de l'Acadmie celtique